Les trois ducats

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jérôme et Jean THARAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’ÉTAIT un homme comme vous et moi, un homme ni meilleur ni pire, un pauvre diable de pécheur.

Qu’avait-il fait ? Je n’en sais rien. Une faute plus grave que les autres, un péché plus gros que les autres, un jour où Dieu, sans doute, l’avait abandonné trop longtemps à lui-même. Et on le menait au gibet de la bonne ville de Toulouse entre le bourreau et les Consuls, au milieu d’une foule de curieux et de méchants garçons, accourus sans doute pour voir ce qui les attendait demain.

Or, ce jour-là, le roi René faisait son entrée à Toulouse, avec sa femme, la belle Aude, qu’il venait d’épouser dans un pays voisin.

En passant devant le gibet, la Reine vit le condamné déjà juché sur l’escabeau, la tête engagée dans la corde. Elle ne put retenir un cri et se cacha la tête dans les mains.

Le Roi arrêta tout son monde, fit signe au bourreau de surseoir, et se tournant vers les Consuls :

– Messieurs les Consuls, dit-il, la Reine vous demande, en souhait de bienvenue, qu’il vous plaise de lui accorder la grâce de cet homme.

Mais les Consuls répondirent :

– Sire, cet homme a commis un crime pour lequel il n’est point de pardon, et quelque soit notre désir d’être agréable à Madame la Reine, la loi exige qu’il soit pendu.

– Y a-t-il donc au monde une faute qui ne puisse être pardonnée ? demanda timidement la belle Aude.

– Certes non ! répondit un Conseiller du Roi. Et il fit remarquer que, selon la coutume du pays de Toulouse, tout condamné pouvait se racheter pour la somme de mille ducats.

– C’est vrai, répondirent les Consuls. Mais où voulez-vous que ce gueux trouve pareille somme ?

Le Roi ouvrit son escarcelle et en sortit huit cents ducats. Quant à la Reine, elle eut beau fouiller son aumônière, elle n’y trouva que cinquante ducats.

– Messieurs, dit-elle, n’est-ce pas assez pour ce pauvre homme de huit cent cinquante ducats ?

– La loi exige mille ducats, répondirent les magistrats inflexibles.

Alors, tous les seigneurs qui composaient la suite du Roi et de la Reine, rassemblèrent ce qu’ils avaient sur eux pour le donner à leur tour, et l’on fit le compte de la somme.

– Neuf cent quatre-vingt-dix-sept ducats, annoncèrent les Consuls. Il s’en faut encore de trois ducats.

– Pour trois ducats cet homme sera-t-il donc pendu ! s’écria la Reine indignée.

– Ce n’est point nous qui l’exigeons, répondirent les Consuls, mais nul ne peut changer la loi.

Et ils firent un signe au bourreau.

– Arrêtez ! s’écria la Reine. Fouillez d’abord ce malheureux. peut-être a-t-il sur lui trois ducats...

Le bourreau obéit, fouilla le condamné, et dans la poche du pauvre diable il découvrit trois pièces d’or.

Chrétiens !

L’homme que vous avez vu, dans ce conte, en grand danger d’être pendu, c’est vous, c’est moi, c’est l’humanité pécheresse. Au jour du Jugement dernier, rien ne nous sauvera, ni la miséricorde de Dieu, ni l’intercession de la Vierge, ni les mérites des Saints, si nous n’avons sur nous trois ducats de bonne volonté.

 

 

 

Jérôme et Jean THARAUD, Les contes de la Vierge,

Plon, 1940.

 

 

 

 

 

 

 

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