André Dhôtel

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jacques ALÈGRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce parce qu’André Dhôtel est né à la jointure de la Champagne et de l’Ardenne que lire ses livres c’est un peu quitter la plaine tout semble explicable pour s’enfoncer dans la forêt au trot capricieux du petit cheval blanc du Pays où Von n’arrive jamais ?

Un roman d’André Dhôtel offre d’abord un émerveillement végétal qui ne vient pas forcément de la contemplation d’espèces rares mais plutôt de la rencontre inopinée de plantes communes qui, découvertes sous un jour nouveau, montrent qu’elles peuvent receler toute la beauté et la joie du monde.

On trouverait difficilement meilleur guide qu’en Dhôtel qui maintes fois a prouvé des étonnantes connaissances en botanique (encore qu’il soit expert en zoologie et en géologie), notamment lorsqu’il retrouva sur les murs du donjon de Provins, où il venait d’être nommé professeur, l’arbrisseau qu’y cultivaient les croisés : cette hysope dont l’infusion des feuilles est des plus stimulantes ! Et c’est aussi dans la cité des roses que le futur auteur des Rues dans l’aurore découvrit avec la complicité d’un bienveillant hasard qu’il accueille volontiers dans ses livres celle qui deviendrait sa femme.

Dans sa vie comme dans ses livres, André Dhôtel demeure attentif aux apparitions comme aux disparitions. Il prétend qu’un roman peut débuter avec un homme qui descend chercher une boîte d’allumettes et qui ne reviendra plus chez lui. Son univers est fait de chemins qui se coupent et semblent ne mener nulle part. Ses personnages s’y engagent pourtant sans hésiter, poussés par une force mystérieuse, happés par un vertige. Peut-être est-ce pourquoi André Dhôtel, qui pourtant cherche rarement à dépayser et n’est lui-même qu’un médiocre voyageur, apparaît aujourd’hui comme l’un de nos grands romanciers d’aventures.

Mais à mesure qu’on avance dans les paysages dhôtéliens, nimbés de brume comme ceux d’un Corot, s’ouvrent d’amples perspectives traversières, se dégagent les grands thèmes de l’œuvre parmi lesquels revient, en leitmotiv, la fidélité au premier amour. Qu’il soit trahi, bafoué, disparu, sa clarté demeure et illuminera toute une vie. On passera parfois son existence à la recherche de ce moment fugitif mais l’essentiel a été révélé. Ainsi Petros Colydas, le jeune Grec de Ma chère âme, venu travailler dans la sombre boutique de l’oncle Iorgos, à Paris, vivra-t-il dans le souvenir de la jeune fille que les gamins de Samos appelaient « Achyro », c’est-à-dire « paille ». Et il ne sera pas autrement surpris que la jeune femme brune qu’il a épousée (et avec laquelle il vit d’ailleurs parfaitement heureux) soit, en fait, une blonde avec des mèches couleur de paille.

Car le passé, chez Dhôtel, n’alourdit jamais le présent et ne compromet pas l’avenir. Le souvenir n’apparaît pas comme un refuge mais comme une raison de poursuivre son chemin. Le héros dhôtélien fait confiance à la vie comme le nomade à la route. Peut-être part-il obscurément à la recherche d’un lieu qui annulerait le Temps, vers ce Pays où l’on n’arrive jamais parce qu’on le porte en soi. Profondément croyant, l’écrivain insuffle à ses personnages la certitude que rien de ce qui a été vécu ne peut être effacé, que tout s’inscrit dans un ailleurs vers lequel il faut partir pour des motifs qui restent inexplicables. Dans chaque livre de Dhôtel, on rencontre une femme, ou un homme, ou un enfant qui, sans raison, lâche tout et s’en va.

Les premiers romans portent des titres significatifs : Campements, Nulle part, Les Rues dans l’aurore, Les Chemins du long voyage... et Dhôtel, dans ses essais, s’est laissé séduire par les génies migrateurs : Jean-Jacques, l’éternel promeneur, Rimbaud, le poète qui fuit, Benoît Joseph Labre, le saint errant.

Il ne faut pas en conclure que les héros dhôtéliens fuient le monde. Si presque tous sont en révolte contre la société ou tout au moins mal adaptés à elle (bien que leur propension à enfreindre la loi soit surtout une manifestation de l’esprit d’aventure), ils vivent toujours en parfaite harmonie avec un monde où il suffit, ainsi que l’exprime le narrateur de la Chronique fabuleuse, de croiser nos regards pour que les choses les plus banales deviennent curieuses. Aussi ne se posent-ils jamais de problèmes métaphysiques et sociaux sauf dans les premières œuvres (David, Le Village pathétique) où l’on rêvait de sociétés moins artificielles que la nôtre.

