La prière de Péguy

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Albert BÉGUIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La prière est partout présente dans l’œuvre comme dans la vie de Charles Péguy ; aucun des grands moments de sa poésie n’est dépourvu d’une tendance manifeste à l’oraison, et son existence personnelle se résume en une progressive ouverture de son âme à l’esprit de prière. Le ton même, le rythme fondamental de son style, avec ses grands mouvements continus, soutenus par la répétition, ne s’expliquent pas assez par ce « perpétuel affleurement » de la pensée dont il parle quelque part, ou par le souci bergsonien de « suivre fidèlement les modalités, les modulations, les ondulations de la réalité ». Il faut y voir encore, et plus essentiellement, le penchant naturel de l’oraison à s’épandre en litanie.

Dès la première Jeanne d’Arc de 1897, alors que Péguy n’a pas encore trouvé sa prose particulière, il écrit déjà en « style Péguy » les passages en vers, inventant d’un coup ses laisses d’alexandrins massifs, aux coupes très personnelles. Et ces moments lyriques correspondent pour la plupart aux prières de Jeanne : prières d’angoisse, d’appel, de demande, quand la bergère souffre à la vue du mal sur la terre ou à l’idée qu’il y a des âmes damnées, pour lesquelles on ne peut prier et dont le sort échappe à tout espoir de réversibilité. Mais dès lors, à Jeanne qui se sent solidaire des âmes damnées et qui offre sa propre damnation pour leur salut, la nonne, Madame Gervaise, répond par les paroles les plus chrétiennes de ce premier drame ; parlant le langage des ancêtres de Péguy, langage que lui-même ne pourra parler que beaucoup plus tard, elle explique à Jeannette qu’on ne sauve qu’en se joignant à la prière de Jésus, et que si Jésus n’a pas sauvé les âmes des Enfers, dans son agonie il a prié pour elles comme pour tous les autres hommes. Ainsi, dans ces pages anciennes déjà, Péguy établit entre la prière du fidèle et l’imitation de Jésus-Christ ce lien étroit qu’il affirmera si souvent à l’heure où il sera redevenu un homme qui sait prier. Vivre dans l’agonie, assumer la détresse, et prier, en d’autres termes, imiter la vie et la prière de Notre-Seigneur : tel est le précepte de Madame Gervaise. « Jésus a prêché ; Jésus a prié ; Jésus a souffert. Nous devons l’imiter dans toute la mesure de nos forces... »

La première en date des grandes litanies en prose, dans l’œuvre de Péguy, suit de près son retour à la foi qui est chose accomplie depuis quelques mois lorsque, en septembre 1908, il confie brusquement à Joseph Lotte : « Je ne t’ai pas tout dit... Je suis catholique ». C’est, dans le cahier De la situation faite au parti intellectuel d’octobre 1907, l’immense et magnifique éloge de Paris, qui précède d’ailleurs une première « présentation de la Beauce ». Or, l’un des thèmes qui s’entrecroisent pour définir dans sa continuité et ses contradictions la « ville unique au monde » est le thème de la prière :

 

... la ville qui a le plus souffert pour le salut temporel de l’humanité..., la ville aussi, la ville encore, la ville toujours, la ville quand même qui a le plus souffert, qui a le plus travaillé, qui a le plus prié pour un salut qui dépasse infiniment le salut temporel... Ville pour ainsi dire la plus extérieure du plus de vie intérieure...

Ville du corps et ville de l’esprit... Ville quand on veut du plus total silence... Du plus grand des biens : le silence. Du silence qui est presque aussi cher que la conversation d’un ami, plus éternel, presque aussi cher que l’interruption que lui fait une voix amie ; la plus grande peut-être des préfigurations terrestres...

Ville du plus d’élévation, du plus de contemplation, du plus de méditation. Ville de la plus grande prière.

Ville où se fabrique, ville où se fomente et se cuit, comme on cuit le pain, ville où germe et travaille le plus de cette matière de l’élévation dans cette forme de l’élévation, de la contemplation, de la méditation. De la prière.

Ville où se vend le plus de vice, où se donne le plus de prière...

Ville de la perdition. Ville du salut...

 

Péguy fait ainsi l’épreuve de tout un vocabulaire qui sera celui de ses poèmes chrétiens et (pour lui appliquer l’expression d’Éluard) prononce « quelques-uns des mots qui jusqu’ici lui étaient mystérieusement interdits » : silence, salut, solitude, mystique, prière, race et grâce, etc. Dans ce même cahier, il parle pour la première fois de la prière. Du coup, il la situe tout près des larmes et de la détresse, issue d’elles, mais en remontant, d’un mouvement qui est ici de noblesse, de dignité, de courage (qui ne sera que plus tard d’espérance). Citant Vigny : Prier, pleurer, gémir est également lâche, Péguy poursuit :

 

Prier est d’un autre ordre que les deux autres. Prier n’est sans doute pas ce que Vigny s’était ce jour-là représenté. Ni aucun autre jour. Même, en poussant plus loin l’analyse, on découvrirait assez rapidement que les deux autres termes se dessoudent eux-mêmes l’un de l’autre ; que pleurer se dessoude de gémir ; ou plutôt, poussant encore un peu plus loin..., que pleurer lui-même se coupe en deux, s’analyse en deux, se dessoude de lui-même ; qu’il y a un pleurer qui redescend vers gémir, vers geindre et se plaindre mais qu’il y a un pleurer qui remonte vers prier. (Saint Louis, Le don des larmes.)

 

Mais, si cette page encore timide permet d’entrevoir par quelle voie Péguy est revenu à la prière, c’est à partir des Mystères que la prière envahit son œuvre. Ou, pour mieux dire, la prière et la poésie ensemble, d’une même naissance, montent de très loin dans le passé personnel et ancestral, et envahissent l’âme de Péguy. Les trois Mystères contiennent, sur la prière et son efficacité, des pages que tout le monde connaît, depuis l’image de l’enfant qui s’endort en confondant le Notre Père avec le Je vous salue, Marie sous le regard de Dieu attendri, jusqu’à l’évocation de saint Louis et de ses Français, dont l’oraison est celle d’hommes libres, sans servilité et par là-même agréables à Dieu. Plus belle encore, et plus riche de signification, l’immense flotte des prières montant vers Dieu en un grand vol triangulaire dont la prière de Jésus forme la pointe avancée, cependant que dans son sillage s’avancent d’abord les Pater, vaisseaux de haut bord, puis, plus humbles, les blancs Ave, semblables à de « virginales birèmes », et enfin la cohorte innombrable des autres oraisons, celles de la messe, des vêpres, du salut, et celles qui ne seront jamais formulées en paroles, « les obscurs bons mouvements du cœur » que « celui qui en est le siège n’aperçoit même pas ».

Pourtant, l’œuvre en alexandrins, où Péguy poète atteint à sa perfection, accomplit plus profondément encore l’union de la prière et de la poésie : les deux Présentations, de Paris et de la Beauce, l’invocation à Eve (Et moi je vous salue...), la Prière pour nous autres charnels, c’est-à-dire tous les sommets poétiques des dernières années, sont proprement des oraisons. Et la seconde Présentation est suivie des Quatre prières dans la cathédrale (une cinquième vient de nous être révélée par l’édition de « La Pléiade ») qui sont, avec deux ou trois pièces de Verlaine, les poèmes français les plus approchés de la simple prière.

Un long chemin intérieur a ramené Péguy à ses origines profondes ; peut-être n’est-il pas impossible d’en retracer l’itinéraire, et de montrer que dans son expérience intime la prière avait une place nécessaire, qui fut réservée longtemps et ne pouvait être finalement occupée que le jour où la prière lui apparut comme l’unique solution, l’unique réponse à l’angoisse de toute sa vie : angoisse du vieillissement, de la « mémoire chargée », angoisse de qui a gardé le souvenir et la nostalgie de la pureté.

 

 

 

 

 

I

 

 

« Il y a dans l’enseignement et dans l’enfance

quelque chose de si sacré... »

(Pierre)

 

 

Péguy est d’abord un homme qui a eu une enfance pure. Dans un faubourg dont il a pu dire qu’il était encore l’ancienne France, l’enfant a connu divers enseignements qui tous furent de pureté. Le milieu artisan l’initia à une morale de la décence, de l’honneur dans le travail, et de ce qu’il devait appeler plus tard la « justesse d’âme ». « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises du même esprit et du même cœur, et de la même main que ce même peuple avait taillé ses cathédrales » écrit-il dans L’Argent. Et, mesurant toute la distance de ce monde-là au monde moderne, il désigne ce qui s’est perdu : une morale qui ne séparait pas le travail de la prière et qui faisait de chaque atelier un oratoire, où le labeur exact était un hommage de la créature à son Créateur.

 

Tout était un rythme et un rite et une cérémonie depuis le petit lever. Tout était un évènement, sacré... Tout était une élévation intérieure, et une prière, toute la journée, le sommeil et la veille, le travail et le peu de repos, le lit et la table, la soupe et le bœuf, la maison et le jardin, la porte et la rue, la cour et le pas de porte, et les assiettes sur la table.

 

La seconde initiation à la pureté, Péguy la reçut à l’école, dans les deux classes parallèles des instituteurs républicains (« ces nourrissons de la République, ces hussards noirs de la sévérité... ») et des prêtres. Les uns et les autres « nos instituteurs et nos curés, cela ferait un assez bon titre de roman » pouvaient préconiser des doctrines antagonistes, l’enfant n’y prenait pas garde : qu’importait, « pourvu que ce fussent des enseignements » ?

 

Il y a dans cette première ouverture des yeux de l’enfant sur le monde... quelque chose de si religieux que ces deux enseignements se liaient dans nos cœurs. Nous aimions l’Église et la République ensemble, et nous les aimions d’un même cœur, et c’était un cœur d’enfant... À présent l’Église a notre foi et tout ce qui lui revient, mais Dieu seul sait combien nous sommes restés engagés de cœur et d’honneur dans cette République, parce qu’elle fut une des deux puretés de notre enfance.

Mais aussi : Aujourd’hui je puis dire sans offenser personne que la métaphysique de nos maîtres n’a plus pour nous et pour personne aucune espèce d’existence, et la métaphysique des curés a pris possession de nos êtres à une profondeur que les curés eux-mêmes se seraient bien gardés de soupçonner. (L’Argent, 1913.)

 

Péguy savait l’importance de ces initiations premières, et que toute sa vie se passerait à retrouver le don précieux qui lui avait été fait d’une âme pieuse et d’une vie dont les générations successives étaient parvenues à faire une constante oraison.

 

Rien n’est mystérieux comme ces sourdes préparations qui attendent l’homme au seuil de toute vie. Tout est joué avant que nous ayons douze ans. Vingt ans, trente ans d’un travail acharné, toute une vie de labeur ne fera pas, ne défera pas ce qui a été fait, ce qui a été défait, une fois pour toutes, avant nous, sans nous, pour nous, contre nous... (L’Argent.)

... Tout ce que je ne me représentais pas le matin de ma première communion, je ne me le représenterai jamais. (Note conjointe.)

 

Ce qui a été fait pour Péguy avant lui, et qui lui a été légué, il est facile de l’apercevoir. Il a reçu d’abord le don de fidélité : un attachement profond à ces puretés initiales, et à toute pureté. Et c’est parce qu’il confrontera l’existence des peuples, des hommes, et la sienne propre, à cet absolu de pureté, qu’il connaîtra l’angoisse du « vieillissement », de la flétrissure infligée par le temps à tout ce qui est du temps.

Il doit aussi à son enfance le respect du terrestre et du charnel, qui devait l’amener à si bien ordonner sa vue de l’univers autour du fait de l’Incarnation. S’il a affirmé avec tant de ferveur la présence du spirituel dans les humbles réalités terrestres, c’est qu’il avait été initié au spirituel comme l’étaient les fidèles du moyen âge : par le langage concret des rites et des images, et surtout par les gestes, le maintien, le comportement quotidien des êtres depuis longtemps christianisés qui l’entouraient. De là sa méfiance envers la « lettre », envers toute abstraction, et sa persuasion que l’âme ignorante est favorisée d’une plus immédiate proximité à l’esprit. De là encore son amour de la paroisse, forme concrète, saisissable, de la chrétienté. Je suis l’homme dans la paroisse, ne cessera-t-il de répéter, et en même temps qu’il témoigne ainsi de sa très profonde humilité, il confesse un besoin essentiel de son âme chrétienne : besoin d’une présence proche et familière, et besoin de communion, qui sera pour lui la source de tant de bonheur, mais de tant de souffrance, quand sa vie le tiendra éloigné de toute paroisse.

De son enfance encore, Péguy tiendra le sentiment d’une responsabilité particulière qui lui incombe parce que, lui qui est le type même du boursier, il sait qu’il est le plus riche des « héritiers » ; il a reçu des siens un patrimoine fait des silences accumulés de multiples générations. Par ce silence, quelque chose s’est gardé pur, un peu du paradis originel, de la pureté des puretés, qui n’a été gâtée par aucune parole humaine. Et voici qu’une paroisse plus vaste apparaît, prolongeant la paroisse natale, lui ajoutant les paroissiens défunts depuis des âges, remontant et franchissant les temps dans une communion immense ; dans cette communauté des générations silencieuses, voici que l’esprit est présent, terrestrement présent. La page la plus connue de Péguy prosateur est ce morceau de bravoure à la fois lyrique et comique, grave et jovial, d’une verve inépuisable, (dans Victor Marie comte Hugo) il découvre en lui-même l’impérieuse présence des « tenaces aïeux ». Mais il est une page plus belle, plus intérieure, celle où (dans Note conjointe), ayant évoqué une promenade avec Benda et comparé le juif, qui lit depuis toujours, au chrétien qui sait lire « depuis lui », il se retourne vers les ancêtres taciturnes, et mesure son privilège de venir premier manifester par la parole ce qui s’est conservé intact dans la succession de ceux qui ne s’exprimaient que par les gestes et les grands actes solennels de la vie.

 

L’homme se retourne vers l’innombrable, vers le tacite, vers l’immense océan de sa silencieuse race. Quelle réserve !... quel trésor secret ! Mais surtout quels mystérieux prolongements ! Comme ces océans qui se prolongent de latitude en latitude, ainsi le silence premier rompu de toutes parts ailleurs s’est prolongé d’âge en âge dans le silence de l’ignorance de l’âme. Et cette silencieuse race est le seul écho que nous puissions percevoir du silence premier de la création.

Silence de la prière et silence du vœu, silence du repos et silence du travail même ; silence du septième jour, mais silence des six jours mêmes ; la voix seule de Dieu ; silence de l’oraison ; silence de la contemplation et de l’offrande ; silence de la méditation et du deuil ; silence de la pauvreté ; silence de l’élévation et de la retombée.

Dans cet immense parlement du monde moderne, l’homme écoute le silence immense de sa race.

 

C’est d’ailleurs ce sentiment de n’être que le porte-parole des « vieux » et le « chroniqueur » (mais : « je ne me dissimule pas que d’être le chroniqueur, c’est tout ce qu’il y a de plus grave... C’est un ordre de fidélité propre. C’est peut-être l’ordre de fidélité je sens bien que je ne serai jamais infidèle »), c’est cette fidélité qui inspire à Péguy sa profonde humilité. On se trompe souvent aux déclarations d’un naïf orgueil, qui n’est en réalité que l’affirmation d’une noblesse native et d’une exceptionnelle responsabilité. Si, racontant à Lotte son pèlerinage à Chartres, il ose dire : « Je n’ai pas une vie ordinaire... J’ai un office... Au fond, c’est une renaissance catholique qui se fait par moi » ; s’il lui confie tranquillement qu’il a « des trésors de grâce et un ange gardien étonnant » ; si, écrivant en 1909 à son ami Baillet, devenu bénédictin, il se considère comme une sentinelle avancée : « Il est difficile de vivre en chrétien dans les frontières où j’ai été placé » ; il répète sans cesse, avec la même sincérité : « Je suis un pécheur, je ne suis pas un saint. La sainteté, ça se reconnaît tout de suite... Je suis un pécheur, un bon pécheur... Je suis un chroniqueur, un témoin, un chrétien dans la paroisse. » Et c’est lui qui, comme Lotte préparait un essai sur son œuvre, lui adressa le 1er mai 1912 cette humble parole :

 

« Il importe extrêmement de ne pas m’affubler en Père de l’Église. C’est déjà beaucoup d’en être le fils. »

 

Enfin, l’enfance orléanaise de Péguy lui enseigna une fidélité encore, qui devait être également décisive pour l’orientation de sa prière et de sa poésie : la fidélité à Jeanne d’Arc et, plus généralement, la piété envers les intercesseurs, Notre-Dame, saint Louis, sainte Geneviève. Cette dévotion est pour lui celle de ses premières années et de sa ville natale ; elle satisfait son humilité et certain penchant à faire oraison dans les petites chapelles des bas-côtés, tandis que les circonstances de sa vie lui interdisent l’approche de la sainte Table ; et de plus les saints sont les figures exemplaires de cette présence du Saint-Esprit dans des créatures terrestres, humaines, familières, qui seule conquiert l’adhésion du cœur de Péguy. Mais bientôt les urgentes interrogations que l’expérience et l’âge allaient lui poser devaient conférer à l’invocation des saints intercesseurs un sens plus profond encore.

 

 

 

 

« Il sait que depuis qu’il y a l’homme

nul homme n’a jamais été heureux. »

(Clio.)

 

Au sortir d’une telle enfance, que prolongea quelque temps, au lycée, l’apprentissage des grands classiques grecs et français, école d’honneur, de noblesse, de liberté humaine, dominée par les deux figures d’Antigone et de Polyeucte qui seront parmi les patrons de la paroisse idéale de Péguy, il était inévitable que le premier contact avec la vie adulte et le monde moderne lui imposât, en attendant la souffrance et la révolte, une infidélité involontaire et momentanée. On connaît les lignes de Clio Péguy, parvenu au seuil de la quarantaine, résume sa vie :

 

Il sait ce que c’est que Péguy. Il sait notamment que Péguy, c’est ce petit garçon de dix, douze ans qu’il a longtemps connu se promenant sur les levées de la Loire. Il sait aussi que Péguy c’est cet ardent et sombre et stupide jeune homme, dix-huit, vingt ans, qu’il a connu quelques années tout frais débarqué à Paris. Il sait aussi qu’aussitôt après a commencé la période... d’un certain masque et d’une certaine déformation de théâtre... Il sait enfin que la Sorbonne et l’École normale et les partis politiques ont pu lui dérober sa jeunesse, mais qu’ils ne lui ont pas dérobé son cœur... Il sait aussi que toute la période intercalaire ne compte pas, n’existe pas..., et il sait que la période de masque est finie et qu’elle ne reviendra jamais. Et qu’heureusement la mort viendra plutôt.

