Le pacte de famine
par
Edmond BIRÉ
I.
Je me souviens encore, après trente ans passés, de la douloureuse émotion que j’éprouvai, le jour où notre professeur d’histoire, dans une leçon sur l’école économique de Quesnay et sur la liberté du commerce des grains, nous parla du Pacte de famine et stigmatisa, en termes indignés, la conduite de Louis XV affamant ses sujets1, se jouant de leur misère et demandant à d’odieuses spéculations l’argent nécessaire à ses débauches. Ce professeur avait été l’un des plus brillants lauréats de l’Université, l’un des élèves les plus distingués de l’École normale ; il possédait un réel talent de parole. Son indignation d’ailleurs n’avait rien de joué. Sa sincérité était entière, sa conviction profonde. Aussi l’effet de sa leçon fut-il considérable sur son jeune auditoire. Les cancres eux-mêmes, qui d’habitude n’écoutaient guère, avaient cette fois prêté l’oreille ; la plupart même avaient pris des notes et ne se firent pas faute, dans leur rédaction, de dire brutalement son fait à ce pauvre Louis XV. Seul, je me refusai à admettre l’existence du fameux pacte de famine. Malheureusement, je n’avais que de vagues présomptions à opposer aux faits précis, aux documents authentiques produits par notre professeur. Il se donna le plaisir de lire publiquement ma copie, de la réfuter courtoisement, de corroborer sa thèse par des arguments nouveaux et qui parurent à tous irréfutables. Son triomphe fut d’autant plus complet qu’il l’assaisonna, je dois le dire, de beaucoup de bonne grâce. Il rappela que, l’année précédente, j’avais eu le premier prix d’histoire, et il ajouta en souriant : « C’est moi qui ai eu le plaisir de vous couronner et de vous remettre les quatre volumes de l’Histoire des Français, de M. Théophile Lavallée. Je suis bien sûr que vous les avez lus ; vous aurez reconnu bien vite que l’auteur est un esprit judicieux, modéré, un juge équitable de la vieille France et de l’ancienne monarchie. Vous ne récuserez pas son témoignage. Le voici textuellement :
La liberté du commerce des grains, décrétée en 1754, avait été révoquée pendant la guerre de Sept ans ; mais en 1764 les économistes l’avaient fait rétablir et même avaient obtenu la liberté d’exportation. Alors une société secrète se forma, dans laquelle le roi lui-même était actionnaire pour dix millions, qui accaparait les blés, les faisait sortir de France, excitait ainsi la hausse, et réimportait ces mêmes blés avec d’énormes bénéfices. Le cri public devint tel qu’en 1770 l’abbé Terray défendit la libre circulation des grains ; mais le pacte de famine ne fut pas détruit ; les accaparements à l’intérieur continuèrent. Le roi s’était fait une caisse particulière avec laquelle il agiotait sur le prix des blés, se vantant à tout le monde du lucre infernal qu’il faisait sur ses sujets ; la société ne lâchait les grains accaparés qu’au moment où le peuple allait se révolter ou mourir de faim. Nul n’osait révéler ce pacte abominable, qui avait des complices partout, même dans les parlements ; il avait été défendu, sous peine de mort, aux écrivains de parler de finances, et la moindre plainte était étouffée dans les cachots de la Bastille. Aussi le peuple, poussé aux dernières limites de la misère, conçut-il la haine la plus atroce contre le gouvernement, les nobles, les riches, haine qui devait un jour se traduire en horribles vengeances 2.
Je fis timidement observer que M. Théophile Lavallée avait peut-être manqué ici de modération et de jugement, voire même du bon sens le plus élémentaire, attendu qu’il était bien difficile d’admettre que Louis XV, s’il avait fait un tour pareil, eût été assez sot pour s’en vanter à tout le monde. Mais je m’aperçus aussitôt que ma défense avait peu de succès, même parmi mes camarades ; les cancres surtout avaient peine à contenir leur indignation. Je crois bien qu’un ou deux de ceux-là siègent aujourd’hui sur les bancs de la Chambre des députés, et il ne m’étonnerait pas que ce fût précisément l’un d’eux qui, l’autre jour, dans la discussion de la loi sur les céréales, a lancé, d’un air triomphant, cette interruption demeurée sans réponse : Et le pacte de famine ?
II.
Quelques années s’écoulèrent, notre professeur d’histoire était mort, en pleine jeunesse et en plein talent. J’achevais mes études de droit. Comme je traversais les boulevards, une affiche de spectacle m’arrêta au passage, évoquant soudain dans ma mémoire ce petit épisode de ma vie de collège. C’était une affiche du théâtre de la Porte-Saint-Martin, ainsi conçue :
Première représentation (reprise)
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L E P A C T E D E F A M I N E
Drame HISTORIQUE en cinq actes
DE MM. PAUL FOUCHER ET ÉLIE BERTHET
Le soir, je prenais place, avec quelques amis, au parterre du théâtre. En ce temps-là, les étudiants allaient encore au parterre ; on m’assure qu’aujourd’hui ils ne vont plus qu’aux fauteuils. MM. Paul Foucher et Élie Berthet avaient fait entrer dans la composition de leur drame historique tous les ingrédients du genre. Le héros de la pièce, le Prévôt de Beaumont, est un « jeune gentilhomme » que le hasard a rendu maître du secret des accapareurs. Il ne reculera devant aucun moyen, pas même devant l’emploi de la force, pour s’emparer des papiers de Malisset, le premier signataire du Pacte de famine, le chef apparent de la bande des affameurs du peuple, dont le chef réel est le roi lui-même : « Le roi partage avec les accapareurs le prix de nos sueurs et de notre sang ; ce prix sert encore à séduire nos femmes et nos filles 3. » Pendant qu’il assistera à une fête donnée par Malisset dans sa petite maison du faubourg du Roule – « une fêle dont la hausse dans le prix du pain doit payer les frais » – des hommes du peuple, qui sont à sa dévotion, se porteront aux différents bureaux des accapareurs et saisiront tous leurs registres. Mais il a compté sans la trahison. Un misérable, le chevalier de Saint-Val, le dénonce au lieutenant général de police, M. de Sartine, qui n’a rien à refuser aux organisateurs du pacte de famine. Au moment où Le Prévôt se croit assuré du succès, des exempts se précipitent sur lui, le bâillonnent, le chargent de chaînes et le traînent à la Bastille. Il y reste vingt ans, au fond d’un cachot sans air et sans lumière, qu’on a creusé exprès pour lui sous la tour de la Bazinière. Le Prévôt avait un fils, Jules de Beaumont, qui jurait chaque matin sur l’épée et devant le portrait de son père qu’il le vengerait un jour. Le 14 juillet 1789, le peuple, ameuté par Jules de Beaumont, se rue à l’assaut de la vieille prison d’État. La Bastille est prise, aux cris de Vive la liberté ! Tableau. « En ce moment, le mur du fond, qui était déjà ébranlé par des coups répétés, s’écroule. On voit la grande cour du château. Murailles, pont-levis, foule de soldats, de citoyens armés, de femmes, d’enfants. On découvre, par la grande porte ouverte, la place hérissée de canons et couverte de peuple. Ce tableau est éclairé par l’ardent soleil de juillet. Le Prévôt de Beaumont paraît, pâle, brisé, cadavre vivant, appuyé d’un côté sur sa femme, de l’autre sur son fils. Il ne peut parler : il serre convulsivement les mains de son fils et de sa fille qui l’étreignent avec amour 4. »
LE PEUPLE
En triomphe ! en triomphe !
BOYREL
Mes amis.... Ne l’entourez pas.... Il a besoin d’air.... il vivra.... nous l’espérons.... Silence ! il va parler.
LE PRÉVÔT (parlant avec peine)
Ce peuple, qui a conquis son indépendance, est-il délivré de la faim ?
BOYREL
Pas encore.... mais il sait où est le pacte de famine.... et il ira le déchirer.
LE PRÉVÔT
Oh ! mes amis, mes frères !.... Le rêve de toute ma vie se réalise.... Le peuple aura du pain ! Dieu soit béni, qui associe ma délivrance à celle d’une grande nation !.... Dieu soit béni, qui a fait descendre jusque dans mon cachot les premières racines de cet arbre de liberté qui va se lever sur le monde.
(Cris de : Vive Beaumont ! vive la liberté 5 !)
III.
La première représentation du Pacte de famine avait eu lieu le 17 juin 1839, un mois à peine après l’émeute du 12 mai, organisée par Blanqui, Barbes et Martin Bernard. Le gouvernement, qui venait de réprimer l’insurrection dans la rue, ne voyait pas d’inconvénients à la laisser prendre sa revanche au théâtre. Il estimait sans danger ces excitations à la haine et au mépris de la royauté. Avec un aveuglement incroyable, il mettait lui-même au bas des ineptes mensonges de MM. Paul Foucher et Élie Berthet l’apostille officielle. Le Moniteur faisait sienne la thèse de ces deux écrivains. On pouvait lire dans son numéro du 21 juin 1839 :
Une avarice inepte avait porté Louis XV à s’occuper de spéculations qui alors eussent déshonoré tout homme revêtu d’un emploi peu important. Sans y mettre ni scrupule ni mystère, et dans la seule intention de grossir son trésor privé, il s’amusait à faire élever ou baisser le prix des grains ; et c’était presque toujours en sens inverse de ce qu’eût dû désirer ou opérer le maître du royaume. Des courtisans façonnés à tout approuver baissaient les yeux avec quelque embarras, lorsque le roi leur montrait une carte sur laquelle il notait les variations des marchés et faisait parade de son instruction dans un commerce décrié.... Déjà, depuis longtemps (1730) existait un pacte occulte, criminel, nommé pacte de famine. Des agents secrets achetaient, enlevaient les blés des provinces, les affamaient, puis revendaient ces blés pour le compte du souverain. Ministres, grands seigneurs partageaient une telle friponnerie. En 1765, ce pacte fut renouvelé, et l’entreprise accordée aux sieurs Le Ray de Chaumont, chevalier ; Rousseau, conseiller ; Perruchot, régisseur général des hôpitaux militaires, et Malisset, qui se qualifiait chargé de la manutention des blés du roi. Un homme d’une probité énergique, Le Prévôt de Beaumont, avocat, secrétaire du clergé, conçut le projet hardi de faire saisir à la même heure, dans tous les bureaux de l’infâme association, les pièces constatant cet ignoble trafic, et de le dénoncer aux tribunaux, à la France. Tout était disposé pour l’exécution, quand l’auteur fut arrêté, mis à la Bastille. Il y passa vingt-deux ans, les fers aux pieds et aux mains. Son cachot s’ouvrit le 14 juillet 1789.
En cette même année 1839, un membre de l’Académie française, M. Joseph Droz, au tome Ier de son Histoire du règne de Louis XVI, représente Louis XV « achetant et revendant des blés, pour grossir son trésor privé 6 ». La page de M. Droz n’était que la reproduction, la copie presque littérale d’une page de Charles Lacretelle, dans son Histoire de France pendant le XVIIIe siècle 7, publiée en 1810. Ni Lacretelle, d’ailleurs, ni M. Droz ne parlent de la société Malisset, non plus que du pacte de famine. C’est à M. Théophile Lavallée que revient l’honneur d’avoir le premier, en 1841, introduit le Pacte de famine dans l’histoire. On a vu plus haut combien ses accusations sont nettes, précises, de nature à impressionner son lecteur. M. Théophile Lavallée était professeur d’histoire à l’école royale militaire de Saint-Cyr. Son livre, habilement composé, d’un style élégant et clair, a obtenu un très grand succès ; j’ai sous les yeux la quatorzième édition, et je crois bien que ce n’est pas la dernière. Il avait ouvert la voie, d’autres allaient suivre. En 1842, paraissait le XIXe volume de l’Histoire des Français, de Sismondi. On y lisait, page 405 :
1769. – L’abbé Terray s’était hâté de profiter de l’arrêt du Conseil de 1764, qui permettait l’exportation des grains à l’étranger. Cet arrêt, motivé sur les doctrines des économistes, n’avait servi qu’à ouvrir la porte au plus odieux monopole. Une compagnie, à la tête de laquelle se trouvaient l’abbé Terray et le premier commis des finances, accaparait les grains, les faisait passer dans les îles de Jersey et de Guernesey, puis les faisait revenir pour les vendre avec profit, lorsque, par des opérations faites sur une grande échelle, elle avait causé une famine artificielle dans le royaume. Bientôt le roi s’associa pour son pécule particulier à ces scandaleuses opérations, et il montra pour ce commerce une activité cupide dont on ne le croyait plus capable.
