Les fils de la Vierge

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’automne a doré le front des forêts. Déjà les bois semblent effrilés. Sur les coteaux, les vignes nourrissent les raisins, et, dans le val, les cimes des grands peupliers font trembler leurs feuilles comme des sequins d’or et montrent leurs branches dénudées pareilles à des mâtures sans voiles. Les soirs ont des crépuscules d’ombre diaphane, et, dans les matins blêmes, il semble qu’on voie danser des dames blanches le long des ruisseaux.

Durant le jour, le soleil, comme un œil de vieillard qui attend les adieux de la vie, regarde les choses qui vont bientôt mourir.

Les grands ramiers dorment dans les sapins noirs, les hirondelles virent une fois encore vers leurs nids, le long du vieux clocher.

Dans l’air, on voit parfois voleter des fils blancs. Ils tournoient ou tombent tout droit, ou bien ils s'accrochent aux branches des arbres, aux herbes des prés, aux fleurettes dernières au bord des sentiers, aux brindilles qui traînent, aux ajoncs des bois. Ce sont les fils de la Vierge ; on dirait une vaste résille couvrant le front du sol déjà froid.

Mais que sont-ils vraiment, ces fils si blancs ? Ils nous tombent du ciel en dansant un peu, au gré de la brise, et puis s’en vont on ne sait où parfois : ici, là, là-bas, plus loin encore...

Les vieilles gens les contemplent avec des yeux mélancoliques... Il semble à ces grands-pères et grand-mamans que ce sont des fils coupés aux derniers beaux jours de leur vie ; car les reverront-ils encore une fois, l'an prochain, ces fils de la Vierge ?

D’autres gens, quelques pauvres attristés, les regardent en pensant que, s'ils étaient en laine, ils pourraient faire un bon tricot cet hiver.

Les enfants leurs sourient et courent après. Courez, petits, courez bien vite, attrapez le joli fil, et tenez-le un peu en vos menottes... Hélas ! il est déjà cassé, fil de la Vierge, illusion..., illusion d’enfant.

En effet, que ne dit-on point aux enfants pour bercer leurs jeunes âmes ? On fleurit leurs pensées comme des seuils nouveaux. Fils de la Vierge, quelle main vous a tissés ? Fils de la Vierge, pourquoi vous a-t-on filés ? Fils de la Vierge, qui a tenu la quenouillette ?

Et la légende veut que ce soit la Vierge Marie qui fila ainsi, un jour, ces fils blancs comme la plus blanche des toisons.

N'est-ce point, aussi, la bonne Notre-Dame qui, jadis, fit la neige du duvet de ses oies blanches, tout en berçant son enfantelet ?

Mais, les fils de la Vierge, qui donc les pelotonne ? C’est la Vierge Marie.

Il y avait, voilà des temps et des temps à bien compter depuis le premier Noël, un automne très froid au pays de Bethléem. Le bon saint Joseph avait bien, dans l’âtre, allumé un grand feu avec les copeaux du bois qu’il travaillait ; il avait aussi fermé les portes et les baies du logis ; mais, comme il n’était point riche, à la sainte Famille il manquait de chauds vêtements. Il se désolait et ne savait que dire et que faire, quand, soudain, on frappe à sa porte. Joseph ouvre, et c’est Jean qui entre, menant avec lui sa jolie brebis frisée.

Voyant Jésus tout effrilé, il prend à pleines mains la laine de sa brebis et l’offre à Marie, qui, dans la suite, fila pour son petit enfant...

Et tant et tant elle fila qu’elle en eut plus qu’elle ne voulut, et que des pelotons se dévidèrent en s’éparpillant...

Voilà pourquoi, aux derniers jours radieux d’octobre, viennent vers nous ces fils blancs, ces jolis fils de la Vierge.

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ, 

Histoires du Jardin de la France

Mame, 1943.

 

 

 

 

 

 

 

 

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