Citations et extraits

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Pierre GAXOTTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Citations extraites de

Thème et variations

Fayard, 1957

 

 

 

L’amour de la liberté est le sentiment du petit nombre. La masse déteste qui ne lui ressemble pas. Elle se plaît à être troupeau. Quoi de plus naturel ? Il est difficile d’être libre, de penser librement, de se décider librement. Il est bien plus aisé d’entendre chaque matin à la radio la vérité du jour et de la répéter.

 

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Le mécanisme des dictatures modernes consiste à écraser l’individu sous la masse, à l’entraîner sous la masse, à le faire masse lui-même.

L’homme-masse est l’homme vidé de tout, de son pays, de son passé, de sa famille et même de son avenir. C’est une carapace d’homme dans laquelle les tyrans versent ce qui leur plaît, parce qu’il ne s’y trouve plus rien.

L’homme-masse est semblable au voyageur sans bagages. Il est toujours disponible, toujours à prendre, toujours docile. Il est indifférent au vrai, au faux, imperméable à la critique, insensible aux contradictions, aussi capable d’héroïsme que d’abjection. Une seule chose lui est impossible : être lui-même.

 

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L’homme-masse est celui qui a perdu une portion assez vaste de lui-même pour subir passivement l’attrait des ressemblances qui le confondent dans la foule, qui annihilent en lui les manières d’être et de penser, pour en faire le représentant (peut-être glorieux) des conformismes collectifs.

L’esprit de masse n’est ni l’esprit de clocher, ni l’esprit de corps. Il ne s’agit ni d’une adhésion réfléchie et révocable à un catéchisme, à un programme, à un statut, ni d’une participation active et enthousiaste à l’activité d’un corps constitué pour la défense d’intérêts précis. C’est par un phénomène insensible, par l’action quasi-mécanique d’une force obscure qui le roule et le brasse, comme la mer retourne les galets sur la plage, qu’un individu perd ses angles, ses bosses, ses traits, ses réflexes, pour devenir homme-masse, un parmi les autres, un ajouté à d’autres, un qui n’est rien qu’ajouté aux autres.

Ortéga y Gasset disait que l’homme-masse est la principale création du XXe siècle. Le XVIe a eu l’humaniste, le XVIIe l’honnête homme, le XVIIIe l’homme d’esprit, le XIXe l’homme romantique, le XXe a l’homme-masse.

 

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Denis de Rougemont a écrit quelque part que la civilisation moderne est la civilisation des horaires. C’est vrai. C’est aussi la civilisation des règlements. Nous pouvons aller en droite ligne, par avion, de Paris à Montréal, mais nous ne pouvons plus traverser la place Saint-Augustin. Il faut en faire le tour par les passages cloutés. Règlement utile ? Sans doute. Le monde contemporain fait un effort gigantesque pour se libérer des servitudes naturelles. Il les a remplacées par les servitudes administratives. Le temps gagné par la science est employé à se mettre en règle avec la police et avec le percepteur.

 

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L’homme libre cherche dans la connaissance et dans la méditation du passé les moyens de se défendre contre les obsessions du présent. Le passé lui offre des repères, des contrôles, des mesures qui l’aident à sauvegarder son jugement et l’empêchent d’être trompé. L’école primaire qui enseigne aux enfants à méconnaître, parfois à mépriser, huit ou neuf siècles de leur patrie, ne les prépare pas à être des hommes libres, mais des dupes.

 

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Il y a bien de la différence entre l’absolutisme d’un prince qui croit en Dieu et celui d’un État qui n’a d’autre fin que son propre développement.

 

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 « Je ne sais pas comment j’ai fait mon compte, dit un personnage de Dostoïevski, mais parti de la liberté illimitée, j’aboutis au despotisme illimité. » Le monde moderne, en effet, est issu d’une révolte contre l’autorité. Mais la liberté n’était pas tant revendiquée pour elle-même que contre quelqu’un ou contre quelque chose, contre la religion, contre la monarchie, contre la puissance paternelle, contre la hiérarchie, contre l’organisation traditionnelle du travail... C’était une négation, un refus, une impatience. C’était une forme vide ou remplie de simples mots. Vide de tout contenu spirituel et de toute disposition pratique. Elle a pu devenir l’objet d’un fanatisme abstrait, mais rien n’a été plus facile que d’y verser la tyrannie.

