Usages et superstitions qui se rattachent au culte
de saint Jean tant en Orient qu’en Occident
par
H. BERNARD
I.
L’architecture religieuse, l’iconographie sacrée et l’étude de la numismatique attestent toute l’importance du culte rendu autrefois au Précurseur. Ce grand saint fut, en outre, et par un privilège bien digne de remarque, l’objet d’une vénération profonde chez les nations non chrétiennes de l’Orient et d’un culte même chez quelques-unes.
À cette vénération, à ce culte se rattachaient des usages singuliers, des superstitions nombreuses.
Ces divers points ont été l’objet de savants travaux, au premier rang desquels il faut placer l’excellent ouvrage de Paciaudi : De cultu sancti Joannis Baptista, et l’intéressant mémoire de M. A. Breuil. C’est à leurs judicieuses recherches que nous allons emprunter les traits fort abrégés du tableau que nous présentons ici.
En élevant sur le mont Coelius la première basilique du monde chrétien, Constantin la plaça sous le patronage de saint Jean. Par une analogie remarquable, le premier roi lombard converti au catholicisme, Agilulfe, fonde à Turin une église portant le nom du Précurseur, et Théodelinde, sa femme, bâtit à Monza, en l’honneur de saint Jean, la basilique où les rois lombards ceignaient la couronne de fer. Telle était, selon Paciaudi, la dévotion des Lombards envers saint Jean, qu’ils rapportaient à sa protection toutes les prospérités de l’individu, de la famille et de l’État, et le regardaient comme une sorte d’oracle, qui, en toutes choses, devait diriger leur conduite. Quand l’archiprêtre, au couronnement des empereurs, plaçait sur leur front la couronne de fer, l’invocation de saint Jean et ce nom même d’oracle se trouvaient dans la formule qu’ils prononçaient : In oraculo S. Johannis Baptistae frreo diademate de jure regni corono te.
Hélène, mère de Constantin, fit bâtir un temple superbe près de l’antre où saint Jean avait cherché la solitude. Plus tard, Théodose-le-Grand construisit, dans le faubourg de Constantinople, un temple, non moins magnifique, pour y placer le chef du saint, découvert sous son règne. Par ses soins aussi s’éleva, sur les ruines d’un temple de Sérapis, une église destinée à renfermer les reliques trouvées à Sébaste. Il serait trop long de dénombrer tous les monuments orientaux élevés en l’honneur de saint Jean. On les rencontrerait non seulement en Palestine, en Syrie, en Égypte, mais jusque dans les régions les moins connues de l’Asie centrale. C’est ainsi qu’au rapport de Marc-Paul, ce voyageur célèbre du XIIIe siècle, dans son ouvrage De Regionibus orientalibus, il y aurait eu à Samarca, dans la province de Cashgar, une grande basilique dédiée au Précurseur, construite de telle sorte que toute la voûte s’appuyait sur une seule colonne de marbre placée au centre de l’édifice. Les mahométans, par haine pour les chrétiens, ayant enlevé la base de la colonne, le fût se trouva suspendu de trois pieds au-dessus du sol. Cependant, par un prodige dont Marc-Paul prétend avoir été le témoin, mais qui n’a d’autre garantie que sa parole, ni la colonne, ni la coupole du temple ne s’affaissèrent.
Si des régions orientales nous passons en Europe, les monuments élevés au Précurseur ne nous y apparaîtront pas en moins grand nombre, et parmi ces édifices, les baptistères occupaient anciennement une place considérable. Pendant longtemps, on le sait, le baptême s’administra par immersion. Dès l’origine, la cérémonie pouvait s’accomplir dans les eaux de la mer, d’un fleuve, d’un lac, d’une fontaine, même dans celle d’un bain, sous le toit d’une maison particulière ; mais plus tard, l’autorité ecclésiastique fit construire des édifices spécialement destinés au baptême, et l’immersion eut lieu dans un vaste réservoir appelé Natatorium, recevant les eaux par un conduit. Ces baptistères, pour l’emplacement desquels on choisissait généralement le voisinage des rivières ou des fontaines, étaient consacrés à saint Jean-Baptiste, circonstance qui leur valut le nom de Ecclesiae S. Joannis in fonte. Ce fut dans un baptistère ainsi désigné que saint Augustin reçut le baptême à Milan.
M. Breuil fait observer avec raison que la création des baptistères contribua puissamment, sans doute, à la multiplication des églises qui ont porté et qui portent encore le nom de Saint-Jean-Baptiste, une grande partie de ces baptistères ayant été transformés en églises, à l’époque où l’immersion étant devenue hors d’usage, on n’avait plus besoin d’édifices affectés exclusivement à la cérémonie du baptême.
Les Grecs célébraient cinq fêtes de saint Jean : la Conception de sainte Élisabeth, la Nativité de saint Jean, la Synaxe du Précurseur, sa décollation, la commémoration de l’invention de son chef. La Synaxe, fête particulière des Grecs, sanctifiait et perpétuait le souvenir de ces grandes assemblées dans lesquelles le Précurseur prêchait aux hommes la vertu et la pénitence.
Les Églises grecque et latine célébraient toutes deux l’invention du chef de saint Jean ; mais la fête de la Nativité du Précurseur était la plus considérable et la plus ancienne de toutes.
Le Précurseur est le seul saint dont la naissance soit célébrée. « C’est avec raison, dit saint Bernard, que l’Église, qui n’attache point de prix à la naissance des autres saints, mais à leur mort, glorifie, par exception, la naissance de celui qu’avait annoncé l’ange en disant : Multi in nativitate ejus gaudebunt. Les prophètes, les patriarches, s’écrie saint Augustin, sont nés pour prophétiser dans la suite ; mais la naissance même de Jean a prophétisé le Seigneur Christ, qu’il a salué par un tressaillement dans le sein de sa mère. »
Bossuet, dans ses Élévations sur les mystères, dit, en parlant de la visite de Marie à sainte Élisabeth : « Il (saint Jean) sent la présence du maître et commence l’office de son précurseur, si ce n’est encore par la voix, c’est par ce soudain tressaillement. »
On peut conclure avec sécurité du témoignage de saint Augustin que, dès le IVe siècle, la nativité de saint Jean avait pris place parmi les fêtes de l’Église, et le rang qu’elle y occupait fera facilement comprendre son importance liturgique. Un canon du concile de Séligeustad prescrivait, non pas un seul jour, mais une sorte de carême : quatorze jours d’abstinence avant la Saint-Jean-Baptiste. Le concile de Lérida défend de célébrer les mariages depuis la Septuagésime jusqu’à l’octave de Pâques, puis, trois semaines avant la Saint-Jean ; enfin, depuis l’Avent jusqu’à l’Épiphanie. Ainsi, aux regards du concile, la nativité du Précurseur occupait presque le même rang que les deux plus grandes fêtes de notre religion. Anciennement, trois messes étaient célébrées à la Saint-Jean de même qu’à Noël. La première se chantait la nuit, in pervigilio, la seconde à l’aurore, sub auroram, et la troisième avant midi, horis ante meridianis. Cet usage liturgique, attesté par le sacramentaire de Grégoire-le-Grand, ainsi que par le célèbre antiphonaire de ce pontife, a subsisté pendant plusieurs siècles. Malgré les explications mystiques que l’on a cherché à donner de l’institution de ces trois messes, il est permis de croire, avec M. Breuil, qu’elle ne dut son origine qu’au seul désir de donner à la nativité de saint Jean un caractère de ressemblance de plus avec la fête de Noël, dont elle formait le pendant. Le parallélisme de ces deux fêtes ne saurait échapper à l’étude la moins approfondie des faits.
