La fille de Jaïr

 

 

La fille de Jaïr, sur son lit mortuaire,

Blanche parmi les fleurs qui jonchent son linceul,

Dort son dernier sommeil, et bientôt l’ossuaire

Recevra ce beau corps que l’âme a laissé seul.

 

Sur ce lit où la mort a passé triomphante,

La vierge garde au front sa rigide beauté :

La grâce de la forme en chasse l’épouvante,

Et du charme des traits la mort n’a rien ôté.

 

La poitrine en sanglots, une femme étendue

Au pied de ce lit blanc se tord dans la douleur ;

Elle a crié vers Dieu, sans en être entendue,

Et la mère blasphème en ce jour de malheur.

 

– « L’adorer et la perdre ! Où donc est ta justice,

Maître de l’Univers, toi qu’on prie à genoux ?

Va, ton pouvoir divin n’est qu’un pouvoir factice,

Puisque la mort sans loi vient faucher parmi nous ! »

 

Et, se frappant au cœur, cette mère affolée

Mêle son désespoir au bruit des instruments.

Dans le ciel lumineux, l’âme s’est envolée,

Allant vers les lointains de ces bleus firmaments.

 

Soudain, Jésus paraît sur le seuil de la porte ;

Il marche vers le lit enguirlandé de fleurs.

– « Femme, ne pleure plus ! Ta fille n’est pas morte ;

Bénis le Dieu vivant ; lui seul tarit les pleurs. »

 

Il dit, et prend la main qui pend hors de la couche.

La morte, à ce toucher, lève ses bras raidis.

Un sourire divin vient effleurer sa bouche :

La vierge apporte au monde un peu du paradis.

 

 

 

Baronne A.-L. de ROCHEMONT.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net