Citations et extraits

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Georges ROUALT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les sujets les plus nobles sont rabaissés par un esprit bas, mais les réalités modestes et simples peuvent être surélevées et magnifiées. Un art dit inférieur peut trouver tout à coup son rédempteur.

 

Georges ROUAULT.

Écrits de Georges ROUAULT,
Les peintres français nouveaux, n° 8,
Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1921.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Pour moi, depuis la fin d’un beau jour où la première étoile qui brille au firmament m’a je ne sais pourquoi... étreint le cœur, j’en ai fait inconsciemment découler toute une poétique. Cette voiture de nomades arrêtée sur la route, le vieux cheval étique qui paît l’herbe maigre, le vieux pitre assis au coin de sa roulotte en train de repriser son habit brillant et bariolé, ce contraste de choses brillantes, scintillantes, faites pour amuser et cette vie d’une tristesse infinie... si on la voit d’un peu haut... Puis j’ai amplifié tout cela. J’ai vu clairement que le « Pitre » c’était moi, c’était nous... presque nous tous... Cet habit riche et pailleté, c’est la vie qui nous le donne, nous sommes tous des Pitres plus ou moins, nous portons tous un « habit pailleté », mais si l’on nous surprend comme j’ai surpris le vieux pitre oh ! alors qui osera dire qu’il n’est pas pris jusqu’au fond des entrailles par une incommensurable pitié. J’ai le défaut (défaut peut-être... en tous cas c’est pour moi un abîme de souffrances...), « de ne jamais laisser à personne son habit pailleté », fût-il roi ou empereur, l’homme que j’ai devant moi c’est son âme que je veux voir... et plus il est grand et plus on le glorifie humainement, plus je crains pour son âme...

Je me suis laissé entraîner à vous parler intimement, la voie où je vais est périlleuse, elle est bordée de chaque côté par des précipices... et une fois en route, il est plus dangereux de retourner en arrière que de marcher toujours en avant... Tirer tout son art d’un regard d’une vieille rosse de saltimbanque (homme ou cheval), c’est d’un « orgueil fou » ou d’une « humilité parfaite » si l’« on est fait pour faire cela ».

 

Georges ROUAULT,
Lettre à Édouard Schuré, non datée,
publiée dans Le Goéland,
Paramé, juin 1952.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Adore tout ce qui vit sous le ciel – la lumière est si belle, la demi-teinte et même les ténèbres. Ne t’enfuis pas devant la douleur ou la misère comme le cerf aux abois pourchassé par les chiens – ne cède jamais la moindre parcelle de ce que tu sens si bien au-dedans de toi-même, pour des intérêts précaires, des privilèges ou des honneurs trompeurs.

 

Georges ROUAULT, Climat pictural,
Revue La Renaissance, numéro spécial,
octobre-décembre, 1937.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Je suis un obéissant, mais il est à la portée de tout venant de se révolter, plus difficile d’obéir en silence à certains appels intérieurs et de passer sa vie à trouver les moyens d’expression sincères et appropriés à notre tempérament ou à nos dons, si nous en avons. Je ne dis pas « ni Dieu, ni Maître », pour arriver à me substituer ensuite au Dieu que j’ai excommunié.

 

Georges ROUAULT, Climat pictural,
Revue La Renaissance, numéro spécial,
octobre-décembre, 1937.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Le vieil artisan aimait sa pierre ou son bois et travaillait avec amour. Ouvrier anonyme d’une œuvre grandiose, combien n’était-il pas supérieur à tant de simili-personnalités de notre époque où la collaboration idéale de l’architecte, du peintre et du sculpteur est abolie. L’art des cathédrales est à la fois collectif et personnel. Mais on ne peut recréer artificiellement une telle façon d’être, de sentir, de comprendre, d’aimer. On fait autre chose, on ne refait pas ce que cet effort collectif et non combiné des générations a pu édifier avec la foi que nous savons.

 

Georges ROUAULT, Stella Vespertina,
Paris, René Drouin, 1947.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Il y a aujourd’hui oubli complet d’une certaine hiérarchie des forces et des valeurs spirituelles. Il y a des règles non codifiées qu’on n’enfreint pas impunément. On les connaît peu à peu quand toute sa vie on a pratiqué son métier avec intelligence (le cœur ne suffit pas en l’occurrence), avec patience et avec des moyens d’expression adéquats. Notre art trouve son équilibre entre deux mondes, celui du contemplatif (mot bien démodé) et le monde objectif. Les deux peuvent se confondre et ne pas se dénouer.

 

Georges ROUAULT, Stella Vespertina,
Paris, René Drouin, 1947.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Certains artistes sont capables de tirer profit d’une misère intérieure et même matérielle qui devrait les faire crever. Écoutez ce Satan ! Qu’il est donc stupide quand il offre à Jésus, en croyant le tenter, cette terre misérable ! La force de Jésus, c’est son dénuement. C’est pourquoi il fait tant horreur à ces bonnes gens... Loin des consolations humaines, je suis comme un vieux serviteur, mal compris, mal loti, mal embouché aussi. La conscience d’un artiste digne de ce nom, c’est, sans exagération, une lèpre inguérissable qui se paie en tourments infinis mais parfois aussi en joies silencieuses. En fermant les yeux il me semble quelquefois entendre de lointaines ondes musicales. À mesure que je m’évade en certaine poétique picturale, le silence se peuple d’images, de sons, de vastes contrées, plus inexplorées que le pôle nord ou de petits bosquets, charmants et intimes, comme on en voit chez l’Angelico. Mais on a horreur de tout ce qui se suppose et ne se voit pas de nos yeux.

 

Georges ROUAULT, Stella Vespertina,
Paris, René Drouin, 1947.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Se retirer du monde, croire trouver la paix, quelle gageure si tu ne portes en toi un autre monde qui transfigure les plus misérables matières et leur donne odeur et saveur des fleurs du paradis.

 

Georges ROUAULT, Stella Vespertina,
Paris, René Drouin, 1947.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

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Évite de donner leçon, ayant si souvent à redresser ton jugement assez précaire. Ne tourne pas le dos à ton temps, en hargne et dépit, et ne va pas toujours te défendre en polémiques bien inutiles, si tu n’es pas en communion constante avec tes contemporains, et même s’ils font de toi moins de cas que d’un caillou sur le chemin. Peut-être ont-ils raison, et fallait-il qu’il en soit ainsi pour ton bien spirituel, sinon pour ta réussite matérielle ?

 

Georges ROUAULT, Soliloques.

Recueilli dans Les créateurs et le sacré,
par Camille Bourniquel et
Jean Guichard-Meili,
Cerf, 1956.

 

 

 

 

 

 

 

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