La porte du ciel

 

 

Les deux cercueils étaient dans la fosse profonde,

Tout recouverts de terre. Et l’enfant orphelin,

Petit abandonné, bel ange à tête blonde,

Vers le chaume natal se remit en chemin :

              Il n’avait plus personne au monde !

 

Personne !... Oh ! qu’il sentit son pauvre cœur en deuil

Se serrer, en voyant, tout le long du village,

Aux bras de leurs parents des enfants de son âge !

Et, quand de la chaumière il eut touché le seuil,

Et qu’au lieu d’y trouver sa mère bien-aimée,

Il vit les volets clos et la porte fermée,

Il se sentit plus seul, et se prit à pleurer.

Il resta là, craintif ; et n’osant pas entrer,

Il appliqua son œil au trou de la serrure :

 

À travers l’huis mal clos, sur la muraille obscure,

Le jour glissait furtif comme un jour de prison.

Bien triste, il regarda par-dessus la clôture

Qui fermait le jardin de la pauvre maison :

Les rosiers fleurissaient dans l’enclos solitaire ;

Sur la branche, au soleil, voletait le pinson ;

Si joyeux, il chantait !

                                     – Dans sa douleur amère,

L’innocent s’accroupit tout seul sur le gazon,

Appelant tour à tour et son père et sa mère

Qui dormaient côte à côte, ensemble sous la terre.

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« Hélas ! vos bons parents, ils ne sont plus ici ;

Ils sont allés au ciel... au ciel ! ma petite âme »,

              Lui dit en passant une femme.

 

– « Au ciel ?... Alors, dit-il, j’y veux aller aussi ! »

 

Or, il se ressouvint d’avoir entendu dire,

Certain soir de veillée, au curé de l’endroit,

Que beaucoup de chemins au ciel pouvaient conduire,

              Et qu’il ne fallait qu’aller droit.

Mais là, chez le bon Dieu, c’était bien loin, sans doute !...

 

Et notre chérubin, tout en pleurs, sans appui,

Avec ses petits pieds traînants, se mit en route,

Ayant bien soin d’aller toujours droit devant lui,

Droit, tout droit, et n’osant regarder en arrière,

De peur de se tromper. Il ne s’arrêtait pas ;

Ses souliers, ses habits étaient blancs de poussière.

 

Mais voilà que le soir, comme il était bien las

Et qu’il n’en pouvait plus, – non loin, sur la bruyère,

Tout à coup resplendit une grande lumière.

Il regarde, il approche... Et l’enfant, étonné,

Voit un portique ouvert et tout illuminé

Se dresser devant lui sur la lande assombrie.

Au dedans, ce n’était qu’une arcade de feu !

 

Qu’était-ce ?.. Une chapelle au bois, douce et fleurie ;

Chapelle consacrée à la Mère de Dieu.

 

Cachée entre les fleurs, sous une verte branche,

Vue à travers l’encens brûlé sur son autel,

La Vierge apparaissait vaguement, toute blanche,

Avec son doux sourire et son calme éternel.

Jésus, entre ses bras, bénissait les fidèles,

Tandis qu’un chant montait pur et mélodieux,

Et qu’aux pieds rayonnants de la Reine des cieux

Deux anges prosternés se voilaient de leurs ailes.

 

L’enfant charmé, clignant ses grands yeux éblouis,

Crut que ce pourrait bien être le paradis.

Il se glissa le long des piliers du portique

Jusqu’auprès de l’autel, où bien vite il se mit ;

Et là, tout inondé d’un bonheur extatique,

Bercé par les accents de l’orgue et du cantique,

Et se croyant au ciel, par terre il s’endormit ;

 

Il s’endormit, avec le sourire à la bouche.

Et Marie et Jésus visitèrent sa couche ;

Et puis, il entendit des voix de séraphin

Qui disaient : – Dors, petit.… tu n’es plus orphelin ! »

 

Il dormait. Mais l’office est terminé ; la foule

Se retire en silence et lentement s’écoule :

Sous le porche désert meurent les bruits de pas.

Le dernier pèlerin, psalmodiant tout bas,

Gagnait, rosaire en main, la lande obscure et grise,

Lorsque le sacristain, faisant sa ronde, avise

Le pauvret sous l’autel. Alors, s’apercevant

Qu’il dormait à genoux, il réveilla l’enfant ;

Car il allait fermer les portes de l’église.

 

Rêvant toujours du ciel, l’enfant, à son réveil

Retrouvant sous ses yeux la figure céleste

Qu’il avait vue auprès de lui dans son sommeil,

Ne voulut pas sortir, disant : « J’y suis... j’y reste ! »

Mais, à l’aspect des clefs qu’il tenait à la main,

Voilà que pour saint Pierre il prend mon sacristain :

« Bon saint Pierre, dit-il, oh ! laisse-moi, de grâce !

Vois, je suis si petit ; je tiens si peu de place ! »

 

Saint Pierre ne pouvait être en vain imploré.

Le sacristain courut avertir le curé,

Lui conta point pour point cette aventure étrange.

Celui-ci, quand il vit ce charmant petit ange

Et qu’il l’eut entendu, le baisa sur le front :

« Tes parents, c’est ici qu’ils se retrouveront !

