Le clergé de Cahors pendant la Révolution 1
par
Edmond BIRÉ
En 1818, M. l’abbé Floras, curé de Frayssinet, fut chargé par son évêque, Mgr de Grainville, de rédiger une notice « constatant ce qui s’était passé de plus édifiant et de plus remarquable pendant la persécution suscitée aux fidèles et surtout au clergé catholique pendant le cours de la période révolutionnaire ». Cette notice avait été demandée avec instance par le vénérable abbé Carron, en vue de l’ouvrage qu’il préparait alors et qu’il publia en 1820 sous ce titre : Les Confesseurs de la foi dans l’Église gallicane à la fin du dix-huitième siècle 2. M. Floras, une fois ses notes envoyées à l’abbé Carron, laissa dormir son manuscrit. Après la révolution de 1830 il le reprit, le compléta et en fit hommage à Mgr d’Hautpoul, par les soins duquel il fut placé dans les archives de l’évêché. Deux autres exemplaires furent déposés, l’un au séminaire de Cahors, l’autre au petit séminaire de Montfaucon, « afin que cette lecture, faite de loin en loin aux jeunes aspirants au sacerdoce, pût exciter leur foi, les remplir de courage et les préparer aux nouveaux combats que Dieu réserve à ses serviteurs en ces temps de perversité ».
Avec raison, il a paru à M. l’abbé Gary que le moment était venu de donner à ce Mémoire une publicité plus grande. Mais il ne l’a voulu faire qu’après s’être entouré de documents nouveaux. Ses recherches personnelles et les précieux concours qu’il a rencontrés lui ont permis d’accompagner le travail de son prédécesseur de notes et d’éclaircissements qui en augmentent singulièrement la valeur.
I
Un travail de cette nature vaut surtout par les détails. Je dois cependant, faute d’espace, me borner, sur presque tous les points, à un court et sec résumé.
Deux prêtres du diocèse de Cahors furent massacrés pendant les journées de septembre. M. Vidal de Lapize, curé de Montfaucon, après son refus de serment à la constitution civile du clergé, avait dû quitter sa paroisse. Il se réfugia à Paris. Dénoncé par un de ses anciens paroissiens, il fut arrêté et enfermé à l’Abbaye, où il fut égorgé le 2 septembre. – M. Claude Caix, ancien Jésuite, natif de Martel (Lot), avait été arrêté à Issy avec trois autres prêtres. Il fut massacré aux Carmes.
Le nombre des prêtres guillotinés fut de douze. M. Floras, et, après lui, M. l’abbé Gary, n’ont pas toujours donné la date et le lieu de leur exécution ; j’ai dû les rétablir. Sur ces douze prêtres, quatre furent guillotinés à Cahors : M. François Bergon, lazariste de la maison de Cahors, le 17 mars 1794 ; – M. Jean-Louis Jammes, vicaire de Belmont, le 19 avril 1794 ; – M. Alexandre Vilhien, vicaire de la paroisse de Larnagol, près Figeac, le 2 août 1794 ; – M. J.-P. de Méalet, le 24 septembre 1794, près de deux mois après la chute de Robespierre.
Quatre furent guillotinés à Paris : M. Jean-Pierre Clavières, curé de Caussade, le 21 juin 1794 ; – M. Jean-François Vaurs, curé de Gramat, le 30 juin 1794 ; – M. Jean-Baptiste Caix, curé de Paunac, frère de la victime des massacre de septembre, le 4 juillet 1794 ; – M. Jean-Alexandre Laroche-Lambert, vicaire général de Beauvais, le 7 juillet 1794.
Deux furent guillotinés à Bordeaux, M. Jean Molinier, le 6 juin, et M. de Mauriac, le 13 juillet 1794.
M. Jean Gaussinel, curé de Perrenques, né à Salviac en Quercy, fut guillotiné à Périgueux le 17 juin 1794, pendant qu’à Tulle, M. Gabriel Bouin, curé de Saint-Palavy, montait sur l’échafaud.
