Maine de Biran

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Mgr Louis BAUNARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le plus grand bienfait de la religion est de

nous sauver du doute et de l’incertitude,

qui sont le plus grand tourment de l’esprit

humain, le vrai poison de la vie.

(MAINE DE BIRAN, Pensées, p. 333.)

 

 

 

I

 

Il y a quelques années fut publié, sous le titre de Maine de Biran, sa vie et ses pensées, un livre de M. Ernest Naville qui excita une grave attention parmi les hommes sérieux. C’était l’histoire d’une âme, histoire fort simple, mais fort belle. La Vie faisait connaître, dans un style d’une irréprochable distinction, bien moins les évènements que le mouvement moral d’une existence mêlée aux affaires publiques, mais portée par sa pente à la méditation des choses intellectuelles. Les Pensées rendaient compte de ces méditations. Toutes les observations philosophiques de l’auteur, toutes les vicissitudes de doute et de foi, de tristesse et de bonheur, de découragement et d’ardeur qu’il avait traversées, trouvaient leur confident dans le Journal intime où, à partir de l’année 1794 jusqu’à celle de sa mort, ce sage inventoriait l’état de son esprit et le résultat de ses recherches.

C’est cet homme et ce livre que je voudrais opposer à la vie et aux écrits de Théodore Jouffroy.

Il y a peu à revenir sur les phases parcourues par Maine de Biran sur les chemins de la vérité. Aussi bien ce n’est pas ce progrès de l’âme en lui-même qui fera l’objet de cette étude, mais les dispositions morales qui l’ont élevée à la foi par l’amour. L’histoire de l’esprit de Maine de Biran a été racontée ; mais a-t-on jusqu’ici suffisamment suivi l’histoire de son cœur ? Il est pourtant manifeste, je le prouverai, que c’est surtout par le cœur que Maine de Biran a été ramené dans le sein du christianisme ; et c’est par là aussi qu’il offre avec Jouffroy un contraste saisissant et plein d’instruction. Comme nous l’avons démontré, Jouffroy s’est égaré pour s’être obstiné à prendre exclusivement sa raison pour guide, au mépris des religieuses avances de son âme. Maine de Biran, au contraire, nous fera voir comment on revient au Vrai, en se tournant vers Dieu par l’âme tout entière, tenant compte de ses besoins comme de ses pensées, de ses instincts comme de ses idées, de ses sentiments comme de ses raisonnements. Sa sagesse n’est donc pas un mysticisme étroit, exclusif, partial ; c’est la sagesse complète, intellectuelle et morale, à la fois sentiment et science, vertu autant que lumière, allant vers la vérité par ce double effort, et, selon le mot de Platon, y arrivant plus vite, parce qu’elle a deux ailes.

Né le 29 novembre 1766, mort en 1824, Maine de Biran avait vu de très près la Révolution française. Il avait été soldat dans les gardes du corps, et en cette qualité payé bravement de sa personne aux journées des 5 et 6 octobre 1789. Puis il administra comme préfet le département de la Dordogne, qu’il représenta ensuite au conseil des Cinq-Cents. Il vit l’Empire naître, grandir et se précipiter. Il fut appelé à faire entendre à l’empereur les plaintes et les vœux de la nation fatiguée, à la journée de fructidor. Royaliste dévoué, il a été député, puis questeur de la Chambre depuis 1812 jusqu’à l’époque de sa mort ; il a siégé longtemps aux rangs les plus élevés dans les conseils de l’État. Toutes ces révolutions, toutes ces occupations ne parvenaient pas à le distraire de ses méditations morales et philosophiques : « J’erre comme un somnambule dans le monde des affaires », répétait-il volontiers.

Ce n’était pourtant point affaire de misanthropie, ni goût de sauvagerie ; car nul ne fut plus sociable que Maine de Biran : « Une grande obligeance dans les relations sociales qui le faisaient rechercher, un vif besoin de plaire qu’il tenait d’une nature sensible, et qui coûta plus d’un gémissement au philosophe ; une habitude du monde à laquelle il devait cette urbanité qui faisait de lui un type survivant de l’ancienne société française ; avec cela une figure charmante, à laquelle étant jeune il attachait quelque prix ; un esprit fort aimable ; le talent de la musique, l’élégance des manières, le charme de la conversation, une foule d’aperçus heureux qui sortaient de source ; tout semblait faire de lui un homme du monde dans le meilleur sens de ce mot 1. » Mais une voix intérieure le rappelait sans cesse du mouvement du dehors dans le monde des idées : « Pourquoi vais-je dans le grand monde ? se disait-il au soir des plus brillantes fêtes. Est-ce que je suis un homme de salon ? Quel rapport y a-t-il entre ces hommes et moi ? Ô misère que cette vie de Paris, où je perds tout ce que je vaux 2 ! » Et tout ce gémissement s’achevait par cette saillie, qui n’est que le relief un peu forcé de sa pensée : « Un vrai philosophe, s’il en existait aujourd’hui, ne pourrait vivre qu’au fond des déserts 3. »

Sa thébaïde à lui était la terre de Grateloup, située à une lieue et demie de Bergerac, et non loin du berceau de Montaigne et de Fénelon. Depuis que la mort de ses parents l’en avait rendu possesseur, Maine de Biran l’avait refaite à son image, sévère, grande, simple, silencieuse. « Son habitation, rapporte son historien, s’élève isolée, entourée de bouquets d’arbres et de prairies, vers le sommet d’une éminence. Au pied de la colline un cours d’eau serpente dans un paisible vallon. De la terrasse du château la vue s’étend sur un terrain accidenté, couvert de riches cultures ou planté d’arbres vigoureux, qui, sans offrir les beautés grandioses des contrées alpestres, ne manque ni de charme ni de variété. C’est un aspect qui porte à l’âme de douces impressions : il ne rappelle que l’éternelle majesté de la nature et les paisibles travaux des habitants des campagnes 4. »

C’est là que le solitaire passa les dangereuses années de la Terreur. C’est là que, depuis encore, il se réfugia souvent, à l’abri des orages de la politique, distrait uniquement et délicieusement par le bonheur domestique que lui donnaient son épouse et trois jeunes enfants, à qui cette mère parfaite ne devait pas être conservée bien longtemps. Là, « il se livrait avec une indicible ardeur à la philosophie, donnant le reste de ses journées à la vie de famille, à la société de ses voisins, et même à sa harpe longtemps délaissée ». Pendant les plus mauvaises phases révolutionnaires, il écrivait de là : « Dans les circonstances actuelles et vu ma manière de penser, la vie que j’ai adoptée est la seule qui puisse me convenir. Isolé du monde, loin des hommes si méchants, cultivant quelques talents que j’aime, moins à portée que partout ailleurs d’être témoin des désordres qui bouleversent notre malheureuse patrie, je ne désire rien autre chose que de pouvoir vivre dans ma solitude 5. »

