La piété de Jeanne d’Arc
par
Maurice BARRÈS
Je me rappelle que, certain jour de la belle saison, j’ai lu, sous les ombrages du Bois-Chesnu, une petite anthologie de nos vieilles épopées. Elles témoignent par tous leurs thèmes que l’allégresse vaillante est l’âme de la France. C’est la transmission de cette âme qui faisait jadis et qui doit faire encore une véritable éducation. Il y a des gens pour croire que la « bergère de Domrémy » était « une simple ». On ne peut s’expliquer un dédain si pédant que par la méconnaissance où nous sommes aujourd’hui de ce qu’est une vraie culture. Jeanne, qui vouait une dévotion particulière à saint Charlemagne et à saint Louis, avait reçu la formation qui fait si grands les héros de nos chansons de geste et qui, devant tel illettré d’aujourd’hui, nous fait dire encore :
– Voilà un homme !
Tous les éléments de son milieu natal avaient collaboré à lui donner une culture de la volonté, une vocation nourrie.
Ce pays dont Jeanne rassemblait toutes les puissances n’est pas un pays simple. De même qu’aujourd’hui l’instituteur est posé dans le village pour contredire le curé, le curé du quinzième siècle contredisait tout un monde ténébreux. Il avait à lutter contre toute une mythologie qui ne s’avouait pas vaincue. Nulle part cette fidèle terre française n’a mieux cherché à transmettre au christianisme sa poésie autochtone. Aujourd’hui encore, le passant croit entendre là-bas un soupir des vieilles divinités. Du temps de Jeanne, il fallait que, chaque année, la veille de l’Ascension, le curé s’en allât à travers champs auprès des Fontaines, chanter l’Évangile de saint Jean pour réduire au silence les fées toujours turbulentes.
Jeanne aimait à prier dans deux ermitages élevés au bord de ces fontaines druidiques désaffectées. L’un a disparu : Sainte-Marie du Bois-Chesnu ; l’autre subsiste à peu près intact.
À une heure de Domrémy, hors de la route et dans les bois, s’élève encore, auprès de la fontaine Saint-Thiébaud, la chapelle de Notre-Dame de Bermont, où Jeanne, tous les samedis, venait et priait en écoutant la cloche. C’est là qu’il faut aller si l’on veut avoir avec Jeanne le plus sûr trait d’union. Dans le silence de cette solitude, tandis que sonnait l’Angelus ou l’Ave Maria du soir, le cœur de la jeune fille exhala d’indéfinies méditations, aussi belles, mais plus larges, que les sublimes pensées entrevues à travers ses réponses de Rouen. Jeanne était un grand poète qui venait dans ce désert prendre l’ordre de ses voix.
J’ai cru longtemps que la cloche de Bermont était celle-là même qu’avec un plaisir mystique la Pucelle écoutait. Le secrétaire de la Société d’Archéologie Lorraine l’a descendue, examinée. Son inscription est belle :
« Je vous salue, reine Marie, Notre-Dame des armées, qui protégez la France contre toutes les nations. »
Mais elle date de la fin du quinzième siècle et se trouve de cinquante ans postérieure à l’héroïne.
La fontaine, du moins, n’a pas changé. La voici avec les fleurs que Jeanne cueillait, tressait en guirlandes et offrait aux statues barbares de saint Jean, sainte Anne, saint Thiébaud, toujours présentes, toujours consultées, écoutées.
Sur le chemin de Bermont, les jeunes filles que je rencontre et qui portent toutes la halette lorraine sont, pour moi, baignées de respect. L’ombre de Jeanne est sur cette vallée comme un mystérieux clair de lune.
Maurice BARRÈS.
Paru dans Les Annales politiques
et littéraires en 1909.