L’ A C A D É M I E

 

DES SAVANTS THÉOLOGIENS.

 

Où ils peuvent apprendre à discerner la Vérité de Dieu hors des Vérités étudiées par les hommes, qui souvent n’ont pas la probabilité d’un bon raisonnement humain dans la Théologie qu’ils enseignent. Ce qui dénote que leur Théologie n’est pas infuse par le S. Esprit ; comme il sera montré en ce présent Traité, qui parle De diverses questions Théologiques, disputées entre les Savants.

 

 

P R E M I È R E  P A R T I E.

 

Par

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

Où est le Sage ? Où est le Docteur ? Où est l’homme d’étude de ce monde ? Dieu n’a-t-il pas rendu folle la sagesse de ce Siècle ? I Cor. 1, v. 20.

 

 

 

 

 

 

A U   L E C T E U R.

 

Il y a longues années, Ami Lecteur, que je rencontrai un Grand Théologien, bien vertueux, qui en tout temps avait cherché la vérité, et tenu le parti de ceux qui s’approchaient de plus près. Il se conformait fort aux sentiments de S. Augustin, comme l’un des Pères les plus illuminés de l’Église, quoiqu’il ne dise point à d’être illuminé du S. Esprit. Il a enseigné beaucoup de Vérités de Dieu par le grand Amour qu’il lui portait. Il a reçu beaucoup de ses grâces, mais non en telle abondance qu’il n’ait resté en des erreurs en divers points. Ce que je découvris par les sentiments de ce grand Théologien, mon ami, qui en ses discours me faisait entendre aucunes choses tirées de S. Augustin qui portaient autres sentiments que ceux que le S. Esprit me dictait. Ce qui donnait bien de la peine à mon Ami, qui respectait les sentiments de S. Augustin, et aussi les miens, pour avoir été convaincu au fond de son âme que j’étais régie par le S. Esprit. Ce qui alarmait son repos intérieur, en ne sachant à qui référer lorsque mes sentiments ne se conformaient avec ceux de son maître Augustin. Et moi le voyant en ces combats, je fus mue à lui écrire la Doctrine que Dieu m’enseigne sur divers points de la Théologie, afin de vaincre son scrupule par la vérité venant de Dieu, et par des vives raisons convaincantes. Ce qui l’a consolé, et conforté sa faiblesse naturelle ; car ce ne peut être une force du S. Esprit de se laisser tellement préoccuper des sentiments de quelque S. Père, ou autres Docteurs, qu’on se rende incapable de recevoir autre lumière si Dieu la donnait ; puisque sa Sapience est fertile, abondante, engendrant toujours de nouvelles lumières et sapiences ; car Dieu qui donne la fertilité à toutes choses ne peut lui-même demeurer stérile, ni limiter ses grâces à certain temps ou à certaines personnes, quelque saintes qu’elles puissent être. Il donne continuellement la Sapience de plus en plus dans l’entendement des hommes de bonne volonté, et leur ouvre maintenant davantage ses secrets et l’explication des saintes Écritures qu’il n’a fait du commencement aux Ss. Pères mêmes. C’est pourquoi personne ne doit demeurer opiniâtre sur la préoccupation de son Esprit, ou sur le sentiment de quelque Docteur qu’on a pris à taxe de suivre, puisque Dieu envoie Toujours de plus ses divines lumières. Il faut seulement travailler toujours de plus à purifier son âme pour la disposer à recevoir l’influence du S. Esprit, sans être de pusillanime ou craintif à recevoir les nouvelles lumières que Dieu envoie maintenant sur la terre, à cause que les Pères ou Docteurs ne les ont reçues, qui n’ont eu que des grâces limitées à mesure de leurs capacités ou de la disposition de leurs âmes. Mais il faut toujours travailler pour acquérir davantage de grâces et de lumières, puisque nous approchons de la plénitude des temps, où le S. Esprit s’épandra sur toute chair. Ce qui intimidait mon Ami à recevoir la vérité de Dieu que je lui déclarais, était la crainte de tomber en quelques hérésies, ou de perdre la bonne réputation qu’il avait d’être un vrai Pilier de l’Église Romaine. Il n’aurait pas bien su souffrir qu’on eût dit de lui qu’il était devenu hérétique, comme on appelle maintenant ceux qui reçoivent de Dieu quelque nouvelle lumière. On les charge de calomnies, et suspecte d’hérésie ; à cause que l’infirmité de leurs yeux ne peut souffrir de lumière plus brillante que celle qu’ils ont trouvée dans leurs livres, et ont pris à taxe de suivre comme les Procureurs suivent leurs Protocoles, et par ce moyen ne peuvent être plus sages ni plus vertueux que ceux de qui ils ont lu les écrits. N’est-ce pas dommage, Ami Lecteur, que des hommes de bon jugement captivent ou anéantissent ainsi leurs esprits sous le jugement d’un autre, qui souvent n’a tant de lumière ou vertu que celui-même qui à l’aveugle le veut suivre, et que cela empêche de recevoir la nouvelle lumière de Vérité, que Dieu envoie maintenant sur la terre, de crainte que ce ne soient des erreurs ? Quoique plusieurs aient un Témoignage dans leur conscience que je suis illuminée du S. Esprit, ils n’osent pourtant se rendre à la vérité de Dieu, pour quelque égard humain, ou pusillanimité de leur esprit. Ce que je tiens pour une faiblesse de la nature corrompue, dans laquelle le Diable se fourre pour empêcher que les hommes n’avancent en la vertu et lumière. Là où l’Écriture dit précisément : Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait. Ce qui est une perfection illimitée et sans bornes, ni fixée à quelque S. Père ou Docteur, un chacun étant obligé à chercher sa propre perfection, et à s’informer toujours de la vraie vérité de Dieu, sans s’attacher à la vérité des hommes, qui sont tous menteurs et errants en quelque chose, n’y ayant autre vérité bonne que celle qui sort de Dieu. C’est pourquoi je vous prie, Ami lecteur, d’examiner de bien près ces divers points de la Théologie sur lesquels il y a disputes entre les Savants, accompagnées de beaucoup de sentiments différents, et vous verrez ensuite si une fille sans études peut avancer des Vérités de Dieu et des raisons si convaincantes sans être illuminée du S. Esprit, puisqu’elle ne se sert de nuls moyens humains pour composer ses écrits, èsquels il y a cependant plus de solidité que dans la composition des savants, qui avec leurs esprits corrompus ne peuvent pénétrer la vérité de Dieu. Prenez ce commencement en gré, en attendant que vous en verrez d’avantage pour l’utilité et le salut de vos âmes, lesquelles je souhaite de voir dans le Royaume des Cieux à toute éternité. En ce souhait je demeure,

 

      Ami Lecteur,

 

 

 

Votre bien Affectionnée    

en Jésus Christ           

 

Anthoinette Bourignon.

 

 

 

 

 

 

 

 

A   V   I   S

 

Sur la Profession de Foi

 

et sur

 

le Catalogue des Livres imprimés de

 

Madlle ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

        Mon cher Lecteur,

 

DEUX sortes de personnes m’obligent de joindre aux livres de Mademoiselle Bourignon la Profession publique de sa Foi et de sa Religion qu’elle a présentée ouvertement à la Cour de Gottorp en Holstein, et d’y ajouter le Catalogue de ceux de ses Écrits qui sont imprimés jusques à présent. Car comme l’on sème presque partout beaucoup de discours à son désavantage, beaucoup de monde (et presque tous) y ajoutent foi facilement et sans examen, surtout lorsque cela vient des gens d’Église, à la parole desquels le peuple s’arrête, pensant, que des personnes si Saintes et Spirituelles ne voudraient pas mentir. Ainsi l’on ne veut pas prendre la peine de s’informer plus outre si ce que ces Messieurs débitent contre Mademoiselle Bourignon est véritable, ni de voir les pièces nécessaires pour porter un jugement de cette conséquence, sur lequel on se laisse souvent emporter à des actions qui pourraient bien être le sujet d’une repentance éternelle. Afin donc que ces Personnes qui ne veulent pas prendre la peine de s’informer en détail de la vérité par la lecture des livres de cette Demoiselle, puissent avoir de quoi en faire un jugement certain, ils verront ici en cinq ou six lignes de sa Confession tout l’Abrégé et le Fondement de toute sa Doctrine et de sa Vie, et apprendront par là à ne pas si facilement croire aux mensonges publics, inventés même par des Prêtres Luthériens et autres, et débités tant par leurs écrits et livres, que par leurs paroles et leurs Prêches, par lesquels ils décrient cette Personne, ses Amis, sa Doctrine, comme des impies, ou des Personnes de quelque religion nouvelle, errante, et fantasque, afin d’en donner de l’horreur au menu peuple, qui se laisse détourner par ce moyen de la connaissance de la vérité salutaire, au dommage de leurs propres âmes, lesquelles ils blessent fort par des jugements téméraires et faux, et par des passions étranges à quoi ces Calomniateurs les disposent, jusques là, que de refuser souvent les devoirs communs de l’humanité à des gens de bien qui ne cherchent que de plaire à Dieu.

Mais comme il y a encore des personnes plus posées et circonspectes, qui tâchent de régler leurs jugements et leur conduite par la connaissance particulière de la vérité si seulement ils savaient les moyens de s’en informer ; c’est en leur faveur que l’on a joint le Catalogue des livres imprimés de cette Demoiselle, ou l’on a marqué en deux ou trois mots les principales matières dont ils traitent. On a aussi mis des citations de l’Écriture dans les marges ou au pied des pages, pour faire remarquer la conformité de ces écrits avec ceux de la Ste Bible, à laquelle quelques uns disaient qu’ils étaient contraires, et d’autres doutaient s’ils y étaient conformes, d’autres enfin pensaient que cette Damoiselle méprisait l’Écriture Ste. De plus, on y a aussi ajouté des annotations ou des petits abrégés qui peuvent servir d’indices pour aider la mémoire, et faire voir en peu de mots les matières dont il est traité. Ses autres manuscrits, qui ne sont pas encore imprimés, le seront lorsque l’occasion le permettra, et n’étant inférieurs en dignité à ceux qui ont déjà paru, ils ne peuvent tous ensemble que frapper bien fort le Cœur des Lecteurs bien disposés pour les faire retourner à leur Dieu. Cependant, agréez, Lecteur mon cher Ami, que je vous avertisse de ne pas apporter à leur Lecture un Esprit élevé de Maître et de Censeur. Dieu n’a que faire ni de Maître, ni de Sages. Il ne demande que des Enfants et des humbles Disciples. Ne rejetez pas les choses, et surtout celles qui concernent la grandeur de la corruption et des ténèbres des hommes, pour surprenantes qu’elles paraissent d’abord. Si elles vous semblent incroyables, il n’en est pas ainsi devant Dieu, à qui ces choses sont bien autres qu’elles ne sont à nos yeux obscurcis. La vérité est toute autre aux yeux du nouvel Adam qu’à ceux du vieux, et l’on est autant hors de sa connaissance et de sa possession qu’on est hors de l’imitation de Jésus Christ. Tâchez de pratiquer ce dont on ne peut douter qu’il ne soit bon et véritable. Ce que vous ne pouvez entendre, laissez-le là. Dieu le vous fera connaître lorsqu’il vous sera salutaire si vous demeurez fidèle à ce que vous savez déjà. Laissez les choses incidentes, et allez au but unique et principal, qui est connaître votre corruption, y mourir, et revivre par la vie de Jésus Christ dans l’Amour de Dieu et la Pratique de ses Divines Lois, qui sont gravées dans ces saints écrits avec autant de clarté que de réalité dans l’Âme Chrétienne dont Dieu se sert pour nous les renouveler, et qu’il veuille aussi imprimer miséricordieusement dans la nôtre. Amen.

 

 

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P R O F E S S I O N

 

de Foy, et de Religion ;

 

faite publiquement par

 

Damlle ANTHOINETTE BOURIGNON :

 

Sur les doutes qu’on pourrait avoir

de sa Croyance et de sa Religion.

 

1. Je suis Chrétienne, et je crois tout ce qu’un vrai Chrétien doit croire.

2. Je suis baptisée dans l’Église Catholique, au Nom du Père, au Nom du Fils, au Nom du Saint Esprit.

3. Je crois les douze Articles du Credo, ou le Symbole des Apôtres, et ne doute en aucun Article d’icelui.

4. Je crois que Jésus Christ est Vrai Dieu, et qu’il est aussi Vrai Homme, et qu’il est le Sauveur et Rédempteur du monde.

5. Je crois en l’Évangile, aux SS. Prophètes, et en toute la S. Écriture, tant le Vieux que le Nouveau Testament.

 

Et je veux vivre et mourir en tous les points de cette Croyance. Ce que je proteste devant Dieu et les hommes à tous ceux qu’il appartiendra.

En foi de quoi, j’ai signé cette mienne Confession de ma main, cachetée de mon cachet.

 

        En Sleeswicq, le 11 de Mars 1675.                                

 

(L. S.)                   Était cacheté, et soussigné             

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C A T A L O G U E,

 

Des

 

Livres imprimés,

 

Composés par Mad.

 

A N T H O I N E T T E   B O U R I G N O N,

 

Née en la Ville de Lille en Flandres.

 

 

I.

 

LA Lumière née en Ténèbres, divisée en quatre parties, qui sont pleines de doctrines et d’instructions salutaires, générales et particulières, tant Divines que Morales, de Théorie et de Pratique, propres à ouvrir les yeux et à toucher le cœur des hommes de bonne volonté, afin de les disposer à rechercher Dieu et sa vérité, et à changer leurs mauvaises vies pour embrasser une vie nouvelle selon Dieu. En Français, en Flamand et en Allemand.

 

II.

 

Le Tombeau de la fausse Théologie exterminée par la véritable venant du S. Esprit. Divise en quatre parties. Il y est traité de plusieurs matières doctrinales que l’on avait la plus part proposées à Mad. A. B. par manière d’opposition et pour lui contredire. L’on y voit comment les Sages par le moyen de leurs études sont déchus de la simple, solide, vivante et efficace vérité de Dieu, et de la vraie vertu Chrétienne, et qu’ils ont changé le véritable Christianisme en un Christianisme disputeur et pointilleux, hypocritique et vicieux, et tel que l’Église de Laodicée, malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, pendant qu’il se dit riche en vertu, et n’avoir faute de rien en connaissance. En Français, et en Flamand.

 

III.

 

L’Innocence reconnue et la vérité découverte, etc., Première partie. Où l’on voit par un exemple vivant la haine et la cruauté que les Prêtres mêmes exercent sur leurs propres Confrères qui ne veulent condescendre à leur conduite, mais se retirer de la corruption du monde, les faisant alors trahir, emprisonner et souffrir jusqu’à la mort. En Français.

Avec une lettre à un Père de l’Oratoire sur le même sujet. En Français et en Flamand.

 

IV.

 

La Lumière du Monde. Divisée en trois parties, Première Partie. Il y est traité de ce que l’Église Chrétienne et le culte Dieu sont tout-déchus et devenus tout extérieurs, terrestres et charnels ; que cela a attiré les derniers fléaux de Dieu ; comment il est aussi possible que nécessaire d’aimer, de chercher, de trouver, de posséder, et d’adorer Dieu en Esprit et vérité. Item du glorieux Royaume de Jésus Christ, qui suivra l’exécution des derniers fléaux. En Français, en Flamand et en Allemand.

 

V.

 

La Lumière du Monde. Seconde Partie. Ou il est parlé de l’abus des Sacrements et de tout le culte extérieur de la Chrétienté, de sa corruption, du péril des hommes, lesquels, au lieu de s’abandonner à Dieu, pèchent contre son S. Esprit, et rejettent ses lumières, et de la conversion des juifs, qui redeviendront le Peuple de Dieu en la place de la Chrétienté corrompue. En Français, en Flamand, et en Allemand.

 

VI.

 

Avertissement contre les Trembleurs. Opposé à un libelle diffamatoire de cette Secte contre A. B. Par où l’on montre que cette Secte n’a pas la lumière du S. Esprit, et dans lequel leurs erreurs et fantaisies sont parfaitement ruinées. Il y est prouvé solidement et à fond que l’on doit obéir selon Dieu à toute sorte de Magistrats et de Supérieurs, et qu’il faut observer des bons règlements dans l’État Politique, dans l’Ecclésiastique, et dans la vie commune. L’on y découvre aussi les qualités que doit avoir une personne vraiment régénérée et illuminée de Dieu. En Flamand.

 

VII.

 

Le Témoignage de Vérité. Où sont rapportées les dépositions publiques de plusieurs personnes dignes de foi sur la vie et les mœurs de ladite Damoiselle, qu’ils affirment avec serment avoir vécu dès son Enfance d’une manière extraordinairement vertueuse et exemplaire. L’on y a encore ajouté plusieurs autres témoignages, pour confondre les mensonges et les calomnies qu’on avait publiés contre sa personne et ses écrits. Il y est aussi traité de ce que les Chrétiens ont mal fait de faire des divisions entr’eux, prétextant quelques irrégularités dans quelques cérémonies et opinions particulières et non-essentielles à l’Amour de Dieu, pendant qu’ils ont excédé par opposition, et négligé leur propre régénération et le renoncement à eux-mêmes. Item, de la véritable et de la fausse application des Mérites de Jésus Christ. Que les Commandements de Dieu ne sont pas une charge, mais des aimables effets de son Amour et de son Soin Paternel, et qu’il est nécessaire, facile, et agréable de les observer pour être sauvé. Contre la Prédestination personnelle. De la Création glorieuse d’Adam ; de sa chute, avant laquelle Jésus Christ a tiré de lui un corps pour soi ; et de plusieurs autres divins mystères inconnus jusqu’à présent. En Français, en Allemand, et en Flamand.

 

VIII.

 

La Pierre de Touche. Qui monstre comment il faut examiner la validité des Docteurs et conducteurs des âmes, et celle de leurs doctrines, sur la Pierre de Touche de la Charité ou de l’Amour de Dieu. L’on y voit la réfutation des abominables mensonges et calomnies que l’on a inventés pour avoir prétexte de diffamer et persécuter à mort cette Damoiselle, comme si elle niait la S. Trinité, la Divinité Éternelle de Jésus Christ, ses S. Mérites, et comme si elle voulait renverser toute la Religion Chrétienne ; et semblables faussetés horribles qu’on lui a imputées. L’on y voit aussi comment et pourquoi Dieu a créé l’homme. Quels soins il a eus de le relever de sa chute. Comment les hommes sont sauvés par les Mérites de Jésus Christ en observant ses Commandements. Item, de la décadence de l’Église Chrétienne, et que Dieu veut la rétablir sur la Terre avant la fin du monde, et commencer dès à présent ce sien œuvre. En Français, en Allemand, en Latin, et en Flamand.

 

IX.

 

Traité admirable de la solide Vertu. Première Partie. Où l’on voici qu’on la doit apprendre par la douceur et l’humilité de Jésus Christ, lesquelles, nous montrant notre néant, nous font mortifier notre nature corrompue pour revivre à l’Amour de Dieu. L’on y découvre aussi tous les artifices par lesquels le Diable nous veut empêcher et retarder dans le progrès de la vertu. En Français, Flamand, Latin, et Allemand.

 

X.

 

Traité admirable de la solide Vertu. Deuxième Partie. Où il est montré que pour atteindre à la vraie vertu, il faut I. Abandonner le monde et ne le plus conformer à lui. II. Abandonner la convoitise, par une totale mortification de la Nature corrompue, en se contentant du simple nécessaire et du moindre en toutes choses. III. Abandonner et renoncer sa propre volonté, tant grands que petits, irrégénérés que régénérés, et la combattre jusques à la mort ainsi qu’a fait Jésus Christ même, venant nous montrer par lui-même, en sa propre personne, comment, en le suivant et faisant comme lui, nous pourrons trouver la voie de sortir hors de nos ordures pour être réunis à Dieu. En Français, Flamand, et Allemand.

 

XI.

 

L’Aveuglement des hommes de maintenant. Première Partie. Traité Apologétique à l’occasion des médisances semées contre les comportements de Mad. A. B. Où l’on voit par des exemples vivants comment la nature corrompue s’aveugle elle même et est artificieuse pour se dissimuler à soi et aux autres ses défauts, les excuser et défendre par toutes sortes de prétextes, même saints en apparence, ne voulant en être reprise, mais les rejetant plutôt sur autrui et en accusant les autres, pendant qu’elle fait tout mal-à propos, et que même elle veut se décharger du devoir de renoncer à soi-même et de changer. Tous ses prétextes y sont réfutés, et principalement ceux qu’elle tire de ce que Jésus Christ a tout agi et pâti pour les hommes, et qu’eux sont trop fragiles pour observer les commandements de Dieu. En Français, et en Flamand.

 

XII.

 

Le Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Première Partie. Où sont proposées par des lumières divinement convaincantes et tout extraordinaires les grandes et fondamentales Vérités de la vraie Religion Chrétienne, du tout de Dieu, du Néant de l’homme, de sa Liberté, de la Fin de sa Création, de la Gloire où il a été créé, des Misères où il est tombé, de sa Corruption, de sa Restauration, de la grandeur de la Charité de Jésus Christ, et de celle de ses Mérites par lesquels il a racheté les hommes trois fois de trois grandes rébellions universelles, venant nous offrir à présent une troisième et dernière Rédemption par le Renouvellement de son Esprit Évangélique. Et à ce sujet il est montré combien profonde est l’incroyable corruption et la tromperie de notre nature et de notre méchant cœur, et combien il est nécessaire de les combattre et vaincre si l’on ne veut se damner éternellement. En Français, Flamand, Latin, et Allemand.

 

XIII.

 

Le Nouveau Ciel et la Nouvelle Terre, Première Partie. Où sont découvertes les merveilles de la gloire où le monde a été créé, et surtout le premier homme ; comment s’est faite sa tentation, sa chute, sa mort ; item du Jugement, des derniers fléaux spirituels et corporels ; de l’état des âmes après la mort, de la Résurrection première et seconde ; de l’Enfer, du Paradis, de la beauté des corps glorifiés ; quelles dispositions doivent être dans les hommes afin que Dieu rétablisse et renouvelle toutes les créatures, et comment le Diable, pour priver les hommes de ce bonheur, les tente et séduit à présent d’une manière toute semblable à celle par laquelle il tenta et séduisit au commencement nos Premiers Parents pour le leur faire perdre. En Français, Flamand et Allemand.

 

XIV.

 

Le Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Deuxième Partie. Où sont proposés les motifs propres à se résoudre à embrasser l’Humilité, la Bassesse, la Pauvreté d’esprit, le Renoncement à soi-même, la Haine de soi-même, la Pénitence, l’Amour de Dieu, en un mot, la Vie Évangélique. Ces motifs y sont tirés de la considération de la Gloire où Dieu a créé l’homme, de la fin de sa Création, des Misères où il est tombé corps et âme en cette vie, des Misères éternelles d’après cette vie, de la Justice de Dieu, de l’Exemple de Jésus Christ et de ceux des Saints, des Joies et Gloires de la vie bienheureuse du siècle à venir, même de la tranquillité qu’on a dès cette vie à se laisser conduire de Dieu en toute chose comme un Enfant de sa Nourrice ; comparaison qui est déduite au long d’une manière toute admirable et édifiante. En Français, en Allemand et en Flamand.

 

XV.

 

L’Antéchrist Découvert. Première Partie. Où est montré ce qu’est l’Antéchrist, comment il règne et domine universellement, non seulement en tant que la plupart des hommes sont liés à lui par pacte volontaire, mais aussi en tant qu’il tient le reste, même les meilleurs, sous son Empire, qui s’étend partout sous l’apparence de Christ, dans le Sanctuaire ou les Églises, dans les Cultes, les Entendements, les Cœurs, les Pratiques, les Spéculations et Doctrines, par lesquelles choses il fait rejeter Jésus Christ et ses remèdes. Dieu le fait voir à A. B., et elle le manifeste aux autres de la part de Dieu, lequel ayant jugé le monde, plein de pactionnaires Diaboliques, veut retirer à l’écart quelques bons, hors de la Domination de l’Antéchrist. En Français et Flamand.

 

XVI.

 

L’Antéchrist découvert. Seconde Partie. Où l’on voit comment l’Antéchrist a anéanti et chassé d’entre les hommes l’Esprit et la Vie de Jésus Christ, par les ténèbres où il a mis les Chrétiens en matière de Doctrine, de Pratique et de Culte de Dieu : savoir, touchant la S. Trinité, la Divinité Éternelle de Jésus Christ, ses Mérites, sa Satisfaction, son Culte, et tout Culte Divin, le but de sa Venue, la facilité et la difficulté de son Imitation, les Imaginations dont on se flatte d’être Enfants de Dieu, Régénérés, Prédestinés, Spirituels, rachetés, etc., par où il trompe et régit les mieux intentionnés, avec tout le reste des hommes, qui sont sous son Empire. En Français et en Flamand.

 

XVII.

 

L’Antéchrist découvert, Troisième et dernière Partie. Où l’on voit les moyens par lesquels l’Antéchrist a avancé sa domination universelle sur toute sorte d’états, de conditions, de professions, sur tous les Chrétiens, jusques dans le Trône de Dieu, s’étant servi de la lettre, (et non de l’Esprit) des Écritures, des choses saintes, des prétextes spécieux de Mérites de Jésus Christ, de la Satisfaction, de la Fragilité des hommes, et autres belles couleurs, pour détruire la Loi, la Charité, la Paix, l’Esprit de Christ, son Imitation, la Pénitence, par des haines, sectes, dissensions, erreurs, disputes, inimitiés, orgueils, présomption, hypocrisies, et semblables effets conformes à leur Principe qui est cet Esprit universel du Diable et de l’Antéchrist Régnant. En Français et en Flamand.

 

XVIII.

 

La Dernière Miséricorde de Dieu : I. Part. Contenant un Avant-propos où il est parlé du Malheureux état des hommes ; des Jugements de Dieu sur eux ; des Dernières grâces et vérités de Dieu ; que les hommes par leurs études ont aboli tout bien ; ont détruit la Foi vive et la Dépendance de Dieu, lesquelles il faut nécessairement reprendre, sans se flatter comme on fait, ni croire d’une Foi aveugle et morte. Comment il faut expliquer les Écritures, et éviter les opinions et Doctrines périlleuses des hommes, etc. Dans les trois premiers chapitres il est parlé de l’Existence de Dieu, de sa Connaissance, de ses qualités ou Attributs, de la Création du monde et de l’homme ; de l’immortalité de l’âme et même du corps de l’homme, et que toutes les œuvres de Dieu dureront Éternellement. En Français, Flamand et Allemand.

 

XIX.

 

L’Académie des Savants Théologiens. I. Partie. Où sont expliquées à fond par des nouvelles et vives lumières plusieurs matières Théologiques, soit Doctrinales, comme de la Grâce, de sa Généralité, Efficace, Suffisance, Résistance ; de la Prédestination, Élection, etc. Liberté de l’homme, etc. ; soit Morales comme, de l’Attrition, de l’Amour de Dieu, de la Morale corrompue des Casuistes, etc. ; soit touchant le Culte extérieur, et la conduite des hommes ; item de l’État de l’Église, des Religieux, des Pasteurs, des Chrétiens, selon qu’ils sont devant Dieu. En Français, en Flamand, et en Allemand.

 

XX.

 

L’Académie des Savants Théologiens. Seconde Partie. Où il est parlé du discernement des Esprits, que l’on doit faire dans l’état d’une Enfance Spirituelle, à laquelle on se doit rendre pour être gouverné et conduit de Dieu, sans quoi notre propre conduite et le choix que nous pouvons faire de quelque genre de vie que ce soit, Ecclésiastique, Politique, Économique, n’est que vanité et que perte et dommage pour l’éternité. De l’abus qu’on fait du Culte extérieur, des Dévotions et Cérémonies de l’Église ; du vrai usage que l’on en devrait faire, et de l’état périlleux où vivent les plus dévots d’aujourd’hui sans le savoir. En Français et Flamand.

 

XXI.

 

L’Académie des Savants Théologiens. Troisième et Dernière Partie : Où sont découverts les péchés intérieurs, cachés, et contre le S. Esprit, qui règnent dans presque tous les dévots d’à présent. Combien la Dépendance de Dieu est nécessaire à salut ; que les Lois et la Doctrine de Jésus Christ reviennent à elle. Et du grand abus qu’il y a dans les Fréquentes Confessions et Communions, dont l’on se sert pour augmenter ses péchés et sa perdition. En Français, et Flamand, etc.

 

XXII.

 

La Sainte Visière. Par où l’on découvre que les hommes ont perdu la Vue et la lumière de la Foi pour connaître les choses éternelles ; par quels moyens, et de quelle manière n’ayant plus qu’une lumière naturelle et bestiale ils se sont conduits en matière de Religion, de Doctrines, et de leur Salut. Ce qui attire la ruine de la Chrétienté qui est toute aveugle, ne sachant plus ce qu’est la Foi. Il y est déclaré ce qu’est cette Véritable Foi Divine, et que Dieu rétablira l’Église dans elle par les lumières pleines et dernières du S. Esprit promis qu’il envoie dès à présent sur la terre. En Français et en Flamand.

 

XXIII.

 

La Lumière du Monde. Troisième et dernière Partie : laquelle est remplie de Vérités lumineuses et incomparables, aussi fortes et salutaires qu’inconnues jusqu’à présent touchant le Franc-Arbitre ou la Liberté de l’homme, la Prédestination, l’Abandon à Dieu et la Dépendance de lui, la Corruption, l’Aveuglement et la Ruine de la Chrétienté, la Venue glorieuse de Jésus Christ, l’Envoi de sa Lumière, la Béatitude, la Foi, la Renaissance, l’Église, et beaucoup d’autres choses qui y sont traitées avec une évidence entièrement Divine, et de la dernière Conviction. En Français, Flamand et Allemand.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

T    A    B    L    E

 

D  E  S

 

M A T I È R E S

 

Selon qu’elles sont marquées au haut des pages du Traité.

 

(Le grand chiffre marque le Chapitre, et le petit les versets.)

 

 

DE la Liberté, de la Grâce, et de la coopération de l’homme avec elle.                              Chap. I. v. 1-11.

De la Prédestination.                                     I. 11-17.

Encore de la Liberté, de la Grâce, et de la Coopération.                                                   I. 17-31.

Du salut et de la damnation des Petits Enfants.      I. 31-38.

Encore de la liberté, Grâce, et coopérations avec elle.                                                                         II. 1-14.

De la Grâce, et de la Réjection et Résistance à elle. II. 14-21.

De la Grâce, de l’Amour de Dieu, et du péché. II. 21-30.

De l’usage et de l’abus des créatures.            III. 1-11.

De l’usage et de l’abus des habits.               III. 11-17.

De l’extérieur, en port, gestes, parler, etc.    III. 17-20.

Du parler des choses spirituelles.                III. 20-23.

Des Confréries, et dévotions à la S. Vierge. III. 23-26.

Des Sermons, cultes, et diverses dévotions extérieures.                                                                        IV. 1-17.

De l’Attrition et de l’Amour de Dieu.               V. 1-24.

De la Morale corrompue des Casuistes.         VI. 1-19.

Du pauvre état de l’Église.                             VII. 1-5.

Des Cloîtres, Moines, et Religieux.               VII. 5-15.

Des Austérités.                                            VII. 15-21.

De l’État du Christianisme.                       VII. 21-23.

Des Instructions modernes.                          VIII. 1-4.

De l’État et condition des Pasteurs.              VIII. 4-9.

De l’État des Chrétiens.                              VIII. 9-13.

De la Sagesse étudiée.                               VIII. 13-17.

De l’aveuglement des Chrétiens.               VIII. 17-24.

De l’examen pour connaître si l’on est Chrétien ou Non ?                                                              IX. 1-47.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S O M M A I R E

Des Chapitres de cette Première Partie,

dressé par l’Autrice même.

 

Chap. I. Que Dieu a créé l’homme tout libre pour se délecter en lui. Qu’il sera au dessus des Anges en sa perfection accomplie. Que Dieu est Tout, et que l’homme n’est rien. Qu’il ne manque jamais de donner ses grâces pour sauver tous les hommes, moyennant leur coopération. Que le libre arbitre des Enfants demeure en la puissance des Pères et Mères jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’usage de raison, etc.

Chap. II. De la Grâce (de sa généralité, efficace, prévenance, concours, résistance, coopération de la liberté, etc.) du péché, et de l’Amour de Dieu.

Chap. III. Qu’on est adultère lorsqu’on attache ses affections d’autre chose qu’à Dieu, qui est seul aimable. Les marques pour connaître si on l’aime véritablement. Que toutes choses belles et bonnes sont créées pour les élus. De la modestie des habits et vraie simplicité de cœur. Que le péché et la vertu ne sont autre chose sinon amour. Que parler humblement de soi est souvent orgueil. Que les études ont étouffé le S. Esprit, qui est tout simple, comme ont été les Apôtres et leurs Disciples. Qu’il y a tant de bigarrure dans les doctrines de maintenant. Que toutes les Confréries et la Vierge ne nous peuvent sauver sans garder les Commandements de Dieu.

Chap. IV. Qu’on néglige la Loi de Dieu par la tradition des hommes. Qu’on enseigne au peuple des fadaises au lieu de la Doctrine de Jésus Christ, comme, de la Prédestination, ou de l’immaculée conception de la Vierge. Que les Vœux sont pour les imparfaits, l’Amour étant Loi à soi-même. Que les Sermons d’aujourd’hui servent plus à excuser les pécheurs qu’à les induire à pénitence et amendement de leur vie. Qu’ils donnent le poison aux âmes au lieu de l’aliment. Que les Ornements des Églises distraient le recueillement intérieur, comme aussi, la Musique. Le Diable est quelquefois plus honoré ès Églises que n’est Dieu ; aussi par les Pèlerinages ou Images de la Vierge ; l’ennemi de notre âme s’étant maintenant emparé des choses saintes, l’on ne voit plus aucun fruit par les Prières, Processions, Solennités, ou Indulgences. Tout se fait par routine, et sans effets de piété.

Chap. V. De l’Attrition, laquelle on dit suffisante pour avoir pardon de ses péchés, et autres maximes qui sont contraires aux Enseignements de Jésus Christ (lesquels sont corrompus par les Prédicateurs Religieux et Casuistes).

Chap. VI. Des Moralités et Doctrines d’Antéchrist qui séduisent maintenant les Chrétiens. Que tous péchés sont excusés et changés de nom. Qu’on ne sait plus où trouver la Vérité. Qu’on dit être impossible d’aimer Dieu.

Chap. VII. Qu’il n’est pas impossible de garder les commandements de Dieu. Qu’on n’est pas vrai Chrétien. Que les paroles de Christ ne changeront jamais. Que nous sommes comme au temps de Noé. Que Dieu n’est pas honoré avec nos solennités et beaux Ornements des Églises. Si l’Église est en lustre. Que les Religieux ne sont vrais Chrétiens ; qu’ils trompent le monde et ressemblent aux Pharisiens. Pourquoi l’on va ès Cloîtres ; que leur vie est contraire à ceux de la primitive Église et à leurs instituteurs. Que les exercices extérieurs sont peu de choses. Qu’on ne tient plus rien pour péché sinon dire la Vérité du mal.

Chap. VIII. Des mauvaises doctrines qu’on enseigne ès Catéchismes au lieu d’enseigner la Loi de Dieu. Des devoirs et conditions des Pasteurs. Des gloses et explications sur la Loi de Dieu. Que notre vie est contraire à la doctrine Évangélique. Que les Païens s’élèveront contre nous au Jugement. Que la Sagesse des hommes est opposée au S. Esprit. Qu’on vit en la présomption de son Salut et dans les autres péchés contre le S. Esprit. Que les ténèbres sont universelles par tout le monde, lesquelles trompent tout le monde, les faisant mourir sans pénitence.

Ch. IX. Examen pour connaître s’il y a encore des vrais Chrétiens sur la terre, par divers passages de l’Évangile et les contrariétés qu’on voit dans nos mœurs Que la doctrine de Jésus Christ ne veut changer. Que notre vie doit être semblable à celle de ceux de la Primitive Église. Que nous sommes trompés et trompons les autres au fait de notre salut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ACADÉMIE

 

DES SAVANTS

 

THÉOLOGIENS.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

 

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CHAPITRE PREMIER.

 

Que Dieu a créé l’homme tout libre pour se délecter en lui. Qu’il sera au dessus des Anges en sa perfection accomplie. Que Dieu est Tout, et que l’homme n’est rien. Qu’il ne manque jamais de donner ses grâces pour sauver tous les hommes, moyennant leur coopération. Que le libre Arbitre des Enfants demeure en la puissance des Pères et Mères jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’usage de Raison.

 

Ceci à l’occasion de ce qu’A. B. a parlé de deux sortes d’Élus (dans l’explication du 24. de S. Matth. Lumière née en Tén. : lettr. 16.) à quoi elle donne une pleine solution dans la suite.

 

1. JE n’ai su bien entendre votre billet en particulier, sinon que j’ai compris en général que votre doute est provenu de ce que j’ai dit dans l’explication de l’Évangile de S. Matthieu, qu’il y a des élus qui ont élu de suivre Dieu par sa grâce, etc. Je ne me souviens pas bien des termes que j’ai pris alors pour m’expliquer, mais je dirai maintenant comment je l’entends.

2. Je conçois que Dieu a créé l’homme par pur Amour, pour se délecter en lui [1]. Et pour rendre cet Amour parfait, il l’a créé en pleine liberté [2], parce qu’où il y a de la contrainte ou impuissance, il n’y peut avoir d’amour partait. Le consentement et coopération de deux choses unies doivent nécessairement concourir pour rendre l’amour accompli.

3. Cette véritable supposition résout que l’homme a son franc-arbitre, et qu’il peut aimer Dieu parfaitement [3], non de foi, ni par ses mérites, n’ayant rien mérité avant d’avoir l’être, mais par la seule volonté de Dieu, à qui il a plu de le créer de cette nature, et lui donner cette liberté tout le temps de sa Vie, qui est une faveur surpassante celle qu’il a départie aux Anges, lesquels étant confirmés en grâce ne peuvent plus perfectionner cet Amour, lequel est limité, n’ayant plus de consentement ou résistance, qui est un amour moins parfait. C’est pour cela qu’il me semble que Jésus Christ a dit, Mes délices sont d’être avec les Enfants des hommes [4]. Ce qu’il ne dit pas des Anges, parce que cette espèce de créatures libres semble plus conformée et unie à Dieu, que celles nécessairement soumises à lui, comme sont les Anges. Ce Franc-arbitre donné à tous les hommes les rend des petits Dieux d’ils usaient de cette liberté pour ce seul Amour, pour lequel elle leur est donnée.

4. Si cette Liberté n’était point absolue à l’homme, comment serait-il possible qu’il pût faire le mal, où que rien ne peut sortir de Dieu qui ne soit bon ? L’homme seul, qui est fait par lui, serait-il mauvais ? Cela ne se peut dire sans blasphème. Mais la seule liberté qu’il a reçue de Dieu pour l’aimer lui sert de moyen pour l’offenser [5], par sa seule volonté ; Dieu ne pouvant contribuer à aucun mal, mais l’homme de foi même se peut pervertir au mal contre la volonté de son Dieu ; ainsi que Dieu peut lui faire des biens contre la volonté de l’homme, lequel de soi-même est impuissant à faire le bien [6], comme Dieu est impuissant à faire le mal, parce que l’homme n’a rien de bon qu’il ne l’ait reçu [7], et Dieu a tout le bien en soi et de soi sans rien avoir reçu d’un autre [8].

5. L’homme donc ne peut jamais faire aucun bien de soi-même, mais de la grâce de cet Amoureux Dieu, qui se plaît à lui en départir continuellement en témoignage de l’amour qu’il lui porte [9], lequel est si parfait et constant, qu’il ne défaut jamais de sa part [10], quoique l’homme lui fausse sa Foi et méprise son affection, il continue toujours ses bien-faits envers l’homme. En sorte que la plus méchante créature qui fût jamais, reçoit continuellement des nouvelles grâces de Dieu pour l’aimer et opérer son salut [11], et jamais ne peut être le manquement des grâces de Dieu qu’une seule âme périsse, mais de l’abus qu’elle fait de sa libre volonté, appliquant à mal les grâces que Dieu lui donne pour faire le bien, n’étant véritable que l’homme puisse jamais opérer quelque bien de soi-même, non plus que Dieu lui puisse manquer de donner ses grâces nécessaires à iceux, et il faut la coopération de ces deux choses pour opérer son salut, savoir, la grâce de Dieu, et la coopération de l’homme.

6. Dieu, étant Tout-puissant, peut sauver et damner qui bon lui semble absolument, sans que personne lui puisse résister, puisque tout est sujet à lui. Mais il ne le fait ni fera jamais par autres moyens que ceux qu’il a choisis et arrêtés par sa puissante Sagesse et l’Amour qu’il a conçu pour l’homme, lequel il a voulu faire plus conforme à soi que les Anges par la libre volonté absolue qu’il lui a donnée, l’étant comme assujetti soi-même à cette libre volonté de l’homme, pour ne point le contraindre au bien ni lui empêcher le mal, mais l’avoir à soi par pur amour, de son propre consentement de volonté [12]. En quoi ils excellent de beaucoup les Anges ; pas en nature, car les Anges sont maintenant plus parfaits que les hommes, qui peuvent défaillir, n’étant qu’un bien commencé, et les Anges un bien achevé, quoique moindre que ne sera l’homme en sa perfection achevée.

7. Pour voir comment Dieu donne ses grâces à l’homme, et comment il y doit coopérer, il ne faut que considérer l’ordre que Dieu a mis en la nature pour le regard du corps humain. C’est lui qui le forme indépendamment des créatures [13], en sorte que les Pères et Mères ne sauraient ajouter un cheveu sur la tête de leur enfant. Cependant il ne produit nuls hommes au monde que par la coopération de deux personnes qui l’unissent si étroitement, que deux corps ne sont qu’une chair ; ainsi que les cœurs et les volontés ne doivent être qu’un en Jésus Christ pour former la S. Église. Dieu pourrait bien créer tous les hommes du limon de la terre, si qu’il fit Adam ; ou les faire générer si que les poissons, mais il veut cette coopération conjugale pour maintenir sa charité entre les créatures, et ne produit nuls hommes par autre voie, quoiqu’il en soit Tout-puissant. De même il donne sa grâce à l’homme pour l’aimer et opérer son salut. C’est lui seul qui donne cette grâce, sans que l’homme y contribue ou l’aie jamais méritée [14]. Cependant cette grâce libéralement donnée ne produira jamais son effet sans le consentement du libre Arbitre de l’homme et sa coopération [15], quoiqu’il ne puisse rien ajouter à la grâce, qui vient immédiatement de Dieu, si que vient aussi la génération des hommes.

8. Mais, l’ordonnance de Dieu subsistera toujours, sans qu’il soit loisible à l’homme d’en demander raison, ou dire que la grâce de Dieu doit opérer seule ; ou, qui pis est, dire que l’homme peut faire le bien de lui-même. Ce sont questions autant téméraires qu’ambitieuses, qui tendent à donner des lois à Dieu, en voulant que sa grâce opère seule. Et d’attribuer à l’homme le pouvoir de faire le bien sans être prévenu de la grâce, c’est une superbité qui passe celle de Lucifer, lequel ne se voulait qu’égaler à Dieu ; où l’homme qui veut faire le bien de soi-même se préfère à lui, en ne le voulant pas prendre pour coopérateur de son bien, mais s’attribuer le pouvoir de le faire de soi-même. Il vaudrait mieux s’adonner à l’oraison que débattre ces questions.

9. Si un chacun rentrait en soi-même et examinait bien le procédé de Dieu au regard de notre salut, il trouverait que Dieu l’a toujours prévenu de sa grâce, et que sa franche volonté y a résisté le plus souvent, et qu’il a été toujours bénéficié de nouvelles grâces nonobstant l’infidélité et la résistance de l’homme ; que ce ne peut nullement être la faute de Dieu si nous périssons, mais la nôtre seule, puisque jamais il ne manque de prévenir de ses grâces les plus méchants mêmes. C’est le point de notre condamnation.

10. De vouloir spéculer si Dieu a vu de toute éternité en particulier tous les biens et maux que les hommes feraient, c’est une question trop curieuse, surpassant notre capacité [16], laquelle apporte peu d’utilité à notre salut, étant plus téméraire que profitable, vu qu’il doit suffire au serviteur de s’enquérir des desseins et volontés de son Maître en ce qui regarde son Ministère et devoirs de service qu’il lui doit rendre, sans l’informer des secrets desseins et presciences que son Maître a sur lui. C’est assez qu’il l’emploie à lui rendre bon et fidèle service en ce qui lui est commis, sans vouloir être Scrutateur de ses secrets. De même est-il au regard des secrets de Dieu, à quoi l’homme ne peut et ne doit jamais prétendre [17], parce que ses œuvres sont inscrutables et incompréhensibles. Ce qui tut montré à S. Augustin par le moyen d’un petit Enfant qui lui dit qu’il mettrait plutôt toute l’eau de la Mer dans une petite fosse que lui ne comprendrait les hauts mystères de Dieu en quoi il travaillait son entendement.

 

Prédestination.

 

11. C’est une belle leçon aux hommes de notre temps, lesquels emploient la science que Dieu leur a multipliée en abondance, à disputer comment Dieu a prédestiné l’homme, afin d’en rendre une partie lâches ou présomptueux à opérer leur salut, en leur proposant qu’il y a une masse de réprouvés nécessaires, et une autre des élus absolus. Si Dieu avait fait une masse de réprouvés absolus, il aurait fait choses mauvaises. Ce qui ne peut jamais être véritable, ne pouvant sortir de Dieu que toutes choses bonnes. Si les Diables sont mauvais, ce n’est pas la fabrique de Dieu qui les a faits mauvais, mais leur péché seulement. Si les hommes sont réprouvés, ce n’est pas Dieu qui les a réprouvés, mais leur libre volonté qui s’est rebellée contre la volonté qu’il a de les sauver [18]. Dieu étant le bien infini, duquel ne peut sortir aucun mal, ne pouvait créer une masse de réprouvés sans coopérer au mal, en leur donnant sujet de le maudire à toute éternité, le prenant pour injuste en leur regard, pour les avoir créés à damnation auparavant qu’ils aient reçu l’être, sans avoir rien mérité ou démérité. Si Dieu eût prévu les démérites d’iceux avant leur Création, sa bonté eût suppléé à leur malice en les laissant dans le néant, au lieu de les créer pour la faveur du Diable son Ennemi juré [19].

12. Quoique toutes choses soient présentes à Dieu, est-il à présumer qu’il aurait réprouvé l’homme avant le temps de sa création, (lorsqu’il était encore dans son néant) pour les fautes qu’il devait faire depuis la création, puisque le même Dieu s’est bien voulu faire homme pour le délivrer de la damnation après son péché effectivement perpétré ? Il faudrait qu’il aurait eu de la haine pour l’homme avant sa création, et de l’amour pour lui après son péché.

13. N’est-ce pas ranger Dieu dans des passions vicieuses, disant qu’il a réprouvé l’homme pour la prévoyance qu’il avait des péchés qu’il ferait après sa création, et qu’il l’a prédestiné à salut prévoyant ses mérites futurs ? Dieu avait-il besoin des mérites de l’homme pour le sauver ? Tous les hommes ensemble avec tous leurs mérites pouvaient-ils apporter un brin de gloire à Dieu ?

14. Ou bien, peut-il avoir eu de l’Amour et de la haine pour l’œuvre de ses mains ? Il serait muable, aimant en un temps, et haïssant la même chose en un autre temps. Ce qui ne se peut trouver en Dieu.

15. C’est une grande témérité à l’homme d’examiner et sinistrement interpréter les secrets d’un Dieu incompréhensible en toutes ses œuvres. Il a voulu donner à l’homme sa pleine liberté afin d’être par lui aimé amoureusement, sans impuissance ou contrainte, pour se délecter en lui, et que l’homme se délecte aussi volontairement en l’Amour de son Dieu, étant puissant de l’aimer dès l’instant de sa création, comme aussi libre de mépriser son Amitié et user de la grâce qu’il a reçue de lui, pour l’offenser, mais s’il le fait, c’est sa seule malice ; Dieu ne contribuant non plus à sa damnation que ne ferait un Armoyer en faisant un couteau bien tranchant pour le service et la commodité de quelque Seigneur, avec lequel cependant il viendrait à tuer son frère. Dieu, ayant donné à l’homme son franc-arbitre, n’est pas cause de sa réprobation ; non plus que ne peut être l’armoyeur cause de l’homicide que le Seigneur a fait avec sa besoigne, qui était en soi bonne, bien faite, de bonne trempe, et bien affilée, pour s’en servir à bon usage, et serait une noire malice de vouloir inculper à l’ouvrier fidèle la cause de l’homicide. La malice serait infiniment plus grande de dire que Dieu nous a créés à damnation, ou est cause d’icelle, pour nous avoir donné le franc-arbitre ; ou, qui pis est, dire que nous ne pouvons opérer notre salut parce que Dieu ne nous en donne pas la grâce.

16. C’est excuser notre malice, et attribuer à Dieu la faute de notre damnation, qui sont des horribles superbes et blasphèmes, parce que la vérité est que nous nous damnons sans Dieu par notre seule volonté, qui résiste à celle de Dieu, choisissant volontairement notre réprobation au lieu du salut [20], qui nous est gratuitement offert, et les grâces libéralement données dans notre création, et cela, à tous les hommes, en sorte que le plus méchant qui fût jamais ne peut dire avec Vérité de n’avoir point reçu des grâces de Dieu plus qu’à suffisance pour opérer son salut, et que sa seule volonté dépravée l’a conduit à la damnation, parce que de la part de Dieu il a été toujours prévenu de ses grâces, point seulement de celle qu’il lui a donnée en le créant, mais aussi de celles qu’il continue de lui donner, et continuera, voire augmentera jusqu’à sa mort. Je ne dis point aux justes seulement ou à ceux qui correspondent à ses grâces, mais aussi aux méchants mêmes qui y résistent [21].

 

Grâce. Liberté. Coopération.

 

17. Dieu ne cesse jamais de donner à tous moments des nouvelles grâces ; non plus que le Soleil ne cesse de donner sa lumière sur les bons et sur les méchants aussi longtemps qu’ils seront sur la terre. Le propre du vrai bien, c’est de se communiquer. Dieu, étant le bien parfait, se communique incessamment pour l’amour de soi-même, sans avoir égard si les hommes usent bien ou abusent de ses grâces [22]. Cela ne regarde pas la bonté de Dieu, qui ne s’amoindrit ou augmente par la bonté ou malice des hommes, qui sont des riens à Dieu, si que Dieu est le Tout à l’homme, en sorte que si Dieu suspendait ses grâces un seul moment, l’homme retomberait incontinent dans le néant d’où il l’a tiré, parce qu’il n’est de soi autre chose que néant. S’il a l’être et la subsistance, ce n’est que de la part de Dieu, et s’il retirait ce qui est de lui, aussitôt l’homme cesserait d’être, et deviendrait ce qu’il était auparavant, assavoir le néant.

18. Donc de nécessité il faut que Dieu continue de donner ses grâces à l’homme, non seulement pour le maintenir, mais encore pour opérer son salut [23]. D’autant que sans lui, l’homme ne peut rien faire sinon pécher [24] ; ce qu’il fait de soi-même, parce que Dieu ne rétracte la liberté qu’il lui a donnée en le créant, laquelle se portant au mal, peut faire librement le mal contre la volonté de Dieu et sans son intervention [25]. Mais le bien ne peut en nulle façon être opéré sans la grâce de Dieu, point seulement celle reçue en la création, mais aussi la grâce concourante efficacement dans toutes nos actions [26]. En sorte que c’est la grâce seule qui opère en nous toutes nos bonnes œuvres et notre salut [27], parce que l’homme n’a rien de soi sinon la liberté d’adhérer au bien par la grâce première qu’il a reçue de Dieu à sa création [28], laquelle ne lui sera jamais ôtée jusqu’au dernier moment de sa vie.

19. Cette grâce néanmoins ne lui est pas suffisante pour opérer son salut, si Dieu ne lui donnait continuellement des nouvelles grâces, parce qu’ayant une fois résisté à cette première grâce, jamais plus ne la pourrait recouvrer, l’ayant volontairement abandonnée, et lui arriverait comme aux Anges rebelles, lesquels Dieu a justement abandonnés, et suspendu ses grâces à la première rébellion de leur volontés. Ce qu’il pourrait faire avec la même justice au regard des hommes si l’Amour qu’il leur porte ne surpassait de beaucoup celui des Anges. Ce qu’il a ouvertement témoigné en les commettant Gardiens des hommes [29], leur donnant cette commission servile pour témoignage que l’homme lui est plus cher, et sera au dessus des Anges comme le Maître l’est sur ses serviteurs. L’expérience que cet Amour excelle au regard des hommes est les grâces qu’il lui a départies depuis son péché ; car au lieu de le réprouver et condamner aux enfers, ainsi qu’il méritait, il lui donne des nouvelles grâces pour s’en relever [30], lui rendant la libre volonté de l’aimer, qu’il avait perdue par sa rébellion ; d’autant que Dieu ne change point les desseins qu’il avait sur l’homme pour son péché [31], mais le maintient pour l’amour de soi-même dans sa condition libre, pouvant faire le bien et le mal, comme auparavant son péché [32].

20. En sorte que celui qui attribue à Dieu la réprobation des méchants ne connaît point la Bonté de Dieu, laquelle ne peut vouloir la réprobation de l’homme [33] ; qui est le plus grand mal qui se peut comprendre. Et ceux-là ne connaissent point l’Amour que Dieu porte à l’homme, qui disent que leur réprobation provient du manquement de ses grâces ; d’autant que les grâces de Dieu ne lui manqueront jamais de sa part, au regard même des plus méchants, et si cette grâce ne fait point ses opérations, c’est le péché et la malice de l’homme qui s’y oppose et résiste, tout de même que le Soleil de sa nature jette ses rayons sur un fumier aussi clairs que sur un Diamant ; cependant l’un en reçoit plus de lueur que l’autre, à cause de la différence des objets qui les reçoivent. Le même Soleil fait puïr le fumier et briller le Diamant ; cependant il ne donne de soi-même rien plus à l’un qu’à l’autre.

21. Le propre de Dieu, c’est de donner à l’homme continuellement des nouvelles grâces, au pécheur et au juste. Si elles n’opèrent pas au méchant, c’est son péché qui l’empêche, voire la même grâce qui fait briller le juste, rend le méchant plus puant, se servant desdites grâces pour pécher d’avantage [34]. Il lui est même impossible de voir cette grâce, pour l’opposition que son péché lui fait, le rendant insensible à icelle, tout de même qu’une épaisse nuée opposée au Soleil empêcherait de voir sa clarté et sentir sa chaleur [35]. Le Soleil ne cesse jamais d’échauffer et d’illuminer en toute saison ; non plus que Dieu ne cesse de donner toujours ses grâces, mais notre seule opposition empêche les effets et opérations d’icelles en notre âme, purement par notre faute ; car si nous étions fidèles en peu de choses, Dieu nous constituerait en grandes [36].

22. Il avait créé Adam dans une grâce si brillante, comme le Soleil en plein Midi. Son âme voyait et goûtait son Dieu. Mais depuis que par sa rébellion il s’est opposé à sa volonté ; ce péché s’est opposé aux grâces de Dieu comme une épaisse muraille au devant du Soleil, laquelle empêcherait de voir et de sentir ses favorables influences. Dieu n’a cessé de donner ses grâces à Adam après son péché comme auparavant, mais la muraille que le même péché a bâtie entre Dieu et lui, fait qu’il ne peut plus voir Dieu, ni recevoir ses grâces comme elles étaient opérantes auparavant. Il est demeuré en une ténébreuse obscurité ; point qu’il ait perdu Dieu, lequel ne changera jamais la première volonté qu’il a eue de se donner à l’homme, parce qu’en Dieu ne se peut trouver aucune mutation, ne pouvant abandonner ce qu’il a créé pour l’aimer [37]. D’où s’ensuit que l’homme ne perdra jamais Dieu [38], non plus que Dieu ne peut rien perdre bien que tous les nommes périraient, parce qu’ils ne peuvent lui rien ajouter ni diminuer [39]. Dieu, étant le seul tout, possède tout en soi. Si le même amour le mouvait, il pourrait en un moment créer encore dix mille mondes, voire rendre toutes ses créatures impeccables, si que sont maintenant les Anges. Partant Dieu ne perd rien par nos péchés ou damnation, mais nous perdons la vue de Dieu par nos péchés, et par conséquent la vue et l’opération de ses grâces, demeurant impuissants d’opérer aucuns biens, ou d’avoir une seule bonne pensée.

23. Aussi longtemps que ce péché est entre Dieu et notre âme, les yeux d’icelle sont aveugles [40], et l’entendement offusqué au bien, ne voyant ni sachant où il marche, ce qui fit demander : Adam, où es-tu ? après qu’il avait péché [41], parce qu’ayant perdu la lumière de la grâce, personne ne sait où il est ; ne peut même voir les moyens de la recouvrer ; quoique les grâces ne manquent jamais de la part de Dieu, non plus que le Soleil ne manque de lumière, bien que celui qui est en la place où une grosse muraille lui est opposée n’en reçoive non plus de faveur comme s’il ne luisait pas.

24. Il n’y a que la faveur de quelque chandelle qui lui fait discerner les objets qui lui sont présents ; de même n’y a-t-il plus que les grâces et lumières sensibles et visibles aux sens qui lui puissent faire discerner les biens intérieurs ; tellement est-il appesanti à la terre par son péché qu’il ne voit plus les choses divines que par les matérielles. Et si sa libre volonté ne choisit le bien qu’il peut en cette façon connaître, jamais n’opérera son salut ; d’autant que son péché l’inclinera toujours au mal, étant par icelui devenu beaucoup pire que le néant, lequel ne faisait nul mal ni ne s’opposait à Dieu, comme fait la volonté de l’homme, qui seul empêche son salut et cause sa réprobation.

25. Car Dieu a assurément créé tous les hommes à salut [42], et nuls à damnation, de sa part. Et bien que le pécheur ne sente pas l’opération des grâces Divines lorsqu’il est en son péché ; si a-t-il toujours quelque grâce sensible, suffisante pour se relever, comme le déplaisir de son péché, l’inquiétude qu’icelui apporte, les remords de conscience, ou la crainte de sa damnation ; qui sont autant de grâces sensibles que Dieu lui donne pour le rappeler [43], lui faisant voir comme par la faveur d’une chandelle les misères que le péché lui a apportées, avec un désir de s’en relever et recouvrer la grâce de Dieu.

26. Ces grâces sensibles sont plus que suffisantes pour opérer son salut après grand nombre de péchés [44], moyennant que la libre volonté soit résolue efficacement de détester et abandonner ses péchés, avec une forte résistance, qui rompe pour le moins quelques pierres de la muraille qui sert d’opposition à la grâce, afin d’apercevoir par le pertuis quelque petit rayon de la grâce illuminante et échauffante perdue par le péché, laquelle donnera de nouvelles forces pour rompre de plus en plus cette opposition à la grâce, moyennant la fidélité de l’âme qui s’efforce à mesure que la lumière se manifeste. C’est ainsi que le Royaume des cieux souffre force, et que les violents le ravissent [45] ; car si la volonté ne se fait violence pour quitter les péchés lorsque la raison lui fait voir le mal qu’icelui apporte, et sentir l’inquiétude de son esprit, avec la crainte de sa damnation, (qui sont toutes grâces sensibles desquelles le péché ne le prive jamais, non plus que de sa libre volonté, pour effectuer ce désir de sortir de son malheur ; ne soit que sa volonté rebelle s’oppose encore à ces grâces sensibles, et étouffe volontairement ces déplaisirs et craintes, pour plus aimer le plaisir de son péché que l’Amour de son Dieu). Cela endurcira son cœur [46], augmentant l’épaisseur de la muraille de l’opposition à la grâce, le rendant enfin impuissant de se sauver.

27. Il est bien vrai que Dieu donne quelques fois ses grâces plus fortes aux uns qu’aux autres, et qu’outre les grâces sensibles et naturelles, il appelle souvent le pécheur par des voies intérieures qui lui montrent la joie d’une bonne conscience, le bonheur qui se trouve à aimer Dieu, par l’augmentation de ses grâces. Ce sont comme autant de voix muettes qui disent à l’âme : Où es-tu ? Que ne retournes-tu à moi, qui suis ton unique bien ? Ce sont des grâces spéciales, que Dieu départ à qui bon lui semble, sans qu’il soit permis aux premiers de se plaindre de Dieu qu’il ne leur a autant départi qu’aux seconds. D’autant que les premiers ont reçu à suffisance pour opérer leur salut, s’ils en veulent bien user, et ce qui est donné de plus aux autres ne leur ôte rien, mais provient de la seule libéralité de Dieu ; n’étant licite à personne de devenir mauvais de ce qu’il est bon ; puisqu’il n’amoindrit les grâces de l’un pour les augmenter aux autres. Il lui est permis de donner, et point aux hommes d’en murmurer. Il peut donner des grâces infinies au pécheur même qui lui résiste. D’autant que Dieu n’a besoin de rien sinon de sa volonté pour faire toute chose.

28. Mais il ne le fait pas ordinairement, se comportant en notre regard en la manière que puissions voir et juger sa juste Justice en toutes ses œuvres. S’il a donné le salut au bon larron [47], il voyait en lui la pénitence et la confession de ses péchés, se condamnant coupable de la mort qu’il endurait. Ne voilà pas une pénitence parfaite pour attirer la miséricorde de Dieu sur lui ? S. Paul ne donna-t-il pas assez de témoignage qu’il croyait bien faire d’être Zélateur de sa loi, puisqu’à la première semonce de la Lumière de Dieu, il crie Seigneur, que voulez-vous que je fasse [48] ? Quelle violence n’a-t-il pas faite depuis pour surmonter les aiguillons de la chair [49] et rompre la muraille qui servait d’opposition à Dieu ? Combien s’en trouvera-t-il au jour du jugement qui ayant reçu les mêmes grâces s’y auront opposé ? Une Marie Égyptienne, pour avoir été empêchée d’entrer dans une Église, par le moyen de quelque vœu se fait violence, divorce avec ses plaisirs, se rend cruelle à châtier son corps en punition des plaisirs qu’il avait reçus, se sauve dans les déserts pour fuir l’occasion du péché. Combien de semblables pécheurs ont été repoussés de Dieu par des tribulations et adversités fort sensibles sans qu’ils aient rentré en eux-mêmes pour connaître que leurs péchés en étaient la cause ; ou se retourner par pénitence ?

29. Certes nos jugements ne sont point droits en ne regardant sinon l’extérieur pour attribuer à Dieu la cause de notre damnation par le manquement de ses grâces. Si nous voyions l’intérieure disposition des âmes qui subitement se convertissent, nous verrions clairement la coopération d’icelles, avec la justice bien mesurée de la part de Dieu, qui départ ses grâces en la façon qu’il a déterminée, savoir, avec le libre consentement de notre volonté. Ce qui a paru au regard de la Vierge Marie même, laquelle il avait élue pour sa Mère ; néanmoins, il lui envoyé un Ange pour avoir son consentement. Combien de fois dit Jésus Christ en son Évangile : Si vous voulez être parfait [50], ou celui qui me veut suivre [51] ? N’est-ce point pour montrer qu’il veut en tout notre volonté, et qu’il ne nous sauvera pas sans icelle ? Il veut tout avoir par Amour, et rien par force. Il ne donnera jamais ses grâces sans notre consentement, parce qu’il nous a créés de cette nature libre, sans contrainte au bien ni au mal, n’ayant que l’Amour de Dieu qui contraigne à l’aimer, et l’amour du mal qui contraigne à le suivre ; l’un n’étant non plus nécessaire que l’autre sinon autant que notre libre volonté le permet. Toute chose est en la puissance de Dieu, mais rien ne lui est nécessaire. Il veut ce qu’il fait, et ne fait que ce qu’il veut. Voulant que l’homme soit libre, il l’est toujours, sans le contraindre à rien. Si l’habitude au mal lui est comme une contrainte à icelui, c’est son péché seul qui l’a réduit dans cet esclavage ; s’il est comme contraint au bien par l’affection d’icelui, c’est sa libre volonté qui a élu à suivre ce bien qu’il connaît. En sorte que Dieu ne nous peut avoir élus à damnation.

30. S’il y a une masse de sauvés, et une de damnés, ce n’est pas Dieu qui les a réprouvés, mais leur propre volonté qui attire cette réprobation ; lui voulant que tout homme se sauve, avec le même règlement qu’il a mis dans la nature, ne requérant pas seulement la coopération des hommes pour la formation des corps, mais la veut encore pour tout le temps de sa vie. Car si un enfant venu au monde n’était alimenté et secouru des hommes, il périrait fort peu après sa naissance. C’est bien Dieu seul qui le maintient en vie, puisque nuls parents ne peuvent la maintenir un moment avec toutes leurs sollicitations ; cependant Dieu ne le maintiendra pas en cette vie sans la sollicitation d’iceux, parce qu’il veut cette sollicitation et coopération des hommes l’un envers l’autre pour maintenir sensiblement la charité mutuelle et Chrétienne, laquelle défaillant, les corps cesseraient de vivre ainsi que les âmes cesseraient de vivre sans la charité Chrétienne, laquelle doit durer à toujours, comme le secours et assistance des hommes l’un à l’autre tout le temps de cette vie. Car qui peut douter qu’une personne ne mourût sans être secourue de quelqu’autre, dans sa maladie ou vieillesse ? Dieu n’étant obligé à faire miracles pour la maintenir en vie ; puisqu’il a déterminé de ne le faire sinon par la coopération des autres. Si un Enfant n’était nourri, vêtu, nettoyé, et toutes les autres nécessités du corps, par ceux qui l’ont en charge jusqu’à ce qu’il ait atteint l’usage de raison, il ne pourrait vivre. Cependant il ne reste qu’à Dieu de le maintenir sans autre secours humain ; ou bien lui donner seulement autant de nécessités qu’à divers animaux, lesquels ont plus d’industrie naturelle pour la conservation de leurs vies naturelles, que n’ont pas les hommes ; quoiqu’ils soient de beaucoup moindres en leur espèce, cependant il a plu à Dieu de les créer de cette sorte ; ainsi qu’il a voulu que les herbes et les fleurs des champs servants à la nourriture des bêtes, croissent sans labourage, et que le froment ait sa croissance par l’industrie et labeur des hommes. Ce n’est pas que les hommes avec toutes leurs sagesses et travaux puissent jamais faire croître un brin d’herbe, ou un grain de froment, mais c’est que Dieu ne produit rien sinon avec la coopération et en la manière qu’il a ordonnée. Tout de même au regard du salut des âmes. Il veut la coopération de leur libre volonté, sans laquelle il ne les sauvera pas, parce que son bon plaisir est tel. C’est sa seule grâce qui donne le salut, comme c’est lui seul qui fait croître les herbes et les grains, mais toujours par les moyens qu’il a ordonnés. Le grain ne doit pas murmurer qu’il ait besoin de labourage, ni l’herbe se glorifier qu’elle se produit par les influences des cieux sans être cultivée.

 

Salut et damnation des petits Enfants.

 

31. L’homme peut-il se glorifier d’avoir opéré son salut, puisqu’il ne le peut faire sans la grâce de Dieu ? Peut-il aussi murmurer s’il se perd faute de la coopération de ses Parents, auxquels Dieu a donné la libre volonté de leurs Enfants, jusqu’à ce qu’iceux aient atteint l’usage de raison ; et alors seulement ils entrent en possession de leur franc-arbitre, lequel est jusqu’alors demeuré en la puissance d’iceux parents, lesquels ont pu consentir au salut ou à la damnation de leurs enfants comme aux leurs propres ? De là vient que les Pères ou Mères qui sont Sorciers ont tous enfants qui sont de même [52], ne fût qu’arrivant à l’usage de raison ils reconnaissent leur malheur et se convertissent à Dieu du consentement de leur propre volonté. Ce qui est bien rare, parce que l’habitude au mal leur est comme changée en nature. Cependant Dieu les souffre ainsi faisant, à cause de la libre volonté qu’il leur a voulu donner, laquelle il ne veut rétracter, non plus que toutes ses autres ordonnances, qui subsisteront toujours [53]. Et comme le corps de l’enfant qui est au ventre de la mère ne reçoit autre aliment que celui qui vient d’icelle, ainsi l’âme ne reçoit autre grâce que celles que la mère veut recevoir pour son Enfant. Si la mère avale un poison, elle donne la mort à son Enfant ; si elle prend quelque médicament confortatif, l’enfant en reçoit la vigueur. Et point seulement tout le temps qu’elle le porte en son ventre, mais aussi lorsqu’elle l’allaite ; même il arrive souvent que les Mères sont délivrées de quelques maladies mortelles par l’allaitement de leurs enfants, lesquels perdent leurs vies pour sauver celles de leurs mères. Peut-on accuser Dieu de cruauté d’avoir ordonné toutes ces choses, et qu’un enfant périsse sans qu’il y ait nullement de sa faute, mais seulement de celle de sa Mère, laquelle cessant de manger fait mourir l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, ou si elle tombe, elle le tue quelquefois ? L’union et dépendance qu’il y a entre cette Mère et son Enfant peut-elle être mauvaise, puisque Dieu a fait toutes choses bonnes ?

