En Vendée

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Edmond BIRÉ 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

Il y a quelque cinquante ans, sous le titre : Une Paroisse vendéenne sous la Terreur, M. le comte Théodore de Quatrebarbes a écrit l’histoire des habitants de la paroisse de Chanzeaux pendant la Révolution. Son livre est un modèle du genre, et il est vivement à regretter qu’il n’ait pas suscité de plus nombreux imitateurs. En 1881, à la suite de longues et patientes recherches, un consciencieux et trop modeste écrivain, qui a cru devoir garder l’anonyme, a établi, pour tout un canton, les états des naissances, des sépultures, des victimes traînées en exil par la force ou chassées hors du pays par la peur, des martyrs tombés sur les champs de bataille, dans les prisons, au bord des fossés sous la fusillade, massacrés dans les genêts protecteurs du pays ou dans les contrées inhospitalières d’outre-Loire.

Un canton du Bocage vendéen, tel est le titre de ce précieux volume 2. L’auteur y donne les listes des paroisses suivantes : les Aubiers, La Chapelle-Largeau, Châtillon-sur-Sèvre, Saint-Hilaire et Saint-Pierre des Echaubroignes, Moulins, Nueil-sous-les-Aubiers, La Petite-Boissière, Le Puy-Saint-Bonnet, Rorthais, Saint-Amand-sur-Sèvre, Saint-Aubin-de-Baubigné, Saint-Jouin-sous-Châtillon, Le Temple. Il a publié ces listes d’après les registres paroissiaux, complétés heureusement par des recherches faites dans les Archives nationales, départementales ou privées.

À son tour, M. l’abbé Bossard, l’auteur d’une Famille vendéenne pendant la Grande Guerre, étudie aujourd’hui les archives de Saint-Pierre de Cholet et celles de la Gaubretière 3.

Les registres de fabrique de Saint-Pierre-de-Cholet ont été écrits sous l’inspiration et souvent de la main de M. Boinaud, curé non assermenté de cette paroisse en 1791, et mort également curé de Saint-Pierre en 1805. Ils sont au nombre de huit. Les deux premiers sont spéciaux à la paroisse de Saint-Pierre ; les six autres embrassent indistinctement les trois paroisses : Saint-Pierre, Notre-Dame et Saint-Melaine. Ils comprennent :

1o Les baptêmes

2o Les sépultures ;

3o Les noms de ceux qui sont morts de mort naturelle ;

4o Les noms de ceux qui ont été emmenés de force à Nantes, à Saumur ou dans d’autres villes ;

5o Les noms de ceux qui ont été massacrés ;

6o Les noms de ceux qui ont passé la Loire et qu’on n’a pas revus ;

7o Les noms de ceux qui ont disparu après les déroutes ;

8o Les noms de ceux qui ont été fusillés.

La simple énumération de ces divers titres dit suffisamment l’importance de ces documents ; mais leur valeur s’accroît encore par la date où ils furent composés. À part les deux premiers registres, celui des baptêmes et celui des sépultures, qui ont été établis du 5 avril au mois de juillet 1793, tous les autres ont été commencés le 20 septembre 1794, au moment de la réoccupation définitive de Cholet par les troupes de Stofflet, et continués pendant les mois suivants jusqu’en août 1795. On a donc bien ici des documents de première main, contemporains des faits, non seulement par les auteurs eux-mêmes mais encore par les dates auxquelles il faut les reporter.

