L A  L U M I È R E

 

NÉE EN TÉNÈBRES,

 

Qui incite tous les hommes de bonne Volonté

d’ouvrir les yeux de leurs entendements

pour la connaître.

 

Elle se présente à nous par le moyen

de diverses missives écrites par

 

ANTHOINETTE BOURIGNON,

 

Née en la Ville de Lisle en Flandres

le 13 janvier 1616.

 

 

À ANVERS 1669.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

P R E M I È R E  P A R T I E.

 

 

 

À son Altesse Sérénissime,

 

Madame,

 

FRIDERICE AMALIE,

 

Née Princesse Héritière de Danemark, Norvège ;

Duchesse de Sleswic, Holstein,

Stormarie et Dithmarse ; Comtesse

d’Oldenburg et de Delmenhorft ;

 

Épouse de

 

Son Altesse Révérendissime, Sérénissime,

 

Monseigneur

 

CHRISTIAN ALBERT,

 

Héritier de Norvège, Postulierten Coadjuteur

du Diocèse de Lubec ; Duc de Slesvvic,

Holstein, Stormarie, et Dithmarse ; Comte

d’Oldenburg et de Delmenhorst, &c.

 

 

 

MADAME,

 

IL est très véritable qu’il n’y a rien dans le Monde plus estimable que la Vertu, parce qu’icelle surpasse toutes les richesses, honneurs et plaisirs de cette vie, et bute aux choses permanentes et éternelles, en quoi consiste tout notre bonheur. C’est pourquoi il m’a semblé que je ne pouvais faire à Votre Altesse un présent plus digne et estimable que de lui offrir et dédier un Livre qui contient tant de merveilles inouïes de la solide Vertu pour repaître et consoler son âme qui en est altérée. Il est à juste titre appelé la Lumière née en ténèbres ; parce qu’il donne des lumières si brillantes de la Vérité Chrétienne, qu’il faut que tous les hommes en demeurent muets et confus, voyant qu’ils ont marché en ténèbres, au milieu desquels la Lumière naît maintenant. Elle n’est pas envoyée de Dieu par le moyen des Doctes et Prudents de ce Monde, mais par une personne sans étude des Lettres, qui n’a jamais rien appris des hommes, ayant eu pour Maître le Saint Esprit dès son enfance, qui continuellement l’enseigne et la dirige. Mais comme le véritable Bien est toujours persécuté, et éprouvé comme l’or en la fournaise, ce n’est pas de merveille qu’une âme ainsi prévenue de Dieu ait souffert de grandes persécutions dans sa patrie, de laquelle elle a été obligée à se retirer et fuir ses ennemis, pour pouvoir en repos persévérer en ses pieux entretiens hors des bruits et tracas du Monde importun à son recueillement. Et ayant appris qu’elle voudrait bien se placer à ces fins dans l’île de Nordstrand située au Duché d’Holstein ou Schleswig pour y prendre son domicile, et y séjourner avec quantité de personnes qui, attirées par l’odeur de sa Vertu, la veulent suivre en tel lieu où elle pourrait aller, je m’étais proposé de l’accompagner et la conduire en ladite île de Nordstrand sitôt que faire se pourrait pour la consolation de Votre Altesse Sérénissime, qui aimant la Vertu et piété ne pouvait qu’avoir pour agréable une personne si illuminée de Dieu ; laquelle sans doute attirerait sa bénédiction et ses grâces spirituelles et temporelles sur tout le pays. Mais le diable, toujours jaloux de l’avancement de la gloire de Dieu et ennemi du salut des âmes, a suscité quelque malveillant pour m’arrêter ici, et m’empêcher que je ne puisse à mon souhait avoir sitôt l’honneur de présenter à Votre Altesse personnellement mes devoirs et services. J’ai pourtant résolu de lui envoyer par avance ce livre tout divin, lequel n’a pu, par le détourbier de mes ennemis, être du tout achevé, mais seulement commencé par la première et deuxième partie, lesquelles néanmoins contiennent tant de solides Vérités Chrétiennes, qu’il me semble ne devoir tarder davantage d’être mis au jour comme une chose très profitable aux âmes de tous ceux qui cherchent Dieu en vérité, attendant qu’il se poursuivra et achèvera sons la protection de Votre Altesse Sérénissime, lequel lui dédie celui qui a l’honneur d’être

 

De son Altesse Sérénissime                           

 

très fidèle Vassal et obéissant sujet        

 

CHRISTIAN de CORT,       

Directeur de l’île de Nordstrand  

au Duché d’Holstein.         

 

D’Amsterdam 20 d’Avril, 1669.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

AU

 

L E C T E U R.

 

 

VOYEZ, Ami Lecteur, combien Dieu est fidèle en ses promesses, et comment sa Parole s’accomplit toujours en son temps. Il nous a promis que la Lumière naîtra en ténèbres, et que les ténèbres seront comme midi.

Personne ne peut ignorer que nous vivons maintenant dans un siècle fort ténébreux pour le regard des choses éternelles ; car on voit les hommes si aveuglés dans la convoitise des biens de ce Monde, qu’ils semblent ne penser et travailler qu’à cela ; en sorte qu’il est évident par leurs pratiques qu’ils ne pensent n’être nés que pour cela, et venus en ce Monde que pour les affaires et négoces temporels, restant aveugles et en des obscurités bien profondes pour ce qui regarde leur salut et les biens éternels. Ils sont bien savants dans les sciences humaines et fort ignorants en ce qui leur touche le plus, et qui regarde leur bonheur éternel. En cela ils marchent à tâtons et ne savent où ils vont, non plus que ne faisaient les Égyptiens durant les ténèbres d’Égypte, qui ont été la vraie figure extérieure de l’aveuglement intérieur des hommes de maintenant. Ils ont perdu la foi, et ne connaissent plus la Vérité qui procède de Dieu, s’étant figuré des Idées dans leurs entendements des fausses Vérités apparentes, les suivant à l’aveugle, comme des Vérités réelles, sans découvrir leurs aveuglements, et par ce moyen se trompent et s’aveuglent l’un l’autre.

Combien voit-on aujourd’hui dans la Chrétienté de sentiments divers sur la foi et la croyance Chrétienne. Un chacun glose et explique les Écritures en sa faveur, ou pour fortifier ce qu’il s’est proposé de croire.

Il y a presque autant de sentiments divers que de personnes qui font profession d’enseigner les autres ; en sorte qu’une personne qui cherche Dieu ne sait plus où s’adresser pour trouver la véritable Vérité qu’elle cherche ; parce que tout est en ce point partout en confusion, désordre et débat. L’on peut dire de l’état où est réduite la Chrétienté à présent, qu’elle n’est autre chose qu’une Babylone de confusion et de disputes. Mais Dieu, toujours fidèle en ses promesses, ne veut pas laisser périr ceux qui le cherchent en vérité ; mais pour les éclairer et faire connaître le vrai d’avec le faux, il suscite maintenant des personnes pour manifester la vérité de toutes choses, non point par des doctrines humainement acquises, mais éclairées et illuminées par son Saint Esprit, qui discerne le véritable bien et le véritable mal, et le fait connaître aux âmes qui fidèlement s’abandonnent à lui et se laissent guider par l’esprit de justice et vérité. Ces personnes sont les instruments par lesquels Dieu fait naître sa lumière au milieu des ténèbres si obscurs.

Il a envoyé sa lumière au Monde par la Naissance de Jésus Christ ; mais il n’a pas encore envoyé son Saint Esprit qui nous doit enseigner toutes choses, vu que les Apôtres nous écrivent qu’ils entendent en partie seulement, et qu’ils prophétisent aussi en partie seulement, aux Corinthiens chap. 13. vs. 9, mais quand l’accomplissement du temps viendra, ils entendront et prophétiseront en pleine perfection. C’est ce qu’il nous faut espérer en la promesse de Dieu, qui ne manque jamais à celui qui lui demeure fidèle.

En suite de quoi il a envoyé par une grâce spéciale, dans la ville d’Amsterdam, une vierge de pays étranger, laquelle est régie par son Saint Esprit, et reçoit continuellement l’influence de ses divines Lumières, non seulement pour la conduite de sa vie, ou la perfection de son âme en particulier, mais aussi pour illuminer tous ceux qui avec humilité de cœur liront ses écrits avec attention.

Elle ne parle pas de songes ou de visions, comme plusieurs font en ce temps ; mais elle nous déclare des Vérités si solides, qu’il faut que tous les hommes du Monde soient muets et confus à les entendre. Son style n’est pas de reprendre ou corriger par autorité ; mais seulement de montrer la vérité du bien et du mal par des raisons et arguments si convaincants, que personne n’y peut contredire, sinon ceux qui opiniâtrement veulent demeurer dans leurs erreurs.

Elle possède le vrai sens des Saintes écritures sans les avoir lues, et en a expliqué quelques Chapitres d’une façon si claire et intelligible, que jamais nuls auteurs qui furent au Monde ne peuvent avoir dit choses semblables ; en sorte qu’on peut véritablement dire que la lumière est née au milieu des ténèbres, et qu’elle luit comme le Soleil au midi ; puisque Dieu ne nous parle plus par des songes et figures seulement, mais par des moyens si intelligibles, qu’un chacun les peut entendre. Les doctes et ignorants en peuvent être éclairés, s’ils prennent la peine de lire sans préoccupation d’esprit ce que cette personne écrit.

Nous n’avons pas encore le bonheur de les avoir sous la presse pour les divulguer au Monde ; il semble que les hommes en soient indignes ; mais pour leur donner à connaître un petit échantillon de cet esprit éclairé de Dieu, je me suis résolu de mettre sous la presse quelques Lettres qui me sont tombées ès mains, lesquelles elle a écrites à diverses personnes de considération, leur faisant voir que nous sommes ès derniers temps, que le Monde est jugé, que les derniers fléaux sont commencés, qu’il n’y a plus de vrais Chrétiens, ni de foi vivante dans les hommes de maintenant, que tout est corrompu, que les vices portent le nom des Vertus, et que la véritable Vertu n’est plus connue, qu’on la méprise et persécute, avec tant de rares enseignements du Véritable Christianisme, qu’un chacun en doit être touché, reconnaître son erreur, et prendre les vrais moyens pour retourner à Dieu, et le servir en esprit et en vérité.

C’est ce que je vous présente, mon cher Lecteur, comme un flambeau pour éclairer votre âme, et lui faire connaître la vérité de Dieu en plusieurs choses, en attendant qu’il nous favorisera de vous en pouvoir présenter davantage, sur quoi je demeure

 

Mon cher Lecteur           

 

Votre très humble serviteur     

 

C H R I S T I A N  de  C O R T,

 

Directeur de l’île de Nordstrand en la

Duché de Holstein.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S O M M A I R E

 

DE

 

Cette Première Partie.

 

Qui contient quinze Lettres spirituelles écrites à diverses personnes en états et dignités, dans lesquelles sont contenues plusieurs rares doctrines et belles Vérités de la solide Vertu et perfection Chrétienne, capables d’éclairer les entendements de tous ceux qui véritablement cherchent Dieu.

 

 

LA première répond à un grand juriste qui ne savait comprendre en quelle façon Dieu pouvait parler aux hommes, faisant de curieuses demandes, à savoir si Dieu parlait Français, Flamand, ou autre différent Langage, sur quoi lui est répondu fort divinement et fait entendre comment Dieu parle à l’âme et comment l’homme parle à Dieu.

 

La 2e Lettre au même personnage, lequel trouvait aussi grandes difficultés au discernement des fruits pour savoir s’ils sont de Dieu ou du Diable, ou de la Nature, demandant par quels signes ou marques assurées on pouvait découvrir son esprit pour le suivre, et le mauvais esprit pour n’en pas être trompé ; vu que plusieurs disent à présent d’avoir l’esprit de Dieu, quoique leurs œuvres n’en donnent assez de témoignage, voire que plusieurs grands et doctes personnages en ont été trompés, sur quoi lui est fort pertinemment répondu, et montré les fermes et solides fondements du discernement des esprits.

 

La 3e à un Directeur des âmes, lequel mettait la perfection dans les œuvres extérieures, l’assistance corporelle du prochain, les admonitions spirituelles, ou les cultes et services de Dieu extérieurs, et ne savait pas pénétrer, ni entendre comment la perfection consistait en autre chose que d’agir toujours à bonne fin pour la gloire de Dieu, ou le salut des âmes, sur quoi lui est répondu et montré que le trop d’agitation empêche d’entendre la voix intérieure de Dieu avec de très solides vérités.

 

La 4e au même personnage, lui fait entendre que les visites et entretiens inutiles des hommes sont des empêchements pour s’entretenir avec Dieu, que la plupart des entretiens humains sont perte de temps et amusement d’esprit, ou du moins grand détourbier à la pure perfection.

 

La 5e, au même, lorsqu’il était méprisé et persécuté de ses Amis, lui fait voir que les mépris des hommes sont plus profitables au salut de son âme que ne sont leurs louanges et honneurs.

 

La 6e encore au même personnage, lorsqu’il croyait être une grande perfection d’endurer toute sorte d’injures, affronts et intérêts que nous font souvent les hommes sans les contredire ou s’opposer à leurs malices, lui montrant clairement que c’est coopérer à leurs péchés, de les souffrir sans s’y opposer à son possible, lorsqu’on les peut empêcher ou les faire désister de mal faire à notre personne, ou à autres de leurs prochains.

 

La 7e Lettre s’adresse à un savant Prédicateur, lequel croyait de pouvoir réformer les mœurs et planter ès autres la vertu par le savoir qu’il avait humainement acquis par études ou prudence humaine, lui montrant clairement qu’il faut que les prudents et savants de ce temps deviennent des enfants s’ils veulent entrer au Royaume des Cieux.

 

La 8e Lettre s’adresse à un Docteur qui ne pouvait concevoir autre chose des lumières que Dieu envoie maintenant dans le monde, sinon ce qu’il avait lu dans les Saints Pères du temps passé sans qu’il n’y ait à présent encore nul autre changement, ayant en son esprit de grands combats pour recevoir autres sentiments que ceux qu’il avait toujours possédés ; c’est pourquoi on lui marque quelle supposition il doit faire pour entendre les choses que Dieu veut maintenant révéler, l’assurant que sans lesdites suppositions il ne peut entendre les grands secrets de Dieu, ni recevoir ses nouvelles lumières qu’il envoie sur la terre par sa grande miséricorde.

 

La 9e Lettre s’adresse à un Licencié en la Théologie, lui découvrant comment les Pères du passé n’ont pas eu entière intelligence des Saintes Écritures à cause qu’ils n’ont pas vécu dans l’accomplissement des temps où Dieu donnera pleine intelligence de toutes choses et le sens parfait des Écritures jusques à une syllabe ; que rien n’a encore été entendu en plénitude sinon en partie par les âmes illuminées de Dieu seulement, lesquelles ont eu en tout temps des intelligences divines, chacune selon sa portée et le talent qu’elles ont reçu de Dieu, et pas davantage.

 

La 10e Lettre au même Théologien, lui faisant voir qu’il ne peut jamais avoir de contradiction entre toutes les choses qui viennent du Saint Esprit ; mais qu’une personne peut bien avoir reçu plus de Lumière Divine qu’une autre selon la plus grande pureté de l’âme d’un chacun, jamais néanmoins non contraire l’un à l’autre en substance, parce que Dieu ne change jamais, et le Saint Esprit ne se peut contredire dans les âmes qu’il a illuminées du passé et celles qu’il illumine à présent.

 

La 11e Lettre s’adresse à un grand Prélat, lui déclarant comme le Saint Esprit est invisible en son Essence ; mais le rend visible dans les âmes qu’il anime par ses opérations, et les fruits et dons qu’il y produit.

 

La 12e Lettre à un intime ami qui désirait toujours de se recommander ès prières de ceux qu’il connaissait avoir quelque communication avec Dieu, par où on lui fait voir qu’une âme entièrement abandonnée à Dieu ne peut pas bien promettre de prier pour personne, vu qu’elle doit ôter de son entendement et de la mémoire toutes sortes d’images et de ressouvenir de ce qui n’est pas Dieu, afin de recevoir seulement les idées du Saint Esprit.

 

La 13e Lettre au même ami, lui déclarant en quelle manière une âme ne peut pécher, et combien de soin l’âme fidèle doit avoir pour se tenir toujours dans l’union avec Dieu, parce qu’aussitôt qu’elle en sort, elle peut pécher et tomber en des abîmes de maux, encore bien qu’elle aurait fait de grands progrès dans la vertu.

 

La 14e Lettre à un homme d’État, lequel s’était un peu scandalisé d’entendre une personne par leur vérité en ce qui faisait à la louange, jugeant qu’elle avait peu d’humilité en parlant louablement d’elle-même, par où on lui fait voir ce que c’est que la vraie humilité, et qu’elle ne consiste pas dans des paroles humbles, ni à porter habits simples ou faire des actions viles, mais dans la connaissance de son néant.

 

La 15e Lettre s’adresse à un supérieur d’Église, lui déclarant combien les hommes ont d’obligations d’aimer Dieu pour tant de bénéfices et de témoignages d’amitié qu’ils ont reçu de lui, reçoivent à tout moment, et recevront éternellement s’ils veulent réciproquement l’aimer ; ayant succinctement déduit les choses que Dieu a faites pour l’homme, afin qu’icelui se reconnût obligé à l’aimer par amour, encore bien qu’il n’en aurait jamais reçu de Commandement autre que les bienfaits de Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S O M M A I R E

 

DE

 

La deuxième Partie.

 

 

Contenant une Lettre écrite à un Prélat qui ne savait croire que nous sommes maintenant arrivés ès derniers temps, avec une extraordinaire explication du 24e Chapitre sur saint Matthieu.

 

 

 

 

 

P R E M I È R E  L E T T R E,

 

À un grand Juriste en haute dignité.

 

Comment l’Âme entend et parle

avec Dieu.

 

 

M O N S I E U R,

 

POUR donner satisfaction à la demande par vous tant de fois réitérée, savoir, comment j’entends et parle avec Dieu, je dirai simplement ce que je puis dire.

Dieu est esprit, l’Âme est esprit. Ils se communiquent en esprit ; ce ne sont point des paroles verbales, mais des intelligences spirituelles, qui sont pourtant plus intelligibles que les plus différentes éloquences du monde.

Dieu se fait entendre à l’âme par des mouvements intérieurs, lesquels l’âme entend et comprend à mesure qu’elle est vide des idées terrestres, et autant que les facultés de l’âme cessent, d’autant plus intelligibles lui sont les mouvements de Dieu.

Les intelligences de Dieu sont infaillibles ; lorsque l’âme est libre de toute image ; et dans l’oubli de toute chose créée : mais elles sont douteuses, lorsqu’elle agit par imagination, et cherche les sensibilités, ou autre chose qui n’est pas nuement Dieu.

Les saints mêmes ont en ce point commis des fadaises d’esprit, par des visions, paroles de voix, extases, ou autres sensibilités, à quoi contribue l’imaginative.

Dieu est Esprit, l’âme épurée se transforme en lui, et n’a besoin de paroles ni de vue pour l’entendre, non plus que nous avons besoin d’œil ou de langue pour entendre notre propre conception.

Il est malaisé de déclarer comment cela se fait. Il doit être aussi difficile à croire, et en effet est sujet à des tromperies et illusions diaboliques ou imaginaires, ne soit que ces intelligences et connaissances intérieures soient déclarées par une personne de laquelle la vie et les paroles soient conformes à l’Évangile, comme étant inspirées d’un même Esprit.

Tenez donc pour suspect tout ce que je vous dis de la part de Dieu, en cas que remarquiez que ma vie, mes mœurs et actions ne soient toutes conformes à celles de Jésus Christ, et que ma doctrine ne soit entièrement semblable à la Sainte Écriture ; car si c’est Dieu qui me parle, il est immuable, il ne change jamais, ce qu’il a dit à ses Apôtres et à ses Disciples est la même chose qu’il déclare maintenant intérieurement à l’âme ; il ne peut avoir aucune mutation en Dieu.

Outre cela, la parole de Dieu est vivante et opérante. Les opérations que vous sentez intérieurement de mes paroles, vous doivent être un témoignage assuré que c’est Dieu : car ce serait espèce d’idolâtrie d’attribuer à la créature ce qui appartient au Créateur. Je suis un pur néant ; mais Dieu est tout en moi : il m’enseigne, il agit, il parle en moi, sans que la nature y contribue que le simple organe ; comme un pinceau contribue à l’art d’une belle peinture.

Votre Esprit naturel est capable de juger de cela : car où aurait appris une petite fillette toute la Loi de Dieu, qui est imprimée dans la moelle de mes os, sans livre et sans étude, comme aussi toutes les autres sciences humaines qui me sont si à la main. Il faudrait bien avoir parcouru divers Auteurs avec beaucoup de curiosité, ce qui est bien éloigné de moi, qui veut tout ignorer et ne rien chercher, ni enquérir.

Ne soyez plus incrédule, il n’y a rien d’humain ; simplifiez Votre Esprit, et le temps et la pratique vous éclairera.

Si je sens les plus secrètes pensées de votre cœur, d’où peut-il venir que de Dieu seul ? Si vous en doutez, considérez toujours quelles propriétés a l’esprit de Dieu en soi, et quelles propriétés a l’esprit du Diable, et ne croyez pas à tous esprits : car l’Antéchrist est à présent en son Règne, et a grand domaine sur les esprits des hommes de maintenant, les pipant par fausses apparences sous prétexte de bien et de vertu, et se transforme en Ange de Lumière, pour séduire les mieux intentionnés. C’est à quoi je vous prie de prendre bien garde ; et remarquer plutôt à la vie et comportement de la personne qui dit avoir des Communications avec Dieu, que non pas à ses paroles : car le diable sait bien parler des secrets divins, autant qu’il faisait lorsqu’il était encore Ange : il n’a rien perdu de ses lumières ; mais icelles lui sont demeurées pour lui servir d’Enfer : c’est pourquoi il tente les plus gens de bien par des lumières divines ; mais il ne leur peut donner en effet leurs propriétés que l’Esprit de Dieu porte toujours avec soi. Lisez-les avec attention, pendant que je demeure,

 

Monsieur,                                        

 

Votre Très-humble Servante      

 

A. B.

 

De Gand le 3 Janvier.

       1664.

 

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Propriétés du Diable.

 

IL est père du mensonge, maître d’inconstance, inventeur d’Hypocrisie.

Qui est du Diable traite en mensonge.

Qui est du Diable est inconstant et latitant.

Qui est du Diable est dissimulé, couvert et hypocrite.

Qui fait chose malséante haït la lumière, de peur que ses œuvres ne soient connues.

Qui est du Diable cherche les ténèbres, de peur d’être découvert.

