LE
CHEMIN
POUR ALLER
À CHRIST,
Compris en neuf petits Traités
réduits ici en huit.
1. Livre I et II. De la vraie Repentance.
2. De la sainte Prière.
3. De la véritable Équanimité, dit l’Abandon.
4. De la Régénération.
5. Dialogue de la Vie supersensuelle.
6. De la Contemplation divine.
7. Entretien d’une Âme illuminée avec une autre qui n’est pas illuminée.
8. Des quatre Complexions.
Par
JACOB BÖHME,
Du vieux-Seidenbourg,
nommé communément
Le
Théo-Philosophe Teutonique.
Traduit de l’Allemand.
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BERLIN.
Imprimé par GOTTHARD SCHLECHTIGER,
Imprimeur du Roy et de la Soc. des Sciences. 1722.
Épître dédicatoire.
Cher Lecteur Français.
ON te communique ici par un effet tout particulier de la bonté de Dieu un don qu’il a fait il y a précisément un siècle à la nation Allemande. Et comme cette même bonté nous a fait trouver un asile en ce pays dans notre fuite de nécessité hors de notre patrie, que nous avons quittée pour la confession de notre foi ; il fait luire avec cela sur nous par une grâce signalée une plus grande mesure de lumière de la foi que ni nos pères ni même aucun siècle depuis les Apôtres n’aient vu ni reçu.
Si tu as l’Esprit de la foi, tu connaîtras avec admiration comme l’esprit de l’Auteur dans ce livre te conduit comme par la main sur le fondement où la foi s’allume dans ton cœur, et t’introduit dans la nouvelle naissance en Jésus, c’est là, comme dans la matrice céleste, où les mystères divins les plus profonds sont mis en évidence, et s’engendrent avec le nouvel homme dans ton esprit, pour véritablement bien connaître Dieu en Christ, sa Sagesse éternelle, et pour l’adorer en esprit et en vérité ; comme aussi pour te renouveler de plus en plus dans l’Esprit de Jésus d’une clarté, grâce et force à l’autre, jusques à ce que tu aies atteint en esprit la mesure de l’âge du Christ, qui est la perfection de l’âme, par la bénédiction de Dieu.
Tu trouves dans cet Auteur, qui vraiment n’était qu’un homme simple et indocte selon le monde, comme il a développé d’une manière très-solide et profonde dans la lumière divine les articles les plus difficiles de la foi, sur lesquels nos ancêtres se sont malheureusement divisés par les suggestions de la raison humaine, et les a réunis en Christ. Et ce furent les disputes et les querelles des savants qui furent la cause par laquelle Dieu suscita cet homme, et poussa cette âme pieuse à demander ardemment à Dieu son Saint Esprit, afin qu’il lui plût de lui montrer le chemin de la vérité. Sur quoi Dieu lui donna aussi cet Esprit saint dans une mesure non petite, par lequel toutes les profondeurs dans l’esprit et dans la nature lui furent découvertes ; et avec cela il lui fut aussi donné, comme à St. Paul, de pouvoir sonder les profondeurs de la Divinité (I. Cor. 2 : 10), avec quoi il eût le don de l’esprit de pouvoir comprendre l’écriture dans son véritable sens. Or cette lumière ne pouvait pas demeurer cachée, mais elle luisait à plusieurs ; et bien que l’Auteur gardât ces choses par devers soi, néanmoins Dieu le manifesta en telle sorte que plusieurs hommes que Dieu avait gratifiés de ses dons d’esprit l’ont recherché, et excité encore davantage le don de Dieu, parce qu’ils le reconnurent en lui, l’aimèrent et en eurent une haute estime, comme surpassant infiniment tout leur propre et sublime savoir, tellement qu’il était à chacun une merveille divine, comme il est encore, de quoi toute la raison humaine doit être étonnée, et donner gloire à Dieu.
Mais comme il advient ordinairement que Satan l’ennemi des hommes, lorsque la lumière divine vient à paraître, s’aperçoit que son règne est menacé de ruine, il tâche de le prévenir : il suscita donc quelques prédicateurs d’entre les compatriotes mêmes de l’Auteur, qui fâchés en leur ambition, voyant qu’un simple laïc les surpassait dans la connaissance de Dieu et de l’essence divine, les anima contre lui, qui devinrent de telle manière ses ennemis envenimés et le persécutèrent à outrance ; mais il souffrit en toute patience leur malice jusques à sa mort, et ainsi il surmonta ses adversaires par l’esprit de la charité, qui fut plus puissant en lui que toutes les forces de l’enfer et de la fureur de Satan hors de lui.
Et par là il est arrivé que ce que sa patrie et les Luthériens rejetèrent alors, d’autres nations le reçurent, comme l’Auteur l’avait prédit ; lequel grand bonheur parvint donc à nos Réformés par la volonté de Dieu, savoir à ceux qui étaient de vrais Réformés selon Christ, et qui connaissaient l’Esprit de Dieu. Ceux-ci reçurent ce don avec beaucoup de reconnaissance, et Dieu excita aussi en eux un saint zèle qui fit que dès qu’ils eurent découvert seulement quelque partie des écrits de l’Auteur, ils n’épargnèrent aucune peine, ni aucun soin, ni aucune dépense, jusques à ce qu’ils se fussent mis en possession de tous les manuscrits, autant qu’il fut possible de recouvrer, non sans un secours particulier et palpable de la main de Dieu : d’où ensuite il est arrivé que les Luthériens ont reçu derechef ce don de la main des Réformés, comme une donation ; toutefois ce ne fut au commencement que parcelles (pendant que ces derniers avaient l’entière jouissance, et qui les mirent au jour en superfluité tant en Hollandais qu’en Anglais, imprimés très-somptueusement) jusques à ce que Dieu, ayant vu que les autres les avaient reçus en gré, les a fait aussi parvenir à eux entièrement par sa bonté, et par là il a réuni dans les lecteurs qui cherchent Dieu les deux Religions, et des deux n’en a fait qu’une en Christ.
Or comme nous les Français par une mutuelle communication de la charité divine recevons aussi ce don à notre tour comme de la main des Luthériens et des Réformés ensemble, et toutefois par la susdite sage dispensation du Très-Haut, seulement en partie, jusques à ce que notre faim soit augmentée en nous, il ne manquera pas de nous en donner davantage, si nous en usons en sa crainte. Qu’il lui plaise de nous accorder cette grâce que nous puissions avant tout fixer notre esprit volage, qui est né avec nous, par l’esprit dans ce livre, afin que, sortant de notre naturel extérieur, nous puissions parvenir dans le fond intérieur de l’âme.
Dieu le donne ! Amen. C’est le souhait dans l’esprit de l’Auteur d’une main aussi non-lettrée.
À DIEU !
Préface de l’Auteur au Lecteur pieux.
St. Paul dit : Tout ce que vous faites,
faites-le au Nom de notre Seigneur
Jésus Christ, et rendez grâces
à Dieu le Père par JÉSUS
CHRIST.
LECTEUR pieux. Si tu veux te servir de ce petit livre comme il faut, et que ton dessein soit sincère, tu en expérimenteras son utilité ; mais je dois t’exhorter que si ton dessein n’est pas sincère, tu n’as qu’à te passer d’user des précieux Noms de Dieu (parce que la sainteté la plus sublime y est émue et désirée puissamment), de peur qu’ils ne t’allument la colère de Dieu dans ton âme : car on ne doit prendre le saint Nom de Dieu en vain. Ce petit livre ne convient qu’à ceux qui voudraient volontiers faire pénitence, et qui sont des commençants quant aux désirs : ceux-là expérimenteront à tous égard, quelles sont ces paroles, et d’où elles procèdent. Sur quoi je te recommande à la bonté et à la miséricorde de DIEU.
LIVRE PREMIER.
DE LA VRAIE REPENTANCE.
COMME l’homme se doit réveiller intérieurement dans sa volonté et dans son entendement, et quelles doivent être ses méditations et ses résolutions, s’il désire de faire une sérieuse pénitence, et avec quel cœur il se doit présenter devant Dieu, pour lui demander et obtenir le pardon de ses péchés.
1. Lorsque l’homme veut entrer dans la repentance, et se tourner à Dieu par ses prières, il faut qu’il considère avant toute prière quelle est la disposition de son cœur, comme il est tout à fait détourné de Dieu et lui est devenu perfide : comme il n’a d’affection et d’imagination que pour les choses temporelles, caduques et périssables, et point d’amour sincère pour Dieu et pour son prochain : et comme ses voies et ses désirs sont directement contre les commandements de Dieu, en sorte qu’il ne cherche que soi-même, et n’établit son plaisir que dans les vaines convoitises de la chair.
2. En second lieu, il doit considérer comme toutes ces choses sont une inimitié contre Dieu, que Satan lui a excitée par sa ruse en nos premiers parents : abomination qui nous assujettit à mourir de mort, et à sentir la corruption de nos corps.
3. En troisième lieu, il doit considérer les trois cruelles chaînes dont nos âmes sont liées pendant tout le temps de cette vie terrestre. La première, c’est la colère terrible de Dieu, l’abîme et le monde ténébreux, qui est le centre et la vie créaturelle de l’âme. La deuxième chaîne, c’est le désir du diable envers les âmes, qui tend continuellement à les cribler, à les tenter et à les précipiter sans cesse de la vérité divine dans la vanité, comme dans l’orgueil, dans l’avarice, dans l’envie et dans la colère, soufflant et inflammant continuellement par ses désirs ces mauvaises qualités dans l’âme, par où sa volonté se détourne de Dieu, et entre dans l’ipsaïté (propriété). La troisième chaîne, qui est la plus nuisible de toutes celles dont l’âme est liée, c’est la chair et le sang corrompu et entièrement vain, terrestre, mortel et rempli de mauvaises convoitises et inclinations. Ici l’homme doit considérer comme il est plongé en corps et en âme dans le bourbier du péché, lié et garrotté sous la colère de Dieu dans la gueule de l’abîme infernal : comme la colère de Dieu est allumée dans son âme et dans son corps, et comme il est-ce puant porcher qui a dissipé et consumé avec les pourceaux d’engrais de Satan dans les voluptés passagères l’héritage de son Père, savoir son amour et sa miséricorde ; n’ayant point observé l’alliance précieuse de la réconciliation de la mort et des innocentes souffrances de Christ, que Dieu de sa pure grâce a plantée en notre humanité, et en qui il nous a réconciliés ; comme il a aussi tout à fait oublié l’alliance de son baptême (dans laquelle il avait promis à son Sauveur de croire en lui et de lui être fidèle), ayant réellement souillé et obscurci par le péché la justice (que Dieu lui avait donnée de grâce en Christ), que maintenant il faut qu’il soit exposé aux yeux de Dieu avec cet aimable habit de l’innocence de Christ, qu’il a souillé, comme un sale berger de pourceaux, couvert de boue et de lambeaux déchirés, mangeant continuellement avec les pourceaux du diable les gousses de la vanité, n’étant pas digne d’être appelé l’enfant de Dieu et un membre de Jésus Christ.
4. En quatrième lieu, il doit considérer sérieusement que la mort furieuse l’attend à toute heure et à tout moment, qu’elle le veut saisir, vêtu de cet habit de porcher dans son péché et dans ses abominations, et le précipiter dans l’abîme de l’enfer, comme un parjure et un infidèle qui doit être gardé dans la chambre obscure de la mort, pour le jugement de Dieu.
5. En cinquième lieu, il doit considérer ce jugement terrible et rigoureux, devant lequel il faudra qu’il comparaisse vivant avec toutes ses abominations, et où tous ceux qu’il aura offensés ici bas de paroles ou d’actions, à qui il aura donné occasion pour faire du mal, et instigué en les poussant avec soi au péché, viendront en sa présence le maudire, et cela devant les yeux du Christ, et en la présence de tous les anges et de tous les saints. Quelle sera alors sa honte et sa confusion ! quelles frayeurs ! quel éternel désespoir ! quels regrets éternels ! d’avoir ainsi négligé pour des plaisirs de courte durée une béatitude si grande et éternelle et de n’avoir pas mieux pris garde à soi, afin de pouvoir aussi être dans la communion des Saints dans la lumière éternelle, et jouir de la vertu divine.
6. En sixième lieu, il doit considérer comme le méchant perd l’image divine en soi, que Dieu avait créé à son image et ressemblance ; et comme au lieu de cette image il a reçu un masque difforme, ressemblant à un ver infernal ou à une bête horrible et monstrueuse dans laquelle il est un ennemi de Dieu, contre le ciel, contre tous les saints anges et de tous les hommes ; comme sa compagnie sera éternellement avec les diables et les insectes infernaux en des ténèbres horribles.
7. En septième lieu, il doit considérer attentivement les supplices et les peines éternelles des damnés, comme ils seront tourmentés par des frayeurs éternelles dans les abominations qu’ils auront commises ici bas, sans que jamais ils puissent voir le séjour des saints, ni recevoir le moindre soulagement, comme il se voit dans l’exemple du mauvais riche. C’est ce que l’homme doit considérer très-sérieusement, et se souvenir comme Dieu l’avait créé dans une image et ressemblance si belle et glorieuse, à savoir dans sa propre image et ressemblance, où il veut par lui-même habiter ; comme il l’avait créé pour sa gloire et pour le faire jouir d’une joie et d’une félicité éternelle, en sorte qu’il aurait pu habiter avec les saints anges et avec les enfants de Dieu dans une lumière éternelle avec une grande joie, puissance et gloire, parmi les chants et retentissements de concerts des anges et de leur divine exultation, et qu’ainsi il se serait réjoui éternellement avec les enfants de Dieu, sans craindre d’en voir jamais la fin, où nulle pensée mauvaise aurait pu l’atteindre, où l’on ne connaît ni peine ni souci, ni chaleur ni froidure, où il n’y a plus de nuit, ni de jour, ni de temps, mais une joie éternelle : où l’âme et le corps trembleront de la joie, et se réjouiront des infinies merveilles et puissances, de la beauté des couleurs, de l’éclat et des charmes de la génération infinie de la Sagesse divine, dans la nouvelle terre cristalline, qui sera comme une glace transparente : Il doit, dis-je, considérer comme il perd et néglige tous ces biens pour un plaisir si chétif, et de si courte durée, qui néanmoins dans cette vie de vanité de la chair voluptueuse est encore accompagné de misères, de craintes, d’inquiétudes et de tourments continuels, en sorte que les mêmes accidents arrivent aux méchants qu’aux bons, qui sont également sujets à la mort, avec cette différence que la mort des saints est une entrée dans le repos éternel, et celle des méchants une entrée dans des peines éternelles.
8. En huitième lieu, il doit considérer que le cours de ce monde, comme tout ce qui se passe, n’est qu’une comédie où l’on ne passe son temps qu’en trouble et inquiétude, où les riches et les grands ont le même sort que les pauvres : où nous vivons et flottons tous également dans les quatre éléments ; en sorte que les maigres morceaux du pauvre lui paraissent aussi savoureux qu’aux riches leurs délices accompagnées de tant de sollicitudes : où nous respirons tous un même air, où le riche n’a d’autre prérogative que quelque délicatesse de la bouche et concupiscence des yeux ; du reste tout est égal entre eux. Et cependant pour cette malheureuse convoitise des yeux on néglige et on se prive d’une si grande béatitude, et l’on se précipite dans un malheur si terrible.
9. Dans telle méditation l’homme sentira dans son cœur et dans son esprit, surtout s’il se représente sans cesse sa fin dernière, un ardent désir après la miséricorde de Dieu, et commencera à déplorer ses péchés passés, d’avoir si mal passé sa vie, sans avoir pris garde ni considéré qu’il était dans ce monde comme dans un champ, pour y prendre de l’accroissement, et y produire des fruits, ou par l’amour, ou par la colère de Dieu. Alors il commencera à se réfléchir comme il n’a encore point travaillé dans la vigne de Christ, et qu’il est encore un sarment sec en ce cep de Christ : d’où il arrive que quelques-uns, en qui l’esprit de Christ déploie son efficace par de telles méditations, entrent dans des angoisses et dans des amertumes extrêmes avec des lamentations intrinsèques par la vue des jours de leur malice, qu’ils ont ainsi passés dans la vanité, sans avoir aucunement travaillé dans la vigne du Seigneur.
10. Or quant à ceux que l’esprit de Christ amène à une telle repentance et contrition, et dont les cœurs s’ouvrent, pour reconnaître et déplorer leurs péchés, il est très-aisé de leur donner conseil. Ils n’ont que de se revêtir avec les promesses de Christ, à savoir, que Dieu ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse, et qu’il vive. Qu’il les invite tous d’aller à lui, pour être soulagés, et qu’il y a une grande joie au ciel pour un pécheur qui se repent. Que ceux-là donc s’attachent seulement à la parole de Christ, et qu’ils s’enveloppent dans ses souffrances et dans sa mort.
11. Mais j’ai dessein de parler à ceux qui sentent vraiment en eux un désir pour la repentance ; mais qui ne peuvent point parvenir à la connaissance et au sentiment de leurs péchés, la chair leur suggérant sans cesse : attends encore un peu, demain c’est assez tôt ; et lorsque ce demain est venu, la chair dit derechef demain, en sorte que la pauvre âme soupire, et se trouve dans une extrême faiblesse, ne recevant ni aucune véritable repentance pour ses péchés, ni aucune consolation. C’est, dis-je, à ceux-là que j’ai dessein de proposer un procédé, que j’ai moi-même expérimenté, et de leur montrer ce qu’il y a à faire, et ce qu’il en résultera. Celui qui le voudra suivre en éprouvera l’effet.
Procédé de la Repentance.
12. Lorsque l’homme ressent en soi une telle faim que je viens de représenter, excitée par les considérations ci-devant déduites, qu’il souhaite sincèrement de se repentir de ses péchés, sans pouvoir néanmoins trouver une véritable contrition dans son cœur, quoi qu’il en ait un grand désir (comme en effet une pauvre âme captive est alors chancelante, craintive et réduite à se condamner devant le trône de Dieu), celui-là ne saurait mieux faire que de ramasser ses sens et son esprit avec toute la raison ensemble, et son esprit avec toute sa raison ensemble, et dès le premier moment qu’il commence d’entrer dans cette réflexion, et qu’il sent quelque désir de faire pénitence, qu’il prenne une forte résolution d’entrer dans cette repentance, et de sortir de ses méchantes voies, sans se soucier de toute la grandeur et gloire du monde, fallût-il, s’il était nécessaire, abandonner toutes choses, et n’en faire aucun cas.
13. Qu’ensuite il se propose fortement dans son esprit de ne jamais retourner en arrière, dût-il passer pour fou devant tout le monde, mais de sortir en esprit de toute la beauté et de tous les plaisirs du monde, pour entrer dans la communion des souffrances du Christ et de sa mort, en sa croix et sous sa croix avec patience, établissant toute son espérance sur la vie à venir, et étant bien résolu d’entrer en vérité et sincérité dans la vigne de Christ, et de faire la volonté de Dieu, et de commencer et finir toutes ses actions en cette vie dans l’esprit et la volonté du Seigneur, disposé à souffrir volontiers toutes sortes de croix et de misères pour l’amour de Christ, de sa parole et de ses promesses, par lesquelles il nous destine le ciel en récompense, et pour être mis au nombre des enfants de Dieu, et incorporé à l’humanité de Christ dans le sang de l’agneau de Dieu.
14. Il se doit imprimer fermement dans l’esprit, et envelopper entièrement son âme dans cette pensée, que dans cette résolution il obtiendra l’amour de Dieu en Jésus Christ, et que Dieu lui donnera selon ses précieuses promesses l’arrhe excellente, le saint Esprit, pour son commencement : en sorte qu’il naîtra derechef selon l’essence céleste et divine en l’humanité de Christ, et que l’esprit de notre Sauveur renouvellera son cœur en son amour et en la vertu, et fortifiera sa foi faible, et qu’aussi sa faim spirituelle sera apaisée par la manducation de la chair et du sang de Christ dans les désirs de son âme, qui en a toujours faim et soif, et que dans cette soif il sera abreuvé dans la douce fontaine de Jésus Christ, où est l’eau de vie, selon sa promesse véritable et très-certaine.
15. Il doit aussi se persuader pleinement du grand amour de Dieu, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie, et de la tendre invitation que Jésus Christ fait aux pauvres pécheurs, d’aller à lui pour être soulagés, que c’est pour cette fin que Dieu a envoyé son fils au monde, à savoir pour chercher et sauver ce qui était péri, tel qu’est le pécheur repentant qui retourne à lui, et comme il a donné sa vie pour lui, ayant souffert la mort dans notre humanité, qu’il a prise à lui.
16. Qui plus est, il doit se persuader fortement que Dieu a plus d’inclination à l’exalter en Christ et à le recevoir en grâce qu’il n’en a lui-même de retourner à Dieu, et que Dieu dans l’amour de Christ et en son nom très-précieux ne puisse vouloir du mauvais, qu’en ce nom il n’a aucune œillade de colère, mais qu’il est l’amour et la fidélité la plus sublime et la plus profonde, et la douceur la plus grande de la Divinité dans ce grand nom de Jéhovah, qu’il a manifesté dans notre humanité périe quant à la partie céleste, tombée et effacée dans le Paradis par le péché ; c’est pourquoi il a été ému selon son cœur, pour nous influer son doux amour, afin que par ce moyen la colère du Père enflammée en nous fût éteinte et convertie en amour. Toutes lesquelles choses sont ainsi arrivées en faveur des pauvres pécheurs, afin qu’ils eussent une porte ouverte pour rentrer en grâce.
17. Dans cette méditation, il doit s’assurer fortement qu’à cette même heure et dans ce moment il est devant la face de la très-sainte Trinité et que Dieu est véritablement présent en lui et devant lui, selon l’Écriture sainte, qui dit : Ne remplis-je pas toutes choses ? La parole est près de toi en ta bouche et en ton cœur. Nous viendrons chez vous et y ferons votre demeure. Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. Le règne de Dieu est au dedans de vous.
18. Ainsi il doit savoir et croire certainement qu’il est avec son âme devant la face de Jésus Christ, en la présence de la sainte Divinité, et qu’au lieu que son âme s’était détournée par derrière de devant la face de Dieu, il veut maintenant à cette même heure tourner les yeux de son âme et tous ses désirs envers Dieu, et avec le pauvre enfant prodigue et perdu retourner à son Père. Et alors il doit, ayant les yeux de son âme et de son esprit abattus, commencer avec une crainte et une humilité profonde confesser à Dieu ses péchés et indignités à la manière qui suit :
Une brève forme de Confession devant Dieu.
Chacun se peut former cette Confession et l’augmenter selon son état et selon que le saint Esprit la lui suggérera. J’ai seulement dessein d’en donner une brève adresse.
19. Ô grand Dieu, saint et incompréhensible, Seigneur de tout ce qui existe, et qui t’es manifesté en Jésus Christ, avec ta sainte existence dans notre humanité, par un grand amour envers nous ! moi pauvre et misérable pécheur, indigne de me présenter devant toi, je viens me présenter devant ta face manifestée en l’humanité de Jésus Christ, bien que je ne sois pas digne de lever mes yeux vers toi avec requête et supplication, et pour te confesser que j’ai violé et que j’ai été perfide à la grâce et au grand amour que tu nous as accordés ; j’ai délaissé l’alliance que tu avais contractée avec moi de pure grâce par le saint baptême dans lequel tu m’avais reçu au nombre de tes enfants héritiers de la vie éternelle, m’étant abandonné aux convoitises et aux vanités de ce monde, par où j’ai souillé mon âme, et elle est devenue toute brutale et terrestre, en sorte qu’étant ainsi vautrée dans le bourbier du péché, elle ne se reconnaît plus elle-même et elle se répute pour un enfant tout à fait étranger devant ta face, qui n’est pas digne seulement de te demander grâce. Mon âme est plongée dans le bourbier du péché et de la vanité de ma chair corrompue jusqu’au palais de la bouche de mon âme, et je n’ai plus qu’une faible étincelle de respiration de vie en moi, qui soupire après ta grâce. Je suis tellement mort dans la vanité que je n’ose pas même élever mes yeux jusqu’à toi.
Ô Dieu en Jésus Christ, qui t’es fait homme pour l’amour des pauvres pécheurs afin de les secourir ! je t’adresse ma plainte. Il y a encore dans mon âme une petite étincelle de désir à toi. Je n’ai fait aucun cas de ton héritage, de cet héritage que tu as acquis par ta mort aux pauvres hommes pécheurs, et j’ai participé à l’héritage de la vanité en la colère de ton père, dans la terre maudite. Je me suis jeté dans l’esclavage du péché et je suis à demi-mort à ton règne. Je suis abattu, destitué de ta force, la mort cruelle me talonne et le diable m’a tellement infecté de son venin que je ne connais plus mon Sauveur. Je suis devenu une branche sauvage de ton arbre et j’ai prodigué ma portion de ton héritage avec les pourceaux de Satan. Que te puis-je dire, moi qui ne suis pas digne de ta grâce et qui suis gisant dans le sommeil de la mort qui m’a saisi et qui me trouve lié de trois fortes chaînes ?
Ô toi qui perromps et enfonces la mort ! viens donc à mon secours, je ne puis rien, je me suis mort, et je n’ai aucune force pour aller à toi et je n’ose pas même, tans je suis confus, d’élever mes yeux à toi : car je suis ce porcher sale et vilain qui a consumé mon héritage avec la fausse amoureuse paillarde de la vanité des plaisirs infâmes de la chair. Je me suis cherché moi-même dans mes propres convoitises et non pas toi. Et maintenant mon ipsaïté (ma propriété) m’a tourné en folie ; je me trouve nu et dépouillé, et ma honte et ma nudité paraissent à mes yeux, je ne les puis plus cacher : ton jugement me menace. Qu’ai-je à dire devant toi, qui es le juge de tout le monde ? Je n’ai plus rien à avancer, me voici en ta présence entièrement nu, et je me jette à terre devant ta face ; je déplore devant toi ma misère et j’ai recours à ta grande miséricorde. Et bien que j’en sois indigne, reçois-moi néanmoins en ta mort et fais seulement qu’en elle je meure à ma mort. Terrasse-moi dans mon égoïté (propriété) que j’ai usurpée et fais-la mourir par ta mort, afin que je ne vive plus à moi-même, puisque de moi-même je ne fais autre chose que pécher. C’est pourquoi renverse cette méchante bête par terre, qui n’est remplie que des finesses trompeuses et de ses propres désirs ; et daigne délivrer cette pauvre âme de ses durs liens.
Ô Dieu de miséricorde ! C’est par un effet de ta charité et de ta longanimité que je n’ai pas déjà été précipité dans l’abîme de l’enfer. Je me remets entièrement avec ma volonté, mes sens et mon âme à ta grâce, et j’ai recours à ta miséricorde. Je t’invoque par ta mort, de cette faible étincelle de vie qui me reste, qui est environnée par la mort et par l’enfer, qui ouvrent leur gueule contre moi pour m’engloutir totalement dans la mort ; toi qui as promis que tu n’éteindras point le lumignon fumant. Je n’ai maintenant aucune voie pour aller à toi que tes souffrances et ta mort, puisque tu as changé notre mort en vie par ton incarnation et que tu as brisé les chaînes de la mort, je plonge tous les désirs de mon âme dans ta mort, dans la porte rompue de ta mort.
Ô Source inépuisable de l’amour de Dieu ! fais que je meure à mon péché et à ma vanité en la mort de mon Sauveur Jésus Christ.
Ô Toi qui es la spiration de l’amour infini de Dieu ! refais ma respiration affaiblie, en sorte qu’elle commence d’avoir faim et soif de toi. Ô JÉSUS, Toi dont la vertu est si douce ! abreuve mon âme de ta source gracieuse de l’eau saillante en vie éternelle, afin qu’elle se réveille du sommeil de la mort et qu’elle ait encore plus soif de toi. Ah ! quelle est sa langueur étant destituée de ta force ! Ô Dieu miséricordieux, daigne me convertir, car quant à moi, je ne puis rien ! Ô Toi vainqueur de la mort, aide-moi à combattre ! Vois comme l’ennemi me tient étroitement lié de ses trois chaînes, pour empêcher que les désirs de mon âme ne s’élèvent à toi. Viens donc toi-même et prends en toi tous les désirs de mon âme. Sois mon attrait au Père et me délivre des liens du diable ! N’aie point d’égard à ma difformité et à ce que je comparais tout nu devant toi, ayant perdu ton vêtement que tu m’avais donné. Revêts seulement mon haleine, qui vit en moi, et qui soupire après ta grâce, que je puisse encore voir ton salut.
Ô Abîme d’amour ! prends en toi tous les désirs de mon âme : arrache-les aux liens de la mort par la tienne, dans ta résurrection en toi. Restaure-moi par ta vertu, afin que mes désirs et ma volonté reverdissent ! Ah ! vainqueur de la mort et de la colère de Dieu ! montre-toi vainqueur dans mon égoïté (ma propriété), romps ma propre volonté et froisse mon âme, afin qu’elle te craigne et qu’elle se jette sans cesse à tes pieds avec une sérieuse confusion de sa propre volonté, devant ton jugement, en sorte qu’elle te soit soumise et obéissante comme un instrument en ta main. Plie-la dans les liens de la mort, assujettis-la à ta puissance, en sorte qu’elle ne puisse rien vouloir sans toi.
Ô Dieu Esprit Saint en Jésus Christ mon Sauveur ! enseigne-moi ce que je dois faire pour me tourner à toi. Tourne ma volonté en moi à toi : tire-moi en Christ pour aller au Père, et donne-moi la force pour sortir du péché et de la vanité dès à présent, en telle sorte que je n’y rentre jamais. Toi, excite en moi une véritable contrition de mes péchés passés. Retiens-moi dans tes liens et ne me laisse pas de toi, de peur que Satan ne me surprenne dans ma chair et mon sang corrompus, et ne m’entraîne derechef dans la mort de la mort. Éclaire mon esprit, afin que je puisse découvrir le vrai chemin qui conduit à Dieu et que j’y marche sans relâche. Ah ! ôte-moi tout ce qui me détourne continuellement de toi et donne-moi tout ce qui me peut faire tourner continuellement de ton côté ! Délivre-moi de moi-même, et fais que je me donne tout entier à toi. Ne permets pas que j’entreprenne, que je veuille, que je pense et que je fasse rien sans toi. Ah ! jusqu’à quand, Seigneur ! toutefois je ne suis pas digne de te rien demander. Fais que tous les désirs de mon âme habitent sans cesse dans tes parvis et à tes portes, rends-la le dernier de tes valets, délivre-la seulement de la fosse cruelle où il n’y a ni consolation ni récréation.
Ô Dieu en Jésus Christ ! je me suis aveuglé moi-même, et la vanité me rend méconnaissable à moi-même. Tu m’es caché dans mon aveuglement, quoique tu sois si près de moi ; mais ta fureur m’a rendu ténébreux, et ce sont mes désirs qui l’ont allumée. Attire donc à toi l’haleine des désirs de mon âme, sonde-la, Seigneur, et froisse-la en telle sorte que mon âme puisse obtenir un rayon de ta grâce suave.
Je couche comme un mort devant toi. Ma vie nage sur le palais de ma bouche, comme une petite étincelle. Ô Seigneur, allume-la et dirige vers toi l’haleine de mon âme ! Seigneur, je m’attends à tes promesses que tu nous as faites quand tu as dit : Je suis vivant, je ne prends point plaisir à la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Je me plonge dans la mort de mon Rédempteur Jésus Christ, et je m’attends à toi. Ta parole est la vérité et la vie. Amen !
20. C’est de cette manière, ou d’une semblable, selon que chacun se trouvera disposé en sa conscience, et qu’il sera convaincu des péchés où il sera tombé, qu’on doit confesser ses péchés, bien que là où il y a un sérieux dessein de se convertir, il ne soit pas nécessaire d’aucun formulaire ; car l’Esprit de Dieu, qui est prompt à se déployer dans la volonté de l’esprit, saura bien lui-même lui suggérer ce qu’il doit dire et penser dans sa conscience. Car c’est lui qui opère la repentance dans une âme dont les désirs sont sincères, et qui intercède auprès de Dieu pour elle par la mort de Christ.
21. Mais je ne veux pas cacher au lecteur bien aimé qui a un dessein vraiment chrétien ce qui se passe communément dans une telle sorte de résolution, toutefois avec quelque différence dans les uns et dans les autres, selon que la résolution est plus ou moins ferme et sincère. Car l’Esprit de Dieu est très-libre et il a accoutumé de tenir divers procédés, selon qu’il connaît le cœur de chacun. Toutefois celui qui a été à la guerre peut parler des combats, à savoir s’il en va de telle manière, pour avis.
22. Lorsqu’un cœur se présente ainsi devant Dieu, avec une résolution inébranlable de faire pénitence, il lui arrive comme à la Cananéenne, et Dieu fait semblant de ne le vouloir pas écouter. Il demeure sans consolation : ses péchés et son indignité sont continuellement devant ses yeux, comme s’il était indigne, son esprit est comme muet, son âme gémit dans la profondeur, le cœur n’a aucun sentiment ; il ne peut pas même répandre sa confession devant Dieu, comme si son cœur et son âme étaient enserrés ; l’âme le voudrait bien, mais la chair la tient captive, le diable la couvre fortement, et lui moule dans son imagination les voies de la vanité. Il la chatouille par les voluptés de la chair, et il suggère à son esprit : attends encore un peu ; fais premièrement ceci ou cela ; amasse premièrement de l’argent, afin que tu n’aies pas besoin du monde ; alors entre dans une bonne vie, et fais pénitence, c’est assez tôt.
23. Ô combien de cent périssent dans ce commencement, lorsqu’ils retournent derechef dans la vanité, en sorte qu’il leur arrive comme à une greffe nouvellement entée, qui est dérompue par le vent ou qui sèche par l’ardeur du soleil.
24. Écoute, chère âme, veux-tu devenir un vainqueur de la mort et de l’enfer en ton Sauveur Jésus Christ ? Veux-tu que ta tendre greffe croisse et devienne un arbre dans le royaume de Christ ? Il faut que tu persévères dans ta première résolution avec sincérité, il te coûte ton premier patrimoine, ton âme même et ton corps ; il faut que tu deviennes un ange en Dieu, ou un diable dans l’enfer. Si tu veux être couronnée, il faut combattre, il faut vaincre en Christ, et non pas être soumise à Satan. Il faut que ta résolution demeure ferme, et tu ne dois jamais lui préférer les honneurs et les biens temporels.
25. Lorsque l’esprit charnel te dit : attends encore, il n’est pas à cette heure agréable ; l’âme doit dire : c’est maintenant mon temps et mon heure pour retourner dans ma patrie, d’où mon père Adam m’a fait sortir. Nulle créature ne me doit retenir ; et dût ce corps terrestre être mis en pièces et défaillir, je veux dès à présent entrer dans le jardin des roses de mon Rédempteur Jésus Christ, par sa passion et par sa mort en lui, avec ma volonté et tous les désirs de mon âme ; et je veux t’étouffer en la mort de Christ, toi mon corps terrestre, qui as englouti ma perle, que Dieu avait donné à mon père Adam dans le paradis, je veux rompre ta volonté engagée dans les désirs de la vanité, et te lier comme un mauvais chien à la chaîne de ma sérieuse résolution, dusses-tu passer pour fou aux yeux de tout le monde, ainsi il faut que tu sois soumis à la résolution sérieuse de mon âme. Nul ne te délivrera de cette chaîne que la mort temporelle. Veuille le Seigneur m’en donner la force. Amen !
Brève Instruction
Comme une pauvre âme doit derechef se présenter devant Dieu, et comme elle doit combattre pour obtenir la guirlande de trophée ; quelles armes elle doit employer si elle veut entrer au combat contre la colère de Dieu, contre le diable même, le monde et le péché, la chair et le sang, les astres et les éléments et contre tous ses ennemis.
26. Chère âme, il faut pour ceci un sérieux dessein ; il ne s’agit pas simplement de prononcer ces paroles. Une résolution sincère de la volonté est-ce qui pousse l’affaire : autrement on n’obtiendra quoi que ce soit. Car si l’âme veut obtenir la guirlande de la victoire de Christ des mains de la noble Sophie (Sagesse), il faut qu’elle la recherche avec d’ardents désirs d’amour ; il faut qu’elle lui demande par son très-saint Nom qu’elle se présente devant elle avec une grande et chaste humilité, et nullement comme un toureau brûlant ou une vénus lascive : tous ceux qui sont tels, pendant qu’ils sont dans cet état, ne doivent rien demander de pareil ; ils n’obtiendront rien : et si dans ce temps-là ils semblent avoir obtenu quelque chose, ce n’est néanmoins que la lueur.
27. Mais un esprit chaste peut fort bien obtenir que son âme soit revivifiée à l’image glorieuse qui avait été effacée en Adam ; à savoir dans la corporalité céleste selon le fond intérieur ; en sorte qu’elle sera couronnée ; toutefois si cela arrive, sa couronne lui sera derechef ôtée et mise en réserve ; de même qu’après qu’on a couronné un Roi on conserve sa couronne dans le trésor. Il en arrive de même à l’âme, parce qu’elle est environnée d’une maison de péché, afin que, si elle venait à tomber, sa couronne ne fût pas souillée. En voilà assez pour les enfants qui savent ces choses et qui les ont expérimentés. Nul impie n’est digne d’en savoir davantage.
Procédé.
28. Pour ceci il faut un esprit sobre qui se présente de cette manière devant Dieu avec une résolution sincère, et une profonde humilité, avec une sérieuse contrition pour ses péchés, et une résolution intime de ne plus rentrer dans les sentiers de la vanité, tout le monde dût-il le tenir pour fou, dût-il y perdre les biens et honneurs, et même la vie temporelle, si est-ce qu’il y veut persister.
29. C’est là le vœu qu’il doit faire à la noble Sophie (Sagesse) dans la résolution de son esprit, s’il veut obtenir son amour et contracter le mariage avec elle. Car voici ce que dit Jésus Christ lui-même : Quiconque ne renonce à sa femme, à ses enfants, à ses sœurs, à son argent, à ses biens et à tout ce qu’il a, et même à sa vie corporelle, pour me suivre, n’est pas digne de moi. Christ entend cela de l’esprit de l’âme, de sorte que s’il tentait que quelqu’une de ces choses l’arrêtât dans sa résolution, quelque précieuse et exquise qu’elle fût ou qu’il parût dans le monde, il n’en devrait néanmoins faire aucun cas, et il devrait plutôt s’en priver que de se détourner de l’amour de la noble vierge Sophie, dans la plante de cette aimable fleur de Christ en son humanité très-tendre, au dedans en nous selon la corporalité céleste. C’est là le rôle de Saron, le lis des vallées, dont Salomon se divertit. C’est comme il nomme le divin Époux sa vierge chaste qu’il aima aussi bien que tous les saints avant et après lui l’ont jamais aimée ; celui qui l’a obtenue l’a nommée sa perle.
Voici une adresse succincte de quelle manière on la doit demander ; mais c’est au Saint Esprit à faire l’œuvre dans chaque cœur qui la cherche, celui-là peut lui-même former sa prière.
Prière.
30. Moi, pauvre et chétif mortel, je viens derechef à toi, grand Dieu saint et juste ! Je lève maintenant mes yeux vers toi, tout indigne que j’en suis ; mais ta grande miséricorde et tes promesses, que tu me fais dans ta parole, me donnent cette hardiesse, tellement que j’élève maintenant les yeux des désirs de mon âme jusqu’à toi : car mon âme a maintenant imprimé en soi la parole de ta promesse ; et c’est avec cette parole qu’elle vient maintenant à toi, quoiqu’elle soit encore un enfant étranger devant toi, qui jusqu’ici t’a été désobéissant, mais qui maintenant désire de te rendre obéissance. Maintenant aussi mon âme se tourne par ses désirs et s’enveloppe dans le Verbe, qui a été fait chair et sang, et qui a brisé le péché et la mort dans mon humanité, tellement qu’il a changé la colère de Dieu en amour dans l’âme, qu’il a ôté à la mort sa puissance, et remporté la victoire sur l’enfer, dans l’âme et dans le corps, et qui enfin a ouvert une porte à ma pauvre âme pour se présenter à la clarté de ta face pleine d’efficace. C’est dans ce Verbe très-saint, ô Dieu très-saint, que j’ai introduit la faim et les désirs de mon âme, que je viens maintenant devant toi, et que je crie en ma faim à toi par ton Verbe, qui a été fait chair et sang, à toi qui es la source de la vie : parce que ton Verbe a été fait vie dans notre chair, je me l’imprime dans les désirs de mon âme, comme ma propre vie, et je pénètre par les désirs de mon âme à travers ce Verbe, dans la chair de Christ jusqu’à toi, par sa très-sainte conception dans le sein de la vierge Marie ; par toute son incarnation, par sa naissance très-sainte, par son baptême vers le Jourdain, par sa tentation au désert, où il a vaincu le diable et le monde dans l’humanité ; par toutes ses œuvres miraculeuses qu’il a faites sur la terre ; par le mépris et les opprobres qu’il a soufferts ; par ses innocences souffrances et par sa mort ; par l’effusion de son sang, où la colère de Dieu a été submergée dans l’âme et dans la chair ; par son repos dans le sépulcre, où il a réveillé notre père Adam de son sommeil lorsqu’il était endormi au royaume des cieux ; par son amour, qui a pénétré à travers la colère et qui a détruit l’enfer dans l’âme ; par sa résurrection et par son ascension au ciel et effusion de son Saint Esprit à ceux qui te le demanderont en son nom et par le Verbe, qui a été fait homme.
Ô Vie de ma chair et de mon âme, en Christ mon cher frère ! je prie et je soupire à toi dans la faim de mon âme, et je te prie de toutes mes forces, quoiqu’elles soient encore bien faibles, donne-moi ce que tu m’as fait présent et promis en mon Sauveur Jésus Christ, à savoir sa chair pour viande, et son sang pour breuvage, pour le soulagement de ma pauvre âme affamée, afin qu’elle puisse acquérir des forces dans ton Verbe, qui a été fait homme, et se réjouir en toi, et devenir encore par ce moyen plus avide et plus affamée de toi.
Ô abîme d’amour dans le nom très-délicieux de Jésus ! donne-toi, je te prie, aux désirs de mon âme. C’est pour cela que tu t’es ému dans l’humanité, et que tu t’y es manifesté selon ta grande douceur et tu nous appelles à toi, nous qui avons faim et soif de toi, tu nous as promis de nous soulager : c’est pourquoi j’ouvre ma bouche de l’âme béante envers toi, ô vérité très-suave ! et bien que je sois indigne de demander ces choses de ta Sainteté, si est-ce que je viens à toi par tes souffrances amères et par ta mort, où tu as fait aspersion de ton sang sur mes impuretés, et tu m’as sanctifié dans ton humanité, m’ayant ouvert une porte par ta mort, pour parvenir à ton amour doux dans ton sang par les cinq plaies saintes, par lesquelles il a coulé : c’est par là que j’introduis les désirs de mon âme dans ton amour. Ô Seigneur Jésus Christ Fils de Dieu et Fils de l’homme, prends, je te prie, possession de l’héritage que tu t’es acquis, et que ton père t’a donné. Je crie en pénétrant en toi au dedans de moi par ton sang précieux et par ta mort, ouvre-toi en moi, afin que l’esprit de mon âme t’atteigne en soi : embrasse ma soif en moi par ta soif, introduis ta soif, que tu ressentis selon ton humanité sur la sainte croix, dans la mienne ; abreuve-moi de ton sang dans ma soif, afin que ma mort en moi, qui me tient captif, soit engloutie dans ton sang de l’amour, et que l’image divine, qui fut effacée dans mon père Adam en mourant au royaume des cieux par le péché, soit revivifiée dans la vertu de ton sang ; revêts derechef d’icelle mon âme, comme d’un corps nouveau, qui habite dans le ciel, où ta vertu sainte en ton Verbe, qui a été fait homme, habite aussi, qui est le temple de ton Saint Esprit, qui habite en nous, comme tu nous l’as promis : Nous viendrons à vous, et ferons demeure chez vous.
Ô Amour immense de Jésus Christ ! je ne puis autre chose que d’abîmer mes désirs en toi. Ton Verbe incarné est la vérité ; et puisque tu m’appelles, je viens maintenant ; qu’il me soit fait selon ta parole et ta volonté, Amen !
Avertissement au Lecteur.
31. Je ne veux pas te cacher à bonne intention, mon cher Lecteur, ce qui m’a été montré d’une manière très-sérieuse ; que si tu te trouves encore à ton aise dans la vanité de la chair, et que tu n’aies pas formé une résolution sérieuse d’entrer dans la voie de la régénération, à dessein de devenir un homme nouveau ; tu dois te passer des paroles ci-dessus écrites dans cette prière, ou bien elles ne serviront qu’à t’attirer en toi le jugement de Dieu. Tu ne dois pas prendre ces noms saints en vain : sois fidèlement exhorté, car ils ne conviennent qu’aux âmes altérées ; celles qui seront sincères éprouveront ce que c’est.
Adresse,
De quelle manière l’âme doit recevoir son bien-aimé, lorsqu’il heurte dans le centre de la chambre de l’âme qui est fermée.
32. Chère âme, il s’agit ici d’un zèle ardent sans relâche. Tu pourras bien obtenir la faveur d’un baiser de la noble Sophie au saint nom de Jésus : car elle se tient déjà à la porte de l’âme ; elle frappe, et elle avertit le pécheur de se détourner du chemin des impies. Si donc le pécheur vient une fois à désirer son amour, elle s’y accorde volontiers, et elle le baise par les rayons de son amour doux, ce qui réjouit son cœur, mais ne l’admet pas si tôt dans son lit conjugal, c’est à dire, elle ne retrace pas si tôt dans l’âme l’image céleste qui a été effacée dans le Paradis. Il y aurait du danger : car si Adam et Lucifer sont tombés, cela pourrait bien encore arriver, puisque l’homme est encore lié si fortement à la vanité.
33. Il faut que ta promesse soit affermie par un lien fidèle, si tu veux qu’elle te couronne, il faut auparavant que tu sois éprouvée, elle retire derechef de toi les rayons de son amour, pour voir si tu lui seras fidèle ; elle te laissera sans te donner aucune réponse, non pas même par une œillade de son amour : car il faut que tu sois jugée avant que d’être couronnée, et que tu goûtes la bière aigre que tu t’es versée dans tes abominations ; il faut que tu viennes auparavant jusqu’aux portes de l’enfer, et que tu montres ta victoire contre le diable pour l’amour d’elle, et dans son amour avec efficace.
34. Christ fut tenté au désert ; si tu veux en être revêtue, il faut que tu passes par tout son procédé, depuis sa conception jusqu’à son ascension ; et bien que tu ne puisses ni n’oses entreprendre de faire ce qu’il a fait, si est-ce qu’il faut que tu passes entièrement par son procédé, et que tu meures continuellement par ce moyen à ta vanité : car la vierge de la Sapience ne se fiance point avec l’âme, qu’à ces conditions et dans cette qualité, qui reverdit dans l’âme par la mort de Christ, comme une nouvelle plante céleste ; le corps terrestre ne la comprend point en cette vie : car il faut auparavant qu’il meure à sa vanité ; mais l’image céleste qui fut effacée en Adam et qui est la vraie semence de la femme dans laquelle Dieu s’est fait homme, et où il a introduit la semence céleste et vivante de son essentialité, est celle qui reçoit la perle précieuse de la même manière, comme cela arriva à Marie dans le but de cette alliance.
35. C’est pourquoi prends soigneusement garde à ce que tu sais, tiens fidèlement ce que tu auras promis : elle te couronnera plus volontiers que tu ne le saurais désirer ; mais prends bien garde, lorsque le tentateur viendra à toi avec les plaisirs, la beauté et la gloire du monde, tu dois les rejeter dans ton esprit, et lui dire : je suis un serviteur dans la vigne de Christ, et je n’en suis pas le maître, en tout ce que j’ai, je ne suis qu’un serviteur de Dieu, et j’en dois user de la manière que sa parole me l’ordonne ; mon cœur doit être auprès des simples, dans la poussière et dans une continuelle humilité.
36. De quelque condition que tu sois, il faut que l’humilité soit à la tête du combat ; autrement tu n’obtiendras point le mariage avec la Sapience, quoi que ce soit par ce mariage que la vraie humilité soit engendrée ; mais la libre volonté de l’âme doit être athlète : car lorsque le diable ne peut pas se rendre maître de l’âme par la vanité, tellement qu’elle ne veut pas se laisser amorcer, il vient lui mettre au devant son indignité avec le catalogue de ses péchés, c’est alors que le combat s’échauffe.
37. Ici il faut que le mérite de Christ soit mis à la tête du combat ; la créature ne saurait vaincre le diable par aucun autre moyen : car cela se passe à l’égard de quelques uns d’une manière si terrible que la raison juge quelquefois qu’un tel homme a perdu le sens, et qu’il est possédé du démon, tant le diable se défend dans plusieurs, surtout dans ceux où il avait édifié un grand repaire de voleurs, lorsqu’il se voit contraint de sortir. Il s’agit alors de combattre : car le ciel et l’enfer sont aux prises.
38. Que si l’âme en cette occasion demeure confiante, et qu’elle remporte la victoire de tous les assauts de Satan, ne faisant aucun cas de toutes les choses temporelles, pour l’amour de la noble Sophie (Sapience) elle ne manquera pas de la couronner d’une guirlande athlétique, comme d’un trophée. C’est ici où la Vierge se manifeste par le très-précieux nom de Jésus avec Christ, le destructeur du serpent, comme étant l’oint de Dieu, et s’approche à l’âme ; ici elle baise l’âme dans son essence d’un amour très-doux, tout à fait intrinsèquement, et elle lui imprime son amour dans ses désirs pour marque de la victoire. Alors Adam ressuscite quant à sa patrie céleste en Christ ; ce que je ne saurais décrire, parce qu’il ne se trouve point de plume dans ce monde pour l’exprimer : car c’est la noce de l’Agneau, où la perle précieuse est semée avec grand triomphe, quoi qu’au commencement elle soit petite comme un grain de semence de moutarde, selon que Jésus en parle.
39. Mais après que cette noce est passée, c’est à l’âme à prendre garde à ce qu’elle a promis à la Vierge, afin que l’arbrisseau de la perle prenne de l’accroissement : car alors le diable viendra avec les méchants exciter un grand orage qui mettra en avant le mépris, les opprobres, les outrages, et feront passer pour folie tout son état. C’est là où il faut que l’homme se mette sous la croix de Christ dans tout son procédé ; c’est alors qu’il faut montrer par les effets que nous portons à juste titre le nom de Chrétien ; alors il faudra se résoudre à passer pour fou et un homme impie dans l’esprit des mondains, et même de ses meilleurs amis qui auparavant le caressaient au milieu de ses convoitises charnelles ; mais alors ils deviennent ses ennemis, et le haïssent sans savoir pourquoi. C’est ainsi que Christ cache son épouse sous la croix, afin qu’elle demeure inconnue dans le monde ; et c’est aussi le but que le diable se propose, que les enfants de Dieu soient inconnus au monde, de peur qu’il ne vienne à croître plusieurs pareilles plantes dans son prétendu jardin. J’ai voulu donner cette instruction aux âmes Chrétiennes, afin que si pareilles choses leur arrivaient, qu’elles sussent de quelle manière elles doivent se conduire.
Prière très-sérieuse
Dans les tentations, contre la colère de Dieu dans la conscience ; comme aussi contre la chair et le sang, lorsque le tentateur s’approche de l’âme, et lui livre ses assauts.
40. Ô Abîme très-profond de l’amour de Dieu en Jésus Christ ! ne m’abandonne point dans cette nécessité présente, il est vrai que je suis coupable des péchés qui se soulèvent maintenant dans ma conscience ; et si tu m’abandonnes, il faut que je sois submergé ; mais tu m’as promis dans ta parole que quand une mère oublierait son enfant, ce qui ne peut arriver qu’avec grande douleur, toi, tu ne m’oublierais pas, tu m’as gravé dans tes mains, dans tes mains cruellement percées de clous, tu m’as gravé dans ton côté percé, d’où il coula du sang et de l’eau. Je suis un pauvre misérable, saisi par ta colère, destitué de toutes forces : je ne puis faire autre chose que m’enfoncer dans tes plaies et dans ta mort.
Ô infinie miséricorde de Dieu ! délie-moi des liens de Satan, tout mon recours est à tes plaies saintes et à ta mort. Dans cette angoisse de ma conscience je me plonge en toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Je veux maintenant vivre ou mourir en toi, tout comme il te plaira, seulement que je meure et que je défaille en ta mort, pourvu que tu m’ensevelisses en ta mort, afin que les angoisses infernales ne m’atteignent pas. Qu’ai-je besoin de m’accuser devant toi ? C’est toi qui sondes les cœurs et les reins, et qui mets mes péchés devant mes yeux. Il est vrai que j’en suis coupable, je me livre à ton jugement ; exerce sur moi ton jugement par la mort de mon Sauveur Jésus Christ.
Je crie à toi, ô juste Juge ! par les angoisses de mon Sauveur Jésus Christ, qui a sué pour moi des grumeaux de sang sur la montagne des oliviers, et qui a été fouetté devant Pilate, et couronné d’épines ignominieusement pour moi, tellement que son sang en ruisselait.
Ô Dieu juste ! c’est vraiment en ma place que tu l’as posé ; car il était innocent, et j’étais le coupable, pour qui il a souffert, pourquoi donc succomberais-je sous ta fureur ? Éteins ta colère en moi par son angoisse, ses souffrances et sa mort ; je m’abandonne entièrement dans son angoisse, dans ses souffrances et sa mort, dans son angoisse et ses souffrances je m’arrêterai ou te tiendrai ; fais-moi ce qu’il te plaira, ne permets pas seulement que je m’éloigne de son angoisse : car tu me l’as donnée de grâce ; tu y as apaisé ta fureur en lui. Et bien que jusqu’ici je ne l’aie pas embrassée, et que je m’en sois éloigné par mon infidélité, si est-ce que tu m’as donné ce précieux gage dans ma chair et dans mon âme, en tant qu’il a pris l’une et l’autre à sa céleste, et qu’il a apaisé la colère par son sang céleste dans ma chair et dans mon âme. Reçois-moi donc dans sa réconciliation, et mets son angoisse et ses douleurs en ta colère, qui est enflammée en moi ; brise ton jugement en moi par le sang de son amour.
Ô Amour indicible dans le sang et dans la mort de Christ ! détruis le repaire des voleurs que Satan avait érigé en moi, et où il me résiste dans la voie de ta grâce ; chasse-le de moi, afin qu’il ne puisse pas me cribler ; car nul vivant ne peut subsister devant toi, si tu retires ta main de moi.
Viens donc, toi qui brises et perromps la colère de Dieu ! brise-lui sa force ; aide mon âme à le combattre et à le vaincre ! introduis-moi dans ta victoire et me garde en toi ; brise son siège dans ma vanité allumée dans ma chair et dans mon âme : fais mourir mes convoitises dans ma vanité, dans la chair et dans le sang, lesquelles Satan a maintenant allumées par son angoisse infernale et par le désespoir ; éteins ce feu avec ton eau de vie éternelle, et fais passer mon angoisse à travers ta mort. Je m’abîme entièrement en toi, et quand dans ce moment mon corps et mon âme viendraient à défaillir et périr par ta fureur, si est-ce que je ne t’abandonnerai point, et bien que mon cœur soit rempli de négations, néanmoins il faut que le désir de mon âme s’attache fortement à ta vérité, ni le diable ni la mort ne me la raviront point : car le sang de Jésus Christ le Fils de Dieu nous purifie de tous nos péchés. C’est ce que j’embrasse maintenant, quoique la colère de Dieu fasse ce qui lui plaira de mes péchés, et quelque bruit que Satan puisse exciter dans son repaire des voleurs contre mon âme : ni le diable ni la mort ni l’enfer ne m’arracheront pas de tes plaies. Il faut une fois, puant Satan, que tu sois confus de moi, et que tu abandonnes ta bicoque : car je la veux enfoncer dans l’amour de Christ, et alors tu y demeureras, si tu pourras. Amen !
Instruction pour se conduire dans les tentations.
41. Mon cher Lecteur, ceci n’est point un jeu ; celui qui ne l’a point expérimenté, et qui ne le regarde que comme un jeu, n’est point encore jugé, et quand il le dilayerait jusqu’à la fin, ce qui serait très-dangereux, si est-ce qu’il faut néanmoins passer par ce jugement tôt ou tard. Ô que celui-là est heureux ! qui y passe de bonne heure, dans ses jeunes ans, avant que Satan ait fortifié sa bicoque ; un tel peut dans la suite devenir un ouvrier dans la vigne de Christ, et jeter sa semence dans le jardin du Seigneur, et il en recueillera les fruits en son temps. Ce jugement s’étend sur quelqu’un à plusieurs années, lorsqu’on n’endosse pas le harnois de Christ avec un zèle ardent, si premièrement le jugement de la tentation le doit exhorter à la repentance. Mais celui qui y entre avec une résolution sérieuse de sortir de la voie des méchants n’y trouvera pas tant de difficultés, et n’y demeurera aussi pas longtemps. Toutefois il faut qu’il soutienne le combat athlétique contre le diable ; mais il y recevra un puissant secours, et tout lui réussira en bien, tellement que, lorsque l’aurore se montrera dans l’âme, il est excité à pousser des louanges immortelles à Dieu de ce que l’exacteur est vaincu.
Une courte forme de Prière,
Lorsque la noble Sophie (Sapience) baise l’âme avec son amour, et qu’elle le lui présente.
42. Ô Amour de Dieu très-aimable et très-profond en Jésus Christ ! donne-moi ta perle ; imprime-la dans mon âme, prends, je te prie, mon âme entre tes bras.
Ô Amour très-suave ! je suis bien impur devant toi : brise mon impureté par ta mort : fais passer la faim et la soif de mon âme à travers de ta mort dans ta résurrection et dans ton triomphe. Terrasse mon égoïté (propriété) en ta mort, rends-la captive, et fais passer ma faim dans la tienne.
Ô Amour très-sublime ! puisque tu t’es manifesté en moi, demeure en moi et embrasse-moi en toi : tiens-moi attaché en toi, que je ne m’éloigne plus de toi, rassasie ma faim de ton amour ; nourris mon âme de ton essence céleste, et l’abreuve de ton sang : abreuve-la de ta source vive.
Ô Amour immense ! retrace mon image effacée en Adam mon premier père, dans lequel le royaume des cieux a été effacé. Réveille-la par le Verbe, qui l’a éveillée dans la semence de la femme en Marie : remue-la, je te prie.
Ô Vie et efficace de la Divinité ! qui nous as fait cette promesse : Nous viendrons chez vous et nous y ferons notre demeure.
Ô doux Amour ! j’introduis mes désirs dans la parole de cette promesse. Tu as promis que ton Père donnerait ton Saint Esprit à ceux qui le lui demanderont. Ainsi j’introduis la faim de mon âme en tes promesses, et je reçois ta parole dans ma faim. Augmente en moi cette faim de toi ; fortifie-moi, ô doux amour ! dans ta vertu : rends-moi vivant en toi, afin que mon esprit goûte ta douceur : crois toi-même en moi par ta vertu, car sans toi je ne puis rien.
Ô doux Amour ! je te supplie par cet amour, par lequel tu as vaincu la colère de Dieu, et l’as convertie en amour et en une joie divine, convertis aussi la colère dans mon âme par ce grand amour en obéissance, et que mon âme en icelle t’aime éternellement. Convertis ma volonté en la tienne ; introduis ton obéissance dans ma désobéissance, afin que je te devienne obéissant.
Ô Amour infini de Jésus Christ ! je crie à toi ; introduis, je te prie, ma faim dans tes plaies, par lesquelles ta as versé ton sang précieux, pour éteindre la colère dans l’amour. J’introduis ma faim dans ton côté percé, d’où il est coulé du sang et de l’eau, et je m’y abîme tout entier. Donne-toi donc à moi, et me soulage en tes souffrances. Ne me lâche pas de toi.
Ô mon cep exquis ! communique ton suc à ton sarment, afin que je reverdisse, et que je croisse par ta vertu de la sève dans ton essence. Engendre en moi la véritable vertu par la tienne.
Ô doux Amour ! Tu es pourtant ma lumière : éclaire donc ma pauvre âme dans sa prison dure, dans la chair et dans le sang. Conduis-la toujours dans le droit chemin. Brise, je te prie, la volonté de Satan, et introduis mon corps à travers le désert de ce monde par la chambre de la mort, dans ta mort et dans ton repos, afin qu’au dernier jour il ressuscite de ta mort en toi, et qu’il vive en toi éternellement. Enseigne moi, je te prie, ce que je dois faire en toi. Sois toi-même ma volonté, ma science et toute mon opération, et ne permets pas que j’aille nulle part sans toi. Je me remets entièrement à toi. Amen !
Autre Prière,
Pour demander l’opération, la protection et la conduire divine. De quelle manière l’esprit doit opérer dans l’arbre de vie de Christ avec Dieu et en Dieu.
J’élève les désirs de mon âme jusqu’à toi, Source de vie, par la vie de mon Sauveur Jésus Christ en toi.
Ô vie et puissance divine ! réveille-toi dans la faim de mon âme par les désirs de l'amour, par la soif dont Jésus brûlait sur la croix envers nous ; parachève ma faible vertu dans ton Esprit par ta puissante main. Sois, je te prie, en moi le vouloir et le parfaire dans la vertu. Fleuris en moi, afin que je puisse produire des louanges qui sont les véritables fruits de ton royaume. Ne permets pas que mon cœur ni mes désirs s’éloignent jamais de toi.
Mais parce que dans cette vallée de misère, dans cette chair et ce sang terrestre je flotte dans la vanité, et que mon âme et l’image précieuse selon ta ressemblance est environnée d’ennemis de toutes parts, tels que sont les désirs de Satan envers moi, les faux désirs de la vanité dans la chair et dans le sang, l’opposition des impies, qui ne connaissent point ton Nom, et que je flotte, quant à ma vie extérieure, dans les astres et dans les éléments, où mes ennemis se tiennent en embûches de tous côtés contre moi, intérieurement et extérieurement ; aussi la mort corporelle, qui est le briseur de cette vie passagère ; j’ai mon recours à toi, ô sainte vertu divine ! puisque tu t’es manifestée par ton amour en grâce dans notre humanité par le saint Nom de JÉSUS, et que tu nous l’as donné en nous pour être notre compagnon de voyage : envoye, je te prie, ses anges qui le servent à la garde de nos âmes, qui campent à l’entour de nous, et qui nous préservent des dards enflammés des désirs du malin, qu’il darde continuellement au dedans de nous, par la malédiction de la colère de Dieu, excitée dans notre chair terrestre. Arrête par ta vertu les influences malignes des astres, où le malin se glisse par ses désirs, pour empoisonner nos corps et nos âmes et les entraîner dans des mauvaises convoitises, et les jeter même dans des maladies et des misères. Détourne ces rayons de la colère par le très-saint Nom de JÉSUS, tellement qu’ils ne puissent point atteindre. Envoye-nous ton bon ange, qui chasse ces influences empoisonnées loin de nous.
Ô grand Amour et vertu délicieuse de JHÉSUS ! Toi Source de la douceur divine, hors du grand et éternel Nom JÉHOVAH, je t’invoque du profond désir de mon âme : mon âme crie dans cet Esprit, duquel elle a été soufflée dans le corps, qui même l’a formée à la semblance de Dieu ; et elle aspire dans sa soif à la douce source de la fontaine JHÉSUS, procédant de JÉHOVAH, en soi pour se rafraîchir, dans la respiration ignée dans son feu divin, lequel elle est elle-même ; afin qu’il naisse dans son souffle de feu, par la source d’eau de JHÉSUS en JÉHOVAH, le doux amour de JÉSUS : et que le saint CHRIST se manifeste et s’incarne (devenant homme) dans mon image céleste effacée dans sa corporalité spirituelle, et que la pauvre âme reçoive de nouveau dans ses bras sa chère Épouse, avec laquelle elle puisse se réjouir éternellement.
Ô IMMANUEL ! Union de la Divinité et de l’humanité ! je me jette entre les bras de tes désirs en nous et envers nous. Je te désire toi-même : éteins, je te prie, la colère de ton Père par ton amour en moi ; et fortifie en moi ma faible image, afin qu’elle puisse vaincre et dompter la vanité dans la chair et dans le sang, et que je te puisse servir en sainteté en justice.
Ô Nom sublime et très-saint ! Vertu divine ! JÉHOVAH ! qui as fait une alliance avec notre père Adam, et au but de laquelle, dans la semence de la femme en la Vierge Marie, dans notre humanité céleste, qui avait été effacée, tu t’es ému par la vertu de Jésus la plus douce, et qui as introduit dans notre humanité déchue ton essentialité vivante, d’une vertu très-sainte, dans la Sapience divine, et qui enfin nous l’as donnée, pour être notre vie, notre victoire et notre nouvelle naissance ! Je te prie de toutes mes forces, qu’il te plaise de me régénérer en ta douce vertu de Jésus, dans une vie nouvelle et sainte, afin que je sois en toi, et toi en moi, et que ton royaume se manifeste en moi, et que la volonté et la conversation de mon âme soit dans le ciel.
Ô Dieu grand et incompréhensible, qui remplis toutes choses ! sois toi-même mon ciel, dans lequel ma nouvelle créature en Jésus Christ puisse habiter. Fais que mon esprit soit l’instrument de musique de ton Saint Esprit, son retentissement et sa joie, joue dans ton image régénérée en moi. Fais servir mon harmonie à ta réjouissance divine, dans le grand amour de Dieu, dans les merveilles de ta gloire, dans la communion de l’harmonie et de la sainte harmonie angélique ; édifie en moi la cité sainte de Sion, dans laquelle nous vivons tous, comme les enfants de Christ, dans une même ville, qui est Christ en nous. Je me plonge entièrement en toi, fais en moi tout ce qu’il te plaira. Amen !
Prière
Dans et contre les tentations, lorsqu’on est sous la croix de Christ, lorsque tous nos ennemis se ruent sur nous : que nous sommes persécutés, haïs et réputés pour des malfaiteurs, à cause de l’Esprit de Christ, et en cette qualité méprisés et calomniés.
Moi pauvre misérable, rempli d’angoisse et de calamités, je marche dans la voie de mon pèlerinage, pour retourner dans ma patrie, d’où je suis sorti ; et je retourne à toi, ô Dieu mon Père, à travers les chardons et les épines de ce monde ! Partout je suis déchiré des épines, je suis tourmenté et méprisé par mes ennemis. Ils insultent à mon âme et s’en moquent, comme si elle était un malfaiteur qui leur est devenu infidèle. Ils méprisent la voie que je tiens pour aller à toi, et la réputent pour folle ; ils me prennent pour un insensé, me voyant marcher par cette voie épineuse, et non dans leurs voies hypocrites.
Ô Seigneur Jésus Christ ! je me réfugie auprès de toi sous ta croix. Ô mon cher IMMANUEL ! reçois-moi, et introduis-moi à toi par le chemin de ton pèlerinage, par lequel tu as marché en ce monde, par ton incarnation, par ta misère, par le mépris et par l’opprobre où tu as passé ; par ton angoisse, tes souffrances et ta mort. Rends-moi conforme à ton image ! Envoie-moi ton bon ange, qui me montre le chemin à travers ce désert affreux et épineux de ce monde ! Assiste-moi dans ma détresse ! Console-moi de la consolation dont l’ange te consola dans le jardin, lorsque tu priais le Père, et que tu suais des grumeaux de sang ! Soutiens-moi dans mon angoisse, et dans la persécution que j’ai à souffrir, sous la moquerie du diable et des gens faux, qui ne te connaissent point, et qui ne connaissent point tes voies, et n’y veulent point marcher. Ô amour de Dieu immense ! ils ne connaissent point tes voies, et ils font cela dans leur aveuglement, par la tromperie du diable. Aie pitié d’eux, et transporte-les des ténèbres à la lumière, afin qu’ils apprennent à se connaître, comme ils sont tenus captifs dans le bourbier et la boue du diable, dans une vallée ténébreuse, liés de trois chaînes pesantes. Ô grand Dieu ! veuille avoir pitié d’Adam et de ses enfants ; délivre-les par Christ, le nouvel Adam.
Je crie à toi, ô Christ Dieu et Homme ! dans ce pèlerinage où il faut que je marche dans la vallée obscure, méprisé, angoissé de toutes parts et réputé pour un faux et méchant homme. Seigneur, c’est là ton jugement que tu exerces sur moi, afin que mes péchés et ma vanité née avec moi soient jugés devant toi, durant mon pèlerinage, et qu’ils paraissent comme spectacle de malédiction pour la récréation de la colère ; et par là ôte de dessus moi l’ignominie éternelle : ce sont les marques de ton amour, par là tu m’amènes et m’introduis dans l’opprobre, dans l’angoisse, dans les souffrances et dans la mort de mon Rédempteur Jésus Christ, afin que par là je meure ainsi à la vanité en mon Sauveur, et que ma vie reverdisse en son Esprit, par son opprobre et par sa mort.
Je te supplie, ô mon Jésus Agneau de Dieu patient ! par toute ton angoisse et opprobre, par tes souffrances et par ta mort : par le mépris que tu as essuyé sur le trône de la croix en ma place ; accorde-moi la grâce de la patience dans mon chemin de croix, et veuille aussi m’y amener jusqu’à toi, comme un agneau patient, pour avoir part à ta victoire. Fais que je vive en toi et avec toi. Convertis, je te prie, aussi mes persécuteurs, qui maintenant par leurs moqueries sacrifient sans savoir ma vanité et mon péché originel devant ta colère. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils le pensent en mal, mais ils me font du bien. Ils font devant toi ce que je devrais faire. Je devrais tous les jours devant toi découvrir et confesser ma honte, et par là me plonger dans la mort de ton cher Fils, afin qu’elle y fût éteinte ; mais parce que je suis trop lâche et paresseux, tu te sers d’eux pour cela dans ta colère, afin qu’ils découvrent ma honte à tes yeux, laquelle ta colère saisit, et la plonge dans la mort de mon Sauveur.