Sur presque toutes ces victimes, l’ouvrage de M. l’abbé Gary renferme d’intéressants détails. J’aurais désiré cependant qu’il s’étendît un peu plus sur l’abbé Clavières et les circonstances dans lesquelles ce dernier comparut devant le tribunal révolutionnaire. L’abbé Clavières était curé de Caussade. À la nouvelle de la mort de Louis XVI, plusieurs habitants de Caussade voulurent faire dire une messe pour le repos de son âme. Le curé la célébra. Les assistants étaient en habit de deuil, une cocarde noire à leur chapeau. L’abbé Clavières et quinze de ses paroissiens furent arrêtés et traduits, après un long emprisonnement, devant le tribunal révolutionnaire de Paris. Ils y comparurent le 21 juin 1794. Tous furent condamnés à mort et exécutés le jour même. Voici les noms de ces braves gens, victimes expiatoires du deuil de Louis XVI :
Raymond Delpèche Saint-Ton père, 63 ans ; Mafre-Calmette, 56 ans ; Jean-François Pichelier aîné, 51 ans ; Pierre Moulet, 50 ans ; Dominique Lacroix, 44 ans ; Jean Delpèche Saint-Ton fils, 38 ans ; Jean Savit-Labat, 30 ans ; Joseph Borie, 30 ans ; Ange Bastie, 29 ans ; Jean Riette, 28 ans ; Jean Cassaigne, dit Cauvin, 38 ans ; Jacques Cassaigne, dit Cauvin, 27 ans ; François Fonssegrive, 27 ans ; Bertrand Genèbre, 21 ans ; Raymond Borie, 19 ans. – L’abbé Clavières était âgé de 64 ans 3.
Le diocèse de Cahors compte trois religieuses martyrisées pour la foi : deux sœurs, Jacquette et Marianne Lauzières de Thémines, guillotinées à Reims, et Antoinette Pelras, de Cajarc, religieuse carmélite de Compiègne, guillotinée à Paris avec ses compagnes le 17 juillet 1794. Elle avait pris, en entrant en religion, le nom de sœur Marie-Henriette. Au moment où la condamnation fut prononcée, sœur Marie-Henriette se tourna vers ses compagnes : « Eh bien ! leur dit-elle, félicitons-nous, mes sœurs, nous allons mourir pour notre Dieu et pour notre roi ! »
Là ne s’arrête pas, il s’en faut bien, le martyrologe du diocèse de Cahors, pendant la Terreur. Tous les ecclésiastiques du Lot qui, après avoir refusé le Serment, étaient restés dans le pays, furent arrêtés. 59 furent incarcérés à la citadelle de Blaye et au Pâté ; 82 au fort du Hâ ; 48 à Bordeaux. D’autres encore furent enfermés au grand séminaire de Cahors. M. l’abbé Gary ne nous dit pas le nombre de ces derniers, mais il dut être considérable, puisque le chiffre des décès parmi eux, en 1794 et 1795, ne s’éleva pas à moins de 19. Les prisonniers du fort du Hâ perdirent 17 des leurs. Cinq des détenus de Bordeaux moururent dans l’ancien couvent des Catherinettes, transformé en prison. Plusieurs des prêtres de Cahors, après avoir été détenus dans différentes prisons, avaient été embarqués sur les vaisseaux le Républicain, le Jeanty, les Deux-Associés et le Washington. Deux moururent sur les Deux-Associés ; cinq sur le Washington ; cinq autres sur le Jeanty et le Républicain, et, parmi ces derniers, un des prêtres les plus vénérables du diocèse, M. Larnaudie, curé de Fargues. Il aimait à répéter à ses compagnons de captivité : « Vous avez tort de vous chagriner. Les hommes auront notre corps, mais Dieu aura notre âme. » Étant sur le point de mourir, il étendit ses bras vers le ciel et murmura cette douce et belle parole : « Bon, je ne pécherai plus ! » – Cinq autres prêtres moururent, non plus à bord des navires, mais en débarquant au port de Brouages (Charente-Inférieure). On comptait parmi eux deux frères, l’abbé Delbourg, curé de Planioles, et le P. Delbourg, dominicain.
Les chiffres qui précèdent, bien que certainement incomplets, nous donnent un total de 75 victimes, mortes sur l’échafaud ou dans les prisons. Mais nous ne sommes encore qu’en 1795, et la liste des martyrs n’est pas close. Elle va se continuer sous le Directoire.
