Notre-Dame de La Salette, Gardienne du Royaume

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Pierre BARANGER

Professeur de Chimie à l’École Polytechnique de Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Ecce advenit Dominator Dominus ; et regnum in manu et potestas et imperium. » Mal, 3, 1.

 

« Je vous ai donné six jours pour travailler, me je suis réservé le septième et on ne veut pas me l’accorder. » Cette déclaration extraordinaire, constitue une affirmation éclatante de la royauté de la Vierge sur la Création et sur nos travaux de tous les jours. C’est elle qui tient le ménage de la création. De par son association avec son Fils, elle a le devoir de diriger effectivement toutes les parties du Cosmos et tous nos actes, non seulement ceux qui sont ordonnés à notre vie surnaturelle, mais encore ceux qui sont ordonnés à notre vie naturelle, c’est-à-dire nos activités professionnelles, sociales, politiques comme telles.

Dans les délégations successives du pouvoir royal du Christ nous sommes hiérarchiquement les derniers et les plus humbles collaborateurs, préposés au soin et à l’achèvement de la création. « Nous sommes les hommes de peine de la création », a dit Halévy. Dans nos métiers de tous les jours, dans notre vie de travail scientifique ou technique, il n’est pas possible de réserver une activité autonome qui échapperait à la régence divine : Chaque geste professionnel comme tel, doit être ordonné au Royaume et à la rédemption de la création asservie. Notre science orgueilleuse, dont nous sommes si fiers n’échappe pas à l’option et il ne devrait pas être question d’y trouver un refuge, où perpétrer éternelle révolte. « Je ne veux pas que cet homme règne sur moi » (Luc 19, 14).

N’oublions pas que Marie, Reine des Anges, dispose de messagers innombrables pour nous transmettre ses ordres, car les anges, bons ou mauvais, ont par droit de nature pouvoir sur les choses matérielles. Ils sont préposés au gouvernement cosmique. De nombreux textes des Écritures et des docteurs l’affirment. « Les Anges régissent tous les êtres matériels » (S. Th. Ia). « On peut dire que toute entière la nature physique est administrée par les Anges aux mains desquels les êtres matériels sont comme des instruments. La forme substantielle prédominant pour les réalisations des phénomènes matériels est due à la forme des Anges » (id.). « Cette providence angélique est universelle ; elle s’étend à toutes les créatures matérielles ; c’est au point que les Saints et les philosophes s’accordent à dire que si tous les corps sont régis et gouvernés par la Providence divine, c’est par l’intermédiaire des Anges » (S. Thomas, De Veritate, q. 5 art. 8). Saint Augustin, dans son traité de la Trinité, écrit : « Tous les corps sont d’une manière ou de l’autre régis par un esprit doué de vue et de raison. » « À chaque être visible en ce monde une présence angélique est préposée. » ... On trouverait dans S. Grégoire le Grand, dans S. Jean Damascène, Origène, S. Jérôme et tant d’autres, des témoignages aussi nets.

C’est pourquoi nous ne pouvons refuser de croire que dans toutes nos tractations avec la matière, à propos de chacun de nos gestes techniques, nous recevons les impulsions des anges, bons ou mauvais. On dirait que c’est une guerre sans pitié qui s’est engagée autour de la Création que nous pouvons orienter dans un sens ou dans l’autre. Nous sommes ici les ultimes agents d’exécution et les derniers acteurs du drame, acteurs solidaires du Christ, auquel Satan disait : « Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes, car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi. » (Luc 4). « Nous savons que nous sommes de Dieu, tandis que le monde entier est sous l’empire du malin. » (I Jean 5, 19). Tel est l’aspect dramatique sous lequel se présente notre destinée terrestre et notre vie journalière dans notre laboratoire, dans notre bureau, dans notre famille, sollicités que nous sommes par les deux Royaumes, et libres de construire l’un ou l’autre. Nous laisser guider par les anges de lumière et les sollicitudes maternelles de la Reine des Anges ou nous abandonner aux prestiges des anges noirs et enfanter une science diabolique, une cité maudite écrasant l’homme et appelant le feu du Ciel.

Et on ne saurait trop insister sur ce qu’il s’agit là des opérations mêmes de notre science comme telle ou de notre activité créatrice et non pas de la manière plus ou moins vertueuse dont nous agissons dans la vie.

Reconnaître la Régence de la Vierge sur nos travaux journaliers dont nous sommes si fiers et si jaloux, voilà ce qui nous est tout d’abord demandé sur la montagne de La Salette.