32. S’il a laissé le même ordre au regard de la grâce, comme il a fait en la nature, lui peut-on attribuer la faute de la damnation d’un enfant qui naît de Parents Turcs ou Païens, puisque cette incompréhensible sagesse a été servie de laisser opérer les causes secondes en la manière qu’il les a établies dès leur commencement ; donnant aux Parents la même puissance sur l’âme et le corps de leur enfant comme ils ont sur leur propre corps et âme, jusqu’à ce qu’iceux enfants soient venus à maturité d’user de leur propre entendement et libre volonté ; et alors les parents n’ont plus sur iceux de pouvoir sans la coopération de la volonté libre de leurs Enfants.

33. Ceci se prouve par le péché d’Adam, lequel a opéré dans tous ses descendants [54] ; comme l’expérience nous le fait assez sentir. Nous naissons en péchés par nos parents [55], et ne pouvons rien mériter ou démériter avant avoir plein usage de raison. Cependant nous sommes réprouvés par la faute de nos parents ; et cela est une juste justice de Dieu, laquelle ne pouvons comprendre avec notre faible entendement jusqu’à ce qu’il sera tiré des ténèbres auxquelles le péché le tient captif. Car de vouloir maintenant argumenter que Dieu sauve et réprouve les hommes de sa volonté absolue, ce ne sont que blasphèmes et injures que commettons contre Dieu par notre grossière ignorance. Personne ne peut jamais ignorer la Toute-puissance de Dieu à réprouver une masse d’hommes et en sauver une autre, ainsi que voyons et touchons qu’une partie chemine la voie de salut, et une autre, la voie de damnation. Mais nous pouvons aussi voir et toucher par les choses visibles et naturelles que Dieu ne veut notre salut ou réprobation par cette puissance absolue, mais par les voies et règlements qu’il y a ordonnés.

34. Et comme il ne veut que le corps de l’homme soit produit sans la coopération des parents, ni qu’il puisse vivre sans leur aliment, ni rien savoir sans leurs enseignements, jusqu’à ce qu’ils aient leur plein entendement propre ; de même ne veut-il que leurs âmes aient salut ou damnation sans la coopération d’iceux parents, lesquels pèchent [56] et méritent en leurs Enfants [57], si qu’Adam a péché en tous ses descendants. Et tous les hommes qui sont nés depuis lui ont contracté de lui le péché qu’il avait commis. Et cela par une droite justice ; d’autant que Dieu ayant déterminé de toute éternité de créer une espèce de créature libre (qui était l’homme) ne voulait les priver de cette Liberté tout le temps de leur Innocence, qui est, depuis leur conception jusqu’à l’usage de raison, et lorsqu’ils étaient encore dans l’impuissance d’user de cette liberté, il met et laisse ladite Liberté aux Parents, pour en user comme de la leur jusqu’à ce que leurs Enfants soient capables d’en user eux-mêmes.

35. En sorte qu’il ne faut imputer à Dieu la damnation d’un Enfant Païen qui meurt en bas âge, mais à la libre volonté de leur Père qui les produit dans le Paganisme ou autre secte à leur damnation, étant autant coupables de la perte des âmes de leurs enfants comme de la leur propre, parce que leur franc-arbitre s’étend toujours sur leurs enfants jusqu’à ce qu’iceux soient arrivés en âge de discrétion, et que Dieu les ait émancipés hors de l’esclavage du péché de leurs pères pour les faire vivre en leur pleine liberté propre de choisir le bien ou le mal. Et comme il ne faut imputer à Dieu la mort corporelle d’un Enfant qui est étouffé au ventre de sa mère, ou bien meurt de faim après sa naissance par la faute ou négligence d’icelle Mère, de même ne faut-il imputer à Dieu la mort de son âme qui provient parce que Pères et Mères sont Turcs, Hérétiques, Sorciers, ou attachés à autre chose digne de damnation, parce que Dieu laisse toujours opérer les choses selon sa première ordonnance [58], quoiqu’il en demeure Souverain, lorsqu’il lui plaît conserver quelques âmes particulières, si qu’il le peut faire au regard des corps, les tenant en la vie nonobstant la négligence et outrages de la mère. Mais il ne faut pas tenter Dieu, ni demander ces miracles particuliers. Il est puissant de les faire, mais nous ne le sommes pas de les mériter.

36. Ses secrets font inscrutables. C’est assez que nous correspondions fidèlement à ses grâces depuis qu’avons reçu l’usage de raison, sans nous enquérir si sommes de la masse des sauvés ou des réprouvés, parce que Dieu ne réprouve personne, étant le bien Infini, duquel ne peut sortir la réprobation, et un Amour Infini, qui ne cesse de nous élargir continuellement ses grâces voire aux plus méchants.

37. Il est bien vrai qu’il les départ plus libéralement aux uns qu’aux autres, et qu’il les rend quelquefois si fortes qu’on n’y peut plus résister [59], mais c’est toujours avec la libre volonté et coopération de l’âme, qui fidèlement les reçoit, et y adhérant amoureusement oblige cet amoureux Dieu à lui en donner davantage par la translation qu’elle lui fait de son franc-arbitre, lequel elle dépose absolument en la volonté de son Dieu, afin qu’elle n’en puisse plus user, et que lui seul en dispose. Lorsque cela est accepté de Dieu, ainsi qu’il est offert par l’âme, elle ne peut plus défaillir. Dieu l’élit pour soi, y habite, et y accomplit toutes ses volontés sans plus de résistance ; comme n’ayant plus de libre volonté depuis qu’elle l’a remise en la puissance absolue de son Dieu [60]. Elle ne peut plus périr [61].

38. Voilà ceux que j’appelle Élus que Dieu a élus, parce que les tenant ainsi à soi par l’abandon que l’âme a fait d’elle-même [62], il ne la quittera plus jamais. Mais les élus qui choisirent de suivre Dieu par sa grâce sont ceux qui ne s’abandonnent, mais élisent seulement de suivre le bien. Ceux-là peuvent périr.

 

 

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CHAPITRE II.

 

De la Grâce (de sa généralité, efficace, prévenance, concours, résistance, coopération, de la liberté, etc.) du Péché, et de l’Amour de Dieu.

 

1. JE n’ai jamais bien su comprendre en quoi consiste la dispute de la Grâce, sinon que l’un dit qu’on la peut avoir toutes les fois qu’on veut, et l’autre dit qu’il faut qu’elle vienne de Dieu, qu’on ne la peut avoir lorsqu’on veut.

2. Sur quoi il me semble que les deux parties ont raison. Car étant la volonté de Dieu de nous donner ses grâces [63], il ne resterait qu’à la volonté de l’homme de les accepter à tout moment. D’autre côté il faut qu’elles viennent de la part de Dieu [64], l’homme n’ayant rien de soi-même, étant tiré du néant, qui ne peut avoir de grâces. Il faut que tout lui soit donné. Le pouvoir d’accepter la grâce de Dieu vient aussi de lui [65]. Partant il ne peut avoir la grâce quand il lui plaît, mais lorsqu’il plaît à Dieu de la lui donner et lui faire accepter.

3. Cette acceptation de la grâce lui a été donnée à sa création, lorsqu’il a reçu de Dieu son franc-arbitre, duquel n’ayant pas abusé, l’homme serait toujours libre d’accepter et recevoir la grâce de Dieu lorsqu’il lui plairait. Son péché seul lui a ôté cette puissance, s’étant par icelui édifié une muraille d’opposition entre la grâce de Dieu et son âme [66], qui la rend comme impossible de recevoir cette grâce nonobstant qu’elle lui est continuellement offerte. Il convient une forte violence pour rompre cette muraille, c’est à dire, qu’il se faut faire force pour résister au péché [67], parce qu’icelui seul s’oppose aux grâces de Dieu, lesquelles sont continuellement offertes de sa part fort amoureusement sans que fassions aucuns efforts pour les acquérir, vu qu’elles nous sont toujours libéralement données efficacement si nos péchés n’empêchaient en nous l’opération de cette grâce.

4. C’est donc à ce péché seul qu’il faut user de violence, rompre et briser nos inclinations vicieuses qui occasionnent ces péchés ; ou autrement, nous ne sentirons jamais la pleine opération de la grâce. Cette résistance au péché provient aussi de la grâce de Dieu [68], parce que l’homme, étant tiré du néant, ne peut rien avoir de soi-même, mais il a reçu de Dieu en sa création le franc-arbitre, lequel ne lui sera jamais ôté jusques à sa mort, quoiqu’il soit tombé en péché, Dieu ne se peut repentir de lui avoir donné cette liberté [69]. S’il semble n’en pouvoir user étant en état de péché, ce n’est nullement que cette liberté lui soit ôtée, mais c’est lui-même qui l’a affaibli par son péché, et plus l’homme pèche, plus il s’éloigne de Dieu, renforçant par nombre de péchés la muraille d’opposition à sa grâce ; plus il multiplie ses péchés, moins a-t-il de force à y résister.

5. De là vient son endurcissement de cœur. Car Dieu n’abandonne jamais l’homme, mais l’homme se retire de son Dieu par ses péchés [70], lesquels étant souvent réitérés, font la muraille d’opposition à la grâce si forte, qu’à la fin il la rend comme inébranlable. Ce qui nous fait croire être abandonnés de Dieu, mais à tort, puisque la Source de Toute-bonté ne peut faire un si grand mal que d’abandonner l’homme ; au contraire, il l’attend toujours à pénitence jusques au dernier moment de sa vie [71], lui laissant la libre volonté reçue en sa création, avec laquelle il se peut toujours relever ; point de par soi-même, vu qu’il n’est rien, ayant été un temps qu’il n’était pas, et lorsqu’il est devenu être quelque chose, ç’a été par la grâce de Dieu [72]. Si la grâce de sortir de son péché lui a été donnée en le créant libre, ou si elle lui est donnée depuis sa création, elle vient toujours du même donneur [73], qui est Dieu, sans que l’homme puisse dire qu’il ne tient qu’à lui d’être sauvé, ou pouvoir mériter le salut.

6. Il me semble fort absurde de disputer ces choses qui sont si claires, Dieu ne pouvant réprouver l’homme sans cesser d’être source de tous biens, et l’homme ne se pouvant sauver de soi-même, pour être un néant qui ne peut rien. S’il se sauve, c’est toujours par la grâce qu’il a reçue de Dieu, ou en le créant, ou depuis sa création. Or qu’importe-t-il s’il se sauve par la première grâce qu’il a reçue en sa création, ou par les grâces subséquentes qu’il reçoit continuellement depuis ? Son salut ne peut jamais venir de lui, non plus que sa damnation ne peut venir de Dieu, parce qu’il a créé tous les hommes pour leur salut, et nul d’eux ne périra par faute des grâces de Dieu, qui ne manque jamais de donner à un chacun ce qui lui est nécessaire pour se sauver [74].

7. Il est bien vrai qu’il fait quelquefois des élections particulières, comme la Sainte Vierge Marie pour la Mère de son humanité, S. Paul pour son disciple, et aucuns autres qui sont en petit nombre ; encore ne leur augmente-t-il pas ses grâces sinon après la coopération de la première, avec laquelle ils se font force à résister aux inclinations vicieuses, et rompent la muraille d’opposition à la grâce pour recevoir en plus grande abondance les lumières intérieures, lesquelles proviennent ès âmes des abondances des grâces, en sorte qu’elles n’y peuvent plus résister, parce que les péchés étant ôtés, la grâce a sa pleine opération [75], se dilatant en toutes les parties de l’âme, et y consume tout ce qu’il y a d’imparfait, voire les moindres inclinations au mal, en sorte que la grâce habite et régit en toutes les facilités de l’âme, sans nul empêchement, la déifie à la fin, par la déposition qu’elle fait de son franc-arbitre en la pleine puissance et liberté de son Dieu qui lui avait donné.

8. Lors cette âme devient impeccable [76], parce que Dieu la tenant en sa puissance absolue ne la peut laisser déchoir ; point que de soi elle puisse être impeccable aussi longtemps qu’elle vit en ce monde, mais de la grâce de Dieu, qui la choisit absolument comme elle lui a aussi rendu absolument sa libre volonté. Ce sont ces âmes là que j’appelle élus de Dieu, parce qu’elles ne peuvent plus périr. Et ceux que j’appelle élus qui ont élu de suivre Dieu moyennant sa grâce, c’est tout le reste des hommes qui font élection de suivre le bien et quitter le mal. Ceux là peuvent bien périr, n’ayant point abandonné leur libre volonté entièrement entre les mains de Dieu, ni aussi rompu la muraille des péchés qui s’oppose à ses grâces, mais demeurent en la possession d’icelle libre volonté qui les encline quelques fois au bien, autres fois au mal, coopérant par fois à la grâce, et tombant aussi par fois en péché, duquel ils se relèvent par l’effort qu’ils font à rompre cette muraille de péché qu’ils connaissent être opposée à la grâce par l’inquiétude qu’il apporte en l’âme, par remords de conscience, et autrement, par attraits qu’ils ont au bien, ou crainte de la damnation, qui sont autant de témoins qu’ils ont élu de suivre Dieu par sa grâce, parce que cette grâce cessant, ils ne sentiraient le remords de conscience, ni le désir de retourner à Dieu après leur péché. Ils sont donc élus ; point qu’ils se soient élus eux-mêmes [77], ne pouvant avoir élu Dieu avant avoir l’être, mais Dieu, qui a toujours été, les peut avoir choisis de toute éternité, vu que tout lui est toujours présent, aussi bien le passé que l’avenir, mais il les a élus [78] conditionnellement, en cas qu’ils coopèrent à ses grâces, et non autrement, laissant toujours agir leur libre volonté sans laquelle il ne force personne.

9. Mais lorsqu’il a repris la libre volonté que ces premiers élus lui ont voulu rendre, il les contraint pour lors [79] par la force de son amour et de ses grâces ; en sorte qu’ils ne peuvent plus l’abandonner ; point d’eux-mêmes, mais par la force de son amour, qu’il leur découvre, les liant à soi par un lien inséparable d’amour mutuel ; en sorte que l’âme devient si unie à lui, qu’elle ne peut non plus quitter Dieu que lui la quitter sans infidélité, qui ne se trouvera jamais en Dieu, non plus que le manquement de ses grâces. Et si une âme pèche après avoir reçu de grandes grâces de Dieu (si qu’il arrive quelques fois) c’est assurément qu’elle n’avait efficacement abandonné son libre arbitre à son Dieu, mais seulement s’en servait elle-même pour la coopération à ses grâces, auxquelles demeurant fidèle, elle opère assurément son salut qu’elle élit par icelles grâces [80], mais si elle vient à la fin à y résister, elle peut périr [81], nonobstant plusieurs grâces reçues, parce que cette élection n’est pas absolue, mais conditionnelle.

10. Combien de grands Saints sont parvenus à grande perfection avec cette élection de suivre Dieu moyennant cette grâce ? Ayant coopéré aux talents qu’ils avaient reçus, et profité avec iceux, Dieu les a commis à la fin sur tous ses biens, si qu’il a promis en son Évangile au Serviteur fidèle [82], et à l’infidèle lui fit ôter le talent pour le donner à celui qui en avait fait profit. Ce qui arrive journellement au regard de nos âmes : Dieu leur donne assurément ses grâces nécessaires ; si elles veulent correspondre à icelles elles seront augmentées, et tant plus on aura, tant plus on recevra ; la fidélité à une grâce en attire toujours des plus grandes, et ce jusques à l’infini, parce que la libéralité de Dieu est si grande qu’il se plaît à continuellement donner et augmenter ses dons. Mais si l’âme résiste aux premières grâces, elle les perd, et empêche l’effet des autres qui suivraient cessant cette résistance.

11. De vouloir inculper à Dieu la faute de cette résistance, c’est lui faire injure, puisqu’il la donne libéralement sans y être obligé. S’il voulait retenir la grâce d’y coopérer, il lui ferait meilleur de retenir cette grâce première que de rendre la grâce seconde d’y coopérer inutile. Dieu ne fait rien en vain. S’il donne la grâce de se sauver, il donne en même temps la grâce d’y coopérer à ce salut, et si l’homme résiste à cette coopération, c’est sa seule volonté dépravée ; personne ne nous pouvant damner sinon nous-mêmes. Il est vrai que les Diables, ennemis de notre bien, peuvent nous tenter en diverses façons, mais jamais ne peuvent forcer notre libre volonté. Les hommes méchants peuvent aussi nous induire au mal, mais nous demeurons toujours libres de ne les pas croire ou suivre ; rien ne peut contraindre la libre volonté que Dieu nous a donnée de choisir le bien ou le mal. C’est nous flatter de le dire ou croire.

12. Celui se flatte encore d’avantage qui croit que c’est manquement des grâces de Dieu qu’il ne fait pas le bien et n’opère son salut. Il ment à lui-même, se faisant entendre des faussetés, lesquelles il découvrira aisément s’il veut sérieusement examiner sa conscience, et remarquer combien de fois Dieu l’a prévenu de ses grâces, auxquelles il a résisté ; combien de bonnes pensées Dieu lui a mis dans l’esprit, lesquelles il a rejetées ; combien de secrets mouvements intérieurs a-t-il négligés ? combien de livres et admonitions saintes qui pouvaient l’aider à salut, qu’il a méprisés ? combien d’occasions favorables à salut a-t-il prises pour sa damnation ? Tant de prospérités pour reconnaître le soin et l’amour que Dieu lui portait ! Tant d’adversités pour le rappeler hors de son péché, et remettre au chemin de son salut ! combien de divers accidents sont arrivés à l’endroit du prochain qui l’ont ému à contrition, comme des morts subites, des homicides, pestes, feu, et autres choses qui sont inévitables à tous hommes ! Cependant, toutes ces grâces et attraits n’ont point été suivies par la volonté de l’homme ; au contraire, se détournant de leur Créateur, sont tournés vers la Créature pour la plus aimer que leur Dieu ; et, qui plus est, le rendre après tout coupable de leur damnation pour leur avoir manqué de grâce. Abus horrible, et insupportable ! que l’homme ne se contente point seulement d’abuser des grâces de Dieu, mais veut encore le rendre coupable de sa damnation ! C’est une superbité inouïe, de sentir que nous résistons à tout moment aux grâces de Dieu, et dire que notre damnation provient par le manquement de cette grâce au lieu de porter sentence contre notre lâcheté et malice, laquelle nous voyons et touchons au doigt.

13. Il serait bien plus salutaire de frapper la poitrine et se condamner soi-même que d’argumenter sur les grâces de Dieu, puisque notre propre conscience est le témoin irréfragable que les grâces nous ont toujours été données, voire même au milieu de nos péchés. Combien d’amoureuses semonces Dieu n’a-t-il pas faites à notre cœur pour le retirer de sa damnation ? Combien de grâces nouvelles, pour la correspondance à quelque petite grâce ? Toutes les fois que nous avons jeté l’œil vers Dieu et élevé les mains ou seulement le doigt, ne nous a-t-il pas tiré fortement à soi et pardonné nos péchés ? Quel effort avons-nous jamais fait pour y résister sans sentir tout incontinent son secours et ses grâces ? Qui l’a jamais invoqué sans être aidé, ou le chercher sans le trouver ? Personne ne le peut dire sans mensonge, parce qu’il se plaît toujours à nous bien-faire. Nos prières lui sont agréables, et nos complaintes bien plaisantes. Il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive [83].

 

Grâce et réjection.

 

14. Si nous ne sentons pas toujours les effets de ses miséricordes, c’est que notre conversion n’est pas droite, et que nous cherchons autre chose que Dieu, croyant souvent l’aimer lorsque nous n’aimons que nous-mêmes. Et ce n’est pas lors de merveille que nous ne trouvons point la grâce, parce que nous n’avons rien, et ne pouvons rien donner ni à nous ni à d’autres, Dieu étant seul le vrai bien, et tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien.

15. Nous sommes souvent marris d’avoir péché sans tourner l’œil à Dieu, mais sur nous-mêmes [84], en regardant les œuvres du péché comme mauvaises ou désagréables aux hommes. Cela nous donne un déplaisir de les avoir commis. D’autre côté, nous voyons la vertu belle et agréable, plaisante et honorable. Cela nous fait la convoiter, parce que le bien est de soi-même toujours aimable. Mais cet amour du bien et cette haine du mal ne regardent pas Dieu, pour l’obliger à nous donner ses grâces. C’est plutôt un amour propre qui nous le fait désirer.

16. Cependant notre malice est assez effrontée pour dire que nous cherchons Dieu et ne le trouvons point. Il tolère tous ces jugements pervers jusques à son jugement, où l’on verra quelle tromperie il y a dans les hommes, quelles injures ils ont dites contre Dieu, lequel, ne manquant jamais de grâces, est tenu pour coupable de notre damnation, causée par la seule volonté de l’homme, qui se détournant de son Dieu pour adhérer à la créature, adultère en faussant la foi à son fidèle Époux qui l’avait créé seulement pour l’aimer.

17. Est-ce de merveille si cette âme ne sent l’influence de ses grâces aussi longtemps qu’elle est détournée de son Dieu pour se joindre à un autre si éloigné des perfections et qualités de son légitime Seigneur et Créateur ? Serait-il juste qu’il donnât des grâces efficaces à celui qui volontairement se délecte dans la créature, en mépris de son Créateur ? Si c’est l’homme qui se détourne, Dieu le peut-il empêcher puisqu’il lui a donné son franc arbitre ? Ne faut-il pas qu’il laisse opérer ses dons ? Et aussi longtemps que l’homme ne se retourne de sa libre volonté, Dieu le peut-il contraindre sans lui ôter sa libre volonté qu’il lui a donnée ? Il ne le fera jamais, sinon lorsque l’homme se veut véritablement retourner à lui, comme l’enfant prodigue : le Père le reçoit, se réjouit de son retour, lui remet sa saute, et le reprend pour son Enfant [85].

18. Je ne sais comment exprimer le ressentiment que j’ai de ce qu’on veut attribuer à Dieu la cause de notre damnation, ou bien dire qu’elle arrive par manquement de ses grâces ; puisque j’ai souvent expérimenté que Dieu m’a prévenu et rappelé, même lorsque je voulais l’abandonner ; et s’il ne m’aurait prévenu, je m’aurais précipité en tous les moyens qui mènent à damnation, étant arrivée si avant que de dire à ses admonitions intérieures : Je n’aurais jamais de plaisir en pensant toujours à cela. Je voulais me retirer de Dieu, et il me rappelait au dedans pour me faire souvenir de lui. Et sitôt que j’ai retourné à lui, il m’a reçu amoureusement, en me donnant de plus fortes grâces pour résister à tout ce qui me voulait divertir de lui. Je ne doute point que n’ayez aussi fait cette expérience en vous-même, car si Dieu ne vous prévenait, il ne m’aurait point vous fait connaître, ni opérer en votre âme par mes paroles, et me donner un soin et désir pour votre salut. Si vous méprisez cette prévenance, ce ne sera pas la saute de Dieu que périssiez, non plus que la mienne, n’ayant et ne voulant manquer en rien de mon côté, mais ce sera la seule faute de votre coopération. Tous les hommes du monde expérimenteront cela s’ils veulent rentrer en eux-mêmes sans se flatter, que Dieu les a toujours prévenus de ses grâces, encore bien même qu’ils fussent été très-méchants. Pourquoi donc dire, lorsqu’on vit mal, qu’on n’a pas de grâces de Dieu, s’il ne manque jamais d’en donner ? Il faut dire. C’est ma faute, car j’ai assurément résisté aux grâces de Dieu au lieu de l’obliger à m’en donner des plus grandes par ma correspondance.

19. Il est vrai que Dieu donne le tout, la volonté de faire le bien et se sauver vient de lui [86], comme aussi la force et la constance d’y persévérer. C’est Dieu qui fait tout en nous, le péché seul est notre ouvrage. Tout le bien vient de Dieu, qui se plaît à nous le donner. Si nous croyons avoir le bien de nous-mêmes, nous tombons encore dans une plus grande erreur que celle ci-dessus, en attribuant la faute de salut au manquement, de la grâce, parce que bien que Dieu manquerait de nous les donner, il n’y est pas obligé en notre regard ; pour n’avoir aucun besoin de nous, mais dire que pouvons faire le bien et opérer notre Salut de nous-mêmes, c’est une chose controuvée et sans raison. Car comment pourrait un rien opérer quelque chose de bon ? L’homme en son néant était rien. S’il a été depuis quelque chose, c’est par la grâce de Dieu, point par soi-même. Et afin qu’il reconnût toujours d’où il est sorti, Dieu n’a pas voulu former son corps d’une matière noble, comme du Soleil ou autres créatures relevées que Dieu avait créées pour son usance, mais l’a voulu former de la terre, qui est le plus vil de tous les éléments, afin qu’il ne s’attribuât rien à soi-même, mais se regardât comme de la boue d’où il a été tiré. Et s’il a en outre la raison, l’entendement et la volonté d’aimer Dieu, tout cela sont grâces gratuitement données, sans son mérite. Et s’il lui a donné une âme Divine et immortelle, cela appartient à Dieu, l’homme ne la pouvant jamais sauver de soi-même, parce qu’il n’est rien, et s’il se veut appeler quelque chose, il se peut seulement dire de la boue, ou de la fange [87].

20. Comment donc se peut-il attribuer le pouvoir de se sauver, n’ayant point même tant de qualités naturelles pour l’entretien de sa vie qu’un poussin, ou autres bêtes, qui cherchent et trouvent l’aliment aussitôt qu’ils sortent au jour ; d’où l’homme mourrait s’il n’était secouru par d’autres créatures, Dieu l’ayant ainsi ordonné afin qu’il ne sorte pas hors de la connaissance de ses misères, et ne s’enorgueillisse de la noblesse de son âme que Dieu voulait créer dans ce corps, ou ne s’attribue quelque gloire qui appartient à la seule grâce de Dieu, lui ayant donné cette nécessité de dépendre des autres créatures, afin d’entretenir en l’homme les témoignages de charité les uns vers les autres, de laquelle leurs âmes devaient être ornées. Car autrement il aurait rendu l’homme plus indépendant des créatures que tous autres animaux, lesquels sont soumis à l’homme. Partant c’est en vain et contre la volonté de Dieu que l’homme se persuade pouvoir opérer aucun bien de soi-même, puisqu’il n’aura jamais autre chose de soi-même que le néant et la boue. Il faut qu’il s’assure que tout le reste vient de Dieu [88], qui lui donne et ôte toutes les parties de son corps et toutes les puissances de son âme quand et comme il lui plaît. Et s’il a la grâce de bien faire et opérer son salut, c’est une grâce spéciale laquelle Dieu lui donne pour l’amour qu’il lui porte, non pas parce qu’il l’ait pu mériter, n’ayant nuls mérites en soi ; non plus que Dieu n’a aussi besoin de ses mérites, étant le seul Tout.

 

Grâce. Amour de Dieu. Péché.

 

21. Ce Tout-bien, hors duquel il n’y a nuls biens, ne se veut communiquer à l’âme sinon avec son consentement [89]. Il lui montre premièrement son bien ; il lui donne le désir de le désirer ; par après il lui offre. Si l’âme l’accepte, elle en jouit ; si elle lui refuse, elle en demeure privée. Car jamais Dieu ne donne ses grâces par force ni sans le consentement de l’âme, ne fût qu’icelle s’est rendue entièrement à lui.

22. Dieu fait à l’âme comme un Amoureux honnête qui prétend d’épouser sa Maîtresse : il la sert ; il la pourchasse ; il la caresse, et par toutes sortes de moyens il tâche de gagner son amitié. Si elle agrée son amour, elle l’aime réciproquement et jouit pleinement de sa personne et de tous ses biens ; si elle dédaigne cet amour et tous les devoirs de bienveuillance, il se retire et la délaisse, quoiqu’à son regret, ayant employé en vain jusques à l’extrémité toutes sortes de moyens pour se faire aimer d’elle. Il tâche alors de l’oublier et l’effacer de sa mémoire ; point que son amour change ou soit inconstant de sa part, mais à cause qu’il n’est pas correspondu ni agréé de la part de sa maîtresse. Dieu aime l’âme en parfait fidèle amant [90] ; il lui montre l’excellence de son amour par des rayons des lumières intérieures qui échauffent quelques fois l’âme à l’aimer. Il la meut par des bons mouvements ; il l’attire par quelque douce consolation intérieure ; il lui donne des désirs de l’aimer ; il la prévient de beaucoup de faveurs, lui montrant qu’il la cherche et se veut donner à elle par les déplaisirs qu’elle trouve en toute autre chose qu’elle veut aimer. Mais si après long-espace de tant de grâces l’âme vient à les rejeter, et dédaigner l’amitié de son Dieu pour s’attacher à quelque autre chose, soit l’amour d’elle-même ou quelques créatures, Dieu se retire alors et la délaisse [91]. Point que de son côté son amour change ou puisse changer, mais faute que l’âme dédaigne son Amitié, laquelle il désire avoir correspondue par elle [92], afin que l’amour qu’il lui porte soit parfait, et qu’il se puisse pleinement délecter en elle ; point qu’il puisse se délecter en elle pour elle-même, étant un sujet trop éloigné de sa Grandeur, mais pour l’amour qu’il porte à soi-même ; comme l’amoureux n’aime point tant la beauté de sa Maîtresse comme le plaisir qu’il reçoit à la regarder, ni sa bonne humeur comme le contentement qu’il reçoit en sa conversation. De même, Dieu aime sa créature pour l’amour de soi-même, mais elle seule reçoit tous les avantages de cet Amour ; car sitôt qu’elle a donné son plein consentement à l’amour de son Dieu [93], elle jouit de lui et de toutes ses grâces, si en abondance, que si le même Dieu ne la tenait en vie, elle ferait étouffée de tant de consolations surpassantes ses forces naturelles.

23. Qui empêche que tous les hommes ne jouissent de cet abîme de bonheur ? Il n’y a rien que le péché seul. Et qu’est-ce que le péché ? Rien d’autre que se détourner de Dieu pour se tourner vers la Créature [94]. L’on donne divers noms au péché, cependant tous ne sont qu’une même chose, savoir, le détour d’aimer Dieu pour aimer la créature. Qu’est-ce autre chose l’orgueil, sinon oublier que Dieu est seul estimable, pour l’honneur, les grâces et sagesses qui sont en nous, lesquelles sont toutes créatures, qui ne sont rien hors de Dieu ? Et lorsque nous les estimons en elles-mêmes, nous péchons, en dérobant à Dieu l’estime qui est due à lui tout seul. L’Avarice n’est autre chose qu’une affection des biens périssables qui détourne la vue du vrai bien infini. La luxure n’est qu’un détour de se délecter en Dieu pour se plaire à la chair et au sang. Le Courroux n’est que le même détour pour acquiescer à sa propre passion. La gloutonnie n’étant qu’une complaisance à satisfaire à son ventre et à sa langue. L’Envie à satisfaire à son imagination. La paresse à l’aise de son corps. Enfin, tout ce qui se peut nommer péché n’est autre chose que se détourner de Dieu pour prendre quelque plaisir hors de lui.

24. Ne voilà pas un beau rien qui nous dérobe le tout ! Car l’amour que nous pouvons porter à toutes ces choses ne nous saurait jamais donner la moindre grâce que Dieu nous donnerait en l’aimant. Ne sommes-nous pas ennemis de nous-mêmes de nous détourner d’un Dieu si aimable, qui ne nous a créés que pour l’aimer, pour adhérer à des créatures si viles comme sont toutes les choses de la terre ? Y a-t-il choses plus frêles que nous-mêmes, qui sommes aujourd’hui, et demain plus ? Une disgrâce nous ôte l’honneur. Quelque petite humeur fait perdre notre entendement ; enfin, un petit ver nous met au tombeau. Et tout ce qui est hors de nous est encore de moindre considération. Car les plaisirs passent en un moment, et les richesses ne sont que terre qui nous serviront de bien peu. Tout cela doit-il être capable d’attirer notre affection et la détourner d’un Dieu source de tous biens, temporels, éternels et incompréhensibles ?

25. Ô aveuglement déplorable, digne de larmes de sang ! Cet aveuglement est si universel, que les âmes les plus parfaites d’aujourd’hui se présument d’aimer Dieu lorsqu’elles ne pratiquent point des actions méchantes, qui sont seulement les témoins du péché, lesquelles actions ne font point le péché, mais le cœur et la volonté [95] ; tout de même que le témoin d’un meurtre n’augmente pas le mal de celui qui a meurtri, mais il découvre son mal, lequel étant découvert se corrige plus facilement, soit par la honte de son péché, ou par la crainte d’en être puni ; en sorte que le témoin du mal apporte souvent plus de bien que s’il était fait en cachette. De même une âme qui se détourne de Dieu pour aimer soi-même ou autre créature, commet le meurtre de son âme, encore bien qu’elle ne fasse autres actions mauvaises. C’est assez qu’elle cesse d’aimer Dieu pour être damnée [96], parce qu’il ne l’a créée que pour cela, et lui en a fait un commandement.

26. Il ne faut nuls témoins à Dieu, qui connaît les cœurs. Il est vrai que lorsque l’on ne témoigne point au dehors l’affection dépravée qu’on porte à quelque créature, on n’ajoute pas à son péché le scandale des hommes, mais devant Dieu le péché est aussi grand comme s’il était commis par devant plusieurs témoins, voire quelques fois plus grand et énorme ; pource qu’il est accompagné de fausseté et d’hypocrisie, avec la présomption de son salut, de quoi les péchés publics sont délivrés ; pource qu’un pécheur public ne passe plus pour homme de bien, voire de dévotion, et ne trompe si finement son prochain. Si est-il aussi plus en crainte de son salut, ses mauvaises actions lui étant reprochées aussi bien des hommes que de sa propre conscience. Ce qui le tient souvent en humilité. Les pécheurs cachés sont en la léthargie de leurs âmes, dormant sans cesse en repos dans le détour qu’ils ont fait de Dieu, présumant leur salut assuré lorsqu’il est en plus grand danger.

27. Demandez un peu à un Religieux ou à une dévote s’ils aiment Dieu et s’ils seront sauvés ? Ils répondront aussi tôt qu’oui, et que pour leur salut ils l’espèrent assurément, voire qu’ils sont prêts à mourir lorsqu’il plaira à Dieu. Cependant, pratiquez-les de près ; vous les trouverez tous pleins d’amour propre, recherchant leurs aises et commodités. Si on les choque, les voilà en colère ; si on les méprise, les voilà enflés d’orgueil, croyant en leurs cœurs qu’ils méritent plutôt louanges. Si on contredit à leurs volontés, les voilà troublés et chagrins, et ainsi de tout le reste des passions. Leur vie n’est qu’un tissu de péchés, avec lesquels cependant ils croient d’aimer Dieu. Ne voilà pas des grandes tromperies ? Dieu peut-il résider dans une âme avec le péché [97] ? Ce sont deux choses trop incompatibles que Dieu et le péché. Si l’on est en ténèbres, l’on n’est plus en lumière. Si l’on est en lumière, l’on n’est plus en ténèbres, parce que l’un chasse l’autre aussi tôt, ne pouvant jamais demeurer par ensemble.

28. Si vous aimiez Dieu, vous ne pourriez aimer vous-même, pour la connaissance qu’auriez de votre néant. Si vous aimiez Dieu, vous chercheriez d’imiter la vie qu’il a mené depuis qu’il s’est fait homme, sans être si en souci de rechercher vos aises et commodités si précises. Si vous aimiez Dieu, vous ne pourriez aimer votre propre honneur ; d’autant que l’honneur n’appartient qu’à lui seul. Si vous aimiez Dieu, votre volonté serait la Sienne, et n’auriez point de déplaisir des contrariétés, du moins seriez toujours dans la résignation ou indifférence. Enfin, si vous aimiez Dieu, toutes vos actions et prétentions seraient soumises à ses volontés, et on ne verrait pas tant de témoignages de votre propre recherche, qui disent comme de vives voix que vous êtes détourné de Dieu, et tourné vers la créature, qui est votre propre jugement et volonté, lesquels sont comme autant de pierres qui édifient une muraille entre Dieu et l’âme qui empêche de recevoir ses lumières et ses grâces.

29. Si l’attache est forte à quelque créature que ce soit, la muraille en est plus épaisse. Si l’affection n’est que passagère vers la créature, la séparation sera facile à rompre, si que serait une paroi d’argile. Pour connaître la forteresse de cette muraille, il ne faut que mesurer la longueur du temps qu’avons employé à aimer autre chose que Dieu, et aussi le soin et les pensées qu’avons pour la chose aimée, de telle nature qu’elle puisse être, soit notre corps ou notre âme, notre entendements, nos plaisirs, notre volonté, notre honneur, nos richesses, nos commodités, nos louanges, nos contentements hors de Dieu, notre chair, notre vie, la beauté, la bonté, la sagesse, les passe-temps, le boire et le manger, le dormir, les divertissements, l’or, l’argent, les habits, les hommes, les bêtes, la terre, les astres, les éléments, et tout ce qui est créé, voire tous les moyens qui nous mènent à Dieu. Tout cela nous détourne de lui lorsque nous y attachons notre cœur, parce qu’il appartient à Dieu seul, non pas à quelque créature, pour noble qu’elle puisse être. L’on en peut bien user, mais non pas les aimer ; autrement, c’est nous détourner de Dieu insensiblement, lors même que nous n’aimons rien de mauvais.

30. Il importe peu cependant si nous perdons Dieu par des choses bonnes ou mauvaises, sensibles ou insensibles, lorsque sommes privés de jouir de sa grâce. C’est le malheur de tous les malheurs, irréparable à la mort.

 

 

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CHAPITRE III.

 

Qu’on est adultère lorsqu’on attache ses affections à autre chose qu’à Dieu, qui est seul aimable. Les marques pour connaître si on l’aime véritablement. Que toutes choses belles et bonnes sont créées pour les élus. De la modestie des habits et vraie simplicité de cœur. Que le péché et la vertu ne sont autre chose sinon Amour. Que parler humblement de soi est souvent orgueil. Que les études ont étouffé le S. Esprit, qui est tout simple, comme ont été les Apôtres et leurs Disciples. Qu’il y a tant de bigarrure dans les doctrines de maintenant. Que toutes les Confréries et la Vierge ne nous peuvent sauver sans garder les commandements de Dieu.

 

 

Usage et abus des Créatures.

 

1. IL y a fort peu d’âmes aujourd’hui qui ne soient point adultères, les unes d’une façon, et les autres d’une autre. Si elles se sont alliées avec l’or ou le fumier, cela est indifférent à Dieu. Si un homme est adultère avec une femme belle ou laide, cela importe peu à sa légitime Épouse, à qui ne touche sinon l’infidélité de son mary, lequel se détournant d’elle se joint à quelque paillarde. C’est à lui à voir si elle lui agrée belle ou laide. Cela ne fait point son péché. De même lorsqu’une âme se détourne de son Dieu pour lier son affection à sa doctrine, à son esprit, ou sa propre vertu, qui sont choses estimables, ainsi qu’est l’or entre les métaux ; ou bien si l’on se lie à son goût, à ses sensualités, à son corps, ou autre appétit des choses viles et terrestres, qui ne sont que fumier ; la matière ne fait point le péché, mais l’infidélité qu’on commet au regard de Dieu, lorsqu’on se détourne de lui pour tourner ses affections vers quelque créature, telle qu’elle puisse être, quand ce ne serait qu’un chien ou une image. Cela n’amoindrit pas le péché ; au contraire, tant plus notre amour se porte à des choses viles et de peu de considération, tant plus notre détour de Dieu en est blâmable, parce que Dieu étant infiniment plus estimable que toutes ses plus nobles créatures, nous le quittons néanmoins pour aimer un chat, un oiseau, ou quelque vaine complaisance à tout ce qui n’est pas Dieu.

2. J’appelle la complaisance vaine lorsqu’elle regarde les créatures en elles-mêmes ; car si on les regardait en Dieu, elles nous conduiraient à lui au lieu de nous en détourner [98]. Si les Sciences et Doctrines qu’avons acquises par la grâce de Dieu se référaient à lui, elles nous serviraient d’un puissant moyen pour l’aimer ; vu que par icelles nous viendrions à la connaissance de ses œuvres admirables par l’ordre qu’il a mis tant en la grâce qu’en la nature. Notre science ne serait qu’une continuelle action de grâces à Dieu, pour avoir donné à un limon de la terre l’entendement pour comprendre ce que Dieu a fait en toutes les créatures. Cela transporterait tous nos sens et nos désirs à l’affection d’un tel Créateur, si admirable en toutes ses œuvres. Mais si nous attribuons cette science qu’avons acquise avec labeur, à nous-mêmes, nous en serons présomptueux [99], nous préférant à ceux qui ont moins de science que nous. Ce qui nous détournera de Dieu ; ne pouvant en même temps regarder deux objets fort éloignés l’un de l’autre. Et aussi long temps que nous nous regardons nous-mêmes, nous sommes détournés de Dieu et vivons en péchés, parce que sommes larrons, en dérobant l’honneur qui est dû à Dieu seul, de toutes choses, pour l’attribuer à nous mêmes qui ne sommes dignes que de confusion. Car si nous avons de l’esprit, de l’entendement, ou quelques vertus, tout cela vient de la libéralité de Dieu [100], laquelle nous doit confondre en considérant qu’il daigne élargir tant de grâces à une créature si vile, laquelle se les veut attribuer à elle même. Il faudrait plutôt trembler de crainte pour le compte que Dieu nous en demandera, parce qu’à celui à qui beaucoup a été donné, beaucoup sera redemandé.

3. Tout ce que Dieu a créé est bon ; il n’y a que la mauvaise usance qui rende quelque chose mauvaise. Toutes les choses belles, toutes les choses bonnes et délectables, sont créées pour les élus [101]. Si les méchants en jouissent, ce n’est que par usurpation. Elles ne leur appartiennent légitimement, parce que Dieu ne les a créées que pour les bons, qui en peuvent licitement jouir lorsqu’ils les réfèrent à Dieu, qui les a créées afin de donner joie à ses amis, en le bénissant, et qu’icelle joie soit pleine, s’étendant même jusqu’aux sens naturels, qui se peuvent délecter en Dieu en goûtant les plaisirs du corps, parce que c’est pour l’homme que toutes autres choses ont été faites sujettes à lui [102] : les beautés pour récréer sa vue, le vin et les viandes pour recréer son goût, les odeurs pour son flairer, les mélodies pour son ouïr, les plaisirs charnels pour son toucher ; toutes ces choses sont bonnes, parce que Dieu ne peut rien avoir créé ni ordonné de mauvais. Il n’en veut aussi priver l’homme, parce qu’il les a faites pour lui et afin qu’il en jouisse avec joie tout le temps de sa vie. S’il offense de toutes ces choses, ce ne peut être que lorsqu’il en veut jouir pour sa seule délectation, et point pour en bénir Dieu. Car s’il regardait tout en Dieu, rien ne le pourrait faire pécher.

4. Il est permis de regarder avec joie et contentement toutes les beautés du Ciel et de la terre [103], en admirant la perfection que Dieu a mise en toutes ces choses ; il est aussi permis d’en jouir en le bénissant de ce qu’il les a faites pour l’amour qu’il porte à l’homme, lui ayant si largement donné tant de belles choses pour contenter sa vue, et un soleil pour les découvrir, et tant de diverses autres choses pour contenter son goût, et tant de belles créatures pour contenter son toucher ; tant de bonnes odeurs pour contenter son flairer ; avec la liberté d’en pleinement jouir et contenter tous ses sens. Mais le malheur de l’homme est qu’il se détourne du Créateur de toutes ces choses pour s’attacher à la créature [104], la considérant ce qu’elle est en elle même, oubliant son Dieu invisible pour ses œuvres visibles, tombant par ce moyen en l’idolâtrie, en rendant à la créature l’amour et l’honneur dû au seul Créateur. Si vous aimez une fleur, une peinture, un diamant, quelque beau visage, ne formez-vous point autant d’idoles que ces diversités de choses que vous aimez hors de Dieu, qui veut tout notre cœur et toutes nos affections entières [105] ?

5. Pour savoir si nous les aimons plus que Dieu, il ne faut que sérieusement examiner nos pensées, nos soins et inclinations qu’avons pour la chose aimée ; par après, le déplaisir et inquiétude que sentons d’en être privés. Tout cela sont des témoins que notre cœur et notre affection y est plus attachée qu’à Dieu, à qui nous pensons beaucoup moins, et demeurons moins soucieux de l’avoir perdu qu’une de ces frêles beautés, qui souvent tire plus facilement des soupirs de nos cœurs, voire des larmes de nos yeux, que lorsqu’avons offensé notre Créateur et perdu sa grâce. Nous découvrons par les mêmes témoignages en quel degré est notre affection vers tous les autres plaisirs des sens ; car celui qui aime en cette sorte le vin et la viande, le plus grand de ses soins sera d’en être bien pourvu, et la plus part de ses labeurs et travaux n’auront autre but qu’à gagner argent pour satisfaire à son goût ; le moindre de son emploi est d’alimenter son âme. Pour découvrir si nous sommes attachés aux plaisirs de l’ouïr, il ne faut que sentir les fortes inclinations qu’avons aux sons mélodieux ; ou bien, ce qui est le plus commun, le désir et curiosité d’entendre les nouvelles et ce qui se passe hors de nous, restant au dedans si peu curieux d’informer comment vont les affaires de notre âme. Et si nous idolâtrons avec les plaisirs de la chair, il ne faut que sentir les mouvements d’icelle, comment ils sont déréglés en toute rencontre et à toute occasion, sans regarder le temps ou état d’en pouvoir jouir. Et lorsque sentons notre entendement appliqué à la recherche des moyens et occasions pour assouvir notre propre sensualité, c’est un témoignage assuré que sommes détournés de Dieu et tournés vers la créature.

6. Car si nous demeurions en lui, toutes ces choses nous seraient données sans empressement, ni aucuns déplaisirs d’en être privés, parce que Dieu, qui nous a promis toutes ces choses en cherchant sa gloire [106], remplirait notre âme de joie aussi bien dans la privation de ce reste comme dans sa jouissance, ne les prenant que comme choses accidentelles ; ayant fiché notre amour en Dieu, il suppléerait au manque de tous ces accidents, nous rendant autant indifférents à les perdre qu’à les posséder, parce qu’elles ne sont le but de notre amour, et pouvons mesurer combien les aimons par le soin et désir de les posséder, comme par la tristesse et le déplaisir d’en être privés. Cela est la marque assurée pour voir si nous jouissons licitement de tous les plaisirs de cette vie, ou si en jouissons illicitement et pour notre damnation.

7. Nous ne pouvons faire ce discernement par les yeux du corps, mais le faut apprendre par les sentiments intérieurs de notre âme ; chacun en son regard, parce que le péché est une chose spirituelle et invisible, qui ne consiste qu’en notre affection [107], ainsi qu’est aussi la vertu, laquelle ne se peut connaître par nous-mêmes ni par autres, sinon autant que nous sentons d’amour vers Dieu, parce que le péché et la vertu ne sont rien autre chose sinon Amour. Le péché c’est l’amour des choses créées ; la vertu, c’est l’amour de Dieu. Nous pouvons bien sentir de quel côté notre amour se porte. Car notre cœur ne peut vivre sans aimer. Si nous nous aimons nous-mêmes ou autre chose créée, nous n’aimons point Dieu [108], et si nous aimons Dieu, nous n’aimerons nous-mêmes ni aucunes créatures, parce que ces deux amours si contraires ne peuvent demeurer ensemble en un même cœur.

8. Il faut que l’un chasse l’autre. Si l’Amour de Dieu y est, il consume toutes les autres affections, si que le feu ferait la paille, parce que Dieu est un feu fort brûlant, et les créatures sont comme des pailles que le vent emporte en un moment, lesquelles, étant mises dans le feu, sont aussitôt consumées et réduites en cendres. Et encore bien que le cœur serait tout rempli de paille, c’est à dire, d’amour de nous-mêmes ou autres créatures, il ne faut qu’un charbon de feu pour tout brûler ; c'est-à-dire, qu’un seul acte de vrai Amour de Dieu est capable de mettre en feu, voire réduire en cendres, toute autre affection, quelle qu’elle puisse être, parce que la considération des grandeurs de Dieu engendrera en l’âme un mépris de tout ce qui est au dessous de lui, étant un instinct naturel à l’homme de choisir toujours le plus beau ou meilleur de deux choses en sa puissance. Partant, il faut conclure si on sent au fond de son âme l’amour de soi-même ou de quelque autre créature, telle qu’elle puisse être, que l’on n’aime point Dieu ; car si on l’aimait, on le connaîtrait, comme aussi soi-même, avec les choses créées, lesquelles seraient par nous méprisées au premier regard de ce que Dieu mérite auprès de notre néant et la vanité de toute créature [109].

9. Ce mépris détacherait tout à fait notre cœur de tout ce qui n’est pas Dieu ; et bien que ne puissions être délivrés de nous-mêmes ni privés de créatures nécessaires à l’entretien de notre vie, si les posséderions-nous sans amour ou attache, nous en servant comme de moyens ordonnés de Dieu pour le bénir et l’aimer ; par exemple, nous aimerions notre âme parce qu’elle est l’image de Dieu, et ferions tout notre possible pour l’orner de vertus afin de la rendre belle aux yeux de Dieu. Nous aimerions notre corps parce qu’il est custode ou gardien de cette âme ; nous aurions soin de le tenir en vie afin qu’il puisse plus long temps servir à Dieu ; nous aimerions les hommes parce qu’ils portent aussi l’image de Dieu, et nous sont tous frères en Christ ; nous aimerions toutes les créatures parce qu’elles nous sont données de Dieu comme servantes et moyens pour le mieux aimer.

10. Ce sont des bigoteries de croire qu’on ne peut boire de vin ou manger de la chair en aimant Dieu, parce que toutes les meilleures choses sont créées pour ceux qui l’aiment. Il n’y a que l’abus qui est mauvais. Si une personne en son particulier ressent en son fond qu’elle a de l’attache et affections au vin ou aux viandes, elle ferait très bien de s’en priver pour rompre cet amour qu’elle leur porte, étant obligée d’aimer Dieu de tout son cœur, elle n’en peut donner une partie au vin ou viandes ; point que Dieu ait besoin de cette privation, mais l’inclination de l’homme, qui ne saurait se déporter de l’amour de son goût sans la privation des choses qu’il doit goûter. C’est en cela qu’il faut se faire force, afin que la muraille d’opposition à l’amour de Dieu soit rompue, qui est cette affection au goût.

 

Usage et abus des habits.

 

11. Si une personne se sentait attachée au luxe des habits, elle ferait très bien de porter habits simples, afin de faire la même violence à cette affection, mais si son cœur n’est point attaché à cette vanité, elle se peut bien vêtir conformément à sa condition, pourvu que rien ne soit contre la modestie Chrétienne [110], même l’on se doit accommoder nettement, comme étant notre corps le temple matériel du S. Esprit [111], plus excellent que les Temples de pierre ou de bois qu’on appelle Églises, lesquels on pare aujourd’hui avec tant de bigarrures et d’insolence qu’ils semblent plutôt lieux de Comédies, voire d’impudicité que Temples de Dieu. Et cependant l’on se voudrait scandaliser de voir une personne qui aime Dieu honnêtement vêtue ! C’est un abus horrible, parce qu’il y a souvent plus de vanité à porter un habit simple, voire un chaperon, que de la soie et de l’or ; d’autant que le tout consiste dans l’affection, et non pas dans la matière ; pouvant porter habits honnêtes pour honorer Dieu, et aussi habits simples et déguisés pour mortifier l’affectation de ces ornements. Ces deux manières regardent Dieu, mais si l’on porte habits honnêtes pour s’estimer davantage, ou se plaire ès vanités, cela nous détourne de Dieu, et encore davantage en portant habits simples ou déguisés pour être estimés vertueux, parce qu’alors nous dérobons l’estime qui appartient à Dieu seul. Et encore bien même qu’aurions quelque solide vertu, il n’est pas nécessaire de la faire paraître au monde par la façon de nos habits. C’est assez que Dieu la connaisse. Et si nous n’avons autres raisons pour changer nos habits lorsque voulons quitter le monde pour servir Dieu, ne le montrons point à l’extérieur, les façons communes sont toujours les meilleures et plus à l’abri de la vaine gloire, lorsqu’elles ne sont point insolentes ou légères, parce que les partialités sont toujours sujettes à quelque estime de soi-même. Si je n’eusse eu des parents qui me pressaient au mariage, je n’aurais jamais pris l’habit noir, m’étant toujours tenue dans une modestie commune, selon mon état, Dieu ne regardant pas l’habit extérieur lorsque le cœur lui est dédié.

12. Si les Fondateurs des Ordres ont inventé divers habits déguisés, ce n’a été que pour choquer les affections vaines que les hommes portaient au luxe des habits, lesquels nourrissaient en leurs âmes l’orgueil et la vanité, si déplaisantes à Dieu, de quoi ils semblaient ne se pouvoir déporter que par le moyen d’une vileté extérieure. Mais ce qui les attirait alors à l’humilité semble maintenant les induire à l’orgueil, parce qu’on prend ces moyens pour fin, et semble que c’est assez de porter un habit religieux pour l’être. Cependant l’habit ne fait rien si le cœur n’est point lié à Dieu ; car le plus méchant homme du monde saurait bien porter l’habit le plus saint, voire se rendre dans la Religion la plus austère, quoiqu’il demeurât méchant. Dieu sonde les reins, et examine les consciences [112], non pas les habits, lesquels, selon qu’on en voit l’expérience, donnent plus souvent de superbe que d’humilité à celui qui les porte simples ou abjects, parce qu’on voit que si tôt que quelqu’un a vêtu la chape ou la tunique, qu’il s’en fait accroire, se relevant au dessus des autres, se persuadant qu’un chacun doit la révérence à son habit, lequel, étant insensible, donne de la vanité à celui qui le porte. C’est l’abus qu’on fait des choses bien instituées pour servir de moyens au mépris du monde, qu’on s’en serve cependant pour se faire estimer d’icelui, cherchant d’en être suivis et honorés, ayant souvent plus de grandeur cachée sous un capuchon que sous la couronne d’un Roy, l’habit duquel n’est pas baisé avec tant de Révérence que celui d’un Religieux, qui se fait respecter partout comme tel, quoi que son cœur ne soit non plus religieux qu’un séculier, lequel aurait honte de souffrir les honneurs qu’on fait à un déguisé.

13. Pour voir si c’est pour Dieu que portons habits simples, il faut sonder son intérieur, et remarquer si le cœur est au dedans vraiment simple, conformément à l’habit extérieur, et alors, tout notre corps sera lumineux. Car si le cœur est simple, il sera content de toutes choses simplement nécessaires [113], ne désirant que la nécessité précise en boire, manger, et vêtir, non plus qu’en logis ou services, ne les voulant recevoir sinon en tant que la nécessité le requiert, sans vouloir augmenter ses richesses ou commodités lorsqu’on les a à suffisance pour l’entretien de la vie. En outre si le cœur est simple, il ne recherchera autres sciences sinon celles qui lui font connaître Dieu et les moyens de sauver son âme, sans être curieux de ce qui se passe au regard des autres créatures. Car la vraie simplicité ne s’informe sinon d’elle-même ; elle n’affecte rien, et ne présume rien ; elle connaît sa fragilité et son néant. Le simple cœur est sincère, droit et ouvert, ne veut être prisé ni honoré, est sans feinte, sans fraude, ou tromperie et dissimulation, n’use jamais de double entente ou sinistres interprétations. Le cœur simple n’est jamais convoiteux ou envieux, parce qu’il croit toujours avoir plus qu’il ne mérite. Un cœur simple est toujours soumis à Dieu, ne murmure pas, est toujours content, ne s’informe de personne, ne se courrouce pas, et n’est arrogant, mais toujours content de ce qui lui arrive. Un cœur simple n’a pas d’égard humain, et ne cherche l’applaudissement des hommes, n’est pas subtil ni pointilleux, mais affable et commun à un chacun, paisible et débonnaire, bienfaisant à tous, sans acception de personne. Un cœur simple est toujours fidèle, ne trompe jamais, ne sait dissimuler, ni abuser personne. Un cœur simple est toujours véritable et sans fourbe, embrasse les adversités avec paix, les prospérités avec actions de grâces, rend le bien pour le mal, ne s’enfle jamais, est toujours humble, ne présume rien, ne flatte personne, prend tout en bonne part. Toutes ces conditions étant vraiment dans un cœur ne peuvent s’empêcher qu’elles ne paraissent au dehors, rendant le corps même lumineux par l’édification de la simplicité intérieure [114], conforme à l’habit extérieur.

14. Mais si la simplicité n’est que dans l’habit, c’est un faux témoin, qui jure ce qui n’est pas vrai au dedans, et n’apporte autre chose à l’âme qui le porte, que l’orgueil et l’hypocrisie, trompant le prochain par un habit saint, en étant le cœur effectivement fort malade. Car s’il était vrai que le portassions pour Dieu, nous aurions de la confusion de paraître au dehors ce que ne sommes pas au dedans ; et alors l’habit simple servirait à nous humilier devant Dieu, et à travailler d’avoir le cœur conforme à l’habit, afin de ne plus tromper personne.

15. Et si d’autre côté nous portons habits nets ou honnêtes pour honorer le Temple de Dieu, cela se connaîtra par les fins pourquoi nous le portons. Si c’est pour paraître ou agréer au monde, cela ne vaut rien ; si pour complaire à nous-mêmes, c’est encore pire ; et bien d’avantage pour être estimé. Il faut que ce soit simplement pour ne point se mettre hors du train commun, mais se maintenir modestement dans la condition de son état ; autrement, toutes ces particularités sont sujettes à la vanité, aussi bien dans l’habit simple que celui qui est honnête. Si nous parons notre corps davantage pour paraître devant quelque Grand, c’est signe que nous affectons encore de plaire au monde. Car Dieu nous voit toujours aussi bien seuls qu’en compagnie. La netteté nous devrait partout accompagner, selon que le permettent nos ouvrages et commodités, mais non point pour honorer les personnes que conversons, parce que ce serait se détourner de Dieu pour regarder la Créature. L’on peut toutefois s’accommoder plus proprement les Dimanches que les autres jours, pour se trouver à l’Église, en témoignage du respect que devons à Dieu dans les lieux où l’on s’assemble en son Nom. Toutefois l’ornement de l’âme est bien le principal. Car si nous entrons aux Églises le corps bien revêtu, et l’âme souillée de péchés, nous sommes puants devant Dieu, l’habit ne faisant rien sans la netteté intérieure, sinon lorsqu’il sert de témoin véritable de la netteté du cœur.

16. Partant ne faut jamais juger de l’état d’une âme par l’habit ou les actions extérieures, d’autant qu’une même chose peut être péché et vertu, selon le but qu’elle regarde. Un habit simple peut être bon, et aussi, mauvais ; de même qu’un habit honnête ; on les peut porter à péché et à vertu, ne pouvant assurer le salut sur aucuns moyens, parce que tous nous peuvent servir à damnation aussi bien qu’à salut, pour saints qu’ils puissent être. Toutes nettetés extérieures sont agréables à Dieu lorsqu’elles sont les véritables témoignages de la netteté de la conscience. Mais elles lui sont désagréables lorsqu’elles ne sont que pour plaire et agréer aux hommes, d’autant qu’elles peuvent servir de puissants moyens pour attirer à pécher. Lorsque les nettetés sont constantes en tout lieu et en toutes occasions, elles sont solides, mais si elles sont accidentelles, ou pour contenter les yeux d’aucunes personnes en particulier, elles sont alors légères et méprisables, détournant de Dieu.

 

De l’extérieur : port, parler, etc.

 

17. De même en est-il de la modestie et port extérieur ou gestes du corps. Les uns ont une modestie ou majesté provenant d’un recueillement des sens et bon règlement des passions. Cela est fort agréable à Dieu, donnant lieu d’entendre les bonnes inspirations, et ensemble de l’édification et dévotion au prochain. Mais les modesties et retenues étudiées ou affectées sont hypocritiques à soi-même, et pernicieuses au prochain ; étant en cela qu’on dit que la vertu de la femme est pire que l’iniquité de l’homme ; d’autant qu’une femme ainsi bien-faisante à l’extérieur, qui a le cœur méchant, est capable d’attirer à péché les plus saints personnages, qui ne pourraient nullement être séduits par quelque légère ou insolente ; cette modestie simulée les trompant insensiblement, les faisant tomber quelques fois en péchés sous des pieux prétextes, avant de l’apercevoir, et même contre leur volonté. Ce que ne pourrait faire la malice de l’homme. Ce n’est pas seulement le sexe de la femme qui apporte tous ces malheurs, mais aussi tous hommes efféminés, qui, avec des piétés et modesties simulées ou étudiées [115], trompent plus de personnes qu’un méchant découvert, lequel ne saurait induire à mal ceux qui abhorrent le même mal, si que ferait quelque bigot, de port et d’habit religieux, avec une modestie et retenue extérieure, qui n’a point le cœur droit. Car les bons ne se laisseront conduire d’un méchant, comme ils feraient par quelque dévot en apparence, qui ayant les yeux baissés en terre, témoigne qu’il considère d’où il est sorti, et les élevant en haut, semble aspirer au Ciel ; pendant que son cœur ne songe ni à l’un ni à l’autre ; ainsi trompe les plus gens de bien, qui le regardent comme une personne bien mortifiée ou un saint, qui n’aspire qu’au Ciel ; quoique ses pensées ne visent qu’à s’élever, et que ses affections soient attachées toutes à la terre.

18. C’est tout de même du parler humble et dévot, lorsqu’il ne sort point du fond. L’on dira : Je suis pécheur et misérable, et on ne le croit point en son cœur, lequel n’est conforme à ses paroles. C’est de ceux là que Jésus Christ dit : Ce peuple m’honore du bout des lèvres, et leur cœur est bien loin de moi [116]. Combien y a-t-il aujourd’hui de personnes qui étudient et feuillettent les livres pieux, voire la sainte Écriture, pour apprendre à en bien parler ? Il semble que toute la vertu consiste à bien parler de Dieu, et point à le bien aimer. C’est comme l’airain qui résonne [117]. Ils n’ont que le don des paroles, avec quoi ils charment les oreilles de leurs auditeurs [118], les remplissant de vent aussi bien que leurs âmes, parce que les paroles qui ne proviennent du cœur ne font qu’enfler l’âme de vanités et les oreilles de curiosités.

19. Les paroles de dévotion le font estimer dévot, et même présumer de l’être par l’applaudissement et bonne opinion des autres. Ce qui est fort périlleux pour tomber en la damnation par l’aveuglement d’esprit que l’orgueil apporte ordinairement avec soi, se chatouillant des louanges et sentiments des hommes, croyant à la fin d’être tels que le monde croit par nos bons discours. Cependant devant Dieu, l’on en est fort éloigné, et jugé de lui comme hypocrites. Les paroles saintes doivent sortir d’un cœur saint ; ou autrement elles sont sans fruit, voire même pour ceux qui les entendent, pour n’avoir l’efficace qu’elles auraient en sortant d’un cœur qui vraiment les posséderait.

 

Parler du spirituel.

 

20. Combien y a-t-il d’âmes trompées en ce point, lesquelles s’efforcent à chercher toutes sortes de livres spirituels pour apprendre leur contenu, afin d’entendre et savoir déduire les degrés de la perfection, et parler de la contemplation et choses mystiques ? Elles croient être en conférence avec Dieu lorsque leur imagination est remplie de bonnes spéculations, et croient avoir la vertu lorsqu’elles en savent bien parler. Ce ne sont que toutes vertus imaginaires, lesquelles sont emportées par le moindre vent de quelque adversité, mépris, ou choc de leur propre volonté, leur bâtiments étant édifiés sur le sable de diverses sensibilités naturelles, qui ne mettent rien dans l’âme qu’un faux repos, présumant son salut sur les couleurs des vertus imaginaires, sans la parfaite charité, qui seule nous le peut causer. Car encore bien que nous aurions dans l’entendement toutes les sciences de Salomon, et que parlerions le langage des Anges [119], voire qu’aurions le désir de convertir à Dieu tous les hommes par nos paroles, si n’est-ce que toute vanité en cas que notre cœur ne soit possédé de parfaite charité, qui est l’Amour de Dieu, laquelle possédant notre cœur, ferait assez parler de ce qu’il goûterait, sans études ou spéculations ; expliquant simplement nos sentiments nous ferions sans comparaison plus de profit au prochain, qu’avec les plus disertes éloquences des paroles spirituelles.

21. D’où se voit qu’il est beaucoup plus parfait de pratiquer la vertu que d’en savoir bien parler, n’ayant rien plus que les Diables lorsqu’entendons les choses mystiques [120], ni rien plus qu’un papegai lorsqu’en savons bien parler ; pource que l’un et l’autre les savent aussi bien que nous. Qui a rendu les Anachorètes si parfaits dans l’Amour de Dieu sinon leur silence, et la privation des études et diversités des doctrines et livres si différents, qu’on nous met maintenant entre les mains ? Ces âmes qui voulaient tout ignorer ont bien su aimer Dieu, et nous autres qui voulons tout savoir ne le savons faire ! voulant savoir toute chose nous ne savons rien, et iceux ne voulant rien apprendre savaient toute chose par le S. Esprit, lequel a été chassé hors des âmes depuis que les hommes ont voulu être sages en eux-mêmes, et enseigner l’un l’autre la Sapience de Dieu par des arguments et raisons humaines, qui ont étouffé l’énergie des paroles de Dieu, qui ont été pratiquées par les Apôtres et leurs disciples jusqu’à ce que les études ont été introduites, avec lesquelles un chacun s’est voulu faire Maître et Pédagogue du S. Esprit, ayant inventé tant de gloses et explications, qu’on ne sait plus maintenant découvrir où est la Vérité, un chacun le prenant à sa mode.

22. Et tant plus les hommes sont doctes, tant plus sont-ils éloignés de la vérité [121], pour être tant plus appuyés sur leur propre Sagesse, l’Esprit de vérité, qui est simple, ne pouvant demeurer où il y a tant de subtilités et d’industries humaines. Les hommes des premiers siècles n’ont-ils pas été sages dans tous ces livres et études ? Leur science était assurément plus solide, appuyée sur la seule doctrine Évangélique, qu’elle n’est maintenant sur tant de divers Auteurs, lesquels ont plus de bigarrure que les fleurs des champs, qui sont volages ; chacun parle selon son sentiment et opinion. L’un fait le chemin du Paradis étroit ; l’autre le fait large. L’un dit qu’une chose est péché ; l’autre dit qu’elle ne l’est pas. Les plus solides vérités sont débattues. Les Ss. Pères mêmes sont différents d’opinions en diverses choses. Enfin, tout est renversé. Depuis qu’on a quitté la simplicité Évangélique il n’y a plus de solidité. Un chacun trompe et amuse le peuple par des inventions nouvelles. La plus part des sermons sont accommodés selon l’inclination du monde [122]. Ce qui s’appelait chaire de vérité se pourrait bien nommer celle de mensonge pour les sinistres opinions qu’on y avance, et les questions nouvelles qu’on y met en avant, avec une infinité de bigarrures, de nouvelles croyances et pratiques controuvées par les hommes, lesquels semblent vouloir anéantir les vérités Chrétiennes ès points de notre Foi.

 

Confréries. Dévotions à la S. Vierge.

 

23. L’on enseigne qu’il ne faut que se faire enrôler dans quelque Confrérie pour être sauvé, ou bien avoir quelque particulière dévotion à la Vierge Marie. Ne sont-ce pas de vrais mensonges ? Toutes les Confréries ensemble nous peuvent-elles sauver sans garder les Commandements de Dieu ? Et la Vierge Marie est-elle notre Sauveur ? Est-elle Dieu qui s’est fait homme et est mort pour nous ? Y a-t-il autre pratique assurée que la doctrine de Jésus Christ ? Je veux bien croire que les Confréries et dévotions à la Vierge pourraient bien servir de moyens pour aiguiser notre dévotion si l’on s’en servait bien, mais la pratique d’aujourd’hui nous montre assez que toutes ces choses nous retirent plutôt de Dieu qu’elles ne nous y attirent, parce que nous fiant sur ces moyens, nous ne cherchons ni ne trouvons la fin, qui consiste à aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même [123]. Tout ce qui ne nous sert pas de moyens pour arriver à cela, sont des amusements qui nous divertissent de notre salut, nous conduisant ès Enfers par ces fausses persuasions que les hommes nous mettent en avant.