Cette solitude était féconde. Il la remplissait par la méditation et par l’observation de ce qu’il y a de plus digne de la pensée de l’homme : sa nature, sa vie, son action, ses besoins, ses désirs, ses espérances. C’est l’homme continuellement en présence de lui-même, et l’on en trouverait peu d’autres qui aient fait à ce degré cette profonde et persévérante expérimentation, dont nous recueillons le fruit : « Je crois, écrivait-il, que le seul qui soit sur la route de la sagesse et du bonheur, c’est celui qui, sans cesse occupé de l’analyse de ses affections, n’a presque pas un sentiment, pas une pensée dont il ne se rende compte à lui-même... Je suis toujours occupé de ce qui se passe en moi 6. » – « Je m’amuse, dit-il ailleurs, à voir couler les diverses situations de mon âme comme les flots d’une rivière tantôt calme et tantôt agitée, mais toujours se succédant sans aucune permanence 7. » Plus loin il se compare aux harpes éoliennes, dont les cordes frémissent aux moindres souffles et rendent des sons harmonieux 8. Ajoutez donc ce bienfait d’une nature profonde, attentive, sensible, où toutes les impressions sont vives, instantanées, à cet incessant travail de la méditation, et vous comprendrez chez lui ce pouvoir d’abstraction et de concentration qui permet d’ausculter, jusque dans les tressaillements les plus secrets de l’être, le mouvement d’une vie où n’arrivent plus les bruits de la terre et des sens. « Revenons maintenant à notre science chérie », disait le psychologue à ses savants amis, qui s’écartaient quelquefois de l’unique question. Et comme l’un d’eux cherchait à détourner l’entretien de tout sujet abstrait, par ménagement pour une santé alors affaiblie et chancelante : « Ma santé ! dit le malade, il doit bien être question de ma santé ! Il ne doit être question entre nous que de ce qui est éternel 9. »

Un tel observateur mérite qu’on l’écoute quand il nous indique quel est le mouvement régulier, la vie normale de l’âme, et le terme auquel elle aspire. Suivons donc ses démarches, dans ces études intimes où il ne marche qu’à pas comptés et en sondant chaque passage où se pose son pied.

Bossuet commence un de ses plus beaux discours, le panégyrique de saint Benoît, par ces graves paroles : « Dans ce grand et infini voyage où nous devons marcher sans repos et nous avancer sans relâche, je remarque trois états et comme trois cieux où nous avons coutume de nous arrêter. Ou bien nous nous arrêtons dans le plaisir des sens, ou bien dans la satisfaction de notre amour-propre et l’exercice de notre liberté, ou bien enfin dans la vue de notre perfection. Ou bien nous nous arrêtons au-dessous de nous, ou nous nous arrêtons en nous-mêmes, ou nous nous arrêtons au-dessus de nous. »

Et le grand évêque ajoute : « Âme, ne sens-tu pas, à je ne sais quoi de pressant qui te pousse au-dessus de toi, que tu n’es pas faite pour toi-même ? Un bien infini t’appelle : Dieu même te tend les bras. »

Telles sont exactement les voies que parcourut et les étapes que traversa Maine de Biran, avant d’atteindre au bien infini qui le sollicitait. Il s’arrête en effet d’abord au-dessous de lui, dans le monde des sens et le monde du dehors : c’est sa première phase, celle du sensualisme de l’école de Destutt de Tracy et de Condillac. Il s’arrête ensuite en lui-même, dans la suffisance de son esprit et de sa volonté comme uniques supports de sa vie spirituelle et morale : c’est sa seconde phase, celle du stoïcisme rationaliste et déiste. Enfin il s’élève au-dessus de lui-même, et, reconnaissant l’insuffisance de l’homme, il invoque le secours de Dieu, appelle un médiateur, le reconnaît, le salue, et finit par se donner à lui. C’est la troisième phase de sa philosophie, celle du christianisme théorique et pratique. Ainsi se termine cette instructive carrière où, comme un pionnier hardi et expérimenté, Maine de Biran, ayant reconnu tous les détours du chemin, nous invite à l’abréger, en nous montrant le but.

 

 

 

II

 

 

C’est de 1794 à 1804 que Maine de Biran professe la philosophie de la sensation, celle que Condillac avait léguée au commencement de notre siècle, et que Maine de Biran formule et s’approprie par cette affirmation : « Quel que soit le mécanisme par lequel nous avons des idées, il est démontré que leur origine est dans les sens. » La philosophie de Condillac ne niait pas l’âme, dont même elle prétendait garder, sauver la spiritualité et l’immortalité. Mais en faisant descendre et dépendre des sens toutes nos idées, lesquelles, selon lui, ne sont plus que « des sensations transformées », il tend au matérialisme, car on voit en quel abaissement il met par là cette âme ainsi assujettie, asservie, et dans quelle sphère inférieure doivent se mouvoir des idées qui ne procèdent pas de plus haut.

Comment la vie morale n’en eût-elle pas subi une dépression conséquente et proportionnelle ? Il y a deux phases successives dans ce que j’appellerai la période sensualiste de Maine de Biran. Durant sa première phase, il cherche le bonheur dans le plaisir, et le plaisir dans la mondanité, comme lui-même l’appelle. C’est le temps de sa vie de soldat, vie dissipée où sans doute ses instincts d’honnêteté le préservèrent de l’extrême désordre, mais ne purent garder son cœur contre la fascination du grand monde de Paris. Lui-même parle de ces années où « il avait, dit-il, la fatuité de croire qu’il produisait de l’effet partout où il se montrait, et se faisait un mérite des moindres choses 10 ».

Cette période dura peu. Son âme était trop haute pour séjourner longtemps dans ces limbes de la pensée ; et le premier signe par lequel le divin se trahit chez Maine de Biran, c’est le sentiment précoce de la contingence et de l’instabilité des plaisirs extérieurs, comme de toute chose d’ici-bas. À l’âge de vingt-huit ans il écrivait déjà : « Ce que le monde nomme plaisir, je l’ai goûté dans toute son étendue. Insensé, que j’étais ! j’allais à l’opposé du bonheur, je courais après lui et je le laissais par derrière. Que les hommes sont aveuglés 11 ! » C’est la première pensée de son journal intime, et, quelques années plus tard, il se représente lui-même errant dans une fête plein de trouble et d’ennui, souffrant dans cette foule comme un galérien au bagne, ne pouvant être ému par aucune des beautés qui frappaient ses yeux, rentrant chez lui dans un désenchantement total, regardant un instant les fusées et le bouquet d’un feu d’artifice qui tombait en pluie d’or, et se disant alors en fermant sa fenêtre : « C’est une belle chose qu’une fête... quand on en est revenu » ; après quoi il se met à lire un fragment de Bergasse sur Dieu, la parole et les athées 12.

Le sensualisme de Maine de Biran, en donnant à ce mot son sens le moins grossier, entre alors dans une phase où il change d’objet. Le bonheur n’est plus cherché dans le plaisir du monde ; Maine de Biran le demande aux impressions agréables de la sensibilité, au calme d’une existence égale, équilibrée, partagée entre les livres, les douceurs de la famille et les joies renaissantes de l’immortelle nature. C’était bien encore pratiquement la philosophie de la sensation ; mais c’était la sensation exquise et délicate, telle que peuvent la rechercher les âmes reposées et ennemies de l’excès. Posséder quelque chose et jouir paisiblement du peu qu’on possède, ne se créer de besoins que dans la mesure du possible, prendre chaque jour qui vient comme un bienfait du ciel, chaque évènement de la vie comme une bonne fortune ; cultiver l’amitié, les champs et son esprit ; se faire ainsi une sagesse moyenne composée d’optimisme, de dilettantisme, de sybaritisme moral et d’harmonie constante : qui ne connaît ce rêve éternellement repris par les cœurs fatigués et les siècles blasés, depuis le siècle d’Auguste jusqu’au dix-huitième siècle, depuis Horace jusqu’à Rousseau ?