La Saint-Jean se célébrait avec la plus grande pompe et l’Église, de concert avec l’autorité civile, réalisait de son mieux la parole de l’ange : Multi in nativitate ejus gaudebunt. L’allégresse publique pénétrait au sein même des monastères et y tempérait les rigueurs de la règle.
Nous avons vu plus haut les monuments de l’architecture religieuse nous révéler la précellence du culte de saint Jean : l’iconographie sacrée ne sera pas moins explicite à cet égard. On appelle diptyques ou triptyques à figures ces tableaux d’argent, d’ivoire, de bois, sur lesquels étaient représentés les images des saints, au moyen du burin ou du pinceau. Ils avaient quatre destinations différentes. Les uns se plaçaient sur l’autel comme ornements, les autres recevaient les livres des Évangiles ; une troisième sorte était, pendant les saints mystères, présentée au baiser du peuple ; les derniers enfin appartenaient à des fidèles qui les gardaient dans leurs maisons comme objets de piété. Or, l’image du Précurseur se rencontre fréquemment dans la première, la seconde et la quatrième espèce, avec une distinction que fait ressortir M. Breuil en prenant pour exemple un remarquable triptyque en ivoire de fabrication grecque, et provenant du cabinet de Benoît XIV. Ce triptyque est un de ceux qui servaient d’ornement aux autels. Si l’on fixe son attention sur le compartiment du milieu, on y aperçoit le Christ assis, ayant à sa droite le Précurseur, et la Sainte Vierge à sa gauche.
Telle était la dévotion des Grecs envers saint Jean que, dans leurs tableaux de tout genre, ils l’associaient au Christ et à sa mère. On sait avec quelle profusion d’ouvrages d’art ils ornèrent la basilique de Saint-Marc. Près de la porte du baptistère et sur la face extérieure du temple, on remarque un groupe en marbre de Paros, représentant Jésus-Christ tenant un livre de la main gauche et bénissant de la main droite, selon le rite latin ; puis, à ses côtés, la mère de Dieu et le Précurseur lui adressant leurs prières les mains étendues. Sansovino assigne à ces sculptures une curieuse origine. Il prétend qu’un certain sculpteur ayant reçu de Dioclétien l’ordre d’exécuter en marbre Jupiter, Junon et Mercure, fit un Jésus-Christ, une Notre-Dame et un saint Jean-Baptiste, et que cette pieuse substitution lui valut l’honneur du martyre. Les statues, ajoute-t-il, furent transportées d’Aquilée à Venise.
Les Grecs associaient même saint Jean au Christ et à la Sainte Vierge dans les images des habits ecclésiastiques. Cantacuzène rapporte que le patriarche de Constantinople, Jean, après avoir couronné l’empereur Andronic, voulut relever par quelque ornement la dignité patriarcale. Avant lui, les patriarches avaient porté le flamméum blanc (ce flamméum servait à couvrir la tête) ; il l’enrichit d’or et y fit représenter les images du Sauveur, de la sainte Mère de Dieu et de saint Jean-Baptiste.
Bien que cette association se rencontre spécialement chez les Grecs, elle ne fut point sans exemple chez les Latins. Elle constitue sans doute un grand honneur rendu à saint Jean ; mais ici vient s’en placer un autre, plus insigne et le rapprochant plus encore de la divinité.
On sait que lorsque les rois et les puissances de la terre faisaient aux églises des dons considérables, comme des sculptures, des châsses, des reliquaires, ils reconnaissaient humblement, dans les inscriptions commémoratives, que Dieu était le premier auteur de ces dons. La formule usitée était celle-ci : De donis Dei offert, etc., des dons de Dieu il offre.
Or, suivant le témoignage de Paciaudi, une colonne conservée au musée de Vérone, et qui devait avoir servi autrefois à soutenir le saint ciboire dans une église, présentait ces mots : De donis sancti Johannis-Baptistae (des dons de saint Jean-Baptiste), substitués à ceux consacrés par un usage général, de donis Dei.
Aucun autre saint n’a partagé avec le Précurseur le privilège de l’application de la célèbre formule.
L’étude de la numismatique révèle l’existence d’un grand nombre de monnaies sur lesquelles se trouve l’effigie de saint Jean-Baptiste et dont Paciaudi a donné le catalogue. La première pièce à mentionner est une monnaie de cuivre des premiers temps du christianisme et qui représente sur l’une de ses faces la tête de Jésus-Christ, avec cette légende : Redemptio filiis hominum. Viennent ensuite des monnaies de rois, de papes, de princes, de villes et celles de l’ordre militaire de Saint-Jean.
Le rôle politique et les hauts faits militaires de cet ordre célèbre ont fourni à l’histoire quelques-unes de ses pages les plus glorieuses. Possesseurs de l’île de Rhodes, les chevaliers y tinrent pendant plus de deux cents ans les Turcs en échec, et ne l’abandonnèrent à Soliman qu’après la défense la plus héroïque ; investis dans l’île de Malte, leur nouveau séjour, par les meilleures troupes de ce même Soliman, ils soutinrent avec une poignée d’hommes un siège de trois mois et forcèrent l’ennemi vaincu à se rembarquer. Il n’entre point dans notre cadre d’énumérer les bienfaits dont la chrétienté fut redevable à l’ordre de Malte, nous nous contenterons de signaler l’accroissement qu’il procura au culte de saint Jean. D’abord, l’établissement formé par lui dans la ville d’Acre, en Syrie, y excita une si vive dévotion envers le Précurseur, que cette ville joignit à son nom celui de Saint-Jean. Puis, lorsque les biens de l’ordre furent partagés en prieurés, bailliages et commanderies, toutes ou presque toutes les églises dépendantes de ces établissements furent placées sous l’invocation du saint patron des chevaliers.