24. La Vierge n’a garde d’être honorée par ce qu’on nous dit d’elle ; au contraire, elle en serait affligée si elle en était capable, sachant bien qu’elle n’est qu’une simple Créature [124] ; cependant que tant de Prédicateurs la voudraient bien faire passer pour le Créateur et Sauveur, relevant la dévotion qu’on lui porte, plus haut que la Loi de Dieu, de laquelle l’on nous parle beaucoup moins [125], et semble qu’on la veuille effacer de la mémoire des Chrétiens pour y placer des moyens controuvés par les hommes, qui ressemblent à des Charlatans, lesquels estiment chacun leurs propres drogues et médicaments, l’un disant que le meilleur moyen pour être sauvé est de s’enrôler dans la Confrérie du Rosaire, l’autre dans celle du Cordon, l’autre, du Scapulaire, et ainsi des autres. Le peuple entendant cela en chaire de Vérité (apparente) cuide être assurément sauvés, lisant certaines prières de routines, ou bien s’abstenant de chair le mercredi, encore bien qu’ils ne garderaient pas les commandements de Dieu ; et ainsi passent leur vie, et meurent misérablement sans prévoir leur damnation, qu’ils trouveront assurément n’ayant pas gardé les commandements de Dieu [126], quoiqu’ils aient étroitement observé les règles de toutes les Confréries, lesquelles ne font rien sans l’observance des Commandements de Dieu ; laquelle étant supposée, toutes ces Confréries seraient inutiles, Dieu n’ayant rien enseigné d’avantage au jeune homme de l’Évangile pour être sauvé sinon de garder ses Commandements ; ajoutant que s’il voulait être parfait, il vendît son bien, et le donnât aux pauvres ; où ces Prédicateurs n’enseignent presque autre chose pour le salut et la perfection que leurs Confréries ou dévotions à la Vierge, laquelle, si elle devait parler, dirait que c’est une Idolâtrie de porter plus de respect à son Image qu’on ne fait à Dieu même.

25. Si ces Prédicateurs enseignaient qu’il faut nécessairement garder les commandements de Dieu pour être sauvés, proposant leurs confréries et dévotions à la Vierge seulement comme des moyens pour aider notre faiblesse à obtenir la grâce d’observer les commandements de Dieu, ils seraient en quelque façon tolérables ; d’autant que les Saints et la Vierge nous sont Patrons pour nous intercéder les grâces de Dieu, comme étant ses amis, mais non pas Sauveurs pour nous donner le salut, lequel nous n’obtiendrons jamais par autre voie que les mérites de Jésus Christ en l’observance de ses commandements [127], nous l’ayant promis à cette condition, et non autrement. Si la Vierge et les saints demandaient à Dieu le salut d’une âme qui n’aurait gardé les commandements de Dieu durant sa vie, ils cesseraient d’être saints, et commettraient injustice.

Ce qu’ils ne peuvent faire dans leur béatitude éternelle, étant unis à la Justice de Dieu inséparablement, ne pouvant non plus commettre d’injustice que Dieu, pour n’être qu’une même volonté. Et nous rendons la Vierge et les saints grandement coupables de crime lorsque nous enseignons qu’ils nous procureront le salut, quoique notre vie soit méchante, que notre mort pourrait être bonne par quelques Confréries ou dévotions à la Vierge. C’est conduire les âmes insensiblement aux Enfers, et faire passer la Vierge et les Saints pour des iniques et passionnés semblables à nous, qui souvent par nos iniquités favorisons le mal, si qu’une mère empêcherait de châtier les dérèglements de son Enfant par la juste colère de son Père. Ce serait mettre Dieu et la Vierge en parangon de notre malice, croyant qu’il arrive de même devant cette haute Justice comme nous le voyons arriver entre les hommes.

26. Il y a maintenant tant de semblables tromperies, que je ne sais plus voir par quel chemin l’on pourrait entrer en Paradis, cheminant tous par des voies contraires, qui en éloignent au lieu d’en approcher ; étant Jésus Christ la seule voie, nous n’y arriverons jamais par autres moyens que ceux qu’il nous a marqués en ses commandements. Sa parole est Lui [128], et Lui est sa parole ; laquelle il estime plus que sa Mère et tous les Saints, ayant dit cette vérité infaillible que ceux-là sont sa Mère, ses sœurs et frères qui écoutent sa parole et la mettent en pratique [129]. Et bien que prierions jours et nuits la Vierge, et donnerions tout notre temps et tous nos biens pour honorer ses images avec la meilleure intention et dévotion que ce pourrait être, cela ne peut servir à notre salut d’autre moyen sinon pour obtenir de Dieu la grâce de garder ses commandements ; étant tous amusements d’avancer des exemples qu’aucunes personnes très mal vivantes tous les jours de leurs vies aient été sauvées à la mort pour avoir eu quelque particulière dévotion seulement à la Vierge, ou à quelques autres saints, parce que Dieu n’est accepteur des personnes [130], et ne changera les décrets pour la Vierge ni pour autres, ceux-là étant larrons qui veulent entrer par des fenêtres [131], qui sont les moyens que les hommes nous proposent autres que la Doctrine de Jésus Christ, qui est infaillible et immuable pour aussi longtemps que le monde sera monde, voire pour toute l’éternité [132]. Les hommes n’y pouvant jamais apporter aucun changement sans se rendre ennemis de Dieu [133], et être des aveugles qui mènent des aveugles, tombant tous ensemble dans la fosse [134].

 

 

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CHAPITRE IV.

 

Qu’on néglige la Loi de Dieu par la tradition des hommes. Qu’on enseigne au peuple des fadaises au lieu de la doctrine de Jésus Christ, comme de la Prédestination, ou de l’Immaculée Conception de la Vierge. Que les vœux sont pour les imparfaits, l’Amour étant Loi à soi même. Que les Sermons d’aucuns servent plus à excuser les pécheurs qu’à les induire à pénitence et amendement de leurs vies. Qu’ils sont comme les appeaux des cloches, sonnant diversement. Qu’ils donnent le poison aux âmes au lieu de l’aliment. Que les ornements des Églises distraient le recueillement intérieur, comme aussi la musique. Le Diable est quelquefois plus honoré ès Églises que n’est Dieu ; aussi par les Pèlerinages et Images de la Vierge ; l’Ennemi de notre âme s’étant maintenant emparé des choses Saintes, l’on ne voit plus aucun fruit par les prières, processions, solennités, ou Indulgences. Tout se fait par routine, et sans effets de piété.

 

1. COMBIEN de personnes aujourd’hui se font Maîtres avant avoir été Disciples ? Un chacun veut enseigner, et peu veulent apprendre. Si tôt qu’un homme a un peu feuilleté les livres, il monte en chaire pour enseigner la Loi de Dieu, laquelle il n’a lui même bien apprise, voulant être Docteur avant d’être Écolier. Comment pourraient-ils enseigner la Loi de Dieu aux autres lorsqu’ils ne la possèdent eux-mêmes [135] ? L’on ne peut donner ce qu’on n’a point. De là vient que la plupart des sermons ne sont que fadaises et spéculations controuvées, chacun à sa fantaisie, lesquels ne donnent pas l’intelligence de la Loi de Dieu si nécessaire à notre salut, chacun n’enseignant que ce à quoi il se porte. S’il y en a quelqu’un entre les autres qui prêche l’Évangile, ses œuvres démentent ses paroles ; le peuple voyant en effet que ses actions sont toutes si contraires à l’Évangile, croient que ce n’est qu’une formalité de le lire ou prêcher, puisque ceux qui le savent si bien, et l’enseignent aux autres, ne le mettent en pratique eux-mêmes. Et par ainsi, tout le monde périt : l’un pour ne point savoir la Loi de Dieu, et l’autre pour ne la point pratiquer. Cependant un chacun pense d’être sauvé, parce qu’on ne voit personne qui fasse autrement.

2. L’on va aux sermons, où l’on n’entend que des discours étudiés, pour flatter les oreilles et excuser les péchés [136] ; ou bien quelques questions curieuses, qui remplissent plutôt notre entendement de vanité que notre cœur d’amour de Dieu. L’on y dispute comme aux Écoles. Chacun y soutient son opinion, comme s’il y avait autant de diversités de doctrines que de divers Prédicateurs ; voire même ils se piquent et choquent les uns les autres en mépris de l’unité de la vraie croyance, le plus souvent dans des matières qui ne regardent nullement notre salut ; comme celle de la Prédestination et de l’Immaculée Conception de la Vierge ; au lieu d’enseigner qu’il y a un Dieu tout-puissant qui s’est fait homme et est mort afin que soyons élus, et que personne ne sera réprouvé sinon ceux qui ne garderont ses commandements.

3. Combien y en a-t-il qui ignorent cela, en s’informant si Dieu a prévu notre salut ou réprobation de toute éternité. Ne doit-il pas suffire que sachions notre salut assuré moyennant de garder les Commandements de Dieu [137], sans sonder les secrets d’un Dieu incompréhensible à tout homme aussi bien que ses œuvres [138] ? Et si la Vierge est conçue sans péché originel ou non, que fait cela à notre salut ? C’est assez que nous l’honorions comme une parfaite créature, laquelle Dieu a choisie pour Mère de son humanité. Et s’il l’a rempli de grâces dès la conception, ou à sa nativité, ou à l’heure qu’elle a conçu le Fils de Dieu, cela ne nous donne ni ôte rien. Dieu est autant puissant de le faire en un temps comme en l’autre. La Vierge n’est digne de moindre honneur pour avoir été remplie de grâces dès sa Conception comme à l’Annonciation ; au contraire, il semble qu’en son regard elle aurait plus de mérite d’être conçue dans la fragilité d’Adam que d’en avoir été délivrée dès sa conception, parce qu’elle aurait dû apporter sa coopération pour recevoir si abondance de grâces nonobstant qu’elle eût été née sans péché Originel.

4. Je crois que la Vierge est plus déshonorée par de semblables curiosités, qu’elle n’est servie d’en soutenir la question. Le plus grand honneur que lui puissions faire est de garder les Commandements et conseils que son Fils Jésus nous a laissés ; et sa condition est plus heureuse pour avoir gardé les paroles de Dieu que d’avoir été sa mère naturelle, parce que l’un est un choix absolu de la puissance de Dieu, l’autre est un choix conditionnel avec sa coopération, qui augmente le mérite de la créature. Toutes ces disputes sont vaines lorsqu’elles ne servent à moyenner notre salut. Dieu peut créer une infinité de Chérubins, voire des créatures plus parfaites, mais il ne peut sauver l’homme sans sa coopération, parce qu’il l’a voulu créer de cette condition libre. Il peut préserver du péché originel qui il lui plaît, sans que personne y trouve à contredire. Dieu ne peut recevoir de gloire de rien sinon de lui-même, possédant en soi toutes les gloires ; il ne sera non plus glorieux d’avoir créé la Vierge en état de grâce qu’en péché originel, mais la Vierge en soi aura plus d’honneur d’avoir surmonté le péché que de n’en avoir été attaquée, parce que la victoire consiste au combat. Qui n’a rien à combattre en doit remercier Dieu seul, mais celui qui surmonte le péché coopère davantage, et s’acquiert plus de gloire ; quoique tout vienne de Dieu. S’il a créé la Vierge sans péché originel, cela vient de lui. S’il lui a donné ses grâces après sa naissance, cela vient aussi de lui. Elle n’a rien d’elle-même non plus que toutes les autres créatures, qui sont tirées du néant, ne pouvant rien avoir que ce qu’elles ont reçu de Dieu. L’on déshonore grandement la Vierge lorsqu’on lui attribue l’honneur qui appartient à Dieu seul, n’y ayant rien d’honorable en elle que les grâces que Dieu lui a départies, desquelles nous devons remercier Dieu, et le prier qu’il nous en veuille aussi départir autant qu’en avons besoin pour accomplir sa sainte volonté.

5. Si la Vierge a eu quelques grâces particulières, c’est pour elle. Il ne nous profite rien de les disputer, n’étant nécessaire à notre salut, comme sont les Commandements de Dieu et articles de notre Foi contenus au Credo, desquels l’on nous parle moins que de ces nouvelles questions inventées par les hommes, qui sous prétexte de porter honneur à la Vierge, lui font grand blâme. Car on prêche que s’il eût fallu perdre sa Virginité pour être Mère de Dieu, qu’elle ne l’eût jamais voulu être. N’est-ce pas faire passer la Vierge pour une âme remplie d’amour propre, qui eût plus estimé sa vertu de Virginité que la volonté de Dieu ? Si elle était pleine de grâce [139], ne fallait-il pas de nécessité qu’elle fût abandonnée à Dieu corps et âme, sans y vouloir résister pour garder sa Virginité ? Et lorsqu’on prêche, qu’elle a fait vœu de virginité, n’est-ce point la déclarer bien fragile, puisqu’elle avait besoin de s’obliger ou se contraindre par vœux ? L’amour qu’elle portait à Dieu n’était-il pas assez fort pour la maintenir en chasteté sans s’obliger par des contraintes ? Il eût fallu qu’elle eût senti en la chair quelques fragilités qui la fissent craindre, puisqu’elle se serait voulu brider par le vœu de chasteté. Et si elle avait été conçue sans péché, comment pouvait-elle craindre sa faiblesse ? Il semble que ces bons Prédicateurs se contredisent eux-mêmes ; car une âme qui est unie à Dieu n’a plus de volonté, et si elle est abandonnée à lui, elle ne peut plus rien promettre ni vouer, n’ayant plus rien à soi. Les imparfaits font quelquefois bien de se vouer, lorsqu’ils craignent leur fragilité, afin que les hommes les obligent à garder leur bon propos de vivre chastement.

6. Je ne peux croire que les parfaits aient jamais eu besoin de faire aucuns vœux, parce que l’Amour porte en croupe la fidélité. Si l’on se sacrifie à Dieu, est-il besoin que les hommes soient entremis pour contraindre ce sacrifice ? Dieu n’est-il pas assez bon pour tenir par Amour ce qui lui est sacrifié ? Quelle puissance ont les hommes sur nos âmes ou sur nos volontés ? Dieu n’a-t-il pas laissé un chacun libre de sa volonté sans que personne la puisse contraindre ? Lui-même ne le veut pas faire. Pourquoi voudrions-nous donner aux hommes plus de pouvoir sur nos âmes et notre corps que Dieu même ne s’en est voulu réserver ? N’est-ce point se faire tort à soi-même que de se faire esclaves des hommes, puisque Dieu nous a créés tous libres ? Quelle vertu peut-on trouver à se lier aux hommes lorsqu’on se peut lier à Dieu même ? Il est notre Créateur, notre Père, et notre Sauveur. À quel autre voulons-nous engager notre salut ? Il a toutes les puissances de nous maintenir, toute la sapience de nous conduire, et toutes les bontés pour nous sauver. N’est-ce pas assez de s’abandonner à lui de tout son cœur ? Faut-il y ajouter encore la force des hommes pour nous maintenir en sa grâce ? Ne suffit-il point de se tenir à quelque ferme pilier inébranlable ? Faut-il avec ce embrasser encore quelque fétu d’étrain, si que sont tous les hommes au regard de Dieu ? Cela nous servirait même d’empêchement. S’il nous est libre d’embrasser le pilier, laissons hardiment aller le fétu. Tous les hommes ensemble ne sont assez puissants de nous maintenir dans la chasteté lorsque notre cœur ne le veut point être. Si nous avions fait vœu de chasteté entre les mains de tous les Évêques du monde, voire du Pape, et si notre volonté cesse de l’être, nos vœux ne servent que pour accroître nos péchés ; car devant Dieu nous ne sommes point chastes si notre cœur ne l’est véritablement [140], et outre l’impureté, nous faussons notre promesse, et portons faux Témoignage, qui est ajouter un second péché au premier. Et si nous sommes vraiment chastes devant Dieu, quel avantage nous apportera d’en faire vœu entre les mains des hommes, voire à Dieu même, à qui l’effet agrée plus que les promesses ?

7. Je ne dis pas qu’aucunes créatures fort fragiles feraient mal de faire des vœux lorsqu’elles sauraient par leur propre expérience qu’iceux les maintiendraient plus fermes en la vertu. Mais de vouloir ranger la Vierge à de semblables faiblesses, c’est bien l’éloigner de la grâce d’une conception immaculée, que les mêmes Prédicateurs nous affirment : l’un ou l’autre étant impossible. Car si sa conception a été immaculée, elle n’aurait pu estimer sa virginité davantage que d’être Mère de Dieu. Les vœux lui auraient aussi été inutiles, en n’ayant jamais contracté d’inclination au péché. Si Adam étant dans son innocence ne voyait point la nudité de son corps, comment la Vierge aurait-elle aperçu quelque difformité en l’accointance matrimoniale après qu’elle aurait su que telle eût été la volonté de Dieu ? Si Adam ne s’est point regardé bien qu’il fût nu, comment la Vierge se regarderait-elle étant créée en la même innocence ? Nuls vœux ne la devaient contraindre au bien, puisqu’elle n’aurait eu d’inclination au mal, étant née sans péché originel. Comment n’eût-elle pas voulu être la Mère de Dieu par des moyens qui sont ordonnés de Dieu pour la génération des hommes, desquels s’en servant dans l’état d’innocence, ils sont d’eux-mêmes saints et remplis de charité, n’y ayant que le péché qui les a défigurés ? Et si elle est conçue sans icelui, elle ne pouvait refuser d’être la Mère de Dieu par des moyens qui en eux-mêmes ne sont que les Témoignages de la vraie charité et de l’union qui doit être dans les cœurs et les esprits en Jésus Christ, et aussi la figure de l’union qu’a Jésus Christ avec son Église. Ces choses eussent-elles été rejetées de la Vierge si elle eût entendu que la volonté de son Dieu aurait été telle ? Et si elle était conçue sans péché originel, elle était absolument confirmée en grâce dès sa conception ; du moins l’a-t-elle été à l’incarnation du Fils de Dieu, selon la parole de l’Ange, qui l’appelle pleine de grâce. Pour quelle raison aurait-elle fait des vœux, ne pouvant plus déchoir de la grâce ? Aussi n’avait-elle plus rien à promettre à Dieu, qui la tenait entièrement à soi. La promesse qu’on fait d’une chose, suppose toujours que celui à qui on la fait n’est pas en possession de la chose promise ; car s’il la possédait, il ne la lui faudrait plus promettre.

8. Ce qui découvre assez que ces Prédicateurs nous avancent des choses controuvées au préjudice de la vérité. Et s’ils ne le faisaient qu’en des matières curieuses, comme les susnommées, il ne serait si préjudiciable à notre salut. Mais ils s’avancent si avant dans les Articles de notre Foi et dans les Commandements de Dieu, qu’ils ont presque corrompu tout le peuple par des probabilités des hommes. Ils sont comme devenus les cloches des appeaux, qui devancent l’heure, lesquelles sont toutes de divers tons, l’une ne sonnant comme l’autre, n’y ayant que la cloche qui sonne l’heure qui est toujours de même. Ces carillons de Prédicateurs ont jà si long temps triboulé, qu’ils sont maintenant tout à fait discordants. Il est bientôt temps que l’heure du Jugement sonne pour les faire cesser. Car il vaudrait beaucoup mieux qu’ils se tinssent en silence que d’enseigner au peuple des tromperies si préjudiciables à leur salut. Aucuns du peuple y vont pour y trouver l’aliment de leurs âmes, et ils y avalent le poison qui les fait mourir. Car bien souvent leur jugement naturel a plus de lumière de la Justice et Vérité, que ce qu’ils entendent aux Églises : voire plusieurs y en a qui n’oseraient si hardiment demeurer en leurs péchés s’ils n’entendaient point les sermons ; lesquels servent davantage à excuser les pécheurs qu’à les induire à pénitence [141].

9. Si quelqu’un se veut montrer plus fervent que les autres à reprendre les péchés, il s’attachera aux choses extérieures comme au luxe des habits, ou aux jurements, qui ne sont que les Témoignages des péchés du cœur ; car si l’on honorait Dieu dans son cœur, il ne faudrait point reprendre l’irrévérence des Églises : un chacun s’y maintiendrait avec respect. Il faudrait attaquer l’essence du péché, et non les accidents ; par exemple, montrer que l’orgueil est le premier péché capital, qui tue l’âme ; car si l’on reprend seulement les vanités des habits, personne ne s’en rendra coupable, un chacun croyant qu’il peut bien suivre la mode, parce qu’un chacun le fait.

10. Voire même ces modes sont autorisées par les Ornements des Églises, qui suivent tous le train du monde. Car souvent la Vierge et les saints y sont accommodés comme des Courtisanes de plaisir, les Anges ainsi que des Cupidons, lesquels sont plus propres à entretenir la lubricité que la dévotion. Et avec cela l’on pense honorer Dieu en contribuant à de semblables ornements d’Églises ! J’ai aussi été quelques fois dans de semblables erreurs, me persuadant qu’on ne pouvait trop bien orner les Églises. Mais depuis que Dieu m’a ouvert les yeux, je vois très-bien que ce n’est qu’amusement, et que les beaux ornements donnent plus de distractions que ne font les simples, les hommes étant devenus si sensuels qu’ils s’arrêtent davantage aux ornements sensibles qu’à celui de leurs âmes, qu’ils ne sentent par autre moyen que par le recueillement d’esprit, lequel se distrait facilement par le regard de divers objets. Il serait souhaitable que les Églises fussent comme du passé, assavoir, obscures, et ornées seulement des choses nécessaires, puisque l’expérience nous fait voir que ces parades dérobent la dévotion et l’attention qui doit être à la prière, l’obscurité étant propre au recueillement, et la nette simplicité, à une pieuse modestie. L’on ne verrait plus aux Églises tant de distractions ni tant d’irrévérences qui s’y commettent, signamment où il y a quelque solennité particulière. Les personnes pieuses ne consumeraient tant de temps à ces ornements. Et le peuple ne viendrait aux Églises avec tant de vaines curiosités, comme ils font, allant souvent aux Églises plus pour regarder que pour y prier, s’appliquant davantage à contenter leurs yeux qu’à honorer Dieu. Ainsi toutes nos sollicitudes et emplois à bien orner les Églises servent plus à l’honneur du Diable qu’à celui de Dieu, lequel se plaît dans un cœur net, et une âme ornée de vertus.

11. Les musiques et autres instruments servent aujourd’hui de semblable distraction, en ne les écoutant que pour contenter l’ouïr ; et au lieu d’être attentif à la prière, on l’est aux voix et instruments, qui résonnent aujourd’hui en telle cadence aux Églises, que la musique excite plutôt à danser qu’à prier, le silence étant plus propre à louer Dieu que ces vaines voix [142], emportées du vent. Si David a chanté et joué, c’était seulement pour témoigner l’allégresse que ressentait son cœur ès louanges de Dieu. Mais nous n’ayant au cœur autres joies que nos propres satisfactions, ces voix ne peuvent servir que de témoignages de notre insolence.

12. Tout ce qui nous doit servir à honorer Dieu ne nous sert plus qu’à la vanité ; voire le Diable en tire tous ses avantages. L’on n’a jamais vu tant de diversités de solennités, de prières, d’indulgences, de sermons, processions, et d’images miraculeuses, et avec tout cela l’on n’a jamais vu moins de piété et justice dans tous les hommes que maintenant. Si toutes ces dévotions ne se faisaient à l’honneur du Diable, aurait-il tant de puissance sur tout le monde, qui fléchit sous le mal comme en l’adorant ? Personne n’ose plus lui faire aucune Résistance ; les Grands le suivent ; les petits l’applaudissent, le voyant si fort autorisé. Il faut que les bons plient sous ses lois, pour ne le pouvoir échapper, étant si universel qu’il n’y a lieu dans le monde où le mal ne domine [143]. Et cela en un temps où l’on voit l’Église fleurir en apparence. Si toutes ces choses se faisaient à l’honneur de Dieu, le Diable aurait-il tant de puissance ? Dieu ne briserait-il pas ses forces ? Il n’a qu’une impuissance sans le consentement des hommes [144]. Il ne pourrait être Dominateur si absolu, si les hommes ne lui faisaient hommage.

13. Je crains même qu’il se fait adorer par le simulacre des images qu’on appelle miraculeuses. Car il n’est point à supposer que la Vierge voudrait autoriser les façons avec quoi l’on dit de l’honorer. Car s’il y a quelque part un Sacristain avaricieux, il fera faire quelque image de la Vierge afin d’attirer des offrandes, et le Diable pour seconder cette avance saura fort bien feindre quelque miracle apparent pour éblouir l’esprit du peuple, lequel, porté à des nouveautés, y courront comme au feu, par pure curiosité, voire avec insolence, s’empressant l’un l’autre pour allumer quelques chandelles, en caquetant et riant plus qu’on ne ferait ès marchés. L’on offrira chaînes d’or, ou de perles, pour parer richement l’image, et on l’accommodera si bien à la mode, qu’on lui met quelques fois des moustaches et des mouches sur le visage ; qui sont toutes vanités inventées par le Diable, avec quoi l’on veut honorer Notre-Dame, voire même on l’accommode ou dépeint si découverte, que des yeux chastes en ont de la pudeur.

14. Et si l’image est en quelque lieu éloigné, l’on y court en Pèlerinage par récréation et avec tel désordre, que plusieurs filles y allant avec leur pucelage, retournent sans le rapporter. Toutes ces choses obligent-elles la Vierge à faire miracles ? Ne serait-ce point autoriser les péchés ? Peut-elle être servie de toutes ces insolences ? N’est-il pas à croire que c’est le Diable qui feint tous ces miracles pour amuser le monde par de fausses dévotions ? Il peut même susciter des Sorcières, et faire par elles des véritables merveilles à notre vue, qui en effet ne seraient que des illusions Diaboliques. J’en ai connu une qui avait été deux à trois ans paralytique qui fut guérie en faisant un voyage à une Notre-Dame que tout le monde admirait ; et l’on sonna toutes les cloches. Cependant, depuis l’on a assez découvert qu’elle était sorcière, et que le Diable avait feint ce miracle pour se moquer de l’Image. Comment serait-il possible que la Vierge Marie se tînt honorée par toutes ces façons de dévotions, ou ferait quelque faveur à ceux qui lui offrent des dons qui ne fervent que la vanité, et à nourrir l’avarice de ceux qui les reçoivent ? Si l’on invoquait l’entremise de la Vierge pour avoir contrition de ses péchés, ou la grâce d’observer les commandements de Dieu, elle est assez puissante pour nous l’obtenir, mais les fadaises qu’on va requérant à son Image témoignent assez que ce n’est pas la Vierge ni son salut qu’on cherche en ces dévotions frivoles, où le Diable est assurément plus honoré que n’est Dieu ni la Vierge, et qui prend souvent la dévotion pour couvrir ses tromperies. Enfin, cet ennemi de notre âme s’est maintenant emparé des choses les plus saintes pour séduire tout le monde [145], lequel ne l’aperçoit sous de semblables prétextes de piétés apparentes. Les plus parfaits en sont séduits sans le connaître, se portant avec empressement à toutes les solennités et prières, lesquelles se faisant pour l’honneur de Dieu, le peuple en deviendrait assurément plus dévot et recueilli.

15. Mais l’expérience nous apprend que ces solennités si fréquentes, les Processions et autres prières, servent plutôt de distractions que de dévotions, parce qu’elles sont faites avec si peu de piété, que celui qui aurait la dévotion au cœur la perdrait en les considérant. Et au lieu de représenter ès processions quelques pieux mystères de notre foi, l’on y fait marcher en chariot de Triomphe des filles accommodées comme des Vénus, et des garçons comme des Cupidons.

16. Il faut bien croire que l’on abuse aussi extrêmement des Indulgences ; car si l’on en usait bien, il faudrait que tout le monde fût saint, pour les avoir si fréquentes. Tous ceux qui auraient gagné uns fois l’Indulgence plénière seraient pleinement remis en grâce. Quel effet voit-on de cela ? Celui qui retourne d’avoir gagné l’indulgence plénière n’est-il pas aussi imparfait que celui qui ne les a pas gagnées ? La grâce qu’il a reçue est-elle sans opération ? Celui qui était superbe, luxurieux, ou avaricieux avant l’Indulgence, le sera-t-il moins après ? Si cela était, il n’y aurait presque plus nuls péchés au monde, parce que tant de personnes vont aux indulgences, et si souvent, qu’en quittant seulement un péché à chacune fois, tous les péchés seraient quittés par si souvent jouir des Indulgences. Le Diable nous amuse encore avec cela pour nous entretenir en nos péchés et imperfections, sous espérance qu’une Indulgence plénière payera tous nos péchés, si grand nombre qu’ils soient. Il ne se faut là fier ; car toutes les Indulgences du monde ne nous peuvent sauver ni profiter sans une parfaite contrition, laquelle étant, apporterait un changement de vie. Car celui qui serait vraiment marri d’avoir fait quelque chose ne le ferait plus si légèrement, s’en abstiendrait pour le moins quelque espace de temps. Tant s’en faut que voyions cette expérience ; qu’au contraire l’on commet toujours plus de péchés, qui s’augmentent à vue d’œil, le monde devenant tous les jours pires, voire tous les moments du jour. Que les plus parfaits examinent leurs consciences, pour savoir s’ils ont quitté beaucoup de leurs imperfections depuis qu’ils ont reçu tant d’Indulgences ; ou s’ils ont acquis plus de vertus ; si leur vie est plus parfaite aujourd’hui qu’elle n’était il y a vingt années. Ils verront qu’ils sont plutôt allés en arrière en la vertu que non pas avancés. C’est donc une fausse persuasion que le Diable nous propose, que les Indulgences payeront nos péchés sans nous convertir à Dieu de tout notre cœur en parfaite pénitence.

17. Pour les sermons, on les a en si grande abondance qu’on en est dégoûté. À toute heure l’on prêche quelque part. Ces discours si fréquents sont tournés à mépris. Si chaque Pasteur prêchait une fois seulement la semaine en sa Paroisse, et que tous les paroissiens l’entendissent, il serait bien plus profitable aux âmes, moyennant de leur enseigner la vraie doctrine de Jésus Christ seulement ; ainsi que faisaient les Apôtres et leurs Disciples, qui n’ont jamais fait ces sermons de parade ni ces disputes controuvées par l’arrogance des hommes, qui se veulent montrer plus diserts et éloquents que les Apôtres, qui disaient ne vouloir enseigner le peuple par éloquentes paroles, mais par simples vérités [146], lesquelles doivent encore subsister aujourd’hui, voire jusques à la fin du monde, sans pouvoir jamais souffrir aucune mutation ou changement.

 

Le mois de Juin 1666.

 

 

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CHAPITRE V.

 

De l’Attrition, laquelle on dit suffisante pour avoir pardon de ses péchés, et autres maximes qui sont contraires aux enseignements de Jésus Christ (corrompus par les Prédicateurs Religieux et Casuistes).

 

De l’Attrition et de l’Amour de Dieu.

 

1. Ce sont ces Vérités Évangéliques qui doivent nourrir nos âmes. Les Pasteurs sont commis de Dieu pour les distribuer en temps à ses serviteurs [147]. Si les Moines, ou autres, se sont offerts pour distribuer cette Parole, ce n’était que pour aider les Pasteurs, mais depuis qu’ils ont été mis en cette possession, ils semblent vouloir détruire les vrais Pasteurs au lieu de les aider, et voler leurs brebis, pour les nourrir d’une viande qui n’est pas saine, mais le plus souvent venimeuse ou pestiférée ; avec quoi ils tuent la plupart des âmes qui ont été baptisées. Car au lieu de leur enseigner les points de la vraie Foi, ils leur enseignent des inventions puisées dans leurs propres cerveaux, les amusant d’histoires et de discours Philosophiques, qui ne font que flatter les oreilles et relâcher les cœurs du vrai Christianisme.

2. Car sitôt qu’il y a un esprit assez subtil pour inventer quelque formalité pour excuser les péchés, on la prêche au peuple comme une opinion probable, assurant qu’il est permis de la suivre pour assurer son salut, et que l’opinion de deux ou trois personnes est suffisante pour autoriser toutes sortes de péchés sans offenser Dieu, ainsi qu’ils disent, mais abusivement. Car les opinions de tous les hommes du monde ne peuvent jamais changer la Loi de Dieu ni la doctrine de Jésus Christ. Ceux-là sont trompeurs et Séducteurs des âmes qui enseignent le contraire, bien qu’ils seraient constitués ès plus hautes dignités de la S. Église. Ils sont larrons, selon le dire de Jésus Christ [148], s’ils entrent par les fenêtres, parce que lui seul est la porte, et qui n’entre par icelle ne sera pas sauvé ; quoique tant de Prédicateurs pour flatter le monde aient inventé si grand nombre de nouvelles moralités, qui sont la peste des âmes, bien plus dangereuse que celle du corps, laquelle on fuit on s’en garde, mais cette peste spirituelle est aimée et cherchée par tous les sensuels, qui avalent ce venin comme vin délicieux, se persuadant qu’il est permis de donner carrière à tous leurs sens et volontés moyennant que cela soit avoué de quelque auteur probable. C’est ce qui conduit la plus grand part des hommes de maintenant ès Enfers. Car Dieu n’a point mis l’assurance de notre salut dans l’opinion ou disposition de ces nouveaux Docteurs, mais l’a promis seulement à ceux qui garderont sa Loi et ses Enseignements. Tout le reste n’est que tromperie ou amusements.

3. Que personne ne se flatte. Celui qui n’aime pas Dieu de tout son cœur ne peut être sauvé, parce que ce n’est pas seulement un Conseil de Jésus Christ, mais un Commandement absolu de Dieu, qui a été dès le commencement du monde, et durera jusques à la fin. Et encore bien que nos nouveaux Casuistes veulent gloser et disputer sur ce Commandement, ils ne le peuvent jamais changer ni innover, étant une ordonnance de Dieu immuable pour toutes les personnes qui veulent être sauvées.

4. Il ne le faut pas seulement aimer à la mort, si qu’aucuns ont voulu avancer, mais toujours. Car qui se peut promettre un jour assuré pour attendre un demain [149], n’ayant point seulement un moment de vie en notre puissance ? Et ceux qui disent que c’est l’aimer que de ne le pas offenser, ne sont-ils pas sans raison ? Car nous n’aimons nullement plusieurs personnes que nous n’offensons point. Et offenser Dieu est un péché d’action, et ne le pas aimer est un autre péché, d’omission. En sorte que ne point aimer Dieu, c’est cesser de faire ce pour quoi nous sommes créés, et ce qu’il nous a précisément commandé. Un chacun avoue qu’il faut garder les commandements de Dieu pour être sauvé. Et celui de l’aimer de tout son cœur, qui est le premier et le plus grand [150], s’observe le moins, parce que ces Pasteurs sauvages mènent paître les brebis du vrai Pasteur dans des Campagnes qui semblent remplies de fleurs, mais par effet sont remplies de serpents venimeux, qui causent la mort aux simples brebis, les âmes desquelles périssent en avalant cette doctrine perverse, que c’est assez de ne point offenser Dieu pour accomplir ce commandement de l’aimer.

5. C’est une fausse tromperie, et une équivoque qui ne sert qu’à obscurcir l’entendement des hommes. Car si l’on s’abstient de faire des actions mauvaises sans cet Amour de Dieu, l’on ne peut jamais être sauvé, parce qu’on reçoit en ce monde la récompense de la fin qu’avons eue en nous abstenant de malfaire, qui a été, ou pour plaire, ou craindre les hommes, ou bien pour l’amour que portons à nous-mêmes. Cela doit-il attendre quelque rétribution éternelle, en faisant bien pour plaire aux hommes ? Eux seuls nous doivent le salaire [151]. Et en faisant bien pour l’amour de nous-mêmes, notre propre satisfaction est la seule récompense que pouvons jamais en attendre ; ou autrement, Jésus Christ se contredirait en ce qu’il assure que celui qui ne renonce à soi-même ne peut être son Disciple [152].

6. Et une personne qui fait le bien et cesse de faire le mal pour l’amour qu’il porte à soi-même, fait directement contre le commandement de Dieu, aimant la créature au lieu du Créateur. Et celui est grandement hypocrite qui dit ou qui croit qu’il aura pardon de ses péchés en les regrettant par crainte seulement de l’enfer, parce que Dieu serait injuste s’il pardonnait les péchés à ceux qui n’aiment qu’eux-mêmes, puisqu’il enseigne qu’il faut renoncer à soi-même, et qu’après avoir offensé un Dieu, il suffirait d’en être marri parce qu’on s’est mis soi-même en péril de damnation.

7. Cela est une proposition si absurde, qu’elle ne peut jamais avoir lieu parmi des personnes de jugement, sinon de ceux qui lâchent la bride à toutes leurs sensualités et, voulant continuer dans leurs péchés, sont bien aises de trouver de ces nouveaux Théologiens qui leur promettent le Paradis en persévérant en leurs péchés, lesquels ils savent si bien couleurer, qu’ils portent maintenant l’apparence de vertu ou, du moins, d’actions licites, et permises par les Auteurs probables, et qui, au pire, ne leur pouvant ôter le nom de pêché, pour être leurs actions trop abominables, persuadent qu’il ne faut qu’une contrition imparfaite, ou une crainte d’être damné, pour en obtenir le pardon. Comme si Dieu était obligé de récompenser l’amour qu’ils portent à eux-mêmes. Car la crainte d’être damné ou de subir punition n’est qu’un pur amour propre, que la nature a-t-en elle même horreur de souffrir, et soin de se délivrer de maux.

8. Cela ne regarde point Dieu, contre lequel nous avons péché, à qui nous devons nécessairement satisfaire pour avoir pardon de nos péchés. Car toutes les larmes que pourrions verser, et tous les regrets de cœur qui nous feraient soupirer pour nos péchés de crainte qu’iceux opéreront notre damnation, ne peuvent jamais être suffisants pour avoir pardon d’un seul péché véniel, parce que rien de tout cela ne regarde Dieu, à qui nous sommes obligés de satisfaire, et point à nous-mêmes. Si nous sommes marris d’avoir commis des péchés véniels parce qu’iceux nous obligent d’en faire pénitence en ce monde ici ou bien à l’avenir en l’autre, ce n’est encore qu’un Amour propre, qui craint la souffrance, et se repent de s’être soumis à quelques peines.

9. Dieu peut-il pardonner les péchés, soit mortels ou véniels, pour de semblables regrets ou Attritions, si que ces Scolastiques l’appellent, après qu’il a dit que celui qui aime son âme, il la perdra, et celui qui hait son âme, il la trouvera [153] ? Les personnes qui sont marries d’avoir offensé Dieu de crainte de l’Enfer, ou autres peines temporelles, font-ils autre chose que d’aimer leurs âmes ? Si Jésus Christ dit qu’ils la perdront, comment ces bons Casuistes font-ils entendre qu’ils la sauveront ? Il faut que l’un ou l’autre se trompent. L’Évangile ne peut errer. Assurément que celui qui n’a repentance de ses péchés sinon par crainte de l’Enfer, perdra son âme, puisque Jésus Christ l’assure, et que personne ne trouvera le salut à son âme que celui qui la perdra. Être marri d’avoir offensé Dieu pour crainte de perdre son âme, n’est autre chose qu’aimer son âme. Et si celui qui l’aime la perdra, selon le texte de l’Évangile, de nécessité cette nouvelle doctrine qui dit que la crainte d’être damné suffit pour avoir pardon de ses péchés et être sauvé est d’Antéchrist, puisqu’elle est directement contraire à Christ, qui dit si clairement que celui qui aime son âme la perdra, et qu’icelle dit qu’il la sauvera.

10. C’est une doctrine qui répugne même au sens naturel ; car si un Enfant avait frappé son Père en telle sorte qu’il s’aurait blessé sa propre main en frappant, le Père serait-il apaisé pour entendre que son enfant regrette de l’avoir frappé seulement pour la peine qu’il ressent en sa main, ou la crainte que sa douleur s’augmentera ? Cela augmenterait plutôt la colère du Père que d’en procurer le pardon. Car au lieu que l’enfant regrettât l’offense commise à l’encontre de son Père, il s’emblerait plutôt l’avouer en cas qu’il ne se fût pas blessé soi-même.

11. Est-ce de merveille que Dieu, qui est notre Père, lequel nous offensons par nos péchés, avertit que celui qui aime son âme la perdra ? parce que celui qui n’a pas regret d’avoir offensé son Dieu pour l’amour qu’il lui porte, mérite la damnation de droit et de justice, vu qu’il ne satisfait point à la partie offensée, et qu’après avoir offensé son Dieu, il se contente de satisfaire à soi-même, se repentant seulement pour la crainte de sa damnation. Nuls justes Juges ne pardonnent jamais les crimes sinon après que la partie intéressée d’iceux est apaisée ou satisfaite. Dieu aurait-il moins de justice que les hommes en pardonnant les péchés pour quelque attrition ou crainte de damnation ? C’est une tromperie qui en séduit plusieurs, les conduisant, sous espérance de salut, insensiblement à l’enfer, duquel les enseigneurs de cette doctrine ne les pourront délivrer si qu’ils les y ont conduits, parce qu’ès enfers n’y a point de salut.

12. Celui qui le veut procurer doit, pendant qu’il est encore en ce monde, prier pour avoir une vraie contrition et regret de ses péchés pour l’amour qu’il porte à Dieu, et d’autant que les péchés lui déplaisent ; laquelle contrition, si elle était véritable, engendrerait en l’âme la haine de soi-même, et un tel déplaisir de ses péchés, qu’on perdrait son âme en la jugeant digne de la damnation éternelle, pour avoir offensé un Dieu qui est si bon, de qui nous tenons l’être, le soutien, et tout ce que nous sommes. La considération de notre ingratitude ferait porter sentence à l’encontre de notre âme, la jugeant mériter toutes sortes de tourments, et indigne du salut éternel. Perdant de la sorte son âme, on la trouvera assurément, parce que cet Amour de Dieu est capable de consumer tous nos péchés, et d’attirer le pardon et la miséricorde de notre vrai Père ; ainsi que l’enfant attirerait aussi la miséricorde de son Père naturel qu’il aurait frappé, en jugeant que son bras doit être coupé pour avoir outragé son Père, lequel il était obligé d’aimer pour tant de bienfaits qu’il a reçus de lui. Lorsque ce regret provient de l’amour qu’il lui porte, le Père infailliblement s’enclinerait à lui pardonner son péché, mais non pas lorsqu’il ne verrait en lui qu’un regret de s’être blessé soi-même ; d’autant que cela mériterait punition au lieu de pardon, ainsi que mérite l’attrition au regard de Dieu.

13. D’autant que c’est un péché d’hypocrisie de vouloir dire et croire que Dieu pardonnera les péchés de ceux qui sont seulement marris d’avoir offensé Dieu crainte d’être damnés ; qui n’est qu’un amour propre, lequel est péché qui ôte la totalité de l’amour que devons à Dieu, notre cœur ne pouvant être divisé, ni rempli de deux amours si divers. Cependant nous couleurons ce péché d’amour propre de l’assurance de notre salut. Ce qui est une formelle hypocrisie ; et encore pire, lorsque disons et croyons que pour aimer Dieu, il faut seulement cesser de l’offenser, en la façon que nous l’entendons, comme de ne point tuer, blesser, dérober, paillarder, ou autres tels péchés d’actions ou de pensées que ce soit.

14. Et moi je demanderais volontiers si un Enfant aimerait son Père lorsqu’il cesserait de le frapper, dérober, et le reste ? Ou si un valet aime son Maître lorsqu’il s’abstient seulement de l’outrager ? Ne faut-il pas qu’un vrai Enfant et fidèle Serviteur, pour bien aimer, s’appliquent à procurer le profit, l’honneur, et l’avancement de son Père ou son Maître, en s’étudiant continuellement à connaître sa volonté, et l’accomplir autant qu’il est en leur pouvoir ? Dieu n’est-il pas notre Père et notre Maître ? Suffit-il pour l’aimer de nous abstenir seulement de l’offenser ? Il faut faire l’un, et ne point laisser l’autre. Car cesser de pécher pour le regard de craindre Dieu est chose bonne, mais si nous n’avançons davantage, cela n’est pas un amour, mais une crainte servile, qui tient encore de son amour propre.

15. L’on se peut bien abstenir de toute sorte de mal sans pour cela aimer Dieu. Les personnes bien nées s’abstiendront de malfaire par civilité. Ceux qui font profession d’être vertueux, par crainte de perdre leur réputation, les prétendants aux offices ou bénéfices, par crainte d’être décrédités, en fin ceux qui aiment leurs âmes, crainte d’être damnés. Tous ceux-là se peuvent bien abstenir de pécher sans avoir l’amour de Dieu ; seraient aussi hypocrites de le croire ; car s’ils aimaient Dieu, outre l’abstinence du péché, ils procureraient sa gloire, et avanceraient son honneur de tout leur possible. Ils s’étudieraient à connaître ses volontés, et s’efforceraient à les suivre ; et cela de nécessité absolue. D’autant que l’amour de Dieu n’est jamais oiseux dans une âme. Il y produit toujours tous ses effets [154]. En sorte que celui qui ne sent pas en soi semblables opérations, ne peut dire avec vérité, et encore moins le croire, qu’il aime Dieu, parce qu’il se trompe ou se laisse tromper par ceux qui avancent semblables discours sans fondement de vérité devant Dieu ; bien que devant les hommes ils se prévalent d’être des véritables Prédicateurs, en prêchant qu’il suffit pour être sauvé d’avoir attrition de ses péchés, ou un regret de les avoir commis, pour la crainte de l’Enfer, ou autre peines temporelles. Ce qui n’est autre chose qu’un désir de bien garder son âme, lequel désir est condamné de Jésus Christ même lorsqu’il dit que celui qui la gardera, la perdra [155].

16. S’ils enseignaient que l’on pourrait bien être sauvé et avoir pardon de ses péchés par cette Attrition et crainte de l’Enfer lorsque cette crainte prendrait son Origine et sa fin sur ce que les damnés ne jouiront pas de Dieu, cela pourrait donner quelque espérance de salut parce que cette attrition regarderait Dieu indirectement ; encore serait-il dangereux que l’amour propre ne prévalût à l’Amour de Dieu, parce que notre nature est si remplie de finesse et subtilités, qu’elle se ferait bien accroire que cette crainte de damnation regardait l’honneur de Dieu lorsqu’elle ne regarderait autre chose que soi-même. Et ainsi la pauvre âme se trouverait trompée à la mort, lorsque toutes ces couleurs, de l’honneur de Dieu, s’effaceraient comme fausses, et que réellement devant les yeux clairvoyants de son Juge elle serait trouvée et jugée pleine d’amour propre.

17. Certes nous sommes vraiment arrivés dans ces temps dangereux prédits par Jésus Christ, que faux Christ et faux Prophètes s’élèveront, et en séduiront plusieurs [156]. Car les âmes les plus pieuses font souvent trompées et séduites par ces persuasions qu’il ne faut qu’une attrition pour avoir pardon de ses péchés, et qu’il ne faut que cesser de malfaire pour accomplir le commandement d’aimer Dieu de tout son cœur. Ils font faux Christs, vu qu’ils portent le nom de Chrétiens, et sont Pasteurs, puisqu’ils sont commis dans l’Église pour mener paître les âmes dans la Loi de Dieu, les alimentant de la doctrine de Jésus Christ, qui est la vraie viande de toute âme Chrétienne. Ils sont aussi Prophètes, en prédisant le salut à ceux qui n’ont autre crainte que celle de l’Enfer, ni autre amour que celui de leurs âmes. Mais sont vraiment faux en tous ces points, parce qu’ils disent choses toutes contraire à Christ et à la Loi que Dieu a établie dès le Commencement du monde, savoir, d’aimer un seul Dieu. Ils en séduisent plusieurs, parce qu’ils portent l’apparence de sainteté ; et sont assis dans la Chaire de Moïse, d’où le peuple croit entendre la vérité, pendant qu’on leur avance des mensonges tirés des opinions des hommes, qu’ils appellent des PROBABILITÉS.

18. Et ce n’est pas de merveille si les plus gens de bien en sont séduits, parce que leurs tendres consciences n’osent suspecter de fausseté les personnes constituées ès dignités ou faisant vœux particuliers de la perfection Évangélique, les voyant monter en la Chaire de vérité, si qu’ils disent mal à propos. Car la chaire de Moïse n’est pas ces chaires de pierres ou de bois que nous voyons ès Églises matérielles, mais c’est la doctrine de Moïse, qui est la Loi de Dieu. Cela est la seule Chaire de vérité où ne peut y avoir de tromperies. Qui écoute cette doctrine, écoute Jésus Christ et son Église, mais qui écoute ces Doctrines contraires à celle de Jésus Christ, est trompé et séduit ; et ceux qui les avancent ne sont pas membres de Christ, mais membres de l’Antéchrist, quoiqu’ils portent le nom, la Profession, et l’habit de gens d’Église. Ils n’en sont que des membres pourris, beaucoup plus dangereux que ceux qui en sont retranchés, desquels tous bons Chrétiens ont horreur, n’ayant garde de les écouter, beaucoup moins de les suivre, en les tenant comme hérétiques. Mais ces personnes qui s’appellent Prêtres de Dieu, Prédicateurs, ou Saints Religieux, sont écoutés et suivis des bien-intentionnés, lesquels les tiennent pour vraie Église, sans discerner, que ce n’est pas ni le corps ni l’habit du Prêtre qui le fait Église, mais que c’est la Loi et la doctrine de Jésus Christ [157], hors de laquelle personne n’est membre vivant de l’Église.

19. Avec beaucoup de raison Jésus Christ redit si souvent : Ne vous laissez point séduire [158]. S’il parlait seulement des hérétiques qu’il se faille garder, il semblerait faire en vain dans son Évangile tant de fois ces répétitions ; d’autant que ces hérétiques sont retranchés de l’Église, avec lesquels les Catholiques n’ont pour l’ordinaire nulles conversations ; et s’ils en ont, c’est toujours en les traitant comme ennemis de la vraie foi, et non comme Frères Chrétiens. Par où ne se peut trouver le danger qui se trouve en écoutant ces personnes qui se disent Envoyées de Dieu pour enseigner la Loi, pendant qu’ils enseignent tout le contraire ou, du moins, tant de chemins fourchus pour arriver au salut, qu’ils en détournent souvent les âmes, au lieu de les y faire arriver, et ainsi, en séduisent plusieurs sous ces pieux prétextes. Car les plus parfaits même cherchent leurs directions et enseignements, se persuadant qu’ils ne peuvent errer en suivant la Direction de ceux qui sont commis par l’Église (si qu’ils se persuadent) pour régir et enseigner le peuple ; quoique ceux-là même enseignent la Doctrine des Diables ; car tout ce qui est contre Christ est Antéchrist qui est le Fils de perdition, le Père de mensonge et d’erreur [159], contredisant à la Vérité qui est Jésus Christ, la seule voie et vie, hors duquel n’y a point de salut [160].

20. Quoique tous ces Prédicateurs prêchent, ils sont faux Christs et faux Prophètes lorsqu’ils sortent hors de la Doctrine de Jésus Christ, qui est le seul Sauveur de nos âmes [161], à l’exclusion de tous ces Docteurs inventant nouvelles Maximes et Doctrines pour tromper et séduire les droits de cœur, s’il était possible ; assaisonnant si bien leurs propositions perverses d’arguments et raisons humaines, que les plus ferrés se trouvent parfois ébranlés, jusqu’à ce qu’ils ont le loisir de rentrer en eux-mêmes pour découvrir la vérité de ces mensonges couverts de si beaux discours et raisons apparentes, qu’il est presque impossible de discerner la Vérité sans une lumière particulière de Dieu. D’autant que ces Doctrines nouvelles sont revêtues et toutes couvertes de pieux prétextes de charité, de support de notre faiblesse humaine, ou de crainte de réduire les âmes au désespoir ; comme si ces Docteurs étaient plus sages que Dieu pour réformer sa Loi, et ses Pédagogues pour redresser ses enseignements, débitant au peuple un chemin large de salut, là où Jésus Christ en a enseigné et suivi un étroit [162] ; et avec cela s’osent bien intituler Disciples et Compagnons de Jésus Christ, et sont assis comme Dieu au Temple de Dieu, se disant être Dieux [163], plusieurs prenant leurs paroles comme sorties de la bouche de Dieu. C’est le premier enseignement qu’ils donnent aux âmes qui cherchent leur direction, savoir, de les écouter comme Dieu, et faire ce qu’ils leur diront, comme si Dieu même leur disait. Ils en écrivent des gros volumes. Ils ne veulent reconnaître personne pour gens de bien que ceux qui les suivent. N’est-ce pas se faire adorer comme Dieu ensuite de la prédiction de Jésus Christ lorsqu’il parle de l’homme de péché et du fils de perdition, qui est l’Antéchrist ?

21. Qui peut douter que ne soyons maintenant arrivés en ces temps lamentables, puisqu’on ne sait plus où est la Vérité ? Chacun dit : Je suis Christ [164], et personne ne suit sa Doctrine. Chacun tire à soi au lieu de conduire à Christ. Le peuple errant çà et là se forge presque autant d’idoles qu’il y a de diverses Religions. Chacune personne choisit celui où il a plus d’inclination et est plus flatté et gouverné selon ses sens ; sans prévoir qu’il n’y a qu’un seul Dieu et une seule doctrine, qui est celle de Jésus Christ ; ainsi vivent insensiblement dans l’idolâtrie, et persévèrent en grand danger de leur damnation, avec la présomption d’être sauvés sans bonnes œuvres ; qui est un péché contre le S. Esprit, qui ne sera pardonné en ce monde ni en l’autre [165], parce que cette ignorance n’excusera point le péché, puisque Jésus Christ a permis que la Loi et sa doctrine nous soit laissées par écrit, nous n’y pouvons avoir cause d’ignorance, ni opérer notre salut en faisant le contraire de cette doctrine, quoique tout le monde nous le promettrait, parce que chacun portera son paquet [166]. Ces directeurs ou Enseigneurs ne nous peuvent sauver avec tous leurs discours et promesses. Il faut suivre les enseignements de Jésus Christ, ou aller à perdition. Tous ces Prêtres, ces Moines, et autres Conducteurs du peuple, ne peuvent jamais faire changer la doctrine de Jésus Christ. Elle persistera telle qu’elle a été dès le Commencement de la S. Église, jusques à la fin du monde, sans aucun changement [167]. Et autant que notre vie et mœurs sont éloignées de celles des premiers Chrétiens, autant le sommes-nous de notre salut.

22. Que l’on glose et explique tant que l’on voudra, il faut de nécessité aimer Dieu de tout son cœur pour être sauvés, et son prochain comme soi-même. Car sans charité personne ne sera sauvé [168]. Ceux qui disent qu’on n’est pas obligé d’aimer Dieu sinon une fois en sa vie, sont trompeurs, parce que cette nécessité oblige toujours. La raison même naturelle ne nous dicte-t-elle point une obligation continuelle vers un Bienfaiteur continuel ? Nous avons tout reçu de Dieu, et espérons tout de lui, et actuellement recevons les grâces à tous moments. Cependant l’on nous veut faire croire que nous ne sommes pas obligés de l’aimer qu’une fois en notre vie ! Ne serait-ce point une ingratitude insupportable d’aimer seulement une fois celui qui nous aimerait toujours, et qu’en témoignage de son Amour il nous ferait à tous moments des nouvelles grâces et faveurs ? Cette ingratitude seule mériterait la Damnation, encore bien que Dieu ne nous eût point donné de Commandement absolu de l’aimer, si qu’il a fait.

23. Il faudrait bien apprendre de ces savants en quel temps il faudrait aimer Dieu une fois ? S’ils disent en jeunesse, cela serait bon pour ceux qui mourraient à ce moment qu’ils aimeraient Dieu, mais s’ils ne meurent point si tôt, et qu’ils tombent en péché après qu’ils ont une fois aimé Dieu, ce premier amour est-il capable de les sauver sans plus aimer Dieu, vu que ce péché lui a fait perdre la grâce de Dieu et son Amour ? Par quelle voie donc peut-il entrer en Paradis, s’il n’est plus obligé de l’aimer ? Il faudrait de nécessité qu’il demeurât toujours dans les commandements de Dieu jusques à la mort. Et s’il demeurait dans les commandements, il serait dans son Amour plus d’une fois. Et étant nécessaire de mourir dans la grâce de Dieu pour être sauvé, il faudrait que la fois qu’on doit aimer Dieu fût de nécessité à la mort. Et qui peut espérer d’avoir la grâce d’aimer Dieu à la mort, lorsqu’on a passé toute sa vie sans l’aimer [169] ? Qui peut apprendre ce métier en ce dernier moment lorsqu’on ne l’a point voulu savoir tout le temps de sa vie [170] ? Encore bien que cela serait vrai (que non), qui est au monde si perdu de jugement qu’il voulût attendre l’extrémité de sa vie pour aimer Dieu, ne sachant pas s’il aurait un moment de temps pour prévoir la mort ou faire un acte d’Amour de Dieu, vu que tant de personnes meurent si subitement, sans avoir quelquefois le temps de dire Jésus-Maria ?

24. Ne voit-on pas que toutes ces doctrines sont des tromperies pour conduire les âmes insensiblement aux Enfers, et que ceux qui nous disent qu’il ne faut qu’une attrition de ses péchés pour en avoir pardon, et qu’il ne faut que cesser de malfaire pour accomplir le commandement d’aimer Dieu, et qu’on n’est obligé de l’aimer qu’une fois en sa vie, sont tous Séducteurs des âmes, lesquels enseignent la doctrine des Diables ? S’ils se contentaient de malfaire eux-mêmes, ce ne serait que malice humaine, laquelle n’est pas toujours séparée des personnes constituées ès dignités, vu que S. Pierre et tant d’autres Saints personnages ont bien su tomber en péché. Mais manquer dans la Foi, et enseigner la Doctrine des hommes au lieu de celle de Dieu, c’est une malice Diabolique, à laquelle les Pharisiens, tant réprimandés par Jésus Christ, n’ont jamais arrivé, ni enseigné des Lois contraires à la Loi de Dieu, qui est de l’aimer de tout son cœur, et son prochain comme soi-même. C’est pourquoi Jésus Christ a dit de ces Docteurs de la Loi : Faites ce qu’ils vous disent, et non pas ce qu’ils font [171] ; d’autant qu’ils enseignaient bien, encore qu’ils fissent mal, mais ceux du temps présent ne font ni l’un ni l’autre bien, mais en séduisent plusieurs [172].

 

Au mois de Septembre, 1666.

 

 

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CHAPITRE VI.

 

Des Moralités et doctrines d’Antéchrist qui séduisent maintenant les Chrétiens. Que tous péchés sont excusés et changés de nom. Qu’on ne sait plus où trouver la vérité. Qu’on dit être impossible d’aimer Dieu.

 

1. SI l’on montrait aux Païens aveugles et ignorants la doctrine de Jésus Christ avec la doctrine de ceux qui se disent Pères des Chrétiens, ils signeraient bien de leur sang que ces Pères ne sont point vrais Chrétiens, et que leurs maximes et doctrines sont directement contraires à celles de Jésus Christ, parce qu’il ne faut qu’un bon jugement naturel pour découvrir leurs fourbes et séductions, et qu’une vérité Païenne pour connaître leurs mensonges ; et à moins que de tenir rang de brutes irraisonnables, l’on ne peut recevoir des sentiments si éloignés de l’apparence de la vérité, moyennant de les examiner de près. Car pour les effleurer seulement au dehors, l’on se méprendrait facilement, prenant le faux pour le vrai ; d’autant que (si que j’ai encore dit) ces nouvelles doctrines sont tellement masquées et couvertes de piété, et agencées de beaux discours et arguments scolastiques, qu’ils ensorcellent les esprits de presque tous les hommes.

2. Combien de Chrétiens y a-t-il aujourd’hui qui se laissent conduire par ces nouvelles inventions des hommes ? l’un croyant qu’il n’est obligé que de s’abstenir de malfaire pour accomplir le commandement de Dieu ; l’autre qu’il ne faut que l’aimer une fois en sa vie, et l’autre, qu’il aura pardon de ses péchés moyennant d’avoir crainte de l’Enfer, avec mille autres sortes d’opinions que ces Docteurs appellent probables, par lesquelles ils renversent toute la Loi de Dieu, corrompent la charité et les bonnes mœurs ; en sorte qu’on ne voit dans la pratique des Chrétiens d’aujourd’hui autre chose que tromperies et faussetés. Et ce n’est pas de merveilles, puisque ces Gens d’Église enseignent que l’on peut bien faire toute sorte de maux sans pécher.

3. Si ces maximes ne s’enseignaient publiquement, et que des livres n’en seraient imprimés, l’on aurait bien du mal à croire que ces personnes sont arrivées dans un si désespéré désordre, que d’enseigner aux hommes qu’il leur est permis de jurer faussement, de paillarder, dérober et tuer, sans faire de péché, moyennant d’avoir quelque intention ou restriction mentale. Cela est si communément prêché qu’on ne doit plus s’étonner de voir le peuple tant dissolu ; puisque leurs désordres sont épaulés et soutenus par les savants Théologiens d’aujourd’hui, lesquels enseignent tant en général qu’en particulier qu’il est licite et permis de faire faux ferment sans commettre de péchés, moyennant faire en soi-même quelque réflexion mentale, et que ce n’est pas mentir que de parler mensonge moyennant n’avoir intention de mentir. Cela peut-il être véritable ? L’intention seule de tromper le prochain, lui faisant entendre une chose pour l’autre, n’est-ce pas un péché contre la charité ? S’il faut aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même, ne faut-il pas aimer la vérité, qui est Dieu, et la sincérité et justice vers le prochain, ne désirant non plus de le tromper qu’on ne désire être trompé soi-même ? Si vous lui dites : Je ne connais point cet homme, mais que pensiez en vous-même : je ne le connais point pour vous le dire, croyez-vous de ne point mentir, puisque vous trompez votre prochain, qui n’entend que vos paroles, lorsque votre intention est tout au contraire ? Ne choquez-vous pas aussi la vérité, qui est Dieu ? Ne faut-il pas marcher par lui pour être sauvé ? Jésus Christ ne dit-il point que nul ne va à son Père que par lui [173], et qu’il est la Vérité, la voie et la vie.

4. Qui oserait sortir de lui pour suivre ces Enseignements contraires, qui disent que le mensonge n’est point péché, lorsque Jésus Christ dit que nos paroles soient oui et non, et que tout ce qui est dit de plus est mal [174] ; où ces Pères ne trouvent de mal dans le mensonge formel, voire dans des faux serments ? N’est-ce point plus que oui et non lorsqu’on dit des paroles équivoques pour tromper son prochain, et même qu’on jure par serment une chose fausse, en prenant Dieu pour témoin de notre mensonge ? Si ces restrictions mentales étaient permises ou avouées de Dieu, S. Pierre aurait eu tort de se tant lamenter d’avoir renié son Maître [175], puisqu’en son intention il l’aimait et ne se voulait nier, sinon de paroles, afin d’échapper la prison ou le mauvais traitement qu’on faisait à celui qui ne le reniait ? Cet Apôtre a-t-il été fou ou ignorant, d’avoir pleuré tous les jours de sa vie pour avoir fait un mensonge avec une rétraction mentale ? S’il n’y avait de péché à mentir et se parjurer, comme disent ces Nouveaux Casuistes, il ne devait pas pleurer, puisqu’il n’avait pas péché, selon leur allégation.

5. Certes nous vivons bien en des temps dangereux, puisque l’Abomination est dans le Sanctuaire [176], et que ceux de qui le peuple doit attendre la vérité leur enseignent le mensonge. Hé ! de quel côté se tournera l’ignorant des Écritures, puisque ces Messieurs corrompent la vérité ? L’on peut avec raison dire les paroles du Texte : Si le sel est corrompu, avec quoi salera-t-on la chair [177] ? Aussi voit-on le peuple tomber d’un péché en l’autre, sans aucun sentiment, avalant le péché comme l’eau, l’iniquité étant tellement en usance qu’on n’y fait aucune réflexion, d’autant qu’elle est autorisée par l’enseignement des Prédicateurs et Confesseurs, un desquels prêcha devant grand nombre de peuple, de quoi je fus témoin oculaire, disant qu’il n’y avait aucun péché à mentir, et que tout le plus grand mensonge qu’on pourrait faire, que ce ne pouvait être tout au plus que péché véniel, en cas qu’il y eût du péché. Si cela était véritable, il faut que l’Écriture soit fausse qui dit que la langue qui ment tue l’âme [178], parce que l’âme ne peut jamais être tuée sans péché mortel.

6. Le même Prédicateur avança aussi, touchant la Paillardise, qu’il n’y avait point de péché dans les plaisirs charnels qui n’effectuent pas l’œuvre ; que pour les caresses et attouchement malhonnêtes, que ce n’était que jeux et point de péchés, parce qu’on n’a point été enseigné que cela soit péché. Et bien que l’on y aurait trempé longues années, qu’il n’y avait point matière de confession. Certes je frémissais en entendant semblables discours, lesquels devaient plutôt sortir d’un Diable que d’un Prédicateur. Car quelle malice humaine pourrait arriver à ce degré que de prêcher publiquement de semblables infamies ? Encore qu’on serait soi-même paillard, si ne voudrait-on pas nier que ces choses ne soient péchés, pour être de la même nature que l’œuvre ; le péché, n’étant qu’une chose spirituelle, n’a besoin d’œuvre accomplie pour avoir sa pleine malice, puisqu’il n’est autre chose qu’un consentement de volonté qui se porte à faire ou omettre ce que Dieu a commandé ou bien défendu [179]. Or par les commandements de Dieu n’est-il pas défendu d’être luxurieux ? Et celui qui se délecte ès jeux ou attouchements déshonnêtes et illicites, ne témoigne-t-il pas la luxure de son cœur ? Comment ce Prédicateur le veut-il excuser de péché, puisque c’est contre les commandements précis de Dieu, et l’un des sept péchés capitaux ? Et dans l’Écriture n’est-il pas dit : Ne vous laissez pas tromper ; car les paillards ni les ivrognes n’entreront au Royaume des Cieux [180] ? Cette advertance ne doit-elle pas suffire pour éviter la tromperie de ce Prédicateur et ses consorts ? Car de dire qu’il n’y a point de péché parce que l’on ne nous avait pas enseigné que ces jeux déshonnêtes étaient péché, cela ne nous peut jamais excuser, parce que tous Chrétiens sont obligés de savoir ce qu’ils doivent faire ou laisser ; à moins de quoi ils ne sont point Chrétiens. L’ignorance même de ces choses nécessaires est capable de leur damnation. Et de dire qu’il y a seulement du péché lorsque l’œuvre est accomplie, c’est contre les paroles que Jésus Christ a dites, que celui qui regarde la femme d’autrui et la convoite, il a déjà commis l’adultère en son cœur [181]. Si le regard seul commet le péché, comment les attouchements ne le commettraient-ils pas ?

7. Il faudrait tracer et biffer toute l’Écriture Sainte pour donner croyance à ces nouveaux Casuistes, lesquels nous veulent conduire douillettement ès Enfers, en excusant toutes sortes de péchés afin de nous faire vivre en iceux, et mourir sans regret ou pénitence. Je vis en ce Sermons plusieurs jeunes gaillards se couvrir la face de leurs manteaux afin de rire plus à l’aise, en se poussant les uns les autres pour exciter leur attention à ces damnables discours, qui semblaient être avancés à dessein d’exciter la luxure ès cœurs des jeunes gens, qui souvent s’abstiendraient bien de consommer l’œuvre par égard humain ou crainte du déshonneur ou intérêt, moyennant qu’il leur fût permis de faire hors d’icelle toutes fortes de vilenies charnelles, comme ce Prédicateur leur faisait entendre, en les excitant de plus à ne point chercher d’être enseignés, puisque l’ignorance les excuse. Je ne sais si le Diable pourrait faire plus grand mal (encore que Dieu lui permettrait de s’incarner en prenant un corps humain sur la terre) que ces personnes, qui sont en autorité dans l’Église, en enseignant toutes ces nouvelles maximes.

8. Et ce n’est pas ce Prédicateur seul qui avance semblables doctrines, mais presque tous les Prédicateurs et Confesseurs sont maintenant enfarinés de ces nouveaux cas. Plusieurs livres en sont imprimés, et l’usance en est pratiquée. Un Confesseur à qui je me suis adressée pour avoir solution d’un doute sur le même fait, savoir, que deux personnes de sexe différent avaient de fréquentes communications et que l’homme avait assez témoigné de l’inclination charnelle vers la femme, ce qui la faisait douter si elle n’était point obligée de quitter cette conversation, pour le péril qu’elle voyait en la continuant. Le confesseur résout absolument qu’elle n’était point obligée de quitter cette communication familière, puisque d’ailleurs elle lui était utile pour ses biens temporels ; qu’il lui était licite de la continuer, mais qu’elle se gardait de tomber en péché formellement ; que c’était assez qu’elle n’en avait pas la volonté. Ce Confesseur était le plus docte de tout l’ordre, et le plus spirituel et illuminé en estime. Cependant il donne là un conseil directement contraire à la parole de Dieu, qui dit. Celui qui aime le péril, périra en icelui [182]. Et par l’expérience de la faiblesse humaine y a-t-il péril plus évident que semblables conversations, tendant à pécher ? Si Jésus Christ dit qu’il faut couper sa main ou son pied, ou arracher son œil qui nous scandalise [183], à combien plus forte raison faut-il couper les occasions qui nous conduisent à pécher, telle qu’était celle du cas proposé, où qu’à moins de quitter l’occasion l’on ne pouvait quitter le péché sans une grâce particulière de Dieu, laquelle ne devons espérer sans grande témérité ? Cependant toute cette Théologie morale n’est remplie que de cas semblables, voire encore beaucoup pires. Car l’on soutient qu’un homme qui a une Concubine en son logis, laquelle lui est utile ou pour ses négoces, ou pour sa santé, qu’il n’est pas obligé de la quitter. N’est-ce pas préférer les biens temporels et la santé à Dieu et au salut de son âme ? L’on écrit même que celui qui doit aller 3 ou 4 lieues pour se joindre à quelque putain, n’est pas obligé de jeûner tel jour quoiqu’il serait commandé par l’Église. N’est-ce pas préférer le péché même au Commandement de l’Église ? Saurait le mal venir à plus grande extrémité qu’il n’est devant Dieu, point en cette matière de luxure tant seulement, mais en toute autre sorte de péchés semblablement ?