Qui est du Diable est hautain, superbe, appète l’honneur.

Qui est du Diable ne défère à personne.

 

 

Propriétés de Dieu.

 

IL est la vérité.

Il est la voie.

Il est la vie.

Qui vit en Dieu marche toujours en vérité.

Qui vit en Dieu est conforme à Jésus Christ.

Qui vit en Dieu marche en sincérité d’esprit et simplicité de cœur.

Qui vit en Dieu ne craint rien.

Qui vit en Dieu ne cherche rien.

Qui vit en Dieu n’espère rien hors de Dieu, parce qu’il trouve tout en lui.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D E U X I È M E  L E T T R E,

 

Au même.

 

Comment on peut discerner les Esprits, s’ils sont de Dieu,

de la Nature ou du Diable.

 

 

M O N S I E U R,

 

L’UN dit que j’ai un esprit plus grand d’entre les femmes ; l’autre dit qu’il surpasse même celui de tout homme ; et moi je me ris de tous ces sentiments, sachant bien que l’esprit qui est en moi n’est pas mien, et qu’il n’opère point naturellement, quoique par les organes naturelles ; c’est un autre esprit qui les anime ; parce que l’esprit naturel a les bornes et limites en certaines sciences ou arts tant seulement : et doit être aussi curieux de voir, de savoir et entendre ce qui le peut éclairer et perfectionner, comme les études et lectures : il est aussi présomptueux, méprisant tout ce qu’il croit moindre que soi.

Toutes ces conditions sont inséparables d’un bon esprit purement naturel, mais l’Esprit de Dieu n’est limité en sapience, il est en toutes choses, par dessus toutes les sciences humaines. Si une âme qui en est possédée n’a pas tous les Arts ou savoir des hommes, c’est assurément qu’elle n’a pas de besoin pour les desseins que Dieu a sur elle ; autrement elle aurait en effet toutes les sciences temporelles, matérielles et spirituelles ; d’autant que le tout dérive de cet Esprit divin qui le possède pleinement.

Elle ne doit rien voir, ni savoir hors de cet Esprit ; les études et lectures lui servent d’empêchement, parce qu’elles offusquent la simple vue de cette unique sapience qui l’éclaire pleinement. Quand l’Évangile même périrait, elle connaîtrait toujours assez en son intérieur pour sa conduite, sans autres sciences.

L’Effet de cet Esprit fait connaître à l’Âme son néant, et voir aussi clair que le Soleil que ce n’est pas elle qui opère aucun bien ; par conséquent ne se peut en nulle façon l’attribuer : et au lieu de mépriser ceux qu’elle voit opérer moins de bien, elle est plutôt en crainte qu’il ne lui soit plus redemandé qu’à iceux ; et cela l’humilie davantage, la soumettant sous la moindre personne que ce soit.

Vous serez peut-être étonné comment je parle de moi même en termes exprès, sans parler en tierce personne, comme feraient les prudents d’aujourd’hui ; voire comme quelques saints personnages, qui n’osaient avancer ce qui pouvait retourner à leur louange, en parlaient en tierce personne pour cacher leurs vertus. Croyez que cela est encore une étude qui divertit l’âme ; et pendant qu’elle pense si ce qu’elle a à dire est à sa louage ou mépris, elle se distrait de Dieu, et se regarde elle même ; et pendant qu’elle invente des termes propres, pour parler couvertement, ou au gré de ses Auditeurs, elle perd son temps, se met en danger de ne dire vérité, et sort de la simplicité que Dieu requiert ; étouffant par ce moyen la lumière du Saint-Esprit, qui est toujours en la droite vérité, sans se détourner d’icelle, non plus pour les louanges que pour les mépris de l’Âme qu’il anime, l’anéantissant sous la règle de la justice et pure vérité. Les Saints qui ont pris ces détours avaient assurément encore à combattre l’orgueil ; et les prudents qui le font cherchent ainsi de plaire au monde ; car en disant simplement la vérité, ils seraient tenus des ignorants pour superbes ou vanteurs, lorsqu’ils parleraient à leur louange ; ou pour insensés, en parlant à leur mépris : mais la Loi de Dieu est tout autre que celle des hommes.

Il n’y a rien plus difficile à l’esprit humain que de discerner les Esprits pour savoir s’ils sont de Dieu, ou du Diable, ou de Nature ; il faut une lumière divine pour faire ce discernement ; parce que les mêmes choses qu’opère l’Esprit de Dieu, celui du Diable ou de Nature les peut bien faire aussi.

Si l’Esprit de Dieu fait dire à l’âme ce qui est à sa louange par l’esprit de simple vérité, celui du Diable fera dire les mêmes louanges par pur orgueil, celui de la nature pour se priser, ayant en elle de si subtiles flatteries qu’elle dira quelquefois ses propres mépris, afin de se montrer humble devant ceux qui les entendent, et ainsi de tout autre sujet. Une même chose peut être sainte, diabolique ou fragile, selon l’intention et mouvement intérieur de l’âme qui l’opère, lequel Dieu seul connaît apertement ; en quoi se trompent fort tant de personnes qui présument avoir le discernement des Esprits, et direction des âmes par leur propre lumière naturelle. Ils se trompent et sont trompés. Ce sont des aveugles qui mènent des aveugles, et tombent tous en la fosse ; parce que facilement ils prennent le faux pour le vrai, et amusent leurs condisciples avec une sotte présomption de salut, pour ne point savoir discerner les vraies conditions requises à salut. Combien de directeurs, même des plus pieux, promettent le salut assuré à tous ceux qui font extérieurement les devoirs des dévotions publiques, comme d’aller à l’Église, au Sermon, dire certaines routines d’oraisons journalières, fréquenter les Sacrements, et se soumettre à leurs directions ? C’est une grande tromperie qui en conduit sans nombre aux Enfers insensiblement ; parce que les Directeurs se trompent en croyant que toutes ces choses soient suffisantes pour être sauvé, moyennant ne faire d’ailleurs tort à personne ; voire donner quelques aumônes aux pauvres ; parce que toutes ces choses ne sont que des témoignages extérieurs pour confirmer la piété et charité qui est au dedans : et si ces témoignages sont faux, il faut que l’âme périsse.

Saint Paul a donné les vraies marques de la Charité, sans laquelle on ne peut être sauvé, encore qu’on aurait le don de Prophétie et qu’on transporterait les montagnes ; voire qu’on donnerait tout son bien aux pauvres, et son corps pour être brûlé. Ne sont-ce pas là de plus grandes vertus que d’aller à l’Église, et le reste ? Cependant ce grand Apôtre assure que tout cela ne nous servira de rien sans la Charité.

Ces Directeurs des âmes d’aujourd’hui sont-ils plus clairvoyants que lui ? Ou bien Dieu a-t-il changé ses Lois ? N’a-t-il pas ordonné qu’il faut l’aimer de tout son cœur, de toute son âme, et de toutes ses forces ? Ne faut-il pas nécessairement observer cela pour être sauvé ? Suffit-il d’aller à l’Église, et faire les choses susdites ? Nullement, c’est grande erreur de le croire, et le faire croire aux autres ; cela mérite double damnation ; parce que ceux qui le font sont cause de la damnation d’autrui : ils sont premièrement trompés, et secondement trompent les autres ; car plusieurs bonnes âmes tâcheraient d’avoir cette charité, si les Directeurs ne les tenaient en repos par une quantité de fadaises qui les aveuglent.

Je ne doute pas que ces Directeurs et les Sages de ce Monde trouveront assez d’arguments, gloses et explications pour déguiser le vrai sens de cette Charité ; mais toute la malice des hommes et des diables ensemble ne peuvent jamais faire changer la vérité, quoiqu’ils la colorent et contrôlent : elle restera toujours véritable, malgré toutes les agitations qu’on lui fera : toutes les gloses et explications ne lui ôteront jamais sa justice.

Le même Apôtre déclare ce que c’est que la Charité par le menu ; afin que personne ne trouve excuse dans ses tromperies, et que chacun puisse examiner sa conscience, et voir si dans icelle il trouvera les marques et témoignages de la Charité tant nécessaire, et faire les devoirs requis pour l’obtenir par la miséricorde de Dieu, qui ne manque à celui qui le prie et cherche, sans s’amuser aux sentiments des hommes, qui sont trompés et se trompent. Je parle pour les premiers de notre temps ; car les autres sont en de plus grandes abominations, lorsqu’ils tirent les âmes à l’amour d’elles mêmes, les dirigeant selon leurs propres passions et affections, au grand préjudice du salut de leurs âmes, se faisant rendre plus de soumission et d’obéissance qu’à Dieu même. Ceux-là périssent par leur malice, et les premiers par ignorance et par le mauvais usage que le Diable a inventé sur la terre, avec lequel il ensorcelle les plus parfaits, leur montrant par illusions qu’il suffit de porter le nom de Chrétien, et faire extérieurement les fonctions visibles par manière d’acquit, sans pénétrer qu’il faut posséder essentiellement la Charité pour être sauvé, se figurant d’être charitable pour donner quelque peu aux pauvres, sans connaître les conditions d’icelle Charité que l’Apôtre nous a déclarées disant : la Charité est patiente, elle est bénigne, n’est point injurieuse, n’a point d’insolence ; elle ne s’enfle point ; elle ne cherche point ses profits ; elle n’est point dépiteuse ; elle ne pense point à mal ; elle ne s’éjouit point de l’injustice, mais elle s’éjouit de la vérité ; elle endure tout ; elle croit tout ; elle espère tout ; elle souffre tout ; Charité jamais ne déchoit, encore que les Prophéties soient abolies, que les langues cessent, et que les sciences périssent.

Qui est-ce aujourd’hui sur la terre qui possède essentiellement toutes ces conditions que la Charité traîne infailliblement avec soi ? Qui se sent patient et pitoyable vers le prochain ? Qui n’est plutôt mauvais et injurieux ? Qui est sans ambition ? Qui ne cherche point les propres intérêts ? Qui ne se dépite dans leurs contradictions ? Qui ne pense point à mal, à quoi sa nature encline ?

Combien y en a-t-il qui se réjouissent de l’injustice ? se fâchent de la vérité, surtout lorsqu’elle les choque ? Qui endure tout ? Qui croit ou espère ce qu’il doit ? Qui souffre volontiers ? Qui est ferme au bien ? Qui n’en déchoit par les traverses ou mépris des hommes ? Enfin qui a cette Charité ? Je ne connais encore personne : c’est ce qui me fait frémir et lamenter avec compassion l’aveuglement des hommes, qui entendant leur condamnation si assurée, demeurent en présomption de leur salut ; et cela parce que les hommes se le promettent les uns aux autres. N’est-ce point un faible appui que l’opinion des hommes, au regard de la doctrine de Jésus Christ, qui nous enseigne toutes choses infaillibles et véritables ? Ne doit-on pas regretter l’heure que la science humaine est si multipliée, qu’elle fait anéantir la Loi de Dieu par leurs traditions ? et que l’entreprise des directions des âmes leur a ôté la vérité pour les rendre errants dans leurs propres inventions ? Il m’est avis que tant de Savants ont fermé par leurs études le Paradis : car de croire qu’on y entrera par la voie que la plupart nous enseignent, c’est une erreur. Jésus Christ est la seule voie. Ceux qui nous conduisent par une autre que par sa doctrine sont trompés et trompent : il ne les faut croire, quand même ils feraient des miracles.

Qui se peut promettre le Paradis, en sentant en son âme les effets contraires à la Charité ? Parce que les hommes nous diront que Dieu est miséricordieux, et par leur opinion frénétique feront le chemin large, quoique Jésus Christ dit qu’il est étroit. Ce sont des Antéchrists, puisqu’ils le contrarient ; et pour n’être point connus tels, ils nous mettent en main les dévotions apparentes des livres et autres solennités, avec quoi ils divertissent les Âmes de l’essence de la vertu et de la vraie dévotion, qui consiste en l’amour de Dieu et du prochain, et en la foi qu’elles ont jurée au Baptême, et en l’observance des Commandements de Dieu. Car où enseigne-t-on aujourd’hui qu’il faut renoncer au Diable, au Monde, et à ses pompes ? Un chacun fausse sa foi à Dieu, en suivant le Monde et ses pompes, et avec cela on est admis pour recevoir journellement les Sacrements, sans frémir en sa conscience ; et ces affronts faits à Dieu sont tenus pour vertus et dévotions. Qui est-ce qui ne s’étudie point à complaire au Monde, et être bien avec lui sans faire réflexion qu’on y a renoncé au Baptême, et aussi à ses pompes, quoique les plus parfaits les suivent soigneusement ? Qui renonce au Diable, en suivant toutes ses tentations sans faire force d’y résister ? Et avec tout cela on se dit Chrétiens, et on espère le Paradis. Si Dieu nous l’a promis au Baptême, est-il obligé de garder sa promesse lorsque nous lui faussons si volontairement notre foi ? Il ne serait pas juste s’il le faisait sans que nous nous convertissions à lui de tout notre cœur, embrassant l’esprit de pénitence pour le passé, et celui d’amour et de charité pour l’avenir, autrement tout périra assurément ; encore bien que nous eussions été faits Épouses de Jésus par le Baptême, nous avons depuis adultéré avec le Diable, le Monde et la chair ; c’est pourquoi nos âmes ont mérité d’être répudiées de leur légitime Époux qui est Jésus Christ. Voilà le sentiment que porte celle qui demeure

 

M O N S I E U R                                                   

 

Votre très-humble                         

servante                                

 

A. B.

 

De Malines, ce 1er de

   Janvier, 1665.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

T R O I S I È M E  L E T T R E,

 

À un Directeur des Âmes.

 

Que le trop d’agitation empêche d’entendre

la voix de Dieu.

 

 

M O N S I E U R,

 

JE crois assurément que Dieu vous envoie cette plaie à la jambe pour contraindre votre esprit à lui être plus attentif, car la multitude des aller et venir et autres agitations de corps distraient assurément le recueillement intérieur, et il est alors impossible de s’entretenir purement avec Dieu dans les agitations extérieures, car l’esprit de l’homme n’est capable d’être parfaitement attentif à deux choses différentes en même temps : il faut que chacune aille à son tour pour faire une chose bonne. Votre esprit a toujours agi en choses diverses et différentes en même temps. Votre naturel, étant fort actif, secondait cette agitation et l’emploi de votre charge suivi de la matière continuellement pour précipiter et confondre diverses choses ensemble, en sorte que ni le spirituel, ni le temporel ne peut avoir sa perfection accomplie, et que votre âme ne peut entendre parfaitement la voix de Dieu. Il est bien vrai que parfois l’on reçoit quelques vraies inspirations parmi diverses autres occupations extérieures ; mais elles ne sont jamais pures, étant mélangées de nos propres pensées et imaginations ; et partant sont à tenir pour suspectes ; car aussi longtemps que la personne n’est pas purgée de toutes ses passions vicieuses, elles lui serviront toujours d’idées conformes à leurs inclinations, et facilement feront prendre nos mouvements naturels pour inspirations de Dieu, lesquels nous ne pouvons assurément discerner aussi longtemps que toutes les facultés de notre âme ne sont entièrement consacrées et soumises à Dieu par une volonté absolue de ne plus rien vouloir, aimer ou désirer, sinon ce qu’il veut, aime et désire, ayant à cette fin consumé au feu de ce sacrifice toutes nos propres affections, désirs et plaisirs, arrêté le cours de toutes sortes de concupiscences naturelles, lesquelles ne peuvent plus dominer dans l’âme qui veut entendre la voix de Dieu, parce qu’icelles étoufferaient la lumière qu’il produit continuellement dans l’âme qu’il possède, et font qu’elle ne voit cette lumière, sinon par intervalle, ou à la façon d’un trait décoché qui passe légèrement, ou bien qu’elle voit la lumière de Dieu si confusément parmi sa lumière naturelle, qu’il lui est impossible de discerner l’une hors de l’autre, et qu’elle est toujours obligée de marcher à tâtons parmi un si beau jour, car la lumière de Dieu est claire comme le Soleil du midi ; mais nos passions sont autant de nuages y opposés, qui font que l’âme ne le peut apercevoir. L’amour et la haine la craignent ; l’espoir, la tristesse, la joie et autres passions vicieuses, remplissant votre âme, l’aveuglent tellement, qu’elle ne voit autre chose que ce qui lui est sensible et à son gré, ne recevant volontiers ce qui contredit à ses inclinations, et ainsi remplie de soi même, elle n’est capable de recevoir la lumière de Dieu non plus qu’un vaisseau plein d’eau n’est capable de recevoir le vin, sans être auparavant vide de son eau, ou autrement le vin se perd, ou est consommé dans l’eau sans profit. De même une âme ne peut recevoir la parole de Dieu sans auparavant avoir vidé dehors toutes ses affections et prétentions propres. Je sais bien que Dieu parle quelquefois aux âmes imparfaites dans leurs oraisons, voire même dans d’autres occupations ; mais sa parole n’opère pas ces effets, sinon quand on est mort à soi-même : c’est comme la semence jetée sur la pierre ou entre les épines. L’une se sèche faute d’humeur ; et l’autre est étouffée par les soins et distractions des affaires du Monde ; je vous regarde comme une personne de cette sorte, qui a quelquefois reçu la parole de Dieu sans la bien entendre, ni aussi suivie, à cause des occupations et passions immortifiées, de quoi votre âme n’a jamais été vide à suffisance pour bien entendre l’inspiration et la suivre ; et je crois que le temps est venu qu’il veut votre âme toute vide, afin qu’il la puisse remplir ; il vous arrête dans le lit pour cela, bénissez-l’en, car c’est un trait de son amour : vous croyez, ainsi qu’il est vraisemblable, que toutes vos agitations et occupations du passé ont été ou nécessaires ou pieuses, mais je vous dis qu’il y a toujours eu du mélange de votre propre inclination, ou de l’égard humain : si Dieu maintenant vous veut purger et vider, ne l’empêchez point ; vos actions, qui étaient du passé bonnes, seraient maintenant mauvaises, en ayant reçu plus de lumières ; cheminez pendant icelles ; croyez qu’il n’y a qu’une seule chose nécessaire, qui est d’écouter Dieu et le suivre ; tout le reste n’est que d’amusements ; l’on ne peut être sans parler et opérer dans ce monde, mais il ne faut s’attacher à rien, sinon qu’à cette seule chose nécessaire, faisant tout le reste pour arriver là, ou bien par manière d’acquit, ainsi que plusieurs choses qui ne requièrent autre vigilance que l’acquit de son devoir : pour moi je vois qu’il y a fort peu de choses sur la terre dont la privation ne rende autant d’honneur à Dieu que la jouissance d’icelles : les pieux offices et solennités de l’Église se font souvent où les hommes et les Diables en reçoivent plus d’honneur que ne fait Dieu même : si vous ne pouvez sortir pour le jour de Noël, cela importe peu, Dieu naîtra aussi bien dans votre âme couché au lit comme en votre Église. Dieu est Esprit, et se communique en esprit ; il ne faut que cesser pour laisser Dieu opérer : les centres des cœurs sont ses vrais temples, adorons le là en esprit et vérité ; tout le reste n’est que vanité et perte de temps ; n’étant né pour autre sujet que pour l’aimer, ne nous arrêtons pas à autre chose ; car tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien ; et Dieu seul est le vrai bien : roulez parmi les affaires comme en des choses indifférentes ; mais tenez toujours votre cœur fiché en Dieu, ne visant qu’à sa seule gloire ; encore bien qu’il nous semble que nos emplois se font à la gloire de Dieu, il en a cependant souvent la moindre part ; ce ne sont que des semblants qui paraissent à notre courte vue, et devant Dieu ne sont en vérité que des satisfactions humaines qui n’impriment nuls biens en nos âmes. Considérez un peu combien d’actions pieuses pour l’Église, pour les pauvres, ou autres vous avez faites avant me connaître, lesquelles ont produit en votre âme beaucoup moins d’amour de Dieu, et de solides vertus en votre intérieur, que n’ont fait vos entretiens et études des Saintes Écritures depuis trois ou quatre ans ; n’êtes vous pas devenu tout un autre homme en opérant moins ; et si vous cessiez encore davantage, vous profiteriez toujours de plus en plus ; je le tire de ma propre expérience, qu’en la voie de perfection pâtir vaut mieux qu’agir ; il est pourtant bon d’agir pour un temps en choses bonnes, jusques à ce que nos volontés soient du tout sacrifiées à Dieu ; mais sitôt que nous sommes rendus tout à lui, cessons et il fera tout : c’est assez que votre propre volonté ne lui donne plus d’empêchement ; il ne faut pas pourtant forcer ou travailler son entendement pour cette soustraction ; c’est assez de rejeter doucement les activités dans les occasions qui se présentent ; si l’action que nous devons faire est pour la gloire de Dieu purement, il faut dire : Seigneur, je ne peux et ne sais rien, faites donc en moi cette action, et demeurer simple et libre comme un enfant qui attend la bienveillance de son père ; et si la chose réussit, il l’en faut remercier ; mais si elle n’arrive, il le faut bénir néanmoins et le prier qu’il accomplisse son saint vouloir en nous contre nos désirs qui sont souvent ou mauvais ou indiscrets, et par ce moyen notre âme demeurera toujours contente et joyeuse ; Dieu prendra aussi ses plaisirs en icelle, la remplissant de bénédictions ; car ses délices sont d’être avec les enfants des hommes, lesquels sont les âmes qui ont consacré leur vie à Dieu, et soumis leur volonté à la sienne : ceux-là sont les vrais enfants des hommes avec lesquels Dieu prend ses délices, les illumine, et remplit de joie et de contentement parfait ; car l’âme qui possède son Dieu ne saurait désirer davantage, elle n’aime et ne désire plus rien que ce qu’elle a trouvé ; de là vient qu’elle n’a plus de volonté sienne, ni de désir de savoir ou d’apprendre autre chose, sinon ce que Dieu lui communique à l’intérieur de son âme ; elle ne s’empresse de rien, s’appuyant sur son bien aimé, qui est son seul Conducteur, Illuminateur, et Consolateur, qui ne change jamais et ne peut périr ; quoique tout le monde se renverserait, il demeure permanent, et toujours fidèle et uni à l’âme en vérité. Vous ne sentez pas encore toutes ces opérations à cause que n’êtes pas entièrement enfant des hommes ; mais j’espère que le deviendrez et en bref. Il n’y a nul vrai homme que Dieu : Jésus Christ s’appelle fils de l’homme, parce qu’il est engendré de la Sapience du Père, et demeure en son unité ; lequel Jésus Christ a aussi engendré des enfants de sa Sapience (qui n’est autre que celle du Père) comme ses Apôtres et Disciples, lesquels ont aussi engendré plusieurs enfants en la même sapience, laquelle doit avoir génération jusques à la fin du monde ; mais hélas ! si peu sont aujourd’hui enfants de ces hommes qu’on ne les sait où aller chercher : un chacun veut porter le nom d’enfants des hommes pour être engendrés d’iceux par la chair, sans comprendre qu’il n’y a nuls enfants des hommes en sens parfait, que ceux-là possèdent et pratiquent la Doctrine de J. C., car s’il était autrement, Jésus Christ serait trouvé menteur en ce qu’il dit que ses délices sont d’être avec les enfants des hommes : puisque si grand nombre expérimentent de ne trouver contentement dans leurs âmes, au contraire de continuelles agitations de tristesse et déplaisirs, qui sont plutôt marques d’être délaissés de Dieu, que non pas d’être entre ses délices, qu’il dit d’avoir avec les enfants des hommes. De combien de divers mouvements est agité l’esprit humain durant sa vie ? Ce n’est qu’un combat continuel, sans repos, inconstant comme la lune, sans contentement solide ; si Dieu y prenait ses délices, il ne pourrait être sans joie parfaite ; s’il n’y a pas ses délices, c’est signe que nous ne sommes pas enfants des hommes. Cependant je demeure

 

M O N S I E U R                                             

 

Votre très-humble                    

servante                            

 

A. B.

 

De Malines, ce 25 de

     Janvier, 1666.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Q U A T R I È M E  L E T T R E,

 

À un Directeur des Âmes.