À l’époque où le siège de l’ordre était encore à Rhodes, le sultan Bajazet, pour gagner l’amitié du grand-maître d’Aubusson, lui avait fait présent de la main de saint Jean, précieuse relique autrefois conservée dans une église d’Antioche, puis déposée à Constantinople où les Turcs l’avaient respectée. Le grand-maître fit placer cette main dans un tabernacle d’or massif, enrichi de perles et de pierres précieuses ; et lorsque plus tard elle eut été transportée à Malte, l’ordre obtint, sous le magistère d’Adrien de Vignacourt, au XVIIe siècle, la permission de célébrer la fête commémorative de la Translation. La sainte relique, placée dans l’église de Saint-Jean, y resta jusqu’en 1798. Les Français l’enlevèrent, ainsi que tous les objets précieux qui se trouvaient dans les monuments publics de la Valette ; mais, après la capitulation, ils la rendirent au grand-maître Hompesels, qui l’emporta en Italie. Elle fut ensuite envoyée à Saint-Pétersbourg, lorsque Paul Ier se fut proclamé grand-maître de l’ordre. Telle est, en quelques mots, l’histoire de cette main de saint Jean qui, longtemps révérée sous le ciel de l’Asie-Mineure, devint une espèce de talisman par la vertu duquel des hommes de toutes nations, réunis sous le même drapeau, accomplirent de glorieuses actions et conquirent une place immortelle dans les fastes du catholicisme. Pour honorer son glorieux patron, l’ordre faisait appel à tous les arts. Ainsi, Mathias Preti, l’élève du Guerchin, fut chargé de peindre dans l’église de Saint-Jean-de-Malte toute la vie du Précurseur, et Michel-Ange d, :, Caravage retraça la décollation dans un tableau à la fois effrayant et sublime, destiné à orner la chapelle où la main était déposée. Dans l’oratoire des grands maîtres, on voyait une statue d’argent qui représentait le Précurseur portant l’agneau. À la poupe du vaisseau amiral apparaissait une statue de bois d’une sculpture exquise : c’était encore saint Jean, tenant de la main droite une lance et de la main gauche un livre. Vers le milieu du XVIIe siècle, Paciaudi vit à Malte ce vénérable palladium de la marine de l’ordre. Conservé depuis longtemps déjà comme relique dans le trésor des chevaliers, il portait les traces des nombreux assauts que les vents et les vagues lui avaient livrés ; dans la main droite, le livre était encore entier, mais la gauche ne portait plus qu’un tronçon de la lance guerrière.
On sait qu’au moyen-âge, chacune des principales maladies qui affligeaient l’humanité se désignait par le nom du saint auquel on attribuait plus spécialement le pouvoir de la guérir. Ainsi, par exemple, l’hydropisie s’appelait maladie de saint Eutrope, la lèpre, maladie de saint Lazare. Saint Jean avait aussi donné son nom à une des maladies les plus terribles, l’épilepsie. Quelle en fut la raison ? Il serait assez difficile de la déterminer. M. Breuil la trouve dans une tradition populaire suivant laquelle la femme d’Hérode était devenue épileptique en punition de la part qu’elle avait prise à la mort de saint Jean-Baptiste et au moment même où le chef sanglant du Précurseur lui avait été présenté. De ce miracle serait dérivée la croyance que l’on devait recourir à saint Jean pour la guérison de la maladie. Quoi qu’il en soit de l’origine de cette croyance, toujours est-il certain, d’après le témoignage d’un cartulaire royal cité par Du Cange, que l’épilepsie portait le nom de mal Saint-Jean vers la fin du XIVe siècle.
Nous venons de voir la vénération profonde dont saint Jean fut l’objet chez les nations chrétiennes ; nous allons retrouver son culte, par un privilège qui lui est particulier, non moins fortement établi chez les nations non chrétiennes de l’Orient.
L’historien juif Josèphe parle du Précurseur avec de grands éloges et raconte l’histoire de son martyre à peu près de même que le Nouveau-Testament. Suivant lui, le tétrarque Hérode, témoin de la puissante influence que saint Jean, le sincère prédicateur de la vérité et de la vertu, exerçait sur le peuple, le fit décapiter dans la crainte d’une révolution. Les écrivains juifs postérieurs à Josèphe sont d’accord pour placer Jean-Baptiste parmi les hommes les plus distingués de leur nation. Le Coran même retrace la naissance et la mission du fils de Zacharie conformément à l’histoire évangélique, et, si l’on en croit d’Herbelot, la nativité de saint Jean est marquée dans les éphémérides des mahométans sous le nom de Mila Jahia. Enfin, les Turcs attribuent à saint Jean le pouvoir de faire cesser la peste ; ils ont même un proverbe à ce sujet : « Quand saint Jean arrive, la peste s’en va. »
Il existe de nos jours, en Orient, une ancienne secte fort nombreuse, qui n’adresse pas seulement un culte à Jean-Baptiste, mais qui le proclame encore son fondateur et son chef. Les adhérents sont connus sous le nom de Mandaïtes, Nazaréens, Sabiens, chrétiens ou plutôt disciples de saint Jean, Mandai Jahia. Ils se divisent en deux fractions ou communautés. L’une, se composant de quatre à cinq mille personnes, habite dans le Schat-el-Arab (l’ancienne Mésopotamie et la Babylonie), près des villes de Bassora et de Korna. L’autre, qui compte environ quatorze mille personnes, passe pour habiter en Syrie, aux environs de Latakié ou Laodicée, et peut-être dans certaines vallées du Liban.
Un savant danois, M. Finn Magnusen, profitant des travaux antérieurs de MM. Norberg et Sylvestre de Sacy, sur le même sujet, a resserré en quelques pages, de son grand ouvrage sur les doctrines eddiques, tout ce qu’il est important de connaître sur les chrétiens de saint Jean. Leur livre sacré, dans lequel on retrouve plusieurs traditions de l’Ancien-Testament, telles que celles relatives à Adam et Ève, au déluge, à Noé, est d’ailleurs un amalgame de dogmes empruntés aux anciennes religions de la Syrie, de l’Arabie et de la Chaldée. Il y respire d’un bout à l’autre une haine profonde contre les chrétiens et les juifs. Le Christ y est représenté comme un démon trompeur, venu sur la terre pour égarer l’humanité par des prestiges et pervertir la vraie foi ! Mahomet n’est, du reste, pas mieux traité. C’est un brigand arabe et le dernier des faux prophètes qui ont apparu pour opprimer les peuples. Mais tous les éloges, tous les respects sont dus à Jean-Baptiste (Juliana Jahia), qui a fondé la secte nazaréenne par le sacrement du baptême, qui a prêché sa doctrine pendant quarante-deux ans sur les bords du Jourdain, et qui, enfin, est monté au ciel après une sorte de transfiguration. Les Mandaïtes célèbrent en l’honneur de saint Jean, au mois d’avril ou au mois d’août, une fête annuelle de trois jours ; ils ont, en outre, au mois de juin, une grande fête baptismale appelée haïd Pegnia, ou fête de cinq jours. La communauté s’achemine alors vers les fleuves, et chaque Mandaïte doit laver les crimes qu’il a commis, au moyen d’un nouveau baptême. Selon les idées de la secte, le baptême ne peut avoir lieu que par immersion dans un fleuve, saint Jean ayant montré par son exemple que le Jourdain et les autres fleuves renferment l’eau vraiment purifiante et baptismale.
Une foule de traditions populaires ont amplifié la légende évangélique de saint Jean, et spécialement l’histoire de son supplice.