II
Après le 18 fructidor, trois prêtres du diocèse de Cahors furent déportés à la Guyane. Le premier, Pierre Alaniou, de Frayssinet-le-Gélat, prêtre attaché au Chapitre de Cahors, d’abord déporté à Blaye, puis sur un vaisseau, fut embarqué le 2 août 1798 à bord de la corvette la Bayonnaise, chargée de conduire à Cayenne onze laïques et cent huit prêtres. L’entassement des déportés dans l’entrepont détermina une sorte d’épidémie ; du 22 août au 4 septembre, deux matelots moururent ainsi que sept prêtres, parmi lesquels l’abbé Alaniou.
Quelques mois avant la Bayonnaise, le 23 avril, la Décade avait quitté Rochefort pour la Guyane, emmenant cent quatre-vingt-treize déportés, dont cent cinquante-huit ecclésiastiques. L’abbé Calixte Cailhat, de Lauzerte, docteur en Sorbonne, faisait partie de ce chargement. Au début de la Révolution, il avait eu le malheur de prêter le serment et d’être curé intrus. L’infortune le ramena à la vérité. À peine en mer, il rédigea la rétractation suivante :
« À bord de la frégate la Décade, en pleine mer, le 27 avril 1798.
« Je soussigné, prêtre du diocèse de Cahors, déclare, devant les supérieurs ecclésiastiques de mon diocèse, que je rétracte le serment ou adhésion que j’ai prêté à la constitution civile du clergé. Je me repens d’avoir accepté et occupé des places, en vertu de cette même constitution ; j’en demande sincèrement pardon à Dieu ; je désire que la présente déclaration que je fais au moment où je vais être déporté à la Guyane, soit connue de ceux que j’ai dirigés pendant le temps que j’ai préféré mon opinion particulière à celle des évêques de France et aux décisions du Saint-Père. Je désire pareillement qu’elle soit connue de ceux que ma conduite a scandalisés à la même époque. J’espère que, moyennant ma pénitence, Dieu pardonnera à mon égarement. – Signé : Calixte CAILHAT. »
Le 9 juin 1798, la Décade arriva à Cayenne. L’abbé Cailhat fut envoyé à Appronague. La situation des déportés y était horrible, et M. Victor Pierre la décrit en ces termes : « Attaqués par les maringouins, pour les écarter, ils n’ont d’autre ressource que d’enfumer la case, ce qui la rend presque inhabitable. Les chiques, sortes de poux, pénètrent dans leurs pieds, s’y font un nid, les dévorent ; il faut que les nègres, experts dans cette cure, les extirpent non sans de grandes douleurs pour le patient, ou la gangrène, la vermine, la pourriture vont l’envahir tout entier. Mauvaise nourriture : la viande palpitante, le poisson qui sort de l’eau se putréfient vite, le pain moisit en refroidissant ; le jardin produit des légumes maigres et filandreux, que la chaleur brûle ou que noient les inondations. Non moins pénible que le jour, la nuit n’est qu’un changement de souffrances sans apporter avec elle le sommeil qui y ferait trêve 4. »
L’abbé Cailhat ne put résister longtemps à de telles misères. Il mourut dès le mois d’octobre 1798, à l’âge de trente-six ans.
M. Jean Laraurie, de Flaugnac, vicaire de Flottes, avait été, comme M. Alaniou, un des déportés de la Bayonnaise. Envoyé à Sinnamary, il y mourait, le 7 février 1799, victime de la dysenterie et le corps déjà à demi dévoré par les vers.
Après la Bayonnaise, aucun autre bâtiment ne conduisit de déportés à la Guyane. La surveillance des croisières anglaises devenant de plus en plus étroite, le Directoire, à son grand regret, se vit contraint de renoncer à la Guyane et de garder en France, principalement à l’île de Ré et à l’île d’Oléron, les prêtres qu’il destinait à la déportation.
La citadelle de l’île de Ré compta bientôt plus de mille prisonniers, – 721 prêtres français, 222 prêtres belges et 122 laïques. Sur ces mille détenus, il y avait, d’après le livre de M. l’abbé Gary, douze prêtres de Cahors. Cette liste est incomplète. Il convient d’y ajouter quatre noms : M. Pelissié, vicaire à Rampoux ; M. Charbonnel, vicaire à Saint-Cirgues ; M. Lesage, de Cahors ; M. Dourlot, moine pensionnaire à Montauban. Ce dernier mourut en prison le 15 septembre 1799 5.