« Je rentre à Grateloup, écrit Maine de Biran pendant les troubles des Cent-Jours ; je rentre à Grateloup, où je reçois les marques d’intérêt et d’affection de mes voisins et de mes amis... Enfin, je suis chez moi... Je n’ai rien admiré pendant que j’étais en place. Ce que j’aime et admire dans ma solitude, c’est une belle nature champêtre, les bois verdissants, les prés, les arbres que j’ai plantés et qui me prêtent aujourd’hui leur doux ombrage. J’en jouis pleinement 13. » – Et le 13 mai suivant : « Je suis heureux, écrit-il, de l’air embaumé que je respire, du chant des oiseaux, de la verdure animée, de ce ton de vie et de fête exprimé par tous les objets. Mon âme tout entière semble avoir passé dans mes sens 14. » – « Ma grande ambition, avait-il dit ailleurs, serait de me maintenir dans une situation moyenne. Celle-là m’offre l’image d’une paix si douce ! Je cherche la situation qui soit la moins sujette aux variations, mais je la cherche en vain 15. »

Et, en effet, le vrai bien est-il dans une idylle ? Notre cœur est-il créé pour la médiocrité ? Attendre tout son bonheur de la nature physique ou de la nature morale, de l’impression vivifiante d’une belle journée, des douceurs bourgeoises du foyer domestique ou du jeu régulier et calme de l’organisme, n’est-ce pas se faire le jouet d’une mobilité continue, et, de plus, coucher son âme dans un lit de Procuste ? N’est-ce pas un esclavage ? se demande bientôt Maine de Biran lui-même. Il souffre donc, il se plaint ; et c’est le gémissement d’une âme supérieure se déprenant peu à peu de la médiocrité et de l’instabilité qui, dès 1811, retentit à chaque page de son Journal intime : « Je ne suis point heureux par les choses extérieures, ma vie se décolore peu à peu. Les objets changent, pendant que nous aussi nous changeons. Quel sera le point d’appui fixe de notre existence ? Où rattacher la pensée, pour qu’elle puisse se retrouver, se fortifier, se complaire, ou s’approuver dans quelque chose que ce soit 16 ? »

 

 

 

III

 

 

C’est alors que, lassé de chercher le bonheur dans les jouissances du monde et dans celles de la nature, Maine de Biran se jeta dans une autre illusion qui eut plus de durée. Au sensualisme succéda un stoïcisme superbe s’obstinant à chercher dans soi-même et soi seul ce que les choses extérieures ne lui pouvaient donner : « Il faut voir, écrit-il le 9 juillet 1816, il faut voir ce qu’il y a en nous de libre et de volontaire, et s’y attacher uniquement. Les biens, la vie, l’estime ou l’opinion des hommes ne sont en notre pouvoir que jusqu’à un certain point. Ce n’est pas de là qu’il faut attendre le bonheur. Mais les bonnes actions, la paix de la conscience, la recherche du vrai, du bon, dépendent de nous, et c’est par là seulement que nous pouvons être heureux, autant que les hommes peuvent l’être 17. »

Jouffroy avait dit de même dans un autre ordre d’idées : « Les convictions renversées par la raison ne peuvent se relever que par elle. Ma raison savait maintenant chercher la vérité et la trouver. » Entre le stoïcisme de l’un et le rationalisme de l’autre il y a de grandes analogies. L’un est l’orgueil du cœur, comme l’autre est l’orgueil de l’esprit ; et de même que Jouffroy par son rationalisme s’était égaré sans retour sur le chemin de la vérité, Maine de Biran se serait fourvoyé à jamais dans la recherche du vrai bonheur, s’il avait persisté dans cette phase stoïcienne.

Mais il la traversa et n’y demeura point. Altéré de bienveillance, mais désintéressé de toute vaine gloire, peu sensible aux caresses de la publicité, jusqu’à refuser de faire imprimer ses ouvrages, Maine de Biran était assez grand pour être humble. Il n’avait pas d’ailleurs ce fatal engagement de système et d’école qui rive le maître à son enseignement passé, et le rend esclave de l’autorité même qu’il exerce sur les autres. Il en exerçait une cependant, et fort grande, sur les esprits d’élite de cette époque distinguée qui fut la Restauration.

Lorsque Maine de Biran séjournait à Paris, chaque semaine, le vendredi, son hôtel réunissait un cercle de familiers. Il s’y rencontrait bien quelques personnages politiques, comme M. Lainé, son plus intime ami. Mais les places principales étaient pour les représentants de la philosophie : MM. Royer-Collard, Ampère, de Gérando, Georges Cuvier, Planta, Stapfer, Guizot, Cousin, lequel n’était encore qu’une jeune espérance. Celui qui les recevait, et qu’ils appelaient leur maître, n’était connu alors que par quelques mémoires sur des sujets abstraits de psychologie. Mais son intelligence allait visiblement plus haut que ses écrits ; et lorsque, dans cette grave académie de penseurs, il prenait la parole pour traiter quelque point de sa science chérie, sa supériorité n’était plus contestable. M. Royer-Collard disait le mot célèbre : « Il est notre maître à tous ! » Un autre s’imaginait que la philosophie spiritualiste avait besoin de lui. M. Cousin le regardait déjà comme « le plus grand métaphysicien qui ait honoré la France depuis Malebranche ». Et une femme célèbre, Mme Swetchine, annonçait que ce serait un grand jour pour la philosophie, que celui où ce sage livrerait au public le fond de sa pensée et le testament de ses croyances.

Je veux citer aussi un jeune professeur, M. Charles Loyson, qui, se mettant à l’école de Maine de Biran, lui disait en beaux vers, au souvenir de Grateloup :

 

      Ô Biran, que ne puis-je, en ce doux ermitage,

      Respirant près de toi la liberté, la paix,

      Cacher ma vie oisive au fond de tes bosquets !

      Que ne puis-je à mon gré, te choisissant pour maître,

      Dans tes sages leçons apprendre à me connaître,

      Et, de ma propre étude inconcevable objet,

      De ma nature enfin pénétrer le secret !

      Lorsque mon âme, en soi tout entière enfoncée,

      À son être pensant attache sa pensée,

      Sur cette scène intime où je suis seul acteur,

      Théâtre, en même temps, spectacle et spectateur,

      Comment puis-je, dis-moi, me contempler moi-même,

      Ou voir en moi le monde et son Auteur suprême ?

 

L’Épître philosophique défie le scepticisme, et montre à la raison une lumière supérieure :

 

      Fier sceptique, confesse une source inconnue,

      D’où jusqu’à ton esprit la vérité venue,

      S’y peint en traits brillants comme dans un miroir,

      Et pour te subjuguer n’a qu’à se faire voir.

      Que peut sur sa lumière un pointilleux sophisme ?

      Descarte en vain se cherche au bout d’un syllogisme,

      En vain vous trouvez Dieu dans un froid argument :

      Toute raison n’est pas dans le raisonnement.

      Il est une clarté plus prompte et non moins sûre,

      Qu’allume à notre insu l’infaillible nature,

      Et qui, de notre esprit dilatant la raison,

      Est pour nous la première et dernière leçon 18.

 

Loyson était chrétien. D’autres, que nous venons de nommer au nombre des amis de Maine de Biran, étaient en voie de le devenir. Sébastien de Planta, lui aussi soldat et administrateur, naguère ministre de la marine, de la guerre et des relations extérieures de la république romaine, sous la Révolution, puis officier supérieur sous le commandement de Masséna, de Macdonald et de Baraguay-d’Hilliers, avait brisé son épée par conviction républicaine, et refusé de servir l’empire et l’empereur. Retiré non loin de Pignerolles, dans une modeste maison de campagne au hameau de Sainte-Marguerite, près de Torre di Luzerna, lui aussi s’était adonné à la philosophie. Homme du monde et mathématicien, musicien et poète, causeur facile et agréable, parlant cinq ou six langues, il fréquentait à Genève la société qui rayonnait autour de Mme de Staël. Il était très épris de l’école allemande, mais surtout il s’était mis, comme Maine de Biran, à l’école de son âme, et elle lui avait révélé Dieu, la vie à venir et la sanction éternelle. Il avait prétendu d’abord se contenter, disait-il, de « ces principes essentiels à toute religion et à toute morale qui peuvent rester debout sur les ruines des dogmes ». Il avait établi alors sa vie morale sur trois pivots, qui étaient : 1o je ne sais ; 2o  paix et peu ; 3o  sentir, adorer, espérer. Cette troisième résolution l’avait conduit à la foi, non point à pas comptés et par degrés, comme Maine de Biran, mais soudainement et selon ce qu’il appelait lui-même la bouillance de sa nature. « Il avait vu clairement la puérilité de l’école superficielle de Condillac ; et tout de suite, lui alors inspecteur d’académie à Grenoble, il avait écrit à La Place une lettre où il le sommait d’abjurer son irréligion, au nom de son génie, de son bonheur, de sa gloire, du bien de sa nation et de celui de l’humanité 19. » C’est à ce point qu’en était Planta, quand il avait mis sa main dans celle de Maine de Biran : leurs âmes se touchaient.