Ainsi saint Jérôme racontait qu’Hérodiade, tenant le chef du Précurseur, avait, par une dernière et atroce insulte, percé avec une aiguille cette langue qui l’avait accusée. Suivant Nicéphore, auteur d’une histoire ecclésiastique, Salomé la danseuse avait eu la fin la plus tragique. Marchant un jour sur la glace, qui se rompit sous ses pieds, elle s’enfonça dans l’eau jusqu’au cou, et la glace venant à se rejoindre lui détacha la tête du reste du corps. En Allemagne, alors qu’au moyen-âge les souvenirs du paganisme germanique étaient encore pleins de force, et que les anciens dieux, transformés en démons, recevaient encore un culte de terreur, les croyances populaires plaçaient Hérodiade (c’est-à-dire Salomé, désignée par le nom de sa mère), au nombre de ces esprits du mal et lui assignaient même un rang considérable. En lisant les décrets pénitentiaux du Burchard de Worms, on voit qu’Hérodiade partage avec Diane, déesse des païens, le commandement de la troupe des sorcières, et qu’elle apparaît à leur tête lorsque, durant le silence des nuits, l’innombrable multitude parcourt la terre. Hérodiade figure aussi dans le pandémonium connu en Allemagne sous le nom de Wütendes Heer, et dans la chasse du roi Hugon, etc. D’autres documents nous apprennent que le culte superstitieux d’Hérodiade prit un si large développement, qu’elle passa dans l’esprit de ses adorateurs pour régner sur le tiers du monde. « Eh ! quoi ! s’écrie, au dixième siècle, un saint évêque de Vérone, Ratherius, Franc d’origine et né dans les environs de Cambrai, ces hommes ne se contentent pas de faire d’Hérodiade, de celle qui a tué Jean-Baptiste, une reine et même une déesse, ils affirment encore que le tiers de l’univers lui appartient, comme s’ils lui donnaient cet empire pour la récompenser de la mort du prophète ! » Le zèle des évêques et leurs énergiques censures luttèrent en vain contre ces croyances impies.
Un personnage fantastique, connu en France, au moyen-âge, sous le nom de Domina Abundia, ou dame Habonde, passait aussi pour régner sur le tiers du monde. Grimm, dans ses recherches sur la mythologie germanique, signale les rapports frappants qui existent entre cette dame Habonde et Hérodiade.
Il pense que ce tiers du monde qu’Habonde traîne à sa suite représente les enfants non baptisés, ou le grand nombre de païens, lesquels sont exclus de la communauté chrétienne.
II.
Nous avons dit qu’au culte de saint Jean se rattachaient des usages singuliers et des superstitions nombreuses. Nous allons aussi brièvement que possible en présenter le tableau et en rechercher l’origine.
Le plus célèbre de ces usages est connu sous le nom de Feu de la Saint-Jean. Son existence est suffisamment indiquée dès le Ve siècle par un passage du célèbre sermon de saint Éloi contre les superstitions de son temps, sermon que l’on peut lire dans le spicilège de d’Achery et qui se trouve dans la vie de saint Éloi par saint Ouen.
Mais au XIIe siècle, le témoignage du théologien Jean Beleth, et au XIIIe, celui du théologien Durant, sont tout à fait explicites. Beleth, dans sa Summa de divinis officiis, nous apprend que le plus généralement on allume en l’honneur du saint des brandons et des torches, et que, dans quelques localités, on promène une roue ardente : rota in quibusdam locis volvitur.
Plus tard, l’usage des feux de la Saint-Jean se régularise, et nous le trouvons établi dans un grand nombre de villes de France, sous les auspices de l’autorité municipale.
Un bûcher paré de fleurs et de feuillages s’élevait sur la place publique, devant la maison de ville, et le maire y mettait le feu. Il est remarquable, fait observer M. Breuil, que le privilège d’allumer le bûcher de Saint-Jean soit un de ceux expressément conférés aux maires perpétuels par l’édit de 1597. À Paris, pendant plusieurs siècles, l’honneur d’allumer le bûcher de la place de Grève fut réservé à nos rois. Louis XI, dit M. Dufey, dans un article inséré au tome 27 du Dictionnaire de la Conversation, Louis XI, en 1471, suivant l’exemple de ses prédécesseurs, vint présider cette singulière cérémonie.
Le feu de la Saint-Jean, 1573, fut très-remarquable. Au milieu de la place de Grève s’élevait un arbre ou mât de soixante pieds de haut, hérissé de traverses de bois auxquelles étaient attachées cinq cents bourrées et deux cents cotterets ; dix voies de bois et beaucoup de paille formaient la base de ce vaste bûcher. On y plaça un tonneau et une roue (nous prions nos lecteurs de ne point oublier ce détail, nous verrons plus tard ce que signifiait cette roue). Cet appareil colossal était sillonné par des couronnes et des guirlandes. Des bouquets furent distribués au roi, aux seigneurs et aux dames de la cour, aux magistrats et aux notables bourgeois. Des fusées et des pétards étaient placés dans les diverses parties du bûcher. Cent vingt archers de la ville, cent arbalétriers et autant d’arquebusiers, maintenaient l’ordre et contenaient la foule qui encombrait toutes les issues. On suspendit à l’arbre un grand panier renfermant deux douzaines de chats et un renard. Ce dernier article de dépense était ainsi énoncé dans les registres de la comptabilité municipale de l’époque : À Louis Pommereux, l’un des commissaires des quais de la ville, cent sous parisis, pour avoir fourni les chats qu’il fallait audit feu, comme de coutume ; même pour avoir il y a un an, où le roi assista, un renard, pour donner plaisir à Sa Majesté, et pour avoir fourni un grand sac de toile, où étaient lesdits chats...
Le feu consumé, le roi entra dans l’Hôtel-de-Ville où l’attendait une collation composée de dragées, de confitures sèches, de cornichons, de quatre grandes tartes, de massepains, de crèmes, etc. Tandis que le roi, la cour, les magistrats et les notables bourgeois vidaient les buffets du banquet municipal, la foule se ruait sur les débris du bûcher et se disputait les moindres tisons.
Louis XIV n’assista qu’une fois à cette cérémonie ; Louis XV jamais.
L’Église prenait-elle part à ces feux ? « Oui, répond Bossuet dans son catéchisme de Meaux, où il pose lui-même la question dans la leçon première consacrée à la Nativité de saint Jean-Baptiste. Oui, l’Église prend part à ces feux, continue-t-il, puisque dans plusieurs diocèses, et en particulier celui-ci, plusieurs paroisses font un feu qu’on appelle ecclésiastique. – Quelle raison a-t-on eue de faire ce feu ecclésiastique ? – Pour en bannir les superstitions qu’on pratique au feu de la Saint-Jean. » C’est ainsi qu’il ne fut point rare de voir dans la même ville un feu allumé par le curé devant le portail de son église. Cette coïncidence de la fête municipale et de la fête religieuse se rencontrait à Amiens. Le 23 juin 1656, l’évêque Faure ordonna qu’à l’avenir, dans tout le diocèse, les feux de la Saint-Jean seraient placés devant la porte des églises paroissiales et que le clergé irait processionnellement les allumer. Le célébrant, en mettant le feu, entonnait le Te Deum, et, pour clore la cérémonie, on donnait un souvenir aux trépassés en chantant le De profundis. En Bretagne, dans le pays de Léon, des sièges vides, placés autour du feu de la Saint-Jean, sont destinés aux âmes des morts qui viennent s’y réchauffer et assister aux réjouissances.
La cérémonie religieuse a été généralement supprimée depuis la Révolution ; mais on la rencontre encore dans beaucoup de villages de nos diverses provinces, notamment en Bretagne et en Picardie, et dans un grand nombre de villes du Midi, où elle se rattache généralement à la fête municipale dont le feu de la Saint-Jean est l’occasion.