 

Que les visites et entretiens inutiles des hommes

empêchent de s’entretenir avec Dieu.

 

 

M O N S I E U R,

 

NE soyez pas en peine de ce que je ne viens vous visiter, d’autant que ma visite ne vous peut guérir corporellement, ni aussi apporter à votre âme de perfection, aussi longtemps que n’avons point la liberté de parler de Dieu à cœur ouvert, nos entretiens ne sont que vains, oisifs ou du moins inutiles et sans profit : pour moi j’estime perte de temps tout ce qui ne se fait à la gloire de Dieu ; et quelle gloire aurait Dieu d’une routine de paroles inutiles, qui ne profitent ni au corps, ni à l’âme, puisqu’il faut rendre compte de toutes paroles oiseuses, à plus forte raison des œuvres oiseuses : les visites qui se font par compliment, bienséance ou manière d’acquit, passent en mon entendement pour actions oiseuses du moins, car le plus souvent elles servent d’empêchement à mon entretien intérieur, qui est pire que oiseuses actions, vu qu’elles ôtent la lumière et l’amour sensible que l’on peut recevoir à tout moment dans la solitude ; ce qui apporte grande perte à l’Âme, qui se distrait sans profit par de semblables entretiens ; je dis sans profit, parce que lorsque cette distraction se fait pour la perfection de son âme, ou celle du prochain, Dieu en est plus honoré, et l’âme de lui plus récompensée, pour avoir préféré sa gloire à son propre repos et contentement particulier ; mais lorsque n’y entrevient pas cela, les conversations sont ou mauvaises, ou indifférentes, ou inutiles ; et pour les personnes qui ont trouvé l’entretien avec Dieu, les indifférentes ou inutiles leur sont assurément mauvaises, pour ce qu’un moment d’icelui entretien est plus à estimer que tous les trésor du Ciel et de la terre ; partant ne prenez en mauvaise part de ce que je ne viens journellement vous voir en votre infirmité, parce que l’expérience m’a appris que les personnes qui vous environnent ne sont pas disposées à profiter de mes paroles, au contraire elles s’en édifieraient mal plutôt ; et pour votre personne elle ne peut rien profiter à entendre des discours indifférents, pour être obligée d’en entendre par excès tout le long de la journée de tant de différentes personnes ; et si l’on affectait de parler en particulier, cela émouvrait les passions des immortifiés, qui prennent les choses spirituelles pour choses naturelles ; car la lumière du Soleil déplaît toujours à ceux qui ont les yeux faibles ou chassieux ; partant, demeurez paisible, et patientez jusques à ce que Dieu vous donne la santé et liberté de nous entretenir librement des effets de son amour ; la plaie de votre jambe m’en semble un, pour vous donner plus de repos et de recueillement ; mais le Diable suscite des distractions par les gens de bien même, afin de rompre les desseins de Dieu. Si j’étais en votre place, je me tiendrais de corps reposée, et d’esprit recueillie en Dieu, lui offrant à toute heure sacrifice de moi même pour souffrir ou jouir, voire vivre et mourir selon son bon plaisir, laissant tout le reste à sa disposition et volonté, et alors tout succédera à votre souhait ; car si notre volonté est unie à celle de Dieu, les choses même adverses nous seront prospères, et rien ne nous pourra plus manquer ; c’est ce que je vous souhaite du profond de mon âme, en demeurant

 

M O N S I E U R                                            

 

Votre très-humble                     

servante                             

 

A. B.

 

De Malines, ce 6 Décembre,

                1666.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C I N Q U I È M E  L E T T R E,

 

Au même.

 

Que les mépris des hommes sont plus

profitables pour s’unir à Dieu que

leurs louanges et honneurs.

 

 

M O N S I E U R,

 

Je m’étonne comment vous pouvez avoir une pensée de défiance de mon amitié, après connaître que je n’aime en vous autre chose que Dieu, lequel n’est moins aimable dans les vitupères que dans les honneurs ; parce qu’il demeure toujours également estimable. Ces accidents d’honneur et de mépris ne sauraient altérer le moindre respect que je lui dois ; ils sont toujours en même égalité au Calvaire comme au Tabor. Si vous êtes dans le mépris, je vous aime accidentellement davantage que dans l’honneur et la prospérité, d’autant que je sais par expérience que l’âme est plus unie et semblable à son Dieu en souffrant qu’en jouissant, pour le temps de cette vie. Toute notre joie, honneur et repos doit consister dans l’espérance du temps à venir, sans même souhaiter pour le présent aucun bonheur, sinon celui d’être du tout sacrifiés, corps et âme, à son saint vouloir. J’ai plus de contentement de considérer les mépris qu’on fait de vous à présent que les estimes qu’on faisait du passé ; parce que le chemin de mépris est toujours plus ferme et assuré contre nos ennemis que celui de louange, pour la faiblesse de notre nature corrompue, qui s’encline toujours vers les choses qui plaisent à ses sens plutôt que celles qui plaisent à Dieu ; partant c’est une grande supportation de notre faiblesse lorsqu’il nous délivre de l’estime des hommes, lesquels sont comme des lunes toujours changeantes, sans fermeté, aimant en un temps, haïssant en un autre : la même chose qui est dite bonne un an sera dite par les mêmes mauvaise l’autre année, quoiqu’elle ne soit nullement changée, sinon quelquefois en bien ; par où l’on connaît le faible appui qu’il y a ès créatures, et est confirmé que tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien ; ce principe me fait mépriser tous vos adversaires et les miens, desquels avec toutes leurs machinations ne nous peuvent ôter ce seul bien, moyennant lui demeurer fidèle ; c’est peu de chose qui nous peuvent ôter, quand même ce serait la vie ; puisqu’ils ne peuvent toucher nos âmes seulement estimables pour être les images de Dieu qui en est le protecteur. Marchons en cette foi de pas ferme, mettant toutes ces lunes sous nos pieds, et ce Dieu de paix vengera notre querelle en son temps. Je ne voudrais cependant négliger aucuns devoirs, pour se défendre de ces ennemis avec la justice et la raison, parce que notre perfection s’obtiendra bien par la grâce de Dieu sans qu’elle soit moyennée à prix de la damnation de nos frères, qui souvent, par notre souffrance, s’empireraient ; mais que cette défense se fasse sans passion vicieuse ; il faut que scandale arrive, mais malheur à celui par qui il arrive. Si personne ne choquait la vertu, elle ne serait éprouvée ni connue ; c’est pourquoi je vous dis à la bonne heure pour les mépris que les hommes vous font, avec quoi je demeure :

 

M O N S I E U R                                            

 

Votre très-humble                   

servante                          

 

A. B.

 

De Malines, ce 13

        de Janvier, 1667.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S I X I È M E  L E T T R E,

 

Au même.

 

Comment on doit souffrir les injures

et affronts.

 

 

M O N S I E U R,

 

IL me semble avoir de la Contradiction en diverses choses de votre procédé au mien.

Premièrement vous estimez patience ce que j’estime cruauté au prochain ; par exemple, quelqu’un dirait mal de vous, ou fera quelque tort à votre honneur ou biens, vous le voudrez endurer sans considérer si cela ne blesse l’honneur de Dieu, ou donne quelque empêchement à quelque pieuse entreprise, ou bien si cela ne blesse pas la Conscience de celui qui le fait ; vous pensez seulement qu’aurez le mérite de la patience en souffrant.

Et moi je fais tout autrement, je regarde premièrement combien la chose est mauvaise, si elle empêcherait bien les desseins de Dieu, ou la perfection de mon prochain, ou bien si celui qui le fait n’offense pas Dieu à ce faire, et lorsque j’aperçois quelqu’une de ces choses, je m’étudie de tout mon possible, pour voir à y apporter le remède ou empêcher que ce mal ne continue ou s’accroisse, et s’il y a quelque remède à mettre, je n’épargne ni bien ni fatigue pour y remédier, croyant de faire service à Dieu et charité au prochain de lui faire voir sa faute : mais si le mal qui se fait allencontre de moi ou de mon prochain, ou contre l’honneur de Dieu même est sans remède, et qu’il me soit tout à fait impossible d’y moyenner (par quelle voie que ce soit), c’est alors que je peux licitement jouir du fruit de patience ; mais sans auparavant avoir fait les devoirs susdits, cette patience me semble péché à mon âme, et cruauté à mon prochain, le salut duquel nous doit être autant cher que le nôtre pour accomplir la loi de Dieu, laquelle ne nous permet pas de chercher notre perfection propre, au préjudice du salut d’un autre ; les souffrances des maux irrémédiables nous fournissent toujours assez de matière pour exercer notre vertu à la patience, sans nous enrichir par la perte d’autrui. Voilà mon sentiment, lequel vous n’avez encore assez profondé.

Il est quelque part écrit que les péchés d’autrui nous seront inculpés en neuf manières.

L’une desquelles est de n’avoir empêché le mal lorsque nous pouvons l’empêcher, soit en s’y opposant, ou y résistant ; voire même, on pèche en le celant à qui l’empêcherait.

Cela étant, comment pensez-vous bien faire en le souffrant sans faire aucuns devoirs de résistance ? C’est un aveuglement d’esprit. Car encore bien que Jésus Christ a dit qu’il faut donner son manteau à celui qui prend notre robe, ce n’est pas à entendre qu’il faut seconder le larron, en lui approuvant son larcin ; mais c’est à dire, qu’il ne faut pas résister au mal, comme ferait par battre, injurier ou tuer le larron qui nous ôte notre robe ; au contraire, il faut rendre le bien pour le mal, parce qu’un bienfait touche plutôt le cœur d’un malfaisant que l’outrage qu’on lui ferait ; mais cela est toujours supposé lorsqu’il nous est impossible d’empêcher le mal ; alors il faut faire de nécessité vertu, en donnant à celui qui ôte le nôtre ; mais si l’on faisait cela lorsque l’on le pourrait bien empêcher, l’on commettrait le même larcin, comme celui qui prendrait la robe ; en aidant à commettre le larcin, c’est autant qu’à le faire ; et celui-là qui, recevant un soufflet sur la joue, présenterait l’autre, ferait aussi le même péché en cas qu’il pourrait bien empêcher d’être frappé ; il faut toujours supposer cette impuissance d’empêcher le mal, avant le vouloir souffrir, ce qui s’entend assez, parce qu’il est dit, si l’on est contraint d’aller une lieue, qu’il faut aller deux ; cette supposition de contrainte nous oblige à la charité, pour toujours adoucir le cœur du malfaisant par bienfaits, lorsque ne pouvons le faire désister de son mal par autre voie. Tout de même, lorsque Jésus Christ dit : Donne à celui qui te demande, ce n’est pas à dire qu’il faut tout donner ce qui nous est demandé, ou prêter nos biens sans nous détourner de ceux qui demandent en prêt, d’autant que cela rendrait les plus gens de bien misérables, ne pouvant garder assez pour leurs nécessités ; s’il fallait prêter ou donner à tous ceux qui demandent, cette charité serait très mal ordonnée, le juste aurait pauvreté et le méchant abondance ; Dieu, étant la parfaite Justice, ne peut faire des lois ni donner des conseils iniques ; il faut bien entendre ce que devons faire ou laisser, ou autrement nous ferions de grandes fautes sans les savoir ; c’est pour cela que la prudence est la plus grande des vertus, parce que sans icelle nos meilleures actions deviendraient mauvaises ; ce n’est pas vertu d’être bon si notre bonté n’est accompagnée de justice, laquelle doit être aveugle, sans regarder personne, faisant toujours justement et véritablement, tant au regard de son prochain de telle qualité et condition qu’il peut être, sans supporter plus l’iniquité du grand que du petit, cette justice aveugle ne regardant pas seulement les Juges des tribunaux ou Magistrats des peuples, mais regardant toutes personnes en leur particulier, car c’est à un chacun que J. C. dit qu’il faut accomplir toute justice, par où qu’il ne faut rien faire d’injuste aux autres, ni aussi rien souffrir d’injuste d’eux, lorsqu’il est en notre pouvoir de l’empêcher. Mais quand les derniers temps seront venus (qui sont proches), alors il sera bon de prendre à la lettre les Conseils de J. C. et donner son manteau à celui qui nous ôte la robe, et tous les autres semblables, parce qu’il n’y aura plus lors à plaidoyer contre le méchant, d’autant qu’il aura l’empire et le domaine sur le bon, lequel ne lui pourra plus résister sans péril de sa vie ; parce que le Diable fera lors par force ce qu’il fait maintenant par ruse, et quoique le mal a partout le dessus dès à présent, du moins n’a-t-il encore sa cruauté extérieure de tuer les corps, ce qu’il fera dans peu de temps ; partant il nous faut ouvertement résister au mal, aussi longtemps que nous pourrons y apporter tant soit peu de remède pour du moins empêcher qu’il ne soit pas si grand, si ne le pouvons annuler sans, par une faible bonté naturelle, souffrir et tolérer les péchés des autres, que sommes obligés par charité Chrétienne d’empêcher autant qu’il est en notre pouvoir ; et si nous sommes obligés de donner ou prêter nos biens à celui qui nous les demande en son besoin, sans qu’il puisse avoir secours d’autres que de nous, en sorte que s’il mourait de faim, faute de notre assistance, pour n’en pouvoir recouvrir d’ailleurs, nous serions devant Dieu homicides, comme si nous l’avions tué d’un couteau ; à plus forte raison sommes-nous obligés d’assister l’âme de notre prochain, laquelle se perdrait en cas que nous voudrions souffrir sans mot dire, ses inivres et mépris, ou le tort qu’il fait à notre corps ou âme ; pensant exercer vertu de patience, nous commettrions un grand crime, et coopérerions à sa damnation sans le savoir, car bien souvent le pécheur se convertirait si ses péchés venaient au jour par la revanche de celui qui en reçoit le dommage ; la confusion des hommes a quelquefois plus de pouvoir sur le méchant que la crainte de Dieu, et aussi le pécheur est pour l’ordinaire si aveuglé de son péché qu’il se persuade avoir bien fait jusques à ce qu’un autre s’en ressent et lui fait voir son tort ; c’est pourquoi il faut de nécessité s’opposer au mal pour satisfaire à Dieu qui est la justice, à sa conscience, et au bien de notre prochain ; si nous remarquons bien de près les sujets qui nous retiennent souvent à nous défendre contre nos ennemis, nous trouverons que ce n’est pas la vertu que nous nous imaginons, mais plutôt une faiblesse de cœur, une paresse, de peur de se fatiguer, ou bien une pusillanimité de s’opposer à plus fort que nous ; tout cela vient de la nature corrompue, non pas de l’esprit de Dieu, lequel a toujours le don de force pour s’opposer au mal, et ne peut souffrir injustice, non plus en la personne qu’il aime qu’ès autres de ses prochains ; ce don de force fait aimer le bien partout où il se retrouve, et haïr le mal en quelle personne où il se pourrait retrouver ; c’est ce que je vous prie de remarquer de bien près, afin de vous rendre en toute chose agréable au Dieu de justice ; ce que vous souhaite celle qui demeure

 

M O N S I E U R                                           

 

Votre très-humble                   

servante                          

 

A. B.

 

De Malines, le 15

      de Janvier, 1667.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S E P T I È M E  L E T T R E,

 

À un Prédicateur.

 

Comment les Savants et Prudents de ce temps

doivent devenir enfants.

 

M O N S I E U R,

 

QUAND Jésus Christ a dit si vous n’êtes convertis et faits comme ce petit enfant, vous n’entrerez pas au Royaume des Cieux, il parlait en partie à ses Apôtres qui voulaient empêcher les enfants de venir à lui ; mais en plénitude et perfection il parlait aux Doctes d’aujourd’hui ; car les Apôtres étaient simples, et guères éloignés de ressembler à des enfants, n’ayant ni lettres ni études, la plupart pas loin de la simplicité enfantine ; mais les hommes d’aujourd’hui, plusieurs se disent Apôtres, ayant le Ministère de Jésus Christ en puissance ; mais ils sont si remplis de leur propre sagesse qu’ils ne connaissent autre Dieu que la science qu’ils ont acquise par leurs études et labeurs ; c’est à ceux-là que Jésus Christ s’adresse en leur disant par esprit prophétique, si vous n’êtes convertis et faits comme petits enfants, vous n’entrerez point au Royaume des Cieux. J’ai de grands secrets à déclarer de ce Royaume des Cieux ; mais la superbe de l’esprit humain empêche d’en déclarer la moindre chose ; car si l’on leur veut faire voir dans l’Écriture Sainte, ils penseront sitôt qu’ils les savent mieux que ceux qui ne l’ont jamais appris ; et si on leur dit de l’avoir par révélation particulière, ils se mettront sitôt en devoir d’en faire des examens, et il n’y a si petit Domine qui ne croira avoir le discernement des esprits, et voudra avoir mille preuves si c’est Esprit de Dieu ou du Diable, sans qu’ils soient capables de jamais connaître ni l’un ni l’autre ; ainsi tout ne sera que perte de temps et amusement d’esprits sans utilité, par où les hommes se privent de savoir les merveilles de Dieu, qu’il faut receler jusques à ce qu’on trouve des hommes convertis et faits comme petits enfants pour recevoir l’Éprit Évangélique, qui est simple ; et nullement accompagné des sagesses ou prudences humaines ; c’est ce que j’attendrai en demeurant

 

M O N S I E U R                                           

 

Votre très-humble                    

servante                            

 

A. B.

 

De Malines ce 15

   d’Avril, 1664.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

H U I T I È M E  L E T T R E,

 

À un docteur.

 

M O N S I E U R,

 

VOUS trouverez toujours de la difficulté dans mes écrits aussi longtemps que ne bâtirez sur les suppositions ci après dites, lesquelles sont très véritables devant Dieu, et doivent servir de fondement à toutes les merveilles qu’il veut communiquer aux hommes, savoir,

Que nous sommes arrivés au temps auquel Dieu donnera la pleine intelligence de toute l’Écriture sainte ; ce qui n’a été jusques à maintenant sinon entendu en partie.

Qu’il détruira la sagesse des sages, et abolira la prudence des Prudents tant au mystique qu’au civil ; ce qui n’a été accompli jusques à maintenant, car la sagesse des hommes en toute sorte de sciences est augmentée jusques aujourd’hui.

Qu’il révélera maintenant ses secrets aux petits, et les cachera aux grands et aux sages d’aujourd’hui.

Qu’il se faut convertir, et être faits comme petits enfants pour entrer au Royaume des Cieux.

Que ce Royaume est tout proche, et que personne n’y peut entrer sinon ceux qui seront comme petits enfants, allaitant cette nouvelle doctrine au Royaume des Cieux.

Que le saint Esprit vient maintenant renouveler la terre ; qu’il enseignera toute vérité et toute justice ; les secrets les plus cachés seront découverts et connus à tous vrais croyants.

Que la Loi de Dieu aura en tout sens sa pleine perfection ; que nous sommes en la plénitude du temps où tout s’accomplira, et que le Saint Esprit s’épandra sur toute chair ; que les Apôtres n’en ont reçu qu’un échantillon ; ainsi qu’au Tabor a été montré un échantillon de la gloire de Jésus Christ en chair.

Toutes ces choses supposées (comme la vérité est telle), quelle difficulté trouverez-vous à entendre des choses que les Pères n’ont pas entendues, voire les Apôtres même ; puisque Jésus Christ leur a souvent parlé en similitude, afin qu’ils n’entendissent pas les choses qui devaient arriver ès derniers temps, où nous vivons à présent.

Quelle difficulté pourrez-vous avoir de posséder toutes les sciences qu’avez humainement acquises jusques à présent ; puisque celle que le saint Esprit apporte maintenant sur la terre est l’accomplissement de toutes sciences : ne quitterez-vous pas volontiers la portion pour recevoir la pleine perfection ?

Quel tort ferez vous au saint Esprit de parangonner ses lumières accomplies auprès de quelque petite étincelle qu’il a départie aux Pères du passé, ou rejeter ce qu’il veut donner de plus à présent.

Ne vaudrait-il pas mieux se déporter de toutes études de spéculations, et prier avec humilité de cœur ce que l’Église prie depuis si longtemps, à savoir : venez, Esprit saint, remplir notre cœur, et renouveler la terre.

Ne savez-vous pas que lorsque Jésus Christ fait homme conversait avec les Prêtres et Sages de ce temps-là, ils l’ont haï et persécuté, disant qu’il venait détruire la Loi de Dieu ; cependant il la venait perfectionner, et nullement changer, comme ils croyaient ; et pour ce sujet ils l’ont fait mourir, et pendu à une Croix, comme un séducteur de peuple et semeur de nouvelles doctrines.

Ils semblaient avoir quelques apparentes raisons ; parce qu’ils avaient la vraie Loi de Dieu, les Sacrifices, et cérémonies très-bien ordonnées en leur temps, lesquelles ils voulaient maintenir inviolablement, et se montrer zélateurs de leur loi, n’ayant jamais entendu que Jésus Christ la devait venir perfectionner, quoiqu’il fût écrit dans la sainte Écriture, qu’ils avaient ès mains.

L’ignorance de cette intelligence les a fait venir à tels excès qu’ils ont mis à mort l’Auteur de la vie ; parce qu’ils ne le connaissaient point, et ne savaient ce qu’ils faisaient ; seulement considérant qu’on apportait quelque changement aux moyens d’observer leur Loi, ou aux traditions par eux observées, cela les fit rejeter les moyens plus parfaits que Dieu voulait introduire, pour abolir ceux desquels ils avaient si grandement abusé.

