Le tombeau du marin

 

 

Au bord des flots grondants, sur la rive déserte,

S’élève solitaire une modeste croix

Que les sombres rochers et la nature inerte

Environnent d’un deuil fier et calme à la fois.

 

Dans les jours de tempête où le vent et la lame

Viennent livrer assaut aux sommets dentelés,

Quand l’Océan mugit, s’agite, tonne, brame,

Et présente aux regards ses remparts désolés,

Une lame parfois, comme un géant horrible,

Se dresse, murmurant son lugubre refrain,

Puis déferle en couvrant avec un bruit terrible

Le tombeau du marin.

 

C’est là qu’il est venu terminer sa carrière.

Par une nuit d’orage, en abordant au port,

Son vaisseau mutilé s’est brisé sur la pierre,

L’homme fut entraîné par l’ange de la mort.

 

Près des champs périlleux où lutta son audace,

Il dort comme bercé par le fracas des flots,

Le perfide Atlantique à ses pieds roule et passe,

Lui jetant des clameurs chères aux matelots.

 

Les joyeux nautoniers rasant ces bords funestes,

Racontent sa valeur et redisent son nom,

Sa mémoire demeure à côté de ses restes

C’était un vaillant cœur, un tendre compagnon.

 

Un jour un voyageur descendit sur la plage

Et dirigea pensif son pas vers les hauteurs.

Le guide lui montra sous un rosier sauvage

Ce tombeau dont l’aspect fit déborder ses pleurs.

 

Lors, tombant à genoux, saisi d’un trouble extrême,

Il pria le Seigneur pour le pauvre marin,

Et répéta souvent : béni celui qui t’aime,

Mon Dieu j’ai tant souffert par ce coup de ta main !

 

Il pria fort longtemps. Plongé dans sa tristesse,

Le passé revenait poignant et douloureux,

Tandis que son renard, tout rempli de tendresse,

S’abaissait vers la terre en descendant des cieux...

 

Il se souvint qu’un soir, au milieu de décembre,

Sa mère, entrant soudain, voila ses traits défaits,

Et dit à ses enfants qui jouaient dans la chambre,

Que leur père parti ne reviendrait jamais.

 

Dans la triste maison où tomba la nouvelle,

La foudre aurait produit moins de saisissement

L’infortune prenait dans sa serre cruelle

Trois êtres sans appui dans leur isolement.

 

Il se souvint de plus qu’en proie à la misère

L’avenir se fermait devant lui sans retour,

Mais que devenant fort tout-à-coup pour sa mère,

Il lui donna depuis son travail, son amour.

 

Le monde lui jeta sa triste indifférence

Qui permet aux heureux d’oublier le malheur.

Faible et seul, il avait pour tout bien l’espérance.

Son courage grandit au sein de la douleur.

 

Abandonné vingt ans de l’aveugle fortune,

Il vécut résigné, lutta sans nul repos,

Dédaignant d’élever une plainte importune

Ou d’accuser le sort par un amer propos...

 

Quand il redescendit le sentier de la grève,

Un vide immense au cœur lui reparla de Dieu.

À son abattement aussitôt faisant trêve,

Il vainquit sa douleur par un dernier adieu :

 

Adieu ! j’ai terminé mon saint pèlerinage,

Je suis venu de loin vénérer ce tombeau,

Ce fut le rêve aimé qui berça mon jeune âge,

J’emporte un souvenir à jamais cher et beau.

 

Adieu ! protège-moi dans les maux de la vie,

Mon père, j’ai besoin de m’appuyer sur toi !

Conduis mon pas errant, garde qu’il ne dévie

Du chemin de l’honneur, du guidon de la foi.

 

J’aborderai par là, sans remords, sans alarmes,

La carrière où le ciel me voudra maintenir.

Il est un doux secret qui sèche bien des larmes :

C’est prier, travailler, se soumettre et bénir.

 

 

 

Benjamin SULTE.

 

 

 

 

 

 

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