Sismondi était Genevois et protestant : peu s’en fallut qu’on ne fît de lui l’historien national de la France. Il eût peut-être emporté la palme, s’il n’avait eu à lutter bientôt contre un redoutable concurrent, M. Henri Martin, auteur d’une Histoire de France en dix-neuf volumes, publiée de 1837 à 1854, et qui figure dans toutes les bibliothèques – au moins comme meuble meublant. On pense bien que ce brave homme n’était point pour passer à côté de cette légende sans la ramasser et la mettre en bonne place dans son livre. Sur l’existence du pacte de famine, sur la complicité du roi, il est le plus affirmatif du monde. Il appelle Louis XV le « grand accapareur 8 » ; il inscrit dans le sommaire de son chapitre CII : « Le Pacte de famine. Le roi accapareur. » Il écrit sans une ombre d’hésitation :
Louis XV s’intéressa, pour le compte de sa cassette particulière, dans les affaires de la société Malisset.... La société Malisset, dont le roi était le principal intéressé, eut ses coudées franches après la destruction des parlements et fit exactement ce qu’avait prédit Galiani. Terray, par exemple, défendait l’exportation en Languedoc, quand la récolte y était devenue meilleure, afin de faire enlever les grains à vil prix par ses agents ; pendant ce temps il ouvrait les ports de Bretagne et en tirait des masses de grains qu’il envoyait entreposer à Jersey pour les faire revenir quand la hausse aurait été poussée artificiellement à son comble. Le quartier général du monopole était aux moulins et aux magasins royaux de Gorbeil, mais l’impulsion partait de Versailles, et les courtisans admis dans les petits cabinets du roi ne pouvaient s’empêcher de baisser les yeux lorsqu’ils voyaient sur son secrétaire des carnets où étaient inscrits jour par jour les prix des blés dans les divers marchés du royaume. C’était ainsi que Louis XV interprétait les leçons de Quesnay ! On en vint à un tel cynisme que l’éditeur de l’Almanach royal de 1774 plaça au rang des officiers de finances un sieur Mirlavaud, trésorier des grains au compte de Sa Majesté. On se ravisa trop tard : l’édition était lancée quand on voulut l’arrêter. Les ministres, cependant, tâchaient de détourner les rancunes populaires, en faisant accuser calomnieusement les Parlements d’avoir causé la disette par leur patronage à l’exportation et même par accaparements. Le peuple crut ministres et parlements les uns contre les autres. Le mal trop réel de la spéculation grandit jusqu’à des proportions fantastiques dans l’imagination de la multitude. Les classes souffrantes s’habituèrent à considérer les classes supérieures, gens de cour, magistrats, financiers, comme une légion de vampires ligués pour sucer le sang des misérables, et d’implacables haines, ravivées de temps en temps par des incidents nouveaux, couvèrent dans les cœurs jusqu’aux jours du cataclysme social, où elles débordèrent comme un torrent furieux. Au fond de tous les excès populaires de la Révolution, si l’on regardait de près, l’on apercevrait le spectre hâve et décharné du Pacte de famine 9.
L’indignation de l’historien est si vive qu’elle l’a presque rendu poète : Facit indignatio versum.... Mais voici un bien autre poète que M. Martin, voici Michelet. Il écrit au tome Ier de son Histoire de la Révolution :
Louis XV reste l’ennemi du peuple, dur, égoïste, sans entrailles ; de roi, il se fait trafiquant de blé, spéculateur en famine....
L’aliment devient, par sa rareté même, l’objet d’un trafic extrêmement productif. Les profits en sont si clairs, que le roi veut aussi en être. Le monde voit avec étonnement un roi qui trafique de la vie de ses sujets, un roi qui spécule sur la disette et la mort, un roi assassin du peuple. La famine n’est plus seulement le résultat des saisons, un phénomène naturel ; ce n’est ni la pluie ni la grêle ; c’est un fait d’ordre civil : on a faim De par le Roi.
Le roi, ici, c’est le système. On eut faim sous Louis XV, on a faim sous Louis XVI.
La famine est alors une science, un art compliqué d’administration, de commerce. Elle a son père et sa mère, le fisc, l’accaparement. Elle engendre une race à part, race bâtarde de fournisseurs, banquiers, financiers, fermiers généraux, intendants, conseillers, ministres. Un mot profond sur l’alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple : Pacte de famine 10. »
Dans un livre sur Camille Desmoulins, dédié par l’auteur À la mémoire de J. Michelet, son maître vénéré, M. Jules Claretie flétrit à son tour « cette infâme spéculation de Louis le Bien-Aimé 11 ».
Du reste, les historiens monarchiques ne sont pas moins affirmatifs que les historiens révolutionnaires sur l’existence du Pacte de famine. J’ai déjà cité M. Droz. Voici maintenant M. Amédée Gabourd et M. Auguste Trognon.
Au tome XVII de son Histoire de France, publié en 1861, M. Gabourd s’exprime en ces termes :
Comme, depuis l’année 1764, un arrêt du conseil avait permis la libre exportation des grains, l’abbé Terray et le premier commis des finances s’étaient mis à la tête d’une société d’accapareurs, la compagnie Malisset, qui achetait les blés en France, les faisait passer dans les îles de Jersey et de Guernesey, et les introduisait de nouveau dans le royaume pour les revendre avec des bénéfices considérables, après avoir créé une disette artificielle par le grand nombre et l’étendue de ses achats. Une circonstance honteuse pour le roi, c’est que, instruit des avantages que rapportaient ces opérations, dont souffrait le peuple et dont le pauvre portait tout le poids, Louis XV avait eu la coupable bassesse de s’y associer et de gagner des sommes considérables aux accaparements illicites que nulle justice n’osait atteindre. L’histoire a flétri du nom de Pacte de famine ces spéculations concertées entre les agioteurs et le roi, et le souvenir en est resté comme un opprobre pour la monarchie du XVIIIe siècle. On s’indignait à juste titre de voir le roi, qui avait mission de protéger également le consommateur et l’acheteur, participer à un trafic immoral, se former un autre trésor que celui de l’État, chercher un lucre dans le commerce des denrées, faire monter ou décroître le prix des grains selon ses intérêts personnels 12....
M. Auguste Trognon écrit, de son côté, au tome V de son Histoire de France, à laquelle l’Académie française a décerné le grand prix Gobert :
Terray suspendit l’exportation par un arrêt du conseil du 14 juillet 1770 ; mais il ne fit rien pour empêcher les odieux accaparements qui aggravaient la disette. Il favorisa, au contraire, jusqu’au scandale, les opérations d’une société dans laquelle, on rougit de le dire, Louis XV était engagé, et qui spéculait effrontément sur la cherté des blés et la souffrance nationale. L’esprit plaisant, qui ne manque guère de se mêler, en France, aux choses les plus graves, imagina alors, contre le roi et le contrôleur général, le terrible jeu de mots de Pacte de famine, destiné à être pris si fort au sérieux par les classes populaires et à figurer, quelques années plus tard, dans leur acte d’accusation contre la royauté 13.
Avec de tels patrons, le Pacte de famine ne pouvait manquer de faire son chemin ; des grandes histoires, il a eu vite fait de passer dans les petites. De toutes les Histoires de France en un ou deux volumes, destinées non plus au grand public, mais aux élèves de nos collèges ; de tous ces abrégés ad usum Delphini, il n’en est pas un seul qui se permette d’élever un doute sur l’existence de cette « société secrète », créée par le roi, les princes du sang et les grands seigneurs, pour affamer le peuple. La plupart se font un devoir de dénoncer à leurs jeunes lecteurs, avec une vertueuse indignation, les crimes et les hontes de l’odieux complot. Beaucoup sans doute, parmi ceux qui me lisent, ont eu, comme moi, pour vade-mecum, en rhétorique, le Cours complet d’histoire et de géographie de MM. Félix Ansart et Ambroise Rendu. J’y retrouve ce passage :
Une société secrète, dans laquelle le roi lui-même était intéressé, se forma dans le but d’accaparer les blés, et réalisa par ce monopole d’immenses bénéfices. Cet odieux Pacte de famine causa, dans toutes les provinces et à Paris même, des souffrances inouïes, sans que le roi et ses complices consentissent à renoncer à leur lucre homicide 14.
Le Cours d’histoire d’Ansart et Rendu a eu des éditions sans nombre ; celle que j’ai sous les yeux, approuvée par Son Éminence le cardinal archevêque de Bordeaux, a été revue par M. l’abbé Paradis, licencié en droit, ancien élève de l’École des chartes ; elle sort d’une Librairie classique et ecclésiastique. Le Pacte de famine, on le voit, a exercé ses ravages même sur les membres du clergé, sur les professeurs de nos collèges libres. Il n’est pas jusques au bon Chantrel, le guide attitré des élèves de nos petits séminaires, qui n’ait payé, lui aussi, tribut à la contagion :
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
Dans l’Université, le Pacte de famine est depuis longtemps passé à l’état de dogme. Combien quittent le collège sans savoir un mot d’histoire, qui sont ferrés sur les crimes de cette odieuse société secrète dont le chef était le roi de France ! Longue serait la liste, si je voulais la donner complète, des livres classiques où sont racontées tout au long les abominations de la compagnie Malisset. Je me contenterai de citer l’Histoire des temps modernes (cours de rhétorique), par C.-A. Dauban, de la bibliothèque nationale, et L. Grégoire, professeur d’histoire au lycée Bonaparte, et l’Histoire de l’Europe depuis 1610 jusqu’à 1789, par M. Victor Duruy 15.
Si on ne relit guère, après le collège, ses livres de classe ; si on lit peu les Histoires en vingt ou trente volumes, on a volontiers sous la main les dictionnaires historiques, si commodes à consulter. Les longs ouvrages nous font peur ; gens du monde ou gens de lettres, nous nous contentons d’ouvrir, suivant l’occurrence, le Dictionnaire d’histoire et de géographie de Bouillet, ou le Dictionnaire général de biographie et d’histoire, de MM. Dezobry et Bachelet, ou encore, dans les cas graves et si nous sommes de loisir, le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse. Le dictionnaire de Larousse est rédigé dans le sens le plus ardemment révolutionnaire ; les dictionnaires de Bouillet et de Dezobry se sont attachés, au contraire, à mériter les plus hautes approbations, depuis celle du Conseil royal de l’instruction publique jusqu’à celle de la Sacrée Congrégation de l’Index. Et cependant, à l’endroit du Pacte de famine, le langage de Bouillet ou de Dezobry ne diffère pas de celui de Larousse.
L’article du Dictionnaire de Larousse est de 1872 16 ; l’auteur s’est sans doute inspiré, pour l’écrire, d’un autre article publié par la Revue des Deux Mondes, et signé par M. Maxime du Camp. En raison de la haute estime, de la grande sympathie qui entourent si justement le nom de M. Maxime du Camp, je ne crois pas pouvoir me dispenser de donner ici un extrait de son travail :
Des baux de cette nature, – c’est-à-dire attribuant à ceux qui en étaient titulaires le privilège exorbitant du commerce exclusif du blé, – furent passés en 1729 et en 1740. Le dernier, celui que l’histoire a flétri du nom de Pacte de famine, fut signé à Paris le 12 juillet 1765 en faveur de Malisset, homme intelligent, hardi, fort peu scrupuleux, et inventeur d’une prétendue mouture économique. Louis XV était intéressé dans la spéculation pour une somme de dix millions, qu’il avait versée et qui lui rapportait d’énormes intérêts. Malisset devait avoir des arrangements particuliers avec Louis XV ; l’article 10 parle nettement d’un traité particulier avec le roi. Les malheureux, du reste, n’étaient point oubliés ; cet acte, qui allait donner une fortune scandaleuse à Malisset et à MM. de Chaumont, Rousseau et Perruchot, qui lui servaient de caution, contient, à l’article 19, une clause dérisoire : « Il sera délivré annuellement une somme de 1,200 livres aux pauvres, laquelle sera payée par quart à chaque intéressé pour en faire la distribution ainsi qu’il le jugera convenable. » Louis XV ne semble guère dissimuler sa participation à ce genre de spéculation, car l’Almanach de 1774 indique la charge de trésorier des grains pour le compte de Sa Majesté.