Jésus Christ ne venait nullement changer la loi ; parce qu’elle ne changera jamais : c’est la même qui a été dès le commencement du monde, et durera jusques à la fin ; mais les moyens d’observer cette Loi ont été diversement ordonnés de Dieu en divers temps : il a toujours fallu aimer Dieu ; mais pas toujours faire les mêmes signes extérieurs en témoignage de cet amour : il n’a pas fallu être toujours circoncis, ni aussi être toujours baptisés, comme de tous les autres signes extérieurs de la Loi ; ces moyens ont souvent été changés, mais toujours en de plus parfaits, comme les sacrifices des bêtes au sacrifice vivant du Corps de Jésus Christ, et des autres cérémonies. Jésus Christ a tout perfectionné, mais non pas encore tout accompli. Partant, de nécessité doit venir le saint Esprit qui perfectionnera toutes choses en accomplissement : c’est celui que j’attends à tout moment ; il descendra sur tous les cœurs humbles, qui sauront soumettre leur entendement à Dieu, se simplifiant comme petits enfants.

Et comme J. C. a perfectionné la Loi de Moïse, ainsi le saint Esprit perfectionnera la Loi Évangélique, et la rendra parfaite et intelligible à tous, jusques au sens de la lettre, sans qu’une syllabe reste en obscurité ou incompréhensibilité. Cette attente me console extrêmement, et me fait souffrir avec joie tous les travaux de cette vie, sous l’espérance de la vie si heureuse, où je souhaite vous voir ; en cette attente je demeure

 

M O N S I E U R                                           

 

Votre très-humble                     

servante                            

 

A. B.

 

De Malines, ce 25 Décembre, 1666.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N E U V I È M E  L E T T R E,

 

À un Licencié en Théologie.

 

Sur ce que les Saints n’ont eu entière

intelligence des Écritures Saintes.

 

 

M O N S I E U R,

 

J’AI de la peine de vos combats ; je crois que le diable vous les donne ; parce qu’il ne peut vous gagner par autre voie que sous des pieux prétextes : il croit vous retirer de la simplicité d’esprit sur des craintes d’offenser Dieu en recevant d’autres lumières que celles qu’avez apprises ès écoles ; c’est une fine ruse avec laquelle il séduit les plus pieux.

Il faut que vous confessiez que Dieu n’a pas donné l’intelligence de tous ses secrets qu’il veut révéler aux hommes ; mais que de plus en plus il découvre ses merveilles, et qu’ainsi sera jusques à la fin du monde, et qu’ès derniers temps il donnera une intelligence parfaite de toute l’Écriture Sainte, ce qui a été Prophétisé depuis le commencement du Monde, que tout doit avoir à la fin son plein accomplissement.

Vous ne pouvez aussi douter que toutes les plus grandes œuvres de Dieu ont été opérées par des choses petites et faibles ; et qu’il se sert de choses faibles pour confondre les fortes : ne pouvant non plus ignorer qu’il cache ses secrets aux grands et sages de la terre, et les révèle aux petits, et que son plaisir est tel.

Qui peut maintenant donner de nouvelles lois à Dieu ? N’est-il pas souverain sur toutes choses ? La créature ne doit-elle pas fléchir sous ses ordonnances et se soumettre à ses volontés ? Ne serait-ce pas une grande présomption d’esprit de s’opposer à tout ce qui n’est pas avancé par les sages et grands de ce monde, et limiter les lumières du Saint Esprit à ce que seulement les Anciens Pères ont reçu de lui ou entendu par leur entendement ? Certes ce serait borner les grâces de Dieu, et les limiter à notre propre jugement et concept. Qui doit fléchir en ce rencontre, l’homme ou Dieu ? Le Saint Esprit doit-il seulement communiquer ses lumières et ses grâces autant et en la manière que l’homme le veut recevoir ? Il ne serait Dieu s’il le faisait ; parce qu’il n’y a nul vrai bien s’il n’est communiqué. L’infini bien peut-il cesser ? Et s’il était limité à ce qu’il a élargi aux Pères, il ne serait pas Dieu, lequel n’a pas de limite, étant dessus toute conception humaine, infini donneur de nouvelles grâces, lesquelles se reçoivent par les cœurs humbles et simples, auxquels la sagesse des hommes est opposée ; et de vouloir feuilleter les livres, et examiner les Auteurs, si le Saint Esprit est véritable : c’est soumettre Dieu aux hommes, et préférer leur sagesse à sa Sapience éternelle.

L’Église ne peut défendre de recevoir la lumière du S. Esprit, ou elle ne serait vraie Église ; car nuls Chrétiens ne se doivent opposer à ses lumières, particulièrement les Prêtres et Bénéficiers ; tous doivent tendre et aspirer à ces bénéfices divins.

Il est très expédient qu’elle défende d’interpréter la Sainte Écriture selon notre propre jugement, lequel peut errer, mais jamais le Saint Esprit, qui souffle où il veut, sans être sujet aux lois des hommes, et est fort aisé de savoir où il habite ; parce que en tous ses lieux, il y produit ses fruits, et y élargit ses dons.

J’approuve fort de bien examiner les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu ou du Diable, mais après avoir discerné le bon esprit hors le mauvais, il le faut suivre ; quoique sa doctrine renverserait tout le monde, qui est maintenant si corrompu que fort peu des hommes connaissent la vérité, et que la plupart s’oppose à icelle, en sorte que celui qui est maintenant approuvé de Dieu est rejeté des hommes doctes, qui ne veulent recevoir autre sapience que celle qu’ils présument avoir ou quelques autres de leurs semblables. Ce qui est bien lamentable que le monde doit être régi et soutenu par les sciences humainement acquises, et non par le saint Esprit ; ce qui était du temps des Apôtres, et autres de leurs Disciples. Je crois que le plus grand malheur est arrivé au monde lorsqu’on y a introduit les écoles, parce qu’elles ont étouffé les lumières du Saint Esprit, en sorte que celui qui en serait orné, serait choqué des plus savants, lesquels, s’étant imprimé les sciences scholastiques, ne céderont à la divine, notamment lorsqu’elle serait avancée par quelqu’un sans lettres. Si les sages avaient appliqué le même temps soin et labeur pour servir à Dieu qu’ils ont fait pour les études, ils ne seraient jamais tombés en telle présomption d’esprit que de préférer leur science à celle du Saint Esprit : en sorte qu’ils ne la recevront sinon autant qu’elle sera conforme à leurs livres et études, quoiqu’ils n’ignorent que Dieu envoie sur la terre continuellement des nouvelles influences de ses divines lumières ; ce qu’il fera jusques à la fin du Monde. C’est signe qu’on aime plus les ténèbres que la lumière, lorsqu’on veut s’opiniâtrer à ne recevoir autres lumières que celles reçues et connues par les hommes ; vu que dans la nature même l’on découvre toujours de nouveaux secrets, que jamais personne n’a découverts jusques à maintenant. Dieu serait-il plus excellent dans la Nature que dans la Grâce, en ne multipliant les sciences divines comme les humaines et naturelles, qui ne sont que servantes soumises, voire toutes vaines, lorsqu’elles ne servent que de moyens à la divine ?

Quelle erreur de croire que Dieu ne donnera pas plus d’intelligence de ses divins Mystères qu’il n’a fait aux saints Pères anciens ; vu qu’iceux mêmes en ont reçu de leur vivant toujours de nouvelles, leurs vies et doctrines ayant eu beaucoup plus de perfections et lumières sur la fin que non pas au commencement ; et s’ils eussent vécu jusques à présent (demeurant fidèles à Dieu), combien auraient-ils découvert de merveilles qu’ils ont ignorées, Dieu ayant départi ses lumières peu à peu, à mesure qu’il s’est voulu montrer à l’homme, et lui communiquer ses secrets.

Personne ne peut ignorer que toute la sainte Écriture n’a pas eu encore sa pleine intelligence ; et Dieu ne serait le vrai bien s’il ne la donnait quelque jour ; car comme la viande ne se peut dire vraiment bonne si elle n’est goûtée pour telle, Dieu ne serait la vraie bonté s’il ne la communiquait en perfection à l’homme pour qui elle a été préparée ; partant, il faut de nécessité que Dieu découvre tous les secrets de l’Écriture Sainte en parfaite intelligence, et que le Saint Esprit illumine tellement l’esprit de l’homme qu’il entende et comprenne par icelle tout ce que Dieu lui a préparé dès le commencement du monde, et cela en plein accomplissement, non pas en partie, ce qui a été connu jusques à présent, mais en plénitude, sans aucune matière de doutes et de disputes.

De douter qu’il ne donnera ces lumières qu’aux petits de la terre, ses paroles en sont trop claires ; puisqu’il ajoute en disant qu’il cache ses secrets aux grands et sages, lesquels il confondra selon son dire.

Que ne recevez-vous ces vérités éternelles sans combattre votre esprit de tant de raisonnements ? Si les hommes vous ont fait faire jurer de n’expliquer l’Écriture Sainte autrement que les SS. Pères, ce n’a pas été Dieu qui vous a soumis à telle loi : l’Église ne peut avoir en cela intention de ne pas recevoir les lumières du Saint Esprit plus que les saints Pères, en cas qu’il se voulût communiquer à vous par lui même, ou par d’autres ; autrement elle ne serait vraie Église, laquelle n’agit, ne pense et ne prie autre chose que pour attirer les influences du Saint Esprit sur elle et tous ses membres. Comment pourrait-elle obliger à péché celui qui se verrait bénéficié de quelques nouvelles lumières plus claires que celles des Pères ? Ces doutes me semblent si absurdes qu’ils ne peuvent être suscités que par le Diable, lequel possédant tous les méchants par choses manifestement mauvaises, voudrait bien aussi engloutir tous les bons par de pieux prétextes. Il aurait bon succès en cette entreprise, si les hommes avaient le pouvoir d’obliger les hommes par serment à résister au Saint Esprit, et ne plus rien recevoir de lui sinon ce que les Pères Anciens en ont reçu du passé ; ce serait une damnable tyrannie qui ôterait la liberté aux enfants de Dieu, qui lui crient : envoyez votre Saint Esprit pour renouveler la terre, si d’ailleurs ils étaient obligés par serment de ne rien recevoir de nouveau. Vous avouerez ce me semble que toutes ces choses sont véritables, car les plus méchants ne les peuvent nier, personne ne pouvant changer la vérité. Il reste maintenant seulement à savoir si le Saint Esprit habite en moi ou non. Demandez cela à votre conscience, elle en rendra témoignage. N’a-t-elle pas reçu des opérations que la Nature et le Diable ne sauraient donner ? N’avez-vous pas dit souvent qu’il fallait que tout homme fût muet et confus par mes écrits, qui traitent de la vertu ? Que ne faites-vous le premier ce que vous jugez devoir être fait par tous les hommes, confondant votre sagesse, et la condamnant d’ignorance auprès de la Sapience infuse par le Saint Esprit ? Que ne devenez-vous muet pour admirer ce que vous ne pouvez comprendre ? Si votre œil était simple, votre corps serait lumineux. Les choses que vous savez moins comprendre, ce sont les plus admirables. Si les Séraphins se couvrent la face aux merveilles de Dieu, comment un petit ver de terre y voudrait résister la tête élevée ? Je parle de résister ; car si simplement vous les receviez sans opposition, il serait impossible de n’avoir jà acquis des lumières par icelles.

Des choses que vous ne pouvez trouver dans les livres, parce qu’elles n’ont jamais été connues, c’est le trésor caché dans un champ, de qui Jésus Christ dit que celui qui le veut trouver doit vendre tout ce qu’il a pour acheter cette terre. Si vous vouliez déposer vos sagesses acquises par voies humaines, et soumettre votre jugement à Dieu, vous trouveriez ce trésor caché, lequel enrichirait votre âme pour toute éternité. Ne rejetez les dons de Dieu, qui vous sont si libéralement offerts, quoiqu’en un vaisseau vil et abject ; regardez ce qu’il y a dedans, sans considérer le vaisseau, autrement vous seriez ennemi de votre bien. N’allez consulter les hommes pour savoir si c’est le saint Esprit ; mais demandez à Dieu dans l’intérieur de votre âme, et vous y sentirez des témoignages infaillibles, ainsi que l’expérience vous l’a quelquefois témoigné, et le fera encore davantage dans la persévérance ; en sorte que je vous puisse bien dire ce que Jésus Christ dit à Nathanaël, qu’il avait vu dessous le figuier, savoir ; qu’il verrait bien autre chose. De même en demeurant fidèle à Dieu, vous avez admiré les choses des vertus, mais vous verrez bien autres choses plus admirables.

Rien de tout cela ne vous fut proposé auparavant avoir assuré que le saint Esprit habitait là dedans ; pourquoi doutez-vous maintenant d’aucune chose ? Peut-il bien sortir quelque chose de mauvais d’une si bonne source ? Jamais. Ce ne sont que craintes paniques qui s’opposent à votre bonheur ; ce que vous prie de considérer celle qui demeure

 

M O N S I E U R                                         

 

Votre très-humble                  

servante                         

 

A. B.

 

De Malines, ce 24

   d’Avril, 1666.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D I X I È M E  L E T T R E,

 

Au même.

 

Que le Saint Esprit ne se peut avoir contredit dans les Anciens Pères, non plus que dans les âmes qu’il éclaire maintenant, ou éclairera à l’avenir.

 

 

M O N S I E U R,

 

NE croyez point qu’il y puisse jamais avoir aucune contradiction en l’Esprit de Dieu, parce qu’il ne peut contredire à soi même. S’il a illuminé les Saints Pères du passé, il illumine encore à présent ceux qu’il lui plaît, les uns plus, les autres moins, quand et comme il ordonne ; et, étant mus d’un même Esprit, ils ne se peuvent contredire l’un l’autre ; mais l’un peut bien avoir plus de lumière et d’éclaircissement que l’autre, sans contradiction ; parce que Dieu n’ouvre point ses secrets tout à la fois. Il en fait connaître aucuns en certain temps, et réserve les autres en un autre temps, selon son bon plaisir.

Il est très certain qu’il y a encore aujourd’hui plusieurs choses en la Sainte Écriture, desquelles il n’a encore donné d’intelligence ; mais lorsqu’il les révélera, on ne les peut rejeter parce que les Pères anciens ne les ont point connues, mais il les faut recevoir avec action de grâces, et en les bien examinant, on trouvera qu’il n’y a point de contradiction avec ce que lesdits Saints Pères ont reçu du Saint Esprit ; mais seulement plus grand éclaircissement et intelligence, à quoi il faut soumettre son esprit sans s’opiniâtrer. Si les Anciens Pères ont eu le Saint Esprit, ceux qui sont à présent, aimant Dieu, l’ont aussi, et ceux qui l’aimeront encore à l’avenir.

Tout cela ne peut être différent en soi en venant d’un même Esprit. La vérité ne peut être mensonge, sinon à la courte vue des hommes, lesquels, n’étant éclairés du même S. Esprit, trouvent autant de contradictions que leurs diverses opinions suscitent, et s’ils sont une fois prévenus de quelque impression, malaisément savent-ils soumettre leur jugement à autre chose. Ce qui est une ambition d’esprit qui donne grand détourbier à connaître les œuvres de Dieu, lequel sait ce que les hommes ne peuvent comprendre, ce qu’il faut adorer avec soumission d’esprit ; et en bien examinant on trouvera que tout ce que les S. Pères du passé, ceux qui sont à présent, et ceux qui viendront par après ont dit ou diront par l’inspiration du Saint Esprit, est en substance la même chose ; mais n’ont pas eu la même intelligence, parce que Dieu en départit à un chacun telle portion qu’il lui plaît, mais jamais avec contradiction, quant à la substance ; par exemple, j’ai dit mille choses desquelles je n’ai actuelle mémoire, cependant je ne dirai jamais rien par après qui contredira ces premières, en cas que j’aie le Saint Esprit.

Il n’y a que l’ignorance de notre esprit qui nous fait paraître ces choses contraires, c’est pourquoi il faut plutôt adorer les œuvres de Dieu qui nous sont inconnues que les pénétrer ou contrôler ; car c’est une témérité aux hommes de vouloir régler ou diriger les œuvres du Saint Esprit, de quoi je prie Dieu de vous garder en demeurant

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                 

servante                         

 

A. B.

 

De Malines, ce 1er Mai, 1664.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

O N Z I È M E  L E T T R E,

 

À un grand Prélat.

 

Comment le Saint Esprit se rend visible

par ses opérations.

 

 

M O N S I E U R,

 

JE vous prie de bien remarquer que le Saint Esprit n’est pas visible pour le voir par les yeux du corps là où il réside, mais il se manifeste assez par les opérations qu’il produit dans ces âmes qui le possèdent. Elles sont ornées de tous ses dons et ses fruits, qui sont les marques assurées de ses opérations, parce que ni le Diable, ni la Nature ne peuvent opérer semblables effets, non plus que les fruits naturels ne se produisent sans les arbres, par lesquels fruits l’on discerne les arbres, d’où autrement seraient souvent inconnus aux hommes ; de la même façon se doivent discerner les âmes qui sont remplies du Saint Esprit ; car de regarder seulement l’écorce, qui sont les actions et paroles extérieures, il y a sujet de se grandement tromper et décevoir ; car le Diable est maintenant si puissant qu’il se couvre du vêtement de vertu et sainteté apparente, et trompe sous cet habit les plus pieux et sensés, voire les plus doctes de ce monde, et ce d’autant qu’ils cuident être sages en eux-mêmes et sont fols devant Dieu, ne voyant que ce qui est charnel et matériel ; c’est pourquoi ils arguent facilement le Saint Esprit qu’ils ne connaissent que par leur sagesse humaine, ayant bien de la peine d’avouer qu’une personne sans lettre puisse les surpasser en sapience du Saint Esprit, laquelle ne se dilate que sur les humbles et ignorants de cœur ; car celui qui croit tout savoir ne sait rien, et qui veut tout ignorer sait toutes choses ; Dieu changeant ainsi l’ordre des hommes, afin de leur montrer que toute sagesse vient de lui seul : qui n’avoue cela est insensé et indigne d’être enfant de Dieu ; partant, il faut bien remarquer où se trouvent par effet les fruits et dons du Saint Esprit, et l’adorer et suivre où il est, sans mépris pour la vérité de la matière qui le contient ; autrement c’est choquer l’Esprit de Dieu, et se rendre indigne de le recevoir et posséder, parce que devant Dieu tous genoux fléchissent, et tous bons jugements se soumettent ; ses secrets étant inscrutables, il est difficile à la sagesse humaine de recevoir la Sapience de Dieu par l’organe d’un enfant ; mais qui peut changer ses desseins ou réformer ses ordonnances ? S’il parlait par l’organe d’une pierre, ne le faudrait-il pas écouter aussi bien que par une statue d’or ou de diamant ? C’est en ceci qu’il veut détruire la sagesse des sages, et abolir la prudence des prudents ; il s’est toujours servi de choses faibles pour confondre les forts : il prend une simple fillette pour sa Mère, un pauvre Charpentier pour son nourricier, des pêcheurs pour ses Apôtres, une étable pour son palais ; il préfère la visite des bergers à celle des Rois, attire le commun peuple à sa suite, délaissant les Grands et les Sages. Quoique jusques à présent leur sagesse n’a été encore confondue, il faut cependant qu’elle le soit pour accomplir sa parole. Le serait-elle s’il révélait ses merveilles aux Sages et Grands de ce Monde ? Non ; car ils s’agrandiraient davantage ; il leur cache ses secrets, afin de les révéler aux petits de la terre. Pourquoi l’homme s’y veut-il opposer ? A-t-il quelque loi à donner à Dieu ? Ou veut-il changer ses décrets ? La sagesse des hommes fait que Dieu n’est pas connu, tant c’est elle toujours augmentée qu’on y réfère plus qu’à Dieu ; le temps est venu qu’elle sera abolie, afin que Dieu soit connu et servi en esprit et vérité, ce que les sages ne feront jamais, s’ils ne se convertissent et deviennent comme petits enfants ; car Dieu résiste aux superbes, et aux humbles il donne son cœur. C’est se tromper d’attendre le Saint Esprit aussi longtemps qu’on se repaît des sagesses des hommes ; de quoi je prie Dieu de vous garder, quoi faisant je demeure

 

M O N S I E U R                                         

 

Votre très-humble                 

servante                        

 

A. B.

 

De Malines, ce 23 Décembre, 1668.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D O U Z I È M E  L E T T R E,

 

À un intime Ami.

 

Comme l’Âme unie à Dieu ne veut promettre

de prier pour personne.

 

 

M O N S I E U R,

 

VOUS désirez savoir pourquoi je ne désire point que l’on se recommande à mes prières. La raison est que l’âme qui se veut unir à Dieu doit oublier toutes choses créées, et n’avoir aucun souvenir ou image des choses périssables, mais se vider et épurer de toute sorte d’objets sensibles et visibles, afin que l’âme pure et nue puisse recevoir naïvement les idées ou impressions que le Saint Esprit lui veut communiquer et manifester sans aucunes opérations siennes. Car si la mémoire lui représente les personnes pour qui elle veut prier, elle n’est pas vide pour recevoir les Saintes influences ; ces images et ce souvenir lui sont empêchement et obstacles. Elle ne peut cependant demeurer sans Charité pour le prochain ; au contraire, plus elle s’approche de Dieu, plus elle a de bienveillance pour le prochain ; mais en telle sorte que cela ne lui donne aucun détourbier pour l’union avec Dieu ; car elle a en son âme une affection pour le bien du prochain ; et Dieu y entrant trouve cette affection, il la seconde et accorde tous ses souhaits ; parce qu’il ne peut rien dénier à l’âme qui l’aime ; ses souhaits sont les désirs de Dieu sans autres prières que les mouvements qu’il voit en l’âme : il lui accorde tous ses désirs, les remuant lui même. Je ne sais si m’entendrez bien, parce qu’il est fort intérieur, vous en laissant la méditation, pendant que je demeure

 

M O N S I E U R                                           

 

Votre très-humble                    

servante                           

 

A. B.

 

De Malines, le 20 Novembre, 1664.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

T R E I Z I È M E  L E T T R E,

 

Au même.

 

En quelle manière l’âme ne peut pécher.