Les Chroniques de la Gaubretière ont été écrites à une époque beaucoup plus récente ; mais elles ont également cet avantage d’avoir été recueillies de la bouche même ou par la plume des survivants et des victimes de la Révolution. Voici dans quelles circonstances. Le 1er mars 1845, Mgr Soyer, évêque de Luçon, recevait communication d’un legs fait par M. Bertrand Suzanne Auguste de Sarrieu, docteur médecin à Montrejeau (Haute-Garonne) et ainsi formulé : « Mon héritier demeure encore chargé de faire dans la Vendée une ou deux fondations d’écoles des Frères des Écoles Chrétiennes, et dans la localité qui se sera le plus distinguée par son attachement aux principes religieux et monarchiques, dans le temps de la Révolution. » Mgr Soyer, dont la famille avait fourni à l’armée catholique et royale quelques-uns de ses meilleurs officiers, était bien placé pour désigner les deux paroisses qui avaient, par leur héroïsme, le mieux mérité de Dieu et du Roi : il nomma la Gaubretière et Chanzeaux.

Malheureusement, lorsque la liquidation de la fortune laissée par le testateur fut achevée, on s’aperçut que la succession était moins considérable qu’il ne l’avait cru et qu’on ne pouvait pourvoir qu’à la fondation d’une seule école. Quelle serait la paroisse privilégiée ? c’est-à-dire, quelle avait été la plus héroïque, et partant la plus méritante ? Une sorte de joute eut lieu entre les deux paroisses rivales. Il y eut une enquête minutieuse ; des mémoires historiques, dont le plus important est celui de Pierre Rangeard, furent écrits par les survivants de la guerre ou recueillis de leur bouche : finalement, la Gaubretière l’emporta. Elle eut son école, laïcisée d’ailleurs dans ces dernières années ; mais il nous est resté, grâce à ces circonstances, les mémoires qui porteront désormais le nom de Chroniques de la Gaubretière 4.

C’est un malheur irréparable que chaque curé n’ait pas fait pour sa paroisse, dans le feu même de la persécution, l’œuvre de M. Boinaud pour la sienne ; que chaque paroisse n’ait pas songé, comme la Gaubretière, à écrire ses Chroniques. Nous aurions là toute l’histoire de la Vendée catholique appuyée sur des documents certains ; tout l’immense martyrologe vendéen, dont les Chroniques de la Gaubretière et les Registres de Saint-Pierre-de-Cholet sont peut-être les plus sanglantes et les plus glorieuses pages. Il y en a peu, dans l’histoire d’aucun pays, depuis les premiers siècles du christianisme, qui fassent plus d’honneur à l’humanité, du côté des victimes.

 

 

 

II

 

 

Cholet a beaucoup donné à la Vendée. Les registres de M. Boinaud renferment les noms de 725 Choletais qui, ayant passé la Loire, ne reparurent jamais. D’autres s’y doivent ajouter, qui revinrent en plus ou moins grand nombre. D’autres encore, et ceux-là certainement très nombreux, avaient péri déjà. Le passage de la Loire est, en effet, du 18 octobre 1793. Or, à cette date, la guerre faisait rage depuis près de huit mois, et ces huit mois avaient vu les grandes batailles de Chemillé, de Beaupréau, de Thouars, de Fontenay, de Doué, de Saumur, de Nantes, de Châtillon-sur-Sèvre, de Luçon, de Chantonnay, de Torfou, de la Tremblaye et de Cholet. Il faut songer enfin que beaucoup d’hommes, à Cholet comme dans les autres paroisses, se refusèrent à passer la Loire.

Quel fut le sort des familles qui demeurèrent ainsi dans le pays ? L’un des registres de M. Boinaud porte en titre : « Registres contenant les noms de ceux que les Républicains ont conduits à Nantes lors de l’évacuation de Cholet, ou qu’ils avaient auparavant transportés en d’autres villes, et qui étaient réputés et reconnus pour catholiques. »

