De la religion dans ses rapports
avec la science
par
Augustin BONNETY
Revue sommaire de l’histoire de la Science. – Elle a prospéré toutes les fois qu’elle a été unie à la Religion. – Elle a déchu quand elle s’est séparée d’elle.
Qu’est-ce que la Science ? C’est la connaissance intime de cet univers. La nature est un immense tableau dont chacun peut admirer les beautés ; aussi quels yeux ne se plaisent à la vue d’une campagne couverte des brillantes créations du printemps ou des riches tributs de l’automne ! Quelles oreilles ne sont pas sensibles à la douceur de ces chants qui répandent l’harmonie dans nos vergers, et animent le silence des forêts ! Mais il est d’autres beautés, il est d’autres harmonies dans la nature, que l’œil, que l’oreille ne peuvent saisir : ces plantes qui s’épanouissent sous l’éclat du jour, ces animaux qui deviennent nos serviteurs, sont soumis à des lois admirables, cachées, incompréhensibles ; rechercher ces lois, connaître la composition intérieure de ce monde, voir par quelle action Dieu conserve cet univers : tel est l’objet de la Science.
Or qu’est-ce que la Religion ? que veut-elle ? qu’est-elle pour l’homme ? La Religion, telle qu’elle a été entendue dans toute la suite des temps, est la connaissance des volontés, des perfections de Dieu ; croire ce qu’il a dit, faire ce qu’il a commandé, et par conséquent rechercher avec amour et désir ses paroles, les suivre avec dévouement et plaisir : voilà la Religion.
Ainsi la Science a pour but de connaître ces volontés parfaites que Dieu a répandues dans toute la nature, à notre insu, cachant sa main derrière le bienfait, comme s’il tenait peu à ce que nous lui en témoignassions de la reconnaissance : et la Religion a pour but ces autres volontés de Dieu, qui s’appliquent plus particulièrement à nous, qui se sont manifestées et exercées sur nous et pour nous : c’est la science des choses que Dieu a faites à notre usage, et dans laquelle il veut que nous soyons savants.
Ainsi le but de la Religion est le même, en dernière analyse, que celui de la Science, avec la différence qu’elle s’attache à des choses plus nobles, plus relevées, plus intimement liées à notre bonheur ou à notre malheur.
Comment donc a-t-il pu se faire que jamais la Religion et la Science se soient séparées, soient même devenues hostiles l’une à l’égard de l’autre ? Et qu’est-ce à dire que ces attaques que la Religion impute à la Science, et que ces reproches d’ignorance que la Science fait à la Religion ? Ne serait-ce pas ici une de ces déplorables divisions de famille qui contristent tous les cœurs, et pour lesquelles les honnêtes gens doivent offrir leur influence afin de les faire cesser ?
Voyons.
Prouver que la Religion et la Science sont sœurs, c’est déjà prouver qu’ils n’ont point la véritable religion, ni la véritable science, ceux qui prétendent que l’une doit exclure l’autre, ceux qui se vantent d’aimer l’une et haïssent l’autre.
Telles n’étaient point les pensées de l’antiquité, et il n’est pas un peuple chez lequel on ne trouve la Science et la Religion se donnant la main, et marchant d’un commun accord. Et d’abord nous voyons clairement dans nos livres que l’invention et la perfection de tous les ouvrages de l’art sont attribuées à l’intervention immédiate de Dieu, depuis les premiers habits dont l’homme fut revêtu, jusqu’à la construction de ces palais qui flottent sur les mers, dernier effort du génie de l’homme.
Chez les Égyptiens, chez les Gaulois, à Athènes, à Rome, c’étaient les prêtres qui conservaient la Science ; eux qui ont inventé les arts, qui ont recueilli les expériences, gardé les traditions, écrit les histoires qui nous restent. C’est sur l’autel, pour ainsi dire, que la Science a pris naissance, dans les temples qu’elle a été élevée, sous la garde des prêtres qu’elle s’est fortifiée et embellie.
Aussi voyons-nous les peuples fortement pénétrés de cette pensée, que c’était à la Religion que la Science devait ses progrès ; et les savants ne font pas difficulté de lui attribuer ses triomphes. Pythagore, après avoir trouvé un problème difficile, conduit une hécatombe aux pieds des autels ; Hippocrate proclame que les arts sont des grâces accordées primitivement aux hommes par les dieux ; Galien, après avoir décrit les merveilles du corps humain, élève son ouvrage vers le ciel, comme un hymne au Créateur de l’homme.