Ô Dieu de miséricorde ! ma chair si vaine ne peut pas connaître combien tu me fais de grâce, en ce que tu permets que mes ennemis m’ôtent mon opprobre et te l’offrent : mon esprit tout terrestre s’imagine que tu m’exposes à ces tourments à cause de mes péchés, tellement que j’en suis angoissé de toutes parts ; mais ton Esprit dans mon homme nouveau intérieur me dit que cela m’arrive par un effet de ton amour et de ta bonté, qui fait que tu permets à mes ennemis de me persécuter, que cela contribue à mon bien, ils font ce que je devrais faire : ils développent mes péchés devant toi dans ta colère, afin qu’ils soient engloutis, et qu’ils ne me suivent en ma patrie, parce qu’ils sont encore robustes et engraissés en ta colère ; ils peuvent mieux le faire que moi-même, d’autant que je suis déjà faible et lâche dans la volonté de la vanité, tu le sais, Ô Dieu juste !
C’est pourquoi je te prie, Ô Dieu juste ! puisque tu t’en sers comme de mes serviteurs, et qu’ils me font du bien, quoique ma raison terrestre ne le connaisse pas, qu’il te plaise de leur faire aussi connaître la voie où je marche, et leur envoie aussi de tels serviteurs, après que tu les auras auparavant amenés à la lumière, afin qu’ils te connaissent et qu’ils t’en remercient.
Ô Dieu de miséricorde en Jésus Christ ! je te prie dans ma connaissance de la profondeur de ton amour envers nous pauvres pécheurs, que tu as manifesté en moi selon l’homme caché, appelle aussi nous tous en toi à toi ; daigne t’émouvoir encore une fois dans cette dernière calamité en nous, où ta colère est allumée en nous : résiste à ta colère en nous, afin qu’elle ne nous engloutisse pas avec le corps et l’âme.
Ô Toi Aube du jour de Dieu ! lève-toi entièrement jusqu’au plein jour ; manifeste ta sainte cité Sion, ta sainte Jérusalem en nous.
Ô grand Dieu ! je te vois dans la profondeur de ta puissance et de ta vertu ; ressuscite-moi, je te prie, entièrement en toi, afin que je revive en toi. Brise l’arbre de ta colère en nous, et fais-y reverdir ton amour.
Ô Seigneur ! me voici couché à terre devant ta face, te suppliant que tu ne nous punisses pas en ta colère : nous sommes tes rachetés. Pardonne-nous tous nos péchés, et nous délivre de l’inimitié de ta fureur, et de l’opprobre du diable et de son envie. Ramène-nous sous ta croix en patience dans notre paradis. Amen !
Suit une courte Prière ou un Dialogue
Entre la pauvre âme et la noble Vierge Sophie, dans le fond intérieur de l’homme, comme avec l’Esprit de Christ dans la régénération, procédant de son humanité dans nous et dans notre âme : combien est grande la joie du ciel pour la nouvelle naissance de l’homme : combien la noble Sophie se montre gracieuse envers l’âme, qui est son époux, lorsqu’elle entre dans une sincère repentance. Et comme l’âme se doit conduire envers elle, lorsque la Vierge Sophie se manifeste à elle.
La porte du jardin des roses du Paradis, qui n’est connue qu’aux Enfants de Christ, qui ont expérimenté ces choses.
45. Lorsque Christ, la pierre fondamentale, s’émeut dans l’image qui avait été effacée dans l’homme, dans le temps qu’il vient à se convertir cordialement ; la Vierge Sophie vient à paraître aux yeux de l’âme avec l’émotion de l’Esprit de Christ dans l’image effacée, parée de ses ornements virginaux : l’âme est étonnée de sa présence, à cause de son impureté, tellement que tous ses péchés s’éveillent au dedans d’elle, avec une frayeur et tremblement : car c’est là où le jugement se déploie contre le péché de l’âme, de sorte que quelquefois elle recule en arrière dans la vue de son indignité, étant confuse de paraître devant cette ravissante Épouse. Alors elle rentre en elle-même et s’anéantit, se réputant du tout indigne de recevoir un tel joyau, qui n’est connu à qui que ce soit, qu’aux nôtres en Christ, qui nous entendent, et qui ont goûté ce joyau. Mais la noble Sophie s’approche de plus près dans l’essence de l’âme, et la baise amiablement : elle teint des rayons de son amour le feu ténébreux de l’âme, et luit par elle avec son baiser de l’amour. Alors l’âme tressaillit dans son corps de l’excès de sa joie, et triomphe en la vertu de cet amour virginal. Elle loue son Dieu en la vertu de la noble Sophie.
J’ai dessine de donner ici une brève représentation de quelle manière tout cela se passe, lorsque l’Épouse embrasse l’époux, afin que le lecteur, qui n’a encore jamais éprouvé cet embrassement, y puisse faire de sérieuses réflexions s’il ne serait point désireux de nous suivre, et d’entrer dans cette carrière, où l’on se recrée avec la Sophie.
Lors donc quand cela arrive, comme il est mentionné ci dessus, l’âme se réjouit dans son corps, et s’exprime de cette manière.
L’Âme.
46. Maintenant Ô grand Dieu ! louange, gloire, force, magnificence et action de grâces te soient rendues en ta propre vertu et douceur, de ce que tu m’as délivrée du tourmenteur de l’angoisse. Ô toi amour charmant ! mon cœur t’embrasse, où es-tu demeuré si longtemps ? Il me semblait que j’étais dans l’enfer, et dans la colère de Dieu. Ô amour gracieux ! demeure, je te prie, maintenant avec moi, sois ma joie et ma recréation, conduis-moi, je te prie, dans la droite voie : je m’abandonne à ton amour. Je suis encore hélas ! ténébreuse devant toi : rends-moi lumineuse. Ô amour précieux ! donne-moi ta perle suave, place-la au dedans de moi.
Ô grand Dieu en Jésus Christ ! c’est maintenant que je te loue et je te célèbre dans ta vérité, et dans ta grande puissance et gloire, de ce que tu m’as pardonné mes péchés, et que tu m’as remplie de ta vertu : je jette à toi des cris de joie en ma vie, et je te loue dans ta forteresse que nul ne peut ouvrir, que ton Esprit dans ta miséricorde. Mes os se réjouissent dans ta vertu, et mon cœur s’égaye dans ton amour. Grâces immortelles te soient rendues de ce que tu m’as retirée de l’enfer, et que tu as converti en moi la mort en vie. Maintenant j’éprouve la vérité de tes promesses. Ô doux amour ! ne permets pas que je m’éloigne jamais plus de toi. Donne-moi ta guirlande de perles, demeure en moi et sois ma propriété, afin que je me réjouisse éternellement en toi
Sur cela la Vierge Sophie donne cette réponse à l’âme.
47. Mon noble époux, ma puissance et ma force, sois-moi mille et mille fois le bien venu. Comment as-tu pu m’oublier si longtemps, tellement qu’il m’a fallu demeurer si longtemps toute triste à ta porte, et y heurter à coups redoublés ? Je t’ai cependant toujours appelé et sollicité ; mais tu avais détourné de moi ton regard. Tes oreilles s’étaient éloignées de mon pays. Tu ne pouvais point voir ma lumière : car tu cheminais dans la vallée obscure. J’étais près de toi et je t’ai toujours supplié ; mais tes péchés te retenaient captif dans la mort, tellement que tu ne me connaissais plus. Je venais à toi en grande humilité, et je t’appelais ; mais tu étais opulent dans la puissance du règne de la colère de Dieu, et tu ne faisais aucun cas de mon humilité. Tu avais choisi le démon pour ton amant. C’est lui qui t’avait ainsi souillé, et qui avait édifié son repaire meurtrier de la vanité au dedans de toi, et ainsi il t’avait entièrement détourné de mon amour et de la fidélité que tu me devais, et attiré dans son royaume spécieux et faux, où tu as opéré beaucoup de péchés et de malices : tu avais dérompu ta volonté de mon amour, et tu m’avais faussé la foi du mariage, et t’étais livré à un amour étranger, m’ayant délaissée, moi, qui étais ton Épouse légitime, dans une essence effacée, sans aucune vertu de ta puissance ignée, sans laquelle je ne pouvais goûter aucune joie, car tu es mon mari. C’est par toi que ma clarté se doit manifester. Tu peux manifester mes merveilles cachées dans ta vie de feu, et les produire en Majesté ; mais hors de moi tu n’es qu’une habitation obscure, où il n’y a qu’angoisse et affliction, un tourment hostile.
Ô noble époux ! demeure donc avec ton regard en ma présence, donne-moi tes rayons ardents ; entre avec tes désirs dans moi, et m’embrase, et alors de ma débonnaireté je transformerai tes rayons ardents en une lumière blanche, et j’introduirai mon amour par tes rayons ardents dans ton essence ignée, et je te baiserai éternellement.
Ô mon époux, que je me trouve bien dans ton mariage ! baise-moi, je te prie, par tes désirs, en ta force et vertu. Alors je te montrerai toute ma beauté, et je te réjouirai de doux amour et de ma brillante lumière dans ta vie ignée. Tous les saints anges se réjouissent maintenant avec nous, de nous voir réunis par un heureux mariage. Maintenant mon cher amant, demeure-moi fidèle, et ne détourne plus tes regards de dessus moi ; opère tes merveilles en mon amour, pour lesquelles Dieu t’a suscité.
L’Âme réplique à la Noble Vierge Sophie,
comme à son amour engendré de nouveau en elle.
48. Ah ! ma perle précieuse ! flamme éclatante de ma lumière dans ma vie angoisseuse de feu ! comment est-ce que tu me transformes en ta joie ? Ô amour charmant ! il est vrai que je tai été infidèle en mon père Adam, et je me suis tournée dans la puissance enflammée du côté de la volupté et de la vanité dans le monde extérieur, m’étant abandonnée à un amour étranger, tellement que j’aurais été obligée de cheminer éternellement dans la vallée obscure, dans un amour étranger, si tu n’étais venue vers moi dans la maison de ma misère, et par ta grande fidélité et pénétrante vertu, ayant cassé la colère de Dieu, et brisé l’enfer et la mort, et si tu n’avais apporté derechef ta douceur et ton amour dans ma vie ardente.
Ô doux amour ! Tu m’as apporté avec toi l’eau de la vie éternelle découlante de la fontaine divine, et tu as apaisé par ce moyen ma soif brûlante. Je vois en toi la miséricorde de Dieu, qui m’était auparavant cachée dans cet amour étranger. Je puis me réjouir en roi, tu convertis le feu d’angoisse, dont j’étais tourmentée, en une grande joie. Ah ! gracieux amour ! donne-moi donc ta perle, afin que je puisse demeurer éternellement dans cette joie.
La Noble Sophie répond derechef
à l’âme, disant :
49. Mon cher époux et fidèle amant, ton commencement me réjouit d’une manière merveilleuse. Il est vrai que j’ai pénétré à travers les portes profondes de Dieu, pour venir jusqu’à toi ; j’ai pénétré à travers la colère de Dieu, l’enfer et la mort, dans ta maison de misère, et j’ai donné mon amour de pure grâce : j’ai rompu tes liens et brisé tes chaînes avec lesquelles tu as été lié : je t’ai gardé ma foi ; mais ce que tu me demandes maintenant est très-difficile, et je ne puis pas me résoudre à le hasarder. Tu voudrais avoir ma perle en propriété : souviens-toi, mon cher époux, combien tu l’as mal gardée en Adam. Tu es encore à cet égard dans un grand danger ; tu chemines dans un double règne très-périlleux : savoir dans ton origine de feu, qui est un pays où Dieu se nomme un Dieu fort et jaloux, et un feu consumant ; quant à l’autre règne, tu chemines dans le monde extérieur dans l’air, dans la chair et le sang corrompu, où les voluptés mondaines avec les assauts de Satan bruient sur toi à chaque moment. Tu pourrais encore dans l’excès de ta joie introduire quelque terrestréité et immondité dans ma beauté, et m’obscurcir ma perle. Tu pourrais aussi t’enorgueillir comme Lucifer, lorsqu’il possédait la perle en propriété, et tu pourrais te détourner de l’harmonie divine, par où je serais privée pour jamais de mon amant.
Je veux conserver ma perle en moi, et je veux et habiter dans ton humanité intérieure, qui était effacée ; mais maintenant revivifiée en moi, et je veux réserver ma perle dans le Paradis, jusqu’à ce que tu aies dépouillé ta mortalité. Alors je te la donnerai en propriété ; mais quant à mon doux regard et aux rayons de ma perle, je veux bien t’en rendre participant, pendant les jours de ta vie terrestre : je demeurerai avec ma perle dans le chœur intérieur, et je serai toujours ton Épouse fidèle. Je ne me fiance point avec ta chair terrestre : car je suis une Reine des cieux, et mon règne n’est point de ce monde ; si est-ce que je ne veux point rejeter ta vie extérieure ; mais je te visiterai souvent par les rayons de mon amour : car ton humanité extérieure sera rétablie ; mais je ne veux pas avoir la bête de la vanité. Dieu aussi ne l’a point créée selon son décret ainsi grossière et terrestre en Adam. Ce sont tes désirs qui ont reçu en Adam par la convoitise cette grossièreté brutale, avec les essences et de toutes les essences de la vanité éveillée, d’une qualité terrestre, où se trouve le chaud et le froid, les douleurs, l’inimitié et la fragilité.
Donne-toi donc seulement à moi et à ma volonté, mon cher amant et époux. Je ne te délaisserai point dans les dangers où tu pourras te trouver durant cette vie terrestre ; quand même la colère de Dieu viendrait à s’élever contre roi, tellement que tu te trouvasses dans l’angoisse, et qu’il te semblerait que je t’aurais abandonné, je serai pourtant avec toi, et je te garantirai : car tu ne te connais pas, et quel est ton office ; il s’agit dans ce temps d’opérer et d’engendrer. Tu es la racine de cet arbre qui doit pousser des branches, qui doivent toutes naître dans les angoisses ; mais je pousse par tes branches dans leur sève, et je produis des fruits par tes jets, ce que tu ne sais pas : car le Très-Haut m’ordonne d’habiter de cette manière en toi et avec toi.
C’est pourquoi enveloppe-toi dans la patience, et garde-toi des voluptés de la chair : romps-lui sa volonté et ses désirs, tiens-la en bride comme un cheval fougueux ; et alors je te visiterai souvent dans ton essence ignée, et je te donnerai le baiser de mon amour ; je rapporterai et mettrai sur ta tête une guirlande du Paradis, pour marque de mon amour, dans laquelle tu te réjouiras : mais quant à ma perle, je ne te la donnerai point en propriété durant cette vie. Il faut que tu demeures dans l’expropriation et que tu te rendes attentif à ce que le Seigneur jouera en toi dans ton harmonie ; pour cet effet il faut que tu lui donnes le retentissement et l’essence de ton son en ma vertu : car tu es maintenant un messager de sa parole, et tu dois annoncer son honneur et sa gloire. C’est pour cela que je me suis maintenant de nouveau nouée avec toi, et que j’ai mis sur ta tête ma guirlande athlétique d’honneur et victoire, que j’ai remportée dans le combat contre le diable et la mort. Mais quant à la couronne de perles, dont je t’ai couronné, je l’ai mise en réserve, et tu ne la dois plus porter, jusqu’à ce que tu auras été entièrement pur devant moi.
L’Âme parle derechef à la Noble
Sophie, disant :
50. Ah ! ma chère et mon aimable Épouse ! que puis-je dire devant toi. Qu’il te plaise seulement de me recevoir sous ta protection ; je ne saurais me garantir moi-même ; que s’il ne te plaît de me donner maintenant la perle, ta volonté soit faite : donne-moi seulement les rayons de ton amour, et me conduis dans mon pèlerinage. Excite et engendre en moi tout ce qu’il te plaira, je veux dès maintenant être à toi en propriété, et je ne veux et ne demande plus rien pour moi, si non ce que tu voudras par moi. Je m’étais privée de ton amour suave ; je ne t’avais point gardé la foi, et par là je m’étais rendue coupable d’une punition éternelle. Mais puisque par un effet de ton amour tu es venue à moi dans mon angoisse infernale, et que tu m’as délivrée des tourments ; et qu’enfin tu m’as reprise pour ton époux ; je veux maintenant rompre ma volonté pour l’amour de toi, t’obéir et me reposer sur ton amour. Il me suffit de savoir que tu es toujours avec moi dans toutes mes peines, et que tu ne veux point m’abandonner. Ô amour gracieux ! je tourne mon visage igné vers toi. Ô ravissante couronne ! retire-moi bientôt en toi, et me tire de l’inquiétude, je veux être éternellement à toi et je ne m’éloignerai jamais de toi.
La Noble Sophie répond à l’âme
d’une manière toute conso-
lante, disant :
Mon noble époux, prends courage : je me suis fiancée à toi dans mon amour le plus sublime, et nouée avec toi dans une parfaite fidélité. Je serai tous les jours avec toi et en toi jusqu’à la fin du monde ; je viendrai à toi et je ferai mon habitation dans ton chœur intérieur en toi. Tu boiras de ma fontaine : car je suis maintenant à toi, et tu es à moi, et l’ennemi ne pourra jamais nous séparer. Quant à toi, opère dans ta qualité ignée, et j’introduirai les rayons de mon amour dans ton opération. Nous voulons cultiver le vignoble de Jésus Christ, apportes-y l’essence du feu, et j’y apporterai l’essence de la lumière, et je donnerai l’accroissement ; sois le feu, et je serai l’eau ; nous voulons exécuter en ce monde ce à quoi Dieu nous a ordonnés : nous le voulons servir dans son temple, lequel nous sommes nous-mêmes. Amen !
Au Lecteur.
Mon cher Lecteur, ne regarde point ceci comme une invention douteuse ; c’est le véritable fondement, et il contient en soi toute l’écriture sainte : car le livre de la vie de Christ y est clairement portrait devant vos yeux, tel que l’Auteur lui-même l’a connu : car ç’a été là son procédé, il te donne le meilleur qu’il a, Dieu le bénisse ! Il y a un terrible jugement préparé pour les moqueurs. Prends garde.
Une courte Prière du matin, quand on se lève, pour se recommander à Dieu, avant qu’on laisse entrer quelque autre chose en soi.
Dieu nous bénisse, le Père, le Fils et le Saint Esprit ! Ô Dieu seul et véritable, je te rends grâces par Jésus Christ, ton cher Fils, notre Seigneur et Sauveur, pour ta protection et ta garde, et pour tous les bienfaits, et je me recommande maintenant avec mon corps et mon âme et avec tout cela en quoi tu m’as ordonné pour opérer dans ma vocation, en ta protection et en ta garde : sois le commencement de mes pensées, et de tout ce que je cherche, et que j’aspire, et de tout ce que je fasse. Opère en moi que je commence tout par la louange de ton Nom, et que je le parfisse en ton amour, pour rendre service à mon prochain. Envoye-moi ton bon ange, qu’il détourne de moi les traits venimeux du malin et de la nature corrompue. Garde-moi du penchant de tous les méchants. Pacifie tous mes ennemis devant ma face, et introduis mon esprit en ta vigne, afin que j’y travaille et opère dans ma charge et vocation, comme ton serviteur (servante) obéissant, et bénis-moi et tout ce en quoi j’opère et travaille avec la bénédiction de ton amour et de ta miséricorde ; tiens ta grâce et ton amour en Jésus Christ sur moi, et donne-moi un cœur joyeux pour exercer tes merveilles. Ton saint Esprit me gouverne dans mon commencement jusqu’à la fin de ma vie, et sois en moi le vouloir, l’opérer et le parfaire. Amen !
Une courte Prière du soir.
J’élève mon cœur à toi, ô Dieu ! qui es la source de la vie éternelle, et je te rends grâces par Jésus Christ, ton cher Fils, notre Seigneur et Sauveur, que tu m’as gardé de tout mal, pendant tout ce jour là, et que tu m’as assisté. Je te recommande maintenant ma vocation et mon état, aussi l’œuvre de mes mains en ton administration, et je me réfugie avec mon âme en toi ; opère en mon âme que ni le malin ni quelque autre influence ou souhait entre et s’affiche en mon âme : permets que mon esprit joue dans ton temple en toi, et que ton saint ange demeure avec moi, afin que je me repose en sûreté dans ta vertu. Amen !
LIVRE SECOND.
DE LA PÉNITENCE.
Une courte indication de la clef pour l’intelligence des mystères divins, de quelle manière l’âme peut parvenir à la contemplation divine en soi.
CELUI qui désire de parvenir à la contemplation divine en soi-même, et de s’entretenir avec Dieu en Christ, il n’a qu’à suivre ce procédé, et il en viendra à bout.
1. Il faut qu’il ramasse en un tous ses sens, sa raison et ses idées, et qu’il s’imprime dans son imagination une résolution sérieuse de considérer soi-même ce qu’il est : en tant que l’écriture le nomme une image de Dieu, le temple du Saint Esprit, qui habite en lui, un membre de Christ, lui présentant la chair et le sang de Christ pour viande et pour breuvage.
2. Il doit aussi examiner sa vie, s’il est digne de cette grande grâce, et capable de porter ce titre éminent de Christ, et commencer de bien considérer de quelle manière il a vécu, et comme il a passé tout le temps de sa vie ? s’il se trouve véritablement en Christ ? s’il se trouve dans la volonté divine, et à quoi il a son penchant ? s’il brame en soi cordialement après Dieu, et s’il voudrait être sauvé ?
3. Que s’il trouve en soi une volonté profonde et cachée de se tourner à la grâce de Dieu, si seulement il le pouvait, qu’il sache que cette volonté est le Verbe de Dieu même, qui fut incorporé, et au dedans énoncé dans le Paradis, après le péché commis, que Dieu Jéhovah, savoir le Père, l’attire à Christ : car de nous-même nous n’avons plus aucune volonté qui nous porte à l’obéissance.
4. Or cet attrait du Père, comme étant la grâce au dedans énoncée et incorporée, attire tous les hommes, même le plus méchant, à moins qu’il ne soit tout à fait un chardon, et qu’il se tienne coi un moment à cet attrait, pour le délivrer de sa fausse opération.
5. Tellement que personne n’a sujet de douter de la grâce de Dieu, pendant qu’il trouve en soi un désir de se convertir un jour.
6. Mais qu’il ne délaye plus un seul moment à le faire, comme il est écrit : Aujourd’hui si vous entendez la voix de Dieu, n’endurcissez pas vos oreilles et vos cœurs.
7. Car le désir de se convertir une fois, c’est la voix de Dieu dans l’homme, laquelle le diable couvre et retient par ses images introduites. De là vient qu’on délaie cette conversion d’un jour à l’autre, d’une année à l’autre, jusqu’à ce que l’âme devient un chardon, et ne peut plus atteindre la grâce.
8. Qu’un tel homme fasse seulement ceci dans sa méditation céleste, qu’il examine tout le cours de sa vie, et le compare aux dix commandements de Dieu, et à la charité évangélique, qui lui commande d’aimer son prochain comme soi-même, et qu’il soit seulement dans l’amour de Christ un enfant de la grâce. Qu’il considère combien il s’en est éloigné, et quelle est son occupation ordinaire, quels sont ses désirs : alors cet attrait du Père l’introduira dans la justice divine ; il lui montrera les images moulées au dedans de son cœur, qu’il a aimées préférablement à Dieu, les ayant regardées comme son meilleur trésor, les réputant encore pour cela.
9. Ces images seront : 1. l’orgueil, qui s’aime soi-même, et veut être honoré des autres. C’est aussi une image qui cherche la puissance et l’autorité dans l’orgueil. Vouloir être honoré par dessus les autres. 2. Ce sera l’image d’un pourceau, qui est l’avarice, qui veut seule tout avoir, et quand elle posséderait le ciel et la terre, elle voudrait encore avoir l’empire dans l’enfer, elle demande plus que le nécessaire pour cette vie temporelle, étant destituée de la foi envers Dieu ; mais elle est un sale pourceau qui voudrait tout engloutir. 3. Il trouvera en soi l’image de l’envie, qui pique le cœur du prochain, et envie aux autres quand ils ont plus de bien et d’honneur qu’elle. 4. Ce sera la colère, où l’envie s’allume comme un poison, et pour la moindre chose frappe, tue, s’aigrit et se justifie. 5. Enfin il trouvera en lui une multitude infinie de bêtes terrestres qu’il aime ; car il aime tout ce qui est au monde, et l’a mis en la place de Christ, et il l’honore plus que Dieu. Qu’il fasse seulement attention à ses paroles, comme sa bouche calomnie en secret son prochain, le blâme auprès des siens, et le décrie souvent sans aucun légitime sujet, et se réjouit du mal de son prochain, et en est bien aise ; toutes lesquelles choses sont les griffes et les ongles du diable, et l’image du serpent qu’il porte en soi.
10. Qu’il prenne donc soin de se bien examiner de cette manière par la parole de Dieu dans sa loi et dans son évangile, il verra qu’il est plutôt une bête brute ou un démon qu’un véritable homme, et que ces images imprimées et héréditaires en lui le détournent et l’empêchent d’entrer dans le royaume de DIEU : de sorte que souvent, lorsqu’il voudrait bien faire pénitence et se tourner à Dieu, ces griffes du diable le retiennent et l’en détournent, et impriment encore à la pauvre âme ses masques diaboliques comme des choses saintes, tellement qu’elle se replonge dans la convoitise de ces choses et dans la colère de Dieu, et finalement elle tombe dans l’abîme, lorsque la grâce et l’attrait du Père s’éteint en elle.
11. Nous proposons à ces personnes-là notre propre procédé, c’est que du moment qu’on s’aperçoit de ces bêtes farouches en soi, on doit sans délai prendre la résolution dans son âme de se retirer de cette volonté brutale, et de retourner à Dieu par une vraie repentance : et bien qu’on ne le puisse pas par ses propres forces, si est-ce qu’on doit embrasser en soi la promesse de Jésus Christ, quand il dit : Cherchez et vous trouverez, heurtez à la porte et il vous sera ouvert. Où est le père à qui un enfant demande du pain, qu’il lui donne une pierre ? ou s’il lui demande un œuf, qu’il lui donne un scorpion ? Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus mon père qui est dans le ciel donnera-t-il son saint Esprit à ceux qui le lui demandent ? (Luc, 11 : 9-13.)
12. L’homme se doit imprimer cette promesse dans son cœur : car elle est le poison et la mort du diable et de toutes ces bêtes qui sont en nous imprimées et héréditaires. Alors il doit dans ce même moment se jeter aux pieds de Dieu par prières avec les paroles de cette promesse vivement imprimée, ayant auparavant devant ses yeux tous ces monstres abominables, qu’il est lui-même, se souvenant qu’il n’est que ce sale porcher qui a consumé avec les pourceaux de ce monde et avec ses bêtes brutes tout son héritage, et s’est privé du droit de filiation : tellement qu’il n’est maintenant devant la face de Dieu qu’un misérable porcher, tout nu et tout déchiré, qui a dissipé son patrimoine avec les putains de ce monde des images terrestres par les débauches, n’ayant plus aucun droit à la grâce de Dieu, n’en étant aussi point digne, moins encore d’être nommé un Chrétien et un enfant de Dieu. Qu’il renonce aussi à toute confiance aux bonnes œuvres, quelles qu’elles soient, qu’il pourrait avoir fait : car elles sont seulement sourdues d’une apparence hypocrite de piété, par où le diable humain veut être nommé un ange. Car il est impossible de plaire à Dieu sans la foi, dit l’écriture.
13. Mais il ne doit point désespérer de la grâce de Dieu, mais seulement de soi-même et de ses forces, et qu’il s’humilie en son âme devant Dieu de tout son pouvoir : et quand même le cœur y résisterait et suggérerait de délayer encore, disant : c’est assez tôt, il n’est pas bon aujourd’hui, ou bien : tes péchés sont trop grands, il n’y a plus de grâce pour toi ; tellement qu’il se trouvât dans une telle angoisse qu’il ne pût pas même prier, ni ressentir aucune force ni consolation dans son cœur, comme si son âme était entièrement aveugle et morte en Dieu : si est-ce qu’il doit tenir bon, et tenir la promesse divine pour une vérité certaine et infaillible, et soupirer à la grâce de Dieu avec un cœur froissé et brisé, s’adonnant en elle dans sa plus grande indignité.
14. Et bien qu’il s’estime indigne de toute grâce, comme étant un étranger, à qui n’appartient plus l’héritage de Christ, ayant perdu tout son droit ; si est-ce qu’il doit s’imprimer fortement ce que dit Jésus Christ : qu’il est venu chercher et sauver ce qui était perdu, comme le pécheur mort et aveugle en Dieu. Qu’il s’imprime fortement cette promesse, et qu’il prenne en soi-même une si rigoureuse résolution de ne jamais se départir de la grâce que Dieu nous a promise en Jésus Christ, quand il lui en devrait aussi crever le corps et l’âme, et quand en toute sa vie il ne devrait recevoir aucune consolation ni sentiment de son pardon dans son cœur, si est-ce qu’il doit réputer les promesses de Dieu plus fermes que toutes les consolations qu’il pourrait recevoir.
15. Il doit aussi se proposer et enfermer sa volonté dans cette résolution de ne plus rentrer en ces vieilles images brutales et en ses vices ; quand même tous ces pourceaux et animaux brutaux devraient se lamenter de la perte de leur berger ; même quand il devrait par là passer pour un fou dans le monde, si est-ce qu’il veut demeurer ferme dans sa résolution et dans la promesse de la grâce de Dieu. Que s’il est un enfant de la mort, il veut néanmoins demeurer attaché aux promesses de Christ en sa mort, et mourir pour lui et vivre pour lui, comme il lui plaira. Qu’il s’adresse seulement avec sa résolution à une prière continuelle et avec des soupirs ardents, et qu’il se remette entièrement à lui avec son commencement et toutes les œuvres de ses mains, s’abstenant de toutes pensées d’orgueil, d’avarice et d’envie. Qu’il livre seulement ces trois bêtes, toutes les autres seront bientôt affaiblies et mortifiées : car Jésus Christ commencera bientôt en lui à reprendre vie en ses paroles promises, qu’il s’imprime et s’y enveloppe, et commencera à opérer en lui, et ses prières en deviendront plus ferventes, et il sera chaque jour de plus en plus fortifié dans l’esprit de la grâce.
16. De même que la semence opère pour former l’enfant dans le ventre de la mère, qui croît parmi bien des assauts de la nature et des accidents extérieurs jusqu’à ce qu’il reçoive sa vie dans la mère : il en est de même ici. Tant plus l’homme sort de soi-même et de ses images, tant plus il entre en Dieu : jusqu’à ce que Christ revive dans la grâce incorporée, ce qui advient par un grand zèle de la résolution ; alors se passent bientôt les fiançailles avec la Vierge Sophie, où ces deux amoureux s’entre-embrassent et pénètrent ensemble en dedans avec les désirs les plus intimes dans l’amour de Dieu le plus doux : c’est là où se préparent dans un petit espace les noces de l’Agneau, où la Vierge Sophie, qui est la vénérable Humanité de Christ, se marie avec l’âme. Pour représenter ce qui se passe en cette occasion, et quelle est la grande joie que l’âme ressent, JÉSUS Christ nous propose la grande joie qui s’élève dans le ciel devant Dieu et devant tous les saints anges, pour le retour de l’enfant prodigue, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance.
17. Nulles paroles ni plume ne sauraient exprimer ces choses, et ce qu’est la douce grâce de Dieu dans l’Humanité de Christ, et qu’est-ce qu’il arrive à ceux qui viennent dignement aux noces de l’Agneau, comme nous-même l’avons expérimenté dans notre propre procédé, et nous savons que ce que nous écrivons est établi sur un bon fondement que nous voudrions volontiers communiquer à nos frères en la charité de Christ ; s’il était possible qu’ils voulussent suivre notre conseil fidèle et simple, ils éprouveraient en eux-mêmes d’où cette main, toute simple qu’elle est, a puisé ces mystère sublimes et les entend.
18. Mais parce que nous avons écrit auparavant un traité complet de la repentance et de la régénération, nous nous contentons ici de cette courte indication, et nous renvoyons le Lecteur à ce traité, comme aussi à un traité plus étendu sur la Genèse : il y trouvera le fondement de tout ce qu’il pourrait encore faire de questions, déduit fort au long ; nous l’exhortons Chrétiennement de nous suivre dans ce procédé, et par là il parviendra à la contemplation divine en soi-même, et entendra ce que le Seigneur parlera en lui par Christ. Sur quoi nous le recommandons affectueusement à l’amour de Jésus Christ.
Donné le 9e Février 1623.
Deuxième Traité.
DE LA SAINTE PRIÈRE.
Dressé
Pour chaque jour de la semaine, pour montrer comme l’homme doit rappeler continuellement dans son souvenir son devoir, son état et sa vocation, dans laquelle Dieu l’a établi : et comme il doit recommander à Dieu son commencement, son milieu et sa fin dans toute sa conduite, et opérer continuellement toutes ses œuvres avec Dieu, comme les branches d’un arbre engendrent ses jets par la vertu de sa sève, et portent là dessus ses fruits : et comme enfin il doit tirer sa force dans tout ce qu’il entreprend de la source divine, et rendre grâces a son Créateur de tous ses bienfaits.
Avec une méditation très-cordiale des
souffrances, de la mort et de la ré-
surrection de Jésus Christ.
Comme l’homme doit continuellement introduire la faim et les désirs de son âme en Dieu, par la mort de Christ dans sa résurrection, et entrer dans la régénération, pour prier en esprit et en vérité, afin que l’Esprit de Christ prie en lui et avec lui, et qu’il intercède pour lui devant Dieu.
Dressé à la prière de ses bons et chers
amis, pour la pratique quotidienne du
vrai Christianisme, dans la maison
et chapelle de leur cœur.
Préface de l’Auteur au Lecteur pieux.
Du vrai fondement de l’art véri-
table de bien prier Dieu, ce que
c’est que la prière, et pourquoi
Dieu nous commande
de prier.
I.
CHER Lecteur Chrétien. La véritable prière n’est pas seulement une coutume, de sorte qu’il n’y ait qu’à prononcer les paroles de la prière : nullement, ce babil de lèvres sans une cordiale dévotion et des désirs divins n’est qu’une chose extérieure, une prononciation extérieure des paroles.
2. La bouche forme les paroles de la prière par le moyen de la vertu extérieure des astres et des éléments, et il n’y a qu’une forme de volonté sans aucune vertu efficace. Car rien ne plaît à Dieu que ce qu’il fait et ce à quoi il coopère lui-même.
3. Lui-même se plaint dans les Prophètes de ces prières extérieures des lèvres sans vertu, quand il dit en Ésaïe 29 : 13 : Ils s’approchent de moi de leurs lèvres, mais leur cœur est bien éloigné de moi. Et Jésus Christ dit : Tous ceux qui me diront : Seigneur ! Seigneur ! n’entreront pas au royaume des cieux : mais ceux qui feront la volonté de mon Père qui est aux cieux (Matth. 7 : 21). C’est lui seul qui est la source vive et le trône de grâce, avec lequel et par lequel nous pouvons pénétrer jusqu’à Dieu par la prière.
4. Si nous voulons prier comme il faut, nous devons (en premier lieu) nous regarder et observer sérieusement si notre cœur a été transformé en une autre créature ? et si le désir avec lequel nous croyons d’obtenir ce que nous demandons à Dieu est sincère ? comme aussi si le désir que nous apportons à Dieu dans la prière n’est point désavantageux à notre prochain et contraire à la charité ? si nous y cherchons les choses temporelles, pour préjudicier par là à notre prochain ? si nous demandons par là une charité universelle et l’unanimité, ou si nous ne cherchons que notre propre avantage ?
5. En second lieu, nous devons nous examiner sérieusement si dans nos prières nous demandons et nous aimons quelqu’autre chose plus élevée que la miséricorde de Dieu ? si les choses mêmes temporelles que nous demandons, nous ne les attendons effectivement que de la main et de la coopération divine ou si nous nous proposons de nous les procurer par notre propre industrie, adresse et sagesse, de sorte que nous ne demandons à Dieu que la permission de nous en servir ? si nous nous reposons sur nous-mêmes ou si nous espérons de les obtenir par la coopération divine ; de sorte que nous puissions dire d’un cœur joyeux : c’est Dieu qui m’a fait ce présent par sa pourvoyance paternelle : je n’ai été en cela que la main et l’instrument ? ou si nous voulons dire : c’est par mon industrie ou par ma propre raison que j’ai exécuté cela.
6. En troisième lieu, nous devons réfléchir sur l’usage que nous nous proposons de faire de ce que Dieu nous accordera. Si nous nous proposons seulement par là de l’honneur et de l’estime du monde pour quelque volupté temporelle ? ou si nous nous proposons par la bénédiction de Dieu d’employer ce que Dieu nous donne, à sa gloire et au bien du prochain, et même de lui remettre le tout ? et si nous ne nous réputons que comme des serviteurs et des ouvriers dans sa vigne, auxquels Dieu demandera compte des talents qu’il leur aura confiés, avec quelle fidélité nous les aurons fait valoir.
7· En quatrième lieu, nous devons considérer que nous ne possédons rien en propre dans ce monde, et que nous ne sommes pas à nous-mêmes, mais que nous ne sommes ici que des ouvriers pour y travailler un peu de temps, des étrangers et des administrateurs de notre Dieu établis sur ses créatures : que tout ce que nous travaillons et faisons, nous ne le faisons pas uniquement pour nous, mais pour Dieu et pour le prochain ; et que nous tous ensemble ne sommes qu’un en Christ notre salut, qui est lui-même tout en nous tous. C’est pourquoi nous devons avoir entre nous une charité commune, et désirer de nous aimer tous cordialement, comme Dieu nous a aimés en Christ notre Sauveur. Et qu’enfin nous voulons de bon cœur faire part des dons que Dieu nous fait par nos prières, soient les célestes, soient les terrestres, à nos commembres, comme l’arbre fait à ses branches, ou comme la terre répand ses fruits libéralement pour tous et les aime tous et porte tous.
8. En cinquième lieu, nous devons considérer que nous ne pouvons point prier devant Dieu par nos propres forces, comme le Seigneur Jésus lui-même le déclare : Hors de moi vous ne pouvez rien faire (Jean 15 : 5). Et St. Paul : Nous ne savons pas ce que nous devons demander en priant comme il faut ; mais le Saint Esprit lui-même fait des prières pour nous par des soupirs inexprimables selon Dieu (Rom. 8 : 25).
9. C’est pourquoi si nous voulons prier Dieu notre Père céleste, nous le devons prier au Nom de son Fils bien-aimé notre Seigneur Jésus Christ, et lui demander l’illumination de son saint Esprit, qu’il lui plaise de nous pardonner nos péchés pour ses souffrances amères et sa mort, et de nous donner ce qui nous est bon et salutaire. Nous devons remettre à sa connaissance et à sa volonté toutes les choses terrestres, et nous ne devons pas nous approcher de Dieu avec des simples paroles et soupirs de la bouche, si nous voulons prier comme il faut et être exaucés ; mais avec une sérieuse repentance et amendement de notre mauvaise conduite.
10. Nous devons nous retirer de toutes faussetés, orgueil, avarice, envie, colère et contrariété, et abandonner notre cœur et notre âme entièrement à Dieu le Saint Esprit, afin que lui-même soit notre opération de la repentance et force dans la prière ; qu’il se saisisse de notre esprit et de notre volonté, pour les introduire en Dieu, afin que nous puissions mourir en la mort de Jésus Christ à toute notre fausse vanité et convoitises héréditaire, et que nous ressuscitions et soyons engendrés en l’Esprit de Christ en nous, dans une nouvelle volonté, dans un esprit nouveau, et dans une nouvelle obéissance envers Dieu, et que désormais nous puissions marcher devant Dieu, dans cette vertu et justice et en pureté avec notre volonté, et avec cette naissance nouvelle, comme ses enfants rachetés par le sang et par la mort de son cher Fils, et régénérés en son Esprit.
11. Mon cher Lecteur Chrétien, tu dois bien considérer ce que c’est la prière, et pourquoi Dieu nous commande de prier. Ce n’est point comme si nous avions à nous présenter à quelque Monarque de la terre ou Seigneur, lorsqu’on l’a offensé, et qu’on veut implorer sa grâce, quoique souvent le cœur pense tout autrement ; ô nullement ! mais c’est une sortie de soi-même, tellement que l’homme se donne à Dieu sans réserve, avec tout ce qu’il est et tout qu’il possède, de toutes ses forces ; c’est là véritablement prier, lorsqu’on s’adonne à Dieu entièrement, et qu’on retourne comme l’enfant prodigue à son Père dans sa véritable patrie et dans son héritage, d’où notre premier père Adam l’a fait sortir ; il n’a plus aucun droit naturel aux biens célestes, il les a entièrement perdus par la sortie d’Adam, et il les a consumés par sa paillardise avec le démon dans la vanité.
12. C’est pourquoi il faut maintenant qu’il retourne à Dieu avec l’enfant prodigue dans la plus profonde humilité, en soi et avec une ferme espérance à la grâce que Dieu nous offre en son Fils Jésus Christ, qu’il se répute indigne de tout et privé de tout son droit naturel aux biens célestes, qu’il se jette aux pieds de Dieu son Père Céleste éternel, et qu’il implore sa miséricorde qu’il nous offre en son Fils Jésus Christ, qu’il lui plaise de le recevoir derechef, du moins comme un mercenaire pour travailler dans sa vigne, et de lui donner derechef la viande et le breuvage céleste, pour la nourriture de son âme affamée, altérée et languissante : tellement que désormais il ne se nourrisse plus des gousses de la vanité, du mensonge, de la fausseté avec les pourceaux de Satan, et qu’il ne périsse pas dans l’incrédulité, privé de vertu céleste. Il faut qu’il ouvre la bouche affamée et altérée de son âme par la prière envers la grâce et la miséricorde de Dieu, avec des soupirs cordiaux et un humble recours à la grâce, s’abandonnant entièrement et sans réserve à cette grâce divine.
13. De cette manière il entendra sur le champ dans son âme que Dieu lui viendra au devant avec sa grâce, laquelle il offre en Jésus Christ, et il la déploiera dans son âme ; tellement que cette âme affamée recevra réellement et efficacement en elle-même ce qu’elle aura demandé à Dieu, et elle l’éprouvera vivement en soi, savoir la chair et le sang de Jésus Christ qui sont offerts de grâce à toutes les âmes affamées et pénitentes.
14. Il éprouvera véritablement comme l’ancien Père de l’enfant prodigue vient au devant de l’âme pénitente avec les bras ouverts, comme il l’embrasse et lui saute au cou de son essence de la vie avec les bras de son amour, la baise et la presse, et lui dit avec une puissante affection : c’est là mon cher fils ; c’est là une âme qui m’est chère et que j’avais perdue ; elle était morte, mais elle est revivifiée : maintenant tuez l’Agneau Jésus Christ ; je la veux faire seoir à table avec moi dans ma vertu, afin qu’elle mange avec moi du repas que j’ai fait préparer de la véritable viande, qui est mon Fils Jésus Christ, et elle se réjouira éternellement avec moi. Alors l’anneau de cachet est mis en son doigt, qui est le précieux testament de l’alliance de Dieu dans le sang de Jésus Christ, et par cette alliance et ce sceau elle devient derechef un enfant de Dieu.
15. C’est pourquoi je te dis ceci, mon Chrétien Lecteur, que la prière n’est pas seulement un exercice de lèvres, comme si l’on se présentait devant quelque grand du monde, pour lui demander les choses temporelles, ou le pardon de quelque faute. Dieu ne nous ordonne pas de lui demander seulement une grâce imputée du dehors, mais une grâce efficace et filiale ; de sorte que le saint Esprit dans le mérite de Jésus Christ prie et demande en nous-mêmes afin qu’il rende la grâce efficace en nous, et qu’il efface aussi par cette efficacité les péchés en nous, qu’il les submerge dans la mort de Christ, qu’il détruise l’enfer et transporte en nous les portes de la vie éternelle à travers la colère de Dieu (qui est la satisfaction de Christ), et qu’il ôte au diable toute sa puissance en nous : enfin qu’il nous revête du Seigneur JÉSUS, tellement que nous puissions crier dans l’Esprit et le mérite de Christ au Père de toute miséricorde, et lui dire : Abba, mon Père.
16. Car nous n’avons pas reçu un esprit de servitude pour être derechef en crainte, mais un esprit d’adoption, par lequel nous pouvons prier le Père avec un cœur joyeux et une pleine confiance, et alors il nous exauce. (Rom. 8 : 15. Éphés. 3 : 12. Gal. 4 : 6.)
17. Dieu nous commande de prier et de demander pour nous donner et nous faire recevoir, comme JÉSUS CHRIST dit : Mon Père donnera son Saint Esprit à ceux qui le lui demandent. Item : Demandez, et vous recevrez : cherchez, et vous trouverez : heurtez à la porte, et il vous sera ouvert. (Luc. 11 : 9, 13.)
18. Chaque prière qui ne trouve ni ne reçoit rien est tiède et froide, et est arrêtée par quelque empêchement des choses temporelles et terrestres : c'est-à-dire, que l’âme ne s’approche pas de Dieu purement, elle ne veut pas s’adonner entièrement à Dieu ; mais elle adhère encore à l’amour terrestre, qui la tient captive, de sorte qu’elle ne peut pas s’élever jusques à Dieu.
19. Quand on veut prier comme il faut, il faut se détourner de toutes les créatures, et se présenter purement avec la volonté et l’esprit devant Dieu : il y faut apporter une pareille résolution et ferveur que le pauvre dans le temple, ou comme l’enfant débauché quand il retourne ainsi à son Père. Et bien que la raison dans la chair et le sang te suggère que tu ne seras point du tout exaucé, que tes péchés sont trop grands ou que ce n’est pas encore le temps, que tu dois encore un peu attendre ; qu’elle te dise : fais encore ceci ou cela, afin que tu aies après plus de temps et de loisir ; ou bien : de quoi te sert-il de prier ? tu ne saurais par tes désirs venir jusqu’à Dieu, tu ne reçois aucune force en toi. Ne te laisse point détourner par toutes ces suggestions : la force est dans le fond intérieur, dans les désirs de la volonté, et elle opère avec Dieu. Demeure seulement tranquille et attends l’Éternel : sa vertu ne manquera pas tôt ou tard de pénétrer à travers tous ces obstacles, tellement que tu la sentiras dans ton cœur, et que tu en rendras grâces à Dieu.
20. Celui qui veut prier comme il faut, et qui veut obtenir par ses désirs la vertu de Dieu et son Esprit, doit aussi pardonner à tous ses ennemis et les comprendre avec soi dans ses prières, et prier qu’il plaise aussi à Dieu de les convertir, et de les réconcilier à soi dans son amour, afin qu’il ne reste aucun serpent dans son cœur qui le retienne et qui ôte de l’âme toute la vertu de la prière, comme Jésus Christ dit : Le diable ôte la parole de leur cœur, afin qu’ils ne croient point et qu’ils ne soient sauvés (Luc. 8 :12). Et ailleurs : Lorsque tu apportes ton offrande à l’autel et qu’il te souvienne que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et t’en va : réconcilie-toi premièrement avec ton frère, alors viens faire ton offrande (Matth. 5 : 23, 24). Et dans l’Oraison dominicale : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matth. 6 : 12). De peur que l’ennemi ne nous tente par la haine que nous avons conçue, qu’il ne nous fasse de l’empêchement et nous jette dans le doute.
21. Dieu exige dans la prière une âme pure, simple et nue ; et quand même elle serait encore enveloppée dans la vanité ; cependant il faut que sa volonté se présente purement devant Dieu, afin qu’il commence d’opérer dans sa volonté, et qu’ensuite il mortifie chaque jour les convoitises charnelles. Il faut que la volonté s’attache si fortement à Dieu qu’elle puisse dire avec Jacob, lorsqu’il eut lutté toute la nuit avec Dieu : Seigneur, je ne te laisserai point que tu ne m’aies béni (Gen. 32 : 36).
22. Et bien que le cœur frétille et chancelle, et qu’il se présente toutes sortes d’empêchements, toutefois il faut que la volonté demeure ferme, et qu’elle s’imprime fortement la grâce, et qu’elle ne se relâche point ; et quand même le diable exciterait la convoitise de la chair, dont l’âme viendrait à s’effrayer, s’imaginant que pour cela elle est répudiée de Dieu ; cependant il faut que la volonté adhère à sa grâce, comme un enfant aux mamelles de sa mère, et qu’elle combatte continuellement contre le diable et ses convoitises dans la chair et dans le sang, jusques à ce qu’elle remporte la victoire, et qu’elle vainque le diable en l’Esprit de Jésus Christ ; après cela l’âme trouvera et sentira en soi de grandes merveilles, et elle connaîtra la vérité de ce que dit le Seigneur : qu’il y aura de la joie au ciel pour une âme qui se convertit plus que pour nonante-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance (Luc. 15 : 7).
23. C’est pourquoi celui qui veut prier comme il faut doit s’imprimer fortement la résolution d’obtenir la grâce et la faveur de Dieu, et ce qu’il demande par ses prières, et il faut que sa prière soit dirigée de telle manière qu’elle n’aille point contre l’ordre de Dieu ; mais il doit se souvenir qu’il faut que dans sa prière il coopère avec Dieu ; de même comme dans un arbre le bois opère avec la sève, aussi ne doit-il demander qu’à opérer seulement avec la vertu et la volonté de Dieu, autrement sa prière ne sera qu’une œuvre dans l’écorce du véritable arbre de vie : car il n’opère par là qu’en dehors dans les éléments, et non intérieurement avec Dieu et en Dieu.
24. Mais celui qui prie comme il faut opère intérieurement avec Dieu, et produit de bons fruits au dehors, de même qu’un arbre qui pousse au dehors sa sève et qui fait paraître sa vertu par le fruit : c’est ainsi que la vraie vertu divine dans l’homme se manifeste au dehors par les bonnes œuvres et par les vertus ; autrement il n’y a point de foi lorsqu’il n’en résulte point d’œuvres : et la prière n’est qu’hypocrisie, et fait seulement une forme extérieure, et ne parvient point jusqu’à Dieu.
25. C’est ce que je n’ai point voulu cacher à mes chers amis et confrères en l’amour de Christ, du petit trésor de mon cœur, pour leur servir d’un charitable avertissement et mémorial, de quelle manière l’homme doit être disposé à la prière. Et bien que je sache qu’ils soient à cet égard dans les mêmes dispositions et pratiques que moi, et participants et capables du même don du Saint Esprit, cependant j’ai voulu me réjouir un peu avec eux en ceci et dans les prières suivantes, et leur faire connaître et faire part de mes dons en la grâce de Dieu. Comme une chandelle en peut allumer une autre, il en est de même du don de la grâce, afin que nous puissions nous réjouir et fortifier dans le même amour, qui est Christ en nous tous ; et que moi aussi je puisse participer à vos dons divins et à votre connaissance, afin que nous croissions ensemble dans la louange de Dieu, et que nous apportions des fruits.
26. Et bien que j’aie écrit ces prières pour chaque jour de la semaine, où chacun peut prendre son temps, selon qu’il l’accommode le mieux, je l’ai fait seulement pour exciter et réveiller les dons qui sont déjà en vous tous, et je n’ai pas voulu recommencer par le principe de la doctrine Chrétienne, mais seulement en proposer la pratique et réveiller le zèle. Sur quoi je vous recommande tous à la grâce efficace et à l’Amour de Jésus Christ, et moi à votre faveur Chrétienne et fraternelle.
Adresse,
De quelle manière l’homme se
doit conduire dans ses exercices,
pour faire une bonne
prière.
27. Mon cher Lecteur Chrétien : Pour bien prier il faut y apporter un zèle très-sérieux ; autrement la prière n’est d’aucune valeur devant Dieu. Car si nous voulons prier comme il faut, nous devons penser très-sérieusement que nous sommes en la présence de Dieu tout-voyant, devant la très-sainte Trinité, et les chœurs de ses saints anges, et que dans notre prière Dieu sonde notre âme, notre esprit et notre cœur, et voit notre volonté tout à fait intimement, si elle est entièrement fichée en lui et si elle lui est totalement adonnée.
28. Et lorsque nous sommes dans cette disposition, il attouche notre volonté de la vertu de son Saint Esprit, et la froisse tellement qu’elle se réveille avec ferveur et avec des désirs véritables de la grâce, qu’elle commence sérieusement de sortir d’elle-même, pour pénétrer dans la miséricorde de Dieu et y prendre assurance.
29. Car la volonté est trop faible lorsqu’elle n’a que ses propres forces ; mais lorsque la force divine l’attouche, elle est tellement réveillée qu’elle devient toute enflammée et affamée ; c’est dans ces désirs que Dieu lui-même opère. Alors l’homme parle véritablement à Dieu, et Dieu parle effectivement à l’âme de l’homme.
30. Cet entretien ou cette opération n’est autre chose, si non qu’une pauvre âme se nourrit de la miséricorde de Dieu, qu’il nous a manifestée par la mort de Christ, et se fortifie du baume de l’amour de Dieu en Christ contre les tentations du diable.
31. Car l’ouïe divine est la vertu de la grâce que Dieu a derechef introduite dans l’humanité au Nom de Jésus, où il a ouvert une porte pour être entendu et par laquelle nous pouvons entendre Dieu parlant effectivement en nous, comme il nous imprime sa miséricorde par cette porte ouverte de la grâce : et au réciproque l’âme parle par cette porte ouverte avec Dieu en soi-même ; et par cet entretien elle est nourrie et fortifiée de la parole de Dieu, qui s’énonce en elle, et même éclairée et renouvelée.
32. Car elle mange de la spiration de Dieu, qui a été fait homme, savoir de la chair et du sang de Christ, de la même manière qu’une plante se nourrit de la vertu du soleil, dont elle est teinte et devient bien balsamique, en sorte qu’elle croît et fleurit : l’âme reçoit les mêmes influences du soleil divin, dont elle devient lumineuse et vertueuse.
33. C’est donc la vraie utilité et le fruit de la véritable prière, que nulle bouche extérieure ni aucune volonté détournée de Dieu ne peut atteindre ; mais uniquement celle qui est introvertie vers lui, et qui est entièrement adonnée à Dieu.
34. Pour cet effet il faut que la volonté se détourne de toutes les créatures et de toutes les choses terrestres, et qu’elle se tienne purement devant Dieu, tellement que les occupations, les créatures ou les choses temporelles qu’elle demande à Dieu la suivent seulement en la chair et demeurent derrière la volonté pure, qui présente à Dieu les besoins du corps, sans que la chair elle-même avec ses convoitises y coopère aucunement ; autrement elle introduit les convoitises terrestres dans l’animale opération divine.
35. C’est pourquoi la prière doit être très-sérieuse, si nous voulons obtenir de Dieu quelque chose, accompagnée d’une vraie repentance et humilité introvertie. Car la véritable prière est une réception de ce que l’âme désire, comme Jésus Christ en parle quand il dit : Désormais le royaume des cieux est forcé, et les violents le ravissent (Matth. 11 : 12).
36. Pour cet effet je veux proposer ici une brève formule de confession ou de préparation, de quelle manière l’homme doit se préparer auparavant, lorsqu’il veut présenter à Dieu une courte prière de supplication. Car il peut aussi bien être exaucé par une courte prière que par beaucoup de paroles, pourvu que son cœur soit droit devant Dieu. Il n’est pas besoin d’user beaucoup de paroles, mais seulement d’une âme fidèle et pénitente, qui se jette sérieusement entre les bras de la miséricorde de Dieu, de la compassion divine ; car un seul soupir coopère avec Dieu, lorsque la volonté est pure devant lui et qu’elle a dépouillé l’habit terrestre, les fausses convoitises : pour servir au lecteur d’avertissement et d’encouragement.
37. Car il n’est pas nécessaire d’user précisément de cette formule de confession ; mais le Saint Esprit saura bien lui en mettre une au cœur, si sa volonté se tourne vers Dieu bien sérieusement.
38. Mais j’ai voulu dresser ici cette formule pour servir d’adresse à ceux qui ne savent pas encore dans quelle disposition doit être un vrai suppliant pour introduire son âme dans cet exercice. Du reste je remets cette œuvre de la confession et de la prière à l’Esprit de Dieu dans chaque âme qui a un zèle ardent. Il saura bien lui-même fournir des confessions et des prières ; on n’a qu’à s’adresser à bon escient à la porte où le Seigneur parle effectivement dans l’homme, on en fera bien l’épreuve.
Une Confession
et un véritable Exercice de Péni-
tence devant la Face de
DIEU.
39. Ô grand Dieu très-sublime, incompréhensible et très-saint ! qui t’es manifesté avec ton grand amour et miséricorde en notre humanité en JÉSUS Christ ton Fils, de pure grâce et miséricorde, après l’horrible chute de nos premiers parents, et qui nous as derechef donné en lui à nous pauvres mortels une porte ouverte pour aller jusque devant ta face, et qui as effacé le péché et la mort en ton sang, qui maintenant nous appelle comme un Dieu miséricordieux à la participation de cette grâce, à ce que nous pauvres pécheurs nous retournions à toi, nous promettant de nous soulager. (Matth. 11 : 28.)
Moi pauvre et misérable pécheur, je viens à toi, invité par ta parole, et je confesse devant toi que je suis indigne de cette grâce que tu nous offres : car je suis embourbé dans la vanité et je ne suis chargé que de convoitises charnelles et de la propre volonté ; mes péchés m’ont rendu captif et ténébreux, tellement que je ne puis goûter ni apercevoir ta grâce en moi ; je n’ai aussi aucune vraie confiance ni foi envers toi, et je me suis laissé entièrement entraîner dans la vanité du monde et de la chair, et j’en suis environné ; j’ai souillé le bel habit que tu m’avais mis dans le baptême, par les convoitises de la chair, et je suis couché dans les filets de Satan, captif de la colère ; l’enfer ouvre sa gueule contre moi, ma conscience me bourrelle ; ton jugement est continuellement devant moi, les liens de la mort m’attendent ; je suis vautré dans le bourbier du péché et de la vanité, tellement que je ne puis pas même connaître ni déplorer mes péchés : car ils m’ont caché ton visage, et je n’ai plus qu’une petite étincelle de respiration de vie par ton attrait qui désire ta grâce. Maintenant donc je viens à toi avec l’enfant prodigue et le péager dans le temple, et j’implore ta miséricorde, te suppliant avec le peu de forces qui me reste, par les souffrances amères et par la mort de mon Rédempteur Jésus Christ, que tu as établi pour être le trône de grâce, et par la satisfaction duquel tu nous offres ta grâce ; qu’il te plaise de me recevoir au nombre de tes enfants et héritiers en lui, et d’exciter dans mon cœur une vraie et sérieuse repentance, contrition et douleur pour les péchés que j’ai commis, afin que je puisse sortir de la voie des impies et tourner tout à fait mon cœur vers toi.
Ô grand Dieu ! fortifie, je te prie, en moi ma foi si faible ; froisse aussi mon cœur, afin qu’il reconnaisse la multitude de ses péchés et les déplore ; attouche aussi ma pauvre âme par ta vertu, pour se connaître, comme elle est détournée de toi.
Ô Souffle de la grande miséricorde de Dieu, attire-moi aussi par la mort et la résurrection de mon Sauveur Jésus à toi, et abolis mes péchés dans son sang et sa mort, et vivifie ma pauvre âme dans son sang, et lave-la nette de ses péchés, afin que ses désirs puissent pénétrer jusqu’à toi, ô saint Dieu, et puiser des forces de ta fontaine de la grâce. Excite en moi, je te prie, une véritable faim et soif pour une vraie repentance de mes péchés que j’ai commis, afin que je les haïsse et déteste, et que je me tourne à toi.
Ô Abîme de miséricorde, moi pauvre misérable je suis éloigné de toi, et ne puis pas t’atteindre avec ma force faible ! tourne-Toi toi-même vers moi, et reçois mes désirs en toi, et embrase-les, afin que je goûte, ô Seigneur, ta grâce ; pardonne-moi mes transgressions et mes péchés, et guéris ma faiblesse ; froisse toi-même mon cœur et mon âme, afin que je me reconnaisse et que je m’humilie devant toi ; sois le commencement de ma conversion et m’introduis dans la droite voie, afin que je puisse cheminer avec toi : donne, je te prie, ton saint Esprit dans mon âme et dans mon esprit, et sanctifie-moi dans ta grâce, comme ton cher Fils Jésus me l’a promis, quand il a dit : Mon Père donnera son Saint Esprit à ceux qui le lui demandent (Luc. 11 : 13). Item : Heurtez à la porte, et il vous sera ouvert (Matth. 7 : 7. Luc. 11 : 9). Je viens donc maintenant moi pauvre pécheur, étant invité par ta parole, et j’embrasse tes promesses dans mon âme et dans mon cœur, résolu de ne point t’abandonner que tu ne m’aies béni comme Jacob. Et bien que mes péchés soient en grand nombre, si est-ce que tu es un Dieu tout-puissant et la vérité éternelle qui ne peut mentir, lorsque tu as promis par ton Prophète Ésaïe : que si nous nous convertissons et nous repentons, nos péchés seront blanchis comme la laine (Es. 1 : 18). Je me fie à ta promesse, et je m’abandonne entièrement à toi, te suppliant de tout mon cœur qu’il te plaise de me recevoir en grâce, et de me mener auprès de tes enfants, qui cheminent dans la voie des vivants, et fais que je chemine avec eux et que j’observe tes commandements. Donne-moi un cœur véritablement humble et obéissant, qui craigne continuellement ta juste colère et qui cesse de pécher.
Ô Source de toute grâce ! que te dirai-je ? Pourquoi dois-je me flatter et consoler ma mauvaise volonté et mes désirs déréglés ? Je ne te demande aucune consolation pour ma volonté terrestre et mauvaise, mais je te prie, de toutes les forces qui sont encore en moi par ta grâce, qu’il te plaise de mortifier ma volonté charnelle et mauvaise, de sorte qu’elle ne vive plus devant toi : car elle ne demande rien qu’hypocrisie et amour propre, et n’est jamais sincère devant toi ; elle se pique de te donner de bonnes paroles, et néanmoins elle n’est qu’une continuelle menteuse devant toi. Donne-moi seulement ta volonté, afin que je ne veuille rien sans toi ; foule aux pieds ma mauvaise volonté par la tienne, et fais que je veuille et que je fasse ce que tu veux avec toi par ta vertu.
Ô Seigneur ! que te demanderai-je dans ma vanité ? Je ne te demande rien que d’avoir part à la mort de mon Sauveur Jésus Christ, que tu me fasses mourir en sa mort et que tu me vivifies derechef en lui par sa résurrection, afin que je ne chemine plus selon la volonté de mon esprit en moi-même, mais en lui ; que je puisse être son temple et son habitation, et qu’il me dirige et me conduise de telle sorte que je ne veuille et que je ne puisse rien faire qu’en lui ; lie-moi avec lui afin que je sois un sarment fertile dans ce Cep et que je porte de bons fruits par ta vertu. Je me plonge entièrement dans tes promesses : qu’il me soit fait selon ta parole et selon ta volonté. Amen !
Une Action de grâces et une Prière,
lorsque l’homme après un tel exer-
cice de pénitence ressent en
soi la vertu divine.
40. Ô Dieu, Toi qui es la Source de l’amour et de la miséricorde ! je te loue et célèbre dans ta vérité, et je te rends grâces du fond de mon cœur de ce que tu m’offres derechef ton visage, et que tu daignes me regarder, moi pauvre misérable, des yeux de ta pitié, que tu me donnes un rayon de ta consolation, tellement que mon âme puisse espérer en toi.
Ô Amour surabondant, Seigneur Jésus ! qui as brisé la mort et qui as changé la colère de Dieu en amour ! je m’adonne entièrement à toi : mon âme te loue, et te célèbre ; elle s’égaye dans ta vertu et dans ton amour de ce que tu es si bénin ; mon esprit joue dans ta vertu et se réjouit de ta vérité ; tout ce que tu fais n’est que justice et vérité. Tu domines sur le péché, et tu brises la puissance de la mort : Tu tiens captive la puissance de l’enfer, et tu nous montres le chemin de la vie ; nul est semblable à toi, Seigneur ! Toi qui fais sortir les captifs de la fosse de la mort et qui fortifies les misérables, tu les abreuves dans leur soif et tu leur donnes de l’eau de vie éternelle ; Tu dresses leurs pieds dans les droits sentiers, et tu les conduis avec ton bâton : Tu rends fertiles les lieux arides du cœur et de l’âme par ta pluie, et tu leur distribues l’eau de ta miséricorde ; Tu les vivifies dans le milieu de la mort même, et tu les relèves devant toi, afin qu’ils vivent devant toi ; Tu te souviens de ta miséricorde et de ton alliance, que tu as faite avec nous en ton sang et en ta mort, et tu nous pardonnes nos péchés ; Tu nous verses de ta vertu, afin que nous te connaissions, et tu nous donnes les viandes de la vie éternelle, par lesquelles nous sommes refaits, ayant toujours faim et soif de toi. C’est ce que mon âme reconnaît maintenant ; c’est pourquoi elle te loue et tressaille de joie avec exultation dans ta grande puissance et gloire.
Ô Source de douceurs divines ! embrasse mon âme en toi et remplis mon esprit de ton amour : lie-moi dans tes liens, afin que je ne m’éloigne plus jamais de toi. Fortifie ma foi infirme, et donne-moi une ferme espérance et confiance ! Purifie mon cœur et mon âme, et donne-moi la chasteté dans ma conscience, tellement que j’aie honte de pécher devant ta face, et que je fuie le péché avec soin ; mortifie en moi toutes les mauvaises convoitises, afin que j’adhère à toi avec des désirs purs et que je chemine dans ta volonté. Conserve-moi dans ta vertu et dans ta connaissance et donne-moi un cœur humble envers toi et envers mon prochain, afin que je te connaisse et que je t’aime toujours. Aide-moi aussi à aimer mon prochain comme moi-même, par Jésus Christ notre Seigneur. Amen !
Une courte Prière à Dieu le grand
Amour brûlant, pour le pouvoir
aimer dignement et comme
il faut.
41. Ô Dieu saint ! qui habites dans une lumière que nul ne saurait atteindre, si non l’amour de ton Fils JÉSUS Christ, que tu as répandu de pure grâce dans notre humanité en JÉSUS Christ, par où tu nous as aimés, nous, pauvres mortels de devant la fondation du monde, et tu nous as délivrés, par cet amour, de ta colère, et de la puissance de la mort et de l’enfer : nous offrant maintenant cet amour par ton Fils Jésus Christ dans ton Esprit de flamme, de sorte que, si nous le demandons, tu veux bien nous le donner.
Moi pauvre misérable, je me reconnais indigne de ces bienfaits ; mais parce que tu les as manifestés dans notre humanité, que tu as prise à toi, et que tu appelles par ce moyen les pauvres pécheurs, étant venu en chair pour les chercher dans leurs péchés et dans leur misère, et les en délivrer et les sauver, comme ta parole nous l’enseigne.
Je viens à toi, ô Père rempli d’amour ! invité par ta parole ; je reçois ta parole et ta vérité dans mon cœur et dans mon âme, et je les embrasse comme ton présent que tu me fais ; te suppliant, ô Amour divin enflammé ! dans l’alliance que tu nous as accordée à nous, pauvres âmes altérées, en Jésus Christ. Embrasse aussi ma pauvre âme de cet amour, afin qu’elle reçoive une nouvelle vie, et une nouvelle volonté, et qu’elle soit délivrée de la captivité de ta colère et de la gueule de la mort.
Ô brûlant Amour de Dieu ! qui as brisé la mort dans notre humanité et détruit l’enfer, ayant parfait la victoire de nos âmes en Christ par la mort ; qui t’es arrêté par des flammes de feu au jour de la Pentecôte dans la bouche et dans le cœur des Apôtres, et qui as enflammé tous tes saints et fait par eux tes miracles ; qui aimes tout l’univers et toutes les créatures, et les conserves, je viens à toi et m’adonne entièrement à toi.
Ô Source divine infinie ! ouvre-toi aussi dans l’esprit de mon intériorité, et allume aussi en moi le feu de ton amour, afin que mon esprit brûle dans ton amour, et que je t’y puisse connaître et te louer.
Ô Sainteté sublime ! je veux pénétrer en moi jusqu’à toi, par le mérite de mon Sauveur Jésus Christ, par son sang et par sa mort, et je m’abandonne en ta flamme ; j’introduis ma volonté en toi par sa résurrection et par son ascension, et je te l’abandonne entièrement ; fais-en ce qu’il te plaira, délivre-la seulement de ses fausses convoitises, et romps-lui sa force, de telle sorte qu’elle ne regarde plus qu’à toi.
Ô Vertu de Dieu très-sainte ! qui flottes dans les cieux et par dessus les cieux et la terre, et qui es près de toutes choses, répands-toi aussi en moi, afin que je puisse renaître de nouveau en toi, et que je verdisse en toi, que je porte de bons fruits comme un sarment en mon Sauveur Jésus Christ le vrai Cep, à ta louange et gloire éternelle.
