Histoire de la persécution religieuse

dans le département de Saône-et-Loire

 

(1789-1803)1

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Edmond BIRÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un courageux érudit, que l’on ne saurait trop proposer en exemple, M. Jules Sauzay, a publié, voici déjà plusieurs années, l’Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs. Son ouvrage ne forme pas moins de douze volumes in-18.

Ce que M. Sauzay a fait pour le Doubs, deux prêtres éminents, M. l’abbé Bauzon et M. l’abbé Muguet, ont entrepris de le faire pour le département de Saône-et-Loire. Le premier a consacré à l’arrondissement de Chalon un volume grand in-octavo de près de mille pages, et on nous promet un volume supplémentaire. De même, pour l’arrondissement d’Autun, M. l’abbé Muguet vient de publier un volume de 800 pages, qui sera lui-même suivi d’un second. Viendront ensuite, avec les mêmes développements, les arrondissements de Mâcon, de Louhans et de Charolles.

Il sied tout d’abord d’indiquer en quelles circonstances sont nés ces deux excellents ouvrages.

 

 

 

I

 

 

En 1867, Mgr de Marguerye, évêque d’Autun, donna pour sujets de conférences, en chaque archiprêtre, l’histoire même de cet archiprêtré, pendant la période révolutionnaire de 1789 à 1802.

Voici le programme même de ces conférences et les considérants qui le précèdent :

« Il serait très important pour l’histoire ecclésiastique du diocèse d’Autun, pendant la Révolution, de recueillir toutes les traditions, tous les souvenirs se rattachant soit aux personnes, soit aux monuments. Différer plus longtemps ce travail serait s’exposer à tout laisser perdre dans l’oubli. C’est pourquoi les conférences historiques de l’année 1867 auront pour objet cette étude si intéressante. Mais un travail de cette nature exige de longues et minutieuses recherches. Nous avons donc pensé que les questions devaient être posées et les rapporteurs désignés longtemps à l’avance. En conséquence, MM. les archiprêtres feront choix, à la conférence du mois de juin, de deux ecclésiastiques chargés de traiter les questions ci-dessous indiquées. Ils auront ainsi plus de temps pour recueillir tous les éléments de ce travail auquel nous attachons le plus grand prix.

 

 

« PREMIÈRE CONFÉRENCE

 

« QUESTIONS CONCERNANT LES PERSONNES

 

« 1o Quelle a été, dans votre archiprêtré, la conduite des prêtres et des fidèles à l’époque de la grande Révolution ?

« 2o Avez-vous quelques traditions sur nos prêtres, confesseurs de la foi ?

« 3o A-t-on gardé le souvenir de quelque trait éclatant de la justice de Dieu ?

 

 

« DEUXIÈME CONFÉRENCE

 

« QUESTIONS CONCERNANT LES MONUMENTS

 

« 1o Quels étaient les édifices et les établissements religieux existant dans votre archiprêtré à l’époque de la grande Révolution ? Églises, – monastères, – hôpitaux, – lieux de pèlerinage, – autres établissements.

« Événements et traditions se rapportant à chacun de ces monuments.

« 2o Que reste-t-il de ces édifices ou établissements religieux ? »

 

Selon le désir exprimé par Mgr de Marguerye, deux prêtres de chaque canton furent désignés pour répondre aux questions précitées.

À cette époque – 1867 – vivaient encore plusieurs vieillards contemporains de la Révolution. Leurs récits, bien que souvent vagues et incohérents, n’étaient point sans intérêt et sans quelque sérieuse garantie. Ces vieillards furent interrogés, leurs dépositions furent accueillies, selon le degré de confiance qu’elles pouvaient mériter.

