Pierre-Antoine Berryer
AVOCAT, MEMBRE DE L’INSTITUT
ET DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
DÉPUTÉ (1790-1868)
par
Armand BARAUD
« Voilà un grand talent. » (GUIZOT.)
« Voilà une grande puissance. » (ROYER-COLLARD.)
« Plaise à Dieu que cela me serve pour le ciel ! » (BERRYER.)
Né à Paris en 1790, fils d’un avocat distingué, qui s’illustra dans les causes du général Moreau et du maréchal Ney, Pierre-Antoine Berryer débuta de bonne heure dans la carrière où son père s’était acquis une haute réputation. Bien que son inclination l’eût porté vers l’état ecclésiastique, le vœu de sa famille le porta au barreau, où il entra par docilité.
Dès 1816, il défend les généraux Debelle et Cambronne devant un conseil de guerre ; mais son véritable début, comme orateur politique, date de 1826. En 1829, il entre dans la vie politique par la députation, le département de la Haute-Loire l’ayant envoyé à la Chambre.
Après la révolution de Juillet, il continua de siéger à la droite de l’Assemblée, et fit partie depuis de toutes les législatures, se montrant partout et à toute heure le vaillant défenseur de la cause légitimiste.
La première fois qu’il prit la parole à la Chambre des députés, en 1830, M. Guizot s’écria : « Voilà un grand talent ! – Voilà une grande puissance », ajouta Royer-Collard. Accusé en 1835, par Bugeaud, Barthe et Guizot, d’être cyniquement révolutionnaire : « Il y a quelque chose, répond-il vivement, de plus honteux que le cynisme révolutionnaire : c’est le cynisme des apostasies. »
Le coup avait porté.
Une éloquence vive et brillante, une aptitude rare à saisir toutes les questions, une courtoisie chevaleresque, une parole toujours digne et convenable, s’élevant parfois jusqu’aux plus sublimes inspirations, telles étaient les qualités oratoires de Berryer. À ces dons de la parole et de l’action, il joignait une pose majestueuse et un magnifique organe qui ajoutait encore à la puissance de son éloquence. Il lisait surtout avec une perfection rare. Aussi un homme illustre qui l’entendit disait que Berryer était le seul homme qui sût lire en France, et M. de Cormenin a ajouté qu’il n’a point eu d’égal, depuis Mirabeau, dans nos assemblées législatives.
Berryer, que nous avons vu disposé à entrer dans l’état ecclésiastique, perdit ses bonnes dispositions au sortir du collège. L’embarras des affaires et le tracas de la politique lui firent oublier longtemps ses principes religieux.
Ce fut le P. de Ravignan qui devait ramener à la pratique de ses devoirs de chrétien cet illustre orateur. Laissons Bernardille du Français rapporter cet épisode de la vie de Berryer.
« Il semble qu’assez longtemps le vieil homme, le mondain, résista chez l’illustre avocat ; mais enfin il se rendit, et le P. de Ravignan, qui avait dit : « Je réponds de vous, âme pour âme », reçut le 29 mars 1857 la lettre que voici :
« Mon bienfaisant ami et vénéré Père,
« Je me sens, grâce à Dieu, par votre aide, entré pleinement dans la volonté de suivre la voie où vous devez me diriger. Je ne manquerai pas d’aller m’humilier et me fortifier devant vous et par vous. Auditui meo dabis gaudium et laetitiam, et exsultabunt ossa humiliata.
« Ma raison et ma conscience sont satisfaites. Je rends grâces à Dieu, et je vous bénis dans le fond de mon cœur... Gardez-moi, je vous en conjure, mon bon Père, votre tendre et protectrice affection ; venez-moi en aide, vos conseils et vos encouragements me sont nécessaires.
« Je vous embrasse avec tendresse, et n’attends que de vous le calme de ma vie et le repos dans la voie du salut.