Dhôtel respecte le comportement des hommes, bien qu’il passe sur ses routes pas mal de fous, de filous et de criminels. Mais c’est en gardant le contact avec la nature que tous conservent une chance si minime soit-elle de se sauver. L’introspection n’apporte qu’un recours illusoire, car nous sommes pris dans un réseau de vérités et de mensonges que nous sommes incapables d’ordonner. « Savez-vous, constate un des personnages de Nulle part, que nous sommes tous isolés et que nous cherchons à nous expliquer et que nous n’y parvenons à peu près jamais. »

Parce qu’il n’y a rien, « absolument rien que le temps de Dieu que chacun mesure à sa façon », Dhôtel porte sur la création un regard de croyant et de poète et ce professeur de philosophie prend pour porte-parole des enfants, un ouvrier de scierie qui s’émerveille de voir les fleurs bourgeonner, grossir, trembler et s’ouvrir avec une douceur aussi puissante que le tonnerre, ou la vieille Alexandra de Ce lieu déshérité qui explique au jeune Iannis que dans ce « monde léger » tout est indifférent : les étoiles, la mer et les gens.

La sagesse consiste-t-elle à se taire comme le garçon et la fille du Robinson de la rivière, et à se borner à contempler le monde dont nous serons toujours les « enfants étonnés » ; ou bien « à force de parler, de dire n’importe quoi, de mentir et de trimer dans ces mensonges, pourrons-nous découvrir un jour l’espérance ? » (Nulle part).

Mais le silence n’est-il pas de mise dans une œuvre où, selon le mot de Jean Follain, l’homme est « de connivence avec le monde de mystère » ?

Un personnage de Dhôtel prétend qu’il est d’une grande timidité devant les hommes et qu’il attend toujours d’eux quelque chose de surprenant. Le romancier sait nous faire partager cette attente récompensée par des moments de profonde poésie qui ne brisent pas pour autant le fil du récit. L’écriture de Dhôtel charme aussi bien par ses précisions que par ses digressions, par une sorte de lenteur minutieuse qui s’apparente à l’art du miniaturiste aussi bien que par des taches hardies à la Vlaminck et les vapeurs de Corot. Parfois le roman recourt franchement à la féerie et Le Pays où l’on n’arrive jamais rapproche son auteur des romantiques allemands comme Eichendorff ou Brentano. Avec Les Voyages fantastiques de Julien Grainebis, Dhôtel a même abordé un genre où l’insolite Jacques Brenner l’a souligné n’est pas fondé sur l’apparition mais la disparition.

Toutefois l’auteur de La Chronique fabuleuse ne cherche pas à embellir la vie et, chez lui, le merveilleux, s’il fait appel au rare, n’attente jamais au vraisemblable, ce qui, certainement, explique le succès qu’André Dhôtel remporte auprès des jeunes lecteurs quand il écrit pour eux.

Doucement ironique et peut-être secrètement déchiré, l’écrivain des Premiers Temps nous ramène à l’aube des sentiments par la vertu d’un art où la puissance d’évocation s’allie à une invention essentiellement romanesque sans négliger pour autant la richesse de l’analyse psychologique. R. M. Albérès n’hésite pas à voir en Dhôtel un successeur possible de Mauriac ou de Green.

André Dhôtel, meilleur représentant du réalisme magique dans nos lettres, a sans doute subi l’influence d’Alain-Fournier, de Charles Nodier et, peut-être, de Hawthorne. Mais l’univers qu’il a créé reste incomparable et, en définitive, insaisissable comme ces brumes matinales de printemps qui drapent de féerie un ingrat paysage.

 

Jacques ALÈGRE.

 

 

« En France, seul un grand créateur de rêve, dans cette grisaille poétique qui rappelle Le Grand Meaulnes, André Dhôtel, n’évoque derrière l’existence une manière de grand songe éveillé et mystérieux qu’en faisant de la vie une brume qu’épaissit la continuelle volonté humaine d’erreur et de mensonge. »

R. M. ALBÉRÈS.

 

 

Œuvres essentielles

 

L’HOMME DE LA SCIERIE. – Solide gaillard, jaloux de sa liberté, Henri Chalfour, ouvrier de scierie devenu amnésique à la suite d’une rixe, doit retrouver les images de son passé au prix d’innombrables aventures. Le roman le chef-d’œuvre peut-être de Dhôtel chante l’espérance et la vie triomphante.

LA CHRONIQUE FABULEUSE. – Le narrateur s’adresse à un garçon, Martinien, pour lui montrer que le monde fourmille de merveilles et que la vie reste la plus extraordinaire des aventures.

LE PAYS OÙ L’ON N’ARRIVE JAMAIS. – Deux enfants fugueurs poursuivent un bonheur qu’ils portaient en eux.

LE ROMAN DE JEAN-JACQUES. – Un Jean-Jacques Rousseau intime vu et raconté par André Dhôtel.

 

 

Études sur André Dhôtel

 

BRENNER (Jacques), Un héros au cœur cabalistique, Paris, « Livres de France », 11, février 1965.

BRODIN (Pierre), André Dhôtel, dans Présences contemporaines, tome II, Paris, Nouvelles Éditions Debresse.

FOLLAIN (Jean), André Dhôtel, Paris, « Livres de France », 11, février 1963.

 

 

Biographie

 

1900 Naissance d’André Dhôtel, à Attigny (Ardennes) le 1er septembre. Études au Collège d’Autun puis à la Sorbonne.

1918-1919 Maître d’internat au Collège Sainte-Barbe.