À la même époque vivaient aussi un assez grand nombre de prêtres dont l’enfance et la jeunesse s’étaient passées dans la compagnie des confesseurs de la foi. Quel témoignage plus sûr que le témoignage de ces prêtres ? Ils touchaient, pour ainsi dire, au temps de la Révolution et en tenaient l’histoire de la bouche même des ecclésiastiques victimes de la persécution. Ces anciens du sanctuaire furent priés de consigner par écrit tout ce qu’ils pouvaient savoir.

On interrogea les monuments écrits de la période révolutionnaire. Archives départementales et municipales, greffes des tribunaux, livres d’écrou des prisons, délibérations des sociétés populaires, registres officiels de l’évêché, lettres particulières, notes et récits des confesseurs de la foi... Toutes ces preuves indéniables des évènements furent sérieusement étudiées. Dix prêtres, nommés par l’autorité épiscopale, furent spécialement chargés de recueillir dans les dépôts d’archives, à Mâcon, à Autun, et en chaque chef-lieu d’arrondissement, les documents écrits pouvant se rapporter à l’histoire religieuse du diocèse.

Renseignements traditionnels, documents historiques de premier choix affluèrent de toutes parts, et l’on peut dire que le clergé du diocèse tout entier prépara les matériaux de cette histoire.

Le premier volume, publié en 1889 et consacré à l’arrondissement de Chalon-sur-Saône, avait pour auteur M. l’abbé Bauzon, curé de Saint-Jean-des-Vignes, que la mort est venue frapper au moment où il entreprenait le même travail pour l’arrondissement d’Autun. Pour ce dernier arrondissement, [‘œuvre interrompue a été reprise et continuée avec autant de zèle que de talent par M. l’abbé Muguet.

En 1789, Chalon et Autun formaient deux diocèses distincts. L’évêque de Chalon était Mgr du Chilleau, ancien aumônier de la reine Marie Leczinska et de la reine Marie-Antoinette, prélat éminent, dont les vertus égalaient la science, et qui mourut en 1824 archevêque de Tours. L’évêque d’Autun était Charles-Maurice de Talleyrand. Il suffit de le nommer.

Par la loi du 22 décembre 1789 et la Constitution du 3 septembre 1791, le royaume fut divisé en départements. Les villes d’Autun et de Chalon firent partie, toutes les deux, du même département, celui de Saône-et-Loire. Il leur fallut se contenter du titre de chef-lieu d’arrondissement. Le chef-lieu du département fut Mâcon. Conserveraient-elles au moins, l’une et l’autre, leur évêché ? – Aux termes de la Constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790, les circonscriptions diocésaines furent modifiées. Chaque département devait former un diocèse. Il y eut donc un évêché de Saône-et-Loire. Mâcon, Chalon et Autun demandèrent que le siège de l’évêché nouveau leur fût attribué. Autun l’emporta, et plus tard le Concordat ratifia cette mesure.

Mgr du Chilleau refusa de donner sa démission ; mais il fut bientôt forcé d’émigrer. Quant à Talleyrand, nommé au mois de janvier administrateur du département de Paris, il s’empressa de donner sa démission d’évêque d’Autun.

Cette démission n’étant point présentée à l’acceptation du Souverain Pontife était nulle de plein droit, et par conséquent ne pouvait opérer la vacance du siège. Un nouvel évêque, cependant, fut donné, non point au diocèse d’Autun, mais au département de Saône-et-Loire. Au mois de février 1791, des électeurs civils, venus à Mâcon de tous les points du départe-nient, choisirent pour évêque Jean-Louis Gouttes, membre de l’Assemblée constituante et l’un de ceux qui avaient voté la loi schismatique du 12 juillet 1790.