 

 

M O N S I E U R,

 

N’ENTENDEZ pas que je croie que ces âmes qui sont en l’union avec Dieu soient impeccables d’elles mêmes ; elles peuvent pécher aussi longtemps qu’elles sont en leurs Corps ; mais accidentellement elles ne peuvent pécher durant cette union ; parce quelles ne vivent point lors à elles mêmes ; mais Dieu, qui ne peut pécher, vit en elles, lequel les transforme tellement en soi, qu’icelles âmes n’ont plus ni forces ni puissances siennes, non plus que n’aurait une goutte de vin jetée dans la Mer, laquelle perd aussitôt sa force et substance ; et perd l’être du vin en devenant eau par le grand Océan qui l’environne et le change en sa propre substance : ainsi l’âme, étant abîmée en Dieu, ne peut pécher ni avoir la moindre vaine complaisance, ne fût qu’elle sortirait de cette union pour être laissée à elle même ; ce qui serait une aussi grande merveille comme si cette goutte de vin demeurait en sa substance au milieu de cette multitude d’eau. Je ne veux point néanmoins désavouer que le juste ne tombe sept fois le jour, mais non pas dans des péchés ni mortels ni véniels ; car autrement il cesserait d’être juste, étant tombé en péché ; mais ces chutes sont de grande ferveur à une moindre, ou du regard de Dieu au regard de soi même, dans lequel, s’arrêtant, l’on pourrait tomber en des péchés durant cet égarement ; mais on n’y peut demeurer ; sitôt qu’on retourne sa vue vers Dieu, l’Âme se rejoint par amour, et lui semblerait un Enfer si cette union se dilayait.

Voilà l’État bien heureux de l’union avec Dieu, qui est le seul asile assuré, exempt des péchés, auquel je vous convie de buter : car de prendre une vertu particulière, comme serait l’humilité, pour fondement, c’est bien un chemin assuré, mais il y a tant de détours qu’on se perdrait bien en chemin : de plus que votre âge s’avance, et de crainte qu’il ne vous reste assez de vie pour surmonter tous vos défauts, ou acquérir toutes les vertus, prenez ce chemin raccourci de l’amour de Dieu ; c’est un feu qui consume tout insensiblement ; tous vos vices s’y brûleront, les cendres desquels formeront les vertus doucement. L’Amour est le seul bien, aimez, aimez, et tout sera consumé par cet abîme d’amour, dans lequel je vous souhaite, en demeurant

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                  

servante                         

 

A. B.

 

De Bruxelles, ce dernier

        d’Avril, 1664.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Q U A T O R Z I È M E  L E T T R E,

 

À un Homme d’État.

 

De la parfaite Humilité.

 

 

M O N S I E U R,

 

LA vraie Humilité consiste en la connaissance intérieure de son néant, laquelle on obtient en s’unifiant à Dieu qui est la parfaite lumière ; de tant plus on l’approche, plus on découvre sa bassesse et son néant : ce qu’on n’aperçoit aussi longtemps qu’on demeure envisageant les objets terrestres ; mais lorsqu’on arrive à ce point, que de ne regarder que Dieu, il est impossible de s’attribuer la moindre gloire, parce qu’on voit en lui qu’on n’est rien, et que toutes les créatures ne sont aussi rien. De qui pourrait-on recevoir quelque vanité ? On voit en Dieu que tous les États, les honneurs et les richesses ne sont que choses imaginaires et des purs néants ; saurait-on bien se complaire d’être estimé de tous ces riens ? Ce seraient de grandes fadaises, lesquelles ne se peuvent jamais rencontrer dans une âme unie à Dieu, mais fort aisément en celle qui en est éloignée ; parce que regardant ces phantômes d’État, d’honneur et des choses périssables comme des réalités, les sens sont chatouillés de vaine complaisance ; et notre néant reçoit honneur des autres néants, qui est la plus haute folie de l’esprit humain, laquelle ne peut être pratiquée par ceux qui connaissent Dieu ; d’autant que cette connaissance produit en l’âme une sainte ambition, qui méprise tout ce qui n’est pas Dieu ; et les louanges ou les mépris des hommes lui sont en égale estime, aussitôt qu’elle porte son entendement vers ce seul objet estimable ; tout ce qui est en dehors de lui, lui est à mépris. Une telle âme n’a besoin des paroles humbles ni actions viles ou basses, qui ne sont que moyens pour arriver à l’humilité, et non l’essence d’icelle ; vu qu’elle ne consiste qu’en la connaissance intérieure de son néant, le plus parfait est en cette matière de parler toujours la droite vérité, sans avoir égard à ce que nous disons, s’il est à notre louange ou mépris, ne regardant que Dieu qui est la même vérité ; parce que bien souvent voulant parler humblement de soi, l’on y mélange le mensonge et l’hypocrisie, ne disant point droitement la vérité, comme Dieu la connaît, et affectant par semblables paroles la gloire d’être estimés humbles, qui est la plus haute superbe. Cela se glisse insensiblement parmi les âmes les plus parfaites en apparence, et engendre doucement un mépris de ceux qui ne pratiquent point semblables moyens : c’est une fine tromperie semblable à mille autres, desquelles tout le monde est presque infecté ; prenant souvent en toutes les vertus les moyens pour la fin, à laquelle on ne peut jamais arriver en demeurant attaché auxdits moyens.

Il n’y a rien qui nous peut donner aucune solide vertu, sinon l’union avec Dieu ; tout le reste n’est que pour là arriver ; un chacun doit s’étudier à cela, choisissant tels moyens qui lui sont nécessaires, sans s’attacher à nuls, craignant qu’ils ne lui servent d’empêchement au lieu d’avancement pour venir à cette fin, laquelle je vous souhaite en demeurant

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                 

servante                        

 

A. B.

 

De Malines, ce 3 d’Août, 1663.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Q U I N Z I È M E  L E T T R E,

 

À un Supérieur d’une Église.

 

De l’Amour de Dieu.

 

 

M O N S I E U R,

 

JE ne sais comment un bon jugement peut aimer autre chose que Dieu, vu qu’il n’y a rien de créé qui soit digne de notre amour comme lui, étant la source de tout bien, la Sapience, donneur de toute sagesse, la beauté qui crée toute beauté, la justice des justes, la bonté de toute bonté, l’accomplissement de toutes les perfections, enfin le seul objet digne de notre amour, hors duquel rien n’est aimable ni au Ciel, ni en la Terre ; rien hors de lui ne peut rassasier notre âme, rien ne la peut contenter, rien ne lui peut donner de parfait plaisir, rien ne la peut bien heurer ni au présent, ni à l’avenir ; c’est lui qui nous a créés, c’est lui qui nous maintient, c’est lui qui nous jugera. Si le bien de sa nature est toujours aimable, comment donc l’âme n’emploie-t-elle toutes ses puissances à aimer l’origine, la perfection et la consommation de tout bien qui est Dieu ? Si la ressemblance engendre l’amour, comment votre âme, qui a été faite à la semblance de Dieu, peut-elle vivre sans l’aimer ? Quel autre objet peut-elle trouver aimable hors de Dieu, son unique ressemblance ? Quel parangon de toutes choses périssables auprès de cette âme divine et immortelle qui ne peut trouver son semblable qu’en Dieu même ?

Si les bienfaits obligent la Nature même à aimer ses bienfaiteurs, combien l’âme doit-elle aimer son Dieu qui lui a donné tout ce qu’elle possède, et promis des biens infinis et éternels qui sont sans pareils en la vie future ; il lui a donné l’âme, laquelle il a créée de rien ; il ne l’a pas seulement faite à la ressemblance des Anges des Cieux, mais à la ressemblance de la Déité même ; en sorte que toutes les âmes sont par la création faites de petits Dieux. Pouvait-il, ce Dieu d’amour, donner à l’homme de plus grands biens et dons pour se faire aimer de lui que cette création divine de son âme, immortelle comme lui, et du Corps qu’il a formé pour custode et renfermière de cette âme ? Pouvait-il avoir plus de perfections ? Y a-t-il chose en la Nature plus admirable que le Corps humain animé de toutes les puissances de l’âme, d’un entendement pour comprendre, d’une mémoire pour se ressouvenir, d’une volonté pour agir ; en sorte que le Corps même est une image ou ressemblance en certaine façon de la Sainte Trinité. Dieu pouvait-il donner davantage à l’homme et de plus grands dons qu’il n’a fait pour l’obliger à l’aimer ? Car après lui avoir donné l’être et la vie, il le soutient et maintient avec toutes les choses nécessaires qu’il a encore créées pour l’entretien de cet homme, auquel il a asservi tant d’autres créatures sous sa puissance, l’ayant fait supérieur de tous animaux, et autorisé comme le chef d’œuvre des œuvres de Dieu. La Terre pour son marchepied, le Ciel pour l’illuminer, l’air pour respirer, le feu pour l’échauffer, l’eau pour le désaltérer, les fruits pour l’alimenter, les fleurs pour le récréer, enfin tout ce que Dieu a créé de visible et matériel n’a été que pour le corps de l’homme. Que doit-il réserver pour son âme qui est sans nulles comparaisons plus estimable, comme étant divine, créée à la semblance de Dieu ? S’il a fait tant de choses admirables pour l’entretien du corps qui doit mourir et si peu rester sur la terre, tous ces dons, tous ces bienfaits n’obligent-ils pas l’homme à aimer un tel bienfaiteur, puisqu’il n’a reçu et ne peut jamais recevoir aucuns vrais biens hors de ce donneur de tous biens ? Comment peut-il être sans l’aimer en considérant son amour, qui ne s’est encore voulu contenter de nous avoir départi gratuitement tant de dons ? Mais après que cet homme ingrat eut abusé de tant de faveurs, se détournant de son Créateur pour se joindre à la créature, estimant plus le don que le donneur, se présumant qu’il méritait encore davantage, se rend rebelle à ses ordonnances, ambitionne son esprit à savoir plus qu’il ne plaisait à son Créateur, enfreint son Commandement, afin de s’égaler à lui. Cet amoureux, Dieu, qui pouvait en un instant condamner toutes ces ingratitudes par une damnation éternelle où il avait destiné les Anges rebelles, a plus aimé l’homme que l’Ange ; et en prenant plus d’égard à l’amour qu’il lui portait qu’à sa désobéissance, il lui pardonne son péché, lui remet sa faute moyennant une pénitence temporelle. Ce témoignage d’affection d’un Dieu vers sa créature ne mérite-t-il pas qu’elle l’aime ? Il l’oblige encore par des moyens plus puissants ; car pour lui faire voir que ses délices sont d’être avec les enfants des hommes, il se fait homme visible et sensible comme eux, ne se contentant d’avoir fait l’homme à son image et semblance, mais fait Dieu à l’image et semblance de l’homme, voire s’est sait vraiment homme pour les enseigner à l’aimer de paroles et d’effets corporels et matériels, conformément à leurs capacités humaines. Dieu pouvait-il témoigner davantage d’amour pour l’homme que de s’abaisser, voire s’anéantir (pour parler selon notre langage) et se revêtir de la Nature humaine ? Quel jugement pourrait concevoir de plus grands témoignages de son amour ? Ou quels moyens pourraient se retrouver pour plus fortement obliger l’homme à l’aimer que de se faire semblable à lui en nature, se rendre égal en condition, en ne se préférant au plus petit des hommes, converse et se familiarise avec eux, comme frère ou compagnon ; voire se soumet et obéit à l’homme, pour gagner son amitié ; le sert même jusques à lui laver les pieds ; et quoique l’homme l’offense, il le prévient toujours d’amitié, se laisse baiser à Judas qui machine sa mort ; à l’heure qui le vient livrer à ses ennemis, il l’appelle encore son ami ; et pour preuve qu’il tient l’homme pour ami, il lui déclare ses secrets, et tout ce qu’il a appris de son Père ; tout cela pour tirer des hommes leur amour réciproque ; il boit et mange avec eux, les attrait avec sa douce conversation, leur enseigne familièrement tous les moyens nécessaires pour l’aimer, leur donne une Loi toute d’amour, qui ne contient autre chose que l’amour de Dieu et du prochain ; tout son Évangile ne contient que les vrais moyens pour accomplir cette loi amoureuse ; il presse tellement cet amour qu’il menace de damnation éternelle si l’on ne l’aime de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces. Saurait-il plus fortement exprimer le désir qu’il a que l’homme l’aime en le tirant même par force à son amour ? Et pour rendre cette force toute amoureuse, il se charge du fardeau de ses péchés, voulant, pour l’amour qu’il lui porte, souffrir en son propre corps les peines dues pour iceux ; il souffre faim, soif, lassitude, cheminant en tant d’endroits pour chercher l’homme et le soulager de sa pénitence, afin qu’il n’ait plus d’autre soin qu’à l’aimer. Serait-ce possible que l’homme ne reconnût tel amour ? Serait-il si dénaturé de ne point aimer un tel bienfaiteur qui l’oblige par tant de preuves si pénibles de son amour qu’il semble excéder les limites de la raison ? Qui vit jamais amour arriver à de semblables excès de bienveillance pour le sujet aimé ? Qui vit jamais s’avilir, s’assujettir et souffrir un Dieu pour sa créature, et souffrir comme personne ne le ferait pour son semblable ? C’est bien un grand amour de donner sa vie pour son ami, mais Jésus Christ l’a fait pour l’homme qui lui était ennemi, ayant vaincu sa malice par l’excès de son amour. Et plus l’homme se porte à le maltraiter, plus il se porte à l’aimer, donnant volontiers sa vie pour l’obliger davantage par les considérations d’un tel amour qui ravit tout entendement, au point qu’un Dieu se porte à aimer un vermisseau de terre duquel il n’a aucun besoin, lequel même se porte à l’outrager et offenser au lieu de se porter à l’aimer. Ingrate créature, que ne vous rendez-vous à cet amour ? Cruelle à vous même, ennemie de votre bien, que ne ployez-vous sous ce joug qui est si doux et aimable ? Sa captivité est une liberté, sa servitude est un règne, ses peines sont des délices, ses travaux sont des repos, ses douleurs des contentements, cet amour rassasie l’âme, la remplit de tout bonheur, la console et l’embellit, la tient toujours en liesse auprès de son bien-aimé, rien ne la peut offenser. Quel bonheur, quelle joie, quelle paix, quels délices à l’âme qui possède cet amour ! Elle ne craint rien, elle n’espère rien, ne cherche rien, ne trouve rien d’aimable hors de cet amour. Combien aveugle et ignorant est celui qui aime les biens, les honneurs et les plaisirs de ce monde ; il n’est jamais content ni rassasié ; car les richesses portent en croupe mille soucis et inquiétudes avec une altération insatiable qui attache l’âme à la terre et aux métaux, et la divertit de la Divinité. Les honneurs sont encore plus vains que les richesses, d’autant qu’ils ne sont que fantastiques et imaginaires, qu’ils ne mettent rien dans l’âme qui les aime sinon une bouffée de vent d’orgueil qui les fait crever de courage au moindre revers de fortune, les gêne et bourrelle continuellement de crainte et souci de les perdre ; et quoiqu’on les posséderait légitimement et avec assurance, elles ne sont jamais qu’une fumée de vanité, puisque nous ne sommes rien, et tous ceux qui nous honorent semblablement des riens. Quelle folie d’attendre de la gloire de tous ces néants, et d’aimer des honneurs si vains et de si peu de durée ? Les plaisirs, tels qu’ils peuvent être, donnent fort peu de satisfactions à l’homme en général, parce qu’ils sont de si courte durée en particulier qu’ils sont vils et terrestres, indignes de la noblesse de notre âme, qui est divine et spirituelle ; car prendre plaisir à manger et boire, c’est s’égaler en ce point aux bêtes, et souvent blesser son âme et son corps, puisque ces plaisirs engendrent quelquefois des excès nuisibles à la santé, indisposant les corps et l’esprit, lesquels payent bien cher les plaisirs qu’ils ont prétendu avoir en buvant et mangeant. Tous les autres plaisirs du corps sont toujours insatiables à celui qui veut contenter ses cinq sens : jamais l’œil ne sera las de voir, l’oreille d’entendre, et ainsi du reste ; si la raison ne règle le tout, ils nous seront importuns, voire insolents et sans satisfaction. Aimer les jeux c’est perte de temps, aimer la chasse c’est lassitude, aimer le monde c’est inquiétude ; jamais il n’est rassasié ; plus nous le voulons obliger, plus il sera mécontent. Et qu’aurons-nous après avoir satisfait à tous nos sens, et donné à notre corps tous les plaisirs qu’il souhaite ? Autre chose que des lassitudes et des remords de conscience qui bourrelleront notre âme, principalement à la mort ? Nous pouvons bien légitimement user de toutes ces choses, mais non pas les aimer, parce qu’elles ne sont aucunement dignes de notre amour ; il n’y a que Dieu seul qui est aimable et peut rassasier notre âme ; aussi n’a-t-elle été créée pour autre fin que pour aimer son Dieu, et à lui seul adhérer ; tous les autres biens sont faux et trompeurs. Puisque nous ne pouvons vivre sans amour, pourquoi point aimer ce Dieu qui est seul aimable, de tant plus qu’il le désire et qu’il nous y a obligés par tant de dons, et qu’il les continue à tout moment et continuera jusques à notre mort. De qui attendons-nous tout notre bonheur, sinon de Dieu qui nous jugera ? Si nous avons servi au monde, il nous payera d’ingratitude ; si nous avons servi à nous mêmes, nous n’avons que l’impuissance et les misères. Je ne sais voir d’autre bonheur que d’aimer Dieu ; tout le reste est vain et périssable ; les richesses, la sagesse, les plaisirs, les honneurs ne sont que fumée, si elles butent à autre fin qu’à cet amour ; tout le reste n’est que fadaise, saleté et inconstance, indigne d’être aimé d’une âme tant noble et divine, la légitime Épouse de Dieu, cohéritière de Jésus Christ. N’est-il pas triste, voire abominable de ce qu’elle se va joindre ou adultérer avec les viletés de la terre, quittant son fidèle Époux qui l’aime si parfaitement et a fait tant de choses admirables pour l’obliger à son amour, voire au seul consentement de se laisser par lui aimer selon qu’il désire ; et qu’elle s’arrache de lui pour s’attacher ou s’affectionner à la terre, aux vents, aux métaux, à la chair et au sang ? Quel jugement dépravé qui me fait souvent gémir en voyant cette ingratitude des créatures à l’endroit de leur Créateur, lequel je prie qu’il leur ouvre les yeux de l’âme pour voir les véritables moyens de leur salut. Cependant je demeure

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                 

servante                        

 

A. B.

 

De Gand le 15 de

     Mars, 1667.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C O P I E

 

d’une Lettre écrite par

 

ANTHOINETTE BOURIGNON

 

à un Prélat qui ne savait croire que nous sommes maintenant arrivés ès derniers temps, avec l’Explication du 24e Chapitre de l’Évangile de St Matthieu, parlant des derniers fléaux de l’aveuglement des hommes et du Jugement dernier.

 

 

M O N S I E U R,

 