Car il sait que depuis quelques années, depuis qu’il est parvenu à ses trente-trois, trente-cinq, trente-sept ans et qu’il les a passés..., il sait qu’il a retrouvé l’être qu’il est : un bon Français de l’espèce ordinaire, et vers Dieu un fidèle et un pécheur de la commune espèce.

 

Ainsi, pour un temps, il a pu être trompé par les prestiges de la science historienne et des fameuses méthodes « objectives « ; mais il n’a pas tardé à reconnaître que ces curiosités et ces ambitions de connaissance « désintéressée » ne répondraient jamais à son besoin d’une tout autre vérité ; et, prétextant qu’« il n’y voyait plus clair », il a quitté l’École normale pour s’en aller écrire sa première Jeanne d’Arc. Pour un temps aussi, et d’un engagement plus total de soi-même, il a confié tous ses espoirs au rêve d’une « cité harmonieuse », il a cédé à l’optimisme humanitaire, imaginé une « République socialiste universelle » d’où les hommes, maîtres de leur destin, auraient éliminé le mal ; mais son âme tragique et chrétienne l’a bientôt averti que cette croyance ne pouvait être sienne ; et, s’il n’a jamais consenti à renier son socialisme, il a tracé de Jaurès, à regret, avec l’amertume d’une amitié déçue, un portrait symbolique qui est un aveu de défaite : « Je n’ai jamais vu rien de plus désolant ni de plus désolé que cet optimiste professionnel ». Enfin, entré en lice, lors de l’affaire Dreyfus, pour la Justice, contre les traitements d’exception, ou, comme il le dit admirablement, pour éviter « que la France fût constituée en état de péché mortel », il s’aperçut vite que ses compagnons de lutte étaient loin de ces raisons d’être ; et c’est ainsi que, revenant à sa solitude, il conçut sa fameuse distinction entre la « politique » et la « mystique ».

En chacune de ces aventures, de ces erreurs, Péguy fait une même expérience, celle que ne cesseront jamais de recommencer les êtres entrés dans la vie, comme lui, avec le besoin et l’habitude ancestrale de la pureté : l’expérience de ce qu’il appelle le vieillissement. Peu à peu, il apprend à ses dépens « le grand secret des hommes de quarante ans » ; il apprend que « l’on n’est pas heureux », parce que vivre dégrade, parce qu’inexorablement la vie est une continuelle déperdition, un progressif éloignement de la Pureté première. Toute l’existence terrestre n’est jamais, au long des années et des âges, que ce chemin à sens unique, cette pente qui se descend et ne se remonte pas. Une même loi régit le destin de l’individu et l’histoire humaine, c’est la loi de l’habitude qui émousse, appesantit et roidit tout ce qui à l’origine était jaillissement, légèreté, souplesse jeune. Les heures et les jours, les ans et les siècles marquent toutes choses de la « blessure », de la terrible « ride de la mémoire chargée ». Et cela signifie bien plus qu’un simple affaiblissement ou une perte d’énergie ; car, ce qui était vivant, naissant, neuf, et qui par là était esprit, devient mécanique, habituel, routinier, perdant ainsi ce principe de vie, cette âme qui est donnée à toute naissance, à toute enfance. Le vieillissement qui angoisse Péguy, ce n’est pas l’inquiétante fuite du temps, que l’on ne peut retenir dans sa course à la mort ; sa crainte n’est pas de voir s’achever trop vite les plaisirs de cette existence, et son désir n’est pas de retenir les instants fugitifs dont le Docteur Faust prétendait s’emparer. Le « vieillissement », c’est une chute dans la matière, une rechute de toute pureté vers l’imperfection, de tout esprit vers sa matérialisation ; la crainte de Péguy est de voir un voile de plus en plus opaque descendre entre le regard et l’unique objet qui mérite contemplation ; son vœu est de garder assez d’esprit d’enfance pour entendre dans tout instant la voix qui l’anime, le fait naître et à travers lui se manifeste.

 

De la naissance temporelle à la mort temporelle, il y a un certain chemin que le voyageur (c’est nous, mon ami, c’est tout homme, c’est toute l’humanité, c’est toute la création), un certain chemin de pèlerinage que tous les pèlerins suivent toujours et dans le même sens, et que l’on ne refait pas... De la création temporelle à la consommation des temps, il y a une usure, un frottement irrévocable, un vieillissement sans retour, sinon sans regrets et sans remords, vers la consommation du temps même.

 

Ces lignes de Clio définissent l’angoisse majeure de Péguy dès l’instant où il est vraiment lui-même. Le problème du mal, qu’il avait cru pouvoir poser et résoudre, comme le fait le monde moderne, sur le seul plan social et « historique », se trouve reporté désormais sur le plan métaphysique. Le tourment de l’ancienne Jeanne d’Arc, exprimé dans son incessante question : « Comment faut-il sauver ? Qui faut-il sauver ? » n’avait trouvé qu’une réponse provisoire dans l’espoir de « porter remède au mal universel humain » par un meilleur aménagement de la société. C’est d’un autre salut qu’il s’agit maintenant, et le remède ne saurait plus être l’œuvre des hommes. Car, ce que Péguy vient de comprendre, c’est que le Mal est inhérent à la condition humaine, à l’existence temporelle ; c’est que son autre nom est le Temps.

Ce mal essentiel à notre nature, comment pourrions-nous y remédier ? Existe-t-il un moyen de supprimer le Temps, de le transcender ou, mieux, de l’accomplir ? Si la loi de l’existence terrestre est une loi d’inévitable flétrissure, comment y échapper ? Comment rendre à la terre sa qualité de création, c’est-à-dire de matière en laquelle s’incarne et s’exprime l’esprit ?est, enfin, le lieu d’où l’on accède à l’éternel, d’où l’on communique à nouveau à la Pureté première ?

Longtemps, Péguy ne peut opposer à ces lancinantes questions que des réponses négatives : « Nous ne retournerons jamais sans une profonde mélancolie vers la première pureté, vers l’âge qui avait un autre goût, vers l’âge où rien n’était engagé encore » (Clio). Qu’il se tourne vers le spectacle des hommes autour de lui, vers l’histoire de l’humanité, ou qu’il se penche sur lui-même, il n’arrive qu’à la tragique nostalgie d’un paradis à jamais perdu. L’œuvre d’art, par exemple, déchoit de ce qu’elle était dès l’instant où, l’ayant achevée, son auteur en devient le premier spectateur et inaugure un regard sur elle qui lui ôte sa naissante vie. Dans toute existence (et c’est ici l’un des aveux les plus déchirants de Péguy) une autre déchéance se marque lorsque cesse la vie privée et que commence l’action publique, avec ce qu’elle comporte nécessairement d’inexact, de mensonger, et surtout de trop rigide dans l’expression du secret intérieur.

Parmi tant de constatations qui ramenaient la pensée de Péguy à son unique tourment, il en est une qui fut décisive et qui rendit plus urgente la solution. Dès qu’en 1905 il s’aperçoit que la France est sous la menace quotidienne d’une agression, Péguy s’effraie ; car il voit son pays gouverné par ces « modernes » optimistes qui ignorent que la nature est blessée et qui ne se doutent même plus qu’en se laissant aller à la pente naturelle, ils s’éloignent fatalement, eux et leur patrie, de la pureté et des sources de vie. Ce sont des « habitués », des êtres qui ont perdu le souvenir de la vraie grandeur et de la vraie misère de l’homme et pour Péguy « il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse. Et c’est d’avoir une âme habituée ». Car c’est avoir une âme « vernie », recouverte d’une dure écorce, et qui ne peut plus désormais « mouiller à la grâce ». Autant dire que c’est être entré dans la mort et la pétrification. Le vice de tous ces « modernes », c’est que, ne souffrant pas d’une déchéance que leur optimisme humain leur cache, ils n’éprouvent pas le besoin de remonter aux sources pures du vrai patrimoine français. Ils ne savent plus que, si la France doit vivre et être défendue, ce n’est pas seulement parce qu’elle existe, mais parce qu’elle s’était donné, ou avait reçu, une mission particulière de témoignage : parce qu’elle avait précisément, à un degré éminent, une juste notion de la vie humaine. Sentant son pays menacé du dehors, Péguy se demande s’il est dans des conditions spirituelles et morales qui lui permettraient de faire face au danger ; il s’inquiète de le voir affaibli par un mal qui consiste avant tout dans l’oubli des origines chrétiennes de l’âme française. Alors, de même que pour se défendre du terrible « vieillissement » il s’est retourné vers son enfance, de même il se retourne vers le passé de sa race. Ou, plutôt, rejoignant son enfance, il rejoint du même coup, résidant au cœur des années lointaines, cette France fidèle à elle-même, chrétienne, consciente de la détresse humaine et des espoirs humains, qu’il se donnera pour mission de rappeler à la vie. Tout son effort, dans son œuvre polémique d’abord, puis dans ses poèmes, sera de remonter la pente du vieillissement français, des habitudes françaises, de la « modernisation » française : de remonter, en un mot, le courant séculaire des laïcisations. Il refera à l’envers cette évolution qui, de tous les instincts chrétiens enracinés dans la tradition française instincts de liberté personnelle, de dignité de la créature, de charité a fait peu à peu les mots d’ordre d’une politique vidée de ses contenus spirituels. Ne croyons pas que, pour autant, il prenne position de réactionnaire ; il sait trop bien ce qu’il y a de valable et de vivant dans la tradition révolutionnaire, qu’il porte en lui autant que la tradition « ancienne France ». Et ce n’est pas le passé qu’il aime ; c’est ce qui s’est manifesté de vérité éternelle à travers certaines formes de l’existence française d’autrefois, et qui se manifestera encore, mais sous des formes nouvelles. Cela lui permet d’être, de notre temps, le seul, ou peu s’en faut, qui ait eu une conscience profonde de l’unité française dans le temps, de l’essentielle continuité de la France par-dessus la coupure de 1789.

Mais Péguy ne se contente pas d’élucider, dans une série de débats et d’écrits polémiques, les données du drame français. Ce beau lutteur ne peut se borner à désigner le mal. Il est de ceux qui dépassent l’étape des nostalgies, parce qu’il est homme d’action, au sens le plus profond du mot : ses véritables actes ne sont pas ses coups de boutoir contre Jaurès ou contre la Sorbonne ; ils sont prière et poésie.

À ce moment de sa vie qui précède la délivrance en lui de l’oraison et du chant, Péguy est dans l’état d’attente anxieuse qui annonce les grands évènements intérieurs : en un point qui n’est ni de la pensée ni du sentiment, mais un point de l’être, un point de vie se creuse un vide, une lacune douloureuse, qui donne un intolérable vertige. Longtemps, le malaise peut demeurer vague et indéterminé, mais il finit par tomber sous la lumière de la conscience et par se traduire en une question. Rien ne guérira pourtant le tourment de l’âme alertée, tant que l’abîme apparu en elle ne sera pas comblé ; aucune certitude ne pourra être apaisante, ne pourra même s’ancrer dans l’esprit, si elle ne vient très exactement épouser le moule qui s’était ainsi creusé ; aucun acte de foi ne sera possible, sinon celui qui répondra à l’unique question sans cesse posée au point de crise. Et la vérité, en elle-même immuable, devra prendre, pour conquérir l’assentiment de chaque être mis en cette attente, les contours préfigurés par son interrogation personnelle.

Pour Péguy, rien ne sera résolu tant que n’aura pas abouti sa quête d’un lieu intérieur, d’une position de la conscience à partir de laquelle le temps perde son caractère de fatalité destructrice. Il ne songe pas, nous l’avons vu, à fuir le monde temporel parce qu’il est éphémère et insaisissable, mais à surmonter la corruption, à accéder à la pureté. Cependant, pour lui, qui, enfant, fut initié à la présence du spirituel dans les humbles réalités terrestres, et qui maintenant est en quête de raisons d’être pour sa patrie terrestre autant que pour soi-même, il ne saurait s’agir d’une évasion, d’une désincarnation, de l’accès à une pureté toute « spirituelle » qui, dès ici-bas, serait atteinte par un regard désépris des choses d’ici-bas. Nulle ambition baudelairienne de « s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé ». Péguy est préservé d’une pareille tentation par l’esprit d’humilité et d’obédience qui lui dictait en 1913 la phrase merveilleuse que rapporte Alain-Fournier : « Dieu aurait-il oublié quelque part un paradis terrestre, que nous n’aurions pas le droit d’y aller avant le jour du Jugement ». Il en est préservé encore par son attachement au monde des choses et des êtres familiers, auquel il ne saurait renoncer, et qui lui inspirera un hic et nunc bien différent de celui qui exprime les espoirs « magiques » de la poésie moderne. La seule paix de l’âme qu’il puisse entrevoir sera celle qui permettra toutes les terrestres amours pour le pays, les villages, les blés, les fleuves, les cathédrales, et qui fera de ces amours le commencement de l’Amour. De tout son désir, il appelle une grâce qui donnerait au contemplatif la joie d’aimer ces choses, non pas du pauvre amour souffrant que, fragiles, nous avons pour de fragiles existences, mais dans la pureté d’un amour qui, aimant en elles Celui qui les fait être, les soustrairait à la flétrissure du temps.

Péguy espère découvrir, au détour de son chemin intérieur, le château au sommet d’un mont d’où la terre apparaisse dans sa pleine signification de vase réside l’esprit ; il pressent que, s’il parvient à ce regard, l’homme prisonnier du temps se verra lui-même dans la plénitude de sa destinée intemporelle. Cependant, anima naturaliter christiana, Péguy devine aussi que l’on n’atteint pas à cette cime en se détournant de l’humaine détresse, mais bien en l’assumant ; non pas en prétendant se soustraire à l’existence temporelle, mais en la menant à son accomplissement et à sa signification. En termes pascaliens (qui ne sont jamais déplacés quand il s’agit de Péguy), la grandeur de l’homme ne lui apparaîtra que s’il envisage et confesse sa misère.

 

 

 

 

 

II

 

 

« Le chrétien se voit dans une

véritable, dans une réelle éternité. »

(Clio.)

 

 

La poésie est l’instrument qui a été donné à Péguy pour atteindre à cet amour, à ce regard, pour faire descendre dans la vacance intérieure la présence qui comblera l’appel du cœur. Son œuvre poétique est davantage qu’un témoignage sur sa « conversion » : elle est acte de conversion. L’un des miracles de sa poésie (et qui apparaît dans la valeur que parviennent à y prendre tels objets concrets simplement appelés par leur nom) est de restituer les choses à leur pureté, de faire éclater en elles l’esprit qui s’y incarne, et par là de les arracher à leur inanité d’objets esclaves de la corruption temporelle, pour les installer dans leur immuable fonction de signes et de symboles. Comme le dit saint Jean de la Croix, « chaque créature élève en quelque sorte la voix pour proclamer ce que Dieu est en elle ». L’âme à tout instant, par cette contemplation, se trouve établie en une attitude profonde où elle est capable de remonter le chemin du « vieillissement ».

Les Mystères marquent une étape décisive sur la route qui mène Péguy de l’angoisse à l’espérance. Les thèmes qui y reviennent le plus fréquemment et qui, introduits sur le ton d’une impatiente interrogation, finissent par la paix de la possession, sont les deux thèmes étroitement unis de l’enfance admirable et de la présence du spirituel. Cela commence par la nostalgie de l’enfance perdue, paradis enfoui en deçà des années inexorables, pureté à jamais quittée. Rien n’est beau que ce qui est jeune, naissant, jaillissant. Rien n’est lumineux que le passé enfantin, celui de l’homme, celui des hommes. Mais l’éloge de l’enfance, qui pourrait s’en tenir au regret, se transforme peu à peu en éloge de la « petite fille espérance », renaissante à tout instant, restaurant la jeunesse dans le cœur vieilli, capable de rendre une enfance nouvelle à l’âge même de la misère et de la déchéance. Ce que Péguy, et avec lui la Jeanne d’Arc des Mystères, enseignée par Madame Gervaise, comprennent petit à petit, c’est que réellement l’éternel est présent en toute minute temporelle ; c’est que cette consolante certitude, qui sauve la terre du Temps, est fondée, centrée sur le dogme chrétien de l’Incarnation et sur les promesses qu’il renferme.

Dans la première prière, si belle, du Mystère de la charité, qui est une prière de désolation, Jeannette se plaint, inconsolable, de n’être pas née dans la paroisse de Bethléem, en ce temps qui ne fut qu’une fois, où des hommes d’un jour virent Dieu présent parmi eux. Une seule paroisse au monde a donc eu cette chance unique, a reçu ce que les plus belles paroisses de chrétienté, Chartres, et Rouen, et Paris, et Orléans, et Bourges, n’obtiendront jamais. « Villes cathédrales, vous n’avez point vu cela... Il était à portée de la voix, il était à portée de la main, il était à portée des yeux, du regard des yeux, et cela ne recommencera point. » Mais à cette plainte, Madame Gervaise répond, et voici que ses paroles, toutes simples, suppriment ce privilège d’un âge ancien et rendent à toutes les paroisses de tous les temps le bonheur de posséder la présence réelle du Seigneur, que Jeannette avait cru réservé à l’enfance de la chrétienté.

 

Il est là...

Il est parmi nous comme au jour de sa mort.

Il est parmi nous dans tous les jours de son éternité.

Tous les bourgs sont chrétiens, tous les bourgs sont sacrés.

Tous les bourgs sont à Dieu sous le regard de Dieu...

 

Cet hymne de joie exprime la certitude salvatrice que Péguy souhaitait, celle qui devait opérer en lui la conversion, parce qu’elle était une garantie contre la terrible menace du temps destructeur. Sans doute, tout le christianisme de Péguy peut-il se définir par les propositions du catéchisme, « Nous croyons intégralement ce qu’il y a dans le catéchisme, et c’est devenu et c’est resté notre chair » (L’Argent), et il a ceci d’admirable qu’il est simplement la foi de tout le monde. Mais son expérience et par conséquent son expression du christianisme ont, comme toujours, un caractère très personnel, tenant aux voies particulières par lesquelles chaque croyant reçoit communication du rayon qui atteint en lui le centre des adhésions. Lui-même, dans Clio, a parlé mieux que personne de la souplesse avec laquelle la grâce adapte ses méthodes à chaque âme individuelle :

 

Quand la grâce veut avoir un être, elle l’a. Quand elle veut avoir une créature, elle l’a. Elle ne prend pas les mêmes chemins que nous. Elle prend les chemins qu’elle veut. Elle ne prend même pas les mêmes chemins qu’elle-même. Elle ne prend jamais deux fois le même chemin... Quand elle ne vient point par en-dessus, c’est qu’elle vient par en-dessous... Et cette eau de cette source, quand elle ne procède point comme une fontaine jaillissante, elle peut, si elle veut, procéder comme une eau qui suinte sournoisement par en-dessous d’une digue de Loire.