Né à Tulle en 1739, engagé de bonne heure dans un régiment de dragons où il passa plusieurs années, Gouttes avait repris plus tard le cours de ses études et embrassé l’état ecclésiastique. Il était curé d’Argelliers, lorsque le clergé de la sénéchaussée de Béziers, l’envoya aux États-Généraux. Son collègue Lamourette, évêque de Rhône-et-Loire, le sacra, le 3 avril 1791, à Paris. À peine en possession de son siège, il ne négligea rien pour organiser le schisme, avec l’aide du Directoire du district et de ses vicaires généraux. Il remplissait lui-même les fonctions curiales à la cathédrale et prêchait régulièrement, chaque dimanche, contre les abus de la Cour, contre les prêtres et les fidèles réfractaires. Dans ses tournées de confirmation il ne manquait jamais de prendre pour texte les bienfaits dont la Révolution ne cessait de couvrir le pays. Il allait du reste faire bientôt lui-même l’expérience de ces bienfaits, qu’il estimait sans mesure et sans nombre.

Le 18 nivôse an II [janvier 2 1794], dénoncé comme royaliste et comme fanatique, parce qu’il persistait dans l’exercice du saint ministère, Gouttes fut arrêté, en sa maison de campagne du Val-Saint-Benoît, et incarcère à Autun. Transféré à Mâcon, puis à Paris, il comparut devant le tribunal révolutionnaire le 26 mars 1794. Il fut guillotiné le même jour. L’évêque qui l’avait sacré, Adrien Lamourette, avait été guillotiné deux mois auparavant, le 11 janvier 1794.

Chose horrible à dire, l’homme qui poussa à l’échafaud le malheureux Gouttes fut un prêtre apostat, Victor de Lanneau. Ce personnage vaut qu’on s’y arrête un instant.

 

 

 

II

 

 

Né à Bard-en-Auxois, le 24 décembre 1758, d’une famille noble, mais sans fortune, Victor de Lanneau commença ses études, en 1767, à Laflèche, et les termina à l’École militaire de Paris. Destiné à l’état ecclésiastique et pourvu d’un canonicat, à Langres, il suivit le penchant qui l’entraînait vers l’instruction publique, entra dans l’ordre des Théatins qui se livraient à l’enseignement, et devint principal du collège de Tulle. En 1790, il fut mis à la tête du collège d’Autun. Le 4 mars 1791, il donna sa démission et devint premier vicaire de l’évêque constitutionnel.

Les électeurs du département de Saône-et-Loire, au mois de septembre 1791 – et non 1792, comme on l’a imprimé par erreur dans l’ouvrage de M. l’abbé Muguet, – le nommèrent député suppléant à l’Assemblée législative, où il eut d’ailleurs la bonne fortune de ne point siéger. Un an plus tard, le 17 septembre 1792, il fut nommé maire d’Autun, en remplacement de Guillemardet, qui venait d’être élu à la Convention. Le club de la ville – la société populaire ou club des Jacobins – le comptait déjà parmi ses membres les plus avancés et les plus influents. Avant la fin de cette année 1792,  Lanneau donnait l’exemple de la plus complète apostasie et contractait un mariage sacrilège. La femme qu’il épousa se nommait Louise-Joachin Alix 3.

La Société populaire applaudit chaleureusement à cette alliance, et un baiser voté à l’unanimité fut donné au citoyen époux par le président Lucquet. Le Directoire du département de Saône-et-Loire ne resta pas en arrière du club d’Autun et, le 22 février 1793, des félicitations publiques étaient votées au citoyen Lanneau, premier vicaire du conseil épiscopal du département. Le président du Directoire, Roberjot – lui aussi prêtre apostat 4, – écrivait à Lanneau une lettre de satisfaction pour lui faire connaître combien il s’était rendu recommandable, « en bravant les préjugés, en donnant la preuve d’un citoyen éclairé qui ne sait pas transiger avec les principes d’une saine philosophie ».