Suivant le poète-maçon Charles Poncy, en aucun lieu du monde le Précurseur n’est plus brillamment et plus joyeusement fêté qu’il ne l’est encore aujourd’hui à Toulon. À Turin, la fête municipale s’est maintenue jusques à l’ère constitutionnelle. Ge dernier reflet du passé s’est éteint à la publication du statuto.
En Allemagne, avant la Réforme, les feux de la Saint-Jean donnaient lieu, dans certaines villes, à des solennités réglées par l’autorité civile auxquelles prenaient part la noblesse, les princes et les empereurs eux-mêmes. En 1489, la veille de Saint-Jean-Baptiste, disent les annales de Francfort, il fut élevé dans la maison des consuls, sur la place publique, un bûcher immense, surmonté de nombreux étendards, au milieu desquels brillait celui du roi. Des branches d’arbres masquaient de leur vert feuillage le bois de ce bûcher, et avant la cérémonie du feu, il y eut une danse de seigneurs devant le roi. En 1497, Augsbourg devait être témoin d’un spectacle plus rare et plus curieux encore. L’empereur Maximilien présidait à la fête, et la belle Suzanne Neithard mit avec une torche le feu au bûcher. Puis l’archiduc Philippe vint lui présenter la main, et ouvrit avec elle la danse autour des flammes.
À l’égard des feux de Saint-Jean allumés en Allemagne, on fait une remarque importante, c’est qu’ils ne sont en usage que dans la partie méridionale de ce pays et n’ont jamais pu s’introduire dans la partie septentrionale, où les feux de Pâques, Osterfeuer, règnent sans partage ; opposition qui se rapporte parfaitement, dit M. Breuil, à l’ancienne rivalité si connue des races saxonne et franque. On retrouve les feux de la Saint Jean dans la presqu’île scandinave, en Suède, en Norvège et même en Danemark. Ils ont été longtemps en grand honneur chez nos voisins d’Outre-Manche. Ils duraient jusqu’à minuit et souvent jusqu’au chant du coq ; la jeunesse dansait autour des flammes, avec des couronnes de matricaire et de verveine sur la tête, et des bouquets de violettes à la main.
En Écosse comme en Bretagne, les paysans se disputent avec ardeur la couronne qui domine le feu sacré. Ces fleurs flétries sont des talismans contre les maux du corps et les maux de l’âme.
L’usage de ces feux ne s’offre pas avec moins de généralité chez les peuples d’origine slave. En Russie, au temps du paganisme, les jeunes gens et les jeunes filles couronnés de fleurs et portant des ceintures d’herbes consacrées, s’assemblaient le 24 juin : ils allumaient un feu en l’honneur de Kupalo, dieu des moissons, sautaient au travers et y faisaient passer les troupeaux pour les assurer contre les atteintes des Léchies, esprits des bois ; quelquefois, au milieu des chants et des danses, un coq blanc était jeté et consumé dans les flammes. Or, ce qu’il importe de remarquer, c’est qu’aujourd’hui encore ce même nom de Kupalo désigne les feux de la Saint-Jean.
En Lituanie et en Prusse, le 23 juin au soir, des feux apparaissent partout dans la campagne, et le lendemain matin, on pousse les bestiaux au travers des cendres, afin de les préserver des maladies, des sortilèges, des atteintes de la foudre et de la suppression de leur fait.
En Pologne et en Bohême, le feu de la Saint-Jean se nomme Sobotka, petit samedi, par comparaison avec le grand Sobotka, samedi de Pâques, époque de célèbres réjouissances. Dans la Serbie, le peuple a une si haute idée de la fête du 24 juin qu’il dit que le soleil s’arrête trois fois ce jour-là par respect.
En Grèce, la veille de Saint-Jean, les femmes allument des feux, et s’écrient en sautant par-dessus : « Mes péchés me quittent. »
Nous retrouvons ces feux avec les usages qui s’y rattachent, plus ou moins variés, en Italie et en Espagne. Vers l’année 1510, Martin d’Arles, chanoine de Pampelune, s’exprime ainsi dans sa dissertation de superstitionibus : « Le jour de la Saint-Jean, pour témoigner leur joie, les fidèles sonnent les cloches, allument de grands feux, après avoir, de grand matin, recueilli dans la campagne des herbes odoriférantes, médicinales, et qui jouissent à cette époque de la plénitude de leurs vertus. Quelques-unes allument des feux dans les carrefours des rues et dans les champs, afin d’empêcher que des sorcières ne passent par ces lieux-là durant la nuit de la Saint-Jean. D’autres brûlent les herbes qu’ils ont recueillies, et croient se préserver, par ce moyen, de la foudre et de la tempête, comme aussi éloigner les démons avec la fumée qu’elles produisent. » L’ancienne popularité de la Saint-Jean était telle en Espagne, que les chrétiens, les juifs et les maures y prenaient également part, et jetaient à l’envi dans le feu, pour honorer la fête, les chrétiens du jonc, dit un vieux poète, les maures du myrte, les juifs du roseau. Notons ici, à propos du jonc, formant le tribut des chrétiens aux flammes du bûcher sacré, que dans le pays des troubadours, le jonc coupé à la Saint-Jean servait à une sorte de divination amoureuse. On lit, en effet, dans le roman de Flamenca (Lexique roman de Raynouard, p. 37) : « Jamais pour lui je ne me soucie de couper jonc à la Saint-Jean, pour éprouver si nous sommes tous deux pareils en amour. »
Nous avons constaté la généralité et l’ancienneté de l’usage des feux de la Saint-Jean. Nous allons maintenant en rechercher l’origine.
La Nativité de saint Jean-Baptiste est placée au 24 juin, époque du solstice d’été, de même que la naissance du Christ est placée au 25 décembre, époque du solstice d’hiver. Ce n’est point fortuitement, dit M. Breuil, que cette disposition des deux fêtes se rencontre dans le calendrier ecclésiastique ; elle tient à des causes profondes qui fournissent à cet auteur la matière de recherches savantes, dont nous ne pouvons donner ici que le résultat.
Les peuples de l’antiquité, qui avaient fondé leurs diverses religions sur l’observation des phénomènes de la nature, et dont les principales divinités étaient des personnifications du soleil, célébraient de grandes fêtes aux moments les plus considérables du cours de cet astre, notamment à l’époque du solstice d’hiver et à celle de l’été. La fête du solstice d’hiver, au 25 décembre, s’appelait, chez les Romains, dies natalis solis invicti. On célébrait alors la naissance de Mithra, dieu-soleil de la Perse, dont le culte, répandu dans tout l’Orient, s’était introduit à Rome à l’issue de la fameuse guerre des pirates. Le 11 du mois de tybi, c’est-à-dire le 6 janvier, l’Égypte célébrait la réapparition ou la renaissance d’un autre dieu-soleil, Osiris.