 

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Au temps où le roi Dagobert mettait sa culotte à l’envers, les choses n’allaient peut-être pas très bien en Austrasie. Du moins le bon peuple savait-il distinguer l’endroit de l’envers : « Le grand saint Éloi lui dit : Ô mon roi ! Votre Majesté est mal culottée... » La grande perversion de notre temps est d’avoir changé clandestinement le sens des mots. Les vessies sont des lanternes, le totalitarisme s’appelle démocratie, la servitude liberté, l’arbitraire justice, l’incompétence nouveauté, l’agitation dynamisme, le déficit impasse, le goût de la défaite réalisme... On parle, on écrit avec des mots truqués, des mots-pièges.

 

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L’État-Providence devient très vite l’État-bourreau et l’État-négrier.

 

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Depuis un certain nombre d’années, la notion de liberté tend à se confondre avec celle du pouvoir. Il est donc très logique que les détenteurs du pouvoir tiennent ceux qui veulent les remplacer pour les ennemis de la liberté et la leur refusent pour mieux se défendre.

 

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Tous les reculs de la liberté dans les temps modernes ont été liés, quel que fût le régime politique, à une hypertrophie de l’État, à une intervention de plus en plus fréquente, minutieuse et tracassière de cet État dans les affaires des particuliers et dans la vie spontanée du groupe social.

Les citoyens ont été souvent les premiers à réclamer cette intervention. Les Français d’autrefois n’ont plus voulu être des « sujets ». Ceux d’aujourd’hui sont devenus avec plaisir des « assujettis ». L’avantage passager qu’ils ont retiré de la protection officielle leur a caché souvent les conséquences funestes de ce bien égoïste et momentané.

 

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C’est un bien mauvais calcul de bafouer l’autorité pour tomber dans la servitude.

 

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Supposons que la Sécurité sociale soit abolie et les salaires augmentés des sommes qu’elle coûte soit aux employeurs, soit aux employés. « Voici l’argent, dirait l’État, créez des mutuelles, passez contrat avec des compagnies, bref faites vos assurances vous-mêmes, je ne me mêle plus de rien. » Une telle réforme n’ôterait pas aux Français la possibilité d’être assurés contre la maladie, les accidents, la vieillesse. Peut-être même le seraient-ils dans des conditions plus avantageuses, plus humaines, avec moins de formalités et un meilleur contrôle. Cependant cette réforme serait dénoncée par certains et considérée par beaucoup comme une régression sociale. Pourquoi ? Parce qu’elle rendrait facultatif ce qui est maintenant obligatoire. Le caractère progressif de la Sécurité sociale se confond avec son caractère d’obligation. Ce n’est pas le bienfait qu’elle apporte qui la rend chère aux esprits prétendument avancés, c’est la liberté qu’elle supprime. C’est Thierry Maulnier, je crois, qui a le premier remarqué cela.

 

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La plupart des hommes ont des pensées vacillantes. Il leur faut des expressions très larges pour les renfermer. De là vient le goût des termes abstraits. Un mot abstrait est comme une boîte à double fond : on y cache ce qu’on veut. On y met un pigeon et on en retire un lapin.

Liberté ne suffit pas. Il faut des précisions. Des garanties. Des moyens de défense. Des garants.

 

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L’égalité inscrite sur nos murs est si difficile à réaliser ! Mais la liberté pareillement ! Il n’y aura de vraie liberté et de vraie égalité que le jour où nous serons libres de choisir nos parents. C’est une injustice abominable que les uns soient fils de pauvres et les autres fils de riches. Mais il est encore plus injuste que celui-ci ait hérité d’un organisme vigoureux, d’un foie sain et de reins qui éliminent sans fatigue, alors que celui-là a reçu des glandes endocrines déficientes, une tendance à l’arthritisme et des prédispositions à l’angine de poitrine. Aux sources de la vie, la nature nous refuse à la fois la liberté et l’égalité. Le bébé est esclave des bons tyrans qui l’ont engendré, qui le nourrissent et le protègent. Ensuite, il continue leur lignée.

 

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À l’entrée de la vie, nous ne savons pas à quoi nous serons bons. Les autres ne le savent pas mieux que nous. On est en train d’organiser toutes sortes de méthodes pour déceler les aptitudes des lycéens dès leur tendre jeunesse. Seront-elles efficaces ? Lorsqu’il s’agit de certains métiers, la santé, la force physique, l’acuité de la vue, la promptitude des réflexes font un choix facile. Mais les dispositions morales ? Les facultés d’adaptation ? Comment les ajuster à l’infinie variété des carrières et des occasions ?