Le procédé était d’une simplicité extrême. Grâce aux capitaux dont il disposait, Malisset accaparait les grains sur les marchés de France, puis il les expédiait dans les îles de Jersey et de Guernesey, où l’association avait ses principaux magasins. Lorsque, par suite de ces manœuvres, la disette se faisait sentir en France, on rapportait les blés sur les marchés, où on les revendait à des prix léonins. Le setier de blé, payé 10 fr. en 1767 par la compagnie Malisset, n’était livré par elle l’année suivante qu’au prix de 30 et 35 fr. On voit quels immenses, quels honteux bénéfices produisaient ces opérations. Un homme de bien, M. Le Prévôt de Beaumont, ancien secrétaire des assemblées du clergé, s’étant procuré les actes constitutifs de la société Malisset et se disposant à en saisir le parlement de Normandie, fut enlevé et disparut. On ne le retrouva que vingt-deux ans après, le 14 juillet 1789, à la Bastille.
Les premiers personnages de la cour, des princes du sang, des ducs et pairs, étaient secrètement les associés de Malisset.... Après la chute de Turgot, le traité Malisset ayant été renouvelé, Foullon et Bertier avaient été substitués aux anciens signataires de l’acte de 1765 ; seulement, à cette heure, on trouvait sans doute Jersey et Guernesey trop proches de la France, car nos blés étaient transportés à Terre-Neuve. Le caissier général de l’association était un certain Pinet, qui avait succédé à ce Mirlavaud que l’abbé Terray avait nommé, en 1773, trésorier des grains pour le compte du roi. Il offrait aux capitaux qu’on lui apportait un intérêt qui variait, selon les années, de 30 à 75 pour 100 ; on peut croire que l’argent ne lui manquait pas. L’instinct des masses ne s’était pas trompé. Sans rien savoir de ce qui se passait, elles devinaient en eux des accapareurs, et l’on sait comment périrent Foullon et Bertier 17....
Ces pages de la Revue des Deux Mondes sont de 1868. Vingt ans plus lard, le Rappel publiait, sous la signature de M. Auguste Vacquerie, les lignes suivantes :
Le grand coup de main, le vol sérieux, l’escroquerie vraiment monarchique, ce fut le Pacte de famine. Pendant soixante-dix ans, de 1719 à 1789, une aimable spéculation régna : une société achetait tout le blé du pays, l’exportait à Jersey et à Guernesey et attendait patiemment qu’on eût assez souffert en France pour payer une poignée de blé le prix d’un sac. Ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent mouraient de faim. En tête des affameurs, il y avait les plus grands seigneurs, les princes du sang et le roi en personne.
On le voit, l’Histoire et le Roman, le Théâtre et le Journal ont travaillé de concert à populariser la légende du Pacte de famine. Il n’en est pas de plus répandue, de mieux établie ; il n’en est pas non plus, je crois pouvoir le démontrer, de plus mensongère et de plus fausse.
En matière aussi grave, lorsqu’il s’agit d’un crime monstrueux, d’un complot abominable, qui se serait perpétué pendant soixante-dix ans, qui aurait eu pour auteurs le roi de France, les princes du sang, les ducs et pairs, les parlements, les ministres, les intendants, coupables de créer la disette et d’affamer le peuple, est-il permis à un historien d’affirmer sans preuves, de répéter ces accusations infamantes sans même essayer de remonter à leur source, sans se demander un seul instant si elles s’appuient sur des témoignages sérieux, sur des documents authentiques, si elles sont vraisemblables, si elles sont vraies ?
Ni M. Droz, ni M. Théophile Lavallée, ni M. de Sismondi, ni M. Henri Martin, ni M. Michelet, ni les écrivains venus après eux n’apportent une seule preuve, ne produisent une seule pièce à l’appui de leur acte d’accusation. Il semble vraiment que la chose aille de soi et qu’on les doive croire sur parole. Aussi bien, de quoi s’agit-il, après tout ? De l’honneur de la vieille France, des rois et de leurs ministres, des princes du sang et des grands seigneurs, des parlementaires et des financiers de l’ancien régime, toutes gens qu’il est loisible de condamner sans les entendre ! Un jour, à l’Assemblée législative, – c’était le 14 novembre 1791, – on discutait le projet présenté, au nom du comité de législation, sur les troubles qui avaient eu lieu dans quelques départements et dont on accusait les prêtres d’être les auteurs. Un des principaux orateurs de la Gironde, Isnard, s’écria, aux applaudissements de la majorité et des tribunes : « S’il existe des plaintes contre le prêtre qui n’a pas prêté le serment, il doit être forcé de sortir du royaume. IL NE FAUT PAS DE PREUVES 18 ! » Nos historiens sont de l’école d’Isnard : s’il existe des accusations contre l’ancien régime et ses représentants, si odieuses soient-elles, elles doivent être tenues pour certaines. Il ne faut pas de preuves !
Chez deux de nos historiens seulement – et il faut leur en savoir gré – on trouve une petite note disant où ils ont pris les éléments de leur récit. M. Théophile Lavallée indique, au bas de sa page, « l’Histoire parlementaire de la Révolution française, par Buchez et Roux, tome II, page 457 ». M. Henri Martin glisse, au bas de son texte, ces deux lignes : « V., dans le Moniteur de 89, le factum où se trouve le traité constitutif de la société Malisset. C’est le manifeste des haines populaires ; tous les faits sont vrais, mais interprétés par la passion enflammée de l’époque ».
J’ouvre donc le tome II de MM. Buchez et Roux, – dont l’ouvrage, on le sait, est consacré à la glorification de Robespierre et de la politique jacobine, – et voici ce que j’y lis :
« Nous allons maintenant laisser parler le Moniteur. Les faits dont il rend compte constituent une si terrible accusation contre la cour, que nous n’avons rien voulu changer au texte, de crainte qu’on ne nous accusât d’avoir arrangé cette effrayante justification des colères révolutionnaires. »
Suit la reproduction d’un article du Moniteur de 89, – M. Henri Martin l’appelle très justement un factum, – où paraît, pour la première fois, l’histoire et le nom même du Pacte de famine, et qui est la source – la source unique – à laquelle ont puisé tous les écrivains qui en ont parlé, depuis M. Théophile Lavallée jusqu’à M. Henri Martin, depuis M. Maxime du Camp jusqu’à l’anonyme du Dictionnaire Larousse. Quelle est la valeur de ce document !
IV.
La Gazette nationale ou le Moniteur universel a paru pour la première fois le 24 novembre 1789. À la demande d’un grand nombre de souscripteurs, les propriétaires, MM. Panckoucke et Agasse, se décidèrent, au commencement de 1790, à faire imprimer un supplément contenant le résumé des séances des États généraux à dater du 5 mai 1789, avec la relation des principaux évènements antérieurs au 24 novembre 19. C’est dans ce supplément et sous la date des 15 et 16 septembre 1789 que fut inséré l’article où il est parlé du Pacte de famine.
Cet article est anonyme. Il a été écrit dans des circonstances qu’il importe de rappeler et dans un but sur lequel il n’est pas possible de se méprendre.
La récolte de 1788 avait été mauvaise ; à la veille de la moisson, une grêle effroyable avait dévasté plusieurs provinces ; l’hiver qui avait suivi avait été le plus dur qu’on eût vu depuis 1709. Dès le printemps de 1789, la disette se fait cruellement sentir. Le peuple effaré voit partout des accapareurs. Le sang coule à Paris ; des émeutes éclatent à Saint-Denis, à Saint-Germain, à Poissy. Dans les campagnes, on brûle les châteaux, on dévaste les greniers. Ce ne sont, de tous côtés, « que convois arrêtés, blés pillés, meuniers et marchands de grains pendus, décapités, massacrés, fermiers sommés sous menace de mort de livrer jusqu’à leur réserve de semence, propriétaires rançonnés, maisons saccagées 20 ».
Les adversaires de la Révolution mettaient naturellement à sa charge la misère publique et les crimes dont la France entière était le théâtre ; par contre, ses amis devaient chercher à en rejeter la responsabilité sur les aristocrates et sur la royauté elle-même. Tel est précisément l’objet du factum inséré au Moniteur sous ce titre : Détail sur le monopole des blés entrepris par les ministres mêmes, dès 1767, sous le nom d’un nommé Malisset, meunier à Corbeil 21 ; puis, dans le numéro suivant, avec cet autre titre : Suite de l’historique de l’accaparement des grains, de leur emmagasinement aux îles de Jersey et de Guernesey, d’après l’idée d’un chevalier Forbin, continuée par l’abbé Terray 22. Après avoir dénoncé, en commençant, les trames ourdies par les partisans des anciens abus, ligués pour relever l’idole du despotisme, l’auteur du factum les signale, à la fin, comme les vrais moteurs des troubles et des désordres ; il les accuse d’avoir, par leurs habiles et cruelles manœuvres, occasionné une disette réelle au sein de l’abondance, essayant d’abord de faire sortir des grains hors du royaume, s’efforçant ensuite de répandre de vaines terreurs, d’égarer dans son cours une circulation qu’ils ne pouvaient empêcher, d’altérer les denrées, d’acheter à grand prix l’inaction des hommes chargés de les préparer, de faire apparaître le fantôme épouvantable de la famine aux yeux des malheureux Parisiens que l’activité du comité des subsistances avait arrachés à sa fureur !
L’anonyme du Moniteur ne se dissimule pas que ces accusations sont trop vagues pour passionner l’opinion ; il lui faudrait les appuyer sur des faits, et les faits lui manquent ; qu’à cela ne tienne, il en trouvera : c’est alors que le Pacte de famine apparaît pour la première fois : dès le premier jour la légende est complète ; rien n’y manque, ni les dix millions de Louis XV ; ni le boulanger Malisset, « nommé par le roi généralissime agent de l’entreprise ; » ni la longue série des complices, « les ministres, les financiers, les riches propriétaires, les gens de robe, les gens de cour, tous les parlements, sauf deux ; » ni les récoltes que l’on fait voyager de France à Terre-Neuve et de Terre-Neuve en France !
Lorsque, dans leur ouvrage, qui est avant tout un recueil de documents, MM. Buchez et Roux ont eu à reproduire l’article du Moniteur, ils ont eu soin de dégager leur responsabilité. Ils déclarent « n’avoir rien voulu changer au texte, de crainte qu’on ne les accusât d’avoir arrangé » ce récit. C’était dire assez clairement : Nous ne sommes pas dupes ! Prenez garde ! Ne vous y fiez pas ! – Précaution inutile ! Dès qu’il s’agit de la France d’avant 89, nos historiens vont à l’erreur comme l’alouette vole au miroir.
V.
Si le récit du Moniteur est un tissu d’invraisemblances, son auteur invoque, du moins, une autorité, celle de « M. Le Prévôt de Beaumont, ancien secrétaire du clergé de France ». C’est Le Prévôt de Beaumont, en effet, qui a révélé ce fameux Pacte de famine, dont personne avant lui n’avait entendu parler, bien qu’il eût existé pendant soixante ans, depuis juillet 1729 jusqu’à juillet 1789, et que les membres du complot, répandus dans la France entière, se comptassent par milliers !
Le Moniteur et, après lui, Pierre Manuel, au tome Ier de sa Police de Paris dévoilée 23, les Deux amis de la liberté, au tome III de l’Histoire de la Révolution de France 24, n’ont fait que copier, sans y rien changer, sans y rien ajouter, les « dénonciations » de Le Prévôt.