 

Pour Péguy, il me paraît évident que la grâce a pris le visage d’une réponse à son inquiétude dominante, et qu’il a « retrouvé la foi » le jour où il a découvert qu’elle seule apportait une solution au problème du temps, tel qu’il hantait sa pensée. Ainsi s’expliquent toutes les préférences de sa vie chrétienne et les perspectives intérieures de sa théologie poétique. Ainsi s’éclaire, en particulier, l’importance que prend à ses yeux la communion des saints, dont il a parlé si merveilleusement. Dans L’Argent, il écrit ces lignes, que l’on pourrait invoquer aussi s’il s’agissait de préciser l’attitude de Péguy envers les sacrements, qu’on lui a reproché de trop sacrifier à la prière et en toute clarté il situe sa croyance dans le prolongement du problème du Temps :

 

Il est entendu que tout l’évènement est irréversible mais l’éternel et le sacramentel est et demeure égal et le même dans tous les siècles et est soustrait à l’évènement : et le corpus Christi et le salut d’une âme sont et demeurent les mêmes et de même prix.

 

Ce passage met en lumière la place privilégiée qu’aura toujours, dans le catholicisme de Péguy, la continuité de l’Église, corps du Christ ; soustraite à l’irréversibilité de l’évènement, elle manifeste dans la communion des fidèles à travers les siècles le triomphe incessant de l’éternité sur le temps. L’Église est « une dans le temps, une dans l’éternité », dira-t-il encore. Et cette solidarité avec les générations antérieures que le poète, retourné vers « l’océan de sa race », éprouvait naguère sous une forme encore profane, prend maintenant le sens supérieur de la communia sanctorum. « Il n’y a qu’une sainteté, qui vient de Jésus. » Tous les saints et tous les fidèles, et tous les pécheurs forment à travers les âges une chaîne continue ; et cette chaîne-là, à la différence du temps irréversible, se remonte comme elle se descend. Vision rassurante aux yeux de celui que tourmentait la hantise d’une pente qui ne se remonte jamais ! Cette chaîne qui abolit la loi du temps est, en effet, la chaîne descendante de l’imitation, qui, partie de Jésus, s’en va de saint en saint jusqu’au dernier pécheur ; mais elle est en même temps la chaîne montante de la prière, qui remonte du dernier pécheur aux intercesseurs et à Jésus.

Cette image de la double pente, Péguy la reprend plusieurs fois, parce qu’elle est proprement pour lui une image salvatrice : une vue du monde qui le délivre de la plus torturante de ses pensées et qui y substitue la miraculeuse impression d’être directement et doublement relié à la source de toute vie.

Il faudrait souligner toutes les lignes du texte admirablement précis où, dans Un nouveau théologien, Péguy dessine, si l’on peut dire, l’architecture de l’Église dont Jésus est la clef de voûte. Cette page figure dans un écrit polémique contre un critique qui, s’en prenant au Mystère de la charité, avait déclaré qu’on ne pouvait « se refaire une âme du XVe siècle ». À cette objection inspirée si typiquement de l’esprit historien et de la croyance en un temps qui ne se remonte pas, Péguy oppose d’abord la vigueur de sa verve satirique ; mais, dans ce grand flot sainement burlesque, des rocs solides se dressent lorsque, reprenant le ton grave, l’auteur formule les articles de sa foi. Telle sa définition du chrétien :

 

Nul n’est aussi compétent que le pécheur en matière de chrétienté. Nul, si ce n’est le saint. Et en principe, c’est le même homme... Le pécheur tend la main au saint, puisque le saint donne la main au pécheur. Et tous ensemble, l’un par l’autre, l’un tirant l’autre, ils font une chaîne qui remonte jusqu’à Jésus, une chaîne aux doigts indéliables... Celui qui n’est pas chrétien, c’est celui qui ne donne pas la main...

 

La dernière phrase me semble bien indiquer, par son image familière et tendre, quelle joie Péguy éprouvait à se sentir l’un de ceux qui « donnent la main ». Il poursuit :

 

On n’est pas chrétien parce qu’on est à un certain niveau moral, intellectuel, spirituel même. On est chrétien parce qu’on est d’une certaine race remontante, d’une certaine race mystique, d’une certaine race spirituelle et charnelle, temporelle et éternelle, d’un certain sang.

 

Mais la suite du texte montre mieux encore que Péguy confère à la communion des saints la signification d’une clef permettant de résoudre le problème du temps :

 

La communion des saints est, en un de ses sens, cette saisie directe que nous avons, nous chrétiens, non seulement des saints du XVe siècle, mais ensemble des saints de tous les siècles, et ensemble éminemment de Jésus, par la prière et par les sacrements, par la grâce, par les mérites de Jésus-Christ et des saints, cette saisie immédiate, instantanée, intemporelle, éternelle.

 

La gradation de ces quatre adjectifs révèle bien le mouvement d’ascension qui est ici celui de la pensée, s’élevant du monde temporel à la saisie de l’intemporel. Il s’agit bien d’une réelle accession à l’éternité, et nous pouvons observer que cette fois les deux termes qui servent à marquer les deux sens de la « chaîne » sont, d’une part, pour la montée de la créature vers son Seigneur, la prière, et d’autre part, pour la manifestation d’éternelle présence du Seigneur, les sacrements (qui prennent ici la place dévolue tout à l’heure à l’Imitation).

Une page de Clio, enfin, définit à nouveau la communion des saints par rapport au besoin intérieur de surmonter le temps :

 

Le chrétien se voit sous le regard des nombreuses générations antérieures, depuis Jésus-Christ. Il se voit sous la protection des innombrables saints antérieurs... Ou plutôt, le chrétien se voit dans le présent, dans le passé, dans le futur. Car il se voit dans une véritable, dans une réelle éternité. Le chrétien se regarde sous la protection... de tous les saints passés, ensemble, et ensemble de tous les saints présents, et ensemble de tous les saints à venir. C’est même ce que l’on nomme la communion des saints.

 

Aucun doute n’est possible : tant d’insistance, et tant d’exactitude dans l’articulation intérieure de cette doctrine prouvent qu’il s’agit là d’un point essentiel de la méditation chrétienne de Péguy, et de ce que l’on voudrait appeler l’un des points de naissance de sa foi. Il n’est presque aucune page importante de son œuvre, aucun aspect de sa croyance qui ne doive être rattaché à ce bonheur qu’il éprouvait à méditer sur la communion des saints. C’est dans cette perspective qu’il faut ranger, pour les bien comprendre, les vastes développements des Mystères sur l’espérance, qui n’est une vertu de la créature que parce qu’elle a été d’abord ceci d’incroyable : l’espérance que Dieu a mise en sa créature. « Dieu a pris les devants, Dieu a commencé... Il faut faire espérance à Dieu. Dieu nous a fait espérance. » Il a espéré en nous au point de nous confier ses divines paroles ; il nous a laissé la faculté de les faire vivre à travers le temps ou de les priver du « corps charnel » dont elles ont besoin. Il dépend de nous que « l’âme ne manque point de corps, que Jésus ne manque point d’Église, de son Église..., que Dieu ne manque point de sa création. » C’est ici que la continuité des générations pieuses, la fidélité au patrimoine de la race, la vie des patries chrétiennes prennent leur véritable sens. Si les ordonnances terrestres sont douées d’une éminente grandeur, si les cités charnelles sont « le corps et l’essai de la maison de Dieu », c’est qu’elles ont mission de prêter vie à la Parole, qui sans elles « n’aurait point lieu » sur la terre.

 

Mystère des Mystères, ce privilège nous a été donné,

Ce privilège incroyable, exorbitant,

De conserver vivantes les paroles de vie,

De nourrir de notre sang, de notre chair, de notre cœur

Des paroles qui sans nous retomberaient décharnées.

... Mystère, danger, bonheur, malheur, grâce de Dieu, choix unique,

Responsabilité effrayante, misère, grandeur de notre vie,

Nous créatures éphémères, c’est-à-dire qui ne durons qu’un jour,

... Grâce unique (risque de quelle disgrâce ?),

Fragiles, c’est de nous qu’il dépend que la parole éternelle

Retentisse ou ne retentisse pas.

C’est pour cela, mon enfant, pour cela même

(Tu t’y reconnais, tu t’y retrouves)

C’est pour cela qu’il faut que France, que chrétienté continue ;

Pour que la parole éternelle ne retombe pas morte dans un silence,

Dans un vide charnel.

 

De nouveau, c’est l’image d’une chaîne formée à travers le temps qui s’impose à l’esprit du poète, et la communion des saints, l’unité de l’Église trouve pour symbole la scène qui se répète d’âge en âge sous le porche de l’église dans toute paroisse chrétienne :

 

Comme au seuil de l’église le dimanche et les jours de fête,

Quand on va à la messe.

Ou dans les enterrements,

On se passe, on se donne l’eau bénite de la main à la main,

De proche en proche, l’une après l’autre...,

Un morceau de buis bénit trempé dans l’eau bénite,

Pour faire le signe de la croix sur soi-même vivant, soit sur nous-mêmes soit sur le cercueil de celui qui est mort,

De sorte que le même signe de la croix est comme porté de proche en proche par la même eau...,

Ainsi de mains en mains, de doigts en doigts...,

Les générations éternelles.

Qui éternellement vont à la messe,

Dans les mêmes poitrines, dans les mêmes cœurs, jusqu’à l’enterrement du monde,

Se relayant,

Dans la même espérance se passent la parole de Dieu.

 

C’est également dans la lumière de la même doctrine que l’on comprendra la nécessité des saints intercesseurs et le choix que Péguy fait de ceux auxquels s’adressent de préférence ses oraisons. Dans son humilité et la conscience de sa misère, la créature n’ose se proposer l’imitation de Notre-Seigneur, et sa prière ne s’enhardit pas toujours jusqu’à Lui. Mais, en imitant les saints qui L’ont imité, en adressant ses prières à ceux qui sont dignes de les Lui présenter, le simple fidèle se place au terme de la longue chaîne qui franchit les âges. Péguy élit pour ses modèles et ses intercesseurs ceux qui lui représentent le mieux la présence du Saint-Esprit dans les choses d’ici-bas, et le lien mystérieux qui unit les fidélités terrestres à la fidélité envers Dieu, dont elles sont « le commencement et le premier essai ». Ce sont d’abord les saints de France : saint Louis, qui fut roi et chevalier ; sainte Geneviève, en qui l’on voit que « Dieu ne fait rien que par simple bergère » ; et son arrière-fille Jeanne d’Arc, aimée entre toutes parce qu’elle est la sainte d’Orléans, et une fille de la campagne, née parmi « des gens comme tous ceux où nous avons vécu étant petits », parce que « de toutes les saintes... sa vie et sa Passion et sa mort fut imitée au plus près de la vie et de la Passion et de la mort de Jésus » et plus encore parce qu’elle fut « appelée par une vocation divine en terre humaine ». Mais la sainte Vierge elle-même est pour Péguy une sainte de France, Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres, à qui il « présente » en hommage « la moisson des deuils et la moisson des fêtes » et « la profonde houle et l’océan des blés ». Les litanies de la sainte Vierge que l’on trouve dans les Mystères et les Tapisseries, celles qu’il faut parfois sous-entendre sous les invocations adressées à Eve, renferment, sinon une théologie mariale, du moins les raisons profondes et très conscientes de la dévotion particulière que Péguy vouait à la Mère de Dieu : la seule qui fût « ensemble divine et charnelle », elle lui présentait l’adorable image vivante de cette indissoluble union du temporel et de l’éternel, de l’humain et du divin, qui était pour lui la grande révélation chrétienne. En elle, il voyait éminemment le mystère du corps et de l’esprit, joints ensemble « comme deux mains jointes pour la prière ». Eve aussi, que Péguy range au nombre des intercesseurs, lui est chère comme mère des hommes et préfiguration de la Mère de Dieu, mais surtout parce qu’elle est celle qui, ayant connu la pureté originelle, fut la première soumise à la loi du vieillissement, la première à savoir la détresse de la condition temporelle, d’une science d’autant plus cruelle qu’elle se souvenait d’« une création naissante et sans mémoire », et de « l’égal déroulement des saisons gouvernées », et « des blés enfants jaillis pour les enfants des hommes ».

Toujours dans ce même ordre universel qui s’offre à la méditation de Péguy depuis que, chrétien, il « se voit dans une réelle éternité », s’inscrit une doctrine du péché qu’il a longuement exposée et qui mériterait un commentaire théologique. Avant la venue du Rédempteur, le Péché était « une immense habitude », la marque toute-puissante du Temps flétrisseur, la manifestation sensible du mal inhérent à la condition temporelle. Mais la venue du Christ a créé une situation nouvelle, qui range le pécheur dans la chaîne de ceux qui « donnent la main ». Désormais, le péché est une source d’inquiétude, un ferment qui empêche la mortelle habitude de figer les âmes ; il rend l’être mouvant, le déraidit, le met dans la dépendance du salut gratuitement offert. Ainsi, l’acte « historique » de Jésus fut d’intégrer le péché dans le « mécanisme du salut », qui est le mécanisme de toute l’histoire humaine.

Les deux œuvres majeures de Péguy, Clio et Ève, ont pour sujet propre l’expérience spirituelle que l’on pourrait appeler son « invention » de l’éternité ; le dialogue en prose et l’immense poème constituent ensemble la plus grande philosophie chrétienne de l’histoire que l’on ait édifiée depuis Bossuet. Personne n’est parvenu comme Péguy, avec cette sûreté et cette simplicité, à faire entrer l’univers dans l’ordre du salut ou, pour employer ses propres termes, à « aligner l’homme face au jugement dernier ». Ève est le poème de l’incarnation et de l’intercession. L’amertume d’Ève après la chute, lorsqu’elle a perdu le « climat de la grâce » miraculeusement recréé par les premières strophes du poème, fera place peu à peu à l’espérance, à mesure que le poète parviendra mieux à ordonner toutes choses autour du mystère central de l’Incarnation. C’est d’abord la salutation de Jésus à Ève, à la vénérable aïeule qui est grande de toute la détresse humaine assumée pour la première fois :

 

Et moi je vous salue, ô la première, femme

Et la plus malheureuse et la plus décevante

Et la plus immobile et la plus émouvante,

Aïeule aux longs cheveux, mère de Notre-Dame...

 

... Et je vous aime tant, première soucieuse,

Et vainement assise aux jardins de la peur.

Et moi je vous salue ô la plus anxieuse

Et la plus écrasée aux rêves de torpeur...

 

L’épopée chrétienne retrace exactement le chemin intérieur de son auteur : il entre dans la voie de l’apaisement dès que, découvrant la dignité du terrestre, il lui donne pour fondement la venue de Jésus-Christ et son prolongement dans les générations ininterrompues qui se passent l’eau bénite à travers les âges. Le poète développe, avec une extraordinaire richesse de symboles et une stricte rigueur de construction, une seule certitude centrale : le sang qui coule dans les veines des hommes, le sang qu’ils versent pour « les cités charnelles », est le même sang qui a coulé dans les veines de l’Enfant de la Crèche, le même qui fut versé sur la Croix. Tout se déduit de là : le dogme de la résurrection des corps, qui inspire à Péguy une magnifique vision, et le sens de la mort humaine, et le déroulement des siècles rangés autour du Fait unique. Par l’incarnation, l’abîme entre l’éternité et le temps a été franchi une fois, mais une fois qui n’est pas enfermée en un point des âges, une fois qui transfigure tous les instants : le même sang qui fut versé un jour est encore celui qui est versé chaque jour à l’autel. Les armées de Rome et de la Grèce, les grands empires d’Asie n’ont existé que pour le Christ, de même que les siècles qui sont venus après lui.

Le poème dégage aussi une notion singulièrement profonde de la civilisation chrétienne : elle n’est point la simple application d’un ordre, d’une morale tirée de l’Évangile et mise en préceptes d’existence commune. Elle n’est pas d’abord ce qu’humainement on nommerait équilibre. Elle est cette forme de vie entre les créatures qui sans cesse les restitue, et restitue la création entière à sa mission de témoin du Créateur, rendant ainsi aux âmes et aux choses elles-mêmes cette pureté, cette enfance soustraite à l’« habitude », à laquelle Péguy ne cesse d’aspirer. Car être chrétien, c’est imiter Jésus-Christ, et imiter d’abord l’enfance de Jésus-Christ pour se préparer à L’imiter jusque dans sa Passion ; et cela est valable pour un monde chrétien, autant que pour un homme chrétien. Le poète d’Ève fait acte d’imitation, non seulement quand il évoque Jésus au berceau entre l’âne et le bœuf, ou Jésus en croix, mais aussi quand il raconte l’histoire universelle en tant qu’histoire de la Rédemption ; et surtout quand sa poésie est une louange de la terre en sorte qu’elle soit la terre de Dieu : tout, champs et bois, fleuves et plaines, cathédrales et chapelles, fidélité à la patrie, honneur des maisons paternelles, misère, détresse, et finalement, couronnant tout, résumant dans leurs morts parallèles l’héroïsme terrestre et la divine sainteté, les deux patronnes, Geneviève et Jeanne, tout ce qui est de la terre finit par être, non pas comme disait Jakob Boehme le portrait d’une personne absente, mais le portrait d’une personne présente.

Le poème revient, comme à son leitmotiv dominant, à la victoire sur le temps destructeur par « la liaison mystérieuse du charnel et du spirituel ». C’est ce thème que résument les fameuses strophes doctrinales qui font suite à Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre :

 

Car le surnaturel est lui-même charnel

Et l’arbre de la grâce est raciné profond

Et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond

Et l’arbre de la race est lui-même éternel.

 

Et l’éternité même est dans le temporel

Et l’arbre de la grâce est raciné profond

Et plonge dans le sol et touche jusqu’au fond

Et le temps est lui-même un temps intemporel.

 

 

C’est ce thème encore qui commande toute la grande litanie de la Résurrection des corps, ce retour des hommes au pays d’autrefois où ils reconnaissent « ces sentiers qui menaient leur enfance première ».

 

Quand l’homme reviendra dans son premier village

Chercher son ancien corps parmi ses compagnons

Dans ce modeste enclos où nous accompagnons

Les morts de la paroisse et ceux du voisinage.

 

Et le finale qui vient résoudre la grande composition sur le ton le plus modeste, en ramenant la pensée des vastes espaces historiques vers les saintes familières, rassemble une fois encore la gerbe :

 

Ainsi Dieu ne sait pas entre tant de beaux jours

Ce qu’il aime le mieux, si c’est la jeune enfance

Et si c’est le travail ou les jeux et la danse

Ou la fidélité des terrestres amours...