Au fond, nous ne voulons plus de hasard, ni de risque. Nous avons horreur de l’imprévu, de l’aventure, de l’initiative et du choix. Nous ne voulons plus que la vie soit pleine d’inconnues, de déboires, de chances à saisir, de paris à faire. Sans trop oser le dire, nous caressons un rêve : la fonctionnarisation de l’univers, avec un avancement bien réglé, des concours en série, des assurances contre tous les maux, une retraite à la fin et les pompes funèbres payées d’avance par mensualités.

 

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Le droit de choisir son emploi, sa demeure, ses plaisirs, le droit d’employer son argent à sa guise, le goût du risque, la recherche de la nouveauté et du profit, la fierté de la réussite, la concurrence, l’initiative individuelle, le droit de partir avec tous ses biens si l’on en a envie sont des ressorts et des excitants de la liberté, au même titre que la liberté de parler et d’écrire.

 

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S’il est affreusement banal de dire que depuis un siècle et demi, et surtout dans les cinquante dernières années, les pouvoirs de l’homme sur la nature se sont accrus dans des proportions gigantesques, a-t-on assez vu qu’en même temps l’intelligence s’est rétrécie, en se spécialisant à outrance, chaque technique absorbant entièrement les facultés de ceux qu’elle emploie ?

On se donne à son métier. On lui consacre sa pensée, sa réflexion. Pour le reste, on s’en remet au vent qui souffle, à la mode qui passe, au courant qui montre les plus belles couleurs, aux charlatans qui brandissent avec le plus d’effronterie le drapeau de la justice et de la morale.

Des savants considérables qui, pour étayer une affirmation, n’ont jamais assez de preuves, qui poussent le scrupule jusqu’à recommencer dix fois une expérience avant d’oser la publier, n’hésitent pas à mettre leur signature au bas de manifestes puérils, bourrés d’affirmations impudentes, de mensonges certains et de venimeuses sottises. Pourquoi ? Parce que leur génie est ailleurs, parce qu’ils ne donnent à la société que le rebut d’eux-mêmes, les préjugés, les illusions, la routine moutonnière, tout ce qu’engendre une sensibilité non éclairée. Ils trompent le public en faisant servir à de certaines fins la juste estime qu’ils ont gagnée dans un domaine entièrement étranger à ces manifestes.

Le XIXe siècle s’est plu à croire que le progrès intellectuel se confondait avec le progrès des moyens, des techniques, ou tout au moins qu’il l’accompagnait nécessairement. Le XXe siècle démontre l’immensité de son erreur. Ce n’est pas parce que le physicien, le chimiste, l’ingénieur, le biologiste, le chirurgien imposent aux phénomènes une prise de plus en plus forte, que l’homme devient plus sensé dans la conduite de sa vie, plus assuré dans ses diverses démarches intellectuelles. L’automobile, l’avion, la fission du noyau atomique n’ont pas rendu les gouvernements plus clairvoyants et n’ont pas éclairé les peuples sur leurs véritables intérêts. La haute perfection des principes et des machines peut coïncider et coïncide, en effet, avec l’obscurcissement, la décadence, le désarroi des idées sociales, historiques, politiques. Il n’est pas interdit de penser que cet obscurcissement ouvre la porte à la tyrannie. Bergson, au dernier chapitre de son dernier livre, réclamait un supplément d’âme pour l’humanité pourvue d’un supplément de forces. Il n’est pas facile de découvrir le magasin où se vendent les suppléments d’âme. On peut du moins travailler à la restauration de l’intelligence générale pervertie par la spécialisation. Le bienfait n’en serait pas petit.

 

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Le rôle d’un roi est de défendre les libertés de son peuple contre les entreprises des puissances intermédiaires, des puissances secrètes et des puissances collectives. Si la monarchie était rétablie en France, les Français seraient libres.

Par malheur, quand les affaires vont mal, leur mouvement naturel n’est pas de restaurer la dynastie qui a fait leur pays et dont les intérêts sont liés aux leurs, c’est d’appeler un tyran, un dictateur qui les traitera en instruments de ses ambitions.