L’encombrement qui se produisit à l’île de Ré obligea le Directoire à chercher une nouvelle prison ; il choisit l’île d’Oléron. La citadelle de l’île reçut 126 prêtres belges, 60 prêtres français et 58 laïques. Le clergé de Cahors n’y compta qu’un seul détenu, M. Jean Pradel, de Gramat.
Si le nombre des prêtres du Lot détenu aux îles de Ré et d’Oléron fut assez restreint, c’est que presque tous ceux qui avaient pu échapper à la grande proscription de 1794 avaient quitté le pays et s’étaient réfugiés en Espagne.
M. l’abbé Gary n’a malheureusement qu’une page sur les prêtres qui, en si grand nombre, durent ainsi se condamner à l’exil. Vingt-neuf d’entre eux périrent en Espagne. M. Charles Fontalbe de Bécave, curé de Floressac, mourut à Saragosse, en servant dans les hôpitaux. M. Tillol (de Cazoulès), victime comme lui de sa charité, mourut à Valladolid en soignant les prisonniers français.
III
Les détails m’échappent dans cette rapide analyse, et ce sont surtout les détails qui font l’intérêt d’un livre comme celui de M. l’abbé Gary. J’en veux du moins noter quelques-uns.
M. Labé, curé de Prangères, avait refusé le serment. Traqué comme ses confrères, obligé de se cacher et de chercher une retraite en dehors de sa paroisse, il resta dans le voisinage. Dès qu’un appel était fait à son zèle et à son dévouement, il accourait, soit qu’il s’agît d’administrer un mourant, soit qu’il fallût baptiser un nouveau-né. Les baptêmes avaient lieu dans le réduit obscur d’une grange du village. Souvent il célébrait la messe dans une maison voisine de l’église et qui existe encore. D’après la tradition du pays, il lui arriva plus d’une fois de la dire, la nuit, dans les bois. Les fidèles, un à un, en silence, au milieu des ténèbres, se dirigeaient vers ces catacombes rustiques, que n’eussent pas désavouées celles où allaient, dans les premiers siècles de l’Église, prier les chrétiens.
Le curé de Ganic, M. Pierre Dupuy, après avoir, lui aussi, refusé le serment, avait dû se retirer chez des parents au château de Merlanes, paroisse de Saint-Christophe (Tarn-et-Garonne), à deux lieues de Ganic. Là il avait le bonheur de célébrer les saints mystères dans une chambre secrète convertie en oratoire.
Dans son zèle pour le salut des âmes, il se rendait souvent à Ganic et dans les environs. On cite plusieurs maisons où il se cachait et où il célébrait la messe, entre autres les maisons Gary au Mespoulié, Iches à Fabos, Longueville à Lartigues, Lartet à Birou, paroisse de Flaugnac ; il la disait aussi au Causse, paroisse de Lamolayrette ; à Cantemerle, paroisse de Saint-Laurent (Tarn-et-Garonne). La nuit, au péril de sa vie, il parcourait la paroisse et la contrée, allant de maison en maison visiter les malades, fortifier les fidèles, administrer les sacrements. Une multitude d’enfants reçurent le baptême de ses mains. Voici, au sujet d’un mariage, un précieux document, qui montre combien, à cette terrible époque, le saint ministère était difficile.
« L’an mil sept cent quatre-vingt-seize, et le vingt-cinquième jour du mois de février, après minuit, dans une maison particulière du lieu de Giblot, paroisse de Ganic, vu l’état de persécution où se trouve l’église catholique de France, en vertu de pouvoirs extraordinaires à nous légitimement dévolus et après la dispense du temps et celle de la publication des bans... Je soussigné, prêtre français, insermenté, ai administré le sacrement de mariage à G. F. et à M. S., tous deux du susdit lieu de Giblot...
« Signé : DUPUY, prêtre catholique. »
L’une des meilleures notices du volume de M. l’abbé Gary est consacrée à M. Jacques Perboyre, oncle de M. Jean-Gabriel Perboyre, martyrisé en Chine le 11 septembre 1840 et déclaré Bienheureux par Léon XIII le 4 novembre 1889. Lorsque éclata la Révolution, Jacques Perboyre, prêtre de la congrégation de la mission, était directeur du petit séminaire d’Albi. Il émigra d’abord en Espagne, mais revint presque aussitôt dans le Lot, à Catus, son pays natal. Derrière le château de Villari, où demeuraient ses parents, sur le flanc de la montagne, dans un lieu escarpé, se trouvait une grotte profonde, humide, et qu’il n’était guère facile d’apercevoir. C’est là qu’il vint se cacher, à deux pas des siens, mais ne recevant, pendant le jour, d’autre visite que celle du petit berger de son père, que son âge et ses allures ne pouvaient rendre suspect et qui pouvait, sans éveiller les soupçons, lui apporter sa nourriture. La nuit venue, M. Perboyre, prudemment déguisé, s’en allait de côté et d’autre consoler les malades, bénir les derniers moments des mourants, et donner à tous ceux qui les lui demandaient les secours de la religion.