En supposant que ce Registre ne renferme aucun oubli, ce qui serait bien étonnant, combien d’infortunés furent ainsi arrachés à leurs foyers et traînés dans des villes voisines, dont le nom seul était un objet d’épouvante ? Mille vingt et une personnes au moins furent emmenées de force, quelques-unes à Saumur et à Angers, mais presque toutes à Nantes. Les grands départs se firent sur l’ordre des Représentants du peuple, Garreau, Hentz et Francastel, le 4 et le 5 mars 1794, deux ou trois jours avant l’évacuation définitive de Cholet, qui eut lieu le 7. Beaucoup de ces malheureux furent fusillés au Champ des martyrs, près Angers. D’autres périrent dans les prisons, de misère, de faim et de maladie. Il se peut sans doute que quelques-uns soient revenus plus tard à Cholet. Toutefois, il est remarquable que la population de cette ville, en l’an V, c’est-à-dire trois ans plus tard, était exactement de 2.168 habitants, au lieu des 8.444 qu’elle comptait en 1790.

Un autre Registre de M. Boinaud contient « les noms de ceux qui ont été fusillés publiquement ou notoirement pendant le séjour des républicains à Cholet ». Il fournit vingt et un noms seulement ; mais il ne renferme que ceux dont l’exécution eut lieu à Cholet même, dans un laps de temps déterminé et très court. On n’aura jamais, probablement, la liste complète des habitants de Cholet fusillés en haine de leurs convictions politiques et religieuses, soit isolément par surprise, soit en masse, dans les grandes hécatombes d’Angers, de Doué, de Laval, du Mans, de Savenay ou de Nantes. Les Archives des greffes de Nantes et d’Angers, les listes de confiscation, les travaux de Vial, de H. Chardon, de l’abbé Perrin, de MM. de la Grimaudière, Queruau-Lamerie et Alfred Lallié, ont permis à M. l’abbé Bossard de dresser cette liste. Elle est sans doute encore incomplète ; la moisson sanglante pourtant est abondante : deux cent quatre-vingts noms de victimes seront ainsi sauvés de l’oubli.

Les fusillés étaient pour la plupart des hommes faits, souvent pris les armes à la main, quand ils ne les avaient pas déposées volontairement sur la promesse qu’on ne leur ferait aucun mal. Mais, à côté d’eux, voici les vieillards, les femmes, les jeunes filles, les enfants. Ceux-là, on ne les fusille point, on les massacre tout simplement. Deux cent une victimes connues sont ainsi égorgées dans Cholet et ses environs pendant les seuls mois de janvier, février et mars 1794 ; et, dans ce nombre, il y a 55 femmes, presque toutes mères de famille, massacrées avec leurs petits enfants ; 7 religieuses, 20 jeunes filles, 46 enfants, garçons et filles, âgés de moins de 10 ans, 6 enfants de plusieurs mois et un enfant de 3 jours. Ces derniers chiffres portent à 645 le nombre des enfants de Cholet qui souffrirent en haine de la religion de leurs parents ; si on y ajoute les 178 qui moururent de mars 1793 à juillet 1794, le nombre des enfants qui disparurent en seize mois s’élève à 823 !

Je rappelais tout à l’heure que la ville de Cholet, après avoir compté plus de 8.000 habitants en 1790, n’en comptait plus que 2.000 en 1797. « Qu’une telle dépopulation ne nous étonne pas, dit M. l’abbé Bossard ; les listes de M. Boinaud, complétées par celles de MM. Queruau-Lamerie et Alfred Lallié, font passer devant nos yeux environ 2.300 des victimes de la Révolution dans les trois paroisses de Cholet durant les seules années 1793 et 1794. Mais rappelons-nous que ces listes sont incomplètes et que, pendant près de six années encore, Cholet continuera à fournir des soldats à la Vendée et des victimes à la Révolution. Je comprends aujourd’hui l’étonnement dont ma mère, dans ma prime enfance, m’apportait l’écho, quand elle me disait la surprise générale où l’on était, à la Verrie, au sortie de la guerre lorsqu’on voyait par hasard vingt hommes rassemblés sur la place de l’église après la grand-messe, le dimanche ; or, la Verrie avait compté, en 1790, a peu près 1.700 habitants. »

 

 

 

III

 

 