 

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Économiste sérieux, juriste et financier, M. André Toulemon a écrit un livre : « Le retour à l’esclavage ou la démocratie des mandarins ». L’État français, dit-il, est le grand profiteur des guerres qu’il déclare et des guerres qu’il subit. Il en sort toujours plus puissant. Aux technocrates, aux fonctionnaires, aux mandarins, la guerre fournit les occasions, l’impunité et les plus nobles alibis. « C’est pour la Patrie ! C’est pour la France ! C’est pour la victoire ! » Tout ce que les administrations n’osent faire ou ne peuvent pas faire en période de paix, elles le font en période de guerre : dirigisme, planisme, réquisitions, rationnement, distribution autoritaire des objets, des denrées, des matières premières, contrôle du travail, de la production, des salaires, des bénéfices, monopoles, offices, nationalisations... À la paix, elles en gardent toujours quelque chose. L’impôt personnel sur le revenu est un legs de la guerre de 1914. La nationalisation des banques, des assurances, des houillères, de l’électricité et du gaz, un legs de la libération guerrière et révolutionnaire de 1944. On fait battre les Français pour la liberté du monde. Quand ils rentrent chez eux, ils trouvent leurs foyers et leurs métiers envahis par la bureaucratie et par le Fisc.

 

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D’un côté, l’État tarit, par ses empiètements, les sources d’impôts. De l’autre, il accroît les besoins d’impôts en nationalisant le déficit de ses entreprises.

 

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Le premier instrument employé par la République française pour réduire les citoyens en esclavage est l’impôt progressif sur la personne ; le second est la fausse monnaie, le billet de banque qui fond entre les mains de celui qui le possède ; le troisième la violation des contrats. En d’autres termes, par la volonté des mandarins, le succès est puni, l’initiative découragée, l’épargne anéantie, la sûreté détruite, la bonne foi pénalisée, la prévoyance rendue impossible. Ainsi maltraité, l’individu sans forces et sans réserves propres, est condamné à tout subir. Il se fait mendiant d’État. Il mendie des allocations, des pensions, des retraites, des subventions. L’État les lui refuse parfois. Rarement. C’est l’intérêt des mandarins de secourir beaucoup de monde, puisque chaque secours nouveau provoque la création d’un service distributeur.

 

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Quand l’impôt sur le revenu fut institué, M. Caillaux fit décider qu’on était riche, donc imposable, à partir d’un revenu égal à cinq mille francs-or. Un million d’aujourd’hui au moins. En 1957, on est tenu pour riche à partir de 225 000 francs. Faire payer les riches conduit assez vite à faire payer les pauvres.

 

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Les fonctionnaires ont choisi de servir. Tout puissants en corps et par vocation, ils sont sujets isolément et par position. Ils paient très ponctuellement les impôts. Ils subissent les dévaluations monétaires, sans que leurs traitements s’élèvent aussi vite d’un mouvement compensatoire. Cette servitude devait leur peser. Aussi voyons-nous naître une espèce de mandarins supérieurs, les mandarins internationaux, ceux des Nations unies, de la communauté charbon-acier, du bureau international du travail, de l’organisation européenne des paiements, etc. Ces mandarins de première classe sont inamovibles, ils reçoivent des traitements en monnaies solides et ne paient d’impôt dans aucun pays.

« Et demain, l’Internationale... » Ils ne pensaient pas à cela les bons idiots qui chantaient l’hymne révolutionnaire, à la sortie des réunions publiques, devant les pelotons de gendarmes. Les mandarins ont pris leur rêve et en ont fait des dollars.

 

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Lorsque dans un pays de liberté, une partie importante du peuple ne reconnaît plus comme légitime l’ordre social établi, la liberté est condamnée à disparaître.

En effet, ou bien l’État se défend en mettant hors la loi cette minorité et il tombe dans l’arbitraire, ou bien, il ne se défend pas et il est à la merci d’un coup de force exécuté par elle. Il échapperait au dilemme par des lois sages et par une bonne éducation publique. Mais il ne veut pas passer pour réactionnaire.

 

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Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. C’était le système de l’ancienne France, où le roi était tenu au respect des droits acquis. C’est le système des républiques sages, où un Sénat balance la Chambre des députés.

En 1945, de nombreux soldats américains, avant de regagner leur pays, allèrent passer quelques jours en Suisse. L’un d’eux envoya ses impressions à un hebdomadaire de Neuchâtel. « L’Europe, écrivait-il, a tout oublié de sa liberté. Je suis heureux, avant de quitter le continent, d’avoir séjourné en Suisse, afin de corriger par cet exemple unique le sentiment général que j’emporte. Dans les pays que j’ai parcourus, j’ai entendu critiquer les gouvernements non parce qu’ils prenaient des mesures arbitraires, mais parce qu’ils n’en prenaient pas assez. Nulle part, je n’ai trouvé cette liberté que nous étions venus défendre et rétablir ; bien pis, je n’en ai pas trouvé le goût. »

Est-on pleinement libre aux États-Unis ? Sans aucun doute. À la condition toutefois de protéger son esprit contre la publicité écrasante qui impose à tous, à presque tous, un certain genre de vie, comme le seul idéal concevable. Il faut une force peu commune pour résister à cette technique de mécanisation morale et spirituelle, qui détruit l’individu à coups d’annonces, de photos, de prêches, de films et de cover-girls.