Plus d’une fois, durant ces courses nocturnes, il s’arrêta au château de Labasidette pour y offrir le Saint Sacrifice, entouré des âmes pieuses qui avaient pu être prévenues à temps. Quelquefois même, les fidèles n’attendaient pas son passage, et d’eux-mêmes, discrètement, ils allaient le trouver dans sa grotte pour lui demander une absolution ou recevoir la bénédiction nuptiale. Scènes touchantes, dont le pieux auteur de la Notice ne peut évoquer le souvenir sans songer en même temps à celles, presque toutes semblables, dont, cinquante ans plus tard, le neveu de Jacques Perboyre sera le héros, et qui se passeront, celles-là, non plus en France, – mais en Chine.
Cependant deux ou trois autres prêtres rayonnaient autour de Catus. La paroisse de Saint-Ciry-Lapopie était, au contraire, entièrement abandonnée : Perboyre s’y transporta. Il y disait la messe dans plusieurs maisons particulières, mais ce fut surtout le château de Ribot 6, qui eut, le plus souvent, l’honneur de lui servir d’église.
Les patriotes le savaient caché dans la commune ; ils multiplièrent les visites domiciliaires pour le saisir. Elles restèrent vaines, mais obligèrent néanmoins le perfide Perboyre à chercher un asile en dehors de toute habitation.
Entre Saint-Ciry et Grégols, tout près du Lot qui coule au nord, s’ouvre la gorge dite de Vennes. À l’un des points les plus difficiles à aborder, on trouve parmi les excavations naturelles du rocher une ouverture large d’un mètre environ, haute de quatorze et profonde de sept. L’intérieur est en forme de voûte. Tel était l’endroit que Dieu avait ménagé à l’intrépide confesseur de la foi pour le soustraire à la persécution. Dans le pays, cette cachette porte encore son nom. C’est la grotte de Perboyre (crozo de Perboyre).
Un jour vint où la grotte de Vennes allait cesser d’être pour lui une retraite sûre. Le plus dévoué de ses amis, le brave Jean Rouffies, dit Lacaze, se chargea de lui en trouver une autre. Habitant les bords du Lot, et ayant un bateau à sa disposition, il allait fréquemment à la pêche. Il saute donc dans sa barque, va et vient sur la rivière, et tout en ayant l’air d’amorcer ses hameçons, de tendre ses filets et d’attendre le poisson, il fouille attentivement les anfractuosités du rocher. Après quelques jours d’inutiles recherches, à deux cents mètres environ du château de Porte-Roques, au roc du Maroulet, à un mètre à peu près au-dessus du niveau ordinaire de l’eau, il découvre, dissimulé par un léger pli de terrain, un refuge, mais combien différent de la grotte de Villari ou de la grotte de Vennes ! Ce n’était qu’une cavité très étroite, où un homme a peine à passer. Au lieu de se continuer horizontalement dans la profondeur de la montagne, elle s’élevait presque immédiatement et presque sans s’élargir jusqu’à une hauteur de dix mètres. « Nous ne croyons pas, dit l’auteur de la notice, pouvoir en donner une idée plus parfaite qu’en la comparant à un tuyau de cheminée. »
C’est là que le bon Rouffies vint, à la faveur de la nuit, porter son ami et l’enterrer en quelque sorte vivant. C’est là que M. Perboyre demeura depuis 1793 jusqu’en 1795.
Le jour, il priait et se mortifiait dans son étroit cachot, n’ayant d’autre nourriture que celle apportée, de loin en loin, par le bateau du fidèle Rouffies. – La nuit, il était toujours prêt à partir dans une direction ou dans une autre, pour répondre aux désirs des pauvres chrétiens de ces contrées abandonnées et sans pasteur. On avertissait discrètement Rouffies, et Rouffies, plus discrètement encore, conduisait le prêtre là où les secours de son ministère étaient attendus. C’est ainsi qu’une nuit, il alla en bateau au pont de Saint-Ciry pour faire un baptême, celui du père de M. Alain Dols, actuellement notaire à Tour-de-Faure. L’enfant fut descendu par une fenêtre, dans une corbeille suspendue à une corde. M. Perboyre le baptisa, et regagna vite sa triste prison.