Un autre ami plus illustre, M. Royer-Collard, se contentait alors de témoigner à la religion les plus sincères égards ; il la défendait devant les chambres, il en observait le culte ; mais il n’en faisait pas encore à cette époque la profession pratique qui lui fera dire plus tard à son petit-fils, M. Paul Andral, en lui donnant sa dernière bénédiction : « Soyez chrétien, mon enfant ; ce n’est pas assez, soyez catholique. Il n’y a de solide en ce monde que les idées religieuses ; ne les abandonnez jamais, ou, si vous en sortez, rentrez-y. »

Royer-Collard avançait vers la foi catholique par des chemins couverts ; chez lui le travail intérieur était sinon contrarié du moins ralenti par cet autre travail extérieur et absorbant, qui est la politique et le souci passionnant des affaires publiques. Planta, lui, avançait par soubresauts soudains et intermittents. Maine de Biran marchait à pas égaux et mesurés, et c’est par là que ses démarches sont si instructives.

Il s’était réfugié sur le rocher du stoïcisme ; mais bientôt il s’aperçut que cette morale trop personnelle ne saurait remplir son âme. Les appuis intérieurs s’écroulent, sa volonté le trahit, sa confiance l’abandonne, ses affections gémissent : « Une vie si malheureuse, si elle durait, s’écrie-t-il, ne vaudrait pas le néant. Et aujourd’hui l’attrait, le charme de la vie n’est plus en moi ni hors de moi 20. » Plus il marche, plus en lui l’idéal s’élève, plus ce moi lui paraît misérable, délabré, laissant pénétrer le mal par toutes ses fissures. Enfin il le condamne par cet arrêt décisif, et il en sort par cet aveu et ce religieux appel : « L’orgueil, s’écrie-t-il, fera le supplice de ma vie, tant que je ne chercherai pas plus haut un esprit qui dirige le mien ou se mette à sa place 21. »

Et puis, dans ce grand travail d’épuration morale, il ne faut pas oublier l’action des évènements, les leçons du malheur, et ces grandes tempêtes que Dieu envoie parfois à travers le bonheur pour déchirer le voile qui en cache la misère et la caducité. Dans le temps que Maine de Biran se livrait à la douceur de ses meilleures affections, la compagne de sa vie, la mère de trois enfants qui étaient venus animer et réjouir sa demeure, fut retirée de ce monde, le 23 octobre 1803. La blessure fut profonde, dit son historien, et ne se cicatrisa jamais entièrement. Ce souvenir demeura jusqu’à la fin une de ces chères tristesses qu’on ne changerait pas contre les joies les plus brillantes de ce monde. Mais ce fut surtout en lui une de ces tristesses fécondes qui renouvellent dans les larmes et desquelles il disait : « Il faut pour être heureux que l’homme tienne à quelque chose qui n’est pas lui, qui est plus que lui, qui le soutienne quand il chancelle, qui reste quand il passe. Voyez les consolations de la philosophie stoïcienne et comparez-les avec celles de la religion ! » – « C’est donc avec raison que Fénelon l’a dit : « Notre cœur blessé dans la partie la plus intime de ses attaches les plus douces, les plus honnêtes, les plus innocentes, sent bien qu’il ne peut plus se tenir à lui-même, et s’échappe de lui pour aller à DIEU 22. »

 

 

 

IV

 

 

Deus ! Ecce Deus ! Maine de Biran n’avait plus que le dernier pas à franchir. Le but était devant lui, et déjà il indiquait le terme de ce mouvement progressif et ascensionnel qui aboutit à Dieu. Il avait déjà franchi la première barrière, en se dégageant du terrestre et de l’humain, en purifiant le regard afin de voir la lumière. Cette première démarche en préparait une autre. Il avait secoué la poussière de ses ailes, il était temps qu’il les déployât ; il était sorti du temps et du changement, il était temps qu’il entrât dans l’infini de Dieu.

Le 28 mai 1818, Maine de Biran écrit cette note décisive, où se trouve, avec les motifs de sa conversion, le manifeste irrévocable de sa vie nouvelle : « Ne trouvant ni en moi ni hors de moi, dans le monde de mes idées ni dans celui des objets rien qui me satisfasse ; je suis plus enclin, depuis quelque temps, à chercher dans les notions de l’Être absolu, infini, immuable, ce point d’appui fixe qui est devenu le besoin de mon esprit et de mon âme. Les croyances religieuses et morales que la raison ne fait pas, mais qui sont pour elle une base et un point d’appui nécessaires, se présentent comme mon seul refuge ; et je ne trouve de science vraie que là précisément où je ne trouvais autrefois, avec les philosophes, que des rêveries et des chimères. Mon point de vue a changé avec mes dispositions et mon caractère moral 23. »

Ces dernières lignes disent bien quelle sorte de transformation s’était opérée dans Maine de Biran. C’est la conversion du cœur qui prépare et provoque la conversion de l’esprit. Maine de Biran entre dans la foi par le chemin de l’amour, et dans l’action pratique par la grâce de la prière. Aimer Dieu, le prier, et enfin le servir, tels furent en lui les degrés de ces élévations dont parle le Psalmiste : Ascensiones in corde suo disposuit.

Maine de Biran a donc commencé par aimer, et le commencement de l’amour en lui, ce fut le désir. « On n’entre dans la vérité que par la charité 24 », avait écrit Pascal. – Comment cela se peut-il faire ? comment peut-on aimer ce qu’on ne connaît pas ? C’était d’abord l’objection de Maine de Biran. – Mais, se répond-il ensuite, ne le connaît-on pas, du moins comme idéal, comme type mystérieux, mais type subsistant de toute perfection ? À ce titre, ne peut-il pas être l’objet de notre désir, ou, ce qui est la même chose, l’objet de notre amour ? car désirer, c’est aimer. « Oui, conclut-il, on peut commencer par aimer l’Inconnu, quand on sent que rien ici-bas ne peut satisfaire les besoins de l’âme, et c’est en se détachant de tout objet sensible que l’âme se fixe sur Dieu, qui est sa fin, son principe, sa vie tout entière. »

Ce qui était naguère pour lui un paradoxe est devenu désormais un principe fécond : « Toute morale, dit-il, comme toute religion, commence par l’amour, et il ne peut y avoir de connaissance du vrai, du bon, du beau, du juste, du devoir, sans amour de ce vrai, de ce bon, de ce devoir. Ce sentiment d’amour est le principe et la base de toute notion morale 25. » – « Tout le christianisme, c’est qu’il faut aimer, c’est par l’amour seul que nous nous unissons à l’Esprit 26. Il n’y a que le vrai amour qui puisse donner la joie 27. »