« BERRYER. »
Le P. de Ravignan ne lui répondit qu’un mot :
« Venez ! » Et Berryer vint. Après quoi le saint religieux, comme s’il n’eût attendu que cette grande conquête, se coucha pour ne plus se relever. Il était mourant déjà et ne recevait plus personne, quand il voulut une dernière fois recevoir Berryer : « Je n’oublierai jamais, écrit le biographe de Ravignan, tout ce qu’il y eut d’éloquence et de grandeur dans la scène dont je fus témoin. Le visiteur, tout en larmes, à deux genoux auprès du lit, faisant ses adieux avec des promesses, demandant en suppliant des bénédictions et des prières ; le mourant, de son côté, avec une incomparable tendresse et une autorité surhumaine, semblait prêcher encore, et d’une voix haletante consolait, encourageait et bénissait. »
Une fois raffermi dans ces dispositions si chrétiennes, Berryer ne regarda plus en arrière.
« Il n’était point homme, dit le P. de Pontlevoy, à dissimuler sa croyance ou sa pratique. Un de ses amis politiques lui demandait un jour devant témoin :
« – Est-ce que vous allez à confesse, vous ?
« – Oui vraiment, répond aussitôt Berryer.
« – Que vous êtes heureux ! dit alors l’interlocuteur. Pour moi, je reconnais bien que la religion est la plus grande et la plus belle chose qu’il y ait au monde ; mais à qui me prouverait qu’elle est exclusivement divine, je donnerais volontiers la moitié de ma fortune. »
En effet, la foi vaut encore plus que cela ; mais, en vérité, elle coûte beaucoup moins. M. Berryer aurait pu clore ainsi le discours : « Quoi qu’il en soit d’une apparente pétition de principes, dites seulement le Pater et l’Ave, et surtout, comme moi, récitez le Confiteor, et le Credo sortira spontanément de votre cœur. »
En cette année encore 1, vers la fin du carême, M. Berryer dînait en tête-à-tête avec un de nos grands hommes d’État. Celui-ci vint à lui demander :
« Mon cher Berryer, allez-vous faire vos pâques ?
– Je crois bien, répondit-il à l’instant, je veux demander à mon confesseur de les faire deux fois : à Paris d’abord, pour mon propre compte ; puis à Augeville, pour l’exemple de mes paysans.
– Ah ! que vous avez raison ! s’écria l’homme d’État. Si nous en faisions tous autant, la France serait sauvée. »
M. Berryer tint parole : en 1868, il a fait deux fois ses pâques.
« M. Berryer avait donc vécu plein de foi, continue le P. de Pontlevoy ; mais est-ce que la foi s’est jamais démentie en face de l’éternité ? Il est mort plein d’espérance.
« Comme je revenais tous les jours, le malade me dit une fois : « Vraiment, je reconnais que la maladie elle-même est un don de Dieu, parce qu’elle rapproche de Dieu. »
« Il avait fait mettre devant lui un beau et grand crucifix, qu’une main religieuse lui avait offert. Il aimait à invoquer la sainte Vierge et saint Pierre, son patron. Entre toutes les prières, sa prédilection était pour le Salve Regina, et chaque jour, après un grand signe de croix, il le récitait avec tous les assistants. Cette prière commune détermina une scène des plus touchantes. Une personne amie se déclare tout à coup vaincue sur place. Il y eut alors des larmes de joie, et le malade tout heureux lui adressa cette charmante parole de félicitation : « En vérité, il ne vous manquait que cela. »
« Le 17 novembre, entre neuf et dix heures, M. Berryer voulut se confesser une dernière fois. Il tenait à le faire en toute conscience et vraiment à souhait. Sur sa recommandation expresse, toutes les portes de la chambre furent exactement fermées, et alors dans la plénitude de ses facultés, avec toute la netteté de ses souvenirs et la franchise de sa religion, d’une voix ferme, pleine et sonore, il prononça ces désaveux suprêmes qui replongent dans l’éternel oubli toutes les défaillances temporaires. C’était à peine fini, qu’un prêtre de la paroisse, comme il avait été convenu d’avance, apportait au chrétien en détresse le Dieu de toute consolation.