1920 Licence ès lettres (philosophie).

1920-1923 Service militaire au peloton spécial des étudiants à la Tour-Maubourg, avec Arland, Limbourg, Vitrac, Desnos. Collaboration à la revue « Aventure » (fondée par Vitrac et Arland) où s’affirment les premières manifestations du dadaïsme et du surréalisme, et à la revue « Dés » (avec Malraux et Mac Orlan).

1924 Répétiteur au Lycée de Saint-Omer.

1924-1928 Professeur à l’Institut supérieur d’Études françaises à Athènes. Apprend le grec moderne. Lit dans le texte les conteurs et les poètes grecs ainsi que les écrivains russes traduits en grec.

1928-1961 Professeur de philosophie dans divers collèges : Béthune, Provins, Charolles, Valognes et Coulommiers.

1928 Publication de Le Petit Livre clair, recueil de poèmes.

1930 Publication de Campements, roman.

1932 Mariage à Provins. Pendant dix années, Dhôtel restera sans publier. Il s’intéresse à la botanique et poursuit des études sur Rimbaud et Paulhan.

1943 Publication de Le Village pathétique.

1948 Publication de David, Prix Sainte-Beuve.

1950 Publication de L’Homme de la scierie.

1955 Publication de La Chronique fabuleuse, Les Mémoires de Sébastien, Le Pays où l’on n’arrive jamais. Dhôtel reçoit le Prix Fémina.

1961 Publication de Ma chère âme.

1962 Publication des Mystères de Charlieu-sur-Bar.

1964 Publication de Le Mont Damion.

1966 Publication de Pays natal.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Poèmes.

 

Le Petit Livre clair, Lille, Le Rouge et le Noir, 1928.

 

Essais.

 

L’Œuvre logique de Rimbaud, Mézières, Édit, de la Société des Écrivains ardennais, 1933.

Rimbaud et la Révolte moderne, Paris, Gallimard, 1952.

Saint Benoît Joseph Labre, Paris, Plon, 1957.

 

Récits.

 

Ce jour-là, Paris, Gallimard, 1947.

Le Roman de Jean-Jacques, Paris, Édit, du Sud, 1962.

Les Lumières de la forêt (lecture suivie pour le cours moyen de première année), Paris, Nathan, 1964.

 

Contes.

 

L’île aux oiseaux de fer, Paris, Fasquelle, 1957.

La plus belle main du monde, Paris, Casterman, 1962.

Le Robinson de la rivière, Paris, Casterman, 1964.

 

Nouvelles.

 

La Chronique fabuleuse, Paris, Édit, de Minuit, 1955.

Idylles, Paris, Gallimard, 1961.

 

Romans.

 

Campements, Paris, N.R.F., 1930.

Le Village pathétique, Paris, N.R.F., 1943.

Nulle part, Paris, N.R.F., 1943.

Les Rues dans l’aurore ou les Aventures de Georges Leban, Paris, Gallimard, 1945.

Le Plateau de Mazagran, Paris, Édit, de Minuit, 1947. David, Paris, Édit, de Minuit, 1948.

Ce lieu déshérité, Paris, Gallimard, 1949.

Les Chemins du long voyage, Paris, Gallimard, 1949.

L’Homme de la scierie, Paris, Gallimard, 1950.

Bernard le paresseux, Paris, Gallimard, 1952.

Les Premiers Temps, Paris, Gallimard, 1953.

Le Maître de pension, Paris, Grasset, 1954.

Mémoires de Sébastien, Paris, Grasset, 1955.

Le Pays où l’on n’arrive jamais, Paris, Édit, de Flore, Horay, 1955.

Le Ciel du faubourg, Paris, Grasset, 1956.

Dans la vallée du chemin de fer, Paris, Horay, 1957.

Les Voyages fantastiques de Julien Grainebis, Paris, Horay, 1958.

Le Neveu de Parencloud, Paris, Grasset, 1960.

Ma chère âme, Paris, Gallimard, 1961.

Les Mystères de Charlieu-sur-Bar, Paris, Gallimard, 1962.

La Tribu Bécaille, Paris, Gallimard, 1963.

Le Mont Damion, Paris, Gallimard, 1964.

Pays natal, Paris, Gallimard, 1966.

Lumineux rentre chez lui, Paris, Gallimard, 1967.

 

Préfaces.

 

Une voix, par Georges-Emmanuel Clancier, poèmes, Paris, Gallimard, 1956.

Jean Follain, choix de textes présentés par André Dhôtel (coll. « Poètes d’aujourd’hui »), Paris, Seghers, 1956.

Madame Dorémi, professeur en Crète, par L. Nakos, Paris, Édit, de Flore, 1956.

Tableaux de voyage, par H. Heine, Paris, Club français du Livre, 1957.

 

André Dhôtel a publié des romans, des récits et des nouvelles dans « Les Œuvres libres », « Les Cahiers de la pléiade », « La Revue de Paris », « Le Mercure de France », « La Table ronde », « Les Lettres nouvelles ».

 

 

 

 

 

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