Ce n’est pas que cette joie de l’amour divin ne se fasse attendre : Maine de Biran se sent triste parfois ; mais l’espérance le console de ce que la charité ne lui donne point encore : « J’éprouve dans chaque lieu les tristesses de l’exil... Pourquoi donc désirerais-je de changer de situation ? Il faut attendre patiemment le moment de la délivrance. Ce sera en Dieu seul que nous goûterons une joie parfaite, que nous serons quittes de tout embarras, dans une pleine liberté, délivrés de toute peine d’esprit et de corps, jouissant d’une paix solide, intérieure et extérieure, d’une paix affermie de toutes parts 28. » Et plus haut, s’inspirant de la pensée de Fénelon : « Le cœur est comme un arbre desséché jusqu’à la racine. Mais attendez que l’hiver soit passé et que Dieu ait fait mourir tout ce qui doit mourir, alors le printemps ranime tout 29. »

 

Puisqu’il voulait renaître, et qu’il savait que la vie est dans le sein de Dieu, qu’avait-il de mieux à faire que de puiser à ce sein, et d’y aspirer cette vie ? C’est ainsi que Maine de Biran fut bientôt amené de l’amour à la prière, qui est la voix de l’amour : « Premièrement désirer, sentir ses besoins, sa misère, sa dépendance, et faire effort pour s’élever plus haut. Secondement prier, afin que vienne l’Esprit de sagesse ou que le royaume de Dieu arrive ; prier, tenir l’œil tourné vers la source d’où vient la lumière : ainsi l’homme se trouve en possession d’un trésor infini, inépuisable 30. » – « Qui donc me donnera les ailes de la prière 31 ? » – « Que j’ai besoin de prier ! » dit-il une autre fois. Puis aussitôt après, quand il s’est retrempé dans le rafraîchissement de la présence de Dieu : « Journée de bien-être, écrit-il, de calme et de raison, effet de la prière 32. »

Maintenant l’homme de désirs est devenu un homme de prière. Il ne renonce point pour cela à sa psychologie ; il lit encore les livres ; mais à ceux qui discutent il préfère désormais ceux qui élèvent à Dieu, les psaumes qu’il cite partout, les écrits spirituels de Fénelon, le livre de l’Imitation et le saint Évangile, dont il s’était fait une règle de lire un chapitre chaque jour. « La prière, écrit-il, les exercices spirituels, la vie contemplative, ouvrent le sens supérieur, développent cette face de l’âme tournée vers les choses du ciel ordinairement si obscurcie. Les premiers chrétiens et les hommes qui ont mené une vie vraiment sainte ont connu ces moyens 33. » Dans le même endroit, il appelle cela le régime de la vie morale ; et devinant cette règle de l’oraison mentale quotidienne, qui est le rudiment de ce régime des âmes : « Je ne sentirai de progrès, écrit-il le 20 décembre 1823, qu’autant que, s’élevant dès le matin vers le ciel, mon âme y cherchera tout son aliment, son pain quotidien et son repos 34. » – « Agir, méditer, prier sans cesse, dit-il, voilà les seuls moyens du renouvellement de l’homme intérieur... Ce renouvellement s’obtient surtout par une méditation soutenue, par la prière fervente où l’âme humaine s’élève jusqu’à la source de la vie, s’y voit de la manière la plus intime, s’y trouve identifiée par l’amour 35. »

Ce que Maine de Biran avait désormais à faire paraissait n’être plus que la conséquence facile de ce qu’il croyait. Il méditait, il priait : il était donc tout simple que, mettant sa conduite d’accord avec sa foi, il fît enfin de son christianisme un christianisme pratique. Lui-même ne disait-il pas : « Il faut que la foi naisse du sentiment, de la pratique et de la grâce surnaturelle 36 ? » N’avait-il pas écrit cette belle maxime : « Ce sont les œuvres qui font naître l’amour, et l’amour produit les croyances 37 ? » Il avait soif de la grâce, et la grâce coulait à pleins bords dans l’Église. Il ne lui restait donc qu’à entrer dans cette Église, à en chanter le Credo, à en recevoir les sacrements, et à reposer, sur le sein du vrai Maître des âmes, sa tête fatiguée de tant de veilles inquiètes.

Comment dire, après cela, que cette démarche si simple, si logique, si clairement indiquée, Maine de Biran fut trente ans avant que de l’accomplir ? Comment conciliera-t-on ce langage, ces élans, cette fréquentation de nos auteurs mystiques, avec une existence vide de sacrements, c’est-à-dire de la présence réelle et de la vie de Jésus-Christ ? Qui pourra croire enfin que, jusqu’à ses derniers jours, il oscille, va, revient, cherche, doute, souffre sans relâche, et ne s’approche de l’autel qu’au moment de partir pour l’éternité ?

« Ah ! disait-il lui-même, que ne puis-je avoir la force de m’appliquer uniquement à ce qui me perfectionne, à me faire bien vivre et à me préparer à bien mourir ! » – « Je me prépare sans cesse à agir, avouait-il, mais sans arriver à aucun résultat. »

Accusons de ces retards la pusillanimité que lui-même se reproche, mais tenons compte avant tout du procédé de l’esprit, qui arrêtait sans cesse et paralysait les élans de son cœur. Qu’on étudie son âme, qu’on l’analyse afin d’y faire la lumière, pour la remettre, ainsi éclairée et guérissable, entre les mains de Dieu, voilà ce que j’ai loué de cette riche et profonde méthode psychologique. Mais on comprend également que si elle est la voie, elle ne doit pas être le but, et que son tort est d’absorber l’esprit dans un détail d’analyse éternel, lequel condamne l’homme au supplice d’Ixion, tournant sans cesse sa roue sans avancer jamais. On comprend, en second lieu, que cette observation continue de soi-même manque de certitude dans ses résultats, qu’elle est plus induction que démonstration, qu’elle découvre plus de besoins qu’elle n’indique de remèdes, qu’elle soulève plus de problèmes qu’elle ne fournit de réponses. Enfin elle ne peut être une méthode complète, applicable à tout ordre de vérités religieuses : car si la Religion est un sentiment qui se révèle à la conscience, elle est aussi un fait, elle est une doctrine, et ni le dogme ni l’histoire ne relèvent, que je sache, de l’expérimentation de la conscience intime.

De là, dans le christianisme de Maine de Biran, d’immenses lacunes de l’ordre doctrinal et historique. Il n’avait lu qu’un livre, le livre de son âme ; il eût fallu en interroger un autre, celui de la révélation. Le premier ne fait que les demandes, les réponses sont dans le second. Aussi que de réponses lui manquent ! Chute, péché, rédemption, Église, sacrements : questions capitales dont on s’étonne que Maine de Biran ne dise rien. C’est parce qu’il n’en sait rien. C’est à l’autorité qu’il eût fallu s’adresser ; c’est elle seule, comme il l’avouait, « qui résout les problèmes que la philosophie propose ». Le cœur le sollicitait de s’en remettre à elle ; mais l’esprit, s’obstinant à tout examiner, tournoyait sur lui-même, pendant que l’âme procédait par un élan direct. Ils tendaient au même but, mais par un procédé et avec un mouvement de vitesse différent : le mouvement du cœur se faisait en ligne droite, le mouvement de l’esprit décrivait une spirale. C’était beaucoup plus long. Il devait arriver tard, mais enfin il arriva.

