Le songe

 

 

(Guillaume et Marguerite)

 

 

C’était à ce moment silencieux, solennel,

          Quand nuit et aube imitent un fantôme ;

L’ombre de Marguerite entra, sans un appel,

          Glissa, se tint près du lit de Guillaume.

 

Et sa figure était comme un matin d’avril,

          Qui de l’hiver garde un nuage d’ombre,

Et sa main blanche était froide comme un grésil ;

          Elle tenait son noir linceul si sombre.

 

Le plus joli visage ainsi nous paraîtra

          Quand la jeunesse un jour sera partie ;

Tel est le vêtement qu’un fier roi portera

          Quand la mort prend sa couronne avilie.

 

Son teint si pur était comme un bouton naissant,

          Et dégustant la rosée argentée ;

Et le rose, enflammant son visage brillant,

          Apparaissait alors comme une fée.

 

Comme un cancer rongeur de l’amour qui s’en joue,

          A consumé son précoce printemps !

Le rose devint blanc, quitta bientôt sa joue,

          Elle mourut, hélas ! avant son temps.

 

Elle cria : « Debout ! Ton amante t’appelle,

          Qui de sa tombe à minuit se leva :

Que ta pitié si tendre entende encore celle

          Que ton amour parjure et faux tua !

 

L’heure si solennelle et si sombre a sonné,

          Où notre amante est triste et nous appelle,

Où du tombeau béant sort son spectre irrité

          Venant hanter son amant infidèle.

 

Guillaume, traître ami, rappelle-toi ta faute,

          Et ta promesse et ton serment violé ;

Rends-moi mon vœu de vierge et ma vertu, si haute,

          Rends-moi ma foi, toi que j’ai trop aimé !

 

Pourquoi m’avoir promis une foi si profonde,

          Foi que jamais tu n’as voulu garder ?

Tu disais que mes yeux étaient purs comme l’onde,

          Pourquoi pourtant les laissas-tu pleurer ?

 

Pourquoi me disais-tu que ma face était belle,

          Lorsque sitôt tu pus l’abandonner ?

Pourquoi séduisis-tu mon cœur de jouvencelle,

          Et laissas-tu ce doux cœur se briser ?

 

Pourquoi me disais-tu que ma lèvre était rose,

          Qu’elle faisait l’écarlate pâlir ?

Pourquoi moi, pauvre fille, aimant trop et sans cause,

          Ai-je donc pu t’écouter sans rougir ?

 

Hélas ! il n’est plus beau, mon visage si sombre,

          Ma lèvre n’est plus rose, ô triste sort !

Ils sont clos maintenant, mes yeux si noirs dans l’ombre,

          Et tout l’attrait que j’eus jadis est mort.

 

Et le ver qui me ronge est devenu mon frère,

          J’ai jour et nuit ce linceul si grossier ;

Morne dure la nuit, froide et triste en la bière,

          En attendant le jugement dernier.

 

Je dois partir : le coq de mon départ est cause.

          Adieu, adieu ! Voici venir le jour.

Homme si faux, viens voir le lieu sombre où repose

          Le cœur aimant qui se brisa d’amour ! »

 

L’alouette chantait, et l’aube en un sourire

          Versait partout ses rayons de chaleur.

Et Guillaume, tremblant comme un homme en délire,

          Quitta son lit, le cœur plein de douleur.

 

Il courut à l’endroit, place morne et déserte,

          Où Marguerite en son tombeau gisait ;

Il s’étendit alors, triste, sur l’herbe verte

          Croissant sur elle et qui la recouvrait.

 

Il prononce trois fois le nom de Marguerite,

          Verse trois fois des larmes de douleur ;

Il pose alors son front sur la tombe bénite,

          Et sans un mot rend son âme au Seigneur.

 

 

 

David MALLET.

 

Traduit par Sir Tollemache Sinclair.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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