Si coupable qu’il fût, Gouttes n’était point complètement pervers et il avait encore quelque souci de la dignité épiscopale. Indigné du scandaleux mariage de son premier vicaire, l’évêque n’hésita point à le chasser de son conseil et à lui interdire toute fonction ecclésiastique. L’apostat n’allait pas tarder à se venger. Le 23 pluviôse an II (11 février 1794), Lanneau écrivait à Fouquier-Tinville la lettre suivante :

« Citoyen, je t’adresse, suivant l’arrêté du Directoire, en date du 16 pluviôse, les pièces concernant les inculpations et dénonciations dirigées contre Jean-Louis Gouttes, évêque du département de Saône-et-Loire. Ces pièces sont au nombre de sept, toutes numérotées et cotées V. L. (Victor Lanneau). Tu verras par une de ces pièces, no 6, que, par mesure de sûreté, le comité révolutionnaire d’Autun a fait transporter Jean-Louis Gouttes dans la maison des détenus de Mâcon, pour que, conformément à l’arrêté du Directoire du district d’Autun, il fît transférer Gouttes au tribunal révolutionnaire à Paris. Je n’ai encore reçu aucune réponse ni avis. Mais j’espère que l’exécution sera prompte. Salut ! »

Tant que dura la terreur, Lanneau ne cessa de donner libre carrière à son impiété et à son despotisme. Il porta ses lettres de prêtrise à la Commune, pour y être brûlées, et prononça à cette occasion un discours d’un cynisme révoltant. Les registres de la Société populaire constatent en outre, à la date du 8 brumaire an II (29 octobre 1793), que les citoyens Lanneau et Léautier – ce dernier, directeur du grand séminaire constitutionnel – livrèrent pour l’auto-da-fé qui devait avoir lieu, à l’occasion de la fête de la Raison, leurs bréviaires « tout neufs, puisqu’ils n’avaient jamais servi ».

Soit comme maire, soit comme agent national près du district, soit comme membre et parfois président de la Société populaire, soit enfin comme rédacteur de la Sentinelle, feuille hebdomadaire à sa dévotion, Lanneau avait la suprême autorité dans la ville et dans le district. Tout tremblait devant lui. C’était le grand dénonciateur, le correspondant de Fouquier-Tinville, et sa haine s’acharnait surtout contre les prêtres et les religieuses.

Le 2 février 1794, il est prévenu que cinq Visitandines osaient continuer la vie commune. Il les dénonce à la municipalité :

« L’agent national du district à la commune d’Autun, du 14 pluviôse an II. – Citoyens, ma surveillance doit rappeler à la vôtre que la loi qui détruit toutes les communautés religieuses ne veut sûrement pas que de nouvelles s’établissent. On rapporte à l’administration que cinq religieuses ci-devant Visitandines et qui ont refusé de prêter tout serment se sont réunies dans la maison Berthaud et doivent se transporter dans la maison Leblond, rue des Marbres. Je vous invite à examiner si cette réunion s’accorde avec la politique du jour, avec les mesures d’un gouvernement révolutionnaire et j’ajoute antifanatique... Salut !

« LANNEAU. »

 

Les habitants de Paris-l’Hôpital persistent à travailler le décadi et à se reposer le dimanche. Transporté d’indignation, il écrit le 23 germinal an II (12 avril 1794), à l’agent national de cette commune :

« Je suis informé que, contre le vœu de la loi, les citoyens de Paris-l’Hôpital ne se réunissent point les jours de décadi pour entendre la lecture des lois. Je t’invite à leur faire part du mécontentement du Directoire à cet égard, en leur représentant que le premier devoir du citoyen est de connaître les lois pour les bien exécuter. Je suis informé encore que les citoyens sont tellement esclaves de la superstition qu’ils ne peuvent pas perdre l’habitude absurde de fainéantiser les dimanches. Dis-leur qu’ils ne peuvent mieux honorer l’auteur de la nature qu’en travaillant tous les jours. Tu rendras compte au directoire du progrès de tes concitoyens sur ces deux objets. »

Il ne se bornait pas du reste à des lettres et à des menaces. Comme il avait envoyé son évêque à la guillotine, il eut aussi la satisfaction, qui dut lui être particulièrement douce, d’y envoyer un prêtre qui avait refusé le serment.