J’AI de la peine d’entendre que vous ne savez croire le Monde être à sa fin, et que nous sommes maintenant arrivés ès derniers temps où le jugement dernier est à la porte : vous attendez de voir les signes matériels, que le Soleil se doit obscurcir, que la Lune ne donnera plus sa clarté, que les Étoiles tomberont du Ciel. Croyez, Mr, que cela est déjà arrivé et arrive journellement dans le vrai sens de l’Écriture, laquelle ne parle pas seulement de Soleil, Lune et Étoiles matérielles, qui ne sont que des créatures soumises aux hommes et créées pour leurs corps, et qui n’ont pas d’âmes divines auxquelles Dieu se veut communiquer, comme il fait aux hommes, pour lesquels seuls la Sainte Écriture a été formée ; car ces Astres n’ont rien de commun ni de ressemblance à Dieu pour écrire et prophétiser ce qui leur doit arriver. Si le Soleil s’obscurcit, la Lune perd sa clarté et les Étoiles tombent du Ciel, cela ne fait nul dommage à l’âme des hommes, laquelle, étant unie à Dieu, n’a besoin de ces créatures pour vivre en bonheur et liesses continuelles ; car Dieu l’éclaire et illumine plus que mille Soleils, mille Lunes et cent mille Étoiles, la remplissant de toutes sortes de biens par la seule essence, sans qu’elle ait besoin d’autre chose. Et si Jésus Christ a parlé dans les Écritures des Astres matériels, ce n’est que pour figurer les signes intérieurs où les hommes se trouveront vers la fin du Monde, que le Soleil de Justice et Vérité s’obscurcira dans leurs âmes, que la Lune même au milieu de leurs ténèbres ne donnera plus sa lumière par laquelle les hommes puissent voir où ils doivent marcher pour trouver le chemin de salut, tant obscurs seront leurs entendements en ce fait ; que les Étoiles, qui sont les Esprits lumineux, tomberont du Ciel, c’est à dire de la justice et vérité de Dieu ; quoiqu’ils soient remplis de belles spéculations et lumières divines, ils tomberont de l’essence de la véritable vertu, pour adhérer aux sentiments des hommes, sans pratiquer ce qu’ils connaissent être agréable à Dieu. Ne vous semble-t-il pas que ces fléaux intérieurs sont beaucoup plus redoutables que ne sont ceux qui paraîtront ès Astres naturels ; puisque ces punitions matérielles ne peuvent qu’affliger nos sens et notre corps, et que ces fléaux spirituels ont déjà tué et perdu tant d’âmes. C’est bien peu de chose que ces signes effroyables paraissent à notre vue ; mais c’est beaucoup de sentir dans nos âmes les effets de ces chûtes et ces horribles ténèbres dans lesquels les hommes vivent à présent, et cela universellement par tout le Monde où la justice n’a plus de domaine, la vérité plus de crédit, et la vraie vertu plus de lustre. Lisez, Mr, avec attention les Écritures Saintes, et vous y trouverez assurément toutes les choses qui doivent arriver vers la fin du Monde ; et remarquez aussi la façon de vivre des hommes de maintenant, vous trouverez dans toutes leurs affections et pratiques l’accomplissement de tout ce qui est prédit ès dites Écritures, par où vous pourrez connaître assurément que nous vivons maintenant ès temps prédits par Jésus Christ en parlant à ses Apôtres, lorsqu’ils lui montraient le Temple de Jérusalem, ce qui est rapporté en Saint Matthieu, chapitre 24. Lisez-le attentivement, et il vous ouvrira les yeux de l’entendement pour voir que nous vivons maintenant dans le Temps dangereux prédit par Jésus Christ ; et qu’il ne faut pas attendre à voir le Soleil et la Lune obscurcis, ni que les Étoiles tombent du ciel matériellement pour appréhender les jugements de Dieu ; vu que ces signes extérieurs sont les moindres fléaux qui doivent arriver aux hommes pour servir seulement de figure et faire voir extérieurement en quel état désastreux ils ont abandonné leurs âmes, lesquelles pourraient bien être sauvées, quoique le Soleil, la Lune et les Étoiles n’apparaîtraient plus dans le Ciel, mais jamais n’arriveront à salut sans avoir en elles la Justice, Bonté et Vérité de Dieu, de quoi un chacun est maintenant si fort éloigné, et l’on charme ces malheurs par la croyance que l’on est fort éloigné du jugement dernier, pensant que ceux qui vivent à présent ne verront pas les choses qui doivent lors arriver, ce qui est une grande tromperie avec laquelle le Diable divertit les hommes de penser à leur salut et reconnaître en quel temps dangereux ils vivent, se figurant les jugements de Dieu encore bien éloignés, lorsqu’ils pendent sur leurs têtes criminelles. S’il n’y avait pas un ensorcellement d’esprit dans l’entendement des hommes, il serait impossible qu’ils ne vissent clairement que le jugement est proche ; parce que tous les signes ont déjà paru en sens parfait ; celui de voir qu’on n’est pas dans cette croyance ; mais qu’on boit et mange, et on se marie, comme l’on faisait au temps de Noé. C’est le signe d’incrédulité des hommes qui confirme davantage que tous les autres. Pour moi, je vois que tous les signes des choses prédites comme devant arriver ès derniers temps sont maintenant arrivés en sens parfait, intérieurement ès Âmes des hommes, et qu’il n’y a plus rien à attendre, sinon les figures extérieures de guerres, pestes, famines, feux et ténèbres ; parce que toutes ces choses sont en abondance ès âmes des hommes qui vivent en guerres domestiques et intérieures, en la peste du péché, en la famine de la vérité, au feu de colère et de vengeance, en ténèbres de la mort spirituelle et en tous les autres malheurs qui peuvent arriver aux âmes ; puisque leurs malices sont montées au comble, ne pouvant devant Dieu croître davantage pour être toutes sortes de maux et péchés couverts et masqués de vertus et de saintetés. Si ces maux étaient connus et pratiqués extérieurement comme ils seront tous à la fin, il me semble qu’ils seraient beaucoup moins mauvais devant Dieu. Car Jésus Christ n’a jamais tant réprimandé les pécheurs publics comme il a fait avec les hypocrites ; combien de noms divers donna-t-il aux Prêtres, Scribes et Pharisiens, les appelant sépulcres blanchis, engeances de vipères, et tant de fois leur prédit la malédiction ; au contraire il appelle un Paul, un Matthieu pour ses Apôtres, quoique pécheurs publics ; voire, une Madeleine pécheresse lui baise les pieds, et Jésus Christ soutient sa querelle contre ceux qui la méprisaient ; par où il a témoigné de n’avoir tant d’aversion des pécheurs publics comme de ceux qui se couvrent de vertu et piété en apparence. C’est pourquoi je soutiens que la malice des hommes de maintenant ne saurait être plus grande devant Dieu ; car lorsqu’ils tueront, déroberont, paillarderont manifestement, ils n’auront pas tant de faussetés et hypocrisies, comme ils ont en faisant les mêmes choses couvertement, en portant néanmoins le nom de gens de bien ; ce qui aveugle les mieux intentionnés, qui ne se sauraient persuader que le Monde est à sa fin, que la malice est montée au comble, et que la sentence du jugement final est donnée, lorsqu’ils voient en apparence encore tant de gens de bien qui semblent mener une vie irrépréhensible, voire vertueuse ; ce qui les fait douter de l’extrémité de la malice des hommes, croyant y en avoir encore grand nombre qui sont droits de cœur ; mais si on avait la lumière de vérité, l’on verrait bien clairement que toutes leurs vertus ne sont que des hypocrisies devant Dieu, et qu’il faut de nécessité que le Monde soit à sa fin ; parce qu’on voit tous les signes prédits être arrivés en plénitude ; car les hommes sont aimants eux mêmes, la Charité est refroidie si abondamment qu’au lieu d’aimer Dieu de tout son cœur, on n’aime plus rien que soi même de tout son cœur, et au lieu d’aimer le prochain comme soi même, on le haït le plus souvent, ou pour le moins on ne lui fait nuls biens, pour buter, un chacun, à ses propres avantages sans avoir égard au prochain ; l’on cherche les choses qui sont sur la terre au lieu de chercher les choses qui sont permanentes, et l’on amasse des trésors que la rouillure et les vers mangent, ou que les larrons dérobent, et enfin au lieu de travailler pour avoir le Royaume des Cieux et la Justice, l’on ne travaille maintenant à autre chose que pour chercher le reste ; changeant ainsi l’ordre que Jésus Christ nous a donné en promettant à ceux qui cherchent le Royaume des Cieux que tout le reste leur adviendra, et on veut à présent avoir le Royaume des Cieux comme s’il était ce reste, et que les choses temporelles seraient celles que l’on doit chercher. Ne sentez-vous pas bien, Mr, que cela est véritable, et que ce malheur est universellement entre grands et petits, riches et pauvres, doctes et ignorants, autant dans les personnes qui font profession de vertus qu’entre les négociants de la terre, et le plus grand de tous ces malheurs est qu’on vit en de si épaisses ténèbres que personne ne découvre que les hommes sont tous déchus de la foi, et que c’est du temps présent qu’il est demandé si l’on trouvera bien la foi en Israël lorsque le Seigneur viendra. Si cette demande était faite à moi-même, je serais obligée de répondre non ; car en vérité je ne connais plus personne dans laquelle vit la vraie foi de Dieu, quoique si grand nombre de personnes me disent d’avoir la foi. Il me semble que c’est des hommes de maintenant que Jésus Christ a dit que s’ils étaient aveugles ils verraient clair, mais parce qu’ils disent nous voyons clair, ils sont aveugles. Si Dieu ne m’avait pas obligée d’aller en divers lieux, et converser avec diverses personnes pour les entendre et pratiquer, je n’aurais jamais cru que les ténèbres de maintenant étaient si grands ; mais l’expérience me l’a que trop fait voir, et je le vois encore tous les jours davantage, ce qui me fait tant de compassion que je voudrais bien avoir la force de crier aux quatre coins du Monde, hommes retournez à Dieu ; car le Diable vous a conduits au chemin de la damnation, principalement à ceux qui tombent par ignorance ; il est vrai que cette ignorance ne pourra excuser les Chrétiens qui ont les Saintes Écritures, par lesquelles ils peuvent apprendre comment ils doivent vivre, et aussi quelles choses leur doivent arriver, et quels signes précéderont le jugement dernier. S’ils appliquaient leurs entendements à l’étude de ces choses avec autant d’affections et de soins qu’ils le font pour les affaires de cette vie, ils verraient, aussi clair que le Soleil, comment les hommes de maintenant font en toutes choses ce qui a été prédit devoir faire les personnes des derniers temps, et n’en douteraient nullement, mais verraient assurément que la fin vient, que les signes ont paru, et que la sentence est irrévocablement donnée. Je ne désire pas, Mr, que vous croyiez ceci à l’aveugle, ou parce que je le dis ; mais seulement parce qu’il est véritable ; ce que vous confirmeront les écritures, moyennant que vous les vouliez lire avec humilité de cœur et sans préoccupation d’esprit. Ne vous arrêtez non plus aux explications qu’en ont fait les hommes ; parce qu’ils n’ont eu jusques à présent l’intelligence parfaite des mêmes Écritures. Lisez seulement le texte, et priez Dieu pour avoir sa divine lumière ; car le temps est venu pour nous envoyer son Saint Esprit, lequel nous enseignera toutes Vérités : videz votre entendement de toutes les doctrines des hommes ; parce qu’elles lui serviront d’empêchement, vu que le Saint Esprit ne requiert de nous qu’une pure conscience et un entendement tout libre pour le remplir de ces divines lumières qui surpassent toutes les sciences des hommes et des Anges. Je vois bien qu’il vous sera un peu difficile de déposer les doctrines humainement acquises dans lesquelles vous êtes vieilli, et aurez aussi de la peine à recevoir d’autres expositions des Écritures que celles que vous aurez reçu des Auteurs que vous tenez pour bons ou Saints personnages ; mais croyez que le Saint Esprit n’est limité à rien, mais départ ses lumières à un chacun selon la pureté de son âme et la liberté de son Esprit. Si votre âme est pure, il faut aussi que votre esprit soit dégagé des images desquelles il a été ci-devant rempli, autrement vous ne pourriez recevoir de nouvelles lumières ; car lorsqu’un vaisseau est plein, on n’y peut verser davantage. Si vous souhaitez les lumières du Saint Esprit, il faut abandonner celles des hommes, ou autrement vous ne trouverez que doutes, craintes des difficultés qui se présenteront à votre entendement sans profit ; car le mélange de la lumière des hommes avec celle qui vient de Dieu fait des tempêtes et tonnerres dans l’esprit des hommes, comme font en la Nature le chaud et le froid en se rencontrant par ensemble. Je sais bien que vous avez fort étudié dans l’exposition des Écritures ; mais je vous peux bien assurer que vous et ceux qui les ont exposées n’ont jamais entendu le sens parfait, ni la droite signification, à cause que le temps n’était pas encore accompli pour entendre toutes choses, comme il s’entendra à présent, où l’aurore de ce beau jour se lève sur notre tête, et avancera jusques à son plein midi, et lors toutes les Écritures seront entendues en sens parfait jusques à la moindre syllabe. Je vous envoie un petit commencement de l’explication du Chapitre 24 de Saint Matthieu, selon les lumières que Dieu me donne ; vous le pourrez consulter avec les explications qu’en ont fait les autres personnages du passé, pour voir si celle du présent ne sera pas plus claire, plus profitable et utile aux hommes, en particulier à votre personne qui cherche la vérité ; et si par cette intelligence du même Chapitre vous ne vous trouverez pas obligé d’avouer que nous sommes arrivés et vivons maintenant dans les derniers temps. Ce n’est qu’un petit commencement de l’intelligence que Dieu me donne sur cesdites écritures ; car j’y vois bien de plus grandes merveilles : toutes les Paraboles ne sont que pour notre temps, où toutes les Prophéties auront accomplissement, et nous jouirons des effets de toutes les choses qui ont été seulement figurées du passé. Quoique je n’aie lu aucuns Prophètes, j’entends cependant la signification de leurs Prophéties, et grande partie du reste, de quoi je vous ferai part à l’avenir, autant que Dieu me le permettra, et cependant je demeure

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                 

servante                        

 

A. B.

 

De Lisle le dimanche des Rameaux 1665.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici Monsieur

l’E X P L I C A T I O N

 

De l’Évangile de Saint Matthieu,

chapitre 24, selon l’intelligence

que le Saint Esprit

me donne.

 

Les Apôtres montrant à Jésus Christ les édifices du Temple, et Jésus répondant leur dit, voyez-vous pas toutes ces choses ; je vous dis en vérité qu’il ne sera ici laissé pierre sur pierre qui ne soit démolie.

 

JÉSUS Christ ne parle pas seulement des matériaux desquels était édifié ce Temple matériel ; mais en perfection et accomplissement de son vrai Temple, qui sont toutes les âmes des fidèles Chrétiens, qui sont le Corps mystique de l’Église comme le Pontife, les Cardinaux, les Évêques, Docteurs, Abbés, Religieux, et tous les états des fidèles Chrétiens, qui sont comme autant de divers matériaux qui ensemble composent le vrai Temple de Dieu, et il dit de toutes ces choses en esprit prophétique qu’il viendra un temps que toutes ces choses seront disjointes et démolies, et qu’il ne restera pas deux âmes parfaitement unies en esprit Évangélique, que tout sera disloqué, chacun abondant en son propre sens, hors de la Sapience du Saint Esprit, et de la naïve vérité de Jésus Christ. Il dit toutes ces choses en plurier, pour montrer combien se doivent multiplier le nombre des Prélats, Religieux et Communautés sous prétexte qu’un chacun voudra servir de pierres à l’édifice du Temple de Dieu, et qu’en effet rien n’en sera digne, puisque toutes ces choses doivent être démolies par les derniers châtiments de Dieu ; Jésus Christ le jure en vérité, afin que personne n’en doute.

Les Apôtres vinrent à lui à part, disant : Dis-nous quand seront ces choses, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du Monde. Jésus répondant leur dit : Prenez garde qu’aucun ne vous séduise : car plusieurs viendront en mon Nom, disant, je suis Christ ; et en séduiront plusieurs. Jésus Christ nous avertit par là qu’il ne faut pas se fier à tous ceux qui viennent au Nom de Christ, et qui en paroles abjectes et profession font semblant de garder les Conseils Évangéliques ; car ils en séduiront plusieurs sous ombre de vertu qu’ils n’auront qu’en apparence, avec quoi cependant ils en attireront plusieurs à leur suite, croyant qu’ils viennent au Nom de Christ, puisqu’ils en portent les marques. Ce sont trompeurs et séducteurs des âmes, qui ne sont de Christ, ni ne conduisent à Christ, desquels il se faut plus donner de garde que des méchants découverts. Jésus Christ poursuit, disant : Or vous aurez à ouïr des guerres et bruits de guerres : prenez garde que ne soyez troublés ; car il faut que toutes ces choses arrivent : mais encore ne sera-ce point la fin. Nous donnant à entendre que le premier châtiment qui précède le jugement seront les guerres que nous aurons chez nous, et celles qu’entendrons d’ailleurs, parce qu’il y en aura partout ; il avertit ses amis de ne se pas troubler pour cela, parce que nous verrons bien autre chose, les guerres n’étant que la préparation aux autres fléaux qui doivent suivre ; et il faut que tout arrive comme Dieu l’a ordonné ; il ne se faut troubler de rien, mais demeurer fermement attaché à lui, car tout le reste périra bientôt.

Jésus Christ dit que Nation s’élèvera contre Nation, et Royaume contre Royaume, et y aura pestilences et famines, et tremblements de terre en divers lieux ; mais toutes ces choses sont des commencements de douleurs. Quand Jésus Christ a parlé des guerres en général, il ajoute encore les guerres domestiques comme les Royaumes voisins, Ville contre Ville, États contre États, Justice contre justice, Ordre contre Ordre, Supérieurs contre Inférieurs, Frère contre Frère, Enfant contre Père, Valet contre Maître, voire le Corps contre l’âme, bref tout sera en guerre et discorde. Ce que nous voyons être arrivé à présent, où il n’y a presque une seule famille paisible, sans combats, voire une seule âme paisible et en repos, le tout étant en guerre.

Il y aura aussi pestilence, laquelle est aussi selon le corps en plusieurs endroits ; mais la peste de l’âme est universelle pour le présent par tout le Monde, et ce qui est le pire, c’est qu’on ne la connaît, car plusieurs vivent en péché sans y penser, l’usance l’ayant rendu si commun qu’on ne l’appréhende plus ; l’on a son âme mortellement pestiférée, et on vit aussi en repos que si on était en la grâce de Dieu ; c’est un venin que le Diable a épars parmi l’air que nous respirons aujourd’hui, et qu’un chacun hume insensiblement sans l’apercevoir ; cela est bien la peste plus dangereuse que celle du corps, qui n’ôte que la vie temporelle, au regard du péché qui ôte la vie spirituelle et éternelle de l’âme.

Le second fléau est la famine ; cette famine regarde en partie qu’il y aura nécessité de vivres corporelles ; mais en plénitude elle prédit la famine spirituelle, qui est disette de la Parole de Dieu qui doit nourrir l’âme, laquelle est maintenant si déguisée qu’on ne la connaît plus ; et les âmes sont en grande disette et besoin de la vraie Vérité, parce qu’elle se trouve si rarement. Qui ose dire aujourd’hui hardiment la vérité ? Personne ; car les méchants la recèlent par malice, et les bons par égard humain ; en sorte que la Parole de Dieu n’est plus annoncée comme elle est ; c’est ce qui fait sécher et mourir les âmes des Chrétiens, n’ayant plus que des images pour aliment, au lieu du pain de la Parole de Dieu, qui est absolument nécessaire pour la vie de l’âme. N’est-ce pas là une famine plus cruelle que celle qui regarde le corps, lequel doit si peu vivre et assurément mourir.

Le troisième fléau est qu’il y aura tremblement de terre en divers lieux. Il est certain que la terre tremble matériellement en divers endroits ; mais le plus redoutable tremblement est que les hommes les plus fermes branlent et tremblent aujourd’hui à maintenir la Justice, et principalement lorsqu’il s’agit de contrecarrer quelqu’un qui est en autorité. L’on tremble, l’on redoute à reprendre l’iniquité ; quoi qu’on la découvre, on n’ose l’attaquer, on branle en sa conscience de la crainte de Dieu ; l’on tremble d’ailleurs d’offenser les hommes ; et cela se fait par les terres les plus fermes, à savoir par les plus gens de bien qui doivent exposer leur vie même pour maintenir la justice et vérité.

Mais toutes ces choses sont commencements de douleurs. Cela est dit pour montrer qu’il n’est plus temps à s’amuser au redressement du Monde, parce qu’il se doit empirer ; quoique ses maux soient si grands, ils s’accroîtront jusques au temps limité par Jésus Christ qui, laissant dominer le mal jusques à son extrémité, viendra prendre vengeance de tous ces maux par des fléaux universels qui feront sécher les hommes de frayeur sur la terre, lesquels commenceront par toutes les choses ci-dessus dites, qui seront les avant-gardes de ce qui doit suivre.

Il poursuit en disant : Alors ils vous livreront pour être affligés et vous tueront, et serez haïs de tous gens à cause de mon Nom. Il ne parle pas seulement à ses Apôtres, lesquels ne pouvaient vivre naturellement jusques à ces derniers temps ; mais il parle en eux aux personnes qui resteront lors en la grâce de Dieu, et leur dit, s’ils veulent demeurer vrais Chrétiens, que le monde les affligera, et persécutera, et même aucuns y laisseront la vie pour la querelle de la justice et vérité, ce qu’un chacun aura en haine ; nous sommes aujourd’hui tout proche de ce malheur ; cas les vrais gens de bien sont persécutés, ceux qui maintiennent justice et vérité sont haïs de tous, parce que la justice est une correction tacite à l’iniquité en usance. La vérité est haïe, parce qu’elle découvre le mensonge avec lequel on couvre toute la malice d’aujourd’hui. Si l’on ne tue pas tous vrais gens de bien, ce n’est qu’un petit voile d’égard humain qui retient le méchant, ne voulant encore passer pour tel aussi longtemps que sa malice n’est connue ni manifestée à tous ; mais aussitôt que tout le mal sera découvert, plus nuls vrais gens de bien ne resteront en vie en leur puissance, mais seront tués à cause de la vérité.

Lors aussi plusieurs seront scandalisés, et se trahiront l’un l’autre, et se haïront l’un l’autre. N’est-ce pas aujourd’hui que l’on se scandalise du vrai bien ; car si l’on dit la vérité, on est tenu pour détracteur ; si l’on garde la justice, l’on est blâmé de vouloir être plus saint qu’un autre ; si l’on ne suit le train du Monde, l’on est tenu pour ignorant et imparfait ; de se haïr l’un l’autre, rien n’est maintenant plus commun, chacun n’aimant que ce qui lui est favorable ; l’on ne peut pas seulement entendre les louanges d’un autre sans former en son cœur quelque inimitié secrète contre le bien d’autrui ; de se trahir l’un l’autre, cela passe maintenant pour subtilité ; il n’y a plus à se fier à personne ; l’on trahit son propre frère, lorsqu’il y va de quelque intérêt. Aussi plusieurs faux Prophètes s’élèveront et en séduiront plusieurs. Ceux qui sont appelés Prophètes sont ordinairement saints. Jésus Christ n’admoneste pas de se garder des Méchants qui nous pourraient séduire, mais des faux Prophètes, c’est à dire, de ceux qui en apparence semblent saints, que ceux là en tromperont plusieurs sous prétexte de vertu et sainteté ; car ils s’élèveront par sciences et doctrines fausses devant Dieu, bonnes en apparence et avouées des hommes qui les estimeront comme palpables à leur sens ; mais trompeuses en effet, avec quoi ils en séduiront plusieurs.

Et parce que l’iniquité sera multipliée, la charité de plusieurs se refroidira. N’est-ce point aujourd’hui que l’iniquité est multipliée et la charité refroidie ? Elle ne peut être plus grande devant Dieu ; l’on ne voit autre chose que malice, mensonges et tromperies ; cela est si fréquent qu’on ne peut avoir rien à démêler avec les hommes qu’on en expérimente les effets. Pour la charité, elle n’est plus connue entre les Chrétiens ; elle n’est pas seulement refroidie, mais entièrement glacée et effacée des cœurs, en sorte que rien ne se fait plus par charité, tout par intérêt ou égard humain.

Mais qui persévérera jusques à la fin, icelui sera sauvé. C’est à dire, qu’on ne se doit en rien conformer au Monde, mais persévérer dans la doctrine de Jésus Christ ; et qu’il n’y aura que ces persévérants qui seront sauvés, que tout le reste périra ; car Jésus Christ ne change point la loi pour le changement des hommes, et n’en fait pas de nouvelles, mais celles qu’il a établies une fois dans son Évangile ; il y faut persévérer jusques à la fin, autrement ne serons sauvés.

Et cet Évangile du Royaume sera prêché au Monde universel, en témoignage à toutes Nations ; et lors viendra la consommation. C’est à dire, que l’Évangile du Règne de Jésus Christ sera publié par tout le Monde universel, et qu’il viendra en gloire et majesté régner sur la terre, pour y rétablir toute justice, et juger tout le monde en équité, ce qui sera connu de toutes les Nations ; car sa venue première en terre n’ayant été qu’opprobres et ignominies, il faut que tout soit réparé et jugé d’un droit jugement avant la consommation des méchants qu’il déconfira par sa Parole.

Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation, qui est dite par Daniel le Prophète, être au lieu Saint, qui lit, l’entende. C’est à dire, quand vous verrez le péché, qui est seul abominable devant Dieu, être ès personnes qui doivent être saintes, comme sont les Prélats et les Chefs des Églises, les Prêtres et les Religieux, et tous ceux qui font profession de vertu. Il reprend : qui lit l’entende, parce que plusieurs liront cet Évangile qui ne l’entendront pas, prenant l’abomination pour autre chose que le péché, qui est toutefois la seule abomination ; parce que toute autre chose venant de Dieu ne peut être mauvaise ni abominable ; car il a fait toutes choses bonnes, il n’y a que la mauvaise usance qui les rend mauvaises ; le péché seul, que Dieu n’a pas fait, est abominable ; donc lorsqu’on verra régner le péché dans ceux qui tiennent la place de Dieu sur la terre, c’est alors, dit-il, que ceux qui sont en Judée s’enfuient aux Montagnes ; que lorsque l’on verra ces péchés dans les places consacrées, il faut quitter le Monde, n’y ayant plus de salut en icelui. Ce n’est pas qu’il faille précisément habiter les lieux déserts ou montagnes matérielles ; parce que ces lieux là ne seront non plus exempts des fléaux universels que les autres lieux ; car les méchants même s’y retireront. Mais c’est qu’il faut quitter la Judée des biens, états, honneurs et commerces de la terre, pour se retirer aux montagnes des choses hautes et célestes, et ne s’appliquer plus qu’à aimer Dieu et procurer son salut, vu que toutes autres choses doivent sitôt périr. Il ne dit pas qu’il faut aller doucement ès montagnes, mais qu’il y faut fuir, sans s’amuser à mettre ordre aux choses de la terre, craignant d’être surpris ; mais qu’il faut courir, lorsqu’on voit que ce temps est arrivé. Qui peut douter que ce ne soit à présent, car quelle différence trouve-t-on dans la vie intérieure d’une personne d’Église à celle d’un séculier ? Sont-ils exempts d’orgueil, d’avarice, et le reste, plus que les gens du monde ? Tous les esprits bien faits qui les pratiquent de près peuvent toucher au doigt ce qu’ils peuvent avoir en l’âme par leurs vigilances extérieures à tout ce qui est de la terre.