 

... Ainsi Dieu ne sait pas, ainsi le divin maître

Ne sait quel retenir et placer hors du lieu,

Et pour lequel tenir, et s’il faut vraiment mettre

L’amour de la patrie après l’amour de Dieu.

 

Dans un entretien de janvier 1914, Péguy pouvait dire à Lotte que dans son grand poème, qui était « toute la fécondité et toute la discipline, tout le jaillissement dans la glèbe et tout l’ordre dans le grenier », il se plaçait « d’emblée au point de croisement et de recoupement des plus grands mystères de la foi :... dans l’axe du temporel et dans l’axe de l’éternel ;... c’est-à-dire qu’il se plaçait au cœur même de l’incarnation. »

 

 

 

 

 

III

 

 

« Nous voici retournés dans

nos premiers villages. »

 

 

Il était nécessaire d’ébaucher au moins une analyse de cette vision catholique du monde, pour bien marquer par quel chemin secret le poète d’Ève retrouva le don d’oraison. C’est au cœur de la plus grande détresse que monte sa prière qui, dans l’acceptation de la condition terrestre, est acte de foi, d’espérance et de charité. Chez un Péguy, rien n’est de l’ordre théorique ; comme toutes les paroles de cet homme, qui était davantage qu’un poète, les grandes vues d’Ève et de Clio ne sont tout à fait intelligibles que si on les considère comme une vérité personnellement nécessaire, affirmée par besoin vital et dans l’urgence de satisfaire une profonde inquiétude spirituelle. Péguy n’était pas de ceux qui apaisent leur tourment à n’importe quel prix ; seule la foi entière et très simple peut répondre à son interrogation, parce que seule elle n’est ni oubli ni « habitude », mais vie. Et c’est à assumer la détresse qu’il tendra toujours, non point à en détourner le regard ou à la recouvrir de quelque écran rassurant.

On sait, au reste, quelle situation personnelle compliquait encore une quête intérieure qui ne pouvait déjà se dénouer que par le coup d’état de la grâce. Le mariage hors de l’Église, les enfants non baptisés, l’éloignement des sacrements, privation acceptée plutôt que de faire violence à autrui, tout cela a longtemps emmurer en lui les sources vives de la prière. Pendant de longues années, celles-là même où il s’acharnait à résoudre humainement le problème du mal, il ne put dire le Pater, parce qu’il lui était impossible de prononcer : « Que votre volonté soit faite ». Moins par une résistance de l’orgueil personnel, comme on l’a prétendu, que parce qu’il ne pouvait se résoudre à approuver ainsi un monde où le mal mettait partout son avilissement. Sa révolte (le mot n’est pas trop fort) était la même qu’il prête à Jeanne d’Arc dans le drame de 1897 et au début du premier Mystère ; mais il n’est peut-être pas trop hardi de penser que, pour lui comme pour elle, ce nœud tragique de la souffrance était le point d’attache des fils encore embrouillés qui, une fois ordonnés par la main toute-puissante, feraient la trame de leur sainteté. Car son tourment est un tourment pour autrui qui, du jour où il sera touché de la grâce chrétienne, recevra le nom de charité ; et sa volonté de porter remède, lorsqu’elle se sera empreinte d’humilité, s’appellera l’espérance.

Dans la vie de Péguy, le choc décisif fut donné par une série d’épreuves : difficultés morales et matérielles de tout ordre, maladie grave d’un de ses enfants, mort tragique de son jeune ami René Bichet. Quand il toucha le fond de la détresse, il partit pour Chartres, accomplissant sans doute un acte de confiance et d’humble obéissance, plutôt que déjà un véritable acte d’espérance. Ou, si l’on peut s’exprimer ainsi, sa seule espérance était de recevoir, au terme de son pèlerinage, le don d’espérance. Le récit qu’il fit à Lotte garde, mieux que l’admirable transposition des Tapisseries, le souvenir de ses résistances et de la brusque libération qui se produisit à l’instant où le pèlerin fut en prière dans la cathédrale :

 

J’ai prié, mon vieux, comme jamais je n’ai prié. J’ai prié pour mes ennemis ; ça ne m’était jamais arrivé. Quand je dis ennemis, tu comprends bien que je ne parle pas des Laudet ; ceux-là, je suis capable de prier pour eux tous les jours. Mais il y a certains ennemis, certaines qualités d’ennemis, s’il fallait prier pour eux en temps normal, immanquablement j’aurais une crise de foie. Non, mon foie ne me permettrait pas... (Lettres et Entretiens.)

 

La prière que Péguy n’avait pu prononcer pour lui-même s’élève enfin de son cœur le jour elle est prière pour autrui, prière de charité. On pourrait parler du « mystère de la charité de Péguy », puisque Jeannette aussi dépasse l’angoisse et la révolte à l’instant où elle parvient à entendre la leçon de Madame Gervaise qui lui enseigne l’efficacité de la prière. Il faut souligner encore que l’oraison est donnée à Péguy dès qu’il ne tente plus de la formuler dans la solitude, mais dans le sanctuaire où, même s’il n’y a pas d’autres fidèles, elle est comme soutenue par la prière commune des paroissiens assemblés. Prière de communion, ainsi que le fait bien voir le « nous » substitué au « je » dans les quatre prières des Tapisseries :

 

Nous n’avons plus d’autels que ceux qui sont les vôtres,

Nous ne savons plus rien qu’une simple oraison.

 

De ce pluriel, par lequel le poète, le croyant, se fait un instant le représentant de toute créature, et le porteur du commun destin, il a donné lui-même le commentaire le plus précis dans le long essai sur Eve que le fidèle Lotte écrivit sous sa dictée :

 

Tout est à la première personne du pluriel. Jamais l’auteur ne se présente comme un historien, comme un géographe de la terre et du ciel..., et, pour dire le mot, comme un touriste... C’est nous, c’est l’un de nous, petit comme nous, exposé comme nous. À aucun moment il ne se met sur le côté pour regarder ce qui se passe. Car ce qui se passe, c’est lui. Et c’est d’être perdu ou sauvé... (Lettres et Entretiens.)

 

Tel est le secret, secret de communauté et de communion, qui donne à la voix de Péguy son extraordinaire résonance, depuis qu’il a trouvé la vérité qui délivre et l’amour qui réunit. La Tapisserie de Notre-Dame est la parfaite expression de ce moment de délivrance ; jamais le miracle de la forme accomplie et du chant le plus pur n’a si exactement coïncidé avec le miracle bien plus grand de la vérité montrée en transparence et de l’amour rayonnant. On peut appliquer à cette série de poèmes ce que Péguy dit encore d’Ève : « le charnel et le spirituel de l’œuvre » y sont aussi mystérieusement liés que « le charnel et le spirituel de la foi ».

Tout le monde a lu la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres qui est, avec la Prière pour nous autres charnels, le poème le plus répandu de Péguy (mais je ne sais pourquoi on lit moins les merveilleuses Prières dans la Cathédrale qui suivent, sinon parce qu’elles traduisent les étapes très secrètes d’une expérience en partie ineffable). Tout le monde connaît la grande peinture de la plaine rase, ces images de la terre beauceronne qui ne paraissent jamais survenir que pour traduire la réalité intérieure dont elles sont les symboles ; et la réalité intérieure, à son tour, n’apparaît nulle part comme une interprétation surajoutée à l’évocation concrète. Comme dit encore Péguy, parlant de son œuvre, « l’image et l’idée ensemble jaillissent de la même fécondité ». Le sol « inévitable » de la Beauce plate, c’est, mise sous nos yeux, notre solitude essentielle, notre entier dénuement, nos pauvretés humaines ; mais c’est aussi « le pays des beaux blés et des encadrements », la terre où le labeur des générations fidèles a mis son empreinte :

 

Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux

Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.

 

Cependant, parmi les épis qui ne sont que matière périssable, mais qui portent ainsi de saison en saison la vivante continuité de la paysannerie chrétienne, un épi se dresse, témoin plus pur que tous les autres, mais germé lui aussi de ce sol terrestre.

 

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,

Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix,

Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,

La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.

 

C’est la gerbe et le blé qui ne périra point,

Qui ne fanera point au soleil de septembre,

Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,

C’est votre serviteur et c’est votre témoin...

 

... C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute,

La plus haute oraison qu’on ait jamais portée,

La plus droite raison qu’on ait jamais jetée,

Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.

 

Celle qui ne mourra le jour d’aucunes morts...

 

La conscience emplie de cette vision se rejoignent la misère et la grandeur de l’homme, l’humilité et la dignité de la terre, la fragilité du temporel et son aptitude à servir de réceptacle à l’éternité, le poète peut alors songer sans effroi au jeune homme pour qui il est venu implorer l’intercession de Notre-Dame.

 

Mère le voici donc, il était notre race,

Et vingt ans après nous notre redoublement.

Reine, recevez-le dans votre amendement.

Où la mort a passé, passera bien la grâce.

 

Prier pour ce semblable, c’est prier pour soi-même. Mais cette prière, la plus modeste qui soit, qu’implore-t-elle ? Rien d’autre qu’une pure contemplation où, par la connaissance même de sa misérable destinée, la créature s’élève jusqu’à comprendre et adorer l’éternelle jeunesse de Dieu et des saints :

 

Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,

Que la dernière place en votre Purgatoire,

Pour pleurer longuement notre tragique histoire,

Et contempler de loin votre jeune splendeur.

 

Les Prières dans la Cathédrale développent les étapes d’une expérience qui est à la fois celle des heures passées dans la nef de Chartres, et celle de toute la vie intérieure de Péguy : expérience du progrès vers la contemplation de l’absolue Jeunesse, grâce à un regard qui n’hésite pas à envisager dans son entière déficience l’existence temporelle. Ces quatre prières forment ensemble un tout indissociable, que l’on comprend mieux, je crois, si on les lit dans un ordre qui n’est pas celui des Tapisseries.

La prière de confidence, qui fait allusion à une tentation dont Péguy eut à triompher, retrace le premier stade de l’expérience : celui de la pleine et simple acceptation du destin humain. Contre l’existence du mal, de la souffrance, de l’inévitable imperfection, le poète, parvenu au lieu de prière, a cessé de se révolter. Mis en demeure de choisir entre le vœu coupable du cœur et l’héroïque résistance à ce souhait de bonheur, il a fait élection de la souffrance, devinant qu’elle seule inaugure une voie ascendante. Préférer la douleur à la faute, c’est se donner la clef qui ouvre le sanctuaire intérieur de l’apaisement ; et c’est, adroitement, jouer un bon tour à tout ce qui menace de nous emprisonner.

 

... Quand il fallut s’asseoir à la croix des deux routes

Et choisir le regret d’avecque le remords...,

 

Vous seule vous savez, maîtresse du secret,

Que l’un des deux chemins allait en contre-bas,

Vous connaissez celui que choisirent nos pas,

Comme on choisit un cèdre et le bois d’un coffret.

 

Et non point par vertu, car nous n’en avons guère,

Et non point par devoir, car nous ne l’aimons pas,

Mais comme un charpentier s’arme de son compas,

Par besoin de nous mettre au centre de misère,

 

Et pour bien nous placer dans l’axe de détresse,

Et par ce besoin sourd d’être plus malheureux,

Et d’aller au plus dur, et de souffrir plus creux,

Et de prendre le mal dans sa pleine justesse.

 

Par ce vieux tour de main, par cette même adresse,

Qui ne servira plus à courir le bonheur,

Puissions-nous, ô régente, au moins tenir l’honneur,

Et lui garder lui seul notre pauvre tendresse.

 

Ainsi donc, il est un point de l’âme, auquel nous pouvons avoir accès dès que nous nous plaçons « dans l’axe de détresse » ; à partir de ce point nous apercevons le mal, comme toute chose, mis à sa juste place. Grâce à la vertu de justesse d’âme, que Péguy, en fils de générations d’artisans chrétiens, place toujours très haut, nous sommes capables de voir le monde dans son ordonnance véritable, rangé autour de Jésus et des saints.

Les prières de demande et de report, étroitement unies, marquent l’acte suivant, qui fait d’elles des prières de dépossession. Celui qui prie maintenant en toute connaissance de sa malheureuse condition, ne demande rien pour lui-même (et il est remarquable que la prière de demande soit plutôt une prière de « non-demande ») ; il se refuse même à implorer l’oubli du passé, la suppression des marques que le temps a mises sur le tissu intact de la pureté première.

 

Nous ne demandons pas qu’un pli de la mémoire

Soit jamais effacé de cette lourde chape...

 

... Nous ne demandons pas que cette page écrite

Soit jamais effacée au livre de mémoire......

 

Nous ne demandons pas qu’une âme fourvoyée

Soit jamais replacée au chemin du bonheur...

 

... Régente de la mer et de l’illustre port

Nous ne demandons rien dans ces amendements,

Reine, que de garder sous vos commandements

Une fidélité plus forte que la mort.

 

Au-delà même de ce renoncement à l’espoir d’enfouir le passé, la prière de report exprime la volonté d’un dépouillement plus complet encore. À la « dame de pauvreté », l’âme en oraison demande que lui soit accordée la plus parfaite pauvreté intérieure, le détachement de tout ce qui a jamais pu la séduire, et une sorte de nuit qui ne laisse plus de vivants que les commandements divins et l’obéissance du croyant :

 

... Nous avons tant cherché, miracle de candeur,

Nous n’avons plus de goût pour les enseignements.

 

Nous avons tant appris dans les maisons d’écoles,

Nous ne savons plus rien que vos commandements...

 

Nous en avons trop pris, nous sommes résolus,

Nous ne voulons plus rien que par obéissance...

 

Mais l’extrême pauvreté est une richesse inespérée ; celui qui a voulu tout abandonner se trouve soudain pourvu d’un trésor si grand qu’il peut servir d’offrande à Dieu et de valable sacrifice au profit d’autrui. Entre les mains de qui n’a voulu rien retenir pour soi, l’insuffisance, le total désistement sont une monnaie d’échange qu’il peut offrir à Dieu, afin que des êtres chers à son cœur reçoivent les grâces qu’il n’oserait solliciter pour soi-même, mais qu’il implore pour eux. La prière de charité, à nouveau, se dégage de la prière de pauvreté ; elle est riche de tout un espoir merveilleux, d’une confiance inespérée en la réversibilité des mérites de la foi et en l’efficacité des supplications, même (et peut-être surtout ?) lorsque le suppliant est indigne. Le seul cadeau qu’accepte le Créateur est ce rien qu’il est permis de lui offrir.

 

S’il est permis pourtant que celui qui n’a rien

Puisse un jour disposer, et léguer quelque chose,

S’il n’est pas défendu, mystérieuse rose,

Que celui qui n’a pas reporte un jour son bien...,

 

... Nous qui n’avons connu que votre adversité,

(Mais qu’elle soit bénie, ô temple de sagesse),

Ô veuillez reporter, merveille de largesse,

Vos grâces de bonheur et de prospérité.

 

Veuillez les reposer sur quatre jeunes têtes,

Vos grâces de douceur et de consentement,

Et tresser pour ces fronts, reine du pur froment,

Quelques épis cueillis dans la moisson des fêtes.

 

Cependant, c’est la prière de résidence qui exprime l’accession de l’âme au sommet de son ascension. Selon la chronologie extérieure, cette prière correspond au moment où le pèlerin, agenouillé dans la cathédrale, se sent soustrait au monde des faiblesses et du « temps perdu dans le lanternement », introduit en un lieu de refuge où tout est facile et léger. Mais une chronologie plus profonde, celle des étapes intérieures, place cette oraison au terme de la série et lui confère une valeur exceptionnelle. Elle décrit le moment de la contemplation la plus nue : celui Péguy trouve enfin la certitude sensible d’être encore, ou de nouveau, à même d’accéder à l’innocence, à la pureté qui avaient semblé à jamais détruites par l’action irrémédiable du temps. La longue litanie répète à presque chacune de ses strophes l’exultation de celui qui vit un instant d’extrême intensité : son passé et toute la somme des misères temporelles se soudent en une réalité unique pour constituer, au lieu des navrantes minutes de la déception quotidienne, cette réalité vivante qu’est une âme enfin entrée en possession d’elle-même dans la dépossession de ses accidents.

 

Voici le lieu du monde où tout est reconnu,

Et cette vieille tête et la source des larmes ;

Et ces deux bras raidis dans le métier des armes ;

Le seul coin de la terre où tout soit contenu...

 

...Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait,

Et le silence et l’ombre et la charnelle absence,

Et le commencement d’éternelle présence,

Le seul réduit où l’âme est tout ce qu’elle était.

 

Peu de strophes de Péguy ont la densité et l’étonnante précision de celles-ci, qui évoquent avec toute la clarté possible les sentiments divers, mais inséparables, de l’unité des choses créées, de la créature ramenée à son essence, et de la présence réelle de l’éternel dans un lieu. Victoire triple et une sur la multiplicité, tel est le don qui est fait à l’âme devant le tabernacle. À l’homme en prière, que l’abandon a enfin offert sans résistance à son invasion, la grâce accorde cette récompense suprême : le « commencement d’éternelle présence ». Les images et les expressions se succèdent, qui chantent le triomphe sur le temps, l’unification de l’âme concentrée sur le seul foyer de son existence et de sa parfaite pauvreté, l’éternité devenue accessible dans l’instant de l’oraison. Retour à l’enfance perdue, à travers les âges de la déperdition, qui se trouvent à la fois abolis et réintégrés ; retour aux « premiers villages », tel que celui que décrit la Résurrection des corps ; éclosion d’une miraculeuse jeunesse, d’un parfait printemps intérieur, qui rappelle à son tour le climat du paradis évoqué au début d’Ève, avec ses impressions de moissons inépuisables et de fontaines jaillissantes, tant de concordances avec d’autres œuvres de Péguy nous avertissent que voici un moment capital de sa vie spirituelle. Et parmi les images qui traduisent le bonheur de cette extase, nombreuses sont celles qui signifient la fin de l’inquiétude du « vieillissement ».

 

Voici le lieu du monde où tout devient facile,

Le regret, le départ, même l’évènement,

Et l’adieu temporaire et le détournement,

Le seul coin de la terre tout devient docile...

 

Voici le lieu du monde où tout est revenu,

Après tant de départs, après tant d’arrivées...

 

...Ce qui partout ailleurs est la décrépitude

Assise au coin dit feu les poings sur les genoux

N’est ici que tendresse et que sollicitude

Et deux bras maternels qui se tournent vers nous...

 

Nous avons consommé de si lointains voyages,

Nous n’avons plus de goût pour les pays étranges.