Jean-Marie Lecomte, tout jeune prêtre, ordonné en 1790, avait réussi à se cacher à Autun pendant plus d’une année. Dénoncé par un voisin, il fut arrêté le 14 septembre 1793. On trouva chez lui une bague portant cette inscription : Domine salvos fac regem et reginam, et un objet en soie jaune qu’on supposa être un petit médaillon ou reliquaire. Lanneau et ses collègues du district prirent aussitôt l’arrêté suivant :

« Le directoire du district, considérant que le prêtre Lecomte ayant été trouvé muni d’une bague portant une inscription tendante au rétablissement de la tyrannie et étant un signe caractéristique de contre-révolutionnaire ; que, d’un autre côté, la copie de la lettre trouvée dans ses papiers et le morceau d’étoffe à cinq boutonnières qui semble être un signe mystérieux de ralliement entre les conspirateurs, doit le faire regarder comme un traître et un ennemi de la République, avec d’autant plus de fondement qu’il a refusé de prêter le serment civique et désobéi aux lois qui chassaient du sol de la liberté des êtres pestiférés de son espèce, arrête... Ledit Lecomte sera sans délai envoyé à Paris de brigade en brigade au tribunal révolutionnaire pour y être jugé suivant les rigueurs des lois portées contre les partisans de la tyrannie et contre les prêtres qui ne sont pas sortis de la République ou qui, après en être sortis, y sont rentrés. »

L’abbé Lecomte fut guillotiné le 19 décembre 1793. Il était âgé de vingt-huit ans 5. La fureur de Lanneau ne s’exerçait pas seulement contre les prêtres. Il fut le principal organisateur du pillage de la cathédrale ; il ne cessa d’y pousser dans son journal, et, dans le sein de la Société populaire, il fit la motion de détruire entièrement cet édifice. Les autres églises d’Autun ne furent pas plus épargnées. M. l’abbé Muguet nous peint ainsi l’aspect de la ville dans les premiers mois de 1794 : « Dans tous les quartiers, on voyait des ruines, et les matériaux des églises renversées obstruaient les rues. Vers la cathédrale surtout, le spectacle était navrant et rappelait les horreurs d’une ville saccagée par un siège de guerre. Les débris de l’église Saint-Quentin et de la Collégiale formaient d’énormes monceaux et les acquéreurs, malgré les avis réitérés de la ‘municipalité, ne se hâtaient guère d’opérer les déblais. Mais s’il était lamentable de voir tant de monuments renversés, il était plus lamentable encore de penser qu’on avait anéanti des chefs-d’œuvre de l’art, des objets d’une valeur infinie et que jamais l’on ne pourrait remplacer 6. »

Après la chute de Robespierre, Lanneau fut obligé de quitter Autun et de se réfugier à Paris. Le 3 pluviôse an III (22 janvier 1795), le conseil du district prit contre lui l’arrêté suivant :

« Le conseil du district, ouï l’agent national, arrête qu’il sera écrit au Comité de sûreté générale, pour lui faire connaître l’immoralité profonde de V. Lanneau, et la conduite qu’il a tenue dans la commune d’Autun, où il a été un des principaux chefs du système de terreur et d’anarchie qui a désolé la République... »

Lanneau fut arrêté, par ordre du Comité de sûreté générale, mais son habileté et de puissants patronages le sauvèrent. Sorti de prison, il se fixa dans la capitale. Il exerça d’abord la profession d’imprimeur, puis brigua la place de directeur de l’Opéra ; n’ayant pu l’obtenir, il songea à utiliser ses réelles aptitudes pour l’enseignement. Après avoir été chef de bureau de l’instruction publique, il obtint, en 1797, un emploi de sous-directeur au Prytanée français (collège Louis-le-Grand). L’année suivante, il établit, dans les anciens bâtiments du collège Sainte-Barbe, le Collège des sciences et des arts qui reprit plus tard l’ancien nom de Sainte-Barbe et obtint, sous sa direction, un succès considérable.