 

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La réussite d’un industriel s’inscrit au bilan et au compte de profits et pertes. L’excellence d’un bureaucrate s’exprime par l’attention avec laquelle il applique les lois, décrets, arrêtés et règlements édictés par le Pouvoir. Un bon entrepreneur est inventif, calculateur, prêt à prendre des risques et des responsabilités, à l’affût des occasions et des nouveautés. Le bon bureaucrate est ponctuel, formaliste, attentif à se couvrir. Le bon entrepreneur cherche le succès en lançant des affaires rentables. La rentabilité est étrangère à l’esprit bureaucratique. L’entrepreneur travaille selon les besoins et les désirs du public : c’est le public qui l’enrichit. Le mandarin supérieur aime les constructions de prestige, les prouesses techniques, qui coûtent, mais qui établissent sa haute valeur aux yeux des badauds éblouis.

 

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Une bonne hygiène veut que l’on s’abstienne de voir, d’entendre, de lire certaines choses. L’énergie que l’on userait à se protéger contre elles est mieux employée à réfléchir et à vouloir. Réagir, c’est déjà aliéner au profit d’autrui une partie de sa liberté. Il n’est pas facile de se soustraire aux propagandes, aux mensonges, aux campagnes orchestrées. Il faut s’y appliquer pour devenir soi-même au lieu d’être le simple « négatif » d’une société envahissante.

 

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La socialisation des biens annonce la socialisation des personnes et des pensées. C’est la marche naturelle du jacobinisme, comme du communisme.

 

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En ces années d’après-guerre, de guerre froide et de guerre chaude, on ne peut pas se faire une réputation de penseur, si l’on n’écrit pas Histoire avec une majuscule et si l’on ne sait pas placer à propos l’adjectif historique. C’est une manie qui ne date pas d’hier. Elle doit remonter à Hegel. Il eut, raconte-t-il quelque part, la révélation de l’Histoire (avec la majuscule), en octobre 1806, à Iéna, quelques jours après la bataille, en voyant Napoléon traverser la ville sur un cheval blanc. Il passa la révélation à Marx, qui la passa à Lénine, qui la passa à Hitler, qui la passa à tout le monde.

Goebbels, dans son Journal, ne peut pas écrire que le Führer est débordé de travail. Il écrit qu’il n’a plus le temps de remplir sa mission historique. L’argument des collaborateurs pendant l’occupation était qu’on ne contrarie pas le cours de l’Histoire. C’est celui des communistes, aujourd’hui. Leurs docteurs, pour justifier les procès de Moscou, de Budapest, de Prague, de Sofia et d’ailleurs, ont expliqué aux victimes, avec beaucoup d’aménité, qu’elles pouvaient à la fois être innocentes des faits qu’on leur reprochait et, néanmoins, coupables dans la perspective historique. Même parmi les adversaires les plus décidés du communisme, un grand nombre rougiraient, comme d’une inconvenance, de ne pas employer son vocabulaire. Prisonniers de la façon de dire, ils ont alors bien du mal à ne pas l’être des façons de penser. La duperie des mots prépare les égarements de l’esprit.

Prenons-y garde, en effet. Cette Histoire qu’on invoque à tout propos n’est pas la connaissance du passé, à qui il serait légitime de demander des éléments d’analogie ou de prévision. L’Histoire dont on nous accable, c’est l’histoire à faire que l’on donne comme faite, l’histoire inconnue que l’on donne comme fatale. Pour reprendre une heureuse expression de M. Debidour, il y a là une opération de glissement frauduleux admirablement réussie ; par laquelle on fait passer sous la caution de l’évènement enregistré, incontestable, irrévocable, les désirs et les mirages d’un futur, dont on prend le monopole. Grâce à quoi, si vous ne croyez pas à la disparition de la bourgeoisie, de la propriété, de la liberté, de la patrie, de la religion ou de n’importe quoi, selon les consignes et impératifs du moment, vous serez considéré comme un idiot aussi total que si vous mettiez en doute l’existence de Napoléon.

