Citations et extraits
par
Alphonse DAUDET
Quand Dieu veut avoir de grands poètes, il en choisit deux ou trois auxquels il envoie de grandes douleurs.
Notes sur la vie.
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Pauvre pays ! La France joue un singulier rôle en Europe. Dans les nuits obscures, des hommes s’en vont avec un falot, et c’est celui qui porte la lumière qui y voit le moins. La France joue en Europe ce rôle périlleux : elle marche en avant des autres nations, les éclaire, mais, éblouie par son propre feu, roule dans les fondrières, marche dans les flaques.
Notes sur la vie.
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Je pense à la fin du monde. Logiquement, selon la loi humaine, elle ressemblera à son commencement. Refroidissement, le feu perdu, plus de combustibles ; les quelques survivants du grand radeau, hommes et bêtes, serrés dans des cavernes, à tâtons.
Notes sur la vie.
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Quelle chose délicate à écrire avec les trois jours que le petit Jésus passe perdu dans Jérusalem ! Ils ont laissé un enfant, ils retrouvent un Dieu. Passé ces trois jours chez son Père, qui lui a confié sa mission. Robe de lin, d’un blanc, d’une finesse idéale, et des yeux, des yeux où ce qu’il doit souffrir est écrit. Une Jérusalem ressemblant à Alger, à Arles ramadan et foire de Beaucaire ; odeurs de friture. Au retour, c’est lui qui est sur l’âne, le père et la mère à pied.
Notes sur la vie.
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Conversation de Jésus en croix avec les deux larrons, en croix aussi, sur la douleur.
Notes sur la vie.
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UN SONGE D’ALPHONSE DAUDET
Le Calvaire dans les cerises. – Une montagne noire ; une aube blanche illuminant le haut ; sur ce fond blanc, à la cime extrême du mont, un grand cerisier, un cerisier sauvage, chargé de milliers de cerises, de ces petites cerises noires avec lesquelles on fait le kirsch. Et, de ces cerises, il y en avait des millions, des milliards de mille. Seulement, les oiseaux en mangeaient beaucoup, et les paysans, pour leur faire peur, avaient mis dans le cerisier trois croix, et, sur ces trois croix, des simulacres du Christ et des deux larrons, simulacres faits de haillons avec de grossiers visages en terre blanche.
Et les petites cerises pendaient par grappes sur ces croix, le vent les faisait danser en agitant les haillons. Mais les oiseaux n’avaient pas peur : il en venait, il en venait... le ciel en était criblé ; ils picoraient, et les cerises qu’ils becquetaient rendaient un suc d’un rouge noir, tellement que le Christ et les deux larrons étaient tout éclaboussés d’une lie, comme tachés de sang.
Et tout cela flottait, dansait sur le fond blafard du ciel, avec une horrible couleur vineuse qui me faisait peur, et cela s’appelait : le Calvaire dans les cerises.
Le jour, j’avais assisté à un enterrement avec musique noire, procession, Christ au fond du chœur dans les cierges. Le soir, j’avais causé au café avec B.... nous avions bu du kirsch, j’avais raconté mes voyages dans les Vosges, parlé des cerisiers sauvages et des myrtilles.
Notes sur la vie.
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AUTRE SONGE D’ALPHONSE DAUDET
Il Crociato. Oui, c’était cela, cette nuit. Le supplice de la Croix, torsion des mains, des pieds, des genoux, les nerfs tendus, tiraillés à éclater. Et la corde rude sanglant le torse, et les coups de lance dans les côtes. Pour apaiser ma soif sur mes lèvres brûlées dont la peau s’enlevait, desséchée, encroûtée de fièvre, une cuillerée de bromure iodé, à goût de sel amer : c’était l’éponge trempée de vinaigre et de fiel.
Et j’imaginais une conversation de Jésus avec les deux Larrons sur la Douleur.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Préoccupé depuis un mois de la fin du monde dont j’ai eu une précise vision, je lis que Baudelaire, dans les derniers temps de sa vie pensante, était hanté par cette même idée de livre.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Ô ma douleur, sois tout pour moi. Les pays dont tu me prives, que mes yeux les trouvent dans toi. Sois ma philosophie, sois ma science.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Don Juan blessé, amputé. Ce serait un beau drame à écrire. Lui qui « les connaît toutes », le montrer soupçonneux, rongé, se traînant sur ses pilons pour écouter aux portes, saignant, lâche, furibond, en larmes.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Le prisonnier voit la liberté plus belle qu’elle n’est.
Le malade se représente la santé comme une source de joies ineffables – ce qui n’est pas.
Tout ce qui nous manque est le divin.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Une de mes privations, ne plus faire l’aumône. Joies que celle-ci m’a causées. L’homme – main fiévreuse – cent sous dedans tout à coup.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Stérilité. Le seul mot qui puisse rendre à peu près l’horrible état de stagnation où tombe par moment l’intelligence d’un esprit. C’est le « sans foi, sans effusion » des âmes croyantes. – La note que je jette ici, inexpressive et sourde, ne parle que pour moi, écrite dans un de ces cruels malaises.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Vision de Jésus en croix, au matin sur le Golgotha. L’humanité. Cris.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Je voudrais que mon prochain livre ne fût pas trop cruel. J’ai eu la dernière fois le sentiment que j’étais allé trop loin (19). Pauvres humains ! il ne faut pas tout leur dire, leur donner mon expérience, ma fin de vie douloureuse et savante. Traiter l’humanité en malade, dosages, ménagements ; faisons aimer le médecin au lieu de jouer au brutal et dur charcuteur.
Et ce prochain livre qui serait tendre et bon, indulgent, j’aurais un grand mérite à l’écrire, car je souffre beaucoup. Fierté de ne pas imposer aux autres la mauvaise humeur et les injustices sombres de ma souffrance.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)
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Ô puissance de la présence réelle ! Depuis que je ne marche plus, qu’on ne me voit plus, j’ai appris à mes dépens à la connaître.
La Doulou, journal intime
que Daudet écrivit
pendant ses années
de maladie et de souffrance.
(Publication posthume.)