 

 

 

V

 

 

Maine de Biran allait avoir cinquante-huit ans : la vieillesse était venue pour lui avant l’âge. Il voyait « déjà descendre, comme lui-même s’exprime, les grandes ombres qui allaient bientôt l’envelopper ». Les forces morales diminuaient en même temps que les forces physiques, et il se plaignait tristement « de ne plus sentir en lui ce pressentiment de durée et de vie qui porte à entreprendre ». – « On se croit, on se dit malade, on se soigne, répétait-il. Vaines précautions ! La maladie qu’on porte en soi est incurable ; il faut s’y résigner et attendre patiemment la fin, la mort, qui est le seul remède 38. »

Un séjour à Saint-Sauveur et un autre aux Eaux-Bonnes, en 1819, avaient semblé conjurer le danger de sa santé. Mais, de retour à Grateloup, Maine de Biran s’était retrouvé aux prises avec toutes ses misères ; il se disait avec Jacob : Cunctis diebus quibus nunc milito, expecto donec veniat immutatio mea. J’attends, j’espère aussi tous les jours mon changement qui ne peut manquer d’arriver à la mort, quand l’âme sera délivrée de ce corps périssable, et libre de toutes ses entraves. Jusque-là je n’ai qu’à me résigner : Gloriabor in infirmitatibus meis 39. »

Ces infirmités ne firent que s’accroître dans les années suivantes : « J’ai été constamment dans un état maladif, écrit-il à la fin de juin 1820 ; toutes les membranes muqueuses sont affectées et produisent des désordres : la fièvre, la toux, un abattement singulier qui se communique à l’âme et lui ôte toute énergie de pensée et de volonté... Comme une plante qui se dessèche, j’attends l’influence du soleil, je souffre violence 40. »

Il venait d’écrire ces lignes douloureuses, quand, le 27 du même mois de juin 1820, il apprit la mort du jeune Loyson, maître de conférences à l’École normale, frappé subitement dans la maison que lui-même habitait à Paris. Il perdait dans Loyson un véritable ami d’intelligence et de cœur. Une paternité d’âme l’inclinait vers ce jeune homme de talent et d’avenir, philosophe et poète, dont en outre la vie « était pleine de souffrances, et dont les sentiments mélancoliques, dit-il, étaient comme le présage de sa fin prématurée ». Maine de Biran ne vit dans ce départ de son ami qu’une invitation à le suivre, et il lui adressa dans son journal intime cet adieu consolé par l’espérance : « Il est en paix, écrit-il ; j’espère que cette âme si belle jouit maintenant de la plénitude de vie, de lumière. Ô mon ami ! si, comme nous l’avons pensé quelquefois ensemble, les âmes ont un mode de communication intime et secrète, auquel les corps ne participent pas, votre âme doit avoir des moyens de se faire sentir à la mienne, et de lui inspirer des sentiments meilleurs, des croyances plus fixes 41. »

Les croyances chrétiennes se fixaient, en effet, de plus en plus dans son âme. Il y avait, dans l’année, tels jours solennels, comme le vendredi saint, qui ne s’écoulaient jamais sans laisser leur trace de joie ou de remords. Ce sont les jours où les sacrements apportent aux vrais chrétiens la visite de Dieu. Maine de Biran y aspirait ; il se sentait sollicité par les avances divines, mais sans y répondre encore ; et tout se passait pour lui en impressions confuses, sans le courage de l’action. Il y a tout cela entre ces lignes, écrites le 31 mars 1820 : « Il se passe toujours en moi des choses extraordinaires à cette époque de l’année ; mais je n’ai point de but. Je cherche des sentiments et des impressions au sein de cette religion que je voudrais aimer, et où je sens confusément qu’est placée toute consolation, toute espérance 42. »

Il avait dit de même dans une semaine pareille, quelques années auparavant : « Il y a dans l’air qu’on respire, à cette heureuse époque de l’année, quelque chose de spirituel qui semble attirer l’âme vers une autre région, et lui donner la force de se dégager en quelque sorte des liens du corps pour commencer une plus haute destinée 43. »

Un autre jour, jour semblable, vendredi saint 5 avril 1822, il médite un passage de saint Jean Chrysostome sur Jésus-Christ en croix, et quelques lignes au-dessous il place ces paroles : « Puissé-je consommer tranquillement mon sacrifice par la plus complète abnégation de moi-même 44 ! »

L’heure du sacrifice n’était pas éloignée, et Maine de Biran en sentait les approches : « L’homme extérieur se détruit, l’homme intérieur se renouvelle, écrit-il le 19 mars 1824 ; le moi divin aspire à sortir de cette boue et à rompre ses liens 45. » Et comme il ressentait vivement les aiguillons du mal qui le consumait : « Délivrez-moi du mal, s’écrie-t-il le 27 mars, et donnez à mon âme la force qu’elle n’a pas en elle-même pour s’élever vers vous et trouver son repos. Donnez-moi, Seigneur, et je vous rendrai ! Soutenez-moi contre ma faiblesse, sans vous je ne puis rien 46. »

À partir de ce moment, les pensées du journal deviennent de plus en plus rares, courtes, entrecoupées, comme les dernières syllabes d’une voix qui s’éteint. Elles deviennent aussi de plus en plus religieuses ; chaque ligne est une prière plaintive, mais résignée. Il s’écrie avec Job : Et factus sum mihimetipsi gravis. Il dit avec David : Miserere mei, Domine, quoniam in firmus sum. Puis, le 17 mai 1824, se traînant vers son journal pour la dernière fois, il y dépose, de sa main tremblante, les conclusions suprêmes de sa philosophie.

Ce sont d’abord quatre sentences morales que l’éternité prochaine semble déjà consacrer de son autorité :

« Il faut toujours être deux, et l’on peut dire de l’homme même individuel : Væ soli !

« Contre les affections déréglées et la douleur il faut la force de Dieu.

« Contre les égarements de la raison humaine il faut la lumière de Dieu.

« La sagesse, la vraie force, consiste à marcher en présence de Dieu, à se sentir soutenu par lui. Autrement, væ soli ! »

Puis résumant en trois lignes ses illusions passées, ses croyances présentes, ses espérances pour l’avenir :

« Le stoïcien est seul, dit-il solennellement, ou avec sa conscience de force propre qui le trompe.

« Le chrétien ne marche qu’en présence de Dieu et avec Dieu, par le Médiateur qu’il a pris pour guide de sa vie présente et future 47. »

Ce fut son dernier mot, et ce dernier mot était le nom de son Sauveur. Maine de Biran venait de jeter l’ancre dans le port. La philosophie séparée, jugée en dernier ressort et condamnée sans appel, se rattachait à la révélation et par elle à l’espoir de la claire vision, dont l’aube semblait déjà teindre ce front mourant.

C’était le 17 mai 1824 que Maine de Biran écrivait ce testament de sa foi. Là s’arrête le journal. Le malade passa encore deux longs mois à souffrir, à prier, à attendre, et le 20 juillet il remettait entre les mains du Médiateur divin l’âme inquiète qui n’avait cessé d’aspirer vers Lui.

On n’a pas de détails sur ses derniers instants. On sait seulement que sa fin fut chrétienne et pieuse, et qu’il y eut entre lui et ce Dieu tant cherché une rencontre et un embrassement dans la sainte communion de l’Église catholique. Quelques lignes trop courtes insérées dans une feuille religieuse du temps nous apprennent qu’un prélat qui était son ami, l’ayant visité souvent pendant ses derniers jours, lui ouvrit ces trésors de pardon et de consolation dont il n’avait peut-être pas assez connu le prix.

« Maine de Biran remplit d’une manière édifiante ses devoirs de chrétien, et reçut les sacrements des mains de son pasteur, M. le curé de Saint-Thomas d’Aquin 48. »

 

 

 

VI

 

 

Maine de Biran avait fait peu de bruit pendant sa vie, et le jour de ses obsèques il n’y eut que deux de ses disciples, M. Royer-Collard et M. Cousin, qui suivirent son cercueil, avec sa famille. Dix ans s’écoulèrent sans que ses écrits fussent livrés au public. M. Cousin, à qui la famille les confia, commença en 1834 et ne termina qu’en 1841 une première édition des Œuvres philosophiques. M. Ernest Naville, protestant genevois, publia les Pensées en 1857 ; puis, deux années après, les Œuvres inédites. C’est alors que l’opinion s’émut en sens divers autour de ce nom et de ces livres, comme dans l’antiquité on se battait sur la tombe des chefs les plus vaillants pour se disputer leurs armes.