Toutes les fois qu’il le pouvait, il offrait le saint sacrifice de la messe. Conduit sur le bateau, au château de Porte-Roques, couvert d’un vieux manteau rouge, afin d’écarter les soupçons, il était pieusement accueilli par la famille Payssot qui, avertie à temps, tenait toujours tout préparé pour le saint sacrifice.
À la fin de 1795, M. Perboyre quitta la grotte de Porte-Roques. En 1796, on le trouve à Escamps, puis à Varaire. Le maire d’Escamps, M. Sarny, eut l’héroïsme de lui donner plusieurs fois asile dans sa propre maison. Longues années après, M. Perboyre écrivait ce billet, si honorable pour la famille de l’ancien maire :
« J’ai l’honneur de certifier que M. Sarny, ancien maire d’Escamps, diocèse de Cahors, m’a donné plusieurs fois asile dans sa maison pour y exercer les fonctions du saint ministère dans les temps les plus critiques de la Révolution ; il m’a donné toute sorte de secours, non seulement à moi, mais encore à tous les prêtres qui s’adressaient à lui. Il nous conduisait partout où le besoin des fidèles nous appelait, et il nous rendait tous les services possibles très gratuitement. Sa maison était l’endroit où les fidèles se réunissaient pour entendre la sainte messe, pour s’y confesser et recevoir les sacrements. J’ai administré dans sa maison plusieurs fois le baptême, fait plusieurs mariages, etc., etc. Il doit avoir, dans ses papiers, les certificats des baptêmes, mariages, etc.
« Montauban, juillet 1831.
« PERBOYRE,
« Prêtre de la Mission, ancien
supérieur du P. S. »
À Varaire, comme à Saint-Ciry et à Escamps, M. Perboyre eut des amis fidèles et dévoués. Les familles qui lui furent le plus attachées furent celles de Jean Bès et de Jean Roldes (du village de Laplane), et surtout celle de J.-P. Vinel (du village de Loupendut).
C’était chez Vinel que M. Perboyre disait la messe. Quand la petite chambre était trop étroite pour contenir les fidèles, Vinel descendait dans la cour intérieure, la nettoyait de son mieux, et préparait, à l’ombre d’un grand sureau, l’autel et toutes les choses nécessaires au divin sacrifice. C’est encore lui qui, dans ces circonstances singulièrement touchantes, faisait l’office d’enfant de chœur. C’est lui qui l’accompagnait, la nuit, dans ses visites aux malades et aux mourants, et plus d’une fois, au péril de sa vie, il sauva le saint prêtre.
L’histoire n’a guère souci de ces dévouements obscurs ; elle ne redira jamais les noms de Rouffies et de Vinel. Et pourtant est-il rien de plus grand que ces humbles qui, sans le savoir, furent tout simplement des héros ?
D’autres notices, dans ce volume, ne sont pas moins intéressantes que celle de Jacques Perboyre. Celle de l’abbé Ayroles, membre de l’Assemblée constituante, homme d’un rare talent et d’une vertu plus rare encore, occupe près de deux cents pages. Elle suffirait à assurer le succès du livre de M. l’abbé Justin Gary, si digne par ailleurs d’encouragements et d’éloges.
1er novembre 1898.
Edmond BIRÉ, Le clergé de France
pendant la Révolution (1789-1799), 1901.
1 Notice sur le clergé de Cahors pendant la Révolution, publiée par M. l’abbé Justin GARY. Un volume in-8o, Cahors, librairie Delsand, rue de la Mairie, 1898.
2 Quatre volumes in-8o. Chez Adrien Le Clère, imprimeur de N. S. P. le Pape, 1820.
3 H. WALLON, le Tribunal révolutionnaire de Paris, t. IV, pp. 288 et 501.
4 La Terreur sous le Directoire. Histoire de la persécution politique et religieuse après le coup d’État du 18 fructidor, d’après les documents inédits, par VICTOR PIERRE, p. 300.
5 Victor Pierre, p. 442.