Sur 1.700 habitants que la Gaubretière avait aussi en 1793, deux ans après, mais deux ans après seulement, lors du traité de la Jaunais signé en février 1795, 548 jeunes gens ou hommes faits avaient versé leur sang sur la plupart des champs de bataille de la Vendée et d’outre-Loire. « Après la pacification de la Jaunais, nous rentrâmes dans nos foyers, dit S. Rangeard, il ne restait que 62 hommes de notre belle division 5. »

Et quels hommes que ces gars de la Gaubretière ! Quand, après les premiers combats, le jeune Pierre Rangeard – il avait 19 ans – put enfin revenir au bourg, il y retrouva les foyers dans le deuil ou l’inquiétude : plus de 40 soldats de l’héroïque paroisse étaient déjà morts, et les blessés y arrivaient chaque jour. Ses parents étaient sans nouvelles de lui et dans des transes mortelles ; ils l’embrassèrent en pleurant : « Tu sais, lui dit son père, comme nous t’aimons. C’est égal, si tu avais été tué, nous nous serions consolés en pensant que tu serais mort en faisant ton devoir. » Et une grosse larme s’échappait de ses yeux 6. – Les trois frères Gouraud, Pierre, Louis et Jean, ne se quittaient jamais, combattant côte à côte, marchant ensemble à l’ennemi, ensemble reculant quand il fallait fuir. C’étaient des éclaireurs volontaires, les plus braves de l’armée. À la funeste bataille de Cholet, comme ils se battaient corps à corps avec leurs ennemis, ils tombèrent ensemble aux côtés de Pierre Rangeard : « J’ai vu, dit-il, le général pleurer en apprenant leur mort 7. » – Ces vaillants mêlaient la gaieté à l’héroïsme. À Saint-Fulgent, à la nuit tombante, le combat s’engage dans les ténèbres ; on se tire à bout portant, on lutte corps à corps ; pendant ce temps-là, un cavalier musicien de la Gaubretière, Planchot, tranquille et calme sur son cheval de labour, sonne la charge avec un clairon d’un nouveau genre et sur un mode encore plus nouveau : « Au milieu de cette affreuse boucherie, il joue l’air du Ça ira sur son flageolet, jusqu’à ce qu’un coup de feu l’étende sans vie. Il tombe en criant : Vive le Roi ! » Quarante-trois hommes de la Gaubretière tombèrent comme lui au son de ce flageolet en poussant comme lui le cri de : Vive Dieu et le Roi !

Ceux qui combattaient et mouraient ainsi, souvent étaient des jeunes gens de 16 et 17 ans, quelquefois des enfants de 12 et de 10 ans, quelquefois même des jeunes filles et des femmes. « Tout marcha, dit Gibert, jusqu’aux enfants de 10 à 12 ans ; connaissant moins le danger, ils étaient même plus intrépides que les hommes faits. Ils se coulaient derrière eux et tiraient entre leurs jambes 8. » Beaucoup de femmes suivaient leurs maris, et plus d’une jeune fille était à côté de ses frères. Dans cette bataille de Torfou, qu’elles ont rendue légendaire par leur courage, un grand nombre de ces femmes qui ramenèrent les hommes au combat, étaient de la Gaubretière ; elles étaient avec les trois compagnies de la paroisse à l’avant-garde, « encourageant les timides, secourant les blessés, implorant à haute voix la protection du ciel. Elles restèrent ainsi tout le temps du combat sur le champ de bataille. Une d’elles, la femme Soulard, fut tuée en voulant relever Charriot, l’un de nos braves capitaines blessé mortellement 9 ». Elles n’étaient pas qu’infirmières. Plus d’une tenait le fusil, le sabre ou la faux. À Torfou encore, « Perrine Loizeau se battait avec acharnement ; elle faisait autour d’elle un terrible moulinet avec son sabre ; elle tua trois républicains ; un quatrième lui fendit la tête d’un coup terrible 10 ».

