L’enfant endormi

 

 

Il s’était de la ferme écarté dans ses jeux ;

            Les aînés couraient dans la plaine,

Et lui, las de les suivre, au bord d’une fontaine,

Traînait ses petits pieds engourdis, paresseux.

Ses cheveux blonds mouillés collaient à son visage ;

            Ses yeux, fatigués de soleil,

Se fermaient à demi, demandaient au feuillage

Un abri favorable aux douceurs du sommeil.

Le bosquet de la source offrait une couchette

      Digne d’un roi, sur le gazon couvert

De ce joyau des champs qu’on nomme pâquerette,

            Et qu’ombrageait un rideau vert

chantait la linotte, où pendait la noisette.

Sur la route, il est vrai, passait de temps en temps

            Une voiture, un équipage

Avec un bruit ! – N’importe ! un garçon de sept ans

Ne sait point quand il dort de mauvais voisinage.

Celui-ci sommeilla bientôt profondément,

Livrant aux papillons les roses de ses joues,

            Tandis qu’à cent pas seulement

Versait dans une fosse un char à quatre roues.

            Le mal n’était pas sérieux,

Et tous les voyageurs rirent de l’aventure ;

Il fallut cependant relever la voiture :

            Chacun s’y prêta de son mieux.

            Restaient deux époux que leur âge

Dispensait du travail ; en voyant à l’écart

Le bois de noisetiers, le mari, bon vieillard,

Proposa d’y chercher au moins un peu d’ombrage.

            Malgré l’esprit contredisant

            Qu’on attribue, à tort sans doute,

À qui porte jupons, un souris complaisant

Accueillit le conseil, et l’on quitta la route.

            « Que ce petit pâtre est mignon !

            Mon ami, vois sa tête blonde.

            Si j’allais d’un baiser... Oh ! non !

      Il fait la moue ; on croirait qu’il me gronde.

Pauvre ange, tant de grâce et si peu d’avenir !

            Rude travail ! dure fatigue !

Tiens, je voudrais l’aider, au moment de finir,

Des inutiles biens que le ciel nous prodigue.

Le fils que nous pleurons avait ce teint vermeil,

Ce beau front, ces longs cils, cette douce figure.

Prouvons que la Fortune, ainsi qu’on nous l’assure,

            Arrive pendant le sommeil.

Emmenons cet enfant. L’emmener ! et sa mère ?

« Il faut la voir. Son cœur dût-il se déchirer,

Du moment qu’elle est mère, elle va préférer

Le collège au labour, l’aisance à la misère.

            « Peut-être. Essayons cependant,

Si tu le veux toujours. –Eh ! oui... comme il ressemble

À celui dont la mort... c’est lui-même ! Je tremble

            Et sanglote en le regardant.

            « Alors, éloignons-nous. – Que faire ?

Dois-je le réveiller ? Tu viens de consentir...

            « – Vite en voiture ! On va partir ! »

Cria le postillon d’une voix de tonnerre.

Ce cri plein de menace a décidé le sort

De l’enfant endormi ; la Fortune volage,

Prête à le piloter, à le mener au port,

Tourna le dos, revint, fit un nouvel effort,

Finalement, sans lui se remit en voyage.

Sur le même chemin, cinq minutes après,

            Des piétons de mauvaise mine,

Maudissant la chaleur, à la source voisine

Voulurent un instant aussi prendre le frais.

            Cette troupe déguenillée

Possédait un Hercule, une naine, un jongleur,

Quatre danseurs de corde, un autre bateleur

Portant sur son épaule une buse empaillée.

L’enfant, dans le sommeil toujours enseveli,

Attire tous les yeux ; une vieille s’arrête :

« – Rien, dit-elle au jongleur, non, rien de si joli

Pour marcher sur les mains et valser sur la tête.

Enlevons ce marmot. La foire de Saint-Loup

Le verra dans huit jours applaudi sur la place :

La canne de Cassandre et le fouet de Paillasse

            En peu de temps peuvent beaucoup. – »

Et la main d’un bandit allait pincer l’oreille

Du dormeur, quand Médor, qui rôdait près de là,

Grognant à sa façon : Essayez ! me voilà !

            Ouvrit une gueule pareille

À celle qui, jadis, engloutit Fabila.

C’était peu rassurant. Une lutte certaine

Prend du temps, fait du bruit ; on n’y gagnerait rien,

Les fermiers accourus : la bande le sait bien,

Et quitte sans combat les bords de la fontaine

l’enfant se réveille aux caresses du chien.

Le somme avait été fécond en aventures.

Le bambin l’ignorait ; et, quand il vint s’asseoir

Au foyer de la ferme, il ne parla, le soir,

Ni des bons vieux époux, ni des sombres figures

Qui, sous les noisetiers, se penchaient pour le voir.

            Une ombre propice ou mauvaise

            En passant l’avait effleuré

Sans qu’il eût tressailli ; sans qu’il eût respiré

            Moins paisiblement, moins à l’aise.

Ce qu’il devint plus tard ; s’il trouva les sentiers

Conduisant aux honneurs, menant à la richesse,

            Dieu le sait ! Ce qui m’intéresse

C’est le sommeil tranquille au bois des noisetiers.

Endormis, éveillés, pour nous la vie à peine

A commencé son cours orageux, décevant,

Que les biens et les maux, le plaisir et la peine

Rôdent à nos côtés, invisibles souvent.

Ce qui se meut ainsi de chances, de fortune

            Ou de misère autour de nous,

Si nous pouvions tout voir, aux moments les plus doux

Agiterait nos cœurs d’une angoisse importune.

            Dieu nous en cache la moitié,

Et c’est de son amour, de sa bonté constante,

            De son adorable pitié

Une grâce nouvelle, une preuve éclatante.

Au-dessus des hasards, du moment que sa loi,

            À la fois douceur et prudence,

Règle tout, conduit tout, conservons sans effroi

À nos fronts fatigués l’oreiller de la foi,

Et qu’à notre chevet veille la Providence !

 

 

Hippolyte VIOLEAU, Paraboles et légendes,

poésies dédiées à la jeunesse, 1856.

 

 

 

 

 

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