Ô Porte de la Sainteté divine, luis dans ton temple dans mon esprit, afin que je chemine dans ta lumière et que je te loue continuellement, et que je te serve en sainteté et justice d’une manière qui te soit agréable, à toi qui es seul un vrai Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, bénit éternellement. Amen !
Suivent les Prières pour chaque
jour de la semaine, au matin, à midi
et au soir, de quelle manière l’hom-
me s’y doit exercer conti-
nuellement.
JÉSUS Christ dit à ses disciples : Veillez et priez, que vous n’entriez en tentation (Matth. 26 : 41). Et St. Pierre : Votre adversaire le diable marche comme un lion rugissant autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer : résistez-lui fortement, étant fermes en la foi, en la prière et dans l’espérance, afin que votre cœur soit préservés des traits de ce malin (I. Pier. 5 : 8, 9).
Une courte Prière et soupir péné-
trant à Dieu pour le matin, quand
on s’éveille, avant que de
se lever.
42. Ô Dieu vivant, Créateur du ciel et de ta terre ! mes yeux regardent à toi, et se réjouissent de ta bonté, de ce que tu es si gracieux que ta main m’a conservé durant cette nuit obscure et que tu m’as préservé par ton saint ange de tout mal et de tout danger. Je pénètre jusqu’à toi, Source de vie, je me bénis avec ta sainte croix, où tu as étranglé la mort et ramené la vie par le sang de notre Seigneur Jésus Christ, au Nom de Dieu le Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen !
Prière et action de grâces,
quand on se lève.
43. Je te rends grâces, mon Dieu, mon Père céleste, par Jésus Christ ton cher Fils notre Seigneur et Sauveur, de tous les bienfaits et de ta protection gracieuse, de ce que ta main m’a conservé, et que tu m’as préservé cette nuit contre toutes les ruses de diable et de tout mal. Maintenant je te recommande mon corps et mon âme, et tout ce tu m’as donné, et sur quoi tu m’as établi ton serviteur ; je remets tout entre tes mains, de même que tous mes sens, mes pensées et mes désirs. Conduis-moi, je te prie, pendant cette journée et toujours par ton Saint Esprit et me mène dans le droit chemin ; donne-moi ta parole dans mon cœur et enseigne ta vérité afin que je ne dise, que je ne pense et que je ne fasse rien qui ne soit bon et véritable. Préserve-moi de tout mensonge et de tous les méchants, qui cheminent en mensonge et tromperie, afin que je ne le suive pas ; mais que j’introduise ta vérité dans mon cœur, et fais que je chemine dans le droit chemin. Revêts mon esprit et mon âme du vêtement du salut et de la robe de justice et de pureté, et lave mon cœur avec le sang de JÉSUS l’Agneau de Dieu.
Fais que j’aie toujours tes voies devant mes yeux et que j’y chemine ; envoie-moi ton saint ange, qui me conduise, me mène et me préserve des illusions et des filets de Satan, que je ne prenne pas plaisir à l’injustice ; donne-moi des yeux chastes et modestes, afin que nulle mauvaise convoitise ne s’allume en moi ; garde-moi de la colère et des jurements, afin que je ne prenne point ton Nom en vain ; mais que je chemine d’une manière qui te soit agréable, par Jésus Christ ton cher Fils notre Seigneur et Sauveur, Amen !
Petite Prière, quand on s’habille,
et qu’on se lave.
44. Ô Dieu Éternel ! cet habit me fait souvenir de l’habit d’innocence de nos premiers parents, lorsqu’ils n’avaient point besoin de tels habits : comme sont ces habits terrestres, qui sont la suite du péché.
Ô Dieu miséricordieux ! Tu nous as rapporté le bel habit du Paradis en ton Fils Jésus Christ ; revêts-en donc mon âme, puisque ce corps terrestre n’en est pas digne, jusqu’à ce que je sois une fois relevé de la poussière de la terre ; alors tu me revêtiras entièrement du vêtement de ta vertu et de ta gloire : c’est ce que je crois, et que j’espère selon ta parole. Et comme je me lave présentement de cette eau extérieure, lave-moi, ô bon Dieu, lave mon cœur et mon âme avec le sang de l’agneau Jésus Christ, afin que je sois pur devant toi, et que je te plaise comme ton épouse. Prends-moi entre tes bras comme ta chère épouse, avec laquelle tu t’es promis et fiancé en foi et en charité.
Ô Seigneur Jésus Christ, revêts-moi de ton habit d’innocence, avec laquelle tu as chargé sur toi l’ignominie et la moquerie des hommes dans notre habit. Tu as dépouillé nos habits terrestres dans tes souffrances et dans ta mort : les soldats te les ont ôtés et tu t’es offert tout nu et dépouillé à ton Père céleste, et tu nous as acquis par ce moyen l’habit pur et saint de l’innocence dont notre Père Adam était vêtu avant sa chute, lorsqu’il n’apercevait point sa nudité.
Ô mon bien-aimé Jésus ! veuille en revêtir mon âme ; n’est-ce pas pour cela que tu es venu dans notre humanité, pour nous aider et pour nous faire présent de l’habit de ta vertu ? Enveloppe mon esprit en ton habit, afin que dans cet habit il puisse se présenter à Dieu ton Père et l’invoquer.
Ô Seigneur Jésus Christ ! je ne puis pas me présenter devant Dieu sans l’habit de ta vertu et de ta satisfaction : ma prière ne peut autrement atteindre jusques au trône de la Divinité si tu ne revêts point mon esprit et mes désirs de la victoire de la résurrection : ce n’est que par ce moyen que je puis venir à ton saint Père avec mon esprit ; c’est pourquoi je te remets maintenant mon esprit et ma volonté, afin que tu les possèdes comme ta propriété ; revêts-les, ô Seigneur Jésus, de ta force, de même que je m’habille maintenant de cet habit terrestre ; lave toutes les impuretés de mon esprit ; de même que je lave maintenant mon visage, de cette eau lave aussi intérieurement mon esprit avec la vertu de ta grâce, afin qu’il puisse te contempler fixement, et qu’il conçoive un dégoût sincère de toutes les faussetés et impuretés du mensonge, de l’orgueil, de l’avarice, de l’envie, de la colère et de tout ce qui est contraire à Dieu.
Ô Dieu Saint Esprit ! fais que je marche et chemine dans ta vertu : que le saint ange que tu m’as adjoint me conduise par Jésus Christ Notre Seigneur. Amen !
Prière,
Quand on se met au travail de sa
vocation, en laquelle Dieu a
établi chaque homme.
45. Dieu tout puissant et Éternel, très-cher Père, Créateur du ciel et de la terre ! Tu as créé toutes choses pour ta gloire, et l’homme pour être ton image : Tu l’as établi Seigneur et Gouverneur sur les œuvres de tes mains, et tu as soumis toutes choses sous les siennes.
Moi, pauvre misérable pécheur, je me rappelle dans la mémoire la lourde chute de nos premiers parents, par laquelle ta malédiction est tombée sur cette œuvre et sur la terre ; je me souviens comme nos premiers parents sont sortis du Paradis et sont tombés dans cette malédiction, dans laquelle maintenant nous sommes réduits à flotter tous ensemble parmi la peine et le travail, en nous affligeant et ennuyant, pour l’entretien et conservation de notre vie, jusqu’à ce que nous retournions dans la poussière d’où nous avons été tirés ; c’est là où nous devons attendre l’effet de tes promesses, que tu nous relèveras derechef aux derniers jours de cette poussière de la terre et que tu nous reformeras à l’image glorieuse du Paradis. C’est ce que je rappelle maintenant dans mon souvenir, en commençant l’œuvre de ma vocation, à laquelle tu m’as destiné par la nature ; et je te supplie par cette grande miséricorde que tu nous as témoignée après cette chute funeste, par la grâce de Jésus Christ : qu’il te plaise de me bénir dans mon état et ma vocation, et que tu détournes de moi ta malédiction pour l’amour de Jésus Christ, afin que le méchant esprit ne me crible et attouche dans ma vocation et dans mon état, et ne m’introduise à la fausseté, de sorte que je n’y offense point mon prochain, que je ne le trompe ou lui fasse quelque injustice de paroles ou d’œuvres, et que je n’exige point de lui ce que je ne dois pas avoir.
Donne-moi, je te prie, ô mon cher Seigneur ! un cœur et un esprit droit, afin que j’exerce ma vocation avec une bonne conscience sans aucun mauvais dessein, sans orgueil, avarice, envie, colère, et que je m’en acquitte selon ta volonté, me contentant de ta grâce et de ce que tu me donnes, et fais que je ne cherche pas seulement mon propre, à me servir moi-même dans l’œuvre de mes mains, dans mon emploi et dans mon état dans lequel tu m’as mis, mais que je tâche aussi d’y servir mon prochain et de secourir les pauvres, les misérables et infirmes, les simples et imbéciles, qui ne sont pas doués d’intelligence, pour comprendre tes merveilles et pour s’y exercer.
Fais, bon Dieu, que je me connaisse comme il faut, savoir que je ne suis que ton serviteur dans mon emploi, dans ma condition et dans mes œuvres, et que tout ce qui est de mon administration procède de ta main, n’ayant rien en propre dans ce monde, où je ne suis qu’un pèlerin et un voyageur sur la terre : tellement que c’est Toi, ô Père céleste, qui opères toutes choses et qui les conduis et gouvernes avec ton Fils en la vertu de ton saint Esprit, et qu’ainsi tout est uniquement à toi, et rien à moi.
Donne-moi à bien connaître que tous les hommes procèdent d’une même souche, et que par conséquent ils sont tous mes membres, mes frères et sœurs, comme les branches d’un même arbre, afin que je les aime tous, comme tu nous as aimés, Toi, bon Dieu, avec un amour unique en ton Fils Jésus Christ devant la fondation du monde, et comme tu nous aimes encore, nous ayant tous réconciliés contre ta colère par un seul et même amour. Ainsi, mon DIEU, réveille aussi en moi cet amour unique, embrase-le en mon âme et mon esprit, afin que j’aime aussi en toi et avec toi tous mes commembres dans ton amour, étant prêt et disposé à les servir : et qu’ainsi ton Nom soit sanctifié en nous tous, que ton règne vienne en nous, et que ta volonté se fasse en nous ; tellement que nous soyons tous nourris de ta bénédiction dans une même charité ; ôte de dessus nous tout mal et la griève coulpe, savoir ta malédiction et ta colère, afin que l’envie et l’avarice diabolique ne jaillisse en nous, et nous introduise dans ta malice et dans la vengeance : tellement que nous puissions nous entre-aimer cordialement, et nous pardonner mutuellement nos fautes et nos offenses comme tu nous les pardonnes chaque jour en ton amour par Christ.
Ô Seigneur, détourne encore toutes les attaques artificieuses de Satan dans l’intérieur, qu’il ne nous tente point et qu’il n’excite pas en nous les mauvaises inclinations, pour nous introduire dans la fausse volupté. Délivre-nous, ô bon Dieu, de tous ces maux, par le sang et par la mort de notre Seigneur Jésus Christ.
Donne-moi un cœur joyeux pour exercer tes merveilles et fais en sorte que je n’entreprenne ni veuille ni fasse rien sans ta vertu. Introduis ma vie par tes œuvres merveilleuses et par tes créatures dans l’opération éternelle céleste, à savoir dans le monde caché et spirituel, pour acquérir de la vertu et de la connaissance, afin que mon fond intérieur prenne aussi de l’accroissement et de la force dans tes œuvres merveilleuses, pour la manifestation de la nouvelle Jérusalem en nous, où tu, ô vrai Dieu, opéreras, seras et voudras tout en tout en nous. Donne-moi donc à connaître toutes ces choses, afin qu’elles s’impriment dans mon esprit comme un monument, et que je ne pèche point ni ne dérompe point ma volonté de la tienne, et que je n’engendre point une image fausse qui n’aspire qu’à l’orgueil, à l’avarice et à la propre gloire, et que je ne sois damné avec les mauvais esprits ; mais fais que je sois un esprit et une volonté avec toi, et que je coopère avec toi en la vertu de mon Sauveur Jésus Christ et du Saint Esprit. Amen !
Prière pour le Lundi à midi, ou
lorsqu’on est attouché de cette
dévotion, pour se souvenir de
sa condition.
46. Ô Dieu et Père Éternel ! je te rends grâce et je te loue de l’état où tu m’as mis et de ce que tu m’as donné ce qui m’est nécessaire pour mon entretien (ou que tu m’as adjoint aux gens pieux pour leur pouvoir servir de mes dons) et que tu m’as doué d’entendement, m’ayant créé un homme raisonnable, afin que je te connaisse, de sorte que je ne sois point un homme mort, sot et ignorant qui n’ait aucune connaissance de toi, et qui ne puisse te rendre grâces de tes bienfaits ; mais que tu m’as créé à la lumière du monde, afin que je vive et que j’opère avec ta lumière et en ta lumière ; et tu me fais voir toutes tes merveilles en ta lumière. C’est ce dont je te rends grâces, et de ce que tu m’as formé à ton image et que tu as mis tes merveilles entre mes mains, pour les connaître et pour me réjouir dans l’œuvre de ta créature.
Donne-moi, je te prie, Père Éternel, l’intelligence et la sagesse afin que je n’abuse pas de tes créatures, mais que j’en use uniquement pour ma nécessité, pour l’avantage de mon prochain, pour le mieux et pour celui des miens. Donne-moi d’être reconnaissant de tous tes dons, de sorte que ma raison ne dise pas : cela est à moi, je l’ai acquis ou gagné, je le veux posséder seul, c’est par là que je suis noble, glorieux et magnifique, je dois m’en servir pour me faire honneur et pour établir ma réputation. Tous lesquels discours sont du diable et procèdent de la chute d’Adam.
Ô mon Seigneur Jésus Christ ! fais-moi la grâce de méditer sans cesse ton humilité, ta bassesse et ta pauvreté temporelle, et ne permets pas que mon esprit s’élève au dessus des simples, des pauvres et des disetteux, que mon âme ne se dérompe point d’eux, afin qu’ils n’aient pas sujet de soupirer dans leur misère sur moi et de m’empêcher dans mes voies qui conduisent à toi ; mais fais que mon cœur se couche dans la poussière avec les chétifs et que je confesse toujours que je ne suis rien plus qu’eux, que l’état où je me trouve dépend de toi et que je n’y suis que ton serviteur.
Ô grand Dieu saint et juste ! je te supplie de me découvrir mon intériorité, afin que je connaisse bien ce que je suis. Ouvre en moi ce qui a été enfermé en Adam ; fais que je puisse voir dans mon intériorité de l’âme et sentir l’aimable étoile du matin dans le saint Nom de Jésus qui s’offre de grâce à nous, pauvres mortels, et qui veut opérer en nous avec efficace et y habiter.
Brise les fortes portes de l’agrément de la propre volonté, afin que sa volonté reluise par moi et que mon esprit ressente les rayons de son ardent amour.
Allume ma vie enflammée dans le fond de mon âme par les rayons de ta lumière ; afin que je puisse soutenir ta présence, répands ton amour et ta douceur dans ma vie enflammée, afin que ta lueur ignée ne me consume pas et ne me froisse pas à cause de mon impureté.
Ô grand Dieu saint ! je m’approche de toi maintenant avec mon esprit, comme avec ta vertu répandue, laquelle tu as formée dans une image de ta ressemblance selon ton efficace, et je me rends à toi entièrement en propre. Opère dans mon esprit, comme dans ton objet, tes merveilles à ta volonté, et sers-toi de mon esprit par ta vertu comme de ton instrument, afin que je ne veuille et ne fasse rien sans toi, mais que j’opère et fasse tout avec toi. Dirige toutes mes inclinations par ta puissance, afin que je règne en toi et avec toi sur le péché, la mort, le diable, l’enfer et le monde.
Puisque tu m’avais établi en mon père Adam Seigneur sur toutes les créatures, et qu’après sa terrible chute tu m’y as rétabli en Jésus Christ afin que je règne en lui, avec lui et par lui, et lui avec moi et par moi sur tous nos ennemis, jusques à ce qu’ils soient tous mis pour le marchepied de ses et mes pieds : je te remets, mon Seigneur Jésus, mon esprit entier et mon âme et tout ce que je suis ; règne Toi-même en moi sur tous mes ennemis, qui sont en moi et hors de moi ; mets-les pour le marchepied de tes pieds, et introduis mon esprit, qui est l’image de Dieu, en ta vertu, afin que comme un instrument du Sant Esprit il opère avec Dieu tout ce qui est bon, et que par là ton grand Nom, qui est Dieu, soit manifesté et que je rentre dans la communion de tes saints anges, à quoi tu m’as ordonné dès le commencement.
Ô grand Dieu ! mon âme n’est-elle pas un rayon de ta toute puissance, de ta gloire et de ta science, une compagne de ta sapience et de ta sainteté, une servante de ta majesté et de l’unité de Dieu, un monument de ta manifestation, et une figure de ton grand Nom, qui a fait le monde et toutes choses ? Les formes de ta volonté étaient dans son essence avant qu’elle fût une créature, lesquelles formes tu as moulées dans une créature naturelle, ayant établi l’esprit noble pour dominateur sur elles, voulant Toi-même dominer avec ton saint Nom en ta vertu par notre esprit.
Ô Dieu ! cet esprit s’est détourné de toi en Adam et est entré dans l’agrément de sa propre volonté, et par là il est devenu obscur, sec, aigu, hostile, affamé, envieux, une source infernale et un monstre affreux devant toi, semblable à tous les mauvais esprits ; mais, ô grand Dieu ! Tu l’as derechef converti à toi et régénéré par le très-saint Nom de Jésus ; c’est pourquoi je le remets volontairement à la grâce précieuse que tu nous offres, et je renonce par là à ma propre volonté, et à mon droit naturel, et je le rends à toi pour être ta possession, mon Seigneur Jésus, afin que je ne sois plus moi-même, mais que ce soit Toi en moi selon ton bon plaisir et le bon plaisir de ton Père éternel, et que Dieu soit tout en tout, une essence véritable triune, Père, Fils et Saint Esprit, opérant et régnant dans le ciel et sur la terre sur tout en tout. Amen !
Une autre Prière pour le Lundi à midi, pour considérer les qualités et propriétés du jour, et pour s’élever dans le véritable midi de la lune intérieure de l’essence céleste.
De l’Élévation de l’esprit.
47. Ô Dieu, Lumière superlumineuse et éternellement rayonnante ! Tu as donné la lumière au monde extérieur procédante de la spiration de ta puissance par les rayons de la lumière, et tu règnes avec le soleil et la lune en toutes tes œuvres dans l’essence de ce monde : Tu engendres tout la vie temporelle par ces luminaires ; tout ce qui respire, opère et vit dans ces luminaires, et te loue dans ta vertu ; toutes les étoiles reçoivent leur lumière et leur lueur de ta clarté que tu répands : Tu ornes la terre d’aimables plantes et fleurs par cette lumière, et par là tu réjouis tout ce qui vit et croît en elle : Tu nous y fais voir ta gloire et ta majesté, afin que nous connaissions ta vertu qui y est au dedans renfermée et que nous voyions par là comme tu as fait ton Verbe éternel, et ta vertu visible ; afin que par là nous puissions contempler ton règne intérieur spirituel, dans lequel tu habites d’une manière cachée, et dont tu remplis toutes les créatures, opérant Toi-même tout en tout.
Les cieux et la terre racontent ta gloire, ta force et ta grande puissance ; les éléments sont un tableau de ta sagesse, où ton esprit joue devant toi avec ton objet, et toutes choses te louent, s’égayant avec exultation dans ta vertu. Par dessus cela, ô grand Dieu, tu as ordonné mon esprit pour reconnaître ta Sagesse et être sa compagne, afin que je t’y loue et que je t’aide à exercer et à élever tes œuvres merveilleuses : ton bon plaisir a été de me soumettre toutes ces choses, et tu m’as donné le pouvoir d’opérer en toutes choses, et tu me les as données en propriété.
Ô grand Dieu en Jésus Christ ! qu’est devenue maintenant ma puissance et ma gloire ? elle est tombée dans l’obscurité : qu’il te plaise de me ramener et me rétablir en ma place, où tu m’avais mis par la création, afin que je devienne derechef clairvoyant en ta lumière, et que je connaisse tes merveilles. Luis derechef dans ma lumière solaire et lunaire extérieure, afin que j’apprenne à connaître ta vertu intérieure dans les êtres extérieurs.
Ah ! Lumière superlumineuse de la grande cachette, darde sur moi les rayons de ta sainteté occultée, afin qu’en ma lumière je voie l’éclat de la tienne.
Ô Feu et Lumière de la grande intériorité ! aie pitié de ma misère, et aide-moi à sortir de cette maison obscure, où je suis captif. Redonne-moi une vraie connaissance de ton essence, pour laquelle tu avais portrait au commencement l’esprit dans la nature, et m’as ordonné pour objet de tes formes et créatures : réintroduis-moi en Christ mon Sauveur dans ma première gloire.
Et bien que le corps en cette vie n’en soit pas digne, puisqu’il est devenu un cadavre puant, transparais néanmoins mon esprit noble comme étant ton image, et fais qu’il habite en Christ mon Sauveur dans le ciel, dans la compagnie de tes saints anges.
Place-le au midi de tes merveilles, qui est le but pour lequel tu l’as formé, et règne, Ô Seigneur Jésus, par lui, comme avec ton héritier, sur toutes choses. Donné-moi d’être humble, et de ne m’attribuer aucunement ce que tu fais ; mais que je regarde à toi, et que je te loue et vive continuellement dans ton harmonie, n’entreprenant rien sans toi.
Ô Seigneur, Lumière très-sainte, fais que mon esprit habite en tes parvis, afin qu’il se réjouisse de ta clarté qui découle de toi, et qu’il ne se détourne jamais plus de toi dans toute l’éternité ; mais introduis le derechef dans la compagnie des saints anges, à quoi tu l’as destiné.
Ô sacré Nom d’EMMANUEL ! mon esprit appartient à toi, fais avec lui ce qu’il te plaît. Amen !
Prière pour le Lundi vers le soir,
pour se souvenir du travail pénible
de nos mains dans la malédiction
de la colère de
Dieu.
De l’Abaissement de l’esprit.
48. Ah ! Dieu, de combien de misères, de soucis et d’inquiétudes notre vie est remplie ! de combien d’angoisses et de tribulations ! lorsque nous nous imaginons d’être debout, et que nous voulons nous réjouir des œuvres de nos mains, tu nous ombrages de ta fureur, et tu fais que nous nous angoissons : nous courons et nous nous tourmentons, sans que personne nous poursuive, si non ta colère dans notre corruption. Nous consumons nos jours comme un babil qui s’évanouit : comme un discours qui doit être oublié, c’est ainsi que nos jours passent dans l’oubli, et nous sommes toujours dans les troubles ; nos voies sont inconfiantes. Nous nous reposons sur nos bras, et nous nous arrêtons à l’œuvre de nos mains, et nous n’avons pas une entière confiance en toi : c’est pourquoi tu nous laisses passer outre dans nos angoisses et dans notre tourment. Nous ne faisons jamais réflexion que c’est Toi, ô Dieu, qui opères et qui fais toutes choses : car sans toi rien qui respire n’ose se bouger, et la plus petite herbe ne peut orner la terre sans toi. Nous voyons tout cela, et cependant nous bâtissons toujours sur notre néant, sur l’œuvre de nos mains, et nous ne nous confions point en toi comme il faut ; nous amassons beaucoup, et nous ne jouissons de rien : l’étranger s’en tourmente avec vanité ; et il n’y a point de fin à la misère que nous exerçons.
Ô Dieu ! souviens-toi, je te prie, de notre pénible travail et de notre misère, et détourne de nous ta colère et ta malédiction : et fais que nous courions derechef vers le but que tu nous as proposé, afin que nous puissions rentrer dans notre héritage et nous réjouir de tes merveilles. Regarde à l’angoisse de notre esprit et aux pensées de notre volonté, et souviens-toi que nous sommes gisants dans la poussière ; délivre-nous donc Seigneur, et nous ramène chez nous : car nous sommes dans un pays étranger auprès d’une marâtre qui nous frappe rudement dans ta fureur, et qui nous laisse tournoyer tout affamés autour de tes viandes délicieuses, réduits à manger les gousses de la vanité avec l’enfant prodigue : nos vêtements sont usés et couverts de honte ; nous sommes tous chargés de honte en la présence de ta sainteté ; l’exacteur de ta colère nous mène captifs : lorsque nous nous imaginons de t’avoir empoigné, tu caches ta face devant nous, et tu nous laisses dans le tourment.
Tout cela est l’effet de notre propre volonté, et de ce que nous nous détournons de toi pour nous attacher à la vanité, ne souhaitant que les choses passagères. Nous y nageons par nos convoitises, comme le poisson dans l’eau, et nous ne cessons de dire à notre âme : il n’y a point de danger quoique nous soyons sur le bord de l’abîme de l’enfer, et que la mort cruelle nous menace à toute heure. Nous cheminons tous vers la nuit, et nous courons vers notre fosse, comme un messager court son chemin.
Ô Seigneur Jésus ! demeure avec nous et en nous, et fais-nous bien comprendre que notre vie extérieure, sur laquelle nous avons tant de confiance, court vers son soir et à sa fin, tellement que bientôt nous ne serons plus, et nous apprends à marcher dans le droit chemin ; sois, je te prie, avec nous dans ce pèlerinage, et mène-nous à toi dans ta maison lorsque notre nuit s’approche, et que la mort ouvre sa gueule pour engloutir notre chair et notre vie extérieure, et nous absorber en soi, et nous réduire en poussière : prends-nous dans ta vertu et fais que nous soyons un pain agréable dans l’essence de ta parole procédante de ta bouche.
Fais, mon bon Dieu, que je pense continuellement que ma vie extérieure tend à toute heure vers le soir pour être réduite en poudre, que j’approche toujours plus près de la nuit de la terre, et que ma course dans la chair ne tend qu’à la folie, où les vers me doivent dévorer.
Ah ! Seigneur ! il faut que je tombe dans le gouffre que j’ai ici le plus en horreur, et il faudra qu’il m’engloutisse ; que deviendront alors mes convoitises des choses terrestres dont j’ai tant de soin dans le monde ? si toutes ces choses me doivent devenir en opprobre (ignominie), pourquoi m’empressé-je par des convoitises passagères après des choses qui ne peuvent point m’en délivrer ? pourquoi mon âme se tourmente et se travaille-t-elle pour ses ennemis, qui l’entraînent dans la nuit obscure ?
Ô Dieu, fais-moi connaître ces choses, afin que, détournant mon cœur des peines et des agitations de ce monde, je le tourne vers toi, et que je ne répute pas cela pour ma vie, qui n’est que la mort, afin que je vive dans une continuelle pénitence, et que je m’élance vers toi en mon esprit, tellement que j’opère avec toi, et que ma véritable chair, telle qu’elle avait été créée en Adam, soit sanctifiée et réunie de la poussière avec mon esprit.
Délivre-moi de cette écorce grossière de ma chair terrestre, où le diable a introduit son venin, qui ne sert de rien dans ton royaume. (Jean. 6 : 63.) Et engendre en moi derechef un corps céleste et spirituel, où se trouve l’immortalité, et où aucune mauvaise inclination et convoitise ne puissent naître, et fais que je repose en toi en Jésus Christ, jusqu’à ton retour glorieux et à la manifestation de ta gloire. Amen !
Prière pour le Soir, quand on
quitte son travail, et qu’on
veut se coucher.
49. Je te rends grâces, ô Dieu Père, de toute bonté par Jésus Christ ton cher Fils notre Seigneur et Sauveur, de tous tes bienfaits, de ce que tu m’as préservé par ta grâce aujourd’hui de tout mal et de tout dommage ; maintenant je remets à ta providence mon travail, et je me réfugie en toi avec mon esprit, me remettant entièrement à ta sainte opération. Opère, je te prie, pendant cette nuit et toujours en moi avec l’efficace de ta grâce, et romps en moi les vains désirs des fausses opérations, où ta malédiction et colère cherche à opérer dans ma chair, aussi bien que les suggestions que le diable a introduites, lesquelles incitent mon esprit aux convoitises de la vanité. Dissipe, Seigneur, ces choses par ta vertu, et allume dans moi le feu de ton amour pur, et y abolis les mauvais désirs de l’impureté.
Résiste à toutes les mauvaises influences des astres et des éléments embrasés, et fais que je repose dans ta vertu, afin que mon esprit ne soit pas entraîné dans des mauvais désirs et passions.
Ô grand et saint Dieu, je m’abîme entièrement dans ta grâce et dans ta miséricorde ! envoie-moi ton bon ange, qui retienne les rayons enflammés du malin, afin que je puisse reposer en assurance dans ta vertu, par Jésus Christ notre Seigneur. Amen !
Une courte prière, quand on se
déshabille, et quand on se
couche.
50. Ô Dieu de miséricorde ! dépouille-moi du faux habit du serpent, dont mon père Adam et ma mère Ève m’ont vêtu par leur mauvaise convoitise, où ma pauvre âme a été couverte de l’habit de ta colère, et est exposée à la honte devant tous les anges. Dénue mon esprit et mon âme tout à fait, afin qu’ils soient défaits de ces vêtements, et qu’ils puissent paraître purs devant ta face. Revêts-les, Seigneur, Toi-même de ta vertu, et de l’habit de l’Humanité de Jésus Christ, afin qu’ils puissent derechef cheminer devant toi avec les saints anges.
Ô mon cher Seigneur Jésus Christ ! je te remets mon âme et mon esprit entièrement nus, dépouille-moi de mon habit souillé, dans lequel je parais avec une extrême confusion devant la sainteté de Dieu.
Revêts moi Toi-même de ta victoire, et me présente derechef à ton Père, comme un enfant nouvellement né, que tu as lavé dans ton sang, et dont tu as fait mourir sa mauvaise volonté dans ta mort, et que tu as régénéré par ta résurrection. Allume ta lumière dans cette nouvelle naissance, afin que je chemine dans la lumière, et que je sois et demeure un sarment en toi. Amen !
Action de grâces d’une âme pénitente,
pour les souffrances amères
et pour la mort de
Jésus Christ.
51. Ô Amour divin le plus profond en Jésus Christ ! je te rends louange et grâces de ce que tu m’as délivré du feu tourmentant, et que tu t’es livré toi-même par ta grâce et par ton amour dans mon feu de tourment, et m’as transformé en un feu d’amour et une lumière divine. Tu as mis ta puissance et ta vertu en mon essence au dedans de mon corps et de mon âme, et tu t’es donné à moi en propriété ; qui plus est, tu m’as racheté par ta grâce avec le trésor de ton sang précieux, pour être moi-même à toi : c’est ce dont je te rends des grâces éternelles, te suppliant, ô Amour éternel répandu, au Nom très-saint de Jésus, qu’il te plaise de m’introduire derechef, lorsque cette vie terrestre me sera ôtée, dans ma première patrie, dans le Paradis, dans lequel mon père Adam a habité dans son innocence ; ensevelis mon corps et mon âme dans le repos divin. Cependant fais-moi la grâce de vivre dans une continuelle pénitence et renoncement à ma propre volonté terrestre ; donne-moi aussi une constante persévérance, de sorte que dans cet état je puisse produire beaucoup de bons fruits, jusques à ce que tu me réintroduises dans le repos, dans ma véritable patrie, dans le pays promis, découlant de lait et de miel de la vertu divine. Amen !
Prières pour le Mardi, touchant
la Justice divine, et le Comman-
dement rigoureux et la Loi, qu’il
nous a donnée : Ce que DIEU
exige de nous, et de quelle ma-
nière nous les pouvons
accomplir.
Dressées sur les dix Commande-
ments et sur la Confession de Foi,
en forme de confession et de
prières.
Miroir, qu’on doit contempler
très-sérieusement.
Le I. Commandement.
Dieu dit à Israël sur le mont de Sinaï : Je suis l’Éternel ton Dieu ; tu n’auras point d’autres dieux devant moi. Exode, 20 : 1, 2. Et Deutéronome, 5 : 6, 7. Item : Tu Aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute âme et de tout ton entendement. Deut. 6 : 5. Matthieu, 12 : 57.
Confession de péchés.
54. Ô grand Dieu et saint ! Tu as formé l’homme du limon de la terre, où le Paradis était verdoyant, qui était ta vertu sainte, tu lui as donné un corps glorieux, robuste, aimable, sans ébranlement et sans corruptibilité, une égalité des éléments : et tu lui as inspiré par ta vertu la vie intérieure de l’âme et la vie extérieure élémentaire, de la vertu de ton opération intérieure et de ta connaissance divine, qui est le grand Nom de Dieu : Tu lui as donné une volonté libre, afin qu’il fût une image selon tes œuvres merveilleuses, selon ta puissance et ta gloire, et qu’il dominât sur toutes les créatures de ce monde ; Tu lui as aussi donné la vie extérieure de toutes les opérations avec la vie intérieure de l’âme, par lesquelles tu gouvernes le monde.
Tu l’as établi gouverneur sur tes œuvres merveilleuses, et tu ne lui as donné aucune loi ni commandement, si non qu’il devait se garder d’entrer dans aucun propre désir ni volonté, mais qu’il devait seulement opérer et vouloir dans ta volonté (que tu lui avais donnée) et dans ta vertu, et ne point entrer dans un propre agrément pour éprouver le bien et le mal, de peur qu’il ne réveillât en soi la fureur du feu et la puissance des ténèbres, et qu’il ne biffât pas sa noble image, et ne la convertit en l’âcreté de la terre.
Mais parce que nos premiers parents se sont détournés de ta volonté, par les suggestions menteuses de Satan, et se sont jetés dans leur volonté propre, ayant voulu éprouver le bien et le mal contre ta défense, et qu’ils ont convoité la sensualité et leur propre amour, par où ta colère s’est allumée au dedans d’eux, et l’image céleste a été effacée et convertie en une image terrestre, semblable aux brutes.
Ainsi as Tu, Ô Dieu saint, trouvé à propos de nous donner tes commandements et tes lois, et par là tu nous as mis devant les yeux la forme divine et céleste d’une plénière obéissance, ce que nous étions, et ce que nous sommes devenus par la chute, et tu exiges de nous que nous adhérions à toi seul, et que nous opérions avec toi dans notre volonté de toutes nos forces et nos sens ; oui, tu nous demandes ce noble arrhe, qui est notre âme, que tu as soufflée au dedans de nous de la vertu intime de ton Nom et de ta volonté ; et tu veux que l’âme qui est découlée de ta vertu demeure uniquement dans ton Nom et ta vertu, et opère avec toi et ne se serve point d’autre nom étranger ni d’aucune volonté ni désir, mais uniquement de celui-là dont elle est découlée afin qu’elle s’attache toute entière à son centre, et qu’elle introduise entièrement et uniquement ses désirs dans ton amour, et qu’elle domine avec ton amour, avec roi sur toutes tes œuvres, ne s’attribuant aucune propre domination sans ton amour et ta coopération : tellement qu’elle soit ton instrument, par lequel tu gouvernes toutes les choses de ce monde. Elle ne doit mettre sa confiante en aucune autre puissance ni vertu, et ne doit rien faire pour elle seule en propre, ni se figurer et former avec aucune chose : car elle est un rayon du Tout-puissant, et elle doit dominer sur toutes choses pleinement, comme Dieu lui-même, toutefois non point pour son propre plaisir de la propre volonté, mais uniquement en et avec Dieu ; elle doit se servir de son corps comme de son instrument, qui doit être l’administrateur de tes créatures ; Tu lui as donné toutes choses pour son jeu et récréation, et tu les lui as soumises.
Ce sont toutes ces choses, grand Dieu, que tu nous mets devant les yeux dans tes commandements, et que tu exiges de nous selon ta justice sévère et ta vérité éternelle, avec menaces des peines éternelles à quiconque n’observe pas tous tes commandements et tes lois, et qui ne demeure pas dans ton ordonnance, qu’il doit être maudit et séparé de devant ta face, et qu’il ne verra jamais ta gloire, et n’entrera jamais dans ton repos.
Ô grand Dieu, Dieu faim ! qui es un Feu consumant, que ai-je à dire devant toi, moi pauvre et misérable pécheur, rempli de désobéissance, de mes propres désirs et volontés, et destitué d’un véritable amour et inclination pour toi ? qu’aurai-je à répondre, quand tu me feras venir devant ton jugement et que tu sonderas mon cœur et mon âme ?
Ô mon Dieu ! je ne puis rien, je suis plongé dans le bourbier de ma vanité, jusque dans l’intériorité de mon âme ; ta colère est allumée en moi : toutes les mauvaises bêtes vivent en moi avec leurs convoitises.
Ah ! Seigneur ! mes désirs se sont figurés en elles dans mon âme et dans mon corps, et je suis un ver devant toi et non pas un homme : je ne puis avec cette figuration paraître devant ta face, beaucoup moins à ton saint Nom, qui est le centre de mon âme, d’où elle est procédée : je suis couvert de honte devant ta face avec ce masque hideux, et je n’ai aucune justice en moi pour toi : je te suis devenu infidèle, et je me suis dérompu de ta volonté et me suis introduit dans ma volonté propre ; je suis maintenant devant toi comme l’enfant prodigue, qui était devenu un porcher, et j’ai perdu le bel habit de ta vertu, et je mange d’une heure à l’autre les gousses de la vanité avec les pourceaux du diable, n’étant pas digne d’être appelé ton image et ressemblance : car je ne te puis point obéir par mes propres forces ; je ne suis en moi-même sans ta grâce qu’une source de ta colère et de fureur.
Mais je me réjouis de ta grande miséricorde, que tu as derechef tournée envers nous de ton saint Nom, d’où mon âme est procédée ; lorsque tu as ouvert les portes de ton Unité éternelle et que tu l’as fait influer dans mon âme pour éteindre ta colère et briser le monstre, oui tu as engravé dans mon âme le Nom de Jésus avec cette influence de ta sainteté la plus intime et de ta douceur, qui a pris à soi mon âme et mon humanité, et qui t’a été obéissant en ma place, ayant accompli avec un amour entier et parfait tes commandements et ta loi rigoureuse.
Maintenant je viens à toi avec action de grâces, ô Dieu très-saint, et je te prie d’amplifier en moi ton amour, que tu m’as donné de ta grâce infuse en moi, afin que désormais je te sois obéissant dans ce nouvel amour de la grâce, et que j’accomplisse tes commandements et tes lois par le moyen de l’obéissance de Jésus Christ et de son amour.
Mon Seigneur Jésus m’a derechef planté dans ton Nom, d’où mon Père Adam m’avait arraché : c’est pourquoi je viens maintenant en lui et avec lui à toi, et je me console de ce que je vis et suis en lui, en sa grâce et en son amour habitant et régnant en moi, dans ton obéissance ; et qu’en lui je puis dominer sur le péché, la mort, le diable, le monde et sur toutes les créatures, et que je suis derechef devenu en lui ta véritable image et propre possession.
Ô bon Dieu, règne maintenant en moi par cet amour de ta grâce infuse en moi et fais en moi et de moi tout ce qu’il te plaira : fais mourir chaque jour toutes mes mauvaises créatures dans ma chair, et lie toi éternellement avec mon âme et avec mon esprit, comme tu as fait dans l’humanité de Jésus Christ ; je laisserai volontiers mes mauvaises bêtes dans la chair à la terre jusqu’au rétablissement ; revêts seulement mon âme et mon esprit et l’introduis dans ton obéissance, tellement qu’il ne cherche plus ni n’adore aucun autre Dieu ni aucun autre nom, que le seul Nom de Jésus, qui accomplit en moi ton commandement. Amen !
Le 2. Commandement.
Tu ne prendras point le Nom de l’Éternel ton Dieu en vain : car l’Éternel ne tiendra point innocent celui qui aura pris son Nom en vain. Exode, 20 : 7.
Prière.
53. Ô bon Dieu ! ce commandement me fait bien souvenir comme tu as répandu ton saint Nom dans mon âme et dans mon esprit : oui il est procédé de ton Nom, et tu m’as donné ta puissance de dominer sur toutes choses par ton saint Nom, tellement qu’il doit écouler de ma bouche par ta vertu, et régner sur toutes choses ; oui je devrais former des figures et images saintes par l’expression de ma bouche. De même que Toi, Dieu Éternel, tu as tout formé par ta spiration, et par ton parler : c’est ainsi que tu as aussi mis ta parole avec ton saint Nom dans mon âme et dans mon esprit, afin que comme une forme et une image de ta volonté je puisse aussi m’exprimer de même et produire par là tes merveilles : ce que tu as formé, ô grand Dieu, d’une manière corporelle et par voie de création par ton Verbe, je devrais le former d’une manière spirituelle à ta louange et dans ta sagesse, et ne former aucune image étrangère contre ta création et ton ordonnance dans ma bouche, mais demeurer dans ton opération et dominer sur toutes choses par ton Verbe dans ma bouche et dans mon cœur. (Deut. 30 : 14. Rom. 10 : 8.) Item, le règne de Dieu est au dedans de vous (Luc. 17 : 21).
Tu as mis dans notre bouche ton Verbe, par lequel tu as créé le ciel et la terre, afin que tu tires ta louange de notre bouche, et qu’elle y soit formée.
Mais l’homme s’étant introduit dans ses propres convoitises, et ayant détourné sa volonté de toi, il commença à former de sa bouche des figures terrestres et infernales en ta parole par ta fureur, tels que sont les jurements, les blasphèmes, les formes mensongères, les formes fausses mauvaises des serpents, des loups, des ours, des lions, des chiens, des chats, des vipères et de toutes sortes de bêtes vénéneuses, et même d’y former le Nom de Dieu, sous prétexte des idées divines et de la vérité, aussi des enchantements et tromperies, et d’y reconnaître les images étrangères pour des dieux, et de les honorer, introduisant ton Nom dans les images des idoles.
C’est ce que tu nous représentes dans ce commandement, et ta justice sévère exige de nous que nous formions ton Nom en sainteté, à ta louange et dans ta louange, en pureté et vérité, et de ne former aucune chose par nos paroles sans ta volonté et ta coopération ; mais tu veux que nous parlions, voulions et formions nos idées uniquement avec toi, avec menaces des peines éternelles, comme ton commandement le porte expressément : Maudit est quiconque ne garde pas toutes les paroles de cette loi (Deut. 27 : 26).
Ô grand Dieu ! qu’ai-je maintenant à dire devant toi ? combien de fois n’introduisons-nous pas ta parole et ta vertu dans notre bouche en des fausses images, lorsque nous jurons et maudissons par ton Nom, y introduisons nos mauvaises convoitises, et que nous formons sur nos lèvres une image spécieuse et de belle apparence, et la vendons et débitons l’un à l’autre pour vérité, et dans notre intérieur il n’y a rien autre qu’un serpent rempli de mensonge et de venin : ainsi nous formons ta parole sous une spécieuse apparence dans une figure de serpent et de diable ; avec cela nous blasphémons et nous engendrons une figure vivante du diable et de l’enfer. Nous nous en servons aussi pour des moqueries méprisantes, et nous formons par là l’image de nos mauvaises bêtes : tout ce que nous aimons dans le monde, quelque faux que ce soit, nous y imprimons ton Nom et ta vertu avec notre bouche. Dans nos jurements, lorsque nous appelions ta puissance en témoignage, même dans les enchantements, dans les tourments et torts : nous le formons en des figures infernales avec notre bouche ; et même les hommes introduisent ta parole et ta volonté manifestée dans une image étrangère pour leur ventre, pour leurs sales voluptés et pour leur orgueil, bien qu’eux-mêmes ne la connaissent pas, et cela seulement pour laisser la vérité dans l’obscurité, et afin qu’eux-mêmes puissent être honorés dans ces images étrangères, comme des dieux : ils font des lois et des ordonnances pour leur propre honneur et pour leurs plaisirs, et il s’y lient en jurant par ton saint Nom, quoiqu’aucun d’eux ne les observe dans son cœur.
Ah ! Dieu ! combien de colère envenimée de la propre vengeance et de malices introduisons nous en ton Nom, lorsque nous nous injurions dans nos sens orgueilleux avec ton Nom, nous nous opprimons les uns les autres, et que nous l’employons pour établir une puissance tyrannique, tellement que nous n’usons pas autrement de ton Nom que Lucifer lui-même.
C’est que tu mets devant nos yeux dans ton commandement : car tu nous défends de prendre ton Nom en vain. Or c’est le prendre en vain, lorsque nous l’introduisons en des discours faux et de fausses images.
Ô grand Dieu ! qu’ai-je à dire ici, devant toi ? Tu exiges ton Nom de moi et en moi ! que je m’en serve en sainteté et à ta louange ; où dois je mettre devant tes yeux toutes ces mauvaises et diaboliques images que nous pauvres hommes nous formons dans notre maison de péché ? ce ne sont que des abominations devant toi, pour lesquelles ta loi me maudit et me condamne à la mort éternelle.
Ô Dieu saint ! je n’ai rien, avec quoi je me puisse présenter devant toi, que ta grande miséricorde, par laquelle ton saint Verbe selon ton amour le plus intime a été fait homme, et est venu à notre secours, comme ton premier Verbe, que tu nous as donné et qui s’est formé en notre vie pour nous renouveler, et pour faire mourir toutes ces images diaboliques et en affranchir nos pauvres âmes.
C’est ce dont je te rends des actions de grâces éternelles, te suppliant, ô Amour Éternel qui t’es répandu, au très-saint Nom de Jésus, qu’il te plaise de venir à mon secours, et d’introduire ton Verbe, qui a été fait homme, dans mon âme et dans mon esprit, et de demeurer en moi, afin que je demeure en toi ! Réveille en moi le feu de ton grand amour : allume-le ô Seigneur, afin que mon âme et mon esprit voient ces mauvaises bêtes, et qu’il les fasse mourir dans ta vertu par une vraie repentance, que j’use ton saint Nom continuellement en moi pour te louer et te remercier, et que je n’engendre plus des mauvaises bêtes dans ton Verbe, qui sont destinées pour ton jugement.
Ô Spiration vivante de Dieu ! je m’adonne à toi en toute propriété : opère en moi ce qui te plaît. Amen !
Le 3. Commandement.
Souviens-toi du jour du repos pour le sanc-
tifier, etc. Car en six jours l’Éternel a
fait le ciel et la terre et la mer et toutes
les choses qui y sont, et s’est re-
posé le septième jour.
Prière.
54. Ô bon Dieu ! ce commandement me fait souvenir de mon repos intérieur, vrai et divin dans ton amour et dans ta vertu : que ma volonté doit se reposer de l’agrément de la propre volonté en toi, et Toi, Dieu éternel, tu voudrais opérer Toi-même par ta vertu dans ma volonté : Tu es le vrai Sabbath, dans lequel toutes mes puissances devraient opérer dans un repos éternel et être sanctifiées en toi pour toujours.
Ô que c’était là le vrai Paradis, où tu avais placé nos premiers parents, afin de sanctifier ton Sabbath, qui est ta vertu au dedans habitante et opérative : c’est à dire, t’aimer véritablement et n’admettre aucune étrangère volupté d’une fausse cupidité, et ne point obscurcir ce Sabbath sacré de ta vertu inhérente par les propres désirs, et n’y point introduire la ruse et la fausseté du serpent ; mais de vouloir, coopérer et vivre avec toi, afin que tu sois Toi-même en moi l’opération, le vouloir et le parfaire.
Ah ! mon cher Dieu ! Tu me représentes bien dans ce commandement la figure, où je puis voir ton ordonnance et ta volonté : Tu exiges de moi le pouvoir, tellement que je vive dans ton ordonnance et dans ta volonté, comme tu m’as créé en Adam ; mais mon père Adam a détourné sa volonté de toi, et l’a introduite dans ses propres désirs et convoitises, et il a changé cette opération du Paradis dans ton repos en une opération ardente, ennemie, orgueilleuse, avare, envieuse et en colère, et a profané ton et son Sabbath, et y a introduit la fausse opération et volonté du serpent : pour quelle cause tu l’as chassé de ton repos et de cette opération du Paradis, et as maudit sa fausse opération ; car puisqu’il opère avec le diable et l’enfer, et qu’il court après les troubles, il en a aussi résulté une inimitié contre ton Sabbath sacré.
Tu nous mets devant les yeux dans ce commandement comme tu as opéré toutes choses dans les six propriétés de la nature éternelle, comme dans 1. la concupiscibilité, 2. la mobilité, 3. la sensibilité, 4. le feu ou la vie, 5. la lumière ou l’amour, 6. la compréhension ou la connaissance des vertus, et tu les as introduites dans la septième propriété, comme en ton essentielle Unité et Sagesse, au repos, où toutes les œuvres devaient reposer dans ton amour opératif, où tu voulais opérer par ton amour.
C’était là le véritable Paradis sur la terre dans les éléments, où ton amour, qui était répandu, tenait l’empire souverain sur toutes choses : mais le diable et l’homme l’a corrompu ; c’est pourquoi Toi, juste Dieu, tu as maudit l’opération de la fausse propre volonté, et tu en as retiré ton Sabbath, de sorte que maintenant toutes choses sont dans une pure agitation, misère, inquiétude, piqûre, brisure, meurtre et contrariété. C’est l’héritage que mon père Adam m’a laissé, tellement que j’opère et que je cours dans ta colère, et je viole et profane continuellement ton Sabbath en moi, et j’abuse de ton saint Nom, qui s’est donné avec ma vie en ton opération et ton vouloir. Mais parce que l’homme est tombé dans l’aveuglement de cette connaissance, tu as proposé dans tes commandements une figure et forme de ce pour quoi tu l’avais créé, et de l’ordre où tu l’avais mis : et tu exiges de lui qu’il doit sanctifier ton Sabbath selon cette forme et cet ordre, et se reposer au septième jour de toutes ses œuvres, pour signifier que tu es le Sabbath, en qui toutes choses reposent.
Tu nous représentes aussi par là le repos éternel, où toutes choses, celles qui sont pour l’éternité et qui en procèdent, doivent se reposer dans ton Sabbath, et tu as imposé ta malédiction et ta colère contre ceux qui n’observent pas ton ordonnance, et qui ne reposent pas dans ton Sabbath en toi, n’opèrent pas avec toi seul.
Ô Dieu Éternel, qu’ai-je maintenant à dire ici devant toi ? ma conscience me convainc que nous ne sanctifions pas ton Sabbath comme il faut : car on y exerce toutes sortes d’impies lubricités, et on y mène une vie déréglée ; il est profané par le luxe et par les sales voluptés de la chair, où le diable opère en plusieurs en ta colère et passe son Sabbat dans la contrariété, les riches le passent dans la pompe et dans les voluptés charnelles, et les pauvres dans les soucis et inquiétudes, ou même aussi dans les convoitises de la chair : nous nous faisons appeler et semondre par ta parole, et nous réputons le retentissement que nous entendons pour ton Sabbath ; mais ni l’âme ni l’esprit ressentent quelque chose en eux : nous passons outre comme des sourds qui n’entendent point ta voix ; Tu nous appelles dans ton Sabbath, mais l’âme s’est détournée de toi, et opère dans sa propre volonté, dans la convoitise du diable, et se contente du nom que c’est ton Sabbath ; mais elle ne veut pas se tenir coite en toi, et tourner ses oreilles et ses désirs vers toi, afin que tu opères en elle. Le diable avait introduit son sabbath au milieu du genre humain, et les a tellement éblouis qu’ils ne connaissent plus ton Sabbath : pour cette cause tu as aussi chassé notre père Adam et notre mère Ève de ton Sabbath sacré, et tu les as mis dans le type ; mais tu as derechef introduit ton Sabbath dans l’humanité au Nom de Jésus, afin qu’il réopère en nous et nous en lui, qui a détruit au diable son sabbath de vanité, de fausseté et de mensonge, et nous a restitué le Paradis pourvu que nous nous tournions vers toi et que nous acceptions ce Sabbath, nous adonnant entièrement en l’opération de ta grâce ; ainsi tu veux, ô Dieu Éternel, en nous établir un nouveau Sabbath en Jésus Christ, et faire en nous ta demeure et sanctifier derechef ta parole formée, qui est notre esprit et notre âme, et la placer dans le Sabbath éternel, comme dans le repos de ton Unité !
Ô Dieu Éternel ! je te remets mon âme et mon esprit dans ton saint et nouveau Sabbath Jésus Christ, et je t’amène toutes mes forces, ma volonté et mes sens : prends moi et m’introduis dans ton nouveau Sabbath, car je ne puis l’atteindre par mes propres forces, si tu ne m’introduis pas ; mais parce que tu m’as dit par ton Fils Jésus Christ de venir, avec promesse de me vouloir soulager (Matth. 11 : 28), je viens invité par ta parole à ton éternel souper de ton alliance éternelle en Jésus Christ, et je te prie qu’il te plaise de sanctifier ma pauvre âme dans le Sabbath de ton Fils JÉSUS Christ, et l’introduire dans le repos éternel : redonne lui la viande de ton vrai Sabbath, qui est sa sainte chair et son sang sacré, afin que mon âme sanctifie derechef ton Sabbath, et que Toi seul y puisses opérer, comme dans son image.
Détruis Toi-même en moi le sabbath du diable et sa fausse opération, et donne moi un cœur obéissant qui soit continuellement affamé après ton Sabbath, afin que mon âme entende ce que tu parles en moi dans ton opération, que je te sois obéissant, et que je mette toute ma confiance en toi seul.
Ô Toi Amour Éternel Jésus Christ ! combien ton Sabbath est magnifique dans l’âme, lorsqu’elle se tourne vers toi, tellement que tu la pénètres par ton doux amour, par où le Paradis lui est ouvert : fais donc que mon âme demeure éternellement dans ton Sabbath ; édifie derechef en moi la nouvelle Jérusalem, qui est la cité de Dieu, où ton Sabbath sera sanctifié. Je me remets entièrement dans ton Sabbath : délivre-moi seulement de tout mal. Amen !
Le 4. Commandement.
Honore ton Père et ta Mère, afin que tes
jours soient prolongés sur la terre, laquelle
le Seigneur ton Dieu te donne.
Exode, 20 : 12.
Prière.
55. Ô Dieu Éternel ! Tu nous représentes dans mes parents corporels un type de notre Père éternel et de notre Mère éternelle : car Tu es notre Père, duquel nous avons la vie ; et ton Verbe est notre Mère, qui nous a enfantés de ta créature et formés selon l’image de ta manifestation. Notre âme et notre esprit est, ô Dieu et Père, ton image, et notre corps est l’image de ton Verbe, qui est procédé de toi : c’est ce Verbe qui est notre Mère éternelle, dans lequel corps nous sommes conçus et nourris ; ce sont les Pères et Mères que nous devons honorer et devant qui nous devons nous humilier et leur rendre obéissance. Comme nous devons aussi honorer et nos parents extérieurs et corporels, nous devons aussi honorer nos Parents éternels, du fond desquels nous sommes sourdrés.
Ô Père Éternel ! nous sommes devenus désobéissants, et nous nous sommes jetés entre les bras d’une mère étrangère : nous avons pris le monde pour notre mère, et nous sommes devenus infidèles à la Mère intérieure de ta vertu en ton Verbe. Maintenant nous sommes réduits à sucer en nous le poison et la mort des mamelles de la mère étrangère : elle nous porte maintenant dans son corps d’adversité, elle nous engendre et nous consume derechef dans ta fureur, et elle nous nourrit pendant tout le cours de cette vie extérieure dans une pure misère, souci, peine et travail, dans la souffrance et dans l’indigence, elle nous tient en captivité de telle manière que nous ne pouvons plus voir notre première Mère éternelle ; notre âme gémit après elle, mais ta colère nous tient captifs en soi, tellement que nous sommes contraints de servir à notre marâtre.
Ô Seigneur jusqu’à quand nous mettras-tu en oubli dans notre misère ! adopte nous derechef, et engendre-nous de nouveau dans notre Mère éternelle, et donne nous une volonté obéissante, tellement que nous ne nous détournions jamais plus de toi.
Donne nous aussi des cœurs obéissants envers nos parents corporels, afin que nous les aimions et honorions comme ton ordonnance, puisque tu te sers d’eux pour nous enfanter en ce monde, et pour nous mettre en la lumière du jour : fais-nous aussi cette grâce d’obéir à ton commandement.
Ô bon Dieu ! Tu nous as donné de grâce une Mère nouvelle, qui est ton Verbe très-saint, en ton amour, et tu l’as envoyé dans notre humanité, pour nous engendrer derechef dans ton éternelle vertu, et tu nous influes le lait de ton essence sainte de ton amour : attire nous donc à elle et ouvre en nous la véritable bouche de la foi, tellement que nous ayons continuellement faim et soif après elle, et que nous soyons renouvelés dans sa vertu : car le vieux corps de la mère terrestre n’est d’aucune valeur devant toi, il ne peut pas posséder ton royaume : car ce ne sont pas ceux qui sont nés de la chair et du sang, ou de la volonté de l’homme, qui peuvent obtenir le droit d’être faits enfants de Dieu ; mais ceux-là seulement qui sont nés de Dieu. C’est pourquoi je te prie, ô Père Éternel, qu’il te plaise de m’engendrer de nouveau par la nouvelle Mère de ta grâce et de ta miséricorde en Jésus Christ, et de me faire croître et fortifier en lui, pour être un fruit vivant et saint dans ton royaume, afin que je te sois éternellement obéissant avec les saints, et que je me réjouisse éternellement en toi. Amen !
N. B.
Notre Auteur n’a pas poussé plus avant cet ouvrage,
étant décédé heureusement au Seigneur
à Görlitz, l’an 1624, avant que de
l’avoir achevé.
Troisième Traité.
DE LA VÉRITABLE
ÉQUANIMITÉ, DITE L’A-
BANDON ET EXPRO-
PRIATION :
Comme l’homme doit mourir chaque jour à sa propre volonté dans son ipsaïté (propriété) comme il doit introduire ses désirs en Dieu, ce qu’il lui doit demander, et qu’il doit désirer et comme en mourant au péché il doit reverdir avec un esprit nouveau et une volonté nouvelle, par l’Esprit de Christ :
Comme aussi
Ce qu’est le vieil homme et le
nouvel homme, chacun dans sa
vie, sa volonté et ses actions.
Dressé en 1622.
Matthieu, 6 : 10.
Ta volonté soit faite en la terre comme au ciel.
Jean, 4 : 34.
Ma viande est que je fasse la volonté de celui qui m’a envoyé et que j’accomplisse son œuvre.
CHAPITRE I.
I.
NOUS avons un exemple fort naïf en Lucifer et en Adam, le premier homme, de ce que produit l’ïpsaïté (propriété) lorsqu’elle reçoit la lumière naturelle pour son propre, qu’elle peut cheminer dans l’entendement en un propre gouvernement : c’est ce qu’on voit aussi dans les savants lorsqu’ils reçoivent la lumière du monde extérieur ou de la nature dans la propriété de la raison, comme il n’en résulte que de propre orgueil ; et cependant tout le monde le cherche et désire avec un grand empressement, comme le plus précieux trésor, ce qu’elle est aussi, si on en usait comme il faut.
2. Mais parce que l’ipsaïté (la propriété) qui est la raison est captive et fortement liée dans la colère de Dieu, et aussi dans la terrestréité : c’est une chose très-dangereuse à l’homme, d’avoir la lumière de la connaissance en l’ipsaïté, comme un propre de l’ipsaïté.
3. Car la fureur de la nature éternelle et temporelle s’en réjouit d’abord, de là vient que l’ipsaïté ou la propre raison s’élève dans l’orgueil et se dérompt de la vraie équanime humilité envers Dieu, et ne veut pas manger des fruits du Paradis, mais de la qualité de l’ipsaïté, qui est le gouvernement de la vie, en quoi se trouve le bien et le mal : comme Lucifer et Adam ont fait, qui rentrèrent tous deux par les désirs de l’ipsaïté dans le principe, d’où la créature a été engendrée et formée, Lucifer dans le centre de la nature furieuse, dans la matrice de feu, et Adam dans la nature terrestre, dans la matrice du monde extérieur, comme dans la convoitise du bien et du mal.
4. Et cela leur est arrivé, parce qu’ils ont eu la lumière de l’entendement luisante dans l’ipsaïté, dans laquelle ils pouvaient se mirer et se contempler, et par là l’esprit de l’ipsaïté entra dans leur imagination, comme dans un désir vers le centre, pour s’élever en puissance et en grandeur, et pour devenir avec cela plus sage : or comme Lucifer chercha dans le centre la matrice de feu, et crut par là de régner par-dessus l’amour de Dieu et toute l’armée des anges ; et Adam souhaita aussi la matrice, d’où sourdent le bien et le mal, pour en faire l’épreuve dans l’essence, et y introduit des désirs, voulant devenir par là sage et intelligent.
5. L’un et l’autre se trouvèrent par leurs désirs trompeurs captifs dans la matrice, et se dérompirent de l’équanimité en Dieu ; tellement qu’ils furent captifs avec l’esprit de la volonté avec leurs désirs dans la matrice, laquelle prit d’abord le régiment dans la nature, tellement que Lucifer resta dans le tourment furieux du feu, et ce même feu fut mis en évidence dans l’esprit de sa volonté, par où la créature est devenue dans ses désirs une ennemie de l’amour et de la débonnaireté divine.
6. Adam aussi fut pris sur le champ de la matrice terrestre, qui est bonne et mauvaise, formée en une essence de l’amour et de la colère de Dieu, et les propriétés terrestres se saisirent sur le champ du gouvernement en Adam : c’est de là d’où il lui vint que le chaud et le froid, l’envie, la colère et toute la fausse volonté contraire et pleine de malices contre Dieu furent manifestés et vinrent à régner en lui.
7. Mais s’ils n’avaient pas introduit la lumière de la connaissance dans l’ipsaïté, le miroir de la connaissance du centre et de l’origine de la créature, qui est la propre puissance d’où est procédée l’imagination et la convoitise, n’aurait pas été manifesté en eux.
8. C’est pourquoi aujourd’hui les enfants de Dieu illuminés courent le même danger, en tant que, lorsque le soleil du grand regard de la sainteté de Dieu vient à darder dans leur âme, la vie en triomphe, la raison s’y mire, et la volonté entre dans l’ipsaïté, c’est à dire, dans une propre spéculation, et veut éprouver le centre, d’où la lumière procède, et s’efforcer d’y entrer par l’ipsaïté.
9. De là naît le misérable orgueil et présomption, tellement que la raison propre (qui n’est néanmoins qu’une resplendeur d’un miroir des choses éternelles) s’imagine d’être quelque chose de plus, quoi que ce soit qu’elle fasse, c’est la volonté de Dieu qui le fait en elle, qu’elle est une prophétesse : mais ce n’est qu’elle en soi-même et chemine dans ses propres désirs, dans lesquels le centre de la nature s’élève très-vivement en haut et entre dans des désirs propres de fausseté envers Dieu, tellement que la volonté tombe dans une présomption.
10. Alors le diable flatteur s’approche de lui et il crible le centre de la nature, et y introduit ses faux désirs, tellement que l’homme devient comme enivré dans son ipsaïté, et se persuade lui-même que c’est Dieu qui le pousse ainsi : et par là ce bon commencement, où la lumière divine devient luisante dans la nature, se corrompt, et cette même lumière divine l’abandonne.
11. Alors la lumière extérieure de la nature extérieure reste luisante dans la créature : car la propre ipsaïté s’efforce de s’y fourrer, et elle s’imagine que c’est encore la première lumière de Dieu ; mais ce n’est point cela, c’est le diable qui se fourre dans cette lueur, comme dans la présomption de l’ipsaïté dans la lumière extérieure de la raison, après qu’il a été obligé de se retirer de la première lumière, qui était divine, et il y rentre avec des désirs septuples, comme dit le Seigneur : Quand l’esprit immonde est sorti de l’homme, il se promène dans des lieux déserts et cherche du repos, mais il n’en trouve point : alors il prend sept autres esprits avec lui, pires que lui, et il retourne dans sa première maison, et la trouvant baliée et parée, il s’y loge, et la condition de cet homme-là est pire que la première, etc. (Matth. 12 : 43-45.)
12. La maison parée, c’est la lumière de la raison dans l’ipsaïté : car lorsque l’homme introduit ses désirs et sa volonté en Dieu, et entre dans l’abstinence de sa mauvaise vie, et désire l’amour de Dieu, alors cet amour lui apparaît avec ses regards très-aimables et réjouissants, par où la lumière extérieure de la raison est aussi allumée. Car là où la lumière divine s’allume, tout y devient lumineux, et le diable n’y peut pas durer, mais il est contraint d’en sortir : alors il faut aussi une exacte perquisition (recherche) de la matrice de la source de la vie, savoir le centre, mais il est devenu un lieu sec et aride ; la colère de Dieu, qui est le centre de la nature, est devenue, quant sa propre propriété, impuissante, maigre et sèche, et ne peut point obtenir le gouvernement selon la manière et selon les propriétés de la fureur. Satan fait une exacte recherche dans ce lieu sec, pour voir s’il pourrait trouver une porte ouverte pour entrer par quelque endroit avec ses désirs, et troubler l’âme pour la porter à s’élever.
13. Si alors l’esprit de la volonté de la créature se fourre avec la lumière de la raison dans le centre, comme dans l’ipsaïté, et entre dans la propre opinion, il resort de la lumière divine : à cette heure le diable trouve une porte ouverte pour entrer au dedans de lui, et une maison parée, qui est la lumière de la raison pour son habitation ; alors il prend à soi les sept qualités des propriétés de la vie dans l’ipsaïté comme des hypocrites qui sont sorties de Dieu dans l’ipsaïté : il s’y loge, et il met ses désirs dans la convoitise de l’ipsaïté, et dans une fausse présomption, tellement que l’esprit de la volonté se contemple soi-même dans les qualités des propriétés de la vie, dans la lumière extérieure ; là il se plonge en soi-même comme s’il était ivre, les astres le saisissent et y introduisent leurs puissantes constellations, pour y chercher les merveilles de Dieu, et pour s’y manifester eux-mêmes : car toutes les créatures soupirent après Dieu. Et bien que les astres ne puissent pas atteindre l’esprit de Dieu, si est-ce qu’ils aiment mieux une maison de lumière où ils se peuvent égayer, qu’une maison fermée où ils ne peuvent pas subsister.
14. Ainsi cet homme chemine dans les astres comme s’il était ivre, il comprend des choses grandes et merveilleuses, et les astres le conduisent continuellement : le diable aussi observe fort exactement où il trouve quelque porte ouverte, où il puisse allumer le centre de la vie, tellement que l’esprit de la volonté s’élève dans son propre orgueil, dans sa fausse présomption, ou même dans l’avarice.
15. C’est de là d’où naît l’honneur propre, tellement que la volonté de la raison prétend d’être honorée : car elle s’imagine d’avoir atteint le plus haut degré du salut, parce qu’elle a la lumière de la raison, et qu’elle peut maintenant juger la maison fermée, laquelle néanmoins Dieu peut fort bien ouvrir ; elle s’imagine que, parce qu’elle atteint l’entendement de la raison, l’honneur lui appartient, et ne s’aperçoit jamais comme le diable s’égaye avec ses désirs dans les sept qualités de la vie du centre de la nature, et quelles horribles erreurs il y trame.
16. C’est de là que la fausse Babel a été engendrée sur la terre dans l’église Chrétienne, où on enseigne et gouverne par les conclusions de la raison, et où on pare avec soin l’enfant de l’ivresse avec l’ipsaïté, et qu’on y a placé comme une aimable vierge.
17. Mais le diable est entré dans les sept qualités du centre de la vie pour y habiter, savoir dans l’ipsaïté de la propre raison, et il introduit continuellement sa volonté et les désirs dans cette vierge parée et adoptée des astres ; il est sa bête sur laquelle elle monte bien parée dans les propres qualités de la vie, comme il est représenté dans l’Apocalypse. Ainsi elle a pris en soi la splendeur extérieure de la sainteté divine, qui est la lumière de la raison, et s’imagine qu’elle est le bel enfant dans la maison, mais c’est le diable qui habite au dedans.
18. C’est ce qui arrive à tous ceux qui, ayant été une fois illuminés de Dieu, sortent du vrai abandon, et qui se sèvrent du véritable lait de leur mère, qui est la vraie humilité.
Le Procédé d’un vrai Chrétien,
comme il doit se conduire.
19. La raison insiste, disant : n’est-ce pas une chose bonne et juste qu’un homme participe de la lumière naturelle, extérieure et de la raison, aussi bien que de la lumière divine, afin qu’il puisse gouverner sa vie sagement selon l’écriture ?
20. Oui sans doute cela est juste, et rien ne peut être plus utile et meilleur à l’homme : c’est le trésor le plus précieux qui soit au monde, que de pouvoir obtenir la lumière divine et la temporelle, car c’est l’œil de ce siècle et de l’éternité.
21. Mais écoute comme tu dois t’en servir : la lumière divine se manifeste premièrement dans l’âme, elle éclaire comme la lueur d’une chandelle, et elle allume sur le champ la lumière extérieure de la raison ; non qu’elle s’abandonne entièrement à la conduite de la raison, comme de l’homme extérieur : nullement, l’homme extérieur se considère dans cette lueur pénétrante comme une image devant un miroir, il apprend d’abord à se connaître dans l’ipsaïté, ce qui en soi-même est bon et utile.
22. Lorsque cela advient, la raison, comme l’ipsaïté créaturelle, ne peut rien faire de mieux que de ne point se considérer dans l’ipsaïté de la créature, et de ne point entrer dans le centre avec la volonté du désir, et de ne point se chercher soi-même, autrement elle se dérompt de l’Essence divine, qui se lève dans la lumière divine, et dont l’âme doit manger et se refaire, et elle vient à manger de la lumière extérieure et des choses terrestres, par où elle attire derechef le poison en soi.