9. Car en matière de larcin, tout y est permis hormis ce qui est répréhensible devant les hommes ; le surplus, et ce qu’il n’y a que Dieu qui le sait, est tout permis, voire loué des hommes ; moyennant pouvoir déguiser ce mort, de larcin, l’on peut dérober autant qu’il est en notre pouvoir, sans scrupule, parce qu’on enseigne qu’il n’y a point de péché à prendre le bien d’autrui moyennant avoir quelque raison pour ce faire ; comme, par exemple : Une servante de ma connaissance dérobait sa Maîtresse. Ce qui fut découvert après long espace de temps. La Maîtresse pour y apporter remède alla vers le Confesseur de sa servante, et lui déclara comment elle avait trouvé sa servante en diverses fautes d’infidélité ; de quoi le Confesseur ne faisait guères l’étonné. Ce qui donna sujet à la Maîtresse de lui demander s’il savait bien qu’icelle fille lui prenait son argent ? À quoi il répondit en souriant qu’il le savait vraiment, quelle n’avait garde de le faire sans son congé, ajoutant : Vous êtes des simples femmes sans études, qui jugés le mal où il n’y en a point. Votre servante peut bien prendre votre argent sans pécher, à cause qu’elle ne gagne pas assez pour s’entretenir, et qu’étant à votre service, elle doit avoir la nourriture et l’entretien ; à quoi ne survenant avec les gages que vous lui donnés, elle peut licitement prendre le surplus sans commettre de larcin, si que vous pensez. La Maîtresse fut si surprise d’entendre cette nouveauté, qu’elle ne sut que répondre, mais donna sitôt congé à ladite servante, laquelle ne lui avait jamais rendu service assez suffisant pour avoir eu seulement les dépens. Cependant était autorisée de son Confesseur de prendre en cachette l’argent de sa Maîtresse, et ce seulement, parce qu’elle lui avait su dire, en mentant, que ses gages n’étaient assez suffisants pour son entretien.

10. Voyez un peu si l’on doit assurer son salut sur le dire de ces casuistes. Et si Dieu, qui défend par ses Commandements de ne point dérober, sera satisfait de lui dire qu’on n’a point assez pour s’entretenir ? Si cela était, il y aurait opposé cette clause, défendant seulement de dérober à ceux qui ont assez pour s’entretenir. Et, par ainsi, tous ceux qui sont pauvres seraient libres de dérober, puisque ce commandement ne les regarderait nullement ; car tous les pauvres n’ont pas assez pour leur entretien, selon qu’ils désirent ; quoiqu’un chacun d’eux rende quelque service au riche, comme tous les gens de métier, ou ceux qui ont quelque art ou industrie pour gagner la vie. Ceux qui les emploieraient seraient obligés, selon cette doctrine, de leur donner du gain à suffisance pour leurs entretiens souhaitables ; où autrement, il leur serait permis de dérober ceux qui les emploient. Car une servante, non plus qu’un Ouvrier mercenaire, n’ont droit devant Dieu et les hommes d’avoir autre paiement ou récompense de leur service que le prix par eux demandé et convenu, ne soit que le Maître qui les emploie donne volontairement davantage ; chacun étant obligé de travailler autant qu’il en a de besoin pour son entretien, sans faire tort à personne. Et s’il n’y peut arriver avec son travail, il doit mendier le reste, en le demandant pour l’Amour de Dieu, sans jamais prendre le bien d’autrui ; puisque Dieu l’a défendu à un chacun, aussi bien au pauvre qu’au riche, sans exception de personne, voire même de ne point seulement convoiter ou désirer les biens d’autrui, qui ne sont que des larcins de pensées, cependant défendus de Dieu même ; d’autant que cette convoitise choque la charité, et contrevient au commandement d’aimer son prochain comme soi-même.

11. Ce que ces Casuistes inventent pour déguiser le larcin et lui donner un autre nom, ne peut venir que du Diable, lequel voudrait bien attirer tous les hommes ès Enfers avec lui ; et s’il enseignait formellement le larcin et les autres péchés découverts, il ne gagnerait que les personnes méchantes et sans honneur, mais en déguisant les péchés et leur donnant un autre nom, il tire par cette invention les bons aussi bien que les mauvais, leur faisant commettre toutes sortes de péchés sous le nom de choses permises, licites et en usage ; et a en cette façon englouti presque tout le monde, sans se donner de garde que c’est le Diable qui conduit cette nouvelle Doctrine, laquelle est puisée au plus profond de l’Enfer, et enseignée par ses adhérents, qui s’efforcent à gagner journellement les âmes des vrais Chrétiens, contre lesquels ils ont une haine mortelle.

12. Le Diable a fait en cette matière de larcins si grands progrès, que je ne sais presque personne qui en soit exempt ; un chacun se persuadant qu’il peut licitement chercher tous ses avantages sans égard au dommage du prochain. Par cette damnable maxime, Que l’on peut gagner pour son entretien, les Ouvriers gagneront le plus qu’ils pourront, et travailleront le moins qu’ils pourront, et appelleront gain l’argent qu’ils tireront du temps qu’ils auront perdu au préjudice de ceux qui les emploient ; quoi que ce soit un vrai larcin. Car le prix d’une journée étant payé, elle doit être employée au plus grand profit de celui qui la paye, puisqu’elle est sienne, et qu’il en a payé la valeur. Si l’ouvrier la néglige, ou l’applique à son propre profit, il dérobe. De même un Marchand qui vend sa marchandise plus qu’elle ne vaut est obligé à restitution, parce qu’il fait tort à celui qui l’achète. Cependant personne ne fait compte de cela. Chacun vend le plus haut prix qu’il peut, sans faire aucune conscience ; même celui qui gagne le plus semble le plus adroit et estimé. L’on fait gloire de tromper ceux qui n’ont connaissance de la marchandise qu’ils achètent, l’on les amuse par fausses persuasions, disant être bon ce qui est mauvais, mentant, jurant quelquefois pour tromper son prochain. Et avec cela les Confesseurs disent qu’il est permis de gagner pour s’entretenir ; sans considérer si l’entretien qu’ils prétendent leur est nécessaire, ou vain, ou superflu. Ils sont souvent de condition servile ; cependant veulent être servis. La modestie en leurs viandes et habits leur serait fort séante, pendant qu’ils excèdent en l’un et en l’autre. Et avec cela on leur autorise le grand gain afin de tant mieux fomenter leurs péchés d’orgueil et de gloutonnerie, et que le péché de larcin soutienne et entretienne les autres péchés.

13. Ne voilà pas une Doctrine Diabolique, qui est cependant pratiquée de ceux qui font profession d’être bons Chrétiens, fréquentant journellement les Sacrements ? Tout de même en est-il des autres conditions des personnes, chacun ne cherchant autre chose que son propre intérêt, voire gain excessif. Un Greffier, Procureur, Avocat, ne se contenteront pas d’un gain honnête, mais composeront les personnes à leur souhait, et quoiqu’ils ne fassent rien à l’avantage de ceux qui les emploient, leur feront payer jusqu’à un moment de temps qu’ils les auront écoutés, si exactement, que toutes leurs paroles ont leur prix taxé. Et au lieu de procurer la délivrance des personnes oppressées ou accablées d’affaires et de procédures, procureront plutôt de les traîner à la longue pour leurs avantages propres, au dommage du prochain, signamment, lorsque les personnes sont ignorantes, étrangères, ou en grand besoin d’être assistées. Lors on les rase et les plume d’importance, parce qu’elles sont en leur besoin. Le plus qu’on peut tirer d’elles, c’est tout le meilleur, ainsi qu’ils pensent. Et font cela sans conscience ni arrière-pensée de péchés ; quoi que ce soit directement contre la charité, laquelle regarde toujours le besoin du prochain comme le sien propre. Hé ! si Dieu donne le temps, doit-il être vendu si cher à notre frère qui en a besoin ? S’il donne l’Esprit et la science, ne le devons-nous pas départir au prochain qui est en notre besoin, autant libéralement que Dieu nous l’a départi ? Faut-il le laisser en nécessité faute d’avoir des gains si excessifs ? Le pauvre affligé doit-il subvenir à tant de pompes et de sensualités vôtres, qui sont cause et obligent à des gains exorbitants ? Peut-on excuser de larcin ce qui sert à la pure volupté et non seulement à quelque honnête entretien, l’excès duquel est pure volerie quoique ces Pères le fassent passer pour gain licite et honoraires permis ?

14. Si Dieu a donné différentes grâces aux hommes, les uns de faire quelques métiers ou arts, les autres la science d’étudier qui dans le Droit, le Médecine, ou Théologie, et autres, ce n’a été qu’à dessein d’entretenir la charité entre ses créatures [184], les conservant en l’union mutuelle par le besoin et dépendance qu’elles ont les unes des autres, et que les unes reçoivent l’entretien par le service qu’elles rendent aux autres, et ainsi que la charité se conserve, le pauvre rendant volontiers service, et le riche départissant volontiers les biens à ceux qui en ont le moins. Mais hélas ! tout cet ordre si bien établi de Dieu est maintenant renversé. Car un chacun des riches tient par une affectée avarice tout ce qu’il peut, et paye le moindre prix qu’il lui est possible à celui qu’il a employé. De même, le pauvre travaille le moins qu’il peut pour l’argent qu’on lui donne. Les Marchands vendent le plus cher qu’il leur est possible. En sorte qu’on ne voit dans la Chrétienté qu’une pure cruauté des uns envers les autres, au lieu de charité ; et me persuade que parmi les Turcs et Païens ou Idolâtres, elle est plus en usance qu’elle n’est à présent parmi nous, qui portons le Nom de Chrétiens et peuple élu de Dieu.

15. Tous ces malheurs ont pris leur origine de cette Doctrine perverse, et sont soutenus et augmentés par ceux qui se disent Pères de l’Église, Prédicateurs et Confesseurs, lesquels le peuple tient pour les vrais Pasteurs et Conducteurs des âmes, sans le Conseil desquels plusieurs se garderaient bien de commettre ces larcins déguisés ou autres péchés couverts ; se trouvant encore plusieurs personnes entre les autres qui ont la crainte de Dieu, et suivraient volontiers sa Loi si elle leur était enseignée par ceux qui leur enseignent toutes ces moralités ou Doctrine accommodante, si qu’ils l’appellent, laquelle infecte tout le monde d’une peste dangereuse aux âmes, qui en fait tant plus mourir par un venin si subtil qu’on l’aperçoit le moins, lorsqu’il est donné de ceux qui se disent Médecins des âmes, de quoi ils font profession publique, remplissant leurs Églises de sièges Confessionnaires sous prétexte d’y pardonner les péchés, pendant qu’ils les font multiplier et augmenter.

16. Combien y en a-t-il qui sortent de ces Confessionnaires plus souillés de péchés qu’ils n’y sont entrés ? Une fille de ma connaissance s’allant un jour confesser d’une volonté mauvaise qu’elle avait eue de prendre quelque Médecine afin de faire mourir l’Enfant qu’elle portait en son ventre, le confesseur l’interrogea de la cause qui la mouvait à cette volonté ; et entendant que ce n’était que pour ne point tomber en déshonneur, elle, qui était tenue pour fille honnête, qu’un chacun la blâmerait en cas que son péché fût découvert. Le confesseur lui répliqua que pour un tel sujet elle pouvait bien prendre la Médecine, et qu’il était permis de ce faire pour garder son honneur, puisque la chose était secrète, qu’elle éviterait le scandale. Une autre personne à moi bien connue demandant Conseil à l’un de ces Casuistes sur ce qu’une autre personne la voulait blâmer, en déclarant quelque énorme crime qui était de sa connaissance, lequel venant au jour lui apporterait du déshonneur ; le Confesseur lui dit qu’il pouvait prévenir par calomnier la personne de qui il craignait être blâmé, afin de la décréditer, et faire qu’on ne lui donnât croyance, voire même qu’il la pourrait bien faire secrètement mourir, afin de conserver son honneur. Sur quoi la personne resta en doute sur la vérité de ce conseil. Mais le Confesseur lui promit de lui montrer divers Casuistes qui définissaient semblables cas, et que c’était une opinion probable, laquelle on pouvait licitement suivre sans crainte de pécher.

17. Il y a encore grand nombre de semblables cas enseignés par ces nouveaux Docteurs, lesquels sont assez connus des doctes, et de ceux qui ont la curiosité de les lire. Pour moi, je ne parle que de ce que j’ai expérimenté, ou qui est venu par hasard à ma connaissance, me contentant d’en avoir tant appris à mon grand regret, souhaitant de pouvoir déplorer avec larmes de sang le désastre où est maintenant réduit le pauvre Christianisme, dans lequel l’on ne sait plus où trouver la Vérité ni la Loi de Dieu. Les hommes se sont emparés de son trône, et y ont introduit leurs Lois et leurs enseignements, lesquels sont tout contraires aux Enseignements que nous a laissés Jésus Christ, notre seul Sauveur, et Rédempteur de nos âmes. Il est vrai qu’il y a toujours eu des méchants, et que dès aussitôt que Dieu a pris notre nature pour nous enseigner plus palpablement sa Doctrine, et nous donner plus sensiblement sa Parole, que le Diable en même temps s’est aussi emparé du cœur des hommes méchants, afin de s’opposer à cette parole, et contrequarrer la Doctrine de Jésus Christ, et s’est fait dès lors Antéchrist, c’est à dire, contraire et contredisant à Christ, et s’est toujours efforcé de plus en plus de gagner à soi des personnes pour lui adhérer en cette contradiction. Mais les Apôtres et Disciples de Jésus Christ ont maintenu et soutenu cette doctrine au prix de leur sang ; comme plusieurs de leurs disciples après eux, qui ont fait de grands progrès par l’enseignement de cette Doctrine, rembarrant celle de ce pervers Antéchrist par le S. Esprit qui les animait. Mais depuis que cet Esprit de Charité a commencé à se refroidir, le Diable s’est rendu plus fort, et a gagné plus d’adhérents pour soutenir sa doctrine perverse, et à la fin est venu si avant, qu’il s’est fourré dans le Sanctuaire même, et a gagné à soi ceux qui lui doivent être contraires, lesquels lui ont maintenant acquis le plein domaine sur tout le monde.

18. Car de quelque côté que l’on se trouve, l’on n’entend rien tant que ce qui choque directement la doctrine Évangélique et les enseignements de Jésus Christ ; voire l’on dit tout ouvertement que les Commandements de Dieu sont impossibles à observer, qu’il faut des gloses et des interprétations sur ces commandements. Comme si Dieu avait eu la cruauté d’ordonner des choses impossibles à observer ; quoiqu’il est dit en l’Évangile : Mon joug est doux, et ma charge légère [185]. Et en effet c’est une chose douce à l’homme que d’aimer. Il n’a rien de plus naturel que l’Amour. Comment donc lui serait-il impossible d’aimer Dieu, lequel est un objet tant aimable ?

19. L’on dira, pour flatter la malice, que Dieu n’est pas visible ni sensible à nos sens, comme sont les créatures, que nous aimons parce que les voyons et touchons. Mais c’est une grande tromperie ; car nous voyons et touchons Dieu plus parfaitement en ses opérations que les créatures [186], qui nous peuvent tromper et décevoir par mille moyens. Nous croyons souvent qu’elles sont bonnes ; où par expérience nous les trouvons par après mauvaises. Nous croyons souvent qu’elles nous aiment, lorsqu’en effet elles nous haïssent en secret. Nous espérons souvent notre bonheur d’icelles, lorsqu’elles nous trompent et trahissent. Et cependant, nous savons bien les aimer de tout notre cœur ! Et Dieu qui nous a donné tout ce que nous sommes, et qui à tous moments ne cesse de nous bien faire, envoyant ses influences sur la terre pour nous maintenir, voire pour nous donner toutes sortes de plaisirs, à notre sensualité même ! (Ne voyons-nous pas que le Soleil luit pour nous éclairer, avec la Lune et les étoiles ? Ne sentons-nous pas qu’il nous échauffe, et aussi la terre, laquelle par cette chaleur produit les fruits à notre usage ? Quel homme pourrait faire croître un brin d’herbe ou éclore une fleur des champs ? Ne faut-il pas que nous confessions avec les Païens, qui sont privés de la Foi, que c’est Dieu qui fait tout cela pour l’homme ?) Et cependant nous oserons dire que ne le voyons ni sentons pour le pouvoir aimer ? Ses opérations en notre regard nous font-elles insensibles, pour dire que ne le sentons pas ? Qui est puissant de donner à soi-même un moment de santé, ou de faire croître un cheveu sur sa tête ? Le corps que nous avons, si ingénieusement élaboré, n’est-ce pas l’œuvre de Dieu ? Qui se pourrait faire le moindre filet de ses veines ? Tout ce que nous avons et voyons ne sont-ce pas autant de témoins de l’Amour que Dieu nous porte ? S’il est un Esprit incompréhensible en son Essence, il nous est visible et sensible par ses œuvres qu’il opère visibles et sensibles à nos sens. Pourquoi donc serait-il impossible de l’aimer, puisqu’il nous en donne tant de sujet, et qu’il nous l’a commandé ? Pourquoi notre cœur ne se saurait-il porter à aimer une chose bonne, puisqu’il se porte bien à aimer souvent une chose mauvaise ? La Foi ne nous assure-t-elle pas que Dieu est le seul bien, et que tout ce qui est hors de lui n’est rien ? Qu’il ne nous peut tromper ? qu’il nous aime fidèlement, et que de lui dépend notre bonheur éternel ?

 

    Du mois de Septembre

          1666.

 

 

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CHAPITRE VII.

 

Qu’il n’est pas impossible de garder les Commandements de Dieu. Qu’on n’est pas vrais Chrétiens. Que ses paroles ne changeront jamais. Que nous sommes comme au temps de Noé. Que Dieu n’est pas honoré avec nos solennités et beaux ornements des Églises. Si l’Église est en lustre. Que les Religieux ne sont vrais Chrétiens. Qu’ils trompent le monde et ressemblent aux Pharisiens. Pourquoi l’on va ès Cloîtres. Que leur vie est contraire à ceux de la primitive Église, et à leurs Instituteurs. Que les exercices extérieurs sont peu de choses. Qu’on ne tient plus rien pour péché sinon dire la Vérité du mal.

 

1. POURQUOI donc serait-il impossible d’aimer Dieu selon le dire de ces Antéchrists, puisque lui-même a dit que son joug est doux et sa charge légère [187] ? C’est une grande contrariété, d’une impossibilité à une douceur et légèreté. Ces deux choses ne peuvent subsister par ensemble. Il faut que l’un ou l’autre se trompe. Si Dieu est la vérité infaillible, il faut que cette proposition soit fausse et trompeuse, de nécessité, comme sont aussi toutes les autres choses que l’on nous prêche ou enseigne contraires à la Doctrine Évangélique ; pource que tout cela est Antéchrist. Il n’y a qu’un Dieu [188], une foi, et une Doctrine salutaire. Toutes ces diversités d’opinions montrent assez qu’il n’y a plus d’union dans l’Église, et que ce Temple mystique est presque disloqué, en sorte qu’il n’y a plus pierre sur pierre [189], c’est à dire, deux âmes cimentées par la Charité qui soient inséparablement unies pour procurer la gloire de Dieu.

2. Et pour ne point rougir de cette confusion, l’on dira que ce n’est plus le temps de vivre comme les premiers Chrétiens, que tout est bien changé et révolu depuis. Comme si Dieu s’accommodait au temps, et qu’il changeât à la façon des hommes ; quoi que savons qu’il a dit que : Le Ciel et la terre passeront, et ses paroles ne passeront point [190]. N’est-ce pas à dire que les paroles qu’il a dites aux premiers Chrétiens se disent encore à nous, puisqu’elles ne passeront point, quoique les cieux et les temps se passent ? Ne voulons-nous pas avoir le même Dieu pour Père, et le même Paradis et salut que ces premiers Chrétiens ? Pourquoi donc voulons-nous croire qu’entrerons dans la même possession par des moyens tout-à-fait contraires, sous prétexte que le temps et les hommes sont changés ; puisque Dieu ne changera jamais [191] ? N’est-il pas nécessaire de reprendre ces premières visées, et rentrer dans le ventre de notre Mère, la Sainte Église naissante, si voulons espérer le salut à nos âmes, puisqu’autres doctrines que celle de Jésus Christ ne nous peuvent sauver ? C’est l’Arche de Noé, hors de laquelle tout périra assurément.

3. Il ne se faut pas flatter par fausses apparences. Tout le monde fut trompé (sauf peu de personnes) au temps du déluge. Un chacun se moquait de craindre le naufrage par un temps si serein. Le monde est aujourd’hui dans le même sentiment. L’on voit à l’extérieur l’Église florissante plus que jamais. Tout y est en lustre et magnificence. L’on se moque de ceux qui parlent que nous sommes ès derniers temps, et que le jugement approche. L’on estime voir le jour serein par les beaux ornements des Églises, l’abondance des solennités, le grand nombre de Cloîtres et Religions différentes, et l’affluence de peuple qui les suit. Mais l’on ne voit point que toutes ces choses-là mêmes attirent la vengeance de Dieu sur notre tête, et qu’il est prêt à décocher les dards de sa colère pour foudroyer toutes ces choses, lesquelles ne se font que pour agréer aux hommes, et non à Dieu ; la privation desquelles lui rendrait plus d’honneur que les effets.

4. Car tous ces parements d’Églises et de gens d’Églises se font plus par vanité et amusement que pour honorer Dieu ; puisqu’ils apportent au cœur des hommes plus de vanité, et à leurs esprits plus de bigarrures et de curiosités. L’on voit en effet les spectateurs de ces Ornements plus occupés à les considérer que non point à prier Dieu. Et comment est-il honoré par tant de solennités ? Elles servent plutôt de divertissements au peuple, pour se promener en divers lieux et satisfaire leur curiosité de savoir ce qui se passe partout. Les plus pieux perdent leur temps aux préparations de ces solennités, et les autres à les syndiquer. L’on y rit, l’on y cause, comme à des Comédies ; personne ne pense à y honorer Dieu ; tous les meilleurs y tirent quelque Satisfaction sensible de dévotion apparente, sans que de mille l’un ait son cœur élevé à Dieu, si que leur port extérieur en porte témoignage. Ce n’est pas de merveille si Dieu dit qu’il jettera la fange de nos solennités sur nos visages [192], parce qu’elles ne sont vraiment qu’ordures devant ses yeux, quoique les voulions faire passer pour saintes et pieuses, couvertes de sa gloire.

 

Pauvre état de l’Église.

 

5. Le grand nombre de cloîtres, Religieux et Religieuses, n’honorent non plus Dieu que le reste ; car un chacun d’iceux faussent leur foi à Dieu. Ils se déguisent d’habits pour se faire paraître serviteurs et servantes de Dieu, pendant que dans leurs âmes ne sont non plus différents de leur amour propre que les séculiers et mondains. Ils font vœux de garder les conseils Évangéliques, et par effet n’en font rien. Car au lieu d’avoir la pauvreté d’Esprit, ils sont insatiables en la convoitise des richesses. La chasteté ne réside d’ordinaire dans les corps si bien traités comme ces Cloîtristes, qui s’étudient à prendre toutes leurs aises et commodités, sans céder à aucuns inconvénients où quelque chose leur manquerait. De là vient que le corps bien nourri ne se rend sujet à l’esprit, et qu’ils causent souvent des scandales nonobstant leurs vœux de chasteté. Et pour celui de l’obédience, il ne s’observe parmi eux que par morgues et en des fatras de bigoteries. La vraie obédience, qui consiste à se soumettre et se sacrifier entièrement au vouloir de Dieu [193], n’est là en usage. Chacun abonde en sa propre volonté, et l’on trouve souvent des personnes séculières plus résignées et soumises aux adversités que Dieu leur envoie, que ces personnes faisant profession de sainteté.

6. Par où se voit assez que Dieu n’est pas honoré de toutes ces Religions ; au contraire, lorsqu’ils n’accomplissent pas leurs vœux, ils sont devant Dieu plus abominables que les Séculiers, pour être plus hypocrites, plus honorés et plus à aise que le reste du peuple, lesquels sont obligés de travailler pour avoir l’aliment nécessaire, lequel bien souvent leur vient à manquer après tous leurs soins et labeurs ; où ces Cloîtres ont tout à souhait, sans labeur. Car tout le monde les suit et leur donne.

7. De dire qu’un si grand concours de peuple qui se trouvent ès Églises, ès processions, et solennités, honorent Dieu, c’est un grand abus, parce que les égards humains les y conduisent d’avantage que le désir de plaire ou prier Dieu. La plus part s’imaginant qu’ils ont satisfait lorsqu’ils se sont transportés aux Églises, que c’est assez d’y aller corporellement, comme les chiens, sans faire réflexion que c’est la maison d’oraison [194], et qu’on en fait souvent lieu de parades et d’amourettes. Si Jésus Christ a chassé à coups de fouet ceux qui vendaient et achetaient au Temple, que ferait-il à ces poupons, qui ne vont aux Églises et aux solennités que pour voir et être vus des autres ? Et cependant l’on veut faire passer tout cela pour dévotions ou œuvres pieuses ! Si l’on pouvait éblouir les yeux de Dieu si qu’on fait les yeux des hommes, l’on aurait raison de dire que l’Église est plus triomphante que jamais, parce qu’onques ne fut vu tant de signes extérieurs de Chrétiens. Mais Dieu, qui fonde les reins et examine les consciences, voit bien que tout cela se fait pour plaire aux hommes, à qui l’on a plus désir de plaire qu’à lui.

8. Et ce n’est pas de merveille ; puisque ces Moines et Confesseurs font entendre qu’ils sauveront le peuple moyennant qu’ils leur donnent, et qu’ils les suivent extérieurement ès Églises et en la fréquentation des Sacrements, quoique d’ailleurs ils vivraient en toute sorte de vices. Cela est volontiers suivi par notre nature corrompue, qui se transportera volontiers ès dévotions extérieures moyennant ne falloir faire violence à soi-même pour changer de vie et quitter les péchés qu’on a en habitude ; à quoi ces bons Religieux ne les admonestent, de crainte de perdre leur amitié ou amoindrir leur besace, les conduisant par cet aveuglement avec eux ès Enfers, sous prétexte de les conduire à salut, lequel ils supposent être à acquérir moyennant aller à la Messe et à la Confesse, et communier souvent. Comme si le salut dépendait du profit et de l’honneur du Clergé, et point de l’observance de la Loi de Dieu, de quoi l’on a le moindre soin ; et moyennant aller tous les jours à la Messe et Confesse, et communier souvent, c’est assez pour être canonisé de toutes sortes d’ordres, parce que tous sont dans le même esprit de convoitise, et un chacun tire à soi.

9. Depuis que les Inventeurs de ces moralités ont attiré tant de monde par leurs enseignements lâches, un chacun les a suivis ; en sorte que les copies sont maintenant si authentiques que les originaux, et que ceux qui frémissaient d’entendre au commencement des doctrines si perverses, les suivent à présent de bien près. En sorte que la corruption est universelle. Et s’il y a quelques personnes entr’eux de qui la conscience répugne à ces enseignements, on les tient comme ignorants et inutiles au bien et avancement de la Religion ; on les choque et persécute, leur faisant souffrir de longs ou de courts martyres. Ils sont le jouet et la risée des autres, tenus d’eux pour incapables de régir et enseigner. Et ils ont raison. Car s’ils enseignaient la droite vérité, ils renverseraient tout l’édifice des autres, lesquels sont fondés sur le mensonge, de qui le Diable est l’auteur. L’on vend les Messes par quarterons, et on les marchande comme des pommes. Celui qui n’a rien à donner ne sera bien venu dans les Cloîtres. Il faut que leur avantage suive ou précède tous leurs emplois. Rien ne feront par charité. Ils veulent tout recevoir pour Dieu, mais rien donner que pour avoir. Leurs sermons sont pour leurs louanges ; les Confessions pour leur profit. Ils ont mal retenu les paroles de Jésus Christ, qui dit : Vous l’avez reçu pour néant, donnez-le aussi pour néant [195]. L’on ne peut dire que ces personnes Religieuses soient Chrétiennes, puisqu’elles ne suivent ni de loin ni de près les enseignements de Jésus Christ, mais que toutes leurs actions y sont directement contraires, les pouvant bien appeler Antéchrists. Car ce nom leur est véritablement propre, pour être ses membres. Et comme toutes les âmes qui suivent la doctrine de Jésus Christ sont les membres de son corps, ainsi toutes les âmes qui suivent une doctrine contraire sont membres d’Antéchrist, et enfants du Diable, et fils de Perdition [196].

10. Saurait-on bien remarquer une seule des actions de tous ces Moines qui soit conforme à la Doctrine de Jésus Christ, sinon au dehors et trompeusement ? Ils quittent premièrement le monde sous prétexte de le vouloir mépriser et renoncer à toutes ses pompes et vanités, selon qu’on a promis au Baptême, mais après qu’ils sont Religieux, ils cherchent et attirent plus la conversation du monde qu’ils ne faisaient quelques fois étant séculiers. Les Ordres qui étaient établis dans les bois et ès champs pour mieux vaquer à la contemplation des choses célestes, se poussent dans les villes, afin d’avoir plus de communication avec les séculiers, s’entremettant quelques fois plus de leurs affaires et négoces qu’iceux-mêmes, ayant plus de Vanité d’être estimés et honorés qu’ils n’avaient avant de porter l’habit Religieux, dont le chaperon est la marque qu’ils devraient souhaiter d’être estimés fous (avec S. Paul [197]) pour l’amour de Jésus Christ ; eux au contraire se sont honorer comme des petits Dieux, un chacun s’agenouillant devant eux, et souffrent qu’on baise leurs habits comme des reliques de Saints. Ce qui n’est pas un témoignage d’avoir renoncé aux pompes du monde, puisque dans leurs cœurs ils s’estiment si vertueux qu’ils croient que tous ces honneurs leur sont dus, et qu’ils en sont vraiment dignes ; ce que nuls séculiers ne s’oseraient persuader, quelque superbes qu’ils pourraient être ; ces personnes déguisées cachent d’avantage de vanités sous le sac qu’ils ne faisaient fous la soie ; de quoi en sont témoins les riches ornements de leurs Églises, et les superbes bâtiments de leurs Cloîtres, qui ressemblent plutôt à Palais de Princes et de Rois, qu’aux logis de Religieux.

11. S’ils quittent leurs propres biens pour entrer dans les Cloîtres, ce n’est que pour rechercher avec plus d’avidité les biens d’autrui, et après avoir enrichi leurs Parents de leur Patrimoine, ils sont entretenus à souhait du bien du public ; en sorte que rien ne leur peut manquer, non plus qu’aux riches séculiers, qui sont bien souvent beaucoup plus incommodés qu’eux, à qui jamais rien ne défaut. Car sans soins et sans labeurs toutes choses leur abondent. Est-ce là suivre la Doctrine de Jésus Christ, laquelle ne parle que de l’abjection et du mépris de soi-même ? Tous ceux qui se voulaient faire Chrétiens dans l’Église Primitive devaient dédier à Dieu tous leurs biens temporels avant que de lui Sacrifier leurs personnes. Ce n’était pas qu’il eût besoin de richesses ; car tout lui appartient. Mais il voulait en dégager le cœur de tous ceux qui désiraient être ses Disciples [198], à moins de quoi, il ne recevait personne, voire même punissait ceux qui s’y présentaient sans avoir ce dégagement, si qu’il a paru en la personne d’Ananias et de Sapphira [199], lesquels furent frappés de mort soudaine aux pieds de S. Pierre pour avoir gardé l’affection à quelque petite partie de leurs biens, et l’avoir nié devant l’Apôtre. Si Dieu faisait maintenant le même châtiment à tous ceux qui mentent en semblable cas au S. Esprit, je crois qu’il n’y aurait plus nuls Religieux sur la terre ; car tous promettent ce qu’ils n’observent point. Ils font vœu de pauvreté pendant qu’ils sont riches de cœur et d’esprit. La moindre nécessité leur serait insupportable.

12. Si les Cloîtres n’étaient non plus pourvus de commodités que n’était Jésus Christ lorsqu’il disait au jeune homme qui le voulait suivre que les oiseaux avaient des nids et les renards des tanières, mais que le Fils de l’homme n’avait point où reposer sa tête [200], je crois qu’on ne verrait pas si grand nombre de Religieux ni Religieuses, la plus part desquels entrent en Religion pour être pourvus et afin d’être assurés que rien ne leur manquera durant la vie. Voilà le principal motif qui les meut d’entrer en Religion. Quoiqu’ils fassent à croire qu’ils y vont pour mieux servir Dieu, ce ne sont que fausses couleurs, lesquelles s’effaceront au jour du Jugement ; où l’on verra véritablement ce qu’il y a eu de caché sous ses fausses apparences L’un regarde les misères du monde, et crainte de les goûter il court dans le Cloître. L’autre n’ayant assez de quoi dominer à son plaisir, il s’y résout. Un autre y va par quelque déplaisir de ne pouvoir arriver à ses prétentes. Ainsi chacun a quelque raison ou accommodement humain pourquoi il se fait Religieux, lesquels sont tous plâtrés du Service de Dieu et de sa gloire ; quoique véritablement il n’y ait rien moins. Si quelques uns ont secondairement le désir de glorifier Dieu dans la Religion, ils s’en déportent facilement après qu’ils y sont, afin de s’accommoder au plus grand nombre, lesquels ne cherchent que ce qui leur est propre, et par ainsi deviennent pires en la Religion qu’ils n’étaient avant y entrer. Car au lieu d’y trouver l’Esprit de Dieu en plénitude, ils y perdent plutôt cette petite portion qu’ils avaient en y entrant.

13. Et avec tout cela ils portent le nom et habits de Saints Religieux, appelant leurs Ordres Saints, sacrés, ou Séraphiques, s’attribuant tous les titres de vertus desquels leurs Saints Fondateurs étaient ornés quoiqu’ils en soient plus éloignés que n’est le Ciel de l’Enfer. Car plusieurs d’iceux ont suivi les conseils Évangéliques dans la pauvreté d’esprit, le mépris des honneurs et des plaisirs du monde, embrassant mille moyens de prières, de veilles et macérations de corps, afin de conserver dans leurs âmes l’esprit de pénitence. De quoi ces Successeurs modernes sont bien éloignés, n’ayant rien retenu de l’Esprit de leurs Pères sinon quelques morgues ou singeries, extérieures, qu’ils entretiennent par formalité afin de ne point perdre le crédit et la réputation. Quelques uns s’abstiennent de viandes ; quelques autres vont à pieds nus, se levant de nuit pour chanter matines, prennent la discipline, jeûnent et font longues prières, mais tout cela par manière d’acquit ; car s’ils n’étaient à ce obligés, ils se garderaient bien de le faire.

14. Par où se peut assez colliger que ce n’est pas pour Dieu, mais seulement pour satisfaire aux hommes, à qui ils se sont soumis et obligés plus étroitement qu’à Dieu même, qui ne leur a donné que dix commandements ; où ces Moines en constituent si grand nombre, et quelques fois si rigoureux, pénibles, et nuisibles au corps humain, qu’ils se troublent l’esprit et se rompent la cervelle à force de méditer et spéculer ce qu’ils ne savent goûter, Dieu nous ayant enseigné de prier les choses contenues au Pater [201], et ces Pères n’enseignent que des spéculations étudiées dans leurs entendements, qui remplissent la fantaisie de curiosités plutôt vaines que profitables. Car on les trouve aussi froids dans l’Amour de Dieu après trente ans de profession que le premier jour de leur noviciat. Ce qui montre assez que toutes leurs méditations et Règles ne sont point les mères de vertu, puisqu’elles ne la font point naître dans ceux qui les observent si exactement qu’ils omettraient plutôt un Commandement de Dieu qu’une constitution de leurs Règles, tant sont-ils attachés à ces ordonnances des hommes, lesquelles ils prennent pour fin de leur perfection, quoiqu’elles n’en soient que des simples moyens, qui servent plutôt d’empêchement à plusieurs de s’unir à Dieu, que de moyens d’arriver à cette union.

 

Des austérités.

 

15. Car les macérations de corps sont inquiètes et inutiles à celui qui a surmonté ses passions vicieuses. Et les veilles nuisent fort à celui qui s’entretient d’esprit avec Dieu, car le corps étant fatigué et l’esprit peu reposé, ne peut avoir de quiétude ni de repos intérieur pour s’entretenir avec Dieu. Ces grands offices et prières vocales empêchent et interrompent aussi le même entretien. Les jeûnes et abstinences de viandes offensent les forces du corps et de l’Esprit, rendant quelques fois les personnes inutiles aux devoirs de charité au prochain, et à l’avancement de leurs propres perfections. Les pieds nus sont capables de causer des maladies continuelles. Le cilice engendre le chagrin. Enfin toutes ces règles et moyens ôtent la Liberté d’esprit au vrai Serviteur de Dieu, à qui l’amour qu’il lui porte sert de Règles et de Lois amoureuses.

16. Je ne veux pas mépriser les personnes qui font ces austérités par pénitence de leurs péchés, ou pour surmonter quelques imperfections vicieuses, afin que la chair ne se rebelle contre l’esprit en étant affaiblie [202], comme elle ferait en prenant toutes ses aises, parce que j’ai moi-même plusieurs années pratiqué ces macérations de corps, et avec profit, ce me semble, mais cela se faisait d’une libre volonté et secrètement, afin de fléchir la miséricorde de Dieu à me pardonner mes péchés. Mais ces personnes religieuses le font souvent par contrainte et sans dévotions, si que les esclaves servent les Turcs, avec si peu d’effection, que si les chaînes et le fouet ne les obligeaient, ils se délivreraient bientôt de ce servage.

17. Je ne me peux persuader que les saints Fondateurs de ces Ordres ont été poussés de Dieu à obliger un chacun à des règles si pénibles. Ils les ont bien pratiquées eux-mêmes, parce qu’ils avaient l’Esprit de pénitence, et grand désir de faire mourir en eux tout ce qu’ils avoient d’imparfait dans leurs âmes. Mais tous ceux qui vont dans les Cloîtres n’ont pas l’esprit de pénitence, ni le but de leur perfection, et par ainsi les austérités leur servent de murmure ou de déplaisirs, ou bien de vaine gloire, s’estimant plus que les autres à cause de ces austérités, qui ne sont rien en elles-mêmes sans être assaisonnées du vrai esprit de pénitence.

18. Car le Diable peut bien faire toutes ces choses en apparence. Il sait bien veiller, parce qu’il ne repose jamais, et jeûner, puisqu’il ne mange point ; se discipliner, puisqu’il ne sent point, et le reste. J’ai connu des Sorcières qui portaient le cilice, prenaient la Discipline, et jeûnaient fort étroitement, veillaient presque toutes les nuits (pour aller ès sabbats). Si toutes ces choses se font bien par les Diables et leurs adhérents, elles ne peuvent être l’essence de la vertu, pour y vouloir contraindre les personnes qui se veulent dédier au service de Dieu. Cela doit demeurer libre, afin qu’un chacun choisisse les moyens qui lui sont plus propres pour arriver à sa perfection particulière ; sans contraindre les âmes à ce que Dieu ne les a contraints, leur laissant toute liberté moyennant de garder ses commandements, qui ne consistent qu’à aimer Dieu et son prochain, ce qui est d’adorer Dieu, et honorer Père et Mère.

19. Voilà tout ce que Dieu nous commande pour être sauvés. Les autres choses ne sont que des défenses de ne point faire les choses qui choquent ces deux commandements, qui contiennent toute la Loi de Dieu. Car de prendre son Nom en vain, c’est choquer son amour ; et de tuer, dérober, dire faux témoignage, commettre fornication, désirer les biens d’autrui, tout cela choque l’Amour du prochain, lequel nous devons honorer et aimer comme nous-mêmes, et Dieu sur tout. Lorsque nous faisons cela, nous avons accompli la Loi de Dieu. Pourquoi fait-il que ces Religieux ordonnent tant de Lois et de maximes différentes pour arriver à salut ? Ne vaudrait-il pas mieux se tenir fermement à ce que Dieu nous a laissé, que de suivre toutes ces Nouveautés, qui sont le plus souvent ordonnées et commandées par ces Moines pour maintenir et augmenter leurs Ordres plutôt que pour acquérir la perfection Chrétienne, laquelle ne consiste qu’en l’Amour de Dieu, et toutes les prières, veilles, jeûnes, et autres piétés ne sont que simples moyens pour y arriver.

20. Mais aussi longtemps que demeurons attachés auxdits moyens, nous ne pouvons parvenir à la fin. Il est bon de s’en servir comme l’on ferait d’un chemin pour arriver au Palais, mais il ne s’y faut arrêter, ni penser être en assurance de salut pour marcher par icelui. Ceux qui meurent ès chemins n’arriveront jamais en la Maison de leur Père, ne soit qu’on les y portât après qu’ils seraient morts. Ce qui ne leur saurait bien faire. Ces Communautés promettent assez de prier pour les morts, comme s’ils les voulaient porter en Paradis après la mort, mais c’est un abus de croire obtenir le salut par les prières qu’on fera pour nous après notre mort. Il faut de notre vivant aimer Dieu, et garder ses Commandements, on bien perdre son âme.

21. Par où se peut clairement voir que l’on n’est pas vrais Chrétiens pour en porter le nom ou en faire la profession, non plus que pour se faire religieux et observer étroitement toutes les Règles des Religions, mais que celui est seul vrai Chrétien qui possède et pratique la Doctrine de Jésus Christ. Et qu’il ne faut pas croire que l’Église est florissante pour y avoir tant de Cloîtres et de divers Ordre, suivis de si grand nombre de personnes tant de l’un que de l’autre sexe, mais au contraire, qu’iceux sont les Destructeurs de la vraie Église, parce qu’ils abolissent la Loi de Dieu par leurs Traditions, si que Jésus Christ disait aux Pharisiens [203]. On le pourrait dire avec plus de Vérité aux Prêtres d’aujourd’hui, pour être iceux plus éloignés de la vraie foi que ceux du temps que Jésus Christ vivait sur la terre, lesquels n’avaient pas tant d’attraits pour attirer le peuple à eux comme ont ces modernes, lesquels sont cause que le peuple ne tâche point de se rendre vrais Chrétiens, et d’apprendre ce qu’ils sont obligés de savoir ; pour se contenter de faire ce que leurs disent ces Pasteurs, qui entrent dans la Bergerie par les Fenêtres, qui sont tant de divers moyens par eux inventés et enseignés.

22. Combien y a-t-il de milliers de personnes nées et baptisées dans le Christianisme, lesquelles ne savent point leur croyance ni les principaux fondements de notre foi, et qui sont toujours aux Églises et à la fréquentation des Sacrements, les recevant plus indignement que les Païens s’ils s’en approchaient ? Cependant sont tenus pour bons Chrétiens, se persuadant aussi de l’être en suivant les maximes des hommes qui sont aveugles, et conduisent les aveugles [204], sur qui Jésus Christ a donné tant de malédictions en l’Évangile S. Matthieu (chap. 23). Ces Scribes et Pharisiens d’alors étaient ce que sont maintenant les Prêtres, Évêques et Papes de la nouvelle Loi. Cependant sont maudis de Dieu par Jésus Christ pour avoir été hypocrites, et paru devant les hommes plus Saints qu’ils n’étaient devant Dieu, et conduit les âmes par leurs aveuglements, les faisant périr avec eux.

23. Si l’on disait les mêmes choses aux Prêtres de maintenant, l’on serait tenu pour hérétique ou pour grand Détracteur, car ils ne tiennent plus rien pour péché sinon dire la Vérité. Cela est appelé parmi eux péché de détraction, quoique tous autres maux ne soient plus appelés péchés, mais couverts et excusés par leurs nouvelles Doctrines, lesquelles sont beaucoup pires que les enseignements de ces Pharisiens, lesquels enseignaient encore la Loi de Dieu avec leurs Traditions [205], mais à présent, on l’omet entièrement pour ces nouvelles Doctrines, ne pouvant non plus suivre ce qu’ils disent que ce qu’ils font.

 

Le mois de Septembre.

     1666.

 

 

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CHAPITRE VIII.

 

Des mauvaises Doctrines qu’on enseigne ès Catéchismes au lieu d’enseigner la Loi de Dieu. Les devoirs et conditions des Pasteurs. Des gloses et explications sur la Loi de Dieu. Que notre vie est contraire à la Doctrine Évangélique. Que les Païens s’élèveront contre nous au jugement. Que la Sagesse des hommes est opposée au S. Esprit. Qu’on vit en la présomption de son salut et dans les autres péchés contre le S. Esprit. Que les Ténèbres sont universelles par tout le monde, qui trompent tout le monde, les faisant mourir sans pénitence.

 

1. IL m’est tombé en main depuis peu un Catéchisme imprimé à Bruxelles, lequel me semblait plutôt composé d’un Diable que d’un homme, parce qu’il y avait tant de subtiles tromperies, et de trous, et de fenêtres pour entrer en Paradis, qu’il ne semblait plus être nécessaire de chercher Jésus Christ, qui en est la porte, parce qu’il n’y avait rien de la Loi de Dieu, mais des dévotions particulières. La première demande était : Pourquoi l’homme était créé ? Répondant véritablement : Pour aimer et servir Dieu, et ainsi arriver en Paradis. Mais le venin était caché sous la suite, lorsqu’on demandait. Ce qu’il fallait faire pour bien servir Dieu ? L’on répondait : Remercier Dieu au matin et au soir, aller à la Messe, et prier avant et après le manger.

2. Voilà, à son dire, le seul moyen d’aller en Paradis et s’acquitter du sujet pourquoi nous sommes créés, sans parler qu’il faut aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même. S’il est vrai qu’il ne faille qu’aller à la Messe et dire quelques Pater-nosters pour être sauvés, ce n’est pas de merveille que le monde vit en toutes sortes d’abominations, sans craindre la damnation ; car pour aller à la Messe, et dire des offices et chapelets, un chacun le fait assez. N’est-ce pas là abolir la Loi de Dieu ? S’ils parlaient à des personnes Doctes, l’on pourrait dire que ces Pères supposent qu’ils savent bien qu’il faut garder les Commandements de Dieu pour être sauvés. Mais ils parlent à des Enfants qui ont besoin d’apprendre les principes de notre foi. Cependant ne leur enseignent que des moyens peu nécessaires, afin qu’ils n’arrivent jamais à la fin, remplissant ces jeunes âmes de leurs Doctrines imaginaires, par lesquelles l’on amuse leurs esprits de frivoles pour les maintenir dans la présomption de leur salut sans bonnes œuvres, qui est un péché contre le S. Esprit.

5. Je ne crois pas que le Diable même pourrait enseigner choses plus dangereuses pour gagner tout le monde à soi, parce que sous des appuis de prières et dévotions de routines un chacun supposera son salut assuré, lorsqu’il sera désespéré ; d’autant qu’il ne fera guères de devoirs pour acquérir l’Amour de Dieu ni la Charité au prochain lorsqu’on croit être au chemin de Salut et bien servir Dieu en allant à la Messe et dire des prières. L’expérience nous fait assez voir que cette damnable Doctrine a aveuglé tout le monde : personne n’a plus d’amour pour Dieu ni pour le prochain, quoiqu’un chacun vive en repos, sans faire aucuns devoirs pour l’acquérir. Si cela n’était pas enseigné par ces Théologiens, plusieurs âmes pieuses s’empresseraient pour trouver cette charité, et arriver à l’Amour de Dieu, tant nécessaire.

4. Mais comme ils n’ont pas le S. Esprit, ils ne le peuvent donner aux autres, et avant que Jésus Christ donnât la puissance aux hommes de remettre les péchés, il leur dit : Recevez le S. Esprit [206], pour dire qu’ils ne pouvaient avoir cette puissance sinon par le S. Esprit. Mais maintenant un chacun se pousse à enseigner et pardonner les péchés sans avoir reçu le S. Esprit, sinon par signes extérieurs, étant leurs âmes au dedans autant remplies d’affections pour les choses terrestres comme les séculiers, ou quelques fois davantage. Ce qui s’oppose directement aux effets des dons et des fruits du S. Esprit, et par conséquent au pouvoir de l’inspirer aux autres.

5. De là vient qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre l’amour de Dieu, se contentant l’un d’enseigner et l’autre de pratiquer les Fonctions Chrétiennes à l’extérieur, comme d’aller à la Messe, porter un chapelet, confesser et communier, et faire quelques prières de routines, sans que personne s’étudie à détacher son cœur de la terre, ni renoncer à soi-même afin de parvenir à cet Amour de Dieu. En sorte que c’est aux Chrétiens d’aujourd’hui que ces paroles s’adressent. Ce peuple m’adore du bout des lèvres, et leur cœur est bien loin de moi [207]. Cette pensée m’est venue souvent dans l’Esprit en entendant chanter à la Messe Sursum corda, croyant que la réponse, Nous l’avons élevé au Seigneur, n’était pas véritable ; d’autant que les Gestes et contenances extérieures servaient de témoins de n’avoir pas le cœur élevé à Dieu, mais sort distrait et égaré. Ce qui autorise fort l’égarement et l’indévotion du peuple, lequel croit de très bien faire en imitant les Prêtres et les Pasteurs de leurs âmes, lesquels sont obligés d’avoir la perfection avant que d’être capables de l’enseigner à ceux qui la cherchent.

6. Car la condition d’un Pasteur est d’être parfait [208], et celle des ouailles est de tendre à la perfection [209]. C’est pourquoi Jésus Christ demanda trois fois à S. Pierre s’il l’aimait [210], avant lui ordonner de paître ses ouailles, afin qu’il examinât bien sa conscience, pour savoir s’il aimait Dieu vraiment en son âme, s’il l’aimait aussi devant les hommes, et s’il l’aimait encore devant Dieu. C’est pourquoi il lui demande trois fois diverses afin qu’il tirât le témoignage de sa conscience pour savoir s’il était disposé à être fait Pasteur des ouailles de Jésus Christ, lequel savait assez sa disposition sans la lui demander, puisqu’il est celui qui sonde les reins et connaît les consciences [211]. Il semblait en vain lui demander par trois fois, tant que S. Pierre s’en fâcha. Mais c’est dit pour lui faire entendre qu’il ne suffisait pas seulement que Dieu connût l’amour qu’il lui portait, mais qu’il le devait connaître aussi, et se juger soi-même avant être fait juge des autres. Car celui qui n’a que la justice devant Dieu n’est pas encore assez capable de justifier les autres. Il faut que sa justice paraisse aussi devant les hommes [212], de crainte que l’ignorance d’icelle ne leur cause quelque scandale. Il faut aussi avoir le témoignage de sa propre conscience, lequel doit être le fondement de la bonne instruction qu’il devait donner aux autres. Car celui qui n’est pas fondé sur le Témoignage de si bonne conscience, est comme un roseau démené du vent, qui se change de lieu à la moindre agitation des traverses et persécutions.

7. Voilà les qualités que doit avoir un vrai Pasteur avant qu’il puisse être trouvé digne d’être ordonné Père des Chrétiens, ou Directeur de leurs âmes. Mais hélas ! un chacun s’y avance et engage avant d’avoir examiné s’ils aiment Dieu, et si cet Amour paraît dans leurs œuvres. De là vient qu’ils sont aveugles qui conduisent les aveugles, et tombent tous deux dans la fosse [213] ; car la plus grand part n’ont ni amour de Dieu ni amour du prochain, ni même ne cherchent les moyens pour l’obtenir, se contentant de porter le nom de Pasteurs et faire à l’extérieur les fonctions Pastorales, sans que cela provienne de l’amour qu’ils portent à Dieu ; comme si c’était assez de satisfaire aux hommes sans attendre le Jugement du juste Juge, lequel viendra avec son Van faire voler la paille au vent [214], laquelle est toutes les actions que nous faisons pour l’égard humain ; car il n’y aura rien réputé pour bon grain que les actions que nous aurons faites purement pour l’Amour de Dieu. Dans quoi il y en aura beaucoup de trompés, qui croient que tout ce qui porte le nom de bonne œuvre sera récompensé, et que Dieu regarde le nombre de nos bonnes actions, lorsqu’il ne remarque que ce qui nous meut à les faire ; voire même il jugera nos justices, c’est à dire, nos bonnes œuvres, qui bien souvent sont cause de notre damnation, parce qu’elles n’ont eu Dieu pour but, et nous ont fait attribuer à nous-mêmes l’honneur qui était dû à Dieu seul.

8. Si ces Pères considéraient bien toutes ces Circonstances, ils ne se fourreraient point si légèrement ès Tribunaux de pénitence pour être Juges des autres avant de s’être jugés eux-mêmes s’ils ont reçu le S. Esprit, avant que le vouloir inspirer aux autres. Ils se font Docteurs de la Loi avant en avoir été vrais Disciples, et s’ingèrent d’enseigner aux autres ce qu’eux-mêmes n’ont jamais appris, savoir, la Doctrine de Jésus Christ, qui est la seule Doctrine salutaire. Je parle de cette Doctrine en pratique. Car pour la lettre seulement, plusieurs l’ont encore en la bouche, lisent le S. Évangile qui la contient, lequel est encore en son intégrité, sans aucun changement. En quoi est accomplie la promesse que Jésus Christ a faite à son Église, qu’elle sera bien agitée de tempêtes, mais jamais submergée [215]. Combien de bourrasques se sont élevées contre cette Doctrine ? Combien d’hérésies l’ont voulu corrompre ? Combien de Catholiques se sont appliqués à y faire des gloses et interprétations ? Ce nonobstant elle est demeurée entière entre nos mains, si que Jésus Christ l’a enseignée et que les Évangélistes l’ont écrite, qui est le plus grand bien que je connaisse dans le monde. Car si cette Doctrine ne nous était demeurée, tout y serait corrompu, et personne ne serait sauvé, vu que les Catholiques aussi bien que les hérétiques ne sont pas d’accord dans leurs enseignements, et qu’on ne peut appuyer son salut sur tant de Casuistes de diverses opinions.

 

De l’état des Chrétiens.

 

9. Ce qui m’a fait souvent souhaiter que jamais les Écoles et études n’eussent eu de commencement, afin que la simplicité Évangélique fût demeurée dans les âmes qui la cherchent ; où qu’aujourd’hui cette Doctrine Évangélique est tant déguisée, glosée et agencée de raisonnements humains, que les plus parfaits n’ont autre chose qu’une foi morte, ou la Doctrine de Jésus Christ en spéculation, et non en œuvres ou effets. Et cependant croient être des membres vivants de l’Église et disciples de Jésus Christ ! Ce qui en perdra plusieurs insensiblement.

10. Car que servira-t-il de croire que Dieu est Tout-puissant, qu’il a créé le Ciel et la terre, et tout ce qui y est, pour l’homme, si nous ne nous appliquons à adorer, aimer, et servir un tel Seigneur comme notre unique Bienfaiteur ? Que servira-t-il de croire en Jésus-Christ son Fils unique notre Sauveur, qu’il a pris notre nature, et s’est rendu passible afin de satisfaire pour nos péchés, si nous vivons sans charité vers notre prochain, sans vouloir l’aider dans son besoin, ni souffrir la moindre privation ou commodité pour son regard ? Il nous semble que c’est assez que ne lui faisions nuls maux. Et, en effet, il semble que ceux-là sont saints aujourd’hui qui ne font pas tort à leur prochain. C’est bien loin de s’exposer à la souffrance pour le racheter hors de quelque danger, à l’imitation de ce que Jésus Christ a fait pour nous, et a dit que ses œuvres sont pour nous donner exemple [216], et le devons bénir et remercier, selon les obligations que connaissons avoir par la foi que professons. Si nous croyons que Jésus Christ étant au monde n’a pas voulu être servi, a choisi la pauvreté et mésaises, et que toute notre vie est tissue de recherche d’honneurs, de richesses, et de plaisirs, notre foi n’est-elle pas morte, puisque nos œuvres démentent notre croyance en tout point [217] ? Car en croyant que Jésus Christ a souffert sous Ponce Pilate, endurant des affronts et mépris, des méfaits et tourments, jusqu’à être pendu honteusement et mourir sur l’arbre de la croix, cependant que ne voulons rien endurer qui choque notre honneur, ni souffrir le moindre mépris, évitant toutes souffrances, et recherchant toutes nos aises, nourrissant nos esprits et pensées de tout ce qui est plaisant et souhaitable à nos sens, avec peu d’application à procurer le salut de nos âmes, pour lesquelles Jésus Christ s’est soumis à une mort si cruelle, est-ce avoir la foi de faire des œuvres si contraires à notre croyance ? Ce ne peut être qu’une foi spéculative, qui ne met rien dans l’âme qu’une présomptueuse vanité qui nous fait vivre et mourir pour notre damnation.

11. Car de penser d’être sauvés par la croyance seule, c’est se tromper. Les hérétiques croient aussi les Principaux points de notre Foi, et nous tenons leur damnation assurée, et ne voyons point que notre condamnation sera plus horrible, pour avoir connu la vraie Doctrine de Jésus Christ, et ne l’avoir pas pratiquée ; où iceux font en plusieurs erreurs de leur croyance, sans connaître la droite vérité. Pourquoi ils seront plus doucement traités au jour du jugement que nous ; car il est écrit que celui qui a connu la volonté de son Père et ne l’a pas faite sera battu de beaucoup de coups, mais celui qui ne l’a pas connue et a fait choses dignes de plaies sera battu de peu de coups [218].

12. J’ai souvent admiré la grande estime que font les Prêtres et Religieux d’aller aux Indes pour convertir les Païens à la Religion Catholique ; cependant eux-mêmes ne le sont que par spéculation, et point par œuvres. Que servira-t-il à ces Païens d’apprendre les points de notre Foi, et la confesser de bouche, si les œuvres de la Foi ne sont conformes à leur croyance ? Ils seront plus profonds ès Enfers en possédant une foi morte, qu’ils n’eussent été en demeurant Païens. Pour cela ne sais-je comprendre qu’on estime un si grand bonheur lorsque quelqu’un se convertit à notre Foi, en demeurant après sa conversion autant affectionné à honneurs, plaisirs et richesses de ce monde, comme avant sa conversion, voire quelquefois davantage. Je trouve plus de sujets de tristesse que de joie en de semblables conversions. Car si elles étaient réelles et véritables, la foi qu’ils auraient embrassée produirait son effet. Et celui qui croirait efficacement que Jésus Christ a été pauvre et méprisé, il ne voudrait jamais plus procurer des richesses ni rechercher des états ou honneurs, mais il voudrait vivre selon sa croyance et la Doctrine de Jésus Christ qu’on lui a enseignée. Car ce sont des vrais amusements de croire être vrais Chrétiens en vivant selon les façons d’aujourd’hui, où ne se remarque rien du vrai Christianisme. Ce ne sont que Chrétiens de nom et de paroles. Les Hérétiques ont plus de justice en leurs mœurs et plus de bienveuillance au prochain que ceux qui s’appellent Catholiques, Apostoliques et Romains.

 

Sagesse étudiée.

 

13. Si l’on mettait en parangon la vie et la Doctrine des Apôtres auprès de ceux qui se disent Apôtres aujourd’hui, l’on n’y trouverait rien de semblable. Et encore, l’on ne leur peut dire. Car leurs Écoles et Philosophie ont inventé tant de subtils raisonnements, qu’ils se font passer par devant les hommes pour vrais Chrétiens, quoique Dieu ne les connaîtra pas pour tels, mais plutôt, selon sa parole, il détruira la sagesse des sages, et abolira la prudence des prudents [219]. Et alors il demandera : Où est le Sage ? Où est le Scribe ? Où est l’Inquisiteur de ce monde ? Et que répondront tous ces Docteurs de la Loi, qui ont été Sages en toutes choses, sauf qu’ils ne l’ont point été assez pour être vrais Chrétiens ? Et à quoi serviront toutes leurs sciences, si fortement multipliées en notre temps, sinon à plus grande condamnation ? Car à celui à qui sera beaucoup donné, beaucoup sera redemandé, et qui a reçu moins, moins lui sera redemandé [220].

14. Si Dieu a augmenté l’esprit et la science aux hommes de maintenant, ce n’est pour autre fin sinon pour découvrir les malices du Diable, qui règne en Empereur sur la terre, et pénétrer davantage les Lois de Dieu et la Doctrine de Jésus Christ. Mais au lieu de ce faire, l’on applique tout son Esprit et sa science à des curiosités, ou qui pire est, à controuver des moyens pour vivre dans une lâcheté de son salut par des Doctrines toutes contraires à la Doctrine Évangélique. Comme si les hommes voulaient choquer les ordonnances de Dieu avec les grâces mêmes qu’ils ont reçues de lui. Lorsque Dieu a créé l’homme, il lui a donné une raison et un entendement par dessus toutes autres créatures, capables de le connaître et de l’aimer, mais au lieu de s’appliquer à ce faire, il s’amuse à des fatras de la terre, et à aimer des choses qui sont moindres que lui, et sans comparaison moindres que le Dieu qu’il doit aimer, abusant ainsi des dons et grâces reçues à ces fins.

15. Jamais il n’y a eu tant de bons esprits sur la terre que maintenant, et jamais n’y a eu tant d’ignorance de l’Esprit Évangélique. Personne ne le connaît pour le pratiquer, et peu pour le soutenir ; un chacun étant sage pour toutes les choses naturelles et temporelles, mais pour les éternelles, l’on semble être insensé. L’on sait les secrets de la nature, la constitution des astres, et tout ce qui paraît à nos yeux, et l’on ignore qu’il faut être Disciple de Jésus Christ pour être sauvé. Que serviront toutes ces sciences, ces études et curiosités lorsqu’elles ne nous enseignent point comment il faut aimer Dieu ? Ce n’est que toute vanité [221], perte de temps et amusement d’esprit. Les plus ignorants sont souvent devant Dieu les plus Savants, n’y ayant qu’une chose nécessaire, savoir, de bien aimer Dieu. Tout le reste ne regarde que la vie présente, laquelle est si courte et si misérable, qu’on devrait dédaigner d’y employer le moindre de ses soins, puisque tout ce qui n’est pas Dieu est périssable et de si courte durée.

16. L’on devrait plaindre l’application d’un seul jour employé à l’acquisition des sciences qui ne regardent pas Dieu, parce que tout ce qui est hors de lui n’est rien. Quelle folie de consumer sa vie à acquérir sciences humaines, puisqu’elles ne nous servent de rien à la mort, sinon souvent de regrets et détresses, pour avoir employé son temps en toutes ces choses périssables, qui nous abandonnent en notre besoin, et nous quittent à l’heure de notre mort, où nous serons trouvés avec les mains vides ! Encore bien qu’aurions acquis toutes les sciences du monde, tout reste à la terre, et ne pouvons rien emporter avec nous. Et que servira-t-il à l’homme s’il gagne tout le monde et qu’il fasse perte de son âme [222] ? Il vaudrait mieux n’être jamais créé ; car il vaudrait mieux n’avoir reçu l’être que de se voir misérable à toute éternité [223].

 

Aveuglement des Chrétiens.

 

17. Le plus grand malheur qu’il y a maintenant dans le monde, c’est l’aveuglement d’esprit, qui empêche de découvrir la Vérité et d’appréhender cette damnation éternelle, y ayant de si épaisses ténèbres dans le monde universel, qu’un chacun se présume le salut sans bonnes œuvres. Ce qui est un péché contre le S. Esprit qui ne sera pardonné ni en ce monde ni en l’autre. L’on appellerait scrupuleux ou désespéré celui qui ne croirait d’être sauvé. Cependant, personne ne fait ce que Jésus Christ a dit qu’il faut faire pour l’être. L’on ne veut renoncer à soi même, ni porter sa croix la pouvant échapper. Personne qui est un peu savant ne se veut rendre enfant, ni faire pénitence, sans laquelle l’on ne peut être sauvés, selon la parole de Jésus Christ, qui dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous [224]. Se peut-il trouver des termes plus exprès pour marquer notre damnation ? Cependant l’on présume le Salut en ne voulant faire pénitence, ni être Disciple de Jésus Christ, ni devenir enfant, et tout le reste des choses nécessaires à notre salut, enseignées et menacées par Jésus Christ même.

18. Ce n’est pas sans raison que cette présomption de salut ne sera pardonnée ni en ce monde ni en l’autre, pour n’y avoir rien plus insupportable que de prétendre son salut contre les desseins et l’avertissement de Dieu, qui ne veut pas nous sauver sinon par les moyens qu’il nous a marqués, et nous voulons lui donner autres lois, et croire notre salut devoir arriver par les moyens que nous supposons à notre mode, lesquels sont tout autres que les siens. N’est-ce point là choquer Dieu et le vouloir obliger à suivre nos Lois, au lieu de nous soumettre à la sienne ? C’est un péché qui n’est pas pardonnable ; comme il ne sera aussi jamais pardonné, parce qu’il est contre le S. Esprit. Même au jour du Jugement lorsque Dieu pardonnera aux Juifs les péchés qu’ils ont faits à l’encontre du Fils de l’homme, il ne pardonnera pas ceux-ci [225], qui sont commis à l’encontre du S. Esprit, parce qu’on ne pourra alléguer cause d’ignorance, si que feront bien les Juifs, lesquels n’ont jamais connu Jésus Christ pour Fils de Dieu.

19. Mais nous connaissons ce qu’il nous a enseigné, et nous impugnons par nos œuvres cette vérité connue, ce qui est de même un autre péché contre le S. Esprit. Et nous avançons jusqu’au troisième, d’avoir envie spirituelle d’autrui. Car celui qui marcherait aujourd’hui par les préceptes Évangéliques, il serait envié et persécuté de tous ceux qui présument leur salut sans ce faire, parce que la vie du bon est toujours correction aux méchants, qui avec leurs yeux chassieux ne peuvent souffrir la lumière, et par ainsi demeurent obstinés en leurs péchés, et meurent sans pénitence ; qui sont les autres péchés contre le S. Esprit. Car celui qui présume d’être sauvé par les moyens qu’il s’est proposé à sa mode, est obstiné à les maintenir, et ne les quittera jamais ; par ainsi, il mourra sans pénitence, ne pouvant faire pénitence de ce qu’il ne veut pas croire être mauvais.

20. Partant, il n’y a rien à espérer du salut de semblables personnes. Et cependant le monde les estime saints, et eux-mêmes se le font à croire. Ce qui est une tromperie qui amuse aujourd’hui tous les plus savants, lesquels avec leurs raisonnements accommodent la Loi de Dieu au goût et à l’inclination des personnes, parce qu’il est agréable aux sens, mais fait périr l’âme insensiblement aux Enfers. N’est-il pas triste de voir périr tant de gens sans les pouvoir aider et secourir ? parce qu’ils se plaisent dans leurs aveuglements, et aiment mieux leurs ténèbres que la Lumière, encore bien qu’elle s’offrirait à leurs yeux. Ce qui plaît à leurs sens leur est toujours plus agréable que ce qui plaît à Dieu. Quels moyens d’aider ces créatures qui sont jà condamnées par les péchés contre le S. Esprit qui ne se pardonnent ni en ce monde ni en l’autre, selon la parole du texte ?

21. Ne voyons-nous pas ces ténèbres universelles couvrir toute la terre ? Car les Païens, les Idolâtres et les hérétiques croient d’être sauvés. Et les Chrétiens présument le même salut, quoiqu’ils n’observent les règles que Dieu a données à cet effet. Il faut avoir un ensorcellement d’esprit pour vivre contents et mourir en repos sous une espérance si fausse et trompeuse. La lumière de la Foi nous fait croire à l’Évangile. La parole et les œuvres de Jésus Christ nous sont données pour exemple. Et cependant, nous faisons tout le contraire ! Les Commandements de Dieu nous sont donnés pour les observer [226] ; et personne ne s’acquitte de cette obligation ! Néanmoins l’on croit aller en Paradis . Quelle folle espérance ! Au lieu d’aimer Dieu de tout notre cœur, nous n’aimons que nous-mêmes, et sommes Idolâtres de notre propre volonté ou inclination ; et avec cela pensons avoir satisfait à notre devoir d’aimer Dieu !

22. Il faut bien que le Diable ait obtenu le pouvoir d’ensorceler tous les esprits, parce qu’on n’en voit pas un qui fasse le bien [227], et fort peu qui croient mal-faire ; cependant qu’un chacun avale le péché comme l’eau à grand trait, et ce d’autant qu’on n’estime plus péché ce qui ne l’est point devant les hommes. Les Athées ont en cela la même perfection que les Chrétiens d’aujourd’hui ; car ils se gardent de faire choses répréhensibles aux yeux et jugement des hommes, de peur d’en être réprimandés, mais les Chrétiens connaissent bien qu’ils ont un Dieu qui sonde les reins et examine les consciences [228]. Comment se peuvent-ils tenir en repos sans avoir sa Grâce, laquelle consiste en son amour et l’observance de ses Commandements [229] ? De quoi ils sont plus éloignés que n’est le Ciel de l’Enfer.