À peine sorti, – non de la Bastille, où il n’était pas le 14 juillet, n’en déplaise à MM. Paul Foucher et Élie Berthet et aux historiens qui les ont suivis, – mais de « la maison de repos » du sieur Picquenot, à Bercy, où il avait été transféré le 19 septembre 1787, et dont les portes lui furent ouvertes, le 5 octobre 1789, en vertu d’un ordre de M. de Saint-Priest, Le Prévôt de Beaumont 25, qui venait de passer vingt et un ans à la Bastille, à Vincennes, à Charenton, à Bicêtre et dans la maison de santé du sieur Picquenot, ne perdit pas un instant, ce qui était assurément son droit, pour entretenir le public de sa longue détention et pour essayer d’en tirer parti. « Dès l’instant, écrit-il, mettant à profit mon loisir, j’ai dressé, pour l’Assemblée nationale et la capitale, mes dénonciations 26. » Il accable l’Assemblée de pétitions ; il publie une brochure intitulée : le Prisonnier d’État ; il fait paraître dans les Révolutions de Paris, du 13 février au 10 juillet 1790 27, un interminable récit, auquel il donne pour titre : HORRIBLE CONSPIRATION LIGUÉE ANCIENNEMENT ENTRE LE MINISTÈRE, LA POLICE ET LE PARLEMENT DE PARIS contre la France entière, découverte en juillet 1768 par Jean-Charles-Guillaume Le Prévôt de Beaumont, ancien secrétaire du clergé de France, détenu dans cinq prisons de Paris depuis vingt-deux ans 28, sans déclaration de cause, pour l’empêcher de révéler et dénoncer le pacte infernal de LAVERDY, qui lui est tombé dans les mains en cette même année 1768.
Dans ces divers écrits, pleins de divagations sans nombre, Le Prévôt raconte qu’il a découvert cinq pactes de famine, renouvelés de douze ans en douze ans, depuis 1729 jusqu’à 1789, et exécutés par Louis XV et Louis XVI contre tous les Français. – Chacun de ces pactes livrait la France à quatre millionnaires chargés d’établir méthodiquement des disettes. – Le quatrième des cinq pactes, celui de 1765, avait pour généralissime agent le boulanger Malisset, lequel « commandait, payait, faisait mouvoir en tout temps une armée d’ouvriers incendiaire. ». – Les complices appartenaient à toutes les classes de la société, « commissionnaires, acheteurs, entreposeurs, gardes-magasins, inspecteurs ambulants, blatiers, batteurs, vanneurs, cribleurs en grange, voituriers pour les entrepôts désignés dans les provinces, épousseteurs, meuniers, contrôleurs, vérificateurs, receveurs, buralistes, commis emmagasineurs, gardes des greniers domaniaux, des forteresses, dans lesquels s’amoncelaient tous les ans les grains et les farines dites du roy. » – À la tête de toute cette bande, le roi, Louis XV d’abord, Louis XVI ensuite, et, derrière le roi et avec lui, « les contrôleurs généraux des finances, les ministres et leurs premiers commis, les lieutenants de police, les intendants de finance, les intendants de province, les intendants du commerce, les gouverneurs des provinces, les gouverneurs des geôles d’État, auxquels était associée une partie de la grand’chambre du Parlement de Paris. » – Les parlements de Rouen et de Grenoble étaient les seuls dont les membres ne fussent pas complices du pacte. – Quatre intendants de finances prenaient en département chacun neuf provinces pour les ravager, et tenaient correspondance continuelle avec les intendants provinciaux, qui donnaient, au mois d’avril, l’aperçu des récoltes dans leurs généralités. – Des entrepôts avaient été établis dans les îles de Jersey et de Guernesey, et plus tard à Terre-Neuve. Le blé de France y demeurait entassé dans des magasins d’où sa sortie était réglée par un tarif gradué sur les besoins pressants du peuple et l’avidité des monopoleurs. Cette idée était due à un chevalier Forbin, qui la proposa à table, chez Mme d’Estaing, « après avoir mangé une truite qui était arrivée de Genève avec la sauce encore chaude ». – Tous les ans, au mois de novembre, « les chefs de la ligue dressaient des états de répartition et d’émargement pour distribuer, aux conjurés ligués ainsi qu’aux associés et croupiers, la part du bénéfice que l’entreprise avait pu faire dans l’année.... La part de chacun était réglée sur le plus ou moins de faveur et de travail qu’ils donnaient tous au succès de la conjuration. »
En dehors de ces « Dénonciations » de Le Prévôt, il n’y a rien, absolument rien nulle part sur le Pacte de famine. Il faut donc les rejeter absolument ou les accepter tout entières. C’est ce dernier parti qu’ont pris, nous l’avons vu, les nombreux historiens que j’ai cités en commençant, en quoi ils se sont montrés de beaucoup meilleure composition que les contemporains de Le Prévôt de Beaumont. L’article du Moniteur, qui aurait dû, ce semble, passionner l’opinion, fut si peu remarqué, que, en 1791, les Deux amis de la liberté l’ayant reproduit dans le troisième chapitre de leur tome III, le Moniteur lui-même, dans son numéro du 13 mars 1791, signala ce chapitre comme une révélation et termina ainsi son compte rendu : « N’y eût-il, dans ce troisième volume, que cette histoire détaillée et circonstanciée du monopole des grains, histoire qui ne se trouve nulle part ailleurs, c’en serait assez pour engager, etc. »
Les articles des Révolutions de Paris sur l’horrible conspiration liguée anciennement entre le ministère, la police et le parlement de Paris n’eurent pas plus de succès. Après avoir réduit à une page ou deux par semaine la publication de ce roman indigeste, Prudhomme l’interrompit brusquement, pour ne plus la reprendre. Vingt ans après, Le Prévôt de Beaumont n’en était pas encore consolé. Il écrivait à Fantin-Désodoards, le 20 septembre 1813 : « Pendant la Révolution, les dames de Paris se plaignaient de ne voir, dans les Révolutions de Paris, toutes les semaines, que des lambeaux d’une page ou deux, dont elles demandaient la suite 29. »
Mais ce qui prouve surtout le peu de crédit que rencontraient les prétendues révélations de Le Prévôt, c’est l’accueil que leur firent les Assemblées révolutionnaires, si intéressées cependant à mettre en lumière les crimes de l’ancien régime, à glorifier le martyr qui avait essayé de briser la ligue des affameurs du peuple. Il s’adresse par deux fois à l’Assemblée constituante, et par deux fois elle passe à l’ordre du jour. Le 24 août et le 19 septembre 1792, nouvelles pétitions et dénonciations à l’Assemblée législative : elle passe à l’ordre du jour, comme la Constituante. La Convention, à laquelle il écrit le 4 novembre 1792, refuse également de l’écouter. Constituants, membres de la Législative, conventionnels, tous savent qu’ils ont affaire à un fou, et, malgré l’ardeur des passions du moment, malgré tous les motifs qui les portent à épouser sa querelle, pas un seul ne songe à lui accorder la moindre créance, à lui prêter la moindre attention.
Qu’il fût fou, en effet, et un fou de la plus dangereuse espèce, comment le mettre en doute, lorsqu’on a lu, comme je viens de le faire, ses écrits de toute nature ; lorsqu’on le voit composer, pendant sa captivité, l’Araignée de cour, ou le résultat des résultats ; l’Université loyale – civile – politique – économique et morale ; l’Art de régner, ou la science, d’après l’Écriture sainte, du vrai gouvernement de la monarchie française dans ses soixante-six branches ?
Tous ceux qui sont appelés à le visiter dans sa prison constatent son dérangement d’esprit. Le 1er novembre 1770, M. de Saint-Florentin, duc de la Vrillière, écrit à M. de Rougemont : « Je ne puis qu’approuver le parti que vous avez pris à l’égard de M. Le Prévôt ; il paraît que sa tête est entièrement dérangée 30. » Deux ans plus tard, au mois de novembre 1772, M. de Sartine écrit de son côté : « C’est une espèce de fou bien méchant. » En 1775, c’est Malesherbes lui-même qui écrit : « La tête de ce prisonnier n’est pas bien saine.... On craint qu’il n’écrive sur le gouvernement et qu’il ne jette par les fenêtres des écrits qui seraient ramassés. Cette prétendue crainte n’est pas suffisante pour priver un homme assez malheureux pour être enfermé depuis plusieurs années, de la faible consolation d’écrire toutes les folies qui lui passent par la tête 31. » Le 3 octobre 1784, le lieutenant de police, M. Le Noir, écrit au baron de Breteuil, ministre de la maison du roi : « Depuis qu’il est à Charenton, il ne fait qu’y troubler la paix et l’ordre qu’on cherche à y établir. Le prieur, qui craint, relativement à ses autres prisonniers, les effets des discours séditieux qu’il ne cesse de tenir, demande qu’il soit retiré de sa maison. Il m’a remis plusieurs écrits de la main dudit sieur Le Prévôt qui prouvent sa méchanceté et son égarement. » Dans un mémoire dressé le 4 février 1787, par Cauchy, secrétaire de M. de Crosne 32, pour le baron de Breteuil, on lit ce qui suit : « Au mois d’octobre 1769, le sieur Le Prévôt a été transféré à Vincennes. Il y est resté jusqu’à l’évacuation du donjon, en 1784, 15 mai, ne cessant d’écrire avec acharnement contre les ministres et les lieutenants de police, maltraitant ses porte-clefs, et donnant même, de temps en temps, des marques d’aliénation d’esprit.... Il m’a écrit plusieurs lettres qui annoncent plutôt une tête affaiblie qu’un esprit dangereux. Je ne crois pas cependant qu’il convînt de le remettre dans la société avant d’avoir éprouvé pendant quelque temps ses dispositions.... On pourrait le transférer dans une maison de repos. Les adoucissements qu’on lui procurerait ramèneraient, par degrés, le calme dans son esprit et prépareraient le retour absolu de sa raison 33. » C’est à la suite de ce rapport que Le Prévôt fut transféré dans la maison de santé du sieur Picquenot.
Voilà l’homme, malade et méchant, dont l’imagination en délire enfantait les rêves monstrueux que les historiens de nos jours, sans hésitation, sans examen, ont acceptés comme vrais, alors que la Convention elle-même avait refusé de les prendre au sérieux !
Malade et méchant, ai-je dit. Le 23 novembre 1793, le contrôleur général L’Averdy comparut devant le tribunal révolutionnaire. Le Prévôt se présenta comme témoin, de lui-même et sans avoir été assigné. Il réédita devant les jurés de Fouquier-Tinville son roman du Pacte de famine, accusant le prévenu d’en avoir été le chef. Ce grief est l’objet d’une question posée à L’Averdy. Il dut se disculper d’une façon bien complète, car les juges trouvèrent bon de ne pas transcrire sa réponse dans le procès-verbal de son jugement. Il n’en fut pas moins condamné à mort 34 et ses biens furent confisqués. Le Prévôt, qui se flattait de recueillir une part de sa dépouille, furieux de ne rien recevoir, attaqua la nation, héritière du condamné ; il assigna en même temps Malesherbes, « à l’effet de se voir condamner, solidairement avec le département, à 220 000 livres de dommages-intérêts, pour avoir été cause de sa détention. » Toutes les « dénonciations » de Le Prévôt se terminaient, en effet, par une note à payer ; comme le patriote Palloy exploitait les ruines de la Bastille, Le Prévôt de Beaumont essayait d’exploiter le Pacte de famine, et il y avait tous les droits du monde, puisqu’il l’avait inventé. Dans son Prisonnier d’État, il demande que L’Averdy soit accroché à la lanterne, comme Foullon et Bertier, que ses biens et ceux de ses complices soient confisqués et que, sur ces biens, une somme de 600 000 livres lui soit attribuée, à lui Le Prévôt, sans préjudice de l’une des places lucratives à la disposition de l’Assemblée nationale. En 1791, comme son martyre commence à s’user, il ne réclame plus que 460 000 livres. Un peu plus tard il sollicite de la nation une maison de Paris, qui lui serait adjugée sans argent et qui serait d’un revenu de 10 à 12 000 livres. Plus tard encore, à défaut de la maison, il demande une pension viagère de 6 000 livres. En 1792, il ne réclame plus qu’une indemnité de 100 000 livres. Il est vrai qu’il demande, en même temps, qu’on lui réserve la faculté de poursuivre devant les tribunaux L’Averdy, Malesherbes, Sartine, Boutin, Albert, Amelot, Le Noir, Breteuil, Villedeuil, Crosne et autres émigrés qui ont laissé de gros biens en France.