Le solstice d’été, à son tour, était marqué par d’autres solennités non moins importantes. Ainsi cette même Égypte fêtait le dieu Horus, vengeant son père Osiris par sa victoire sur Typhon, c’est-à-dire le soleil solsticial ramenant l’inondation périodique du Nil et faisant succéder la fertilité de la terre à la stérilité causée par une extrême sécheresse. Ainsi encore les Phéniciens et les Syriens célébraient les Adonies, fête de leur dieu-soleil Adonis, dont le mythe a tant de rapport avec celui d’Osiris. Enfin, pour donner un dernier exemple, les Romains avaient, au mois de juin, la fête de Vesta, personnification de la force inextinguible du feu caché au centre de la terre et du ciel.
Aussi longtemps que les chrétiens furent en butte aux persécutions, ils détestaient toutes les cérémonies et toutes les habitudes païennes ; mais lorsque leur religion se fut assise sur le trône des Césars, ils comprirent que pour conserver et étendre plus facilement son empire, il fallait, au lieu de proscrire les observances du culte païen, s’approprier et sanctifier celles qui ne pouvaient porter aucune atteinte aux dogmes et aux traditions de l’Église. Ils ne connaissaient point les époques précises des faits évangéliques, si ce n’étaient celles de la mort et de la résurrection du Sauveur ; ils imaginèrent donc de fixer la naissance de celui qui était le soleil spirituel du monde, le soleil de justice, aux époques mêmes où les gentils fêtaient la naissance de leurs dieux-soleils. Dans les Églises d’Occident la fête de Noël fut placée au 25 décembre, et, dans les églises d’Orient elle eut lieu le 6 janvier, jour de la naissance d’Osiris, selon ce que nous a vont dit plus haut. Osiris, en effet, personnifiait le soleil et le Nil. L’inondation du Nil avait lieu vers le solstice d’été : Osiris renaissait alors comme le Nil. Les plantes des secondes semailles commençant à paraître vers le solstice d’hiver, sous l’influence de la chaleur solaire, Osiris renaissait cette fois comme le soleil.
De savantes dissertations ont mis en évidence le motif que donne ici M. Breuil de la fixation de la fête de Noël au 25 décembre ; on peut lire, entre autres, celle de Jabouski : De origine festi nativitatis Christi. Le manichéen Faute, reprochant aux catholiques de célébrer les fêtes païennes et notamment les solstices, saint Augustin lui répondait (sermon 190, In natal. Domini) « Nous solennisons ce jour, non comme les infidèles à cause du soleil, mais à cause de celui qui a fait le soleil. » Suivant Beausobre (Hist. du manichéisme), ce fut Jules Ier, mort en 332, qui fixa la nativité du Christ au 15 décembre, pour son Église et celle d’Occident. Les Églises d’Orient, qui l’avaient fixée au 6 janvier, maintinrent, selon lui, leur coutume, jusqu’à ce que quelques Romains étant venus à Antioche vers l’an 377, et saint Chrysostome s’étant déclaré pour la pratique de Rome, elle s’établit premièrement à Antioche et depuis à Constantinople, lorsqu’il en fut devenu évêque.
Cependant il fallait trouver pour le solstice d’été une fête qui servît de pendant à la nativité du Christ. Une heureuse inspiration fit recourir à l’histoire du Précurseur : « Il faut qu’il croisse et que je diminue, » avait dit saint Jean à ceux qui parlaient du Christ.
Jean était, en effet, le dernier des prophètes, en lui s’éteignait le soleil de l’ancienne alliance, tandis que Jésus était le soleil de la nouvelle. Dès lors, rien de plus naturel, après avoir placé la naissance du Christ à l’époque de l’accroissement des jours, que de fixer la Nativité de saint Jean à l’époque de leur diminution.
III.
Pratiques superstitieuses jointes au feu de la Saint-Jean.
Dans le chapitre du catéchisme de Meaux que nous avons déjà cité, Bossuet, après avoir posé cette question : « Quelles sont les superstitions pratiquées au feu de la Saint-Jean ? » répond ainsi : « Danser à l’entour du feu, jouer, faire des festins, chanter des chansons déshonnêtes, jeter des herbes par-dessus le feu, en cueillir avant midi ou à jeun, en porter sur soi, les conserver le long de l’année, garder des tisons ou des charbons de feu, et autres semblables. »
À cette énumération, il faut ajouter une pratique qui, presque partout, est l’accessoire des feux de la Saint-Jean, c’est-à-dire, le saut ou le passage à travers les flammes. Cette dernière superstition n’est pas une des moins remarquables et prêterait à de longs développements.
Dans les religions de l’antiquité, le feu et l’eau sont les principes par excellence. L’initiation aux mystères de Bacchus était, à Athènes, accompagnée de purifications par l’eau, le feu et l’air, et la mythologie grecque nous apprend que Cérès, voulant assurer l’immortalité à Démophon, le fit passer dans les flammes, comme Thétis avait fait pour son fils Achille. En interrogeant la Bible, nous voyons, au chapitre XVIII du livre II des Paralipomènes, que le roi Achaz fit passer ses enfants par le feu, selon la superstition des nations que le Seigneur fit mourir à l’arrivée des enfants d’Israël.
Théodoret, évêque de Cyre, en Syrie, qui écrivait au Ve siècle un commentaire sur les livres saints, dit, à propos d’un passage du quatrième livre des Rois, qu’il avait vu dans quelques villes allumer, une fois l’an, sur la place publique, des bûchers à travers lesquels sautaient les adolescents et les hommes eux-mêmes ; les mères, ajoute-t-il, exposaient de leurs propres mains leurs nourrissons à la flamme, et une pensée d’expiation, de purification semblait être le motif de tous. Cette pensée de purification se retrouve évidemment dans le cri que nous avons cité plus haut des femmes grecques sautant par-dessus le feu : « Mes péchés me quittent ! » – Ici se présente naturellement le souvenir des Palilies romaines. Ces fêtes commémoratives de la fondation de Rome se célébraient en l’honneur de Palès aux calendes de mai. Elles avaient deux caractères : elles se célébraient d’une manière à la ville et d’une autre à la campagne. Toutes commençaient également par des purifications, des offrandes et des expiations.
À la campagne, les bergeries étaient ornées de feuillage, de rameaux piqués dans la terre et leurs portes embellies de longues guirlandes. Les pasteurs, dès le crépuscule, prenaient des branches de laurier, les trempaient dans une eau lustrale, en aspergeaient la terre et la balayaient ensuite avec ces mêmes branches. Ils purifiaient leurs troupeaux en les exposant à des fumigations de soufre et brûlaient des bois résineux, des herbes aromatiques et du laurier. On n’immolait aucune victime, mais on offrait à Palès de larges gâteaux, des fromages et du lait.
Après avoir invoqué les dieux trois fois, en se tournant vers l’Orient, on se purifiait les mains dans une eau vive et l’on buvait, dans une jatte rustique, un mélange de lait tiède et de vin cuit appelé burranique, de sa couleur rousse, burra. Un festin suivait ce sacrifice, puis on mettait le feu à des amas de chaume disposés en trois monceaux, et les festoyants sautaient et faisaient sauter leurs troupeaux à travers les flammes, persuadés qu’ils assuraient par cette cérémonie purifiante la prospérité de l’homme et la santé de l’animal.