Nul ne pouvait contester que Maine de Biran n’eût fini par la profession philosophique et pratique du christianisme. « Le philosophe de la volonté, écrivit M. Cousin, devait finir par le mysticisme, en invoquant une intervention divine, une grâce mystérieuse qui descend d’en haut sur l’homme 49. » Il était d’autant plus facile à M. Cousin de faire une pareille prédiction que, le premier, il avait lu le manuscrit du journal qui la montrait accomplie. Mais, gêné par les fortes conclusions chrétiennes de son ancien maître, il avait rendu le précieux cahier à la famille, ne trouvant pas à propos de le publier.

M. Jules Simon, dans la Revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1841, rendit compte de la publication des Œuvres philosophiques, et loua Maine de Biran de sa passion pour la psychologie. Il le loua beaucoup moins de son christianisme, qu’il affecta de confondre avec son royalisme : « Conservateur, disait-il, royaliste et catholique ne se séparaient guère alors. » Selon lui, Maine de Biran n’est « qu’un esprit timide et assez peu instruit, forcé dans ses discussions avec M. Cousin à revenir toujours au fait de la conscience, et pour le reste à la foi du charbonnier ». Il va jusqu’à écrire que le christianisme de Maine de Biran « ne se trouve que dans quelques phrases échappées à sa plume, qui trahissent une sorte de croyance à des communications directes entre Dieu et l’homme 50 ». L’excuse de M. Jules Simon est qu’il écrivait son article en 1841, et que les Pensées n’avaient pas encore paru à cette époque. Il n’avait pas davantage pu lire le Journal.

M. Sainte-Beuve l’a lu. Il lui a consacré une de ces élégantes Causeries du lundi aux couleurs chatoyantes, où chacun peut trouver la nuance qu’il préfère. Malgré certaines critiques dont quelques-unes sont sévères, il a bien reconnu les vertus propres de ce livre : la richesse des vues, la sincérité parfaite, l’honnêteté, la bonté, la profondeur à force de candeur, un sentiment moral qui anime et personnifie ses recherches, qui les rend touchantes et qui leur donne, avec plus de douceur et d’affection, quelque chose de l’intérêt qu’auront éternellement les angoisses et les fluctuations orageuses de Pascal à la poursuite du bonheur. « Bien des esprits, dit-il, suivront et partageront ainsi désormais les vicissitudes morales de Maine de Biran. Ces tourments sont d’une noble espèce, et l’humanité a, de tout temps, estimé ceux qui y furent sujets et qui se sont montrés capables de ces belles croix 51. »

Enfin, sur ce sujet, la conclusion de M. Sainte-Beuve est qu’il ne conclut rien, et il termine son étude par cette curieuse et pauvre fin de non-recevoir : « Quand on a bien lu ce livre, il naît, selon l’esprit et les dispositions qu’on y apporte, une foule de réflexions sur les problèmes les plus importants et les plus déliés de notre condition humaine. Mais la nature si délicate de ces problèmes fait qu’il vaut mieux que chacun tire sa leçon comme il l’entend et boive l’eau de la source à sa manière. Je me suis borné à faire mon office et à montrer le chemin 52. »

Mais ce chemin mène à un but, et ce but a un nom : c’est le christianisme ; et les vraies conclusions de cette étude sont celles du P. Gratry, de M. Nicolas et de M. Naville.

D’abord, dans l’ordre moral, la leçon principale qui ressort de ce livre, celle qui domine les autres, c’est qu’un cœur droit, honnête, délivré des attaches aux choses périssables, soulevé par une prière humble et persévérante, aidé d’ailleurs des secours qui l’environnent dans un milieu chrétien, peut, en partant du degré le plus infime de la pensée, remonter graduellement jusqu’à la vérité, qui vient au-devant de lui, parce qu’Elle a déclaré qu’elle ouvre à ceux qui frappent à la porte, et que les cœurs purs verront Dieu.

Dans l’ordre intellectuel, le livre de Maine de Biran offre deux conclusions non contradictoires, mais différentes. Il prouve la puissance comme aussi l’impuissance de la philosophie ; il constate également son étendue et ses limites.

Certes, quand on voit un homme de la valeur intellectuelle de Maine de Biran traverser cinquante années d’études, de souffrances, d’expériences, de recherches, de sollicitudes anxieuses, pour parvenir à peine dans ses derniers moments à retrouver les bases de la philosophie chrétienne, on ne peut s’empêcher premièrement de confesser qu’il y a dans cette méthode de psychologie expérimentale une infirmité chronique, irrémédiable. Même fût-elle plus puissante, fût-elle même souveraine, elle ne saurait encore devenir la méthode populaire et universelle. Trois ou quatre hommes peuvent bien, dans le long cours des siècles, se condamner à ces veilles et battre leur esprit, comme on bat le silex, pour en faire sortir après beaucoup de temps une étincelle de vérité. Mais il est évident que l’humanité en masse n’a ni le temps, ni le génie, ni le courage de s’enfoncer dans ce travail de beaucoup de peine et de peu de profit ; et que Dieu a dû faire luire, au lieu de l’étincelle, un foyer de lumière éclatant, manifeste, accessible à tous, tel que l’autorité, dans l’Église catholique, nous en offre le bienfait. À la masse des hommes il faut une doctrine enseignée et toute faite. Or nous sommes tous de cette masse ; car quel est celui d’entre nous, si fort, si grand fût-il, qui irait se consumer dans de telles recherches, pour mourir, ainsi que Maine de Biran, une heure après avoir trouvé la vérité, ou, ce qui serait infiniment plus triste encore, une heure avant de la découvrir ?

Mais ceci supposé, et une fois admise l’impossibilité de l’étude individuelle pour la masse des hommes ; une fois reconnue, même pour l’élite des esprits, l’impuissance de la science séparée de la foi, il est facile de trouver, dans Maine de Biran, la part belle encore de la vraie philosophie, son devoir, ses fonctions, son rôle d’introductrice à la théologie, ainsi qu’on l’appelait au moyen âge. On peut dire d’elle, comme du Précurseur dans l’Évangile, qu’elle n’est pas la lumière, du moins toute la lumière ; mais elle rend témoignage à cette lumière divine qui éclaire tout homme venant en ce monde. Elle l’appelle, l’entrevoit, la prophétise, la montre à ceux qui ne la connaissent pas : Ecce Agnus Dei ; elle prépare ses voies : Parate vias ! et elle lui laisse l’empire dont elle a dressé pour elle le trône dans les âmes.

Voilà jusqu’à quel point de foi et de religion l’observation de soi-même, de son cœur et de ses besoins, avait conduit cet homme. Ce qui fait le prix singulier de ses Pensées, c’est donc la révélation des affinités secrètes que le christianisme rencontre dans les âmes. Le jour où ce livre entrait dans la publicité, la démonstration morale du christianisme recevait une confirmation expérimentale. Une observation incessante de l’expérience de près de trente années avait prouvé qu’il y a entre la révélation et notre âme bien comprise une telle harmonie, qu’il devient impossible de creuser le fond de l’une sans y trouver la place toute faite pour l’autre. Ainsi la Religion se montrait, dans ce livre, comme une seconde nature superposée à l’autre, la nature chrétienne, pour me servir de l’expression célèbre de Tertullien. La connaissance de soi-même avait conduit logiquement à la connaissance de Dieu, selon le titre profond d’un livre de Bossuet, et le Nosce teipsum du pythagoricien trouvait son complément dans cette belle formule de saint Augustin : Noverim te, Deus ! noverim me !