Son assignation contre Malesherbes était adressée à ce dernier, à son domicile, rue des Martyrs. Malesherbes était alors enfermé à la maison du Parc-Libre, rue de la Bourbe ; il répondit par écrit qu’il était étranger à l’arrestation du plaignant, intervenue à une époque où il n’était pas encore ministre ; que pendant son passage au ministère, il avait obtenu seulement le changement de lieu de détention du sieur Le Prévôt, n’ayant pu lui rendre une liberté « que, dans tous les pays du monde et dans les États démocratiques même, on ne donne pas aux gens qui, par le dérangement de leur tête, troubleraient la société 35 ». Le 22 avril 1794, Malesherbes fut guillotiné, comme l’avait été L’Averdy, comme allait l’être, six jours après, M. de Crosne 36. À coup sûr, M. Maxime du Camp ignorait ces choses lorsqu’il décernait à Le Prévôt de Beaumont un brevet d’homme de bien.
VI.
Nous marchons lentement, il me semble pourtant que nous avançons. Au point de la discussion où nous sommes arrivés, il est établi, si je ne m’abuse, qu’aucun des historiens qui affirment l’existence du Pacte de famine n’a étudié la question, même superficiellement ; – que l’histoire de ce prétendu Pacte ne se trouve nulle part ailleurs que dans les « Dénonciations » de Le Prévôt de Beaumont ; – que ce témoin unique ne mérite aucune confiance et que ses contemporains ne lui en ont accordé aucune, même les plus intéressés à le croire.
Tout cela, je le sais, ne trouble pas nos historiens. Aussi bien, ils sont sûrs de leur fait, puisqu’ils ont trouvé, dans Buchez et Roux, le texte de l’un des Pactes de famine qui se sont succédé, de douze ans en douze ans, depuis 1729 jusqu’en 1789. Ils n’ont pas vu celui de 1729, ni celui de 1741, ni celui de 1753, ni celui de 1777, ni celui de 1789 ; mais celui de 1765, ils l’ont vu, de leurs yeux vu, MM. Buchez et Roux ayant reproduit, d’après Le Prévôt de Beaumont, « ce pacte abominable que l’on peut bien appeler le Pacte de famine. » Ils l’ont vu, je le veux bien, mais pourquoi n’en donnent-ils pas une analyse, si sommaire soit-elle ? Serait-ce parce que « ce pacte infernal » n’est pas autre chose qu’un acte de société, passé entre le sieur Malisset, chargé de l’entretien et de la manutention des blés destinés à l’approvisionnement de la capitale, et ses cautions, les sieurs Le Ray de Chaumont, Pierre Rousseau et Bernard Perruchot ? Régler leurs droits respectifs et les conditions de l’entreprise, fixer le traitement de Malisset, s’assurer que ce dernier ne pourra pas compromettre les intérêts de ses cautions, tel est l’objet de ce contrat. Il fut passé le 31 mars 1767, – et non le 12 juillet 1765, comme le dit Le Prévôt de Beaumont et à sa suite M. Maxime du Camp, – dans l’étude de Dupré jeune, notaire, rue Saint-Thomas du Louvre. On se représente mal des gens qui organisent une société secrète, un complot exécrable ayant pour but d’affamer toute une nation, de créer méthodiquement des disettes, et qui, pour mieux authentiquer leur crime, en font dresser acte par-devant notaires ! Mais cette singularité ne frappe point M. Théophile Lavallée ni ses successeurs. Leur siège est fait, et rien ne peut leur ouvrir les yeux, pas même l’article qui fixe le capital social. Cette société, organisée pour accaparer tous les blés de France, pour faire la hausse et la baisse sur tous les marchés, pour expédier à Jersey, à Guernesey, à Terre-Neuve, des récoltes entières, et les faire revenir en France au bon moment, elle est formée au capital de CENT QUATRE-VINGT MILLE LIVRES 37, – à peu près ce qu’il eût fallu pour exercer à la Halle, sur une petite échelle, un commerce de blatier.
C’est cet acte que Le Prévôt de Beaumont appelle le bail de la France et sur lequel il a échafaudé toutes ses dénonciations. Étant un jour en visite chez Rinville, commis de Rousseau, l’un des commanditaires de Malisset, il voit par hasard sur une table un contrat, dont son hôte lui laisse sans difficulté prendre lecture. C’était l’acte du 31 mars 1767, et rien ne prouve mieux que cette anecdote, racontée par Le Prévôt lui-même, le peu d’importance que Malisset, Rousseau et leurs employés attachaient à cette affaire, le peu de mystère dont ils l’entouraient. Cependant à peine Le Prévôt y a-t-il jeté les yeux que son esprit bat la campagne ; il voit là une immense société secrète, une horrible conspiration liguée entre les ministres, la police et le parlement de Paris contre la France entière. Vainement Rinville lui dit : « Mais ce contrat n’a rien de secret ; il s’exécute au contraire publiquement et je puis vous en donner toutes les adresses. Que pensez-vous donc que ce soit ? Libre à vous d’ailleurs d’en prendre copie, si cela peut vous être agréable. » Le Prévôt ne se le fait pas dire deux fois, et, séance tenante, copie la pièce. Le grain est semé ; il germera. La folie de Le Prévôt aidant, et aussi la légèreté des historiens, de l’acte passé dans l’étude du notaire Dupré sortira la légende du Pacte de famine.
VII.
Dans le préambule du contrat entre Malisset et ses commanditaires, mention est faite du « Traité ou Soumission passé, au nom du roi, par monseigneur le contrôleur général, le 28 août 1765, audit Malisset. » C’était là bien évidemment la pièce capitale du débat, et la première chose à faire était de s’y reporter. Aucun de nos historiens n’a pris ce souci, pas même M. Maxime du Camp, qui dit cependant : « Malisset devait avoir des arrangements particuliers avec Louis XV, l’article 10 du contrat parle nettement d’un traité séparé avec le roi. » Ce traité secret, mystérieux, M. Maxime du Camp l’eût pu découvrir, sans grande peine, aux Archives nationales, où il en existe une copie authentique. MM. Léon Biollay et Gustave Bord l’ont inséré dans leurs ouvrages 38. Cette pièce porte la date du 28 août 1765 et comprend treize articles. En raison de son importance, – car, pour tout homme de bonne foi, ce document tranche la question du Pacte de famine et réduit à néant la légende, – je crois indispensable d’en donner ici le texte intégral.
SOUMISSION
Je soussigné, Siméon-Pierre Malisset, et sous la caution et la garantie de MM. Le Ray de Chaumont, Perruchot et Rousseau, m’engage et me soumets à soigner, entretenir et conserver les blés du roi, aux charges et conditions ci-après exprimées :
Art. Ier. Je reconnais que, conformément au contre-mesurage qui a été fait de la totalité desdits approvisionnements, il se trouve présentement dans les magasins du roi établis à Saint-Charles, près Paris, à Corbeil, à la Motte près Provins et au château de Montceaux, près de Meaux, la quantité de 40,000 setiers, mesure de Paris, de blé froment de première qualité, et de 425 setiers de seigle.
Art. II. Je m’engage à conserver et à représenter dans tous les temps la même quantité de 40,000 setiers de blé froment de première qualité de l’année courante et de 425 setiers de seigle. Il me sera permis néanmoins de vendre un tiers dudit approvisionnement tant que le prix du blé sera au-dessous de 21 livres le setier, soit à Paris ou dans les marchés environnant cette ville, aux conditions que toutes les quantités vendues seront exactement remplacées dans l’espace de quatre mois ; et lorsque les prix seront à 21 livres, la totalité dudit approvisionnement sera entière, soit dans les magasins ci-dessus désignés, soit dans les entrepôts que j’établirai à 20 ou 25 lieues de Paris ; enfin, lorsque les prix seront parvenus à 25 livres le setier, je m’engage à compléter, dans l’espace de quinze jours, dans les magasins ci-dessus désignés, la quantité de 40,000 setiers de blé froment de l’année courante et de 425 setiers de seigle. Je fournirai en conséquence, à la fin de chaque mois, un état de situation, tant des magasins que des entrepôts, que je signerai et certifierai véritable.
Art. III. Il me sera permis de convertir en farine un quart dudit approvisionnement, et les farines seront échangées, dans l’espace de quatre mois, contre des blés en nature, de sorte que le fonds de l’approvisionnement soit toujours de 40,000 setiers de blé froment et de 425 setiers de seigle.
Art. IV. L’équivalent d’un setier de blé sera d’un sac de farine de bonne qualité pesant 170 livres, poids de marc, et telle qu’un setier de la première qualité doit la produire.
Art. V. Il ne me sera passé aucun déchet sous quelque prétexte que ce puisse être, sauf les cas d’incendie, d’émeutes ou autre évènement par force majeure, dont je ne serai pas responsable, et les 40,000 setiers de blé froment et 425 setiers de seigle seront entiers dans les magasins du roi et renouvelés de façon qu’ils soient toujours de la même qualité que ceux qui existent actuellement, c’est-à-dire de première qualité de l’année courante.
Art. VI. Je n’exigerai et il ne me sera passé aucuns frais de quelque nature qu’ils puissent être, ni dépenses, frais de voyages, droits et commissions autres que ceux expliqués ci-après, gratifications ou autres rétributions ; et tous les frais généralement quelconques seront et demeureront à ma charge, à compter dudit jour 1er septembre prochain.
Art. VII. Les loyers des moulins, ceux des magasins, les salaires des ouvriers, les appointements des employés, les ustensiles, les sacs, les achats des bateaux et toutes les autres dépenses de quelque espèce qu’elles soient seront à ma charge et à mes frais ; à l’égard des sacs, effets et autres ustensiles qui se trouvent aujourd’hui dans les magasins du roi, il en sera fait inventaire, et je m’engage à les rendre après l’expiration du présent traité dans le même état où ils seront trouvés lors de l’inventaire qui en sera fait.
Art. VIII. Pour m’indemniser de toutes les dépenses ci-dessus exprimées, les déchets, les frais de renouvellement des magasins, etc., il me sera accordé annuellement et à commencer dudit jour 1er septembre prochain, et pendant la durée du présent traité, une somme de 30,000 livres qui sera payée par quart tous les trois mois sur les ordonnances qui seront expédiées à cet effet.
Art. IX. Lorsque les blés vaudront, soit à Paris ou dans les marchés qui environnent cette ville, 25 livres le setier, il n’en sera plus vendu aucun des magasins du roi pour le compte du soumissionnaire. La vente qui pourra en être faite alors sera pour le compte du roi, le produit en sera versé à la caisse des grains, et les remplacements en seront faits par le roi ; il me sera seulement alloué 2 pour 100 de droits de commission, pour tous frais, sur le produit des ventes, et pareille commission sur les remplacements.
Art. X. Dans le cas où le gouvernement disposera de quelques parties des blés pour secourir des paroisses ou des provinces qui éprouveront des besoins, il me sera accordé seulement et pour tous frais 2 pour 100 de la valeur lors courante des blés donnés et dont je ferai les expéditions, et pareille commission de 2 pour 100 sur les remplacements.
Art. XI. Toutes les opérations relatives à l’entretien et à l’approvisionnement des magasins du roi seront faites au nom de Sa Majesté, et il leur sera accordé toute protection à cet égard.
Art. XII. Je jouirai de tous les privilégies et immunités accordés aux établissements appartenant au roi, c’est-à-dire l’exemption du logement de gens de guerre, de la taille pour raison de ladite entreprise, des charges de ville et autres impositions de cette espèce ; les employés et les journaliers occupés à la manutention des blés du roi seront exempts de la milice et de la taille pour raison de ladite manutention 39.