En dépit de ses opinions progressistes, Victor Hugo serait aujourd’hui vertement rabroué pour avoir dit en vers que l’avenir n’est à personne. L’avenir est devenu la propriété personnelle d’une association de mystificateurs qui ont mis en axiome l’espérance de leur avènement, qui prétendent que l’évolution nécessaire le veut ainsi et qui, destin en poche, invitent les gogos à courir au secours de la victoire. Faire croire que c’est arrivé est une assez bonne façon de racoler des partisans.

En somme, on a démoli la Providence pour la remplacer par l’Histoire. L’Église enseigne que les voies de Dieu sont insondables. La nouvelle déesse est beaucoup plus docile. Elle dit ce qu’on veut lui faire dire. Il est étrange qu’une escroquerie si grossière fasse tant de victimes.

 

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L’histoire a un cours. Cela ne veut pas dire qu’elle ait un sens. Ou plutôt ce sens est déterminé à chaque minute par les évènements qui se sont produits et qui sont en train de se produire. Quant au but, nous l’ignorons. Nous n’en avons même pas la moindre idée.

Ce sera, dit-on, la dictature du prolétariat. Et après ? Il n’y aura plus rien ? L’histoire s’arrêtera ? Rien ne changera plus ? Ce sera la stabilité perpétuelle et l’immobilité pour toujours ? Quelle sottise !

Et pourquoi l’Homme serait-il impuissant devant l’Histoire ? Devant son Histoire ?

De quoi est-elle donc faite, cette histoire, sinon de ses idées, de ses passions, de ses désirs, de ses travaux, de ses découvertes, de ses ambitions, de ses intérêts, de ses folies. Et il n’aurait ni un mot à dire, ni une volonté à faire prévaloir !

 

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C’est une erreur de croire que l’histoire est un perpétuel recommencement. C’en est une autre de s’imaginer que tout est toujours tout neuf. La première est l’expression d’une certaine paresse d’esprit. La seconde traduit un éblouissement enfantin devant les derniers progrès de la science.

 

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Les statistiques sont la friandise des administrations et des historiens que tourmente l’esprit totalitaire. Il n’est pas défendu de s’en servir, à la condition de les manier avec un extrême scepticisme. Comment sont-elles établies ? Avec quels chiffres ? Tirés de quels documents ? A-t-on « extrapolé » ? Comment ? En vertu de quel principe ? Et puis, les hommes ne se nourrissent ni de moyennes, ni de pourcentages, ni d’indices. La vie réelle n’est faite que de cas particuliers, que d’exceptions. La moyenne est une construction de l’esprit. Pour chaque individu, elle est un mensonge.

 

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UNE LETTRE TROUBLANTE

 

Un écrivain, plus ironique à l’ordinaire, avait célébré dans je ne sais quelle revue les beautés de l’appareil mathématique en histoire. La statistique, disait-il appuyé sur une thèse célèbre, concilie la liberté et la nécessité. Tout homme est libre de se jeter ou non du premier étage de la tour Eiffel ou de la passerelle des Buttes-Chaumont. Cependant la statistique montre que le nombre de désespérés qui choisissent ce mode de suicide est à peu près constant. Donc liberté pour l’homme, déterminisme pour la masse. On devine le développement. Le thème est devenu banal.

Là-dessus, notre homme reçut une lettre d’un vieux magistrat. « Votre article, disait-il à peu près, m’a bien amusé. Quand j’y pense, j’en ris encore. Savez-vous comment est établie la statistique judiciaire qui vous a inspiré de si belles considérations ? C’est dans chaque Cour la besogne du plus jeune substitut. À lui le soin de compiler les archives, de peiner sur les tableaux à colonnes envoyés de Paris. Il additionne les assassinats, les suicides, les avortements, les délits de chasse, les cambriolages, les coups et blessures, les divorces, les infanticides, les accidents de chemin de fer, etc. Pour les suicides, il aura soin d’indiquer l’âge et le sexe du suicidé, le mode de suicide (revolver, corde, poison, noyade ou autre), les motifs (neurasthénie, maladie, revers de fortune, chagrin d’amour...), le jour, l’heure, etc.

