Pour le jour des morts

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jacques BAINVILLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CE soir, lorsque vous serez revenu du cimetière, vos pieuses et mélancoliques méditations se prolongeront avec la nuit. Si vous voulez en trouver un écho, profond à la fois et suave, ouvrez les Harmonies poétiques et religieuses. Vous y rencontrerez, en tête du livre deuxième, un des plus beaux hymnes lamartiniens qui soient. Il est intitulé : « Pensée des morts ». Et vous sentirez, en ce jour de l’année qui est un des jours d’élection de toute poésie et de toute tristesse, combien est grand le génie encore trop méconnu de Lamartine, combien il est près de nous. Vous sentirez aussi comme il a su exprimer, particulières et collectives, les émotions qui sont les nôtres, et comme la société française, en sa tentative de « restauration » du commencement du dix-neuvième siècle, avait été heureusement inspirée lorsqu’elle saluait d’enthousiasme l’apparition de ce lyrisme qui, après bientôt cent ans, est encore celui qui traduit le meilleur de nos sentiments et de nos espérances.

Entre tant de choses qu’a annoncées Lamartine, chez qui le devin et le poète se sont si prodigieusement unis pour réaliser le vates, l’Inspiré par excellence, il faudrait peut-être compter le culte des morts. Aujourd’hui, ce peuple parisien, qu’on dit à tort si léger, se répandra parmi les tombes, goûtera l’amère volupté de se souvenir, fixera sa pensée sur l’idée de l’éternel. Lamartine, avec son admirable poème, apporte un accompagnement sublime à tous les mouvements de l’âme par lesquels passe le visiteur du cimetière. Il marque à larges traits la mélancolie de la saison, l’endeuillement de la nature pour ramener l’homme sur lui-même et le mettre en face de son néant :

 

            Toute herbe aux champs est glanée :

            Ainsi finit une année,

            Ainsi finissent nos jours !

 

Et ce coup porté à l’orgueil de l’homme, Lamartine le ramène à la pensée de tous les vivants et de tous les morts...

 

            Tous ceux enfin dont la vie

            Un jour ou l’autre ravie,

            Emporte une part de nous,

            Murmurent sous la poussière :

            Vous qui voyez la lumière,

            Vous souvenez-vous de nous ?

 

Il y a les morts de chacun, les parents et les amis qui nous adressent cette prière du fond de la tombe et dont chacun doit se souvenir. Et il y a aussi les morts de tout le monde, si je puis ainsi dire, les morts à qui nous devons tous un peu de notre piété. Ce sont ceux qui sont tombés pour une idée supérieure à la vie de l’homme, une idée qui était destinée à durer plus longtemps qu’eux-mêmes, ce sont ceux-là, surtout, qui se sont sacrifiés pour leur pays...

Il sera bien, il sera digne, il sera juste, par exemple, que nous ayons tous aujourd’hui une pensée pour les jeunes hommes, connus et plus souvent inconnus, anonymes déjà en si grand nombre (car ils sont une légion funèbre pour cette année seulement !) qui ont donné leur vie pour la conquête de l’air. Dans leur héroïsme, ce qu’il y a de magnifique, c’est que la mort du camarade, l’affreuse chute du voisin, écrasé, carbonisé quelquefois, l’étendue et la fréquence du risque, enfin, ne les ont jamais arrêtés. Il s’agissait de donner à la France une escadre aérienne, et la France a trouvé à profusion les navigateurs au cœur bardé d’un triple airain. N’oublions pas de donner une prière ou une pensée à ces jeunes disparus.

N’oublions pas, non plus, ceux qui sont morts pour donner à ra France un empire colonial comme les autres mouraient pour lui donner l’empire de l’air. Le Maroc lui aussi est un terrible dévorateur d’hommes ! Sur ces champs de bataille, que d’anonymes encore ! Et nos officiers, nos soldats d’Afrique accomplissent avec abnégation une tâche souvent ingrate. Il arrive que pour leur dernière heure on refuse un prêtre à ces héros. Il arrive que leur dévouement soit méconnu. Je pense en ce moment à ce commandant Cottes qui, avant de mourir de ce Congo qui est devenu terre allemande, a goûté l’amertume de la disgrâce parce qu’il avait déplu aux politiciens. Avant de mourir grelottant de fièvre et désespéré, peut-être aura-t-il envié le jeune aviateur qui succombe, précipité de l’azur, sans avoir connu les déceptions et l’agonie.

Et je demande encore qu’après avoir pensé à tous ces morts qui font, autour de nos familles, comme une grande famille héroïque, nos amis n’oublient pas ceux que l’Action française a déjà laissés sur son chemin. Pensons à ceux qui n’ont pas douté du succès, qui n’ont vu les progrès de notre idée qu’en espérance. C’est pour ceux-là encore, comme pour les parents et les amis perdus, que nous redirons les vers du grand hymne lamartinien :

 

            Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême,

            Mânes chéris de quiconque a des pleurs !

            Vous oublier, c’est s’oublier soi-même :

            N’êtes-vous pas un débris de nos cœurs ?

 

 

 

Jacques BAINVILLE.

 

Paru dans L’Action française le 2 novembre 1913.

 

 

 

 

 

 

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