Art. XIII. La présente soumission aura lieu pendant douze années, à commencer du 1er septembre prochain, et ne sera révocable que pour cause de malversation. Elle sera néanmoins résolue de droit, par rapport à moi, en cas de mort de ma part, sans que mes héritiers ou représentants puissent exercer aucun droit ni prétendre pour raison d’icelle, et MM. Le Ray de Chaumont, Perruchot et Rousseau, qui se sont rendus mes cautions, par l’acte ou déclaration ci-après, jouiront de tout l’effet de ladite soumission en se soumettant de nouveau à toutes les charges, clauses et conditions qu’elle impose. Tous mes biens au surplus, tant présents qu’à venir, demeureront garants et responsables du présent traité.
Fait double à Paris, le 28 août 1765.
Signé : MALISSET.
En marge de la première page est écrit :
Décision de M. le contrôleur général 40 : Bon, en mettant la somme annuelle à 24 000 livres.
17 septembre 1765 41.
VIII.
L’objet de cette Soumission est parfaitement clair : elle a en vue simplement, uniquement, l’approvisionnement de Paris 42 ; les opérations de Malisset sont bornées aux bassins de la Seine et de la Marne. Elle ne renferme aucun arrangement particulier entre le roi Louis XV et le boulanger Malisset. Bien loin que ce traité ait été passé dans l’ombre et que l’on ait cherché à en faire mystère, une copie en était annexée à l’acte de société du 31 mars 1767, déposé dans l’étude de Me Dupré jeune. Le préambule de cet acte, rédigé par Me Dupré, le constate en ces termes : « Après avoir examiné le traité ou Soumission, dont copie est ci-après, passé au nom du roi par Monseigneur le contrôleur général, le 28 août 1763, audit Malisset, pour la garde, l’entretien, la manutention et le renouvellement des magasins des blés du roi pendant douze années 43.... »
S’inspirant de cette maxime de Montesquieu, dans son Esprit des lois : « L’État doit à tous les citoyens une subsistance assurée 44 », le gouvernement royal considérait comme l’un de ses premiers devoirs de former un approvisionnement de réserve, destiné principalement à mettre les habitants de la capitale à l’abri d’une trop grande élévation du prix du pain. Cet approvisionnement était disséminé dans un grand nombre de dépôts, à Provins, à la Ferté-Milon, à Nogent, à Melun, à Bray, à Charenton, à la Motte-Tilly, à Montceaux, à Beaulieu, à la Ferté-sous-Jouarre et dans les magasins de Saint-Charles, situés à Paris, « faubourg de la Gloire 45 ». Les frais à la charge du Trésor, considérables pendant les années de disette, ne laissaient pas d’être assez lourds, même dans les bonnes années. La succession de plusieurs années d’abondance obligeait, en effet, le gouvernement à remplacer plusieurs fois les blés emmagasinés par des blés des nouvelles récoltes ; il se trouvait ainsi amené à faire des opérations commerciales dont la surveillance était d’autant plus difficile que les magasins étaient plus nombreux et plus éloignés les uns des autres. Le contrôleur général ne pouvait pas diriger ces opérations, et il ne voulait pas que le Trésor en subît les risques. M. de L’Averdy, ancien conseiller au Parlement, à qui le contrôle général avait été confié au mois de décembre 1763, se préoccupait, à juste titre, de cette situation, lorsqu’il reçut de Malisset et de ses associés, MM. Le Ray de Chaumont, Rousseau et Perruchot, la proposition suivante : « Confiez-nous les blés que vous tenez en réserve. Nous ne les garderons pas d’une manière coûteuse, au risque de les laisser gâter. Mais nous les vendrons au prix courant et nous les remplacerons sans cesse, en sorte qu’en quelque temps que vous le désiriez, nous vous représenterons toujours la même quantité en magasin et nous serons toujours prêts à vous les remettre. Nous ne vous demanderons rien pour l’achat et peu de chose pour l’entretien 46. »
Le contrôleur général accepta ce marché, qui n’avait rien que d’honorable et qui était avantageux pour le Trésor, nous l’allons voir tout à l’heure.
Et c’est là tout le Pacte de famine ! Il n’y a pas autre chose :
Le voilà découvert ce secret plein d’horreur !
Fait pour douze ans, le traité du 28 août 1765 a été résilié par le contrôleur général le 31 octobre 1768 47. Si la « fameuse société Malisset 48 », – et, en dehors d’elle, il n’en existe aucune autre dont puissent tirer argument ceux qui croient au Pacte de famine, – si cette société n’a duré que trois ans et deux mois, que deviennent les soixante-dix ans de pacte de M. Vacquerie, les soixante ans de Le Prévôt et de ses copistes ? Que devient le prétendu renouvellement de 1777 et la substitution à Malisset de Foullon et Bertier, « ces accapareurs de la pire espèce 49 » ? Que valent les dires de M. Henri Martin, affirmant que « la société Malisset eut ses coudées franches après la destruction des parlements », qui eut lieu en 1771 ? La « fameuse société » eut ses coudées franches en 1771 ; mais il est à croire qu’elle n’en abusa guère, puisqu’elle était morte depuis plus de deux ans.
Pendant les trois années qu’elle a vécu, la société Malisset a-t-elle, du moins, « donné une fortune scandaleuse à Malisset et à MM. de Chaumont, Rousseau et Perruchot ? » Leur a-t-elle procuré, ainsi que le prétend Le Prévôt de Beaumont, « des dizaines de millions par centaines » ?
J’ai dit tout à l’heure que le traité de 1765 avait été résilié le 31 octobre 1768 ; c’est à la demande de Malisset et de ses commanditaires que cette résiliation a eu lieu ; l’agent du Trésor public, chargé en 1791 d’apurer les comptes de Malisset et ses cautions, le constate en ces termes : « Malisset et ses cautions acceptèrent cette résiliation avec des expressions de reconnaissance qu’ils témoignèrent à M. Trudaine, qui la leur procurait 50. » Mais alors c’est donc que l’affaire n’était pas si bonne que cela 51 !
Des quatre associés, Le Ray de Chaumont est le seul qui ait laissé de la fortune ; grand maître honoraire des forêts, il était déjà fort riche avant 1765, faisait en grand le commerce des farines de minot avec les colonies et avait des moulins à Blois. Rousseau, ancien receveur général des domaines et bois du comté de Blois, et Perruchot, ancien régisseur général des hôpitaux des armées, moururent tous deux insolvables 52, le premier en 1785, le second en 1786. Quant à Malisset, qui vivait encore en 1791, il était si complètement ruiné, que l’agent du Trésor public, M. de Turpin, renonçait à lui réclamer une somme de 115 000 livres dont il restait débiteur 53. En 1768, après la résiliation de son traité, il avait sollicité une pension, faisant valoir les services qu’il avait rendus « au public et aux hôpitaux ». Il avait demandé le cordon de Saint-Michel ou du moins des lettres de noblesse. Il n’avait rien obtenu. « On ne congédie pas de la sorte, dit avec raison M. Léon Biollay, un complice, un dépositaire de secrets compromettants 54. »
L’argument tiré de la longue détention de Le Prévôt tombe également devant la date de la résiliation du traité Malisset. C’est le 17 novembre 1768 que Le Prévôt a été arrêté, au moment par conséquent où la « fameuse société Malisset » avait cessé d’exister, où le pacte Laverdien, comme l’appelle Le Prévôt, avait été résilié par le contrôleur général. Si on arrête Le Prévôt de Beaumont, si on le retient captif durant tant d’années, ce n’est donc pas pour mettre à l’abri de ses attaques les opérations d’une société qui ne fonctionne plus ; c’est « pour prévenir la publication de libelles calomnieux et atroces » ; c’est parce qu’il ne cesse, du fond de sa prison, de multiplier les dénonciations les plus folles et les plus dangereuses, parce qu’il refuse la délivrance qu’on lui offre, sous la seule condition qu’il se tiendra enfin tranquille. Si des ministres comme Turgot et Malesherbes ne croient pas pouvoir souscrire à sa mise en liberté, ce n’est point qu’ils veuillent assurer l’impunité à une compagnie de monopoleurs et d’affameurs du peuple, c’est parce qu’ils estiment nécessaire, dans l’intérêt même de la nation, de mettre hors d’état de nuire un homme qui, « par le dérangement de sa tête, troublerait la société 55 ».
IX.
Insistera-t-on ? Cherchera-t-on à tirer parti de ces mots qui reviennent à plusieurs reprises dans le traité du 28 août 1765 : les blés du roi, les magasins du roi, la manutention des blés du roi ? Essaiera-t-on d’en conclure que le roi se livrait à des spéculations sur les grains ? Ce serait faire preuve d’une singulière ignorance. Cette expression de bleds du roi, celles de greniers du roi, magasins des bleds du roi, sont bien antérieures à Louis XV. Au XVIIe siècle, Louis XIV et ses ministres ne cessèrent de déployer la plus grande activité, soit pour atténuer les effets de la disette, soit pour la prévenir, lorsque cela était possible. Poursuites contre les accapareurs, mise en vigueur de l’édit du 29 octobre 1573, ordonnant « des achapts hors du royaume ou es provinces lointaines » ; secours directs aux pauvres, rien n’est épargné. Le gouvernement complète ces mesures par la création d’un bureau spécial que l’on appela l’Administration des bleds du roi, administration toute paternelle, qui ne fut pas établie pour procurer de nouveaux revenus à l’État, mais bien au contraire pour soulager, aux frais de l’État, les peuples des villes et des campagnes, et en particulier la population de Paris 56.
En 1662, « le roy, dont la bonté et la sage prévoyance veillent continuellement aux besoins de son peuple, avait fait acheter une quantité considérable de blés, à Dantzick et ailleurs, dans l’extrémité de l’Europe. Sa Majesté y envoya jusqu’à deux millions de livres. La flotte qui était chargée de ces grains arriva dans nos ports au mois d’avril 1662 ; et Paris, où le besoin était plus pressant qu’ailleurs, s’en trouva aussitôt secouru 57 ».
Avec ces blés « acheptez des deniers de Sa Majesté », on fit faire du pain qui fut distribué aux pauvres à deux sols six deniers la livre, au lieu de cinq sols que demandaient les boulangers. Les fours pour cuire ce pain furent bâtis dans les Tuileries, et la distribution s’en faisait tous les jours par plusieurs fenêtres, qui furent percées le long du mur, depuis la porte qui est vis-à-vis du Pont-Royal, en tirant vers celle de la Conférence. « À l’assemblée tenue le 12 avril 1662, en l’hôtel de monseigneur le chancelier, pour la distribution des bleds du roy, il fut arrêté que ladite distribution serait faite sur les seuls certificats des anciens commissaires de chacun quartier qui seront portez au grenier dans les galeries du Louvre 58. »
L’humidité de l’hiver et plusieurs inondations, suivies de fortes gelées, firent craindre une disette en 1684. Heureusement, « des grains achetés à temps sur les côtes de Barbarie et dans d’autres lieux arrivèrent à Paris en temps utile, et furent vendus par les soins du gouvernement, mais à l’insu du public, toujours un peu au-dessous des cours des marchés. Il n’en fallut pas davantage pour calmer la panique qui s’était manifestée. Deux ou trois cents muids de blé, provenant des achats faits par le roi, avaient été déposés dans les greniers du collège Mazarin ; devenus inutiles, ils furent vendus au peuple à bas prix 59 ».
En 1693, comme une nouvelle disette était à redouter, « le roy fit acheter des bleds, bâtir des fours dans son château du Louvre, et le pain qu’on y cuisait fut distribué tous les jours au peuple à un prix au-dessous de la moitié de ce qu’il coûtait et de ce qu’il se vendait ailleurs. Sa Majesté voulant bien supporter seule, charitablement, la perte du surplus. Il s’en distribuait chaque jour cent mille livres pesant. L’on marqua, en même temps, cinq endroits dans Paris, en différents quartiers, pour faciliter cette distribution, qu’un trop grand concours dans un même lieu aurait pu troubler 60.... »
L’institution charitable des greniers du roi avait produit d’excellents résultats. Aussi l’abbé Fleury conseillait-il au duc de Bourgogne de généraliser ce moyen de secours, en établissant dans toutes les villes des magasins où l’on pût serrer les grains dans les années abondantes et les garder pour la disette. Le conseil fut suivi : on installa dans un grand nombre de villes des greniers d’abondance qui, suivant les cas, furent créés par l’administration ou par les corps municipaux.