« La statistique judiciaire a été créée sous Louis-Philippe. Elle était alors très sommaire. Elle n’a fait que se compliquer depuis lors. Les détails demandés sont de plus en plus nombreux et, comme les Chambres n’ont cessé de voter des lois nouvelles, elles ont, du même coup, créé des délits nouveaux. Bref, neuf fois sur dix, dans les grands tribunaux où les procès-verbaux se comptent par milliers, le substitut n’a ni le temps ni le personnel nécessaires pour accomplir réellement ce travail. Heureusement, il a sous la main la statistique de l’année précédente. La recopier serait maladroit. Il n’est pas difficile de la rajeunir au jugé. On n’omettra pas d’y introduire des délits nouveaux, ne fût-ce que pour montrer le zèle des Parquets à répondre aux intentions du législateur. Dans l’ensemble, on n’y opérera pas de grands changements. Cette prudence aura l’avantage de montrer la permanence des facteurs psychologiques. Par exemple, dans le tableau des suicidés, les jeunes auront moins peur de la mort que les vieux, la noyade sera peu usitée en hiver (l’eau est si froide) et les désespoirs seront plus nombreux en automne qu’en hiver, un ciel gris incitant à la neurasthénie. »

La lettre contenait bien d’autres détails. Le croyant fut plongé dans un morne accablement. Quoi ? se disait-il, la statistique judiciaire, l’une des bases de la sociologie serait une œuvre de fantaisie ? Le majestueux édifice bâti par des maîtres vénérés serait bâti sur le sable ? Les statistiques agricoles seraient-elles entachées du même vice ? Et les mercuriales de l’ancien régime qui ont rempli tant de livres savants sur les mouvements des prix aux approches de la Révolution ? Et les déclarations fiscales, elles-mêmes, à tous les âges... ? Éperdu, l’apologiste des grands nombres se demanda s’il devait avertir les bons maîtres et troubler leur foi. Il préféra se taire, par respect pour la science.

 

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PROPHÈTES

 

« La grande guerre de 1914-1918 marqua le point culminant de l’énergie militaire chez les populations occidentales. Elles se battirent et elles se battirent bien, parce qu’elles croyaient que cette guerre était celle qui devait mettre fin à la guerre. Elles avaient raison. L’impérialisme allemand... était battu et aboli. Aucun gouvernement d’Europe ne mettra jamais sous les drapeaux et dans les usines de guerre, autant d’hommes et de femmes que le firent les gouvernements de 1914-1918. Notre monde est encore très faible et instable, mais sa fièvre de guerre est tombée. »

Ces lignes sont de Wells et elles ont paru en 1920. Il était impossible de se tromper plus complètement et avec plus d’assurance. Cependant, le crédit de Wells n’en a pas été ébranlé, ni le nombre de ses lecteurs diminué. Il a continué a prophétiser. Il a continué à passer pour un voyant, pour un penseur, pour un historien. Ceux qui lui ont rappelé ses oracles en ont été pour leur courte honte.

Bien au contraire, ses erreurs l’ont servi. C’étaient, comme on dit, des erreurs généreuses. En annonçant la fin des guerres et la mort de l’esprit conquérant, il montrait la beauté de son âme, la candeur de ses sentiments. Peu importe que, vingt ans après, beaucoup d’Anglais soient morts, parce que Wells a été cru et que, pendant vingt ans, les ministres de Londres ont laissé tomber en poussière les forces de l’Empire.

Ces histoires sont de partout. Nous avons connu des publicistes français qui, dès le traité de Versailles, avaient prévu le relèvement de l’Allemagne et demandé que des précautions fussent prises pour empêcher ce malheur. On incriminait la noirceur de leurs réflexions, on les accusait tout haut de souhaiter d’autres massacres. Un jour, les faits leur ont donné raison. Quelqu’un a-t-il fait amende honorable ?

 

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Dans sa plus célèbre brochure, « Que faire ? », qui parut à Stuttgart en 1902, Lénine explique que la révolution est le métier des révolutionnaires professionnels. Ils ont des principes et plus encore une stratégie. Ils pénètrent dans tous les milieux, dans toutes les classes de la société, dans les sectes religieuses elles-mêmes. Ils sont théoriciens, propagandistes, agitateurs. Ils se mêlent à tous les conflits. Secrètement organisés, ils s’imposent facilement aux masses mécontentes, mais amorphes. Ils dictent les programmes d’action aux étudiants qui bougent, aux instituteurs qui se plaignent, aux petits bourgeois humiliés.

En somme, ils donnent un bon coup d’épaule au sens de l’histoire.

 

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Le communisme est une stratégie pour prendre et garder le pouvoir. Il est politique, totalement, exclusivement politique. Le reste n’est que faux-semblant, parade, attrape-nigaud.

