Stella

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Berthe ROUSSELLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle était grande. Elle était mince. Mais si mince et si pâle qu’elle semblait transparente. Son gracieux visage avait une expression de tristesse infinie. Aussi, après s’être arrêté dans une muette contemplation devant cette saisissante beauté, on ne savait si l’admiration ou la pitié dominait.

Délicieuse enfant aux yeux rêveurs et tristes, elle semblait personnifier l’immatérielle Béatrix. Vision rapide d’une courte destinée. En la regardant, on pressentait quelque chose de grand, de mystérieux, d’au-delà qui conduit à Dieu.

Ses yeux d’une couleur indécise, n’étaient ni noirs, ni bleus, ni bruns. Ils semblaient gris ; et parfois la prunelle prenait une teinte orangée, selon les reflets du soleil. D’épais et soyeux sourcils ombrageaient ce magnifique regard voilé par de longs cils. Si longs et si fins ! Quand l’émotion l’envahissait, ses paupières s’abaissaient soudain comme pour dissimuler les impressions de son âme ardente, qui se reflétaient d’une façon si vive jusqu’au fond de sa prunelle de feu. – Ce soir-là, au contraire, ses yeux plongeaient devant elle avec tant de persistance qu’ils semblaient vouloir arracher le secret de l’idée qui la torturait. Elle se sentait mourir.

Debout, appuyée au battant de la porte-fenêtre, ainsi vêtue d’un long peignoir gris-perle, Stella rappelait une déesse de l’antiquité. Ses mouvements souples, onduleux étaient pleins d’une grâce charmante et le port de sa noble tête si digne, que le regard ne pouvait s’en détacher. Si un indifférent se sentait ému, que devait donc penser celui qui venait d’entrer soudainement ? Son mari depuis quatre mois, quatre mois qu’ils s’adoraient. Il semblait triste aussi. La mélancolie de Stella le torturait. – Ce soir-là, devant cette attitude rêveuse et désolée, le trouble du mari augmentait.

Doucement, il s’approcha et se penchant vers elle voulut l’interroger. Soudain, sa tête charmante tomba sur son épaule. Christian jeta un cri. – Et comme un écho à sa plainte, un chant d’oiseau lui répondit. C’était le lori, le petit compagnon qui, voyant son amie immobile, lui sautait sur l’épaule, becquetait tour à tour ses yeux, ses lèvres et ses cheveux. Tandis qu’éperdu, Christian l’appelait des noms les plus doux. L’oiseau continuait son ramage.

Les sons d’abords tristes et plaintifs s’exaltèrent bientôt jusqu’à la frénésie. Ils semblaient vouloir réveiller celle qui dormait là immobile, entre deux jardinières de magnolias dont les blancs pétales venaient de s’ouvrir. Mais il est des sommeils éternels et profonds que ni le désespoir le plus violent, ni l’amour le plus ardent, ni le chant le plus délirant d’un oiseau ne peuvent interrompre. Tel était celui de Stella ! – C’était fini...

C’était fini. Christian le comprenait. Aussi le silence mortel qui planait sur cette atmosphère, tout à l’heure encore imprégnée de tendresse et de rêves exquis, augmentait sa douleur.

Et tandis que l’oiseau inconscient continuait à moduler son chant plaintif, en becquetant, en étendant sur ce beau visage décoloré ses petites ailes toutes déployées comme pour la défendre à une proie inconnue, le désespoir de Christian fut si grand que son cœur battit violemment, un anévrisme se rompit. Et il tomba. – L’oiseau restait seul !... Allant de l’un à l’autre, il recommença son manège. Souffle, siffle, ronronne, jette un cri d’appel. Mais rien. Alors fatigué de chanter et lassé de souffrir, il secoua vivement sa petite queue panachée de rose et de jaune, mille plumes légères et presque invisibles s’en détachèrent, voltigeant dans l’espace, allèrent tomber sur les épaules, les genoux et les cheveux de Stella. – Petites plumes pailletées d’or jetées çà et là comme une dernière parure !

Puis il tournoya deux fois sur lui même et tomba. Une odeur suave se répandit... Souvenir de fleurs aimées dont il avait pris et gardé le parfum. Le nectar dont il était saturé ruissela le long de son bec doré. Sa calotte pourprée se ternit, sa cravate scabieuse, ses ailes d’émeraude se transformèrent. Ses petites pattes d’un bleu céleste, son dos de carmin et le croissant d’or de sa poitrine se fondirent en une teinte noirâtre, le voilant comme d’un crêpe. Enfin, les couleurs délicates qui faisaient du lori une mosaïque ailée s’assombrirent soudain. – Et il rendit son âme aimante dans un torrent de parfums enivrants.

 

 

Berthe ROUSSELLE.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net