Le petit Jose

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Fidèle LIEMIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE petit Jose est songeur... le petit Jose réfléchit... La fête de sa mère approche... il veut lui faire une surprise... Le petit Jose est heureux... mais tout pensif... Il ne possède rien... et, pour faire plaisir à sa mère, il devra prendre et rendre ce qui est déjà à elle... mais quoi ?

Le bon Dieu se met de la partie... Il a fait fleurir, en ce printemps, une moisson de roses... C’est trouvé ! Jose ira les cueillir... et, simplement, les mettra en bouquet...

Seulement, il y a le jardinier... qui les cultive avec amour... les connaît toutes... sait leur nom... Pas une ne lui échappe... Hier encore, il était dans le parc, son grand sécateur à la main... il cueillait, au massif, la plus éclatante, destinée au salon : « La Royale ». Comme elle était belle !... Les siennes seront-elles agréées ? il est si petit, et le jardinier si puissant... dans son domaine... pour veiller sur ses fleurs...

Mais l’amour l’emporte... Le petit Jose réfléchit. Il faudra gentiment, attirer, demain, le jardinier dans la serre... l’intéresser à une besogne qu’il aime... pour pouvoir cueillir les roses...

De grand matin, le petit Jose est debout... il écoute les moindres bruits... Le parc est silencieux... Le petit Jose, allègrement, s’élance, à peine vêtu, dans cette griserie du matin... En fils de paladin, il juge inutile de s’armer d’un outil... de gants, pour cueillir ces fleurs, si prometteuses... Ne veut-il pas d’ailleurs, faire sa preuve jusqu’au bout ? et ne serait-il pas heureux de recueillir quelque blessure...? Il a dit, à ses petits frères, qu’il se chargeait, seul, de l’entreprise de son cœur... La vie est si belle en cette aurore...

De sa menotte nue, il cueille, il cueille encore... tout recueilli lui-même et s’ensanglante... mais il sourit : « Maman sera contente... Maman est si douce, si bonne... je dois bien lui offrir quelque chose qui lui ressemble... je ne puis lui offrir que ce qui parle de sa bonté... sans rien qui pique... »

Sa moisson terminée, le petit Jose la rapporte dans sa chambrette... Et là, délicatement, amoureusement, il prend, une à une, les merveilles de Dieu, du Dieu complice... qui fit fleurir sur terre ces fleurs de paradis... couvertes, encore, de perles...

La chambre du petit est maintenant jonchée de roses... il y en a par brassées... tout le jardin est là... et le parc est sans grâce... mais, qu’importe ?...

Le petit Jose enlève les épines, toutes les épines... il n’en laisse pas une... sa mère est si douce... n’est-elle pas toute bonté ? même aux méchants elle ne veut faire peur... et combien viennent au château, qui repartent conquis...

Le petit Jose enlève les épines... il ôte les piquants et les place, tous, dans son petit tablier...

La chambre est toute parfumée... le parfum se répand dans toute la maison... Le petit Jose a bien fait ce qu’il pouvait...

Mais on vient ?......

Le jardinier se montre sur le seuil :

« Qui vous a suggéré cet acte ? Vous êtes trop petit mon ami... » L’enfant tressaille...

– Oui... mais « son » Cœur est si grand... ! Je voulais faire plaisir à maman... »

L’homme, d’un mouvement vif, a secoué et fait retomber en pluie, sur l’enfant, le contenu du tablier... toutes les épines... sa blouse en est parsemée...

La mère veillait... elle survient, elle hésite... Entre son fils et son serviteur, qui blâmer ? elle ne sait... tous deux ont des intentions si belles... tous deux la servent... tous deux l’aiment... Elle ne peut pas, devant l’enfant, désavouer le geste du jardinier... elle ne veut pas, devant ce dernier, approuver celui de l’enfant... Elle se tait... Mais, attirant à elle – toute blanche à présent – le fils de son amour, elle l’embrasse... ses yeux laissent perler deux larmes... son sourire est humide... Elle serre sur son cœur l’enfant de sa tendresse... elle le serre si violemment que les piquants traversent la blouse légère... les épines s’enfoncent dans la chair délicate...

L’enfant ne bronche pas... seulement il pâlit... Sa mère, affolée, le dévêt, le porte vers son berceau... lorsque, par la blouse entr’ouverte, elle découvre, sur la poitrine, une minuscule couronne d’épines toutes rouges...

Le jardinier, bon homme au fond, s’indigne contre lui-même... et, tandis que la mère calme, sous ses baisers, la petite chair meurtrie, il a le geste qui trahit son émotion... sa grosse tête grise se penche...

Mais la mère, bientôt, remet debout son fils... Oubliant ses cicatrices, Jose repart, tout joyeux, vers sa tâche d’enfant...

 

 

 

Fidèle LIEMIER.

 

Paru dans Les Causeries

en février 1927.

 

 

 

 

 

 

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