« Voici quelques incidents de l’auguste cérémonie.
« Comme le prêtre allait tracer l’onction sur la poitrine du malade, celui-ci, faisant lui-même les apprêts, cherche avec une sorte d’anxiété une médaille qu’il portait au cou : « Où est donc ma médaille ? Je veux ma médaille. » La sœur garde-malade cherche et retrouve enfin la médaille égarée. Il la prend aussitôt, la regarde et la baise sur les deux faces avec une joie et une piété d’enfant. Après l’Extrême-Onction vient le saint Viatique. Le prêtre, tenant entre ses doigts la divine Hostie, lui adresse ces quelques paroles :
« – Mon bien cher ami, je vous présente et vous laisse le Dieu de votre première communion ; le reconnaissez-vous ? »
« À cette question le malade, souriant sans rien dire, fit un grand signe de tête.
« – Oui, c’est bien lui, toujours le même, toujours content, quand même nous ne sommes pas fidèles. C’est lui qui pardonne et qui bénit ; c’est lui qui reste seul quand tout passe, et qui nous prend et nous recueille quand nous nous en allons nous-mêmes. Ah ! mon très cher fils, laissez-moi donc aussi vous présenter à lui. – Seigneur Jésus, celui que vous aimez, celui qui a toujours cru en vous, qui a souvent parlé de vous, est malade : Domine, ecce quem amas infirmatur. Rendez-lui la joie et la vigueur de la santé ; en attendant, donnez-lui la patience et la douceur dans la maladie, et enfin, au nom de Marie, votre mère et la sienne, réservez-lui un jour le bonheur qui n’est point de ce monde, et cette gloire qui n’est plus de ce temps. »
« Peu avant sa mort, il venait de dire à un noble et pieux ami : « Sans désirer la mort, je ne la crains point. Mon confesseur a dit à saint Pierre de m’ouvrir les portes du paradis. »
Il rendit son âme à Dieu le 18 novembre 1868.
Voici encore sur le grand orateur, écrit l’abbé Saillard, un trait qui est un bien bel acte de foi et de simplicité chrétienne.
Le 29 septembre 1868, Berryer était allé passer quelques jours chez Mme de la Ferronays.
En cette fête de saint Michel, précieux et touchant anniversaire, la famille de la Ferronays et son hôte illustre assistèrent à la sainte messe. Au moment où M. le curé arrivait au pied de l’autel, Berryer se présenta pour répondre ; et, en effet, le prince de l’éloquence, chargé d’années et de gloire, servit dans la perfection la messe du vieux pasteur, comme le plus humble enfant de l’Église. Le curé, ému de cet acte de religion, ne put s’empêcher d’adresser quelques paroles de remerciement et d’éloge à ce noble chrétien, qui, sans respect humain comme sans vanité, avait tenu à honneur de servir la messe à soixante-dix-huit ans. « Ah ! monsieur, lui répondit Berryer, plaise à Dieu que cela me serve pour le ciel ! »
Dans ses dernières années, un de ses amis lui disait :
« Oui, vraiment, le sacerdoce vous eût bien convenu ; vous auriez fait bien des conversions.
– Je le crois, dit Berryer, car j’aurais prêché Jésus-Christ avec tout le feu de mes plus ardentes convictions. »
On lui demandait une fois s’il avait visité Rome. Sur sa réponse négative, et comme on exprimait de l’étonnement, il dit avec un accent inexprimable : « Si j’étais allé à Rome, je n’en serais pas revenu. »
Armand BARAUD, Chrétiens et hommes
célèbres au XIXe
siècle,
Tours, Maison Alfred Mame et Fils.