23. Car si l’on aimait Dieu, l’on ne s’aimerait point soi-même, ni autres choses créées, d’autant que tout est au dessous de Dieu, et rien à lui égal pour être aimé d’un même cœur. Toutes les choses que Dieu a créées dans ce monde sont faites pour servir à l’homme, mais l’homme n’est pas fait pour elles, non plus que le Maître n’est fait pour son Valet. Si le valet est fait pour servir son Maître, il n’est pas fait pour lui commander. L’amour est toujours esclave de ce qu’il aime. Il n’y a rien qui assujettisse davantage l’homme que ses passions. Si l’homme s’aime soi-même, il est esclave et Idolâtre de soi-même, et ne peut aimer Dieu. S’il aime autre chose hors de lui, il est esclave de la chose aimée, et ne peut aimer Dieu. Car un cœur ou un amour ne peuvent être divisés entre des choses si distantes et éloignées l’une de l’antre, comme est Dieu d’avec la créature. Et celui qui aime les plaisirs, les richesses ou honneurs, et croit avec cela d’aimer Dieu, il est séduit par Satan [230] ; car si tous ces amours se pouvaient accommoder par ensemble avec l’amour de Dieu, Jésus Christ n’aurait point ordonné de renoncer à soi-même, ni vendre tout ce qu’on a et le donner aux pauvres pour acquérir la perfection. Car toutes choses sont bonnes en elles-mêmes, Dieu ne pouvant rien avoir fait de mauvais. Mais c’est parce que la fragilité de l’homme est si grande qu’il ne peut aimer toutes ces choses avec Dieu.

24. Il s’en faut seulement servir en cas de besoin, mais pas les aimer ; non plus que nous-mêmes, qui sommes choses assujetties à Dieu, comme celles subalternes assujetties à nous. Et il n’y a rien à aimer en nous sinon cet assujettissement à Dieu, comme celui de tous les autres hommes. C’est pourquoi il est commandé d’aimer notre prochain comme nous mêmes, vu que tout est la même chose devant Dieu. Mais nous manquons à Dieu, à notre prochain et à nous-mêmes, et ne sommes vrais Chrétiens.

 

Le mois d’Octobre 1666

et de Février 1667.

 

 

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CHAPITRE IX.

 

Examen pour connaître s’il y a encore des vrais Chrétiens sur la terre, par divers passages de l’Évangile, et les contrariétés qu’on voit dans nos mœurs. Que la Doctrine de Jésus Christ ne peut changer. Que notre vie doit être semblable à celle de ceux de la Primitive Église. Que nous sommes trompés et trompons les autres au fait de notre salut.

 

ÊTRE Vrai Chrétien, c’est imiter les actions de Jésus Christ et suivre sa doctrine et ses enseignements, parce que tout ce qu’il a fait et dit n’est que pour nous donner exemple, et afin que nous le suivions et imitions [231]. Car il dit lui-même :

Je suis la voie ; nul ne vient au Père sinon par moi [232].

Qui croit en moi fera les œuvres que je fais [233] ;

Et, qui ne m’aime, ne gardera point mes paroles [234].

Je suis la lumière du monde : qui me suit ne cheminera point en ténèbres, mais aura la lumière de vie [235].

Je suis la porte : si aucun entre par moi, il sera sauvé [236].

Mes brebis entendent ma voix, et me suivent ; ceux qui n’entendent ma voix ne sont point mes brebis [237].

Quiconque croit en moi ne mourra jamais [238].

Si aucun me sert, qu’il me suive ; et là où je serai, mon serviteur y sera aussi [239].

Si aucun m’aime, il gardera ma parole [240].

Je suis la vigne ; vous êtes les branches ; qui demeure en moi porte beaucoup de fruits ; qui ne demeure en moi sera jeté hors et séchera, et on le mettra au feu, et brûlera [241].

Je suis la voie, la vérité, et la vie [242].

1. Tout cela sont les paroles de Jésus Christ, qui ne peut mentir (car le Ciel et la terre passeront, et ses paroles ne passeront point [243]), lesquelles nous assurent qu’il n’y a point d’autre chemin pour être sauvés sinon de suivre la doctrine de Jésus Christ, et imiter ses actions.

2. Voyez en quelle erreur les hommes sont à présent, qui vivent d’une façon directement contraire et opposée à toutes les maximes de Jésus Christ, et avec cela se promettent le Royaume des Cieux ? C’est un ensorcellement d’Esprit qui a infecté maintenant tout le monde, grands et petits, doctes et ignorants. Car il n’y a aujourd’hui personne, de telle condition qu’il soit, qui observe purement la Loi de l’Évangile, nonobstant que tant de milliers de personnes en fassent profession particulière. Ce qui est à déplorer avec larmes de sang. Et le plus grand mal de tous est qu’on ne veut point connaître cette vérité. Un chacun se persuade qu’il vit bien en faisant extérieurement les fonctions Chrétiennes. Et ainsi on s’aveugle les uns les autres, parce que les lumières sont devenues ténèbres. Combien obscures doivent être les ténèbres mêmes ?

3. Jésus Christ dit : Qu’il convient accomplir toute justice [244]. Qui est-ce aujourd’hui qui fait cela, même entre les plus parfaits de maintenant ? Combien peu de justice ? L’on ne voit que simulations, anticipations, tours et détours pour arriver à ses prétentes. Il n’y a plus à se fier aux hommes.

4. Jésus Christ dit : Si l’on n’est fait comme un petit enfant qu’on n’entrera point au Royaume des Cieux [245]. Qui est-ce aujourd’hui qui a la simplicité d’un Enfant ? L’on ne s’étudie qu’à des subtilités, ruses et finesses. Personne ne reçoit la simplicité Évangélique. Un chacun y veut gloser selon si propre fantaisie.

5. Jésus Christ dit : Qu’il faut prendre la dernière place [246]. Qui est-ce aujourd’hui qui ne s’élève autant qu’il peut, désirant les états et bénéfices, ou rangs d’honneur, s’étudiant à chercher les moyens d’être avancé ? Un chacun se veut préférer à son prochain, sans rien céder.

6. Jésus Christ dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous [247]. Qui est-ce aujourd’hui qui veuille faire pénitence ? Qui n’évite point tout ce qui lui est pénible de tout son possible ? Qui cherche les mésaises ? Qui est volontiers incommodé ? Qui fait pénitence de ses péchés ? Le nom seul de pénitence est odieux aux hommes. Ils n’aiment que sensualités.

7. Jésus Christ dit : Qu’il faut être pauvre d’esprit [248]. Qui est-ce aujourd’hui qui ne cherche les richesses ? car même ceux qui sont pauvres en effet sont riches en esprit. Ceux-mêmes qui font vœu de pauvreté volontaire, souhaitent, convoitent, et recherchent les richesses.

8. Jésus Christ dit : Qu’il faut renoncer à soi-même pour être son Disciple [249]. Qui est-ce qui ne s’aime soi-même ? Qui n’adore sa propre excellence ? Qui n’est intéressé en son propre jugement ? Qui ne dorlote son corps, lui donnant tous les biens qu’on peut ?

9. Jésus Christ dit : Qu’il faut aimer son prochain comme soi-même [250]. Qui est-ce qui fait au prochain comme à soi-même ? Chacun regarde son propre intérêt. Nul n’aide son prochain comme il voudrait être aidé. Qui ressent la perte ou l’incommodité du prochain comme les siennes ? Qui procure à son prochain le bien qu’on se procure à soi-même.

10. Jésus Christ dit : Qu’il faut emporter le Royaume des cieux par force [251], en faisant violence à soi-même. Qui est-ce qui se fait violence pour plaire à Dieu ? Qui ne suit point toutes ses inclinations ? Qui résiste au mal avec force ? Qui dompte ses passions ? Qui dénie à soi-même ses propres désirs et plaisirs ?

11. Jésus Christ dit : Qu’il faut arracher son œil, ou couper quelque membre qui nous scandalise [252]. Qui se couperait un membre plutôt qu’offenser Dieu ? Qui voudrait seulement perdre un peu de bien ou d’honneur pour n’offenser Dieu ? Qui se dénie ses plaisirs ? ou ses propres inclinations ? Qui se retranche des piaffes du monde pour ce sujet ?

12. Jésus Christ dit : Qu’il faut laisser son oblation lorsque notre frère a quelque chose contre nous [253]. Qui est-ce qui se retire des autels pour des querelles ? Combien de fois le Soleil se couche-t-il sur notre colère ? Quel peu de soin de se réconcilier avant prier !

13. Jésus Christ dit : Qu’il faut aimer ses ennemis, et prier pour ceux qui nous persécutent et calomnient [254]. Qui fait du bien à ses ennemis ? Qui en parle en bien ? Qui prie pour eux ? Qui ne rend injure pour injure ? Qui ne s’en venge s’il peut ? Qui ne leur porte haine et envie ?

14. Jésus Christ dit : Qu’on ne peut servir à deux Maîtres [255]. Qui est-ce aujourd’hui qui sert à Dieu seul ? Qui ne s’accommode point à l’humeur du monde ? Qui ne sert point aux richesses, honneurs, et à la vanité ? Qui délaisse tout pour servir Dieu seul ?

15. Jésus Christ dit : Qu’il ne faut avoir souci du lendemain ; qu’il faut amasser des trésors au Ciel [256]. Qui est-ce qui n’est en souci pour augmenter son bien ? combien de soins, de labeurs, d’industries, pour les biens périssables ? et que peu pour les biens éternels ! Et que profitera-t-il à l’homme de gagner tout le monde s il fait perte de son âme [257] ?

16. Jésus Christ dit : Qu’il faut entrer par la porte étroite, et que le chemin large mène à Perdition [258]. Qui est-ce aujourd’hui qui prend ce chemin étroit ? Les Conducteurs des âmes même n’enseignent-ils point un chemin large et aisé pour être sauvés ? Tout le monde presque court par icelui. L’on méprise ce chemin étroit.

17. Jésus Christ dit : Qu’il faut laisser les morts ensevelir leurs morts, et le suivre [259]. Qui est-ce qui fuit Dieu dans l’oubli du Monde ou de ses Parents et amis ? Qui les quitte pour le suivre ? Qui ne se sent point attaché à iceux ?

18. Jésus Christ dit : Qu’un riche entrera difficilement au Royaume des Cieux [260]. Qui est-ce qui quitte ses richesses pour se sauver ? Qui n’estime point être heureux de se voir riche ? Quel riche croit son salut difficile ?

19. Jésus Christ dit : Qu’il ne faut craindre ceux qui tuent le corps, et ne peuvent tuer l’âme [261]. Qui ne craint les hommes ? Qui ose dire la vérité de peur de déplaire, bien qu’il y aille de la gloire de Dieu ? Qui n’a aujourd’hui plus d’égard humain que de divin ?

20. Jésus Christ dit : Qu’il n’est point venu mettre la paix en la terre, mais le glaive et la guerre entre le père et l’enfant [262]. Qui est-ce aujourd’hui qui ne veuille demeurer en paix, encore bien qu’il soit ennemi de Dieu ou fort imparfait ? qui veut être choqué dans sa vie licencieuse ? Qui entend volontiers les menaces de Dieu pour se convertir ? Qui n’aime mieux laisser pourrir les plaies de son âme que de les souffrir curer ? Qui guerroie contre son sang pour l’amour de Dieu ?

21. Jésus Christ dit : Que celui qui le confessera devant les hommes, qu’il le confessera devant son Père ; et, de même, qui le reniera [263]. Qui est-ce aujourd’hui qui maintient la Justice et la querelle de Dieu. Qui ose blâmer le mal et soutenir le bien lorsque les Grands le contrôlent ?

22. Jésus Christ dit : Qui ne prend sa croix et ne le suit, qu’il n’est point digne de lui [264]. Qui est-ce qui embrasse les afflictions ? qui prend les traverses de bon cœur pour l’amour de Dieu ? qui est bien aise de pâtir et porter sa croix pour suivre Jésus Christ ?

23. Jésus Christ dit : Qui garde sa vie, il la perdra, et qui perdra sa vie pour l’amour de lui, il la trouvera [265]. Qui est-ce qui hait sa vie ? qui est disposé à la perdre pour l’amour de Dieu ? qui n’aime point sa vie, voire plus que Dieu ? qui ne l’offenserait plutôt que de perdre sa vie ?

24. Jésus Christ rend grâces à son Père qu’il a révélé ses secrets aux petits de la terre, et les a cachés aux sages et entendus [266]. Qui se veut rendre petit pour entendre les secrets de Dieu ? qui ne cherche les sciences humaines plutôt que les divines ? qui exerce la simplicité colombine ? qui est naïf et simple ?

25. Jésus Christ dit : Qu’on prenne son joug ; qu’il est doux et léger [267]. Qui croit la légèreté du joug de Dieu ? qui le porte volontiers ? qui ne craint plutôt d’embrasser la vertu comme chose pénible et rude ? qui trouve les paroles de l’Évangile douces et agréables ? qui recourt à Dieu lorsqu’il est travaillé plutôt qu’aux secours humain ? Qui apprend de lui qu’il est doux, et débonnaire et humble de cœur ? qui s’étudie à la douceur et débonnaireté ? qui trouve son faix léger ?

26. Jésus Christ dit : Que toutes personnes au jour du jugement rendront compte de toute parole oiseuse qu’ils auront dite [268]. Qui est-ce aujourd’hui qui se garde de paroles oiseuses ? Qui ne passe point la plupart de son temps en oiseuseté et entretiens inutiles ? qui appréhende ce compte étroit ?

27. Jésus Christ dit : Que ceux-là sont sa Mère et ses Frères qui écoutent ses paroles et les mettent en effet [269]. Qui prend plaisir ès paroles de Dieu ? qui les effectue ? qui ne cherche des gloses et explications à son goût ? qui ne se laisse conduire par raisons humaines et accommodements sensibles à la nature, plutôt que la Vérité Évangélique ?

28. Jésus Christ dit : Qui veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même [270]. Qui est-ce aujourd’hui qui se dénie soi-même ? qui renonce ses inclinations ? qui quitte sa volonté pour agréer à Dieu ?

29. Jésus Christ dit : Que profite-t-il à l’homme de gagner tout le monde s’il perd son âme [271] ? qui ne s’étudie davantage à gagner or, argent, honneurs, dignités, plus qu’au Salut de son âme ? qui méprise les biens de la terre pour la sauver ? qui ne s’empresse plus pour enseigner que pour pratiquer le Salut ?

30. Jésus Christ dit : Que les premiers seront derniers au Royaume des Cieux [272]. Qui est celui qui n’aime les prééminences ? qui se fait petit en ce monde pour être grand ès cieux ? qui aime les abaissements ? qui est petit à ses yeux ? qui a basse estime de soi-même ?

31. Jésus Christ dit : Qu’il vaudrait mieux se lier une pierre de moulin au cou et se jeter dans la mer, que de scandaliser un de ses petits [273]. Qui est-ce aujourd’hui qui évite scandale ? qui ne méprise point les petits et humbles ? qui s’abstient de malfaire de peur de les scandaliser ? qui se tue plutôt soi-même que de scandaliser le prochain ? qui ne suit ses inclinations sans réflexion du scandale ?

32. Jésus Christ dit : Qu’il est difficile aux riches d’entrer en Paradis [274]. Qui est volontiers pauvres ? qui ne cherche les richesses ? qui croit que les richesses sont empêchement à salut ? Qui les quitte pour se sauver ? Qui pèse la difficulté à se sauver avec icelles ? Qui vend tout ce qu’il a pour être parfait ?

33. Jésus Christ dit : Qui délaisse Père, Mère, et toute chose, il en aura le centuple en ce monde, et le Paradis au bout [275]. Qui croit à cette promesse ? Qui ne met son appui sur les choses de la terre plutôt que sur la parole de Jésus Christ ? Qui ne s’estime plus heureux de posséder que d’abandonner ?

34. Jésus Christ dit : Qu’il n’est point venu pour être servi, mais pour servir [276]. Qui sert volontiers ? Qui ne se fait servir s’il peut ? Qui ne s’estime honoré d’être bien suivi et servi de Valets ? Qui s’estime heureux de servir les autres ou soi-même. Qui croit que celui qui sera ici le premier, sera au Ciel serviteur des autres ?

35. Jésus Christ dit : Que sa Maison est Maison d’Oraison [277]. Qui est-ce aujourd’hui qui révère la maison de Dieu ? Où sont les Églises dont on ne fasse lieux de plaidoyers, de trafics, de promenades, de récréation et divertissement ? Qui y fait ses prières avec la révérence due ? Qui n’y entre que pour prier ?

36. Jésus Christ commande de lier pieds et mains, et jeter au feu celui qui était venu au banquet sans avoir les habits nuptiaux [278]. Qui est-ce aujourd’hui qui orne son âme de Vertus pour se présenter à la sainte Communion ? Qui ne s’y porte inconsidérément, comme si on se portait à la Table matérielle ? Qui appréhende les châtiments préparés à ceux qui y vont irrévéremment, et sans avoir l’âme bien revêtue de contrition et d’Amour de Dieu et du prochain ?

37. Jésus Christ dit : Qu’il faut toujours veiller ; qu’on ne sait quand le Fils de l’homme viendra [279] pour nous juger. Qui est-ce aujourd’hui qui pense sérieusement au jugement ? Qui vit comme il voudrait mourir à la même heure ? Qui tient ses comptes prêts ? Qui ne s’emporte plutôt aux choses de la terre comme immortelles ? Qui veille toujours attendant le Seigneur ?

38. Jésus Christ dit aux Vierges folles : Qu’il ne les connaît point, parce qu’elles se sont attardées d’aller chercher de l’huile [280]. Qui est-ce aujourd’hui qui se hâte d’amasser les vertus ? Qui ne diffère sa pénitence ? qui ne passe la plupart de sa vie en inutilités et bagatelles du monde ? qui ne dort au bien pendant que la vie s’écoule ? qui amasse des trésors pour le Ciel ? qui se pourvoit d’huile de Charité ?

39. Jésus Christ dit : Qu’il faut ôter le talent à celui qui n’en a profité, et jeter ce serviteur inutile ès ténèbres [281]. Qui aujourd’hui emploie les grâces qu’il a reçues de Dieu, à sa Gloire ? Qui est diligent pour lui gagner des âmes ? qui ne s’étudie d’avantage pour la Terre que pour le Ciel ? qui craint d’être appelle Serviteur inutile sans malfaire ? qui appréhende la damnation pour des omissions ?

40. Jésus Christ dit : Qu’il ne prie point pour le monde, nais pour ceux que le Père lui a donnés, qui ont crû en lui [282]. Que peut espérer le monde pour lequel Jésus Christ dit qu’il ne prie point pour eux ? Par quel chemin veut le monde espérer salut ? Cependant un chacun suit le monde et le train du monde. Qui est-ce aujourd’hui qui résiste au monde ? qui ne suit ses maximes ? qui s’étudie à complaire au monde ? qui ne tient son rang au monde ? qui n’aurait confusion de ne point être selon le monde ?

41. Regardez en quelle erreur nous sommes sans le connaître ! De mener une vie directement contraire au Saint Évangile et aux enseignements que Jésus Christ nous a donnés étant sur la terre, et avec ce, nous persuader d’être sauvés, en faisant ce qu’il a défendu, et ne faisant nullement ce qu’il a enseigné ! Quel aveuglement déplorable, où presque tous les hommes sont aujourd’hui, et s’aveuglent l’un l’autre en sorte qu’il n’y a plus de vrais Chrétiens sur la terre ! Car les vrais Chrétiens suivent Christ, lequel est immuable [283] ; et ses Doctrines ne peuvent changer, encore bien que les coutumes des hommes changent. Ses enseignements seront toujours les mêmes. Qui croit autrement se trompe et se trouvera à la mort dans la damnation éternelle.

42. Ce sont toutes illusions Diaboliques, de croire, qu’il ne faut point maintenant vivre comme faisaient ceux de la Primitive Église pour être vrais Chrétiens. C’est le même Dieu, qui ne peut jamais souffrir aucune mutation. C’est la même Loi et Doctrine, que Jésus Christ a donnée à ses Disciples étant sur la terre. Il n’est point changé d’opinion depuis eux. C’est à nous qu’il a parlé en eux, et à tous ceux qui veulent être ses enfants jusques à la fin du monde. Il n’y aura jamais aucune différence au regard de Dieu. Les hommes se trompent maintenant de dire. Ce n’est point maintenant ce temps, parce que les temps n’apportent aucuns changements à la Loi de Dieu, qui a été, est, et sera à toujours, sans aucun changement [284]. Si l’usage de maintenant est éloigné de la pratique de ces Premiers Chrétiens, nous sommes assurément autant éloignés de Dieu que nos façons le sont d’eux, parce que Dieu ne reconnaîtra jamais pour Disciples ceux qui n’auront gardé en tout temps ses enseignements premiers. Il ne se faut flatter. Il n’y a nuls vrais Chrétiens sur la terre que ceux qui gardent les enseignements et pratiques de Jésus Christ [285].

43. Comment peut-on demeurer en repos en un état si dangereux ? Dieu a-t-il fait une autre voie pour aller au Ciel que lui-même ? Ou bien se contentera-t-il que nous suivions la Loi des hommes de maintenant ? Ou bien encore, le grand nombre qui suivent ce chemin large qui est avoué des hommes nous excusera-t-il devant Dieu ? Nullement, car rien de tout cela ne sera alloué en l’autre monde. L’Abomination de la désolation est maintenant sur la terre, que tant de personnes aient la Doctrine de Jésus Christ entre leurs mains et dans leurs esprits, et qu’ils ne la pratiquent pas ! Ils lisent l’Évangile comme une histoire du temps passé. Ce qui est à déplorer avec larmes de sang. Ce ne sont point des histoires, mais des Vérités que nous sommes obligés d’observer pour être vrais Chrétiens ; à moins de quoi, il n’y a point de salut pour nos âmes.

44. Malheur sur nous si nous écoutons les hommes qui nous disent : Soyez en repos ; vous vivez bien en ne point tuant, ne dérobant, ne faisant autres péchés grossiers et matériels. Ce sont trompeurs et Séducteurs d’âmes, qui nous veulent mener en carrosse en Paradis en nous précipitant ès Enfers. Il n’y a point d’autre chemin du Ciel que celui que Jésus Christ nous a marqué dans son Évangile, lequel il nomme étroit, et les hommes nous le font large. Ils contrôlent Jésus Christ ; partant, on peut bien les appeler Antéchrists ; car ils sont tels ceux qui, sous prétexte de ne vouloir troubler le monde en déclarant la Vérité, les font vivre en des fausses espérances d’être sauvés sans garder à la lettre l’Évangile, qui est si clair et naïf, et est si pathétiquement enseigné de Dieu même, qui nous doit seul juger, et non les hommes, qui nous peuvent bien excuser par des raisons et arguments en ce monde, mais non point devant Dieu, qui n’est acceptateur de personne, et qui juge selon la droite justice, point selon la raison ou police humaine.

45. La Sagesse des hommes est folie devant Dieu. Un chacun portera son paquet [286]. Sauve qui peut. Dieu ne demandera point si Jean ou Pierre a enseigné ceci ou cela, mais seulement si l’on a suivi ses propres enseignements. Malheur à l’homme qui a mis sa confiance en l’homme [287], principalement au regard de son salut Éternel ! Il n’y a point autre appui que Jésus Christ et sa Doctrine. Tout le reste est corrompu et mène à la perdition Éternelle, avec le faux riche, la vie duquel n’était en rien dissemblable à la vie commune des Chrétiens de maintenant. Un chacun se flatte et se trompe en pensant que notre obligation n’est pas telle que celle des premiers Chrétiens. Car elle est tout de même.

46. Ceux qui nous disent le contraire, nous trompent ; car point seulement ceux qui sont enserrés dans les Cloîtres, ou les Prêtres et les Religieux, mais tous les Chrétiens en général sont obligés de garder cette Loi Évangélique, ou c’est sans raison qu’ils portent le nom de Chrétiens. Les Prêtres et Cloîtres n’ont point autre Loi que le reste du peuple, mais ils ont plus d’obligation à Dieu, qui leur a donné plus de moyens propres à se perfectionner en la vie Chrétienne ; à cause que le soin des enfants et les affaires du monde ne les divertissent point comme les séculiers. C’est pourquoi ils rendront plus de compte à Dieu si par effet ils ne se rendent vrais Chrétiens plutôt que les autres, qui ont moins de temps et d’occasion de penser à leur salut, et seront aussi plus punis ès Enfers s’ils ne vivent conformément à la profession qu’ils font des conseils Évangéliques. Car ce serait une hypocrisie de porter l’habit Religieux sans en porter aussi le cœur, et ce serait fausser leur Serment de ne point observer les vœux solennels qu’ils font particulièrement pour confirmer ceux qu’ont fait généralement tous les Chrétiens au Baptême.

47. Il n’y a nuls états ni conditions qui nous puissent dispenser d’observer cette Loi Évangélique, hors de laquelle il n’y a point de salut. Et ce n’est pas assez d’être Chrétien à sa mode, en observant certaines constitutions approuvées des hommes, mais il le faut être à la mode de Jésus Christ, selon qu’il l’a enseigné à ses Apôtres et Disciples étant au monde. Il y a en ceci des grands abus, et plusieurs qui se trompent, et sont aussi trompés des autres. C’est pourquoi il faut bien examiner toutes choses [288], et éprouver si les Esprits sont de Dieu [289], du Diable, ou de la nature, parce qu’il y a grande tromperie.

 

 

Le mois Janvier.

   1664.

 

 

 

 

F      I      N

 

De la Première Partie.

 

De l’ACADÉMIE

des Savants

T H É O L O G I E N S,

 

qui donne éclaircissement sur diverses matières Théologiques, disputées maintenant dans l’Église Chrétienne ; où beaucoup de doutes sont soldés pour ceux qui sont droits de cœur, mais les méchants, qui veulent opiniâtrement soutenir l’Erreur et le mensonge, ne se peuvent satisfaire de la Vérité de Dieu. Car l’Écriture dit que les méchants deviendront plus méchants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ACADÉMIE

DES SAVANTS

THÉOLOGIENS.

 

 

Par où l’on peut discerner l’Esprit de Dieu d’avec l’Esprit du Diable : matière fort nécessaire au temps présents, là où (selon la prédiction de Jésus Christ) plusieurs faux prophètes se sont élevés, et disent qu’ils sont de Christ, Saints, ou Prophètes ; quoiqu’il n’y ait rien de semblable ; avec quoi ils en séduisent plusieurs.

 

 

Seconde Partie.

Par

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

1. Épître de S. Jean, chap. 4, v. 1.

 

Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les Esprits sont de Dieu. Car plusieurs faux prophètes se sont élevés dans le monde.

 

 

 

 

 

 

 

AU LECTEUR.

 

 

VOICI, AMI LECTEUR, la suite de l’ACADÉMIE DES SAVANTS, qui découvre les tromperies qu’il y a maintenant dans la Chrétienté, là où plusieurs personnes disent d’avoir l’Esprit de Dieu, et ne l’ont pas, et là où plusieurs faux Prophètes se sont élevés, et font des signes et miracles, ont des extases et des révélations qu’ils disent venir de Dieu ; quoique toutes ces merveilles apparentes soient des opérations du Diable, qui veut paraître saint pour tromper les mieux intentionnés, en séduisant par ces moyens plusieurs droits de cœur qui, mesurant à l’aune de leur sincérité celle de ces Séducteurs, pensent qu’ils parlent vérité comme eux, et qu’ils agissent en sincérité ; quoiqu’il n’y ait rien de semblable ; puisque tous leurs bienfaits sont tromperies et hypocrisies couvertes de Vertus. Ce qui serait bon à découvrir si l’on était possédé de l’Esprit de Vérité et de Justice. Ce qui manquant, il est impossible de découvrir les tromperies de ces faux Prophètes, qui viennent au nom de Christ, et font signes et miracles.

Il est écrit qu’ils tromperaient les élus mêmes s’il était possible. Il faut que je confesse d’en avoir été moi-même trompée de divers, lesquels je croyais pieusement être des personnes illuminées de Dieu, et qui m’ont depuis déclaré elles-mêmes qu’elles étaient régies par le Diable, à qui elles étaient abandonnées et soumises, lequel faisait en elles ces chose extraordinaires pour les faire estimer vertueuses et saintes. Et j’en connais encore à présent de celles qui demeurent en des extases des jours entiers, ou beaucoup d’heures, sans voir en elles aucuns signes de vie. Et lorsqu’elles retournent de ces extases, elles parlent de choses divines comme des Séraphins. Ce que le Diable leur inspire pour les faires admirer des simples personnes qui, n’ayant de discernement des Esprits, prennent ces choses extérieures pour des merveilles de Dieu, et elles penseraient pécher d’en avoir mauvaise opinion ; sans découvrir qu’il y a bien plus grand mal et péché à juger le mal bien, qu’à douter du bien même.

Car prendre tout en bien, et parler ou juger du mal en bien, c’est coopérer au même mal ; puisque, comme j’ai dit ailleurs, l’on peut pécher en neuf manières, l’une desquelles est en louant le mal ; car en ce faisant l’on commet plusieurs péchés, en trompant ceux à qui l’on dit des louanges du mal, en leur faisant prendre le mensonge pour la Vérité, et l’on fait aussi pécher le malfaiteur par vaines louanges qu’on lui donne. Il en devient plus orgueilleux et hypocrite ; en sorte que ces pieuses personnes qui veulent tout prendre en bien sans discernement font beaucoup plus de mal que s’ils doutaient du bien même, puisque leur doute ne peut amoindrir le bien qui est réel dans l’âme de quelqu’un.

Pour moi, je puis dire avec vérité que les personnes qui ont jugé mal de moi m’ont fait du bien, et aidé à la perfection de mon âme. Car sitôt que j’entendais dire du mal de moi, je rentrais en moi-même pour examiner de bien près si ce mal qu’on en disait n’était pas réel dans mon âme, afin de chercher les moyens de l’amender. Car des personnes vicieuses m’ont déclaré autrefois quelques imperfections que je n’avais moi même découvertes être en moi. En sorte qu’il est plus assuré pour la perfection et le salut de son âme d’avoir auprès de nous des personnes qui nous méprisent que de celles qui nous louent ou flattent.

Mais tout le meilleur est de tout considérer, et ne juger de personne, pour éviter les faux jugements ou n’en faire des téméraires, signamment en ce qui ne nous touche en rien, aussi longtemps que nous n’avons pas le discernement des Esprits. Ce à quoi un chacun doit faire son devoir pour l’obtenir, puisque le temps est si dangereux, afin de ne se laisser séduire par fausses apparences. Ce qui est facile à éviter, en remarquant les conditions que doit avoir une personne, qui parle et opère par le S. Esprit. Elle doit être possédée en son âme des huit béatitudes que Jésus Christ a prêchées étant sur la terre, assavoir être pauvre d’esprit, sens aucune convoitise, débonnaire, avoir faim et soif de la justice, avec tout le reste de ces béatitudes.

Et partant il ne faut pas examiner si une personne a des extases, ravissements, ou si elle prophétise et fait des signes extérieurs, pour croire qu’elle est vertueuse, mais examiner de bien près si elle a en son âme et en ses œuvres les dons et les fruits du S. Esprit. Alors l’on peut croire que les signes extérieurs sont opérations de Dieu ; puisqu’il ne faut plus de miracles extérieurs pour confirmer notre foi. Elle est assez confirmée par Jésus Christ et les Apôtres. Ce n’est les desseins de Dieu de faire de nouveaux miracles par ses Prophètes maintenant. C’est pourquoi je tiens fort suspects tous ceux qui font des miracles, ont des extases et ravissements, ou disent avoir le don de Prophétie, parce que toutes ces choses ne sont rien à l’essence de la Vertu, et sont fort propres à tromper le monde ; car le Diable peut facilement faire toutes ces choses, et beaucoup d’autres merveilles. Les Sorcières sont ordinairement extasiées lorsque le Diable habite avec elles ; serait-il bon de croire que son extase est une opération de Dieu ? Nullement, puisque ce serait vouloir honorer Dieu avec les œuvres du Diable, et il ne faut jamais faire nuls maux avec bonne intention imaginaire ; car qui pèche ignoramment, il va ignoramment ès enfers.

Et partant, Ami Lecteur, soyez toujours amateur de découvrir la vérité des choses là où vous la pourrez rencontrer. Lisez attentivement mes écrits : ils vous montreront la Vérité de Dieu, et la pratique pour devenir son vrai Enfant ; ce que j’enseigne dans le 2e et 3e Chapitre de cette seconde Partie, qui est la comparaison que je fais d’un Enfant naturel avec l’enfant de Dieu, laquelle comparaison j’ai aussi rapportée dans la Seconde Partie du Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Mais des vérités si solides et nécessaires ne peuvent être trop souvent réitérées ; ce que vous assure,

 

Ami Lecteur,                                               

 

Celle qui aime le salut de votre âme.     

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Table des Matières de cette IIe Partie.

 

Selon qu’elles sont marquées au haut des pages du Traité.

 

(Le grand nombre marque les chapitres, et le petit, les versets.)

 

Du Discernement des Esprits. Chap. I et ch. II jusqu’à v. 13.

De l’Enfance Chrétienne, ou spirituelle. II. 13–20. Et Ch. III. 1–15.

De la conversion des Sages.                    III, v. 15–23.

De l’Abandon à la Gouverne et Conduite de Dieu. IV. 1–9.

De la Vanité de la Conduite et des biens des hommes.                                                                  IV. 9–26.

Vanités de la Conduite du monde et des sens. V. 1–14.

Dommages de la Conduite propre et sensuelle. V. 14–22.

Du propre choix d’un genre de vie.                  VI. 1–4.

Du choix de l’état de Riche, pour donner et faire aumône.                                                     VI. 4–7.

Des dons faits aux Moines.                           VI. 7–10.

Du choix des études.                                   VI. 10–12.

Du choix de l’état de mariage.                     VI. 12 16.

De l’Éducation des Enfants.                       VI. 16–21.

Du choix de l’État Ecclésiastique.               VI. 21–22.

Du choix de l’État Politique.                         VII. 1–5.

Du choix des bénéfices d’Église.                    VII. 5–9.

Des Dévotions extérieures.                           VII. 9–17.

De la fréquente Communion.                    VII. 17–24.

De l’abus et de l’usage des Dévotions et des Cérémonies de l’Église.                         VIII. 1–19.

De l’état dangereux où sont les dévots d’aujourd’hui.                                                                  IX. 1–21.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ACADÉMIE

DES SAVANTS

THÉOLOGIENS.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

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CHAPITRE PREMIER.

 

De la tromperie de ceux qui se disent Saints. Du discernement des faux Prophètes hors des vrais. Qu’il ne faut nuls miracles et signes extérieurs pour discerner l’Esprit de Dieu, mais la Foi vive. Si une âme a le S. Esprit, elle possédera assurément les douze fruits, les sept dons, et les huit béatitudes que Jésus Christ a prêchées, et qu’il la faut croire et suivre, ou être en péril d’être abandonné de Dieu.

 

1. CE n’est pas de merveilles, Monsieur, que plusieurs doctes personnages aient été trompés au fait de discerner si un esprit est de Dieu ou du Diable, ou de la nature ; ainsi que fut Grenade d’une fille qu’il tint longtemps pour sainte, ayant le don de prophétie, qui à la fin fut connue pour trompeuse et sorcière. Cela arrive quand les hommes affectent des signes extraordinaires, recherchant des curiosités, ou désirant des miracles, croyant par là avoir reconnu les signes du S. Esprit.

2. Mais ils se trompent grandement ; car le S. Esprit n’opère pas toujours des signes extraordinaires à l’extérieur, d’autant qu’iceux n’apportent nulle perfection dans l’âme qu’il possède, causant seulement de l’utilité à ceux pour qui les signes se font. Ainsi une âme qui est possédée du S. Esprit, ayant le don de Prophétie, n’est non plus estimable devant Dieu qu’une autre dans la même possession sans ce don de prophétie ; d’autant qu’icelle prophétie ne la rend plus parfaite ; sa seule perfection consistant dans le petit ou grand amour qu’elle porte à Dieu, et non dans l’opération des miracles, lesquels sont inutiles pour celui qui possède le S. Esprit, ne servant qu’aux incrédules, de qui la foi est amortie, ayant besoin de miracles ou signes palpables à leurs sens pour découvrir ce qui plaît et déplaît à Dieu. De quoi n’ont besoin ses fidèles serviteurs, à qui la Foi et l’Évangile suffit d’entière Direction.

3. Ceux-là ne cherchent autres signes ou miracles pour discerner l’Esprit de Dieu que les solides vertus, hors desquelles il n’y a que des tromperies dangereuses, où tombent souvent les plus savants de ce monde, et avec raison, puisqu’ils présument de discerner le S. Esprit par leurs sciences humainement acquises, tentant Dieu de les confirmer par des miracles ou autres signes extraordinaires. Ce qui cause qu’ils sont souvent abandonnés à l’esprit d’erreur, lequel règne, voire abonde maintenant dans le monde, si que Jésus Christ l’a prédit parlant des derniers temps, que faux Christs et faux Prophètes s’élèveront, et feront grands signes et miracles [290]. Les Prophètes de l’Ancien Testament ont assez prophétisé tout ce qui doit arriver jusqu’à la fin du monde, sans qu’il faille être curieux des nouvelles Prophéties ; et les Apôtres avec leurs Disciples ont assez fait de miracles pour confirmer notre Foi. Elle est si avérée que les hérétiques mêmes disent qu’elle est bonne. Pourquoi faudrait-il des miracles maintenant pour juger si une âme a l’Esprit de Dieu ou non, vu qu’iceux n’apportent nulle perfection à l’âme qui les produits et que personne, croyant à l’Évangile, ne peut douter de la Foi ?

4. Ce serait tenter Dieu de les désirer ou demander, et curiosité ou perte de temps de les éplucher. Car si quelque âme est véritablement possédée du S. Esprit, il se découvre assez par ses opérations, ne pouvant jamais demeurer oisif au lieu où il réside. Il y produit toujours ses fruits et y apporte infailliblement ses dons. Par où l’on peut véritablement connaître que c’est lui. Quoiqu’il soit esprit invisible, il se voit et comprend sensiblement par les œuvres visibles, et se comprend par les opérations qu’il fait dans l’âme et l’entendement de celui qui le possède. Ce qu’on peut assez clairement voir, dans la conversation de la personne qui dit en être possédée. Il faut qu’elle soit charitable, joyeuse, paisible, patiente, persévérante, bonne, bénigne, débonnaire, fidèle, modeste, continente, et chaste [291].

5. Voilà les douze fruits que produit le S. Esprit infailliblement dans la personne qu’il anime, et ne peut non plus dominer en icelle sans cette production, que le Soleil ne peut être sans produire ses lumières sur la terre, laquelle sent sa chaleur et voit sa clarté quoiqu’elle ne comprenne l’être de cet astre ; de même quoique le S. Esprit soit Dieu incompréhensible, néanmoins il se peut connaître par la production des susdits fruits, sans qu’il le faille chercher dans des miracles, ou douter qu’il ne soit pas dans l’âme qui est ornée de ces fruits, lesquels sont miraculeux, pour être contraires à la corruption de notre nature. Car l’Amour de Dieu, qui est charité, répugne à l’Amour de nous-mêmes, et qui s’aime soi-même hors de Dieu, n’aime pas Dieu.

6. Nous pouvons bien aimer Dieu pour nous-mêmes ; car l’instinct de notre nature se porte toujours à aimer tout ce qui est beau et bon. Ce n’est donc pas Charité d’aimer Dieu de cette sorte, ni aussi un fruit du S. Esprit, mais une sensualité nôtre, si que peuvent être les onze autres fruits, comme, la joie peut être naturelle ou accidentelle, causée par quelque accident prospère ou joyeux, laquelle n’est nullement un fruit du S. Esprit ; non plus que la paix, qui provient d’un repos, n’étant choqués ni attaqués de personne ; comme la patience qui n’est pas exercée est facile à tromper. Il y a aussi des personnes qui ont la longanimité de leur nature, tardives ou négligentes ; ceux-là n’ont pas le fruit du S. Esprit, non plus que les bontés naturelles, qui cèdent aussi bien au mal qu’à la vertu ; ou la bénignité qui ne veut choquer personne, voire la débonnaireté qui ne s’oppose point au mal, voulant tout prendre débonnairement ; la foi qui ne croit que les choses qu’on voit n’est pas fruit du S. Esprit, et qui demande des miracles n’a qu’une foi humaine ; comme est aussi la modestie qui s’observe pour le regard des hommes, et la continence et chasteté qui se maintient et contient pour autre considération que celle d’agréer d’avantage à Dieu.

7. Toutes ces vertus ne sont que morales ; quoiqu’elles portent le même nom que les fruits du S. Esprit. Elles sont vaines, ne regardant que le temps présent qui passe en un moment. Malavisé est celui qui emploie son étude à se rendre parfait au jugement des hommes, parce que l’Apôtre dit que celui qui cherche de plaire aux hommes n’est pas serviteur de Jésus Christ [292]. L’on se trompe soi-même en croyant être tels qu’iceux nous jugent, et l’on trompe aussi les autres qui prennent nos perfections humaines pour divines. J’ai connu diverses personnes qui parlaient de Dieu et de la Vertu comme des Séraphins, et avaient aussi dans leur maintien des façons très honnêtes qui ressemblaient à la vraie vertu. Cependant dans la pratique, ils en étaient fort éloignés, et capables de tromper les plus clairvoyants en la nature, parce que tout ce qui est de nature n’est pas de grâce, et icelle grâce ne se discerne que par la même grâce.

8. Les hommes qui ne possèdent point le S. Esprit ne peuvent reconnaître s’il habite dans un autre sinon par la sapience du même Esprit, qui se donne à connaître par les Écritures saintes, hors desquelles il n’y a que ténèbres et ignorances. Si l’on veut découvrir lorsqu’une âme possède en soi la Charité, il ne faut qu’examiner si ses œuvres sont accompagnées des conditions d’icelle charité, comme S. Paul les décrit dans la lettre qu’il adresse aux Corinthiens. Là il déduit tout par le menu toutes les qualités de la charité [293], ajoutant qu’il la faut absolument avoir pour être sauvés, méprisant sans icelle toutes sortes de bonnes œuvres, jusqu’à donner tout son bien à la nourriture des pauvres et son corps pour être brûlé, voire qu’on aurait le don de prophétie, que tout cela ne serait rien sans la Charité, encore bien qu’on parlerait le langage des Anges.

9. Par où se voit qu’il est bien difficile à discerner le S. Esprit par l’esprit humain, et que ce n’est pas de merveille si tant de personnes doctes ont été trompées en ce fait lorsqu’ils affectaient de voir des miracles ou signes extérieurs pour preuves de la vraie charité. Ils se mettaient en péril d’être trompés par le Diable, lequel a à présent un puissant domaine sur les hommes. Ce qui me fait croire que la plupart des âmes qui se font paraître saintes sont animées par ces esprits immondes, lesquels abondent en signes extérieurs afin de se faire honorer dans leurs adhérents, opérant en iceux des merveilles, et parlant le langage du ciel (d’où ils sont déchus) afin que tout le monde les admire et suive.

10. Les extases et ravissements leur sont à la main, et les prophéties connues par leurs subtiles conjectures. Les souffrances et macérations de corps leur sont fort supportables, n’y ayant rien de plus aisé au Diable que de rendre ses sorcières insensibles de corps. Ce que les Juges de semblables personnes ont assez expérimenté, pour les avoir vus dormir et sans sentiment sur les tortures bien atroces. En sorte que ni signes, ni prophéties, ni don de langues, ni miracles tels qu’ils pourraient être ne sont capables de discerner l’Esprit de Dieu ; puisque toutes ces choses, et beaucoup d’autres, se peuvent faire par l’opération du Diable.

11. Ce que Dieu permet pour punir la présomption et curiosité des savants de notre temps, qui laissant les marques et règles que Dieu leur a données ès saintes lettres, préfèrent leurs sciences à celle du S. Esprit, qui si naïvement déclare les conditions de la charité, et les fruits que produit le dit Esprit dans l’âme qu’il possède. Il ne faut que remarquer les effets de ces fruits. Car pour des paroles, un chacun les peut proférer bonnes. Aucunes sectes même d’hérétiques disent qu’ils ont le S. Esprit, quoi que leurs œuvres démentent leur langage, étant déchus de la vraie Foi, qui est un don infus de Dieu dans notre âme, par lequel nous croyons ce que ne voyons des yeux et que n’entendons de notre entendement humain ; de quoi sont éloignés ces Hérétiques et autres personnes se disant animées du S. Esprit, lesquels effectivement ne possèdent iceux fruits, ressemblant aux arbres qu’on appellerait pommiers sans jamais produire des pommes.

12. C’est de celles-là que Jésus Christ dit que tout arbre qui ne porte pas des fruits sera coupé et jeté au feu [294]. Ces personnes qui n’ont que des dévotions extérieures, des vertus morales et bons discours étudiés, sont sans fruits, et par conséquent condamnées au feu d’Enfer, parce que sans la foi, personne ne sera sauvé, et toutes nos œuvres qui ne proviennent d’icelle foi sont mortes. Plusieurs disent ou croient avoir la Foi sans savoir ce qu’elle est, n’en portant aucune connaissance, l’appliquant souvent à quelques chimères fantastiques de notre entendement qui remplissent notre cœur de vent, et notre volonté de présomption de notre salut, croyant d’avoir la foi ; comme si elle ne consistait qu’en paroles, un chacun se contentant de dire Je crois, ou Credo, quoique par effet l’âme soit fort éloignée de la vraie foi. Car si l’on croyait en un Dieu, on l’aimerait ; et qu’il a créé toutes choses, on ne s’approprierait rien. Et si l’on croyait en Jésus Christ, qui étant fait homme a été pauvre, méprisé, et a souffert pour notre rachat les opprobres, injures, et douleurs, jusqu’à être pendu infâmement au bois, pourrait un tel croyant aimer les richesses, honneurs, les aises et plaisirs de cette vie, ne vouloir souffrir la moindre injure ou peine au corps et à l’esprit, et consumer toute sa vie à la recherche de son propre intérêt, si que font les Chrétiens d’aujourd’hui, voire les mieux intentionnés, qui s’assurent d’avoir la vraie foi ? Cela serait autant impossible comme d’écheler le Ciel ; au contraire, ils rougiraient de honte de se voir honorer, et tiendraient pour malheur les aises et prospérités de ce monde, les croyant si contraires et si éloignées du sentier que Jésus Christ a cheminé sur la terre. Et ainsi de tous les autres points de notre croyance. L’on ne voit plus de foi dans la vie des hommes de maintenant. Ce ne sont que paroles étudiées et discours peinturés, lesquels sont sans vie ; car la foi vive est toujours opérante.

13. C’est par icelle qu’on discerne l’esprit de Dieu, et nullement par des miracles ou signes matériels, sinon accidentellement, lorsqu’il est besoin de convertir à la foi quelque cœur endurci, qui ne sait voir la lumière de la grâce sinon par des objets palpables à ses sens. Il oblige quelques fois Dieu à l’attirer par choses visibles et naturelles, qui ne sont pas de foi, vu qu’icelle est un don spirituel que Dieu verse en notre âme, par lequel nous voyons et connaissons les choses divines qui sont au dessus de la nature ; point que l’entendement humain puisse voir ou comprendre Dieu, mais bien ses opérations sur les hommes ; et à mesure qu’icelle foi est vive, si est clair-voyante cette lumière que la Foi produit en l’âme. De là vient qu’aucunes voient les plus secrètes pensées du cœur des autres ; point par conjectures naturelles ou inventions de magie, mais par la vivacité de leur foi, qui pénètre jusqu’à la Sapience de Dieu, et est un don surnaturel que Dieu infuse dans, les âmes, par lequel il se fait voir et connaître, si que fait le Soleil par sa clarté et chaleur. Nul ne peut comprendre son être, mais bien ses opérations. De là vient qu’on voit dans un autre si sa foi est vive par l’opération des solides vertus qui dominent en lui. J’appelle solides les vertus divines, qui sont surnaturelles, parce que les vertus morales ne proviennent pas de la foi, mais de quelques dons naturels, si qu’ont eu plusieurs Païens, qui avec leur entendement humain ont compris en certaine façon les choses divines ; lesquels Païens s’élèveront au jour du jugement à l’encontre des Chrétiens, qui avec la grâce de la foi ont moins reconnu Dieu qu’iceux, qui ne l’ont reçue.

14. Tous Chrétiens ont reçu le don de la Foi par grâce spéciale ; cependant quel petit nombre d’iceux produisent les œuvres de leur foi ? Il semble qu’elle soit partout étouffée avant que de pousser aucun fruit, puisque l’on voit aujourd’hui les hommes agir en toutes leurs actions autant naturellement que les bêtes. Et si leur raison les surpasse, ils ne l’appliquent qu’à raisonner sur les choses naturelles, mais pas à connaître Dieu, pourquoi seulement l’entendement leur a été donné, afin que cette raison et entendement humain secondât ce don spirituel de la foi, et que leur croyance naturelle aidât la lumière de la Foi, si que fit la croyance de la Cananée, ajoutant des forces au don de la Foi qu’elle reçut en voyant Jésus Christ. Ce don lui fut versé en l’âme, qu’elle crut qu’il était Dieu. Ce qu’elle ne pouvait croire naturellement, puisque ses sens ne voyaient qu’un homme naturel marchant et parlant comme tous les autres, n’y ayant extérieurement rien de divin. Il fallait de nécessité qu’elle reçût en son âme ce don de la foi, mais pour rendre cette foi opérante, elle y ajoute la croyance naturelle, laquelle lui fait [295] chercher et poursuivre Jésus Christ, prier et crier pour obtenir sa grâce ; elle s’humilie s’estimant une chienne ; elle persévère étant déchassée et reboutée, jusqu’à ce qu’elle eût obtenu sa demande. Combien peu de Chrétiens font le semblable après que Dieu a infus dans leurs âmes le don de la Foi ? Ils voient bien les choses divines, mais ne les suivent pas, estimant plus les choses créées que le Créateur d’icelles. Ils croient pour un temps [296], désistent au premier rebut ou tentation. Leur foi s’amortit au temps de souffrance, ou de contradiction de leur nature. Plusieurs, à moi bien connus, ont reçu de Dieu l’augmentation de leur foi par des privilèges tout-particuliers, et pour n’avoir point demeuré en icelle sont déçus par Satan, et sont retournés puiser de la science des hommes, au mépris de cette divine lumière de la foi, qui s’offrait si libéralement.

15. De là vient que Dieu les abandonnera à l’esprit d’erreur, parce qu’ils n’ont voulu demeurer dans la lumière [297], aimant mieux chercher des signes extérieurs que la vivacité de la foi, laquelle est toute simple, juste et efficace, bien contraire aux subtilités de la science des hommes, qui ne met rien dans les âmes que du vent d’amusement, leur faisant rechercher l’Esprit de Dieu dans des choses où le Diable se peut mélanger facilement, lequel les trompe à leur confusion, parce qu’ils s’arrêtent au jugement des hommes plus qu’à la foi efficace. Si l’on veut bien remarquer la tromperie de toutes les personnes qui ont voulu paraître saintes ; elles ont toutes été louées et approuvées des hommes. Ce qui est une marque directement contraire à l’Esprit de Dieu, par divers témoignages de l’Écriture Sainte ; car Jésus Christ dit : Si vous êtes du monde, le monde vous aimera. Et si vous êtes de Dieu, le monde vous haïra [298] ; et ailleurs : Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a eu en haine premier que vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui ferait sien, mais pour ce que je vous ai tirés monde, le monde vous hait [299].

16. Comment donc veut-on approuver l’Esprit de Dieu par l’estime et l’approbation des hommes qui composent le monde, voyant par expérience que tant de Théologiens, d’Évêques, Cardinaux, ont été trompés au discernement de cet Esprit Divin, touchant ceux qui étaient jugés tels par les pieux et dévots personnages, l’autorité desquels a porté la croyance dans l’esprit des Rois et Empereurs de la terre, et fait que tout le monde a tenu pour saint ce qui était Diabolique et fausseté ? Cette expérience n’est-elle-pas suffisante pour ne plus vouloir tenter Dieu en demandant des miracles et des signes extraordinaires pour croire qu’une âme est possédée du S. Esprit ; puisque les marques d’icelle possession sont si particulièrement notées dans la S. Écriture, et que Jésus Christ même les déclare par les béatitudes qu’il a prêchées au peuple [300], afin que personne n’ignore quelles qualités doivent avoir les âmes qui ont le S. Esprit, lesquelles béatitudes sont en substance toutes conformes aux dons et fruits du S. Esprit, pour contenir en elles les mêmes vertus provenantes de la Foi Divine ? Que peut-on ou veut-on chercher de plus solide que les paroles de Jésus Christ, de l’Apôtre, et de la S. Église, notées dans les Catéchismes, pour discerner si une âme est possédée du S. Esprit ou non ?

17. Afin d’ajouter foi à ses paroles et les suivre, il faut premièrement voir si ce qu’elle dit est conforme à l’Écriture sainte. Car le S. Esprit est partout Uniforme. Il a inspiré les Propriétés de l’ancienne Loi, et depuis, les Apôtres et disciples de Jésus Christ, comme il fait encore aucunes âmes vivantes à présent sur la terre. Toutes ces inspirations doivent être conformes en substance si elles procèdent d’un même Esprit Saint, les Prophètes anciens comme les Apôtres et disciples, et iceux comme les bien-vivants d’à présent ; tout n’étant qu’une même Doctrine et même Esprit dans quoi ne peut jamais avoir de tromperies, parce que l’Esprit de Dieu est immuable, toujours conforme à soi-même, et personne ne peut jamais manquer à suivre ce qui est conforme à l’Évangile ; quoi qu’il serait avancé par une personne méchante, voire par le Diable même. L’on ne peut jamais errer en croyant et suivant ce qui est conforme à l’Évangile, n’ayant besoin d’autres preuves et miracles pour ajouter foi à des choses si solides et avérées, nécessaires à tous ceux qui veulent être sauvés. Car celui qui nie l’Évangile est hérétique, et celui qui ne conforme pas la vie à icelui est un Chrétien de paille, propre à être jeté au feu.

18. Mais si quelqu’un avançait quelque chose de particulier regardant le salut ou la damnation de quelqu’un, il faut voir d’où provient cette science. Si elle l’a par lumière du S. Esprit, il la faut croire comme la S. Écriture ; ou autrement l’on se met en péril d’être abandonné de Dieu, pour avoir méprisé les admonitions qu’il fait souvent par quelques-uns de ses amis desquels il se sert pour déclarer ses volontés à ceux qui ne l’écoutaient pas si particulièrement, si qu’il fit à David par le Prophète Nathan pour lui déclarer son péché qui lui était devenu insensible [301], et tant d’autres qu’il a retirés du chemin de l’Enfer par l’admonition de quelques âmes par lui illuminées ; ainsi qu’il fait encore quelques fois à présent. Ce qui est une faveur extraordinaire, que doit fort estimer celui à qui elle arrive. Si quelqu’un de la part de Dieu vous dit que votre vie n’est pas celle d’un vrai Chrétien, il la faut écouter comme si Dieu même vous le disait ; car il ne descendra pas lui-même du Ciel corporellement pour vous venir parler intelligiblement, mais il vous parle par l’organe de cette personne pour vous illuminer, comme il parla jadis aux habitants de Ninive par l’organe de Jonas ; car s’ils n’eussent pas écouté le Prophète et fait pénitence par son admonition ou avertissement, ils eussent assurément tous été submergés, comme a été tant de monde pour n’avoir voulu croire à la parole de Noé qui prédisait le déluge universel de tout le monde. L’on vit par expérience que tous ceux qui ont méprisé sa parole sont péris misérablement.

19. Voilà ainsi que Dieu punit ceux qui méprisent les admonitions qu’il nous fait par le ministère de ses fidèles serviteurs, étant d’iceux qu’il dit : Qui vous écoute, il m’écoute [302], et avec raison ; car celui qui adhère à Jésus Christ est un même esprit avec lui [303] ; partant, celui qui le méprise, méprise Jésus Christ qui habite en lui ; d’autant qu’ils ne sont plus qu’une même chose. C’est pourquoi il dit aussi d’une telle âme : Qui vous touche, il touche la prunelle de mes yeux [304] ; pour montrer combien lui est sensible le mépris ou injure qu’on fait à une créature qui lui est consacrée. Il la vengera plus que tout ce qu’on a fait à sa propre personne, particulièrement lorsqu’il la veut employer pour déclarer ses volontés aux autres. On la doit estimer comme l’Oracle de Dieu, parce qu’il leur parle par icelle, voire la prier comme firent les Enfants d’Israël Moïse afin qu’il parlât et non pas le Seigneur [305], puisque leurs âmes ne sont pas disposées pour parler au Seigneur, et tenir pour le plus grand bonheur du monde de pouvoir entendre la volonté de Dieu par une créature palpable à leurs sens, se gardant bien de la rejeter ou mépriser, de crainte que Dieu ne retire ses moyens, et qu’ils ne puissent jamais arriver à leur fin.

20. Quelles menaces ne fait point Dieu sur Jérusalem, qui tue ses Prophètes et lapide ceux qui lui sont envoyés [306] ? Sans doute qu’il les vengera, ou il ne serait pas juste. Ne dit-il pas à ses Apôtres qu’au lieu où ils ne seront reçus, qu’ils en sortent, et secouent la poudre de leurs pieds [307], parce que malheur arrivera sur ce lieu là. Et ailleurs il dit : Qui vous reçoit, il me reçoit, et reçoit celui qui m’a envoyé [308], parce que nous ne sommes qu’une même chose, selon la promesse qu’il fait à celui qui l’aime disant : Nous viendrons à lui, et ferons notre demeure chez lui [309] ? C’est de quoi l’Apôtre disait : Je ne vis plus, moi, mais Jésus Christ vit en moi [310] ; pour montrer comment Dieu s’empare d’une âme afin de déclarer ses volontés aux autres.

21. Il l’anime en sorte qu’elle ne se meut non plus que si elle était morte, mais Dieu seul vit en elle, et déclare ses secrets par elle, si qu’il a fait depuis le commencement du monde, ayant toujours parlé visiblement au peuple par l’organe de ses Serviteurs Prophètes, comme il fait encore à présent plus clairement que jamais, pour plus approcher la plénitude du temps. Toute l’Écriture n’est composée d’autre chose sinon de ce que Dieu a révélé à ses amis ou prononcé lui-même étant fait homme, et nuls Chrétiens ne croient que l’Écriture puisse errer.

22. Comment oserait-on croire qu’une personne envoyée de Dieu, dans laquelle le S. Esprit habite, ne dirait la vérité, en ce particulièrement qui regarde le bien et le salut des autres ? Car un vrai Prophète ne se cherche jamais soi-même, ne désire d’agréer aux hommes, ne prétend que de satisfaire à la volonté de Dieu quoique cette satisfaction lui dût coûter la vie. Il parle de sa commission sans crainte ni égard à personne. Il n’a point de paroles douces qui flattent les oreilles, mais des rudes, qui pénètrent les cœurs. Il déclare les vérités qui reprennent les hommes plus volontiers que celles qui les louent.

23. Un vrai Prophète s’éjouit plus d’être haï du monde que d’en être aimé, parce qu’il se voit alors plus conforme à son Maître, qui en bienfaisant était haï et persécuté des hommes ; puisqu’il dit : Ils m’ont eu en haine sans cause [311], et qu’il est aussi écrit : Il est pour marque à laquelle on contredira [312]. Si les contradictions sont les marques pour connaître le Fils de Dieu, quelle plus grande assurance peut-on avoir d’un vrai Prophète que la contradiction ? Il n’y a rien de plus assuré que les mépris et contradictions des hommes pour discerner le vrai Prophète d’arrière du faux. Car la fausseté, elle est toujours flatteuse, et par conséquent toujours aimée du peuple, qui est volontiers flatté. Il ne faut que parler bien d’iceux pour être estimé bon ; pour cela les Prophètes du passé, qui étaient faux, criaient tous : Paix et assurance [313], lors mêmes que les malheurs étaient bien voisins.

24. Il en va aujourd’hui tout de même des sages du monde, qui persuadent le peuple qu’ils seront sauvés en la manière que l’on vit maintenant ; quoiqu’ils sachent bien que personne ne met en pratique la doctrine de Jésus Christ, ils prêchent néanmoins que Dieu est miséricordieux, qu’il connaît notre fragilité, qu’il ne faut que se confesser et gagner les indulgences pour aller en Paradis ; avec divers discours emmiellés : que Jésus Christ est mort pour nous, que la Vierge sa Mère est pleine de miséricorde, qu’il ne faut qu’honorer son Image ou lui porter quelques autres dévotions pour être sauvés. Ce sont tous faux Prophètes, qui prédisent notre salut assuré lorsque notre damnation est certaine. Car celui qui n’aime pas Dieu de tout son cœur n’entrera jamais en Paradis, quoiqu’il se confesserait tous les jours, et qu’il gagnerait toutes les indulgences du monde ; il n’aura jamais pardon de ses péchés ni rémission de ses peines s’il ne quitte l’amour du péché pour recouvrer l’Amour de Dieu. Car jamais ne nous seront appliqués les mérites de la passion de Jésus Christ sinon par une parfaite contrition de nos péchés. Et la Vierge Marie ni les Saints ne procureront sa miséricorde si nous ne résolvons de mettre sa doctrine et ses enseignements en pratique.

25. Partant, ce sont toutes marques de faux Prophètes, qu’ils nous disent Paix et assurance dans notre misérable temps, où la main vengeresse de Dieu est élevée pour châtier notre lâcheté avec la tromperie des sages, qui aiment mieux laisser pourrir les plaies de nos péchés, que de les égratigner pour les guérir, aimant mieux nous mener aux enfers paisiblement, que de nous troubler en enseignant la vérité qui mène à salut. C’est par où l’on les reconnaît pour faux Prophètes, parce que les vrais ne parlent que des menaces de Dieu, du péril de cette vie, et de la puissance qu’a le Diable sur le genre humain. Il ne faut pas consulter les hommes pour avoir ce discernement. Notre conscience est assez témoin si ceux qui viennent de par Dieu nous flattent ou disent les choses qui chatouillent nos sens, lesquelles ne nous pourraient sinon affadir et rendre présomptueux de notre salut, en supposant qu’il serait véritable. Les belles promesses que nous feraient ces supposés illuminés, qui ne parlent que de paix et de repos en cette vie, laquelle n’a que des guerres continuelles et des périls évidents, où l’on doit toujours veiller et souffrir si l’on ne veut être vaincu de ses ennemis, et où le juste aura bien du mal à se sauver [314]. Ces paroles rudes sont véritables, mais les douces sont trompeuses et fausses.

 

En Janvier. 1667.

 

 

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CHAPITRE II.

 

La suite du Discernement des Esprits, avec les marques du vrai Esprit de Dieu, qui consistent dans la possession des dons et fruits du S. Esprit et des huit béatitudes. Et qu’il faut avoir un œil simple pour le discerner, comme un petit Enfant, qui veut entrer au Royaume des Cieux ; avec les conditions dudit Enfant.

 

1. QUOIQUE la vérité qui reprend répugne à la nature, si est-elle profitable à l’âme qui a la résolution de se vouloir sauver. Elle franchit cette répugnance, et estime la vérité qui reprend plus que les douces paroles qui plaisent, parce qu’icelles n’incitent à pénitence, mais relâchent même au bien que nous pourrions posséder, lequel se doit connaître par les yeux clair-voyants de Dieu, et non par les personnes qui le possèdent, vu que cette connaissance ne les peut que flatter sans profit ; car le bien que nous avons demeurera bien, encore que ne le connaissions, voire se peut augmenter par notre ignorance, mais le mal qui est en nous s’accroît fortement lorsque l’ignorons. C’est pourquoi Dieu fait grande faveur à celui qui peut avoir connaissance de ses fautes, soit par lui-même, ou par quelqu’un de ses amis, étant à craindre que David même, qui était selon son cœur [315], fût mort sans pénitence s’il ne lui eût pas envoyé son Prophète Nathan [316].

2. Je souhaite fort que tous ceux à qui semblables advertances s’adressent, fissent la même pénitence ; car plusieurs qui vivent en repos, si qu’il faisait, sont bien éloignés de la grâce de Dieu, doivent bien prier d’entendre l’admonition par quelqu’un de ses serviteurs, afin qu’ensuite d’icelle ils puissent l’imiter en ses larmes si qu’ils ont fait en ses péchés. Tous ceux qui ne sont pas tombés en adultère naturel, comme lui, ne laissent pas d’être souvent plus grands pécheurs, parce que notre âme fait bien pire de se rendre infidèle à Dieu, qui est son légitime Époux, que le corps de l’homme ou de la femme qui commet infidélité à sa partie, qui n’est que son pareil, bien éloigné d’un Dieu avec sa créature. Combien y a-t-il de personnes maintenant lesquelles se plaisent fort à entendre parler de la bonté de Dieu, de l’Amour qu’il nous porte, ou bien des vertus ou piétés qui leur sont à gré ? mais si tôt qu’on reprend leurs défauts, ou choque ce qu’ils ont dans l’esprit ou la volonté, ils s’alarment et veulent tenir ces discours suspects, voire les contester ou impugner. Ce qui est une grande faute, qui se trouve parmi ceux qu’on appelle les plus gens de bien.

3. Le S. Esprit ne peut regarder ce qui leur plaît ou déplaît, mais ce qui est de la pure vérité, sans égard à personne ; ce qui est une preuve assurée lorsque cette vérité se déclare hardiment. Car c’est le propre d’un cœur poltron de celer la vérité par crainte. Lorsque vous entendrez des personnes s’étudier à parler selon vos intentions ou céder à vos inclinations, tenez-les pour suspectes. Car le S. Esprit n’est pas flatteur, et ne cherche d’agréer aux hommes, mais de les avertir de leurs devoirs. Il dira bien ce que vous avez qui plaît à Dieu, mais ajoutera ce qui lui déplaît, tenant toujours la droite vérité, sans gauchir pour la vie ou la mort. Qui l’entend, le doit estimer, et faire ce qu’il lui dira ; ne point tant regarder ce qui est dit que d’où vient ce qu’on dit ; et lorsqu’on a découvert sa source, il faut boire à longs traits, encore bien qu’ils sembleront quelques fois amers ; car nos sens dépravés goûtent souvent pour amer ce qui est très doux.

4. Et s’il restait quelque crainte que ce ne fût pas le S. Esprit qui parle par la personne qui se dit telle, il la faut éprouver, si elle possède ses douze fruits, ses sept dons, et les huit béatitudes, par lesquelles l’on verra vivre visiblement en elle le S. Esprit par ses opérations infailliblement, Car si vous voulez aller consulter les hommes sur ce fait, ils en sont autant ignorants comme vous êtes, et par conséquent si un aveugle conduit l’autre aveugle, tous deux tomberont en la fosse [317], dit Jésus Christ.

5. Il vaut mieux pratiquer cette personne et la considérer de bien près, remarquant si elle a en pratique la Charité, qui consiste en l’amour de Dieu et du prochain. Si elle aime Dieu, elle n’aime point soi-même. Si elle aime le prochain elle ne cherchera point son profit. Secondement il faut voir si elle ainsi possède la vraie joie, qui consiste en la paix et tranquillité de l’âme, qui ne s’altère pour nuls évènements adverses, se tenant toujours contente avec le témoignage de sa bonne conscience, sans s’alarmer des mépris, injures, ou calomnies quelconques. De plus, si elle est patiente, endurant volontiers les tribulations ; si elle est longanime, attendant avec repos tout ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner, sans empressement ; si elle est bonne, faisant bien à tous sans partialité ; si elle et bénigne, affable, compatiente, s’égalant à ses inférieurs, supportant les infirmes, qui sont toutes branches de la bénignité ; si elle a la débonnaireté, elle sera douce, affable accueillant autant le pauvre que le riche, avec humilité de cœur débonnaire ; si elle a la Foi, elle sera ferme et persévérante au bien, sans jamais décliner pour telles tentations ou persécutions qu’il arrive ; si elle a la modestie, elle sera tempérée en toutes ses actions, sans furie ou extravagance, même lorsqu’elle reçoit outrage ou dommage ; si elle est continente, on la verra se contentir en toutes rencontres, sans aucuns excès, se contenter de la pure nécessité, même ès choses bonnes ; si elle a enfin le don de Chasteté, qui est le douzième, elle sera sans convoitises aucunes, retenue en toutes sortes de sensualités, sobre en boire et manger, pudique en regard, fuyant le libertinage et conversations mondaines.

6. Tous ces douze fruits sont miraculeux, parce qu’ils sont contraires à la nature, et tout ce qui se fait surpassant les forces naturelles sont tous miracles, beaucoup plus approuvés qu’autres signes extraordinaires, par le témoignage de Jésus Christ même, qui a béatifié de sa propre bouche les âmes qui possèdent ces vertus. Et si nous sommes obligés de tenir pour saints ceux que le Pape sanctifie, combien plus fortement sommes-nous obligés de tenir tels ceux que Jésus Christ même a déclarés étant au monde, en ajoutant la récompense que posséderont ceux qui sont nommés dans les huit béatitudes ? Personne ne peut douter que ces âmes ne soient bienheureuses qui possèdent ces béatitudes, puisqu’elles sont béatifiées par Jésus Christ même comme Souverain Pontife.