X.
Louis XV, dans cette question des subsistances, ne tint pas une autre conduite que celle de Louis XIV. En 1750, la récolte ayant été mauvaise, le contrôleur général de Machault acheta pour le compte du roi 200,000 quintaux de grains tirés de l’Angleterre, de la Hollande, de la Lorraine. Ces grains, placés dans différents dépôts, aux environs de la capitale, à proximité des marchés, furent vendus au-dessous du prix courant. Le roi fit de plus des avances aux généralités de province qui en avaient besoin. Ces prêts montèrent à 730,000 livres 61. Deux ans auparavant, en 1748, une disette avait affligé la Guyenne et la Provence. D’Argenson écrit, à cette occasion, dans son journal : « On accuse M. de Machault d’avoir, cet hiver, dépensé follement onze millions au roi pour faire cesser la famine de blés en Guyenne. »
Puisqu’il y avait les blés du roi, les magasins du roi, – et nous venons de voir ce qu’ils lui coûtaient, – il y avait aussi, par une conséquence naturelle, la caisse des grains du roi, un trésorier des grains au compte de Sa Majesté. La mention de ce trésorier dans l’Almanach royal de 1774, où l’on trouve, en effet, ces deux lignes : Mirlavaud, trésorier des grains AU compte 62 du roi, rue Saint-Martin, vis-à-vis la fontaine Maubué ; cette mention, dont le cynisme a si fort effarouché la pudeur de M. Henri Martin, n’avait donc aucunement la signification qu’on a essayé de lui donner. On y a voulu voir une preuve sans réplique de la participation de Louis XV aux opérations de la société Malisset ; mais cette société n’a existé, nous l’avons vu, que du 28 août 1765 au 31 octobre 1768, et Mirlavaud a été trésorier des grains de 1746 à 1774 63. La caisse des grains a donc précédé la création de la société Malisset, de même qu’elle a survécu à cette société ; il n’y a dès lors aucune connexité à établir entre elles.
Linguet, qui n’est pourtant pas suspect de faiblesse à l’endroit de Louis XV et de ses ministres, confesse, dans ses Annales politiques, que le bruit fait à l’occasion des deux lignes de l’Almanach de 1774 ne repose sur rien de sérieux. « À quoi cependant, au fond, écrit-il, se réduisait tout ce fracas ? À un fait bien simple, mais absolument dénaturé grâce aux clameurs de la secte discréditée aujourd’hui, alors très florissante. » Il établit que l’État perdait sur la vente des grains, et il évalue cette perte, pendant la régie de l’abbé Terray (1769-1774), à environ cinq millions 64. Que l’État perdît, en effet, rien de plus certain. M. Léon Biollay, qui a étudié de très près, aux Archives nationales, sur les documents mêmes, les opérations sur les grains au XVIIIe siècle, a pu constater que, du mois de juillet 1770 à la fin de 1771, en moins d’un an et demi, la perte du Trésor royal fut de 1,900,000 livres 65. Mais si le Trésor royal faisait ainsi des sacrifices considérables dans l’intérêt du peuple et pour empêcher la cherté du pain 66, Louis XV, pendant ce temps-là, réalisait-il des bénéfices sur sa cassette particulière ? M. Michelet, après avoir écrit, en 1847, dans son Histoire de la Révolution, que « le roi spéculait sur la disette et la mort, était l’assassin de son peuple », a bien voulu reconnaître, en 1867, dans son volume sur Louis XV (et Dieu sait s’il a dû lui en coûter de faire cet aveu !), qu’aucun document ne prouve que le roi « ait eu l’idée, le plan arrêté d’affamer le peuple ». Il est vrai que, pour se consoler, il ajoute un peu plus loin : « Ce roi était marchand, il avait intérêt avec Bouret et autres dans le trafic des blés, et, comme tout marchand, il aimait à vendre cher 67. » Michelet, qui ne dit pas, et pour cause, où il a puisé ce renseignement, a joué de malheur en nous donnant le nom de l’associé de Louis XV. Voltaire nous apprend, en effet, qu’en 1748, « le fermier général Bouret, qui mourut depuis insolvable, après avoir mangé 42 millions, avait fourni du blé à toute une province sans en tirer aucun profit, et s’était contenté d’une médaille que cette province avait voulu faire frapper en son honneur 68. » En cette même année 1748, nous l’avons vu tout à l’heure, Louis XV dépensa personnellement onze millions pour faire cesser la famine de blés en Guyenne. Nous voilà bien loin des dix millions qu’il avait versés, au dire de nos historiens, dans la caisse de la société Malisset, « et qui lui rapportaient d’énormes intérêts ». En 1784, M. Bertin, ministre d’État, qui avait été chargé de l’administration de la cassette particulière de Louis XV, intenta un procès en diffamation à plusieurs de ses commis. Des mémoires produits, il est résulté que le pécule royal se composait des revenus de la principauté de Dombes et des profits d’une place de fermier général. Les recettes annuelles s’élevaient à 350,000 livres 69. Si la cassette du roi eût tiré quelque profit de la régie des blés, les commis de Bertin n’auraient pas manqué de le dire ; ils s’en sont bien gardés, sachant à merveille que cette régie ne donnait que des pertes.
Si tous les tenants du Pacte de famine ont étayé leur thèse de l’insertion, dans l’Almanach royal de 1774, du nom et de la fonction de Mirlavaud, M. Henri Martin est le seul qui ait tiré argument, – après Le Prévôt de Beaumont et l’auteur du Factum du Moniteur de 89, – des Remontrances du Parlement de Normandie en 1768. J’en dirai un mot en finissant.
Les Parlements, à cette date de 1768, étaient en lutte ouverte avec le gouvernement. La question des subsistances, les inquiétudes répandues à ce sujet, leur offraient un terrain trop favorable pour qu’ils négligeassent d’y descendre. Le Parlement de Normandie, en particulier, voyait avec un profond mécontentement les sacrifices faits par le Trésor au profit des Parisiens. Il était un adversaire déclaré de l’exportation des blés, autorisée par les ministres. Autour de lui, d’ailleurs, la population était en proie à une vive surexcitation. Des émeutes, occasionnées par la cherté et par l’enlèvement des grains, avaient éclaté dans la province. C’est dans ces circonstances, avec une liberté de langage que ne connaissent plus depuis longtemps nos cours souveraines, que le Parlement de Rouen adressa au roi, le 5 mai 1768, un Mémoire demandant que l’exportation fût interdite. Aucune suite n’ayant été donnée à sa réclamation, il commença des poursuites contre les individus qui achetaient des blés dans les greniers et qui n’étaient, à ses yeux, que les agents des monopoleurs. Un ordre du roi suspendit ces poursuites. La réponse du Parlement ne se fit pas attendre. Dans un second Mémoire au roi, il se plaignit « d’achats considérables, faits en même temps, pour un même compte, dans plusieurs marchés de l’Europe ». – « Des entreprises de particuliers, ajoutait-il, ne peuvent être aussi énormes ; il n’y a qu’une société dont les membres sont puissants en crédit, qui soit capable d’un tel effort ; ici on a reconnu l’impression du pouvoir, le pas de l’autorité. Le négociant spéculateur ne s’y est pas trompé ; les enarrhements ont été faits à l’ombre de l’autorité, par des gens soutenus et bravant toutes les défenses ; nous en avons la preuve entre nos mains.... Sire, notre devoir est de vous avertir que le royaume est menacé des plus terribles dangers. L’unique remède à son état violent est de punir l’abus, de faire régner les lois, de réprimer la cupidité des monopoleurs ou de laisser à vos cours le soin de les poursuivre. »
Le Parlement disait avoir des preuves en mains et demandait la répression des monopoleurs. Le ministre Bertin lui envoya sur-le-champ des lettres patentes ordonnant « d’informer et de procéder contre ceux qui, de dessein prémédité, auraient causé le renchérissement des grains par quelque manœuvre que ce fût, ainsi que contre ceux qui, méchamment, auraient semé ou accrédité les bruits de ces manœuvres par des propos ou des écrits ». Dans une lettre qui accompagnait l’envoi des lettres patentes, Bertin faisait remarquer au Parlement « que ses réflexions n’étaient que des conjectures, et des conjectures peu conformes au respect du roi ». Il terminait par une mise en demeure au Parlement de fournir ses preuves. Le Parlement de Rouen, qui n’avait point de preuves, fut contraint d’envoyer au roi une lettre d’excuses : « Quand nous avons dit, écrivait-il, que le monopole existait et qu’il était protégé, à Dieu ne plaise, Sire, que nous eussions en vue Votre Majesté ! mais peut-être quelques-uns de ceux à qui vous distribuez votre autorité 70. » Ce peut-être, cette insinuation derrière laquelle le Parlement essayait de couvrir sa retraite, tombait mal. Les achats de blé, par lui dénoncés, avaient été exécutés sous la direction de Trudaine de Montigny, chargé depuis 1767 de l’administration des subsistances – de Trudaine, qui était le désintéressement et l’honneur mêmes 71.
Est-il nécessaire maintenant de réfuter les autres assertions de Le Prévôt, si complaisamment reproduites par les historiens ? N’ont-ils pas fait preuve, en particulier, d’une crédulité véritablement prodigieuse en admettant comme une chose toute simple cette chose impossible : des récoltes entières, tous les blés de France, expédiés à Jersey, à Guernesey, à Terre-Neuve, emmagasinés dans ces îles, rembarques, réimportés en France, afin d’être vendus à bénéfice ? N’admirez-vous pas l’habileté de ces gens qui, pour gagner 25 ou 30 pour 100 sur le prix d’achat de leur marchandise, commencent par la grever de 50 ou 60 pour 100 de frais ? On ne saurait certes évaluer à moins les dépenses nécessaires pour faire conduire les blés des marchés de l’intérieur aux ports d’embarquement, les charger, les débarquer, les mettre en magasin, les rembarquer, les décharger, les ramener sur les lieux de vente ; tous frais considérables, exorbitants, auxquels il faut ajouter un fret d’aller et un fret de retour, et cela à une époque où les frets étaient extrêmement élevés, même pour les petits trajets, où ils étaient énormes pour des voyages comme celui de Terre-Neuve. Autre difficulté, à laquelle les tenants du Pacte de famine ne paraissent pas avoir songé : pour transporter, je ne dis pas une récolte entière, mais une faible partie de la récolte d’une année, soit, par exemple, 2 millions d’hectolitres, pesant de 150 à 160 millions de kilogrammes, sans compter leur enveloppe, il eût fallu mettre en mouvement au moins 160 000 charrettes attelées d’un cheval et 500 navires de 320 tonneaux chacun 72. Ces milliers de charrettes auraient traversé la France, ces centaines de navires auraient quitté nos ports, les uns et les autres chargés de blés, et personne n’en aurait rien su ! Et cela aurait duré pendant soixante ans ! pendant soixante-dix ans ! La discussion doit s’arrêter où la folie commence.
J’ai été long ; je ne le regretterai pas si j’ai pu faire passer ma conviction dans l’esprit du lecteur.
Le Pacte de famine n’a jamais existé. De toutes les légendes inventées pour « justifier les colères révolutionnaires », il n’en est pas une seule dont la fausseté soit plus manifeste.
Avec son loyal et ferme bon sens, M. Mortimer-Ternaux, rencontrant sur sa route, dans son Histoire de la Terreur, Le Prévôt de Beaumont et ses prétendues révélations, écrivait en 1866 :
Le Pacte de famine a-t-il jamais existé ? C’est là un problème historique qu’il ne nous appartient pas de trancher d’une manière définitive ; car pour cela il faudrait nous livrer à l’étude approfondie de tout le système économique et financier de l’administration française pendant les soixante années qui précédèrent la Révolution française. Nous nous contenterons d’exhumer de la poussière des archives quelques documents nouveaux qui font connaître ce qu’était en réalité celui qui dénonça ce pacte, homme digne de fort peu de considération et dont cependant certains romanciers ont voulu faire un héros légendaire 73.