Voilà la philosophie de Maine de Biran. Ce fut la philosophie du passé, celle de saint Anselme, de saint Thomas, de Bossuet, de Leibnitz, de Fénelon. Ce sera la philosophie de l’avenir, si l’avenir doit faire faire un grand pas aux esprits.

« Oh ! que nous sommes loin, s’écrie M. Naville à la dernière page de son Introduction aux Œuvres de Maine de Biran, que nous sommes loin d’avoir solidement implanté dans le sol de la science ces vérités évangéliques que le cœur réclame, que la conscience accepte, qui éclairent l’esprit, étendent son horizon, et tout ensemble le préservent des abîmes ! Que nous sommes loin de voir régner une philosophie digne de ce nom, qui nous laisse le Dieu vivant et vrai, créateur du monde et de l’humanité, l’ordre moral dans toute sa pureté sainte, un soulagement à nos souffrances, un pardon à nos fautes, la prière et les fermes espérances de l’avenir !

« Reprenons donc, poursuivons l’œuvre si excellente de la science chrétienne ! Que la pensée qui a transformé le monde verse toujours plus ses eaux profondes et pures dans le domaine propre de la philosophie, Dans cette œuvre aidons-nous du travail des siècles et des efforts des docteurs de l’Église. Aidons-nous des recherches de toutes les intelligences, de toutes les âmes sincères qui, comme Maine de Biran, sont venues à la foi sans déserter la science..., et, munis de ces ressources, marchons en avant 53 ! »

 

 

 

Mgr Louis BAUNARD,

Le doute et ses victimes dans le siècle présent,

1891.

 

 

 

 



1 Voy. Vie de Maine de Biran, par M. E. Naville, p. 74 et passim.

2 Pensées de Maine de Biran, p. 290, 291 et passim.

3 Ibid., p. 127.

4 Vie de M. de Biran, p. 11.

5 Ibid., p. 12.

6 Pensées, p. 140.

7 Ibid., p. 120.

8 Ibid., p. 146.

9 Vie de M. de Biran, p. 35.

10 Pensées, p. 334.

11 Pensées, p. 120.

12 Ibid., 29 août 1814, p. 149.

13 Pensées, 12 avril 1815, p. 173.

14 Ibid., p. 183.

15 Ibid., p, 140.

16 Pensées, 29 août 1819, p. 305.

17 Pensées, p. 212.

18 À M. Maine de Biran. – Œuv. choisies de Charles Loyson. Paris, Albanel, 1869.

19 Cette belle lettre commence ainsi : « Monsieur le comte, j’ai beaucoup aimé les mathématiques, et j’ai longtemps été ce que l’on nomme en France un philosophe. Aussi j’ai vécu plus de trente ans sans Dieu et plein de mépris pour le christianisme... » Ayant décrit les étapes de sa conversion, il entreprend celle de M. de la Place : « Monsieur le comte, vous êtes un des plus beaux ornements de ce siècle et de votre nation. Vous tenez avec gloire le sceptre de bien des sciences... ; mais, ne vous offensez pas de mon utile franchise, il est trop vrai que vous ignorez la religion et même la philosophie... Il serait digne de vous de vous élever à une philosophie plus haute. J’ose vous en sommer au nom de votre propre génie, de votre bonheur, de votre gloire, du bien de votre nation et de celui de l’humanité. Oui, M. de la Place philosophe et religieux exercerait sur son siècle une influence à laquelle rien ne peut être comparé. Vous bornerez-vous, Monsieur, à être le premier de nos géomètres, quand vous pourriez devenir le plus grand de nos bienfaiteurs ?

« Ah ! laissez pour quelques instants reposer les mathématiques ! Ne soyez plus absorbé tout entier par des questions qui n’ont de valeur que dans le temps et dans l’espace. Consacrez aussi quelques veilles à ce qui est réel en soi-même, à ce qui veut être étudié en esprit et en vérité. La plus belle, la plus importante découverte vous reste encore à faire et à publier : c’est celle d’un Dieu créateur, Père et Juge suprême, devant qui doit s’humilier la raison la plus superbe, et qui mérite l’adoration de tous les cœurs dignes du nom d’humains.

« Cette lettre, monsieur le comte, est aujourd’hui un gage de mon respect pour vous. Puisse-t-elle n’être jamais citée en témoignage contre vous, parce que l’homme de génie aurait méprisé les avis de l’homme simple, mais doué d’un sens droit, studieux et sincère... » (Voy. l’étude de M. Albert du Boys sur SÉBASTIEN DE PLANTA OU UN PHILOSOPHE INCONNU, Annales de philosophie chrétienne, nouv. série, t. I, 1879, pp.149 et 245.)

20 Pensées, p. 267, et Vie, p. 80.

21 Ibid., p. 321.

22 Pensées, pp. 312 et 313.

23 Pensées, pp. 267 et 268.

24 Ibid., p. 374.

25 Pensées, p. 410.

26 Ibid., p. 399.

27 Ibid.

28 Pensées, p. 300.

29 Ibid. Fénelon cité, p. 277.

30 Ibid., pp. 384, 385.

31 Ibid., p. 302.

32 Ibid., p. 328.

33 Pensées, p. 325.

34 Ibid., p. 410.

35 Ibid., p. 414.

36 Pensées, p. 407.

37 Ibid., p. 437.

38 Pensées, p. 284.

39 Ibid., p. 311.

40 Ibid., p. 330.

41 Pensées, p. 335. C’est à ce jeune professeur, mort le 20 juin 1820, à l’âge de vingt-neuf ans, dans les sentiments de christianisme qui furent ceux de toute sa vie, que M. Cousin adressait cet adieu prononcé sur sa tombe :

« Mon cher Loyson, nos cœurs sont devant ton cercueil. Nous y apportons une douleur que le temps ne pourra ni effacer ni distraire, mais que la raison et la foi éclairent. Les révolutions du temps et de l’espace, les troubles de la nature, ce phénomène d’un jour qu’on appelle la vie a cessé pour toi ; mais l’immortelle existence t’a recueilli dans son sein. Repose en paix, pauvre jeune homme ; ta journée a été rude, que ton sommeil soit doux !

« Il est vrai que tu n’as paru qu’un instant sur la terre ; mais pendant cet instant si court tu as cru à la sainteté de l’âme, à celle du devoir, à tout ce qui est beau, à tout ce qui est bien, et tu n’as cessé de nourrir dans ton cœur les seules espérances qui ne trompent point. Ta vie a été pure, ta mort chrétienne. J’ai besoin de me souvenir que c’est là l’unique éloge que ta précieuse modestie voulût bien recevoir... » (Notice nécrologique, par M. Patin, de l’Académie française. Œuvres choisies de Ch. Loyson. Introduction, p. XIV. Paris, Albanel, 1859.

42 Pensées, p. 321.

43 Ibid., 29 avril 1816, p. 201-202.

44 Pensées, 5 avril 1822, p. 375-376.

45 Ibid., p. 418.

46 Ibid., p. 420.

47 Pensées, p. 421, fin.

48 Ami de la religion du 24 juillet 1824.

49 M. Cousin. Préface des Œuvres philos. de Maine de Biran, pp. XXXVIII et XLI.

50 M. Jules Simon, Philosophes français. – Revue des Deux-Mondes, 1841, p. 653.

51 Sainte-Beuve, Causeries du lundi, XXII, 6 avril 1857, pp.

52 Id., ibid., p. 264.

53 M. Ernest Naville, Œuvres inéd. de M. de Biran, Introd., pp. CCXII et suiv.

 

 

 

 

 

 

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