Améliorer le sort de la classe ouvrière est le dernier souci des communistes. Au fond d’eux-mêmes, ils sont même hostiles à cette amélioration qui, peut-être, leur ôterait des partisans et ils l’entravent de leur mieux en poussant aux catastrophes.

– Pourquoi se disent-ils parti ouvrier ?

– Parce qu’ils ont choisi la classe ouvrière comme instrument de leur révolution.

– La raison de ce choix ?

– Elle est double. À mesure que l’industrie s’étend, la classe ouvrière se grossit, tandis que le nombre des paysans diminue : enrégimenter la classe ouvrière, c’est donc mettre la main sur une armée qui recrute sans cesse de nouveaux effectifs. En second lieu, la classe ouvrière est la plus concentrée, donc la plus facile à émouvoir, à entraîner, à organiser.

 

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Quand Hélène de Sparte eut succombé à l’amour du berger Pâris, elle expliqua à son infortuné mari que c’était la fatalité. Les gens qui brandissent sous notre nez « le sens de l’histoire », pour nous conduire à leur but, veulent faire de nous des Ménélas par persuasion.

Lénine, pour les siens, dit : minorité agissante, organisation puissante et secrète, discipline militaire, centralisme de fer et à la tête de cette organisation une dizaine de chefs éprouvés.

Les neuf dixièmes des écrivains qui parlent du communisme n’ont jamais lu les quatre ou cinq livres essentiels où Lénine a tout dit.

 

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Beaucoup de peuples ont fait des révolutions. L’Angleterre a décapité un de ses rois plus de cent ans avant nous. Mais la révolution anglaise a engendré un régime stable. La révolution française n’a engendré que l’instabilité. Il pouvait en sortir une autre société, une autre sorte de gouvernement, une autre forme d’État. Point. Depuis 1789, rien n’est solide, rien n’est fixe. En cent soixante-seize ans, la France a essayé douze sortes de gouvernement. Elle en est à sa quatrième république. Sa dernière constitution, celle de 1946, a déjà été révisée une fois et elle doit l’être une seconde. On dirait que la Révolution est pour la France une obsession, l’obsession du bouleversement, de la revendication perpétuelle. Imprécis, diffus, mais tenace et puissant, devenu chez les uns un métier chez les autres un conformisme, cet illuminisme domine notre vie nationale. Une société qui a pour fin de protéger les êtres et les biens, tant matériels que spirituels, doit être durable pour faire durer. Ce n’est point vrai en France. Les intérêts nationaux y sont sacrifiés aux impératifs révolutionnaires, idéologiques et sentimentaux : c’est pourquoi elle n’a ni finances, ni politique raisonnable. Mue par une exigence métaphysique, elle va de crise en crise, de cassure en cassure. Elle a duré, cependant. Oui, mais avec quels reculs ! Avec quels abandons ! Avec quelles chutes !

 

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Quel psychiatre délivrera la France du complexe révolutionnaire ?

 

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Personne n’est plus étonné qu’un révolutionnaire qui voit faire une révolution contre lui.

 

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Les révolutionnaires installés dans les palais nationaux, chargés d’honneurs, de traitements, de sinécures et de croix, jouissant grassement du pouvoir, veulent encore être pris pour des déshérités et pour des victimes. Ils pleurnichent sur eux-mêmes. Ils se plaignent, ils gémissent et quand ils débitent des théories qui ont pour elles la gendarmerie, les juges, les préfets et les ministres, ils prennent un air de défi et se félicitent l’un l’autre de leur courage.

 

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 « L’école est la révolution qui continue... », a dit M. le ministre de l’Éducation nationale à la Ligue de l’Enseignement en juillet 1956. S’il y a révolution permanente, pourquoi n’y aurait-il pas contre-révolution permanente ? M. Siegfried se plaint que des Français n’aient pas admis sincèrement la République. Elle ne « s’admet » pas elle-même. Elle se veut autre. Ce n’est pas un régime, c’est une pente, c’est un courant. Peut-on en vouloir aux Français qui, avant d’être emportés, aimeraient bien savoir où on les emporte ? Un homme raisonnable peut se rallier à un régime qui existe. Pas à une révolution « continue ».

 

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L’école helvétique enseigne le civisme. Si l’école française enseigne la « révolution continue », elle est une école d’incivisme.

Par bonheur, nombre d’instituteurs valent mieux que leur ministre. Je le sais. J’ai été élevé à la « laïque ».

 

 

 

Pierre GAXOTTE,

Thèmes et variations,

Fayard, 1957.

 

 

 

 

 

 

 

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