Victor de Lanneau mourut le 31 mai 1830, après avoir remis son établissement à son fils aîné, Adolphe de Lanneau. L’ancien proconsul de 93 avait consacré ses dernières années à des publications qui joignaient à leurs autres mérites, celui d’être parfaitement inoffensives : Cours ou leçons pratiques de grammaire française (1824) ; Dictionnaire de poche de la langue française (1827) ; Dictionnaire poétique des rimes (1828), etc. Le repentir l’avait-il touché ? Il est permis de l’espérer. M. l’abbé Muguet rapporte, en effet, d’après la Semaine religieuse de Dijon, cette consolante anecdote. Un vieillard – on sut plus tard que c’était l’ex-président de la Société populaire d’Autun – un vieillard venait, chaque année pendant les vacances, à Bard-les-Époisses, annexe de Corrombles. Le curé de cette paroisse admirait la rare distinction de cet homme, son assiduité et sa tenue religieuse aux offices. Un jour le vieillard offrit au curé un magnifique ostensoir pour son église. Le prêtre se confondit en remerciements. « Ah ! s’écria le donateur tout ému, ne me remerciez point... Le Seigneur a tant à me pardonner... Demandez-lui plutôt pour moi le repentir et l’humilité du publicain ! »

 

 

 

III

 

 

L’évêque Gouttes et son grand vicaire Lanneau m’ont entraîné plus loin que je ne le croyais, et je n’ai pas encore dit un mot du plan adopté par M. l’abbé Muguet. Voici les lignes principales de ce plan et les divisions de son ouvrage :

Première partie : Les Évêques : Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun ; Jean-Louis Gouttes, évêque constitutionnel de Saône-et-Loire ; Thomas-Just Poullard, deuxième évêque constitutionnel. – Les vicaires généraux du diocèse d’Autun. – Le Chapitre de la cathédrale. – La ville d’Autun pendant la Révolution : les paroisses de la ville et le clergé catholique en 1790 ; les paroisses nouvelles et le clergé schismatique ; la conduite des autorités révolutionnaires de la ville, de 1791 à 1793 ; les progrès de l’impiété et le culte de la Raison (1793-1794) ; les prêtres catholiques d’Autun et du voisinage durant la Terreur. – La déportation des prêtres en 1794. – La ville d’Autun et le clergé après le 9 thermidor. – La persécution religieuse sous le Directoire ; le Concordat et le rétablissement de la religion. – Les communautés et congrégations religieuses de la ville d’Autun.

Dans la Deuxième partie, l’auteur passe successivement en revue les paroisses de l’arrondissement ou provicariat d’Autun : – en premier lieu, les dix paroisses de l’archiprêtré d’Autun ou de la Cathédrale ; – en second lieu, les archiprêtrés et cantons de Conches, – du Creusot, – de Sully, – d’Issy-L’évêque, – de Lucenay-l’Évêque, – de Mesvres, – de Montcenis, et de Saint-Léger-sous-Beuvray.

On pressent aisément ce que supposent d’études et de recherches ces nombreux chapitres et surtout ceux qui ont trait à l’histoire particulière de chaque paroisse. Je ne puis qu’y renvoyer le lecteur ; mais je me reprocherais de finir sans dire un mot de ces prêtres héroïques qui, au plus fort de la Terreur, cachés dans d’obscures retraites, ne cessèrent pas de dire la messe et, au péril de leur liberté et de leur vie, d’administrer les sacrements.

Autun ayant cessé, en 1791, d’avoir un évêque légitime, Pie VI chargea Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon, de l’administration du diocèse. Du lieu de son exil, Mgr de Marbeuf fit parvenir à M. Antoine Verdier, ancien directeur du Grand Séminaire, une nomination de grand vicaire, avec les pouvoirs les plus étendus.