Reine des confesseurs, des vierges et des anges,

Nous voici retournés dans nos premiers villages...

 

... Ce qui partout ailleurs est un ajournement

N’est ici que l’oubli du matin et du soir.

 

Les matins sont partis vers les temps révolus,

Et les soirs partiront vers le soir éternel,

Et les jours entreront dans un jour solennel,

Et les fils deviendront des hommes résolus.

 

Les âges rentreront dans un âge absolu,

Les fils retourneront vers le seuil paternel

Et raviront de force et l’amour fraternel

Et l’antique héritage et le bien dévolu.

 

Voici le lieu du monde où tout devient enfant,

Et surtout ce vieil homme avec sa barbe grise,

Et ses cheveux mêlés au souffle de la brise,

Et son regard modeste et jadis triomphant...

 

Ce qui partout ailleurs est un arrachement

N’est ici que la fleur de la jeune saison...

Ce qui partout ailleurs est une courbature

N’est ici que la fleur de la jeune oraison...

 

Ce qui partout ailleurs est un raidissement

N’est ici qu’une souple et candide fontaine ;

Ce qui partout ailleurs est une illustre peine

N’est ici que profond et pur jaillissement...

 

Ainsi se multiplient, dans ces strophes inouïes, les images de jeunesse, d’enfance, de souplesse, de pureté, issues les unes des autres, elles-mêmes jaillissantes comme d’une fontaine ; et, par un miracle du vocabulaire poétique et de l’extase religieuse, voici que le mot même de la détresse, celui qui a sans cesse désigné les plus cruelles hantises le mot vieillissement se pare, pour la première et l’unique fois, d’épithètes tendres et ravies :

 

Ce qui partout ailleurs est un dur labourage

N’est ici que récolte et dessaisissement.

Ce qui partout ailleurs est le déclin d’un âge

N’est ici qu’un candide et cher vieillissement.

 

Car la suite même des ans, dans ce lieu sanctifié par la présence réelle, n’est plus rien qu’orientation vers la définitive entrée dans la lumière de l’éternelle présence. Et toute la longue prière est elle-même une lente ascension vers cette cime que figure le dernier vers :

 

Ce qui partout ailleurs est la route gravie,

Ô reine qui régnez dans votre illustre cour,

Étoile du matin, reine du dernier jour,

Ce qui partout ailleurs est la table servie,

 

Ce qui partout ailleurs est la route suivie

N’est ici qu’un paisible et fort détachement,

Et dans un calme temple, et loin d’un plat tourment,

L’attente d’une mort plus vivante que vie.

 

 

 

 

 

IV

 

 

« Ô nuit qui panses toutes les blessures

Au puits de la Samaritaine, toi

qui tires du puits le plus profond

La prière la plus profonde... »

 

 

Devant des textes pareils, comment ne pas penser qu’ils font allusion à une expérience intérieure beaucoup plus précise qu’on ne le suppose généralement ? Comment ne pas penser que, sous ce qui est dit ici, il y a encore une aventure spirituelle qui est demeurée ineffable ? Plusieurs signes devraient nous en avertir, et d’abord l’abondance des mots et des images ; il semble que Péguy n’en ait jamais assez dit, ou n’en ait jamais assez de redire les mêmes choses. On ne parle ainsi que d’un très profond amour. On ne multiplie ainsi ses expressions que parce qu’aucune ne peut faire davantage que de signifier : « il y a quelque chose que l’on ne pourra jamais dire ». Mais, en même temps, dans cette inépuisable invention de paroles qui, à un regard superficiel semblent souvent dériver les unes des autres au hasard, ou par toutes sortes de rapprochements sonores, d’associations étymologiques, de calembours même une lecture plus attentive révèle que rien n’est fortuit ; plus on serre de près ces strophes, et plus on y découvre une surprenante exactitude de vocabulaire. Celui qui s’exprime ainsi en sait manifestement plus long qu’il n’apparaissait d’abord. Telle de ses strophes, que nous citions il y a un instant, renferme une connaissance qui fait songer à celle des plus grands contemplatifs. Rien ne permet de croire à une influence, car il est probable que Péguy n’a jamais lu d’écrivains proprement mystiques. Et ceux de ses vers qui atteignent à la secrète densité du grand style mystique ont cette authenticité que l’on n’imitera jamais. Sa personne, d’ailleurs, dut avoir ce même rayonnement aux yeux de ceux qui savaient voir ; le témoignage d’Alain-Fournier suffit, qui au sortir d’un entretien avec Péguy déclarait que personne, de nos jours, n’était à ce point « homme de Dieu ».

Cependant, les textes poétiques qui sont nos seuls documents sur la vie intérieure de Péguy permettent-ils de qualifier de « mystique », en donnant au mot un sens rigoureux, l’état d’oraison auquel l’auteur des Prières à Chartres était parvenu ? Il est fort difficile d’en juger, et il y faudrait la compétence d’un spécialiste des études mystiques. Ce que je me permettrai de proposer à ce sujet ne peut avoir d’autre ambition que de poser la question et de suggérer une lecture possible des poèmes religieux de Péguy.

La prière est pour lui une délivrance dans la contemplation, qui lui est donnée au terme d’une voie commençant par un acte de dépouillement dans la charité et la communion. Mais quel est au juste l’objet de cette contemplation ? Dans quelle mesure peut-on le désigner avec quelque précision ? Dans quelle mesure aussi est-on en droit de parler ici d’une union entre la créature qui contemple et Dieu qu’elle contemple ?

Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’agit pas d’un pur état affectif : la sorte d’accomplissement des temps qui s’opère dans ces instants de l’oraison, et que traduisent les images du retour à l’enfance, à la pureté, n’a pas le caractère d’une simple euphorie du sentiment. Il s’y mêle d’importants éléments intellectuels ; le chemin qui mène Péguy à la plénitude dans le dépouillement de soi implique l’intelligence la plus exacte des dogmes chrétiens, qui ne sont pas perdus de vue au moment où l’âme atteint à sa plus haute béatitude. L’apaisement est lié à une découverte du sens de l’Incarnation et de la Rédemption. Il n’y a de paix pour la créature fidèle et pécheresse que parce qu’elle se sait, dans le sanctuaire, en présence de Dieu, et parce que cette présence n’est pas limitée à une minute historique, en deçà de la pente des âges, mais bien réelle à tous les instants et accessible à qui se prête à elle. Par l’incarnation du Rédempteur, l’homme connaît qu’il est sauvé du péché, qui est le temps ; et le monde temporel, la création est ainsi soustraite à son mal, au vieillissement destructeur. La prière est conscience bienheureuse de la victoire remportée par le Christ incarné sur l’imperfection du créé.

La prière de Péguy est, en outre, prière dans l’église. Le temple où le pèlerin atteint à cet état de grâce est la représentation concrète, tangible de l’Église, corps du Christ ; l’âme en prière cesse de se considérer elle-même comme esclave du temps, car elle se trouve insérée dans la communion des saints qui supprime les âges et lui donne une « saisie directe » de la présence éternelle de Dieu. Ceci se rattache, d’ailleurs, au sentiment que Péguy avait de la dignité des choses terrestres, devenues les réceptacles du spirituel et transformées par les générations chrétiennes en un langage apte à traduire la réalité de l’esprit. Les cathédrales, lit-on dans Un nouveau théologien, sont « le corps même de la prière, de l’adoration, de la vie intérieure la plus profonde, la plus tendre, dans la dure pierre extérieure..., le dur corps creusé de prière et de vie intérieure, d’éloquente, si éloquente adoration muette ». Elles sont un lieu, et plus qu’un lieu, puisqu’elles sont celui de l’éternelle présence. Dans ce refuge, il n’est pas de solitude ; toute prière qui s’y élève, même quand la nef serait vide, est prière commune, prière de la paroisse et de la chrétienté entière. Parce qu’elle est commune, elle est libératrice, comme tout acte de charité, qui répand de créature à créature l’amour dont la source est en Jésus-Christ. Tandis que l’oraison solitaire (celle de Jeannette) est souvent un appel, une demande de secours, l’aveu d’une inquiétude inapaisée, la prière dans l’église (et dans l’Église) suscite l’espérance et le chant de paix.

Ainsi liée à la présence du Saint-Sacrement, la prière de Péguy (qu’on lui reproche bien à tort de placer au-dessus des sacrements, et qu’on interprète faussement comme un acte d’individualisme religieux, alors qu’elle est exactement le contraire) ne tend nullement à établir je ne sais quelle relation directe avec Dieu, hors de l’Église. Pourquoi sinon s’adresserait-elle de préférence aux intercesseurs, à la sainte Vierge, aux saints et aux saintes de France ? Mais elle se distingue également de toute contemplation philosophique, de toute extase au sens plotinien, c’est-à-dire de cette sortie hors de l’existence temporelle, qui est obtenue par une pure passivité. À l’inverse, la prière chrétienne, catholique, de Péguy est une possession de l’existence, où le temporel n’est pas supprimé, mais accompli, où l’âme n’est pas anéantie, mais ramassée en son centre, tendue vers sa « fine pointe ». Loin d’être passive, elle est la plus grande activité, dans son abandon même, puisqu’elle est sciemment, et comme méthodiquement, imitation de la prière de Jésus-Christ, c’est-à-dire acte dirigé. Ceci, qui n’apparaît pas d’abord dans les prières de Chartres, ressort très clairement des admirables pages des Mystères sur le Pater, magnifiques de poésie et empreintes de la merveilleuse logique qui permet souvent à Péguy de dessiner les articulations du dogme, la hiérarchie des mystères chrétiens avec la précision d’un grand théologien et la simplicité d’un humble croyant. Le Notre Père, prononcé par le Seigneur et redit par les hommes, est le meilleur recours contre la Justice de Dieu, qu’il désarme en faisant appel à la miséricorde de Dieu. En disant Père, le Christ a fait de Dieu « un père pour de bon « et a « lié les mains de sa Justice ». Par le Christ, qui a voulu être le premier intercesseur, nous sommes faits ses frères, et les enfants de Dieu ; et par le Christ (le mouvement descendant étant une fois de plus, dans l’ordre chrétien, un mouvement qui se remonte) « Dieu sait ce que c’est que d’être homme ». Il ne reste, dès lors, aux créatures, qu’à imiter la prière du Sauveur pour être entendues du Père qu’il leur a donné.

C’est ainsi que la prière (avec les sacrements) est le lien de toutes les âmes, puisque le Christ a prié et est mort pour toutes. La vraie prière ne peut donc être que prière de communion, liant en une seule gerbe l’Église unique, militante, souffrante et triomphante, à travers les siècles des siècles. C’est exactement la théologie de Jeanne d’Arc qui, aux arguties des docteurs, répondait souverainement : « Il me semble que de Notre-Seigneur et de son Église, c’est tout un ». Quand l’homme prie, il suscite autour de lui, dans la présence du Sauveur, la présence de tous les hommes, ses frères en Jésus-Christ. « Ensemble. » La prière est active, puisqu’elle est amour.

Au témoignage des textes poétiques s’adjoint ici encore celui de la vie de Péguy. Le poète a suivi un chemin dont les deux termes sont, au départ, l’appel anxieux de Jeannette, et, à l’arrivée, la prière dans l’église, prière de plénitude et de communion ; ce n’est pas un hasard, si le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc s’ouvre sur un Notre Père qui est un cri d’angoisse (« Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce qu’il y a donc ? ») et se ferme sur un nouveau Pater qui est acte de charité (« Orléans qui êtes au pays de Loire »). Et le Mystère de la charité, suite, s’achève à son tour sur la longue imploration de Jeanne demandant à Dieu un « chef de bataille et de prière », grâce auquel la foule humaine dira ensemble un Notre Père que Dieu lui-même ne reconnaîtra pas ; car il sera dit dans la joie en ce premier jour des siècles de joie : « que toute chrétienté se fleurisse de grâce... que toute humanité se sauve de votre salut... Que toute humanité batte du même cœur... Que la terre soit un commencement du ciel ».

 

... Car ce n’est pas la même chose et il y a un abîme entre vous prier dans la détresse et vous prier dans la joie, enfin dans la joie.

Entre vous prier séparément dans la détresse, comme nous faisons aujourd’hui, chacun de son côté dans la détresse ;

Et vous prier tous ensemble dans la joie, comme nous le ferons alors tous ensemble dans la joie...

... Et cette prière, mon Dieu, sera méconnaissable.

Personne ne le reconnaîtra ; vous-même, vous ne la reconnaîtrez pas.

 

De la solitude à la communion, le chemin de Péguy va en même temps de l’angoisse à la joie, et, par la charité, à la réconciliation intérieure. Un peu plus loin, madame Gervaise donne encore cet admirable conseil :

 

Mais écoute, il faut prier aussi pour soi. Autrement, il y a l’orgueil. Il faut prier pour soi comme pour les autres. Autant. Pareil. Dans les autres, parmi les autres. Il faut prier pour soi comme pour tout le monde. Dans tout le monde. Autrement, on rompt la communion.

 

Sans doute, à Chartres, si l’on s’en tient au texte des Tapisseries, Péguy ne prononce-t-il pas le Pater (encore qu’il soit légitime de l’entendre dans les silences du poème) ; sa prière s’adresse à la sainte Vierge et, dans son moment le plus ineffable, toute image de personne divine semble s’effacer de la conscience, pour une sorte de vision sans qualification. Mais cette contemplation sans images (ou, ce qui revient au même, dont les images se détruisent dans leur succession) n’est pas oubli de Jésus-Christ et de Notre-Dame ; il serait absurde de le soutenir. Chacune des quatre prières (des cinq, en y comptant la fin de la Présentation) commence et s’achève sur une invocation à la « Reine des sept douleurs et des sept sacrements ». La révélation de l’éternité sans nom rayonne en abandon à la volonté de la Mère de Dieu, en acte de parfaite obédience. Et la dernière oraison à Chartres, publiée récemment, est cette Prière de déférence, qui est un parfait acte de soumission et d’amour :

 

Et nul ne passera dans cette certitude...

... Qui ne soit incliné vers vos sacrés genoux

Et ne soit sous vos pieds comme un chemin de feuille,

Et ne consente et laisse et ne prétende et veuille

De l’épaisseur d’un monde être aimé moins que vous.

 

Il en est de même dans la vie extérieure de Péguy ; le prolongement des états intérieurs, transfigurant tous les actes de l’homme, y est très sensible à partir d’une certaine date. L’opposition a disparu, qu’il pouvait y avoir jadis entre Hauviette et Jeannette, lorsque la compagne d’enfance de la bergère lorraine, scandalisée de la voir sans cesse en prière (« Jamais les croix des chemins n’avaient tant servi ») lui expliquait que, pour le bon chrétien, il n’y a pas tant de façons à faire ; à ce qui lui semblait un excès de vie contemplative, et une vaine culture de l’inquiétude d’esprit, Hauviette opposait naïvement que les choses sont beaucoup plus simples, que tout acte bien accompli est l’équivalent d’une prière, que « travailler, c’est prier ». Cette vérité, Péguy finira par la vivre, non pas naïvement non pas en contradiction avec une vie d’oraison, mais précisément du jour où il y aura assez de lumière dans son âme et de prière dans ses journées pour qu’aucun instant ne soit soustrait à un continuel état d’adoration. La contemplation, ainsi, aboutit à une métamorphose de l’action quotidienne, tout alimentée de prière. C’est du fond de cette expérience que Péguy tire tout ce qu’il dit de la vie chrétienne, qui n’est pas faite de vertus, d’actes sagement conformes à des préceptes moraux, mais bien de constante imitation de Jésus-Christ : c’est-à-dire de constante attention à sa présence éternelle. Il en arriva à concevoir son œuvre de poète comme une imitation de sainte Jeanne d’Arc et, à travers elle, puisqu’il la voyait comme la plus approchée des imitations de Jésus-Christ, comme une imitation de Notre-Seigneur.

Cette pénétration de la vie par la prière, cette transfiguration du temporel sous le rayon de l’intemporel, Péguy l’a exprimée encore dans la splendide image de la Nuit, fille de Dieu (reprise dans les deux Mystères de la deuxième vertu et des saints Innocents). Il est bien tentant de rapprocher cette image de certaines images des mystiques, dont Péguy n’a jamais été plus proche que dans ce mouvement lyrique, qui fait allusion à une connaissance identique à celle de la prière de résidence. Ici aussi, la prière intervient comme une guérison pour la créature qui se sait blessée par le mal, victime de la loi du temps corrupteur, mais qui se découvre capable de saisir dans un acte d’intelligence mystique la réalité éternelle, puis de la faire rayonner en vie chrétienne. La Nuit est l’image de l’éternité en son immuable pureté ; et la joie de l’esprit éclate dans tous les mots du poète, quand il comprend que c’est la Nuit qui est continue, la Nuit qui existe, tandis que les jours, les jours temporels et décevants, ne sont qu’absence d’être, et trous dans le tissu nocturne. Avant la chute, seule existait la Nuit, qui seule existera après la fin des temps. Vivre et connaître n’étaient qu’un dans l’état de paradis ; la vie entière n’était autre chose que connaissance parfaite et adoration continuelle. La chute a suscité les actes imparfaits de la créature soumise au temps, et la connaissance morcelée d’une raison née du péché. Mais il reste à l’homme une possibilité de refaire en lui l’état primitif, pour une possession, hélas, qui ici-bas ne peut être durable, et parfaite. Ou plutôt, la créature se voit offrir encore cette chance de s’abandonner à Quelqu’un qui refera en elle « le climat de la grâce » : la prière recrée l’unité de vivre et de connaître, dans l’accession à la Nuit, qui est clarté absolue et ne semble obscure qu’à nos yeux infirmes de créatures temporelles. Le consentement à la Nuit, qui nous paraît absence de vie, nous élève à la vraie vie, nous installe, à certains moments de choix, face à ce que nous contemplerons après la mort. (Et nous comprenons mieux tout le sens du beau vers mystique qui termine la prière de résidence : « L’attente d’une mort plus vivante que vie ».)

C’est Dieu lui-même, dans les Mystères, qui prononce l’éloge de la Nuit, sa « plus belle invention », plus aimée dans sa leçon d’abandon que le jour dans son incitation aux œuvres.

 

Car l’homme dans le travail ne me glorifie que par son travail.

Et, dans le sommeil, c’est moi qui me glorifie moi-même par l’abandonnement de l’homme.

 

La Nuit rétablit l’homme, hors des vaines inquiétudes, des efforts de sa raison, dans la parfaite Transparence de la pureté qui fut une fois et qui sera encore quand tout sera consommé.

 

Ô ma nuit étoilée, je t’ai créée la première.

Toi qui endors, toi qui ensevelis déjà dans une Ombre éternelle

Toutes mes créatures...