Sous le paganisme, la Religion dégénérée fit trop pour la Science : non contente d’inspirer, d’encourager les savants et les artistes, elle consacra leurs travaux, et plaça leurs ouvrages sur ses autels. Ainsi, après avoir été divinisés, les arts divinisèrent les hommes, et les uns et les autres se rendirent une mutuelle idolâtrie.
Arrivée à ce point d’élévation, l’orgueil s’empara de la Science, et elle tomba bientôt dans le délire. En son nom, tout fut méconnu, remis en doute, détourné de sa fin. Les arts descendirent au service des passions, les sciences poursuivirent des solutions absurdes. La philosophie tomba dans des contradictions si grandes, si palpables, si évidemment déraisonnables, que les personnes les plus simples, celles qui conservaient le sens commun, tournaient en ridicule ses sentences, ses inventions, ses démonstrations. Aussi toutes les grandes questions de cette époque, la formation du monde, les atomes, l’éther, le mouvement, la matière, Dieu, l’âme, la vie future, sont pour nous un sujet de pitié autant que de tristesse, en voyant dans quelles arguties étroites se consumaient ces hommes qui, de si loin, nous apparaissent encore avec des figures si vénérables, des formes si majestueuses, des mœurs si fortes, si pleines de dignité.
Tandis que la Science se consumait en vains efforts, tournant puérilement sur elle-même dans le même cercle d’errements, le temps vint où la vive lumière de l’Évangile devait éclairer tout l’univers. Alors la Science commença à rentrer dans ses véritables voies : la civilisation se sépara du paganisme, honte de l’humanité ; le philosophe abjura son stoïcisme et ses sophistiques subtilités ; le physicien renonça à ses atomes ; l’astrologue cessa de chercher la terre dans le ciel ; le statuaire brisa ses dieux à moitié achevés, et les arts tous ensemble vinrent rendre hommage à la Religion.
Mais, avant que cette grande révolution fût accomplie, comme si cette civilisation matérielle, ce peuple de statues, ces palais plus somptueux que des temples, ces temples remplis de divinités créées par les arts, tout ce monde, qui semblait le monde des sciences séparées de Dieu, eût été coupable de quelque grand crime, une punition inouïe, un baptême de sang mêlé de cendres lui fut infligé.
Le nord vomit du fond de ses vieilles forêts une race barbare, dont on ne peut expliquer naturellement la barbarie. Elle se constitua l’ennemie personnelle, non seulement des hommes, mais des choses. Naturellement on préfère les douceurs de la vie aux rudes fatigues, aux travaux accablants ; on aime tout ce qui peut procurer aisance, plaisir, sensualité, repos. Les palais superbes, les appartements somptueux, invitent, pour ainsi dire, d’eux-mêmes, à se reposer au milieu d’eux, et captivent par un charme irrésistible. Rien de semblable dans ces hommes du nord : le contact de la civilisation, du luxe et des douceurs de la vie, semble les avoir rendus plus féroces : après avoir tué les hommes, ils coupent la tête, les mains, les pieds aux statues ; ils aiment à précipiter une colonne de sa base, à voir crouler une coupole, à lacérer un tableau. À côté d’une cabane qu’ils conservent, le palais superbe, le dôme élevé sont abaissés jusqu’au sol ; ils jettent le feu dans les villes, et eux, sur les débris épars et les cendres brûlantes, ils se mettent à couvert sous une misérable tente, ou dorment en face du ciel. Oh ! qui pourra nous dire ce qu’avaient fait aux Barbares ces statues, ces temples, ces palais, ces villes entières, qui se donnaient à eux avec tout leur luxe et les embellissements de tous les arts ? Que la Science y fasse attention ; il n’y a jamais eu de guerre déclarée contre elle, que lorsqu’elle s’est trouvée séparée de Dieu.
C’en était fait de la science, fait de la civilisation, de la langue, des lois, de la littérature ancienne, des monuments des lettres et des arts, si la Religion ne fût venue au secours de la Science. Mais alors apparurent tout à coup et comme par miracle des hommes dont la douce voix fut plus puissante que celle des prétoriens et de la milice romaine, et le bâton pastoral plus fort que la terrible épée : seuls ils ne plièrent pas devant les Barbares, seuls ils ne se résignèrent pas à l’ignorance.
