La petite bouquetière

 

 

Grande comme une botte et mignonne et gentille,

Cinq ou six ans au plus, de blonds cheveux bouclés,

Des yeux d’un bleu d’azur dont la lueur scintille,

Tout pleins de questions, d’étonnements ailés.

 

Dans le givre et la neige, elle erre, lente et triste,

De sa menotte, offrant aux passants quelques fleurs

Aux tons fanés, pareils à ces tons d’améthystes

Que la misère met sous son œil tout en pleurs.

 

«  Achetez-moi ces fleurs, dit-elle, le front blême,

En sanglotant, Monsieur, c’est pour avoir du pain ;

Je ne les vendrais pas, sans ça, car je les aime,

Moi, les fleurs, mais maman m’a dit qu’elle avait faim.  »

 

Un soir, elle changea les mots de sa prière :

«  Maman a froid, dit-elle, maman ne bouge plus !  »

Une femme écouta : c’était une ouvrière

Qui n’avait cependant, pas de sous superflus.

 

Mais, ayant arrêté l’enfant : «  Tiens, ma petite,

Va porter ça, si tôt, à ta mère... Est-ce loin ?...

– Non, madame, c’est là sous le toit, qu’elle habite,

Derrière cette rue et dans ce vilain coin.  »

 

La mignonne montrait, avec sa main bleuie,

Une sombre maison faite de vieux plâtras ;

Déjà, sans plus pleurer, et presque réjouie,

Caressant quelques sous, elle avait fait un pas.

 

Mais, prise tout à coup de peur indéfinie,

L’ouvrière courut la prendre par la main :

«  Viens avec moi, veux-tu ?... Ma journée est finie,

Dit-elle, vite, allons, montre-moi le chemin.  »

 

Elle marchait hâtive, et, l’enfant suppliante,

Ayant mis son bouquet dans ses beaux cheveux d’or,

Lui disait : «  C’est pour moi, les fleurs ? » Et, souriante

Ajoutait : «  Tu vas voir ma maman... elle dort...  »

 

Gravissant l’escalier puant, étroit, humide,

La mignonne chantait, avait la joie au cœur,

De n’avoir pas vendu sa pauvre fleur livide ;

Ses beaux yeux bleus avaient un petit air vainqueur.

 

Enfin les voici donc tout en haut parvenues.

«  C’est ici ! » dit l’enfant, désignant un grand trou

Percé comme un chenil dans les murailles nues

Dans lequel, pour entrer, il faut baisser le cou.

 

La jeune fille, alors, y pénètre, craintive,

Presque à tâtons ; d’abord, regarde, sans rien voir,

Puis, aperçoit au fond, une clarté chétive ;

Quelque chose de blanc au milieu de ce noir,

 

«  Maman, fait la petite, il faut que tu t’éveilles,

Va, tu n’auras plus faim, et tu pourras bouger ;

Voilà déjà longtemps, sais-tu, que tu sommeilles...

J’ai de l’argent, on peut payer le boulanger !

 

«  Maman, regarde donc... Madame est douce et bonne...

Écoute !... Elle a voulu venir te consoler...

J’ai conservé mes fleurs... Eh bien, je te les donne,

Si tu ne pleures plus... si tu veux nous parler...  »

 

Écartant de sa main sa chevelure blonde,

Elle y prit le bouquet qu’elle embrassa longtemps ;

Et, sans que sa maman à ces accents réponde,

Le mit entre ses doigts raides et résistants,

 

«  Elle n’a plus besoin de fleurs que sur sa tombe...

Ta mère est morte !... dit l’ouvrière à l’enfant.

«  Morte ? » fait la petite, et, bientôt elle tombe

Sur le corps morne et froid, dans ses pleurs étouffant.

 

«  Mignonne, je le sais, ta douleur est amère ;

Mais Dieu, du moins, étend sur toi sa grande main ;

Il vient de t’envoyer une nouvelle mère ;

C’est pour cela qu’il m’a mise sur ton chemin...

 

«  Viens, je t’achèterai des roses, des pensées ;

Sur la terre, là-bas, tu les effeuilleras...

Et dans tes pleurs, et tes prières enlacées,

Tu les verras renaître et tu les cueilleras !  »

 

 

Et l’ouvrière, alors, releva l’orpheline,

L’embrassa tendrement, la pressa sur son sein ;

Puis, en l’enveloppant de tendresse câline,

L’éloigna de ce lieu lugubrement malsain.

 

Deux jours après, l’enfant avec la jeune fille,

Sur un tertre encor nu, dans l’immense jardin,

De feuilles et de houx formaient une charmille,

Où se dressaient, en croix, deux branches de jasmin...

 

 

 

Anna ROSENQUEST.