...Ô ma belle nuit je t’ai créée la première.

Et presque avant la première

Silencieuse aux longs voiles,

Toi par qui descend sur la terre un avant-goût,

Toi qui répands de tes mains, toi qui verses sur terre

Une première paix,

Avant-coureur de la paix éternelle...

... Toi qui répares, toi qui nourris, toi qui reposes,

Ô silence de l’ombre,

Un tel silence régnait avant la création de l’inquiétude,

Un tel silence régnera, mais un silence de lumière

Quand toute cette inquiétude sera consommée...

... Ainsi ma fille tu es ancienne et tu es en retard,

Car dans ce règne d’inquiétude tu rappelles, tu commémores, tu rétablis presque,

Tu fais presque recommencer la Quiétude antérieure,

Quand mon esprit planait sur les eaux.

Mais aussi, ma fille étoilée, ma fille au manteau sombre, tu es très en avance, tu es très précoce.

Car tu annonces, car tu représentes, car tu fais presque commencer d’avance tous les soirs.

Ma grande Quiétude de lumière

Éternelle.

 

Mais une fois de plus, l’éloge de la pure contemplation, du parfait abandon s’achève en une méditation dont l’objet est la vie et la mort du Rédempteur. La même Nuit qui figure l’éternité, proposée à l’esprit de l’homme en l’instant de sa suprême ouverture à la vision béatifiante, est aussi cette Nuit qui descendit comme un grand linceul pour ensevelir, lorsqu’il eut poussé « le cri qui ne s’effacera point », le Fils de Dieu mort sur la croix pour le salut des hommes.

Et pourtant ! Si la connaissance à laquelle Péguy fait allusion n’est pas éloignée, dans ses symboles et son essence, de la connaissance mystique, il ne faut user de ce mot qu’avec précaution, et se souvenir qu’il n’y a pas de différence, sinon de degré, entre le mystique et le simple croyant. L’expérience de Péguy, dont tant d’étapes nous demeurent inconnues, ne semble avoir eu aucun caractère d’exception. De tout ce que nous savons précisément sur sa vie intérieure, rien ne permet de conclure positivement qu’il ait bénéficié de ces grâces particulières qui peuvent soutenir le mystique dans les degrés de son ascension spirituelle. Tout au long de sa vie, il est demeuré l’homme dans la paroisse ; s’il y a incontestablement, au sommet de son itinéraire intérieur, un moment ineffable vers quoi tout s’oriente et d’où tout rayonne, sa prière reste celle du fidèle « de la commune espèce ». Ce serait abuser des mots que de parler, à son propos, d’une union mystique au sens fort, ou de vouloir faire coïncider son progrès avec les stades minutieusement notés par un saint Jean de la Croix ou une Marie de l’Incarnation. La voie où il s’est avancé a des caractères personnels et un tracé précis, de l’angoisse du vieillissement à la paix de l’oraison qui, sans jamais se détacher de contenus spirituels proprement chrétiens, lui ouvre l’accès de l’éternelle Pureté. Mais sa vie intérieure demeure inscrite dans les limites, et aboutit aux formes, de la prière la plus traditionnelle.

On peut en voir une confirmation dans ses grandes invocations poétiques, dont l’effusion est comme canalisée, ou gouvernée, par le retour périodique de formules tirées des hymnes liturgiques. Il est probable, d’ailleurs, qu’il prêta la plus vivante attention aux prières de l’Église et qu’il leur doit bon nombre des précisions théologiques qui donnent à ses poèmes religieux une si solide armature doctrinale. « Je suis de ces catholiques qui donneraient tout saint Thomas pour le Stabat, le Magnificat, l’Ave Maria. Et le Salve Regina ! » On tirerait des prières et des mystères de Péguy d’admirables litanies modernes de la sainte Vierge. Sa grande dévotion à Notre-Dame lui a inspiré quelques-uns des plus beaux noms que les fils des hommes aient inventés pour célébrer la Mère de Dieu. Tout entremêlés, dans ses textes, aux invocations traditionnelles, ils composent un hymne d’infinie tendresse :

 

Reine qui vous levez sur tous les océans ; Étoile du matin, inaccessible reine ; Reine mystérieuse ; ô Reine qui lisez dans le secret du cœur ; ô Reine qui régnez dans votre illustre cour ; Reine des grandes paix et des désarmements ; Reine des sept douleurs et des sept sacrements ; Reine des tableaux peints et des deux donateurs ; Reine du pur froment ;

Régente de la mer et de l’illustre port ; ô Régente des rois et des gouvernements ; Régente des grands gueux et des soulèvements ; Régente des palais, des frontons et des dômes ;

Maîtresse du secret ; Maîtresse de la voie et du raccordement ; Maîtresse de sagesse et de silence et d’ombre ; vigilante maîtresse, merveille de largesse ; mystérieuse rose ;

Ô seul gouvernement d’une âme guerroyée ; Dame de pauvreté ; ô miroir de justice et de justesse d’âme ; ô clef du seul honneur qui ne périra point ; ô clef du seul trésor et d’un bonheur sans nombre ; miroir des temps futurs et des temps révolus ;

Étoile de la mer et des récifs salés ; Étoile de la barque et des souples filets ; Étoile du seul Nord ; Étoile du matin, reine du dernier jour ; voile du seul vaisseau qui ne périra pas ; Arche du seul salut, reine des patriarches...

 

Jamais poésie ne fut plus proche de l’oraison que celle de Péguy, et plus éloignée des ambitions « magiques » de la poésie moderne. Rien, ici, ne tend à l’évasion hors de la condition humaine, et pas davantage à une possession prométhéenne. La poésie de Péguy est un acte précis, très strictement soumis à la tradition chrétienne ; elle est une prière qui outre ses noms de prière de résidence, de demande, de confidence, de communion, d’espérance, d’abandon, d’accession à l’intemporel mérite avant tout d’être appelée prière de présence. À tout instant, en tout objet nommé, elle évoque, constate, installe la Présence unique ; et en face d’Elle, de son côté, comme tout fidèle à l’heure de la prière, elle fait acte de présence. Présence de Dieu au monde et à l’homme ; présence de l’âme à son Dieu ; présence de l’homme à son univers. Tel est le triple témoignage d’une poésie qui, de la connaissance mystique, a entre autres le réalisme profond : la conscience de la haute dignité de la création en tant qu’elle est le portrait du Créateur et le lieu d’éternelle manifestation de l’Esprit qui parle à travers elle.

Personne, dans toute la tradition de la poésie chrétienne française (si ce n’est parfois Verlaine dans la « Prière du matin », « Ô mon Dieu vous m’avez blessé d’amour », « Je ne veux plus aimer que ma mère Marie », mais tout cela n’a jamais l’admirable liberté de Péguy) personne n’avait su ainsi, non pas imiter en artiste la prière, mais faire littéralement oraison dans sa poésie même. Et Péguy est le seul à l’avoir fait, précisément parce qu’il est le seul à ne tenter d’exprimer aucune aventure unique, mais l’aventure commune de tout chrétien « dans la paroisse ». Il demeure, quelles que soient les grâces reçues, dans l’humble attitude de la créature qui connaît son infirmité et qui ose vivre d’une entière espérance. En toute simplicité de cœur, sans rien qui ressemble à un effort ou à une impatience, il se met en prière devant Dieu et tâche de s’en approcher le plus qu’il est possible à l’homme pécheur : à l’homme qui sait bien que l’on ne pénètre pas ici-bas dans la Nuit de toute clarté. Il n’oublie jamais que nous n’atteindrons pas à la possession de la Joie « avant le jour du Jugement dernier » ; et il accepte avec confiance que l’existence soit « l’attente d’une mort plus vivante que vie ».

C’est bien « l’un de nous » qui parle ici le plus simple langage, mais avec une transparence lumineuse, et avec une intelligence extraordinaire des mystères de la foi. Et c’est bien pour cela qu’ii est, en même temps qu’un immense poète, un si merveilleux apologiste ; prenant chacun de nous pai la main, il le mène, d’une conduite sûre, comme familière, au « lieu du monde où tout est reconnu », dans la lumière de l’éternelle Pureté, aux pieds de la « Maîtresse de sagesse et de silence et d’ombre ».

 

 

 

 

 

NOTE SUR LA LITANIE

 

(pour servir à l’intelligence du style de Péguy).

 

 

La poésie et la prière tendent naturellement à prendre la forme de la litanie. Quelles que soient ensuite les divergences et les hiérarchies, l’oraison et le poème naissent dès l’instant où l’âme éprouve le besoin d’adorer, de faire offrande à la fois d’elle-même et des choses créées. L’une et l’autre sont enfants de l’amour, qui est, sous toutes ses apparences, le même et unique amour, insatiable, jamais las de se redire, parce que son véritable objet est inépuisable. Dès que la perle est déposée en nous, « nous savons que c’est quelque chose de multipliant et de proliférant, qui promet de devenir à la fois un paradis et une jungle. Tous les jours il éclate du nouveau, un nouveau point vert qui invente tout seul, une ville inattendue, une explication paradoxale, la réponse... de l’orchidée au chant du phénix. » Ces lignes de Claudel, dans L’Épée et le Miroir, décrivent « l’évangélisation intérieure » que l’âme convertie, tout au long de sa vie, opère en elle-même ; mais il n’est pas abusif de les appliquer au besoin de l’incessante répétition amoureuse qui inspire au croyant comme au poète leur discours rythmé, où les redites soutiennent de leur constance des inventions toujours neuves de mots et d’images. La prière litanique, qu’aucune religion n’a ignorée, répond à des besoins psychologiques évidents et universels, auxquels obéissent également les poètes, lorsqu’ils étayent l’un par l’autre un élément à retour périodique et une série d’éléments neufs et jaillissants. Le désir de répétition et le vœu de perpétuelle découverte sont tous deux inhérents à l’amour, qui voudrait attester à la fois l’immuable permanence de son objet et l’invariable étonnement qu’il ressent devant ce même objet toujours neuf à ses yeux neufs. Il n’est pas d’amour qui ne se montre ensemble fidèle et nouveau, qui ne se veuille éternel et récent.

L’Église, qui a reconnu depuis longtemps l’efficacité de cette forme de prière, propose aux fidèles la récitation de litanies dont le texte est prescrit et dont l’effet sur celui qui les dit tient à l’accomplissement de ce double vœu de l’amour. Sans doute n’est-ce là ni la seule forme ni la forme la plus parfaite de l’oraison ; il n’est peut-être pas de plus grande plénitude de l’adoration qu’un simple vocatif, le mot Pater, le nom du Seigneur dans sa brièveté nue ; un cri, qui ne dit rien autre que l’ineffable présence de Dieu, est probablement dans notre prière humaine cette part de l’Esprit qui prie pour nous « en gémissements inénarrables ». Mais c’est là une autre question, et l’on sait que les exercices qui mènent les mystiques à l’inexprimable union, de même que l’énergie laissée en eux par l’expérience de cette parfaite extase, leur inspirent une prodigieuse loquacité, qui surprend de la part de ces laudateurs du silence. Dans la récitation des litanies traditionnelles comme, d’ailleurs, dans la composition de litanies originales l’esprit de l’adorant est sans cesse reporté de l’un à l’autre des deux éléments constitutifs de sa prière : celui qui se répète, et celui qui varie. Ainsi s’opère un mouvement intérieur qui va du simple « Tu es » à l’ivresse multiple des innombrables « Tu es en moi, Tu es en ceci et cela, Tu es ceci et cela ». Du centre aux ondes les plus lointaines, des rayons à la source lumineuse, l’âme parcourt et reparcourt avec ravissement un chemin qui la comble de bonheur.

Celui qui dit, par exemple, les litanies de la sainte Vierge, met l’accent, au début de son invocation, sur l’appel qui va se répéter : ora pro nobis. Mais, par sa répétition même, cette demande d’intercession peu à peu s’atténue pour la conscience qui s’attache, dès qu’il paraît, au mot Mater. L’impétration pour soi-même cède le pas à la contemplation de la Vierge dans sa dignité de mère du Christ. À son tour le mot Mater se répète, et la Vierge se propose à la méditation dans sa qualité de mère des hommes. Cependant, la répétition à nouveau met comme un voile sur le mot répété et oriente l’attention vers l’élément variable, que constituent les adjectifs purissima, castissima, inviolata... jusqu’à l’instant où le vocatif change. Virgo : le mot paraît, et voici la contemplation ramenée des qualités de la Mère de Dieu à son essence, qui est d’être la Vierge. Mais, une fois encore, les adjectifs qui se succèdent passent au premier plan, nous montrant la figure divine penchée vers les créatures : potens, clemens, fidelis... Puis, toute la fin de la litanie, par petits versets où les images se relaient plus rapidement, énumère les qualités multiples de Marie, jusqu’à ce qu’une laisse plus longue, portée par le retour du mot Regina, achève la prière sur l’image de son universelle souveraineté.

Ainsi, d’un point de vue tout psychologique, l’essence de la litanie semble bien être ce mouvement de l’esprit que le même mot répété met dans un état particulier, plongeant dans une sorte de sommeil une part de son attention, pour attiser davantage et libérer l’autre part. Combinée avec le rythme et les échos de syllabes, la répétition opère ici deux effets en apparence contradictoires : tantôt elle immobilise sous la contemplation le contenu d’un terme sans cesse redit avec amour, vocatif tout semblable à ceux de l’oraison jaculatoire ; et tantôt elle fait défiler sous le regard tout ce que suggèrent les variantes ajoutées à ce premier thème permanent.

Il y a plus : les litanies liturgiques sont des chefs-d’œuvre poétiques, en ce sens qu’elles recourent à des moyens d’ordre musical pour mettre l’âme dans un certain état réceptif ou plutôt (car ce dernier terme implique trop de passivité) pour orienter ailleurs les activités de l’âme. Par elle-même, par son retour périodique, la répétition des mêmes syllabes endort cette vigilance que nous sommes bien forcés d’accorder aux choses de notre univers sensible ; à la faveur du « sommeil » ainsi provoqué, une autre concentration s’opère : concentration de tous les pouvoirs sur l’objet propre de l’intuition spirituelle et des appétences de l’âme. C’est ici que se découvre l’ambivalence typique de la prière litanique : tout à la fois la personne divine sans cesse nommée est présente à l’œil intérieur, qui ne voit plus qu’Elle en son ineffable essence, et ce retour du même vocatif détourne le regard vers ce qui, du texte de la prière, n’est prononcé qu’une fois. Ou bien, si l’on veut aborder autrement la même mystérieuse ambivalence : les termes, très exacts, du texte prescrit sont l’objet d’une méditation appliquée, en même temps que, sous l’action de leurs échos, l’âme en oraison contemple à sa manière, libre, personnelle, sans langage défini, la même Présence adorée. La litanie est un lien sévère, l’instrument d’une discipline, l’itinéraire tout tracé d’une voie à suivre ; mais elle est aussi libération de toutes les contraintes de l’habitude, ouverture de l’âme à son objet propre, vers lequel tend désormais son activité amoureuse, dépouillée de tout lien. Contrainte et délivrance ; stricte signification de chaque mot, mais en même temps action suggestive de sa forme sonore ; concentration de toutes les facultés sur un point unique, et rayonnement jusqu’aux limites du possible : telle semble bien être, en ses contrastes, l’efficacité subjective de la litanie.

 

* * *

 

Les textes des mystiques et les proses médiévales contiennent d’innombrables exemples de litanies « libres » qui, variant à l’infini les expressions empruntées à la liturgie traditionnelle, sont encore prière et déjà poésie. Le retour des termes consacrés y est, plus que dans les textes liturgiques, utilisé comme un moyen extérieur pour créer le « sommeil » propice à l’élévation de l’âme. Les auteurs de ces prières mettent leur joie à inventer des variantes : joie d’adoration, mais qui est aussi, d’un même mouvement, joie de la création verbale et de l’abandon aux fécondités internes du langage. Cependant, la liberté de l’imagination se maintient ici dans les limites d’un commentaire ou d’un développement des invocations usuelles. Telles ces strophes du Salve Mater Salvatoris d’Adam de Saint-Victor :

 

Salve, Verbi sacra parens,

Flos de spinis, spina carens,

       Flos spineti gratia.

 

Nos spinetum, nos peccati

Spina sumus cruentati,

       Sed tu spinae nescia...

 

... Sol luna lucidior,

Et luna sideribus :

Sic Maria dignior

Creaturis omnibus.

 

Lux eclipsim nesciens

Virginis est castitas :

Ardor indeficiens

Immortalis charitas...

 

La subtilité des échos intérieurs et des suggestions verbales va parfois jusqu’à des jeux d’une étonnante virtuosité, comme dans cette prose d’un ancien missel de Cluny :

 

... Stella maris quae vocaris,

Passas rectos et directes

       Da pacis suffragia.

 

Sicut sidus naufrago,

Fulgens dux in pelage,

       Tu praeclara

 

Mundi lux in tenebris,

Stella nitens celebris,

       Deo cara...

 

... Tu coeli regina,

Mundi medicina,

Munda scelus nostrum,

       Piissima...

 

On trouvera une merveille de cet art dans la fameuse prière de saint Bonaventure : Transfige, dulcissime Domine Jesu, medullas... :

 

... et tu sis solus semper spes mea, tota fiducia mea, divitiae meae, delectatio mea, jucunditas mea, gaudium meum, quies et tranquillitas mea, pax mea, suavitas mea, odor meus, dulcedo mea, cibus meus, refectio mea, refugium meum, auxilium meum, sapientia mea, portio mea, possessio mea, thesaurus meus, in quo fixa et firma, et immobiliter semper sit radicata mens mea et cor meum. Amen.

 

Plus caractéristique encore, précisément parce que, dans le langage banal de la spiritualité du temps, elle atteint à l’expression de l’amour vrai grâce aux seuls charmes d’un rythme parfait, constitué par le retour de divers éléments successifs, voici une prière de Marie de l’Incarnation (il y a, dans les écrits de la grande contemplative, et en particulier dans les admirables relations de ses « états d’oraison », des pages bien autrement originales et lucides ; mais celle-ci, dont je dispose en versets le texte continu, convient mieux à notre sujet actuel) :

 

On vous appelle feu. Non, mon Amour, vous n’êtes pas feu, vous n’êtes pas eau. Vous n’êtes rien de ce que nous disons. Vous êtes ce que vous êtes en votre éternité glorieuse. Vous êtes !

C’est là votre essence et votre nom. Vous êtes vie, vie divine, vie vivante, vie unissante. Vous êtes tout béatitude. Vous êtes unité suradorable, ineffable, incompréhensible. En un mot, vous êtes Amour et mon Amour !