Jésus Christ presse si fort cette fuite qu’il dit, Que celui qui sera sur sa maison ne descende point pour emporter aucune chose de sa maison, et que celui qui est aux champs ne retourne point pour emporter ses habillements. C’est à dire, qu’il ne faut plus retourner à la considération de ses parents ou amis, ni rien de ce qu’on peut avoir aimé sur la terre, il faut seulement s’élever à Dieu ; et si l’on est sorti des affections de la terre, qu’il n’y faut pas retourner pour avoir soin de quoi nous serons vêtus et entretenus ; parce qu’en suivant simplement Dieu, rien ne nous manquera. Il dit aussi, Malheurs aux femmes enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours là. Dieu peut-il bien maudire ce qu’il a ordonné ? Les femmes enceintes naturellement doivent-elles avoir plus de malheur que les autres personnes ? Nullement ; mais ces femmes enceintes sont toutes personnes qui sont remplies de désirs et plaisirs de la terre, et les allaitantes sont celles qui possèdent en effet les mêmes biens et plaisirs ; c’est à ceux là que le malheur s’adresse pour montrer que ces deux sortes de personnes périront avec leurs désirs ; aussi bien ceux qui sont seulement riches de désirs que ceux qui le sont aussi en effet ; car ni les unes ni les autres ne seront disposées à fuir et tout abandonner, comme Jésus Christ conseille, ni de monter les montagnes de l’affection des choses célestes ; puisque leur cœur est si engraissé et attaché aux choses terrestres, ce qui les rendra bien malheureux en ces jours-là, en voyant périr toutes leurs affections et appuis dans un malheur irréparable. Il poursuit en disant : Or priez que votre fuite ne soit point en hiver ni au jour du Sabbat. L’hiver, c’est le temps de la persécution et des fléaux universels que Dieu enverra par sa juste vengeance : ce sera lors un vrai hiver, bien rude à endurer. Le jour de Sabbat, c’est le jour du Seigneur, lorsqu’il viendra sur la terre juger les bons et mauvais. Il conseille de bien prier, afin d’obtenir la grâce de ne pas attendre ce temps là pour quitter le commerce du Monde, et se retirer dans l’emploi des choses éternelles ; parce, dit- il, qu’alors il y aura grande tribulation, telle qu’il n’y a eu depuis le commencement du Monde jusques à maintenant, et ne sera ; pour montrer qu’il ne sera saison alors de s’élever en la considération des choses éternelles, se voyant si vivement touché des châtiments sensibles, si ce n’est qu’auparavant l’on soit bien attaché à Dieu seul de cœur et d’affection, ayant ôté toutes les affections des choses de la terre ; il sera autrement impossible de demeurer parmi tant de calamités et de souffrances, telles qu’on n’a encore jamais vu sur la terre, et ne verra plus ; parce que ce sera le dernier jugement, la dernière justice, et la dernière miséricorde ; si l’on attend de se convertir jusques au jour du Seigneur, avec quel front osera-t-on paraître en sa présence, étant encore par lui trouvé attaché à la terre ? Partant il faut bien prier selon son conseil pour avoir la force de fuir à présent ; car le temps approche et est à la porte ; il sera trop tard, lorsque la trompette sera levée, de dire comme saint Paul, au marinier qui le naviguait en Mer, il me fallait croire et ne point partir : car si je vous dis lors il me fallait croire et tout quitter de bonne heure, cela ne profitera rien, il sera trop tard, lorsque l’Époux sera venu, de frapper à la porte avec les vierges folles ; faut aller en temps. Il poursuit en disant : Si ces jours-là n’eussent été abrégés, nulles personnes ne seraient sauvées : mais pour les Élus, ces jours-là seront abrégés, voulant donner à entendre que les péchés des hommes et leur malice se multipliera si fort qu’à la fin personne ne se sauverait, le mal allant toujours en empirant, corrompant les Élus même, si Dieu ne coupait le temps à cette malice ; parce qu’à tout moment le mal s’augmente, et les bons deviennent méchants par l’approche de la corruption universelle des hommes, ainsi que la pomme entière se corrompt par l’attouchement de ceux qui sont corrompus ; c’est pourquoi il abrégera ces jours, afin que ses Élus soient sauvés ; et viendra plus tôt que l’on ne pense, par la Miséricorde de Dieu, pour abréger le règne de Satan. Et pour montrer que cette malice est couverte de piété, il dit par advertance : Lors si quelqu’un vous dit, voici le Christ, ici ou là, ne le croyez pas : parce que tous ceux qui parlent de Christ ne sont pas véritables ; c’est pourquoi il avertit en disant : car faux Christs et faux Prophètes s’élèveront, et feront grands signes et miracles ; voire pour séduire les Élus même, s’il était possible, voulant montrer que la fausseté et malice seront dans les personnes qui tiennent la place de Christ, et qui sont saintes en apparence, pour, par ces moyens simulés, tromper et séduire les bons et les Élus, qui facilement seront séduits en voyant des signes et miracles en apparence, craignant d’offenser Dieu s’ils croyaient mal des personnes qui semblent admirables en bien et en vertus. Si Jésus Christ ne l’avait pas averti si souvent, leur scrupule aurait quelque cause d’ignorance ; mais redisant si souvent faux Christs et faux Prophètes, il donne assez à connaître que ce ne sont pas gens méchants en apparence, desquels les bons se gardent assez, n’étant en péril d’être séduits d’iceux, mais que par ces faux Christs plusieurs en seront séduits ; ce ne sont pas les Élus que Dieu a élus, car ceux-là ne peuvent périr parce que c’est une élection absolue, mais les Élus qu’ils ont élus de suivre Dieu moyennant sa grâce ; ceux-là tombent tous les jours et périssent ; c’est pour iceux que les jours seront abrégés, vu que les autres sont assurés, quand même le Monde durerait infiniment ; mais il y en a peu.

Cette bonté Divine insiste, en disant, voici, je vous l’ai prédit, pour montrer que personne ne doit prendre cause d’ignorance ; car c’est Jésus Christ même qui le déclare ; si c’était seulement quelque personne illuminée, un chacun voudrait examiner si serait de Dieu ou du Diable ; mais aux paroles de Jésus Christ, qui sont sorties de sa propre bouche, qui en peut douter ? Il persiste, disant : Si donc on vous dit, voici il est au désert, ne sortez point : voici qu’il est aux cabinets, ne le croyez point. Comme s’il disait, il viendra des personnes en apparence saintes et religieuses qui vous diront faites ceci ou cela et vous serez sauvés, ne les croyez point, le salut n’est nulle part que dans les enseignements de Jésus Christ qu’il a laissés dans son Évangile ; il n’y a plus que cela qui est entier sur la terre, tout le reste est corrompu ; un chacun tire à soi ; un Ordre dira venez à nous pour être sauvés ; aussi un autre, et nuls n’enseigneront le chemin de vrai salut ; parce qu’ils sont hors des Conseils Évangéliques que personne ne pratique aujourd’hui, mais un chacun les glosent et expliquent à sa mode ; car si on les enseignait véritablement comme ils sont, chacun se condamnerait soi même ; car quel ordre si étroit qui est maintenant sur la terre qui renonce à sa propre volonté, et méprise les commodités de la terre ? Personne ne le fait que de paroles et à l’extérieur, ce qui ne fait rien devant Dieu, qui sonde les reins et est scrutateur des cœurs ; partant, ne croyez qu’à Jésus Christ ; car plusieurs sont menteurs qui disent Christ est ici ou là, ne les croyez pas ; mais suivez l’Évangile qui ne peut tromper personne. Quand Jésus Christ viendra, il ne préparera pas des temples et logis magnifiques, comme font les Chrétiens d’à présent ; mais il viendra à l’improviste, comme il dit que comme l’éclair sort de l’Orient et se montre en Occident, autant en sera-t-il aussi de l’avènement du fils de l’homme : c’est à dire, qu’il n’a que faire de tous les lustres et honneurs, ni de ces pompes et magnificences qu’on voit à présent dans les Églises ; mais il viendra à l’improviste lorsque moins on y pensera, et subitement, comme l’éclair sort de l’Orient et va à l’Occident ; pour dire qu’il faut toujours se tenir prêt, pour ne savoir quand ce sera, ni au soir ni au matin ; il faut toujours veiller, puisqu’il doit venir si subitement, comme l’éclair va d’un lieu à l’autre en bien peu d’instants.

Il dit que là où sera le corps, là s’assembleront aussi les aigles : c’est-à-dire, que les âmes élevées qui auront abandonné les choses de la terre, et seront montées aux Montagnes des considérations célestes, celles-là seront où Jésus Christ sera en Corps glorieux, assemblant près de soi toutes les âmes élevées qui à la façon des aigles prendront l’essor vers Jésus Christ, l’unique objet de leurs âmes. Il poursuit disant : Or incontinent après la tribulation de ces jours, le Soleil deviendra obscur ; et la Lune ne donnera point sa lumière ; et les Étoiles cherront du Ciel, et les vertus des Cieux s’émouvront. Il ne parle pas seulement du Soleil, de la Lune et des Étoiles matérielles, mais, en sens mystique, du Soleil de la vérité, qui doit éclairer tout le Monde, et de la Lune, qui sont toutes les choses transitoires, comme les richesses et honneurs du Monde ; les Étoiles sont les âmes lumineuses, comme les Théologiens qui auront éclairé le Monde par leurs sciences et lumières ; les vertus des Cieux sont les âmes célestes en spéculations, et Directeurs à conduire les autres au Ciel ; tout cela sera réduit à néant ; car la vérité qui est le Soleil sera obscurcie, en sorte qu’on ne la saura plus connaître ni découvrir, tant sera-t-elle déguisée par les sciences humaines ; la Lune, qui sont les biens transitoires, périront ; en sorte qu’il n’y aura plus de splendeur dans l’Église ou État ; les Étoiles qui tomberont du Ciel, c’est que la plupart des savants tomberont de la vertu aux vices et désespoir ; enfin tout ce qui semble maintenant céleste et spirituel sera tout ému par les calamités ; les plus assurés seront ébranlés, voyant ces horribles châtiments. Et adonc apparaîtra au Ciel le signe du Fils de l’Homme. C’est à dire que dans ces désastres et désolations, Jésus Christ viendra du Ciel s’apparaissant visiblement pour la consolation de ses amis et la confusion des méchants ; car il dit que lors aussi se plaindront toutes les lignées de la terre, et verront le Fils de l’homme venir ès nuées du ciel avec puissance et majesté ; disant qu’au milieu des lamentations et plaintes universelles de toutes les lignées de la terre Jésus Christ viendra et se fera voir à tous les hommes qui, le voyant descendre du Ciel sur une nue avec puissance et majesté, frémiront de crainte. Il poursuit, disant : lequel enverra ses Anges avec grand son de trompette, qui assembleront ses Élus des quatre vents, depuis un bout des Cieux jusques à l’autre. Les Anges sont ceux qui font la volonté de Dieu ; il ne faut pas que ce soient des esprits célestes ; mais les âmes qui seront lors sur la terre, faisant sa volonté, seront envoyées par tout le Monde, qui avec des voix raisonnantes, comme trompettes, assembleront tous les Élus de la terre depuis un bout jusques à l’autre, pour venir s’assembler au lieu où sera le corps de Jésus Christ qui a été occis pour la Rédemption de tous. Et pour ne point déclarer ouvertement le temps de cet avènement, il dit une comparaison, savoir : Or apprenez la similitude du figuier : quand déjà son rameau est en sève et qu’il jette des feuilles, vous savez que l’été est proche : c’est à dire, soyez avisés, encore bien que ne savez précisément le temps, conjecturez par les choses que vous verrez sur la terre et les actions des hommes qui se comporteront comme j’ai prédit, jugez alors comme vous faites de l’été par le figuier ; car quand vous verrez toutes ces choses, sachez qu’il est proche et à la porte : c’est à dire, qu’il ne faut s’endormir ni laisser tromper ; car nous voyons aujourd’hui toutes ces choses prédites être en plénitude dans le comportement des hommes, n’y ayant plus que tromperies, faussetés et mensonges, sans aucune charité. Si les signes ne sont pas encore si manifestes au Soleil matériel, à la Lune et aux Étoiles, cela n’ajoute rien à la vengeance de Dieu, qui n’a égard qu’aux âmes criminelles, ces signes matériels n’apportant non plus de mal que n’ont pas les pierres qui se sont fendues à la mort de Jésus Christ, quoique plusieurs desdits signes matériels ont jà paru en divers quartiers, où l’on a vu des signes étranges dans le Soleil, et aussi dans la Lune et les Étoiles ; ce qui devrait servir d’advertance que la colère de Dieu pend sur notre tête ; cependant personne n’appréhende ; l’on s’aveugle l’un l’autre par des discours humains fondés sur la présomption de la miséricorde de Dieu, qui est un péché contre le Saint Esprit. Il poursuit en disant : Je vous dis en vérité que cette génération ne passera point, tant que ces choses-là ne soient faites. C’est à dire que cette génération perverse ne sera exterminée jusques à ce que toutes les choses soient arrivées ; car ces méchants qui tiennent le parti du Diable ne se convertiront pas, mais augmenteront en malice jusques à ce que les fléaux de Dieu est aient pris vengeance, et que Jésus Christ même vienne par la parole les condamner au feu éternel. Il est très juste que toutes ces choses soient faites. Pourquoi le Soleil qui est la vérité ne serait-elle pas obscurcie, puisque l’ambition des hommes la défigure si fort ? Chacun a son sentiment ; combien de diverses opinions dans les Théologiens d’à présent ; l’on en trouvera de dix sortes sur un même cas : il n’y a plus de soumission à la simplicité Évangélique ; chacun s’étudie à la défigurer par des subtils arguments ; cela ne mérite-t-il pas que Dieu obscurcisse l’entendement des hommes, puisqu’ils viennent à noircir une vérité si claire, que Dieu a laissée dans son Évangile, afin d’éclairer tout le Monde, que iceux la rendent si obscure qu’on ne la sait presque plus apercevoir tant il y a de gloses et interprétations diverses.

Ne faut-il pas aussi que la Lune cesse de donner sa lumière, puisque les richesses et piaffe [luxe vaniteux] du Monde, qui ressemblent à la Lune, sont comme faites le seul soutien de l’Église d’aujourd’hui ; car qui voudrait servir l’Église ou prendre la charge de son Ministère s’il ne trouve assez de Prébendes pour se maintenir en état et honneur, autant que la vanité lui en fournit des désirs ; et ne semble-t-il pas, à voir les structures et ornements des Églises et Temples dédiés à Dieu, comme ils sont aujourd’hui, qu’il n’y a que la seule splendeur et les richesses qui doivent apporter l’honneur à Dieu ou de dévotion aux cœurs ? Ne faut-il pas de nécessité que tous ces biens soient ôtés, et que ces Lunes cessent de donner leur lueur, avant que Dieu soit véritablement adoré, puisqu’on y adore maintenant l’or, l’argent, la splendeur et le lustre mondain, sans se croire cependant idolâtre par l’aveuglement d’esprit ? N’est-il pas aussi de nécessité que les Étoiles tombent du Ciel ? puisque ces esprits qui s’étudient dans les sciences divines pour enseigner les autres sont eux mêmes privés de la lumière du Saint Esprit ; parce que, s’attribuant à eux mêmes les sciences acquises par leurs labeurs, ils se rendent insensiblement idolâtres de leur propre savoir ; en sorte qu’ils auront bien de la peine à recevoir un autre sentiment que celui qu’ils ont acquis par leurs propres expériences, et se persuadent aisément qu’il n’y a rien de plus parfait que ce qu’ils ont acquis par les études ; de sorte que si notre Seigneur Jésus Christ venait encore enseigner sur la terre les mêmes choses qu’il a faites en pratique, ces bons Théologiens diraient encore, comme faisaient lors les Docteurs de la Loi, qu’il viendrait détruire la Loi ; parce qu’on enseigne que ce n’est plus en ce temps qu’il faut tout abandonner et renoncer à tout ce qu’on possède pour être Disciples de Jésus Christ ; comme si le temps avait changé la Loi et Conseil de Jésus Christ : voilà ainsi que de nécessité il faut que les Étoiles tombent du Ciel en terre, c’est à dire, de la doctrine de Jésus Christ à celle des hommes, ce qui oblige Dieu d’abolir toutes ces sciences humaines, afin qu’il soit seul reconnu pour la vraie Sapience comme il est, et qu’il soit cherché et suivi au lieu des hommes de maintenant. Les vertus des Cieux s’émouvront vraiment pour condamner la vertu apparente et controuvée des hommes de maintenant, qui mettent la vertu dans des niaiseries, comme d’obéir à son Confesseur, de porter des habits simples, d’aller à Confesse et Communion souvent, et mille autres bagatelles, sans croire ou enseigner que la vraie vertu consiste à renoncer à soi même et conformer entièrement sa volonté à celle de Jésus Christ, et posséder son âme en parfaite patience, qui sont les vertus du Ciel, lesquelles s’émouvront pour condamner tous ces amusements et fausses vertus ; il faut que cela se fasse pour détromper les simples d’aujourd’hui.

Jésus Christ poursuit en disant : le Ciel et la Terre passeront ; mais mes paroles ne passeront point, pour montrer qu’il n’y aura jamais de mutation en Dieu ; que les paroles qu’il a dites une fois seront permanentes, quoique les hommes changent à les suivre ; plutôt le Ciel et la Terre périront que les promesses de Dieu manquent ; car en effet il fera périr les Cieux et la terre ; mais sa parole demeurera ferme ès âmes de ses Élus qui constamment y demeureront attachés quoique tout le Monde se renverse.

Il poursuit disant : Or de ce jour-là et heure nul ne le sait, non pas les Anges des Cieux ; mais mon Père seul, pour montrer qu’il n’était expédient que personne sût les choses qui doivent arriver aux derniers siècles, parce qu’il n’aurait pas été profitable mais nuisible à ceux qui les doivent précéder ; de ce que sachant que ces choses étant si éloignée d’eux, cela leur eut donné plus grande liberté à mal faire. C’est pourquoi cette Sapience infinie, ne voulant en rien contribuer à la malice des hommes, a voulu que le tout demeurât caché jusques à maintenant, qu’il le Révèle aux petits de la terre, ce dont il a prié son Père en sa dernière oraison, où il le bénit de ce qu’il les a recelés aux sages et entendus ; il apporte la comparaison du temps passé pour faire entendre comme l’on est à présent, disant : Et comme il fut fait aux jours de Noé, autant en sera-t-il aussi de l’avènement du Fils de l’homme : pour montrer qu’il viendra à l’improviste, et lorsque moins on l’attend ; afin qu’on soit toujours sur ses gardes, sans s’amuser comme corbeaux à la chair, ou les serpents à la terre ; mais qu’à la façon des aigles, nous volions aux pensées des choses hautes et célestes, ayant mis en oubli tout le soin de la terre et des choses qui sont dessus, pour se tenir toujours prêts ; parce qu’au temps de Noé le déluge arriva lorsque moins on y pensait ; ainsi sera de même, le jugement viendra lorsque moins on l’attend ; car, poursuit-il, ainsi qu’ils étaient ès jours devant le déluge, mangeant et buvant, se mariant et baillant en mariage jusques à ce jour-là que Noé entra en l’Arche. N’est-ce pas le même à présent ? L’on voit tous les signes être arrivés, que le mal est multiplié, et la Charité refroidie, et les autres choses prédites ; de sorte que les plus sensés disent, voyant le comportement des hommes, que c’est comme la fin du Monde, ou le temps de l’Antéchrist. Cependant en effet on ne l’appréhende pas, l’on boit et mange, on se marie, on prend ses plaisirs à qui mieux mieux jusques au jour qu’on sentira la verge sur le dos. Il achève sa comparaison en disant : Et ne connurent le déluge, jusques à ce qu’il fut venu et les emporta tous, pour montrer que quoiqu’on avertisse et l’on envoie des signes au Ciel, et qu’on assure que Dieu a révélé que le temps est tout proche, l’on n’en croit rien ; et les pactionnaires du Diable s’étudient à trouver des raisons pour divertir cette croyance, craignant que par aventure quelqu’un, le croyant, se pourrait convertir et retourner à Dieu pour être sauvé, ce qui déplairait à leur maître ; c’est pourquoi Jésus Christ a tant de fois répété : ne les croyez point, ne vous laissez pas séduire. S’il n’y avait fort grand péril, Jésus Christ aurait dit des répétitions en vain ? Ce sont ces faux Prophètes qui crient paix et assurance, jusques à ce que nous nous voyions abîmés, comme ont été ceux du temps de Noé dans le déluge des eaux. Hé ! pour l’amour de Dieu, ne les croyez point, puisqu’ils vous trompent, et la croyance de ces jugements ne vous peut pas tromper ; car encore bien que cela n’arriverait en notre temps (comme il sera), il demeure que la croyance ne peut que faire grand bien à nos âmes, en les disposant à plus grande recollection et crainte de Dieu, où la discroyance les dispose à plus de liberté et négligence. Qui sera si ennemi de soi même qui ne le croira ? Parce que Jésus Christ même dit que autant en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. Ce n’est pas seulement un Prophète qui le dit, à qui l’on devrait prêter toutefois l’oreille ; mais de ne point croire au Fils de Dieu, au préjudice de nos âmes, que cela est horrible et lamentable. Il va encore plus avant et dit : adonc deux seront aux champs, l’un sera recueilli et l’autre laissé, pour dire que Dieu n’est accepteur de personne, et que de toute sorte de conditions il y en aura des sauvés et des abandonnés selon que leurs âmes seront lors trouvées devant Dieu, sans avoir égard à nuls états, biens ou conditions ; car de deux artisans, l’un sera sauvé et l’autre abandonné : de deux qui moudront au moulin l’un sera recueilli et l’autre laissé, montrant que Dieu ne regardera point à notre labeur ou négoce pour être sauvé ou damné ; mais comment et avec quelle intention nous aurons labouré ou négocié ; car deux personnes faisant à l’extérieur les mêmes fonctions, l’une sera acceptée et l’autre rejetée ; pour donner à entendre que Dieu n’a aucun besoin de nos œuvres, quoique bonnes, si elles ne sont faites purement pour son amour ; et bien que nous ferions les mêmes actions qu’ont faites les Saints, elle ne nous rendront saints ni donneront aucunes perfections si elles ne sont faites en la même intention et justice. Il dit même que deux seront au lit, l’un sera pris et l’autre laissé, pour montrer que quoique serions unis de corps et de conversation, si nous ne sommes vraiment d’esprit en Jésus Christ, cela ne profite de rien ; chacun doit opérer son salut particulier, et que la congrégation ou compagnie des saints ne nous fera pas saints d’elle même, et qu’en toute sorte d’états il y en aura des sauvés et des damnés, même dans les Cloîtres les plus austères et religieux ; que Dieu n’est attaché à nul lieu, à nulles actions, à nulles dévotions particulières, mais à la pure intention qui nous meut ; tout le reste ne sont que des moyens desquels un chacun doit choisir, sans se flatter, ceux qui l’attacheront ou mèneront davantage à Dieu.

