Légende
Il y a bien longtemps, dans une petite cité de l’Île de France, on élevait une chapelle à Sainte-Claire. Le Maître d’œuvre en hâtait l’achèvement car, pour le 12 Août, fête de la patronne, les grands échafaudages blancs devaient tomber.
Encore, sur le faîte devait s’élever la flèche et aussi une statue de Notre Seigneur dominant la nef. Pour cette grande et sainte figure, un imagier de renom était à l’ouvrage et depuis bien des jours, il tapait sur la pierre.
Dans le ciel clair, les grands plis droits de la robe étaient établis ; les bras étendus dans un geste de bénédiction se parachevaient, mais de la tête rien encore ! Et devant cette dernière masse sans expression, la crainte prenait notre artiste, car dans son cœur, les traits du Maître étaient si purs qu’il ne croyait pouvoir les rendre.
Il avait tout essayé, esquisses dessinées, ébauches de terre, copies de cathédrales Picardes ou Champenoises ; mais rien de tout cela ne lui suffisait, et le temps allait manquer.
Par une gaie matinée de juillet donc, ayant perdu patience et pleurant, l’imagier adressa une réprimande à Jésus ; et au milieu de ses larmes, il lui dit :
« Cher Maître, tu devrais bien me venir en aide, puisque c’est pour toi que je travaille : chaque jour, mon temps te revient, j’ai tout donné aux pauvres hères d’alentour ; – il me semble qu’ici, tu pourrais dessiller mes yeux et rendre habile mon ciseau. Je voudrais mettre sur notre pauvre terre un peu de ciel, viens-t’en, bon Maître, aider ton imagier. »
Et comme il relevait la tête, il vit, tout droit sur l’échafaudage et souriant dans le ciel bleu, le modèle qui attendait.
Alors, sans trop s’étonner, Jehan, car tel était son nom, prit l’outil et du maillet, cogna de si bon cœur que les traits nobles et purs se dégagèrent peu à peu de la pierre.
Et quand la dernière boucle des cheveux fut sculptée, le divin Modèle s’en fut, non sans avoir souri encore à l’humble travailleur.
Cette histoire, je dois l’avouer, m’est venue de toute pièce en regardant les belles statues du XIIIe siècle.
En ces lointaines époques, les artistes avaient la foi et le Ciel servait leur inspiration ; mais dans la stérilité de nos efforts quotidiens, Jésus peut être demain notre modèle dans le grand Art de la vie – si telle est notre prière.
MAX.
Paru dans Psyché en 1910.