Tandis qu’au dehors tout disparaissait, que la religion civile, les rites, les mœurs, les coutumes étaient violemment interrompus et mis en quelque sorte tout vivants au tombeau, et que toute l’ancienne civilisation avec les arts allait périr, alors la Religion appela à elle la Science, et la reçut dans son sanctuaire, seul asile inviolable.
C’est là que, tandis que tout était ignorance, barbarie, férocité au dehors, dans le silence et en secret se préparaient les bases sur lesquelles devait être construit le nouvel état social. Étonnant spectacle ! comme si les sciences avaient eu besoin d’être régénérées par la pénitence des excès auxquels elles s’étaient prostituées, c’étaient des prêtres austères, de fervents cénobites, de ces chrétiens qui disaient qu’il n’y a qu’une chose nécessaire, qui prêchaient que la science enfle, qui faisaient profession de ne savoir qu’une chose, Jésus et Jésus crucifié ; c’étaient ces hommes qui nous conservaient les annales licencieuses de la mythologie païenne, la langue du cirque et de forum. Ces poésies d’Horace, qui avaient été composées au milieu des délices de Tibur, arrosées de vin de Falerne, et couronnées des fleurs de Tivoli, étaient transmises à la postérité par le travail assidu d’un jeune novice au cœur pur et candide, qui ne s’approchait d’elles que le corps exténué de Jeûnes et de macérations, les reins couronnés d’un ciliée, la figure pâle, comme si les copistes avaient dû expier les crimes des auteurs qu’ils transcrivaient. Mais la Religion, en agissant ainsi, voulait nous conserver les annales du monde, et nous montrer les hommes tels qu’ils ont existé.
Nous le demandons, où étaient alors les savants et les sages, qui avaient si longtemps élevé leurs pensées contre Dieu ? Ils avaient disparu, dispersés comme une feuille légère qu’emporte un vent d’orage. Et à quoi bon les reproches continuels d’ignorance qu’on ne cesse de faire aux chrétiens, et en particulier au clergé ? S’il existait quelque connaissance du passé, s’il était un historien, un poète, un philosophe, un savant en science quelconque, c’était dans l’église ou dans le cloître, parmi les hommes de jeûne, de pénitence, les hommes qui approchaient le plus près de l’autel, qu’il fallait le chercher. Lettré ou clerc, savant ou prêtre, étaient devenus termes synonymes.
C’est ainsi que du fond du sanctuaire sortirent peu à peu tous les arts. L’éloquence latine et grecque, l’histoire, la littérature, l’architecture, la jurisprudence, la science de la guerre, toutes ces connaissances sortirent des cloîtres qui en avaient été les gardiens, et se montrèrent de nouveau au monde, pures et régénérées.
Alors au milieu de cette société chrétienne belle de vérité, riche de vertus, se manifeste tout d’un coup le désir et la résolution subite d’imiter et de surpasser, s’il était possible, tout ce que l’antiquité avait produit de plus parfait en fait d’arts et de science. Avertis et guidés par les ouvrages sauvés par les prêtres, soutenus par les encouragements des pontifes, éclairés de ces inspirations sublimes que la Religion sait communiquer à ceux qui travaillent pour elle, bientôt les Michel-Ange, les Raphaël parurent, Saint-Pierre de Rome s’éleva, tous les arts furent remis en honneur ; et avant la fin du 17e siècle, les modernes n’eurent plus rien à envier aux anciens.
Nous connaissons les reproches que l’on fait au 17e siècle, et nous convenons qu’il y en a plusieurs de bien fondés ; pourtant s’il est quelqu’un qui l’admire, et quelqu’autre qui le regarde avec regret, ils sont très excusés à nos yeux, par le spectacle touchant que présente dans ce siècle l’union intime qui existait entre la religion et toutes les branches des connaissances humaines. Alors Pascal était en même temps grand géomètre, profond penseur et dévot, et Bossuet portait le nom de philosophe.
