Frédéric et Adélaïde

 

 

Frédéric quitte les terres de France ; il s’éloigne de ses foyers, et jette avec indifférence un dernier regard sur le théâtre de ses premiers plaisirs.

Se jouant sur un coursier qui se cabre, impatient d’éprouver la trempe de ses armes, les joyeux rêves de l’espérance guident le soldat au-delà des montagnes, des marais et des clairières.

Abandonnée, éperdue, livrée au désespoir, l’aimable Adélaïde gémit sur des nœuds rompus, sur un fol amour, sur le repos et l’honneur évanouis.

Son sein est agité de battements convulsifs ; ses pleurs coulent en abondance ; bientôt ses sanglots se mêlent au rire bruyant de la folie.

Dans son délire elle maudit, elle prie ; sept longs jours et sept longues nuits s’écoulent.... La mort fut compatissante et vint à son aide alors que la cloche du village retentissait pour la quatrième fois.

Et loin d’elle, et loin de la terre natale, le parjure Frédéric cheminait sans cesse, contemplant avec joie le rayon du matin qui dore les flancs de la montagne.

Et voilà qu’il entendit comme un son éloigné, comme la voix de la cloche qui s’agite au haut d’une tour et dont les vibrements se répètent quatre fois dans la vallée.

Le coursier se dressa avec effroi et frappa l’air qui siffla sous les coups de son ondoyante crinière : les cheveux du cavalier se hérissèrent et son âme fut frappée d’étranges et mystérieuses terreurs.

En vain il enfonce l’éperon dans les flancs de son coursier ; en vain il espère se fuir.... La cloche mortuaire le poursuit, et durant sept longs jours et sept longues nuits, une inquiétude sans fin, une épouvante sans cause égarèrent ses pas.

La septième nuit fut noire et lugubre ; les rivières se gonflèrent, la pluie tomba en torrents, et le tonnerre joignit son rugissement au bruit des vents qui faisaient craquer les arbres de la forêt.

Fatigué, ruisselant d’eau, consumé de tourments affreux, Frédéric ne sait où cacher sa tête ; lorsqu’il découvre, à la lueur des éclairs, un édifice en ruines.

Le voyageur attache fortement son coursier sous le portail humide et bas, et il s’engage lentement dans les détours d’un escalier, labyrinthe obscur et chancelant.

Devant lui se prolongent de longues voûtes sous lesquelles semblent glisser de pâles lumières. « Bienheureuse Marie, entends mes cris suppliants : daigne guider les pas d’un pécheur. »

Des voix tonnantes s’élevaient mêlées à des éclats de rire : chaque fois qu’elles cessaient de se faire entendre, un refrain solennel ramenait sa triste et bizarre finale.

Au milieu de cris aigus, il lui semblait entendre la voix de ses amis moissonnés par la mort dans les batailles ; mais le refrain solennel lui était bien connu ; c’était la romance qu’aimait Adélaïde.

Tout à coup un glas funèbre trouble quatre fois le silence des ombres, quatre fois les échos des ruines retentissent ; les éclats prolongés expirent : une porte s’ouvre lentement.... Un banquet dressé s’offre à la vue de Frédéric ; mais les convives étaient glacés !

Adélaïde enveloppée de ses funèbres vêtements désigne un siège avec un horrible sourire. Tous se lèvent avec un bruit foudroyant, tous saluent l’étranger qu’ils attendaient.

Ils élèvent d’un air menaçant leurs bras décharnés. Ils entonnent avec un accent farouche leur refrain de bienvenue. « Viens, parjure, viens au banquet de la tombe, et dis adieu à la lumière !.... »

 

 

 

Walter SCOTT.

 

Recueilli dans Ballades, légendes et chants populaires

de l’Angleterre et de l’Écosse,

publiés par A. Loève-Veimars, 1825.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net