Avant février 1795, cinq cent cinquante habitants de la Gaubretière avaient péri sur les champs de bataille ; plus de six cents autres furent massacrés en quelques mois ; si bien que Pierre Rangeard pourra dire dans son Mémoire : « Au commencement de la guerre, la population était de 1.700 âmes ; les trois quarts étaient morts lors du recensement que je me rappelle avoir vu faire en 1800. »

Le 27 février 1794, plusieurs colonnes infernales entourèrent la Gaubretière. Les habitants s’étaient enfuis à leur approche et avaient cherché un asile dans les ravins, dans les grands genêts hauts de trente pieds et surtout dans les bois de Drillay. Les soldats de Huchet, l’ancien boucher devenu général, mirent le feu partout, et l’on n’entendit plus, bientôt, de tous les alentours, que « les cris des mourants, mêlés aux affreuses clameurs des soldats ; d’immenses incendies éclairaient les scènes de carnage ; l’église, le bourg, les fermes étaient en feu ». Plus de 500 personnes furent tuées, ce jour-là, avec des raffinements de cruauté inouïe.

Citons, après M. l’abbé Rossard, quelques-unes des victimes, et d’abord Mme Le Bault de la Touche, chez laquelle l’état-major vendéen tenait ses réunions : on lui tranche la tête, que l’on jette dans un bassin plein d’eau ; son corps est lancé dans les flammes avec ceux de quatre de ses domestiques, qui ne veulent pas l’abandonner et partagent son sort. M. Morinière, sa femme, deux domestiques et une tante de Pierre Rangeard sont sommés par les bourreaux de crier Vive la République ! Ils s’y refusent ; alors, on leur arrache la langue, on leur crève les yeux, on leur coupe les oreilles ; et, ainsi inutiles, ils reçoivent enfin le coup de grâce. M. de la Boucherie, sa femme et sa sœur, Mlle de la Blouère, sont traités plus cruellement encore. On les suspend par le menton à des crampons de fer, fixés à la poutre de leur cuisine, et, dans cet état, ils sont dévorés par les flammes de leur maison. Deux hommes, pris dans le jardin de M. Forestier, furent tués sur place : ils furent empalés.

Parmi les journaux républicains de l’époque, dépouillés par M. Bossard à la Bibliothèque nationale, il en est un, les Décades républicaines, qui a parlé de ce massacre de la Gaubretière : « Le territoire de l’ouest, disent les Décades (tome I, page 199), est nuit et jour le théâtre d’un nouveau carnage de brigands : cinq cents d’entre eux sont passés au fil de la baïonnette, à la Gaubretière dans une sortie, sous les ordres du général de brigade Huchet, commandant des troupes stationnées à Cholet. Vainement ils opposent une résistance opiniâtre : la valeur des républicains l’emporte, et dans ces murs trop souvent souillés de leur présence, elle offre une hécatombe aux âmes des martyrs de la liberté ! »

Sous la forme pompeuse du style, à travers cette prétendue sortie des murs imaginaires du pauvre bourg détruit, nous avons ici un témoignage qui vient corroborer le récit de Pierre Rangeard : Cinq cents brigands – c’est-à-dire des femmes, des vieillards, et des enfants sans défense – furent passés au fil de la baïonnette.

L’épisode du clocher de Chanzeaux, si bien raconté par M. de Quatrebarbes, dans Une Paroisse vendéenne sous la Terreur, s’est renouvelé deux fois à la Gaubretière. Les Bleus avaient transformé l’église « en corps de garde et en écurie », et en avaient fait en même temps une sorte de « forteresse improvisée ». Les fenêtres avaient été disposées en meurtrières, et un mur, percé d’ouvertures, en défendait l’entrée principale. Cependant les Bleus, n’osant y coucher la nuit, la quittaient chaque soir pour revenir s’y installer le matin et, de là, lancer leurs colonnes sur la campagne.