Cependant cette union ne fut pas de longue durée. Il n’entre point dans le plan de cet article de rechercher quelles furent les causes de ce divorce. Nous aurions probablement des reproches à adresser aux deux partis, et en ce moment c’est une histoire que nous analysons, ce sont des faits fâcheux que nous voulons rappeler, c’est une demande en conciliation que nous désirons proposer. Le fait est que peu à peu la Science se sépara de nouveau de la Religion. À peine émancipée, encore tout nouvellement sortie de ses bras, elle méconnut sa mère, refusa son appui, rougit de son origine, et se ligua contre elle. Par je ne sais quelle pensée de faux orgueil, elle se sépara de Dieu en haine de quelques hommes, ou peut-être se sépara-t-elle de quelques hommes en haine de Dieu. Alors il ne fut pas une connaissance, pas un peuple, pas un monument ancien ou récent que l’on ne tournât contre Dieu. L’histoire de la religion, sa littérature, son langage, ses dogmes, sa morale, ses cérémonies, ses vierges qui veillaient continuant la prière, le prêtre perpétuant le sacrifice, le sacrifice et la victime même, tout devint l’objet du mépris, des railleries et des sarcasmes de ceux qui se donnaient pour amis de la science....
Et qu’avaient-ils donc découvert, ces savants ? Qu’avaient-ils inventé pour renier ainsi tout un héritage de Dieu, toute une existence de l’humanité ? Qui le croirait ? Nous touchons encore à ces temps, et cependant je vais dire des choses incroyables.
Le nom de Dieu fut effacé de l’ouvrage des six jours. Les traditions du genre humain furent délaissées ; la Science, rompant violemment la chaîne qui lie le présent au passé, voulut tout inventer et tout refaire.... Et cependant, si dans la suite des siècles écoulés, il avait existé un faux sage, un faux savant, qui, sur cet univers, sur l’âme, sur Dieu, eût imaginé quelque système auquel il ne croyait pas lui-même, quelque opinion qui souvent l’avait fait chasser de sa cité, et traiter de fou par les gens sensés de son pays, eh bien ! c’est ce que les savants du 18e siècle essayèrent de réchauffer et de persuader aux peuples. Oh ! non, il ne faut plus redire aujourd’hui tout ce que les puissants d’alors, les Lamettrie, les d’Argens, les Talliamed, les Voltaire, les Rousseau, les Reynal, les Buffon, les d’Alembert, les Diderot, et ces écrivains dégoûtants d’athéisme, les d’Holbach, les Neigeon, les Lalande, et toute la troupe de leurs imitateurs, nous ont donné de systèmes, d’explications, d’opinions nouvelles sur Dieu, l’âme, le temps, l’éternité, l’origine et la fin de l’homme, la société, ses fondements, son origine, la religion, ses dogmes et sa morale. Non, la Science elle-même a rougi de ses adeptes. Laissons les morts dormir dans leur sépulcre ; sur cette génération, sur ses œuvres, ses pensées, ses théories et ses systèmes, a coulé un fleuve de sang. Car, bientôt une nouvelle punition fut infligée à la Science séparée de Dieu. La hache terrible, le couteau sanglant, les proscriptions, les prisons, les bûchers, les tortures reparurent ; et guerre fut faite aux arts et aux sciences.... Quoi donc ? le nord ouvrit-il ses antres, et vomit-il de nouveau des hordes de barbares ? Non, la Religion avait changé ses forêts en campagnes fertiles, et ses féroces habitants en chrétiens. Mais au milieu de l’état le plus poli et le plus civilisé, s’éleva une génération, ennemie d’abord de Dieu et de la Religion, ensuite des hommes et puis des choses. Elle se montra irritée contre les arts, les sciences, les lettres, les livres, les vieux parchemins, les immenses bibliothèques, les grands ouvrages, les statues, les temples, les solennités religieuses, les noms antiques, contre tout ce qui jusqu’alors avait tenté l’estime et le cœur des hommes. Ne nous appesantissons pas sur ces crimes ; cette génération, désavouée par ses pères, qui auraient rougi d’elle, condamnée par ses descendants même, qui, tout en acceptant son héritage, repoussent toute idée de parenté, semble, là, dans notre histoire, sans père, sans enfants, comme un monstre que Dieu aurait jeté du haut du ciel sur une terre coupable. Remarquons seulement comment les sciences et les arts furent persécutés au moment où ils s’étaient le plus élevés contre la religion.