Il ajoute encore : Veillez donc ; car vous ne savez à quelle heure votre Seigneur doit venir, pour dire qu’en tout temps l’on doit veiller attendant le Seigneur : cependant il a été si longtemps attendu, et que chacun croit que nous sommes ès derniers temps, personne néanmoins ne veut croire efficacement que ce temps est si proche, et ceux qui le disent sont rejetés comme inventeurs des nouveautés. Que ferait-on si Jésus Christ ne l’avait si particulièrement tout prédit ? L’on serait lapidé comme les Prophètes du passé. Cela même n’est-il pas un signe évident qu’il est proche ; car lorsqu’il en était bien éloigné, et que les saints personnages en ont parlé comme s’il devait être de leur temps, un chacun le croyait, et plusieurs se sont convertis et ont été sauvés par cette croyance ; et maintenant qu’il est véritable, personne ne le croit, comme si l’on voulait endurcir son cœur et boucher ses oreilles à sa conversion, et mourir abandonné de Dieu, ne sachant à quelle heure il nous ôtera de ce monde, risquant de mourir obstiné ; car s’il n’était véritable, pourquoi le dirait-on ; si on voulait étonner le Monde, en rapportant des nouveautés, l’on inventerait des choses plaisantes et agréables aux sens, qui seraient mieux reçues d’un chacun, plutôt que de parler d’horreur, de frayeur et des châtiments de Dieu, et l’on ne déclarerait point si ouvertement la vérité du mal ; parce que les consciences d’aujourd’hui n’ont plus de force pour la digérer, un chacun voulant être flatté et point réprimandé ; donc il faudrait être privé de jugement pour alléguer des choses fausses de semblable matière, et se faire ennemi d’un chacun sans profit. Croyez que si ce n’était la pure charité du prochain et la volonté de Dieu qui oblige à le dire, l’on saurait bien se taire tous les jours de sa vie, bien qu’on verrait descendre tout le Monde en Enfer, parce qu’ils répugnent ainsi au Saint Esprit, voulant être plus Saints et parfaits que lui en n’osant croire le mal qu’il ose bien déclarer pour nous en préserver.

Jésus Christ poursuit en disant : Et sachez cela, que si le père de famille savait à quelle heure le larron devrait venir, il veillerait, et ne laisserait point percer sa maison, pour montrer que dans les affaires du Monde, et ce qui regarde le temporel, les hommes ont beaucoup plus de vigilance que pour les salut de leurs âmes qui est éternel, et que si on savait le danger de souffrir quelque intérêt, on l’empêcherait, en sorte qu’il n’arriverait point ; et bien que sachant le danger qu’il y a maintenant de perdre son âme parmi tant de personnes adhérantes au Diable, qui n’agissent que selon leur gré pour dérober nos âmes à Dieu, nous n’osons seulement penser que cela soit vrai, et nous restons en assurance parmi tant de si grands dangers, plus paresseux pour la vie éternelle que pour celle temporelle, nonobstant que Jésus Christ admoneste si doucement, disant : Partant, vous aussi soyez prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne savez point. Qui vous a dit qu’il ne viendra point sitôt ? puisque la vérité même déclare qu’il viendra à l’improviste et à l’heure que ne savez ; c’est une terrible hardiesse de l’homme, de se faire plus sage que Dieu et persuader aux autres de croire ce qu’il ne sait point lui même ; il vaut mieux croire Jésus Christ que d’aller au conseil des méchants, et se tenir toujours prêts, attendant à toute heure cette venue désirable et salutaire aux croyants ; parce qu’il ne vient que pour les bien heurer. Il ajoute encore : Qui est donc le serviteur fidèle et prudent que son Maître a commis sur sa famille pour lui donner la nourriture en temps ? Cela s’adresse aux Pasteurs des âmes, qui sont les serviteurs commis pour donner à leurs paroissiens la nourriture en temps, c’est à dire l’advertance de ces choses dernières, avant qu’elles soient arrivées, selon qu’elles sont si souvent répétées ès Écritures Saintes, qui sont la nourriture des âmes. Il faut qu’ils soient fidèles à la garde de leur troupeau, en ne le laissant point à la merci du loup infernal, qui a maintenant tant de puissance sur les esprits humains ; qu’ils soient aussi serviteurs prudents pour prévoir et prévenir vigilamment les maux à venir ; et comme les Pasteurs des bêtes, qui étaient veillants sur leur troupeau, ont été avertis de la venue ignominieuse de Jésus Christ en terre, ainsi ces Pasteurs des âmes seront avertis de la même venue glorieuse du jugement, s’ils se veulent appliquer à lire et ruminer les Écritures Saintes qui traitent ouvertement de cela depuis le commencement du Monde. Jésus Christ dit : Bienheureux est ce serviteur-là, que son Maître trouvera ainsi faisant, quand il viendra. Quel bonheur d’être béatifié de Jésus Christ même ! Avec quelle joie doit-il attendre cette venue, s’il a fait ainsi qu’il lui a été enjoint.

Il jure en disant : Je vous dis en vérité qu’il le constituera sur tous ses biens. Quelle promesse peut passer celle-là ? Quels sont les biens de Notre Seigneur ? Rien autre que soi même ; car tout ce qui est au dessous de lui n’est rien et ne doivent être appelés vrais biens.

Donc il promet de se donner soi même au serviteur qu’il trouvera ainsi faisant à son arrivée en terre ; mais pourtant, si ce serviteur-là mauvais dit à son cœur, mon maître met longtemps à venir, et qu’il y en a beaucoup aujourd’hui qui disent ces choses lorsqu’on parle du jugement dernier, l’on réplique aussitôt : il y a longtemps qu’on entend cela, il y a autant d’années qu’un tel saint et tels saints ont prêché comme s’il eût dû arriver de leur temps, cependant il n’est pas encore venu à présent. Voilà des serviteurs mauvais qui s’opposent aux desseins que Dieu a de convertir les cœurs par l’appréhension de ses jugements, et qui, comme agents du Diable, tâchent à en divertir les pensées. S’il tarde longtemps, est-ce à dire qu’il ne viendra pas ? Et qui sait quand ce pourra être ? Puisque la vérité même dit que personne ne le sait, non pas même les Anges du Ciel ; et encore qu’il arriverait à présent, n’a-t-il pas assez longtemps attendu ? Sa Miséricorde doit-elle autoriser notre paresse ? Il prédit la mauvaiseté de plusieurs Pasteurs de maintenant, lorsqu’il ajoute : Et qui se prend abattre ses compagnons, et manger et boire avec les ivrognes. Si on peut dire la vérité, n’y en a-t-il pas beaucoup qui, au lieu d’étudier les écritures saintes pour donner la nourriture aux âmes qui leur sont commises et les repaître au temps présent des menaces de Dieu, qu’il est prêt de foudroyer sur notre tête, s’amusent dans les négoces et trafics du Monde, et sont si actifs à leur propre intérêt qu’ils outragent quelquefois leurs sujets, et pour boire et manger avec les ivrognes, cela leur est quotidien. Que de choses indignes aux personnes commises et établies de la part de Dieu pour veiller sur sa famille, plutôt que de se battre souvent l’un l’autre par procès et conteste pour des biens temporels, cependant que la pauvre famille de Jésus Christ a besoin d’instruction et se perd par ignorance. Il ajoute : Le maître de ce serviteur-là viendra au jour qu’il n’attend point et à l’heure qu’il ne sait, pour dire que pendant tous ces amusements et lorsqu’on y pensera le moins, le Seigneur viendra prendre raison de tout ce qu’il lui aura commis et chargé, pour avoir compte bien étroit, non seulement des péchés commis en notre personne, mais aussi de ceux commis par nos sujets, faute de ne les avoir assez instruits, réprimandés ou veillés à temps. Si l’on appréhendait bien cette venue du Seigneur, fort peu de personnes s’avanceraient à briguer des États ou Bénéfices où il y a charge d’âmes, et aimeraient mieux devenir Pasteurs de bêtes que d’attendre les menaces que Jésus Christ fulmine en disant : Et les séparera et les mettra au rang des hypocrites, là il y aura pleurs et grincement de dents. Être séparé de Dieu, n’est-ce pas le plus grand mal du Monde ? Rien n’est à comparer à ce malheur ; cependant il sera très juste que celui qui s’en est séparé durant sa vie, et n’a appliqué sa mémoire et son entendement qu’au soin et souci de la terre, soit aussi à la mort séparé de Dieu et des choses célestes, qu’il n’a pas cherchés lorsqu’il en avait le temps et la commodité ; tout notre emploi et visée ne doivent tendre qu’à cela, tout le reste n’étant que vrais amusements. Jésus Christ menace ce serviteur-là qu’il sera aussi mis au rang des hypocrites et avec raison ; car si celui qui possède quelque charge, état ou bénéfice qui est de soi même saint et divin, et que ses mœurs et son intérieur ne le soient non plus qu’une autre personne, celui-là est véritablement hypocrite, ne pouvant jamais tenir autre rang auprès de Dieu ; parce qu’il n’a pas été auprès de lui tel qu’il a paru devant les hommes.

Il ajoute que là il y aura pleurs et grincement de dents, pour dire qu’outre la privation de Dieu, il y a encore des peines horribles aux sentiments par la juste justice de Dieu, qui ne laisse rien d’imparfait, donnant à toute sorte de biens récompense, et à toute sorte de maux pénitence, comme pour le ris les pleurs, pour la gourmandise la famine, et ainsi de tout le reste qui est compris en frisson et grincement de dents, qui n’est causé que par des douleurs extrêmement sensibles.

Voilà la récompense de ces mauvais serviteurs, prions Dieu de n’en être pas du nombre ; soyons plutôt bons serviteurs loyaux et fidèles, toujours veillants après l’heure que notre bon Maître doit venir, qui sera bientôt ; car de tant plus qu’on l’attend passé longtemps, tant plus est il prêt, puisque personne ne doute qu’il ne viendra pas, d’autant qu’il l’a promis, et que tous les Chrétiens le croient comme un article de foi qui est contenu au Credo, savoir que Jésus Christ, qui est monté au Ciel à la dextre de Dieu son Père, viendra de là en terre juger les bons et les mauvais, qui sont les vifs et les morts en la grâce.

L’on argue ignoramment sur ce point, avant que de savoir ce que l’on veut dire, étant d’accord, avec toute l’Église, que Jésus Christ en corps et en âme viendra au dernier jugement pour rendre à un chacun selon ses œuvres, et que lors se fera la Résurrection de la chair ; mais s’il y avait quelque part dans la sainte Écriture spécifié combien d’heures et de jours ou d’années qu’il demeurera lors sur la terre, je serais bien aise de l’entendre pour voir s’il y aurait quelque contradiction en Dieu, ce que je ne peux croire, pour n’en avoir jamais trouvé, outre que cela ne peut être.

Il y a en ceci une si grande et nouvelle lumière, qu’elle est capable d’éblouir tous les plus clairvoyants et aveugler les plus savants, comme si Dieu voulait montrer que le temps est venu duquel Jésus Christ a dit qu’il faut se convertir et être faits comme petits enfants si on veut entrer au Royaume des Cieux. Il disait cela en partie à ses Apôtres, mais en plénitude et perfection il le dit aux sages de maintenant, lesquels en demeurant sages en eux mêmes n’entreront jamais au Royaume des Cieux. Les Apôtres n’avaient pas tant de répugnance à devenir enfants, vu que leur savoir ne les éloignait guères de la simplicité des enfants ; mais les hommes de maintenant, étant si appuyés sur leurs doctrines acquises, ne sont que fort peu disposés pour recevoir le Saint Esprit ; c’est pourquoi ils sont avertis par Jésus Christ même qu’ils se doivent convertir, et être faits comme petits enfants ; s’ils étaient enfants, il ne lui faudrait pas les faire tels. Comment les fera-t-il ? En leur cachant ses grands secrets et hautes merveilles pour les révéler aux petits et ignorants ; pour par là les obliger à briser toute leur sagesse humaine au pied de la Sapience Divine du Saint Esprit, et si fortement, qu’il menace ceux qui ne le seront de n’avoir d’entrée en son Royaume. Cela étant, combien peu de Sages seront sauvés ? Car aujourd’hui un chacun estime son propre savoir, en sorte qu’il serait difficile de persuader aux autres que celui qui n’aurait jamais appris les Écritures les saurait mieux qu’aucun d’eux, cela est de trop dure digestion pour des âmes terrestres ; mais si elles étaient tant soit peu dans la pratique de Jésus Christ, elles verraient assez que son ordinaire est de se servir des faibles pour confondre les forts et qu’il ne changera ses décrets pour condescendre à l’orgueil des hommes. Il a fait toujours ainsi dès le commencement du Monde et continuera jusques à la fin ; bien que les hommes lui veulent résister, c’est en vain ; car il peut tout ce qu’il veut, sans contredit de sa volonté absolue. Il ne faut jamais avoir de la confusion des ordonnances de Dieu, il sait les raisons et pourquoi, sans que les hommes aient aucun droit de lui en demander une seule. S’ils ne veulent se soumettre à ses volontés, il a son enfer pour les y confiner, et ils ne seront pas surpris ; car il leur prédit assez dès longtemps que si l’on ne se veut convertir et être faits comme petits enfants, on n’ira pas en son Royaume ; donc il faut de nécessité aller aux Enfers ; car après le jugement il n’y aura plus que le Ciel et l’Enfer ; et celui qui n’est au Royaume de Jésus Christ est assurément aux Enfers. Qui appréhende cela ? Et qui s’étudie à devenir enfant ? Certes c’est une léthargie envenimée qui a infecté tout le Monde ; car un chacun croit être sauvé en suivant sa propre volonté, et s’établissant en son propre savoir sans recevoir autre chose que ce qui vient de sa propre sapience, tromperie et aveuglement horrible ; car qui ne sait que Dieu donne toujours de plus grandes lumières et découvrira de plus claires intelligences des Écritures Saintes, et cela jusques au jour du jugement, qui veut tarir cette source de sapience. Qui veut borner ses limites ? L’Église peut-elle interdire de ne recevoir les influences du Ciel plus abondamment que n’ont reçu les saints Pères du passé ? C’est une erreur de le croire, quoi qu’elle défende de n’interpréter nulles intelligences, chacun à sa mode, ou au sens contraire aux Pères, qui avec études, peines et pénitences peuvent avoir reçu la vraie lumière du Ciel, mais jamais en plénitude ; parce que Dieu l’a réservé pour les siècles derniers, où nous sommes à présent, et où il semble prodiguer en affluence ce que les devanciers ont acquis en portion par force, violence et travail. Cependant on ne veut maintenant recevoir ces nouvelles lumières, chacun se présumant tacitement plus sage que le Saint Esprit. Si on était enfants, on ne serait si habile à minuter sentence de condamnation d’hérésie à ce qu’on ne sait comprendre, mais on le recevrait simplement comme venant de l’Esprit de Dieu, et on le prierait d’en avoir la lumière ; mais au contraire on s’opiniâtre à le contrecarrer. N’est-ce pas là répugner au Saint Esprit, en croyant d’obéir à l’Église ? Que nous sommes en un temps dangereux où le faux est connu pour le vrai, et le vrai pour le faux ! Et croyant faire bien, l’on fait mal, et on s’oppose à Dieu. Si la proposition venait d’une personne inconnue, ou sujette à illusions, on pourrait en avoir quelque doute et l’examiner ; mais non si elle vient de celle que ceux qui la connaissent ont des témoignages intérieurs dans leurs consciences et n’oseraient dire autre chose sinon que le Saint Esprit est là-dedans. Mais avec tout cela ils craignent quand même que ce ne soient des hérésies. Comment se pourrait-il accorder Dieu avec l’hérésie ? Ne sont-ce pas deux choses bien contraires qui ne peuvent demeurer ensemble ? Car si Dieu était dans une âme, et le Diable aussi, le plus fort chasserait l’autre, ne pouvant longtemps demeurer ensemble. Comment peut-on croire que cela se rencontrerait ici, de tant plus qu’on assure ne dire rien de soi même, et que le tout est conforme à l’Écriture Sainte ? Le sujet ne mérite-t-il pas bien d’en faire une sérieuse recherche pour voir si la vérité est telle, sans juger témérairement d’une chose si importante, avant qu’avoir entendu le fond et examiné les circonstances ? Ô petit ver de terre qui s’élève contre Dieu ! Qui vous a appris d’être si sage, si ce n’est l’ennemi de votre âme qui s’oppose à tout ce qui est de Dieu ? Il est si puissant qu’il fait journellement tomber des plus claires Étoiles du Ciel, et l’on ne le connaît ; parce qu’il est si bien masqué de bien et de vertu pour tromper les plus saints, et sous ce masque il entraîne plusieurs à sa suite. Je ne fais que le dire sans être écoutée ; parce qu’un chacun croit être plus consciencieux que celle qui le déclare, voulant demeurer en bonne opinion de son prochain, et se laisser insensiblement traîner par le Diable aux Enfers, à qui il importe peu s’il nous traite par chaînes violentes ou par quelque cordon de soie ; quand ce ne serait qu’avec un fil de toile d’araignée, ce lui est assez, pourvu que nous y demeurions attachés. Cela n’est-il pas triste (je parle avec confidence, comme une mère à ses enfants) que les partisans du Diable conversent journellement avec les enfants de Dieu, sans les connaître, et les mettent en de si grands dangers de les tromper et nuire au corps et à l’âme, et qu’on ne sait par quel moyen les en délivrer ; parce que c’est un venin invisible, qui se contracte invisiblement comme la peste. Quels empressements de cœur a une mère voyant ses enfants respirer l’air qu’elle sait être infecté sans les en pouvoir détourner ? De sorte qu’ils craindraient de mal faire en croyant ce mal tel qu’il est. Tout le Monde est tellement rempli de sorciers et sorcières qu’on croit converser avec gens de bien cependant qu’ils sont attachés au Diable. Qui voudrait dire et avancer cela s’il n’était véritable ? Il faudrait bien avoir une méchante âme ; et si cela ne venait de Dieu, qui voudrait parler de choses si odieuses. Le Diable a coutume de flatter, et jamais découvrir les péchés cachés, s’il peut ; il s’étudie à inventer choses agréables aux sens, et nous promet toujours du beau temps et de belles espérances pour tromper. Au contraire, Dieu par son Saint Esprit nous découvre la vérité du mal pour l’éviter, et ses menaces pour les craindre. Faites un peu ce discernement, et vous verrez si le Diable ou les passions vicieuses peuvent donner ces avertissements, et suivez-les, car il vous importe.

Ne croyez pas que je presse tout ceci pour attirer quelqu’un à moi ; car je ne cherche personne ni rien sur la terre, parce que Dieu me suffit ; et pourvu que vous fussiez tous en esprit unis avec Dieu, je ne souhaiterais jamais d’en voir un de vous tous corporellement. Je n’ai pas aussi d’envie de vous tirer dans les lieux que je souhaite, sachant bien que Dieu est partout, sans être attaché à aucune place ; mais je voudrais seulement, pour le salut de votre âme, que vous puissiez concevoir en quel état est le Christianisme maintenant, et comme il doit être, et les choses qui doivent arriver bientôt ; afin qu’ayant bien compris ces choses, vous puissiez choisir les moyens qui vous seront les plus propres pour vous rendre agréable à Dieu, et attendre en assurance ses jugements prochains : voilà où tendent toutes mes visées, ce que je déclare ; afin que le Diable n’aie jamais prise de vous persuader que l’honneur, le profit ou l’avancement de mes affaires me donneraient la moindre occasion à vous chercher, sinon autant que Dieu m’y oblige, rien ne me touchant comme sa gloire et son honneur ; ce qui se peut assez connaître et avoir été remarqué par l’égalité et indifférence qu’on a reçu les bons et mauvais succès. Je dis tout ceci pour éclairer votre entendement dans l’obscurité où le Diable l’a plongé ; car durant mon absence la Zizanie a été semée parmi le bon grain, et il n’a pas tenu à l’industrie de cet ennemi qu’il n’ait tout à fait étouffé ce bon grain ; mais j’espère que Dieu le réservera jusques à la moisson, et qu’il fera premièrement brûler cette Zizanie et assembler le bon grain en son grenier qui est son Royaume. C’est le désir de mon cœur, et il n’y a nul jour que je ne le demande à Dieu, ayant mémoire de vous ; souhaitant aussi qu’on lise sérieusement le texte des Écritures Saintes avec humilité de cœur ; on recevrait assurément la lumière du Ciel pour entendre les plus grandes merveilles que Dieu ait jamais opérées sur la Terre ; parce que son temps est venu de les élargir maintenant : tous les Prophètes ont parlé de cela depuis le commencement du Monde, comme aussi les Apôtres et Évangélistes ; l’Apocalypse même ne parle seulement que de ces choses dernières. Quel emploi joyeux et salutaire d’appliquer son temps à l’étude de cette nouvelle lumière pour par icelle sucer le lait de la Divine Sapience qui fera comprendre ce que Dieu a réservé aux hommes. C’est un Trésor caché qui ne sera trouvé que par ceux qui quitteront et vendront tout ce qu’ils possèdent de terrien et sagesses humainement acquises, afin de découvrir ce trésor ; en souhaitant que vous en soyez l’un des premiers, je me dis

 

M O N S I E U R                                          

 

Votre très-humble                 

servante                        

 

A. B.

 

De Lisle ce Dimanche des Rameaux, 1665.

 

 

 

 

 

 

 

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