23. La volonté de la créature avec toute sa raison et ses désirs doit entièrement s’enfoncer en soi-même, comme un enfant indigne d’une si grande grâce, ne s’attribuant aucune volonté ni intelligence, ne demandant aussi à Dieu aucune intelligence dans l’ipsaïté créaturelle ; mais, se plongeant tout simplement dans l’amour et dans la grâce de Dieu en Jésus Christ, doit désirer que sa raison et l’ipsaïté soit comme morte dans la vie de Dieu, s’abandonnant entièrement à la vie et à l’amour de Dieu, afin qu’il en dispose comme avec son instrument pour tout ce qu’il lui plaira, et de la manière qu’il trouvera à propos.
24. La raison propre ne doit se proposer de feindre quelque chose dans les principes humains, ni dans les choses divines, elle ne doit aussi désirer et vouloir autre chose que la seule grâce de Dieu en Christ, de la même manière qu’un enfant s’attache continuellement au sein de sa mère : il faut aussi de même avoir continuellement faim de l’amour de Dieu, sans s’en laisser jamais détourner ; lorsque la raison extérieure triomphe dans la lumière, et qu’elle dit : j’ai le véritable enfant ; il faut que la volonté des désirs l’humilie jusqu’à terre, et l’introduise dans la plus profonde humilité et simple ignorance, disant : tu es une folle, tu n’as rien que la grâce de Dieu, tu dois t’en envelopper avec l’humilité la plus profonde et t’anéantir en toi-même, tu ne dois ni te connaître ni t’aimer ; tout ce que tu es en toi, et tout ce que tu as doit être réputé un néant, un simple instrument dans la main de Dieu, et tu dois introduire tes désirs uniquement dans la miséricorde de Dieu, en sortant de tout ton propre savoir et de ta propre volonté, et les réputant aussi comme de purs néants, et ne former plus aucune autre volonté ni de près ni de loin pour y rentrer.
25. Lors que cela arrive, la volonté naturelle tombe en défaillance, et le diable ne la peut aussi plus ainsi cribler par ses faux désirs : car les lieux de son repos sont devenus tous secs et faibles.
26. Alors le saint Esprit se saisit des facultés de la vie, et y élève sa domination, c’est à dire, qu’il allume les facultés de la vie des flammes de son amour : et c’est alors que la sublime science et connaissance du centre de toutes choses s’élève selon les constellations intérieures et extérieures de la créature, dans un feu bien subtil et pénétrant, avec un plaisir extrême, pour s’abîmer dans cette lumière, s’en estimant du tout indigne et comme un néant.
27. Ainsi le propre désir pénètre dans le néant, seulement dans l’opération de Dieu, et sait ce qu’il veut en lui, et l’Esprit de Dieu pénètre à travers le désir de l’humilité équanime : ainsi l’ipsaïté humaine regarde après l’esprit de Dieu, en tremblant dans la joie et dans l’humilité, et de cette manière elle peut contempler tout ce qui est dans ce monde et dans l’éternité, tout lui est près.
28. Lorsque l’Esprit de Dieu s’élève comme un feu d’amour enflammé, l’esprit de la volonté de l’âme s’abat et dit : Seigneur, c’est à ton Nom qu’appartient la gloire, et non à moi ; Tu as le pouvoir de prendre la vertu, la puissance, la force, la sagesse et la connaissance ; fais ce qu’il te plaira, je ne puis rien et je ne sais rien, je ne veux aller nulle part, si non où tu me conduis comme ton instrument, fais en moi et de moi tout ce qu’il te plaira.
29. Dans cet humble abandon l’étincelle de la vertu divine tombe comme une allumette dans le centre de la faculté de l’âme, comme dans le feu de l’âme, qu’Adam avait réduit en soi en un charbon obscur, et elle fume ; et si alors la lumière de la vertu divine s’y allume, il faut que la créature précède comme un instrument de l’Esprit de Dieu, qu’elle prononce ce que l’Esprit de Dieu dit ; alors elle n’est plus à elle-même, mais elle est l’instrument de Dieu.
30. Mais il faut que la volonté de l’âme même dans cet instinct igné s’abîme sans cesse dans son néant, comme dans la plus profonde humilité devant Dieu : du moment qu’elle veut tant soit peu entrer dans sa propre spéculation, Lucifer s’empare du centre de la faculté de la vie, et la crible, pour la concentrer dans l’ipsaïté ; il faut qu’elle demeure dans cet humble abandon, de même qu’un ruisseau doit dépendre de la source et puiser sans relâche de la source divine, et en boire, sans jamais désirer de sortir des voies de Dieu.
31. Car du moment que l’âme mange de l’ipsaïté de la lumière de la raison, elle chemine dans la propre opinion, et son affaire, qu’elle fait passer pour une chose divine, n’est que l’effet d’une constellation extérieure, qu’elles embrasse précipitamment, et dont elle s’enivre : ainsi elle court si longtemps dans l’erreur, jusqu’à ce qu’elle rentre entièrement dans l’abandon, et qu’elle vienne à se reconnaître pour un enfant souillé, qu’elle résiste à sa raison, et qu’elle obtienne derechef l’amour de Dieu, ce qui se passe avec beaucoup plus de peine que la première fois : car le diable y jette avec véhémence des doutes ; il n’abandonne pas volontiers son repaire de larrons.
32. C’est ce qui se remarque de tout temps dans les saints, comme quoi quelques-uns qui avaient été poussés par l’Esprit de Dieu sont derechef sortis de l’abandon et rentrés dans l’ipsaïté, comme dans leur propre raison et volonté, dans laquelle Satan les a précipités dans le péché et dans la colère de Dieu, comme on peut voir en David, Salomon et même aussi en des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres, qui ont souvent opéré des erreurs bien fortes, lorsqu’ils sont sortis de l’abandon et entrés dans l’ipsaïté, comme dans leur propre raison et convoitises.
33. C’est pourquoi il importe aux enfants de Dieu de savoir de quelle manière ils se doivent prendre, s’ils veulent apprendre les voies de Dieu : savoir qu’ils doivent rompre et rejeter les pensées, et ne rien désirer ni vouloir apprendre, qu’ils ne se sentent dans le véritable abandon, tellement que ce soit l’Esprit de Dieu qui enseigne, qui dirige et qui conduise l’esprit humain, et que la propre volonté de l’homme, qui cherche son plaisir, soit entièrement rompue et abandonnée à Dieu.
34. Toute spéculation des merveilles de Dieu est une chose très-dangereuse, où l’esprit de la volonté se trouve bien subitement enlacé ; à moins que l’esprit de la volonté n’ait les yeux fort attachés sur l’Esprit de Dieu, alors il a le pouvoir de contempler dans un humble abandon toutes les merveilles de Dieu.
35. Je ne veux pas dire que l’homme doive s’appliquer, expérimenter et apprendre aucune science naturelle : nullement, car cela lui est utile ; mais il ne faut pas commencer par la propre raison, il ne faut pas que l’homme se conduise uniquement par la lumière extérieure de la raison : elle est bonne, il est vrai ; mais avec cela il doit se plonger dans la plus profonde humilité devant Dieu, et il doit faire précéder l’Esprit et volonté de Dieu à toutes ses recherches et à son étude, tellement que la lumière de la raison voie par la lumière divine : et bien que la raison ait beaucoup de connaissance, elle ne doit point néanmoins se l’attribuer, comme une chose qui lui appartienne, mais en donner à Dieu toute la gloire, à qui seul appartient la connaissance et la sagesse.
36. Car tant plus la raison se plonge dans une humilité naïve devant Dieu, et tant plus elle se répute indigne devant lui : tant plus elle meurt à ses propres désirs, et tant plus l’Esprit de Dieu la pénètre et l’introduit à la connaissance la plus sublime, tellement qu’elle peut contempler les plus grandes merveilles de Dieu. Car l’Esprit de Dieu ne se trouve que dans l’humble abandon, il embrasse ce qui ne se cherche point soi-même, et qui ne désire rien pour soi : ce qui désire seulement de demeurer en soi-même dans la simplicité devant Dieu, cela est saisi de l’Esprit de Dieu, et il le parachève dans ses merveilles ; il n’y a que ceux qui le craignent et qui s’humilient devant lui qui lui soient agréables.
37. Car Dieu ne nous a pas créés pour la propre volonté, mais pour être les instruments de ses merveilles, par lesquels il veut lui-même les manifester : la volonté abandonnée se confie en Dieu et espère tout bien de lui ; mais la propre volonté se gouverne elle-même, car elle s’est dérompue de Dieu.
38. Tout ce que fait la propre volonté est péché et contre Dieu : car elle est sortie de l’ordre où Dieu l’a créée, pour entrer dans la désobéissance ; elle veut être son propre seigneur.
39. Lorsque la propre volonté meurt à son ipsaïté, elle est affranchie du péché : car elle ne demande rien, si non ce que Dieu exige de la créature ; elle ne veut faire que ce à quoi Dieu l’a créée et que Dieu veut faire par elle. Et bien que l’action se fasse et doit s’exécuter, si est-ce qu’elle n’est que l’instrument de l’action, dont Dieu se sert pour faire ce qui lui plaît.
40. Car c’est en cela que consiste la vraie foi dans l’homme, qu’il meure à son ipsaïté, savoir à ses propres désirs, et qu’il introduise tous ses désirs en tout ce qu’il se propose ou qu’il entreprend, dans la volonté de Dieu, ne s’attribuant aucune action en propre ; mais qu’il se répute dans toutes ses actions pour être uniquement un serviteur et valet de Dieu, pensant que tout ce qu’il se propose et qu’il fait, c’est à Dieu à qui il le fait.
41. Car dans cette résolution l’Esprit l’introduit dans une vraie fidélité et sincérité envers son prochain : car il pense, je ne fais point cela pour moi, mais pour Dieu, qui m’a appelé et ordonné pour cela, comme étant son serviteur dans sa vigne : il prête une continuelle attention à la voix de son Seigneur, qui lui commande intérieurement ce qu’il doit faire ; le Seigneur parle au dedans de lui, et lui ordonne de faire la chose.
42. Mais l’ipsaïté fait ce que la raison extérieure, qui procède des astres, lui suggère, et le diable involant se glisse dans la raison avec ses désirs. Tout ce que fait l’ipsaïté est hors de la volonté de Dieu : tout se fait dans la fantaisie, de sorte que la colère de Dieu s’y égaye.
43. Nulle œuvre hors de la volonté de Dieu ne peut atteindre le royaume de Dieu, ce n’est qu’une sculpture inutile, dans le grand travail des hommes : car rien n’est agréable à Dieu que ce qu’il fait lui-même par la volonté ; d’autant qu’il n’y a qu’un seul Dieu dans l’être de tous les êtres, et tout ce coopère avec lui dans cet être est un même esprit avec lui.
44. Mais tout ce qui opère dans son ipsaïté dans la propre volonté est hors de son gouvernement, en soi-même : tout est bien sous le gouvernement de sa toute-puissance, par laquelle il gouverne tout ce qui a vie, mais tout n’est pas dans son gouvernement saint et divin en lui-même, mais sous le règne de la nature, par lequel il gouverne le bien et le mal ; rien ne peut être appelé divin dans tout ce qui n’entre pas et qui n’opère pas dans la volonté de Dieu.
45. Toute plante, dit Jésus Christ, que mon Père n’a point plantée sera déracinée et brûlée au feu (Matth. 15 : 13). Toutes les œuvres de l’homme, qu’il opère hors de la volonté de Dieu, brûleront dans le dernier feu de Dieu, et seront livrées à la colère de Dieu, qui est l’abîme des ténèbres, pour s’en récréer éternellement. Car Jésus Christ dit : Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’amasse pas avec moi dissipe. Celui qui n’opère et n’agit pas avec lui, avec une volonté abandonnée et avec confiance en lui, celui-là ne fait que de dissiper et ravager, cela ne lui est point agréable : rien n’est agréable à Dieu que ce qu’il veut lui-même par son Esprit et ce qu’il fait par ses instruments.
46. C’est pourquoi tout ce qui se fait dans les choses divines et dans la volonté par les conclusions de l’ipsaïté humaine n’est que fable et Babel : ce n’est qu’un ouvrage des astres et du monde extérieur, et ne sera point reconnu de Dieu pour son ouvrage ; mais c’est un pur jeu dans la roue luttante de la nature, où le bien et le mal s’entrebattent : ce que le bien édifie, le mal le détruit, et ce que le mal édifie, le bien le détruit ; c’est là la grande misère des travaux inutiles de l’homme, qui sont destinés pour le jugement de Dieu, pour la séparation de tout démêlé.
47. C’est pourquoi celui qui travaille et édifie beaucoup dans cette misère pénible ne travaille que pour le jugement de Dieu : car tout cela n’est point parfait ni stable ; il faut qu’il soit mis en putréfaction et séparation. Car ce qui est opéré dans la colère de Dieu, elle le prendra et réservera dans le mystère de ses désirs, pour le jour du jugement de Dieu, où se fera la séparation du bien et du mal.
48. Mais si l’homme se convertit, et sort de son ipsaïté, et entre dans la volonté de Dieu, le bien qu’il aura fait dans l’ipsaïté sera délivré du mal qu’il aura fait. Car Ésaïe dit : Quand vos péchés seraient rouges comme le vermillon, si vous vous convertissez, et que vous fassiez pénitence, ils seront blanchis comme la neige et comme la laine (És. 1 : 18). Car le mal sera englouti dans la colère de Dieu dans la mort, et le bien éclora comme une plante de la terre sauvage.
Chap. II.
1. Celui qui prétend d’opérer quelque chose de bon et de parfait, en quoi il espère de se réjouir éternellement et d’en jouir, qu’il sorte de l’ipsaïté, savoir de ses propres désirs, pour entrer dans l’abandon, dans la volonté de Dieu, et qu’il opère avec Dieu.
2. Et bien que les désirs terrestres de l’ipsaïté adhèrent encore à la chair et à son sang, pourvu que la volonté de l’âme ne les laisse pas entrer en soi, l’ipsaïté ne peut rien opérer : car la volonté abandonnée rompt toujours l’opération de l’ipsaïté, tellement que la colère de Dieu ne la peut pas atteindre ; et quand même elle l’atteindrait, ce qui ne se peut tout à fait éviter, si est-ce que la volonté abandonnée y relève sa vertu, et ainsi elle demeure dans la figure devant Dieu, comme une œuvre victorieuse dans les merveilles, et elle peut hériter l’adoption.
3. C’est pourquoi il n’est pas bon de parler ou d’opérer, lorsque la raison est enflammée dans les désirs de l’ipsaïté : autrement le désir opère dans la colère de Dieu, et l’homme en recevra du dommage ; car son œuvre sera introduite dans la colère de Dieu, et réservée pour le grand jour du jugement de Dieu.
4. Tous les faux désirs, par lesquels l’homme entreprend de s’attirer les biens du monde avec ruse au préjudice de son prochain seront réservés pour la colère de Dieu, et pour le jugement, où toutes choses seront manifestées, et toute la vertu et les œuvres d’un chacun, soient bonnes ou soient mauvaises, seront mises devant ses yeux, dans le mystère de la révélation. Tout malfait prémédité est destiné pour le jugement de Dieu.
5. Mais celui qui se convertit en sort, et son œuvre est jetée au feu, il faut que toutes choses soient manifestées à la fin : c’est pour cela que Dieu a introduit sa vertu opérante dans une essentialité, afin que l’amour et la colère de Dieu se manifestent, et qu’elles soient une figure pour la gloire et pour les merveilles de Dieu.
6. Chaque créature doit savoir qu’elle demeure en ce en quoi Dieu l’a créée, autrement elle se jette dans la rébellion et dans l’inimitié contre la volonté de Dieu, et elle s’introduit elle-même dans le tourment : car nulle créature qui a été créée dans les ténèbres ne sentira la peine des ténèbres : comme un ver vénéneux n’est point travaillé de son venin, le venin est sa vie ; mais s’il venait à le perdre, et que quelque chose de meilleur fût introduit en lui et manifesté dans son essence, alors cela lui serait un tourment et sa mort même : ainsi le mal est aussi le tourment et la mort du bien.
7. L’homme a été créé dans le Paradis dans l’amour de Dieu, et s’il se jette dans la colère, comme dans le tourment vénéneux et la mort, la vie opposée lui est un tourment.
8. Si le diable avait été créé dans l’enfer de la matrice furieuse, et qu’il ne eût pas eu un être divin, il ne souffrirait aucun tourment dans l’enfer : mais parce qu’il a été créé dans le ciel, et qu’il a excité en soi le tourment des ténèbres, où il s’est totalement précipité, la lumière maintenant est son supplice, c’est un désespoir éternel de la grâce de Dieu, et une inimitié perpétuelle, en tant que Dieu ne peut pas le souffrir en soi, l’ayant vomi de sa bouche ; c’est pourquoi il est en fureur contre sa mère, de l’essence de laquelle il est procédé, qui est la nature éternelle, qui le tient captif, comme un rebelle, qui est sorti de sa place et qui se recrée en lui selon la propriété de la colère et de la fureur. Parce qu’il n’a pas voulu servir à la réjouissance divine : il faut qu’il souffre le contraire, et qu’il soit l’ennemi du bien.
9. Car Dieu est toutes choses, il est les ténèbres et la lumière, l’amour et la colère, le feu et la lumière ; mais il se nomme uniquement Dieu selon la lumière de son amour.
10. Il y a une contrariété éternelle entre les ténèbres et la lumière : l’une ne peut pas comprendre l’autre ; si est-ce qu’il n’y a qu’une seule essence, qui est distinguée par la source et par la volonté, mais qui néanmoins n’est point un être séparé, ce n’est que le principe qui les fait distinguer, tellement que l’une est dans l’autre comme un néant, quoique chacune soit ; mais elle n’est pas manifestée selon sa propriété, où elle est.
11. Car le diable est demeuré dans sa domination, mais non dans celle où Dieu l’avait créé, mais dans la génération angoisseuse de l’éternité, dans le centre de la nature, selon la propriété de la fureur pour la génération des ténèbres, de l’angoisse et du tourment : il est bien un prince dans le lieu de ce monde, mais dans le premier principe, dans le règne des ténèbres, dans l’abîme ; non point dans le règne du soleil, des astres et des éléments, il n’est point un prince dans ce règne, mais dans la partie de la fureur, comme dans la racine de la malice de tous les êtres, et encore n’a-t-il pas le pouvoir de s’en servir.
12. Car en toutes choses il y a aussi quelque chose de bon, qui tient le mal captif et enfermé en soi : ainsi il ne peut agir que dans le mal, lorsque le mal s’émeut dans les désirs, et qu’il introduit ses désirs dans la malice, ce qu’une créature destituée de vie ne peut pas faire ; mais l’homme le peut faire par les créatures inanimées, lorsqu’il y introduit le centre de sa volonté avec ses désirs du centre éternel, ce qui est un enchantement ou une fausse magie ; là où l’homme introduit les désirs de son âme, qui procède de l’être éternel, dans la malice, comme avec une méchante volonté, la volonté du diable y peut aussi entrer.
13. Car l’origine de l’âme et celle des anges à l’égard de l’éternité est la même : mais depuis que ce monde et les êtres qui y sont existent, le diable n’a plus de pouvoir que dans la grande turbe ; quand elle s’allume dans la fureur éternelle et naturelle, il y est occupé, comme dans la guerre et dans les querelles, aussi dans les grandes tempêtes inaquatiques ; il se lance dans le feu aussi avant que la turbe, il ne peut plus avant ; il entre aussi dans l’éclat de tonnerre, mêlé de pluies et de grêle, comme dans la turbe, mais il ne peut pas la gouverner, parce qu’il n’y est point Seigneur, mais seulement serviteur.
14. Ainsi la créature excite par ses désirs le mal et le bien, la vie et la mort : les désirs humains et angéliques sont dans le centre de la nature éternelle, qui n’a point de commencement ; de quelque côté qu’ils s’allument, elle y opère le bien ou le mal.
15. Or Dieu a créé chaque chose, où elle doit être, comme les anges dans le ciel et l’homme dans le Paradis : que si le désir de la créature sort de sa propre matrice, il tombe dans le regret et dans l’inimitié, où il est tourmenté, et il résulte une mauvaise volonté de la bonne : d’où vient que la bonne volonté rentre dans son néant, qui est la fin de la nature et de la créature, et elle abandonne la créature en sa propre méchanceté ; comme cela se voit en Lucifer, et même en Adam, si la volonté de l’amour de Dieu ne l’avait prévenu, et n’était de nouveau entré par sa grâce dans l’humanité, sans cela il n’y aurait plus aucune bonne volonté dans l’homme.
16. C’est pourquoi toutes les spéculations et recherches creuses, touchant la volonté de Dieu, ne sont rien sans une véritable conversion de l’esprit. Lorsque l’esprit est captif dans les propres désirs de la vie terrestre, il ne saurait comprendre la volonté de Dieu, il ne fait que courir çà et là dans l’ipsaïté, sans trouver aucun repos : car les propres désirs ne produisent qu’une inquiétude perpétuelle.
17. Mais celui qui se plonge entièrement dans la miséricorde de Dieu et désire de mourir à sa propre volonté et d’avoir la volonté de Dieu pour son guide et entendement, tellement qu’il se tient et se reconnaît comme un pur néant, ne voulant rien que ce que Dieu veut : et lorsque le désir de la colère s’insinue dans la chair avec l’imagination du diable et qu’il achoppe à la volonté de l’âme, le désir exproprié crie alors à Dieu, Abba Père, délivre-moi du malin, et alors il n’opère qu’en soi, si c’est que la volonté terrestre dans la colère de Dieu par l’impulsion du démon fut trop forte, comme dit St. Paul : Si je pèche, ce n’est point moi, mais le péché, habitant en ma chair (Rom. 7 : 20). Je sers donc moi-même de mon entendement à la loi de Dieu, mais de la chair à la loi du péché (Rom. 7 : 25).
18. La pensée de St. Paul n’est pas que l’esprit doive consentir à la volonté de la chair ; mais il veut dire que le péché a tant de force dans la chair, savoir la colère de Dieu excitée dans l’ipsaïté, de sorte qu’elle est quelquefois poussée par un faux contreson des impies, ou par quelque faux regard de la vanité mondaine dans quelque convoitise, tellement qu’elle étourdit la volonté expropriée, et s’en rend le maître avec violence.
19. Et lorsque le péché est opéré dans la chair, la colère s’y veut recréer et se veut aussi saisir de la volonté expropriée : alors elle crie à Dieu pour être délivrée du mal, qu’il lui plaise d’éloigner et de donner d’elle le péché dans le centre de la mort, et de le faire mourir.
20. De sorte que St. Paul ajoute dans la suite : qu’il n’y a nulle condamnation en ceux qui sont en Jésus Christ, qui sont appelés selon son propos arrêté (Rom. 8 : 1), c’est à dire, qui selon son propos arrêté, dans lequel Dieu avait appelé les hommes, sont derechef appelés de la même vocation, tellement qu’ils sont rentrés dans le propos arrêté de Dieu, dans lequel il avait créé l’homme dans sa ressemblance, dans une image selon lui. Aussi longtemps que la propre volonté demeure dans son ipsaïté, elle n’est point dans le propos arrêté ni dans la vocation divine : ainsi elle n’est point appelée, car elle est sortie de son lieu.
21. Mais lorsque l’esprit retourne dans sa vocation, savoir dans l’abandon, alors la volonté est dans la vocation divine, savoir dans le lieu où Dieu l’avait créée, et elle a le droit d’être fait enfant de Dieu, comme il est écrit : Il nous a donné le droit d’être faits enfants de Dieu. Le droit qu’il nous a donné est son propos arrêté où il créa l’homme à son image : c’est cette puissance que Dieu a derechef introduite en Christ dans l’humanité, et il a donné à cette puissance le pouvoir de briser la tête du péché dans la chair, qui est la volonté et le désir du serpent ; ce qui veut dire que la volonté abandonnée en Christ marche sur la tête du désir de la volonté pécheresse du serpent, et fait mourir le péché commis : ce droit ou cette puissance est la mort de la mort même, et c’est un droit de vie pour la vie.
22. C’est pourquoi personne ne peut s’excuser comme s’il ne pouvait pas vouloir : il est vrai que, pendant qu’il demeure dans l’ipsaïté, dans ses propres désirs, et qu’il ne sert qu’à la loi du péché dans la chair, il ne le peut pas : car il est tenu dans l’esclavage et servitude du péché ; mais lorsqu’il tourne le centre de son esprit, et qu’il entre en l’obéissance et en la volonté de Dieu, il le peut.
23. Or le centre de l’esprit procède de l’éternité de la toute-puissance de Dieu, il se peut introduire là où il veut : car ce qui est de l’éternité n’a point de loi ; mais sa volonté a une loi de Dieu, savoir d’être obéissante à Dieu, et elle naît de l’esprit, qui ne doit point se transporter de ce en quoi Dieu l’a créé.
24. Dieu créa la volonté de l’esprit dans le Paradis, pour être une compagne de la joie divine : elle n’aurait jamais dû s’en retirer ; mais parce que maintenant elle s’en est retirée, Dieu a derechef introduit sa volonté dans la chair, et nous a donné le pouvoir dans cette volonté de nouveau introduite, d’y introduire notre volonté, pour y allumer une nouvelle lumière et devenir derechef ses enfants.
25. Dieu n’endurcit personne ; mais la volonté propre, qui persévère dans la chair pécheresse, endurcit l’esprit : car elle introduit dans l’esprit la vanité de ce monde, afin que l’esprit demeure fermé.
26. Dieu, en tant que Dieu, ne peut point vouloir le mal : car il n’y a qu’une seule volonté en Dieu ; c’est un amour éternel, un désir de l’égalité, comme la force, la beauté et la vertu.
27. Dieu ne demande rien, si non ce qui est conforme à son désir : et son désir ne reçoit rien que ce qu’il est lui-même.
28. Dieu n’admet aucun pécheur dans sa vertu, à moins que le pécheur ne sorte du péché, et qu’il n’entre en lui par ses désirs ; et celui qui vient à lui, il ne le rejette point. Il a donné une porte ouverte à la volonté en Christ, disant : Venez à moi vous tous qui êtes travaillés de vos péchés, et je vous soulagerai ; chargez mon joug sur vous, c’est à dire la croix de l’inimitié dans la chair, qui était le joug de Christ, qu’il a été obligé de porter pour les péchés de tous les hommes : c’est ce joug que la volonté expropriée doit charger sur soi dans la chair mauvaise terrestre et pécheresse, et le porter après Jésus Christ, dans l’espérance de la délivrance, et briser continuellement la tête du serpent par la volonté abandonnée de l’âme dans la volonté et dans l’Esprit de Christ, et faire mourir et rompre sa volonté terrestre dans la colère de Dieu ; ne point s’endormir sur l’oreiller de la sécurité, quand on a commis le péché, et penser : tu t’en repentiras encore une fois.
29. Non, non, la volonté terrestre ne fera que se renforcer dans ce lit mollet, s’engraisser et devenir lascive : mais du moment que le souffle divin s’émeut en toi, et te montre le péché, la volonté de l’âme doit se plonger dans les souffrances et dans la mort de Christ, et s’en envelopper fortement, s’appropriant en soi les souffrances de Christ, pour être maître sur la mort du péché par la mort de Christ, tellement que le péché soit entièrement brisé et mis à mort en lui.
30. Quelque résistance qu’elle fasse, il faut qu’elle se rende ; déclare la guerre à la chair voluptueuse et terrestre, ne lui donne point ce qu’elle désire, laisse la jeûner et avoir faim, jusques à ce que le chatouillement soit passé. Répute la volonté de la chair pour ton ennemi, et n’accomplis point le désir de la chair : alors tu lui introduiras la mort. Ne fais aucun cas des railleries du monde : souviens-toi qu’il ne méprise que ton ennemi, puisqu’il le regarde comme un fou ; regarde-le aussi de même pour ton fou, lequel Adam t’a excité et établi pour un injuste héritier. Chasse le fils de la servante hors de ta maison, comme un enfant étranger qui ne t’a point été donné de Dieu au commencement en Adam dans la maison de la vie : car le fils de la servante ne doit point hériter avec le fils de la libre (Gal. 4 : 30).
31. La volonté terrestre n’est que le Fils de la servante : car les quatre éléments devraient être les serviteurs de l’homme ; mais Adam les a introduits à l’adoption. C’est pourquoi Dieu dit à Abraham, lorsqu’il découvrit en lui l’alliance de la promesse : Chasse le fils de la servante, car il ne doit pas hériter avec le fils de la franche ; la Franche c’est le Christ, que Dieu a introduit dans notre chair par sa grâce, comme un esprit nouveau, d’où la volonté, savoir la volonté éternelle de l’âme, peut puiser et boire de l’eau de vie, dont Jésus Christ lui-même nous dit que l’eau qu’il nous donnera sera faite en nous une fontaine d’eau saillante en vie éternelle (Jean, 4 : 13). La source c’est le renouvellement de l’esprit en l’âme, qui est l’astre éternel de la nature éternelle, comme la qualité de la créature de l’âme.
32. C’est pourquoi je dis que tout ce qu’on peut inventer par rapport à Dieu, de quel nom qu’on le nomme, en quoi l’homme feint des voies pour venir à Dieu, est une chose vaine et inutile, sans renouvellement de l’esprit.
33. Il n’y a point d’autre chemin pour aller à Dieu que le renouvellement de l’esprit, qui se détourne de la malice, et qui entre dans une sérieuse contrition des péchés qu’il a commis, qui sort de tout malfait et ne le veut plus ; mais qui enveloppe sa volonté jusqu’à la mort de Christ, et qui meurt avec une sérieuse résolution en la mort de Christ au péché de l’âme, tellement que l’esprit de l’âme ne veut plus les péchés. Et quand tous les diables se mettraient après lui, pour s’introduire dans la chair avec leurs désirs, si est-ce que la volonté de l’âme doit se tenir ferme dans la mort de Christ, s’y cacher et ne vouloir autre chose que la miséricorde de Dieu.
34. L’hypocrisie et les consolations extérieures ne valent ici quoi que ce soit : c’est en vain qu’on tâche par ce moyen de couvrir la malice du péché en la chair par le moyen de la satisfaction de Christ, en demeurant dans son ipsaïté. Christ dit : Si vous n’êtes changés et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous ne pouvez voir le royaume de Dieu (Matth. 18 : 3). Tant il est vrai qu’il faut un renouvellement d’esprit, tel que celui d’un petit enfant, qui n’a aucune connaissance du péché. Ailleurs Christ dit aussi : Il faut que vous naissiez derechef, autrement vous ne pouvez voir le royaume de Dieu (Jean, 3 : 3). Il faut qu’il naisse de la mort de Christ une volonté toute nouvelle : il faut que par l’entrée de Christ dans l’humanité on renaisse et qu’on ressuscite dans sa résurrection.
35. Pour cet effet, il faut que la volonté de l’âme meure avant tout en Christ : car elle a reçu en soi en Adam le fils de la servante, qui est le péché, qui doit avant tout être chassé hors de la volonté, et il faut que la pauvre âme captive s’enveloppe dans la mort de Christ, avec tout ce qu’elle est, d’une manière très-sérieuse, tellement que le fils de la servante, qui est le péché en elle, meure en la mort de Christ ; oui, il faut que le péché meure dans la volonté de l’âme, autrement il n’y peut jamais avoir de vue de Dieu : car la volonté terrestre, qui est dans le péché et dans la colère de Dieu, ne peut jamais voir Dieu, mais Christ, qui est venu en chair. Il faut que l’âme revête l’esprit et la chair de Christ : elle ne saurait hériter le royaume de Dieu dans ce tabernacle terrestre, bien que l’héritage du péché soit attaché à elle extérieurement ; il faut qu’il soit réduit en poudre, et qu’il ressuscite avec une nouvelle vertu.
36. Il ne sert de rien de faire les hypocrites, le pardon des paroles est inutile : nous ne devons pas être des enfants adoptés extérieurement ; mais d’une manière intérieure des enfants nés de Dieu, des hommes nouveaux abandonnés à Dieu.
37. Toute cette hypocrisie qui nous fait dire, Christ a payé et satisfait pour les péchés, il est mort pour nos péchés : si nous ne mourons pas aussi au péché en lui, et si nous ne sommes revêtus de son mérite dans une obéissance nouvelle, et si nous n’y vivons pas, tout cela ne sert de rien, c’est une consolation vaine et frivole.
38. Celui-là a le droit de s’approprier les souffrances de Christ, qui est ennemi du péché, qui ne le voit ni ne l’entend pas volontiers, et qui n’y prend aucun goût, qui est un ennemi du péché, qui voudrait bien toujours faire le bien s’il savait : celui-là est revêtu de l’esprit de Christ et de sa volonté ; l’hypocrisie extérieure d’une adoption qui vient du dehors est fausse et inutile.
39. Ce n’est point l’œuvre qui se fait extérieurement dans la chair qui fait l’adoption, mais l’opération de Christ en esprit qui est efficace avec l’œuvre extérieure, et se manifeste comme une lumière nouvelle, et démontre l’adoption dans les œuvres extérieures de la chair : c’est ce qui est et qui fait l’adoption.
40. Car si l’œil de l’âme est lumineux, tout le corps sera éclairé dans tous ses membres. Si donc quelqu’un se vante de l’adoption, et qu’il laisse le péché allumé dans son corps, il en est encore fort éloigné, ou plutôt il est encore dans l’esclavage de Satan dans des ténèbres affreuses : et s’il ne trouve pas une sérieuse volonté bienfaisante, enflammée en soi dans la charité, ce qu’il veut faire paraître n’est qu’une présomption de la raison dans l’ipsaïté, qui ne peut voir Dieu à moins qu’elle ne soit régénérée, et qu’elle ne se manifeste dans la vertu de l’adoption : car il n’y a point de feu sans lumière ; si donc le feu divin est dans l’esprit, il brillera au dehors, et il sera ce que Dieu veut.
41. Tu dis : je voudrais bien le faire ; mais il n’est pas en mon pouvoir, j’en suis empêché.
42. Je t’entends fort bien, pauvre trône souillé, cela veut dire que Dieu t’attire à l’adoption, mais tu ne veux pas, l’oreiller mollet sur lequel ta malice repose te plaît beaucoup mieux : tu préfères la joie de ta malice terrestre à la joie divine : tu es encore tout à fait plongé dans l’ipsaïté, et tu vis sous la loi du péché ; c’est ce qui te fait empêchement : tu ne veux pas mourir aux voluptés de la chair ; c’est pourquoi aussi tu n’es point dans l’adoption. Dieu vraiment t’y sollicite, mais tu n’en veux pas. Qu’il serait doux à Adam, si on le recevait dans le ciel avec cette volonté, et que si ce mauvais enfant, rempli de fausseté, pouvait être placé sur le trône de Dieu. Lucifer le prétendait bien aussi, mais il fut rejeté.
43. La mort de la mauvaise volonté est accompagnée de douleur, nul n’y veut volontiers consentir : nous voudrions bien tous être enfants, si l’on nous vouloir recevoir avec notre vieille peau ; mais cela ne se peut nullement. Ce monde passe, il faut aussi que la vie extérieure prenne fin : ainsi de quoi me sert l’adoption dans un corps mortel ?
44. Celui qui veut hériter l’adoption doit revêtir un homme nouveau qui la puisse hériter, et qui ait de la conformité avec la nature divine. Dieu ne veut recevoir aucun pécheur dans le ciel, mais uniquement des enfants régénérés, qui ont déjà revêtu le ciel.
45. C’est pourquoi ce n’est point une chose si aisée, de devenir ou d’être enfant de Dieu, qu’on se l’imagine. Il est vrai que c’est une chose facile à ceux qui ont revêtu l’adoption : celui qui fait luire sa lumière s’en réjouit ; mais d’être transformé d’entendement et de rompre l’ipsaïté, cela exige un zèle très-pénible et assidu, et une telle résolution que quand il en devrait crever le corps et l’âme, la volonté tienne ferme sans retourner jamais dans l’ipsaïté.
46. Il faut combattre jusqu’à ce que le centre ténébreux, dur et fermé soit enfoncé, et que l’étincelle prenne au centre, d’où l’on voit bientôt pousser l’aimable rejeton de lis, comme d’un grain de semence de moutarde, comme le Seigneur s’en exprime. Cela exige une prière très-sérieuse et humble, et pour un temps devenir fou, quant à sa propre raison, et se réputer soi-même pour tel, jusques à ce que Christ soit formé dans cette nouvelle incarnation.
47. Et alors du moment que Christ est né, voilà Hérode en fureur, pour mettre à mort le petit enfant, au dehors par des persécutions, au dedans par des tentations, pour voir si ce rejeton de lis sera assez fort pour détruire le règne du diable, qui est manifeste dans la chair.
48. Ce héros, qui doit briser la tête du serpent, sera mené au désert, après qu’il aura été baptisé du Saint Esprit, pour y être tenté, s’il voudra persévérer dans l’expropriation, dans la volonté de Dieu : il faut qu’il se tienne si ferme que, s’il est nécessaire, il abandonne toutes les choses terrestres et sa propre vie pour sa filiation.
49. Nul honneur temporel ne doit être préféré à cette filiation, mais il faut que sa volonté renonce à tout cela, ne se réputant d’avoir rien en propriété, mais seulement d’y être un serviteur, qui doit servir son Maître avec une prompte obéissance : il faut qu’il abandonne toutes les propriétés de ce monde ; non qu’il n’en puisse jouir et les posséder, mais il faut que son cœur les abandonne, et n’y doit pas introduire sa volonté, ni les réputer comme siennes en propriété ; autrement il n’aurait pas le pouvoir de les employer pour le service de son prochain nécessiteux.
50. L’ipsaïté ne sert qu’aux choses temporelles : mais l’abandon domine sur tout ce qui est au dessus de lui. L’ipsaïté est contrainte de faire ce que le diable veut dans la vie charnelle, voluptueuse et orgueilleuse : mais l’abandon foule ces choses aux pieds de l’esprit. L’ipsaïté méprise ce qui est simple : mais l’abandon se met dans la plus grande simplicité dans la poussière et dit : je veux être simple et ne rien entendre, afin que mon entendement ne s’enfle pas et ne pèche : je veux demeurer dans les parvis de mon Dieu à ses pieds, pour servir à mon Seigneur en ce à quoi il voudra m’employer : je ne veux rien savoir, afin que ses commandements guident et conduisent mon cœur, et que je ne fasse que ce que Dieu fait et veut par moi : je veux dormir en mon ipsaïté, jusqu’à ce que le Seigneur m’éveille par son Esprit ; et s’il ne lui plaît pas, je veux me tenir coi et me reposer en lui éternellement et attendre ses ordres.
51. Mes chers frères, on se vante aujourd’hui de la foi, mais où est-elle, cette foi ? Aujourd’hui il n’y a plus qu’une foi historique. Où est l’enfant qui croit que Christ est né ? Si cela était et qu’il crût que Christ est né, il s’approcherait de cet Enfant Jésus, il l’embrasserait et il le soignerait. Ah ! ce n’est qu’une foi historique et une pure science, et plutôt un chatouillement de la conscience : que les Juifs l’ont mis à mort, qu’il est sorti de ce monde ; qu’il n’est pas un Roi sur la terre dans les hommes brutaux ; que l’homme peut faire ce qu’il lui plaît ; qu’il n’a pas besoin de mourir au péché et aux mauvaises convoitises : c’est ce dont l’ipsaïté, ce mauvais enfant, se réjouit, qu’il puisse vivre grassement et engraisser le diable.
52. Cela prouve que jamais, depuis le temps de Jésus Christ, la foi n’a été si malade et faible qu’elle l’est aujourd’hui ; quoique le monde crie si haut : nous avons trouvé la vraie foi ; et ils se querellent pour un enfant qui n’a jamais été plus méchant depuis qu’il y a des hommes sur la terre.
53. Si tu es la Sion, l’enfant nouveau-né et retrouvé, montre ton efficace et ta vertu, et fais paraître de toi l’Enfant Jésus, afin qu’on voie que tu es sa nourrice : si non, les enfants de Christ disent que tu n’as que l’enfant historique ; tu n’as trouvé que le berceau de l’enfant.
54. Où as tu l’Enfant Jésus, toi apostat, avec ta foi historique et hypocrite ? Comment est-ce que l’Enfant Jésus viendrait te visiter dans les propriétés du Père dans ta propre turbe, que tu as engraissée ? Il t’appelle en amour, mais tu ne le veux pas écouter, parce que tes oreilles sont bouchées fortement par ton avarice et par tes voluptés : c’est pourquoi un bruit de trompette, avec un coup de tonnerre procédant de ta propre turbe, viendra un jour enfoncer tes oreilles et t’éveiller, pour voir si tu voudrais encore chercher et recevoir le petit Enfant Jésus.
55. Mes chers Frères, c’est un temps de chercher, de trouver et de prendre la chose sérieusement à cœur : celui qui en est touché est touché ; celui qui veille l’entendra et le verra ; mais celui qui s’endort dans le péché et dans la prospérité de son ventre dit : tout est en paix et en repos, nous n’entendons aucun retentissement de la part du Seigneur ; mais la voix du Seigneur a retenti aux bouts de la terre, et il s’élève une fumée, et au milieu de la fumée un grand éclat d’une clarté. Amen ! Hallelu-JAH, Amen !
Chantez des chants de réjouissance à l’Éternel en Sion : car toutes les montagnes et les coteaux sont remplis de sa gloire ; il pousse comme une plante vigoureuse ; qui l’en empêcherait ?
Hallelu-JAH !
Quatrième Traité.
DE LA
RÉGÉNÉRATION.
Comme l’homme qui a sérieusement son salut à cœur doit sortir de la Babylone confuse et querelleuse par l’Esprit de Christ ; afin qu’il puisse renaître par ce même Esprit et vivre en lui.
Écrit l’an 1622.
Achevé le 24 juin.
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Préface de l’Auteur.
1.
Quoi que j’aie suffisamment expliqué ces choses dans mes autres écrits bien profonds, et que je les aie traitées dans leur fondement : cependant, comme chacun ne les a pas et n’est pas capable de les comprendre, j’ai écrit ici un traité abrégé de la Régénération, pour le service des simples enfants de Jésus Christ, et à la prière de quelques amis, si quelqu’un voudrait apprendre par là à se connaître.
2.
Que si quelqu’un souhaite de sonder le fond d’où ces choses découlent, il n’a qu’à lire le livre de la Triple Vie de l’homme ; comme aussi les trois livres de l’incarnation de Jésus Christ et de sa Naissance ; item le livre des Six Points ; celui du Grand Mystère ; celui des Trois Mondes, comme ils sont l’un dans l’autre comme un seul, toutefois ils forment trois principes, savoir trois générations ou commencements ; comme aussi le livre des Trois Principes : s’il a de l’intelligence pour cela, il y trouvera ce qu’il peut souhaiter, aussi haut qu’un esprit humain puisse s’élever ; il peut voir encore les Quarante Questions de l’Âme.
3.
Mais j’ai écrit celui-ci en faveur des âmes affamées et altérées de la fontaine de Christ, comme étant mes commembres en l’Esprit de Jésus Christ. Quant aux moqueurs, je n’ai rien écrit pour eux : car ils ont leur livre en eux-mêmes, par où ils poussent les enfants de Christ sous la croix, et sont obligés malgré eux de leur servir, quoiqu’ils l’ignorent.
CHAPITRE I.
1. JÉSUS CHRIST DIT : Si vous n’êtes changés, et si vous ne devenez comme des petits enfants, vous n’entrerez point au royaume de Dieu (Matth. 18 : 3). Et ailleurs il dit aussi à Nicodème : Si quelqu’un n’est né derechef d’eau et d’Esprit, il ne peut voir le royaume de Dieu : car ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit (Jean, 3 : 5). L’Écriture témoigne d’une manière claire et expresse que l’homme charnel et animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, car elles lui sont une folie, et qu’il ne les peut comprendre (I. Cor. 2 : 14).
2. Puis donc que nous avons tous la chair et le sang, et que nous sommes aussi mortels, comme il n’est que trop manifeste, et que cependant l’écriture dit : que nous sommes les temples du Saint Esprit, qui habite en nous (I. Cor. 6 : 19), et que le règne de Dieu est au dedans de nous (Luc, 17 : 21), et qu’il faut que Christ soit formé en nous (Gal. 4 : 19), que même il nous veut donner sa chair pour viande et son sang pour breuvage, ajoutant que celui qui ne mange pas la chair du Fils de l’homme n’a point la vie en soi (Jean, 6 : 53), il importe que nous examinions très-sérieusement quel homme il y a en nous, qui est semblable à la divinité et susceptible de la posséder.
3. Car quant à cette chair mortelle, qui doit retourner en terre, et qui vit dans la vanité de ce monde, et qui convoite toujours contre Dieu, on ne saurait dire qu’elle est le temple du Saint Esprit : encore moins que la régénération se fasse dans cette chair terrestre ; puisqu’elle doit mourir et pourrir, et qu’elle est toujours une habitation du péché.
4. Mais comme néanmoins cela est la vérité, qu’un véritable Chrétien est né de Christ, et que la nouvelle naissance est le temple du Saint Esprit, qui habite en nous : que ce n’est que le nouvel homme, qui est né de Christ, qui mange la chair et boit le sang de Christ ; ce n’est donc une chose si facile d’être un Chrétien. Et ce n’est pas simplement dans l’histoire que consiste le Christianisme, de sorte qu’il suffise que nous ayons seulement la science pour nous en faire l’application, et que nous disions seulement, Christ est mort pour nous, et il a détruit la mort en nous, et l’a changée en vie : Il a payé nos dettes, nous n’avons qu’à nous consoler là-dessus, et fermement croire que la chose est faite.
5. Car nous sentons en nous que le péché dans la chair est vivant, désirant et agissant, qu’il y opère : de sorte que la nouvelle naissance de Christ doit être tout autre chose, une chose qui ne coopère point avec la chair pécheresse, et qui ne veut point le péché.
6. Car St. Paul dit : qu’il n’y a point de condamnation en ceux qui sont en Jésus Christ (Rom. 8 : 1). Et ailleurs : Faudrait-il que nous qui sommes en Jésus Christ fussions encore trouvés pécheurs ? Ainsi n’avienne (Gal. 2 : 17), si nous sommes morts au péché en Christ. Aussi l’homme de péché n’est point le temple du Saint Esprit ; et cependant il n’y a point d’homme qui ne pèche : car l’Écriture dit que Dieu a renfermé tous les hommes dans le péché (Rom. 11 : 32), item, que devant Dieu nul vivant ne sera justifié s’il prend part aux iniquités (Ps. 143 : 2). Que le juste tombe sept fois (Proverbes 24 : 16), quoiqu’on ne puisse pas dire proprement que le juste tombe et qu’il pèche, mais c’est le mortel et le pécheur.
7. Car la justice du Chrétien est en Christ, qui ne peut pas pécher, de sorte que St. Paul dit que notre conversation est dans le ciel, d’où nous attendons notre Seigneur Jésus Christ (Phil. 3 : 20). S’il est donc vrai que notre conversation soit dans le ciel, il faut nécessairement que le ciel soit en nous. Christ habite dans le ciel ; si donc nous sommes son temple, il faut que le ciel soit en nous.
8. Si cependant le péché nous tente en nous, par où le diable trouve encore en nous quelque entrée, il faut aussi que l’enfer soit en nous : car l’enfer est l’habitation du diable, et partout où il est, il est dans l’enfer, d’où il n’est pas possible qu’il sorte ; et quand même il posséderait un homme, si est-ce qu’il habite dans l’enfer dans cet homme, savoir dans la colère de Dieu.
9. Ainsi il est nécessaire de considérer l’bomme de près, ce qu’il est et de quelle manière il est constitué : qu’un vrai Chrétien n’est pas simplement un nouvel homme historique, de sorte qu’il nous suffise de confesser Christ et de croire qu’il est le Fils de Dieu, et qu’il a payé pour nous : car une justice imputée extérieurement ne sert de rien, de sorte que nous croyons seulement que la chose est faite ; mais nous devons avoir une justice engendrée au dedans en nous et filiale. De même qu’il faut que la chair meure, il faut aussi que la vie et la volonté du péché meure, et il faut devenir comme un petit enfant, qui ne sait rien, et qui soupire uniquement après la mère qui l’a enfanté : c’est ainsi que la volonté du Chrétien doit rentrer totalement dans la mère, savoir dans l’Esprit de Christ, et qu’il doit devenir enfant dans l’ipsaïté de son propre vouloir et pouvoir ; de sorte que la volonté et les désirs n’aient d’attachement qu’à sa mère, et il faut qu’il ressuscite de la mort en l’Esprit de Christ une nouvelle volonté et obéissance, en justice, qui ne veut plus pécher.
10. Car la volonté qui laisse entrer en soi la vanité et qui la souhaite n’est point régénérée : et quoique dans les régénérés mêmes il y ait une volonté qui a du penchant à la vanité et qui pèche, c’est pourquoi il nous faut bien considérer l’image de l’homme, comme la régénération se forme, parce qu’elle ne se fait pas dans la chair mortelle, quoiqu’elle se fasse véritablement en nous, dans la chair et dans le sang, de l’eau et de l’esprit, comme l’Écriture s’en exprime.
11. Il faut donc que nous considérions bien quel homme il y a en nous, qui est le membre de Christ et le temple de Dieu, qui habite au ciel : et quel est d’autre côté cet homme qui n’habite que dans ce monde extérieur ; et quel est enfin cet autre homme qui est conduit par le diable, et qui le pousse. Il ne peut pas pousser le temple de Christ, il ne se soucie pas beaucoup non plus de cette chair mortelle : si est-ce qu’il n’y a pas trois hommes l’un dans l’autre, mais un seul.
12. Si donc nous voulons considérer ces choses, il faut que nous considérions le temps et l’éternité, comme ils se trouvent l’un dans l’autre, et aussi la lumière et les ténèbres, le bien et le mal ; singulièrement nous devons considérer l’origine et la naissance de l’homme.
Ces choses doivent être considérées de cette manière.
13. Nous voyons ce monde extérieur avec les astres et les quatre éléments, dans lesquels l’homme et toutes les créatures vivent : ce monde n’est pas Dieu, et n’est pas nommé Dieu ; Dieu y habite véritablement, mais la substance de ce monde extérieur ne le comprend point. Nous voyons aussi comme la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne comprennent point la lumière, quoi que l’une habite dans l’autre. Nous avons aussi un exemple de cette vérité dans les quatre éléments qui, quant à leur origine, ne font qu’un, qui n’est ni chaud ni froid, ni sec ni humide ; mais qui se partage en quatre propriétés, savoir le feu, l’air, l’eau et la terre.
14. Qui croirait que le feu engendrât l’eau ? et que l’origine du feu pût être dans l’eau ? Si nous ne le voyons pas de nos yeux dans les éclairs, et si aussi la même chose ne se trouvait pas dans les animaux, que le feu essentiel dans le corps réside au sang, et que le sang est sa mère, et le feu le père du sang.
15. Et comme Dieu habite dans le monde et remplit toutes choses, quoiqu’il ne soit renfermé dans aucune chose, et que le feu habite dans l’eau, sans y être renfermé ; la lumière dans les ténèbres, et toutefois n’y être pas renfermée ; le jour dans la nuit, et la nuit dans le jour ; le temps dans l’éternité, et l’éternité dans le temps : l’homme est créé de la même manière. Quant à l’humanité extérieure, il est le temps et dans le temps, et le temps c’est le monde extérieur : tel est aussi l’homme extérieur ; mais l’homme intérieur c’est l’éternité, le temps et le monde spirituel, qui consiste aussi dans la lumière, et dans les ténèbres, savoir dans l’amour de Dieu, quant à lumière éternelle, et dans la colère, quant aux ténèbres éternelles ; son esprit habite dans ce qui est manifeste en lui, soit dans la lumière, soit dans les ténèbres : l’une et l’autre habite en lui, la lumière et les ténèbres ; chacune demeure en soi-même, et nulle ne possède l’autre.
16. Mais si l’une entreprend de pénétrer dans l’autre et de la posséder, l’autre perd son droit et sa puissance, celle qui est passive perd sa puissance : car lorsque la lumière se manifeste dans les ténèbres, les ténèbres perdent leur obscurité, et ne paraissent plus ; et au réciproque, si les ténèbres s’élèvent dans la lumière et obtiennent la supériorité, la lumière est éteinte avec sa puissance.
17. Nous devons aussi considérer la même chose dans l’homme : les ténèbres éternelles dans l’âme sont l’enfer, savoir un tourment angoisseux qui s’appelle la colère de Dieu : et la lumière éternelle dans l’âme c’est le royaume du ciel, où l’angoisse ténébreuse ardente est changée en joie.
18. Car comme la nature de l’angoisse dans les ténèbres est la cause de la tristesse : de même aussi elle est dans la lumière la cause de la joie extérieure et mobile. Car la source dans la lumière et la source dans les ténèbres est une seule source, une même nature : de même que le feu et la lumière ne sont qu’une nature, et néanmoins ils produisent une grande différence dans leur mouvement ; l’un demeure dans l’autre et engendre l’autre, et néanmoins l’un n’est pas l’autre. Le feu cause du tourment et est consumant, et la lumière est libérale, réjouissante, pénétrante, pleine de joie, c’est une douce exultation.
19. C’est de la même manière qu’on doit considérer l’homme : il demeure et vit dans trois mondes ; l’un est le monde éternel ténébreux, qui est le centre de la nature éternelle, qui engendre le feu, le tourment angoisseux ; l’autre est le monde lumineux éternel, qui engendre la joie éternelle, qui est l’habitation divine, c’est là où l’Esprit de Dieu réside, c’est là où l’Esprit de Christ prend l’humanité et chasse les ténèbres, de sorte qu’elles sont la cause de la joie dans l’Esprit de Christ dans la lumière ; le troisième monde est le monde extérieur visible dans les quatre éléments et les astres visibles, quoique chaque élément ait en soi ses astres selon sa qualité, d’où procède la concupiscibilité et une qualité conforme à l’esprit.
20. Ainsi on doit comprendre que le feu dans la lumière est un feu d’amour, un désir de la débonnaireté et de la joie : et le feu dans les ténèbres est un feu angoisseux, et est peineux, hostile et contraire dans l’essence ; le feu de la lumière est d’un goût délicieux, mais le goût dans l’essence des ténèbres est tout à fait contraire et hostile : car toutes les qualités du feu sont dans la grande angoisse.
CHAPITRE II.
I.
ICI nous avons à considérer comme l’homme a été créé. Moïse l’a très-bien exprimé, savoir que Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu (Gen. I : 27), ce que nous entendons de la génération éternelle et temporelle du monde intérieur spirituel qu’il lui souffla dans cette image créée, comme aussi de la substance du monde spirituel et intérieur, qui est sainte.
2. Car comme il y a dans le monde extérieur une nature et une substance, ainsi il y a aussi dans le monde spirituel intérieur une nature et substance qui est spirituelle, d’où le monde extérieur a été éhalené, et qui est né de la lumière et des ténèbres, et a été créé dans un commencement et dans un temps. L’homme avait été créé de la substance du monde extérieur et du monde intérieur dans une image selon la génération, et de la génération de tous les êtres. Le corps est un limbe de la terre, et aussi un limbe de l’essence céleste : car la terre a été éhalenée du monde ténébreux et lumineux ; c’est d’elle que l’homme a été formé et créé, savoir dans le Verbe Fiat, comme dans le désir éternel, en une image du temps et de l’éternité.
3. Cette image était dans l’élément intérieur et spirituel, d’où les quatre éléments sont procédés et engendrés : le paradis n’était que dans cet unique élément : car les propriétés de la nature, du monde de feu, des ténèbres et de la lumière étaient dans une égale harmonie, dans un même poids et mesure, nulle n’était manifestée séparément avant l’autre : aussi n’y avait-il aucune fragilité ; car aucune des propriétés ne prévalait l’autre ; il n’y avait aucun combat ni contrariété entre les puissances et les propriétés.
4. C’est dans cette image ainsi créée que Dieu souffla l’esprit et le souffle de l’entendement, de tous les trois mondes, comme dans une âme unique, qui est dans le monde intérieur ténébreux et igné, de la nature spirituelle, selon laquelle Dieu se nomme un Dieu puissant, jaloux et un feu consumant.
5. Cela est donc la grande âme créaturelle et éternelle, un souffle magique de feu, dans lequel feu est la source de la vie et de la grande puissance de la métamorphose : c’est dans cette propriété qu’est la colère de Dieu, de même que les ténèbres éternelles, supposé tant que le feu ne donne aucune lumière.
6. L’autre propriété du souffle divin, c’est l’esprit rejaillant la lumière, procédant du grand désir ardent de l’amour, de la grande mansuétude, selon lequel Dieu est appelé un Dieu bon et miséricordieux : c’est en lui que consiste le véritable esprit de l’entendement et de la vie en efficace.
7. Car comme de chaque feu luit une lumière, et qu’on connaît dans la lumière la vertu de l’entendement, ainsi le souffle igné de Dieu a été adhéré au souffle lumineux, et il a été soufflé dans l’image de l’homme.
8. La troisième propriété du souffle divin était l’air extérieur avec les astres de l’air, où était la vie des choses extérieures et du corps, et des astres ; c’est ce qu’il lui souffla dans les narines. Et comme le temps et l’éternité adhèrent ensemble, de même aussi le souffle divin intérieur était adhérent à l’extérieur ; et cette triple âme fut soufflée en même temps dans l’homme. Chaque substance du corps reçut l’esprit selon sa propriété : ainsi la chair extérieure reçut l’air extérieur avec ses astres pour une vie raisonnable et végétative, pour la manifestation des merveilles de Dieu ; et le corps lumineux ou la substance céleste reçut le souffle de la vie, des grandes vertus divines, et ce souffle est appelé le saint Esprit.
9. Ainsi la lumière pénétra les ténèbres, savoir le souffle igné ténébreux, comme aussi le souffle extérieur de l’air dans les astres, et prenait la puissance à toutes les autres propriétés, tellement que l’angoisse du souffle de feu dans la propriété intérieur de l’âme, de même que la chaleur et la froidure avec toutes les autres propriétés astrales extérieures, ne pouvaient point se manifester. Les propriétés de tous les trois mondes dans l’âme et dans le corps étaient dans une égale harmonie et d’un même poids : l’intérieur et saint régnait par l’extérieur, savoir par les puissances extérieures de la vie extérieure, des astres extérieurs et des quatre éléments.
10. Et c’était le Paradis saint : ainsi l’homme était dans le ciel, et en même temps aussi dans le monde extérieur ; il était le Seigneur de toutes les créatures de ce monde, et rien n’aurait pu l’altérer.
11. Car telle était aussi la terre, jusqu’à ce qu’elle fût maudite de Dieu : la sainte propriété du monde spirituel verdissait aussi par la terre, et elle produisait de saints fruits paradisiaques, lesquels l’homme pouvait manger d’une manière magique paradisiaque ; il n’avait point besoin pour cela ni des dents ni des intestins corporels. Car comme la lumière engloutit les ténèbres, et le feu engloutit l’eau, et toutefois ils ne s’en remplissent pas : tel était aussi le centre que l’homme avait dans sa bouche à la manière de l’éternité ; et il pouvait aussi de la même manière magique engendrer de soi son semblable, sans aucune rupture ou ouverture de son corps et de son esprit. De même manière que Dieu engendrait le monde extérieur, sans néanmoins s’altérer soi-même, mais il embrassa les propriétés dans son désir, comme dans le Verbe Fiat, et les qualifia et manifesta par le Verbe Fiat, et les introduisit dans une figure selon la génération éternelle et spirituelle : ainsi l’homme était aussi une telle image et ressemblance, créée selon le temps et l’éternité ; mais dans une vie immortelle et éternelle, qui était exempte de toute inimitié et contrariété.
12. Mais parce que le diable avait été un Prince et Hiérarque dans le lieu de ce monde, et qu’à cause de son orgueil il avait été jeté dans sa propriété et dans sa qualité ténébreuse, angoisseuse, peineuse et hostile, dans la fureur de Dieu, il envia à l’homme l’honneur qu’il avait été créé dans le monde spirituel et mis en sa place, et il introduisit son imagination dans l’image créée de l’homme, et la rendit convoiteuse, tellement que les propriétés du monde ténébreux et du monde extérieur s’élevèrent dans l’homme, et sortirent de leur parfaite harmonie dans l’égalité, et chacune surpesait l’autre ; alors les propriétés furent manifestées chacune en soi-même, et chacune convoita après son égalité, savoir celle qui procédait de la génération du monde ténébreux, et celle qui procédait de la génération du monde lumineux, chacune voulut manger du limbe de la terre selon sa faim.
13. Ainsi le bien et le mal furent manifestés en Adam : et dans le temps que la faim des propriétés entra dans la terre, d’où avaient été tirées les propriétés du corps, le Fiat tira aussi une telle plante de la terre, de laquelle les propriétés pouvaient manger dans leur vanité éveillée.
14. Car cela était possible, parce que l’esprit de la grande et forte puissance magique selon le temps et l’éternité était en Adam, d’où la terre avec ses propriétés avait été éhalenée : ainsi le Fiat, comme étant le désir puissant de la nature éternelle, tira l’essence de la terre.
15. Ainsi Dieu fit croître l’arbre de la science du bien et du mal, suivant les propriétés qui étaient éveillées en Adam : car la grande puissance de l’âme et du corps avait causé cela ; de sorte que l’homme devait être mis à l’épreuve, s’il voulait résister avec ses propres forces au tentateur le diable, et à la fureur de la nature éternelle ; si l’âme voudrait demeurer dans l’égale harmonie des propriétés, dans un vrai abandon, sous l’Esprit de Dieu, comme un instrument bien préparé de l’harmonie divine, comme un jeu de la joie divine, sur lequel l’Esprit de Dieu voulait jouer : cela fut éprouvé par cet arbre ; et Dieu y fit intervenir sa défense sévère, disant : N’en mange point ; au jour que tu en mangeras, tu mourras de mort. (Gen. 2 : 17.)
16. Mais lorsque Dieu connaissait que l’homme ne subsisterait pas, puisqu’il ne cessait point d’imaginer et convoiter le bien et le mal, Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui, qui soit autour de lui. Car il voyait bien qu’Adam ne pourrait plus engendrer magiquement, parce que sa convoitise entrait dans la vanité.
17. C’est pourquoi Moïse dit : Dieu fit tomber un profond sommeil sur Adam, et il s’endormit (Gen. 2 : 21). C’est à dire, puisqu’il ne voulait pas demeurer dans l’obéissance de l’harmonie divine, dans les propriétés, tellement qu’il se fût tenu coi envers l’Esprit de Dieu comme son instrument, Il le laissa tomber de l’harmonie divine dans sa propre harmonie, savoir dans les propriétés éveillées dans le bien et le mal ; c’est là où entra l’esprit de l’âme.
18. C’est dans ce sommeil qu’il mourut au monde angélique, et il fut dévolu au Fiat extérieur : c’en fut fait de l’image éternelle selon la génération divine. Ici sa forme angélique et sa puissance furent par terre, et il tomba en défaillance : et Dieu forma de lui la femme par le Fiat de la matrice de Vénus, c’est à dire, de la propriété où était renfermée la vertu générative en Adam, et d’un corps il en fit deux : Il divisa les propriétés des teintures, savoir dans l’élément des astres aquatiques et ardents, non pas entièrement dans la substance, mais en esprit, savoir les propriétés de l’âme aquatique et ignée, et quoiqu’elle ne fût qu’une, si est-ce que la propriété de la teinture était divisée : la propre concupiscence de l’amour fut ôtée à Adam, et fut formée en une femme, selon sa ressemblance. C’est pourquoi l’homme désire si ardemment la matrice de la femme, et la femme au réciproque le limbe de l’homme, qui est l’élément du feu, l’origine de l’âme véritable, où on entend la teinture du feu : car ces deux choses n’étaient qu’une en Adam, et c’est en elles que consistait la génération magique.
19. Or Ève ayant été formée d’Adam durant son sommeil, Adam et Ève furent dès lors ordonnés à une vie naturelle extérieure : car c’est alors que les membres pour la propagation animale leur furent donnés, de même que le sac terrestre de vermine, où ils pouvaient ensacher la vanité, et vivre à la manière des bêtes, dont la pauvre âme, captive dans la vanité, en a encore aujourd’hui de la honte qu’elle a reçu à son corps une forme bestiale et monstrueuse, comme l’expérience le fait voir. C’est de là où est procédée la honte humaine, qui fait que l’homme a honte de ses membres, comme aussi de la forme nue, tellement qu’il est obligé d’emprunter ses habits des créatures terrestres, parce qu’il a perdu son habit angélique, et qu’il a été transformé en une bête et cet habit lui montre suffisamment qu’avec cette vanité éveillée en soi, sujette au chaud et au froid, il n’y est pas avec son âme dans sa vraie habitation ; car il faut que la vanité avec le faux habit soit ôtée de l’âme et anéantie.
20. Lors donc qu’Adam se réveilla de son sommeil, il vit sa femme et la reconnut pour être procédée de lui. Car il n’avait point encore mangé de la vanité avec sa bouche, mais seulement avec l’imagination, le désir et la convoitise : et ce fut le premier désir d’Ève qu’elle voulut manger de l’arbre de la vanité, du bien et du mal ; ce que le diable sous la figure d’un serpent acheva de lui persuader que ses yeux lui seraient ouverts, et qu’elle serait comme Dieu lui-même (Gen. 3 : 5).
21. Ce qui était mensonge et vérité : mais il ne lui dit pas que par là elle perdrait la lumière et la vertu divine ; il lui dit seulement que ses yeux seraient ouverts, qu’elle pourrait goûter, éprouver et connaître le bien et mal, comme il avait fait lui-même ; il ne lui dit point non plus que le chaud et le froid se réveilleraient en elle, et que la propriété des astres extérieurs dominerait puissamment dans sa chair et dans son esprit.
22. Son dessein était seulement que l’image angélique, savoir la substance du monde spirituel intérieur, pût être effacée en eux, tellement qu’alors ils fussent réduits à vivre à la vanité grossière et dans la dépendance des astres ; il savait bien aussi que lorsque le monde extérieur viendrait à passer, l’âme serait réduite à demeurer avec lui dans les ténèbres : car il voyait que le corps mourrait, comme il avait entendu par la déclaration que Dieu en avait faite. Ainsi il s’imaginait qu’il pourrait être encore dans l’éternité un Seigneur dans le lieu de ce monde, dans sa fausse figure, qu’il avait prise en soi ; c’est pour cela qu’il trompa l’homme.
23. Car lorsqu’Adam et Ève mangeaient en leur corps du fruit du bien et du mal, l’imagination corporelle conçut la vanité dans le fruit : alors la vanité s’éveilla dans la chair, et le monde ténébreux reçût la puissance et l’empire dans la vanité de la terrestréité ; dans ce moment la belle image céleste fut effacée de l’essentialité du monde céleste et divin. Alors Adam et Ève moururent au royaume des cieux, et ressuscitèrent au monde extérieur : alors l’amour de Dieu fut éteint dans cette belle âme, de même que la sainte force et propriété, et la colère furieuse, qui est le monde ténébreux igné, s’éveilla à sa place en elle, et l’âme devint d’un côté, savoir quant à sa nature intérieure, un demi-diable, et quant à la partie extérieure du monde extérieur, une bête. C’est ici où est le but de la mort, et les portes de l’enfer : c’est ce qui a obligé Dieu à se faire homme, pour rompre la mort et pour rechanger l’enfer dans l’amour souverain, et pour détruire la vanité du diable.
24. Écoutez ceci, Fils des hommes : on vous l’a dit au son de la trompette, que vous devez sortir maintenant de la vanité ignominieuse ; car le feu brûle.
CHAPITRE III.
I.
OR Adam et Ève étant tombés dans un état si misérable, la fureur de la nature s’éveilla dans chaque propriété et imprima en soi dans son désir la vanité de la terrestréité et de la fureur de Dieu. Alors la chair devint grossière et lourde comme celle des autres bêtes, et l’âme s’en trouva captive dans l’essence, et se vit semblable à une bête, quant à son corps : et elle voyait les membres bestiaux pour la propagation, et le sac puant de vermine auquel le désir de la chair ensachait le dégoût ; alors ils furent couverts de honte devant Dieu, et se cachèrent parmi les arbres du jardin d’Éden, aussi le chaud et le froid tombait sur eux.
2. Ici le ciel dans l’homme fut ébranlé à cause de cette cruauté : de même que la terre trembla d’horreur, lorsque cette colère fut brisée sur la croix par l’amour divin le plus doux, alors la colère trembla devant ce grand amour de Dieu.
3. Et ce fut à cause de cette vanité éveillée dans l’homme que Dieu maudit la terre, afin que le saint élément ne pénétrât plus au dehors par les fruits extérieurs et engendrât des fruits paradisiaques : car il n’y avait plus aucune créature qui en aurait pu jouir, et aussi l’homme terrestre n’en était plus digne. Dieu ne voulut plus mettre cette perle précieuse devant les bêtes : car un homme impie destitué de la vie de Dieu n’est autre chose, quant à son corps extérieur, qu’une brute grossière ; et bien qu’il soit d’une essence très-exquise, si est-ce qu’elle est toute envenimée, et une abomination devant Dieu.