7. Il les a canonisées publiquement devant tout le peuple qui le suivait, disant à haute-voix : Bienheureux sont les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le Royaume des Cieux [318] ; pour dire que celui qui ne désire les biens de la terre est béatifié, d’autant qu’il possède un don surnaturel qui est du S. Esprit ; car nos sens brutaux convoitent toujours ce qui leur semble beau et bon, et ne sont jamais soulés. Donc ceux qui sont libres des convoitises de la terre sont assurés d’avoir le Ciel en récompense ; il leur appartient. Il béatifie aussi les débonnaires, parce que celui qui a atteint cette vertu possède la charité du prochain. Il appelle aussi bien-heureux ceux qui pleurent, parce que ce monde n’est qu’une vallée de larmes pour les amis de Dieu, et que les ris et recréations n’appartiennent qu’aux mondains, qui en cherchant leurs plaisirs perdent la vraie consolation de leurs âmes. Il appelle aussi bien-heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, promettant de les rassasier ; pour montrer que celui qui cherche et souhaite de devenir juste est béatifié par la promesse que Jésus Christ leur fait de rassasier leurs désirs s’ils sont vraiment véritables ; car de dire qu’on ne sait trouver la justice en la cherchant, c’est vouloir rendre Jésus Christ menteur en sa promesse de les rassasier. Les miséricordieux sont aussi béatifiés, parce que c’est le propre de Dieu de faire justice, et celui qui fait miséricorde à son prochain, la même lui sera faite de Dieu infailliblement. Il appelle bien-heureux ceux qui sont nets et purs de cœur, leur promettant de voir Dieu, et avec raison ; car celui qui garde son âme nette et pure des souillures de cette vie est un même Esprit avec Dieu. Il le voit et le conversé spirituellement. Il appelle les paisibles aussi bien-heureux, parce que celui qui sait bien demeurer en paix sur la terre peut bien être appelé Enfant de Dieu. Et finalement il appelle bien-heureux ceux qui endurent persécution pour la justice, parce que personne ne peut endurer des persécutions pour ses bienfaits avec patience, sans cette grâce du S. Esprit ; d’autant qu’il n’est pas naturel d’endurer volontiers à tort.

8. Il faut que celui qui possède cesdites béatitudes soit écouté et suivi, parce qu’il est de Dieu, et sa vie est toute miraculeuse, profitable à soi et utile au prochain. Car une telle âme ne peut être sans posséder aussi les sept dons du S. Esprit [319], qui regardent la plus-part l’utilité du prochain. Le don de Sapience, qui est le premier, fait qu’elle entend et comprend les choses spirituelles qui regardent Dieu, et connaît la fragilité et courte durée de tout ce qui est créé, estimant et suivant l’un, et méprisant l’autre par le véritable discernement provenant de ce don de Sapience, qui se manifeste par les effets de l’estime des choses célestes, et le mépris des périssables. Le don d’Entendement est une qualité spirituelle provenant de la Foi, par où l’on reçoit l’intelligence des choses divines et surnaturelles. Ce que Jésus Christ déclara à S. Pierre lorsqu’il l’eut confessé Fils de Dieu, lui disant. Ce n’est pas la chair et le sang qui te l’a révélé [320], parce que notre esprit brutal ne peut rien entendre que les choses visibles et matérielles, et celui qui a intelligence des choses divines, a assurément le don du S. Esprit qui est Intelligence.

9. Le don de Conseil est autant profitable au prochain qu’à celui qui le possède ; car après avoir bien considéré ce qui est utile à faire pour la gloire de Dieu, nous le proposons aussi aux autres, parce qu’il leur serait difficile d’avoir cette connaissance sans ce don du S. Esprit, ou bien sans le conseil de celui qui a reçu ce don ; et par conséquent ils ne feraient jamais rien qui leur fût difficile pour la gloire de Dieu sans ce don de Conseil, qui est nécessaire à notre salut. Le don de Force paraît assez dans la personne qui le possède, lorsqu’elle entreprend toutes choses difficiles pour la gloire de Dieu avec hardiesse, sans crainte des hommes, supportant fortement les travaux et adversités pour parvenir à la vie éternelle, résistant constamment au mal, et soutenant de vive-force la Vérité en tout lieu où elle se trouve. C’est un don surnaturel, parce que la mollesse de notre entendement penche toujours à céder aux hommes, signamment les puissants, de qui l’on pourrait attendre des souffrances ou persécutions, que la nature abhorre, comme aussi l’entreprise des choses difficiles.

10. Le don de Science est aussi une grâce donnée de Dieu pour juger sagement de toutes choses créées, afin d’en bien user à la gloire de Dieu, et marcher droiturièrement avec le prochain, sans endommager personne, ayant le savoir de bien ordonner de tout en saison selon le vouloir de Dieu. Le don de Piété est aussi reçu pour honorer Dieu et les Saints, leur portant amour et respect, comme à tout ce qui est bon et pieux, ayant affection à tout ce qui nous donne de la piété. Le don de la Crainte de Dieu est donné pour le commencement de toute vertu. Car celui qui ne craint pas Dieu ne le peut aimer, l’Amour étant inséparable de la crainte ; car ce qu’on aime, l’on craint toujours de l’offenser. Qui craint Dieu ne fera pas mal, craindra aussi le prochain pour l’amour de Dieu, afin de ne pas donner d’occasion qui l’offense. Cette crainte donnée du S. Esprit n’est pas servile, mais purement amoureuse, et ne s’arrête pas à craindre Dieu comme esclave, mais passe à l’amour d’une Épouse. Pour cela est-elle le commencement de toute vertu, et pas la fin ; d’autant que l’amour en perfection surmonte la crainte [321], mais la vraie crainte engendre l’amour [322]. Celui qui a ce don est bien loin des doutes et scrupules des craintes de l’Enfer ou de la damnation, parce que tout cela ne provient que d’amour propre, et ne regarde point Dieu, n’étant qu’une crainte humaine, et non pas divine, qui toutefois est une préparation à la crainte de Dieu, moyennant ne se pas arrêter à ces moyens. L’on peut bien craindre Dieu de peur de l’Enfer comme le premier pas de la Vertu, parce que cette crainte nous faisant abstenir du mal, nous prépare en certaine façon au bien, et dispose notre âme à recevoir le don du S. Esprit, qui se communique toujours à ceux qui s’abstiennent de mal et désirent la Vertu ; cette crainte servile étant le vrai moyen pour obtenir la vraie crainte de Dieu, dépendante de son Amour.

11. Ces sept dons ont toujours leur opération dans la personne qui possède le S. Esprit ; car il ne peut habiter nulle-part sans iceux, non plus que le Soleil ne peut être sans lumière. Partant, c’est en vain de chercher autres signes et miracles pour discerner cet Esprit ; puisque ceux là seuls sont les véritables, et qu’aussi ne se peut retrouver que naturellement une personne ait ces qualités, parce que notre nature n’a que l’ignorance ès choses divines, n’entend et ne comprend que ce qu’elle voit ou entend des autres ; est peu avisée en ses comportements ; n’a pas de force pour entreprendre des choses difficiles qui ne lui donnent de l’avantage, non plus que pour résister à ses inclinations sensuelles. Si la seule gloire de Dieu requérait la personne à faire ou entreprendre quelque chose contre ses inclinations, ou répugnante à ses sens, elle ne le ferait jamais à moins d’avoir ce don de force, qui résiste au mal, et fait le bien. Quel naturel a la sapience de diriger tout à la gloire de Dieu et à la raison ? Le propre intérêt le regarde, et la raison est souvent suffoquée par les passions vicieuses. Enfin, la piété se pratique autant que notre inclination s’y porte, faisant bien seulement à ceux que nous aimons, et ne craignant Dieu qu’à cause de son Enfer. Voilà toutes les conditions d’une personne qui agit naturellement.

12. Par où l’on peut assez reconnaître si elle est animée du S. Esprit, ou du Diable, ou de la Nature, par l’opération de ses œuvres. Il ne faut que la considérer d’un œil simple avec la pure intention de découvrir la vérité, sans curiosité ou affectation, et alors l’on ne peut être trompé ; par ce que Dieu promet que si notre œil est simple, notre corps sera lumineux, et s’il est mauvais, il sera ténébreux [323] ; pour montrer que les fins et subtils esprits sont en ténèbres des choses divines, autant dans eux-mêmes comme au regard des autres, qui sont signifiés par le corps. Car encore bien qu’une âme n’ait en soi le S. Esprit, elle aura bien l’entendement illuminé pour le découvrir dans les autres, moyennant les regarder d’un œil simple, sans feintise, ou surprise, mais dans la simplicité d’un Enfant, si que Jésus Christ dit qu’il faut être pour arriver au Royaume des Cieux.

 

De l’Enfance Chrétienne.

 

13. Un Enfant n’a rien de propre en sa nature, ne sachant rien faire sans assistance d’autrui sinon pleurer et quitter les excréments hors de son corps ; tout le reste lui est enseigné.

1. Il faut l’apprendre à manger ; car s’il le faisait de soi même, il mangerait de la terre, et toute autre ordure qu’il pourrait toucher, lesquelles lui seraient grandement nuisibles.

2. Il faut l’apprendre à marcher ; car s’il marchait de soi-même il tomberait au premier mouvement de son Corps, et se blesserait la tête.

3. Il faut l’apprendre à parler ; car s’il parlait de soi-même, il ne se pourrait faire entendre, et ne profiterait aux autres.

4. Il faut l’apprendre à travailler ; ou autrement il gâterait tout l’ouvrage qu’il ferait.

5. Il faut enfin l’apprendre à bien régir et gouverner sa mémoire, son entendement, et toutes les facultés de son âme ; ou autrement, toutes ses passions vicieuses le rendront insolent, insupportable à soi-même, et aux autres. Voilà toutes les conditions naturelles d’un Enfant, communes à tous les enfants d’Adam, lesquelles se doivent retrouver spirituellement dans celui qui veut entrer en Paradis. Puisque Jésus Christ dit que si l’on n’est converti et fait comme un petit enfant, qu’on n’entrera pas au Royaume des cieux.

14. Celui qui désire d’y entrer doit tout premier connaître qu’il lui est plus propre de pleurer ses péchés que de prêcher les autres ; car que servira-t-il à l’homme qu’il gagne tout le monde, et qu’il fasse perte de son âme ? Il doit aussi jeter de son âme toutes les affections de la terre, vomissant toutes les sensualités de son corps comme les ordures et excréments de son âme. Ces deux choses sont avant tout nécessaires pour se convertir à Dieu, et devenir son vrai enfant par grâce, lesquelles défaillant, nulles âmes ne peuvent être disposées à recevoir les conditions que Dieu requiert en celui qui se convertit à lui.

15. Après qu’il aura jeté hors de son âme toutes les affections et prétentions des choses de la terre, et regretté et pleuré sa vie passée, il doit alors apprendre à manger. Car s’il ne reçoit la Nourriture de son âme, elle dessécherait et mourrait à la fin. La viande de l’âme avec quoi elle se doit entretenir, c’est l’Écriture, qui contient tout ce que Dieu a révélé à ses amis pour servir d’aliment à tous ceux qui veulent devenir ses enfants, étant venu lui même en terre pour les allaiter de cette sainte Doctrine, hors de laquelle il n’y a point de salut. Car si l’on veut manger les doctrines des hommes, et prendre çà et là des sentiments forains, ce n’est que manger des ordures de la terre, qui ne nous peuvent maintenir dans la foi que Dieu a infuse dans notre âme.

16. Il faut recouvrer notre nourriture de notre Père céleste, qui sait ce qui nous est propre, et ne manquera pas de nous donner la nourriture en temps si nous voulons seulement ouvrir la bouche [324] par l’oraison, il la remplira aussi tôt des dons de la foi, et de la charité, lesquels ne pouvons jamais obtenir dans toutes les sciences et études du monde, parce que sont dons qui viennent immédiatement de notre Père céleste, et pas par notre savoir, ou industrie, lesquels sont des empêchements pour être son vrai enfant, et ne pouvons jamais savoir ses secrets, si nous ne voulons ignorer toute autre chose. Il faut donc apprendre à manger sans prendre à manger de notre propre force ou industrie, parce que pensant prendre quelque bon aliment nous mangerions ce qui nous serait nuisible, et remplirions notre âme de vaines spéculations sans fruits. Ce qui arrive aux plus élevés dans la contemplation des choses divines, lesquels croient avoir trouvé Dieu lorsqu’ils sont dans des belles conceptions, et entendent ce que les saints ont dit ou fait. Et moi je crois qu’on ne sera jamais enfant de Dieu, si qu’il requiert, sinon lorsqu’on sera vide de toute image pour se laisser remplir de ce que Dieu donne.

17. Secondement, l’enfant doit apprendre à marcher, c’est à dire, que l’âme qui est enfant de Dieu ne doit marcher de soi-même, mais aller où Dieu la conduit, quand et comme il lui plaît, plusieurs font des lourdes chutes qui se poussent en des états ou dignités (quoique bonnes) sans y être conduits de Dieu. Les autres marchent par des austérités ou dévotions particulières, ou pieuses entreprises, et même en des choses fort pénibles, èsquelles ils se montrent patients ; mais où il leur arrive quelque tribulation envoyée de Dieu à l’improviste, ils se lamentent, et murmurent en se voyant privés de leurs pieux exercices ordinaires, ou dévotions à leur mode. Tous ceux-là ne sont pas enfants, mais des grandes personnes, qui veulent marcher d’eux-mêmes. Car celui qui est enfant de Dieu ne veut avancer un pas sinon où son Père le conduit, ne s’attachant à rien qu’à ce qu’il lui plaît ; souffre indifféremment tout ce qui lui arrive, encore bien qu’il lui viendrait du Diable même ; il est toujours content et soumis. La troisième condition de l’enfant, c’est qu’il doit apprendre à parler. L’Enfant de Dieu doit croire qu’il ne sait rien dire de bon s’il ne l’apprend de son Père, et qu’il se doit toujours faire de tout ce qui ne profite point aux autres. Les personnes qui se plaisent à des beaux discours sont grands et parlent souvent mal, et personne ne les entend à salut. Car ils sont comme des airains qui résonnent [325], puisque Jésus Christ dit qu’il ne faut parler ce qui ne profite point [326]. C’est l’apprentissage de notre Père, le quel S. Paul a assez bien retenu, puisqu’il dit à ses disciples qu’il ne vient pas avec éloquentes paroles [327].

18. La quatrième condition, c’est d’apprendre à travailler. L’enfant de Dieu ne travaille pour acquérir les biens et honneurs de ce monde, mais il travaille pour acquérir ceux qui sont permanents, selon l’avis de Jésus Christ, qui dit : Travaillez, non pas pour acquérir des trésors en la terre, où la ligne ou rouillure gâte, et les larrons percent et dérobent, mais amassez des trésors pour le ciel [328], etc. Voilà à quoi travaillent les vrais enfants de Dieu ; et c’est ce que leur Père leur apprend. Les autres ne travaillent que pour la corruption, et gâtent ce qu’ils font.

19. La cinquième. Il faut apprendre à l’enfant à bien régir son entendement, et toutes les facultés de son âme. Si l’enfant de Dieu n’a soumis toutes ses passions à son Père, il ne lui sera agréable, car notre instinct naturel s’incline toujours aux vices. Il apprend de son Père qu’il doit renoncer à soi-même. Celui qui ne porte toutes ses passions en sa puissance ne peut être enfant de Dieu, mais est à charge à soi même et aux autres.

20. Voilà toutes les conditions que doit avoir celui qui se veut convertir pour aller en Paradis. Il n’y entrera pas selon le dire de Jésus Christ, sans avoir toutes les conditions d’un petit enfant, qui se laisse en tout conduire par son père, n’étant capable de rien faire de soi même. Ceux qui croient que c’est assez de s’abstenir de malfaire sont bien loin de l’intelligence des paroles de notre Sauveur ; puisqu’il spécifie un petit enfant, lequel n’est encore capable d’aucun mal. S’il entendait suffire de s’abstenir seulement du mal pour être converti et fait comme petits enfants, il ne ferait un petit enfant ne se peut convertir en n’ayant jamais fait de mal, pour n’en avoir été capable, si que sont les grands hommes qui se doivent convertir, et se soumettre à toutes les volontés de Dieu, comme le petit enfant se soumet à la volonté de sa Nourrice, lequel se laisse régir et gouverner, lier et délier, coucher et lever, mangeant et buvant seulement ce qu’il lui plaît, sans faire autre effort pour obtenir ce qu’il demande sinon pleurer et témoigner l’affection qu’il lui porte.

 

Le mois de Février.

    1667.

 

 

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CHAPITRE III.

 

Poursuite qu’il faut devenir Enfant de Dieu. Des qualités d’icelui correspondantes à l’enfant naturel. Que nous appartenons tous à Dieu. Quelle sottise de suivre nos désirs et volontés. Exhortation de nous abandonner à Dieu et nous convertir comme S. Paul, en demandant : Seigneur que voulez-vous que je fasse ?

 

 Ô Hommelet et petit vermission de la terre ! quelle répugnance pouvez-vous avoir de vous laisser régir et gouverner par Votre Père céleste, qui est celui qui vous a créé et celui qui vous maintient, et celui seul qui vous peut sauver ? N’étiez-vous pas un néant lorsqu’il vous créa ? Et s’il ne vous soutenait, ne seriez-vous pas réduit au même néant ? Et si lui ne vous sauve, y a-t-il puissance créée qui vous puisse sauver ? N’a-t-il pas aussi toute la sagesse divine pour vous régir, et le même amour pour vous solliciter ? Que craignez-vous d’être régis par un tel Maître ? Croyez-vous que l’imbécillité de Votre nature a plus d’adresse pour cette gouverne que votre Créateur, votre Sauveur, et votre Juge ? Ne voyez-vous pas que toutes les puissances des hommes, pour grands qu’ils puissent être, ne sont qu’une impuissance, et que toutes leurs sagesses sont des ignorances, et que toute la nature ensemble ne peut donner salut à une seule âme ?

2. Regardez un peu qui vous êtes, et vous rougirez de honte de ne vous avoir abandonné à la gouverne de Votre Dieu, qui vous eût rendu heureux et sage, où que votre propre inclination et volonté vous ont rendu misérable et sans repos, ayant vos passions été les bourreaux et tortures de votre âme. N’est-il pas temps de cesser à vous-même pour vous rendre à votre doux Père, et lui sacrifier votre volonté, en résistant à la vôtre ? Il faut être tout à fait hors de sens pour ne le pas faire, en considérant quel bien nous en peut venir, et quel mal nous nous causons en suivant nos désirs et volontés. Elles nous causeront la mort éternelle ; pour être en tout nuisibles à notre salut.

5. Que ne nous rendons-nous à celui à qui nous appartenons ? Ne sommes-nous pas entièrement à Dieu, corps et âme ? Toute la nature ensemble peut-elle faire un cheveu de notre tête ? Nous savons par foi divine et humaine qu’il y a été un temps que n’étions pas, et que depuis certain nombre d’années nous avons commencé à être, n’étant rien auparavant, et que ç’a été Dieu seul qui a créé notre corps, et notre âme, et tout ce qui peut servir à l’entretien de notre vie. Il a créé l’eau pour nous laver, le feu pour nous chauffer, la terre pour nous porter, l’air pour nous respirer. Il nous a donné toutes les puissances de l’âme, toutes les facultés de notre corps ; et personne n’est capable de nous donner un moment de vie, si Dieu ne la maintient.

4. Tout cela ne nous oblige-t-il pas à une dépendance totale et absolue de Dieu ? N’est-ce pas un grand larcin de lui vouloir embler l’autorité et la gouverne de nous-mêmes pour la donner à notre propre entendement qui n’a que ténèbres et ignorances ? Faut-il qu’une si belle âme se laisse régir par des passions brutales et déréglées, au préjudice de son légitime Seigneur ? Quelle impiété, quelle injustice barbarique que nous commettons à l’encontre de nous-mêmes ! Quel mal irréparable, de continuer dans cette tyrannie si expérimentée ! Car personne ne peut dire avec vérité qu’il ait trouvé de vrai contentement en ayant suivi sa propre volonté, mais un chacun doit bien affirmer de s’être trouvé tyrannisé par ses propres passons et la gouverne de ses propres sens. Combien y a-t-il d’âmes dans le monde qui se lamentent de cette infortune ? Et combien y en a-t-il dans l’enfer qui, d’un regret désespéré, maudissent les moments qu’ils ont commencé à suivre leurs propres inclinations, qui les ont conduits en ces peines éternelles ?

5. Tout ce considéré, y aura-t-il bien encore une âme si perdue de jugement, que de suivre sa propre inclination, ou se laisser gouverner par ses sens naturels, qui ne regardent que la terre et la chair, au préjudice du ciel et de la béatitude temporelle et éternelle ? Car l’âme qui se laisse gouverner de Dieu est bienheureuse pour ce temps, et aussi pour l’éternité. Parce que ce doux Père la gouverne heureusement de corps et d’âme ; à cause que tout deux lui appartiennent en égale propriété. C’est ce qu’il monstre en disant d’avoir compté les cheveux de notre tête, et que pas un ne se perdra sans son vouloir [329].

6. Quel empressement superflu, d’avoir tant de soin de notre corps, puisque toutes nos industries ne lui peuvent donner un seul moment de vie ! Pourquoi tant d’études pour cultiver notre esprit, puisqu’un petit catarrhe tombant sur le cerveau rend les plus doctes fols ? Quelle sottise de vouloir acquérir la vertu par des spéculations ou autres moyens humains, puisqu’elle consiste dans la foi, qui est une lumière infuse dans notre âme par ce même Dieu à qui nous appartenons ! Ne voyons-nous pas que toutes nos sagesses sont des folies, et tout notre savoir des ignorances, et nos forces des faiblesses ? Serons-nous si perdus de jugement, de nous laisser gouverner de nos propres passions qui sont les plus grands ennemis de notre âme ? Rendons-nous à notre Dieu avant qu’il soit trop tard, car après la mort il n’y a plus de rémission. Faisons à ce moment un divorce absolu avec notre propre volonté. Remettons le régime et gouvernement de notre âme, notre esprit et notre corps, à Dieu, qui gouverne toute chose, parce que nous ne pouvons rien sans lui sinon malfaire, et nous damner, car le mal nous est si naturel, que si Dieu ne nous prévenait de ses grâces, nous demeurerions étouffés dans nos péchés, comme l’enfant se suffoquerait dans les ordures aussitôt qu’il vient au mode, s’il n’était tiré dehors par l’assistance d’un autre.

7. Certes, si nous considérions bien la misère de notre corps et esprit, nous prierions jour et nuit afin qu’il plût à Dieu de nous gouverner, et ne ferions autre chose que de recevoir de sa main tout ce qui nous arrive. Car souvent ce qui nous semble plus adverse est le plus favorable, et si Dieu nous lie quelquefois les pieds et les mains, pour ne pouvoir faire ce que nous désirons, il fait comme la prudente nourrice, qui bande et lie les mains de son poupon. Car s’il en avait la liberté, il s’en égratignerait le visage, voire se crèverait les yeux. Ce qui serait un grand mal pour ce petit plaisir qu’il aurait eu en la liberté de ses bras.

8. De même, souvent nous voulons faire quelque chose qui nous semble agréable, et Dieu nous l’empêche par quelque impuissance de biens ou d’amis, ou de santé. Ce sont les bandes et maillotes qui réfrènent nos membres, et empêchent que ne blessions nos âmes. Car souvent quoique la chose nous semble bonne, elle se verrait mauvaise en la suite. Ce que Dieu prévoit lorsque nous l’ignorons. Mais si nous étions ses vrais enfants, nous ne voudrions plus avoir aucuns désirs, quoiqu’ils nous sembleraient bons, mais celui-là seul de lui vouloir plaire. Alors tout nous serait en égalité, et le faire et le laisser. Car lorsque sommes troublés ou malcontents que les affaires ne succèdent pas selon notre vouloir, nous faisons comme le petit enfant qui pleure parce qu’on l’enveloppe et l’enfassine. Ce qui n’est pas agréable à la nourrice ; quoique ses pleurs ne l’empêchent de poursuivre son devoir ? De même Dieu fera toujours ce qu’il sait être pour notre bien. Mais nous sommes des ingrats de crier à rencontre.

9. S’il nous lève par états, honneurs, ou autres prospérités, bénissons-le avec actions de grâces, comme le petit enfant rit à sa nourrice qui le lève, et l’embrasse plus fortement ; ainsi que nous devons nous unir plus étroitement à Dieu dans les prospérités, pour avoir plus besoin de ses grâces pour nous maintenir sans tomber, si que l’enfant a plus besoin de soin lorsqu’il est levé que couché. Car s’il ne s’élève seul, il ne pourrait tomber. De même une âme qui demeure en repos et couchée dans l’état et condition où Dieu l’a fait naître, ne peut tomber en présomption s’il ne se veut lever de soi même, en désirant et cherchant les états ou honneurs. Ce qui le mettrait en péril de tomber, voire se causer quelquefois la mort, parce que les honneurs changent les mœurs, et les grandeurs pervertissent les cœurs, signamment ceux qu’on a cherchés ou demandés. Ce que nul vrai enfant de Dieu ne fera, pour les périls qu’il y prévoit.

10. Car si les comptes à rendre de notre propre conscience sont si difficiles à dresser, comment voudrions-nous être chargés des autres, sur qui nous avons moins de pouvoir que sur nous-même ? Assurément qu’un vrai enfant de Dieu ne s’élèvera jamais en aucunes charges, telles qu’elles puissent être, de soi-même, mais si Dieu le voulait lever, il en deviendrait plus craintif, ne fût qu’il aurait entière confiance en la force et puissance de son Père, qui l’aurait élevé. Et pour ne se flatter en cette croyance, il faut que l’âme s’épreuve elle-même, pour savoir si le même plaisir lui viendrait de se voir couché par l’oubli et mépris des hommes, comme levé par leur mémoire et louanges. Alors il n’y aurait rien à craindre. Mais si on se plaint et murmure de l’adversité, c’est signe qu’on n’est pas encore abandonné au vouloir de son Dieu. Car Dieu conduit plus par le chemin de mépris et d’adversité, que par la prospérité, et louange. L’Âme se doit aussi estimer plus heureuse dans les humiliations et mépris, que dans les louanges et honneurs, parce qu’elle se trouve par icelles plus conforme à son Dieu, fait Homme, lequel lui a aussi dit : Je châtie ceux que j’aime [330]. Et de posséder cette marque d’amour, est grand sujet de joie, puisqu’on entend le même Père dire : Éjouissez-vous quand les hommes diront mal de vous, en mentant à cause de moi : votre loyer sera grand au ciel [331].

11. D’où vient que si peu des personnes ont appris et retenu ces leçons, et que tout le monde pratique le contraire, fuyant le mépris, et aimant les louanges ? C’est que l’on ne se rend point Enfant, pour tirer le lait d’intelligence [332] de notre vrai Père nourricier, lequel a produit au monde la sainte doctrine pour nourrir et alimenter nos âmes, laquelle doctrine nous devons unièmement aimer comme l’enfant aime uniquement la mamelle qui donne la vie à son corps, sans laquelle il ne ferait que languir ou mourir, ainsi que ferait notre âme privée de la parole de son Dieu, laquelle seule la peut conserver en vie. Ce n’est pas de merveille que tant d’âmes sont mortes à la foi, qui ont laissé cette source d’eau vive pour aller puiser dans des citernes crevassées qui ne peuvent tenir leurs eaux [333], qui sont corrompues par le laps du temps qu’elles sont tombées du ciel. Les hommes ont reçu la doctrine de Jésus Christ qu’il a apportée du ciel ; leurs âmes en ont été nourries et entretenues ; et ils l’ont laissée aux autres successivement jusques à maintenant. Mais les vaisseaux dans lesquels elle devait être conservée se sont corrompus et gâtés ; en sorte qu’elle est devenue puante aux narines des hommes, qui s’efforcent à lui donner autre couleur et odeur pour la mieux faire goûter à nos sens naturels. Je yeux dire que la doctrine de Jésus Christ est maintenant si glosée et défigurée qu’on ne la peut plus connaître sinon en sa source, qui est l’Évangile par écrit, qui est entre les mains des Chrétiens, où il s’y maintient miraculeusement, selon la promesse qu’il a faite à son Église, qu’elle sera bien combattue et attaquée, mais jamais submergée [334].

12. Quels Chrétiens d’aujourd’hui ne combattent point l’Évangile par leurs œuvres ? Un chacun lui veut donner une nouvelle couleur ; l’un dira qu’un Chrétien peut bien prétendre aux états, richesses, dignités, et l’autre, chercher ses aises, et ses commodités ou propres intérêts ; voire, que les Prêtres, Prélats et Chefs de l’Église doivent garder et maintenir leur autorité par les pompes et magnificences du monde. N’est-ce pas là une grande corruption, engendrée dans les vaisseaux qui doivent contenir cette doctrine ? Cette putréfaction est capable d’infecter tout le monde ; car celui qui croirait puiser de l’eau de vie au lieu où elle a été versée, ne puiserait que du venin produit par la corruption des vaisseaux, et trouverait la mort pensant avoir la vie. Et si Jésus Christ n’avait promis de demeurer toujours avec nous par la doctrine, il serait impossible que ceux qui se disent Chrétiens et Église, eussent encore l’Évangile par écrit en son intégrité, parce que son contenu leur fait la correction continuelle. L’on voit bien que toute la furie d’enfer avec la malice de tous les hommes ne sont pas capables de submerger cette doctrine, qui est la vraie et légitime Épouse de Jésus Christ. Et s’il y en a si peu qui l’embrassent, c’est à cause que peu se veulent rendre Enfants, pour recevoir leur aliment de leur vrai Père nourricier, mais aiment mieux de prendre à boire et à manger eux-mêmes, ou le chercher parmi la corruption.

13. Et comme l’enfant prend pour manger des cendres, des charbons, et toutes les ordures qu’il peut trouver ; ainsi l’homme qui ne se laisse alimenter par son Dieu, prend pour aliment la doctrine des hommes, avale comme aliment les sciences curieuses de Philosophie et Poésie, et autres rêveries, qui ne sont qu’ordures de la terre, avec lesquelles l’âme ne se peut nourrir ni entretenir. Car tout ce qui est chair n’est pas esprit. Et combien qu’une personne aurait acquis toutes les sciences du monde, et qu’elle s’aurait rendue parfaite et accomplie aux yeux de tous les hommes, que lui profitera tout cela à la mort ? Elle restera avec les mains vides, ayant passé toute sa vie à battre le vent, sans rien profiter à soi-même, et n’emportera rien avec soi qu’une fumée de vaine gloire de louanges des hommes, laquelle les condamnera devant Dieu, lequel lui avait donné l’entendement pour le connaître, et la volonté pour l’aimer, desquels elle s’est servie pour se rendre accomplie et agréable aux Créatures autant fragiles qu’elle, lesquelles ne lui peuvent jamais donner que des louanges passagères, si qu’ils sont eux-mêmes, sans un moment de fermeté.

14. Voyez un peu à quoi l’homme s’amuse ! Une créature raisonnable, créée à l’image, et semblance de Dieu, avec une âme immortelle comme lui, qui cependant s’avilit jusques à la mangeaille des belles, laquelle est les paroles des hommes, lesquelles à la façon des herbes verdoyantes, sont en peu de temps foin et fumier. N’est-ce pas assez vivre dans cet étourdissement d’esprit ? N’est-il pas temps de retourner en nous-mêmes, et nous convertir à Dieu, comme petits Enfants, lesquels ne savent rien faire sinon pleurer et témoigner l’affection qu’ils portent à leur nourrice, pour obtenir leurs prétentions ? Si nous voulons avoir la grâce de Dieu, il ne faut ni sagesses, ni honneur, mais des larmes de Contrition, provenantes d’une douleur du cœur, d’avoir offensé notre Dieu notre Père. Ce sera le moyen d’obtenir la grâce de nous convertir à lui, et témoigner par effet que nous l’aimons.

 

De la conversion des sages.

 

15. Mais comment pourra faire cela l’homme qui est sage en soi-même, et qui pense bien faire en suivant les perfections de ceux qu’on estime les plus parfaits de notre temps, lesquels ne sont en effet que des sépulcres blanchis auprès des Apôtres et premiers disciples de Jésus Christ, qui étaient vivant en foi, où que ceux-ci ne sont que des os de morts ? Il faut, à la façon de S. Paul, se laisser vaincre par la lumière de la foi, et écouter la voix du Seigneur qui nous dit à l’intérieur : Pourquoi me persécutes-tu [335] ? Nous dirons que pensons bien faire, en suivant la routine des doctes d’à présent, mais nous nous trompons, parce qu’ils se disent Chrétiens, et ne le sont point, mais sont plutôt de la Synagogue de Satan [336], qui s’efforce à noircir et détruire la doctrine de Jésus Christ.

16. S. Paul s’est laissé renverser par terre [337]. Il faut que l’homme qui se veut convertir à Dieu se laisse tomber de toute science, état, honneur, èsquels il peut être monté, lesquels lui ont servi de cheval pour poursuivre et persécuter Jésus Christ en ses vrais enfants, et cela même en croyant bien faire, si que faisait S. Paul, en persécutant les Chrétiens, étant mu à cela par un Zèle de maintenir la Loi. Combien y a-t-il aujourd’hui de personnes doctes dans la Théologie même qui annulent la Loi de Dieu par leurs explications de la même Loi ? Une âme qui voudrait simplement tenir et suivre au pied de la lettre l’Évangile, elle sera d’iceux contredite, poursuivie, voire condamnée, pour perturbatrice du repos public, et séductrice du peuple, et désavouée de tous ces doctes. Et ce n’est pas de merveille, puisque les mêmes docteurs du temps de Jésus Christ l’ont condamné à mort. Ils ne peuvent maintenant non plus souffrir la vérité qui les reprend. Il faut qu’elle se cache et fuie leur puissance, ou autrement, on la mettrait à mort, si qu’on faisait les Chrétiens du temps de S. Paul.

17. Je ne veux douter que Dieu ne leur crie souvent au fond de l’âme : Pourquoi me persécutes-tu ? Mais le tintamarre des affaires du monde fait tant de bruits à leurs oreilles, qu’ils n’entendent pas la voix de Dieu. Il faudrait une voix intelligible ; encore n’aurait-elle assez de puissance, puisque Jésus Christ dit : que la Lumière naîtra en ténèbres [338], mais que les hommes aimeront mieux les ténèbres que la lumière, laquelle ils ne voudront recevoir.

18. N’est-ce pas chose lamentable, que Dieu veut maintenant convertir diverses personnes, comme il a fait S. Paul, et qu’elles ne le veuillent pas être, estimant plus ce que le monde approuve, que ce que Jésus Christ a approuvé et enseigné par œuvres et paroles ? Ne devons-nous pas lamenter de vivre dans un siècle si désespéré, où la vérité n’est reçue, et que le mal domine en poupe ? Et avec cela, l’on pense être bien, et agréer à Dieu, sans faire réflexion que nous vivons directement contraires à tous les enseignements de Jésus Christ.

19. Quelle crasse ignorance ! surpassant de beaucoup celle de S. Paul, lequel ne pouvait voir par l’entendement humain qu’il persécutait Jésus Christ, comme nous le verrions assez en faisant une sérieuse réflexion sur nos façons de vivre. Il est plus que temps de dire avec S. Paul : Seigneur que voulez-vous que je fasse [339] ? Mais il faudrait avant tout devenir aveugle à tout notre propre savoir. Car les sciences humaines sont en opposition à la sapience du S. Esprit. Il faut que les vaisseaux de nos âmes soient vides avant que Dieu les remplisse, parce qu’il ne peut souffrir de mélange. Il faut tout ignorer avant tout savoir. C’est pour cela que Jésus Christ dit : Je détruirai la sagesse des sages, et abolirai la prudence des prudents [340] ; pour montrer qu’il faut mettre fin à toute sagesse avant recevoir sa simplicité Évangélique.

20. Ce qui a été de tout temps. Car les simples ont reçu Jésus Christ et sa doctrine, et les sages en ont été frustrés. Et si nous voulons recevoir le S. Esprit, il faut se simplifier comme un petit enfant. Point qu’il faille devenir fous, ou perdre son entendement, mais il faut ne se plus prévaloir de notre savoir, comme si ne savions rien, afin de vouloir ignorer toutes les choses qui sont nôtres, et demander véritablement : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Et alors il nous dira assurément : Allez à mon Évangile, et il vous dira ce que devez faire. Car il contient les mêmes enseignements que Jésus Christ a prononcés de sa bouche, et pratiqué par ses œuvres, lesquels sont laissés par écrit pour mémoire éternelle. Puisque son Corps ne devait demeurer toujours sur la terre, il y a laissé sa Doctrine, qui est son Épouse, unie inséparablement à lui, laquelle est toute pure, toute sainte, et sans macule, une même chose avec Dieu qui ne peut tromper ni errer, si que connaîtront tous ceux qui voudront captiver ou aveugler leur entendement, si que fit S. Paul, perdant même la vue du corps, afin de ne plus regarder les choses terrestres, mais les divines et éternelles.

21. Et ne faut pas craindre que les personnes qui se rendront ainsi aveugles et ignorants perdront leur savoir ; car ils obtiendront d’avantage, si que S. Paul a recouvert plus de lumière corporelle et spirituelle après ces trois jours d’aveuglement, qu’il n’avait auparavant. Car il fut depuis capable d’instruire, régir et gouverner si grand nombre de peuple, parce que celui qui sort de soi même pour s’abandonner à Dieu, il ne vit et n’opère plus, mais Jésus Christ vit et opère en lui [341] et par lui, perfectionnant toute chose en celui qu’il possède, opérant en lui et par lui comme il opérait en son propre Corps naturel, duquel ses amis sont la ressemblance, et vrais membres de son Corps Mystique.

22. Que ne ferait point une telle âme vivante sur la terre ? Elle serait capable de convertir tout le monde ; car Dieu la conduirait par la main comme un petit enfant, la rendant premièrement belle à ses yeux, et secondement utile aux autres, indépendante de toute chose. Car encore bien que S. Paul ait souffert les tentations depuis sa conversion, il lui a été dit : Ma grâce te suffit [342]. Quel état désirable ! mais si peu véritablement désiré, à cause que peu veulent s’abandonner de la sorte à Dieu qu’ils se veuillent déporter de toutes leurs volontés, leur propre savoir ou propre désir, qui sont toutes choses de néant, ou de peu.

23. Car qu’est-ce de notre propre volonté, au regard de celle de Dieu ? La nôtre est impuissante, et la sienne peut tout ce qu’elle veut, et si notre volonté est la sienne, nous aurons par même conséquence tout ce que nous voudrons, et si nous méprisons notre propre savoir, nous aurons en échange la sapience de Jésus Christ, qui comprend toute chose, surpassant toute sagesse créée, et si nous abandonnons nos propres désirs, nous recevrons pleine satiété, et contentement. Car étant iceux unis à Dieu, rien ne peut succéder contre notre volonté non plus que contre la sienne, parce qu’elle n’est plus qu’une.

24. Ne voilà pas une vie agréable, au lieu de celle que nous passons sous la gouverne tyrannique de nos passions, qui nous bourrellent nuit et jour sans jamais de contentement ? Car plus nous leur obéissons, moins avons-nous de satisfaction. Jamais l’œil ne sera las de voir, ni l’oreille d’entendre [343], ni le cœur de convoiter ; ce qui ne le peut remplir. Pauvre Malavisés ! que ne sortez-vous de cet Esclavage pour entrer en la liberté des vrais Enfants de Dieu ? Il le veut, il vous cherche, il vous appelle ; ne craignez rien : il vous gouvernera bien.

 

          En Février. 1667.

 

 

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CHAPITRE IV.

 

De la sottise que l’homme ne s’abandonne à la gouverne de Dieu. Qu’il se perd en se voulant gouverner soi-même. Que sommes impuissants sans rien pouvoir donner à nous-mêmes. Qu’une seule bonne pensée vient de Dieu. Que les richesses, noblesses, et honneurs du monde sont choses vaines, parce que tous les hommes ne sont rien que des charges. Et que tous nos plaisirs des cinq sens sont de courte durée et dangereux à salut.

 

1. SE peut-il jamais trouver une ignorance plus crasse que de ne se vouloir pas abandonner à la gouverne de Dieu ? Y eut-il jamais rien de plus sot qu’un petit vermisseau de terre se présume être plus sage qu’un Dieu pour cette gouverne ? Ne faut-il pas être arrivé à un enragement d’esprit qui nous rend cruels à nous-mêmes après nous avoir rendus ennemis de Dieu ? Ignorons-nous qu’il est la source et l’origine de toutes les sagesses créées, et que toute la sapience des Doctes qui furent jamais sur la terre, n’est qu’une petite étincelle de cette Sapience divine, laquelle il a départi aux hommes à mesure qu’il lui a plu, à l’un plus, à l’autre moins, selon qu’il veut plus ou moins être aimé d’un chacun d’eux ? Mais leur malheur est qu’au lieu de reconnaître cette dépendance de Dieu, et lui donner (si que lui appartient) le domaine absolu sur notre entendement, nous l’attribuons à nous-mêmes, et présumons de nous savoir gouverner et conduire, sans autre dépendance. Point que nous déclarions cela de parole, mais nos actions en sont les témoins irréprochables. Car nous agissons fortement d’esprit et de corps pour arriver à nos prétentions, avant avoir demandé à Dieu si elles lui sont agréables, ou ne lui déplaisent. C’est assez qu’elles nous plaisent, pour vouloir emporter par force. Et si elles ne succèdent à notre fantaisie, c’est assez pour nous alarmer, murmurer et désespérer, voire attaquer quelquefois Dieu comme s’il était injuste ou irraisonnable, cependant qu’il fait toutes choses en perfection et pour notre plus grande utilité et salut, quoique la grossesse de notre entendement le juge tout au contraire avant l’avoir expérimenté. Car bien souvent si Dieu permettait ce que nous souhaitons, il nous tournerait à grand déplaisir par après.

2. Ne voilà pas une dommageable ignorance de ne nous pas laisser régir et gouverner de Dieu qui a Toute-puissance, et fera toujours sa volonté absolue si le voulons ou non ? Ces empressements, ces agitations de corps et d’esprit, ne sont-ils pas vains, puisqu’il faut que Dieu fasse après tout sa sainte volonté ? N’est-ce pas une sottise d’agir de notre propre mouvement, lequel n’a ni force ni puissance aucune, ne pouvant donner autre chose qu’une lassitude d’esprit et perte de temps inutile ? Ne vaudrait-il pas mieux soumettre toutes nos volontés et désirs à la volonté de Dieu en lui sacrifiant tout nous-mêmes, corps et âme, afin qu’il en fît, de sa volonté et de la nôtre, tout ce que sa Sagesse divine trouverait expédient ?

3. Quel repos, quelle joie et quels contentements aurait une âme qui se serait ainsi abandonnée à Dieu ! Elle aurait tous ses désirs, en ne désirant que ce que Dieu veut. Quelle satisfaction, quel repos, d’attendre tout de celui à qui rien ne peut manquer ! Quelle joie d’avoir l’assurance d’être régis, aimés, et gouvernés d’un Dieu qui peut tout ce qu’il veut ! Quel contentement éternel d’être sous la tutelle d’un tel Père, qui a puissance au Ciel et en la terre, qui peut en un moment abîmer tous nos ennemis, et nous donner victoire sur toutes nos passions et sur tout le monde, et nous faire dominer sur le Diable, le monde, et la chair !

4. Que pourrait-il manquer à une telle âme ainsi régie de son Dieu ? Elle possède toutes sortes de contentements sans mélange. Car si Dieu lui envoie des prospérités, elle les reçoit avec actions de grâces, s’en réjouissant comme ferait un Enfant lorsqu’il reçoit une belle pomme de la main de son Père, qu’il baise et estime pour l’affection qu’il porte à la main qui la lui a donnée ; les prospérités de ce monde n’étant non plus estimables qu’une pomme en elles-mêmes, mais elles réjouissent l’âme qui les reçoit de la main de son Père céleste lorsqu’elle voit qu’il la veut réjouir par quelques prospérités ou bon succès. Mais s’il la visite par des adversités et tribulations, cette âme qui s’est abandonnée à son Dieu ressent de la joie en son fond, de se voir conforme à la vie que Jésus Christ a menée étant sur la terre, laquelle n’a été qu’un tissu de mépris et souffrances continuelles. Et si la nature a quelque répugnance ou ressentiments de semblables souffrances, cela lui fait redoubler l’affection qu’elle porte à son Dieu, se lier plus étroitement à lui, le tenir plus fortement par la main de sa protection, comme la personne qui se voit en péril de naufrage sert plus étroitement ce qu’elle a en main, et ne le quitte jamais, encore bien qu’elle meure en ce danger. Tout de même une âme qui s’est abandonnée à Dieu n’a garde de le quitter pour les traverses et adversités ; au contraire, elle s’y lie plus étroitement, en lui demandant aide et secours, puisque c’est lui seul qui la peut soulager et aider, et qu’elle a cette assurance, que rien ne peut arriver sans sa permission.

5. Elle se réjouit de voir que son Dieu prend plaisir en ses souffrances, les aimant comme choses qui lui sont agréables, s’estimant heureuse de lui pouvoir agréer quoique par des tourments atroces ; ils lui sembleraient doux en voyant qu’ils seraient agréables au Seigneur qu’elle estime. C’est ainsi que les martyrs ont souffert joyeusement et avec contentement, parce que celui qui s’est abandonné à Dieu n’a plus de volonté ni de souffrances ; d’autant que c’est lui qui veut et souffre tout en l’âme qu’il régit absolument, laquelle est insensible en tout ce qui n’est pas Dieu, ne désirant, n’aimant, et ne ressentant  plus rien que ce qui lui agrée, ayant consumé tout son vouloir, désir, et plaisir en l’accomplissement de la volonté de son Dieu et en sa complaisance ; plus rien d’autre ne la touche ni empresse ; quoique le Ciel et la terre se renverserait [344], elle est en joie perpétuelle et inébranlable ; la prospérité et l’adversité lui sont en égalité ; la vie et la mort indifférentes ; rien ne la peut troubler dans cette assurance d’être régie par son Dieu.

6. Au contraire, une âme qui se gouverne elle-même est toujours en trouble, en craintes, et en déplaisirs, parce que l’ignorance où elle est née la fera broncher à tous pas, et les excès de fautes qu’elle commettra lui feront toute sorte de déplaisirs et inquiétudes. Elle ne sait voir ce qu’elle doit faire ou laisser, marchant à tâtons dans les ténèbres où elle se trouve, et lorsqu’elle pense avoir le mieux fait, c’est alors qu’elle voit avoir tout gâté. Elle n’a pas bien souvent la lumière pour bien gouverner ses affaires temporelles qui lui sont commises, comment la pourrait-elle avoir pour régir son salut d’où dépend son éternité bien ou mal heureuse ? De là viennent les troubles, inquiétudes et bourrellements de conscience, les chagrins et mélancolies, pour ne savoir où se tourner pour bien faire par notre grossière ignorance.

7. N’est-ce pas une présomption d’esprit de vouloir suivre nos inclinations et gouverner notre vie par notre propre mouvement, sans laisser cette gouverne à Dieu, qui gouverne toute chose, si sagement, que personne ne peut jamais arriver au moindre de sa sapience ? Il faut être tout à fait sot et hors d’entendement pour ce faire. Car si l’homme est estimé hors de sens qui ne cherche point son bonheur, encore plus celui qui le rejette. Quel bonheur peut être plus grand que de s’abandonner à Dieu pour être bienheureux dans ce monde et en l’autre ?

8. Quel bien pouvons-nous faire à nous mêmes, n’ayant rien de propre que le seul péché, lequel est le plus grand mal du monde ? Nuls biens ne se peuvent tirer d’une telle source de tous maux. Cependant nous n’avons rien d’autre qui soit nôtre que ce péché. Si nous sentons nous arriver une bonne pensée [345], elle vient immédiatement de Dieu ; à combien plus forte raison les bonnes actions nécessaires à salut ?

 

Vanité de la conduite et des biens des hommes.

 

9. Tout venant de Dieu, quel bien pouvons-nous apporter à nous-mêmes en nous voulant gouverner, n’ayant sinon ignorance et toutes sortes de maux. Nous voulons quelques fois avoir des richesses ; et lorsque les avons acquises elles nous inquiètent de foin pour les garder, de crainte de les perdre, d’empressement de les augmenter. Car elles sont de la nature de l’eau salée : plus on en boit, plus on a soif, et plus on a de richesses, plus on en désire, et moins on en est rassasié, parce que notre âme, étant divine, ne peut jamais être remplie ni satisfaite des métaux terrestres. Ce n’est qu’un appétit désordonné de la nature corrompue qui les fait désirer ; car ils sont à charge et servent de détourbier à notre âme, lui dérobant la plupart du temps qu’elle doit employer à s’unir à son Dieu et contempler ses œuvres merveilleuses. Ce qu’aucuns Païens ont remarqué par leur jugement naturel, puisqu’ils ont quelques fois jeté leur or ou argent dans la mer afin d’être délivrés de ce soin.

10. Quelle folie aux Chrétiens d’avoir cette cupidité de posséder des richesses ! puisqu’elles sont pénibles pour cette vie, et bien dangereuses pour l’autre, puisque Jésus Christ dit être aussi difficile à un riche d’entrer en Paradis, qu’à un chameau de passer au pertuis d’une aiguille [346]. Quelle sottise de se charger d’un poids si dangereux et difficile ! Ne vaudrait-il pas mieux cheminer libre et déchargé de richesses durant cette courte vie, qui n’est qu’un petit voyage qui mène à une éternité bonne ou mauvaise ? au lieu d’estimer des richesses si viles qu’un grain de justice vaut plus que cent millions de livres d’or, lesquelles ne nous peuvent aider à la mort, puisqu’elle nous sépare de toute chose, et nous fait rentrer tous nus dans la terre, si que nous en sommes sortis ; ne nous étant non plus profitable de laisser l’or et l’argent dans nos coffres ou maisons, que dans les mines de la terre, voire bien souvent gênent nos esprits au détroit de la mort, et sont les bourreaux qui tuent nos âmes, et les confinent aux Enfers, parce que celui qui meurt avec de l’affection aux richesses ne peut mourir en l’Amour de Dieu. Ce sont deux objets trop éloignés l’un de l’autre pour pouvoir habiter dans un même cœur.

11. Nous nous trompons souvent par des fausses persuasions, croyant notre salut assuré lorsqu’il est bien en grand danger. Nous estimons les richesses bonheur quand Jésus Christ les estime difficultés à notre salut. Par où se découvre la sottise de nous vouloir gouverner nous-mêmes, puisque nous sommes si ignorants que de prendre le faux pour le vrai, et le danger pour l’assurance. Sottise et étourdissement d’esprit ! de ne nous pas abandonner à la gouverne de Dieu, qui sait de quoi nous avons besoin, et aussi nos successeurs, lesquels courent souvent à la damnation par le moyen des richesses que leur avons laissées, sans lesquelles ils auraient peut-être été sauvés. Voilà le malheur que causons à nous-mêmes et aux autres lorsque présumons être suffisants à nous-mêmes. Nous courons à l’aveugle en toutes sortes de précipices.

12. Si nous ne sommes pas tant désireux de richesses (ce qui serait un miracle de nature dans ce misérable temps, où la cupidité d’avoir réside dans les cœurs des plus parfaits), nous sommes pour le moins désireux d’honneur ; qui n’est pas une moindre sottise ; d’autant que l’honneur n’appartient qu’à Dieu seul. Quel honneur peut-il convenir à une petite ordure de la terre, si qu’est l’homme, qui n’a rien sinon impuissance, ignorance et malice, stupidité d’esprit, faiblesse et infirmité de corps, sujet à toutes sortes de misères et corruptions ? L’un se veut faire honorer pour ses richesses, l’autre pour sa noblesse, et l’autre pour ses offices ou états, qui sont toutes choses qui ne lui appartiennent nullement. Car toutes viennent de Dieu immédiatement, sans dépendance aucune de l’homme. Car qui est riche qui veut ? ou bien, noble ? ou bien, en dignité ? Le riche n’a rien amassé avant que naître, ni le noble ne pouvait choisir son Père lorsqu’il était dans le néant, ni les Grands ou sages ne pouvaient remplir la mesure de leurs esprits avant que Dieu les eût créés.

13. Comment donc se pouvoir approprier aucune de ces choses pour en désirer de l’honneur ? Et qu’est aussi l’honneur en lui-même ? Ce n’est qu’une fumée ou un vent, ou bien une chose semblable aux petits bouillons que font les enfants avec de l’eau et du savon par le moyen d’un fétu qui conduit leur souffle jusqu’à cette lessive, en rendant une goûte comme un gros ballon, mais n’a pas de durée ; car aussitôt qu’un petit vent le rencontre, voilà mon ballon réduit à rien. Tout de même en est-il de l’honneur qui se produit par le moyen du souffle d’une haleine de prospérité de quelques biens terrestres, lesquels sont comme fétus de paille auprès de l’éternité. Cependant l’on s’en sert pour faire enfler le ballon de notre cœur d’estime de soi-même, qui est le vent d’ambition et d’orgueil, mais au premier rencontre d’un vent d’adversité, ce ballon d’honneur se dissout, et ne reste que de l’eau de déplaisirs, mépris, et abandon. Car les hommes sont muables comme le vent. Ils honorent bien souvent leurs avantages plus que la personne qui veut être honorée, lesquels avantages cessant, leurs respects cessent à mesure.

14. Ne voilà pas une chose frêle pour être tant désirée d’un Chrétien ? Un valet honore son Maître pour l’aliment qu’il lui donne. Un sujet honore son Seigneur afin d’être par lui avancé ou, du moins, point surchargé. Un Marchand honore son acheteur, parce qu’il le fait gagner. Un plaidoyant honore son Avocat et son Juge afin qu’ils lui fassent gagner sa cause. Un Courtisan aime son Prince afin d’avoir quelque état ou bénéfice. Un Prince honore son Roi afin d’être de lui estimé. Le pauvre honore le Riche afin d’être de lui assisté. Et ainsi de toutes sortes de conditions de personnes : un chacun honore toujours ce qui lui peut donner de l’avantage, lequel cessant, le plus souvent l’honneur cesserait.

15. Quelle sottise de chercher ou désirer semblables honneurs, lesquels ne nous appartiennent nullement, mais à Dieu seul. Car si nous avons quelques richesses, état, ou pouvoir, tels qu’ils puissent être, ne sont-ils pas à Dieu appartenants, puisque c’est lui qui nous les a donnés, et nous peut tout ôter en un moment, et de riches et puissants que nous puissions être, un revers de fortune peut tout décréditer ; ainsi que l’expérience journalière nous fait assez voir. Combien y a-t-il de personnes déchues de leurs biens, états, ou honneurs, étant pour certain temps Dominateurs sur les autres, qui depuis y ont été assujettis par nécessité ? Combien de bannières sont devenues civières, et de pompes et magnificences sont réduites en fumier ? Les louanges ont changé en mépris, les honneurs en vitupères, et celui qui était assis au Siège d’honneur a servi par après de marchepied aux autres.

16. Ne faut-il pas être éperdus de jugement pour chercher ou aimer les honneurs qui sont si muables, si vains, et si peu capables de contenter notre âme, puisque jamais elle n’en sera rassasiée, étant le propre de l’ambitieux de n’avoir honneur à suffisance, mais nombre de déplaisirs par les défauts d’icelui, parce que fort souvent arrive qu’au lieu où nous pensons avoir acquis honneur, nous ne recevons que mépris ou confusion ? D’autant que l’honneur que nous recherchons dépend de la fantaisie des hommes, qui sont autant frêles que nous-mêmes, et aussi, muables et inconstants. Car il arrive quelques fois que la même chose qu’ils ont estimée en nous est par iceux-mêmes méprisée, sans être aucunement changée. La chose louée en un temps est par la même bouche blâmée en un autre. Quel bien donc, quel plaisir ou satisfaction pouvons-nous tirer de l’honneur que nous feront les hommes, puisqu’ils ne sont rien autre chose que des bouillons de lessive emportés par le vent, lesquels paraissent quelque chose, et sont en effet des riens, ou pires que des riens ? parce que bien souvent sont occasions de notre damnation, ce que le rien ne peut être.

17. Car celui qui prend tant soit peu de complaisance dans les honneurs ou louanges des hommes offense son Dieu et lui dérobe l’honneur qui appartient à lui seul. Car si nous sommes nobles, c’est lui qui nous y a fait naître, n’ayant rien fait plus qu’un roturier avant qu’être engendrés. Si nous sommes riches, c’est lui qui a donné les richesses à nos Parents, ou nous a donné l’industrie de les garder ou acquérir ; plusieurs ont plus travaillé que nous qui ont moins. Si nous sommes en états ou dignités, c’est lui qui nous a donné l’esprit et la capacité pour y parvenir. Enfin, tout l’honneur est dû à lui seul [347], et à nous la crainte et la confusion, parce que toutes ces grâces et privilèges à nous donnés de sa main libérale nous obligent à plus d’actions de grâces, à une vie plus parfaite, et à un plus grand compte à rendre, puisqu’à celui à qui beaucoup a été donné, beaucoup sera redemandé [348], et celui qui a reçu richesses, noblesse, états, ou esprit au dessus du commun, doit avoir plus de crainte que de désir d’honneur, et plus de confusion de se voir honoré que de plaisir de l’être ; d’autant qu’il reçoit ce qui ne lui appartient point.

18. Quel éblouissement d’esprit de tirer gloire de sa confusion, et de s’estimer heureux de ses charges et fardeaux si pénibles et fâcheux, lesquels ne donnent pas quelques fois de temps aux personnes constituées en office, et boire et manger à l’aile, ni de prendre le moyen pour procurer leur propre salut ! Sont-ce là des charges aimables ou souhaitables, pour prendre plaisir d’être honoré par quelque office ou bénéfice ? Ne vaudrait-il pas mieux être un pauvre bergeret ou simple femmelette filant sa quenouille, que de posséder états ou offices pour être accablés d’occupations en ce monde, et obligés à des comptes si étroits pour l’avenir, qui seront si difficiles à dresser ? Car qui peut aujourd’hui satisfaire à Dieu et aux hommes puisqu’ils sont si contraires l’un à l’autre, et que Jésus Christ dit qu’on ne peut servir à deux Maîtres sans être infidèle à l’un ou à l’autre [349] ? Si cela a été vrai de tout temps, il est maintenant en sa vérité accomplie.

19. Car qui peut aujourd’hui satisfaire au monde sans déplaire à Dieu, puisque tous les hommes sont dans la pratique contraire à ses ordonnances ? Un homme qui est aujourd’hui en office, soit séculier ou Ecclésiastique, qui veut observer justice, il faut qu’il cède au mal, ou qu’il soit haï d’un chacun, et encore ne peut-il rien faire seul ; il faut qu’il crève, en voyant le mal dominer sans le pouvoir empêcher. Y a-t-il donc chose plaisante à souhaiter les états, honneurs, et grandeurs en ce monde ? Un pauvre berger n’a-t-il pas plus d’aise, de repos et de tranquillité qu’un Prince ou un Évêque ? La vieille qui file sa quenouille a le manger et le vêtir aussi bien que lui, et le repos de conscience, n’étant obligée qu’à rendre compte de son propre fait ; où les personnes nobles, riches, et constituées ès dignités, sont obligées aux comptes de tous leurs devoirs, étant chargées des affaires et du salut des autres sans diminution des leurs propres.

20. Ne faut-il pas être ennemi de son bien pour désirer honneurs en ce monde, lesquels sont quelques fois acquis avec tant de foin, d’empressement et de labeurs, bien qu’ils ne puissent donner sinon un vent d’honneur passager, qui ne met rien en nous qu’une vaine complaisance, se terminant souvent en déplaisirs ? Peut-on jamais chercher ou désirer semblables honneurs pénibles et périlleux sans être ensorcelés d’esprit ? Car que sont tous les honneurs des hommes encore qu’ils seraient réels selon nos sens et notre vue ? Ce ne peut jamais être autre chose sinon qu’un homme honore son semblable. Et qu’est-ce de tous les hommes ensemble sinon tous petits riens, qui ne peuvent rien donner l’un à l’autre, lesquels semblent aujourd’hui quelque chose et demain seront couverts de terre ? Leur mémoire sera ensevelie avec leur corps ? Pauvre aveugle et malavisé ! Sur qui mettez-vous vos espérances ! Sur une bouffée de vent, une fumée qui se dissipe par l’air ; ou sur une herbe verdoyante qui est si soudain fauchée et réduite en foin et fumier [350]. Ne vaudrait-il pas mieux nous abandonner à la gouverne de Dieu, et désirer seulement l’honneur de sa grâce, laquelle nous peut rendre heureux, en ce temps et en l’éternité ? n’y ayant rien d’autre qui puisse rassasier nos désirs. C’est en vain de le prétendre hors de là. Toutes les autres choses ne sont que des amusements et des sottes imaginations, parce que Dieu seul étant notre centre, nous ne pouvons jamais reposer qu’en lui, ni trouver autre vrai bien. Cherchons et roulons parmi toutes les richesses, possédons tous les honneurs, jouissons de tous les plaisirs de ce monde, jamais ne serons rassasiés sinon qu’en Dieu.

21. C’est donc folie de désirer aussi des plaisirs de ce monde. Car ils sont autant frêles et vains que les richesses et honneurs. Cependant il y a tant d’âmes qui se perdent éternellement pour posséder des plaisirs de si courte durée. L’un s’attache au plaisir du goût, qui ne doit appartenir qu’aux bêtes ; car l’homme raisonnable ne doit s’attacher à choses si viles, comme est le boire et manger, qui n’est autre chose sinon faire du fumier de quelque chose de beau ou bon. Cet appétit désordonné, d’excéder en ce fait, est plus brutal que les bêtes, plusieurs desquelles n’en prendront outre la nécessité, si que font quelquefois les hommes. Il faut boire et manger pour entretenir le corps, mais il ne faut pas le faire pour le plaisir du goût, mais pour la pure nécessité. Quoique Dieu ait créé tout ce qui est bon pour servir à l’homme, il n’a pas créé l’homme pour servir à la viande, mais la viande pour servir à l’homme.

22. Quelle vileté de voir des Chrétiens assujettis à leur appétit, en sorte qu’en étant privés, ils le sont aussi tôt de contentements et de plaisirs ! mettant tous leurs soins, études et industries pour satisfaire à cet appétit du goût, lequel ne sera jamais satisfait quoiqu’on cherche à le contenter. Les plus friands morceaux sont quelques fois à dégoût. Ce n’est qu’un chagrin et déplaisir continuel pour celui qui se rend esclave de ses appétits. Tout lui sera trop doux ou trop aigre, trop fade ou trop fort : s’il est à son goût, il en prendra tant qu’il blessera sa santé ; s’il n’est à son goût, il pâtira la faim et se rendra débile. Enfin, c’est un esclavage qui bourrelle le corps et l’esprit de celui qui est assujetti à sa langue. Combien y en a-t-il qui ont perdu l’honneur et consumé leurs biens par les plaisirs de la langue ? Combien y en a-t-il qui se mettent au brigandage et larcin pour cet appétit ? Combien d’homicides et d’impudicités se commettent par l’ivrognerie et gloutonnie ? C’est un plaisir qui traîne avec soi mille autres maux. Cependant il est usité des plus dévots. Il semble aujourd’hui qu’il soit permis de se plaire en tout ce dont il est permis d’user ; comme si l’homme était animal irraisonnable, pour ne savoir borner ses appétits sensuels au niveau de la raison, se gouvernant par les mouvements de ses sensualités, et non par la règle Chrétienne que Dieu lui a prescrite. Il a créé le vin pour recréer l’homme, et il s’en sert souvent pour offenser son Dieu. Le vin en soi est bon et salutaire, comme sont toutes les autres délices du monde si l’on en usait raisonnablement, mais ces plaisirs sensuels qu’on y prend corrompent toute la bonté et le salut qu’il y peut avoir ; car si tôt que l’homme se délecte en la Créature, il oublie le Créateur ; partant, il se détourne de son Dieu pour aimer une chose passagère.

23. Par où il pèche, et fort hors de sa raison ; car si le vin est bon, et les viandes, c’est Dieu qui leur a donné cette bonté, laquelle nous oblige à l’aimer davantage, vu que pour nous il a daigné créer choses si bonnes, voire délectables aux sens. Et au lieu de ce faire, nous aimons ces choses par sensualités, au lieu du Créateur d’icelles. Quelle imbécillité d’esprit ! Au lieu de jouir de toutes les choses belles et bonnes, que Dieu a créées pour ses élus afin qu’ils n’eussent pas seulement leurs nécessités, mais même leurs délices, moyennant se recréer au niveau de la raison, et qu’ils sont cependant si malavisés d’user de toutes ces choses pour satisfaire à la seule sensualité, qui est insolente, vicieuse, et déraisonnable, laquelle nous devons assujettir à la raison en cas que désirions le salut de nos âmes ; car si nos sensualités ont le domaine sur icelles, nous courons à grands pas à la damnation. Car notre âme, étant spirituelle, ne peut vivre ès choses sensuelles. Il lui faut un aliment conforme à sa portée.

24. Partant, celui qui cherche ses plaisirs n’est pas au chemin de salut, et perd pour peu de choses l’éternité bienheureuse. Car qu’est-ce que le plaisir du goût autre chose qu’un plaisir momentané qui passe si légèrement que l’arondelle vole ? Car dès aussi tôt que le vin ou le morceau est avalé, le goût en est passé, et n’en reste qu’une haleine puante, parce que bien souvent les meilleures sauces donnent plus de corruption à l’estomac, et le vin trouble l’esprit, et engendre luxure et impureté. Ce doit bien être un cœur mol et efféminé qui se délecte en si fades plaisirs que ceux de la langue, comme en tous autres, qui sont de si courte durée et ne peuvent rassasier notre âme, quoiqu’ils seraient goûtés à souhait et en toute abondance, parce qu’étant d’une nature divine, rien de terrestre ne la peut jamais remplir. Et tout ce qui est hors de Dieu ne la peut contenter.

25. Quelle folie a une âme créée pour le Ciel de chercher ses plaisirs et contentements sur la terre, où il n’y a que misères et afflictions ! Les plaisirs mêmes ne sont que peines et travaux lorsqu’ils sont pris et regardés en eux-mêmes. Considérés encore que c’est du plaisir de la Vue. Il est si léger, et donne si peu de satisfaction, que celui qui s’y adonne n’est jamais rassasié. Plus il voit, plus il désire de voir. Les beautés, les nouveautés, sont agréables si elles étaient considérées en Dieu, parce qu’elles raviraient nos esprits en la contemplation de ses merveilles, mais étant vues pour le seul contentement de nos sens, elles sont vaines, périlleuses, et inutiles. Qu’y a-t-il de plus léger qu’un plaisir de la vue, lequel passe en un clin d’œil ! la clôture de la paupière vous en prive ; et que de danger à s’y arrêter ! parce que les beautés vivantes et animées étant regardées purement par les sens, engendrent aussitôt des mouvements charnels ou impudiques qui mettent nos âmes en risque d’offenser Dieu, lequel seul est digne d’amour et d’admiration en ses créatures, non pas elles, pour ne se pouvoir donner la moindre perfection. Si David est bien tombé en regardant Bethsabée, combien plus facilement tomberaient ceux qui ne sont pas selon le cœur de Dieu, comme lui était ? Les autres beautés inanimées ne sont aussi considérables en elles-mêmes, parce qu’elles ne peuvent avoir la moindre espèce de beauté si elle ne dérive de Dieu, source d’icelle. Et celui qui se délecte à les considérer selon les sens, il perd son temps et se remplit de vent, parce que tout ce que pouvons voir de beau et délectable ne nous peut rien donner sinon une vaine satisfaction, qui ne met rien en l’âme qu’une altération de plus voir, parce que l’œil ne sera jamais soûlé de voir, non plus que l’oreille d’entendre [351].

26. Et celui qui se délecte au plaisir de l’ouïr, cela est aussi vain que le voir et goûter, même encore davantage ; car le plaisir du goût donne de l’aliment au corps, et celui de voir, à l’esprit, mais l’ouïr n’apporte que travail, parce que les harmonies ne sont autre chose que distraire les sérieuses pensées, et la curiosité d’entendre des nouvelles dérobe beaucoup de temps, et empresse souvent le cœur, en entendant ce qui n’est pas agréable ; car qui écoute volontiers entend souvent son déplaisir.

 

          Le Mois de Mars. 1667.

 

 

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CHAPITRE V.

 

Que l’on ne doit avoir curiosité, plaisirs, ou désirs, sinon pour son salut ; que toute autre chose est perte de temps et vanité. Que les plaisirs du monde sont peineux, fâcheux, et ne peuvent remplir notre âme ni donner de parfait contentement. Qu’il faut tout quitter à la mort, où le riche n’emporte non plus que le pauvre. Que nous sommes des enfants prodigues, dépensant mal-à-propos les grâces que Dieu nous donne à salut.

Que le péché engendre péché. Qu’il n’y a que cette vie pour opérer notre salut. Le temps perdu ne reviendra plus.

 

Vanité de la conduite du monde et des sens.