Si maintenant nous parcourions les contrées qui constituaient l’Ancien-Monde, et interrogions les temps modernes, nous y retrouverions, universellement répandues, les traditions païennes sur l’excellence du feu 1, sur la vertu qu’il possède de purifier et de faire prospérer tous les êtres, et il ne resterait plus aucun doute pour nous sur l’origine des croyances populaires attribuant au feu de la Saint-Jean la vertu de purifier, de bénir, de consacrer pour ainsi dire tout ce qu’il touche.
Quant aux festins dont parle Bossuet et qui suivaient ces feux, ils ont évidemment la même origine. Les grandes solennités du paganisme du Nord étaient généralement accompagnées d’un banquet auquel prenait part la communauté entière. Chez les Romains, dans les temples, après les sacrifices publics, les prêtres, les popes, les victimaires se partageaient les restes des sacrifices, chairs et gâteaux, ce que l’on appelait le polluctum. Dans les sacrifices privés, les sacrifiants remportaient le polluctum et en faisaient des repas à leurs amis. « La manducation de la chair des victimes, dit M. Auguste Nicolas, dans ses Études philosophiques sur le christianisme, se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques, comme faisant partie intégrante du sacrifice. » Les païens se flattaient dans cette circonstance de manger avec les dieux ; idée bien remarquable, dit l’auteur que nous venons de citer, et dans laquelle il voit le pressentiment de tous les peuples anciens pour le sacrement de l’Eucharistie.
Viennent maintenant les herbes et les fleurs de la Saint-Jean, dont on connaît toute la célébrité, surtout dans le midi de la France, Le peuple de ces contrées attache à ces plantes des vertus superstitieuses ; il est persuadé que, si elles ont été cueillies le jour même avant le lever du soleil, elles sont propres à guérir beaucoup de maux.
En parcourant, dans l’Histoire naturelle de Pline, les nombreuses superstitions romaines ou celtiques dont les plantes étaient l’objet, on est frappé des rapports que présentent ces superstitions avec les plantes de la Saint-Jean. M Breuil en cite les exemptes suivants : En Allemagne, le jour de la nativité du Précurseur, on suspend des racines d’armoise au-dessus de la porte de la maison, et, par ce moyen, on croit préserver de tout mal l’asile domestique. Quelques personnes se font aussi des ceintures avec des fleurs de cette plante ; un proverbe superstitieux enseigne même que quiconque porte sur soi de la sauge et de l’armoise ne sent pas la fatigue en voyage. Eh bien, Pline nous apprend que l’armoise, artemisia, la fleur d’Artémise ou Diane, était une plante curative employée spécialement pour guérir les maladies des femmes ; et nous retrouvons précisément chez lui la superstition allemande : « Artemisiam alligatam qui habet viator negatur lassitudinem sentire 2. »
Nous retrouvons également dans Pline la condition qui exige que la récolte des plantes ait lieu avant le lever du soleil. « Une herbe quelconque, dit-il, qu’on a cueillie avant le lever du soleil et sans être vu de personne, étant attachée au bras gauche, mais sans que le malade le sache, guérit la fièvre tierce. » Le samolus des Gaulois devait être cueilli par une personne à jeun, de même que le triticum repens (chiendent), dont les Romains superstitieux se servaient pour la guérison des panaris et des écrouelles. Or, Thiers, dans son Traité des superstitions, s’exprime ainsi : « Quelques-uns, pour se garantir de maléfices ou de charmes, vont cueillir, de grand matin, à jeun, sans avoir lavé leurs mains, sans avoir prié Dieu, sans parler à personne et sans saluer personne en chemin, une certaine plante, et la mettent ensuite sur la personne maléficiée ou ensorcelée. Ils portent sur eux une racine de chicorée qu’ils ont touchée à genoux, avec de l’or et de l’argent, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste, un peu avant le soleil levé, et qu’ils ont arrachée de terre avec un ferrement et avec beaucoup de cérémonies, après l’avoir exorcisée avec l’épée de Judas Macchabée. » Ouvrons encore Pline : il nous dira qu’avant de cueillir l’ellébore noir (mélanpodion), la verveine, la mandragore, le séneçon, dans le but de leur faire produire leurs merveilleux effets, on traçait avec une épée un cercle autour de la plante.
Nous avons vu qu’en Allemagne, le jour de la Saint-Jean, on suspendait des racines d’armoise au-dessus de la porte de la maison que l’on croyait préserver de tout mal par ce moyen : les Romains, au printemps, faisaient garnir les portes et les fenêtres de leurs maisons d’aubépines et de branches de rhamnus (nerprun), attribuant à ces arbrisseaux la propriété d’éloigner les maléfices et les accidents fâcheux.
Il serait facile de multiplier les rapprochements : nous nous bornons à ceux que nous venons d’indiquer pour en conclure que les fleurs, comme les feux de la Saint-Jean, ont dans le paganisme leur commune origine ; que si l’on demande maintenant pourquoi, sous l’empire du paganisme, la recherche et les usages divers des plantes avaient lieu plus spécialement à l’époque du solstice d’été, il est rationnel de répondre que, dans les fêtes en l’honneur du soleil, on devait naturellement lui faire hommage des plus gracieuses productions du règne végétal. Quand cet astre est parvenu au solstice d’été, la terre étale toutes les magnificences dont il a pu la couvrir. Le moment ne pouvait être mieux choisi pour reconnaître ses bienfaits, et cette reconnaissance ne pouvait se produire d’une manière plus gracieuse que par l’offrande des fleurs qu’il avait fait éclore.
Du reste, si, au solstice d’été, la végétation est dans toute sa force, les plantes curatives doivent avoir acquis en même temps toute leur efficacité ; la superstition ne pouvait donc choisir une époque plus favorable pour leur récolte. Ceci n’est point une supposition : les plantes passaient pour être douées, au 24 juin, de la plénitude de leur vertu, et nous remettons sous les yeux du lecteur le précieux passage de Martin d’Arles, chanoine de Pampelune, sur les usages de la Saint-Jean... « Similiter, summo mane exeunt ad colligendas herbas odoriferas et optimas medicinales ex sua naturta, et ex plenitudine virtutum propter tempus. »
Ajoutons que plusieurs plantes de la Saint-Jean, soit par leurs propriétés, soit par leurs formes ou leurs couleurs, portaient avec elles un signe irrécusable. L’armoise, douée comme l’absinthe de propriétés toniques, était un symbole de vigueur et de santé parfaitement convenable aux fêtes solaires. La matricaire, la camomille, le chrysanthème imitent le soleil par leurs fleurs radiées et par le vif éclat de leurs couleurs blanches et jaunes. En Irlande, une espèce de matricaire et une espèce de camomille, que, dans la nuit de Saint-Jean, l’on recueille en même temps que la bardane et l’armoise, portent encore, au dire de M. Breuil, le nom de Baldursbrà, littéralement sourcil de Balder. Or, dans la mythologie scandinave, Balder était un dieu solaire d’une beauté éblouissante, personnification du soleil brillant et fécondant de l’été. Il nous reste à parler des bains de la Saint-Jean. Dans les noces romaines, on présentait à la nouvelle mariée l’eau et le feu, parce que l’on pensait que ces deux principes engendraient toutes choses. L’eau et le feu, en effet, nous l’avons dit déjà, étaient également vénérés dans les religions antiques, et servaient simultanément aux purifications solennelles. On ne sera donc pas étonné de rencontrer aux époques des fêtes solsticiales, l’association de ces deux éléments ; et, sous l’empire du christianisme, la persistance des cérémonies lustratoires accomplies au moyen de l’eau, lors de la fête de la Saint-Jean, se concevra d’autant plus aisément que ces cérémonies devaient rappeler le baptême fondé par le Précurseur.