4. Dieu donc voyant que sa précieuse image était gâtée, il se manifesta à eux, et en eut pitié, leur promettant d’être leur Dieu, et de briser la puissance des propriétés serpentines, comme la vanité dans la fureur de Dieu, par son grand amour dans l’humanité, qu’il voulait prendre à soi. C’était là le briser de la tête du serpent, pour détruire la mort ténébreuse, et surmonter la colère par le grand amour : Il établit cette alliance de sa future incarnation dans la lumière de la vie, sur laquelle alliance les sacrifices Judaïques étaient fondés, qui tendaient à faire voir que Dieu s’était lui-même promis à eux avec son amour : car la foi des Juifs entra dans les sacrifices, et l’imagination de Dieu entra dans l’alliance, et les sacrifices étaient des types du rétablissement de ce qu’Adam avait perdu.
5. Ainsi Dieu apaisa sa colère dans la propriété humaine, par les sacrifices, dans le but de l’alliance ; dans laquelle alliance le Nom très-saint de JÉSUS, du Nom très-saint et de la grande vertu de JÉHOVA, s’était incorporé pour se remouvoir et manifester dans l’essentialité du monde céleste, qui avait été effacée en Adam, et y rallumer la vie divine et sainte.
6. Ce but de l’alliance fut propagé par Adam et ses enfants de l’un à l’autre et pénétra de l’un sur tous : de même que le péché et la vanité éveillée pénétra sur tous les hommes par un seul, et il subsista dans la promesse de l’alliance jusqu’à la fin dans la racine de David, en la vierge Marie, qui dans le règne intérieur de l’humanité cachée (qui était l’essentialité effacée dans le règne de Dieu) était une fille de l’alliance de Dieu, et quant au règne extérieur, selon l’humanité naturelle, elle était née de son propre père corporel Joachim, et de sa propre mère Anne, de l’essence et substance même de leur corps et de leur âme, une véritable fille d’Ève, semblable à tous les autres enfants d’Adam.
7. C’est dans cette vierge Marie que, dans l’accomplissement des temps, le Verbe s’énonçant éternellement, qui a créé toutes les choses, s’est ému dans le but promis de l’alliance, dont tous les Prophètes ont prophétisé, selon sa plus sublime et plus profonde humilité et charité dans le Nom de JÉSUS, et a réintroduit l’essentialité vivante, divine et céleste dans l’humanité de la partie céleste qui avait été effacée en Adam, et selon laquelle il était mort en Paradis, dans la semence de Marie, savoir dans la Teinture de l’amour, qui est la propriété dans laquelle Adam devait se propager d’une manière magique céleste, comme dans la vraie semence de la femme de l’essentialité céleste, qui avait été effacée dans le Paradis ; lorsque la lumière divine dans cette essence céleste fut éteinte, le Verbe de Dieu, qui est l’efficace divine de l’entendement divin, a excité dans la semence de Marie l’essentialité céleste et vivante, et l’a engendrée pour être la vie.
8. Ainsi l’essence divine, dans laquelle Dieu habite et opère, et l’essence de l’homme, qui avait été effacée, sont devenues une seule personne : car l’essence divine et sainte oignit l’essence effacée ; c’est pourquoi cette personne a été nommée CHRIST, c’est à dire l’Oint de Dieu.
9. Et c’est la verge sèche d’Aaron qui verdit et produisit des amandes : c’est le vrai souverain Sacrificateur ; et c’est cette même Humanité de laquelle Jésus Christ dit (Jean, 3 : 13) qu’il était venu du ciel, et qu’il était dans le ciel, et que nul homme ne pouvait monter de la même manière au ciel que le Fils de l’homme, qui était venu du ciel et qui était au ciel. Quand il dit qu’il était venu du ciel, il entend de l’essence céleste, la corporalité céleste : car la vertu de Dieu n’a pas besoin de venir, elle est partout immesurée et indivisible ; mais il fallait que l’essentialité vînt, la vertu doit seulement se mouvoir et se manifester dans l’essentialité.
10. Or l’essentialité est entrée dans l’essence humaine et a pris l’humanité en soi, et non seulement cette partie de l’essentialité céleste, qui avait été effacée en Adam, mais toute l’essence humaine en corps et en âme selon tous les trois mondes.
11. Mais il n’a point pris en soi la vanité éveillée et imprimée, que le diable introduisit par son imagination dans la chair, d’où la chair opère le péché ; mais il a pris les qualités éveillées de la vie, en tant qu’elles étaient sorties de leur égale harmonie, chacune dans son propre désir.
12. Car c’était là où était notre maladie et la mort qu’il devait noyer dans son sang divin et céleste. Ici il prit sur soi tous nos péchés et nos maladies, la mort même et l’enfer, dans la fureur de Dieu, et détruisit le règne du diable dans la propriété humaine : la fureur de Dieu était l’enfer, où l’Esprit de Christ entra, après avoir maintenant versé le sang céleste dans notre sang humain, et de l’avoir teint avec l’amour, et il a changé cet enfer dans la propriété humaine en un ciel, et a ramené et rétabli les propriétés humaines dans une égale concordance et harmonie divine.
CHAPITRE IV.
I.
ICI donc nous pouvons bien comprendre ce qu’est notre régénération, comme nous pouvons être et demeurer les temples de Dieu ; toutefois dans ce temps, selon l’humanité extérieure, aussi des hommes pécheurs et mortels. Christ a enfoncé et ouvert dans l’essence humaine la porte de notre humanité intérieure et céleste, qui avait été fermée en Adam : il ne s’agit plus uniquement, si non que l’âme retire sa volonté de la vanité de la chair corrompue, et qu’elle l’introduise par cette porte ouverte en l’Esprit de Christ.
2. Il faut apporter un dessein très-fort et très-sérieux ; non seulement un apprendre et un savoir, mais une faim et une soif ardente de l’Esprit de Christ : car le seul savoir n’est pas la foi, mais la faim et la soif de ce que je demande est la foi, de sorte que mon esprit s’y attache, et qu’il embrasse et se rende propre ce à quoi il s’est attaché, c’est là la foi.
3. Il faut que la volonté sorte de la chair, et qu’elle s’adonne de bon gré aux souffrances et à la mort de Christ, et à toutes les moqueries de la vanité, qui à cause de cela se moque d’elle, qu’elle sorte de sa propre maison où elle est née, qu’elle ne veuille plus rien avoir à faire avec la vanité, désirant plus rien que l’amour de Dieu en Jésus Christ.
4. Dans cette faim et désir elle s’imprime l’Esprit de Christ avec sa corporalité céleste : c'est-à-dire, que sa faim ardente et son désir prend en soi le corps de Christ, comme l’essentialité céleste dans son image effacée, dans lequel le Verbe de la vertu de Dieu est la vie active intérieurement.
4. La faim de l’âme porte ses désirs à travers de la propriété froissée de l’humanité effacée en Adam de sa partie céleste : qui froissait le doux amour dans la mort de Christ, lorsque la mort de cette vraie humanité fut rompue. La faim de l’âme embrasse par les désirs l’essentialité divine céleste, savoir la corporalité céleste, qui remplit le Père en tous les endroits, et qui est près de tout et partout, dans leur corporalité effacée ; et de cette manière le corps céleste effacé ressuscite de nouveau en la vertu de Dieu dans le doux Nom de JÉSUS.
6. Et ce corps céleste réveillé et spirituel est un membre de Christ et le temple du saint Esprit, une vraie habitation de la très-sainte Trinité (2. Cor. 6 : 16), selon la promesse de Christ, quand il dit : Nous viendrons chez vous, et nous ferons en vous notre demeure (Jean, 14 : 23). C’est cette essence de cette vie qui mange la chair de Christ, et qui boit son sang : car l’Esprit de Christ, savoir le Verbe, qui se rendit visible avec l’humanité de Christ, par l’homme de ce monde dans et de notre humanité effacée, c’est celui-là qui mange sa sainte essentialité dans la sienne enflammée ; chaque esprit mange de son propre corps.
7. Si donc l’âme mange de cette viande délicieuse, sainte et céleste, elle s’allume elle-même du grand amour dans le Nom de Jésus : d’où son feu angoisseux est changé en un grand triomphe, et le vrai soleil se lève sur elle, et il s’engendre en elle une autre volonté. C’est ici la noce de l’Agneau, dont nous souhaitons de tout notre cœur que les Chrétiens titulaires et de bouche puissent une fois l’expérimenter, et passer de l’histoire dans l’essentialité.
8. Cependant l’âme ne reçoit pas encore la perle de la sainte vertu durant cette vie (parce qu’elle a encore la propriété de la chair extérieure et bestiale dans l’homme extérieur) pour son propre. La vertu de Christ, qui se marie dans la noce de l’Agneau, s’introduit dans l’image céleste, comme dans l’essentialité de l’homme céleste, qui est le temple de Christ, et non dans le souffle ardent de l’âme, qui pendant tout le temps de cette vie, est étroitement liée au règne extérieur, avec des liens de la vanité, et du souffle de l’air, et par conséquent dans un grand danger.
9. Elle darde bien souvent les rayons de son amour dans l’âme, d’où elle reçoit sa lumière ; mais l’Esprit de Christ ne s’adonne point au souffle igné dans cette vie, mais seulement au souffle de la lumière, qui avait été éteint en Adam : dans lequel est le temple de Christ, car c’est le véritable et le saint ciel.
10. Ainsi comprenez nous bien, comme se fait la régénération et ce qu’elle est : l’homme extérieur, terrestre et mortel ne sera pas régénéré en cette vie, ni la chair extérieure, ni la partie extérieure de l’âme ; elles demeurent l’une et l’autre dans la vanité de leur volonté éveillée en Adam ; elles aiment leur mère, dans le corps de laquelle elles vivent comme dans le gouvernement de ce monde extérieur, et c’est là qu’est manifestée la naissance du péché.
11. L’homme extérieur dans l’âme et dans le corps, savoir la partie extérieure de l’âme, n’a point de volonté divine et ne comprend rien de Dieu, comme l’Écriture dit : L’homme animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, etc. (I. Cor. 2 : 14).
12. Mais le souffle igné du monde intérieur, lorsqu’il est une fois éclairé, le comprend ; celui-là a son grand désir, sa détresse, faim et soif de la douce fontaine de Christ : il se soulage par des soupirs et des prières, qui sont la véritable foi, dans la douce fontaine de Christ, de son corps nouveau de l’essentialité céleste, comme un sarment affamé dans le Cep de Christ.
13. Et c’est là la raison pour laquelle l’âme ignée ne peut pas atteindre la perfection en cette vie, savoir qu’elle est liée des liens extérieurs de la vanité, par lesquels le diable darde continuellement ses dards empoisonnés sur elle et la crible, qu’elle est souvent emportée par ses amorces, et s’envenime, d’où il procède une grande affliction et angoisse, que la Sophie céleste se cache dans la Fontaine de Christ dans l’Humanité céleste, et ne veut s’approcher de la vanité.
14. Car elle sait ce qui lui est arrivé en Adam, où elle perdit sa perle, qui est redonnée par la grâce à l’Humanité intérieure, c’est pour cela qu’elle est nommée Sophie, comme étant l’Épouse de Christ.
15. Ici elle crie fidèlement à l’âme ignée comme étant son époux, et l’exhorte à la repentance et au renoncement ou à la décharge de la vanité : alors le combat se commence dans l’homme tout entier, c’est alors que l’homme extérieur convoite contre l’homme intérieur et spirituel, et celui-ci contre le charnel ; et l’homme est engagé dans un combat plein d’affliction, de tristesse, d’angoisse et de douleur.
16. L’intérieur dit à l’âme enflammée : ô mon époux, convertis-toi et sors de la vanité, autrement tu perdras mon amour et la noble perle. La raison extérieure d’autre côté, qui est l’âme animale, lui dit : tu es folle, tu vas t’exposer à la risée et moquerie du monde, tu as besoin pour cette vie du monde extérieur ; la beauté, la puissance, la gloire sont tes choses les meilleures, c’est en ces choses, dans lesquelles tu peux avoir ta joie ; à quoi bon t’introduire dans l’angoisse, dans la douleur et la misère ? Cherche les voluptés qui satisfont à la chair et l’esprit.
17. Un véritable homme est souvent souillé de cette ordure : l’homme extérieur s’en souille lui-même, comme un cochon dans son bourbier, et obscurcit son image si noble. Car tant plus l’homme extérieur s’enfonce dans la vanité, tant plus l’intérieur devient ténébreux, jusques à ce qu’il vient tout à fait à être éteint : alors c’en est fait de l’aimable arbrisseau du Paradis ; et il est très-difficile de le recouvrer.
18. Car lorsque la lumière extérieure, qui est l’âme extérieure, est une fois illuminée, de sorte que la lumière extérieure de la raison soit allumée par la lumière intérieure : alors l’âme extérieure fait aisément de soi un hypocrite spécieux, et elle s’estime divine, quoique la perle soit perdue.
19. C’est où plusieurs demeurent, et ce qui souvent perd l’arbre de la perle dans le jardin de Christ ; de là vient que l’Écriture fait un nœud bien serré, quand elle dit : que ceux qui ont goûté le don céleste, etc., s’ils retombent, verront très-difficilement le royaume de Dieu (Hébr. 6 : 4-6).
20. Et quoique la porte de la grâce soit encore ouverte : si est-ce que la fausse lueur de l’âme extérieure de la raison les détourne, qu’ils s’imaginent posséder la perle ; quoiqu’ils vivent encore dans la vanité de ce monde, et qu’ils dansent au démon selon le son de sa flûte.
CHAPITRE V.
I.
ICI un Chrétien se doit examiner sérieusement pourquoi il porte ce nom, et bien considérer s’il est véritablement tel : car que j’apprenne de savoir et d’entendre que je suis un pécheur, et que Jésus Christ a fait mourir mes péchés sur la croix, et qu’il a répandu son sang pour moi, cela ne me fait pas encore un Chrétien ; l’héritage n’appartient qu’aux enfants. Une servante peut bien savoir ce que sa maîtresse aime, si est-ce que pour cela elle n’est pas héritière de ses biens : le diable sait aussi qu’il y a un Dieu, mais cette connaissance ne le fait pas redevenir un ange de lumière ; mais si la servante épouse le fils de la maison, alors elle pourra avoir part à l’héritage de sa maîtresse.
2. Il en est de même dans notre Christianisme : les enfants historiques ne sont point les héritiers des biens de Christ ; mais les enfants légitimes, qui sont nés de l’Esprit de Christ. Car DIEU a dit à Abraham : Chasse le fils de la servante, car il n’héritera point avec le fils de la libre (Gal. 4 : 30). Car c’était un moqueur et seulement un fils historique de la foi et de l’esprit d’Abraham, et tant qu’il était un tel, il n’était pas dans l’héritage véritable de la foi d’Abraham ; c’est pourquoi Dieu lui commanda de l’exhéréder.
3. C’était là un type de Chrétienneté future : car la promesse de la Chrétienneté avait été faite à Abraham ; c’est pourquoi il y eut d’abord un type dans ses deux enfants, Isaac et Ismaël, de ce qui devait arriver à la Chrétienneté, comme il y aurait deux sortes de gens, savoir de vrais Chrétiens et des Chrétiens de bouche, qui sous le nom de Chrétienneté ne seraient que des moqueurs, tels qu’Ismaël et Ésaü étaient, qui était aussi une figure de l’Adam extérieur, et Jacob celle de Christ et de sa véritable Chrétienneté.
4. Ainsi il faut nécessairement que celui qui veut être un vrai Chrétien chasse le fils de la servante, c’est à dire la mauvaise volonté charnelle, qu’il ne cesse de la mortifier et détruire, et qu’il ne l’introduise point dans l’hérédité : il ne doit point donner la perle à l’homme animal pour s’en divertir seulement, et pour s’en égayer dans la lumière extérieure dans la concupiscence de la chair ; mais il faut qu’il mène avec notre père Abraham le fils de notre droite volonté sur le mont de Moria, le voulant offrir à Dieu dans l’obéissance, voulant mourir chaque jour de bon cœur dans la mort de Christ au péché, de ne point donner aucune place dans le royaume de Christ à l’animal de la vanité, de ne le laisser point devenir lascif, orgueilleux, avare, envieux et malin ; ces propriétés sont toutes d’Ismaël, de l’enfant de la servante, lequel Adam a engendré dans la vanité de la propriété terrestre, dans la chair et le sang de la paillarde amoureuse servante, par l’imagination du diable.
5. Ce moqueur et Chrétien titulaire est un enfant bâtard qui doit être chassé, car il ne doit avoir aucune part à l’héritage de Christ dans le royaume de Dieu (Gal. 4 : 30), il est du tout inutile, ce n’est que Babel, confusion du langage unique en plusieurs : il n’est qu’un babillard et un chicaneur, qui chicane pour l’héritage, il le veut obtenir par son babil et démêlé avec son hypocrisie de bouche et sainteté spécieuse ; et il n’est qu’un meurtrier sanguinaire de l’innocent Abel son frère, qui est le véritable héritier.
6. C’est pourquoi nous disons, comme nous l’avons reconnu, qu’un homme qui se veut nommer Chrétien doit examiner quelles qualités le poussent et gouvernent, s’il est poussé par l’Esprit de Christ à la justice et à la vérité et l’amour du prochain, de sorte qu’il voudrait volontiers faire du bien, si seulement il le savait faire : et s’il trouve qu’il a un tel penchant à ces vertus, il peut alors s’assurer qu’il est tiré, et il doit mettre incessamment la main à l’œuvre, non pas seulement vouloir et ne pas le parfaire ; l’attrait du Père à Christ est dans le vouloir, mais la vraie vie consiste dans le parfaire.
7. Car le véritable esprit fait le bien : en vain on a le vouloir, si le faire ne suit, et l’homme véritable demeure de cette manière assujetti à la vanité, qui empêche l’œuvre ; il n’est qu’un hypocrite, un Ismaélite, il parle d’une manière et fait de l’autre, et fait voir que sa bouche est une menteuse ; car il ne pratique pas lui-même ce qu’il enseigne, et il sert seulement à l’homme animal dans la vanité.
8. Celui qui dit, j’ai bien le vouloir, et je voudrais volontiers faire du bien, mais j’ai la chair terrestre qui me retient, que je ne puis pas ; cependant je serai sauvé par grâce pour l’amour du mérite de Jésus Christ, car je me console de ses souffrances et de son mérite, il me recevra par grâce sans tout mon mérite, et me pardonnera les péchés ; celui-là fait comme un homme qui aurait connaissance d’une bonne viande salutaire, et qui n’en mangeait pas, mais qui mangeait une venimeuse au lieu de l’autre, de laquelle il devint malade et mourut.
9. Qu’est-ce que cela sert à l’âme qu’elle sache le chemin qui conduit à Dieu, et qu’elle n’y veut pas marcher, mais qu’elle marche dans l’égarement, et n’atteint point Dieu ? De quoi sert-il à l’âme qu’elle se console de l’adoption de Christ, de sa mort et de ses souffrances, et qu’elle se flatte elle-même, mais n’entre point dans la régénération enfantine, pour devenir un vrai enfant, en naissant de l’Esprit de Christ, de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection ? Pour certain, c’est en vain et un mensonge qu’on se chatouille et se flatte du mérite de Christ, sans la vraie filiation née au dedans, qui que ce soit qui l’enseigne.
10. Cette consolation n’appartient qu’au pécheur repentant, qui combat contre les péchés et la colère de Dieu, au temps des tentations, quand Satan attaque l’âme ; c’est alors que l’âme se doit envelopper entièrement dans la vie et la mort, dans le mérite de Christ.
11. Il est vrai que Christ l’a seul mérité, mais non pas comme un mérite à qui on donne un salaire par mérite, afin qu’il nous donnât l’adoption extérieurement de son mérite, et nous reçût ainsi dans l’adoption : nullement, il est lui-même le mérite, il est la porte ouverte par la mort, par laquelle nous devons entrer ; mais il ne reçoit point des bêtes dans son mérite, mais ceux-là qui se convertissent et qui deviennent comme des petits enfants.
12. Les enfants qui viennent à lui sont eux-mêmes son salaire, qu’il a mérité, comme il s’en exprimait : (Jean, 17 : 6) Mon Père, les hommes étaient à toi, et tu me les as donnés, et je leur donne la vie éternelle. Or la vie de Christ n’est donnée à personne qu’à ceux qui viennent dedans à lui dans son Esprit, dans son humanité, ses souffrances et son mérite, et qui par son mérite sont véritablement devenus enfants de son mérite : il faut que nous renaissions de son mérite, que nous soyons revêtus du mérite de Christ dans ses souffrances et sa mort ; non au dehors par hypocrisie des lèvres, seulement en se consolant, en demeurant des enfants étrangers d’une essence étrangère ; nullement, l’essence étrangère ne peut point hériter de la filiation, mais l’essence née dedans l’hérite.
13. Cette essence née dedans n’est pas ce monde, mais elle est dans le ciel, comme St. Paul l’exprime : Notre conversation est dans le ciel (Phil. 3 : 20), l’essence filiale converse dans le ciel, et le ciel est dans l’homme : mais si le ciel n’est pas ouvert dans l’homme, et s’il demeure seulement devant la porte en faisant l’hypocrite, et dit : je suis encore dehors, mais Christ me recevra en grâce, son mérite m’est imputé ; un tel homme est selon l’homme extérieur dans la vanité et dans le péché, et avec son âme il est dans l’enfer, comme dans la colère de Dieu.
14. C’est pourquoi apprenez à bien comprendre ce que Jésus Christ nous a fait et enseigné. Il est notre ciel, et il faut qu’il soit formé en nous, si nous voulons être dans le ciel : et alors l’homme intérieur de l’âme est dans le saint corps de Christ, comme dans la nouvelle essence, dans le ciel, et l’homme extérieur mortel est dans le monde, dont JÉSUS Christ dit : Mes brebis sont entre mes mains, nul ne me les ravira ; le Père, qui me les a données, est plus grand que tous (Jean, 10 : 27-29).
CHAPITRE VI.
I.
MES chers Frères, nous voulons vous parler fidèlement, et nullement d’une bouche hypocrite, pour plaire à l’Antéchrist, mais de notre perle de l’essence et science Chrétienne, non pas de l’écorce et de l’histoire, mais de l’esprit enfantin de la science de Christ, comme un sarment du Cep de Christ, de la mesure de la science qui nous a été donnée au dedans, selon le conseil de Dieu.
2. On nous attache aujourd’hui à l’histoire, à des temples de pierres, qui ne sont pas à mépriser dans leur usage légitime, pourvu qu’on y apportât le vrai temple de JÉSUS Christ.
3. On enseigne que leur absolution est le pardon des péchés, que la cène les ôte, et que l’Esprit de Dieu est infusé par le ministère de la parole.
4. On pourrait en quelque manière laisser passer tout cela, s’il était bien expliqué, et qu’on ne s’arrêtât pas seulement à l’écorce. Plusieurs vont au temple pendant 20 et 30 ans, ils entendent les sermons, ils usent des sacrements, et se font donner l’absolution, qui avec tout cela néanmoins ne sont que des bêtes du diable et de la vanité : une bête va au temple et à la cène, et en revient une bête comme auparavant. Comment celui-là peut-il manger, qui n’a point de bouche ? Comment celui-là peut-il ouïr, qui n’a point d’oreilles ? Celui dont la bouche est fermée, comment pourra-t-il manger ? Celui qui est éloigné de l’eau, comment pourra-t-il boire ? De quoi me sert d’aller dans des temples de pierres, et de remplir mes oreilles d’un souffle vide ? De quoi me sert-il d’aller à la cène, et que j’y donne seulement à manger à ma bouche terrestre, qui est mortelle et corruptible ? Ne puis-je pas lui donner un morceau de pain à la maison pour se rassasier ? De quoi sert-il à une âme, qui est une vie immortelle, que l’homme animal tient la manière de l’usage de Christ, si elle ne peut pas obtenir le joyau de l’usage ? Car St. Paul dit de la Cène : que parce que vous ne discernez pas le corps du Seigneur, vous le recevrez à votre condamnation (I. Cor. 11 : 29).
5. L’alliance subsiste, elle est émue dans l’usage : JÉSUS Christ nous offre son Esprit dans sa parole, comme dans la parole prêchée ; Il nous offre aussi son corps et son sang dans le sacrement, et son absolution dans la réconciliation fraternelle.
6. Mais à quoi sert cela qu’une bête entende la parole extérieure, si elle n’a point d’oreilles pour ouïr la parole vivante intérieure ? Elle n’a aussi point de vaisseau pour contenir la parole, de sorte qu’elle produise du fruit. JÉSUS Christ dit de ceux-là que le diable arrache la parole de leur cœur, afin qu’ils ne croient point pour être sauvés (Luc. 8 : 12). Pourquoi cela ? Parce que la parole ne trouve point de place dans les oreilles pour pouvoir s’y accrocher.
7. Il en est de même de l’absolution. De quoi me sert-il qu’on me dise : je t’annonce la rémission de tes péchés, si avec tout cela l’âme gît renfermée dans le péché ? Celui qui dit cela à un pécheur renfermé, erre, et celui-là qui reçoit l’absolution sans la voix de Dieu en soi-même, se trompe aussi soi-même.
8. Personne ne peut pardonner les péchés, que Dieu : la bouche du prêtre n’a point la rémission dans la propre puissance : l’Esprit de Christ l’a dans la voix de la bouche du Prêtre, pourvu qu’il soit lui-même un Chrétien. Mais qu’a-t-il servi à ceux qui entendirent la voix de Christ sur la terre, lorsqu’il disait : Venez à moi, vous tous qui est travaillés et chargés, je vous soulagerai ? Qu’a-t-il servi à ceux qui l’entendirent, et qui n’étaient point chargés ? Quel soulagement en reçurent-ils ? N’ayant que des oreilles mortes, et qu’ils n’entendirent que le Christ extérieur, et non la parole de la vertu divine, ceux-là néanmoins n’ont pas été soulagés : c’est tout de même avec l’homme animal, qui ne tire pas plus d’avantage de cette absolution hypocrite ; et il en est de même avec les sacrements.
9. C’est une chose constante que l’alliance est maintenant ouverte et émue dans les sacrements, comme aussi dans la prédication de la parole ; mais la jouissance de l’âme se fait dans la propriété, comme la bouche de l’âme est disposée : ainsi la bête extérieure reçoit du pain et du vin, ce qu’elle pourrait aussi manger à la maison ; et l’âme ignée reçoit aussi l’alliance selon sa disposition, savoir dans la colère de Dieu ; elle reçoit l’essentialité du monde éternel, mais selon la propriété du monde ténébreux. Telle qu’est la bouche, telle est aussi la viande qui lui convient : elle la reçoit en condamnation, de même que les impies verront JÉSUS Christ au dernier jugement comme un juge sévère ; et les saints comme leur cher Emmanu-El.
10. La colère de Dieu est déployée contre les impies dans son alliance, et à l’égard des fidèles la céleste corporalité, et en elle la vertu du Christ au saint Nom de JÉSUS. Mais de quoi servent les choses saintes aux impies, s’ils ne peuvent pas en jouir ? Le péché y est seulement ému et manifesté.
11. Néanmoins les péchés ne sont point ôtés ni pardonnés aux saints par les sacrements, mais la chose va ainsi : lorsque Christ ressuscite, Adam meurt dans l’essence du serpent ; lorsque le soleil se lève, la nuit est engloutie dans la lumière du jour : il en est de même du pardon des péchés ; l’Esprit de Christ mange de sa sainte substance, et l’homme intérieur embrasse la sainte substance : il reçoit de que l’Esprit de Christ introduit en lui, comme étant le temple de Dieu, savoir la chair et le sang de Christ. Qu’est-ce qu’une bête a à faire de ces choses ? Ou qu’est-ce que le diable et l’âme qui est dans la colère de Dieu en a à faire ? Ils mangent de leur corps céleste de leur ciel, dans lequel ils habitent, qui est l’abîme.
12. Il en est de même de la prédication de la parole : un impie entend ce qu’une âme extérieure du monde extérieur prêche, il reçoit cela comme une histoire. Que s’il se trouve dans la prédication du chaume ou de la paille, il en suce la vanité, et l’âme en suce un poison faux et le meurtre du diable : avec cela elle se chatouille de ce qu’elle entend, comme elle peut juger les autres. Que si le prédicateur est un prédicateur mort, et qu’il sème de ses passions du poison ou médisance, alors c’est le diable qui prêche, et c’est aussi le diable qui écoute : une semblable doctrine est reçue dans le cœur d’un impie, et produit des fruits de même nature, par où le monde est devenu une caverne de brigands, où il n’y a rien d’autre tant dans les prédicateurs que dans les auditeurs, que de pure moqueries, des injures, des médisances, des démêlés et des entrerongements pour la seule écorce.
13. Mais dans le saint Docteur, c’est le Saint Esprit qui enseigne, et dans le pieux auditeur, c’est l’Esprit de Christ qui écoute, par l’âme et par l’édifice divin du son divin : le saint a son temple en soi, où il entend et enseigne ; mais la Babel a un amas de pierres où elle entre pour faire l’hypocrite et paraître avec des beaux habits, faisant parade de dévotion et de piété ; le temple de pierre est son Dieu, auquel elle met sa confiance.
14. Mais le saint a son temple partout avec soi et en soi : car il marche et il s’arrête, il couche et il est assis dans son temple, il est dans la vraie église Chrétienne dans le temple de Christ : le saint Esprit lui prêche par toutes les créatures ; tout ce qu’il voit lui est un prédicateur de Dieu.
15. Ici le moqueur dira que je méprise les temples matériels où l’Église s’assemble ; mais je réponds : nullement ; mais je découvre seulement la paillarde Babylonique hypocrite, qui n’exerce qu’une infâme paillardise avec le temple de pierres, et se nomme une Chrétienne, quoiqu’elle ne soit qu’une garce.
16. Un vrai Chrétien apporte son temple dans l’assemblée : son cœur est le véritable temple, où on doit exercer le service divin ; quand j’irais mille ans au temple et toutes les semaines à la cène ; quand je me ferais donner tous les jours l’absolution ; si je n’ai pas Christ en moi, tout cela n’est que fausseté et une fiction inutile, un pur amusement Babylonique, et il n’y a point de pardon des péchés.
17. Un saint fait des œuvres saintes par la sainte vertu de son esprit : l’œuvre n’est point la réconciliation ; mais c’est l’édifice que l’esprit véritable bâtit dans son essentialité : il est son habitation, de même que la fable d’un faux Chrétien est aussi son habitation, où son âme entre en faisant l’hypocrite. L’ouïe extérieure entre dans l’extérieur et opère dans l’extérieur, au lieu que l’ouïe intérieure entre dans l’intérieur et y opère.
18. Fais l’hypocrite, hurle, crie, chante, prêche, enseigne tant que tu voudras, si le docteur et l’auditeur intérieur ne s’y trouvent pas, ce n’est que Babel, qu’une pure fable et un amusement vain, où l’esprit du monde extérieur contrefait l’intérieur ; et par là il veut paraître d’avoir un véritable culte divin, quoique quelquefois le diable opère puissamment dans l’imagination au milieu de ce culte, et chatouille les cœurs par des choses qui sont fort agréables à la chair : ce qui arrive même souvent aux enfants de Dieu, quant à l’homme extérieur ; lorsqu’ils ne sont pas toujours exactement sur leurs gardes, alors le diable les crible.
CHAPITRE VII.
I.
UN homme qui est vraiment né derechef de l’Esprit de Christ, celui-là est dans la simplicité de Christ, et n’a point de démêlé avec personne pour la religion : il a assez de combat en soi-même avec sa mauvaise chair bestiale et son sang ; il se regarde toujours comme un grand pécheur devant Dieu, et il craint Dieu : car ses péchés sont manifestes et exposés au jugement, car la turbe les renferme en soi, d’où la colère de Dieu le reprend ouvertement comme un coupable ; mais la charité de Christ survient qui les fait évanouir, comme le jour chasse les ténèbres.
2. Mais quant aux impies, leurs péchés reposent dans un sommeil de mort, et ils reverdissent dans l’abîme, et portent des fruits dans l’enfer.
3. La Chrétienneté en Babel se querelle pour la science, comme on doit servir Dieu, l’honorer et le connaître, pour savoir ce que Dieu est selon son essentialité et sa volonté : ils enseignent décisivement que ceux qui n’adhèrent pas à leur savoir et sentiment ne sont point des Chrétiens, mais des hérétiques.
4. Or je voudrais volontiers voir comme on pourrait concilier toutes les sectes et les réduire en une, laquelle on pourrait nommer une vraie église Chrétienne, puisqu’ils ne sont tous ensemble que des moqueurs, de sorte que chaque secte ne fait que calomnier et décrier l’autre pour une fausse.
5. Mais un Chrétien n’a point de secte : il peut demeurer au milieu de toutes les sectes, et même se trouver dans leur culte, sans néanmoins adhérer à aucune secte : il n’a que cette seule connaissance qui est Christ en lui ; il ne cherche qu’une seule voie qui est le désir, de sorte qu’il voudrait toujours faire le bien et l’enseigner, réduisant tout son savoir et vouloir à la vie de Christ. Il soupire et souhaite continuellement que la volonté de Dieu soit accomplie en lui, et que son règne s’y manifeste ; il mortifie chaque jour et à tous moments le péché dans sa chair : car la semence de la femme, qui est le nouvel homme en Christ, brise continuellement la tête du serpent dans la vanité (Gen. 3 : 15).
6. Sa foi est un ardent désir de Dieu, il l’enveloppe dans une espérance certaine, et s’y hasarde sur la parole de la promesse ; et il y vit et il meurt, quoique selon l’homme véritable il ne puisse jamais mourir. Car Jésus Christ dit aussi ainsi : Celui qui croit en moi ne mourra jamais ; mais il est passé de la mort à la vie. Item : Qui croit en moi, il découlera de son ventre des fleuves d’eau vive, qui sont la saine doctrine et les bonnes œuvres.
7. C’est pourquoi je soutiens que tous ceux qui s’entre-mordent et se querellent pour la terre ne sont qu’une Babel : toutes les lettres ne consistent que dans une seule racine. De même que les diverses fleurs sont plantées dans la terre et croissent toutes l’une auprès de l’autre, nulle d’entre elles ne se mord avec l’autre à cause des couleurs, de l’odeur et de la saveur ; elles souffrent que le soleil et la terre, les pluies, le vent, la sécheresse, le chaud et le froid les traitent comme ils veulent, mais elles croissent toutes chacune dans son essence et qualité : il en est de même des enfants de Dieu, ils ont des dons divers et connaissances, mais toutes d’un Esprit : ils se réjouissent l’un auprès de l’autre des grandes merveilles de Dieu, et le remercient dans sa sagesse ; pourquoi se doivent-ils quereller longtemps pour celui en qui ils vivent et sont, et de l’essentialité duquel ils sont eux-mêmes.
8. Une des plus grandes folies en Babel est que le diable a rendu les gens disputeurs pour la religion, de sorte qu’ils se querellent pour des opinions qu’ils ont forgées eux-mêmes, et pour la terre, quoique le royaume de Dieu n’est dans aucune opinion, mais en vertu et en charité. Aussi Jésus Christ a déclaré, et c’est la dernière volonté qu’il a laissée à ses disciples, qu’ils devaient s’aimer l’un l’autre, et que par là chacun connaîtrait qu’ils étaient ses disciples, ainsi que Lui les avait aimés. Si les hommes avaient autant d’empressement pour la charité et pour la justice que pour leurs opinions, il n’y aurait aucune contention sur la terre : nous vivrions comme des enfants dans notre Père, et nous n’aurions besoin d’aucune loi ni ordre.
9. Car ce n’est par aucune loi que Dieu est servi, mais par l’obéissance : les lois sont à cause des méchants, qui ne veulent point se conduire par la charité et la justice, ceux-là sont poussés et contraints par les lois. Nous tous n’avons que cette seule ordonnance, savoir que nous nous tenions cois au Seigneur de toutes les substances, que nous lui soumettions notre volonté, et que nous laissions opérer son Esprit en nous, s’y jouer et y faire tout ce qu’il lui plaît ; et ce qu’il opère et qu’il manifeste en nous, que nous le lui offrions derechef, comme son propre fruit.
10. Si donc nous ne nous querellions point sur la diversité des fruits, des dons et des connaissances, mais que nous nous reconnussions les uns les autres comme des enfants de l’Esprit de Dieu, qui est-ce qui nous jugerait ? Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans notre savoir et dans nos sentiments, mais en vertu.
11. Quand nous n’aurions pas la moitié de savoir, et que nous serions plus puérils, ayant seulement une volonté fraternelle entre nous, et vivant comme les enfants d’une même mère, comme les branches d’un même arbre, qui nous tirent leur sève d’une même racine, nous serions aussi beaucoup plus saints.
12. Le savoir ne tend qu’à ce but, que nous apprenions à connaître la perte que nous avons faite de nos forces divines en Adam, et comme nous n’avons maintenant d’inclination qu’au mal, et qu’il n’y a que de mauvaises qualités en nous, et que le péché est très-odieux à Dieu, afin que nous apprenions à bien faire avec ce savoir. Mais si nous avons la vertu de Dieu en nous, et désirons de faire le bien de toutes nos forces et de bien vivre, alors le savoir ne sert plus que de divertissement pour nous y recréer en nous.
13. Car le vrai savoir est la manifestation de l’Esprit de Dieu par la Sagesse éternelle : Il sait en ses enfants ce qu’il veut ; Il répand sa sagesse et ses merveilles par ses enfants, de même que la terre produit les diverses fleurs. Si donc nous demeurions ensemble dans l’Esprit de Christ, comme des enfants humbles, et que chacun se réjouît des dons et de la connaissance des autres, qui est-ce qui nous jugerait ? Qui juge les oiseaux dans les bois, qui par la diversité de leur ramage louent le Seigneur de toutes substances, chacun dans son essence ? L’Esprit de Dieu les reprend-il aussi de ce qu’ils ne concertent pas mieux leurs chants ? Si est-ce que tous leurs chants procèdent de sa vertu, et ils jouent ainsi devant Dieu.
14. C’est pourquoi les hommes qui se querellent à cause de la science et de la volonté de Dieu, et qui à cause de cela se méprisent les uns les autres, sont plus sots que les oiseaux dans les bois et les bêtes sauvages, qui n’ont point de vraie intelligence : ils sont plus inutiles devant Dieu que les fleurs des champs, qui néanmoins se tiennent tranquillement devant l’Esprit de Dieu, et qui lui laissent manifester sa divine sagesse et sa vertu par elle ; ils sont même pires que les épines et les chardons entre les belles fleurs : qui néanmoins demeurent cois : ils ressemblent plutôt aux bêtes ravissantes et aux oiseaux de proie, qui épouvantent et empêchent les autres oiseaux de louer Dieu par leurs chants.
15. En un mot, ils sont des plantes du diable dans la colère de Dieu, qui sont même contraints de glorifier Dieu par leurs tourments : car ils expriment par leurs tourments et persécution le suc par l’essence des enfants de Dieu ; de sorte qu’ils sont émus dans l’Esprit de Dieu par prières et supplications, dans lesquelles l’Esprit de Dieu se meut en eux : car par là les désirs sont excités, et aussi les enfants de Dieu, afin qu’ils reverdissent et produisent des fruits ; c’est dans les tribulations où les enfants de Dieu sont manifestés, selon l’écriture : Lorsque tu les châties, ils crient à toi avec ardeur.
CHAPITRE VIII.
I.
TOUTE la religion Chrétienne consiste en ce que nous apprenions à connaître ce que nous sommes et d’où nous tirons notre origine, comme nous sommes sortis de l’union pour entrer dans la désunion, dans la malice et dans l’injustice, et comme nous avons excité ces choses en nous. En second lieu, comme nous étions dans l’union, lorsque nous étions enfants de Dieu. En troisième lieu, comme à présent nous sommes dans la désunion, dans le démêlé et dans la contrariété. En quatrième lieu, où nous irons après cet état de fragilité : ce que deviendra ce qu’il y a en nous d’immortel, comme aussi ce qui est mortel.
2. C’est dans ces quatre chefs que consiste toute la religion. Il s’agit d’apprendre à sortir de la désunion et de la vanité, et de rentrer dans l’arbre, d’où nous sommes tous sortis en Adam, qui est Christ en nous. Nous n’avons pas besoin de nous quereller, nous n’avons aussi point de démêlé, qu’à nous exercer comme nous pourrons rentrer dans l’amour de Dieu et de nos frères.
3. Les testaments de Christ ne sont tout à fait autre chose qu’une liaison fraternelle, de sorte que Dieu s’unit avec nous en Christ, et nous en lui. C’est à cela que toute la doctrine se doit rapporter, de même que toute notre volonté, notre vie et nos actions : tout ce qui enseigne et qui agit autrement n’est qu’une Babel, une fable, une sculpture de l’orgueil, un jugement téméraire et une séduction du monde, un faux-semblant du diable, par où il aveugle la simplicité.
4. Tout ce qui enseigne sans l’Esprit de Dieu, et qui n’a pas une connaissance divine, et néanmoins s’érige en docteur dans le royaume de Dieu, prétendant servir Dieu par là : tout cela est faux, et ne sert qu’à son dieu le ventre, et à son sens superbe et orgueilleux, cherchant à se faire honorer, et à se faire passer pour saint ; il exerce un emploi par le choix des enfants des hommes, qui font les hypocrites avec lui, et qui l’y ont établi par faveur. JÉSUS Christ dit : Celui qui n’entre point par la bergerie, c’est à dire, par lui-même, mais qui y monte par ailleurs est un larron et un brigand, et les brebis ne le suivent point, car elles ne connaissent point sa voix (Jean, 10 : 1-5).
5. Il n’a point la voix de l’Esprit de Dieu, mais seulement la voix de son art et de son apprentissage : c’est lui qui enseigne, et non l’Esprit de Dieu ; mais JÉSUS Christ dit : Toute plante que mon Père n’a point plantée sera déracinée (Matth. 5 : 13). Or comment est-ce qu’un impie, qui n’a point en soi la vertu de la semence, peut planter une plante céleste ? Christ dit tout net : Les brebis n’entendent point sa voix (du faux berger) et ne le suivent point (Jean, 10 : 5).
6. La parole écrite n’est qu’un instrument par lequel l’Esprit conduit : il faut que la parole qui veut enseigner soit rendue vivante dans la parole littérale ; il faut que l’Esprit de Dieu soit dans le son littéral, sans cela nul n’est un docteur de Dieu, mais seulement un docteur de la lettre, un savant des histoires, et nullement un ministre de l’Esprit de Dieu en Christ. Tout ce avec quoi on prétend servir Dieu se doit faire en foi, savoir en esprit ; c’est ce qui rend l’œuvre accomplie et agréable devant Dieu : tout ce que l’homme commence et fait en foi, il le fait par l’Esprit de Dieu, qui coopère à l’œuvre, et cela est agréable à Dieu : car c’est lui-même qui en est l’Auteur ; sa vertu s’y trouve, et c’est une chose sainte.
7. Mais ce qui se fait dans l’ipsaïté sans foi n’est qu’une figure ou l’écorce d’une œuvre vraiment Chrétienne.
8. Quand tu sers ton frère et que tu le fais seulement par l’hypocrisie, et que tu ne le fais pas volontiers, tu ne sers point Dieu : car ta foi ne procède pas de la charité dans l’espérance de ton don : tu sers bien ton frère, et il en rend grâces de son côté à Dieu, et t’en bénit quant à lui ; mais tu ne le bénis point, tu lui donnes un esprit de murmure avec ton don, qui n’entre point dans l’Esprit de Dieu, dans l’espérance de la foi ; c’est pourquoi tu n’as fait ton don qu’à moitié, et tu n’en as à attendre qu’une demi-récompense.
9. Il en est de même de l’acceptation : si quelqu’un donne en foi, en espérance divine, celui-là bénit son don dans sa foi ; mais celui qui le reçoit sans gratitude, et murmure en esprit, celui-là le maudit dans la jouissance : ainsi chacun a ce qui lui appartient ; chacun moissonne ce qu’il a semé.
10. De même aussi dans le ministère : ce que chacun sème, il le moissonne ; si quelqu’un sème de la bonne semence par l’Esprit de Christ, elle prend racine dans un bon cœur, et y produit de bons fruits ; et quant aux méchants, qui sont mal disposés, elle y excite la colère de Dieu. Que si quelqu’un sème des querelles, des mépris, des mauvaises interprétations, tous les impies les reçoivent, elles prennent racine, et produisent des fruits de même nature, de sorte qu’on se méprise, on se hait, on se calomnie et on interprète mal.
11. C’est de là qu’est née la grande Babylone, et qu’elle a pris son accroissement : où l’on a des démêlés par orgueil sur l’histoire et sur la justification du pauvre pécheur devant Dieu, et l’on sait égarer et blasphémer le simple ; un frère méprise un autre frère pour l’histoire et pour la lettre, et le donne même au démon.
12. De semblables calomniateurs ne servent point à Dieu, mais au grand édifice de la division. Parce qu’il y a encore quelque convoitise corrompue dans la chair de tous les hommes : ainsi ils réveillent aussi cette abomination dans les simples enfants de Dieu, et rendent le peuple de Dieu, aussi bien que les impies, calomniateurs ; de sorte qu’ils ne sont que des bâtisseurs de la grande Babylone et du monde, aussi peu utiles à l’édifice de l’Église de Dieu que la cinquième roue au char, au lieu qu’ils n’érigent que l’édifice infernal.
13. C’est pourquoi il est de la dernière importance aux enfants de Dieu de prier avec ardeur et d’apprendre à connaître ce faux édifice, d’en sortir en esprit, et de prendre garde de ne pas concourir à l’ériger, surtout de ne point persécuter les enfants de Dieu : par où ils s’arrêtent pour ne pas entrer dans le royaume de Dieu, et qu’ils ne soient pas séduits, comme Jésus Christ disait aux Pharisiens : Malheur à vous, Pharisiens, vous tournoyez par mer et par terre pour faire un prosélyte, et lorsqu’il l’est devenu, vous le rendez un enfant de la géhenne, au double plus que vous (Matth. 23 : 15). Il est certain que la même chose arrive aujourd’hui dans les différentes sectes et les factions, par le ministère de clamateurs et docteurs-querelleurs.
14. C’est pourquoi j’ai cru devoir avertir si fidèlement, par les dons qui m’ont été donnés de grâce, tous les enfants de Dieu qui désirent d’être les membres de Christ, de se garder de ces horribles contentions et de ces timbales sanguinaires : de se départir de contester avec leurs frères ; au contraire de ne tendre qu’à la charité et à la justice envers tous les hommes.
15. Car si quelqu’un est un bon arbre, il doit aussi porter de bons fruits : quoique parfois il soit exposé à souffrir, que les cochons les mangent, si est-ce qu’il demeure un bon arbre, voulant toujours opérer avec Dieu, et ne pas se laisser vaincre par aucun mal : c’est ainsi qu’il est dans le champ de Dieu, et qu’il produit des fruits pour la table, dont il jouira lui-même éternellement.
A M E N !
Cinquième Traité.
DE LA VIE SUPER-
SENSUELLE,
Qui est
Un Dialogue d’un Maître
avec son disciple.
De quelle manière l’âme peut parvenir à la contemplation et à l’ouïe divine : et ce qu’est son enfance dans la vie naturelle et surnaturelle ; comme elle passe de la nature en Dieu, et derechef de Dieu dans la nature de l’ipsaïté : comme aussi ce qu’est son salut et la damnation.
Écrit l’an
1622.
I.
LE DISCIPLE DIT AU MAÎTRE : Comment puis-je parvenir à la vie supersensuelle, tellement que je voie Dieu et l’entende parler ?
LE MAÎTRE RÉPONDIT : Si tu peux d’élever pour un moment jusque là où nulle créature habite, tu entendras ce que Dieu parlera.
2. LE DISCIPLE DIT : Cela est-il loin ou près ?
LE MAÎTRE DIT : Il est en toi, et si tu peux garder le silence pour une heure dans tout ton vouloir et tes sens, tu entendras des paroles de Dieu inexprimables.
3. LE DISCIPLE : Comme pourrais-je entendre si mon vouloir et mes sens sont en silence ?
LE MAÎTRE : Lorsque les sens et le vouloir de l’ipsaïté seront en silence, l’ouïr, le voir et le parler éternel sera manifeste en toi : Dieu lui-même entendra et verra par toi ; ton propre ouïr, ton propre vouloir et ton propre voir t’est en obstacle, que tu ne peux ni voir ni entendre Dieu.
4. LE DISCIPLE : Par quel moyen puis-je voir et entendre Dieu, puisqu’il est au dessus de la nature et de la créature ?
LE MAÎTRE : Lorsque tu te tiens en silence, tu es alors cela même que Dieu était avant la nature et la créature, d’où il a formé ta nature et ta créature : alors tu vois et tu entends avec ce avec quoi il voyait et entendait en toi, avant que ton propre vouloir, voir et entendre eût commencé.
5. LE DISCIPLE : Qu’est-ce qui me retient que je ne puisse parvenir à cet état ?
LE MAÎTRE : Ton propre vouloir, ton propre voir et entendre, et que tu résistes à ce d’où tu as tiré ton origine : par ton propre vouloir tu te déromps du vouloir de Dieu, et par ton propre voir tu n’envisages que ton vouloir ; ton vouloir bouche ton ouïr par ta propre sensualité des choses terrestres et naturelles, il t’introduit dans un fond et t’ombrage avec ce que tu veux, tellement que tu ne saurais t’élever aux choses surnaturelles et superficielles.
6. LE DISCIPLE : Puisque je suis dans la nature, comment puis-je parvenir par la nature dans le fond supersensuel, sans la destruction de la nature ?
LE MAÎTRE : Trois choses sont nécessaires pour cela. La première, que tu adonnes ta volonté à Dieu, et que tu t’abîmes dans sa miséricorde. La deuxième, que tu haïsses ta propre volonté, et que tu ne fasses point ce à quoi elle te pousse. La troisième, que tu te soumettes à la croix, afin que tu puisses soutenir les tentations de la nature et de la créature : si tu sais cela, Dieu parlera au dedans de toi, dans le fond surnaturel ; alors tu entendras ce que Dieu parle en toi.
7. LE DISCIPLE : Si je faisais cela, il faudrait que je quittasse le monde et ma propre vie.
LE MAÎTRE : Si tu abandonnes le monde, tu entres en ce dont le monde a été formé : et si tu perds ta vie, et que tu défailles dans ton propre pouvoir, alors tu demeures en ce qui t’oblige à l’abandonner, savoir en Dieu, d’où ces choses sont devenues corporelles.
8. LE DISCIPLE : Dieu a créé l’homme dans la vie naturelle, afin qu’il dominât sur toutes les créatures sur la terre, et qu’il fût le Seigneur sur toutes les choses qui sont au monde ; c’est pourquoi ne faut-il pas qu’il les possède en propriété ?
LE MAÎTRE : Si tu viens à dominer, s’entend extérieurement, sur toutes les créatures, tu es avec ta volonté et ta domination d’une manière bestiale, et tu n’es que dans une domination imaginaire et passagère : tu introduis aussi tes désirs dans une essence bestiale, dont tu seras infecté et captivé, et par là tu deviens comme une bête ; mais si tu as renoncé aux formes idéales, tu te trouves dans la super-idéalité, et tu domines sur toutes les créatures dans le fond d’où elles ont été créées, et il n’y a rien sur la terre qui te puisse nuire : car tout t’est égal, et il n’y a rien qui te soit inégal.
9. LE DISCIPLE : Ô mon cher Maître, enseigne-moi, je te prie, comme je puis parvenir le plus promptement à cet état, que tout me soit égal.
LE MAÎTRE : Volontiers, souviens-toi de ces paroles de notre Seigneur Jésus Christ : Si vous n’êtes changés et ne devenez comme des petits enfants, vous ne pouvez voir le royaume de Dieu (Matth. 18 : 3). Si donc tu souhaites que tout te soit égal, il faut que tu renonces à tout, et que tes désirs se détournent de toutes choses, et que tu ne les appètes point, tellement que tu ne souhaites posséder aucune chose en propre : car du moment que tu prends ce qui est quelque chose dans tes désirs, et que tu le laisses entrer, et le reçois en propriété, cela devient une même chose avec toi, et opère avec toi dans une même volonté : ainsi tu es obligé d’en prendre soin et de le protéger comme ta propre substance ; mais si tu ne reçois rien dans tes désirs, tu es libre de tout, et tu domines tout à la fois sur toutes choses ; car tu n’as rien en quoi tu te complaises, et tu es comme un néant à toutes choses, et toutes choses te sont aussi un néant ; tu es comme un enfant qui n’a aucune intelligence d’aucune chose ; et bien que tu la comprends, si est-ce que tu la comprends sans attouchement de ta sensibilité, de la même manière que Dieu domine sur toutes choses, et les voit, quoiqu’aucune chose ne le comprenne.
Quant à ce que tu m’as demandé, de quelle manière tu peux parvenir à cet état ; considère les paroles du Christ, qui dit : Hors de moi vous ne pouvez rien faire (Jean, 15 : 5). Tu ne saurais par tes propres forces parvenir à ce repos où nulle créature ne t’attouche, à moins que tu ne t’adonnes tout entier dans la vie de notre Seigneur Jésus Christ, et que tu lui rendes entièrement ton vouloir et tes désirs, tellement que tu ne veuilles rien sans lui : de cette manière tu es bien avec le corps dans le monde dans les qualités, et à l’égard de ta raison tu es sous la croix de notre Seigneur Jésus Christ ; mais quant à ta volonté, ta conversation est au ciel, et tu te trouves au bout, d’où toutes les créatures sont procédées, et où elles doivent retourner : ainsi tu peux considérer extérieurement avec ton esprit, et régner en et sur toutes choses avec Christ, à qui toute puissance est donnée dans le ciel et dans la terre (Matth. 28 : 18).
10. LE DISCIPLE : Ô Maître ! les créatures qui vivent en moi m’empêchent de m’adonner entièrement comme je le souhaiterais.
LE MAÎTRE : Si ta volonté sort des créatures, tu les as abandonnées en toi, elles sont dans le monde, et il n’y a que ton corps qui soit avec elles, mais quant à toi, tu converses spirituellement avec Dieu : et si ta volonté abandonne les créatures, elles y sont comme mortes, elles ne vivent qu’au corps dans le monde, tellement que si la volonté ne s’introduit pas en elles, elles ne sauraient attoucher ton âme. Car St. Paul dit : Notre conversation est dans les cieux (Phil. 3 : 20) ; Vous êtes les temples du Saint Esprit, qui habite en vous (I. Cor. 6 : 19). Ainsi le Saint Esprit réside dans la volonté, et les créatures dans le corps.
11. LE DISCIPLE : Si le saint Esprit habite dans la volonté de l’esprit, comment puis-je me préserver qu’il ne se retire de moi ?
LE MAÎTRE : Écoute les paroles de notre Seigneur Jésus Christ : Si vous gardez ma parole, ma parole demeurera en vous. Si c’est que tu demeures dans la parole de Christ avec ta volonté, sa parole et son Esprit demeureront en toi ; mais si ta volonté entre dans les créatures, tu t’es dérompu de lui, ainsi tu ne saurais te préserver autrement, si non que tu restes continuellement dans l’humilité expropriée, et que tu t’adonnes en une continuelle repentance, tellement que tu sentes un regret continuel de ce que les créatures vivent en toi : si tu fais cela, tu meurs continuellement aux créatures, et tu fais une quotidienne ascension quant à ta volonté.
12. LE DISCIPLE : Ô mon cher Maître, enseigne-moi comme je puis parvenir à une telle repentance continuelle.
LE MAÎTRE : Si tu abandonnes ce qui t’aime et que tu aimes ce qui te hait, de cette manière tu peux persévérer dans une continuelle repentance.
13. LE DISCIPLE : Que veut dire cela ?
LE MAÎTRE : Tes créatures dans la chair et dans le sang, de même que tous ceux qui t’aiment, le font parce que ta volonté les nourrit ; il faut que la volonté les abandonne et les répute pour des ennemis : et il faut que tu t’étudies d’aimer la croix de notre Seigneur Jésus Christ, avec le mépris du monde, qui te hait, et que tu en fasses chaque jour l’exercice de ta repentance ; de cette manière tu auras des sujets continuels de te haïr avec les créatures, et de chercher le repos éternel, dans lequel ta volonté se peut reposer, comme Jésus Christ nous l’enseigne, quand il dit : Vous avez repos en moi, mais vous aurez angoisse dans le monde.
14. LE DISCIPLE : Comment puis-je me recolliger dans cette tentation ?
LE MAÎTRE : Si tu t’enfonces toutes les heures une fois dans sa plus profonde miséricorde de Dieu, dans les souffrances de Jésus Christ, hors de toute créature au dessus de toute raison sensuelle, et que tu t’y plonges, tu obtiendras des forces pour dominer sur le péché, la mort, l’enfer, le diable et le monde : ainsi tu pourras subsister dans toutes les tentations.
15. LE DISCIPLE : Comment serais-je heureux, moi pauvre misérable, si je pouvais parvenir là avec mon esprit, où il n’y a aucune créature ?
LE MAÎTRE lui répondit avec beaucoup de douceur : Mon cher disciple, si tu pouvais dérompre ta volonté pour une heure de toutes les créatures et t’élever jusques là où il n’y en a aucune, elle serait revêtue par dessus de l’éclat le plus sublime de la gloire divine, et elle goûterait en soi l’amour le plus doux de notre Seigneur Jésus Christ, qu’aucune langue ne saurait exprimer : elle ressentirait en soi des paroles inexprimables de sa grande miséricorde ; elle éprouverait en soi que la croix de Christ serait changée en soi en un doux bienfaire, et elle la préférerait à toute la gloire et à tous les biens du monde.
16. LE DISCIPLE : Que deviendrait donc le corps, puisqu’il faut qu’il vive dans la créature ?
LE MAÎTRE : Le corps serait mis dans l’imitation de JÉSUS Christ, qui a dit : Mon règne n’est point de ce monde. Il commencerait à mourir intérieurement et extérieurement ; au dehors à la vanité et aux œuvres mondaines, il deviendrait l’ennemi de toute lasciveté ; au dedans à toutes les mauvaises convoitises et inclinations : il recevrait un sens nouveau, et une volonté toute nouvelle, qui seraient continuellement tournées à Dieu.
17. LE DISCIPLE : Mais le monde viendrait à cause de cela à le haïr et mépriser, parce qu’il faudrait qu’il lui contredît qu’il menât une autre vie et une autre conduite que lui.
LE MAÎTRE : C’est ce dont il ne se souciera aucunement, comme si on ne lui faisait aucune peine ; au contraire, il se réjouira d’être rendu digne de devenir conforme à l’image de notre Seigneur JÉSUS Christ, il portera très-volontiers cette croix après lui, afin qu’il lui influe son amour très-suave.
18. LE DISCIPLE : Mais que deviendrait-il si la colère de Dieu au dedans et le monde mauvais au dehors venaient à fondre sur lui, comme il arriva à notre Seigneur Jésus Christ ?
LE MAÎTRE : Il lui arriverait comme à notre Seigneur Jésus Christ. Lorsque le monde et les sacrificateurs le chargeaient de mépris et le crucifiaient, il remettait son âme entre les mains de Dieu son Père, et il passa par des angoisses de ce monde à la joie céleste : c’est ainsi qu’il viendrait à pénétrer en soi à travers tous les mépris et les angoisses de ce monde dans le plus grand amour de Dieu, qu’il serait fortifié et conservé par le très-doux Nom de JÉSUS ; il verrait et ressentirait en soi un monde nouveau qui pénétrerait à travers la colère de Dieu : c’est dans cet amour qu’il envelopperait son âme, et qu’il réputerait tout lui être égal, quand même son corps serait dans l’enfer ou sur la terre, si est-ce que son esprit serait dans l’amour de Dieu le plus sublime.
19. LE DISCIPLE : Mais comment est-ce que son corps aurait son entretien dans le monde, et comment pourrait-il pourvoir aux siens si tout le monde venait à le haïr ?
LE MAÎTRE : Il recevra une meilleure saveur que toute la saveur du monde : car il a Dieu et tous les saints anges pour ses amis, ceux-là le protègent contre toute sorte de dangers, et aussi Dieu répand sa bénédiction sur toutes ses affaires ; et quand il ferait semblant de la vouloir retirer, ce ne serait qu’une épreuve et un attrait d’amour, afin qu’il redouble ses prières, et qu’il lui remette toutes ses voies.
20. LE DISCIPLE : Mais il perdra tous ses bons amis, et il n’aura personne qui lui tende la main dans les nécessités.
LE MAÎTRE : Il recevra en propre le cœur de tous ses bons amis ; il ne perdra que ses ennemis, qui précédemment n’avaient d’affection que pour sa malice et pour sa vanité.
21. LE DISCIPLE : Comment se peut-il faire qu’il ait ses bons amis à lui en propre ?
LE MAÎTRE : Il reçoit toutes les âmes de ceux qui appartiennent à notre Seigneur Jésus Christ pour ses frères et membres de sa propre vie : car les enfants de Dieu ne sont qu’un en Christ, qui est Christ en tous ; c’est pourquoi il les reçoit tous pour ses membres corporels en Christ : car ils ont tous les biens célestes en commun et ils vivent dans un même amour de Dieu, comme les branches d’un arbre vivent d’un même suc. Aussi il ne lui manque pas même des amis extérieurs et naturels, comme il est arrivé à notre Seigneur Jésus Christ ; bien que les souverains Sacrificateurs et les Grands du monde ne l’aimassent aucunement, puisqu’ils ne lui appartenaient pas et qu’ils n’étaient point ses frères ni ses membres, si est-ce que ceux-là l’aimaient qui étaient susceptibles de sa parole : ainsi ceux-là l’aimeront qui aiment la vérité et la justice, et s’associeront à lui, comme Nicodème à Jésus de nuit, qui aimait Jésus en son cœur à cause de la vérité, appréhendant le monde extérieurement : ainsi il aura plusieurs bons amis qui ne lui sont pas encore connus.
22. LE DISCIPLE : Mais il est bien difficile d’être méprisé de tout le monde.
LE MAÎTRE : Ce qui te paraît maintenant difficile, tu l’aimeras dans la suite le plus.
23. LE DISCIPLE : Comment se peut-il que j’aime ce qui me méprise ?
LE MAÎTRE : Maintenant tu aimes la sagesse terrestre ; mais quand tu seras revêtu de la sagesse céleste, tu verras que toute la sagesse mondaine n’est que folie, et que le monde ne hait que ton ennemi, savoir ta vie mortelle, laquelle tu hais aussi toi-même, quant à sa volonté : ainsi tu commences d’aimer ce mépris de ton corps mortel.
24. LE DISCIPLE : Mais comment peut-on concilier qu’un homme s’aime et se haïsse aussi ?
LE MAÎTRE : Lorsque tu t’aimes, tu ne t’aimes point comme une tuaïté (comme ce qui est à toi-même), mais l’amour que tu as pour toi est un don que Dieu t’a fait : tu aimes le fond divin en toi, par lequel tu aimes la Sapience divine et ses merveilles avec tes frères, mais quand tu te hais, tu le fais quant à ta tuaïté, dans laquelle le mal t’adhère, tu le fais en tant que tu voudrais bien rompre en toi ton égoïté (ce qui est à toi) et qu’elle te fût faite entièrement pour un fond divin : l’amour hait l’égoïté, parce que l’égoïté est un venin mortel, et qu’elles ne peuvent point subsister ensemble : car l’amour possède le ciel et habite en soi-même, et l’égoïté possède le monde avec les choses qui sont au monde, et elle habite aussi en soi-même ; de même que le ciel domine sur la terre, et l’éternité par dessus le temps, ainsi l’amour règne aussi sur la vie naturelle.
25. LE DISCIPLE : Mon cher Maître, dis-moi, je te prie, pourquoi faut-il que l’amour et la douleur, l’ami et l’ennemi se trouvent ensemble, ne vaudrait-il pas mieux qu’il n’y eût que pur amour ?
LE MAÎTRE : Si l’amour ne se trouvait pas dans la douleur, il n’aurait rien qu’il pût aimer ; mais parce que l’objet qu’il aime, savoir la pauvre âme, est dans la souffrance et dans la douleur, il a occasion d’aimer sa propre substance, et de la délivrer du tourment, afin d’être aimé à son tour : on ne pourrait pas aussi connaître ce qu’est l’amour s’il n’avait rien qu’il pût aimer.
26. LE DISCIPLE : Dis-moi, je te prie, mon Maître, comment je dois entendre des choses ?
LE MAÎTRE : Quant à ce que je dis que sa vertu est le néant, tu le comprends si tu sors de toutes les créatures, et que tu sois anéanti à leur égard : car alors tu seras dans l’Un éternel, qui est Dieu même, et tu ressentiras la vertu la sublime de l’amour.
Mais quand je dis que sa force pénètre toutes choses, c’est ce que tu ressentiras dans ton âme et dans ton corps, si une fois cet amour est allumé en toi ; il brûle plus qu’aucun feu ne saurait faire : c’est aussi ce que tu peux remarquer dans toutes les œuvres de Dieu, comme l’amour s’est répandu en toutes choses, et c’est là le fond le plus intime et le plus extérieur en toutes choses ; intérieurement quant à la vertu, et extérieurement quant à la forme.
Et quant à ce que j’ai ajouté, que sa hauteur était aussi haute que Dieu, tu peux le comprendre en toi-même, comme il t’élève en toi aussi haut que Dieu est lui-même, comme tu le peux en notre Seigneur Jésus Christ selon notre humanité, lequel l’Amour a élevé jusqu’au plus haut du trône dans la puissance de la divinité.
Mais pour ce que j’ai aussi dit, que quant à sa grandeur il est plus grand que Dieu, cela est aussi véritable, car l’amour entre même là où Dieu n’habite pas : car lorsque notre Seigneur Jésus Christ était en enfer, l’enfer n’était pas Dieu, si est-ce que l’Amour y était, qui détruisait la mort : aussi quand tu es dans l’angoisse, Dieu n’est pas l’angoisse, toutefois son amour y est, et te fait passer de l’angoisse en Dieu ; lorsque Dieu se cache en toi, l’amour y est, et c’est Lui qui le manifeste en toi.
En outre quand j’ai dit que celui qui le trouve, trouve le Néant et le Tout, c’est aussi une vérité certaine : car il trouve un Abîme surnaturel et supersensuel, où il n’y a aucun lieu où il puisse habiter, et il ne trouve rien qui lui soit semblable ; c’est pourquoi il n’y a rien à quoi on le puisse comparer : car il est plus profond qu’aucune chose ; c’est pourquoi il est à toutes choses comme un néant, parce qu’il n’est point compréhensible : et par cela même qu’il est un néant, il est libre de toutes choses ; c’est le bien unique dont on ne saurait exprimer ce qu’il est.
Enfin ce que j’ai dit que celui qui le trouve trouve Tout, est aussi très-véritable ; il a été le commencement de toutes choses, et il domine sur tout : si tu le trouves, tu atteins le fond d’où toutes choses sont procédées, et dans lequel elles subsistent, et tu es en lui un Roi sur toutes les œuvres de Dieu.
28. LE DISCIPLE : Mon cher Maître, dis-moi encore où c’est qu’il réside dans l’homme ?
LE MAÎTRE : Là où l’homme ne réside pas, c’est là où il a son siège dans l’homme.
29. LE DISCIPLE : Où est cela où l’homme n’habite pas en soi ?
LE MAÎTRE : C’est l’âme expropriée tout au fond, lorsque l’âme meurt à sa propre volonté, et qu’elle ne veut elle-même plus rien que ce que Dieu veut, c’est là où l’amour habite : car autant que la propre volonté est morte à soi-même, autant a-t-il pris possession de la place où la propre volonté résidait auparavant, là il n’y a maintenant rien, c’est là où l’amour de Dieu est seulement opérant.
30. LE DISCIPLE : Mais comment puis-je l’atteindre sans mourir à ma volonté ?
LE MAÎTRE : Si tu le veux atteindre, il s’éloigne de toi, mais si tu t’adonnes entièrement à lui, alors tu es mort à toi-même quant à ta volonté, et il devient la vie de ta nature : il ne te fait point mourir, mais au contraire, il te rend vivant selon sa vie ; alors tu ne vis point selon ta volonté, mais selon la sienne, car ta volonté devient la sienne, tu es alors mort à toi-même, mais vivant à Dieu.
31. LE DISCIPLE : D’où vient qu’il y a si peu de gens qui le trouvent, quoiqu’ils souhaiteraient bien de l’avoir ?
LE MAÎTRE : C’est qu’ils le cherchent tous dans quelque chose comme dans l’opinion imaginaire, dans leurs propres désirs ; avec cela ils conservent presque tous leurs propres convoitises naturelles, et bien qu’il s’offre à eux, si est-ce qu’il n’y trouve point de place, car l’idéalité de leur propre volonté a occupé sa place, et l’idéalité de leur propre volonté le veut avoir en soi ; mais l’amour s’enfuit, car il n’habite que dans le néant, c’est pourquoi on ne le trouve point.
32. LE DISCIPLE : Qu’est son office dans le néant ?
LE MAÎTRE : Son office est de pénétrer continuellement ce qui est quelque chose, et s’il peut trouver place en ce qui est quelque chose qui se tient coi, il l’embrasse et il s’y égaye plus avec son amour igné flambant que le soleil dans le monde : son office est d’allumer continuellement un feu dans ce qui est quelque chose, et d’y brûler et s’y super-enflammer.
33. LE DISCIPLE : Ô mon cher Maître, comment dois-je comprendre cela ?
LE MAÎTRE : Si une fois, il pouvait allumer un feu en toi, tu pourrais bien sentir comme il brûle ton égoïté et il s’égaye de telle sorte de ton feu que tu aimerais mieux mourir que de rentrer dans ce qui est quelque chose en toi : aussi sa flamme est si grande qu’elle ne t’abandonnerait point ; quand il t’en devrait coûter la vie corporelle, il irait avec toi dans son feu à la mort ; et quand tu descendrais aux enfers, il détruirait l’enfer pour l’amour de toi.