 

1. L’Ouïr est un sens qui distrait merveilleusement l’attention que nous devons avoir à Dieu, gêne et afflige notre entendement de crainte, d’espoir, de haine, de déplaisirs des choses que nous avons entendues. Enfin le plaisir de l’ouïr est une continuelle distraction s’il ne se prend pour entendre les choses contraires, de quoi l’on doit être seulement curieux, parce que l’ouïr, à proprement parler, n’est donné que pour entendre la Loi de Dieu, les enseignements et conseils qui nous doivent conduire à salut. Hors de là, tout ce que nous voyons et entendons n’est que Vanité et perte de temps ; d’autant que tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien ; et tous les plaisirs que l’on peut prendre hors de lui ne sont que des afflictions de corps ou d’esprit s’ils étaient bien sérieusement considérés en leur substance.

2. Ceux qui se plaisent aux jeux le peuvent bien expérimenter ; car le jeu de paume, la chasse, la danse, la course, sauter, et se promener, sont tous jeux qui fatiguent le corps. Les jeux de cartes, de dés, de triquetrac, et autres plus modestes, sont jeux qui requièrent attention d’esprit quelquefois plus sérieuse qu’une grande affaire d’importance. Ne voilà pas des faux plaisirs, puisqu’en portant ce nom de plaisants, sont en effet affligeants, et si fortement, que les esprits et les corps en sont souvent harassés et grandement fatigués, plus qu’ils ne seraient en labeur de corps et d’esprit en ce qu’on appelle besogner ou travailler ? En sorte que si l’on appelait ces jeux travail, ils seraient plus pénibles que ce qu’on appelle ouvrage, et on ne les pourrait si longtemps continuer comme l’on fait l’ouvrage.

3. Par où se voit que toutes les choses en quoi l’on prend son plaisir hors de Dieu, ne sont que biens imaginaires, qui se forment en notre fantaisie pour bonnes et plaisantes, qui en effet sont mauvaises. Car le moindre mal qu’ils portent en eux, c’est la perte d’un temps qui est si précieux qu’un moment vaut plus qu’une tonne d’or, parce qu’avec icelle l’on ne pourrait acheter un clin d’œil de temps perdu, que Dieu même ne peut faire revenir ; quoiqu’il puisse créer des siècles tant qu’il lui plaît, il ne peut faire que ce temps ne soit pas passé. Ne voilà pas grande perte, puisque nos jours sont bornés, et que nous commençons à mourir aussi tôt que commençons à vivre, défalquant à tous moments du nombre de ceux que devons demeurer sur la terre ? N’est-ce pas le passer sans profiter à personne lorsque l’employons aux jeux ou bien autres plaisirs terrestres, tels qu’ils pourraient être ? parce que rien ne peut rassasier notre âme ni donner de vrai contentement sinon Dieu seul. Tournons, virons, tant que nous voudrons ; cherchons partout du plaisir et du consentement. Ce fera toujours en vain.

4. Il arrivera bien que nos sens se délecteront pour un temps en quelque chose, mais passagèrement, parce que le monde est ainsi composé ordinairement, qu’à la joie succède la tristesse. J’ai connu des personnes, je les ai pratiquées de près, lesquelles s’étudiaient à donner à leurs sens toutes sortes de plaisirs honnêtes, et avaient aussi la commodité de les chercher sans faire dommage à personne, parce qu’elles étaient riches et honorées de plusieurs ; cependant jamais ne les ai vu contentes : un plaisir engendrait un autre, toujours ainsi insatiablement, sans que leur esprit fût jamais content ; au contraire, la fin d’un plaisir était mélancolie, laquelle souhaitait un autre plaisir pour se divertir ; et ce divertissement redoublait la tristesse à la fin ; ne pouvaient être seules sans pleurer, ni vivre hors des recréations sans chagrin ou dépit. Le temps de la recréation semblait plaisant et riant, mais retournés au logis, tout était morne, noir, et impatient. L’on prenait les vins et les sauces pour dissiper ces noires humeurs, mais sitôt qu’ils étaient avalés, l’esprit se troublait davantage, et se rendaient souvent insupportables aux autres et à eux-mêmes.

5. Voilà la vie de ceux qui veulent ici chercher des plaisirs. Ils se peinent en vain à les pouvoir trouver, et meurent à la fin misérablement, perdant aussi bien les vrais plaisirs que les faux, parce que celui qui aime les plaisirs temporels ne peut avoir les éternels, étant impossible de servir à deux Maîtres sans être infidèle à l’un ou à l’autre [352]. Et Dieu ne serait pas juste s’il donnait la joie éternelle à celui qui n’aime que les passagères. Chacun trouvera à la mort ce qu’il aura acquis en son vivant. N’est-ce pas bien être fou, voire enragé contre soi-même, que de chercher ou désirer les plaisirs de ce monde, qui sont si pénibles, si vains, et de si courte durée, pour se rendre misérable durant sa vie et aller aux Enfers après la mort ? Quel lamentable désespoir à une âme Chrétienne, de se voir confiner dans l’éternité malheureuse pour avoir voulu prendre des plaisirs où ils ne sont pas, et ne point chercher les vrais plaisirs où ils sont, savoir, dans le témoignage d’une bonne conscience, laquelle se réjouit continuellement [353], sans vin, sans sauces, et sans la conversation des hommes ! Quel choix mal avisé, de prendre plutôt quelques plaisirs momentanés que ceux qui ne finiront jamais !

6. Dieu nous a créés pour prendre ses plaisirs en nous [354], et afin que par même conséquence nous prenions nos plaisirs en lui. Et au lieu de ce faire, nous prenons nos plaisirs en des choses basses, impures, et dommageables à notre âme, et déplaisantes à Dieu. Au lieu de prendre nos délices en lui, nous les prenons dans les ordures de la terre, indignes de nous ; avec quoi nous empêchons Dieu de prendre ses délices avec nous. Car encore bien que soyons ses Enfants, il ne prendra jamais plaisir en nous aussi longtemps que notre affection se porte à la terre [355], où il n’y a rien digne d’un vrai Enfant de Dieu. Toutes choses lui doivent être assujetties, mais rien en affection, parce que tout est sans comparaison moindre que lui. L’âme, étant spirituelle et éternelle, ne peut avoir de parangon avec les choses charnelles et passagères. Nous dégénérons de la noblesse où Dieu nous a fait naître lorsque prenons du plaisir dans les créatures en nous retirant du Créateur d’icelles.

7. La Parabole de l’Enfant prodigue [356] est accomplie dans les hommes de maintenant. Ils méprisent la maison de leur Père lorsqu’ils veulent faire des Tabernacles sur la terre. C’est à dire, lorsque nous bâtissons maisons, amassons richesses, ou voulons éterniser notre nom sur la terre, et faire toutes nos œuvres comme si avions ici Cité permanente [357], c’est signe que nous cherchons autre demeure que le Ciel, qui est la maison de notre vrai Père. Il nous laisse aller ne voulant rien par force, mais tout par amour. Il nous donne même ses grâces bien que le voulions quitter, comme le Père donna de l’argent à son enfant prodigue, afin que ne soyons en disette de sa part, et que si nous périssons, ce soit de la nôtre.

8. Mais nous abusons de ces grâces, comme le prodigue fit de son argent ; au lieu qu’icelles nous devraient maintenir en sa crainte pour ne le pas offenser durant notre exil, nous abusons des mêmes grâces pour adultérer avec les créatures, les aimant plus que notre Père céleste. Quel adultère commettons-nous lorsqu’attachons notre cœur à l’or, l’argent, aux beautés ou bontés terrestres, aux honneurs des hommes, ou aux plaisirs de nos sens, qui ne sont autre chose sinon autant de pièces que notre Père tire de son Trésor pour nous donner ce petit gage de son Amour, et nous montrer par là sa bonté et bienveillance en notre endroit, quoique soyons les vrais prodigues de la parabole ! À l’un il donne la beauté et santé, à l’autre l’adresse et subtilité, à l’autre la science et les vertus, avec tous les autres biens qui sont hors de nous, comme, l’autorité, la force et puissance pour dominer sur les autres, les richesses, les états ou honneurs. Et au lieu de par tant de dons reconnaître et remercier Dieu davantage, et aimer de plus une telle bonté qui nous favorise, nous nous présumons de les avoir comme de nous-mêmes, ou bien, par nos mérites ! et sur ce fondement nous bâtissons toutes sortes de péchés, en devenant superbes et arrogants, prodigues et luxurieux, en méprisant les autres, et nous enorgueillissant comme si tout nous appartenait indépendamment, et en sommes chiches ou prodigues selon les mouvements de nos passions et portements brutaux, lesquels nous font consommer nos grâces avec les putains pour par après être réduits à manger avec les pourceaux. C’est à dire : que les grâces de Dieu nous servent souvent de moyens pour abandonner Dieu, qui est notre légitime Époux, afin de nous aller joindre avec des choses terrestres, et prendre nos plaisirs dans les créatures au préjudice de l’amour et de la fidélité que nous devons à Dieu, à qui seul nous devons être alliés et unis par droit divin et humain. Et nous consumons notre esprit, notre corps, avec toutes les grâces qu’avons reçues de Dieu, à complaire aux hommes et satisfaire à nous-mêmes !

9. N’est-ce pas prodiguer illégitimement les grâces si libéralement reçues de notre Père Céleste ? Une personne de bon jugement étudiera toute sa vie pour acquérir quelque science ; et lorsqu’il l’aura acquise il s’y complaira soi-même, et sera aussi plaisant aux autres. Voilà tout le plus haut prix que peuvent valoir toutes les sciences du monde, telles qu’elles puissent être. Et qu’est-ce que nous pouvons acheter avec la complaisance de nous-mêmes et la louange ou estime des autres ? Tout cela ne vaut pas un brin de l’Amour de Dieu, parce que ce sont choses périssables, et nous laissent à la mort avec les mains vides, n’emportant rien de l’estime des hommes, non plus que de tout notre savoir, lequel finit et meurt avec nous quelque grand qu’il pourrait être. Les états sont de même nature. Après que nous avons obligé tout le monde pour être avancés d’un office à l’autre, et que la mort nous surprend au plus haut degré d’honneur où la fortune nous peut avoir poussé, il les faut tous abandonner, hormis les obligations desdites charges, de quoi allons chargés sans emporter autre chose, parce qu’à la mort rien ne nous reste sinon le bien et le mal que nous avons fait. Pour le surplus, le valet est égal à son Maître, sans nuls autres privilèges ou prééminences ; rien n’étant considéré devant Dieu sinon l’amour que lui avons porté, lequel nous fera grands ou petits à mesure que notre âme en aura été possédée. Toutes les autres études, sciences, états ou dignités, ne sont que les putains avec lesquelles nous avons adultéré durant notre exil en cette terre, et les plaisirs qu’avons pris avec icelles ont réduit notre âme si pauvre, qu’elle est contrainte de prendre la nourriture des bêtes et manger avec les pourceaux.

10. C’est ce que font aujourd’hui les plus sages et plus avancés de ce monde. L’on ne les voit complaire en autre chose qu’ès honneurs et désirs d’être estimés ; leurs paroles, leurs actions et pensées, ne font que buter à la terre et aux vanités, qui sont les vraies viandes des bêtes, parce que l’âme raisonnable ne doit étudier qu’à connaître son Dieu et l’aimer, sachant que c’est la seule fin pourquoi elle a été créée. Les choses terrestres et passagères sont le seul Paradis des bêtes. Les âmes des hommes, étant immortelles, doivent avoir plaisir et ne buter sinon aux choses éternelles. Car encore bien que nous n’aurions autre lumière que par notre entendement naturel que Dieu nous a donné, nous verrions bien qu’il faut que soyons créés pour autre fin que pour les choses périssables, puisque n’en sommes jamais rassasiés, et que tous les contentements qu’y pouvons prendre ne durent qu’un peu de temps, ne faisant que passer, laissant nos âmes vides et altérées après d’autres, et tant plus nous en jouissons, tant moins de satisfaction et moins de repos. Si les choses terrestres étaient le but de notre être, les personnes qui en jouissent à souhait en seraient du moins rassasiées, et s’y reposeraient comme à leur centre, mais nous voyons ès autres et sentons en nous-mêmes tout le contraire.

11. Ce qui témoigne assez qu’il faut de nécessité que Dieu nous ait créés pour autre chose, puisqu’il ne nous en laisse pas jouir qu’un petit temps, et nous retire souvent hors du monde lorsqu’y pensons aller reposer, l’un après avoir bâti quelque belle maison à sa commodité, l’autre après avoir acquis des richesses à suffisance ; ou bien celui qui a obtenu l’état ou la condition qu’il a si longtemps prétendue et poursuivie. Dieu coupe le fil de la vie où nous pensons l’aller commencer heureuse. Serait-il si cruel ou injuste que de ne nous pas laisser jouir des biens terrestres s’il nous avait créés pour iceux ? Ce ferait bien un rude Père, qu’il priverait son Enfant des fruits de son labeur, et lui ôterait le plaisir qu’il aurait acquis avec tant de soins, de travail, et d’inquiétudes. Dieu ne peut faire cela, mais il nous veut montrer qu’il nous prépare une autre félicité, et que des choses si frêles et passagères ne sont pas nos fins, que nos âmes sont plus nobles et perdurables que tout ce que nous voyons ou touchons. C’est pourquoi il nous les ôte afin que nous n’y mettions notre cœur, envoyant journellement mourir nos frères, et tout abandonner, richesses, sagesses, honneurs et plaisirs, lesquels se retirent de nous comme une servante à gages, qui a achevé son terme et s’en va servir un autre, ne laissant rien chez son vieux Maître.

12. Toutes les choses qui sont dans le monde sont autant de servantes à gages, qui nous fervent fidèlement en cas que nous ne leur donnions le crédit de dominer sur nous-mêmes, les tenant en leur devoir d’être toujours sujettes et obéissantes à notre raison, il n’y a nul péril à s’en laisser servir et accommoder, mais sitôt que mettons notre affection à aucunes de ces choses terrestres, nous commettons adultère et fornication. Car Dieu seul est le légitime Époux de notre âme, lequel doit avoir tout notre cœur, parce que nous n’appartenons entièrement qu’à lui, par droit divin et humain.

13. Ce que nous pouvons aussi voir par notre raisonnement humain. Car encore bien que nous ne puissions connaître Dieu, nous connaissons bien la dépendance qu’avons de quelque chose ; nous sentons qu’autre chose que nous nous soutient, parce que nous voyons assez par expérience notre insuffisance à la moindre chose. Qui peut maintenir un moment son âme dans son corps, ou celle d’un autre ? Qui peut faire qu’elle anime quelque partie de notre corps ? Rien ne se peut faire humainement. Si nous voyons, entendons, parlons, marchons, ou travaillons, encore bien que tous nos membres seraient entiers, ils ne peuvent rien opérer sans quelque dépendance qui soit divine et au dessus de nous. Rien de créé ne peut avoir fait notre âme, parce qu’elle est incompréhensible au jugement humain. Notre corps, qui est si visible et matériel, ne peut être fait par des moyens terrestres ; car il n’y a pas aucune créature humaine, autant subtile qu’elle pourrait dire, qui saurait faire ou créer un cheveu, un ongle, ou la moindre propriété de notre corps ; ainsi, sans sortir de nous-mêmes, il faut que nous confessions dépendre immédiatement d’un Dieu de qui nous recevons toutes choses ; car tout ce que nous voyons est moindre que nous, et ne peut nous avoir créé aucune chose, pour être au dessous de l’homme, lequel est Supérieur aux autres créatures par son entendement raisonnable, lequel dépend cependant d’une puissance souveraine, laquelle nous devons aimer sur toutes choses comme Créateur de tout, et aussi de tout notre cœur, notre entendement, et de toutes nos forces, puisque tout vient de lui seul, sans autre dépendance.

 

Dommages de la conduite propre et sensuelle.

 

14. Comment est-il possible que l’homme soit si aveuglé d’esprit que de ne point s’abandonner du tout à la gouverne de son Créateur et Bienfaiteur, et qu’il choisisse plutôt d’aimer des choses moindres que soi sans comparaison, estimant plus une sensualité ou plaisir momentané que des délices éternelles qui ne finiront jamais, ayant leur commencement en cette vie pour avoir leur accomplissement en l’autre ! Après savoir que notre âme est immortelle, comme nous le pouvons assez voir par son incompréhensibilité, que nous la voulions avilir et assujettir à des passions vicieuses et insolentes, qui sans bride et sans raison courent à toutes sortes de désordres ! Rendre une si belle âme asservie à des choses brutales ! Quel tort lui faisons-nous ! Si elle se pouvait entendre, elle fait assurément des lamentations de l’infortunée condition de devoir animer un corps qui la rend si misérable, qu’elle étant de nature divine, elle doit servir d’esclave à une nature humaine sur laquelle elle doit dominer absolument, comme lui étant supérieure, et infiniment plus estimable pour son éternelle durée.

15. Quel étourdissement d’esprit, d’aimer plus le temps que l’éternité ! Car encore bien que tout ce qu’il y a sur la terre donnerait à nos sens toute sorte de satisfactions et contentements, si ne sont-ils nullement aimables, pour leur courte durée, et sont beaucoup moins désirables, puisqu’ils nous font perdre notre bonheur éternel, et nous obligent à des peines qui n’auront jamais de fin. Car celui qui prend ici ses plaisirs sensuels sera assurément frustré des éternels [358]. Voilà un pauvre échange, qui nous est fort intéressable, de perdre ou quitter une éternité de bonheurs pour quelques petits nombres d’années que vivons ici bas.

16. Cependant nous en sommes libres [359] ; car Dieu ne force personne, nous ayant créés d’une nature libre et d’un entendement capable de discerner le bien hors du mal, il nous laisse agir selon notre volonté, nous donnant ses grâces, que trop suffisantes, si qu’un chacun peut expérimenter, desquelles abusant comme l’enfant prodigue, il nous faut pâtir, souffrir, et être misérables par notre faute. Et si nous sommes obligés de manger avec les pourceaux, c’est parce que nous avons quitté la maison de notre Père céleste, où nous pouvions être nourris et repus de sa Divine parole, laquelle était le vrai aliment de notre âme, laquelle ayant délaissé, sommes par après contraints de chercher parmi les hommes quelque consolation vaine, qui ne fait que flatter les Oreilles sans consoler nos cœurs, vu que cette consolation ne peut venir d’ailleurs sinon de notre Père céleste, les promesses et bienfaits des hommes n’étant que les aliments des bêtes, lesquelles s’entretiennent chacune selon la condition de leur espèce : un cheval, de foin ; un oiseau, de grains ; et un poisson, d’eau.

17. Les âmes qui se veulent alimenter par les paroles des hommes cherchent un aliment contraire à leur espèce, parce que son propre aliment est la Parole de Dieu. Si elle pense s’entretenir avec des divertissements des Creatures, il faut qu’elle meure, parce que cet aliment n’est propre à son âme, non plus que le foin ne serait au poulet. Et qu’aurons-nous acquis de gagner toutes les affections des hommes, qui ne nous peuvent rien donner que des divertissements de Dieu ? parce qu’ils ne portent plus maintenant son image, l’ayant toute défigurée par l’oubli de sa Loi. L’on ne les entend que parler des affaires temporelles et passagères. Leurs entretiens sont vains, et leur promesses fausses, étant impuissants de nous donner autre chose sinon des amusements et perte de temps.

18. Il est plus que temps de retourner à notre Père. Nous avons assez vu le malheur qui nous a talonné depuis qu’avons cherché les plaisirs de cette vie ; notre âme a été en continuel danger de périr éternellement, notre esprit en troubles et anxiétés, notre corps peu satisfait. Arrêtons le cours de notre entendement pour voir et considérer sérieusement le périlleux état où nous vivons insensiblement misérables. Nous plions sous le faix des misères, et ne savons d’où vient cette pesanteur, et encore moins étudions-nous pour trouver les moyens de nous en décharger. La pesanteur de toutes nos souffrances vient de ce que nous nous gouvernons nous-mêmes ; et le remède serait de nous laisser gouverner de Dieu. Ce que ne voulant faire, nous irons de mal en pis, parce que nos passions accroissent toujours leurs insolences aussi longtemps qu’elles ne sont pas bridées et assujetties à Dieu.

19. Les personnes enragées mangent leur propre chair lorsqu’ils ne peuvent avoir celle des autres, pour en être éloignées, et l’âme qui ne se laide gouverner par Dieu nuit grandement au prochain, par scandales et mauvais exemples, mais nuit encore davantage à soi-même, en ruinant sa propre âme, qui est tyrannisée par ses passions vicieuses, qui la font souffrir en tout tels lieux, états, ou conditions que la personne se puisse retrouver. Nuls bourreaux ne la sauraient mettre en semblable gêne comme les passions mettent l’âme. L’on ne sait quelquefois à quoi attribuer qu’on est triste ou mal content, sans causes ou sujets visibles. L’on ne sait d’où vient la crainte et le désespoir. Et si l’on n’était pas aveugle l’on verrait bien assurément que tout cela vient de ce que ne sommes pas entièrement abandonnés à la gouverne de Dieu, et que la présomption de nous vouloir gouverner nous-mêmes en est la cause, en suivant nos propres désirs, lesquels nous servent de dents pour déchirer notre âme et la tyranniser comme si nous étions des enragés d’entendement, qui ne sommes domptables que par les chaînes, fers et garrots des criminels, qui sont les fléaux et châtiments de Dieu.

20. Ce n’est pas là vivre en Enfants, mais en esclaves serviles. Par où nous pouvons véritablement dire avec l’Enfant prodigue, que les servants en la maison de notre Père sont mieux entretenus ; c'est-à-dire, que le moindre de tous les Anges dans le Paradis est plus grand que l’âme de l’homme depuis qu’il s’est voulu gouverner soi-même, en abandonnant (autant qu’il est en lui) la dépendance et la gouverne de son Dieu. Il n’a pas cessé de demeurer son enfant encore bien qu’il ait péché contre lui, non plus que le prodigue. Mais il s’est volontairement retiré de la gouverne de son Dieu pour s’adonner à suivre sa propre concupiscence, où il ne peut rencontrer que toutes sortes de misères et pauvretés, parce que le péché aveugle l’âme, et la fait tomber d’un mal en l’autre sans l’apercevoir. Et encore bien que l’on verrait sa misère, si ne voit-il pas souvent les moyens pour s’en retirer, mais il s’abyme toujours de plus ; et plus profonde est l’abyme, plus ténébreux est son entendement, et moins peut-il trouver le moyen d’en sortir, parce qu’un péché engendre l’autre ; par où sa génération s’accroît toujours. Ce sont comme les anneaux d’une chaîne enlacés l’un dans l’autre, qui se traînent tous sitôt qu’on en tire l’un.

21. Voilà la misère où l’homme s’est réduit par le premier péché, lorsqu’il a présumé de vouloir être sage pour se gouverner soi-même et vivre indépendant de la gouverne de Dieu. Il a sitôt prodigué toutes ses grâces, qui étaient puisées aux trésors de cette Sapience Divine, que sa bienveuillance nous avait si amoureusement départies, comme le dot qui nous devait maintenir honorablement le cours de cette vie passagère pour acquérir plus de grâces, afin de mieux glorifier notre Père. Et au lieu de ce faire, nous dépensons si misérablement celles qu’il nous a données, qu’à juste raison nous pouvons être parangonnés aux pourceaux, qui mangent les glands sans jamais regarder celui qui est sur l’arbre pour les faire tomber.

22. Nous usons de toutes les grâces de Dieu seulement pour notre utilité terrestre, qui pour parvenir à états ou honneurs, qui pour acquérir richesses ou plaisirs ; ainsi d’autres choses temporelles et passagères, comme si elles étaient notre fin. Et croyons d’avoir été sages de nous pourvoir de quelque bonne fortune, sans apercevoir que tout est perte de temps ce qui n’est pas employé pour la gloire de Dieu, ou l’acquisition des biens éternels. D’autant que tout le reste est vain. Rien ne nous est nécessaire qu’un peu de viande et de couverture à notre corps. Tout le reste est superflu, voire nous est à charge, parce qu’il nous en faudra rendre compte. Et les grandeurs ou honneurs ne sont que choses fantastiques qui remplissent notre imagination, parce que celui qui s’imagine seulement d’être riche, il a autant que celui qui l’est en effet ; puisque l’un aussi bien que l’autre a son aliment nécessaire, et celui qui s’imagine qu’il est honoré partout, a autant de satisfaction que celui qui possède réellement l’honneur ; comme celui qui prend plaisir à travailler est souvent plus recréé de son travail qu’un autre qui se plaît ès jeux ou danses, parce que tout n’est qu’une impression imaginaire de notre fantaisie, qui ne met rien en nous que du vent ; pour lequel nous peinons et travaillons avec tant d’inquiétudes, au préjudice de notre salut, lequel il faut de nécessité acquérir pendant notre courte vie, parce qu’après la mort il n’y a plus de rémission, et le temps passé ne peut plus retourner. C’est une perte irréparable et sans remède.

 

          Au mois de Mars 1667.

 

 

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CHAPITRE VI.

 

Que nous devons mépriser cette vie pour aspirer à celle qui est éternelle. Que nous errons à suivre nos propres désirs en choisissant quelque état sous bons prétextes. (De l’Aumône). Rien ne sera à la gloire de Dieu sinon ce que faisons en suite de sa Gouverne. Du Mariage, du Célibat, et toutes autres sortes de conditions. Que rien ne nous rendra parfaits sinon de connaître la volonté de Dieu, et l’accomplir. Qu’il n’est permis d’user des biens d’Église si que l’on fait. Que Dieu en demandera compte. Que les Religieux sont bien éloignés de l’Esprit de leurs Fondateurs. Qu’ils pèchent en recevant aumônes, et aussi ceux qui leur donnent, étant cause qu’ils perdent l’Esprit de Dieu.

 

Du propre choix de genre de vie.

 

1. NE sont-ce pas des horribles ténèbres à notre entendement que de nous amuser à des choses si frêles pour lesquelles nous devrions plaindre un moment de temps si mal employé, où que notre vie n’est donnée que pour passer à l’éternité ? Folie, de s’arrêter en ce chemin si pénible et si dangereux ! Tous ces malheurs nous arrivent pour avoir quitté la maison de notre Père, et que voulons suivre nos propres mouvements. Cela est la seule cause de tous nos malheurs, temporels, spirituels, et éternels, parce que nos propres désirs ne regardent que le temps présent ; par ainsi se portent-ils à tout ce qui est beau et bon présentement, sans avoir la prudence de penser à l’avenir, d’autant que le présent est visible et sensuel, et que les choses à venir sont invisibles et surnaturelles. Si nous étions de la nature des porcs (qui mangent les glands tombant de l’arbre sans jamais lever la tête pour regarder d’où ils viennent ou tombent, n’ayant autre gouverne que la gourmandise, laquelle ne les induit à autre chose qu’à avaler et incorporer la viande), nous aurions quelque raison de nous gouverner selon notre désir, mais nous sommes par nature et par grâce les vrais Enfants de Dieu, sur lequel nous nous devons toujours avoir l’œil pour le bénir de tout ce qu’il nous donne en cette vie, et aspirer à la vie éternelle qu’il nous a préparée ; sans nous arrêter avec les porcs pour manger ces biens terrestres par gloutonnies et sensualités nôtres.

2. Épluchons un peu de près notre vie, et voyons où nous sommes réduits, et s’il y a grande différence à celle de l’enfant prodigue, la parabole duquel est toute accomplie et perfectionnée en nous. Car l’on ne pense plus maintenant à la vie spirituelle. Un chacun se porte à ses sens et se gouverne selon qu’il désire. Ni Loi de Dieu ni conseil Évangélique n’est plus en usage. L’on en parle bien par formalité, mais personne n’en vient à la pratique. Chacun abonde en son sens. Dans les choses de son salut même l’on se forme autant de Lois qu’on a de divers désirs. L’on glose et explique selon le portement ou inclination d’un chacun. L’on engendre soi-même les moyens pour notre salut, et l’on méprise ceux que Dieu nous donne. Un chacun veut bâtir le chemin du Paradis à sa mode, et choisir les voies et le temps tels qu’il nous sera le plus agréable ; sans recevoir de Dieu ce qu’il veut donner, nous prenons de nous-mêmes ce que voulons avoir. L’un veut être riche, l’autre sage ; l’un se veut marier, l’autre veut être d’Église. Celui-ci veut avoir un tel office, l’autre un tel bénéfice ; et pour parvenir à tout cela, l’on étudie, l’on travaille de corps et d’esprit pour arriver à ses présentes, l’on n’épargne rien pour arriver à ce qu’on désire.

3. Et avec cela, l’on s’assure d’avoir le salut, parce que l’un dira : Lorsque j’aurai des richesses, je pourrai donner aux pauvres ; l’autre croira d’enseigner les autres lorsqu’il sera sage. Celui qui se marie croira d’avoir des enfants qui serviront à Dieu, et celui-ci se rend d’Église pour diriger les autres ; un qui sera en office dira que c’est pour observer Justice, et l’autre par quelques bénéfices voudra aider ses Parents. Voilà les désirs des plus gens de bien de maintenant, lesquels croient assurément aller en Paradis avec iceux.

 

Choix d’état de riche, pour donner.

 

4. Mais ils se trompent fort souvent, parce qu’aucunes fois ils ne font pas selon leurs bons propos, et lorsqu’ils ont obtenu la chose qu’ils ont désirée, ils en jouissent comme de chose à eux due et dévolue, ne pensant plus à leur première promesse ; et encore bien qu’ils seraient si fermes que de continuer en la bonne intention qu’ils ont eue une fois (ce qui est rare), néanmoins ne sont-ils assurés de leur salut ; car Dieu ne regarde pas les dons, mais la bonne volonté du Donneur. Celui-là qui est riche ne mérite pas davantage en donnant cent écus au pauvre que celui qui est pauvre en donnant un liard, s’il n’a pas plus de charité que celui qui donne son liard ; car Dieu n’a point affaire d’argent, parce que toutes les mines d’or lui appartiennent, avec tout le monde. Il mesure seulement l’Amour qu’on lui porte en donnant, et point la longueur et largeur du don. C’est ce que S. Paul veut enseigner lorsqu’il dit : Quand vous donneriez tous vos biens à la nourriture des pauvres, et que vous n’avez pas la charité, ce n’est rien [360].

5. Partant, celui se trompe qui désire des richesses pour donner aux pauvres, croyant avec cela que Dieu sera obligé de lui donner le salut. Ce trafic avec Dieu ne lui fera pas profitable si avec il n’est mû de donner pour son amour seulement ; car celui qui donne pour autre fin, ne mérite rien pour l’éternité. Il peut seulement recevoir quelques grâces temporelles de la même nature qu’a été son aumône matérielle, comme sont celles qui ne regardent sinon quelque tendresse ou inclination naturelle, ne provenant de l’Amour de Dieu ou de la charité du prochain, lesquelles ne regardent sinon l’accomplissement de la volonté de Dieu, et donnant par bienveuillance au prochain comme nous voudrions recevoir en notre besoin, si que le même Dieu nous l’a commandé, et que nous voulons donner aux pauvres pour accomplir ces deux commandements, d’aimer Dieu et son prochain ; point pour l’inclination que nous avons à ceci ou à cela.

6. Il y a souvent en ceci grande tromperie, en se persuadant que nous donnons pour l’amour de Dieu ; ce n’est que pure satisfaction à nous-mêmes ; comme lorsque nous donnons à quelque Ordre ou Congrégations pieuses où nous sommes affectionnés, attendant d’icelles de la Consolation ou Satisfaction. Cela est chercher soi-même, et perdre le mérite de l’Éternelle rétribution, à cause que le recevons en ce monde par la complaisance qu’on nous fait pour nos dons. Tout de même en est-il de donner à quelque particulier à cause qu’il nous est parent, voisin, ou ami. Cela ressent encore sa nature. Car pour donner purement pour l’Amour de Dieu, il faut seulement regarder la nécessité de notre prochain, et le Commandement que Dieu nous a donné de l’aimer comme nous-mêmes, sans considérer si celui à qui nous donnons est notre ami ou non, ou si attendons de lui quelque satisfaction ou reconnaissance, mais purement parce que Dieu nous l’a commandé, sans autre cause mouvante ; ou autrement, notre mérite est perdu pour l’éternité, et nous serons rétribués de semblables dons par la satisfaction que nous fera celui ou ceux à qui nous avons donné. Il n’en faut attendre d’autre, car nous serions frustrés de notre attente. C’est pour cela que Jésus Christ dit qu’il faut inviter les pauvres à nos festins [361], de peur que les riches nous invitant par après, notre salaire ne soit reçu en ce monde, et qu’en vain nous n’en attendions un autre. En sorte que celui qui veut recevoir honneur, service ou complaisances de celui à qui il croit avoir fait aumône ou Charité, il perd tout son mérite, et n’en doit attendre de récompense au Ciel. Par où se voit qu’il n’est pas bon de souhaiter ou rechercher des richesses afin de donner aux pauvres ; puisque le don doit être si pur avant en avoir du mérite devant Dieu.

 

Des Dons faits aux Moines.

 

7. Il est vrai que les hommes loueront toujours les dons, parce que chacun les souhaite ; plus ceux qui en sont accommodés que ceux qui en ont besoin, parce que c’est l’ordinaire des avaricieux de n’avoir jamais assez, et convoiter toujours. L’on voit cela dans les Monastères. Encore bien qu’ils aient des biens à suffisance, ils reçoivent toujours, et formeront tant de prétextes de désirer et demander toujours davantage. En quoi ils pèchent, avec ceux qui leur donnent, l’un et l’autre coopérant au larcin qu’ils font aux vrais pauvres. Car s’il n’est permis à un particulier de recevoir des aumônes sinon en la nécessité, où il ne peut voir ses entretiens ni par travail ni par autres industries, et que s’il les reçoit sans cette précise nécessité il est larron des vrais pauvres et obligé à restitution. Combien plus ceux qui reçoivent aumônes pour faire bâtiments superflus, ornements somptueux, et autres prodigalités ou excès ? Je ne vois jamais quelque Ordre mendier qu’il ne me tombe en pensée qu’ils sont larrons des pauvres, signamment ceux qui reçoivent dots. Ils ont plus que suffisantes rentes pour vivre, et cependant attirent toujours. Et ceux qui ne reçoivent directement dots, feraient mieux à mon avis de jouir de leurs propres biens, qu’après les avoir laissés à leurs parents, aller mendier aux étrangers, et recevoir les aumônes de ceux qui n’ont nuls moyens de vivre par autres voies, n’ayant ni biens de fortune, ni santé ou industrie pour en pouvoir gagner.

8. L’on prétexte que les Fondateurs desdits Ordres ont institué cette mendicité, mais ils ont aussi institué de suivre l’Esprit Évangélique et la pauvreté d’esprit. Si leurs enfants Successeurs gardaient aussi bien l’un que l’autre, il serait permis dans quelque besoin nécessaire de demander pour l’Amour de Dieu secours au prochain. Mais tant s’en faut que leurs volontés soient pauvres ; au contraire, ils convoitent les biens de ceux qui en ont quelques fois beaucoup plus besoin que ceux à qui ils le donnent, l’honnêteté ou vergogne les empêchant de le leur refuser. En quoi pèchent le demandeur, et aussi le donneur. Car celui qui donne ce dont il a besoin à celui qui a mieux que lui, il commet indiscrétion, parce que la Charité bien ordonnée commence à soi-même, et donner par respect humain, c’est superbité et hypocrisie ; outre ce, l’on est cause que ceux qui ont fait vœu de pauvreté faussent la promesse qu’ils ont faite à Dieu. Si personne ne leur donnait, ils seraient obligés de faire du moins à l’extérieur ce qu’ils ont voué publiquement, et ne donneraient scandale si universel, parce qu’au lieu de pauvreté, ils ont l’abondance, et au lieu d’humilité, la superbe. Il ne leur peut rien manquer à leur souhait, ni le respect, ni les aises. Ce qui est bien éloigné de la manière de vivre de ceux qui les ont établis ; car il n’y a nuls Fondateurs d’Ordre qui ne méprisât les richesses et les honneurs du monde, et qui ne souffrît volontiers malaises et nécessité, se contentant de peu. Les biens du monde leur ont maintenant fait perdre l’Esprit du Christianisme, et si on ne leur eût pas tant donné d’aumônes, il est à croire qu’ils auraient suivi de plus près l’Esprit de leurs Fondateurs.

9. Par où se découvre assez qu’il n’est pas bon de désirer des richesses afin de pouvoir avec icelles faire des aumônes, parce que Dieu peut assez pourvoir un chacun. S’il ne voyait que la pauvreté est salutaire à aucuns, un chacun serait assurément riche, par la grande bonté de Dieu, qui ne nous dénie sinon ce de quoi nous abuserions. Mais lorsqu’il nous donne des richesses sans les avoir désirées ou recherchées, il faut alors tâcher d’en procurer sa gloire et assister notre prochain dans son besoin, si que voudrions être assistés dans le nôtre ; et cela sans affectation des personnes, donnant à tous indifféremment sans partialité ou inclination nôtre, regardant toutes les créatures humaines comme images de Dieu, pour quoi seulement nous sommes obligés à les aimer, sans autre égard, Dieu n’ayant besoin de nos dons, ni de notre sagesse, ni de nos Enfants, ni de nos offices ; d’autant que tout est à lui. Et s’il nous les donne, ce n’est que pour nous en servir à sa gloire, et lui témoigner combien nous l’aimons par la bienveuillance qu’avons à l’endroit de notre prochain.

 

Choix des études.

 

10. Partant, celui qui a la sagesse, ne doit pas s’en prévaloir, mais en être plus en crainte, parce qu’elle l’oblige à plus de perfection et à plus grand compte à rendre ; en sorte que si la Sagesse n’est appliquée pour mieux connaître Dieu, et le faire connaître aux ignorants, elle est vaine pour nous et pour les autres, parce que toutes autres sciences ne sont pas nécessaires à notre salut. Un simple paysan peut être plus grand Saint qu’un sage Docteur s’il aime davantage son Dieu. Et si nous désirons la Sagesse seulement pour enseigner les autres, c’est aussi une charité mal ordonnée. Car que servira-t-il à l’homme s’il gagne tout le monde et fait perte de son âme [362] ?

11. La vraie sagesse est de sauver son âme. Toutes les autres sciences ne sont que temporelles et passagères, qui ne nous serviront de rien à la mort sinon de plus grande condamnation. Partant, c’est en vain que désirons être Sages pour enseigner les autres, vu qu’une seule chose est nécessaire [363], savoir, entendre la parole de Dieu et la mettre en pratique. Nous ne devons jamais désirer autre chose, puisque celle-là suffit. Toutes les autres sont superflues ou inutiles ; ne soit lorsque Dieu nous les veut donner sans les avoir désirées. En ce cas, il se faut étudier à s’en servir selon ses volontés, et pas la nôtre, vu que ne savons ce que voulons, et encore moins ce qui nous est bon.

 

Choix du mariage.

 

12. Celui qui désire se marier pense qu’il cherche la gloire de Dieu, mais s’il s’examinait de bien près, il trouverait que ce n’est qu’une pure inclination sensuelle, ou quelque avantage temporel, parce que bien souvent l’on cherche plus l’argent et le parentage que la Vertu dans la personne qu’on veut épouser. Cela témoigne assez qu’on ne désire pas le mariage afin d’avoir des enfants pour servir Dieu, si qu’on se persuade ; car si l’on avait ce but, l’on chercherait une partie vertueuse, qui aurait le talent d’instruire et induire iceux enfants à la piété et dévotion, sans se beaucoup arrêter au reste, qui suivrait assez ; en cas qu’on chercherait le Royaume des Cieux, Jésus Christ promet de donner le reste [364], sans qu’il nous faille le chercher. Il appelle toutes les choses temporelles, comme est la beauté, les richesses et honneur, un reste, qui est une chose méprisable, parce qu’un reste est toujours de petite valeur et peu estimable.

13. Cependant les hommes aujourd’hui sont mépris de la promesse de Dieu, qui ne peut manquer si nous ne manquons à la condition qu’il y pose, et estiment davantage ce reste que le Royaume des cieux, parce qu’ils le recherchent avec plus d’avidité et de soin qu’ils ne font son Royaume. De là vient qu’ils perdent bien souvent l’un et l’autre. Car Dieu a satisfait à leurs désirs en leur donnant ce reste, lequel bien souvent se perd et dissout en peu de temps : la beauté se ternit par quelque maladie, les richesses se dépensent faute de bien ménager, et l’honneur se perd par la pauvreté, ou autre revers de fortune. Voilà tout mon reste évanoui, et le Royaume des Cieux perdu ! parce qu’on ne l’a pas voulu chercher.

14. L’on dira de bouche, de le vouloir chercher, mais notre dire n’est pas véritable. Car si cela était, l’on chercherait et prendrait tous les moyens pour y arriver. L’on se mettrait à prier Dieu instamment pour savoir en quel état nous le pourrions mieux trouver, sans consulter notre propre volonté ou inclination vicieuse. Et si nous sentions de l’inclination au mariage plutôt qu’à aucun autre état, nous nous offririons à Dieu avec une volonté indifférente de le faire ou laisser si telle est sa gloire et notre salut, attendant qu’il fasse naître les occasions telles qu’il lui plaira, faisant de notre côté toute sorte de devoirs pour trouver une partie sortable à notre humeur, afin de pouvoir vivre avec en paix et charité Chrétienne, et surtout qu’elle puisse avoir la crainte de Dieu et la Vertu à cœur, afin qu’elle puisse élever conjointement les enfants en icelles.

15. Voilà ce que nous chercherions seulement en cas que ce soit Dieu qui agrée nos désirs, et que nous puissions nous engager librement dans un état si pénible et dangereux ; car si nous nous y mettons inconsidérément de notre propre volonté, ce sera deux Enfers, parce que le mariage est l’état le plus pénible du monde, et celui qui se marie a besoin de beaucoup plus de force et vertu que ceux qui entrent dans les Cloîtres les plus austères (mais que l’on se veuille sauver en mariage) ; d’autant qu’il y a plus de détourbiers au service de Dieu par les soins d’entretenir sa famille ; les études pour complaire à sa partie et parents dérobent toutes nos attentions, et le lien et sujétion d’un mariage ôte souvent la liberté de se donner tout à Dieu ; les occasions de pécher sont plus fréquentes, les distractions plus ordinaires ; et celui qui se marie est obligé de plus travailler afin de subvenir à plusieurs outre sa personne ; et, par dessus tout, a grande charge d’âmes et de consciences.

 

De l’éducation des enfants.

 

16. Car il n’a pas satisfait en veillant à son salut seul, mais est encore obligé à celui de tous ses enfants ; en sorte que si un d’iceux n’était assez bien enseigné au fait de la doctrine Chrétienne, tous les péchés qu’il commettrait par cette ignorance seraient imputés aux parents. Et encore bien que Père et Mère auraient vécu en leurs personnes fort vertueusement, ils seraient bien damnés pour avoir négligé d’enseigner à leurs enfants les choses nécessaires à leur salut, ou ne les avoir repris et châtiés en malfaisant, ou leur avoir donné mauvais exemple.

17. Voilà des grandes obligations qui sont fort peu considérées par les mariés d’aujourd’hui, parce qu’on voit les Enfants si peu instruits ès points de notre foi et des devoirs de leur salut, Pères et Mères prenant plus de soin de nourrir leurs corps que leurs âmes. N’est-ce pas chose bien dangereuse que le Salut des Pères et Mères dépende de la bonne gouverne et instruction de leurs enfants, et qu’ils l’appréhendent si peu en s’engageant dans le mariage inconsidérément, y vivant négligemment, pour mourir misérablement ? Ne voilà pas un état pénible et dangereux, que personne ne doit entreprendre sinon celui à qui Dieu a fait de grandes grâces ? Parce qu’autrement ils seraient la cause de leur damnation.

18. Et au lieu de produire des Enfants pour servir à Dieu, ils servent pour l’ordinaire au Diable, parce qu’ils sont élevés en toutes sortes de vanités, oubliant la première intention du mariage, d’avoir des enfants Chrétiens ; ils sont beaucoup pires que les Païens, et cela par la gouverne de leurs Parents, lesquels sont obligés de leur enseigner comment ils sont Chrétiens, ayant renoncé dans le baptême au Diable, au Monde et à ses pompes et vanités. Et on leur enseigne à s’y plaire, et aimer icelles pompes et vanités, les accommodant à la mode avant d’avoir l’usage de raison ; l’on dérobe à Dieu ces jeunes âmes avant qu’elles le puissent connaître, et les premières pensées se portent à suivre le monde avant qu’ils sachent qu’ils y ont renoncé au baptême, de quoi on ne leur parle presque jamais. Il semble que c’est assez qu’on les ait portés aux fonts de baptême sans enseigner ce qu’ils y ont promis ; quoiqu’ils ne le puissent savoir sans cet enseignement ; d’autant qu’étant baptisés tendres, ne sont capables de raison.

19. C’est pour cela qu’on prend parrains et marraines, afin de leur donner à connaître la promesse qu’ils ont faite à Dieu au nom de l’Enfant, et qu’il soit informé qu’il est fait Chrétien et par conséquent obligé à mépriser les pompes du monde. Et si parents et marraines ne se déchargent de cette obligation, ils pèchent grandement, mais la charge en demeure aux Pères et Mères, lesquels ne seront jamais sauvés s’ils ne le font. Cependant il semble que c’est le moindre soin qu’ils portent sur leurs Enfants ; car ils remettent ces devoirs à quelques Maîtres ou Maîtresses d’École, sans examiner s’ils le font pertinemment, ou non ; comme par manière d’acquit, ils s’en déchargent plus légèrement qu’ils ne feraient de l’aliment de leur corps, lequel ils ne voudraient ainsi confier sans assurance aux personnes à qui ils confient leurs âmes. Comme si l’âme n’était que servante du corps !

20. Ils n’en seront nullement déchargés devant Dieu ; au contraire, en recevront assurément grand châtiment de Dieu ; point seulement qu’ils ne leur ont enseigné les devoirs d’un vrai Chrétien, mais bien davantage qu’ils leur ont enseigné les vanités du monde à quoi ils avaient renoncé. Cependant l’on ne voit autre chose que vanités aux Enfants des personnes même les plus pieuses et dévotes ; l’on ne fait point de conscience ni péché de dire aux Enfants qu’ils sont braves et beaux, pour leur faire enfler le cœur d’estime d’eux-mêmes, et commettre le péché d’orgueil avant de le connaître ; avant qu’ils sachent parler ils savent bien désirer les vanités, parce qu’on leur imprime en leur cœur comme en la cire molle. Comment pourraient-ils être autres que vains lorsqu’ils sont en âge, étant de si tendre jeunesse accoutumés à ces vices par leurs parents, qui ne leur parlent d’autres choses ? Et si tôt qu’ils sont arrivés à l’usage de raison, l’on cherche des Écoles de bienséance qui les continuent dans leurs mauvais commencements, afin de croître toujours en la Vanité, si que les Parents désirent ; au lieu de désirer de les mener à Dieu, ainsi qu’ils disaient en se mariant ; pensant tromper Dieu par nos fausses promesses, nous nous trompons nous-mêmes, en ne faisant ce qu’avions proposé ; ainsi allons aux Enfers en suivant notre propre volonté, sans nous abandonner à celle de Dieu.

 

Choix de l’état Ecclésiastique.

 

21. Il y en a des autres qui s’estiment plus Religieux que ceux qui se marient, parce qu’ils se rendent d’Église, ou bien veulent vivre en Célibat, en l’état de continence, croyant d’enseigner et d’édifier les autres. Mais aussi tôt qu’ils sont pourvus ou vêtus modestement, ils s’enflent d’orgueil, se présumant qu’un chacun leur doit de l’estime et du respect ; et au lieu d’édifier le monde, ils scandalisent les bons esprits et clairvoyants, parce qu’ils veulent enseigner ce qu’ils ne veulent pratiquer. Et avec ce s’estiment plus que les autres, voulant enseigner tout le monde par leurs propres sentiments. Et au lieu de s’abandonner à Dieu, ils s’estiment comme Dieux sur la terre, diverses personnes se laissant diriger d’eux pour la bonne opinion qu’elles ont de leurs vertus, quoiqu’elles soient vaines et hypocrites lorsqu’elles ne sont produites par la gouverne de Dieu, parce que toutes vocations sont bonnes venant de lui, mais rien n’est à estimer hors de sa volonté.

22. Nous croyons être parfaits pour être dans un état ou vocation parfaite. Ce qui nous trompe. Car rien ne nous peut rendre parfaits sinon l’abandon de notre volonté à celle de Dieu. Hors de là, toute est tromperie. Les états des Ordres les plus parfaits ne donneront à notre âme aucunes perfections si elles ne sont réellement engravées en icelle, ce qui étant, nous sommes bien en toutes sortes d’états, et n’étant pas, nous ne serions bons en nuls ; au contraire, nous serions orgueilleux de vivre en état de perfection sans nous rendre parfaits, faisant plus d’état de ce que le monde dit ou estime de nous que de ce que nous sommes réellement devant Dieu. Ce qui est un grand aveuglement d’esprit, où cheminent la plus part des dévots ou gens d’Église, qui ne se voudront jamais comparer aux personnes du monde au fait de la Vertu, croyant que toute la sainteté gît dans leur continence, quoique d’ailleurs ils soient remplis d’amour propre et d’estime d’eux-mêmes ; en quoi souvent les gens mariés les surpassent de beaucoup, étant abandonnés à Dieu par humilité et défiance d’eux-mêmes.

 

          Au Mois de Mars. 1667.

 

 

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CHAPITRE VII.

 

Des divers états que choisissent les gens de bien, croyant de plaire à Dieu. Que nuls ne sont nécessaires à salut, et que nous nous pouvons sauver en toutes sortes d’états. Que la vertu ni le péché ne sont choses matérielles, mais spirituelles et invisibles. Que les hommes nous trompent et nous nous trompons nous-mêmes de croire que la dévotion consiste en aller aux Églises et souvent communier, quoique par là ne devenions plus parfaits.

 

Choix d’état Politique.

 

1. VOILÀ ainsi qu’il y a du danger en toutes sortes de vocations, ne soit qu’elles soient dirigées par Dieu même ; car celui qui désire d’être avancé en quelque office, croyant d’y exercer justice, y manquera aussi souvent ; car les égards humains sont si sensibles ; le désir de satisfaire aux personnes d’autorité ou bien aux amis, chatouille les sens, et fait souvent faire contre son bon propos, et le nombre de ceux qui n’aiment pas la Justice étant si nombreux qu’il faut céder aux plus forts (parce que bien souvent l’on n’y peut résister), l’on n’a plus maintenant que la charge et les déplaisirs dans les états. Pour celui qui y veut observer justice, il acquiert nombre d’ennemis sans profit, parce que le mal domine, quoique contre la volonté de celui qui voudrait bien faire justement. Il faut qu’il cède bon-gré mal-gré. Il faut qu’il se déporte de sa bonne intention, et qu’il suive directement ou indirectement l’injustice, quoiqu’il soit homme de bien.

2. Il ne faut aujourd’hui prétendre à nuls offices si l’on veut vivre en vrai Chrétien, parce que la Charité n’est plus en usage, la vérité plus en crédit, ni la justice plus observée. Il ne faut que savoir bien haranguer, bien mentir, et observer de belles formalités pour gagner sa cause et opprimer la Justice et l’innocence. Un Juge doit être souvent contraint de céder le droit à celui qu’il juge en sa conscience avoir tort. Par ainsi, nuls états ou offices, tels qu’ils puissent être, ne sont souhaitables par gens de bien, parce que par iceux ils ne pourront honorer Dieu ni accomplir justice.

3. Plusieurs se persuadent qu’au moins ils peuvent empêcher plus grands maux qui se commettraient dans les états tant séculiers qu’Ecclésiastiques, croyant qu’un homme de bien peut apporter grande utilité au public, mais il me semble que le plus grand bien qu’il y saurait faire est d’apporter quelque meilleur règlement à l’extérieur, et faire que le mal ne paraisse pas si ouvertement en public à la vue et au su du vulgaire. Ce qui ne me semble pas un bien ; car il vaudrait quelquefois mieux que les maux soient connus que cachés, parce que celui qui les connaîtrait s’en pourrait garder, au lieu que l’ignorance d’iceux les pourrait grever et surprendre, et celui-même qui fait le mal n’en ferait pas souvent tant lorsqu’il serait découvert comme lorsqu’il est couvert et celé par sujet politique. C’est comme si l’on mettait de l’empêchement à l’égout d’une maison pour empêcher que les ordures n’en sortent : la corruption n’en serait moindre, mais la maison en serait plus sale et infecte que si les mêmes ordures sortaient ès rues, où quelqu’un les peut amasser et en faire encore quelque profit ; ainsi qu’on ferait souvent en cas qu’on découvrît les ordures qu’il y a maintenant dans toutes sortes d’états et de conditions supérieures.

4. Par où se voit qu’il n’est pas bon de souhaiter états ou offices à dessein d’honorer Dieu et observer Justice ; pour être la chose trop difficile, voire dangereuse, lorsque Dieu ne nous a pas promis la force de demeurer hommes de bien parmi tant de corruption. Si le monde était encore en état de se pouvoir redresser, je conseillerais à tous gens de bien de s’avancer ès offices, mais il n’y a plus rien à faire. Le monde est condamné, et s’empire à tout moment. Il ne faut point avoir de bon sens pour ne le pas voir, signamment les personnes constituées au régime du peuple. Partant il vaut mieux qu’un homme de bien s’applique à sauver son âme, qu’à régir les autres et se perdre soi-même.

 

Choix des bénéfices d’Église.

 

5. Ceux qui désirent aussi quelques bénéfices afin d’avoir le moyen d’assister leur Parents, n’ont mieux adressé ; car ils se chargent d’un faix pour soulager les autres, qui bien souvent ne se trouveront plus heureux de cette décharge, parce que la vie plus heureuse et salutaire, c’est celle des personnes qui gagnent leur aliment à la sueur de leur corps par quelque travail modéré, sans ambitionner ni richesses, ni honneurs, se contentant de leurs simples aliments ; ils sont plus tranquilles et en repos que les riches, et ont aussi plus de dispositions pour s’abandonner à Dieu, exerçant continuellement la pénitence qu’il leur a donnée dans le Paradis terrestre, où après qu’Adam eut confessé son péché, il lui fut enjoint pour pénitence d’icelui de gagner sa vie à la sueur de son corps [365]. Pour cela n’y a-t-il de condition plus salutaire que l’ouvrier travaillant fidèlement pour accomplir la pénitence donnée de Dieu à tous les hommes en Adam, parce que celui qui vit en oiseuseté ne mérite rien et n’est pas digne de manger du pain. Qui ne travaille de corps doit travailler d’esprit, parce que l’oiseuseté est mère de tous maux.

6. Celui qui croit faire service à Dieu de soulever les Parents de l’obligation de travailler, se trompe, et ceux aussi qui souhaitent des assistances pour vivre à leurs aises, parce que l’aise et la délicatesse rend les âmes molles et le courage abattu ; la nécessité qui n’est pas excessive rend l’esprit vigoureux et la personne plus disposée et plus prête à recourir à Dieu ; où que l’aise et l’abondance en éloignent. Partant il ne faut chercher ou désirer aucuns bénéfices pour assister nos parents, car s’ils sont riches, nos assistances leur serviront d’excès et d’augmentation d’orgueil et de vanités ; s’ils sont pauvres, ils les retireront d’un état plus heureux que celui où on les veut mettre, parce qu’être content d’être pauvre vaut mieux que mille livres de rentes. Par où se voit qu’il n’est pas bon de souhaiter quelque bénéfice pour assister ses parents ; d’autant que notre assistance leur peut nuire ; s’ils sont gens de bien, Dieu ne les laissera en besoin des choses nécessaires, lesquelles ne défaillent jamais au juste, ne soit qu’il se veuille justifier et perfectionner davantage ; ce à quoi nous ne nous devons opposer ; car la justice et la perfection vaut plus que tous les trésors du monde.

7. Si nous jouissons de quelque bénéfice pour notre particulier, nous sommes obligés à employer tout notre temps à glorifier Dieu, vu que ne sommes obligés à l’employer pour avoir les choses nécessaires à l’entretien de cette vie. Il faut que l’Ecclésiastique qui jouit de quelque bénéfice suffisant pour son entretien s’applique continuellement aux choses spirituelles ; car pour cette cause lui est donné le temporel, et point à autre fin ; et celui qui applique les revenus de quelque bénéfice en plaisirs, en meubles, trains, chevaux, ou autres bêtes superflues, il se trompe, et sera confus lorsque Dieu lui viendra demander compte jusqu’à la dernière maille pour lui faire restituer tout ce qu’il aura reçu au dessus des choses nécessaires à son entretien, parce qu’elles ne lui appartiennent, ne lui étant mises en main que pour cette précise nécessité, et afin qu’il ne soit obligé à vaquer à autre chose sinon au culte de Dieu et à la charité du prochain, lequel il doit nécessairement secourir au besoin du reste de son revenu après en avoir tiré son entretien honnête et modéré.

8. Car il n’est pas permis à une personne d’Église de suivre le train du monde, ou avoir choses de parades ou de vanités. Cela est indigne d’un serviteur de Jésus Christ de se vouloir maintenir en respect par des pompes et bravades, la vertu seule étant digne de tout respect. Les Apôtres, qui ont été tant suivis, n’ont pas usé de carrosses, ni chevaux ou valets, quoiqu’ils fussent chefs de l’Église après Jésus Christ. Nous avons encore le même Dieu pour Père, et les mêmes enseignements que Jésus Christ nous a laissés en son Évangile. Nous nous trompons, ou bien ils ont été des gros lourdauds, en pouvant plaire à Dieu si que l’on croit maintenant de faire parmi toutes les aises, les pompes, et les vanités du monde. C’est une grande erreur ; car ils avaient la sapience du S. Esprit et la doctrine de Jésus Christ, laquelle, suivant, ne pouvaient errer ni faillir. Mais nous manquons grandement et sommes en des horribles ténèbres, nous aveuglant l’un l’autre par fausses persuasions, croyant qu’il est permis de suivre ce qui est en usage ; d’autant que l’usage des hommes ne change pas la Loi de Dieu. Si un autre fait mal, il ne nous autorise point à le faire aussi. Un chacun rendra son propre compte [366] et portera sa seule charge [367]. Si tout le monde se damne, nos souffrances n’en seront pas moindres si nous nous damnons avec eux : elles s’augmenteront tant plus que le nombre des damnés s’augmente. Partant ne désirons point les bénéfices en cas que nous nous pouvions entretenir en servant Dieu sans iceux ; car ce ne sont que charges et périlleux acquêts, desquels l’on ne peut disposer en autre manière que pour sa nécessité et celle des pauvres. Hors de là, tout est obligé à restitution. Hé ! pourquoi vouloir prendre pour falloir en après rendre ? La restitution serait quelquefois si grande qu’on n’y pourrait satisfaire que par la prison perpétuelle.

 

Des dévotions extérieures.

 

9. Quel aveuglement d’esprit ! Quelles épaisses ténèbres où nous vivons à présent ! L’on croit bien vivre lorsqu’on vit moins mal que les autres. L’on ne découvre pas le péché où il est. Car celui qui ne fait point les choses mauvaises au jugement des hommes, pense être bien parfait, et croit de vivre en vrai Chrétien lorsqu’il ne fait pas de péchés grossiers et matériels comme une chose qui a pieds et mains. Ils pensent avoir toujours bonnes intentions en aimant les choses que les hommes appellent et jugent bonnes, mais bien souvent nous nous trompons, et les hommes nous flattent en avouant notre tromperie ; car le péché n’est pas une chose matérielle ou visible, mais c’est une chose spirituelle ou invisible, comme est aussi la vertu, que Dieu seul connaît, et notre propre conscience nous en rend le témoignage ; ce que les hommes ne peuvent faire, parce qu’ils ne voient dans notre cœur, n’y ayant que Dieu seul qui en soit le scrutateur [368].

10. Lorsque les hommes voient quelque bonne œuvre que faisons à l’extérieur, ils jugent que sommes bons, mais s’ils voyaient les replis de notre conscience et de nos intentions, ils verraient bien souvent que sommes mauvais en faisant les choses bonnes mêmes, parce que rien n’est bon s’il n’est parfait, et ne rendra l’homme parfait. Par exemple, l’on verra une personne fréquenter journellement les Sacrements et se trouver à tous les offices de l’Église. Tout le monde croira qu’elle est bien dévote et vertueuse, mais bien souvent elle fera tout cela par pur amour propre, sentant de l’inclination naturelle à aimer ce qui paraît bon, s’y portant pour quelque goût sensible qu’elle sent à la dévotion, ou y ayant quelque délectation propre. Tout cela n’est pas bon ; car le Diable peut bien aller à l’Église et recevoir les Sacrements, mais il ne peut pas avoir de l’amour pour Dieu ; et si l’on ne fait ces choses pour l’amour de Dieu seulement, l’on n’est nullement bon, quoique tout le monde nous juge bons. Nous sommes plutôt en péril de tomber en péchés par semblables dévotions, parce que la louange des hommes nous peut faire tomber en vaine gloire ; ou bien nous-mêmes nous pouvons facilement persuader d’être tels que le monde nous juge, et par ainsi présumer notre salut sans bonnes œuvres, vu qu’il n’y en a nulles qui puissent porter à juste titre le nom de bonnes œuvres, sinon celles qui sont faites sans amour propre et inclination naturelle ou quelque égard humain, mais pour plaire seulement à Dieu et s’unir davantage à lui.

11. Si l’on veut s’examiner de bien près, l’on verra assez pour quelle raison l’on se porte à recevoir souvent les Sacrements ou se trouver aux Églises ; point par la spéculation de notre esprit, parce que l’amour propre le rend toujours aveugle, et lui fournit tant de raisonnements pour se flatter qu’on ne pourrait découvrir la vérité du fait, si ce n’est par les expériences que trouverons en nos âmes, lesquelles nous feront voir plus clair que le soleil si c’est pour plaire à Dieu que nous aimons ces dévotions, les Églises, ou fréquentations des Sacrements. Car comme l’on connaît l’arbre à son fruit, si connaît-on la dévotion à ce qu’elle produit. Son nom propre enseigne quelle doit être la personne qui la possède : elle doit être dévouée ou dédiée à Dieu. Voilà la seule dévotion. Toutes autres choses ne sont que morgues et grimaces extérieures sans cette dédicace. Et si nous allons aux Églises pour autre fin que pour là nous dédier à Dieu, comme étant le lieu ordonné à ce faire, nous sommes hypocrites, et voulons paraître ce que ne sommes pas.

12. Ce que nous expérimentons en nous-mêmes peut assez nous faire voir si avons la dévotion ou non, parce que celui qui s’est donné et dévoué à Dieu n’est plus à soi-même, ne fuit plus ses inclinations, n’a plus de volonté ni de désirs, plus de soucis des biens de la terre, ni plus d’amour pour soi-même, non plus que pour un autre ; elle ne s’approprie rien, sachant que tout est dédié à Dieu, avec son corps et son âme. Voilà tous les témoins qui peuvent vérifier si nous avons la dévotion ; et si nous ne trouvons pas en nous ce témoignage, il faut craindre, voire se tenir assuré, que nous n’avons pas la dévotion ; c’est à dire, que nous ne sommes pas dédiés à Dieu, quoique fréquentions souvent les Églises, parce que les fruits de cette dédicace ne paraissent ni en notre corps ni en notre âme aussi longtemps que vivons remplis de notre amour propre et d’affections terrestres.

13. Si d’aller aux Églises ne nous donne pas le moyen de nous entretenir de cœur avec Dieu, c’est peu de chose que notre corps y soit. Les chiens et les rats y sont aussi, et n’y méritent que des coups de bâtons. Si nous usons souvent des Sacrements, et que n’expérimentions qu’ils nous donnent la force de résister au mal, l’amour du bien, la faim et soif de la Justice, c’est signe que notre disposition n’est pas bonne. Et comme les meilleures viandes nuisent à un estomac dévoyé, ainsi les Sacrements nuisent à une âme mal mortifiée. Si les fréquentes Communions ne nous unissent davantage à Dieu, c’est signe que ses grâces ne nous rendent point communs, ou ne nous sont point communiquées par cette fréquentation routinière ; car autrement nous deviendrions si communs avec Dieu que ne serions plus qu’une même chose par si longues et fréquentes Communions.

14. Par où se découvre assez que ce n’est pas purement pour Dieu que nous nous portons aux Églises et à la fréquentation des Sacrements, vu que n’en expérimentons pas dans notre âme les opérations, lesquelles sont cependant inséparables de la droite intention qui nous meut à les fréquenter. Et nous sommes si aveugles de notre propre inclination naturelle que croyons souvent être pour Dieu ce qui n’est que pour nous-mêmes. L’on se peut plaire d’aller aux Églises parce qu’elles sont belles et bien ornées, et parce que tout le monde y va, ou parce qu’on y est en repos, ou que le chant ou la musique nous plaît. L’on peut aussi recevoir volontiers les Sacrements parce qu’y trouvons quelque satisfaction, ou croyons par là recevoir quelques grâces, comme celui qui croit avoir beaucoup prié pour dire nombre de Pater et Ave sur un chapelet, ou autres oraisons dans des livres, mais tout ceci n’est rien et n’apportera profit à notre âme si toutes ces choses extérieures ne sont accompagnées d’une attention à Dieu, parce que prière n’est autre chose qu’un entretien d’esprit que l’âme a avec Dieu, et toutes ces diversités d’oraisons sont vaines ne soit qu’elles nous servent de moyens pour arriver à cette élévation. Ce qui est rare ; car le plus souvent l’on expérimente que nos esprits sont plus éloignés de Dieu en multitudes de paroles réitérées, qu’en le silence ou repos.

15. Notre propre expérience nous doit rendre plus sages que tout ce que l’on nous veut faire accroire ou que voulons croire à notre mode. Lorsque nous expérimentons que les chapelets, les offices ou Oraisons trouvées dans quelque livret, ne font pas élever notre cœur à Dieu, c’est signe que ces moyens ne nous sont pas propres pour vraiment prier. Il en faudrait éprouver un autre. Mais l’amour propre et l’attache qu’avons à notre imagination est si forte, qu’on périrait plutôt que de quitter ce qu’on a embrassé avec affection. Ils estiment dévotion tout ce qu’ils aiment, et penseraient quitter Dieu s’ils quittaient leurs routines de dévotions ordinaires.

16. Et pour voir leur opiniâtreté, il ne faut que leur vouloir montrer leur erreur et les induire à la parfaite dévotion ; on les verra alarmés, inquiétés et troublés, résistant à la vérité, et s’opposer à l’opinion contraire à la leur, avec mépris des autres, estimant leurs façons de faire meilleures que tout ce qu’on leur saurait dire. Si toutes ces supposées dévotions extérieures leur servaient de vrais moyens pour trouver Dieu, ils n’y seraient point ainsi attachés ; car les moyens ne sont pas la fin, et celui qui est arrivé à la fin, méprise les moyens et les quitte volontiers avec joie, parce qu’il jouit de ce qu’il cherchait par ces moyens.

 

De la fréquente communion.

 

17. Si l’on disait à une dévote qui est accoutumée de communier tous les jours, ou fort souvent, qu’elle doit changer cet usage, puisqu’elle ne se trouve non plus unie à Dieu au bout de vingt ans qu’elle a communié que le premier jour qu’elle commença, l’on lui renverserait l’esprit, parce qu’elle s’imagine qu’elle ira en Paradis avec ces Communions, quoique d’ailleurs elle expérimente n’avoir par icelles acquis un brin d’amour de Dieu ; qu’au contraire, elle est plus attachée à l’amour d’elle même qu’auparavant.

18. Elle posera peut-être qu’elle fût devenue pire sans communier, et qu’icelle (communion) l’a pu avoir gardé de plus grand mal où elle eût pu tomber, quoiqu’elle ne l’aurait point avancé au bien. Cela est une fausse supposition ; car, ou l’âme est bien préparée à la Communion, ou elle y est mal ; si elle avait été bien préparée, infailliblement elle aurait reçu des grâces ; car Dieu ne se trouve nulle part sans y apporter ses dons : ils sont inséparables de lui ; et lorsque Jésus Christ dit qu’il est (e) la Voie, la Vérité et la Vie, comment celui qui croit de l’avoir reçu à la communion peut-il être sans ces trois choses, sans être au droit chemin de Paradis, sans être dans la Vérité, et dans la Vie de grâce, qui est la seule vie, parce que la présente ne peut être appelée vie, qui n’est qu’une mort continuelle ? C’est un mensonge de le croire, parce que Dieu n’est non plus sans ces grâces, en tel lieu qu’il soit, que le Soleil n’est sans lumière. Partant celui-là est assurément trompé qui croit d’avoir bien communié lorsqu’il ne sent point l’opération de toutes ces grâces.

19. Et s’il est mal disposé à cette communion, comment peut-il se persuader de recevoir par icelle l’empêchement de plus grand mal qu’il pourrait commettre, puisque Judas, qui était Apôtre de Jésus Christ, n’a pas reçu par la communion la grâce de se repentir de vouloir trahir son bon Maître ; au contraire, il s’est par icelle endurci de cœur ; car il n’a point désisté pour les admonitions tacites que Jésus Christ lui faisait en disant que quelqu’un de ses Apôtres le trahirait [369], et marquant que c’était celui qui mettait la main au plat avec lui, et en disant : Fais vitement ce que tu veux faire [370]. Tout cela n’était que pour l’admonester à se repentir et empêcher le mal qu’il voulait faire. Mais en vain ; car aussitôt qu’il eût communié, il l’alla vendre et livrer pour être mis à mort.

