Elcy

 

Légende du mois de Mai.

 

 

Qu’elle était belle, Elcy, la blonde Vierge en fleur,

De la rose effaçant la vermeille couleur,

Le front orné de grâce et voilé de mystère !

Oh ! qui l’eût vue ainsi blanche, svelte et légère,

Le printemps sur la joue et le ciel dans les yeux,

L’eût prise pour un ange exilé des saints lieux.

Mais, plus tard, tendre lis à la tige séchée,

Celui qui l’aurait vue immobile, penchée,

Soulevant vers le jour, par un suprême effort,

Ses yeux déjà noyés de langueur et de mort,

Oh ! celui-là, plaignant la douce créature,

Eût pleuré tout son cœur et maudit la nature.

 

Près du lit où la vierge, à son dernier instant,

Sentait faiblir la vie en son sein haletant,

Ses compagnes d’enfance, avec sa triste mère,

Confondaient leurs soupirs et leur douleur amère.

Mais, vers elles tournant ses doux regards, Elcy

D’une touchante voix les consolait ainsi :

 

          « Ô mes sœurs, si je vous suis chère,

          « Ne gémissez pas sur mon sort !...

          « Sèche tes larmes, ô ma mère !

          « Tout meurt, hélas !... sur le Calvaire,

          « Dieu lui-même n’est-il pas mort ?...

 

          « Sur la terre tout front se penche,

          « Marqué du sceau de la douleur ;

          « Moi, je vais au ciel où s’étanche

          « L’éternelle soif du bonheur !

 

          « Ne pleurez pas... l’heure dernière

          « Est, pour notre âme prisonnière,

          « L’aube des délices des cieux...

          « Mes sœurs, embaumons nos adieux

          « Avec les fleurs de la prière !...

 

« Puisque Dieu ne veut plus que je reste ici-bas,

« Adorons ses décrets et ne murmurons pas.

« Hélas ! sa volonté s’est pour moi révélée

« Depuis longtemps déjà... Dans l’humide vallée,

« Pleine de vie alors je m’égarais un soir,

« Cherchant des flots aimés le limpide miroir ;

« Mais, tandis que mes pas distraits foulaient la mousse,

« Le rossignol des nuits chantait d’une voix douce :

 

          « Voici Mai, roi des beaux jours,

          « Voici Mai, l’amant des roses ;

          « Mille corolles écloses

          « Forment ses riants atours.

 

          « Heureuses les jeunes belles

          « Qui mourront au mois de Mai !...

          « De roses fraîches comme elles,

          « Leur cercueil sera semé.

 

          « Et, du sein béant des tombes,

          « Elles monteront au ciel,

          « Comme un essaim de colombes

          « Volant au nid paternel.

 

          « Il est court, roses nouvelles,

          « Votre destin parfumé...

          « Heureuses les jeunes belles

          « Qui meurent au mois de Mai !...

 

– « C’est ainsi qu’en mon sein, la voix enchanteresse

« De l’amoureux printemps épanchait la douceur,

« Et pourtant, je ne sais quelle vague tristesse,

« Comme un voile de deuil, vint flotter sur mon cœur.

 

– « De ce chant j’ai gardé le souvenir fidèle...

 

– « Elcy, cria soudain en accourant près d’elle,

« Sa sœur, naïve enfant à l’argentine voix,

« Savez-vous ce que chante un rossignol des bois,

« Qui vient de se poser au sommet du vieux chêne

« Dont vous aimiez goûter l’ombre douce et sereine :

 

          « Mai passe dans ce séjour...

          « Il cueille vierges et roses ;

          « Pour son front, les fleurs écloses,

          « Et les vierges pour sa cour.

 

          « Heureuses les jeunes belles

          « Qui mourront au mois de Mai !

          « De roses fraîches comme elles

          « Leur cercueil sera semé. »

 

En entendant ces mots, la pauvre Elcy tremblante,

Sentit son œil mouillé d’une larme brûlante,

Qui coula lentement sur ses beaux traits pâlis,

Comme une goutte d’eau sur la blancheur d’un lis.

 

– « Hélas ! c’en est donc fait..... Voici l’heure, dit-elle,

« Ô Seigneur ! reçois-moi dans ta paix éternelle

« Évanouissez-vous, prestiges mensongers !

« Laissez-moi, vains regrets ! fuyez, rêves légers,

« Jeunes illusions aux splendeurs éphémères.

« Pour la réalité je quitte vos chimères !

« Sur l’aile de l’espoir je fuis loin de ces lieux...

« Ô ma mère ! ô mes sœurs ! je vous attends aux cieux !

          « J’entends, j’entends les saints cantiques

          « Et le doux son des harpes d’or...

          « Ouvrez-vous, célestes portiques !

          « Ô mon âme ! prends ton essor  !... »

 

Sa prière finie, elle pencha sa tête,

Tige frêle, avant l’heure, offerte à la tempête,

Et, comme un pur encens d’un calice exhalé,

Son âme en flots d’amour au ciel avait volé...

 

En cet instant l’on put distinctement entendre

             Le rossignol lointain,

Dont la voix répétait, plus plaintive et plus tendre

             Son triste et doux refrain :

 

          Heureuses les jeunes belles

          Qui meurent au mois de Mai !

          De roses fraîches comme elles

          Leur cercueil est embaumé...

 

 

 

Gabriel MONAVON.

 

Paru dans La Muse des familles en 1857.

 

 

 

 

 

 

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