Le rouge-gorge
LÉGENDE BRETONNE 1
COMME aux approches d’une tempête, le ciel s’assombrit, le soleil se voila de nuées, le vent souleva la fine poussière du chemin rocheux ; un petit oiseau couleur de brume vint, effaré et criant l’alarme, chercher un refuge sur l’arbre de la Croix !
Or, sur l’arbre où il venait se percher, transi, était cloué Jésus, le plus beau des enfants des hommes, devenu par la souffrance semblable au ver de terre. Et le petit oiseau eut une pitié extrême du Fils de son Créateur.
L’oiseau oublia la tempête menaçante, le ciel sombre, le soleil voilé et n’ayant de souci que d’adoucir la souffrance de Jésus, il voleta trois fois autour de l’arbre.
Et il revint désolé de ce qu’il avait vu. Des clous énormes, rougis par l’effusion du sang, retenaient, au cœur du cèdre, les mains et les pieds sacrés, et le corps du Seigneur n’était qu’une plaie horrible, la mort était prochaine.
Comme il se rendait compte de son impuissance, Jésus, murmura quelques paroles, dans une langue mystérieuse et l’attention de l’oiseau fut appelée sur les épines qui cerclaient, de leur redoutable couronne, la tête sainte.
Le familier des buissons reconnut le jujubier qui avait abrité son nid la saison d’avant, sauta parmi le branchage douloureux et se prit à casser de son bec les épines, une à une, en les retirant avec douceur du front divin..... tandis que Jésus mourait !
Le lendemain, comme l’oiseau couleur de brume se désaltérait au cours du torrent, il aperçut, en se mirant dans le clair miroir de l’eau, une tache rouge à la naissance de ses deux ailes. Était-ce du sang de Jésus, ou du sien, ou des deux mélangés ? Nul ne le sut jamais et la tache, glorieuse en tous cas, demeure encore aujourd’hui à la poitrine de tous les rouges-gorges, en témoignage de l’héroïque action de jadis.
J. WATTEAU.
Paru dans Durendal en 1894.
1 Cette légende est indiquée par Bauhin, dans son livre : Les Plantes qui tirent leur nom des Saints, publié en 1591.