Le témoignage de saint Augustin ne saurait nous laisser de doute sur leur origine païenne. Le saint évêque dit que les habitants d’Hippone, mus par une superstition païenne, se rendaient à la mer le jour de la Saint-Jean et se baptisaient : « Natali Johannis de solemnitate superstitiosa pagana, christiani ad mare veniebant et se baptizabant. »
Dans un autre texte, il prie les habitants d’Hippone, il les adjure même par le jour terrible du Jugement d’avertir leurs amis, leurs voisins et tous ceux sur lesquels ils ont autorité, pour que personne ne puisse, le jour de la Saint-Jean, se laver dans les fontaines, dans les étangs ou dans les fleuves, soit dans la nuit, soit aux heures matinales, parce que cette malheureuse coutume est un reste de paganisme : « Quia haec infelix consuetudo adhuc de paganorum observatione remansit. »
Nous retrouvons en Italie les lustrations que saint Augustin condamnait en Afrique. Bénédict de Falio, dans une description de Naples, publiée-en 1580, raconte que la veille de la Saint-Jean les hommes et les femmes se rendaient à la mer et s’y baignaient nus, pensant, dit-il, se purger de leurs péchés, et ayant ainsi la même persuasion que les anciens qui, pour se purifier de leurs souillures morales, allaient se laver dans le Tibre. Les lustrations de la Saint-Jean étaient en usage à Rome même. Finn Magnusen fait remarquer que les calendriers romains du moyen-âge, indiquant les diverses singularités du 24 juin, mentionnent expressément les feux et les bains nocturnes pris en nageant dans les eaux : « Ignes fiant.... aquae in noctenatantur. »
À Cologne, la ville sainte de l’Allemagne, les bains de la Saint-Jean constituaient une véritable solennité. Pétrarque, dans une lettre au cardinal Colonna, écrite en 1330, nous révèle les intéressants détails de la cérémonie. L’illustre poète, arrivé à Cologne précisément la veille de la Saint-Jean, au moment où le soleil se couchait, est conduit par ses amis sur la rive du Rhin. Il la voit entièrement couverte d’une brillante multitude de femmes. Une partie d’entre elles portaient des ceintures d’herbes odoriférantes, et, les manches relevées au-dessus du coude, lavaient dans le fleuve leurs mains et leurs bras. On lui apprend alors que la cérémonie est fort ancienne, que les gens du peuple, les femmes surtout, sont persuadés que l’ablution faite ce jour-là dans les eaux du fleuve détourne tous les malheurs qui auraient pu les menacer dans l’année, et garantit même leur prospérité ; que la lustration a lieu tous les ans, a toujours été pratiquée et que l’usage doit en être conservé avec le plus grand zèle.
Dans le Nord, le clergé catholique, espérant faire changer les habitudes païennes, consacra les fontaines les plus célèbres à divers saints, mais il ne réussit point à détruire l’usage des lustrations solsticiales. De nos jours encore, en Danemark, en Suède, en Norvège, on se rend, la veille ou le jour du 24 juin, à certaines sources, à certains lacs, et l’on s’y baigne dans le but de détourner de soi les maladies ; quelques personnes même font aux fontaines des offrandes, des sacrifices.
En France, près de Nogent-le-Rotrou, il y avait une fontaine fameuse par sa vertu curative pendant toute la nuit qui précédait la Saint-Jean. Hommes et femmes entraient dans ses eaux et s’y baignaient. Suivant une superstition fort répandue que cite M. Breuil, le premier seau d’eau tiré d’un puits lorsque minuit sonne, dans la nuit de la Saint-Jean, a la vertu de guérir la fièvre. C’est ainsi qu’en Allemagne, l’eau recueillie pendant que les douze coups de minuit sonnent dans la nuit de Noël est réputée sainte et a la vertu de guérir les douleurs ombilicales.
Dans la description faite par M. Poncy de la cérémonie du feu de la Saint-Jean à Toulon, on remarque le passage suivant : « Lorsque le feu a projeté ses dernières lueurs sur la rade, à bord de tous les navires, dans toutes les rues, par toutes les fenêtres, jaillissent des cascades multipliées sur la tête des promeneurs. Après la fête du feu, vient la fête de l’eau. Le maire lui-même, en retournant à l’Hôtel-de-Ville, n’est jamais complètement exempt d’immersion. Les jeunes filles, armées de carafes et de gargoulettes africaines, se poursuivent pour s’arroser comme de belles fleurs... » À Marseille, suivant M. Millin, on s’inonde réciproquement d’eau de senteur que l’on verse des fenêtres ; le plus grossier badinage est de couvrir d’eau pure les passants. Ce divertissement, qui semble propre aux villes du Midi, se rencontre en Pologne le 24 juin dans une forme identique. M. Breuil se croit fondé à conclure de 1a généralité de cet usage dans des lieux si différents, que les aspersions sont un reste d’anciennes lustrations païennes. En Bretagne, la veille de la Saint-Jean, l’eau a aussi sa fête particulière, mais une fête religieuse et tout à fait imposante. Dans les paroisses situées le long des côtes, le curé va processionnellement bénir la mer ; sur chaque point de la côte s’avancent des processions. Un paysan ouvre la marche, tenant de chaque main une cloche qu’il fait tinter ; puis, deux autres paysans portent, l’un le falot sacré, l’autre la croix d’argent ; enfin viennent les prêtres revêtus du surplis et de l’étole et suivis d’une foule innombrable. Tout le rivage est rempli de nacelles, et chacun monte à bord des barques de pêcheurs dont les mâts sont pavoisés de fleurs et de drapeaux.... Allons ! découvrez-vous, vous que la crainte des flots a retenus sur la grève. Découvrez-vous, car la cérémonie commence. À genoux! entendez-vous porter, sur l’aile des brises marines et mélancoliquement répétés par les échos du rivage, les tintements des cloches ! C’est la bénédiction de la mer ! Et cette cérémonie sacrée est autrement imposante, dans sa simplicité, que celles des anciens doges de Venise.... Priez ; car parmi ces frères qui invoquent le ciel, parmi ces femmes, parmi ces jeunes filles qui se recommandent au Dieu des ouragans, et mettent sous la protection de saint Jean leur père, leur époux, leur fiancé, combien à la fête prochaine porteront le deuil !... La bénédiction donnée, chaque barque regagne le rivage, et le pêcheur rentre dans sa maison, plein d’espoir dans l’intercession du bienheureux saint Jean, et comptant sur une mer pacifique et sur une pêche productive.
H. BERNARD.
Paru dans la Revue du Lyonnais en 1867.
1 Les sacrifices païens finissaient par une invocation à Vesta, parce que Vesta, disaient-ils, est la déesse du feu, sans lequel aucun sacrifice ne peut être accompli.