Le vieux roi et le lys

 

 

Il était un vieux roi que son peuple chassait.

Pourquoi l’exilait-on ? L’Histoire, ou la Légende,

N’a pas entre ses rois de figure plus grande ;

La gloire avait sacré le sang dont il naissait ;

Ainsi que ses aïeux, au long règne prospère,

Pour défendre les siens, les aimer comme un père,

Son sang comme son cœur largement se versait.

D’exiler le vieillard quelle était donc la cause ?

Seul, et pour sceptre d’or n’ayant plus qu’un bâton.

La foule aux reins, hurlant, pourquoi le chassait-on ?...

C’était la volonté du peuple, et, je suppose,

Nous n’avons pas besoin de chercher autre chose.

Donc le roi hors des murs allait silencieux

Sans incliner la tête et sans tourner les yeux.

Au revers du rempart, couchés, vautrés dans l’herbe,

Des bergers regardaient cet homme au pas superbe,

Et comme le vieillard s’avançait le front nu

Ils se disaient, surpris : « Quel est cet inconnu ? »

Ainsi des moissonneurs plus loin liant leur gerbe.

La foule, qui des murs comme un serpent glissait,

Criait : « Voyez ces chiens méconnaissant leur maître :

Même ses moissonneurs n’ont pu le reconnaître,

Et riant, – sans couronne un roi qu’est-ce que c’est !... »

Plus loin un mendiant, sur le bord de la route,

Robuste et jeune encore, assis rongeait sa croûte :

C’était de ces haineux qui vivent sur autrui

Tout en le maudissant, cœurs lâches, mains avides,

Et jamais du palais ses mains ne sortaient vides.

En voyant s’avancer le vieillard sans appui

Il se leva d’un bond, se dressant devant lui,

Et l’œil en feu, l’écume à ses lèvres livides :

« Te voilà donc à bas, monarque, il était temps... »

Et le ciel frémissait de ses cris insultants.

Le roi marchait toujours vers la plaine déserte.

Dans un pré, balancé sur sa tige encor verte,

Épargné par l’été, fils tardif du printemps,

Étoile de candeur brillait un lys des champs,

Le lys dont l’Écriture a dit qu’herbe flétrie,

Tombé sous la faucille il brûlera demain.

Le roi passait alors le long de la prairie.

Soudain le lys des champs, ainsi qu’un être humain,

Lentement par trois fois, s’inclinant jusqu’à terre,

Salua le vieux roi. Fou devant ce mystère,

Le mendiant gisait le front sur le chemin ;

Les moissonneurs au ciel élevaient leurs faucilles,

À genoux se signaient leurs femmes et leurs filles,

Les bergers s’écriaient : C’est un homme de Dieu.

Chacun se découvrait comme dans le saint lieu,

Et le peuple, frappé comme par le tonnerre.

Venait briser ses flots aux pieds du centenaire

Qui, soulevé, porté sur leurs bras triomphants,

Tendait sur eux les mains et disait : Mes enfants !...

 

 

 

A. MONY.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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