34. LE DISCIPLE : Mon Maître, je ne puis plus supporter ce qui me retient dans l’égarement, comment pourrai-je prendre le chemin le plus court pour le trouver ?
LE MAÎTRE : Marche là où le chemin est le plus rude, embrasse ce que le monde rejette, ne fais point ce qu’il fait : marche en toutes choses d’une manière opposée au monde ; c’est le chemin le plus court pour parvenir à l’amour de Dieu.
35. LE DISCIPLE : Si je viens à prendre une conduite opposée en toutes choses au monde, je serai réduit dans la dernière nécessité et inquiétude, et avec cela je serais réputé pour fou.
LE MAÎTRE : Je ne dis pas que tu dois faire du mal à personne, mais comme le monde n’aime que la tromperie et la vanité, et marche dans une voie fausse, si tu veux prendre le contrepied en toutes choses, tu n’as qu’à marcher uniquement dans le droit chemin, car la voie droite est opposée à toutes les siennes.
Quant à ce que tu dis, que tu n’aurais que du tourment, cela n’arrive qu’à l’égard de la chair, et cela te donne une continuelle occasion à la repentance ; et l’amour aime le plus d’être dans cette angoisse avec son souffler de feu.
Tu dis encore qu’on te tiendra pour un fou, cela est aussi vrai, car la voie qui nous amène à l’amour de Dieu est une folie devant le monde, mais à l’égard des enfants de Dieu, c’est une sagesse : lorsque le monde aperçoit ce feu de l’amour dans les enfants de Dieu, il dit qu’ils sont devenus fous ; mais à l’égard des enfants de Dieu c’est un trésor si précieux, lequel nulle vie ne peut jamais exprimer, et nulle bouche ne saurait nommer ce qu’est le feu de l’amour de Dieu enflammé, qui est plus blanc que le soleil et plus doux qu’aucune chose, et plus efficace qu’aucune viande ni liqueur, plus agréable qu’aucune joie de ce monde : celui qui l’obtient est plus riche que le plus grand Roi de la terre, et plus noble qu’un Empereur, et plus fort qu’aucune puissance.
36. LE DISCIPLE demanda encore au Maître : Où s’en va l’âme lorsque le corps meurt, soit qu’elle soit bienheureuse ou damnée ?
LE MAÎTRE : Elle n’a point besoin d’être transportée, mais c’est seulement cette vie extérieure mortelle avec le corps qui se sépare seulement de l’âme : elle a déjà auparavant le ciel et l’enfer en soi, comme il est écrit : Le règne de Dieu ne viendra point avec apparence ; on ne dira point aussi : voici il est ici, car le règne de Dieu est au dedans de vous : elle demeure dans ce qui sera manifeste en elle, ou dans le ciel ou dans l’enfer.
37. LE DISCIPLE : N’est-elle donc pas transportée dans le ciel ou dans l’enfer de la même manière qu’on entre dans une maison, ou comme on passe par quelque trou dans un autre monde ?
LE MAÎTRE : Nullement, il ne se passe aucun tel transportement : car le ciel et l’enfer sont présents partout ; ce n’est qu’une introversion de la volonté, ou dans l’amour de Dieu ou dans la colère ; et cela arrive dans les jours de notre vie, ce qui fait dire à St. Paul : Notre conversation est dans les cieux. Christ dit aussi : Mes brebis entendent ma voix, et je les connais, et elles me suivent, et je leur donne la vie éternelle, nul aussi ne les ravira de ma main. (Jean, 10 : 27, 28.)
38. LE DISCIPLE : Comment se fait cette entrée de la volonté dans le ciel ou dans l’enfer ?
LE MAÎTRE : Lorsque la volonté s’abandonne tout au fond à Dieu, alors elle sort d’elle-même hors de tout principe et de tout lieu où Dieu seul se manifeste, où il opère et où sa volonté se fait, et ainsi elle devient à soi-même un néant selon sa propre volonté : alors Dieu veut et opère en elle, et il habite dans sa volonté expropriée, et c’est par là que l’âme est sanctifiée, qu’elle entre dans le repos divin.
Lors donc que le corps rompt, l’âme se trouve toute pénétrée de l’amour divin, et transparente de la lumière divine, comme le fer est rougi dans le feu et y perd sa noirceur. C’est là la main de Christ, où l’amour de Dieu habite entièrement en toutes les parties de l’âme, et c’est en elle une lumière éclatante et une nouvelle vie : c’est ainsi qu’elle est dans le ciel, et qu’elle est un temple du Saint Esprit, et elle-même est le ciel de Dieu dans lequel il habite.
Mais une âme impie ne veut point entrer durant cette vie dans l’expropriation divine de sa volonté, mais elle persévère dans ses propres convoitises et désirs, dans la vanité et dans la fausseté, dans la volonté du diable : elle n’amasse en soi que la malice et les mensonges, l’orgueil, l’avarice, l’envie et la colère, et elle s’y jette par sa volonté. Cette vanité devient aussi manifeste et opérante en elle, et pénètre l’âme entièrement, comme le feu pénètre le fer. Une telle âme ne peut parvenir au repos divin : car la colère de Dieu est manifeste en elle ; et lorsqu’elle se sépare du corps, alors les remords et le désespoir éternel commencent, car elle sent qu’elle est devenue une pure abomination, pleine d’angoisse, et elle a honte de s’approcher de Dieu avec sa fausse volonté, et certes elle ne le peut pas, car elle est captive dans la fureur, et elle n’est qu’une pure fureur, et elle s’y est enfermée par ses mauvais désirs, qu’elle a excités en soi. Et puisque la lumière divine ne luit point en elle, et que son amour ne l’attouche point, elle n’est que ténèbres épaisses, et un tourment de feu bien pénible et angoisseux, elle porte l’enfer en soi et ne saurait voir la lumière divine. Ainsi elle demeure en elle-même dans l’enfer, sans avoir besoin d’y entrer : car partout où elle est, elle est dans l’enfer ; et quand elle pourrait s’éloigner de son lieu de plusieurs mille lieues, elle se trouverait néanmoins toujours dans ce tourment et dans ces ténèbres.
39. LE DISCIPLE : D’où vient donc qu’une âme sainte ne peut pas jouir parfaitement dans ce monde de cette lumière et de cette grande joie, et que l’impie ne sent aussi point son enfer, si l’un et l’autre sont dans l’homme et y opèrent ?
LE MAÎTRE : Le royaume des cieux est dans les saints en telle sorte qu’il opère et se fait sentir dans leur foi ; ils sentent l’amour de Dieu en leur foi, par laquelle la volonté s’adonne à Dieu : mais la vie naturelle est environnée de la chair et du sang, elle est à l’opposite de la colère de Dieu, environnée des vains plaisirs de ce monde, lesquels ne cessent de pénétrer cette vie extérieure mortelle ; de sorte que d’un côté le monde, le diable de l’autre côté, et en troisième lieu la malédiction de la colère de Dieu pénètrent la vie dans la chair et le sang, et la criblent : et par là l’âme est souvent en angoisse lorsque l’enfer la veut forcer de telle manière et se veut manifester en elle ; mais elle se plonge dans l’espérance de la grâce divine, et elle demeure comme une belle rose au milieu des épines, jusques à ce que le règne de ce monde soit entièrement anéanti en elle par la mort corporelle : c’est alors qu’elle sera manifeste entièrement dans l’amour de Dieu, lorsque rien ne lui fait plus d’empêchement. Il faut que durant cette vie elle chemine dans ce monde avec Christ, qui la délivre de son propre enfer, en tant qu’il la pénètre de son amour, et qu’il demeure avec elle dans l’enfer, et qu’il change son enfer en ciel. Quant à ce que tu dis, pourquoi l’impie ne sent point son enfer dans cette vie, je dis qu’il le sent bien dans la fausse conscience, mais il ne comprend pas ce que c’est, parce qu’il a encore la vanité terrestre, dans laquelle il se plaît, où il trouve de la joie et de la volupté : la vie extérieure a aussi encore la lumière de la nature extérieure, où l’âme s’égaye, tellement que son tourment ne se manifeste pas ; mais lorsque le corps meurt, l’âme ne peut plus jouir de cette volupté temporelle, la lumière du monde extérieur est si éteinte pour elle ; alors elle a une faim et soif éternelle de telle vanité qu’elle a aimée dans ce monde, mais elle ne peut rien atteindre que sa fausse volonté qu’elle a embrassée : elle a alors disette des choses qu’elle avait en superflu dans cette vie, et dont néanmoins elle n’a pas voulu se contenter ; elle en a maintenant trop peu ; c’est pourquoi elle a une faim et soif éternelle de la vanité, de la malice et de la lubricité : elle voudrait bien encore continuer à malfaire, mais elle n’a point le moyen de le pouvoir accomplir, de sorte que cet accomplissement se fait seulement en elle-même ; et cette faim et soif infernale ne peuvent pas être mises en évidence en elle, jusqu’à ce que le corps meure, avec lequel elle a ainsi paillardé dans la volupté, qui lui fournissait ce qu’elle désirait.
40. LE DISCIPLE : Puisque le ciel et l’enfer sont aux prises au dedans de nous durant cette vie, et que Dieu est si près de nous, quelle est l’habitation des anges et des diables durant ce temps ?
LE MAÎTRE : Là où tu n’habites point avec ton ipsaïté et ta propre volonté, c’est là où habitent les anges avec toi et partout : et là où tu habites avec ton ipsaïté et ta propre volonté, c’est là où habitent les diables avec toi et partout.
41. LE DISCIPLE : Je ne comprends pas cela.
LE MAÎTRE : Là où la volonté de Dieu se déploie en quelque chose, Dieu y est manifeste, et les anges habitent aussi dans cette manifestation : et lorsque Dieu ne veut pas dans une chose avec la volonté de cette chose, Dieu n’y est point manifeste, mais il habite seulement en soi-même, sans aucune coopération de cette chose, là où n’y a qu’une propre volonté hors de la volonté de Dieu, et c’est là où habite le diable et tout ce qui est hors de Dieu.
42. LE DISCIPLE : Combien sont éloignés l’un de l’autre le ciel et l’enfer ?
LE MAÎTRE : Comme le jour et la nuit, comme ce qui est quelque chose et ce qui n’est rien : ils sont l’un dans l’autre, et l’un est continuellement à l’égard de l’autre comme un néant ; ils se causent réciproquement de la joie et de la douleur. Le ciel est par tout le monde et hors du monde, partout sans division, sans lieu et sans place, et opère seulement en soi par la manifestation divine : et en ce qui y entre, ou dans ce en qui il est manifesté, c’est là où Dieu est manifeste. Car le ciel n’est autre chose que la manifestation de l’Un éternel, où tout opère et veut dans un amour tranquille.
Et l’enfer est aussi par tout le monde, il habite et opère aussi en soi-même et dans ce où le fondement de l’enfer est mis en évidence, comme dans l’ipsaïté et dans la fausse volonté. Le monde visible a l’un et l’autre en soi : mais l’homme, quant à sa vie temporelle, est seulement du monde visible, c’est pourquoi il ne voit point le monde invisible durant le temps de cette vie extérieure ; car le monde extérieur, quant à sa substance, est une couverture du monde spirituel, de même comme l’âme est couverte par le corps : mais du moment que l’homme extérieur meurt, le monde spirituel est manifesté à l’égard de l’âme, soit dans la lumière éternelle avec les saints anges, soit dans les ténèbres éternelles avec les démons.
43. LE DISCIPLE : Qu’est donc un ange ou l’âme de l’homme, qu’ils puissent être ainsi manifestes dans l’amour ou dans la colère de Dieu ?
LE MAÎTRE : Ils procèdent de la même origine, ils sont une portion de l’intelligence divine de la volonté divine, procédés du Verbe divin, et amenés à être l’objet de l’amour divin : ainsi ils sont du fondement de l’éternité, d’où procèdent la lumière et les ténèbres : dans le propre amour de ses propres désirs sont les ténèbres, et dans la conformité avec la volonté de Dieu est la lumière ; là où la volonté de l’égoïté de l’âme veut ce que Dieu veut, là est l’amour de Dieu dans son activité : et dans le propre agrément du vouloir de l’âme, c’est là où la volonté de Dieu opère avec tourment, et n’est que des ténèbres, afin que la lumière soit connue. Ils ne sont autre chose que la manifestation de la volonté divine, soit dans la lumière, soit dans les ténèbres du monde spirituel.
44. LE DISCIPLE : Qu’est-ce donc que le corps de l’homme ?
LE MAÎTRE : C’est le monde visible, une image et un abrégé du monde : et le monde visible est une manifestation du monde intérieur et spirituel, procédé de la lumière éternelle et des ténèbres éternelles, par une opération spirituelle ; et il est un objet de l’éternité par lequel l’éternité s’est rendue visible, où la propre volonté et la volonté expropriée opèrent l’une parmi l’autre, savoir le bien et le mal. L’homme extérieur est aussi une telle substance : car Dieu l’a créé du monde extérieur, et souffla en lui le monde intérieur spirituel pour son âme et sa vie intelligente ; c’est pourquoi l’âme peut recevoir et opérer le bien et le mal dans le monde extérieur.
45. LE DISCIPLE : Qu’y aura-t-il donc après ce monde, quand tout cela aura pris fin ?
LE MAÎTRE : Ce ne seront que les êtres matériels qui prendront fin, tels que sont les quatre éléments, le soleil, la lune, les étoiles : et alors le monde intérieur spirituel sera tout à fait mis en évidence ; mais quant à ce qui aura été opéré pendant cette vie par l’esprit, soit bien, soit mal, chaque œuvre sera séparée d’une manière spirituelle, ou dans la lumière ou dans les ténèbres éternelles : car tout ce qui est engendré de chaque volonté, cela rentre dans son égalité. Et alors les ténèbres seront nommées l’enfer, qui est l’oubliance éternelle de tout bien, et la lumière sera appelée le royaume de Dieu, qui est la joie et la louange éternelle des saints, d’avoir été délivrés des tourments malheureux.
Le dernier jugement est un embrasement du feu selon l’amour et la colère de Dieu : c’est là où la matière de toutes les substances prendra fin, et chaque feu attirera en soi ce qui lui convient. Ce qui est engendré dans l’amour de Dieu attirera le feu de l’amour de Dieu en soi, et il y brûlera selon la manière de l’amour, et s’adonnera lui-même en cela : mais ce qui aura été opéré dans la colère selon les ténèbres attirera en soi le tourment et consumera le mal ; et ainsi il ne restera que la volonté peineuse dans sa propre forme et figuration.
46. LE DISCIPLE : En quelle matière ou en quelle forme est-ce que nos corps ressusciteront ?
LE MAÎTRE : Il est semé un corps naturel, grossier et élémentaire, semblable en cette vie aux éléments extérieurs : et il y a dans ce corps grossier une vertu subtile, de même que dans la terre il y a aussi une bonne vertu subtile, qui se compare avec le soleil et s’y unit, qui est aussi sourdré au commencement de la vertu divin, d’où la bonne vertu du corps est aussi tirée : cette bonne vertu du corps mortel doit se reproduire en une propriété matérielle, aimable, transparente, cristalline, en une chair et un sang spirituel, et vivre éternellement ; de même que la bonne vertu de la terre par laquelle elle sera aussi cristalline, et la lumière divine brillera dans tous les êtres. Et comme la terre grossière prendra fin et ne reviendra plus, de même aussi la chair grossière de l’homme finira et ne vivra point éternellement : mais il faut que tout vienne en jugement, et que tout soit séparé par le feu dans ce jugement, et la terre et la cendre du corps humain. Car lorsque Dieu émouvra encore une fois le monde spirituel, chaque esprit attirera derechef en soi sa substance spirituelle : ainsi un bon esprit et une bonne âme attirera en soi sa bonne essence, et une mauvaise attirera sa mauvaise essence ; mais il ne faut entendre qu’une vertu essentielle et matérielle, dont la substance n’est qu’une pure vertu, de même qu’une teinture matérielle où la grossièreté disparaît en toutes choses.
47. LE DISCIPLE : Nous ne ressusciterons donc pas avec nos corps visibles, et n’y vivrons pas éternellement ?
LE MAÎTRE : Lorsque le monde visible passera, tout l’extérieur passera avec lui, qui en est procédé : il ne restera de ce monde que la manière et la forme cristalline et céleste ; de même il ne restera de l’homme que la terre spirituelle : car l’homme sera entièrement semblable au monde spirituel, qui est encore maintenant caché.
48. LE DISCIPLE : Y aura-t-il aussi le mâle et la femelle dans la vie spirituelle, ou des enfants et des consanguins ? S’y associera-t-il aussi l’un à l’autre, comme cela a été fait dans ce monde ?
LE MAÎTRE : Que tu es encore charnel ! Il n’y aura là ni mâle ni femelle, mais tous seront semblables aux anges, comme des vierges viriles ; il n’y aura ni fils ni filles, ni frères ni sœurs, mais tous seront d’un même sexe, tous seulement UN en Christ, comme un arbre avec ses branches ; toutefois ce seront des créatures distinctes, mais Dieu sera tout en tous. Il est vrai qu’il y aura une connaissance spirituelle de ce que chacun aura été et de ce qu’il y aura fait, mais il n’y aura aucun propre amour ni désir pour le propre amour en ces choses.
49. LE DISCIPLE : Jouiront-ils aussi tous d’un même degré de joie et de glorification ?
LE MAÎTRE : L’écriture dit : Tel qu’est le peuple, tel est le Dieu. Aux purs tu es pur, et tu es pervers aux pervers (Ps. 18 : 26, 27). Et St. Paul nous enseigne qu’il y aura des différences en la résurrection, comme entre le soleil, la lune et les étoiles (I. Cor. 15 : 41). Ainsi tu dois savoir que tous jouiront de l’opération divine, mais il y aura des degrés de lumière et d’efficace, tout à proportion de la vertu dont chacun aura été revêtu en cette vie par son opération angoisseuse : car le travail angoisseux de la créature dans cette vie est une manifestation et génération de l’efficace divine, par où la vertu divine devient mobile et opérative : ceux donc qui dans cette vie auront travaillé avec Christ, et non pas les convoitises de la chair, ceux-là auront en eux une grande vertu et une glorification admirable ; mais les autres, qui ne se seront attendus qu’à une satisfaction imputée et qui auront cependant servi au dieu de leur ventre, et à la fin pourtant se seront convertis et seront rentrés en grâce, ceux-là n’auront pas une vertu et une illumination si sublime ; c’est pourquoi il y aura entre eux une différence comme entre le soleil, la lune et les étoiles, et comme entre les fleurs des champs, à l’égard de leur beauté et de leurs vertus.
50. LE DISCIPLE : Comment et par qui le monde sera-t-il jugé ?
LE MAÎTRE : Ce sera par l’émotion divine, par la Personne et par l’Esprit de Christ ; celui-là séparera, par le Verbe de Dieu qui a été fait homme, ce qui n’est point à Christ ; et son règne sera pleinement manifesté dans le lieu où est présentement ce monde, car l’émotion de la séparation se fera partout en même temps.
51. LE DISCIPLE : Où est-ce donc que les diables et tous les damnés seront jetés si le lieu de cet univers est le règne de Christ et qu’il sera glorifié ? Seront-ils poussés hors du lieu de ce monde ? Ou Christ manifestera-t-il sa domination et l’exercera-t-il hors de ce monde ?
LE MAÎTRE : L’enfer demeurera dans le lieu de ce monde d’un bout à l’autre, mais il sera caché au royaume des cieux, comme la nuit est cachée dans le jour : la lumière luira éternellement dans les ténèbres, et les ténèbres ne pourront point la comprendre. Or la lumière est le règne de Christ, et les ténèbres sont l’enfer, où habitent les démons et les méchants : ainsi ils seront opprimés par le règne de Christ ; ils seront mis pour le marchepied de ses pieds comme des objets d’opprobre.
52. LE DISCIPLE : Comment est-ce que tous les peuples pourront comparaître en jugement ?
LE MAÎTRE : Le Verbe divin éternel, dont toutes les créatures spirituelles tirent leur vie, s’émeut dans ce moment en amour ou en colère, dans toute vie qui est de l’éternité, et attire la créature devant le jugement de Christ. Par cette émotion du Verbe, la vie sera manifestée dans toutes ses œuvres, et chacun verra et sentira en soi sa sentence et son jugement : car le jugement est manifesté dans l’âme au moment de la mort du corps humain ; le jugement final n’est que le retour du corps spirituel, et la séparation du monde, où le bien et le mal doivent être séparés dans la substance du monde et dans le corps, chaque chose dans son entrée et habitation éternelle : et c’est une manifestation des choses cachées de Dieu en toutes choses.
53. LE DISCIPLE : Comment est-ce que la sentence sera prononcée ?
LE MAÎTRE : Tu n’as qu’à considérer les paroles de Jésus Christ, il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès devant la fondation du monde : car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’ai été étranger, et vous m’avez logé ; j’ai été nu, et vous m’avez vêtu ; j’ai été malade et en prison, et vous m’avez visité. Et ils lui répondront : Quand t’avons-nous vu avoir faim et soif, étranger, nu, malade et prisonnier, et quand t’avons-nous servi ainsi ?
Et le Roi leur répondra et dira : Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, vous me l’avez fait.
Et il dira aux méchants, qui seront à sa gauche : Allez, maudits au feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges : car j’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été étranger, nu et en prison, et vous ne m’avez point servi.
Et ils lui répondront aussi, disant : Quand t’avons-nous vu dans cet état, et que nous ne t’avons point servi ? Mais il leur dira : En vérité je vous dis que ce que vous n’avez point fait à l’un de ces plus petits, vous ne me l’avez point fait ; et ils iront aux peines éternelles, et les justes dans la vie éternelle. (Matth. 25 : 34-46.)
54. LE DISCIPLE : Dis-moi, je te prie, mon cher Maître, pourquoi Christ dit : Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, vous me l’avez fait, et ce que vous ne leur avez point fait, vous ne me l’avez point fait aussi ? Comment fait-on ces choses à Christ comme si c’était à lui-même ?
LE MAÎTRE : Christ habite essentiellement dans la foi de ceux qui se sont entièrement adonnés à lui, et il leur donne son corps à manger et son sang à boire, et ainsi il possède le fond de leur foi selon l’intériorité de l’homme ; c’est pourquoi un Chrétien est un sarment dans ce Cep, et il est nommé un Chrétien parce que Christ habite en lui spirituellement : cela donc qu’on fait à un Chrétien dans ses nécessités corporelles, on le fait à Jésus Christ lui-même, qui habite en lui : car un tel Chrétien n’est point à lui-même, mais il s’est donné entièrement à Christ, il lui appartient en propre ; c’est pourquoi ce qu’on lui fait, on le fait à Jésus Christ lui-même : et celui qui retire son secours de ces Chrétiens nécessiteux, et qui ne veut point les servir dans leurs besoins, celui-là rejette Christ et le méprise dans ses membres. Lorsqu’un pauvre qui appartient à Jésus Christ te demande quelque chose, et que tu le lui refuses dans son besoin, tu l’as refusé à Jésus Christ lui-même ; et tous les déplaisirs qu’on fait à un tel Chrétien, c’est Christ lui-même qui les reçoit : lorsqu’on se moque de lui, qu’on le calomnie et qu’on le repousse loin de soi, qu’on le calomnie et qu’on le repousse loin de soi, c’est à Jésus Christ à qui on fait tout cela ; mais celui qui les reçoit, qui lui donne à manger et à boire, qui l’habille et qui lui tend la main dans ses nécessités, c’est à Christ à qui il rend tous ses offices et aux membres de son propre corps ; qui plus est, il le fait à soi-même s’il est un Chrétien : car en Christ nous sommes tous un, comme un arbre dans ses branches.
55. LE DISCIPLE : Comment donc pourront subsister devant ce jugement ceux qui tourmentent les chétifs, et qui sucent leur sueur, les oppriment et attirent leur substance avec tyrannie, les réputant comme les femelles de leurs pieds, seulement pour élever leur propre puissance, et pour consumer la sueur des misérables en orgueil et volupté ?
LE MAÎTRE : Tous ceux-là font ces choses à Christ lui-même, et sont destinés à son jugement le plus sévère : car ils mettent par là leurs mains sur Jésus Christ, ils le persécutent dans ses membres, ils donnent secours au diable pour l’augmentation de son règne, et ils détournent les pauvres de Christ par leurs oppressions, en les obligeant à chercher aussi de mauvais moyens pour leur subsistance : en un mot, le diable ne saurait faire pire, qui résiste continuellement au règne de Christ dans l’amour. Tous ces gens-là, s’ils ne se convertissent à Christ de tout leur cœur, et n’entrent dans son service, iront au feu éternel, destiné pour un semblable amour propre.
56. LE DISCIPLE : Comment donc pourront subsister ceux qui durant cette vie font la guerre pour le règne de Christ, et qui se persécutent, se méprisent, se calomnient et médisent ?
LE MAÎTRE : Tous ces gens-là n’ont encore point connu Christ ; ils n’ont encore que la figure, de même que le ciel et l’enfer se disputent mutuellement l’empire. Toute élévation d’orgueil où l’on ne dispute que pour des opinions n’est qu’une image de propriété : celui qui n’a point la foi et l’humilité, et qui n’est pas dans l’Esprit de Christ, n’est armé que de la colère de Dieu, et ne sert qu’à la victoire de la propre volonté idéale, savoir au règne des ténèbres et à la colère de Dieu. Car toute propre volonté sera livrée au règne des ténèbres au jour du jugement : c’est pourquoi tout leur démêlé inutile par lequel ils n’ont aucunement la charité en vue, mais seulement une propriété idéale, l’envie de faire passer leurs opinions, excitant les Princes à la guerre pour ces opinions idéales, et avec leurs images ils causent la désolation des peuples et des provinces, tous ces gens-là sont destinés au jugement de la séparation du vrai et du faux ; alors toutes les idées et les opinions cesseront, et tous les enfants de Dieu chemineront en l’amour de Christ, et lui en eux.
Tout zèle qui, dans ce temps de combat, ne procède pas de l’Esprit de Christ, et qui ne cherche pas uniquement l’avancement de la charité, mais seulement son propre avantage, est du diable et est destiné pour les ténèbres, et sera séparé de Christ : car dans le ciel tout sert à Dieu son Créateur dans l’humilité.
57. LE DISCIPLE : Pourquoi donc Dieu souffre-t-il de semblables querelles ?
LE MAÎTRE : La vie est dans le combat, afin qu’elle soit manifestée, sensible et à trouver, et que la sagesse soit discernée et connue : il sert aussi à la joie éternelle, qui résulte de la victoire. Car il en résulte une grande louange dans les saints en Christ, de ce que Christ a surmonté en eux les ténèbres, et toute la propriété de la nature, et les a affranchis du combat : c’est ce dont ils se réjouiront éternellement, lorsqu’ils verront quelle sera la récompense des méchants. Ainsi Dieu a mis toutes choses dans le franc arbitre, afin que la domination éternelle selon l’amour et la colère, selon la lumière et les ténèbres, soit manifestée et connue, et que chaque vie cause et excite son propre jugement : car ce qui est maintenant un combat et un supplice aux saints dans leur état de misère, leur sera converti en une grande joie ; et ce qui est une joie et un plaisir aux méchants en ce monde, sera changé pour eux en une honte et un supplice éternel. C’est pourquoi la joie des saints naîtra de la mort, de même que la lumière procède d’une chandelle par sa mort et par sa consomption dans le feu ; afin que par ce moyen la vie soit affranchie du tourment de la nature, et qu’elle puisse posséder un autre monde. Comme la lumière a tout à fait une autre qualité que le feu et se communique elle-même, mais le feu prend de soi-même et se consume, ainsi la vie sainte de la débonnaireté reverdit par la mort, lorsque la propre volonté meurt et que l’aimable volonté de Dieu seule règne et opère tout en tout.
Car alors ce qui est éternel a pris à soi la sensibilité et la différence, et il s’est ramené par la mort avec la sensibilité dans une grande joie, afin qu’il y ait dans l’Unité infinie une réjouissance éternelle : ainsi il faut que la souffrance soit le fondement et la cause de cette émotion.
Et c’est en cela où gît le mystère de la sapience de Dieu cachée.
Celui qui demande, reçoit.
Celui qui cherche, trouve.
À celui qui heurte, il sera ouvert.
La grâce de notre Seigneur Jésus Christ,
L’Amour de DIEU,
Et la communion du Saint Esprit
Soit avec nous tous. Amen !
Sixième Traité.
Une Porte très-précieuse
et sublime
de la
CONTEMPLATION
DIVINE.
Ce qu’est le Grand Mystère : et comme toutes choses sont de Dieu, par lui et en lui ; comme Dieu est près de toutes choses et remplit tout.
Écrit l’an
1622.
CHAPITRE I.
Ce qu’est DIEU : et comme on
doit considérer l’Essence divine
dans sa manifestation.
I.
LA RAISON DIT : J’entends beaucoup parler de Dieu, qu’il y a un Dieu, qui a créé toutes choses, qui les soutient et les conserve ; mais je n’ai encore vu ni entendu personne qui ait vu Dieu, ou qui puisse dire où Dieu habite ou ce qu’il est.
Car lorsque la raison considère ce monde et qu’elle voit comme les bons n’y sont pas plus heureux que les mauvais, comme toutes choses sont mortelles et périssables, comme aussi le bon ne voit personne qui le délivre de nos angoisses et de la contrariété du mal, de sorte qu’il est réduit à descendre avec douleur au sépulcre, alors elle s’imagine que toutes choses arrivent à l’aventure, qu’il n’y a point de Dieu qui protège les gens de bien, qui sont dans la souffrance, puisque ceux qui espèrent en lui sont abandonnés à la misère, et qu’il les laisse périr ; et qu’aussi on ne voit personne qui soit revenu de la pourriture, et qui ait dit qu’il a été avec Dieu.
2. RÉPONSE : La raison est une vie naturelle, dont le fond consiste dans un commencement temporel et dans une fin qui ne saurait atteindre le fond surnaturel pour comprendre ce que Dieu est : car bien qu’elle se considère elle-même de cette manière dans le monde, et que dans sa contemplation elle ressent en elle-même le désir d’un autre fond sublime où elle puisse se reposer.
3. Car elle entend qu’elle est procédée d’un fond surnaturel et qu’il faut qu’il y ait un Dieu qui lui a donné une vie et une volonté, elle s’étonne en elle-même de son propre vouloir, et elle se juge et s’accuse d’injustice dans le vouloir du mal : bien qu’elle fasse le mal, néanmoins elle s’accuse elle-même, et elle craint un jugement qu’elle ne voit point ; ce qui démontre que ce Dieu caché qui s’est introduit dans la nature habite en elle et la redarguë de ses mauvaises voies, et qu’il faut que ce Dieu caché ne soit point de la nature de la sensibilité, puisque la raison ne le voit ni ne le comprend point.
4. Par contre la raison abandonnée, qui s’imagine que c’est injustement qu’elle est tourmentée dans la misère, ressent un désir en soi de s’abandonner encore davantage elle-même, et elle s’adonne volontairement aux souffrances : cependant elle conçoit une espérance, dans les souffrances injustes, que cela qui l’a créée la retirera en soi de ses souffrances, et elle souhaite de reposer en ce qui n’est point susceptible de souffrances ; elle cherche à reposer dans ce qu’elle n’est pas elle-même : elle désire la mort de son égoïté ; toutefois elle ne désire pas d’être un néant, afin qu’elle puisse reposer en elle-même.
5. Elle s’adonne pour cela à la souffrance, afin que la force du tourment mortifie ses souffrances, et que dans sa vie elle puisse par la mort de son soi-même, en tant qu’elle est une vie peineuse, entrer dans ce qui est exempt de peines et de souffrances.
6. Par là on peut comprendre droitement le Dieu caché, comme il se manifeste dans l’esprit de l’homme, et redarguë l’injustice dans la conscience, attirant ceux qui souffrent injustement à soi par les souffrances : et on peut comprendre aussi comme la vie de la raison, savoir la vie naturelle, doit recevoir dans les souffrances un désir de retourner à son origine, et comme il faut qu’elle désire de se haïr elle-même et de mourir à son vouloir naturel pour atteindre la vie surnaturelle.
7. LA RAISON DIT : Pourquoi est-ce que Dieu a créé une vie peineuse et des souffrances ? Ne pourrait-on pas se trouver dans un meilleur état sans tourment et sans peine, puisqu’il est le fond et le commencement de toutes choses ? Pourquoi souffre-t-il la répugnance de la volonté ? Pourquoi ne détruit-il pas le mal, de sorte qu’il n’y ait que le bien en toutes choses ?
8. RÉPONSE : Nulle chose ne peut être manifestée à elle-même sans contrariété : car si elle n’a rien qui lui résiste, elle s’avance toujours en avant et elle ne rentre jamais en elle-même ; or si elle ne rentre pas en elle-même comme dans ce d’où elle est sortie au commencement, elle ne peut rien savoir de son origine.
9. Si la vie naturelle n’avait aucune contrariété et qu’elle n’eût aucunes bornes, elle ne s’informerait jamais de son fond d’où elle est procédée : ainsi le Dieu caché demeurerait inconnu à la vie naturelle. Aussi s’il n’y avait point de contrariété dans la vie, il n’y aurait non plus aucune sensibilité, ni volonté, ni opération, ni intelligence, ni connaissance : car une chose qui n’a qu’une volonté n’a aucun discernement ; si elle ne sent aucune volonté répugnante qui l’excite à se mouvoir, elle demeure en repos : car une seule chose ne sait aussi qu’une chose ; et bien qu’elle soit bonne en soi, cependant elle ne connaît ni le bien ni le mal, car elle n’a rien en soi qui la rende sensible.
10. Nous pouvons philosopher de même touchant la volonté de Dieu et dire : si le Dieu caché, qui n’est qu’une unique Essence et une unique Volonté, n’était pas sorti par sa volonté hors de soi, hors de la science éternelle dans le tempérament, dans un discernement de la volonté, et s’il n’avait pas introduit ce discernement dans une compréhension pour une vie naturelle et créaturelle, que ce discernement dans la vie ne fût pas dans un combat, comment est-ce que la volonté cachée de Dieu, qui en elle-même est seulement unique, lui pourrait être apperte ? comment est-ce que dans une seule volonté il y pourrait être une connaissance d’elle-même ?
11. Mais s’il y a un discernement dans une seule volonté, tellement que ce discernement s’introduise dans les centres et dans une propre volonté, et qu’ainsi dans ce qui s’est séparé il y ait une propre volonté, de sorte que d’une unique volonté il procède une infinité de volontés, comme les branches d’un arbre ; nous voyons et comprenons par là que dans ce discernement chaque volonté séparée s’introduit dans une propre forme, et que le combat des volontés est pour la forme, tellement qu’une forme dans ce partage n’est pas comme l’autre, quoiqu’elles subsistent toutes dans un même fond.
12. Car une seule volonté ne se peut pas rompre en pièces : de même que l’esprit ne se rompt point en pièces, lorsqu’il se divise en un bon et un mauvais vouloir ; mais c’est la sortie des sens qui se divise dans un bon et mauvais vouloir, et l’esprit en soi-même demeure en son entier ; et il souffre qu’il s’engendre et habite en lui un mauvais et un bon vouloir.
LA RAISON INSISTE ET DIT : À quoi sert-il ou à quoi est-il utile qu’il y ait du mal avec le bien ?
13. RÉPONSE : Le mal ou la contrariété est cause que le bien, savoir la volonté, aspire derechef après son origine, savoir après Dieu, et que le bien, savoir la bonne volonté, devienne désireuse : car une chose qui est seulement bonne en soi, et qui n’a aucun tourment ne désire rien, ne connaissant rien de meilleur en soi ou devant soi qu’elle puisse convoiter.
14. C’est ainsi que nous pouvons aussi philosopher touchant l’unique et bonne volonté de Dieu et dire qu’elle ne peut rien désirer en soi-même : car elle n’a rien en soi ni devant soi qui lui puisse donner quelque chose ; c’est pourquoi elle se mène hors de soi dans le discernement, dans les centres, afin qu’il se forme une contrariété dans l’écoulement, savoir dans ce qui est écoulé, et que le bien dans le mal soit rendu sensible, opérant et voulant, en tant qu’il voudra se séparer du mal, et rentrer derechef dans l’unique volonté de Dieu.
15. Mais parce que l’écoulement de la volonté unique et éternelle de Dieu sort continuellement hors de soi pour sa manifestation : aussi le bien, qui est l’efficace divine, sort de l’Un éternel par cet écoulement, et entre avec lui dans le discernement et dans les centres de la multiplicité.
16. C’est ainsi que l’écoulement continuel de la volonté produit en soi le bien par son mouvement, tellement que le bien désire derechef le repos, et devient désireux de pénétrer derechef dans ce qui est éternel : et par ce retour en soi-même l’Un devient mobile et concupiscible ; et c’est dans cette opération que consiste la sensibilité, la connaissance et le vouloir.
17. Dieu, en tant que Dieu, ne peut vouloir que soi-même : car il n’a rien avant ni après lui qu’il puisse vouloir ; mais s’il veut quelque chose, cela même est écoulé de lui, et est un objet de lui-même, où la volonté éternelle veut SON QUELQUE CHOSE : que si ce qui est quelque chose était seulement un, la volonté ne s’accomplirait point ; c’est pourquoi la volonté impossible à fonder s’est divisée au commencement, et s’est renfermée dans une essentialité, afin de pouvoir opérer dans quelque chose, comme on le peut voir par la comparaison de l’esprit humain.
18. Si l’esprit n’écoulait pas lui-même hors de soi, il n’aurait point de sens : et s’il n’avait aucun sens, il n’aurait aucune connaissance de soi-même, ni d’aucune autre chose, et il ne pourrait aussi avoir aucune opération ; mais l’écoulement sensuel hors de l’esprit (qui est un objet de l’esprit, dans lequel l’esprit a un sentiment de soi-même) rend l’esprit voulant et désirant, tellement que l’esprit introduit les sens dans quelque chose, comme dans un centre d’une égoïté, où l’esprit opère avec les sens, et dans cette opération il se manifeste et se contemple soi-même.
19. Si donc il n’y avait point de contraire dans ces centres des sens dans l’objet de l’esprit, tous les centres des sens écoulés ne seraient qu’un, il n’y aurait dans tous les centres des sens qu’une volonté unique, qui ne serait toujours qu’une seule chose : comment donc est-ce que les merveilles et les vertus de la sagesse divine pourraient être connues et réduites à quelques formes par l’esprit, qui est une image de la manifestation divine ?
20. Mais s’il s’y trouve un contraire, comme la lumière et les ténèbres, ce contraire lui est mis en opposition, et chaque propriété est cause de l’autre, tellement que l’une s’introduit dans le désir de combattre les autres et de dominer sur elles : et c’est dans ce désir que les sens et l’esprit sont introduits dans un fond naturel et créaturel à un vouloir, comme dans une domination dans SON QUELQUE CHOSE, savoir avec son centre par dessus tous les centres, comme un sens de l’esprit par-dessus les autres.
21. C’est de là que procède le combat et l’anxiété, et même une contrariété dans l’esprit, ce qui fait que l’esprit entier rentre derechef dans un rompement des sens, et du propre vouloir des sens, comme des centres naturels, et qu’il veut se tirer des peines de la contrariété et du combat, et de l’anxiété pour se plonger dans le repos éternel, savoir en Dieu, d’où il est procédé.
22. Et c’est de là que procède la foi et l’espérance, tellement que l’esprit angoissé espère une délivrance et aspire derechef à son origine qui est Dieu.
23. C’est aussi de cette manière que nous devons comprendre la manifestation divine : car toutes choses tirent leur première origine de l’écoulement de la volonté divine, soit le mal soit le bien, soit l’amour soit l’affliction, bien que la volonté divine ne soit point une chose naturelle ou créaturelle, où il n’y ait aucune peine, souffrance ni contrariété ; mais c’est de l’écoulement du Verbe (qui est la Sagesse divine, comme étant le grand Mystère, dans lequel réside l’entendement éternel dans un tempérament), c’est de là que sont procédées l’intelligence et la connaissance : et c’est ce même écoulement qui est le commencement du vouloir, où l’intelligence s’est divisée en des figures ; ainsi les propriétés, chacune en soi, sont devenues désireuses d’avoir aussi un objet de leur égalité. Et ce désir a été une compréhension en soi pour l’ipsaïté ou l’appropriation, comme pour une place, comme pour ce qui est quelque chose : et c’est de ce QUELQUE CHOSE que le Grand Mystère, comme étant une vertu innaturelle, est devenu essentiel et naturel, et ce QUELQUE CHOSE s’est réduit à un propre vouloir.
24. Car cette propre volonté est le fondement de son ipsaïté, et se renferme elle-même comme une volonté désireuse, d’où l’impression magnétique pour l’âcreté et la dureté ont tiré leur origine, étant le fond des ténèbres et de la sensibilité peineuse, d’où la répugnance, l’anxiété et la fuite, comme la sensibilité, tirent leur origine ; et c’est un fond de la nature, d’où procède la multiplication des propriétés, tellement que dans cette contrariété une volonté procède continuellement d’une autre pour se tirer de l’esprit, lorsque l’esprit avec les sens est dans une continuelle anxiété, opération, vouloir et rompre.
25. Dans cet écoulement divin, dans lequel la vertu divine s’éhalène d’elle-même, et s’introduit et s’est introduite dans la nature et dans la créature, nous avons deux choses à remarquer, premièrement l’entendement éternel de la bonne volonté unique, qui est un tempérament, et qui de cette manière s’introduit seulement dans une sensibilité et opération pour la manifestation de l’efficace des couleurs et des vertus : de sorte que l’efficace et la vertu paraissent dans la séparation et formalité, et que la science éternelle se manifeste et vienne en connaissance ; d’où aussi le fond des anges, de l’âme et celui de la créature est procédé, de même que les trônes et les seigneuries avec ce monde visible.
26. En deuxième lieu, nous pouvons aussi comprendre par conséquent la primordiale volonté de la nature, qui est la compréhension des centres en soi, où chaque centre se renferme dans la séparation dans un lieu pour l’ipsaïté et pour le propre vouloir, comme un propre mystère ou esprit, d’où procède l’inégalité de vouloir, comme il survient de la contrariété en ces deux choses, car elles sont deux dans une substance.
27. Savoir (1) l’intérieur, qui tire son origine de la vertu divine, ne respire qu’après un objet de son égalité, qui est le bien dans lequel la bonne volonté divine écoulée opère et se manifeste. Aussi (2) la propre volonté naturelle née d’elle-même dans le lieu de l’ipsaïté de l’impression obscure de l’âcreté demande de même une égalité, comme un objet pour sa propre compréhension en soi : par laquelle elle se rend matérielle, et ne demande autre chose que sa corporalité comme un fond naturel.
28. Par ces deux considérations nous pouvons comprendre la bonne et la mauvaise volonté en toutes choses : et on peut bien comprendre en ces choses comme le fond intérieur et spirituel de tous les êtres procède de la vertu divine, et comme aussi en toutes choses il se forme un désir naturel ; et comme enfin tous les corps des êtres sensibles et visibles procèdent du désir de la nature.
29. Avec cela nous devons observer que comme le propre désir naturel, qui a un commencement, se rend matériel et se forme un objet, savoir une égalité dans laquelle il opère : de même aussi le fond et la volonté divine se forme par sa compréhension de l’amour un objet et une essentialité spirituelle dans laquelle la sainte volonté divine opère et introduit sa vertu dans les formes et diversifications pour la manifestation de la vertu et de la gloire divine.
30. Ainsi il y a toujours dans la substance de ce monde deux choses comprises en une, savoir (1) une essentialité éternelle divine et spirituelle ; (2) une substance primordiale, temporelle et fragile dans la propre volonté : de sorte qu’il y a deux volontés cachées dans une vie, comme premièrement une primordiale, naturelle, dans laquelle la volonté est un propre astre, influante avec toutes les choses extérieures, naturelles, élémentaires et astrales ; et secondement une volonté éternelle et spirituelle, ou une essentialité éternelle spirituelle qui est une compréhension en soi ou une essentialité comprise de la volonté divine, dont aussi elle se forme un objet ou une essentialité dans laquelle elle opère ; et ces deux choses doivent être comprises en deux principes, l’une divine dans un principe céleste, et l’autre terrestre dans un principe terrestre.
31. Or comme le céleste et divin adhère au terrestre, de même aussi le terrestre adhère au céleste, et toutefois l’un n’est pas l’autre : car le céleste a une essentialité spirituelle, qui n’est qu’une vertu essentielle, et qui pénètre le terrestre, et toutefois il ne possède que son principe, et il communique la vertu à la substance terrestre, tellement qu’elle reçoit même une autre volonté nouvelle, et qu’elle souhaite les choses célestes ; lequel souhait est un désir de sortir de la vanité de la nature dont l’Écriture parle : Toutes les créatures soupirent avec nous, pour être affranchies de la vanité, à laquelle elles sont assujetties contre leur volonté. (Rom. 8 : 19-22.)
Entendez bien ces choses.
32. Le désir procédé de la vertu divine pour produire la nature, d’où la nature et la volonté propre sont procédées, tend à être affranchi de la propre volonté naturelle.
33. Ce désir même est surchargé outre sa volonté avec l’impression de la nature ; à cause de cela, parce que Dieu l’y a introduit, il faut qu’à la fin des temps il soit affranchi de la vanité chargée sur lui, à laquelle il a été assujetti, et qu’il soit changé en une nature cristalline et transparente : alors il sera manifeste pourquoi Dieu l’a renfermé dans le temps, et l’a assujetti au tourment et à la souffrance, savoir afin que la vertu éternelle soit réduite par le tourment naturel dans des formes, figures et diversifications pour la sensibilité, et que les créatures comme une vie créaturelle fussent manifestées dans ce temps, et qu’il y ait ainsi un jeu dans l’objet de la Sagesse divine, car c’est par la folie que la sagesse est manifestée, parce que la folie s’attribue à elle-même un propre vouloir, quoiqu’elle ait un fond et commencement, et une fin.
34. C’est ainsi que la vie qui ne doit jamais finir est mise comme en spectacle par la folie, afin qu’il en résulte une louange à la gloire de Dieu et que ce qui est éternel et permanent soit reconnu dans le mortel.
35. C’est là la réponse à la première demande de la raison, en tant qu’elle s’imagine que toutes choses arrivent à l’aventure et qu’il n’y a point de Dieu, puisqu’il laisse les bons croupir dans les peines, dans l’angoisse et dans les tribulations, et qu’enfin il les mène dans la fosse aussi bien que les méchants, tellement qu’il semble que Dieu ne se mêle de rien, ou qu’il n’y en a point, puisqu’elle ne le voit et ne le connaît pas, et qu’il n’y est point sensible : sur quoi on lui dit que dans sa propre vie elle n’est qu’un objet de la véritable vie, et que si elle ne sent aucune faim ni désir en elle-même de ce dont elle est procédée au commencement, elle n’est dans sa vie qu’une folie et un jeu où la Sagesse accomplit ses merveilles.
36. Car la raison voit aussi dans les sages même selon la nature extérieure une pareille folie, elle voit comme Dieu abandonne cette folie des sages, tellement qu’elle est exposée à la honte et au mépris devant la folle et opiniâtre prudence, qui toutefois ne connaît pas sa fin : ainsi la folle raison s’imagine qu’il n’y a point de libérateur, et elle ignore comme le sage est délivré en soi-même, et affranchi de la folie héréditaire par l’entrée de sa propre volonté, en tant que sa propre volonté dans son rompement et dans son rien-vouloir par le tourment et par l’opposition des impies, et se replonge dans sa première origine, qui est le vouloir de Dieu, dans laquelle elle est régénérée : elle ignore aussi que Dieu ne se soucie pas de la chair grossière et mortelle, de sorte qu’il voulut introduire sa délivrance dans une vie brutale et pleine de propre volonté ; mais qu’il a à cœur de rompre la propre volonté, et qu’elle se replonge en Dieu : c’est ainsi que la bonne essentialité intérieure se réunit à la volonté de Dieu, et qu’il est toujours plus imposé de peines à ce corps mortel, afin que la propre volonté naturelle ne rentre plus dans ses propres désirs pour être dans l’ipsaïté, et qu’elle n’ait pas de l’empire sur le fond intérieur pour détruire la vraie image de Dieu.
37. C’est ce que la raison terrestre ne comprend point, car elle ne connaît point comme Dieu habite en elle, et ce qu’est la volonté et l’essentialité divine : elle ne sait pas que Dieu habite au dedans d’elle, et qu’il lui est si proche que sa vie n’est qu’une folie de la Sagesse, par laquelle vie la Sagesse se manifeste afin qu’il soit connu ce qu’est la Sagesse ; sa volonté est passée de Dieu dans l’ipsaïté, elle prise ses propres forces, et elle ne connaît pas que sa force a eu un commencement et doit prendre fin, tellement que ce n’est qu’un jeu et comme un miroir par lequel la sagesse se contemple pour un peu de temps dans la folie des sages, et qu’enfin elle rompt par ce tourment des impies la folie aux sages, de sorte qu’ils commencent à haïr la vie fragile et folle, et à mourir avec la raison, et se soumettre à la volonté de Dieu.
38. La raison terrestre prend tout cela pour des folies, surtout lorsqu’elle voit que Dieu délaisse aussi la folie terrestre des sages, et qu’il laisse descendre au sépulcre ce corps de folie sans secours dans lequel elle s’est contemplée : elle s’imagine que cet homme n’a reçu de Dieu aucune délivrance, et que s’il s’est confié en lui, sa foi a été trompeuse, qu’autrement il l’aurait délivré durant le temps de cette vie.
39. Et comme aussi elle ne sent point sitôt son supplice, elle s’imagine que ce n’est pas tout de bon, et elle ne s’aperçoit pas que tant plus elle persévère dans la folie, tant plus elle devient une grande source des tourments éternels, tellement que lorsque la lumière de la nature extérieure, dont elle s’est enorgueillie pendant quelque temps dans son égoïté, sera éteinte, elle se trouvera alors en elle-même dans les ténèbres et dans les tourments, et connaîtra que ses propres désirs faux ne sont qu’une âcreté vaine, rude, piquante, farouche et une contrariété.
40. Elle espère un secours extérieur en cette vie, et s’abandonne à la concupiscence de sa volonté, et elle la tient pour son royaume des cieux ; mais lorsque ce règne extérieur vient à être éteint dans la mort, elle se trouve alors dans un désespoir éternel et ne voit plus aucun libérateur ni en soi ni autour de soi.
41. Mais le sage se répute lui-même en cette vie pour un fou, et apprend à haïr sa folie (que la raison prend pour une prudence) : ainsi il faut que la sagesse (que le monde répute pour une folie) soit une folie à la raison, qui s’en scandalise. Et c’est ainsi que Dieu haït aussi dans les sages la vie folle et mortelle, et comme le sage l’a aussi en haine, afin que la véritable vie divine règne en lui avec l’entendement : c’est pourquoi devant Dieu il n’y a aucune plainte au sujet du corps mortel de sages, car il embrasse son essentialité divine en eux par son Esprit et volonté, et laisse descendre le corps de la folie dans son sépulcre avec les fous, jusques au jour de la séparation de tous êtres.
42. Et c’est ce que la raison ne comprend point, c’est pourquoi elle est folle : et il faut que l’homme soit homme selon l’Esprit de Dieu, et non selon la folie, et il ne doit pas juger des choses divines selon la raison idéelle, car il est écrit : Celui qui sème à la chair, c’est à dire celui qui édifie sur la raison mortelle de la propre volonté, moissonnera de la chair la corruption ; mais celui qui sème à l’Esprit, c’est à dire qui édifie sur la volonté de Dieu et qui met sa volonté dans l’espérance des promesses divines, celui-là héritera de l’Esprit de la vie éternelle. (Gal. 6 : 8.)
CHAPITRE II.
De l’esprit, de la volonté et des pensées de la vie humaine, comme il tire son origine de la volonté de Dieu, et comme il est un objet, savoir une image de Dieu, dans lequel Dieu veut, opère et habite.
I.
LA RAISON DIT : Puisque l’esprit avec les sens est une vie naturelle, qui a un commencement et qui subsiste dans le temps et dans la fragilité : comment est-ce qu’il peut parvenir durant cette vie à la vie supersensuelle ? Ou comment se fait l’inhabitation divine dans la vie ?
2. RÉPONSE : La vie de l’homme est une forme de la volonté divine, et est procédée du souffle divin dans l’image créée de l’homme : c’est la parole idéelle de la science divine ; mais par un contre-souffle du démon et par la fureur de la nature temporelle elle a été tellement empoisonnée que la volonté de la vie s’est formée avec l’objet extérieur terrestre de la nature mortelle, et est passée de son tempérament dans la division des propriétés.
3. C’est par telles raisons qu’elle demeure encore dans l’image terrestre, et elle doit être maintenant considérée dans trois principes : quant au premier principe selon son origine véritable elle subsiste dans la volonté de Dieu, qui sort au dehors dans la science divine, qui au commencement était un tempérament où la vertu divine opérait d’une manière sensuelle, et l’on y connaissait un vrai paradis ou une opération de la vertu divine, savoir une figuration perpétuelle de la volonté divine, lequel verdir se reconnaît dans la sortie de bons sens par lesquels la Sagesse divine se formait en figures d’une manière divine, et par cette formation elle manifesta l’intelligence divine par la sortie de la vie sensuelle ; de sorte qu’à cause de cela elle était nommée à juste titre l’image de Dieu, dans laquelle la volonté de Dieu se manifesta.
4. Mais lorsque cette vie dans le premier principe a été infectée du souffle du démon furieux dans son image, de sorte que le démon lui suggéra qu’il était nécessaire et avantageux que la sortie des sens de la vie se dérompît du tempérament et qu’elle s’introduisît dans une propre image selon les propriétés de la multiplicité pour éprouver l’inégalité, savoir connaître le bien et le mal, et en faire l’expérience.
5. Alors la propre volonté de la vie y donna son consentement, et y introduisit les sens, savoir la convoitise qui se produisit, et elle y entra par ses désirs pour la propre volonté, et se réduisit en ipsaïté en s’y imprimant.
6. L’intelligence de la vie fut manifestée sur le champ dans les propriétés, et elle a rendu la nature captive dans l’inégalité, et ainsi elle a élevé sa domination. C’est par là que la vie est devenue peineuse, et que le fond intérieur de la bonne volonté et de l’essentialité a été éteint, c’est à dire, que selon la créature il est tombé dans une inaction : car la volonté de la vie s’en sépara et entra dans la sensibilité et passa de l’unité à la multiplicité, résistant même à l’Unité, savoir à l’unique et éternel repos, à l’unique bien.
7. Cela étant ainsi arrivé, le fond divin (qui est le second principe, où la vertu divine s’était imprimée avec l’éhalenante volonté de Dieu dans la vie idéelle, comme dans l’objet divin, par où il faut entendre la Sagesse de Dieu, comme étant la volonté de Dieu essentielle), ce principe divin a été effacé dans la fausse volonté : car la cause du mouvement de la sainte essentialité s’était tournée vers la terrestréité, où le bien et le mal sont aux prises.
8. Ceci se doit entendre de cette manière : la volonté éternelle et inscrutable de la vie s’était détournée de l’Être divin, et voulut dominer sur le bien et sur le mal ; c’est pourquoi le deuxième principe, qui est le règne de Dieu, fut éteint, et le troisième principe dans sa propre idéalité, qui est la source des astres et des quatre éléments, s’éveilla en sa place, d’où il est arrivé que le corps est devenu grossier et bestial, et les sens faux et terrestres.
9. Ainsi la vie perdit le tempérament, comme étant le repos éternel, et se rendit par ses propres désirs ténébreuse, peineuse, dure, âpre et rude, et devint une pure inquiétude, et court à présent dans la vertu terrestre, dans un fond éternel, et cherche le repos dans la fragilité, sans le pouvoir trouver : car la fragilité n’est pas l’égalité de la vie ; c’est pourquoi la vie s’élève seulement dessus les substances de ce monde, et domine sur la vertu mortelle des astres et des éléments, comme un propre Dieu de la nature, et par cette domination la vie est devenue folle et insensée, tellement qu’en cette figuration terrestre et propre amour elle ne saurait connaître son principe et son origine, où consistait son repos éternel, et elle est à bon droit nommée une folle : car elle s’est retirée de l’Être divin pour se jeter dans un être bestial et fragile, et elle veut régner dans ce qui la fait périr et qui s’évanouit aussi subitement que la fumée.
10. Et lorsque ce sur quoi elle a dominé temporellement vient à rompre, alors la vie demeure dans sa contrariété dans le premier principe, dans les ténèbres, et n’est pas autre chose qu’une perpétuelle, inextinguible et peineuse source de feu, tels que sont les démons.
11. Le grand Amour de Dieu est derechef venu au secours de cette vie captive, et s’est aussitôt après cette chute derechef enhalené dans l’essentialité intérieure, savoir dans l’essentialité de la propriété divine qui avait été effacée, et il s’est introduit dans la vie dans l’essentialité divine effacée pour un objet, comme une nouvelle source de l’Unité de l’amour et du repos divin, et s’y est manifesté, d’où la vie peut maintenant puiser et éteindre son tourment et l’inquiétude dans les centres de la propre volonté.
12. Et cette Source nouvelle de l’Amour et de l’Unité divine s’est aussi incorporée par son écoulement en Christ dans la véritable vie des trois principes des propriétés humaines, et est entrée dans les sens idéels, savoir dans la volonté de la vie naturelle, créaturelle, détournée et idéelle : et elle a pris l’humanité, et a rompu l’égoïté et le propre vouloir, par l’influance [sic] de l’amour divin unique, comme avec l’Un éternel : elle a tourné derechef la volonté de la vie dans l’Un éternel, savoir dans le tempérament, où par conséquent elle a détruit la volonté du diable, qui y avait été introduite, et converti le tourment de la vie en un véritable repos : elle a enfoncé la prison, qui est la mort, et reproduit le Verdir divin, sensuel et paradisiaque avec les sens de l’opération sainte, et a fait passer la sainte vie par le renfermement de la mort, et elle a fait une moquerie de la mort et de la volonté du diable, et par là elle a puissamment démontré comme l’Un éternel peut régner avec force sur la multiplicité et sur la propre volonté, que la force de l’idéalité n’est point un Dieu, mais que c’est la puissance de la super- et in- idéalité qui gouverne toutes choses : car l’idéel n’est qu’un objet de la volonté de Dieu inidéelle, par laquelle la volonté de Dieu opère.
13. Mais parce que l’amour de Dieu en Christ est ainsi venu au secours de la vie humaine, dans la figuration terrestre, et qu’il nous a ouvert la porte de la grâce à nous pauvres mortels dans la vie de l’humanité de Christ pour avoir une entrée en Dieu : il faut maintenant que la volonté captive de la vie renonce dans son idéalité aux choses terrestres, c’est à dire à son ipsaïté et à sa propre volonté, et qu’elle se plonge uniquement dans cette grâce incorporée (qui est venue d’un seul sur tous, comme du premier homme, Rom. 5 : 18), il faut qu’elle s’applique cette grâce, et que par la vertu de cette acceptation et union divine elle se plonge avec la volonté expropriée de la vie dans l’Un supersensuel insondable, éternel, savoir dans le premier fond du commencement de la vie, et qu’elle se replonge dans ce fond, d’où la vie est procédée ; et alors elle se trouve dans son lieu éternel, savoir dans le tempérament, dans le vrai repos.
14. LA RAISON DIT : Comment est-ce que l’homme peut faire cela, puisque l’Écriture dit (I. Cor. 15 : 45. Gen. 1 : 8.) que le premier homme a été fait en âme vivante, afin qu’il dominât sur toutes les créatures et sur toutes les choses de ce monde ; cela étant il faut bien que la vie introduise ses désirs dans la propriété terrestre ?
RÉPONSE : La vie de l’homme est mise pour être un objet de la volonté de Dieu dans lequel et par lequel Dieu veut : et les créatures terrestres sont mises pour être un objet de la volonté humaine dans lequel l’homme devait vouloir. La volonté humaine devait vouloir et régner avec le vouloir de Dieu sur toute la vie naturelle et créaturelle : elle ne devait point être dans l’essence bestiale, mais dans l’Essence divine ; quoique l’homme avec sa vie eût été mis dans la nature, toutefois sa nature était un tempérament, et sa vie une habitation de la volonté de Dieu.
15. Mais comme il faut qu’à présent la vie demeure dans l’essence terrestre et qu’elle ne peut s’en dégager, il faut considérer les trois sortes de vie selon les trois principes, avec quel fond de vie l’homme peut s’élever jusque dans l’Essentialité divine supersensuelle, et comme cela se peut faire.
16. Christ dit (Jean, 15 : 5) : Hors de moi vous ne pouvez rien faire. Nul homme ne peut pas son propre pouvoir atteindre le fond le plus sublime, à moins qu’il ne plonge son fond le plus intime du premier principe selon l’idéalité de la vie dans la grâce de Dieu, qui a été incorporée, et qu’il demeure tranquille dans son propre vouloir selon ce fond dans l’espérance divine, s’abandonnant entièrement à Dieu avec le vouloir, en telle sorte que son vouloir selon ce fond n’ait plus rien à dire, si non ce que Dieu dit et veut par ce fond, alors il a atteint le but le plus sublime.
17. S’il était possible que l’homme demeurât une heure ou même moins sans parler et sans son propre vouloir intérieur, le vouloir divin ne manquerait point de parler au dedans de lui : par lequel parler intérieur le vouloir de Dieu se saisit de son vouloir, et parle au dedans de la vie extérieure naturelle, idéelle, essentielle de la raison, et froisse et éclaire l’idéalité terrestre de la volonté de la raison, tellement que la vie et le vouloir supersensuel et divin vienne sur le champ à verdir dans le vouloir de la raison, et à s’y encentrer.
18. Car autant qu’il est impossible au propre vouloir dans l’ipsaïté et dans le vouloir détourné du vouloir de Dieu de demeurer un seul moment en repos dans la nature et dans son activité, à moins qu’il ne se plonge hors de toute la nature : autant est-il impossible que le parler divin cesse d’opérer dans une vie foncièrement expropriée.
19. Car lorsque la vie se repose de son propre vouloir, elle demeure dans l’abîme de la nature et de la créature, dans l’énoncement éternel de Dieu, et alors Dieu parle au dedans.
20. Car la vie est procédée du parler de Dieu, et est venue dans le corps, et ainsi elle n’est autre chose qu’une volonté de Dieu idéelle : si donc le propre vouloir et le propre figurer cesse, le figurer et le vouloir divin se manifeste : car ce qui est sans volonté est une chose avec le néant, et est hors de toute la nature, et cet abîme est Dieu même.
21. Puis donc que l’Abîme qui est Dieu est un Parler éternel, savoir un éhalènement de soi-même, l’Abîme est aussi prononcé dans la vie expropriée : car la respiration de l’Abîme parle par le fond de la vie qui se tient coi : car la vie est procédée de la respiration divine, et elle est une égalité de cette respiration ; c’est pourquoi une égalité saisit l’autre, comme nous le pouvons comprendre par les sens de la vie, qui sont aussi un pareil écoulement de la respiration de l’esprit, comme l’esprit est un écoulement et un objet de l’esprit et de la science divine.
22. Comme donc Dieu s’est manifesté par sa respiration de la sagesse et science éternelle avec la nature et créature, soit avec la vie intérieure et sainte, soit avec la vie des anges et des hommes, et qu’il a introduit sa volonté de sa science dans une figuration pour une énonciation réciproque, d’une manière idéelle et apperte : comme aussi avec la nature et sa respiration réciproque des créatures du monde visible, ayant toujours soumis le fond extérieur énoncé de la nature à l’intérieur, en sorte que l’intérieur devait régner par l’extérieur corporel, et être un esprit de l’extérieur.
23. De même aussi vous devez savoir que la vie introvertie et régénérée de l’homme peut et doit régner dans la puissance et vertu divine sur la vie de la raison extérieure procédante des astres et des éléments : et lorsque cela ne se fait pas, savoir que la vie intérieure et éternelle dans l’homme règne dans la puissance et lumière divine sur la vie extérieure, terrestre, astrale des convoitises mortelles, et rompe la volonté aux désirs charnels (où réside le monstre du serpent) : il n’y a encore aucune régénération ni volonté divine manifeste qui opère dans une telle vie ; et un tel homme, tandis qu’il demeure uniquement dans sa volonté terrestre, n’est point un enfant du royaume des cieux : car la science divine est changée en une qualité bestiale et terrestre par la propre figuration de la fausse volonté, et il est selon le corps une mauvaise bête, et selon l’âme une fausse volonté détournée qui ne veut point ce que Dieu veut, comme le démon, qui demeure aussi attaché à sa propre figuration de la science sensuelle.
24. C’est pourquoi Jésus Christ disait (Matth. 12 : 30) : Celui qui n’assemble pas avec moi, c’est à dire celui qui n’opère, ne veut et n’agit pas avec la grâce de Dieu incorporée, laquelle il a manifestée et il nous offre par Christ, mais qui opère par sa propre volonté naturelle, il épard, non seulement l’ordonnance divine, mais il épard aussi ses œuvres dans un faux fond.
25. Considérez cette comparaison tirée du soleil : lorsqu’une plante n’a point de sève, les rayons du soleil la brûlent ; mais si elle a de la sève, les rayons du soleil l’échauffent, d’où elle croît : il en est de même de la vie dans l’essence de l’homme. Si elle n’a point l’essence de la mansuétude de Dieu et du feu de l’amour, savoir de l’Un éternel, elle est empreinte d’une âcreté ardente et furieuse, tellement que l’esprit devient entièrement âpre, affamé, avare, envieux et piquant : et un tel sens et volonté fausse entre aussi dans la suite de la vie dans le corps et dans toute son essence et ses œuvres.
26. Ainsi cette nature ignée, avare, envieuse épard et rompt tout le bien par le sens rude de la vie : il y a du danger avec tout, à quoi qu’elle s’occupe : car elle y introduit ses rayons empoisonnés, et veut tout attirer à soi et y introduire son venin, savoir l’avarice affamée ; mais si la vie ignée peut manger de l’amour divin, c’est une comparaison, comme une lumière qui provient du feu ; de même aussi la véritable vie de la nature ignée pénètre du dedans au dehors avec un esprit nouveau, et une volonté nouvelle de l’amour divin, et elle n’est plus dévorante, telle qu’est la nature du feu, mais communicative : car la volonté de l’amour se communique soi-même, comme la lumière par le feu, qui se communique à toutes choses, et y opère du bien.
27. Si le soleil ne luisait plus dans la profondeur du monde, l’esprit du monde deviendrait dans l’âcreté des astres, dans la nature soufreuse et mercuriale, dans les quatre éléments entièrement rude, âpre, âcre, épais, ténébreux et dur : ainsi toute la vie dans les éléments périrait, et l’on verrait bientôt ce qu’est l’enfer et la colère de Dieu.
28. Il en est de même de l’homme extérieur, comme il est un limon du monde extérieur élémentaire, dont la vie consiste dans la vertu du soleil et des étoiles, et que le corps aussi bien que la terre est une coagulation de l’esprit du monde, tellement que s’il ne pouvait pas tirer sa nourriture de la douce influence de la lumière du soleil, il deviendrait tout à fait mauvais, ardent et mortel, et la vie extérieure périrait entièrement.
29. De même aussi l’âme étant comme un limon du monde intérieur, spirituel, procédante du Grand Mystère, savoir de l’écoulement de la vertu et science divine, qui doit tirer sa nourriture du grand Mystère de la vertu et science divine ; si est-ce qu’elle ne peut pas avoir l’essence de l’amour divin pour sa nourriture, quand elle se dérompt de l’abîme, c’est à dire de l’abandon ; elle deviendra aussi si âcre, ignée, ténébreuse, âpre, piquante, envieuse, contrariante, haïssante, et elle ne sera en elle-même qu’une pure inquiétude, et s’introduit elle-même dans une source mortelle et furieuse, comme il est arrivé au diable, et comme il arrive aux méchants.
30. Mais si cette source de feu peut derechef atteindre l’amour divin, qui est la lumière divine essentielle, et le recevoir en soi : alors cette source de feu de l’âme sera changée en joie à la louange de Dieu ; mais sans une volonté convertie, si elle ne peut arrêter son impression et enfermement, cela est du tout impossible : car la lumière du soleil ne peut opérer dans une pierre dure de la même manière qu’elle opère dans les métaux, les plantes et les arbres, car l’eau y est coagulée et renfermée par une très-dure impression.
31. Il en est de même de la fausse propre volonté de l’âme par rapport à la douceur divine : qu’ainsi la douceur divine ne peut déployer aucune vertu dans un tel désir de feu, avare et envieux ; c’est pourquoi Jésus Christ disait avec raison (Jean, 6 : 53) que l’homme qui ne mangerait point du pain du ciel pour donner la vie au monde n’aurait aucune vie en soi. Par là il désigne l’amour essentiel, que Dieu a manifesté en Christ par une nouvelle source, pour restaurer la pauvre âme desséchée : toute âme qui n’en mangerait point ne saurait atteindre la lumière divine, et serait sans la vie divine, puisqu’il se nomme lui-même la Lumière du monde (Jean, 8 : 12) et dans les Psaumes, une Lumière qui lui dans les ténèbres et qui les change en lumière (Ps. 112 : 4).
CHAPITRE III.
Du fond naturel.