20. Si la Communion, de soi, donnait la grâce, du moins à empêcher que ne fissions si grand mal, Judas n’eût pas augmenté le sien par la Communion. Ce qui est assez vérifié par l’Évangile, qui dit qu’en sortant de la Cène, il alla vendre Jésus Christ et qu’il vint au jardin pour le montrer et livrer aux Juifs, et puis, qu’il s’alla pendre [371]. Tous ces maux depuis la Communion sont bien plus grands et irréparables que celui qu’il avait fait avant la Communion, lequel n’était qu’une volonté projetée de vendre son Maître, laquelle pouvait être facilement réparée par son repentir ; puisqu’il n’y avait encore personne d’intéressé ou scandalisé.

21. Ne voit-on pas par cet exemple que cette supposition de faire moins de mal par la Communion est fausse et trompeuse, puisque le contraire paraît dans l’Apôtre, de laquelle qualité nous sommes bien éloignés, pour n’avoir ni la doctrine, ni la vertu qu’il avait. Cependant nous voulons présumer d’obtenir par la communion plus de grâces qu’il n’a eues. Ne voyons-nous pas bien que nous sommes trompés, et que nous nous trompons nous-mêmes en le croyant ? Car il est assuré qu’en communiant sans être bien disposés, nous attirons la vengeance de Dieu sur notre tête [372] ; et tant plus il attend à nous la faire sentir, tant plus rigoureuse sera-t-elle. Car la patience de Dieu ne rabat rien : tant plus elle est longue, tant plus elle charge.

22. Si nous pensons communier sans avoir la disposition convenable sous prétexte d’obtenir des grâces parce qu’en sommes dépouillés, ce n’est pas le moyen propre, mais une grande témérité et outrecuidance. Celui qui est pauvre de grâces doit les prétendre par humbles prières et pénitence, non par fréquentes Communions. Car si le Pharisien de l’Évangile a été condamné nonobstant les bonnes œuvres qu’il avait faites [373], combien plus le sera la personne qui effrontément se porte à la Table du Seigneur indignement, présumant sa justice comme le Pharisien ? Si elle se croyait pauvre de vertus et dénuée de grâces, comment oserait-elle se trouver au banquet nuptial sans ces ornements, puisque Jésus Christ qui nous y invite a fait en sa parabole lier pieds et mains à un tel, et le jeter dans les ténèbres [374] ? L’âme ne craindrait-elle pas que telle disgrâce et malheur ne lui arrivât en allant si inconsidérément à la Table du Seigneur ? Certes elle le devrait craindre ; car c’est d’elle qu’il est parlé dans cette Parabole.

23. Elle doit frémir de crainte, et baisser la tête de confusion en se voyant si misérable, plutôt que de la lever pour aller recevoir un Dieu en une conscience si mal ornée, et le traiter comme un esclave ès pays étrangers ; car aussi longtemps que nous vivons sujets à nos passions, nous n’avons pas donné à Dieu la Seigneurie ni le domaine sur notre âme, mais plutôt à notre propre volonté, à laquelle nous voulons rendre Dieu soumis en tant qu’en nous est. Sont-ce là des moyens propres à acquérir sa grâce ? Au contraire, ils le sont plutôt pour attirer sa vengeance. Car si nous croyons que c’est en la Communion le même corps de Jésus Christ qui est Dieu et homme, comment osons-nous l’approcher de si près et si souvent le recevoir en notre estomac en connaissant que sommes si imparfaits ? Il vaudrait beaucoup mieux se tenir de loin avec le publicain, et frapper sa poitrine, n’osant paraître devant un tel Seigneur, qui connaît nos péchés jusqu’au fond tels qu’ils sont par devant ses yeux clairvoyants, non pas si que nous nous les voulons figurer.

24. Car si nous avions une véritable connaissance du péché que faisons en approchant si témérairement de ses autels, nous n’aurions garde d’y trouver de la satisfaction, ni d’en oser approcher si souvent, parce que si notre approche n’était pas téméraire, il ne faudrait qu’une seule communion pour nous sanctifier et nous ôter tout désir terrestre pour n’en avoir plus que des célestes. Mais si cette communion n’a produit tels effets dans notre âme, c’est un témoignage assuré que nous péchons comme Judas, qui alla de mal en pire depuis sa communion. Plusieurs disent qu’il a reçu le Diable en son âme au lieu du corps de Jésus Christ. C’est un exemple qui nous doit rendre sages, et donner matière d’examiner de bien près quel changement de vie nous expérimentons depuis que nous avons fréquenté les Sacrements. Si notre vie n’est devenue meilleure, il faut de nécessité qu’elle soit beaucoup pire par tant de sacrilèges multipliés. Le Diable nous induit souvent à ce faire pour augmenter nos péchés, et nous y fait avoir du goût afin de nous mieux piper, car ces goûts, ces sensibilités, ne sont pas vertus, mais une satisfaction naturelle, qui ne met rien en l’âme, et nous fait prendre pour dévotions ce qui n’est que sensualités.

 

          Du mois de Mars 1667.

 

 

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CHAPITRE VIII.

 

De la Prière vocale ; des Dévotions ; d’aller aux Églises, à la Messe, aux Sermons, ès Processions, et d’honorer les Reliques ou Images des Saints. Que tout cela ne sont que des moyens d’élever notre cœur à Dieu et vivre en bons Chrétiens. Mais qu’il ne s’y faut pas attacher comme à sa fin, parce que l’on ferait bien toutes sortes de dévotions extérieures sans être vraiment dévots ; car la vraie dévotion consiste au cœur et ès sentiments de l’âme.

 

Abus et usage des dévotions et Cérémonies.

 

1. Voilà les ténèbres dans lesquelles nous vivons à présent. Personne ne discerne le vrai hors du faux ; l’on s’arrête aux choses matérielles comme si notre foi était humaine ; l’on prend la dévotion pour les moyens d’y arriver, et lorsqu’on s’arrête à iceux moyens ils servent d’empêchements d’arriver à icelle fin ; comme celui qui demeurerait toujours en chemin, il n’arriverait jamais en la maison où il doit être ; tout de même en est-il de toutes ces choses pieuses qu’on nous enseigne pour arriver à la dévotion ou Perfection.

2. L’on nous donnera des livres remplis de prières ou d’oraisons, et nous lirons cela à l’Église, à la Messe, et partout où nous voulons prier. Cela est bon pour émouvoir nos cœurs à Dieu par les bons mots qui y sont écrits peut-être par quelques saints personnages, comme sont les Psaumes de David, qui parle à Dieu de bouche aussi bien que de cœur, mais si ces mots ou discours n’enflamment notre cœur, et ne rendent notre esprit attentif à ce que nous disons ou demandons à Dieu par ces oraisons, c’est comme un airain qui sonne et n’a point de raisonnement. De barboter nombre de prières, et ne se point arrêter à penser à ce qu’on dit, c’est comme une agasse qui caquette, louant Dieu en son patois. Les créatures raisonnables qui ne prient pas autrement ne font rien davantage que les bêtes, parce que Dieu regarde leur cœur plus que la multitude des paroles. Il n’est pas honoré par beaucoup parler, mais par beaucoup aimer ; et la Madeleine n’a pas eu pardon de ses péchés par avoir beaucoup parlé, parce qu’elle ne faisait qu’écouter le Seigneur, mais beaucoup de péchés lui sont pardonnés parce qu’elle a beaucoup aimé [375]. Celui qui veut montrer qu’il aime Dieu par longues prières, il fait comme faisaient les Pharisiens que Jésus Christ reprend, demandant s’ils croient être exaucés par beaucoup prier [376] ; Dieu n’est point marchand à la douzaine, et ne compte pas le nombre de nos Oraisons, mais pèse les désirs de notre cœur et les mouvements de notre âme.

3. Si notre cœur n’a pas le même désir qu’avaient les Saints qui ont composé ces Oraisons, c’est fort peu de chose que nous les prononcions comme eux. Si notre âme n’est mue à louer Dieu et lui demander les grâces, c’est en vain que notre bouche parle. Nous ne pouvons avoir de dévotion sans attention, encore bien que nous dirions des prières depuis le matin jusques au soir, ce ne serait pas prières, mais paroles inutiles ou quelquefois mensonges. Car nous disons à Dieu que nous l’aimons, et il n’est pas véritable ! Nous lui demandons la vertu, et nous renions par effets la force d’icelle ! Nous disons de vouloir vivre tout à lui, et demeurons attachés à nous-mêmes ! Nous sommes de vrais menteurs en usurpant faussement les paroles des Saints, lesquels les ont prononcées par l’abondance du mouvement de leurs âmes, lesquelles, ne pouvant tenir cachées les affections qu’ils avaient pour Dieu, étaient poussés à les déclarer de bouche ; et connaissant au fond de leurs cœurs la nécessité qu’ils avaient de ses grâces, ils les déclaraient verbalement à Dieu afin de les obtenir, encore bien qu’ils sussent assez que Dieu est Scrutateur des cœurs et n’a besoin de paroles pour entendre nos désirs ; si est-ce que l’abondance d’iceux faisait que ces Saints criaient et chantaient à haute voix les prières et louanges qu’ils faisaient à Dieu.

4. Mais nous sommes si éloignés de leurs sentiments et avons le cœur si éloigné de leurs désirs ; cependant, nous osons bien dire les mêmes choses, en mentant au S. Esprit, et avec ce nous croyons être justifiés lorsque nous avons dit par routine et habitude nos prières ordinaires, et ferions scrupule d’y manquer ; quoique nous devrions faire de les dire avec si peu de vérité et d’attention, parce que si nous examinions bien souvent notre conscience, nous trouverions n’être quelquefois pas dignes de prononcer le Nom de Dieu, et nous osons bien jurer que nous voulons être à lui, que nous l’aimons, que nous le louons ; lorsqu’en effet nous ne voulons dépendre de lui, ni lui appartenir, ni procurer sa gloire ou honneur, l’attribuant plutôt à nous-mêmes qu’à Dieu.

5. Voilà de terribles aveuglements ! qui règnent cependant parmi ceux que l’on croit dévots, et qu’eux-mêmes se persuadent de l’être parce qu’ils font à l’extérieur les marques de dévotions par prières et autres devoirs. Ils se trouveront trompés à la mort. Car si leurs prières étaient véritables, ils auraient, passé longtemps, obtenu de Dieu l’effet de leurs demandes ; car Dieu n’enseigne point de prier et demander sans vouloir écouter et nous donner [377], et lorsque nous n’obtenons point, c’est signe que ne demandons point véritablement [378], que nos paroles nous flattent, et nos désirs nous trompent, car Dieu est trop tendre à ouïr pour ne point entendre les louanges que lui faisons, et est aussi trop libéral donneur pour dénier les demandes que lui faisons justement.

6. Nous sommes séduits et séduisons nous-mêmes, quand nous pensons que les choses extérieures soient la vraie dévotion. Combien y en a-t-il aussi qui pensent se sanctifier par le sacrifice de la Messe ? Ils s’efforcent à en dire ou entendre beaucoup à peu de profit, parce que la Messe ne sanctifiera jamais celui qui ne se sacrifie soi-même à Dieu. La Messe est instituée pour se ressouvenir de la passion de Jésus Christ et pour offrir sacrifice à Dieu. Or celui qui est à la Messe de corps, et qui a l’esprit et la mémoire aux soins ou affaires de la terre, ne peut entendre la Messe, parce que cet entendre n’est autre chose que se souvenir de la passion de Jésus Christ, parce qu’il dit : Faites ceci en mémoire de moi [379]. Si notre mémoire s’était occupée sérieusement à la considération de la passion de Jésus Christ durant une Messe, il ne serait besoin d’en entendre plusieures en un jour ; car ce ressouvenir serait capable de nous entretenir la semaine entière, voire tous les jours de notre vie si plus ne nous était permis d’ouïr Messe. Car la Passion de Jésus Christ est si sensible à celui qui la pénètre bien, qu’elle est capable de nous ôter tout l’amour de nous-mêmes et nous faire sacrifier mille vies au service d’un tel Seigneur qui a voulu tant endurer pour nous. Et lorsque voyons notre âme si endurcie à ses souffrances et si peu disposée à souffrir nos petits maux, c’est bien signe que la mémoire de la passion de Jésus Christ est bien loin de notre mémoire ; car autrement nous aurions honte de nous plaindre d’une petite douleur en notre corps, ou de quelques affronts et injures ; au contraire, les souffrances nous seraient plaisantes au ressouvenir qu’un Dieu a tant souffert pour un petit ver de terre, de qui il n’avait aucun besoin.

7. Les opérations que sentons en notre âme sont les vrais témoins du profit que faisons de la Messe, pour l’entente de laquelle nous nous empressons si fort que bien souvent nous croirions d’offenser Dieu ou mal faire de manquer un jour d’aller à la Messe, et ne croyons pas de l’offenser par notre amour propre en suivant nos passions vicieuses, croyant que la Messe et autres exercices pieux, suppléeront à tout cela. Tromperie et aveuglement d’esprit ! Car encore bien que nous entendrions les Messes qui se disent par tout le monde, nous ne mériterions rien si nous ne sacrifions notre propre volonté à Dieu ; car nous sommes tous Prêtres et Sacrificateurs [380], point pour offrir le pain seulement, mais notre propre âme, qui est plus agréable à Dieu que tous nos sacrifices visibles et matériels, parce qu’elle seule a été créée à son Image et ressemblance.

8. Si le corps de Jésus Christ est offert au Père, ce ne peut être que pour notre rachat, car en tant que Dieu, il ne peut servir d’offrande au même Dieu, l’offrande ne pouvant jamais tant valoir que celui à qui elle est offerte ; et étant le corps de Jésus Christ offert à Dieu, cette offrande serait-elle acceptable pour nous en cas que nous ne sacrifiions conjointement notre volonté, et tout nous-mêmes ? Ce que personne ne fait, se contentant de se trouver corporellement à la Messe et y observer les cérémonies requises, sens penser que ce Sacrifice nous regarde, comme étant membres de l’agneau qui doit être immolé à Dieu, puisque pour notre seul respect il s’est fait homme et s’est journellement sacrifié sur les Autels ; et si nos intentions ne sont jointes avec celles du prêtre qui doit offrir à Dieu le corps de Jésus Christ avec toutes les volontés de ceux qui assistent à la Messe pour être dédiées et consacrées à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ (parce qu’autrement nous lui serions offrandes fort mal-agréables, ayant par le péché défiguré l’image de sa ressemblance, laquelle a été réparée par la mort et passion de Jésus Christ). Si ces intentions ne nous meuvent d’aller à la Messe afin d’offrir en Sacrifice à Dieu tous nous-mêmes, c’est en vain que nous nous y trouvons, parce que rien ne nous profitera, encore qu’assisterions corporellement à la Messe ; si nous ne sacrifions avec le Prêtre, c’est tout de même que si nous en étions absents, parce que lui seul ne peut offrir ce que ne voulons pas donner ; et quoique de bouche nous disions Amen, Dieu n’est pas amusé si que sont les hommes. Il sonde les reins et examine les consciences [381], et y voit au fond si véritablement nous lui sommes consacrés ou non.

9. Nous en pouvons aussi tirer témoignage par la conduite de toutes nos actions. Car une âme qui est une fois sacrifiée à Dieu, ne peut plus servir au monde sans se profaner. Celui qui est sacrifié à Dieu ne se peut plus plaire en autre emploi qu’en ce qu’il fait à sa gloire. Ce qui est dédié à Dieu ne le doit plus être aux hommes, et lorsque trouvons nos inclinations se porter aux créatures ou autres choses terrestres, c’est signe que ne sommes pas sacrifiés à Dieu, parce que le feu de ce Sacrifice consume tout ce qui est terrestre, et n’a plus rien que l’honneur de Dieu ; comme la bête de l’Ancienne Loi était réduite en cendres par le Sacrifice ; ainsi doit être le désir et la volonté de celui qui s’est sacrifié à Dieu.

10. Par où se découvre l’erreur et abus de ceux qui croient être dévots pour se trouver à quantité de Messes ; comme aussi ceux qui mettent la dévotion à entendre beaucoup de Sermons, croyant que la multitude les rendra savants et amis de Dieu, mais au contraire, ils en seront plus condamnables ; car si les Sermons sont faits dans la Vérité Évangélique, nous les devons mettre en pratique plutôt que d’en vouloir tant écouter. Lorsque les premiers Chrétiens avaient entendu un sermon ou deux ils s’en contentaient, et mettaient en pratique l’enseignement qu’ils avaient reçu par iceux ; car les Apôtres allaient d’un lieu en l’autre, sans s’arrêter pour continuer leurs Prédications à ceux qui les avaient entendus, mais tâchaient d’en aller enseigner d’autres. Mais maintenant l’on fait plus d’état d’aller entendre les Sermons que de les mettre en pratique. On les va toujours écouter sans jamais s’amender, comme si c’était assez de contenter les oreilles, sans mettre peine à contenter Dieu en faisant ce qu’il nous a enseigné, comme nous entendons par les vrais Sermons, lesquels sont plus profitables à nos âmes que tous autres devoirs de dévotion pour ceux qui ignorent l’Évangile et ce que doit savoir un vrai Chrétien.

11. Ceux-là ont plus besoin d’aller aux Sermons qu’à la Messe, parce que leur salut dépend de savoir les choses nécessaires à salut ; à moins de quoi ils ne peuvent être sauvés ; et aussi la Parole de Dieu est le pain et la nourriture de nos âmes, sans lequel elles ne pourraient avoir de vie, parce qu’étant nés dans l’ignorance, personne ne peut savoir ce qu’il doit faire ou laisser si on ne lui enseigne. Mais ce n’est pas à dire qu’il faille aller d’un Sermon à l’autre par routine ou par curiosité pour écouter qui discourt le mieux ou parle meilleur langage. Il ne faut aussi avoir le désir d’en entendre beaucoup, mais de ceux qui nous sont profitables à salut, n’ayant autre curiosité que d’apprendre ce que devons pratiquer, et rien d’autre ; autrement, ce n’est que vanité et compte à rendre. Si nous avons beaucoup su et peu fait, nous serons plus punis en l’autre monde que ceux qui n’ont pu beaucoup savoir et ont fait selon leur science. Car à celui à qui a été beaucoup donné, beaucoup sera redemandé, et le serviteur qui a connu la volonté de son Maître et ne l’a point fait sera battu de plusieurs coups [382]. Tous ceux qui ont suivi Jésus Christ et entendu sa parole n’ont pas été sauvés, mais seulement ceux qui l’ont mise en pratique.

12. Partant l’on se trompe de croire devenir parfaits pour entendre beaucoup de Sermons : un seul suffit quelquefois à notre instruction salutaire, parce que tant de répétitions sont inutiles à celui qui a le désir de les pratiquer. Il vaut mieux occuper son temps à chercher les moyens de cette pratique qu’à le perdre à les si souvent entendre. C’est une abondance oiseuse lorsque sommes suffisamment instruits ; nous le savons quelquefois aussi bien ou mieux que les Prédicateurs, et cependant nous ne voudrions pas perdre un Sermon !

13. Ce ne peut être que curiosité ou propre satisfaction, avec lesquels nous nous mettons en péril d’entendre des Sermons conformes à nos sens et qui nous mènent hors du chemin du salut ; car plusieurs prêchent maintenant des Fables [383] et choses propres à excuser nos péchés, en nous montrant que le chemin de Paradis est large et aplani, au lieu que Jésus Christ nous l’a prêché et enseigné fort étroit [384] et épineux. Il vaudrait mieux demeurer en sa maison que d’aller entendre ces Prédicateurs, qui veulent détruire ce que J. Christ a établi. Nos curiosités et nos négligences à pratiquer l’Évangile ont été cause que Dieu permet que ces faux Christs enseignent leurs erreurs. Si nous eussions demeuré dans la simplicité de ne désirer autre chose que savoir la Doctrine Évangélique, qui est suffisante à notre salut, Dieu n’aurait jamais permis que l’Esprit d’erreur eût dominé dans le lieu Saint, ou que les Prédicateurs eussent prêché le mensonge dans la Chaire qu’on appelle de Vérité.

14. Nous en sommes la cause par notre dévotion renversée, la voulant trouver vraie où elle est fausse ; car lorsque nous la mettons à entendre quantité de Sermons, c’est la chercher où elle n’est pas, parce que la vraie dévotion consiste à mettre en pratique les enseignements de Jésus Christ, et point à toutes ces choses extérieures. Marie a choisi la meilleure part, laquelle ne lui sera point ôtée [385]. Elle a seulement écouté la parole, et l’a engravée en son cœur.

15. Cela est la seule chose nécessaire et la meilleure part qu’on peut choisir, parce que personne ne nous peut ôter cette pratique encore bien qu’on nous ôterait tous les moyens extérieurs et que ne pourrions aller çà et là pour chercher nos dévotions. Jésus Christ a bien montré cela lorsqu’il dit à toute l’assemblée. Ceux-là sont ma Mère, ma Sœur et mes Frères qui écoutent ma parole et la mettent en pratique ; pour montrer qu’il ne faut pas aller ès pèlerinages ni ès solennités pour chercher l’amitié de Dieu, mais seulement écouter sa parole et la suivre. Il montre que cela vaut mieux que d’être sa Mère naturelle, qui le cherchait par bonne affection. Nos affections pensent être bonnes lorsqu’elles se portent à quelques Saints, ou Images de la Vierge, ou reliques d’iceux. Nous croyons avoir trouvé la vraie dévotion à les servir ou honorer en quelques places particulières où elles se trouvent. Mais ce pourrait être encore tout amour propre, et bien loin de la pureté d’intention qu’avait la Vierge Marie et S. Jean à chercher après Jésus Christ. Cependant, il semble les mépriser lorsqu’il demande : Qui sont ma Mère et mes Frères [386] ? Il ne pouvait ignorer qui ils étaient, mais il voulait enseigner qu’il avait plus en estime ceux qui écoutent sa parole et la suivent que ceux qui ont des affections sensibles et naturelles.

16. Nous avons souvent plus d’affections à une image de Notre Dame qu’à Dieu ; nous en parlons d’avantage, et avons plus de soin à la bien orner que non point notre conscience, laquelle, étant le Temple vivant du S. Esprit [387], est quelquefois remplie de péchés sans que soyons soigneux de la nettoyer. C’est une grande erreur d’estimer plus un bois ou une pierre que notre conscience. Nous baisons et révérons les Images, et tournoyons aux environs des reliques des Saints, et nous ne témoignons pas la même affection à la parole de Jésus Christ, qui est infiniment plus estimable. Nous choisissons quelque Saint pour patron, et nous ne choisissons point Jésus Christ pour Maître afin d’apprendre de lui qu’il est doux et débonnaire et humble de cœur [388].

17. Nos dévotions sont toutes matérielles et humaines, indignes d’une âme spirituelle et éternelle. Nous agissons en bêtes, et non point en Chrétiens lorsque nous nous arrêtons à des moyens visibles, ne fût qu’iceux nous aidassent à passer à l’invisible ; alors il est bien permis d’en user, mais point s’y arrêter pour y mettre notre cœur, parce que Dieu le veut tout entier ; cette division lui déplaît, et serait une espèce d’idolâtrie si nous ployions les genoux ou faisions la révérence à quelque Image ou reliques pour elles-mêmes, parce que devons l’adoration et l’honneur à Dieu seul.

18. L’on dira que les hérétiques disent les mêmes choses, mais ils ne disent pas mal et ne sont pas hérétiques pour ce fait en cas qu’ils le croient en ce sens qu’on ne doit pas honorer les images en elles-mêmes, mais qu’on doit bien honorer Dieu dans les images. Par exemple, l’on tournera autour des reliques de quelques Saints, ou bien l’on fera le tour de la Procession. Ce serait sottise de ce faire si l’on ne regardait pas Dieu là dedans, parce qu’il n’est pas écrit dans l’Évangile qu’il faille faire ces promeins, mais celui qui chemine aux environs de quelques reliques de Saint pour l’affection qu’il lui porte parce qu’il a servi Dieu et lui a été agréable, et que nous désirons en les priant d’obtenir de Dieu la grâce de les pouvoir imiter, lui présentant iceux Saints comme Patrons tels que nous désirons de devenir et avoir les mêmes Vertus qu’ils ont eues en étant sur la terre, afin d’être ou de nous rendre par leurs moyens agréables à Dieu comme ils ont été, et que nous nous promenons de corps autour de leurs reliques pour témoigner l’affection qu’avons dans l’âme de tournoyer et les suivre ès vertus comme les suivons et environnons de corps ; ces intentions sont droites et pures ; comme aussi de suivre la croix ès Processions, lorsque le faisons à l’intention de suivre les pas que Jésus Christ a faits pour procurer notre salut, et par un mouvement de corps nous témoignons de le vouloir suivre comme vrais Chrétiens. Tous ces mouvements de corps provenant de l’affection de l’âme et de l’Amour que portons à Dieu lui sont assurément agréables, et des propres moyens de nous entretenir avec lui par la considération des grâces qu’il a départies aux Saints, et de l’Amour qu’il nous a montré par les pas qu’il a cheminés pour notre salut.

19. Mais le malheur est (ce qui est digne de mépris) que nous faisons toutes ces choses si bonnes pour nous-mêmes, par des voies humaines et naturelles, sans réflexions ou mouvements intérieurs. Ce qui ne profite rien, parce que ces choses extérieures ne doivent être que les témoins de l’affection que nous avons à Dieu, lesquels seraient faux témoignage si notre affection n’était telle que nous faisons paraître par nos actions extérieures. Car d’aimer la Croix, reliques, ou images, sans cette intention qu’elles émouvront notre cœur à aimer Dieu (comme l’affection se renouvelle de nos parents morts ou éloignés par la considération de leur traits), ce ne serait autrement non plus d’aimer des Images que d’aimer notre robe ou autres meubles, et celui est bien abusé qui croit d’aller en Paradis parce qu’il a orné quelque image, ou eu affection à quelques Saints, parce que le plus souvent il ne regarde pas Dieu en icelles, et ne sent aussi son cœur davantage en flamme dans l’Amour de Dieu par le moyen de ces Images ou autres choses pieuses, mais les baisent et honorent par accoutumances ou manière de faire usitées par les autres, desquels ne voyons ni savons quels motifs ils ont de ce faire. L’on suit comme les singes ce qu’on voit faire, et ainsi l’on passe son temps sans profit, et l’on meurt sans mérite, ayant en vain présumé d’être sauvé avec des bonnes œuvres apparentes, et point réelles, si que l’on connaîtra trop tard à la mort, parce qu’on ne pourra revenir pour s’en amender.

 

          Le Mois de Mars. 1667.

 

 

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CHAPITRE IX.

 

 

Que nos justices seront condamnées parce qu’elles ne sont telles aux yeux de Dieu comme aux nôtres, et qu’elles nous font vivre en présomption et mourir sans pénitence. Que les Directeurs qui nous nourrissent là dedans sont des faux Prophètes qui nous conduisent en litière aux Enfers fort aisément, en suivant nos sensualités et amours propres. Que toutes nos actions extérieures ne sont que des témoins de l’affection de notre cœur, mais icelles actions ne font la Vertu ni le péché, mais témoignent seulement ce que fait notre cœur, parce que pouvons faire toutes sortes de péchés sans mauvaises actions extérieures, parce qu’il sort seulement du cœur tout ce qui est mauvais.

 

État dangereux des dévots d’aujourd’hui.

 

1. Il vaudrait beaucoup mieux n’avoir point fait toutes ces dévotions matérielles que de s’appuyer sur icelles comme sur un bâton rompu, qui manquera au plus dangereux passage de notre mort ; car nous nous y trouverons avec les mains vides, parce que toutes nos œuvres extérieures ne nous peuvent sauver ; d’autant que Jésus Christ a dit : Si votre justice n’outrepasse celle des Pharisiens, vous n’entrerez pas au Royaume des Cieux [389].

2. Ces Pharisiens étaient beaucoup plus parfaits dans leurs œuvres extérieures que nous ne sommes sans comparaison ; et cependant Jésus Christ dit qu’il nous les faut surpasser pour entrer en Paradis. Ils donnaient d’aumônes. Ils payaient les dîmes. Ils jeûnaient et observaient exactement toutes les Cérémonies de la Loi. Et nous sommes fort éloignés de faire tout cela si parfaitement qu’iceux ; cependant, nous croyons d’être sauvés sans approfondir que cette advertance s’adresse à nous, et que nos œuvres, pour bonnes que les estimions, ne sont que matérielles et extérieures, remplies de notre propre inclination.

3. Nous devons frémir de crainte au lieu de nous promettre le Salut, puisque le même Jésus Christ dit qu’il examinera nos justices [390], c’est à dire, bonnes œuvres extérieures avec lesquelles nous nous voulons justifier. Celles-là sont nos justices, parce qu’elles paraissent justes devant nos yeux, lesquelles cependant seront jugées et condamnées de Dieu, parce qu’elles n’ont pas été faites dans sa justice, mais dans la nôtre, qui nous trompe et fait périr éternellement plus facilement que ne feraient quelquefois des gros péchés, qui nous tiendraient toujours en crainte ; où ces œuvres que nous estimons bonnes nous font vivre et mourir dans la présomption de notre salut, sans repentir ou pénitence. Je n’ai pas entrepris de parler aux âmes qui sont abandonnées aux péchés ou mauvaises œuvres extérieures, parce qu’icelles sont jà condamnées, et les lumières ou advertances ne les peuvent mouvoir, par l’endurcissement de leurs cœurs, mais je parle aux âmes qui désirent encore de plaire à Dieu, et sont cependant dans des si épaisses ténèbres qu’ils ne voient pas où ils marchent.

4. Ils cheminent par la voie de damnation pensant être dans celle de salut ; à cause que nous sommes dans le temps où le Diable domine sur toute chose, et si ne prenons bien garde, il séduira les plus gens de bien sous des pieux prétextes. Il a fait jà si grands progrès, que les bien-intentionnés sont ses esclaves, et les méchants ses serviteurs à gages ; par ainsi, il a le tout, et l’on peut bien dire de notre temps que la parole de David est accomplie, où il dit que Dieu a regardé par tout le monde, et qu’il n’a vu personne qui fasse le bien [391], et qu’il n’y en a pas un seul. Cela n’est-il pas horrible à entendre ? Cependant l’on ne l’appréhende pas.

5. L’on court à l’aveugle dans les Enfers, ou bien l’on y est porté en litière. Les pécheurs publics vont en enfer à pieds, avec peines et labeurs, mais ceux qui sont bien-intentionnés y vont doucement et à l’aise, parce que les hommes savants les y portent en litière en avouant leurs façons de faire, en louant les dévotions extérieures, voire, en méprisant ce qui est parfait et intérieur, ne pouvant souffrir par l’imbécillité de leurs vues une lumière plus claire que celles qu’ils ont ; l’orgueil les empêche de la regarder et aussi de souffrir qu’un autre la regarde, parce qu’ils veulent avoir toute la gloire de ce qui est beau et bon, sans rien vouloir céder à un autre. C’est pourquoi Jésus Christ a dit : Je détruirai la Sagesse des Sages et abolirai la prudence des prudents [392], et ce d’autant que leur Sagesse et prudence s’oppose aux desseins de Dieu et n’y veut nullement céder.

6. Dieu envoie sa lumière au monde, et les Sages ne la veulent recevoir, aimant mieux leurs ténèbres que la lumière [393]. Les Saints mêmes ont confessé qu’ils étaient en ténèbres et qu’ils marchaient à tâtons [394] dans les Écritures Saintes, et ces Docteurs modernes vivent en assurance dans leurs propres jugements, conduisant les autres par les mêmes ténèbres, et ainsi périssent tous, parce que personne ne cherche la lumière de Dieu, un chacun se contentant de la Sagesse et prudence humaine : Un aveugle conduisant l’autre aveugle, tous deux tombent dans la fosse [395]. C’est un grand mal d’être aveugle, mais c’en est bien un plus grand de ne pas connaître son aveuglement ; cela est un mal désespéré, parce qu’on tombera d’un précipice à l’autre, sans les savoir éviter.

7. Voilà le pauvre état où est à présent réduite la Chrétienté. L’on ne sait plus où est la Vérité. Ceux qui disent de l’avoir sont dans les erreurs, ne parlant ni faisant la Vérité que Jésus Christ nous a laissée ; voire, qui est pire, ne savent souffrir qu’un autre la suive ; car ils ont des maximes controuvées à leurs modes, avec lesquelles ils veulent conduire tout le monde ; ce qui cause que tous sens sont dépravés, entendant un chacun à sa façon, et le peuple étant conduit par ces diversités vivent avec autant de bigarrures qu’il y a d’extravagance dans l’esprit de leurs Directeurs. Ce n’est pas de merveille que le monde va de mal en pis, parce que le mal ne se peut réparer là où il n’est pas connu. Un chacun vit en assurance comme s’il était bien, quoique depuis que le monde a été fait jamais l’on n’y ait vécu si mal. Il y a bien eu en tout temps des méchants, mais maintenant, le mal est universel, aussi bien parmi ceux qui croient être gens de bien que ceux qu’on tient autres ; voire il me semble plus grand parmi ceux estimés bons, que les renommés mauvais ; à cause qu’il y a plus de présomption, et moins de pénitence.

8. Il n’y a plus rien [qui soit] dans la vraie justice de Dieu. Tout est corrompu, jusqu’à l’usage même des Sacrements. L’on porte au Baptême comme par cérémonie ; l’on confirme sans dévotion ; l’on communie par routine ; l’on se confesse sans contrition ; l’on reçoit l’extrême onction par manière d’acquit ; l’on reçoit les Ordres sans préparation, et l’on se marie par affection ; et l’on croit de recevoir les grâces de Dieu par les signes extérieurs seulement, et avec cela, l’on pense être Chrétiens et aller en Paradis. Ne voilà pas des grandes tromperies, voire un mépris de Dieu, en abusant ainsi des choses sacrées ? Si nous croyons que tout cela est Sacrement, ne faisons-nous pas autant de sacrilèges que nous les recevons de fois indignement ? Et personne n’appréhende tout cela, parce qu’il y a maintenant tant de faux Prophètes qui nous disent paix et assurance [396], et louent nos bonnes œuvres extérieures, afin de nous ôter le soin de notre salut, nous l’assurant faussement par des moyens qui nous en éloignent, parce que celui qui n’a que des bonnes œuvres extérieures n’est pas en la Justice de Dieu, au contraire, il est hypocrite en paraissant dévot sans qu’il le soit sinon devant les hommes.

9. Il ne faut pas croire ces trompeurs pour leurs paroles et promesses, parce qu’ils ne porteront point notre fardeau. Il nous faut comparaître seuls devant Dieu avec nos œuvres, lesquelles seront jugées telles qu’elles seront devant lui, et non pas telles que les hommes les ont jugées, ni telles que les avons estimées. Tout ira dans une si juste balance qu’un grain trop léger ne passera point ; il vaut mieux rentrer en nous-mêmes, examinant le fond de notre conscience pour voir comment toutes nos actions sont faites, et redresser les manquements, sans nous appuyer sur les discours ou jugements des hommes, qui nous flattent le plus souvent, et estiment bon ce qui sera trouvé mauvais devant Dieu [397].

10. Ils ne nous sauront retirer de l’Enfer si aisément qu’ils nous y ont conduits. Faisons notre lit si que désirons nous coucher. Ne méprisons point cette admonition qui vient de Dieu, si qu’un chacun peut bien apercevoir ; car le Diable n’incite jamais à pénitence, et est aussi esprit de ténèbres, ne mettant jamais au jour nos fautes, craignant qu’en les voyant nous les amenderions.

11. Pesons un peu les vérités qui sont ici, et jugeons par notre propre expérience si n’abusons point des choses saintes, voir et des Sacrements. Premièrement, voyons : si nous adorons Dieu en esprit et en Vérité ; si en fléchissant les genoux devant quelque Image nous adorons Dieu qui est au Ciel ; si durant nos prières nous sommes en entretien d’esprit avec Dieu ; si à la Messe nous nous sacrifions à lui ; si en honorant la Vierge et les Saints nous remercions Dieu des grâces qu’il leur a faites, en ayant de la joie comme si nous-mêmes les avions reçues ; si nos Communions ont uni nos âmes à Dieu ; si nos confessions ont été vraies pénitences et amendement de notre vie ; Ainsi de tout le reste. Et si ne trouvons pas ces expériences en nous-mêmes, ne croyons pas ceux qui nous disent que nous sommes en la grâce de Dieu, parce que les effets nous témoignent tout au contraire. Pleurons plutôt notre aveuglement, et résolvons l’amendement de notre vie, ne nous assurant point sur ce que le monde croit que nous sommes dévots pour avoir fait beaucoup de bonnes choses à l’extérieur, parce qu’icelles ne sont que les témoins de la vraie dévotion que devons avoir dans nos âmes.

12. Pensons que Dieu n’a besoin de nuls témoins, puisqu’il voit le fond de nos pensées et les moindres mouvements de nos affections. Ce n’est que vanité d’être estimés dévots et vertueux par nos actions extérieures, en quoi ne consiste la vertu ; non plus que le péché ne consiste ès actions extérieures qui sont mauvaises, parce qu’il est une chose spirituelle aussi bien que la Vertu, l’un et l’autre étant connus de Dieu seuls et non pas des hommes, lesquels ne voient que le dehors, et jugent selon leurs sens. Car une personne ferait bien choses mauvaises à l’extérieur sans commettre de péché ; d’autant qu’il provient du cœur [398], et point des actions, lesquelles portent seulement témoignage de la malice ou bonté de notre cœur, mais ne le rendent pas pire ni meilleur lorsqu’elles se font sans attention. C’est pourquoi Jésus Christ disait que ce qui entre en la bouche ne souille point l’âme, mais ce qui sort du cœur [399], parce qu’il faut que nos pensées et affections forment nos péchés ou notre vertu, et pas nos actions.

13. Pour cela plusieurs se trompent en croyant de ne point faire de péchés lorsqu’ils ne font pas de mauvaises actions. Cette tromperie est commune entre les personnes qui cherchent la perfection. Ils diront : « Je ne dérobe personne ; je vis chastement ; je ne jure ni ne blasphème, et tout le reste d’autres actions mauvaises : partant, je ne fais point de péchés sinon des imperfections. » Ce qui est un grand abus, parce que celui qui s’abstient de ces mauvaises actions peut faire autant de péchés devant Dieu que ceux qui les commettent extérieurement, voire encore davantage, parce qu’ils peuvent faire routes sortes de péchés de volonté, qui sont devant Dieu autant que les œuvres, hormis le scandale et la réparation.

14. Mais la présomption et le mépris des autres pécheurs surpasse encore toute leur malice, parce que la présomption de bien vivre et d’être sauvés est un péché contre le S. Esprit, qui ne sera pardonné ni en ce monde ni en l’autre [400], parce qu’il n’est pardonnable qu’une personne se glorifie de la justice et perfection qu’elle ne possède point, ni aussi qu’elle méprise son frère lorsqu’il tombe en quelques actions mauvaises ; puisque le Pharisien fut condamné de Jésus Christ parce qu’il disait de n’être pas tel que le Publicain [401]. Combien de semblables personnes se retrouvent de cette sorte aujourd’hui, qui n’ont des yeux que pour voir les fautes des autres, et de la charité pour excuser les leurs ? S’ils étaient vrais Chrétiens, ils béniraient Dieu toutes les fois qu’ils verraient un autre tomber en faute de laquelle il les a conservés sans leur mérite, parce que tout ce qu’une personne fait, une autre le peut bien faire aussi, et si quelqu’un ne le fait pas, c’est qu’il a été prévenu de la grâce de Dieu, mais point qu’il soit en soi plus parfait que celui qui manque extérieurement. Un cœur humble croira toujours qu’il est plus fragile qu’un autre ; et, s’il ne tombe en des fautes si grossières, que ce n’est par autre raison sinon que Dieu lui a départi plus de grâces ; pour quoi il se sent obligé de prier, et aider les plus fragiles, au lieu de les mépriser, ainsi que font ordinairement ceux qui présument leur salut sans bonnes œuvres ; comme font tous les Moines et Religieuses, tous les dévots ou dévotes, qui se contentent de porter l’habit, et faire à l’extérieur les fonctions de Religion ou dévotions, sans avoir ni Amour de Dieu, ni charité en l’âme, ne parlant que d’Amour de Dieu et de charité sans posséder aucun effet d’icelle.

15. Voilà des aveugles qui tombent sans l’apercevoir, et croient être debout lorsqu’ils sont tout à fait couchés dans leurs péchés sans s’en vouloir relever. Car si l’on disait à un Religieux ou dévot : Il vous faut convertir à Dieu et faire pénitence, il mépriserait ce langage, et dirait : « C’est affaire aux pécheurs publics à se convertir. Quant à moi, j’ai choisi une sainte vocation, et j’observe mes règles et dévotions qui me sont prescrites, et je fais assez de pénitence que je ne porte point d’argent et suis sujet à autrui, que je suis privé du mariage et autres plaisirs desquels les mondains jouissent. Tout cela ne mérite-t-il pas le Paradis ? Comment me pourrais-je convertir et faire autre pénitence ? » Voilà tous discours semblables à ceux du Pharisien qui jeûnait deux fois la semaine, et le reste, qu’il disait pour se justifier et mépriser l’humble Publicain, qui n’osait lever l’œil pour la confusion de ses péchés, mais a tant frappé sa poitrine en signe de repentance et pénitence qu’il a été à la fin justifié, et le Pharisien condamné, si que feront aussi tous les présomptueux Religieux ou dévots, qui croient leur salut assuré pour avoir fait à l’extérieur quelques jeûnes ou prières ; quoiqu’en s’abstenant des viandes, ils aient cependant nourri leurs passions vicieuses, et au lieu de s’entretenir d’esprit avec Dieu par leurs prières, ils se sont entretenus tous les jours de leur vie avec leur amour propre, et s’ils se sont privés du mariage, ils se sont d’autant plus adonnés à suivre leurs autres sens, demeurant curieux de voir et d’entendre, friands du goût, aimant toutes les aises et mollesses de leur corps ; s’ils ont été privés d’aucuns plaisirs dont les mondains jouissent, ce n’est pas souvent avec contentement, parce qu’ils en ont joui par désirs, et aussi par effets de tous ceux qu’ils ont pu et su avoir.

16. Sont-ce là des perfections suffisantes pour présumer le salut et s’estimer davantage que les personnes séculières, lesquelles bien souvent ont plus de perfections intérieures que tous ces dévots, apparents au jugement des hommes et pas à celui de Dieu, lequel ne regarde que nos cœurs, notre foi, espérance et charité, et point les états ou exercices des hommes ? Un chacun d’iceux doit choisir l’état et la condition qui le mènera davantage à l’union avec Dieu, mais non pas celui à quoi nos sens s’inclinent davantage ; ainsi que font plusieurs, qui sans regarder à leur salut cherchent et prennent toujours ce qui leur est plus plaisant, plus honorable ou avantageux ; et, avec ce, disent et croient que ce sont des vocations de Dieu ; de quoi il n’y a rien moins, parce qu’on les a seulement choisies ou pour se pourvoir, ou pour être accommodé, ou pour avoir ses aises et plaisirs, tous lesquels sujets l’on colore ou peinture de la volonté ou vocation de Dieu.

17. Un qui se marie dira que son mariage était fait au Ciel, et qu’il est une ordonnance de Dieu, mais s’il examinait bien l’affaire jusqu’au fond, il trouverait qu’il n’y a que la chair ou l’argent qui le pousse à se marier, ou bien tous deux ensemble, la cupidité d’avoir et la luxure. Un autre se rend d’Église, disant être pour abandonner le monde et servir Dieu, mais si l’on pouvait voir au travers de son cœur, l’on y trouverait que le soin de se pourvoir et le moyen de vivre à l’aise en est la principale cause mouvante, et que le service de Dieu n’y vient que par accident.

18. Tout cela provient de ce que nous regardons seulement les choses extérieures, et n’approfondissons point les mouvements de notre intérieur d’où viennent et la vertu et le péché, qui se forment par les puissances de notre âme, non par les membres de notre corps, avec lesquels nous témoignons seulement au dehors ce qui est forgé en notre intérieur ; lesquels témoignages peuvent être vrais, et aussi quelquefois faux par accident, comme celui qui tuerait un homme par un trait de fusil qu’il décharge vers un oiseau, il ne commettrait pas de péché, quoique cette action témoignât qu’il serait homicide. Ce serait un faux témoignage, vu que son cœur n’a jamais pensé à le tuer, ni sa volonté été inclinée à ce faire. Un autre pourra dire des paroles de blasphème à l’encontre de Dieu dans un autre langage qu’il n’entend point ; ce sera un péché matériel, mais devant Dieu, il n’a fait aucun mal, parce qu’il n’a nuls mauvais desseins de ce faire, au contraire, un désir d’honorer Dieu ; ainsi en va-t-il de toutes sortes de péchés, parce que nulles mauvaises actions extérieures ou matérielles ne sont péché sans le consentement de notre volonté ; d’autant que le péché est une chose spirituelle et invisible, qui se forme par le mouvement de notre âme et de notre volonté, laquelle personne ne connaît sinon Dieu et celui qui les commets lorsqu’il épluche de bien près ses mouvements, et prie Dieu pour les pouvoir découvrir, ce qui est le plus grand bonheur du monde ; car autrement nous ferions beaucoup de péchés sans les connaître, et appuierions notre salut sur les jugements des hommes aussi aveugles que nous-mêmes.

19. Il faut bien comprendre que toute sorte de péché, de telle espèce qu’il pourrait être, vient du cœur [402] et de la volonté de la personne, hors de laquelle il n’y peut avoir de péché ; d’autant qu’il est purement spirituel, et l’on en peut commettre grand nombre qui ne viennent pas à la connaissance des hommes, qui ne voient sinon nos actions, et n’entendent que nos paroles. C’est ce qui souvent nous trompe, croyant être tels qu’ils nous jugent. Cela est bien dangereux pour notre salut, lequel ne s’acquiert par le jugement des hommes, mais par l’Amour de Dieu et la charité du prochain, qui sont aussi vertus intérieures, et non matérielles, si que nous voulons croire à notre dommage et péril évident de notre salut.

20. Car nous estimerons quelquefois d’avoir des Vertus lorsqu’en serons fort éloignés, et croirons de ne commettre nuls péchés, lorsqu’en commettrons plusieurs ; comme, par exemple, nous croirons de ne point commettre le péché d’orgueil lorsque porterons habits simples et pauvres, mais notre cœur portera une estime de soi-même et s’élèvera au dessus des autres, ne nous voulant égaler à nos inférieurs ni à nos semblables, désirant d’être estimés de tous, ne nous voulant égaler à rien qui soit vil ou abject, étant aises d’être loués et estimés, et marris d’être méprisés, voire quelquefois fâchés et impatients ; comme si toute sorte d’honneurs nous appartenait ; nous voulons avoir le plus beau et plus bon, le service ou la préférence, ne voulant qu’on découvre nos fautes ou imperfections ; nous montrons et parlons volontiers de ce qui est à notre avantage, et celons ce qui nous rabaisse ; nous ne voulons souffrir des autres, ni leur céder en adresse ou vertu ; nous voulons qu’un chacun nous cède, et ne voulons céder à personne, que l’on parle à notre gré et suive nos volontés. Nous ne voulons connaître notre faute, mais toujours l’attribuer aux autres. Tout cela, avec beaucoup d’autres, sont les branches de l’orgueil de notre cœur, qui sortent par les facultés de notre âme ; et cependant, nous ne nous confessons pas du péché d’orgueil, parce que ne sommes pas vêtus pompeusement, ni servis de riches meubles, train, ou valets.

21. Mais nous sommes bien abusés ; car les personnes qui à l’extérieur portent habits et meubles superbes, sont souvent sans orgueil de cœur, voire ont beaucoup plus d’humilité qu’un pauvre bribeur, parce que le péché consiste en l’âme, et point ès choses matérielles, lesquelles ne sont que les témoins des péchés et qui peuvent souvent donner faux témoignage de ce qui n’est point. Les bonnes actions se peuvent faire sans avoir de vertus, et les mauvaises sans avoir de péchés ; ainsi qu’il arrive le plus souvent par l’aveuglement de notre temps, où l’on ne juge sinon l’extérieur, afin que tout le monde périsse en ne considérant plus les choses intérieures et spirituelles, quoique toute la Vertu et les péchés consistent en icelles.

 

          Du Mois de Mars. 1667.

 

 

 

 

 

 

 

 

F    I    N

 

De la Seconde Partie de l’Académie des Savants Théologiens.

 

 

 

 

Sommaire des Chapitres

 

Dressés selon l’original de l’Autrice.

 

 

C H A P I T R E   I.

 

De la tromperie de ceux qui se disent Saints.

Du discernement des faux Prophètes hors des vrais.

Qu’il ne faut nuls miracles et signes pour discerner l’Esprit de Dieu, mais la foi vive.

Si une âme a le S. Esprit, elle possédera assurément ses douze fruits, ses sept dons, et les huit béatitudes que Jésus Christ a prêchées. Et qu’il la faut croire et suivre, ou être en péril d’être abandonné de Dieu.

 

C H A P I T R E   II.

 

La suite du discernement des Esprits, avec les marques du vrai Esprit de Dieu, qui consistent dans la possession des dons et fruits du S. Esprit, et les huit béatitudes.

Et qu’il faut avoir un œil simple pour le discerner, comme un petit Enfant, qui veut entrer au Royaume des Cieux, avec les conditions dudit Enfant.

 

C H A P I T R E   III.

 

Poursuite qu’il faut devenir Enfant de Dieu. Des qualités d’icelui correspondantes à l’enfant naturel.

Que nous appartenons tous à Dieu. Quelle sottise de suivre nos désirs et volontés.

Exhortation de nous abandonner à Dieu et nous convertir comme S. Paul, en demandant : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?

 

C H A P I T R E   IV.

 

De la sottise que l’homme ne s’abandonne à la gouverne de Dieu.

Qu’il se perd en se voulant gouverner soi-même.

Que sommes impuissants sans rien pouvoir donner à nous-mêmes ; qu’une seule bonne pensée vient de Dieu.

Que les richesses, noblesses, et honneurs du monde sont choses vaines, parce que tous les hommes ne sont rien que des charges.

Et que tous nos plaisirs des cinq sens sont de courte durée, et dangereux.

 

C H A P I T R E   V.

 

Que l’on ne doit avoir curiosité, plaisirs ou désirs, sinon pour son salut ; que toute autre chose est perte de temps et vanité.

Que les plaisirs du monde sont peineux, fâcheux, et ne peuvent remplir notre âme, ni donner de parfait contentement ; qu’il faut tout quitter à la mort, où le riche n’emporte non plus que le pauvre.

Que nous sommes des Enfants Prodigues, dépensant mal-à-propos les grâces que Dieu nous donne à salut.

Que le péché engendre péché. Qu’il n’y a que cette vie pour opérer notre salut. Le temps passé ne reviendra plus.

 

C H A P I T R E   VI.

 

Que nous devons mépriser cette vie et aspirer après celle qui est éternelle.

Que nous errons à suivre nos propres désirs en choisissant quelque état fous bons prétextes.

(De l’Aumône.) Rien ne fera à la gloire de Dieu sinon ce que faisons en fuite de sa gouverne.

Du Mariage. Du Célibat, et toutes autres sortes de conditions.

Que rien ne nous rendra parfaits sinon de connaître la volonté de Dieu et l’accomplir.

Qu’il n’est permis d’user des biens d’Église ainsi que l’on fait. Que Dieu en demandera compte.

Que les Religieux sont bien éloignés de l’Esprit de leurs Fondateurs.

Qu’ils pèchent en recevant aumônes, et aussi ceux qui leur donnent, étant cause qu’ils perdent l’Esprit de Dieu.

 

C H A P I T R E   VII.

 

Des divers états que choisissent les gens de bien, croyant plaire à Dieu.

Que nuls ne sont nécessaires à salut, et que nous pouvons nous sauver en toutes sortes d’états.

Que la vertu ni le péché ne sont choses matérielles, mais spirituelles et invisibles.

Que les hommes nous trompent et nous trompons nous-mêmes, de croire, que la dévotion consiste en aller ès Églises et souvent communier ; quoique par là ne devenions plus parfaits.

 

C H A P I T R E   VIII.

 

De la prière vocale ; des Dévotions ; d’aller aux Églises, à la Messe, aux Sermons, ès Processions, d’honorer les Reliques ou Images des Saints. Que tout cela ne sont que des moyens d’élever notre cœur à Dieu, mais qu’il ne s’y faut pas attacher comme à sa fin, parce que l’on ferait bien toutes sortes de dévotions extérieures sans être vraiment dévots ; car la vraie dévotion consiste au cœur et ès sentiments de l’âme.

 

C H A P I T R E   IX.

 

Que nos justices seront condamnées, parce qu’elles ne sont telles aux yeux de Dieu comme aux nôtres, et qu’elles nous font vivre en présomption, et mourir sans pénitence.

Que les Directeurs qui nous nourrissent là dedans sont des faux Prophètes, qui nous conduisent en litière aux Enfers fort aisément, en suivant nos sensualités et amour propre.

Que toutes nos actions extérieures ne sont que des témoins de l’affection de notre cœur, mais icelles actions ne font la Vertu ni le péché, mais témoignent seulement de que fait notre cœur, parce que pouvons faire toutes sortes de péchés sans mauvaises actions extérieures parce qu’il sort seulement du cœur tout ce qui est mauvais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ACADÉMIE

 

DES SAVANTS

 

THÉOLOGIENS.

 

 

Qui découvre plusieurs péchés cachés à l’intérieur des âmes, lesquels bien souvent les pieuses personnes qui en sont entachées ne découvrent pas elles-mêmes, vivent et meurent sans en faire pénitence, et vont ès Enfers par ignorance, pour n’avoir fait tant de devoir à cultiver et examiner leur conscience comme elles ont fait pour avoir les biens de ce monde.

 

 

 

 

TROISIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.

 

Par

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

Salomon aux Proverbes. Chap.

XXVIII. v. 13.

 

Celui qui cache ses crimes ne réussira point :

mais celui qui les confesse et qui s’en

retire obtiendra miséricorde.

 

 

 

 

 

 

A    U

 

LECTEUR.

 

COMME je vois, AMI LECTEUR, que tant de personnes se trompent au fait de leur salut, même de celles qu’on estime pieuses et vertueuses, lesquelles vivent en plusieurs péchés sans l’apercevoir, à cause qu’il n’y a rien de plus trompeur que le cœur de l’homme, et que la nature corrompue se flatte elle-même et est volontiers flattée des autres (et par ainsi elle tâche à vivre à l’aise et en repos dans ce monde, espérant son salut par les discours des hommes savants, qui aujourd’hui ont trouvé tant d’inventions pour couvrir et excuser leurs propres péchés avec ceux des autres, qu’ils font paraître dans l’éblouissement d’esprit qu’il n’y a presque plus nuls péchés sur la terre ; quoique jamais depuis que le monde est créé le péché n’y ait tant dominé comme il domine à présent, voire dans les âmes qu’on estime les plus parfaites, là où le péché réside à l’intérieur, quoique par civilité ou bien par hypocrisie le péché ne se découvre pas à l’extérieur ; il est cependant très connu de Dieu, qui sonde les reins et condamne nos justices), et puisque Dieu m’a fait connaître l’état des hommes à présent, et comment ils cheminent devant lui, lequel juge bien autrement que les Hommes et condamne souvent ce qu’iceux louent grandement ; voyant donc que Dieu me fait connaître ces vérités comme elles sont devant lui, j’en veux bien faire participant mon prochain, et lui découvrir, autant que Dieu me le fait connaître, l’état de son âme, ses péchés cachés, et enseigner les moyens de les amender s’il veut se convertir et opérer son salut.

Cette matière est très nécessaire aux hommes de maintenant, qui périssent insensiblement et vont périssant pendant qu’on leur crie paix et assurance dans les périls où ils sont. Et il semble que je sois seule dans le monde qui leur déclare la vérité comme elle est devant Dieu. C’est pourquoi je suis haïe et persécutée de ceux qui n’aiment pas la vérité, et ne découvrent volontiers l’état de leurs âmes, ou leurs péchés cachés. Ceux-là se choquent par mes écrits, pour trouver les vérités de Dieu y contenues trop rudes à leur corruption ; sans considérer le proverbe qui dit que les cataplasmes adoucissant font pourrir les plaies.

Ne vaut-il pas mieux de découvrir ses péchés cachés, qui sont les plaies de nos âmes, que d’entendre à la fin cette rude sentence que le Juge prononcera au jugement en disant : Allez, maudits, au feu éternel, qui est préparé au Diable et à ses Anges ? Vu que pendant cette vie mortelle nous avons encore le temps de faire pénitence ; au lieu qu’après la mort il n’y a plus de rémission (il faut alors périr éternellement si de notre vivant nous n’avons découvert, et médicamenté et guéri les plaies de nos âmes par contrition et vraie pénitence) ; que ce n’est assez de confesser les péchés, d’aller aux Églises, ou fréquenter les Sacrements ; qu’il faut un parfait regret de ses péchés, une vie vraiment pénitente, et s’abandonner entièrement à Dieu pour avoir pardon de ses péchés. Car quoique Dieu ne veuille la mort du pécheur, il veut qu’il se convertisse avant de lui pardonner.

Et Dieu ne s’amuse de paroles ; il veut la conversion du cœur entier ; et bien que les hommes abusivement disent qu’il ne faut qu’une attrition pour recevoir le pardon de ses péchés, ce sont des séductions, pas des vérités. Car Dieu ayant créé l’homme pour être aimé de lui, il ne le recevra jamais à miséricorde s’il ne l’aime ; et cette attrition ne regardant que l’amour propre, ne peut avoir grâce auprès de Dieu. Il faut que nous l’aimions de tout notre cœur pour avoir pardon de nos péchés, et que de cet Amour provienne la vraie contrition ; autrement il n’y a de salut à attendre pour le pécheur, puisqu’icelui pardon est annexé à la vraie contrition, et l’un ne peut aller sans l’autre. En sorte que celui qui n’a pas de contrition ne peut avoir de pardon, et celui qui obtient le pardon a de nécessité la contrition. Ce qui est bien une doctrine contraire à celle d’aucuns Théologiens modernes, qui flattent les hommes pour les perdre, les attirant à eux au lieu de les mener à Dieu, les faisant continuer dans leurs péchés pour les avoir souvent à la Confesse, et par ces fréquentes Confessions tirer leurs avantages temporels au préjudice du salut des âmes de leurs pénitents.

Il est bientôt temps que ces fourbes soient découvertes, puisque par icelles tant d’âmes de bonne volonté sont descendues ès enfers qui durant leur vie pensaient bien vivre et être sauvées à la mort. Ne soyez pas de ce nombre, AMI LECTEUR, et ne confiez jamais votre salut aux hommes. Opérez icelui selon les Conseils de Jésus Christ. Prenez le chemin étroit qui mène à salut, et non le chemin large qui mène à perdition, que beaucoup suivent maintenant, parce que les hommes l’enseignent à présent. Faites plutôt votre profit de la Dernière Miséricorde de Dieu, laquelle s’épand maintenant sur tous les hommes de bonne volonté par les lumières de vérité que Dieu envoie maintenant sur la terre, laquelle il éclaircit tous les jours davantage, et je pense qu’il n’y aura plus rien d’obscur ou caché dans l’Écriture Sainte même qui ne soit manifesté et mis au jour. Car le temps est venu, et le monde est à sa fin, auquel tous hommes doivent tomber entre les mains de Dieu, et non entre les mains des hommes qui auront séduit le peuple par des fausses vérités et apparentes vertus. L’on doit penser à soi-même, et tenir son compte prêt, puisqu’on ne sait quand le Maître viendra pour le demander, si ce sera au matin, ou au soir de notre vie. Et partant il faut toujours veiller. Ce que conseille,

 

Ami Lecteur,                              

 

Celle qui aime votre âme     

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

S O M M A I R E

 

Des

 

C H A P I T R E S,

 

selon l’original de l’Autrice.

 

 

C H A P I T R E   I.

 

DES péchés cachés et inconnus aux hommes. Que les personnes qu’on appelle dévotes ou Religieuses sont farcies au dedans de toutes sortes de péchés, et avec cela s’estiment justes parce qu’elles ne font pas des péchés qu’on voit à l’extérieur par mauvaises actions grossières. Cependant ils portent quelques fois en leurs âmes les six péchés contre le S. Esprit, qui ne seront pardonnés ni en ce monde, ni en l’autre, parce qu’ils meurent sans pénitence, et ne savent que c’est vraie pénitence.

Que Dieu ne damne personne.

Qu’il reçoit le pécheur repentant comme le Père fit son Enfant prodigue.

 

 

C H A P I T R E   II.

 

Que la vraie pénitence vient du cœur.

Que nos âmes sont souillées des sept péchés mortels pendant que nous tenons notre salut assuré.

Les marques et vrais témoins de ces sept péchés.

Que nous ne sommes en rien disciples de Jésus Christ.

Qu’il n’y a plus de sincérité aux hommes. Qu’ils portent tous des faux visages.

Qu’on pense tromper Dieu, et qu’on se trompe soi-même en disant qu’on sert Dieu et qu’on sait tout pour sa gloire.

Qu’on couvre tous ses péchés de raisons humaines, et qu’on tombe des 7 péchés mortels dans ceux contre le S. Esprit.

 

 

C H A P I T R E   III.

 

Que les péchés sont spirituels, point matériels.

Qu’on ne peut jamais avoir pardon des péchés contre le S. Esprit, à cause qu’on demeure obstinés en iceux.

Que les dévots d’apparence y sont plus sujets que les autres.

Que l’âme est couchée dans ces péchés, et descendes Enfers en repos, où les autres cheminent seulement en leurs péchés, tombant et se relevant.

Ces péchés contre le S. Esprit ne sont pas bien connus ni appréhendés ; c’est pourquoi ils sont tant plus dangereux.

Que notre vie est semblable à celle du faux riche.

Qu’il faut renoncer à nous-mêmes et abandonner notre volonté à celle de Dieu pour être sauvés.

 

 

C H A P I T R E   IV.

 

Comment que Dieu a voulu être aimé de l’homme dès le commencement du monde, et toutes les Lois qu’il a données en temps ne sont que pour accomplir et témoigner cet amour.

Qu’Adam n’a fait qu’un péché, duquel il fut honteux, et nous en faisons un grand nombre sans confusion.

Que les Lois nous sont données pour connaître nos péchés.

Que toutes les Lois, les Prophètes, et l’Écriture sainte, ne nous enseignent autre chose sinon qu’il nous faut avoir une entière dépendance de Dieu.

Que toutes les œuvres et la Doctrine de Jésus Christ ne buttent qu’à cela.

Qu’il n’avait besoin pour nous sauver d’être pauvre, d’endurer ni de mourir pour notre salut ; qu’il a fait tout cela seulement pour nous donner exemple, et nous montrer par quels moyens il nous faut abandonner à la gouverne de Dieu, en ôtant tout ce qui la pourrait empêcher.

 

 

C H A P I T R E   V.

 

Que nous devons nous abandonner à la gouverne de Dieu.

Que les Lois sont justes et légères.

Que les péchés contre le S. Esprit ne seront jamais pardonnés, à cause que nous ne voudrons prendre les moyens d’en avoir pardon.

Qu’on s’imagine que ces péchés sont des choses vilaines et abominables, desquels fort peu se croient coupables ; pendant que ceux qu’on estime gens de bien le sont.

Que toutes nos actions extérieures sont seulement les témoins des péchés, et point l’essence d’iceux ; que Dieu n’a que faire d’icelles, mais que nous pouvons éprouver notre intérieur par nos actions extérieures.

Que Caïn fut maudit pour ses sacrifices.

Que nous mentons, en disant que nous aimons Dieu.

Que la demande que fit S. Pierre à Jésus Christ, combien de fois qu’il devait pardonner à son frère ses offenses, est très mal appliquée à la Confession Sacramentale.

 

 

C H A P I T R E   VI.

 

Que les Prêtres annulent la Loi de Dieu par leurs Traditions.

Que c’est une mauvaise Doctrine d’enseigner qu’il faut souvent se Confesser pour bien servir Dieu.

Que tout le monde est séduit par les Nouveautés, parce qu’on enseigne plus à se confesser qu’à aimer Dieu et son prochain, ou à quitter ses péchés.

L’on pense amuser Dieu de belles paroles, si qu’on fait les hommes.

Que ceux qui n’ont pas la doctrine de Jésus Christ ne sont pas vrais Chrétiens, quoi qu’ils disent tenir la place de Dieu, lequel seul peut pardonner les péchés.

Que tant de diverses doctrines ne peuvent venir du S. Esprit, mais de l’Esprit d’erreur, et que c’est à présent que faux Christs et faux Prophètes sont élevés, et en séduisent plusieurs.

 

 

C H A P I T R E   VII.

 

Qu’il n’y a jamais eu dans le monde tant de Religieux et si peu de religion.

Qu’on ne peut être lié à Dieu et à la terre, pour être deux objets trop éloignés l’un de l’autre.

Que ceux qui tiennent la place de Dieu se conduisent selon leurs propres Lois, et pas celle de Dieu ni la doctrine de Jésus Christ.

Qu’ils trompent le monde en faisant à croire qu’on a pardon de ses péchés aussi souvent qu’on en reçoit l’absolution.

Que c’est jouer avec Dieu comme l’on ferait avec quelque bouffon, de se confesser et pécher encore aussi tôt.

Que les Confesseurs tirent plus à eux qu’ils ne mènent à Dieu.

Que l’abomination de la désolation est dans le Sanctuaire.

Que le mal est irrémédiable, parce que le sel est corrompu.

L’on ne peut plus attendre de réformations, parce que les hommes se font estimer comme des Dieux et veulent plus de soumission à eux qu’à Dieu même.

Que ceux qui se laissent par eux gouverner sont en plus grand péril de leur salut.

Que c’est tromperie de dire qu’on retombe si souvent en péchés par fragilité.

Que celui qui croit être sauvé par des fréquentes Confessions présume son salut sans bonnes œuvres, et commet un péché contre le S. Esprit qui ne sera pardonné en ce monde ni en l’autre.

 

 

C H A P I T R E   VIII.

 

Que les Sacrements ne donnent les grâces de Dieu sans les dispositions des âmes ; car les hommes sont si remplis de péchés depuis qu’on fréquente si souvent les Sacrements.

Que c’est un faux argument qu’il faille se confesser souvent pour bien servir Dieu.

Que la Confession suppose toujours le péché ; donc la fréquente Confession excite à souvent pécher.

Qu’il ne faut pas confesser les péchés qu’on ne veut pas amender, parce que la Confession est nulle sans l’amendement.

Que la confession est seulement ordonnée pour les pécheurs convertis, mais non pour les continuants à pécher.

Que tant de Saints Anachorètes ont vécu et mouru sans Sacrements.

Qu’aucuns (Ss.) en ont usé par scrupules ou tentations.

Nulles Confessions ne sont bonnes sinon celles qui impriment en nous la haine du péché.

Que celui qui n’a pas de contrition ne peut avoir de pardon.

Qu’il ne faut pas attribuer à fragilité la continuation de nos fautes et péchés, mais à notre pure malice.

Que Dieu nous donne toujours assez de grâces pour les amender ; si l’on était fidèle à la première, l’on recevrait la seconde, et le reste.

Qu’on interprète mal ce que Jésus Christ a dit : Venez à moi vous tous qui êtes chargés.

 

 

C H A P I T R E   IX.

 

Que nous sommes ès dernières ténèbres, où le Diable a ensorcelé tous les esprits pour ne plus voir la clarté, faisant accroire faussement, qu’il faut se confesser souvent pour bien servir Dieu.

Que le Christianisme est rempli d’erreurs maintenant.

L’on préfère la mauvaise usance des hommes à la Doctrine de Jésus Christ.

Que sadite doctrine est sa chair et son sang.

Tant de Ss. n’ont jamais confessé et communié, et ont fait de grands miracles.

L’on fréquente souvent les Sacrements pour sa propre satisfaction ou par persuasion de quelque homme.

Qu’il vaudrait mieux avec le publicain frapper sa poitrine que de s’approcher si souvent des autels.

Que la Parabole du Maître qui avait planté la vigne est dite des enfants de Dieu. Que les Prêtres en sont les Laboureurs et fermiers ; qu’ils en ont abusé ; que Dieu a envoyé de temps en temps des Prophètes et autres Saints pour en demander paiement ; qu’ils les ont battus et maltraités jusqu’à son propre Fils qu’ils ont pendu à une Croix.

Que Jésus Christ s’est fait homme pour nous enseigner palpablement ce que devons faire et laisser.

Que c’est la dernière miséricorde de Dieu. Car il n’envoyera plus personne après lui pour enseigner autre chose qu’icelle doctrine de Jésus Christ, parce que sommes arrivés ès derniers temps, et que sa bonté a fait pour l’homme tout ce qu’il pouvait.

Que sa bonté ne se peut étendre plus outre ; ou il faudrait qu’il y eût une puissante au dessus de Dieu. Que son Amour en notre endroit est excessif, qu’il n’a jamais manqué de faire connaître ses volontés à ses amis par lui ou par autres.

Que ses châtiments et ses faveurs ne sont sinon des moyens pour nous attirer à lui, qui nous veut sauver.