Dans la nuit du 10 mars 1794, une troupe d’habitants, pressés par la famine, s’y introduisirent pour s’emparer des vivres qui s’y trouvaient déposés. Mais ils furent surpris de grand matin par les Bleus, et quelques-uns seulement purent se rejeter dans les genêts voisins. Soixante hommes environ et une vingtaine de femmes furent repoussés dans l’église et en fermèrent les portes. Huit heures durant la petite troupe se défendit avec acharnement. Les hommes tiraient, les femmes chargeaient les fusils et, tout en les chargeant, chantaient des cantiques pour animer les hommes, qui visaient en répondant. Quand les munitions manquèrent, huit femmes et quinze hommes seulement vivaient encore ; ils furent saisis, conduits sur la route des Herbiers et fusillés au Pont du Grand-Henri.

L’année suivante, même scène et même dénouement. Quelques hommes s’étaient réfugiés dans l’église abandonnée par les Bleus. Attaqués par une colonne républicaine, ils ne voulurent jamais se rendre. À toutes les sommations, ils répondaient par de nouvelles décharges. Forcés enfin dans leur asile, ils périrent tous en criant : Vive le Roi ! Vive le Roi !

Si ces vaillants et ces humbles furent si héroïques et si grands, c’est qu’une double foi les animait, la foi politique et la foi religieuse. « Après le combat de Saint-Fulgent, dit Pierre Rangeard, où la Gaubretière a perdu quarante-trois hommes, la désolation était grande, mais l’espérance de revoir un jour au ciel ceux qui étaient morts pour une si bonne cause adoucissait les douleurs 11. » – « La nuit, dit en un autre endroit Pierre Rangeard, la nuit restait encore pour remplir les devoirs de notre sainte religion. » Et en effet, la terreur « qu’inspirait le seul nom de la Gaubretière » était si grande que les Bleus sortaient rarement la nuit. Alors des cachettes fermées pendant le jour, des halliers silencieux, des genêts plus hauts que les maisons, des haies larges comme des rivières, des chênes creux se glissaient souvent des vieillards, des femmes, des enfants, sous la garde de soldats placés en sentinelle au loin. Dans la journée une nouvelle avait couru d’une haie à l’autre, des bois aux champs de genêts : « On dira cette nuit la messe à tel endroit », et chacun alors, sans bruit, récitant le chapelet à voix basse, se faufilait vers le lieu secret où les attendait le prêtre. « J’ai compté ici jusqu’à trente-deux prêtres », dit Pierre Rangeard. La Gaubretière, quoique particulièrement en proie à la fureur des patriotes, leur offrait un asile sûr : elle était connue pour sa fidélité, et il ne s’y trouvait pas un seul homme capable de trahison. « Moi craindre ! » disait d’Elbée blessé, « au milieu de la Gaubretière ! On n’oserait venir m’y chercher 12 ».

Malgré tant de précautions, ces courageux chrétiens n’échappaient pas toujours aux incessantes poursuites de l’ennemi, et la messe qu’ils venaient d’entendre était souvent, pour eux, la messe des morts. Le 15 janvier 1794, peu après minuit, à quelque distance de la ferme de la Petite Renaudière, M. You, curé de la Gaubretière, qui avait célébré la messe dans la ferme, revenait rejoindre sa cachette, avec onze vieillards infirmes, parmi lesquels le père de Pierre Rangeard, quand ils tombèrent au milieu d’un détachement républicain « Criez : Vive la République ! » leur disent les Bleus. « Vive Dieu ! » répondent les vieillards qui sont tous horriblement massacrés.

