Jésus et sa mère

 

 

        NOTRE-DAME

 

Puisque ne m’avez accordé

De mes trois pétitions l’une,

Au moins, par prière importune,

Vous plaise m’octroyer la quarte.

C’est, s’il faut que mort vous départe

D’avecques moi, et que moi, mère,

Vous voie souffrir mort amère

Pour sauver l’homme, je vous prie

Que je soie comme ravie

Et soit ma triste âme suspense

Pour lors de toute connaissance,

Durant votre si grief tourment,

Sans avoir aucun sentiment

Des douleurs que aurez si grandes.

C’est la quarte de mes demandes,

Que je vous requiers de bon cœur.

 

 

        JÉSUS

 

Ce ne serait pas votre honneur

Que vous, mère tant douce et tendre,

Vissiez votre doux fils étendre

En la croix et mettre à grief mort,

Sans en avoir aucun remort

De douleur et compassion.

Et aussi le bon Siméon

De vos douleurs prophétisa,

Quand entre ses bras m’embrassa,

Que le glaive de la douleur

Vous percerait l’âme et le cœur

Par compassion très amère.

Pour ce, contentez-vous, ma mère,

Et confortez en Dieu votre âme :

Soyez forte car oncques femme

Ne souffrit tant que vous ferez ;

Mais en souffrant mériterez

La lauréole de martyre.

 

 

        NOTRE-DAME

 

Ô mon fils, mon Dieu et mon sire,

Je te mercy très humblement

Que tu n’as pas totalement

Obéi à ma volonté.

Excuse l’humaine simplesse

Si par humaines passions

Ai fait telles pétitions

Qui ne sont mie recevables.

Tes paroles sont raisonnables

Et tes volontés très hautaines,

Et les miennes ne sont qu’humaines ;

Pour ce, ta divine sagesse,

Excuse à l’humaine simplesse

De moi, ton indigne servante,

Qui, d’amour maternel fervente,

Ai fait telles requêtes vaines.

 

 

        JÉSUS

 

Elles sont douces et humaines,

Procédantes de charité ;

Mais la divine volonté

A prévu qu’autrement se fasse.

 

 

        NOTRE-DAME

 

Au moins veuillez, par votre grâce,

Mourir de mort brève et légère !

 

        JÉSUS

 

Je mourrai de mort très amère.

 

        NOTRE-DAME

 

Non pas fort vilaine et honteuse !

 

        JÉSUS

 

Mais très fort ignominieuse.

 

        NOTRE-DAME

 

Doncques bien loin, s’il est permis !

 

        JÉSUS

 

Au milieu de tous mes amis.

 

        NOTRE-DAME

 

Soit doncques de nuit, je vous pry !

 

        JÉSUS

 

Mais en pleine heure de midi.

 

        NOTRE-DAME

 

Mourez donc comme les barons !

 

        JÉSUS

 

Je mourrai entre deux larrons.

 

        NOTRE-DAME

 

Que ce soit sous terre, et sans voix !

 

        JÉSUS

 

Ce sera haut pendu en croix.

 

        NOTRE-DAME

 

Vous serez au moins revêtu ?

 

        JÉSUS

 

Je serai attaché tout nu.

 

        NOTRE-DAME

 

Attendez l’âge de vieillesse !

 

        JÉSUS

 

En la force de ma jeunesse.

 

        NOTRE-DAME

 

Ne soit votre sang répandu !

 

        JÉSUS

 

Je serai tiré et tendu

Tant qu’on nombrera tous mes os ;

Et dessus tout mon humain dos

Forgeront pécheurs de mal pleins,

Puis fouiront et pieds et mains

De fosses et plaies très grandes.

 

        NOTRE-DAME

 

À mes maternelles demandes

Ne donnez que réponses dures.

 

        JÉSUS

 

Accomplir faut les Écritures.

 

 

 

Jean MICHEL, Le mystère de la Passion,

XVe siècle.

 

 

Recueilli dans La vie de Jésus

racontée par les poètes,

par Jacques Charpentreau,

DDB, 1982.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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