Cette étude approfondie de tout le système économique et financier de l’administration française au dix-huitième siècle, que M. Mortimer-Ternaux regrettait de ne pouvoir entreprendre, deux honorables écrivains s’y sont livrés avec un soin patient, avec une conscience que l’on ne saurait trop louer. L’ouvrage de M. Gustave Bord et celui de M. Léon Biollay, tous les deux puisés aux sources, tranchent la question d’une manière définitive. Jamais preuves ne furent mieux établies, jamais démonstration ne fut plus complète. Nous leur devons cette satisfaction de pouvoir nous dire, avec une sécurité absolue : le Pacte de famine est un mensonge.
Edmond BIRÉ,
Légendes révolutionnaires, 1893.
1 Le Pacte de famine, par Gustave Bord, un volume grand in-8°, orné de quatre photogravures. – A. Sauton, éditeur, 41, rue du Bac. – Le Pacte de famine, par Léon Biollay, un volume in-8°, Guillaumin et Cie éditeurs, rue de Richelieu.
2 Th. Lavallée, Histoire des Français, t. III, p. 479.
3 Le Pacte de famine, acte II, scène 1re.
4 Le Pacte de famine, acte V, scène 8.
5 Le Pacte de famine, loc. cit. – M. Élie Berthet, l’un des auteurs de ce « drame historique, » trouvant le sujet de son goût, a tiré deux moutures de ce sac de farine. Il a écrit, sur Le Prévôt de Beaumont et la Société Malisset, Louis XV et Cie, un roman-feuilleton publié dans le journal le Siècle, à une époque où le Siècle avait 40 000 abonnés.
6 Histoire du règne de Louis XVI, pendant les années où l’on pouvait prévenir ou diriger la Révolution française, t. I, p. 66.
7 Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, par Charles Lacretelle, professeur d’histoire à l’Université impériale, 1810, t. IV, p. 298.
8 T. XVI, p. 306.
9 T. XVI (4e édition), p. 293, 298, 306.
10 Michelet, Histoire de la Révolution française, 1847. T. I, p. 47, 239.
11 Camille Desmoulins, Étude sur les Dantonistes, par Jules Claretie, 1875, p. 43.
12 Histoire de France, depuis les origines gauloises jusqu’à nos jours, par Amédée Gabourd, t. XVII, p. 291.
13 Auguste Trognon, t. V, p. 537.
14 Histoire de l’Europe depuis 1610 jusqu’à 1815, par Félix Ansart et Ambroise Rendu (classe de rhétorique), p. 185.
15 « Louis XV, dit M. Duruy, était un des actionnaires de cette monstrueuse compagnie. Pour regagner ce que lui coûtaient ses plaisirs, il agiotait sur les blés, il spéculait sur la disette » (p. 331).
16 Dictionnaire universel, de Pierre Larousse, t. VIII, p. 82-83.
17 Revue des Deux Mondes, 15 mai 1868. – Paris, par M. Maxime du Camp, t. II, ch. VI.
18 Moniteur du 15 novembre 1791.
19 Voy. l’Avertissement placé en tête de l’Introduction historique publiée en l’an IV par l’éditeur du Moniteur universel.
20 H. Taine, la Révolution, t. I, p. 80.
21 Moniteur portant la date du 14 au 15 septembre 1789.
22 Moniteur portant la date du 15 au 16 septembre.
23 La police de Paris dévoilée, par P. Manuel, procureur de la Commune, t. I, p. 370 et suivantes. – Manuel a été l’un des complices des massacres de septembre.
24 Histoire de la Révolution de France, par Deux amis de la liberté, t. III, ch. III. – Ce chapitre est la reproduction textuelle de l’article du Moniteur.
25 Dans son ouvrage sur le Pacte de famine (1 volume grand in-8, chez A. Sauton, 1887), M. Gustave Bord a publié une biographie de Le Prévôt de Beaumont, écrite d’après des documents inédits.
26 Le Prisonnier d’État ou Tableau historique de la captivité de J.-C.-G. Le Prévôt de Beaumont, durant vingt-deux ans deux mois, écrit par lui-même, Paris, 1789.
27 Révolutions de Paris, publiées par Prudhomme, t. III et IV.
28 Dans sa Dénonciation, pétition et rogation à l’Assemblée nationale du 21 mars 1791, Le Prévôt dit vingt-deux ans et deux mois ; dans une autre Dénonciation et pétition, du 19 septembre 1792, il dit : pendant vingt-trois ans. Il fut emprisonné vingt ans et dix mois, du 17 novembre 1768 au 5 octobre 1789.
29 Gustave Bord, Pièces Justificatives, 2e partie, p. 57.
30 Archives nationales, O1, 412.
31 Ibid., 417.
32 M. de Crosne avait remplacé, comme lieutenant de police, M. Le Noir, en 1786.
33 Gustave Bord, p. 144.
34 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 1re partie, nos 99 et 100.
35 Pour toutes les pièces relatives au procès de Le Prévôt contre Malesherbes, voir Archives nationales, T, 770, et l’ouvrage de M. Gustave Bord, 2e partie, ch. VIII.
36 M. de Crosne fut envoyé à l’échafaud le 9 floréal an II (28 avril 1794).
37 Acte de société passé entre Malisset et ses cautions, articles XI et suivants. (Archives nationales, cote F11, 1194.)
38 Études économiques sur le XVIIIe siècle : le Pacte de famine, par Léon Biollay, p. 147. – Librairie Guillaumin et Cie, Paris, 1885. – Le Pacte de famine, par Gustave Bord, p. 185. – A. Santon, éditeur, rue du Bac, 41, Paris, 1887.
39 Voilà le fameux article visé dans le contrat du 31 mars 1767 entre Malisset et ses associés, et qui a si fort intrigué M. Maxime du Camp.
40 C’était alors M. de L’Averdy.
41 Archives nationales, F11, 1192.
42 « Le sieur Malisset fut chargé de la manutention des blés du roi pour l’approvisionnement de la capitale, par traité du 28 août 1765, sous la caution des sieurs Le Ray de Chaumont, Perruchot et Rousseau. » (Mémoire de l’agent du Trésor public, 19 mars 1791. Archives nationales, F11 1194.)
43 Archives nationales, F11, 1194.
44 Esprit des lois, liv. XXIII, ch. XXIX.
45 Archives nationales, F11, 1192, et F11 264.
46 Avis aux honnêtes gens qui veulent bien faire, brochure de l’abbé Baudeau, insérée dans les Éphémérides du citoyen, en 1768.
47 Mémoire de l’agent du Trésor public, de mars 1791. (Archives nationales, F11, 1193.)
48 Henri Martin, t. XVI, p. 293.
49 Sur Foullon et Bertier, administrateurs intègres, dont la mort restera l’un des crimes les plus odieux de la Révolution, voyez Gustave Bord, p. 36-52. Bertier était intendant de l’Île-de-France. L’Encyclopédie le proclame « un bienfaiteur de l’humanité. » D’après M. de Montyon, son administration était « un objet d’éloge et d’admiration ».
50 Archives nationales, F11, 1193. – Gustave Bord, p. 225. – Léon Biollay, p. 150. – Trudaine de Montigny, conseiller d’État, intendant des finances, chargé depuis 1767 de l’administration des subsistances, avait contribué plus que personne à faire résilier le traité Malisset. Cela n’a pas empêché Le Prévôt de le représenter comme un des principaux chefs de l’horrible conspiration. Ce prétendu monopoleur était un homme d’un désintéressement admirable. On lit dans le Journal encyclopédique du 15 avril 1789 (t. III, p. 214) : « Trudaine fut désintéressé, et il le fut sans faste. Nommé à toutes les places de son père, il demanda au roi de n’en pas recevoir les appointements. « On me demande si rarement de pareilles grâces, dit le roi, que, pour la singularité, je ne veux pas vous refuser. » Trudaine mourut, dans sa terre de Montigny, le 5 août 1777. Mais Le Prévôt de Beaumont eut la satisfaction de voir guillotiner ses deux fils le 8 thermidor an II (26 juillet 1794).
51 « Le setier, écrit M. Maxime du Camp, toujours sur la foi de Le Prévôt de Beaumont, le setier de blé, payé 10 francs en 1767 par la compagnie Malisset, n’était livré par elle, l’année suivante, qu’au prix de 30 et 35 francs. On voit quels immenses, quels honteux bénéfices, etc. » D’après un état annexé à l’Avis des députés du commerce, donné le 26 octobre 1769, le prix moyen du setier, en 1767, a été, non pas de 10 livres, mais de 20 livres dans cinq généralités, de 20 à 25 livres dans douze autres, de 25 à 30 livres dans onze généralités, et, dans trois autres, il a dépassé 30 livres. – Archives nationales, F12, 718. – Léon Biollay, p. 136.
52 Mémoire de l’agent du Trésor public, mars 1791 : « Depuis 1769 que ce compte (le compte de régie de Malisset) a été rendu, le sieur Malisset est devenu insolvable ; le sieur Rousseau, qui avait particulièrement suivi les opérations, est mort, et sa veuve a renoncé à sa succession, qui est actuellement en direction ; enfin le sieur Perruchot, qui est mort aussi, a laissé la sienne en si mauvais état que ses enfants se trouvent ses créanciers pour la presque totalité de la succession de leur mère, sans espoir de la recouvrer. »
53 Mémoire de l’Agent du Trésor public, mars 1791.
54 Léon Biollay, p. 158.
55 Voy. ci-dessus, p. 30.
56 Delamarre, Traité de la police, t. II, p. 705, édit. de 1710.
57 Ibid., p. 1022.
58 Delamarre, p. 1032-1037.
59 Ibid., t. II, p. 1040.
60 Ibid., p. 1040, 1047, 1049.
61 Analyse historique de la législation des grains depuis 1692, par Dupont de Nemours, p. 24-25.
62 Et non pour le compte de Sa Majesté, comme le dit, après Le Prévôt de Beaumont, M. Maxime du Camp. – Almanach royal, année 1774, p. 553.
63 Archives nationales, E, 3627.
64 Linguet, Annales politiques et littéraires, 1779, t. VI, p. 285 et suiv.
65 Léon Biollay, p. 200.
66 « L’on a cru pendant longtemps qu’il fallait que le pain, à Paris, fût à un taux toujours moindre que dans beaucoup d’autres parties de la République ; et tout le monde sait que l’ancien régime a fait, dans plusieurs circonstances, des sacrifices considérables pour soutenir ce système.... » Lettre de Roland, ministre de l’intérieur, à la Municipalité de Paris, 18 novembre 1792.
67 Michelet, Louis XV, p. 352.
68 Voltaire, édition Beuchot, t. XXXIX, p. 109.
69 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, 2 juin 1784. – Léon Biollay, p. 201. – À la mort de Louis XV, on ne trouva dans sa cassette particulière que « 44,000 livres d’argent et des bijoux de médiocre valeur. » – Journal de Papillon de la Ferté, p. 367.
70 Histoire du Parlement de Normandie, par A. Floquet, t. VI, p. 429-431. – Gustave Bord, p. 32. – Léon Biollay, ch. VII.
71 Sur Trudaine de Montigny, voy. ci-dessus, p. 33. On lit, à la date du 19 janvier 1769, dans les Mémoires secrets, qui venaient d’annoncer la mort de Trudaine père, conseiller d’État, intendant des finances, directeur de l’administration des ponts et chaussées et de celle du commerce : « La perte devient moins irréparable en ce qu’il a eu le temps de former un élève et un digne successeur en la personne de M. Trudaine de Montigny, son fils, qui, très jeune encore, a déjà eu l’honneur d’imiter la modestie de son père, en refusant le contrôle général offert depuis longtemps au premier et tout récemment à celui-ci. » Les Mémoires secrets disaient du même administrateur, le 8 août 1777 : « M. de Trudaine est mort subitement, il y a quelques jours. Il est regretté. » – Léon Biollay, ch. VI et VII.
72 De l’alimentation des peuples, par Delamare, p. 49-51. – G. Bord, p. 73.