Attends-les sous l’autel de la Vierge : elle t’aime ! »

Alors, les yeux au ciel : « C’est toi qui me défends,

Mon Dieu, de l’éloigner ; car tu l’as dit toi-même :

 

« Laissez venir à moi tous les petits enfants ! »

 

Or, celui-ci trouva refuge à la chapelle.

Là, comme en un doux nid, vivant de charité,

Colombe que l’amour abritait sous son aile,

Il crût bientôt en grâce, en sagesse, en bonté.

Des pauvres pèlerins il allumait le cierge,

Ornait de fleurs l’autel le matin, et le soir

De ses petites mains balançait l’encensoir.

 

On ne le nommait plus que « l’enfant de la Vierge ».

 

Et, comme chaque jour notre innocent voyait

Dans l’église, à genoux, la foule recueillie

Qui semblait adorer la statue, – il croyait

Que c’était là vraiment et Jésus et Marie.

 

Une chose pourtant l’étonnait : la pâleur

Du bon petit Jésus et sa grande maigreur.

 

Donc, voilà qu’une fois il se prit à lui dire :

« Certainement, Jésus, tu n’as pas à manger :

              Avec toi je veux partager !... »

La Vierge, en ce moment, fit un charmant sourire,

Et Jésus répondit : « Lorsque tu le pourras,

Donne aux pauvres du seuil, et tu me nourriras ! »

 

L’enfant courut bien vite au parvis de l’église.

Une vieille était là, sous le portail assise,

Qui tendait aux passants une tremblante main

Et semblait bien souffrante et faible. À cette vue,

        Il lui donna la moitié de son pain,

Et puis il s’en revint auprès de la statue.

 

Et la Vierge Marie, et son Jésus aussi

Au petit orphelin dirent tout bas : « Merci ! »

 

Il grandit. Dès qu’il fut en âge de comprendre,

        Le bon curé lui dit en l’embrassant :

« Ce Jésus que tu vois, – il est temps de l’apprendre, –

C’est l’image de Dieu, mais non Dieu, mon enfant :

Avec la Vierge, il est là-haut. Cette demeure

Que tu prends pour le ciel et qui ravit ton œil

N’est pas le paradis : ce n’en est que le seuil.

Mais heureux qui s’y tient debout, attendant l’heure

              Où la porte enfin s’ouvrira ! »

 

L’ange, qui retombait sur la terre, pleura.

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Eh ! oui ; dans ses grands yeux bien des larmes roulèrent ;

Tout le long de sa joue en fleur elles coulèrent ;

Puis il s’agenouilla tristement sous l’autel,

Certes, bien tristement. Oh ! c’est qu’il est cruel

De tomber de si haut ! et la secousse est forte

D’être non plus au ciel, mais dehors, à la porte,

Et sans espoir, hélas ! de la voir se rouvrir.

 

Pour être au paradis, qu’il eût voulu mourir !

 

Sans songer que sinistre et froide était la bière,

Il se prit à sourire aux fleurs du cimetière

              Qu’il voyait briller au soleil.

 

Le ciel était si beau, même à travers la tombe !

 

Le bleu de l’air tentait l’aile de la colombe ;

La mort sollicitait cet ange au front vermeil :

Mourir !... n’était-ce point partir pour une fête ?...

 

À force d’y songer et d’y songer, la tête

Du petit chérubin s’alourdit de sommeil :

Des mots confus tombaient d’entre ses lèvres roses ;

Sans dormir tout à fait, par le sommeil bercé,

Affaissé sur lui-même et le front renversé,

Ses longs cils battant l’air, paupières demi-closes,

Il ne démêlait plus le songe du réel.

 

Ce n’était plus l’autel, ni ses marches de pierre

Qu’il voyait. – Un seul cri de l’âme, une prière :

               « Ouvrez-vous donc, porte du ciel !... »

 

Sur lui, demi-voilée en sa blanche lumière,

Se penchait doucement l’Étoile du Carmel.

 

Tout à coup, les grands yeux de la Vierge sourirent.

Elle abaissa son front charmant, ses bras s’ouvrirent.

Restèrent étendus, et notre ange, éploré,

D’un invincible attrait s’y sentit attiré.

 

Était-ce vision ou n’était-ce qu’un songe ?

Je ne sais ; mais enfin, vérité, doux mensonge,

L’enfant, tout éperdu d’amour, n’hésite pas :

Un long, un long baiser. Il tomba dans ses bras.

 

La source de ses pleurs à l’instant fut tarie ;

Car, dès qu’il eut touché le doux sein de Marie,

La terre et son ciel froid sous ses pieds avaient fui :

Les cieux des cieux ouvraient leur porte devant lui !

 

Et puis, le lendemain. Mais chut ! je veux me taire.

Et qu’importe, après tout, s’il passa sur la terre

Peut-être encore un jour de son exil mortel ?...

Dut-il vivre ? À l’instant, put-il quitter ce monde ?

 

Quand on vint pour prier la Vierge à son autel,

On vit entre ses bras ce doux ange du ciel

Contre son chaste sein pressant sa tête blonde,

Sa bouche qu’un sourire entr’ouvrait à demi...

 

L’enfant était-il mort ?... Était-il endormi ?...

 

 

 

Léon LE PAS.

 

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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