Que dirai-je donc de vous ? Vous m’avez faite pour vous ; pour vous qui êtes Amour. Pourquoi donc ne parlerai-je pas de l’Amour ?

Mais hélas ! que dirai-je ? Je n’en puis parler sur la terre. Les saints, qui vous voient dans le ciel, vous adorent en silence, et ce silence est un parler sacré dans lequel ils goûtent l’Amour.

... Quand nous serons délivrés de cette prison, nous vous verrons comme eux, nous vous louerons comme eux, nous vous embrasserons comme eux, nous vous posséderons comme eux, nous serons plongés en vous comme eux,

et nous ne dirons plus ces similitudes basses pour exprimer votre Amour, car nous ne serons plus qu’amour, étant tout dans l’Amour,

en Vous, qui êtes mon unique Amour, ma miséricorde et mon Tout !

 

Bérulle est un plus habile écrivain que la mystique de Tours et de Québec ; il ne manque pas, dans son œuvre, de passages qui appellent la comparaison avec le style propre de Péguy, dont ils ont le rythme particulier (celui de l’oraison et d’un glissement des images fait d’abandon aux suggestions des mots). Et, tant il est vrai qu’à trois siècles de distance la spiritualité française continue de puiser au même trésor, il n’est pas jusqu’au vocabulaire des deux auteurs qui ne présente de frappantes analogies, par la valeur affective donnée à quelques vocables préférés : « secret, silence, solitude, honneur, grandeur, dignité... ». Voici quelques lignes tirées d’une des plus belles élévations des Grandeurs de Jésus :

 

Ô Vierge sainte ! ô Mère sacrée ! ô Épouse du Père, ô Fille, ô Servante, ô Mère de Dieu tout ensemble ! En cet humble et secret état de Jésus, naissant de vous en vous, par sa naissance première et intérieure, vous possédez Jésus et vous êtes possédée de Jésus... Ô que de merveilles entre le Fils et la Mère seuls liés l’un à l’autre, seuls vivants l’un en l’autre, seuls conversant l’un avec l’autre !... Ô mystère d’amour et de délices et de délices du ciel ! Car et le Fils et la Mère sont en cet état mutuel et réciproque par le dessein du ciel, par la vertu du ciel, et par l’opération du ciel. Ô mystère d’honneur et d’hommage aux grandeurs de l’éternité ! Car la paternité divine est adorée par cette maternité, le secret de la naissance éternelle par le secret de cette naissance temporelle, la résidence du Fils au Père, par la résidence du Fils en la Mère. Ô mystère de grandeur et dignité incomparable !...

 

* * *

 

Les moyens auxquels les mystiques et les contemplatifs recourent pour susciter en eux-mêmes l’état d’oraison sont bien proches des moyens propres aux poètes. Et l’on peut voir dans cette ressemblance des expressions un cas particulier du parallélisme des deux expériences, mystique et poétique. Elles aboutissent, certes, comme Jacques et Raïssa Maritain l’ont définitivement montré, à des fins différentes, l’une tendant à adorer l’Être dans le silence, l’autre s’attachant, par les enchantements de la parole, aux manifestations de l’Être. Il n’en demeure pas moins que le poète et le mystique (mais à ce point de vue le plus modeste paroissien disant son chapelet ne diffère pas du mystique) pratiquent les mêmes exercices, et pour atteindre au même degré d’attention, à la même disposition d’accueil envers une visitation attendue.

Cependant, qu’il s’agisse de poèmes qui sont explicitement des prières et qui en adoptent les formes éprouvées, ou que les procédés de la litanie soient repris en des textes tout profanes, la poésie se distingue de l’oraison par une plus grande importance conférée à l’expression et à l’invention des paroles. Le mot, l’image, le rythme sont ici moins asservis à leur emploi, moins clairement subordonnés à une intention qui leur est antérieure et supérieure. Ils sont plus autonomes, plus souverains. Ce qui se passe, pourrait-on dire, n’est pas un pur évènement situé dans l’ordre du silence, dans la profondeur de l’âme recueillie face à son Créateur ; tout se déroule à l’étage même où l’esprit invente ses expressions.

Cette différence, qui n’est pas absolue et qui comporte toutes les nuances intermédiaires, ne peut guère se définir plus nettement, mais elle ressort d’une confrontation attentive entre les litanies proprement dites et les litanies poétiques. Dans celles-ci, l’élément répété assume, plus encore que dans la prière, la fonction musicale de créateur d’euphorie ; et cette fonction apparaît d’autant mieux que le poème est plus profane. L’élément variable prend le dessus, attirant à soi toute l’attention ; la répétition semble n’avoir plus d’autre fin que de provoquer cet état d’accueil où le poète sent descendre en lui les riches présents des images, des mots, des inventions données, tandis qu’à son tour le lecteur va être mis en mesure de saisir ces inventions et d’y prendre joie.

Entre les litanies traditionnelles ou celles des mystiques et les poèmes qui en sont le plus approchés, il subsiste cette nuance et ce déplacement de l’accent. Ainsi, dans la si belle invocation de Germain Nouveau, l’image apparue à la fin du premier vers de chaque strophe, et son commentaire poétique dans les deux vers suivants ont un caractère de nouveauté qui attire à soi le regard plus qu’aucune des variantes que l’on trouve dans les litanies liturgiques :

 

Ô mon Seigneur Jésus, enfance vénérable,

Je vous aime et vous crains, petit et misérable,

Car vous êtes le Fils de l’Amour adorable.

 

Ô mon Seigneur Jésus, adolescent fêté,

Mon âme vous contemple avec humilité,

Car vous êtes la Grâce en étant la Beauté.

 

Ô mon Seigneur Jésus, qu’un vêtement décore,

Couleur de la mer calme et couleur de l’aurore,

Que le rouge et le bleu vous fleurissent encore !

 

Ô mon Seigneur Jésus, chaste et doux travailleur,

Enseignez-moi la paix du travail le meilleur,

Celui du charpentier ou celui du tailleur.

 

Ô mon Seigneur Jésus, ô convive divin,

Qui versez votre sang comme on verse le vin,

Que ma faim et ma soif n’appellent pas en vain !

 

Ô mon Seigneur Jésus, vous qu’en brûlant on nomme,

Mort d’amour, dont la mort sans cesse se consomme,

Que votre vérité s’allume au cœur de l’homme !

 

Les admirables prières de Verlaine, si simples pourtant et si semblables à des invocations spontanées, montrent presque toujours un imperceptible glissement de la litanie, répétant amoureusement le vocatif adorateur, vers la fécondité des images poétiques et de la magie verbale. L’âme du poète, une fois libérée par le refrain litanique, s’en détourne, tantôt pour exprimer, tel le simple croyant, le vœu de son cœur, tantôt pour prolonger son adoration en suivant le chemin des suggestions imprévues nées de la rime, des sons, des mille hasards que crée la loi interne de la forme choisie. Des deux exemples suivants, le premier est plus semblable à une prière la litanie fait place à une demande de secours surnaturel et à la promesse, en échange, d’une humble résolution. (C’est l’invocation à la Vierge, protectrice de la France, dans le poème qui commence par ces deux beaux vers : « L’amour de la patrie est le premier amour, Et le dernier amour après l’amour de Dieu ».)

 

... Ô vous, reine de France et de toute la terre,

Vous qui fidèlement gardez notre patrie,

Depuis les premiers temps jusqu’à cette heure austère,

 

...Vous qui, multipliant miracles et promesses,

De la Sainte-Chandelle à la Salette et Lourdes,

Daignez faire chez nous éclore des prouesses

Même en ces temps d’horreurs d’État louches et sourdes,

 

Mère, sauvez la France, intercédez pour nous,

Donnez-nous la foi vive, et surtout l’humble foi,

Que l’âme de tous nos aïeux brûle en nous tous

Pour la vie et la mort, au foyer, dans la loi...

 

... Pour qu’en les chocs prévus, virils à sa manière,

Qui fut la bonne quand elle dut être active,

 

Si Dieu nous veut vaincus, du moins nous le soyons

En exemple, lavant hier par aujourd’hui,

Et faits, après l’horreur, l’honneur des nations,

Et s’il nous veut vainqueurs, nous le soyons pour lui.

 

La Prière du Matin est un modèle parfait d’imitation poétique de la litanie ; les paroles répétées ne sont plus le nom du Seigneur ou d’un saint invoqué, mais une demande la demande du don d’oraison. Et les strophes qui naissent à la faveur de cette litanie sont pure création d’une série de paysages spirituels :

 

...Et que cette âme soit la servante très douce

Avant d’être l’épouse au trône non pareil.

Donnez-lui l’Oraison comme le lit de mousse

Où ce petit oiseau se baigne de soleil,

 

La paisible oraison comme la fraîche étable

cet agneau s’ébatte et broute dans les coins

D’ombre et d’or quand sévit le midi redoutable

Et que juin fait crier l’insecte dans les foins,

 

L’oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule,

Fût-ce dans le tumulte et l’erreur des cités,

Donnez-lui l’oraison qui sourde et d’où découle

Un ruisseau, toujours clair d’austères vérités :

 

La mort, le noir péché, la pénitence blanche,

L’occasion à fuir et la grâce à guetter ;

Donnez-lui l’oraison d’en haut, et d’où s’épanche

Le fleuve amer et fort qu’il lui faut remonter...

 

Dans la litanie poétique, il arrive que l’élément constant soit si bien réduit au rôle de pure quantité sonore, opérant une manière de fascination, que souvent, dans le lyrisme profane ou religieux, on voit conférer cette fonction précisément aux vocables les moins signifiants, verbes incolores, mots de liaison grammaticale ou logique. On approche de ce cas-limite lorsque Luc Estang, dans un de ses meilleurs poèmes, chante cette romance d’exil :

 

J’avais un pays étoile de terre

Figure de proue du vieux continent

 

J’avais un pays de vergue altière

Qui voguait devant les hauts bâtiments

 

J’avais un pays de pleine lumière

En vigie au bord des aveuglements

 

J’avais un pays veiné de rivières

Aux poumons marins gonflés librement

 

J’avais un pays premier Baptistère

Cathédrale aux fiers agenouillements...

 

Ici, c’est le thème très simple du poème (la patrie perdue) qui revient et qui déclenche une série d’ondes, ou d’envols, partant de lui dans une invention d’images que favorise aussi la permanence des rimes (rimes et images où abondent, d’ailleurs, les réminiscences de Péguy).

Un Pierre Emmanuel use de toutes les formes de la litanie poétique, ainsi que l’on pouvait s’y attendre de la part d’un poète particulièrement soucieux de la continuité du courant spirituel ; c’est se tromper à son sujet que de l’accuser de redondance rhétorique (sauf pour certains moments qui sont des faiblesses). La rhétorique vise à la persuasion et à « l’effet » ; la litanie, toute musicale et affective, est suscitatrice de suggestion et de concentration intérieure. Je me borne à une citation, tirée du pathétique Hymne de la Liberté, publié par Suisse contemporaine en juin 1941, et qui présente à l’état le plus pur le retour d’un simple terme d’articulation grammaticale (comparable aux fameux puisque et quand de Hugo, du pire Hugo oratoire comme du meilleur Hugo inspiré).

 

... Par-dessus les tyrans enroués de mutisme

il y a la nef silencieuse de vos mains

par-dessus l’ordre dérisoire des tyrans

il y a l’ordre des nuées et des deux vastes

il y a la respiration des monts très bleus

il y a les libres lointains de la prière

il y a les larges fronts qui ne se courbent pas

il y a les astres dans la liberté de leur essence

il y a les immenses moissons du devoir...

 

La prose de Rimbaud, où l’économie de tous les moyens possibles crée une si extraordinaire impression d’austère pureté, ramène souvent la litanie à son maximum de condensation. Ce sont à peine encore des mots, les plus brefs de tous, qui se répètent, et l’on pourrait presque dire que parfois l’élément litanique se borne à reproduire la place des vocables, à créer autour d’eux la même marge de silence :

 

C’est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré :

C’est l’ami ni ardent ni faible. L’ami.

C’est l’aimée ni tourmentante ni tourmentée. L’aimée.

L’air et le monde point cherchés. La vie.

 

On trouverait enfin des textes poétiques qui usent si bien de tous les éléments litaniques, depuis le vocatif d’adoration et le retour des temps forts de la phrase jusqu’au refrain « grammatical » et à la simple reprise des même arrangements syntaxiques, qu’il est impossible d’analyser leur charme. Ainsi, ce passage du Chant de notre Rhône, de Ramuz :

 

Nuits où les vagues sont venues, nuits d’étoiles aussi, nuits de calme complet (ô diversité de ces eaux !) et est-ce qu’en toi aussi on voit, mer de là-bas, et dans tes eaux salées, les étoiles de nos eaux douces, si grosses, si rondes, si blanches, plus grosses et blanches que les vraies, quand une imperceptible ride les déforme et le quartier de lune monte et descend doucement comme le bouchon du pêcheur.

Nuits de vagues, nuits de calme ; jours d’eau bleue, jours d’eau verte ; jours de bise qu’elle est toute noire, toute noire et tachée de blanc à cause des moutons qu’il y a...

 

Et c’est à une richesse analogue, je crois, que tient la puissante fascination de certaines strophes d’Aragon, comme celle-ci, de la Nuit de Mai :

 

Les vivants et les morts se ressemblent s’ils tremblent

Les vivants sont des morts qui dorment dans leurs lits

Cette nuit les vivants sont désensevelis

Et les morts réveillés tremblent et leur ressemblent.

 

Il va sans dire que les exemples extrêmes que nous citions sont fort éloignés de la prière litanique, puisque, sacrifiant le vocatif d’adoration, ils ne gardent de la litanie que son schéma sonore. Mais ces nuances sont ténues, en réalité, et la plupart des prières de poètes sont à mi-chemin entre l’oraison et la suggestion lyrique.

Péguy lui-même, dont toute l’œuvre poétique est née de l’esprit de prière, s’écarte souvent de l’invocation traditionnelle pour prendre rang dans la lignée des poètes modernes, avec lesquels il a plus d’affinités qu’on ne le soupçonne généralement. Nulle œuvre ne peut, avec autant de clarté que la sienne, servir à démontrer que la répétition verbale, entrecoupée de variantes, tend à déraciner ensemble l’esprit et les choses de l’indifférence usuelle où les immobilise l’habitude, pour les insérer dans l’ordre supérieur et vivant de la poésie. Et cet ordre, à son tour, la poésie de Péguy le prouve plus nettement encore, n’est pas autre que celui qui, dans l’acte d’adoration, ravit les regards de la créature inclinée devant son Dieu. Lorsque la poésie est vraiment présente, elle instaure à la fois le poète et le monde créé, saisi par sa parole, dans leur commune essence de créatures et de témoins de Dieu. L’immense poème d’Eve n’est pas du tout cette « forêt vierge » qu’y voit un récent biographe du poète, mais une œuvre très précisément articulée et ordonnée afin de restituer miraculeusement tout le temporel dans son état d’origine et d’absolue pureté. En ses milliers de quatrains, cette épopée, dont quelques refrains soutiennent la vaste armature, représente l’effort obstiné et presque continuellement réussi d’un poète qui tente, par la monotonie même de son discours poétique, d’entrer dans une durée intemporelle, et d’y faire pénétrer avec lui son auditeur.

Ce charme étant opéré par l’infaillible continuité des reprises de thèmes et de sonorités, toute invention, toute image prend, dans cette ambiance séparée du monde de nos habitudes, une intensité accrue et une signification qui n’a plus besoin d’être explicite, puisque l’âme plongée dans l’euphorie la perçoit comme naturellement.

La maîtrise poétique de Péguy tient à ce que son étrange méthode étend l’efficacité de la litanie et de la suggestion sonore à un immense ensemble de strophes. Le charme auquel il atteint est, seulement plus manifeste et plus systématique chez lui, le charme qui est inhérent à tout usage poétique de la langue : il consiste à user des mots de telle sorte qu’ils reçoivent de leur place dans un mouvement rythmique une part considérable de leur acception momentanée. Élevés, pour cet instant précis, à un sens exceptionnel que leur assigne le système des substitutions verbales, ils ne peuvent être intelligibles qu’au lecteur qui s’est laissé gagner par les effets de la sorcellerie sonore. De là tant de vers, de strophes qui, détachés, apparaissent comme imprécis et dénués de signification satisfaisante ; quand on les lit, au contraire, dans la continuité de la vaste phrase musicale où ils sont insérés, l’extrême exactitude, l’incroyable netteté de leur vocabulaire s’impose. Ève est toute faite de tels diamants :

 

... Et Dieu lui-même jeune ensemble qu’éternel

Regardait ce que c’est qu’un espace étendu.

Fixe il considérait d’un regard paternel

L’évanouissement d’un monde détendu...

 

...Vous n’avez plus connu les blés présomptueux

Gouvernant les saisons comme une éternité,

Anticipant le temps en toute impunité,

Vous n’avez plus connu les blés torrentueux...

 

...Vous qui savez ranger, diligente lingère,

Et compter les bonheurs aux temples de l’armoire,

Vous qui savez ranger, docile messagère,

Et compter les honneurs aux rayons de mémoire...

 

...Vous en avez tant mis dans les plis d’un long deuil,

D’entre ceux qui marchaient taciturnes et braves.

On vous en a tant pris jusque sur votre seuil,

D’entre ceux qui marchaient invincibles et graves...

 

... Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

Dans ce même limon d’où Dieu les réveilla.

Ils se sont rendormis dans cet alléluia

Qu’ils avaient désappris devant que d’être nés...

 

... Comme si d’une pierre on eût fêlé le monde,

Il s’était étoilé tout à l’entour de Rome,

Ainsi que le cristal d’une immense rotonde

Peut s’étoiler d’un coup par la main d’un seul homme...

 

...Voici monsieur le corps avec sa jeune dame.

Il veut la préserver de quelque faux savant.

Elle toujours pensante à son premier avant

Regarde le Noël, et la bûche et la flamme...

 

Plus encore que les strophes d’Ève et de la Suite d’Ève, les quatrains de la Ballade du cœur qui a tant battu sont pleins de ces merveilles de fulgurant hermétisme :

 

Ô peine aux longs cheveux

      Couchée au lit

De l’homme que tu veux

      Ensevelis...

 

... Un bonheur a passé

      Tout à côté,

Loin et comme espacé

      D’éternité...

 

... Âme, réseau d’amours

      Entrelacés,

Du feu du dernier jour

      Sois-tu sauvée...

 

... Les jours tissés de soie

      Sur fond de laine.

Nos sorts tissus de joie

      Sur fond de peine...

 

...De la première mort,

      Seule pleurée,

À la dernière mort,

      Seule leurrée.

 

De la première mort,

      Toujours présente,

Jusqu’à la propre mort

      Toujours absente...