Voir Dieu triompher un jour et le Roi remonter sur le trône, tel était l’espoir de ces humbles. Les pauvres blessés manquaient de tout ; on les nourrissait comme on pouvait ; jamais ils ne se plaignaient. « Quand M. Desjardins, disent nos Chroniques, leur administrait les derniers secours de la religion, la ferveur de leurs prières aurait arraché des larmes aux cœurs les plus durs ; ils priaient pour l’Église et pour la conservation du Roi. « Pourvu qu’il règne un jour sur nos enfants, disaient-ils, que nos prêtres reparaissent comme autrefois, c’est la seule récompense que nous demandions à Dieu pour nos sacrifices. »

Sur le champ de bataille des Essarts, une bretonne, vendéenne d’adoption, Marie Lourdais, ramassait les blessés. Deux d’entre eux, deux soldats de la Gaubretiére, Bossard et Gaboriau, expirent dans ses bras : « Pour Dieu et pour le Roi ! » lui disent-ils simplement. – « Mon général, criait un autre, Pacaud, à M. de Sapinaud, sur le champ de bataille de Belleville, je meurs pour le Roi et je meurs content. » Et M. de Sapinaud lui-même disait à Marie Lourdais, qui l’avait trouvé un jour assis et contemplant, les larmes dans les yeux, les débris de son château : « Tiens, ma pauvre Bretonne, tu vois bien tout cela ? Il ne me reste plus rien ; mais si notre Roi était sur son trône, tous mes malheurs seraient oubliés ; je serais le plus heureux des hommes 13. »

Certes, la paroisse de la Gaubretière a été héroïque entre toutes. Mais des milliers d’autres paroisses vendéennes, ont, elles aussi, tout sacrifié pour la défense de leur foi. Depuis les martyrs de la primitive Église, rien de si grand, rien de si beau ne s’était vu dans le monde. Que M. l’abbé Bossard, si bien préparé par ses précédents travaux et par ses longues recherches, nous donne donc, dans tous ses détails, l’Histoire de la « Grande Guerre ! » Le sujet est immense sans doute ; les difficultés sont grandes. Si nombreuses et si grandes soient-elles, elles ne sont pas pour arrêter l’auteur de Cathelineau généralissime et du Nouveau chapitre des Actes des Martyrs. N’a-t-il pas pour lui la vaillance et le talent, la passion du travail, et, par-dessus tout, l’amour des saintes et nobles causes pour lesquelles ont combattu les Vendéens ?

 

16 octobre 1898.

 

 

Edmond BIRÉ, Le clergé de France

pendant la Révolution (1789-1799),  1901.

 

 

 

 

 

 



1 Questions Vendéennes. Un nouveau chapitre des Actes des Martyrs, par l’abbé Eugène BOSSARD, docteur ès-lettres. – Angers, imprimerie Lachèse et Cie, 4, Chaussée Saint-Pierre, 1898.

2 Un canton du Bocage vendéen ; Souvenirs de la Grande Guerre. Un vol. in-4o, Melle, Ed. Lacuve, éditeur.

3 La Gaubretière, canton de Mortagne-sur-Sèvre (Vendée). Cholet comprenait alors trois paroisses d’inégale importance, Saint-Pierre, Notre-Dame, et Saint-Melaine qui n’existe plus aujourd’hui.

4 Les Chroniques de la Gaubretière ont été publiées, l’an dernier, par M. l’abbé Hippolyte BOUTIN, dans les Archives du diocèse de Luçon. Il serait bien à désirer que le savant éditeur de ces Chroniques les réunît en volume.

5 Chroniques de la Gaubretière, p. 291.

6 Chroniques de la Gaubretière, p. 278.

7 Ibidem, p. 281.

8 Précis de Gibert, p. 45. Mémoires et documents concernant la guerre de la Vendée, publiés avec des notes et des éclaircissements, par H. BAGUENIER-DESORMEAUX. – Angers, 1896.

9 Chroniques de la Gaubretière, p. 280.

10 Chroniques, p. 292.

11 Chroniques, p. 280.

12 Chroniques, p. 282.

13 Chroniques, p. 310-311.

 

 

 

 

 

 

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