Comme la nature est un objet de la science divine, par laquelle la volonté éternelle avec la science insondable surnaturelle se rend sensible, visible, opérante et voulante, et ce qu’est le Grand Mystère, comme toutes choses sont de Dieu par lui et en lui : comme Dieu est si près de toutes choses, et remplit tout.
Une Porte très-précieuse,
que le Lecteur pieux doit mé-
diter soigneusement.
Il est écrit au premier chapitre de l’évangile selon St. Jean, vers 1-3 : Au commencement était le Verbe : et le Verbe était avec Dieu ; et ce Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu : toutes choses ont été faites par lui, et rien de tout ce qui a été fait n’a été fait sans lui.
I.
LE commencement de toutes choses a été le Verbe, comme étant la respiration divine, et Dieu a été l’Un éternel, et il demeure éternellement : mais le Verbe est l’écoulement de la volonté divine ou de la science divine : de même que les sens écoulent de l’esprit, et que néanmoins l’esprit aussi n’est qu’un Unique : il en est de même de l’Un éternel ; il a été avec lui dans l’écoulement de la volonté, c’est ce qui s’appelle : Au commencement était le Verbe : car le Verbe, comme étant l’écoulement de la volonté de Dieu, a été le commencement éternel, et le demeure éternellement : car il est la manifestation de l’Un éternel, par lequel la vertu divine a été amenée en une science de ce qui est quelque chose ; et nous entendons avec le VERBE la manifestation de la volonté divine, et avec le mot DIEU nous entendons le Dieu caché, savoir l’Un éternel, d’où le Verbe procède éternellement.
2. Ainsi l’écoulement de l’Un divin est le Verbe, et toutefois c’est Dieu même, savoir sa manifestation.
3. Cet écoulement coule de Dieu, et ce qui en découle est la Sapience, qui est le commencement et la cause de toutes puissances, des couleurs, des vertus et des propriétés.
4. De cette manifestation des puissances, dans laquelle la volonté de l’Un éternel se contemple, découle l’intelligence et la science du QUELQUE CHOSE, où la volonté éternelle se contemple dans le QUELQUE CHOSE, et s’introduit dans la Sapience en désir à une ressemblance et image.
5. Et c’est cette image qui est le Grand Mystère, comme étant le Créateur de tous les êtres et de toutes les créatures, car il est le Séparateur dans l’écoulement de la volonté, qui rend la volonté de l’Un éternel distinctive : il est la distinction dans la volonté, d’où procèdent les puissances et les propriétés.
6. Les mêmes puissances sont derechef un écoulement d’elles-mêmes, en ce que chacune s’introduit dans une propre volonté, selon la vertu de telle puissance : c’est de là que procède la multiplicité des volontés, et c’est de là aussi que la vie créaturelle des substances éternelles tire son origine, tels que sont les anges et les âmes ; et cependant on ne peut pas dire qu’il faille entendre ici une nature ou créature, mais l’idéalité éternelle du Verbe et de la volonté divine, où l’Esprit de Dieu a joué avec soi-même dans un tel objet dans les vertus de la sapience en de telles formes de la ressemblance.
7. De même que l’esprit de l’homme s’introduit dans l’entendement avec les sens dans un objet d’une ressemblance, et qui s’écoule avec eux, et les comprend en images, lesquelles images sont les pensées de l’esprit, où la volonté de l’esprit opère, et qu’ainsi il s’enveloppe avec le désir dans une âcreté, comme dans une attraction magnétique, d’où procède la joie et la tristesse.
8. De même aussi devons-nous reconnaître, touchant l’esprit éternel de la sensibilité, que la sortie de la volonté unique de Dieu s’est introduite par le Verbe dans la diversité, et la diversité s’est introduite dans un propre amour, comme dans une propre convoitise et désir pour sa propre manifestation, de l’unité à la multiplicité.
9. Le désir est le fond et le commencement de la nature de la sensibilité de la propre volonté : car c’est là que la diversité de l’Unité a été amenée en un propre amour, par où les diversités des volontés sont amenées dans la sensibilité d’une ipsaïté ; et par là on peut comprendre qu’elle est la véritable vie créaturelle, sensitive, angélique et de l’âme.
10. Car la volonté de l’Un éternel n’est pas sensible sans inclination à quelque chose : car elle n’a rien vers qui elle se puisse pencher qu’en elle-même ; c’est pourquoi elle sort d’elle-même et introduit l’écoulement de son unité dans la multiplicité et dans un propre amour pour l’ipsaïté, comme pour un lieu d’une nature d’où naissent les propriétés : car chaque propriété a son propre séparateur et ouvrier en soi, et chacune est en elle-même entièrement conforme à la propriété de l’Unité éternelle.
11. Ainsi le séparateur de chaque volonté mène derechef hors de soi les propriétés d’où procède l’infinie multiplicité : et c’est par là que l’Un éternel se rend sensible, non selon l’Unité ; mais cet écoulement se pousse si avant jusques dans la plus grande âcreté avec l’acceptation magnétique, jusques dans la nature ignée, dans laquelle l’Un éternel devient majestueux et lumineux : ainsi la vertu éternelle en devient désireuse et opérante, et c’est l’origine de la vie sensitive, où dans le VERBE des vertus naît dans l’écoulement une vie éternelle sensible : car si la vie n’avait aucune sensibilité, elle n’aurait aucun vouloir ni opérer, mais le tourment la rend opérante et voulante ; et la lumière qui s’allume ainsi par le feu la rend joyeuse, car elle est une onction du tourment.
12. C’est de cette opération éternelle de la sensibilité et sensualité, où cette opération s’est continuellement dès l’éternité introduite dans la nature, savoir dans les propriétés, d’où le monde visible avec tout son armée (contenu) est procédé, et a été fait une créature : car l’éternité de telle opération pour le feu, la lumière et les ténèbres s’est portée par le monde visible dans un objet, et a ordonné le Séparateur dans toutes les puissances des choses produites par la concupiscibilité, pour être l’administrateur de la nature, par lequel la volonté éternelle gouverne toutes choses, les produit, et leur donne la forme et la figure.
13. Ainsi on ne peut pas dire que l’essentialité de Dieu soit quelque chose d’éloignée, qu’elle ait et possède un certain lieu, ou une certaine place : car l’Abîme de la nature et de la créature c’est Dieu même.
14. Le monde visible avec son armée et les créatures n’est autre chose que le Verbe écoulé, qui s’est introduit dans les propriétés, où la propre volonté a été née dans les propriétés ; et la vie créaturelle a été produite par le propre amour de la volonté, et cette vie s’est introduite dans un propre amour au commencement du monde pour être un fond créaturel, laquelle le Séparateur a séparée selon les propriétés, et l’a amenée en un propre vouloir selon cette forme : ainsi ce désir et la substance, qui est le corps, avec le propre vouloir de chaque amour propre est procédé de son égalité et propriété, par où le Séparateur s’est signé et rendu visible, comme on le peut reconnaître dans chaque vie.
15. Dans cet objet de la volonté divine on peut comprendre qu’il y deux sortes de vie, savoir premièrement une vie éternelle, et en deuxième lieu une vie temporelle et mortelle. L’éternelle est dans le Verbe éternel et en procède, et est dans le fond du monde éternel et spirituel, qui est le Grand Mystère de l’objet divin, et est la vie sensible intelligible dans le fond du feu et de la lumière éternelle.
16. Le fond le plus intime est une étincelle de la volonté de Dieu, écoulée par la respiration divine éternelle, et il est lié avec le Verbe de Dieu, pour ne vouloir que ce que l’unique volonté de Dieu veut par un tel écoulement.
17. Il n’est autre chose qu’une habitation de la volonté de Dieu, par où elle se manifeste : et elle n’a pas été manifestée pour aucune propriété de la propre volonté ; mais uniquement pour être un instrument de la volonté divine, par lequel il veut opérer ses merveilles. Il est le séparateur de la volonté divine, comme un instrument divin dans lequel la volonté de Dieu s’est imprimée pour être un merveilleux ouvrier de sa toute-puissance et de sa gloire, avec quoi il veut dominer sur toutes choses, c’est pourquoi il lui a aussi été donné une intelligence divine.
18. L’autre vie est un écoulement primordial du Séparateur de toutes les puissances, et elle est appelée l’âme du monde extérieur : cette vie est devenue créaturelle dans les propriétés écoulées ; et c’est la vie de toutes les créatures du monde visible, par où le Séparateur ou le Créateur de ce monde se forme, et fait une ressemblance selon le monde spirituel, où la vertu du monde intérieur et spirituel se forme, se figure et se contemple.
19. Car le monde spirituel de feu, de lumière et des ténèbres est renfermé dans le monde visible et élémentaire, et il opère par le monde visible, et se figure par le Séparateur avec son écoulement en toutes choses, selon la nature et la propriété de chacune : selon qu’est la nature et la propriété qui est en chaque chose, elle reçoit aussi la même propriété du séparateur de la vertu intérieure et spirituelle : et ce n’est point que la substance visible reçoive l’invisible pour une propre possession et une propre puissance, afin que par là l’extérieur soit changé dans l’intérieur ; nullement, la chose ne va pas ainsi : la vertu intérieure ne fait par là que se figurer, comme nous le remarquons dans les vertus des plantes, des arbres et des métaux, savoir que leur esprit extérieur n’est que l’instrument de l’intérieur, savoir des puissances intérieures, par où la vertu intérieure se figure dans l’esprit extérieur.
20. Or nous comprenons qu’il y a trois sortes d’esprits dans les vertus des végétaux en divers centres, toutefois en un seul corps. Le premier et extérieur esprit est le soufre grossier, le sel et le mercure, qui est une substance des quatre éléments ou des astres, selon la propriété de l’âpreté des étoiles : c’est lui qui forme le corps, et qui s’imprime et s’enferme lui-même en une substance, ou qui tire en soi l’intérieur du Séparateur spirituel, comme aussi les éléments du dehors, et se coagule avec eux, d’où se forme sur le champ la signature par le Séparateur : c’est lui qui forme le corps visible selon la propriété de la plus grande vertu de l’esprit du monde, comme de la constellation des étoiles ou de la propriété des planètes et des éléments maintenant enflammés.
21. L’esprit second, qui a un propre centre, gît dans l’huile du soufre, qu’on appelle la quinte essence, comme étant la racine des quatre éléments. Celui-ci est l’adoucissement et la réjouissance de l’esprit du soufre et du sel grossier et peineux, et il reçoit premièrement son aliment du dedans de la lumière de la nature, savoir de l’écoulement de la mansuétude spirituelle, du feu et de la lumière intérieure et spirituelle. Et en deuxième lieu du dehors il reçoit sa nourriture du soleil et de la vertu subtile de l’esprit du monde, et il est véritable cause de la vie végétative, une joie de la nature, tel qu’est le soleil dans les éléments.
22. Le troisième esprit est la Teinture, comme étant un objet du Grand Mystère divin, où toutes les vertus sont renfermées dans l’égalité : et c’est ce qui s’appelle véritablement le paradis ou la délectation divine ; il est l’habitation de la vertu divine, l’habitation de l’âme immortelle, d’où procèdent toutes les vertus extérieures, de la même manière que l’air se produit du feu.
23. Car la Teinture n’est autre chose qu’un feu spirituel et une lumière spirituelle, tellement que le feu et la lumière n’y sont qu’une même chose ; mais parce qu’elle a aussi en soi son séparateur, savoir la volonté écoulée pour la manifestation : c’est pour cela qu’elle est aussi le fond le plus sublime, d’où procède la première séparation des propriétés dans l’essentialité de ce monde ; et elle appartient selon sa propriété essentielle à l’éternité : car son origine est la sainte vertu de Dieu, et elle a son propre centre, savoir le fond le plus intime de la créature ; lequel est bien caché à la créature mortelle, à cause que l’homme y oppose une fausse volonté : et c’est de là qu’est procédée la malédiction de la terre sans la chute de l’homme ; toutefois ce fond sublime et saint pénètre dehors dans son propre centre par toutes les substances de ce monde, et s’écoule dans les vertus extérieures, de même que le soleil dans les éléments ; mais la créature ne saurait attoucher le centre de cette vertu, si non par la permission divine, comme il arrive dans la régénération.
24. On découvre cette manifestation dans toutes les choses, qui vivent et qui croissent : toutes choses subsistent dans ces trois principes ou commencements : voyez-en un exemple dans une plante de la terre, elle tire sa nourriture du dedans et du dehors, savoir de la terre, et du dehors du soleil et des étoiles, par où l’esprit de la terre se forme ensemble avec l’extérieur ; lorsqu’elle prend son accroissement, cela se fait avec cette force, ainsi le Séparateur extérieur se signe au dehors dans les herbes avec sa figure et sa forme dans le soufre, le sel et le mercure, car il est la motion de herbes, il est sensible et se rend corporel.
25. De sorte que, lorsque je vois une plante, je dis avec vérité : c’est là une image de l’esprit de la terre, dans laquelle les vertus supérieures se réjouissent et la tiennent pour leur enfant ; parce que l’esprit de la terre est une même chose avec les vertus extérieures d’en haut : et lorsque l’herbe a fait son accroissement, elle fleurit, et l’esprit huileux se signe avec les fleurs par des belles couleurs ; et la teinture se signe par la suave odeur des fleurs, comme étant le troisième fond.
26. Et par là on peut comprendre que l’esprit intérieur caché des éléments s’est manifesté, et qu’il s’introduit ensemble dans la figuration du fruit : car la terre n’aurait point de telles odeurs, couleurs, ni telles vertus, si la vertu cachée de l’écoulement divin ne venait à se manifester.
27. C’est ce qu’on peut aussi voir dans les métaux, qui ne sont extérieurement qu’un corps grossier de soufre, de mercure et de sel, où consiste l’accroissement, et dans leur fond intérieur ils sont un corps très-beau et clair, où la lumière emmoulée de la nature brille de l’écoulement divin, et c’est dans ce brillement qu’on peut comprendre ce qu’est la teinture et sa vertu sublime, et comme la vertu cachée se rend visible ; on ne peut pas dire de cette vertu qu’elle soit élémentaire, non plus que la vertu des fleurs ; les éléments ne sont qu’une habitation et un objet de la vertu intérieure, une cause du mouvement de la teinture.
28. Car la vertu procède de la teinture par le mouvement de l’esprit grossier des éléments, et se mène par là dans la sensibilité, comme dans le goût et l’odeur.
29. Car l’odeur n’est autre chose que la tentation de la teinture, par laquelle l’écoulement de la vertu divine se manifeste, et ainsi elle reçoit la sensibilité : l’âcreté de l’odeur est bien élémentaire, mais la vraie efficace et vertu dans l’âcreté de l’odeur est la teinture : car le mouvement n’est pas le fond le plus sublime de la vertu ; mais c’est ce d’où procède la cause du mouvement.
30. Un médecin use d’une herbe odoriférante dans ses remèdes, mais l’odeur, savoir l’âcreté de l’odeur, n’est point la cure qui puisse guérir le patient, mais ce d’où procède ce baume ou cette odeur fait la guérison, savoir la teinture, qui s’imprime dans ce baume.
31. Christ dit au figuier qu’il séchât (Matth. 21 : 19), mais la parole humaine claire n’était pas la vertu qui produisit cet effet ; mais c’était la vertu d’où la parole procédait : autrement si c’était le son extérieur humain qui l’eût produit, d’autres hommes pourraient aussi faire la même chose.
32. C’est aussi de la même manière que nous devons comprendre la foi : la confession et le consentement n’est pas la véritable foi, beaucoup moins encore la science ; mais la foi est ce d’où procède la confession, savoir l’Esprit de Dieu manifesté dans le fond intérieur de l’âme, qui s’imprime avec la confession dans la parole intelligible, et la rend visible extérieurement, et opère avec les éléments visibles du corps, et se manifeste extérieurement, tellement qu’on entend que l’Esprit de Dieu coopère dans l’œuvre de la foi, de même qu’il opère dans et par la vertu du monde élémentaire, et qu’il se rend visible avec un objet par les choses de ce monde.
33. Ainsi donc tout ce que je vois de bon ou de mauvais, je puis dire avec vérité : ici avec cette chose l’Esprit caché du Séparateur de toutes choses s’est figuré dans une propriété, et s’est fait à soi-même un objet ou une image selon son écoulement, ou en bien ou en mal ; tout selon les propriétés de la nature, selon le chaud ou le froid, l’âpre et l’amer, le doux ou l’aigre, ou quoi que ce soit : ainsi il y a dans toute cette figuration une telle nature élémentaire seulement extérieurement, comme un tel soufre ou un tel sel ; mais quant au fond intérieur dans la teinture, tout cela est bon et utile, et convient dans son égalité à la nourriture de la vie, qui se trouve selon la nature astrale et élémentaire dans toutes les propriétés quant à son fond extérieur.
34. Chaque chose, soient les plantes, soit l’herbe, les arbres, les animaux, les oiseaux, les poissons, les reptiles, ou quoique ce puisse être, est utile et procède du Séparateur de toutes choses, comme du Verbe ou de la volonté de Dieu diverse, par où le Séparateur s’est formé une ressemblance ou une image de la propriété de chaque chose dans laquelle il opère.
35. Car ce monde visible avec tout ce qu’il contient n’est autre chose qu’un objet du monde spirituel qui est caché dans ce monde matériel élémentaire, de même que la teinture dans les plantes et dans les métaux.
36. Et comme la teinture avec ses vertus se configure et se rend visible en toutes choses par son écoulement, tellement qu’on peut connaître, soit dans la figure, soit dans les couleurs et dans les odeurs, quel Séparateur ou quel écoulement de la volonté divine est écoulé dans la teinture par le Grand Mystère : ainsi on peut aussi connaître dans le monde visible, dans le soleil, dans les étoiles, dans les éléments et dans les créatures le fond intérieur d’où elles sont procédées.
37. Car nulle chose ou nulle substance d’une chose n’est venue de loin dans son lieu, mais le fond de chaque chose est là où elle croît : les éléments ont en eux-mêmes la cause d’où ils procèdent ; les étoiles ont aussi leur chaos en elles-mêmes, dans lequel elles subsistent.
38. Les éléments ne sont autre chose qu’une substance figurée, mobile de la substance invisible et immobile.
39. Les étoiles aussi sont un écoulement des propriétés du monde spirituel, selon le discernement du Séparateur, dont le Verbe est le fond, ou la volonté distincte de Dieu.
40. La substance et le mouvement des éléments est le feu, l’air, l’eau et la terre, où se trouve l’épaisseur et la ténuité, l’humidité et le sec, le dur et le mol : ils sont posés ensemble pour être une même substance ; non que chacun d’eux ait une origine particulière, mais ils procèdent tous d’un même fond, et le lieu d’où ils sont procédés est partout : il faut seulement se souvenir que dans un lieu il s’est pu faire un plus grand embrasement selon sa propriété que dans un autre, d’où il arrive que le mouvement y est plus grand, et qu’il se produit une plus grande quantité de la matière de cette forme et substance, comme on le peut comprendre quand on considère les matières de la terre, de même que l’eau et l’air, comme il y a de la différence en chaque pôle, c’est à dire dans chaque lieu sur la terre : d’où procède aussi la diversité des mœurs, des vertus, et même des gouvernements, de l’ordre et des créatures.
41. Mais les séparations de ces propriétés procèdent toutes du Grand Mystère, par le mouvement arrivé une fois des vertus de toutes choses, en tant qu’alors l’unique volonté de toutes choses s’est émue pour une fois, et s’est introduite de l’insensibilité à la sensibilité et diversité des vertus, et la vertu éternelle a été faite voulante et opérante, tellement que dans chaque vertu il s’est formé un objet, savoir un désir propre : ce même désir propre dans l’objet des vertus est sorti derechef hors de soi pour un objet par où le désir de cet écoulement est devenu âcre, âpre et grossier, et s’est coagulé en une matière.
42. Or comme l’écoulement des vertus intérieures était de la lumière et des ténèbres, de l’âcreté et de la douceur, de la nature ignée et lumineuse, les matières sont aussi devenues telles : tant plus l’écoulement de chaque vertu s’est étendu, tant plus la matière est devenue extérieure et grossière, car un objet est toujours procédé d’un autre, jusques à la fin que la terre grossière a été formée.
43. Mais pour expliquer comme il faut et déduire les principes de cette Philosophie, d’où le dur et le mol ont tiré leur origine, nous le pouvons reconnaître dans les métaux : car chaque matière dure, tels que sont les métaux, les pierres, le bois, les plantes mêmes et les choses semblables, a en soi une teinture très-noble et un esprit de vertu sublime ; comme on le peut aussi remarquer dans les os des créatures, comme la teinture la plus noble selon la vertu de la lumière, savoir la plus grande douceur, se trouve dans la moelle, et par contre dans le sang il se trouve seulement une teinture ignée, comme dans le soufre, le sel et le mercure. Ce qu’il faut entendre de cette manière :
44. Dieu est l’Un éternel, comme étant la plus grande Débonnaireté, à le considérer en soi-même hors de son mouvement et de sa manifestation ; mais quant à sa motion, en tant qu’il est nommé un Dieu en une Trinité, comme une essence triune, tellement qu’on parle de trois, et toutefois il n’est qu’Un, et il est appelé la vertu et le Verbe éternel : et c’est là le principe le plus sublime et le plus excellent, et ainsi on doit considérer comme la volonté divine se renferme dans un lieu pour l’ipsaïté, savoir pour une vertu, et opère en soi-même ; et toutefois il sort au dehors par son opération, et se forme un objet, qui est la Sapience d’où toutes choses ont tiré leur fond et origine.
45. De même aussi vous devez savoir que tout ce qui est mol dans la substance de ce monde, qui est doux et délié, est écoulant et communicatif, et son fondement et origine est selon l’unité de l’éternité, où l’unité écoule toujours hors de soi, où on n’aperçoit aucune sensibilité ni tourment en des choses déliées, comme dans l’eau et dans l’air, où on ne peut pas comprendre ce que cette substance unique est en elle-même.
46. Mais quant aux matières dures et empreintes, tels que sont les os, le bois, les plantes, les métaux, le feu, la terre, les pierres et des matières semblables, l’image de la vertu et de la motion divine s’y trouve, et elle se renferme avec son Séparateur (qui est l’écoulement du désir divin) comme précieux joyau ou une étincelle de la vertu divine, pour la grossièreté ; et c’est pour cela qu’elle est dure et ignée, parce qu’elle a son fond dans la compréhension divine, en tant que l’Un éternel s’introduit continuellement dans le fond de la Trinité pour la motion des puissances, et toutefois il se renferme pour l’écoulement, savoir devant l’introduction de la propre volonté de la nature, et il opère avec la vertu de l’unité par la nature.
47. On doit aussi comprendre, touchant la précieuse teinture, que là où elle est la plus noble, c’est là où elle est le plus étroitement renfermée avec la dureté : car l’unité s’y trouve dans une mobilité, savoir dans une sensibilité d’opération, c’est pourquoi elle se cache ; mais dans la ténuité elle n’y est pas d’une manière si sensible, mais elle est égale à toutes choses : comme l’eau et l’air sont égaux à toutes choses ; mais que l’eau sèche est le vrai fond des perles, où la vertu subtile de l’opération de l’unité réside dans le centre : c’est ce qu’on donne ici à entendre aux nôtres qui en sont dignes, à ne point s’arrêter à ce qui est mol sans être de la nature du feu, pour y chercher des secrets. Ainsi comprenez ce mystère :
48. Que le mol et le délié procède de l’unité de son écoulement et du Grand Mystère, et qu’il est le plus près de l’unité, et que par contre le fond le plus noble de la manifestation divine en vertu et efficace se trouve dans la dureté ardente, et est une unité sèche, comme étant un tempérament où le discernement de toutes les vertus s’y trouve derechef : car où les vertus ne se trouvent pas dans l’unité d’une volonté, là la volonté est divisée, et l’on ne saurait comprendre qu’il y ait une grande vertu dans une telle chose, ce que les Médecins doivent bien remarquer, afin qu’ils ne s’arrêtent pas à des esprits grossiers d’une odeur forte, et qu’ils ne les réputent pas pour le véritable baume, quoiqu’il y soit caché, mais la teinture y est grandement mobile et évaporante.
49. Les esprits d’une forte vertu en odeur doivent être réduits dans un tempérament, savoir dans l’unité, et ne doivent point s’envoler : car quand on veut guérir avec le sel, comme avec l’ardeur du feu, on donne au patient l’âme sans l’esprit.
50. L’âme de tels baumes est divisée dans les propriétés, chacune en particulier se communique dans sa grande joie, et cependant dans la division elles sont très-contrariantes : elles ne réunissent point l’inimitié et la division de la vie, mais elles l’allument davantage.
51. Renfermez et unissez-les, tellement qu’elles aient toutes une même volonté dans l’amour, alors vous avez la perle dans tout le monde : l’irritation de la colère produit l’orgueil et le démêlé, comme on le peut connaître en toutes choses.
52. On ne peut consoler un prisonnier que par son élargissement, jusqu’à ce qu’il ait mis sa volonté dans l’espérance, et qu’il se tienne dans la patience : alors son inquiétude se change en espérance dans le tempérament, et dans cette espérance il apprend l’humilité ; si alors on lui parle de sa délivrance, il s’en réjouit.
53. Ainsi aussi vous, Médecins, observez bien ceci : c’est ici votre perle, si vous pouvez le comprendre ; le sens est intérieurement et extérieurement.
CHAPITRE IV.
De l’Entrée et de la Sortie :
Comme la volonté éternelle de
Dieu sort et s’introduit dans la
sensibilité et derechef dans
l’Unité.
Où l’on peut comprendre pourquoi
Dieu a créé la substance de ce monde,
et à quoi le fond créaturel est utile :
comme aussi pour quelle fin la
joie et la tristesse ont été
manifestées.
I.
IL est dit (Jean I : 11, 12, 13) : Il (JÉSUS CHRIST) est venu chez les siens : et les siens ne l’ont point reçu ; mais à ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le droit d’être faits enfants de DIEU, savoir à ceux qui croient en son Nom : lesquels ne sont point nés du sang ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais ils sont nés de DIEU.
2. Dans ces paroles est le fond le plus précieux de la manifestation divine, qui est l’ENTRÉE et la SORTIE éternelle : car elles expriment comme le VERBE divin, caché et éternel de la vertu divine de l’unité est venu dehors chez soi dans le VERBE Écoulé créaturel, figuré et naturel, savoir dans l’Humanité.
3. Car le VERBE Écoulé, figuré, créaturel est le propre du VERBE qui se prononce de toute éternité : et par là il est clairement démontré que les siens, savoir la propre volonté détournée, figurée, ne l’ont point reçu ; laquelle propre volonté idéelle était procédée de son propre fond, savoir de la chair et du sang de la propre nature de l’homme et de la femme, c’est à dire, dans le Séparateur de la volonté Écoulée, lorsque la volonté s’est renfermée dans la propriété et a voulu sortir et régner par sa propre force et vertu.
4. Cette volonté n’a point reçu le VERBE éternel, lequel, comme un écoulement de la grâce, était SORTI derechef vers la volonté détournée : car elle voulait être son propre Seigneur ; mais il a donné à toute volonté qui sera retournée, de sorte qu’elle aura été régénérée dans l’écoulement divin, le droit d’être fait un enfant de Dieu : car la propre volonté naturelle ne peut point hériter l’adoption, mais seulement celle qui se réunit avec l’unité égale à toutes choses, dans laquelle Dieu opère et veut lui-même.
5. Où nous pouvons comprendre clairement comme le fond intérieur s’est détourné au DEHORS, et s’est rendu visible, et est la propriété de Dieu, comme un écoulement de la vertu et de la volonté divine.
Le Grand Mystère.
DIEU a manifesté le Grand Mystère de la vertu de son Verbe, dans lequel toute la créature était d’une manière essentielle sans forme dans le tempérament, et par lequel il s’est énoncé dans la séparation des formes spirituelles, et c’était dans ces formes qu’était la science des vertus, qui consistaient dans le désir, comme dans le FIAT, où chaque science s’est introduite dans le désir pour la manifestation dans une essence corporelle : ce Grand Mystère se trouve aussi dans l’homme, en tant qu’il est l’image de Dieu selon l’éternité et le temps, par lequel le Verbe vivant de Dieu s’énonce, ou dans l’amour ou dans la colère, ou dans la fantaisie, tout selon que le Mystère humain se trouve dans un mouvement de désir pour le mal ou pour le bien, suivant ce qui est dit : Tel est le peuple, tel est le Dieu. Car telle qu’est la propriété du Mystère dans l’homme à son réveil, telle est la parole qui se prononce de ses facultés, comme on le voit, que dans les méchants il ne s’énonce que de la vanité.
Septième Traité.
E N T R E T I E N
D’une Âme illuminée avec une
autre qui n’est pas illuminée,
COMME UNE ÂME ILLUMINÉE doit chercher l’autre âme, la consoler et la conduire selon sa connaissance sur les traces pèlerines de Jésus Christ, et lui mettre fidèlement devant les yeux, pour exemple, la voie épineuse qui aboutit à l’abîme, dans laquelle l’âme détournée marche.
Dans une Épître à une âme affamée et al-
térée de la Fontaine du doux Amour
de JÉSUS CHRIST.
Dressé par une Âme affectionnée aux
Enfants de Jésus Christ sous la
croix de ce divin Sauveur,
l’an 1624.
I.
UNE pauvre âme était sortie du Paradis, et était entrée dans le règne de ce monde. LE DÉMON la rencontra et lui dit : où veux-tu aller, pauvre âme demi-aveugle ?
2. L’ÂME répondit : Je veux contempler les créatures du monde, lesquelles le Créateur a formées.
3. LE DÉMON dit : Comment veux-tu les contempler, si tu ne peux pas encore les connaître quelle est leur essence et quelles sont leurs propriétés ? Tu ne les vois que comme un tableau, et tu ne saurais les connaître.
4. L’ÂME dit : Comment pourrais-je les connaître telles qu’elles sont dans leur essence et substance ?
5. LE DÉMON dit : Si tu manges de ce dont les créatures ont été faites bonnes et mauvaises, tes yeux seront ouverts, et tu seras comme Dieu ; tu connaîtras même ce qu’est le Créateur.
6. L’ÂME dit : Je suis noble et sainte, et j’en pourrais mourir, comme le Créateur l’a prononcé.
7. LE DÉMON dit : Nullement, tu ne mourras point, mais tes yeux seront ouverts, et tu seras semblable à Dieu, sachant le bien et le mal : avec cela tu seras forte et puissante comme moi ; toute la finesse des créatures te sera manifeste.
8. L’ÂME dit : Si j’avais la connaissance de la nature et des créatures, je régnerais sur le monde.
9. LE DÉMON dit : Le fond de cette connaissance est en toi ; détourne seulement ta volonté de Dieu vers la nature et les créatures, alors il s’élèvera en toi un désir d’en goûter, et tu pourras manger de l’arbre de science du bien et du mal, et tu connaîtras toutes choses.
10. L’ÂME dit : Je veux manger de la connaissance du bien et du mal, afin que j’aie la domination sur toutes choses en mon propre pouvoir, et que je sois un Seigneur absolu sur la terre, alors je ferai tout ce que je voudrai, comme Dieu même.
11. LE DÉMON dit : Je suis le Prince de ce siècle ; si tu veux dominer sur la terre, il faut que tu introduises tes désirs en mon image, afin que tu en puisses obtenir la finesse. Et il présenta à l’âme le Mercure en Vulcain, comme une roue de feu sous la figure d’un serpent.
12. L’ÂME, voyant cela, dit : C’est là la puissance de toutes choses, comment est-ce que je puis devenir telle ?
13. LE DÉMON dit : Tu es aussi un semblable Mercure igné ; si tu retires ta volonté de Dieu, et que tu introduises tes désirs dans cette science, ton fond caché sera manifeste en toi, et tu pourras opérer de la même manière ; mais il faut que tu manges de ce fruit où les quatre éléments dominent en eux-mêmes l’un sur l’autre, et où ils sont aux prises, comme le chaud contre le froid, et le froid contre le chaud, où les propriétés de la nature opèrent d’une manière sensible : ainsi tu deviendras sur le champ telle que cette roue de feu, et tu rangeras toutes choses sous ta propre puissance, et tu les posséderas en propriété.
14. L’ÂME donc ayant dérompu sa volonté de Dieu, et introduit ses désirs dans le Vulcain du Mercure (dans la roue de feu, savoir dans le propre pouvoir de l’esprit), il se leva sur le champ au dedans d’elle un désir de manger de la connaissance du bien et du mal ; elle prit du fruit de cette science et en mangea.
15. Après cela le VULCAIN alluma le feu de la roue de l’essence, et alors toutes les propriétés de la nature se réveillèrent subitement dans l’âme, et s’introduisirent dans un propre désir et convoitise. Alors EN PREMIER LIEU il en procéda la passion de L’ORGUEIL, le désir d’être grand et puissant, de se soumettre toutes choses, et de dominer sur elles avec violence, d’être son propre Seigneur, et d’être intraitable, de mépriser l’humilité et l’égalité, de se croire tout seul sage et fin, et de réputer comme une folie tout ce qui ne se rapporte pas à cette finesse.
16. EN SECOND LIEU il en résulta un désir de la propre volonté, savoir L’AVARICE, qui voudrait tout attirer à soi et tout posséder : car dès que la passion de l’orgueil eut retourné sa volonté de Dieu, la vie ne se voulut plus confier à Dieu ; mais elle voulut avoir soin d’elle-même, et elle introduisit ses désirs et inclinations dans les créatures, dans la terre, dans les métaux et dans les arbres.
17. Ainsi le Mercure igné allumé, qui est la vie ignée, devint avare et affamé, du moment qu’elle se dérompit de l’unité de Dieu, de son amour et de sa mansuétude, et elle attira à soi les quatre éléments et leur substance, et s’introduisit dans une nature bestiale, par où la vie devint ténébreuse, farouche et furieuse, et les vertus et couleurs divines furent éteintes et effacées.
18. EN TROISIÈME LIEU il s’éveilla dans la vie ignée une passion piquante et hostile, qui est L’ENVIE, comme un poison infernal, un tourment de tous les démons, par où la vie devint ennemie de Dieu et de toutes les créatures. Cette passion exerçait sa rage et sa fureur dans les désirs de l’avarice, comme un venin dans la chair : ce que l’avarice ne pouvait pas attirer à soi, l’envie tâchait de le tuer, et par là l’amour noble de cette âme fut entièrement détruit.
19. EN QUATRIÈME LIEU, il s’ouvrit dans cette vie ignée une source semblable au feu, savoir la colère, qui voulait tuer et massacrer tout ce qui ne voulait pas se soumettre à l’orgueil.
20. C’est ainsi que le fondement de l’enfer, qui s’appelle la COLÈRE DE DIEU, fut entièrement manifeste dans cette âme, et par là elle perdit Dieu, le Paradis et le ciel, et elle devint un ver semblable au serpent igné que le diable lui avait représenté dans son image, et elle commença à dominer d’une manière brutale sur la terre, faisant toutes choses selon la volonté du démon, dans un pur orgueil, dans l’avarice, dans l’envie et dans la colère, n’ayant plus aucun véritable amour pour Dieu : au contraire, elle avait contracté en sa place un faux amour brutal de lubricité et de la vanité, et il n’y eut plus aucune pureté dans son cœur, car elle avait quitté le Paradis, et elle avait pris possession de la terre : ses sens ne s’occupaient plus que de la science, de la finesse, de grandeurs et de la multiplicité des choses naturelles ; il ne resta en elle aucune justice ni vertu divine ; elle couvrait toujours avec finesse toutes ses faussetés, et ses violences, et les voulait faire passer pour des choses justes.
21. Cela étant ainsi arrivé, LE DÉMON s’approcha d’elle, et l’entraîna d’un péché à l’autre, car il l’avait rendue captive dans son essence, et il lui proposa en tout cela de la joie et du plaisir, lui disant : tu es maintenant forte et puissante, élevée et noble, prends soin de t’élever encore davantage en honneur, en richesse et en pouvoir, emploie pour cela ton savoir et ta finesse, afin que chacun te craigne et t’estime, et que tu aies un grand nom sur la terre.
22. L’ÂME suivit le conseil du démon, et toutefois elle ne connut pas que c’était le diable, mais elle s’imaginait que c’était sa finesse et son intelligence, et qu’elle faisait bien en tout cela.
23. Or comme elle marchait dans cette voie, notre SEIGNEUR JÉSUS CHRIST vint un jour au devant d’elle avec l’amour et la colère de Dieu, car il était venu au monde pour détruire les œuvres du diable, et tenir le jugement contre toutes les œuvres mauvaises : Il lui parla par ses souffrances et par sa mort, comme avec une puissance efficace, et il froissa les œuvres du diable en elle, il lui ouvrit le chemin de la grâce, et lui jeta un regard de miséricorde, il lui cria de rebrousser chemin et de faire pénitence, que moyennant cela il la délivrerait du masque affreux qu’elle avait pris, et l’introduirait derechef dans le Paradis.
24. Comme cela se passait, que l’étincelle de la lumière divine fût élevée en elle, elle commença à se considérer elle-même avec ses œuvres et sa volonté, et elle s’aperçut qu’elle était dans l’enfer, dans la colère de Dieu, et reconnut qu’elle était un masque monstrueux devant Dieu dans son royaume ; ce dont elle fut tellement épouvantée que la plus grande angoisse se réveilla en elle : car le jugement de Dieu fut manifeste en elle.
25. Alors le SEIGNEUR JÉSUS CHRIST lui dit d’une voix gracieuse : Fais pénitence et quitte la vanité, et tu rentreras en grâce avec moi.
26. L’ÂME se présenta devant Dieu dans ce masque avec sa robe souillée de vanité, lui demandant grâce, qu’il lui plût de lui pardonner ses péchés : et elle s’imprima fortement la propitiation et la satisfaction de notre Seigneur Jésus Christ.
27. Mais les mauvaises propriétés du serpent figuré dans l’esprit astral ne voulaient point permettre que l’âme retourne à Dieu, mais elles y introduisirent leurs propres désirs et convoitises, car elles ne voulaient point mourir à leurs propres convoitises, ni renoncer au monde, parce qu’elles étaient du monde : elles craignaient aussi la moquerie du monde si elles venaient à renoncer à ses honneurs et sa gloire ; mais la pauvre âme tournait son visage vers Dieu, lui demandant grâce, et qu’il lui plût de lui donner son amour.
28. LE DÉMON voyant cela, que l’âme priait Dieu et voulait faire pénitence, s’approcha d’elle et introduisit les inclinations des propriétés terrestres dans ses prières, et troubla les bons mouvements qui aspiraient à Dieu, de sorte qu’ils n’y pussent point parvenir, les tirant en arrière vers les choses terrestres : la volonté de l’âme soupirait après Dieu ; mais les sens extérieurs, qui devaient pénétrer en Dieu, étaient dissipés et ne pouvaient atteindre la vertu divine.
29. Cela effraya encore davantage LA PAUVRE ÂME, voyant qu’elle ne pouvait pas introduire tous ses désirs en Dieu, et elle recommença à prier avec plus d’ardeur : mais le démon se saisit avec ses désirs de la roue mercuriale embrasée de la vie, et réveilla les mauvaises propriétés, de sorte que les fausses inclinations s’élevèrent et rentrèrent dans ce en quoi elles s’étaient auparavant délectées.
30. LA PAUVRE ÂME tendait à Dieu par sa volonté, et s’angoissait grandement : mais les pensées se détournaient toutes de Dieu dans les choses terrestres, et ne voulaient point aller à Dieu : elle soupirait et lui adressait ses prières ; mais il lui semblait qu’elle était entièrement rejetée de devant sa face, elle ne pouvait recevoir un seul rayon de grâce, elle était en des angoisses et des frayeurs terribles, s’imaginant toujours que la colère de Dieu et son jugement sévère allaient fondre sur elle, et que le diable allait la saisir : ainsi elle tomba dans une grande tristesse et affliction, tellement que toute la joie et tout le plaisir que lui avaient causé les choses temporelles auxquelles elle était attachée auparavant furent converties en pur dégoût, peine et chagrin.
31. La volonté terrestre naturelle aurait bien voulu encore en jouir ; mais l’âme voulait tout de bon les abandonner, et souhaitait de mourir à toutes les délectations et joies temporelles : elle ne soupirait qu’après sa première patrie, d’où elle avait tiré son origine ; mais elle s’en trouvait fort éloignée, et avec cela dans un grand abandonnement et misère, ne sachant plus que devenir : si elle pensait de rentrer en elle-même, et de se réveiller de plus en plus, et de prier avec plus de ferveur, le démon s’y opposait, et la retenait, qu’elle n’entrât pas dans une plus grande agitation et pénitence.
32. LE DÉMON excitait dans le cœur les convoitises terrestres, afin que les inclinations retinssent leur faux droit naturel, et qu’elles fissent résistance à la volonté et au désir de l’âme : car elles ne voulaient point mourir à leurs propres désirs et convoitises ; mais elles voulaient retenir leurs voluptés temporelles, et ainsi elles tenaient la pauvre âme captive dans ses désirs faux, afin qu’elle ne pût pas se réveiller, quelques ardentes prières et soupirs qu’elle poussât à Dieu pour obtenir sa grâce.
33. Lorsque L’ÂME invoquait Dieu et s’efforçait d’aller à lui, les convoitises charnelles saisissaient les rayons qui sortaient de l’âme et les introduisaient en des pensées terrestres, et les détournaient de Dieu, afin que l’âme ne puisse pas obtenir la vertu divine : alors elle se regardait comme si elle était abandonnée de Dieu ; elle ne savait pas que c’était Dieu qui la tirait ainsi, et qu’il était fort près d’elle.
34. LE DÉMON aussi s’approcha d’elle dans le Mercure igné ou dans la roue embrasée de la vie, et mêla ses désirs dans la convoitise charnelle et terrestre, se moquant de la pauvre âme, et lui disant dans ses pensées terrestres : Pourquoi pries-tu ? crois-tu que Dieu t’entende, et qu’il se soucie de toi ? Considère-toi seulement, quelles sont les pensées que tu as devant lui ? Tu n’as rien que de mauvaises pensées, tu n’as aucune foi en Dieu, comment pourrait-il t’écouter ? Il ne t’entend point, tu n’as qu’à laisser tout cela, il ne te convient pas maintenant, ou tu y perdras les sens.
35. Pourquoi te tourmentes-tu ? Considère le monde, comme il vit dans la joie, il prétend aussi bien d’être sauvé ; Christ n’a-t-il pas satisfait et payé pour tous les hommes ? Tu n’as qu’à te consoler par là, et t’assurer qu’il a tout accompli, et tu seras bien heureuse ; tu ne saurais parvenir en ce monde à jouir de la sensation divine, laisse seulement tout cela, et aie soin de ton corps et de la pompe temporelle.
36. Que crois-tu de devenir ? Si tu entres dans une telle folie et mélancolie, chacun te fera passer pour une folle, tu vivras dans une tristesse continuelle, en laquelle ni Dieu ni la nature ne prend point de plaisir ; considère un peu ce beau monde où Dieu t’a mis, t’ayant établi seigneur sur toutes les créatures pour exercer un empire sur elles : amasse premièrement des biens temporels afin que tu n’aies plus besoin du monde, alors quand tu seras vieux et près de ta fin, tu feras pénitence ; Dieu te sauvera néanmoins et te recevra dans le ciel ; il n’est point parcellaire de tant de lamentations, de soupirs et d’angoisses, comme tu fais présentement.
37. C’était en de telles et semblables pensées que L’ÂME fut enveloppée de Satan dans la convoitise de la chair, et dans la volonté terrestre, et il la tenait liée comme avec des grosses chaînes : elle ne savait à quoi se résoudre, elle se ressouvenait du monde et de ses voluptés ; toutefois elle trouvait en soi une grande faim de la grâce divine, et elle souhaitait toujours d’entrer dans une sérieuse repentance et d’obtenir la faveur divine : car la main de Dieu l’avait touchée et froissée ; c’est pourquoi elle ne trouvait nulle part aucun repos, mais elle gémissait continuellement en elle-même pour entrer dans la repentance des péchés qu’elle avait commis, et souhaitait d’en être délivrée, sans néanmoins qu’elle pût sentir une vive contrition, moins encore parvenir à une connaissance profonde du péché ; cependant elle avait toujours un grand désir de faire pénitence.
38. Comme donc elle était dans une grande tristesse, sans pouvoir trouver nulle part ni conseil ni repos, elle pensa où elle pourrait trouver un lieu pour y faire une véritable repentance, et être affranchie des empêchements du monde et de ses occupations, et comme elle pourrait trouver grâce devant Dieu. Pour cet effet elle se proposa de se retirer de toutes les affaires du monde : elle se proposa aussi de réparer ses fautes par des bonnes œuvres envers les pauvres, afin que Dieu lui fît grâce ; ainsi elle cherchait toutes sortes de moyens pour entrer dans le repos, et pour trouver grâce devant Dieu.
39. Mais rien ne la pouvait rassurer ni lui procurer cette grâce : car les pensées terrestres dans la convoitise de la chair la suivaient partout, et elle se trouvait toujours captive dans les filets de Satan, sans pouvoir entrer dans le repos ; et quoiqu’elle se divertissait tant soit peu avec les choses terrestres, bientôt la tristesse la saisissait, car elle sentait que la fureur de Dieu était émue en elle, ne sachant comme cela se passait et quel était son état : souvent elle tombait dans une telle angoisse et tentation qu’elle ne pouvait plus se recolliger par aucune consolation, et qu’elle en devenait malade.
40. C’est ainsi que les rayons du froissement des premiers mouvements de la grâce l’avaient fortement touchée, et elle ne savait pas que Christ se trouvait lui-même dans son enfer, dans la colère et dans la justice sévère de Dieu, et combattait le Satan incorporé et le séducteur dans l’âme et dans le corps : elle ne comprenait pas que cette faim et ce désir de la repentance et de la conversion procédait de Christ, qui la tirait de cette manière ; elle ne savait point aussi ce qui lui manquait encore pour pouvoir parvenir à la tentation divine ; elle ne savait point qu’elle était une créature monstrueuse, et qu’elle portait l’image du serpent, sous laquelle le démon avait une telle puissance et accès en elle, où il avait renversé tous ses bons sens, et les avait détournés de Dieu, comme Jésus Christ le déclare, quand il dit : Le diable arrache la parole de leur cœur, afin qu’ils ne croient point, et qu’ils ne soient point sauvés. (Luc. 8 : 12.)
41. Il arriva un jour par la dispensation divine que cette pauvre âme rencontra UNE ÂME RÉGÉNÉRÉE ET ILLUMINÉE de Dieu qui lui dit : Que fais-tu, pauvre âme affligée, que tu es si inquiète et dans une si grande perplexité ?
42. L’ÂME AFFLIGÉE répondit : Le Créateur m’a caché sa face, tellement que je ne puis pas entrer dans son repos, c’est pour cela que je suis dans une si grande peine, en sachant ce que je dois faire pour obtenir sa grâce : car il y a des montagnes et des abîmes qui m’empêchent de l’obtenir et de m’approcher de lui ; quelques efforts que je fasse pour cela, je suis toujours arrêtée sans pouvoir obtenir aucune vertu, quoique je me tourmente pour cela, et que j’y aspire avec des ardents désirs.
43. L’ÂME ILLUMINÉE lui dit : Tu portes en toi un masque diabolique qui ressemble à un serpent, et tu en es entortillée, c’est là où le démon a accès en toi, savoir en ta propriété, et il y arrête ta volonté, tellement qu’elle peut pénétrer jusques à Dieu : car si ta volonté pouvait pénétrer jusques en Dieu, elle serait ointe de la vertu la plus sublime de Dieu dans la résurrection de Jésus Christ, et cette onction briserait en toi ce monstre, et ta première image du paradis serait derechef mise en évidence, ainsi le démon perdrait toute sa puissance sur toi, et tu deviendrais derechef un ange : mais parce qu’il t’envie ce bonheur, il te tient captive dans ses désirs, et dans tes convoitises charnelles ; et si tu n’en es affranchie, tu demeureras séparée de Dieu, et tu ne viendras jamais dans notre compagnie.
44. À ce discours LA PAUVRE ÂME AFFLIGÉE fut saisie d’une telle frayeur qu’elle ne pût plus prononcer une seule parole, entendant qu’elle portait en soi l’image du serpent qui la séparait de Dieu, et que par là le démon la serrait de si près qu’il mêlait des pensées fausses dans sa volonté, qu’il avait un tel pouvoir sur elle qu’elle était si près de la damnation et qu’elle se trouvait captive dans l’abîme de l’enfer, dans la colère de Dieu, tellement qu’elle commençait à désespérer de sa grâce.
45. Mais la vertu de son froissement empêchait qu’elle ne tombât dans le désespoir, de sorte que l’espérance et le doute étaient aux prises chez elle ; ce que l’espérance établissait, le doute le renversait : elle était dans une inquiétude continuelle, tellement qu’enfin le monde avec toute sa beauté lui devint en dégoût, et qu’elle ne pouvait plus y prendre aucuns plaisirs ; toutefois elle ne pouvait encore trouver aucun repos.
46. Une autre fois L’ÂME ILLUMINÉE revint à elle, et la trouvant dans cette angoisse elle lui dit : Qu’as-tu ? veux-tu donc défaillir dans tes angoisses ? pourquoi te tourmentes-tu dans tes propres forces et dans ta propre volonté, quoique tu ne sois qu’un ver, et que par là ta peine ne fasse que s’augmenter ? Oui, quand tu te submergerais dans le fond de la mer, ou que tu pourrais t’enfuir vers l’aube du jour, ou t’élever au dessus des étoiles, tu ne pourrais point encore être délivrée par là : car tant plus tu te tourmentes, tant plus ta nature et ses peines se renforcent, et tu ne saurais avec cela parvenir à aucun repos, car toutes tes forces sont perdues ; comme des choux secs ne peuvent d’eux-mêmes reverdir ni reprendre aucune sève pour se réjouir avec les arbres, tu ne saurais aussi par tes propres forces atteindre la place de Dieu, et te convertir derechef dans ta première forme angélique : car tu es morte par rapport à Dieu, tout à fait comme les choux entièrement privés de leur suc et sève, tu n’es qu’une faim sèche et angoisseuse, tes propriétés sont aux prises comme le chaud et le froid et ne peuvent jamais s’accorder.
47. LA PAUVRE ÂME dit : Que faut-il donc que je fasse pour reverdir de nouveau, et pour reprendre ma première vie, dans laquelle je jouissais du repos, avant que je devinsse un masque ?
48. L’ÂME ILLUMINÉE dit : Tu ne dois faire autre chose que renoncer à ta propre volonté de ta propre amour, alors toutes tes mauvaises propriétés s’affaibliront et se résoudront à la mort, et ainsi tu te replonges avec ta volonté dans l’Un, d’où tu es procédée au commencement : car tu es maintenant captive dans les créatures ; si donc ta volonté les abandonne, alors les créatures meurent en toi avec toutes leurs inclinations, lesquelles t’arrêtent maintenant, en sorte que tu ne peux pas venir à Dieu.
49. Si tu fais de la sorte, Dieu t’envoie au devant son amour souverain, qu’il a manifesté en Christ dans l’humanité : c’est lui qui te rendra le suc et la vie, tellement que tu reverdiras, et que tu te réjouiras derechef avec les vivants de Dieu. Son image sera aussi retracée en toi, et tu seras délivrée de cette image du serpent : alors tu viendras dans notre chœur des anges, et tu seras mon frère.
50. LA PAUVRE ÂME dit : Que faut-il que je fasse pour renoncer à ma propre volonté, tellement que les créatures y meurent, puisque je vis dans le monde, et que j’en dois jouir ?
51. L’ÂME ILLUMINÉE répondit : Maintenant tu réputes l’honneur et le bien temporel et avec cela les voluptés charnelles pour des choses qui t’appartiennent en propre, et tu fais peu d’attention sur la manière dont tu en uses et dont tu te les procures : et bien que tu vois le pauvre dans la souffrance, qui néanmoins est ton frère, tu ne l’en délivres pas, mais tu tâches plutôt de l’assujettir, et tu lui causes de la peine, en tant que tu attires à toi son œuvre et son travail, et tu t’y délectes ; avec cela tu es raide et orgueilleux, tu t’élèves au dessus de lui et tu le réputes chétif au prix de toi.
52. Ainsi l’affligé gémit et se plaint à Dieu de ce que sa peine lui est soustraite, et qu’il est réduit à vivre dans la misère auprès de toi, qui augmentes continuellement tes flammes et tes inquiétudes.
53. Et ce sont là les créatures que tu aimes, et pour l’amour desquelles tu te déromps de Dieu, y ayant attaché ton cœur ; ainsi elles vivent dans ton amour, et tu les nourris par tes désirs et par ton agrément, en tant que tu y introduis la convoitise de ta vie ; cependant ce ne sont que des mauvaises bêtes qui se sont formées en toi par ton amour propre et le plaisir que tu y prends.
54. Et cette image est une bête avec quatre mauvaises inclinations : la première c’est L’ORGUEIL, la deuxième L’AVARICE, la troisième L’ENVIE, et la quatrième LA COLÈRE. Et c’est dans ces quatre propriétés que consiste le fondement de l’enfer, c’est ce que tu portes engravé en toi, et en quoi tu es entièrement captive : car ces propriétés vivent dans ta propre vie, et c’est par là qu’elle est séparée de Dieu ; de sorte que tu ne peux pas venir à lui, à moins que tu ne quittes ces mauvaises créatures, tellement qu’elles meurent en toi.
55. Quant à ce que tu dis que je dois t’apprendre, comme tu peux renoncer à ta propre, mauvaise et créaturelle volonté, tellement ces créatures meurent en toi, et que néanmoins tu puisses vivre avec elles dans le monde : je te dis qu’il n’y a qu’un seul chemin pour en venir là, qui est fort étroit et serré, et qui te paraîtra au commencement très-angoissant pour y marcher ; mais dans la suite tu y marcheras avec joie.
56. Tu dois bien considérer comme dans cette vie du monde tu marches dans la colère de Dieu et dans le fondement de l’enfer : que ce n’est point là ta véritable patrie, et qu’il faut qu’un Chrétien marche et vive en Christ, et qu’il le suive fidèlement ; qu’autrement il ne peut nullement être un Chrétien, si l’Esprit et la vertu de Christ ne vit en lui, tellement qu’il lui soit entièrement adonné.
57. Or le règne de Christ n’est point de ce monde, mais il est dans le ciel : c’est pourquoi tu dois être dans une continuelle ascension si tu veux suivre Jésus, quoique selon le corps tu sois obligé de vivre avec les créatures et de les soigner.
58. La voie étroite à telle continuelle ascension et à l’imitation de Christ est celle-ci : il faut que tu désespères de tout ton propre pouvoir et de tes forces ; car tu n’atteins jamais les portes divines par tes propres efforts : il faut que tu te proposes fermement de t’abandonner tout entièrement à la miséricorde de Dieu, et que tu t’imprimes profondément les souffrances et la mort de notre Seigneur Jésus Christ, t’y plongeant avec ta raison et tous tes sens, pour y persévérer toujours, désirant y mourir à tes créatures.
59. Avec cela tu dois t’imprimer fortement de détourner tes désirs et ton esprit de tout amour faux, de toute attache aux honneurs et aux biens temporels, et éloigner de toi toute iniquité, qui te pourrait faire de l’empêchement : il faut que ta volonté soit pure, sincère et disposée à faire cette sérieuse résolution de ne jamais rentrer en tes fausses créatures, mais de les quitter sans délai, et d’en détourner ton esprit ; de même de marcher de cette heure-là dans le chemin sincère de la vérité et de la justice, et de suivre la doctrine de Christ.
60. Et comme alors tu te proposeras de te défaire des ennemis de ta propre nature, tu dois ainsi pardonner à tous les ennemis extérieurs, et par contre leur donner ton amour, afin qu’il n’y ait aucune créature qui puisse se saisir de ta volonté et t’arrêter, mais qu’elle soit entièrement dégagée de toutes les créatures.
61. Il faut aussi que tu te disposes à abandonner de bon cœur, si tu y es appelé, tous tes honneurs et tes biens temporels pour l’amour de Christ, et que tu ne t’attaches à aucune chose terrestre pour l’aimer, mais tu dois te réputer dans ton état et condition, et dans la possession de tes honneurs uniquement pour un serviteur de Dieu et de tes con-Chrétiens, et comme un économe de Dieu dans ton emploi : il faut que les yeux élevés du propre amour soient abattus et humiliés, tellement qu’aucune des créatures n’y demeure qui puisse introduire les sens en des images.
62. Avec cela tu dois fortement t’imprimer que tu obtiendras certainement la grâce promise dans le mérite de Jésus Christ, qui est son amour écoulant, qui t’affranchira des créatures et éclairera ta volonté, et t’embrasera des flammes de son amour, dont tu seras victorieux de Satan.
63. Non que tu pusses ou voulusses faire quelque chose, mais tu dois t’imprimer les souffrances et la résurrection de Christ, et les embrasser comme des choses qui t’appartiennent en propre, et par lesquelles tu veux détruire et renverser le règne du diable en toi, et faire mourir tes créatures. Et tu dois prendre une telle résolution d’y entrer sur le champ, sans jamais vouloir en sortir, mais d’abandonner à Dieu ta volonté dans toutes tes entreprises, et dans toutes tes actions, afin qu’il dispose de toi et qu’il opère en toi tout ce qu’il lui plaira.
64. Si donc ta volonté et ta résolution est ainsi disposée, alors elle est pénétrée à travers de toutes tes créatures, et elle se trouve purement en la présence de Dieu, environnée du mérite de Jésus Christ. Dans cet état ta volonté peut aller au Père avec l’enfant prodigue, et se prosterner devant lui, devant sa face, pour lui faire sa confession, et mettre toute sa force dans cette opération, confessant devant Dieu ses péchés, sa désobéissance et son détournement, non simplement par des paroles, mais avec une efficace puissante : qui toutefois n’est qu’une telle résolution, car l’âme ne peut rien d’elle-même.
65. Dans cette disposition, lorsque le Père éternel apercevra ton retour à lui avec une telle repentance et humilité, il te fera entendre intérieurement sa voix et dira : C’est ici mon fils que j’avais perdu, il était mort, et il est retrouvé en vie ; Il viendra au devant de toi avec la grâce et l’amour de Jésus, il t’embrassera avec les rayons de son amour, et il te baisera avec l’esprit de sa vertu ; tu y trouveras des forces pour répandre encore ta confession et pour prier d’une manière efficace.
66. Et c’est ici l’endroit commode où tu pourras lutter en ce divin regard ; si tu persévéreras ici constamment, et que tu ne t’en détourneras pas, tu y verras et tu y sentiras de grandes merveilles : car tu sentiras en toi comme Christ donnera en toi l’assaut à l’enfer et brisera tes bêtes, quelles émotions et détresses s’élèveront en toi et comme tes péchés inconnus se réveilleront premièrement, et tâcheront de te séparer de Dieu, et de te faire retourner en arrière ; tu sentiras véritablement comme la vie et la mort seront aux prises, et tu sentiras ce qu’est le ciel et l’enfer.
67. Mais pour tout cela tu ne dois pas te rebuter, mais tu dois demeurer ferme, et ne point prendre la fuite ; à la fin toutes tes mauvaises bêtes deviendront infirmes et s’affaibliront, elles se résoudront à la mort, et ta volonté se fortifiera et sera en état de te soumettre les inclinations mauvaises : et ainsi ta volonté et ton esprit monteront tous les jours au ciel, et tes créatures mourront ainsi chaque jour ; et tu recevras vraiment un esprit nouveau, et tu commenceras de devenir une nouvelle créature, renouvelée à l’image de Dieu, et affranchie du masque de l’image bestiale : ainsi tu reviendras au repos, et tu seras délivrée de ton angoisse.
68. Dès que la pauvre âme eut commencé à suivre ce procédé et à pratiquer ces instructions, elle crut d’être d’abord victorieuse ; mais la porte du ciel et de la grâce était fermée à tous ses efforts, comme si elle eût été rejetée de Dieu et elle ne reçut aucun regard de grâce. Alors elle pensa en elle-même : tu n’es pas encore adonnée purement à Dieu, tu ne veux plus rien prier ni demander de Dieu, mais il faut que tu te livres à son jugement, afin qu’il fasse mourir tes mauvaises inclinations ; tu n’as qu’à te plonger en lui hors de la nature et de la créature jusques au fond, et à t’abandonner à lui, qu’il fasse de toi tout ce qu’il lui plaira, car tu n’es pas digne de lui parler. Ainsi elle s’enhardit de s’abîmer de cette manière, et de renoncer entièrement à sa propre volonté.
69. Et dès qu’elle eut exécuté cette résolution, elle entra dans la conviction la plus vive des péchés qu’elle avait commis, et pleura amèrement sa difformité, de voir que les créatures avaient leur demeure en elle, et toutefois sa douleur ne lui permettait pas de prononcer une seule parole devant Dieu, si non qu’elle méditait au milieu de sa conviction sur les souffrances amères et la mort de notre Seigneur Jésus Christ, quelle extrême angoisse et tourment il avait souffert pour l’amour d’elle, pour la délivrer d’une telle angoisse et misère, et pour retracer l’image de Dieu en elle : elle s’y abîma et commença à déplorer son aveuglement et sa négligence, qu’elle ne lui avait jamais rendu grâces, et qu’elle n’avait jamais médité sérieusement sur une si grande charité, qu’elle avait si mal passé son temps, et qu’elle n’avait point fait d’attention comme elle pourrait être rendue participante de cette grâce ; mais qu’au contraire elle avait pendant ce temps rempli son esprit d’images de vains plaisirs du monde et des choses terrestres, d’où elle avait contracté de telles inclinations brutales, de sorte qu’elle en était maintenant plongée dans la misère, n’osant plus lever les yeux à Dieu de honte et de confusion, qui lui cachait le visage de sa vertu et qui ne voulait plus jeter un regard sur elle.
70. Et lorsqu’elle était dans ces gémissements et dans ces pleurs, elle se trouva attirée dans l’abîme de la cruauté, comme si elle eût été devant les portes de l’enfer, et qu’elle dût maintenant périr : il lui semblait qu’elle allait perdre tous les sens, étant entièrement délaissée ; avec cela elle oublia aussi toutes ses œuvres et tout ce qui la concernait, comme si elle eût dû entièrement se livrer à la mort et n’être plus une créature, tellement qu’elle se livra en effet à la mort, et toutefois elle ne souhaitait autre chose que de mourir et périr en la mort de son Sauveur Jésus Christ, qui avait souffert pour elle un si grand martyre, et qui s’était livré à la mort pour elle ; toutefois dans cette défaillance elle commença à soupirer et à invoquer dans son intérieur la miséricorde de Dieu et à s’y plonger entièrement.
71. Or comme elle s’exerçait de cette sorte, la face gracieuse de l’Amour de Dieu lui apparut, et la pénétra comme une grande lumière : ce qui la rendit en même temps toute tremblante et pleine de joie ; et ce fut alors qu’elle commença à prier à bon escient, et à rendre ses actions de grâces au Très-haut d’une si grande faveur, étant transportée de joie de se voir délivrée de la mort et de l’angoisse de l’enfer.
72. C’est alors qu’elle goûta les douceurs divines, et la vérité de ses promesses : alors tous les mauvais esprits qui l’avaient tourmentée jusque là, et qui avaient arrêté la grâce de Dieu, la délaissèrent sur le champ, et les noces de l’Agneau furent célébrées, et les fiançailles de la noble Sophie avec l’âme ; l’anneau de cachet de la victoire de Christ fut imprimé dans son essence, et elle fut derechef reçue au nombre des enfants et des héritiers de Dieu.
73. Pendant que ces choses se passaient, l’âme tressaillait de joie, et elle commença à opérer dans cette vertu, et de célébrer les merveilles de Dieu, s’imaginant de pouvoir désormais marcher sans interruption dans cette joie et dans cette vertu. Mais il lui survint du dehors des opprobres et du mépris de la part du monde, et au dedans de grandes tentations, tellement qu’elle douta si son fond était de Dieu et si elle avait certainement reçu sa grâce.
74. Car le calomniateur s’approcha d’elle, à dessein d’anéantir en elle cette voie, et de la jeter dans le doute, lui disant dans son intérieur : non, cela n’est point de Dieu, ce n’a été que ta propre imagination.
75. La lumière divine se retira aussi d’elle, et ne faisait que fumer un peu dans le fond intérieur, comme un feu couvert, de sorte que la raison se regardait comme tout à fait folle et abandonnée, et elle ne savait où elle était, s’il était certain qu’elle eût ressenti la lumière de la grâce divine, et toutefois elle ne pouvait s’en départir.
76. Car l’amour ardent de Dieu avait été semé en elle, d’où il résultait une grande faim et soif des douceurs divines, et elle recommença à prier à bon escient et à s’humilier devant Dieu, et à sonder soigneusement toutes ses mauvaises inclinations en des pensées et à les rejeter.
77. Par là la volonté de la raison fut brisée, et les mauvaises inclinations naturelles furent de plus en plus mortifiées : ce qui causa beaucoup de douleur à la nature du corps, et la fit tomber dans une défaillance comme dans une espèce de maladie ; toutefois ce n’était pas une maladie naturelle, mais seulement une espèce de mélancolie de la nature terrestre du corps, par où ses fausses convoitises étaient rompues.
78. Or la raison charnelle se trouvant ainsi abandonnée, et la pauvre âme voyant qu’au dehors elle était exposée au mépris du monde, parce qu’elle ne voulait plus marcher dans la voie des impies, et qu’aussi elle était attaquée au dedans par le calomniateur, qui se moquait d’elle et ne cessait de lui mettre devant les yeux les richesses, la beauté et la gloire du monde, la réputant pour une folle ; elle pensait : ô Dieu Éternel ! que faut-il que je fasse pour parvenir au repos ?
79. Dans cette méditation elle rencontra derechef L’ÂME ILLUMINÉE, qui lui dit : Qu’as-tu mon frère, que tu es si triste ?
80. L’ÂME répondit : J’ai suivi ton conseil, sur quoi j’ai reçu un rayon de la douceur divine ; mais elle s’est retirée de moi, et maintenant je me trouve délaissée, et en de grandes tentations : extérieurement devant le monde, car tous mes meilleurs amis m’abandonnent, et se moquent de moi ; je suis aussi intérieurement assiégée de doutes et d’anxiétés, et je ne sais ce que je dois faire.
81. L’ÂME ILLUMINÉE dit : Maintenant tu me plais bien : car c’est maintenant que notre doux Seigneur Jésus Christ marche avec toi et en toi dans la voie de son pèlerinage terrestre, comme il a fait ici bas dans ce monde, où il a toujours été exposé à des contradictions, et où il n’avait rien en propre ; maintenant tu portes sa marque, ne t’en étonne pas, car il faut que cela soit ainsi, afin que tu sois purifiée et éprouvée.
82. Car dans cette tribulation tu auras souvent occasion de prier Dieu par une ardente faim et désir après la délivrance ; et par une telle faim et soif tu attires la grâce de Dieu intérieurement et extérieurement en toi.
83. Car il te faut croître par le haut et par le bas dans l’image de Dieu : comme un jeune arbre est agité par les vents, et est exposé au froid et au chaud, et qui tire en soi des forces par le haut et par le bas, et il faut qu’il essuye plusieurs bourrasques, de sorte qu’il court bien des risques avant que d’être un arbre fait capable de porter du fruit : car dans cette agitation la vertu du soleil devient mobile en lui, dont les qualités sauvages doivent être teintes et pénétrées pour prendre de l’accroissement.
84. Maintenant il faut aussi que tu prouves ton combat de chevalerie en l’esprit de Christ, et que tu coopères toi-même : car c’est maintenant que le Père éternel engendre son Fils en toi par sa puissance de feu, qui change son feu en une flamme d’amour, tellement que le feu et la lumière deviennent une même chose ; et c’est là un véritable temple de Dieu.
85. Maintenant il faut que tu reverdisses dans le Cep de Christ dans la vigne de Dieu, et que tu portes des fruits par la doctrine et par la vie, et que ton amour, comme étant un bon arbre, fasse paraître sa fertilité : car c’est ainsi que le Paradis doit reverdir en toi par la vertu de Dieu, et que l’enfer doit être converti en ciel en toi.
86. C’est pourquoi ne te laisse pas détourner par les tentations de Satan, car il combat pour le royaume qu’il avait usurpé en toi : s’il vient à le perdre, il sera couvert de honte, et il sera réduit à prendre la fuite ; c’est pourquoi il te couvre au dehors avec la moquerie du monde, afin que sa honte ne vienne pas en évidence, et que tu demeures cachée aux yeux du monde.
87. Car dans ta nouvelle naissance tu es dans le ciel, dans une harmonie divine ; c’est pourquoi sois patiente, et attends le Seigneur : en tout ce qu’il te survient, souviens-toi seulement que c’est le Seigneur qui le fait pour ton amendement. Ainsi L’ÂME ILLUMINÉE se retira.
88. Cette ÂME TRAVAILLÉE commença donc sa course dans la patience, dans l’espérance et dans la confiance en Dieu, prenant chaque jour de nouvelles forces : ses mauvaises inclinations mouraient aussi de jour en jour, jusques à ce qu’elle parvint à un degré de grâce fort sublime, et que les portes de la manifestation divine lui furent ouvertes, et le royaume des cieux fut manifeste en elle.
89. Ainsi elle rentra dans le vrai repos, et redevint un enfant de Dieu. Qu’il lui plaise de nous accorder à tous la même grâce !
Amen.
Huitième Traité.
Écriture Consolatoire
Des
QUATRE COM-
PLEXIONS.
C’est à dire,
Instruction au temps de la tenta-
tion, pour un cœur continuel-
lement triste et tenté.
