Les trois berceaux

 

 

                                                ..... Tria tabernacula.

 

 

                                          I.

 

Près d’un berceau couvert de splendides trophées,

Une Femme est debout, belle comme les fées,

Présidant aux destins des héros et des rois,

Une triple auréole environne sa tête ;

Son regard resplendit, comme dans la tempête

L’éclair intermittent, la nuit, au fond des bois.

 

Un souverain attrait se cache en sa rudesse :

Séduisante Péri, superbe Druidesse,

Sa fierté martiale attire en souriant ;

Son front dominateur, que la grâce décore,

Respire la jeunesse, et sa fraîcheur se dore

Des plus ardents reflets des soleils d’Orient.

 

Sur un glaive appuyée, elle contemple en reine

Un enfant endormi – destinée incertaine –

Dans ce berceau, couvert de brillants étendards ;

Et, cachant avec soin les empreintes guerrières,

Les larmes et le sang qui souillent ces bannières,

Elle attache sur lui ses maternels regards.

 

« – Dors, mon enfant chéri ; dors, mon espoir, dit-elle ;

Dors, je suis ta nourrice et ta mère immortelle !

À ton jeune avenir, j’ai consacré mes jours ;

Car, dès les premiers pas de sa jeunesse ardente,

Embrasant mes feux son âme indépendante,

De ton père je fus les uniques amours.

 

« Et je l’ai couronné de ma splendeur féconde,

Lui donnant pour ma dot la conquête du monde,

Livrant à son pouvoir l’univers étonné.

Le passe, le présent ont reconnu son trône ;

L’avenir seul manquait à sa triple couronne,

Bel enfant, sois pour lui l’avenir couronné ! »

 

Hélas ! ainsi disait la Gloire au fils de l’Homme,

De ces beaux rêves d’or berçant le roi de Rome,

Découvrant à ses yeux un immense horizon.

Dix ans après, captif, sur un lointain rivage,

L’Empereur expirait, et son fils, avant l’âge,

S’éteignait lentement au fond d’une prison.

 

 

 

                                          II.

 

            Un Ange, debout près d’un trône,

            Suspend, sur un autre berceau,

            Une blanche et pure couronne,

            Et, sous le deuil qui l’environne,

            Fait germer l’espoir d’un tombeau.

 

            Des cieux le messager s’incline

            Sur cette couche avec amour,

            Et bénit l’enfance orpheline,

            Comme l’aube, sur la colline,

            Après la nuit sourit au jour.

 

            Protégeant d’une aile tremblante

            Ce frêle espoir, fleur d’un cercueil,

            Il cache l’empreinte sanglante

            Du crime, et fait jaillis, brillante,

            La splendeur d’un haut sur ce deuil.

 

            Tout un peuple dans l’allégresse

            Devant le messager des cieux

            Laissant éclater sa tendresse,

            Se précipite avec ivresse

            Vers ce berceau mystérieux.

 

            Dix ans après, cette espérance,

            Sortant à peine du berceau,

            Loin des rivages de la France,

            Dans l’exil et dans la souffrance,

            Flottait au vent, sur un vaisseau !

 

            Mais en tous lieux l’Ange fidèle

            A suivi l’auguste exilé,

            Comme sur les flots l’hirondelle,

            Fuyant l’hiver indigne d’elle,

            Poursuit le printemps envolé !

 

 

                                         III.

 

Bientôt sur le rivage une Femme sans cœur

Aborde en souriant d’un air froid et moqueur,

            Belle et fière, mais inconstante :

C’est la Fortune. À peine un jour moins sombre luit,

Et sur l’écueil mouvant elle bâtit sans bruit

            Un trône à l’abri d’une tente.

 

Tout sourit à l’entour : océan, terre et ciel ;

Des prestiges de l’or l’attrait matériel

            Comme un talisman l’environne ;

Et, porté mollement par le flot apaisé,

Un berceau, doux espoir, par elle est déposé

            Sur l’écueil où brille le trône.

 

Brillante à la surface et limoneuse au fond,

Dans un lit inconnu, ténébreux et profond,

            La Paix s’épanche comme un fleuve ;

Sur ses bords la Fortune, affrontant le Destin,

Fête ses favoris en un large festin,

            Et d’espérance les abreuve.

 

Hélas ! pour renverser la Fortune et César,

Que faut-il ? un caillou sous le rapide char,

            Un flot de plus sous la nacelle.

Sous la roue imprudente un caillou s’est glissé,

Sous le royal esquif le flot s’est courroucé ;

            Char, esquif, trône, tous chancelle.

 

Dix ans après, l’exil voit encore, étonné,

Fuir avec l’orphelin l’aïeul découronné,

            Que réclame une fin prochaine.

Et le peuple, océan aux flots capricieux,

Même alors que l’orage expire dans les cieux,

            Dans son lit se rendort à peine !

 

 

                                         IV.

 

Dans le port, ô mon Dieu, pour guider le vaisseau,

Pour relever l’espoir, courbe comme un roseau

            Sous une tempête sauvage,

Laissez-nous rattacher, loin, bien loin des écueils,

Ces trois berceaux, flottant près de ces trois cercueils,

            Tous ensemble au même rivage !

 

 

 

Hippolyte MAQUAN.

 

Paru dans le Recueil de l’Académie

des jeux floraux en 1852.

 

 

 

 

 

 

 

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