Ce prêtre courageux accepta avec bonheur cette périlleuse mission. Il lui fallut bientôt chercher un asile secret, une cache : il la choisit à Autun même, tout près de la cathédrale, dans la maison d’une ancienne religieuse, Mme de Thézard. Deux vieilles demoiselles, surnommées les grands vicaires du préposé, Mme de La Chaise et Mlle Blé, fréquentaient seules la maison de Mme de Thézard et se chargeaient de la correspondance de M. Verdier avec les prêtres demeurés fidèles.

De temps à autre, il sortait de sa retraite et allait respirer l’air de la campagne, tantôt chez un garde forestier de Montjeu, nommé Villechaise, et plus connu sous le sobriquet de père Francillon, tantôt chez le père Larchey, de Nanteuil, paroisse de Curgy. Là, au milieu des bois, au milieu des vignes, dans une maisonnette de bûcheron ou de pauvre cultivateur, l’administrateur du diocèse d’Autun convoquait les prêtres fidèles qui s’étaient mis à sa disposition. Les uns, les plus instruits et les plus courageux, avaient été institués par lui chefs de mission dans chacun des archiprêtres. Ils étaient en même temps chargés de gouverner certaines paroisses avec les prêtres qui s’y trouvaient cachés.

Toutes les fois qu’il le pouvait, conduit par un guide sûr et déterminé, M. Verdier allait visiter les missionnaires, conférait avec eux sur les devoirs de leur charge, réhabilitait les pasteurs qui avaient donné dans le schisme et dans l’intrusion.

Malgré toutes les précautions prises pour assurer le secret de sa présence dans la ville épiscopale, le préposé fut dénoncé au directoire départemental. Plusieurs fois, il faillit tomber entre les mains des persécuteurs. « Un jour, dit M. Verdier lui-même, j’étais sorti de ma cachette pour prendre l’air dans la cour qui se trouve par derrière. J’entends frapper violemment à la porte... Elle s’ouvre... Le guet y pénètre. C’était moi qu’il cherchait. Je n’eus que le temps de me blottir sous le perron qui servait d’entrée à la cave. Je vis tous les gens du guet passer devant moi, deux à deux, armés, sans qu’aucun d’eux détournât la tête de mon côté. Ils avaient la tête et les yeux dirigés sur les portes et les fenêtres où ils pensaient m’apercevoir. »

Un des plus intrépides auxiliaires de M. Verdier fut le Frère Thomas. Antoine Bourdon, en religion Frère Thomas, était un capucin du couvent d’Autun. Frère quêteur, habitué à la marche, il connaissait de longue date les chemins et sentiers de toute la région autunoise. Il allait, distribuant aux missionnaires les messages du préposé, les feuilles de pouvoirs et les dispenses nécessaires, les Saintes-Huiles, et avec les demandes et réponses des prêtres cachés, il rapportait au chef provisoire du diocèse tous les renseignements utiles qu’il avait pu recueillir. Dans ses haltes et ses moments de loisir, cet homme de foi enseignait le catéchisme aux petits enfants. On assure qu’il fit rétracter plusieurs prêtres schismatiques.

À côté du Frère Thomas, n’oublions pas de placer le Père Joseph. C’était le nom que portait M. Jean-Baptiste Ruben, de la Société de Saint-Sulpice, ancien directeur au grand séminaire du Puy. Réfugié à Autun, il parcourait la campagne, exerçant le saint ministère, administrant les malades, évangélisant partout où il pouvait. Il se donnait comme un cordonnier ambulant et raccommodait au besoin les vieilles chaussures des villageois. Des guêtres en toile grossière, un vieux tablier de peau, une hotte garnie de quelques outils et de mauvais rouleaux de cuir : tel était l’accoutrement du Père Joseph, qui put ainsi traverser la Terreur sans être arrêté.