Aujourd’hui, nous savons bien ce qui manque à notre siècle, combien la foi est rare, les croyances chancelantes, les idées vagues ; nous connaissons l’indifférence et le dédain que notre génération affecte pour la religion, la haine dont elle poursuit l’autorité ; certes, nous ne voulons pas exalter le siècle, et plus d’une fois nous aurons occasion de faire un juste procès à sa science ; cependant ne l’accusons pas plus qu’il ne lé mérite, séparons sa cause de celle des philosophes du dernier siècle. Car si la jeunesse présente est philosophe, ce serait une erreur de croire qu’elle l’est à la manière du 18e siècle ; la plupart de ses utopies font rire nos jeunes savants. Il est bien encore, surtout en province, quelques vieux lecteurs, ou quelques jeunes gens à peine sortis de l’école, qui jurent encore au nom de Voltaire et de Rousseau, mais en général il n’est pas de personne se piquant d’être à la hauteur des connaissances et des idées du siècle, qui ne distingue le poète du philosophe, l’écrivain du logicien.
L’esprit de doute travaille l’incrédulité même, et si une fois il s’attache à elle, s’il lui demande raison de ses assertions, elle ne peut qu’être bientôt vaincue. Les sommités scientifiques, si je puis parler ainsi, ne sont plus aussi menaçantes contre le ciel ; un grand nombre de savants ont défendu et défendent encore la cause de la Religion dans leurs ouvrages ; et il nous sera facile de prouver que, même lorsque les hommes ne reviennent pas à Dieu, les sciences y reviennent seules contre l’attente de leurs auteurs, seulement parce qu’elles sont plus approfondies, plus vraies. La Philosophie elle-même, cette ennemie au nom de laquelle on a voulu faire descendre la Religion du trône de ce monde, consent à revoir le procès qu’elle avait proclamé jugé. Elle ne me pas les immenses bienfaits que l’humanité a reçus du christianisme, et le fait quelquefois apparaître honorablement dans ses leçons.
Un seul reproche, grave, capital s’il était fondé, est fait de tous côtés au christianisme, c’est d’être une doctrine salutaire, mais qui a fait son temps ; une institution bonne, mais usée, gothique, et qui doit se retirer devant cette régénération qui commence, et en présence de cette grande lumière dont nos jeunes philosophes saluent l’aurore depuis longtemps.
C’est sur ce terrain avantageux que nous nous placerons, et c’est de là que nous répondrons noblement, franchement, cordialement à nos adversaires, quels qu’ils soient. C’est de là que nous appellerons à nous la Science moderne, lorsqu’elle sera favorable à notre cause, que nous la repousserons et la réfuterons lorsqu’elle voudra s’élever contre la Religion, contre Dieu. Certes, au milieu de cette société qui s’agite et se dispute, qui brise et refait ses œuvres ; qui, de son propre aveu, vit encore d’espérances, et ne présente rien d’un peu stable, il ne nous sera pas difficile de prouver que le christianisme seul a de vie, que lui seul présente à nos esprits fatigués et malades des doctrines sensées et stables, et à notre cœur vide et souffrant une morale pure, un but noble et élevé.
Maintenant, qu’il nous soit permis de nous adresser à nos lecteurs, et de leur demander d’avoir quelque confiance en nos paroles. Indépendants de toute influence, nous nous sommes consacrés à la défense de la vérité. Nous remplirons notre tâche selon nos forces. Elles sont grandes, s’il faut en juger par l’amour et la conviction qui nous attachent à notre cause. Au moins aucune question étrangère ne viendra se mêler à nos travaux. Mais que les chrétiens nous soient en aide dans cette lutte ; ce n’est pas nous qui devons prouver que le christianisme est rempli de vie, ce sont eux. Que les disputes de coterie cessent, que les partis divisés se réunissent, que les haines généreusement se pardonnent, que les froissements d’amour-propre s’oublient, que tout ce qu’il y a de bon ou de bien dans ses adversaires se reconnaisse et se proclame ; que les chrétiens se souviennent que notre Dieu est le Dieu des sciences 1, que c’est lui qui enseigne la science à l’homme 2 ; enfin, pour prouver que le christianisme est vivant, qu’ils en produisent les œuvres vivantes ; car, s’ils le repoussent de leur conduite, en vain démontrera-t-on qu’il peut et doit régir notre société. Nous savons bien qu’il ne périra pas ; mais nous savons aussi qu’il a cessé d’éclairer bien des contrées de sa divine lumière.
Augustin BONNETTY.
Paru dans les Annales de philosophie chrétienne en 1830.