Mais avec autant d’insistance il nous est demandé de reconnaître la royauté du Christ de laquelle l’autre découle. La Vierge s’adresse à des enfants incultes, ses exemples sont simples, ils sont pris dans la vie de tous les jours, mais ils remplissent tout le message.

« Ceux qui conduisent les charrettes ne savent pas jurer sans y mettre le Nom de Mon Fils. »

C’est la scène éternelle de la Passion, la couronne d’épines dérisoire et les railleries et les soufflets prodigués à ce Roi de misère... « Prophétise qui t’a frappé. » « Salut, Roi des Juifs. » « Si tu es le Roi des Juifs, sauve-toi toi-même. » Mes chevaux ne vont pas droit, n’es-tu donc pas capable de les diriger, toi qui prétends régner sur toute chose ! Mais tout va de travers ! Qu’ai-je besoin de toi ? L’homme n’est-il pas le maître de la nature, n’a-t-il pas découvert ses lois qu’il t’a interdit de changer, il les manie à son gré, il domine toute chose pour sa propre commodité et sa plus grande gloire... Une méchante bombe atomique et la terre éclatera comme une noix si tel est son bon plaisir !

Ici le juron du charretier, là le refus orgueilleux et blasphématoire : « Sors du laboratoire et de l’usine ; notre technique et notre science se moquent de toi ; nous sommes au vingtième siècle. » « Nous ne voulons pas que cet Homme règne sur nous. »

« C’est cela qui appesantit tant le bras de mon Fils. »

Dans l’encyclique « Quas Primas », Pie XI nous rappelle que la royauté du Christ s’exerce aussi sur l’ordre naturel. « Ce serait une erreur grossière de refuser au Christ-Homme la souveraineté sur les choses civiles (naturelles) quelles qu’elles soient : Il tient du Père sur les choses créées un droit absolu lui permettant de disposer de toutes à son gré. »

« Si les hommes venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ, dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits à peine croyables, une juste liberté, l’ordre et la tranquillité, la concorde et la paix se répandraient infailliblement sur la société toute entière. » ... « Oh ! qui dira le bonheur de l’humanité, si tous, individus, familles, États, se laissaient gouverner par le Christ ! Alors, enfin, pour reprendre les paroles que notre prédécesseur Léon XIII adressait, il y a 25 ans, aux évêques de l’univers, il serait possible de guérir tant de blessures : Tout droit retrouverait avec sa vigueur native son ancienne autorité, la paix paraîtrait avec tous ses charmes ; les glaives tomberaient et les armes glisseraient des mains, le jour où tous les hommes accepteraient de bon cœur la souveraineté du Christ, obéiraient à ses commandements et où toute langue confesserait que le Seigneur Jésus est dans la Gloire de Dieu le Père. »

Les larmes de Notre-Dame cesseraient de couler. « Les pierres, les rochers deviendront des monceaux de blé et les pommes de terre se trouveront ensemencées d’elles-mêmes » (Message de La Salette).

C’est ainsi que Notre-Dame nous enseigne la suprême importance des petites choses de tous les jours, de celles qui tissent notre vie quotidienne, qui la spécifient, diraient les philosophes.

C’est dans ce domaine si humble que ne devons laisser s’exercer la régence du Christ et de la Vierge Reine, dans ce domaine où nous nous réfugions pour y être sournoisement le maître, en affectant de laisser à Dieu la vie surnaturelle, les prières verbales, les vertus hypocrites. Et pendant ce temps l’immense foule humaine, qui ne connaît pas le vrai Dieu, mais qui lui est reliée par la Création gémissante, se tourne vers ceux qui font bruyamment profession de s’occuper de cette création, de leur donner du pain, de construire des digues, des stades, des usines, de guérir les maladies, etc.

À nous chrétiens de combattre sous les étendards du Christ-Roi et de la Vierge-Reine et de proclamer publiquement, comme le demande Pie XI, qu’ils règnent réellement sur toutes nos activités naturelles et surnaturelles, temporelles et éternelles. À nous de leur demander des ordres, pour diriger nos travaux de tous les jours et pour les mettre au service du Royaume. À nous de prendre religieusement soin de la création pour lui faire chanter les louanges de la Bienheureuse Trinité et pour préparer le deuxième Avènement.

 

Marrakech, Épiphanie 1951.

 

 

 

Pierre BARANGER.

 

Paru dans la revue Marie

en mai-juin-juillet 1951.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net