D’où la tristesse vient et tire natu-
rellement son originel : comme
la tentation se fait.
Avec ses dictions consolatoires.
Très-utile aux âmes et cœurs
tentés.
Écrite au désir,
en Mars l’an
1622.
Des Causes de la Crainte et de la
Tristesse : ce que c’est que la Cons-
ternation et l’Angoisse.
I.
TOUTE tristesse et toute crainte, lorsque l’homme est saisi de frayeur et d’étonnement, en soi-même procède de l’âme : car l’esprit extérieur des astres et des éléments ne s’épouvante point, d’autant qu’il vit dans sa mère qui l’a engendré ; mais la pauvre âme en Adam est entrée dans une habitation étrangère, savoir dans l’esprit de ce monde, où cette aimable créature est cachée et détenue dans une sombre prison.
2. Or l’esprit de ce monde a quatre habitations, dans lesquelles ce précieux joyau est enserré : entre ces quatre habitations il y en a une qui est principalement manifeste dans l’homme, et non pas toutes quatre également, et cela suivant les quatre éléments, lesquels chaque homme a en soi, et l’homme est cette essence même, à la réserve de l’âme, qui n’est pas cette même essence, mais elle y demeure captive ; toutefois il n’y a qu’une de ces loges ou de ces formes entre ces quatre qui ait le souverain gouvernement de la vie. Ces quatre se nomment (1) le Tempérament ou la Complexion Colérique, (2) le Sanguin, (3) le Flegmatique, (4) le Mélancolique.
3. I. Le tempérament ou la Complexion Colérique est de la nature et propriété du feu ; elle donne un courage fier, elle porte à la colère et à l’emportement, elle rend les hommes arrogants adonnés à leurs opiniâtretés, et qui n’ont d’égard pour personne. Selon le monde extérieur elle paraît comme une lumière de feu, elle agit selon la puissance du soleil, et voudrait volontiers toujours dominer.
4. II. Le tempérament ou la Complexion Sanguine est de la nature de l’air, subtile, amiable et gaie, toutefois elle n’est pas d’un grand courage, elle est changeante, et passe facilement d’une chose à une autre, elle reçoit naturellement la propriété des astres et leur sagacité dans son essence, elle est modeste et pure, et elle est capable de comprendre de grands mystères dans sa science.
5. III. Le tempérament ou la Complexion Flegmatique est suivant la nature et la propriété de l’eau, charnelle, grossière, molle, d’une volonté efféminée, d’une conception assez médiocre, mais elle retient fortement ce qu’elle a une fois conçu : elle n’apprend point d’art qu’à force de leçons et de sons, n’étant capable de rien inventer de sa propre racine ; tout lui est bon, elle ne se tourmente de rien, elle tire quelque lueur de la lumière, elle n’est jamais ni trop triste ni trop portée à la joie, mais elle est en toutes choses fort indolente et indifférente.
6. IV. Le tempérament ou la Complexion Mélancolique est de la nature et de la propriété de la terre, froide, roide, sombre, triste, affamée de la lumière (comme la terre) et toujours dans la crainte de la colère de Dieu.
7. Car la terre et les pierres ont été prises hors de l’essentialité éternelle, c’est à dire, dans le désir enflammé du Fiat, selon la propriété de la colère et de l’amour, c’est un mélange du bien et du mal : le bien est toujours en crainte contre le mal, et c’est une suite continuelle, le bien veut toujours s’éloigner du mal, comme on le peut voir dans les métaux, dont la teinture est bonne, et toute la terrestréité est mauvaise et furieuse ; de sorte que la teinture des métaux cherche toujours de s’enfuir de la terrestréité, singulièrement lorsqu’elle est atteinte de l’astre malin, et elle veut toujours sortir de son centre : c’est là ce qui fait croître les métaux, car la teinture pousse ses désirs hors d’eux, et cherche à s’envoler, mais elle acquiert par nos désirs une essence si amiable, semblable à ce que cet esprit ou ce désir est ; et c’est de là que procède le corps métallique.
8. La nature mélancolique est sombre et aride, elle donne peu d’essentialité, elle se dévoue en soi-même, et demeure toujours dans la maison de tristesse : quand même le soleil répand sa clarté en elle, elle demeure néanmoins triste en elle-même, il est vrai qu’elle reçoit quelque soulagement de la splendeur du soleil ; mais dans les ténèbres elle est toujours dans l’appréhension et la crainte des jugements de Dieu.
Ici un Esprit de tristesse doit remarquer.
9. Que lorsque l’une de ces complexions prédomine dans un homme, tellement qu’il y est complexionné, la pauvre âme, comme étant un précieux joyau, est renfermée dans cette demeure, et est obligée pendant le temps de cette vie (si elle ne peut atteindre parfaitement la lumière divine) de s’aider de la lueur du soleil, puisque l’œil de la lumière divine lui a été fermé en Adam dans la source terrestre, où elle était entrée : l’âme en Adam a laissé entrer en soi les complexions extérieures, savoir l’esprit du grand monde, des astres et des éléments.
10. Or pendant le temps de cette vie elles habitent l’une dans l’autre, l’âme dans les complexions, et les complexions dans l’âme ; toutefois elles ne se saisissent pas mutuellement dans l’essence : l’âme est plus profonde que l’esprit extérieur, mais pendant le temps de cette vie ils sont liés l’un à l’autre, comme le monde intérieur et extérieur, quoique l’un ne soit pas l’autre ; ainsi l’esprit extérieur n’est pas l’âme non plus.
11. De plus il faut savoir que l’âme dans sa substance est une source de feu magique de la nature de Dieu le Père, un grand désir pour la lumière : de même que Dieu le Père désire de toute éternité avec une grande ardeur son cœur comme étant le centre de la lumière, et dans sa volonté désirante il l’engendre par la propriété du feu comme le feu engendre la lumière.
12. Or il ne peut avoir aucun feu que la racine du feu n’y soit, comme le centre ou la figure à la nature, que l’âme a aussi en soi, et brûle (tend avec ardeur) à sortir des figures vers la nature, comme du monde ténébreux, qui se pousse dans sa source ou dans son désir jusques à ce que le feu s’allume : car elle cherche la liberté, qui est la lumière, comme on le peut voir dans le livre de la triple vie.
13. Puis donc que l’âme est un feu d’esprit magique affamé, elle désire l’essentialité spirituelle, savoir la vertu, par laquelle elle peut conserver sa vie ignée et adoucir la source de feu.
14. Maintenant on peut fort bien comprendre comme l’âme s’est détournée en Adam par désobéissance vers l’esprit de ce monde, et a mangé de l’esprit du monde extérieur : et c’est pour cela que Christ a été fait homme dans notre essence, afin qu’il l’introvertît de nouveau par le centre et par le feu divin dans la lumière, qui est le monde de la débonnaireté ; c’est ce qui a été exécuté en la Personne de Jésus Christ.
15. Mais parce que notre âme, dès le sein de notre mère, n’est tournée que vers l’esprit du grand monde dans les complexions ; ainsi elle mange aussitôt de l’esprit de ce monde dès le ventre, et même dans le ventre de sa mère.
16. L’âme mange de la viande spirituelle, savoir l’esprit de la figuration des complexions, non pas toutefois entièrement de leur essence, mais d’une manière magique ; c’est son embrasement ; la complexion dans ce feu de l’âme devient participante de la nature de l’âme : c’est comme le bois et le feu mis à l’opposite l’un de l’autre (la complexion est le bois, et l’âme est le feu) ; il faut du bois pour le feu, savoir, ou la complexion extérieure, ou bien une divine essentialité de l’Essence de Dieu ; il faut qu’elle mange de l’une ou de l’autre, à faute de quoi il faut qu’elle meure, quoiqu’il n’est pas possible qu’elle périsse, puisqu’elle est un désir : or là où il y a un désir, il y a une substance ; le désir se fait une substance à soi-même.
17. Il est aisé maintenant de comprendre pourquoi il y a une si grande différence entre les hommes, tant à l’égard de leurs volontés que de leurs actions. Car selon ce dont l’âme mange, et selon ce qui allume le feu de sa vie, c’est selon cela que la vie de l’âme règle sa conduite : si l’âme se détourne de sa complexion pour se tourner vers le feu de l’amour divin dans l’essentialité céleste, qui est la corporalité de Christ selon le monde angélique lumineux : alors elle mange de la chair de Jésus Christ, c’est à dire de sa chair céleste, comme étant son éternelle essentialité de la mansuétude, de la lumière de la Majesté, en laquelle le feu de Dieu le Père dans sa splendeur forme une teinture, dans cette même essentialité comme dans la source d’eau de la vie éternelle, dont Jésus Christ parle quand il dit qu’il nous donnera à boire de cette eau de vie : c’est de cela que le feu de l’âme mange, savoir l’essentialité céleste et divine, qui est convertie dans la teinture en sang céleste, je parle dans un sens spirituel ; c’est de là que l’âme acquiert une volonté divine, et qu’elle retient le corps en bride pour faire ce qu’il ne voudrait pas, selon sa propre forme et l’esprit de ce monde ; en tant que la complexion ne doit pas régner dans l’âme, mais elle demeure seulement dans la partie charnelle, et régit ce qui regarde la chair et le corps extérieur. Quant à l’homme, il recherche la parole de son Dieu, et soupire continuellement après lui : son inclination est toujours de parler de Dieu, il voudrait toujours goûter de plus en plus les douceurs divines ; mais il est couvert et en est empêché par la complexion, de sorte qu’il y a toujours en lui du combat.
18. L’âme combat contre la complexion, car en cette vie elles sont liées ensemble, et la complexion combat contre l’âme ; celle-ci voudrait bien toujours entrer dans le feu de l’âme, et s’y allumer, pour vivre juste : car lorsque l’âme mange de la parole de Dieu, la complexion selon la vie extérieure tombe comme en défaillance, et devient comme captive, quoiqu’elle vive en elle-même.
19. Mais quant à l’âme, elle est pleine de confiance, parce que l’amour de Dieu, qui seul vient au secours à sa substance, lorsqu’elle mange de l’essentialité de cet amour, introduit un triomphe et un goût si divin dans la complexion qu’elle devient toute tremblante et remplie d’une haute exultation divine, et qu’elle ranime tout le corps comme si le Paradis était présent ; mais cela ne dure pas toujours, car l’âme se trouve bientôt couverte de quelque autre chose qui tombe dans la complexion, ou que l’imagination extérieure de l’esprit de ce grand monde y introduit, dont il se forme en elle un miroir, et elle commence à y imaginer : et ainsi elle sort de l’esprit de Dieu et est souvent embourbée, si la Vierge de la Sapience divine ne la rappelait de retourner, laquelle Vierge est proposée à l’âme pour un miroir.
Pour traiter plus avant des quatre Complexions.
20. Lorsque l’âme imagine dans la complexion et qu’elle en mange, en se détournant de la parole et de la volonté de Dieu, elle agit alors selon la propriété de la complexion, et elle reçoit tout ce que les astres jettent dans la complexion ; tout ce que l’esprit de ce grand monde y introduit par son imagination. Elle se laisse éblouir par les désirs de la complexion dans toutes les choses extérieures, en tout ce que fait le monde de paroles et d’œuvres : le désir de la complexion introduit ces choses dans le feu de l’âme, dont le feu de l’âme brûle.
21. On peut voir ici comme toutes les mauvaises œuvres et actions brûlent dans le feu de Dieu le Père, dans lequel l’âme se trouve : car tout ce qui n’est pas conforme à l’amour de Dieu, l’amour ne peut point le recevoir. En outre on trouve ici ce qu’est et en quoi consiste le péché, comme Dieu est irrité lorsque l’homme par le feu de son âme ou par sa vie y introduit de telles abominations, que l’homme a accoutumé de commettre, lesquelles détiennent l’âme de l’amour de Dieu et rendent son feu tout à fait ténébreux par rapport à la sagesse et à la lumière divine.
22. Car l’Esprit de Dieu n’entre point dans le brûlement de feu ou dans une vie pleine d’abominations, jusqu’à ce que l’âme s’en retire de nouveau, et qu’elle se lave dans l’eau de la vie éternelle, ce qui se fait par une repentance sérieuse : c’est là où elle est renouvelée dans le feu de la mansuétude divine, et dans le saint Esprit, comme un enfant nouvellement né, et qu’elle recommence de boire de cette eau et qu’elle vit avec Dieu.
Des quatre Complexions avec
leurs propriétés :
Qu’est-ce que l’âme et
l’homme entier font, lorsque l’âme
n’allume sa vie de feu que
de la complexion et des
astres.
I. La Complexion Colérique selon le feu.
23. Lorsque la vie de l’âme est environnée de la complexion colérique, elle est ardente, furieuse, orgueilleuse et consumante : elle fait aussi que le corps est maigre, malicieux, furieux et colère ; et lorsque l’âme y introduit son imagination, elle enflamme encore davantage la complexion, car elle est aussi ardente : c’est alors que la colère, l’orgueil, le désir de s’élever en puissance et en pompe, et de mettre tout sous ses pieds, s’emparent de l’homme, et qu’il vient à mépriser les misérables et à tyranniser ceux qui se mettent à genoux devant lui, n’ayant aucun égard s’il meurt dans la colère, à moins que les astres ne l’empêchent, lesquels souvent se joignant à la complexion y mettent de l’obstacle et empêchent beaucoup de choses.
24. Ceux qui sont dans cette complexion sont dans un grand péril lorsque l’âme vit de son imagination extérieure, elle est dans de terribles liens si une source de feu est jointe à une autre.
25. Le démon furieux a un puissant accès en elle, car la propriété du feu lui sert (est propre), il est lui-même orgueilleux et envieux, et telle est aussi la complexion. Oh ! qu’il est difficile à l’âme d’échapper, lorsqu’elle est entièrement enflammée dans cette propriété ! Le démon n’a pas besoin de la tenter, elle le suit d’elle-même avec plaisir en tout ce qu’il souhaite, elle ne s’attriste pas facilement : car elle a dans sa complexion une lumière ignée, et elle s’imagine toujours que c’est la lumière et qu’elle est sur le bon chemin ; et cependant elle n’est qu’une volonté et un esprit orgueilleux, envieux, colère, violent et oppresseur, aussi longtemps que l’âme ne suit que les mouvements de la complexion. Oh ! qu’elle se plaît à étaler des belles apparences avec faste, qui procèdent de sa complexion de feu et de sa vertu apparente ; dans son orgueil et arrogance extrême, elle veut aussi avoir la réputation d’être sainte. Ô démon transformé en ange, que tu es ténébreux lorsque la complexion est détruite dans la mort !
II. La Complexion Sanguine selon l’air.
26. La complexion sanguine est douce, lumineuse et pleine de joie, selon la propriété de l’air : elle est sensée, débonnaire et amiable ; elle se conforme à la vie.
27. L’âme qui est environnée de cette complexion, qui y introduit son imagination et qui veut vivre selon elle se montre amiable, rusée et veut faire beaucoup d’expériences, qui aussi lui réussissent : elle apprend dans la complexion tout ce que les astres font ; elle est gaie, et toutefois aussi bientôt sans courage devant la puissance du feu (comme devant la fureur d’un plus Grand), mais en elle-même elle est forte dans son propre sens, agissante sans conseil ; elle est d’une raison pénétrante par la complexion selon l’esprit extérieur ; il ne lui arrive pas aisément de faire du mal dans la colère ; tantôt elle est élevée et d’un grand courage, et tantôt abattue comme l’air : elle doit se tenir sur ses gardes, car le diable la hait, mais il ne peut pas avoir beaucoup de pouvoir sur elle dans la complexion ; il voudrait bien la troubler, et l’engager dans une multitude de pensées, pour l’empêcher d’introduire son imagination dans le royaume de Dieu ; il lui propose des choses extraordinaires pour lui faire perdre son temps : elle étudie volontiers en beaucoup de choses, car les astres jettent son imagination dans l’air, d’où elle conçoit beaucoup de pensées inaccoutumées et vagues.
28. Un tel homme mène une vie faible, familière avec chacun, vertueuse et simple ; mais le démon incite puissamment ses ennemis contre lui : il a beaucoup à souffrir, mais il passe facilement à travers, comme l’air qui pénètre aisément à travers de quelque chose : il arrive rarement qu’il soit attristé, car il n’a pas un cœur qui ait beaucoup de feu, aussi la terreur ne fait pas non plus de grands ravages en lui ; il faut pourtant qu’il se donne garde de la lubricité et de l’idolâtrie, puisqu’en cela le diable à un accès dans la complexion.
III. La Complexion Flegmatique selon la nature de l’eau.
29. Lorsque l’âme est enveloppée dans cette complexion et que le souffle de sa vie en procède, c’est alors une vie épaisse, enflée, stupide, presque vilaine et légère, un corps grossier et un petit génie : cependant à force de leçons on peut y introduire les choses communes ; que si la puissance de la lune n’y intervient, c’est une véritable souche, et avec cela fort adonnée à l’injustice par la force de la lune.
30. On peut tailler tout ce que l’on veut de cette complexion : l’esprit de l’eau reçoit toutes sortes de choses, tantôt du bien, tantôt du mal ; l’homme dans cette complexion devient aisément lui-même un saint hypocrite, il présume de mener une vie juste et pieuse, mais elle est mélangée. L’eau a du brillant : aussi l’âme ne s’aperçoit pas facilement de la colère de Dieu et du monde ténébreux qui est dans son centre ; elle avale à long trait les souillures du monde, et les couvre sous le brillant de l’eau, pensant que c’est la splendeur de Dieu.
31. Le diable peut introduire dans cette complexion toutes sortes de vices, qu’il sait forger dans l’enfer ; à moins que l’astre ne les détourne et que l’âme n’y consente, il ne gagne pas moins dans cette Complexion que dans le feu dans la complexion colérique : car on y fait fort peu de cas du péché, comme un fleuve rapide s’en coule. Le démon y a aussi le pouvoir de tenter l’âme par la tristesse, lorsqu’elle veut lui échapper : car il obscurcit le brillant de l’eau par le moyen des péchés qu’il y introduit, et entoure l’âme pour l’empêcher de retourner à Dieu. Mais dans l’assaut de l’âme, s’il voit qu’elle fasse effort pour lui échapper de la maison de la tristesse, il n’y peut pas tenir bon, la complexion est trop faible, il se peut mieux maintenir dans le feu.
IV. La Complexion Mélancolique selon la terre.
32. La complexion mélancolique ressemble à la terre triste : elle est toujours dans la crainte de la colère de Dieu qui est entrée en elle dans la création ; cette complexion produit dans l’homme un esprit médiocre, toutefois un peu profondément pensif.
33. Lorsque la chambre de la complexion est ouverte, elle peut comprendre beaucoup de choses, à moins que la mélancolie ne l’empêche. Lorsque l’âme est environnée de cette complexion et qu’elle en mange, son brûlement de feu devient tout à fait obscur et fort triste : elle fait peu de cas des vanités mondaines, elle est continuellement, par la complexion mélancolique et craintive, comme la terre ; le diable la tente rudement, et voudrait toujours la précipiter dans les ténèbres, dans son règne.
34. Car il entre volontiers là où il fait obscur, il présente des fantômes à l’âme, et l’effraye par sa malice pour la porter à désespérer de la grâce de Dieu : car l’âme dans cette chambre de la mélancolie ne lui introduit guère qui lui puisse servir, à moins qu’il ne puisse la porter au désespoir et à une totale impiété ; mais lorsqu’il peut pousser l’âme dans cet état, le corps peut aisément devenir un meurtrier et un voleur, tout lui devient égal, soit l’homme, Dieu ou le démon : car si elle se jette dans le désespoir, et qu’elle s’adonne à sa complexion, tout ce qu’elle fait avec elle, cet homme fait tout ce que l’astre opère dans la complexion, et le démon ne manque pas d’y mêler son imagination.
35. Mais si elle persiste à combattre contre la triste complexion, il n’y a aucune de ces quatre complexions où moins de vices peuvent être introduits : car elle est toujours aux prises avec le démon, et elle connaît qu’il est son voisin bien proche, car les ténèbres sont son habitation ; c’est pourquoi il attaque si volontiers la complexion mélancolique et cherche ou à la retenir dans les ténèbres, ou à la précipiter dans le désespoir et dans un total découragement.
36. Car il sait bien ce dont l’âme est capable ; lorsque la lumière divine vient à s’allumer en elle, alors elle lui embrase son repaire des voleurs, où il est couvert de honte, voyant ses artifices découverts.
37. Il n’est point de complexion où la volonté de Satan se manifeste plus que dans celle-ci, lorsque la lumière divine est allumée dans l’âme, comme les âmes angoissées le savent fort bien ; lorsqu’elles font sauter son repaire de voleurs, elles reconnaissent bientôt dans leur complexion dans la nature quel esprit infâme et impudent il est : après cela il ne s’en approche pas volontiers, à moins qu’il ne voie que l’âme entre dans la sécurité et dans la maison du péché pour banqueter ; pour lors il s’approche de l’âme comme un chien flatteur ; afin que l’âme ne le reconnaisse pas, il y répand du sucre, et lui attribue de la piété, jusques à ce qu’il la puisse réintroduire dans la complexion pour lui faire manger des viandes de la tristesse.
38. Oh ! avec quelle ruse la hante-t-il, comme un oiseleur tend ses filets aux oiseaux ! Il l’épouvante dans ses prières (singulièrement de nuit quand il fait obscur), il introduit en elle son imagination, tellement qu’il lui semble que la colère de Dieu est sur elle et qu’elle va la précipiter : il affecte toujours d’avoir un grand pouvoir sur l’âme, et comme si elle était sienne, quoiqu’il n’ait pas le moindre pouvoir sur elle, à moins qu’elle perde tout courage et qu’elle ne s’abandonne à lui ; il ne peut ni la toucher, ni s’en rendre maître spirituellement, tout ce qu’il peut faire, c’est de la darder avec l’imagination par la complexion.
39. C’est la cause pourquoi il attaque l’âme de cette manière, parce que la chambre de la complexion est obscure ; car dans la lumière il ne saurait y introduire son imagination, il ne peut le faire que par le péché de l’homme ; mais dans cette complexion il peut agir ; elle est proche de ses désirs, parce que ces désirs produisent l’obscurité, tellement que la crainte s’y trouve, à cause de la terre grossière : hors de là il n’y a pas le moindre droit de plus que dans les autres ; et tout ce qu’il peut opérer de plus par l’imagination, c’est de jeter l’effroi dans l’homme et de l’intimider ; si l’âme ne se décourage point et ne se livre point elle-même à lui, il tâche bien de l’obliger à se précipiter elle-même, mais il n’ose pas la précipiter si elle ne le fait elle-même.
40. L’âme a une libre volonté ; si elle résiste au démon et qu’elle ne veuille pas ce qu’il veut, il n’a pas même tant de pouvoir pour donner aucune atteinte au corps terrestre qui est assujetti au péché : il se vante bien de son pouvoir, mais il est un menteur ; s’il avait le pouvoir qu’il s’attribue, il le ferait d’abord paraître ; mais nullement, Christ a ouvert à toutes les âmes, par son entrée dans la mort, dans la chambre obscure de la mort et dans l’enfer, une porte où chacune peut entrer ; le lien dont le démon avait lié l’âme en Adam a été rompu à la croix. Oh ! qu’il entend malgré lui parler de la croix ! Elle est sa peste, lorsqu’on s’y prend d’une manière sérieuse.
41. Le démon prend plaisir à reprocher continuellement aux hommes mélancoliques les péchés qu’ils ont commis, il leur représente qu’ils ne peuvent obtenir la grâce, qu’il n’y a pour eux que le désespoir, qu’ils se doivent percer eux-mêmes, se noyer, se pendre, ou meurtrir quelqu’autre personne, afin de pouvoir seulement avoir l’entrée dans une âme, car autrement il n’ose ni peut la toucher.
42. Mais lorsqu’il en peut venir là, qu’elle lui consente de se laisser porter à ces excès, il fait l’office de bourreau, qui lie un prisonnier et le conduit devant le tribunal : toutefois il ne peut lui-même ni le juger, ni lui infliger le supplice, si elle ne le sait elle-même.
Recette pour le démon noir.
Lorsqu’il vient tenter une pauvre âme pour la pousser au désespoir, il n’est (lorsqu’il s’approche) que de lui faire manger cette recette.
43. Le diable est un esprit orgueilleux et superbe ; on ne saurait lui cacher aucun chagrin, de sorte qu’on ne peut mieux faire que de s’armer contre lui d’un généreux courage, et lui témoigner avec une magnanime fierté qu’on ne le craint nullement (car il n’a pas plus de force qu’un fétu) ; on n’a qu’à se moquer de lui et lui reprocher sa chute, comme d’un si bel ange qu’il était il est devenu un diable noir et horrible.
44. Et premièrement lorsqu’il se présente, il ne faut aucunement s’engager à disputer avec lui. Lorsqu’il vient avec le rôle des péchés, et qu’il s’arme avec sa puissance et veut avoir entrée chez soi, ne lui donne d’abord aucune réponse ; mais quand il vient et qu’il livre un assaut à l’âme par l’imagination, qu’il y suggère de mauvaises pensées et qu’il te représente tes péchés, te lançant des regards affreux, comme si par là il voulait t’emporter, arme-toi contre lui d’un fier courage, et lui dis :
45. Hé ! d’où viens-tu, Satan noir ! je te croyais d’être dans le ciel avec les anges, et t’en voilà dehors, et tu te traînes avec le registre de la colère de Dieu : je croyais que tu étais un Prince en Dieu ; comment es-tu devenu un misérable sergent ? un si bel ange est-il donc devenu un valet de bourreau ? si infâme valet de bourreau, qu’as-tu à faire avec moi ? si tu es un serviteur de Dieu, va-t’en au ciel chez les anges ; si non, ôte-toi d’ici, infâme valet de bourreau, va-t’en avec tes anges, tu n’as rien à faire ici !
46. Il avale volontiers cette recette, qui est utile à sa santé. Que s’il ne veut pas se retirer, et qu’il continue à lire le rôle des péchés, tiens-toi debout devant lui, et lui dis : écoute, lis auparavant cette sentence : La semence de la femme brisera la tête du serpent ; si tu ne le sais pas trouver, attends un peu, j’allumerai une chandelle, afin que tu la trouves, elle est au commencement de la Bible ; lorsqu’Adam fut tombé dans le péché, ce fut la première chose qu’écrivit la colère de Dieu, car il faut que la semence de la femme te brise la tête (Gen. 3 : 15). C’est là encore une seconde recette que le diable mange volontiers.
47. Que si encore il ne voulait pas s’éloigner, et qu’il continuât à dire que tu es un grand pécheur, que tu as commis plusieurs grands péchés de propos délibéré, sachant bien que tu faisais mal, que tu as beau penser à te flatter de la grâce de Dieu, que néanmoins sa colère est allumée en toi, et que maintenant tu n’appartiens qu’au démon.
48. Car c’est ainsi qu’une pauvre âme se trouve agitée par l’imagination du diable, tellement qu’elle s’effraye et forme cette pensée : tu es une trop grande pécheresse, Dieu t’a abandonnée à cause de tes péchés, maintenant le démon va se précipiter, et te va faire périr sans ressource, tellement qu’elle commence à tomber devant lui dans la consternation.
49. Lors donc qu’il vient de cette manière, arme-toi de nouveau de courage en Christ contre lui, et lui dis : j’ai encore ceci pour toi, ô Satan, par où tu pourras bien encore devenir un ange ; reçois-le et dis : Le sang de JÉSUS Christ nous purifie de tout péché (I. Jean, 1 : 7) et encore : Jésus Christ est venu chercher et sauver ce qui était péri (Matth. 18 : 11).
50. Que ne donnerais-tu pas, ô Satan, pour que Dieu eût été fait homme en toi ? Pour moi, j’ai toujours une porte ouverte à la grâce, mais non pas toi, tu n’es qu’un menteur, retire-toi, tu n’as rien en moi ; si même je suis pécheur, c’est toi qui est la cause : c’est toi qui l’as opéré en moi par ta tromperie : prends maintenant ce qui t’appartient ; le péché est à toi ; les souffrances et la mort de Christ son à moi : c’est pour cela qu’il s’est fait homme pour nous délivrer du péché ; tu as produit en moi le péché, garde-le pour toi : et mon Seigneur Jésus Christ a opéré en moi la justice de Dieu, je la garde pour moi, ses souffrances et sa mort pour le péché sont miennes : Il est mort pour mes péchés, que j’ai commis, et il est ressuscité dans sa justice, et par là il a embrassé mon âme dans sa satisfaction ; Christ est en moi, et moi en lui, et le péché est en toi, et tu es dans l’enfer.
51. Moque-toi de lui, et lui dis : Hé bel ange ! qui n’a pas pu demeurer un jour dans le ciel ; il était un Prince, et maintenant il se traîne avec le registre des péchés, avec le sac d’ordures. Valet de bourreau, prends mes péchés dans ta besace, aussi bien n’es-tu qu’un valet de péchés, porte-les à ton maître, et j’en serai délivré, et ainsi le mérite de Christ me reste. Jésus Christ a dit (Jean, 10 : 28, 29) : Mes brebis sont entre mes mains, nul ne me les ravira ; le Père, qui me les a données, est plus grand que tous. Comment es-tu devenu d’un si bel ange un porteur de sac de péchés, d’un Prince un misérable sergent ? Retire-toi seulement avec ton sac de péchés, et prends aussi les miens avec toi : tu n’as besoin d’autre chose : quant à mon âme, tu n’y as aucune part ; si tu le peux, dévore-moi, me voici ; mais écoute, j’ai en moi une marque, qui est le signe de la croix, où Jésus a étranglé le péché et la mort, et où il a détruit l’enfer au diable, l’ayant lié dans la colère de Dieu ; mange aussi cela avec le reste, et tu deviendras derechef un ange.
52. Ne t’engage point à disputer avec lui par tes sens, ne t’épouvante pas aussi devant lui, sois seulement hardi, soit que ce soit de jour ou de nuit. Il ne te peut rien faire, quand même tu le traiterais avec un mépris le plus inhumain, lorsqu’il t’en donne du sujet ; hors de là garde-toi bien de t’en moquer.
53. S’il ne vient point avec une épouvante de l’effroi, il n’y est pas ; mais c’est l’épouvante de l’âme causée par l’abîme obscur, elle s’effraye de la colère de Dieu : souvent elle s’imagine que le démon soit là, lorsque ce n’est que la complexion mélancolique qui est infectée de la fureur des astres ; cependant il n’y est point. Lorsqu’il vient, c’est ou avec de terribles frayeurs, ou en ange de lumière, avec une feinte douceur comme un petit chien flatteur.
54. S’il vient dans l’obscurité, et que tu te trouves dans un lieu sombre, et qu’il t’effraye, ne lui cède point la place, ne fuis point devant lui, il n’en est pas digne : moque-toi de lui dans les ténèbres, dis-lui : je pensais que tu étais un ange de lumière, et te voilà dans les ténèbres, qui te tiens en embuscade comme un larron, il y a bien d’autres lieux pour toi, où il y a plus de puanteur, qui te conviendraient mieux, puisque tu ne roules que pour chercher la puanteur des péchés. Toutefois ne le défie pas, de peur de lui donner occasion de t’attaquer.
55. Il n’épouvante pas facilement un homme courageux, singulièrement s’il s’enhardit, et qu’il s’en moque : car il est orgueilleux, et il veut toujours dominer. Lorsqu’un homme ne veut pas lui céder, il en est chagrin et se retire.
56. Que si en partant il laisse de la puanteur après soi, sors-en incessamment, en disant : si puant valet de bourreau ! combien tu pues de la puanteur de ton habitation qui est si puante comme un cloaque ; il ne reviendra pas de longtemps pour t’effrayer.
57. Tu ne dois aucunement t’engager à disputer avec lui dans ton esprit, il ne le mérite point, contente-toi de t’imprimer cette courte sentence, qui suffira pour te rassurer dans tes frayeurs : Le sang de Jésus Christ le Fils de Dieu nous purifie de tout péché (I. Jean, 1 : 7). Enveloppes-y toutes tes pensées, n’en laisse sortir aucune autre chose ; quoique le démon te puisse suggérer par son imagination ce qu’il veut, souviens-toi que ce ne sont que des mensonges que le Diable dit ; mais cette sentence est véritable, retiens-la pour toi, et laisse-lui suggérer tout ce qu’il voudra.
58. Dans tes frayeurs ne cherche pas un grand nombre de passages : il est trop rusé pour toi, il arrache le premier et le meilleur de ton cœur, tellement que tu l’oublies, ou tu viens à en douter : enveloppe seulement ton âme dans ce seul passage, il a assez de force pour lui résister, et (si tu y enveloppes ton âme) tu peux bien te moquer de lui ; il ne saurait te toucher, et même il ne s’arrêtera pas longtemps. Pourvu seulement que tu ne lui cèdes pas, il sera exposé à la moquerie par l’homme devant ses autres serviteurs, et même devant les saints anges : alors il s’enfuit, avant que tu te moques de lui.
59. Répète ce passage, imprime-le dans ton cœur, arme-toi d’un fier courage contre lui ; l’esprit qui est caché dans ce passage te soutiendra puissamment. Et bien que l’âme tremble devant lui, résiste-lui avec une sainte colère, comme si tu voulais risquer ta vie ; il ne t’en arrivera rien : il n’ose exercer aucun pouvoir, aussi n’en a-t-il point ; tandis que l’homme est en cette vie, il ne lui ose rien faire : car JÉSUS Christ a ouvert la porte de la grâce, elle est ouverte au pauvre pécheur pendant toute sa vie ; cette porte de grâce est ouverte dans l’âme de l’homme.
60. Christ a brisé dans son âme la forte serrure qui était renfermée dans la colère de Dieu. Or toutes les âmes influent en une, elles procèdent toutes d’une seule et elles ne sont toutes ensemble qu’un seul arbre avec plusieurs branches : la victoire de JÉSUS Christ est passée à toutes les âmes, de lui à Adam et jusques au dernier homme ; la porte de la grâce est ouverte à tous, Dieu ne l’a fermée à aucun, si non à celui qui la rejette : le signe de son entrée dans l’humanité est manifeste à toutes les âmes ; cela sera aussi un témoignage contre le méchant, au jour du jugement, de ce qu’il l’a méprisée. Quand même nos péchés seraient aussi rouges que le vermillon, dit Ésaïe, toutefois la porte de la grâce lui est encore ouverte : car lorsqu’il se convertit, ils seront blanchis comme la laine et comme neige. Ésaïe dit encore (chap. 49 : 15, 16) : Une mère peut-elle aussi oublier son enfant, qu’elle n’en aie pitié, et quand elle t’oublierait, je ne t’oublierai point : car voilà, je t’ai marqué en la paume de mes mains, savoir dans ses mains percées de clous, et il a gravé dans son côté ouvert l’âme de toutes les âmes.
61. Que s’il y a quelque âme qui ne veuille pas venir, et s’y reposer, et qui veuille mépriser la marque de Christ, ou se laisser couvrir par le démon, c’est sa propre faute ; et quand il viendrait à la couvrir, cependant elle demeure néanmoins empreinte dans le plus grand pécheur qui est au monde : car Ésaïe dit en l’Esprit de Jésus Christ : Quand même une mère viendrait à oublier son enfant (ce qui ne peut pourtant pas arriver sans douleur), toutefois on ne doit jamais oublier son amour et sa grâce. Il n’a point oublié l’âme, quand même par ses péchés elle serait aussi rouge que du sang : car il l’a marquée en son sang et en sa mort, non seulement quelques-unes, mais l’arbre avec ses racines et ses branches. Comme le péché est venu d’un seul homme sur tous, de même aussi la justice de Christ est venue sur tout, dit l’Apôtre (Rom. 5 : 18). Comme le péché a régné à mort sur tous par un seul, de même la justice par Christ règne sur tous par un seul à la vie.
62. Mais quant à ce que tous les hommes ne veulent pas en profiter, c’est leur faute, ils ont une volonté libre. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et dans le Ps. 5 : 5, il est dit : Tu n’es pas un Dieu qui aime le mal (Ézéch. 33 : 1). Je suis vivant (dit l’Éternel), et je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.
63. C’est pourquoi il ne faut pas qu’aucune âme forme cette pensée : la mesure de mes péchés est comblée ; Dieu m’a oubliée, je ne puis être sauvée. Nullement, Jésus Christ l’a marquée en ses mains dans les cicatrices de ses clous : cette âme est une petite branche dans ce grand arbre de toutes les âmes, et elle influe également avec toutes, comme les branches avec l’arbre. Pendant que l’homme vit en ce monde, il est dans l’arbre aussi longtemps que l’âme est couverte de chair et de sang.
De la Tentation qui naît
de la complexion et de
l’astre.
64. Les tentations qui surviennent aux hommes (surtout aux mélancoliques) ne sont pas toutes de Satan, la plupart des tristesses viennent de l’imagination de l’âme ; lorsqu’elle est réduite à rester dans la chambre obscure de la mélancolie, elle est facilement saisie de tristesses et s’imagine que Dieu l’a oubliée, qu’il ne veut rien d’elle : car la complexion mélancolique est sombre, et n’a point de lumière propre comme les autres complexions, mais cela n’appartient pas à l’essence de l’âme ; la complexion durant cette vie est seulement l’habitation de l’âme ; ainsi la sainteté et la justice de l’âme ne consiste pas dans la complexion, mais elle est dans le ciel en Dieu : car St. Paul (Phil. 3 : 20) dit : Notre conversation est dans le ciel. Ce ciel, où Dieu habite, n’est point manifeste dans la complexion, mais en lui-même dans le second principe.
65. Il arrive souvent que les âmes les plus saintes sont ainsi couvertes et accablées de tristesse, et Dieu permet souvent cela pour les éprouver, afin qu’ils luttent pour la noble guirlande de trophée.
66. Car lorsque l’âme obtient la guirlande du Saint Esprit par l’assaut, et par une grande confiance dans le combat, elle est beaucoup plus noble et plus belle que lorsque l’âme n’en est couronnée qu’après la mort du corps, car il est dit dans l’Apocalypse : Celui qui vaincra, je lui donnerai d’être assis sur mon trône, comme j’ai vaincu, et me suis assis sur le trône de mon Père (Apoc. 3 : 21). À celui qui vaincra, je lui donnerai à manger de la manne cachée, et je lui donnerai un caillou blanc, et dans ce caillou un témoignage, un nouveau nom, que personne ne connaît que celui qui le reçoit (Apoc. 2 : 17).
67. Souvent l’astre a une conjonction maligne, souvent il y a de l’obscurité au soleil et à la lune : si alors Mars y jette ses rayons venimeux, et que la conjonction se fasse dans un signe terrestre dans la chambre mélancolique, alors elle effraye terriblement les âmes qui sont enveloppées dans une complexion mélancolique ; elles s’imaginent toujours que c’est la furieuse colère de Dieu, ou le démon, qui vient pour les emporter : car l’âme ressent dans la complexion les rayons venimeux de Mars ; avec cela elle s’aperçoit qu’elle est renfermée dans une loge obscure ; alors elle pense que Dieu l’a rejetée, qu’il ne veut rien d’elle, singulièrement lorsque son imagination entre dans la complexion et y rumine, tellement qu’elle en allume le feu de sa vie ; pour lors elle se trouve dans une angoisse extrême et très-amère, et dans une violente crainte du démon et de la colère de Dieu : alors elle spécule et s’imagine que Dieu ne l’a point prédestinée en Christ à la vie éternelle ; elle est dans une telle détresse qu’elle n’ose pas jeter un regard vers Dieu, elle croit toujours d’être la plus grande de toutes les pécheresses, et que la porte de la grâce lui soit fermée.
68. Cependant ce n’est en vérité qu’une pure fantaisie de l’astre dans la complexion, en laquelle l’âme se tourmente : or dès que l’esprit du grand monde avec la constellation de l’astre s’en aperçoit, il y joue ses tours de folie, et y introduit d’étranges fantômes, de manière que l’âme se tourmente, et que l’esprit extérieur s’allume tout à fait dans la source terrestre, d’où la roue dans le centre de la nature vient à tourner, de sorte que l’esprit ne peut plus être maître des sens et les conserver, et c’est la frénésie, et ce qu’on entend souvent des mélancoliques.
69. Lorsque le démon s’en aperçoit, il y darde son imagination, et tourmente encore davantage la pauvre âme ; toutefois il n’a aucune puissance, mais la source de l’angoisse est la source de la vie : il s’y plaît, car il est sans cela l’ennemi du genre humain.
70. C’est pourquoi nul homme tenté de tristesse ne doit s’imaginer, lorsqu’il en est saisi par la complexion, que ce soit un effet de la disgrâce et de la colère de Dieu, c’est une fantaisie de la complexion et de l’astre. Ne voit-on pas que les plus abominables pourceaux d’engrais de Satan, qui se vautrent tous les jours et à toute heure dans le péché, ne sont point ainsi tristes et tentés : la raison en est qu’ils ont une lumière extérieure dans la complexion, dans laquelle ils dansent au démon sous la forme d’un ange. Aussi longtemps donc qu’il y a dans l’homme une étincelle de lumière qui ne désire que la grâce, et de vouloir être sauvée, la porte de la grâce de Dieu lui demeure ouverte.
71. Car celui qui est abandonné de Dieu, et dont la mesure est comble, un tel homme ne se soucie ni de Dieu des hommes, non pas même du démon, il est tout à fait aveugle, il mène une vie entièrement libertine sans aucune crainte, il n’a rien qu’une coutume extérieure en son culte divin ; une bête entre dans le sanctuaire, et une bête en sort de même, il n’y a chez lui aucune connaissance divine, tout son fait n’est que feinte et coutume, c’est ce qu’il répute pour son sanctuaire.
71. Un esprit mélancolique doit reconnaître par là que ce n’est pas dans cette vie que Dieu manifeste ainsi sa colère : car bien que l’impie soit souvent puni en cette vie, il prend cela comme une chose qui arrive par hasard. Ésaïe dit en la Personne et en l’Esprit de Jésus Christ qu’il ne veut point briser le roseau cassé, ni éteindre le lumignon fumant (chap. 42 : 3).
73. Le Seigneur dit aussi (Matth. 11 : 28) : Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés. Son joug est aussi tout ce que la nature impose à la pauvre âme, que ce soit des tentations, des persécutions ou des maladies, on n’a qu’à les porter en patience, et de s’abîmer en sa miséricorde et en son amour, cela ne peut rien nuire à l’âme, et en vérité c’est son plus grand bien : car tandis qu’elle est dans la maison de deuil, elle n’est pas dans la maison du péché, ou dans l’orgueil et dans les voluptés mondaines ; Dieu la tient en bride par là pour l’empêcher de courir dans les mauvaises convoitises de ce monde : que si elle doit être affligée pour un peu de temps, qu’est-ce ? dans combien peu de temps ne sera-t-elle pas délivrée de la maison de tristesse, et ne sera-t-elle pas couronnée de la couronne de chevalerie de la joie éternelle ? Ô éternité, combien ta durée a d’étendue ! Qu’est-ce que l’âme soit triste pour un peu de temps, pour jouir ensuite d’une joie éternelle ? Car il veut essuyer toutes larmes de leurs yeux. Ainsi tant qu’il y a dans l’âme une petite étincelle qui soupire après Dieu, l’Esprit de Dieu est dans cette étincelle.
74. Car lorsque l’homme a quelque désir de Dieu et qu’il soupire après lui, cela ne vient pas de l’homme, c’est Dieu le Père qui l’attire à soi en son Fils Jésus Christ.
75. Le Saint Esprit est lui-même ce désir divin ; nul homme ne peut désirer Dieu sans son Esprit ; il est dans le désir, et c’est lui qui soutient cette volonté du désir en Dieu, afin que la pauvre âme soit conservée. Saint Paul dit : Nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous devons dire devant Dieu, lorsque nous prions ; c’est l’Esprit de Dieu qui intercède pour nous avec une puissance efficace par des soupirs inexprimables, d’une manière qui soit agréable à Dieu. (Rom. 8 : 26.)
76. Pourquoi donc voulons-nous être longtemps pusillanimes de sa grâce ? Dieu a plus d’empressement à nous recevoir en grâce que nous de la rechercher. Vois de quelle manière le Père traita l’enfant prodigue, qui avait mangé tout son bien avec les vilains pourceaux d’engrais du démon, et qui était devenu un nu et puant berger de pourceaux ; lorsqu’il le vit qu’il s’était retourné vers lui, comment se jeta-t-il à son cou en le baisant, disant : Voici mon cher fils que j’avais perdu, il est retrouvé : il était mort, et il est retourné en vie ; vois comme il commanda qu’on fît un grand festin, et qu’on se réjouît avec lui du recouvrement de ce fils qui avait été mauvais, comme Jésus Christ nous l’enseigne encore quand il ajoute qu’il y a plus de joie au ciel devant les anges pour un pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance (Luc. 15).
77. Le pauvre pécheur, quand il se reconnaît qu’il a été un grand pécheur et qu’il se propose de retourner à la miséricorde de Dieu, est ce fils prodigue : c’est que notre cher Père en Christ lui vient au devant, qu’il l’embrasse ainsi avec une grande joie, et que les anges et les âmes bienheureuses se réjouissent aussi avec exultation de ce qu’une chère âme, un frère bien aimé est arrivé auprès d’eux de la maison du péché, de la mort.
78. Une âme triste s’afflige ainsi pour cela, parce qu’elle ne peut pas exciter des mouvements de joie dans son cœur par ses désirs : elle gémit et se lamente, et s’imagine que Dieu la rejette lorsqu’elle ne peut rien sentir. Si elle regarde les autres dans la joie, qui dans le fond n’ont pas plus de crainte de Dieu qu’elle, elle pense que leur joie subsiste dans l’efficace divine ; mais que pour elle, elle n’est point agréable à Dieu, à qu’il ne la veut point recevoir ; elle voudrait, à quel prix que ce soit, que Dieu se fît sentir à son cœur.
79. Avant que Dieu m’eût ouvert les yeux, il en était de même de moi, j’étais dans un terrible combat, jusqu’à ce que j’eus obtenu ma noble petite guirlande : alors j’appris seulement à connaître comme Dieu n’habite point dans un cœur charnel extérieur, mais dans le centre de l’âme, en soi-même : alors je connus pour la première fois que c’était Dieu qui m’avait ainsi attiré dans le désir ; ce que je ne comprenais point auparavant, je croyais que mes bons désirs venaient de mon propre fond, et que Dieu était loin de moi. Ensuite je vis, et je m’en réjouissais, que Dieu est si miséricordieux, et j’écris ces choses pour servir d’exemple aux autres, afin que, lorsque la consolation tarde, ils ne perdent point le courage, selon le Psaume de David : Mon âme s’attend au Seigneur plus soigneusement que les guets du matin, qui sont la garde du matin. (Ps. 130 : v. 6.)
80. Il en est arrivé de même à de grands saints, qui ont été obligés de lutter fort longtemps pour la noble guirlande des chevaliers : nul n’en est couronné qu’après avoir combattu vaillamment ; elle est bien réservée à l’âme, mais elle est dans le second principe, et l’âme est dans le premier ; si elle veut en être couronnée pendant cette vie, il faut combattre pour elle.
81. Que si elle ne l’obtient pas en ce monde, elle l’obtiendra après cette vie, dans le dépouillement de cette loge terrestre. Car Jésus Christ dit : Ayez bon courage, j’ai vaincu le monde ; et ailleurs : Vous aurez la paix en moi, et de l’angoisse dans le monde (Jean, 16 : 33).
82. La perle précieuse est en plusieurs cœurs tristes et tentés beaucoup plus près qu’elle n’est en des autres, qui croient de l’avoir déjà trouvée, mais elle se cache : car là où elle est le plus intimement, c’est là où elle se découvre le moins ; et quand il semblerait que Dieu ne voudrait pas la donner, que l’âme néanmoins ne s’en effraye point.
83. Cette perle se cache pour obliger l’âme à chercher et à heurter : car JÉSUS Christ dit : Demandez et vous recevrez : cherchez et vous trouverez : heurtez à la porte et elle vous sera ouverte (Matth. 7 : 7). Et ailleurs : Mon Père veut donner son saint Esprit à ceux qui le lui demandent (Luc. 11 : 13).
84. Assure-toi fortement sur les promesses de Dieu ; et quand même ton cœur te dirait toujours non, non, toutefois ne te laisse point effrayer. Car ce n’est point la foi de ressentir quelque joie dans un cœur charnel, dans la complexion extérieure, tellement qu’un esprit soit joyeux dans la chair, que le cœur et les reins tressaillent de joie, tout cela n’est pas encore la foi, ce sont seulement les doux rayons du saint Esprit, un regard divin passager : car Dieu n’habite point dans le cœur extérieur, ni dans la complexion, mais en lui-même, dans le second centre, dans le bijou de la noble image de la ressemblance de Dieu ; elle est cachée dans le monde extérieur.
85. La véritable foi consiste en ce que l’esprit de l’âme avec sa volonté désire et entre par son désir en ce qu’elle ne voit point et qu’elle ne sent point : vous devez savoir que l’âme, touchant ce qui la concerne purement et uniquement, n’est pas en cette vie, néanmoins elle y envoie l’esprit subtil de la volonté, qui procède de la vie de son feu ; c’est dans cet esprit de la volonté que la perle est reçue, afin que le feu de l’âme persévère toujours dans le désir : car aussi longtemps que la perle demeure dans l’esprit de la volonté, aussi longtemps le désir subsiste dans l’âme ; car cette perle est une étincelle de l’amour divin, c’est l’attrait du Père dans son amour.
86. L’âme doit persister dans son désir, quand même la raison extérieure de la complexion ténébreuse y résisterait et qu’elle dirait que Dieu n’y est pas, et qu’elle n’a aucun désir ni volonté qui tende à Dieu : car quand Dieu n’est pas dans l’esprit de la volonté, l’homme est comme aveugle et comme mort par rapport à Dieu, il n’a aucun désir de Dieu, il vit en des opinions, et ne fait aucun cas du désir qu’on doit avoir pour Dieu ; il n’y en rien en lui qui le distingue des autres animaux, qu’une science subtile, parce que l’âme de l’homme est dans un degré plus élevé.
87. C’est pourquoi un cœur triste ne se doit point laisser imprimer de la complexion, que Dieu n’est plus là ni présent, qu’il ne veut rien de lui ; autrement l’âme mange de cette imagination et s’en attriste. C’est un grand mal que l’esprit suggère une telle fantaisie au cœur : car l’âme (qui est une telle créature noble de la nature de Dieu) est angoissée par là ; la fantaisie allume le feu de l’âme, en sorte qu’elle brûle dans cette source des douleurs.
88. Chère âme, souviens-toi, lorsque l’angoisse de la complexion (allumée par les astres) te surprend de cette manière, que ce n’est autre chose, si non que tu es dans la vigne de Dieu ; que tu dois y travailler, et ne pas demeurer oisive, tu rends en cela un grand service à Dieu : ton travail consiste à vaincre dans la foi ; quand même tu ne recevrais aucune consolation dans le cœur extérieur, il n’importe.
89. La foi ne consiste pas à croire ce que je vois ; mais elle consiste en ce que je me confie à l’Esprit caché, et que j’ajoute foi à sa parole, que je perdre plutôt la vie que de refuser de croire ses promesses. Celui-là combat véritablement avec Dieu pendant toute la nuit, comme le bon vieux Jacob, qui ne voit ni ne sent rien, mais qui se confie à la parole de la promesse, celui-là est vainqueur de Dieu, comme il fut dit à Jacob : Tu as lutté avec Dieu et avec les hommes, et tu as remporté la victoire (Gen. 32 : 28). Si tu me demandes quelle est cette parole, je réponds que c’est celle-ci : Mon Père veut donner le Saint Esprit à ceux qui le lui demandent (Luc. 11 : 13). C’est ce que la bouche même de Jésus Christ a prononcé : Quand cet Esprit sera venu, il vous conduira en toute vérité : car il prendra du mien, et vous l’annoncera. (Jean, 16 : 13, 14.)
90. Et afin que tu ne doutes point, et qu’ainsi tu sois assuré, que les tentations et l’épouvante ne procèdent que de la complexion, je m’en vais t’en donner un exemple qui peut arriver à une complexion de feu, et beaucoup plus à un homme mélancolique. Si tu vas de nuit dans une chambre obscure, tu t’effrayes et tu t’imagines toujours qu’il y a quelque chose dans le lieu ténébreux qui te pourrait épouvanter. Quelle est cette peur ? Est-ce la chair qui craint ? Non, ce n’est pas la chair, car si c’était la chair qui s’effrayât, elle n’irait pas là, c’est la pauvre âme captive dans la chair qui a peur dans les ténèbres, elle est toujours en sollicitude que le démon ne la saisisse : car elle sait qu’il habite dans les ténèbres et c’est de là que vient la peur qu’il ne lui mette la main dessus ; il est aisé de voir par là que la peur procède de la fantaisie : il en est de même d’une pauvre âme qui est renfermée dans la chambre d’une complexion qui est toujours obscure, elle est si peureuse qu’elle doit demeurer dans un lieu obscur et qu’elle craint toujours le démon et la colère de Dieu.
91. Une âme qui est dans la complexion mélancolique ne doit aucunement spéculer dans la colère de Dieu, ni rechercher la solitude, mais plutôt tâcher d’être avec des personnes qui s’entretiennent avec elle : car ainsi l’âme s’imprime la fantaisie des discours, et cela l’empêche d’entrer en des spéculations, car il n’y a point de spéculation qui puisse lui être utile ; lorsqu’elle ne peut pas les employer à son salut, qu’elle s’en passe.
92. Un tel homme ne doit aussi lire aucun écrit qui traite d’une élection particulière ; ces gens-là enseignent tout à fait sans intelligence et n’expliquent point cette matière comme il faut, comme le langage du Saint Esprit l’entend et l’a dictée : comme nous l’avons suffisamment démontré dans nos autres écrits.
93. Il ne faut pas non plus qu’une personne qui est dans cet état se serve de beaucoup de livres ; mais qu’elle se tienne simplement à l’Écriture sainte, où elle peut trouver de continuelles consolations.
94. Que si toutefois Dieu a doué cette personne d’un profond sens, de sorte que l’âme ne puisse cesser de méditer, qu’elle s’applique dans la crainte de Dieu et avec des prières continuelles au centre de la nature, qu’elle le recherche ; si elle le recherche, l’âme entre dans le repos : car par là elle voit son fond, et toute crainte et tristesse disparaît devant elle.
95. Je puis parler, et je sais par mon expérience qu’elle est la lumière et l’assurance qui résulte d’avoir trouvé le centre de la nature ; mais nulle propre raison ne le peut obtenir. Il est vrai que Dieu ne le ferme à personne ; mais ce n’est que par la crainte de Dieu et une prière continuelle qu’on le peut trouver : c’est le plus précieux joyau en ce monde ; celui qui le trouve sort de Babel.
96. Il faut qu’une personne sujette à la mélancolie se garde avec un grand soin de l’ivresse, de peur que l’âme ne soit surchargée par une force terrestre : car lorsque le corps se surcharge de boisson, la force terrestre, qui vient de la boisson, saisit entièrement la chambre de la complexion, et mange de la source terrestre, en allume son feu, et s’y égaye même en quelque manière : mais lorsque cette force vient à baisser et à s’affaiblir, c’est à dire, lorsque l’homme sort de son ivresse, l’âme se trouve comme si elle était maudite : car elle perd dans cette source abondante terrestre l’imagination divine ou le désir divin : car l’Esprit de Dieu ne veut point habiter dans l’imagination terrestre ; alors l’âme entre dans un violent repentir, et il lui semble qu’elle est maudite.
97. Ainsi la colère de Dieu se présente à elle, comme si elle voulait la précipiter dans la racine dans le centre, dans les ténèbres ; c’est alors que l’âme est dans la détresse, elle cherche de nouveau ses compagnons de débauche, pour pouvoir encore avoir une joie insensée : c’est ainsi que ses compagnons d’ivrognerie lient un jour à l’autre en débauches, et précipitent leurs âmes dans la disgrâce et dans la colère de Dieu ; je dis fidèlement, comme je l’ai reconnu profondément dans le centre de la nature et dans le principe de la vie.
98. Une âme mélancolique doit aussi se garder de la colère. La colère est son plus mortel poison, et cause le délire, comme on le peut très-clairement reconnaître dans le centre : car la chambre mélancolique est âpre, et ressemble à la terre sauvage, et est presque déserte, elle ne se tient que faiblement à la roue de la nature ; de sorte que lorsqu’il arrive que le feu de la fureur s’émeut avec excès, alors la roue de la nature se tourne en bruit, comme on le voit par le tremblement qui survient au corps.
99. Ainsi donc la chambre de la complexion était si déserte et sans substance, la roue ne peut pas s’arrêter aisément derechef : les sens aussi ne peuvent pas être ramenés à eux-mêmes ; mais tout va en confusion d’une manière tout à fait ardente et furieuse, comme cela se voit dans ceux qui sont dans le délire, comme l’esprit ne peut pas être maître des sens : ainsi celui qui est dans cet état ne sait ce qu’il dit ni ce qu’il fait ; tout va chez lui selon que la roue tourne. Le démon y introduit aussi volontiers son imagination, tellement qu’il en arrive souvent de grand malheur : cette roue est bien dans l’esprit extérieur ; mais la pauvre âme en mange aussi, et alors les choses se passent d’une manière terrible. Toutefois il ne faut damner aucune âme en cette vie : car le signe de la croix est encore en elle avec la porte ouverte de la grâce.
100. Celui qui a une chambre mélancolique se doit garder de l’avarice, et travailler sérieusement à s’en tirer : car elle lui est aussi nuisible que la colère. L’avarice est un désir terrestre, la complexion est aussi terrestre, et la véritable chambre est presque déserte : alors le désir attire la substance terrestre dans cette chambre vide, et la remplit de cette matière ténébreuse qui ne contient du tout rien que la fureur et la colère de Dieu avec fausseté, injustice et une essentialité maligne selon la propriété de la terre ; c’est ce que fait la complexion, comme elle n’est déjà qu’un désir terrestre, entièrement terrestre.
101. La pauvre âme donc en mange par son imagination, et ressent alors dans le brûlement de feu le jugement sévère de Dieu, qui se courrouce contre la fausseté et l’injustice, en tant que dans l’avarice beaucoup de cette vilaine matière est introduite avec elle. Lorsque la pauvre âme se trouve ainsi dans la colère de Dieu, elle commence à douter et à trembler de peur : car elle ne se voit environnée que de choses mauvaises, terrestres, fausses et iniques, qui ne font qu’allumer la colère de Dieu.
Prends à cœur ce fidèle
avertissement.
102. Il n’y a rien de meilleur pour un esprit mélancolique que de mener une vie simple, retirée et sans orgueil, dans un état commun, en quelque lieu qu’il se trouve : en un mot, de mener une vie modérée et sobre, qui ne soit pas chargée de beaucoup de soins ; que s’il ne peut pas les éviter, il faut qu’il n’entreprenne rien sans la crainte de Dieu et sans la prière, alors elle est propre à toutes sortes d’états : car il se peut trouver de très-bons conseils dans la chambre mélancolique : elle est ouverte, pourvu qu’elle demeure sobre : elle pénètre aussi profondément que la complexion sanguine ; mais sans la crainte de Dieu elle n’obtient qu’une raison extérieure, elle cause les plus grands maux dans le monde, lorsqu’elle est ouverte, et dans un signe de Saturne, parce qu’alors ce signe la régit, elle édifie Babel et toutes sortes de fraudes, elle a presque autant de pouvoir qu’elle est triste.
103. C’est pourquoi si quelqu’un connaît que c’est là sa complexion, qu’il n’entreprenne rien sans la prière : qu’il recommande avant toutes choses au Très-haut son cœur, ses sens, son esprit, sa volonté et toutes ses actions entre ses mains très-saintes, et qu’il le prie, qu’il lui plaise être son Régent en tout son vouloir et ses actions ; ainsi il pourra faire beaucoup de bien. Hors de là aucune personne qui est dans les emplois et qui se trouve dans cette chambre ne peut faire aucun bien qui soit agréable à Dieu.
Des autres trois Complexions.
Un miroir commun, dans lequel
chacun se peut mirer :
Ceci a été écrit brièvement, com-
me il m’a été représenté par
la grâce de Dieu.
De la Complexion Colérique.
104. Un homme qui a son plus précieux trésor, savoir sa noble âme, dans une maison colérique, doit sur toutes choses s’exercer dans l’humilité, autrement il est dans un grand danger ; il peut bien verser de l’eau dans le feu, de peur que sa noble image ne vienne à s’allumer : car cette complexion porte à un grand orgueil, à l’opiniâtreté et à l’emportement, elle est en quelque manière élevée ; elle se fait craindre et le place sur les hauteurs, mais elle ne se fait pas beaucoup aimer, à moins que l’eau divine, savoir la précieuse humilité, ne soit versée dans ce feu ; alors cette complexion est digne d’amour et fait paraître son premier éclat.
105. Car cette chambre a un éclat qui lui est propre dans la nature extérieure : ordinairement elle n’est pas bien humble, à moins qu’elle n’ait Jupiter et Vénus dans le signe de la vie ; toutefois sous Vénus elle a son démon, qui la tourmente jour et nuit par l’impudicité.
106. Je le dis pour un avertissement : il y a un grand danger dans cette complexion, et beaucoup plus grand que dans la mélancolique : car ici le démon vient en forme d’un ange de lumière dans une splendeur de feu ; il chatouille la pauvre âme à se servir de la lueur de feu, et par là il la rend magnanime. Tout lui est représenté facilement : elle se laisse facilement entraîner dans le péché, à jurer, à blasphémer et à tenir des discours légers contre Dieu, qui déshonorent son Nom et souillent l’âme ; ces choses ne sont pas rares de cette chambre ; l’essence furieuse de feu retient l’esprit, en telle sorte qu’il n’entre qu’à grande peine dans l’amour de Dieu et dans la débonnaireté, singulièrement dans une vraie abstinence et repentance ; elle persévère toujours volontiers dans la colère, elle se fait craindre ; si avec cela il arrive qu’elle chemine dans un signe terrestre, elle ne fait pas par sa propre nature beaucoup de bien et qui puisse réussir à la gloire de Dieu.
107. C’est pourquoi celui qui a son précieux trésor enfermé dans cette complexion doit bien prendre garde à ses actions et à toute sa conduite : car la pauvre âme y introduit son imagination et elle en est allumée, sans s’apercevoir qu’elle est dans la colère de Dieu dans le feu infernal, jusques à ce qu’elle s’éveille ou que la lueur extérieure du feu de la complexion soit éteinte par la mort corporelle ; alors elle est un démon superbe et furieux, et elle est réduite à demeurer dans les ténèbres.
108. Pour cet effet il est bon qu’un tel homme n’aspire point par lui-même à la puissance et aux honneurs ; mais que s’il en est chargé, qu’il ne permette pas à son esprit de s’y mirer : car il a un œil enflammé, orgueilleux et malin. Il est ici de la dernière importance de prier Dieu assiduellement.
109. L’âme s’enflamme ici fort aisément, tellement qu’elle reçoit de la joie, mais pour l’ordinaire elle procède du feu de la complexion dans la lumière de feu : alors elle pense que c’est l’Esprit de Dieu ; mais nullement : l’Esprit de Dieu vient tout à fait avec une grande douceur et humilité lorsqu’il se manifeste dans l’âme. Ô quel triomphe n’apporte-t-il pas dans la complexion de feu dans l’âme quand il s’y montre ! Mais aujourd’hui c’est une chose bien rare dans les hommes ; la complexion demeure toujours la maîtresse. C’est pourquoi reçois mon avertissement, deviens humble, adonne-toi à la douceur tant en paroles qu’en actions, ainsi la complexion ne pourra pas si facilement enflammer ton âme : car Dieu aime un cœur humble. Ta complexion ne te tient pas plus éloigné de Dieu : prends seulement garde de n’en point abuser ; fais toutes choses à la gloire de Dieu : ainsi rien ne te pourra nuire ; romps la volonté à ta complexion.
De la Complexion Sanguine.
110. Règle aussi ta vie selon cette complexion, et donne-toi garde de devenir toi-même un hypocrite dans cette noble complexion : tu peux inventer beaucoup de choses par l’étendue de ton esprit ; prends garde que tu n’introduises du chaume et de la paille dans la chambre sanguine, et que tu ne t’imagines que c’est le Saint Esprit : car tu as aussi en ta complexion une lumière apparente qui est humaine ; mais prends-y garde, n’y introduis point de terrestréité.
111. Une vie sobre t’est très-salutaire, garde-toi de l’ivresse, autrement tu tombes entre les bras de ton ennemi : car tu aimes beaucoup de choses ; mais garde-toi d’aimer l’impudicité et l’orgueil.
112. Et quoique tu es naturellement humble, toutefois tu peux très-aisément devenir orgueilleux : car tu portes la demeure de toutes les étoiles, comme l’air et les eaux supérieures.
113. Si tu entres dans la crainte de Dieu, et que tu t’y appliques comme il faut, il te sera aisé de trouver le Grand Mystère ; mais non de toi-même, seulement par le bon Dieu ; toutefois tu as une chambre ouverte pour cela. C’est pourquoi prends garde à ce dont tu nourris ton âme.
114. Car il n’y a rien de si bon qui ne puisse devenir mauvais. Si quelqu’un te méprise, ne t’en soucie point et confie-toi en Dieu : il t’arrive bien des choses à cause de ta figure simple ; tiens seulement ferme ce que tu as, et ne te sers pas beaucoup de finesse d’autrui ; de cette manière tu n’introduis pas en ta noble habitation aucun esprit étranger. Il vaut mieux souffrir ici bas le mépris que de l’angoisse après cette vie.
115. Que si tu te tourmentes par l’ivrognerie, le démon introduira beaucoup de mal et de malheurs dans ta demeure délicate : car il l’a en haine, parce qu’il n’y a point de demeure propre, si non dans l’introduction des péchés : il te serait avantageux de mener une vie retirée et tranquille ; mais tu es trop étendu en esprit, et tu aimes à rechercher beaucoup de choses ; tu les donnes aussi pour rien, comme l’air. Prends garde à ce que tu reçois et à ce que tu donnes, que ce ne soit pas une invention des étoiles, mais une naissance de Dieu ; autrement tu seras trompé, et tu trompes les autres.
De la Complexion Flegmatique.
116. La vérité et la justice serait un excellent remède en toi : car naturellement tu es rempli de mensonge, et tu fais peu d’attention à ce que tu donnes et que tu reçois. Pauvre âme, tu as ici un chemin très-périlleux à travers la mer des afflictions dans cette complexion ; tu seras continuellement souillée par des vices, de paroles et d’œuvres.
117. L’eau a une clarté luisante en soi, et donne une réverbération, ce n’est néanmoins qu’un faux miroir ; ainsi la pauvre âme a dans cette complexion un miroir très-injuste : car l’eau reçoit tout en soi, soit bien, soit mal, elle le tient, et s’en obscurcit.
118. Il arrive de même à cette complexion : elle reçoit en elle les rayons venimeux de tous les astres, et elle les présente comme un miroir à la pauvre âme captive ; elle en est amorcée et effectue dans le corps ce qui dans la complexion n’est qu’un miroir magique.
119. Oh ! que de bonnes et de douces paroles semblables à l’eau douce, qui ne coûtent rien, mais qui au fond ne sont qu’un fiel amer, mêlées par les astres ! Il n’y a presque point de tromperie où cette complexion ne conduise : les mensonges sont le manteau de l’hypocrisie, pour se faire voir avec la splendeur du miroir devant les bons Chrétiens, qui sont en Babel, et cette complexion veut être regardée comme dévouée au service divin.
120. Tu ne t’aperçois point des injustices que tu commets, mais si l’on t’approche un peu trop près avec une étincelle, elle est déjà dans ton miroir : on te pourrait bien donner ce conseil que tu reconnusses que tu n’es qu’un pécheur continuel : et qu’il est du tout nécessaire que tu entres dans une sérieuse repentance, et que tu pries le Seigneur de te conduire par son Saint Esprit, afin que les mauvaises passions des astres puissent être rompues et tenues en bride, tellement que la pauvre âme ne les prenne en soi et devienne ainsi folle.
121. Une vie sobre t’est aussi très-salutaire : toujours veiller et prier, et vivre continuellement dans la crainte de Dieu, sont des choses qui détournent toutes les mauvaises influences des astres. Car celui qui vit au gré des astres, vit comme une bête dans le monde : mais lorsqu’on imprime la crainte de Dieu dans son cœur, l’âme vient à régner sur la vie extérieure et la contraint à l’obéissance ; si cela n’arrive pas, la complexion devient maîtresse de l’âme et son guide : et bien que l’âme ne se puisse pas conduire par ses propres forces, néanmoins la complexion lui présente son miroir élémentaire et astral, dont l’âme se laisse éblouir et surprendre.
122. C’est pourquoi il faut qu’un homme soit homme, et non pas une bête : il faut qu’il règne comme un homme avec son âme, et non point avec le désir de la complexion ; par là il pourra obtenir le bien le plus souverain et éternel, dans quelque complexion qu’il se trouve.
123. Il n’y a point de complexion si noble dans laquelle, si l’homme veut vivre selon les astres, le démon ne puisse prendre son plaisir.
124. C’est donc avec beaucoup de raison que saint Pierre dit : Soyez sobres et veillez, car Satan votre adversaire tourne à l’entour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer (I. Pierre, 5 : 8). Résistez-lui dans la crainte de Dieu, et ne soyez jamais dans la sécurité à son égard.
Ô Seigneur, tu es notre Refuge !
F I N.