 

... Cathédrale de Chartres

      Croisée en Beauce

Comme une immense Croix

      Sur une fosse...

 

... Ô cœur instantané,

      Tu vis, tu meurs,

Ô cœur momentané,

      Lourd de rumeurs...

 

Les reprises de Péguy ne sont donc pas des tâtonnements, mais, comme il le dit, « des échelonnements qui servent... à mesurer des distances intérieures » dans le « climat » où il tente de s’établir. Elles lui permettent, en outre, de créer cette unité du ton qui le dispense de toutes les articulations visibles, ou logiques, entre ses strophes bien closes et juxtaposées « sans aucun ciment ». Rien, dit-il, n’est aussi important que le ton d’une œuvre, « cette sorte d’unité qui court partout, tellement sûre d’elle-même et tellement partout maîtresse d’elle-même que l’idée ne lui vient même pas de gêner aucune liberté ».

Mais si Péguy a fait ainsi de la litanie un usage que certains jugent immodéré, ou que d’autres aperçoivent si peu qu’ils jugent médiocres ses vers, parce qu’ils les considèrent hors du courant magnétique où ils prennent leur vraie résonance, il est aussi le seul poète de nos jours qui ait inventé de nouvelles litanies chrétiennes, toutes comparables à celles des moines de Saint-Victor ou de Saint-Gall.

La récente édition des œuvres poétiques nous a révélé l’une des plus belles litanies, qui fut probablement écrite pour terminer Eve avant que Péguy ne s’arrêtât aux Morts parallèles. On pourrait l’appeler La litanie de Jésus charpentier :

 

Puissions-nous le revoir, l’homme de pureté,

Ainsi qu’on le voyait au bourg de Nazareth.

Puissions-nous le revoir dans son éternité

Comme il était dans Ur et dans Génésareth.

 

Puissions-nous le revoir, l’homme d’entièreté,

Comme il était sans schisme et sans démembrement.

Puissions-nous le revoir dans son commandement

Et dans sa surveillance et dans son unité.

 

Puissions-nous le revoir, l’homme de propreté,

L’homme du linge fin et des âmes bien nettes

Et du buffet de chêne et des piles d’assiettes,

Puissions-nous le revoir dans sa sérénité.

 

Puissions-nous contempler l’homme de pauvreté.

Puissions-nous le revoir, l’homme des pauvres chaumes.

Puissions-nous le revoir dans ses vastes royaumes,

Qui sont ceux de sa grâce et de sa charité.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

 

Puissions-nous contempler quand nous serons jugés

La figure laissée aux mains de Véronique.

0 Seigneur puissions-nous revoir le fils unique,

Le jour que nous serons convoqués et pesés.

 

Puissions-nous contempler l’homme de Nazareth,

L’ouvrier du bois d’orme et du bois de bouleaux.

Et l’homme de la barque et de Génésareth,

Et la procession de ses pieds sur les eaux.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

 

Puissions-nous le revoir comme il était alors,

L’homme du bois de tremble et du bois de bouleau.

Et puissions-nous après nos oublis et nos morts

Nous retrouver vivants dans son dernier château.

 

Puissions-nous le revoir cet homme qu’il était,

L’homme du bois d’érable et du bois de bouleau.

Comme il se gouvernait, comme il se comportait.

Comme il taillait un joint au bout d’un soliveau.

 

Puissions-nous le revoir à la droite du père,

L’homme du bois de saule et du bois de bouleau.

Puissions-nous le revoir comme il était sur terre,

Et comme il assemblait une poutre en biseau.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

 

Puissions-nous le revoir comme on retrouve un frère,

L’homme du bois de charme et du bois de bouleau.

Comme il se comportait chez son père et sa mère.

Comme il tenait sa règle et plantait son niveau.

 

Puissions-nous le rejoindre à la droite du père,

L’homme du bois de hêtre et du bois de bouleau.

Puisse-t-il nous lever de notre humble misère

Et nous faire monter dans un siècle nouveau.

 

 

 

 

 

 

NOTES

 

 

Madame Gervaise (page 8).

 

Vainement, certains commentateurs, et en particulier le plus récent, ont voulu voir une opposition entre la Jeanne d’Arc du premier drame, qui serait une « grande libre-penseuse », et Gervaise, « personnage type de la commune vérité, de la morale convenue et de toute une théologie peureuse et orthodoxe » (Roger Secrétain : Péguy, soldat de la vérité, Marseille 1941, p. 148). En réalité, Hauviette et Mme Gervaise expriment cette part de son âme que Péguy, pour un temps, laissait dans l’ombre. En 1911, dans le Mystère, il gardera intégralement les paroles de Gervaise ; et Jeanne, dans la suite publiée par Marcel Péguy, cédera à ses lumières.

 

 

Fidélité au socialisme (page 24).

 

Notre jeunesse (1910) dégage en toute clarté la fidélité de Péguy à la « mystique » républicaine et socialiste. Mais c’est dans Un nouveau théologien (1911) qu’il montre de façon décisive que, de ses croyances humanistes à son catholicisme retrouvé, le passage put se faire sans « conversion » brusque, par une simple découverte du foyer intérieur d’où rayonnaient ses espoirs et ses attachements. De même que le Mystère de la charité conserve tout le texte de l’ancienne Jeanne d’Arc, mais y introduit sans violence, par une sorte de croissance organique, les pages nouvelles du poète redevenu chrétien, de même il peut écrire : « Nous avons toujours continué dans le même sens... Nous avons constamment tenu la même voie droite, et c’est cette même voie droite qui nous a conduit où nous sommes... C’est par un approfondissement constant de notre cœur dans la même voie, ce n’est nullement par une évolution, ce n’est nullement par un rebroussement que nous avons trouvé la voie de chrétienté. Nous ne l’avons pas trouvée en revenant. Nous l’avons trouvée au bout... C’est pour cela que nous ne renierons jamais un atome de notre passé. Nous avons pu être pécheurs. Nous l’avons été certainement beaucoup. Vro nobis peccatoribus. Mais nous n’avons jamais cessé d’être dans la bonne voie. Notre préfidélité invincible, notre jeune préfidélité aux mœurs chrétiennes, à la pauvreté chrétienne, aux plus profonds enseignements des Évangiles, notre obstinée, notre toute naturelle, tout allante préfidélité secrète nous constituait déjà une paroisse invisible. Nous avons pu être avant la lettre. Nous n’avons jamais été contre l’esprit. »

 

 

La prière et les sacrements (page 40).

 

On ne pourra parler utilement des limites de l’orthodoxie de Péguy que lorsqu’un théologien (mais doué du sens de la liberté poétique et sachant discerner ce qui n’est que témérités verbales) aura donné un commentaire perpétuel des grandes œuvres, Mystères et surtout Ève, qui n’ont jamais été analysées sérieusement. Au sujet des sacrements, de nombreux passages seraient à citer, où Péguy leur donne leur juste importance (ainsi la litanie des « armes de Jésus » dans les Tapisseries ; et dans Ève, entre autres : « C’est le sang de la messe et le sang du calice... »), mais il est certain que son étrange position hors de toute pratique devait lui permettre une expérience plus constante de la prière ; ce qui ne veut pas dire qu’il lui confère aucune primauté. Voir aussi cette strophe très claire de la Prière de référence récemment publiée dans l’édition de la Pléiade :

 

Tant de coups de fortune et de coups de misère

N’ont point sonné le four de la fragilité ;

Tant de malendurance et de brutalité

N’ont point laïcisé ce cœur sacramentaire.

 

 

Les chemins de la grâce (page 39).

 

Les développements de Péguy sur les itinéraires divers de la grâce peuvent être rapprochés du proverbe portugais que Claudel met en épigraphe au Soulier de Satin : « Deus escreve direito por linhas tortas », avec ce commentaire de la première scène : « Mais, Seigneur, il n’est pas si facile de Vous échapper, et s’il ne va pas à Vous par ce qu’il a de clair, qu’il y aille par ce qu’il a d’obscur ; et par ce qu’il a de direct, qu’il y aille par ce qu’il a d’indirect... » Mais il y a de sensibles différences entre les interprétations que Claudel et Péguy se donnent du Etiam peccata de saint Augustin.

 

 

La communion des saints (page 42).

 

La joie d’« être dedans », de faire partie de la communion des saints, se traduit, dans le vocabulaire de Péguy, par la fréquence et la vibration du mot ensemble, qu’il répète avec une délectation évidente. Ainsi, dans le Mystère de la Charité :

 

« Il y a la communion des saints ; et elle commence à Jésus ; il est dedans. Il est à la tête. Toutes les prières, toutes les épreuves ensemble ; tous les travaux, tous les mérites, toutes les vertus ensemble de Jésus et de tous les autres saints ensemble, travaillent et prient pour tout le monde ensemble, pour toute la chrétienté, pour le salut du monde. Ensemble...

« Il faut se sauver ensemble. Il faut arriver ensemble chez le bon Dieu. Il ne faut pas arriver, trouver le bon Dieu les uns sans les autres. Il faudra revenir tous ensemble dans la maison de notre père. »

 

Voilà qui est bien proche du catholicisme de Claudel : « Il n’y a pas de plus grande joie que de réunir plusieurs choses ensemble et beaucoup d’êtres ensemble dans son cœur. »

On pense aussi à Ramuz : « Je tends à réunir plusieurs choses ensemble dans mon cœur » (Le grand printemps). Et : « par delà tous les pays, il y a peut-être le Pays... où on a en commun un Père et une Mère, où la grande parenté des hommes est entr’aperçue pour un instant. Car c’est à le réapercevoir pour un instant que tendent tous les arts, et à nulle autre chose... ». D’ailleurs, que de points d’entente à relever entre Péguy et les textes où Ramuz, profondément, a défini ses nostalgies de mystique sans confession. « Le phénomène de l’art est un phénomène d’incarnation... Le poète immobilise l’espace ; il tâche de le guérir de sa maladie, qui est le temps... Par un seul être intimement rejoint, il communie un instant avec tous les êtres... Il faut tâcher de connaître tous les étages de l’amour... »

 

 

Péguy et Verlaine (page 54).

 

Dans les vers des Morts parallèles, si gentiment téméraires :

 

« ... et s’il faut vraiment mettre

L’amour de la patrie après l’amour de Dieu »,

 

Péguy se souvient manifestement de Verlaine :

 

L’amour de la patrie est le premier amour

Et le dernier amour après l’amour de Dieu.

 

Ce n’est pas le seul emprunt qu’il ait fait au pauvre Lélian ; dans ce même épisode des Morts parallèles, il met un vers en italiques, comme il le faisait malicieusement lorsqu’il citait sans le dire un de ses devanciers :

 

Dans le propre pays de ses travaux champêtres

L’une est morte au milieu d’un peuple façonné.

Sous les regards dardés de toutes les fenêtres

L’autre est morte au milieu d’un peuple pardonné.

 

Ce vers se trouve presque littéralement dans le beau sonnet, trop peu connu, que Verlaine adolescent écrivit sur la Pucelle :

 

Quand déjà pétillait et flambait le bûcher,

Jeanne, qu’assourdissait le chant brutal des prêtres,

Sous tous ces yeux dardés de toutes ces fenêtres

Sentit frémir sa chair et son âme broncher.

 

On trouve aussi chez Verlaine, comme chez Péguy, mais sous une forme très simple, cette offrande de son propre néant que connaissent tous les mystiques véritables :

 

Vous connaissez tout cela, tout cela,

Et que je suis plus pauvre que personne...

Mais ce que j’ai, mon Dieu, je vous le donne.

 

Dans son introduction à l’édition de la Pléiade, M. François Porché donne ce précieux détail : c’est après une lecture que Madame Simone lui fit des sonnets de Sagesse (qu’il ignorait encore), qu’un soir de l’été 1911 Péguy se retira dans sa chambre et composa ses premiers vers réguliers. Il ne faut pas oublier, cependant, ceux qu’il avait insérés dans l’ancienne Jeanne d’Arc. Au reste, les réminiscences littéraires sont innombrables chez Péguy, qui emprunte à ses devanciers, de Rémy Belleau à André Gide, les images qui lui plaisent. Je crois que M. Porché se hâte un peu trop d’affirmer qu’il n’a rien retenu de l’exemple de son cher Hugo. Tous les vers d’Ève qui suggèrent l’immensité du paysage édénique, multiplient les adjectifs chers à Hugo : immense, énorme, vaste, profond. Et, dans le finale, on trouve cette strophe :

 

Et comme on ne sait pas parmi tant de bonheurs

Ce qu’on aime le mieux, si c’est un bel orage,

Ou si c’est la saison du profond labourage,

Ou le balancement des vastes moissonneurs.

 

D’ailleurs, l’admirable Prière pour nous autres charnels (« Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre ») a sa préfiguration dans l’Hymne de Hugo :

 

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie

Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie...

 

M. Porché a-t-il raison d’écarter toute influence baudelairienne ? On peut en douter quand on se souvient de certaines rimes en ostensoir, reposoir, soir (mais qui pourraient aussi venir de la Maison du Berger), et de cette strophe d’Ève :

 

Les vapeurs qui montaient, faisaient un encensoir,

Et les cèdres faisaient de hautes barricades.

Et les fours de bonheur étaient des colonnades.

Et tout se reposait dans le calme du soir.

 

Le retour aux « premiers villages » (page 71).

 

Déjà dans De la situation... d’octobre 1907, Péguy, évoquant autour de Paris la présence de tous les villages de France, donnait son sens définitif à sa nostalgie à son « mal du retour » :

 

«... non point seulement les villages circulaires... mais les autres villages, les villages carrés ou diagonaux des carrefours, les villages des croix, la Croix de Berny, le Christ de Saclay, villages de croisements et d’auberges... et les autres villages encore, les simples villages de route et de chemin, les villages allongés, linéaires, filiformes, un peu dispersés, un peu éparpillés, un peu semés tout le long de la route, car ils ne sont pas moins que les cailloux blancs du Petit Poucet : ils servent à reconnaître notre chemin quand nous retournons dans la maison de notre père... »

 

 

Note bibliographique.

 

Une analyse complète de la vie religieuse et de la pensée chrétienne de Péguy ne pourra être tentée qu’après la publication des inédits. Cette étude a été esquissée par Th. Quoniam (De la Sainteté de Péguy, 1929), livre en partie excellent, avec un bon chapitre sur « le saint abandon », mais incomplet, et parfois vague. L’essai de Izard (dans E. Mounier, Marcel Péguy, G. Izard : La Pensée de Péguy, 1931, seule la grande étude de Mounier est bonne) fausse les perspectives. Daniel-Rops, dans un livre cursif et vivant (Péguy, 1932), a un chapitre très faible sur Péguy chrétien ; la préface de la réédition de 1935 le corrige et découvre tardivement qu’il y a « un Péguy contemplatif ». Certaines étapes (celle de la première Jeanne d’Arc surtout) sont très bien marquées par D. Halévy dans la troisième édition de son Péguy et les Cahiers (1941) qui reste la meilleure biographie intérieure du poète (celle, célèbre, des Tharaud abuse du pittoresque et de l’incompréhension particulière aux condisciples). Les deux brèves présentations de Péguy faites par P. Archambaut en 1939, et par Pierre Péguy en 1941 sont des dessins exacts et toutes deux remarquables par un choix parfait des citations. Quant au bon ouvrage de Roger Secrétain (Péguy, soldat de la vérité, 1941), il vaut d’abord par une vivante peinture du milieu Orléanais ; et on est heureux, bien entendu, d’y découvrir un portrait de Péguy qui le soustraie au conformisme et mette l’accent sur son tempérament révolutionnaire. Mais que d’erreurs singulières dans ce livre dont l’auteur prend Eve, pour une œuvre désordonnée (« une forêt vierge ») et Péguy pour un « hérétique par vitalité ». M. R. Secrétain accuse Péguy d’« un culte à demi païen rendu à Marie sous l’aspect exclusif de Notre-Dame de Chartres » ! Et, sans rire, il écrit : « Une même tendance libertaire et personnaliste met Jeanne d’Arc et Péguy aux frontières du protestantisme. » La preuve, c’est que le dernier mot écrit par Péguy, à la dernière page de la Note sur Descartes, fut « protestant ». M. Secrétain omet seulement de dire que cette page est une sévère critique du protestant qui « consulte tout le temps les poteaux indicateurs ». Mais ces erreurs sont moins attristantes que celle de Marcel Péguy (Le Destin de Charles Péguy, Paris, 1941) qui présentait son père comme le précurseur des doctrines racistes. (Le livre a été réédité plus récemment, allégé des pages les plus troublantes.)

 

(Depuis la rédaction de cette note, de nombreux et d’importants ouvrages ont été consacrés à Péguy, au premier rang desquels il faut citer la somme d’André Rousseaux, Le Prophète Péguy (publiée d’abord par les Cahiers du Rhône en trois volumes, puis en deux volumes par La Baconnière et Albin-Michel). Pour la première fois on va au cœur de Péguy, de sa pensée et de sa poésie. Simultanément, Jean Delaporte publiait chez Plon les deux gros volumes de son Connaissance de Péguy, précieuse analyse par thèmes qui tient compte de beaucoup de textes négligés. Et Romain Rolland avait achevé, à la veille de sa mort, un grand Péguy (2 volumes, chez Albin Michel), sur lequel il y a beaucoup de réserves à faire, mais qui est le témoignage d’un ami. Citons encore les ouvrages, plus cursifs, de Dubois-Dumée et Jean Roussel. On vient d’imprimer aussi l’intéressante étude qu’Albert Chabanon avait consacrée à la Poétique de Péguy ; l’auteur de ce livre a été fusillé par les Allemands en 1944 et n’a pu apporter à son texte les derniers remaniements qu’il projetait. Je signalerai enfin la prochaine publication d’une thèse de la Faculté de Bâle, de Mlle E. Gremminger, sur l’Évolution religieuse de Péguy (en langue allemande) et la fondation des Cahiers de l’Amitié Charles Péguy, dirigés par M. Auguste Martin ; le premier de ces cahiers contient une étude de Jules Riby sur Péguy et Pascal. Les suivants compléteront la bibliographie critique des éditions de Péguy et des études sur Péguy amorcée dans le premier cahier.)

 

(Décembre 1947.)

 

 

 

TABLE

 

LA PRIÈRE DE PÉGUY

 

          I. La pureté et le vieillissement

 

          II. La communion des saints

 

          III. L’oraison

 

NOTE SUR LA LITANIE

 

NOTES : Madame Gervaise – Fidélité au socialisme La prière et les sacrements Les chemins de la grâce La communion des saints Péguy et Verlaine Le retour aux premiers villages Bibliographie.

 

 

 

 

 

 

 

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