La France est un pays de résurrection
par
René BAZIN
Notre France, au cours de son histoire, a connu de bien durs moments. Dix fois, ses ennemis, qui la guettent à mourir, ont cru qu’elle allait enfin disparaître de la carte du monde, cette nation dont ils convoitent le sol et la richesse, dont ils convoiteraient l’esprit s’ils le pouvaient saisir. Elle est éprise d’idéal, ambitieuse de répandre les idées qu’elle aime, capable de tous les sacrifices, moins commerçante que soldat, et moins soldat que missionnaire. Dieu lui a demandé, en la formant, et par les dons qu’il lui a faits, de répandre la vérité religieuse, et toute la justice et toute la bonté qui s’ensuivent. Elle a été l’initiatrice des croisades, qui furent les luttes armées de la civilisation chrétienne contre la barbarie musulmane. À coups d’épée, elle défendit non pas seulement l’Europe menacée d’invasions, l’indépendance des royaumes d’alors, les vies humaines, les maisons, les richesses, mais les âmes, et leur progrès, dont le germe a été mis dans la morale divine et non ailleurs. Elle combattit pour le bonheur présent et futur de l’humanité. On vous a dit que les croisades furent au nombre de huit. Cela est vrai, car il n’y en a que huit qui soient terminées. Mais la neuvième a commencé tout de suite après la huitième, et elle continue. Elle ne se fait plus sur les champs de bataille, et les chevaliers de France ne luttent plus, pour l’honneur de Dieu et pour le bien de leurs frères, avec des armes d’acier. Ils combattent par la parole et par la plume, par le sacrifice, par la prière, par l’exemple. Quand un homme prend soin de vos âmes, s’efforce de leur donner plus de pureté, plus de vaillance, plus d’amour de Dieu, plus de charité envers le prochain, plus de fidélité dans le devoir, cet homme est un chevalier. Un instituteur, une institutrice qui vous forment ainsi au bien, sont des chevaliers. Les plus pauvres gens d’une paroisse, que ni la pauvreté, ni la moquerie, ni la menace quelquefois, ne détournent de leurs devoirs religieux, font partie de la chevalerie nouvelle, et de même ceux qui relèvent une injure adressée à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Avec les évêques et les prêtres, avec les savants, les écrivains, les artistes qui défendent la foi attaquée, avec les saintes femmes qui soignent les malades dans les hôpitaux et qui le font avec une compassion véritable, ils forment la nombreuse armée de la neuvième croisade, et c’est par eux que sera maintenue, à jamais, la doctrine de noblesse, de justice et d’amour. Vous ne voyez, sur leur tête, ni le casque, ni l’aigrette de plumes, vous ne voyez pas de cuirasse sur leur poitrine, ni de bouclier dans leurs mains. Mais peu importe. Le costume du soldat peut changer : c’est le combat qui est le même, et le cœur qui est semblable.
Cette nation missionnaire a de grands défauts, qui tiennent à son ardeur, à sa promptitude d’émotion, à la rage de sa logique, et, pour le surplus, aux causes qui rendent, partout ailleurs, les hommes faibles, envieux, paresseux et méchants. Elle se divise, elle se laisse égarer, elle détruit elle-même son bien ; par moments elle n’a plus de justice, ni de frein d’aucune sorte. L’ennemi profite souvent de ces divisions pour l’attaquer. Peu de pays sont tombés aussi bas que l’était la France au temps de Charles VII. Il lui fut envoyé alors, vous le savez, un secours miraculeux, en la personne de Jeanne d’Arc, de la bonne Lorraine, dont on peut dire avec vérité : « Aucune nation moderne n’a, dans ses annales, une figure pareille à celle de Jeanne d’Arc, héroïne, sainte et martyre... Il n’est pas permis aux Français d’ignorer, d’effacer ou d’altérer son souvenir, et il ne leur est pas permis de ne pas se connaître et s’aimer en elle 1. » Mais ce n’est point seulement à cette époque que l’on vit la France comme morte, et qu’on la vit bientôt après pleine d’une vie nouvelle, rendue à l’espérance, puis à la grandeur : c’est dix fois au cours de son histoire que cette merveille a frappé le monde d’étonnement. Le relèvement du pays se faisait, à chaque fois, d’une manière différente et plus ou moins rapide. Mais la chère douce France pouvait dire pareillement : « J’ai été sauvée. » Un jurisconsulte du XVIIe siècle, Claude Henrys, avait traversé la période bien troublée de la Fronde. Il avait vu la France s’en échapper. Il savait ce que c’est que de chercher son espoir comme on cherche son pain, difficilement. Et il a célébré, dans sa huitième harangue, cette miséricorde de Dieu, qui tire la France, toujours, de ses périls extérieurs ou intérieurs, et qui la fait renaître. Il use d’une belle comparaison :
« Il semble que la France se maintienne par où les autres États se perdent, et que la Providence divine permette, par une faveur particulière envers ce royaume, qu’il subsiste par les mêmes accidents qui en renversent plusieurs.
« En effet, on peut dire qu’en cela, la France ressemble à la mer, qu’elle a quelque rapport à cet élément, et que, comme les vagues et les orages empêchent la corruption de la mer, ce soient aussi les mouvements divers qui consomment les mauvaises humeurs de la France. Quand on croit qu’elle est à la veille de souffrir les plus grands désordres, c’est alors qu’elle se remet en meilleur état, et qu’elle tire profit de ses fautes. C’est par l’agitation qu’elle s’affermit encore mieux, et, en un mot, tout ainsi que la mer, son plus grand calme vient de la tourmente ».
Plusieurs fois, depuis le temps de Claude Henrys, la France a été encore accablée, puis relevée, accablée par ses fautes et sauvée par une grâce évidente de Dieu, qui ne veut pas laisser périr sa nation missionnaire, la fille aînée de son Église, sa préférée, le pays que la Vierge Marie a choisi pour y apparaître. Lorsque vous entendrez dire que la France est perdue, ne le croyez pas, enfants, dites qu’elle ressuscitera, et joignez les mains afin que l’heure soit proche.
René BAZIN, La douce France, 1911.