Il se retirait de préférence à Montholon et à Reclesnes, parce qu’il y était moins surveillé et que ces paroisses renfermaient des catholiques d’une inviolable fidélité à Dieu et aux pasteurs légitimes. À Reclesnes, notamment, on trouve de nombreux actes du ministère sacerdotal de cet homme apostolique : baptêmes, mariages, prières de la sépulture faites dans la chambre mortuaire. RUBEN, prêtre catholique romain, telle est la signature de ces actes qu’il faudrait vénérer comme des reliques. À Reclesnes encore, la famille où le P. Joseph trouvait son plus sûr asile conserve comme un trésor la pierre sacrée sur laquelle le missionnaire célébrait la sainte messe.

Cet homme de foi et de dévouement mourut le 29 avril 1842, âgé de soixante-dix-huit ans. Il avait, en dernier lieu, gouverné la maison d’Issy, dite la Solitude, où se préparent les novices de la Société des prêtres de Saint-Sulpice.

Heureux l’auteur et le livre qui ont pu sauver de l’oubli les noms de ces braves gens et de tant d’autres prêtres qui marchèrent sur leurs traces et combattirent comme eux le bon combat ! Puisse l’ouvrage de MM. Bauzon et Muguet en susciter de pareils dans tous nos autres diocèses ! Lorsque nous aurons ainsi l’Histoire complète du clergé catholique pendant la période révolutionnaire, cela vaudra bien, j’imagine, l’Histoire-Bataille ou même l’Histoire parlementa de la Révolution française.

 

23 février 1897.

 

 

Edmond BIRÉ, Le clergé de France

pendant la Révolution (1789-1799),  1901.

 

 

 

 

 



1 Recherches historiques sur la persécution religieuse dans le département de Saône-et-Loire pendant la Révolution (1789-18033). – Tome premier : l’Arrondissement de Chalon, par M. l’abbé BAUZON ; tome second : l’Arrondissement d’Autun, par M. l’abbé Paul MUGUET. Deux volumes grand in-8o de 944 et 776 pages. – L. Marceau, imprimeur-éditeur à Chalon-sur-Saône. 1897.

2 Et non le 27 janvier, comme l’écrit par erreur M. l’abbé Muguet.

3 Note de M. Gaston de Beauséjour, dans les Mémoires de l’abbé Lambert, p. 75.

4 Roberjot était alors curé intrus de Saint-Pierre de Mâcon. Au mois de septembre 1792, il avait été nommé député suppléant à la Convention, où il ne fut appelé à siéger qu’après le procès du Roi. Devenu plus tard ministre de la République à Hambourg, puis ambassadeur près de la République batave, il fut envoyé au congrès de Rastadt, à la suite duquel il fut assassiné, avec Bonnier et Jean Debry, le 28 avril 1799 et non le 28 août 1793, comme le porte le volume de M. l’abbé Muguet, p. 159.

5 On a deux lettres de M. Lecomte à ses parents : la première, sans date, écrite de Saulieu, peu de jours après son arrestation ; la seconde, écrite de la Conciergerie de Paris et datée du 4 décembre. La première se termine ainsi : « Aimons Dieu de tout notre cœur, et notre prochain, même nos ennemis, comme nous-mêmes, et Dieu nous fera miséricorde. » – On lit dans la seconde : « Je suis arrivé à la Conciergerie le 10 novembre, j’ai subi mon interrogatoire le 14, et depuis ce moment je n’ai entendu parler de rien... Néanmoins soyez plus assurés de l’indifférence où je suis sur le sort qui m’est réservé en ce monde... Adieu !... Adorons la main de celui qui nous frappe. » M. WALLON (tome II, pages 253-254) a donné l’interrogatoire de l’abbé Leconte, en date du 24 brumaire an II (14 novembre 1793).

6 Page 372.

 

 

 

 

 

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