La
PIERRE DE TOUCHE,
Pour connaître
l’Or de la vraie Charité,
hors du Métal du Cuivre doré de la Charité apparente.
Et pour expliquer en quoi consistent les Mérites de notre Sauveur Jésus Christ ; et le vrai Amour de Dieu. Déclarant aussi l’état Glorieux auquel tous les hommes ont été créés en Adam. Et comment iceux doivent vivre pour retourner en la même perfection. Avec beaucoup de divins Mystères merveilleux.
Par
ANTHOINETTE BOURIGNON.
Pour contredire aux mensonges et calomnies qu’a faits d’elle et de ses écrits un certain M. GEORGE HENRY BURCHARDUS, Ministre de la réforme de Luther, en l’Église Cathédrale de Slesvicq. Afin d’ouvrir les yeux à tous hommes de bonne Volonté en ces temps dangereux ; où on prend ordinairement le mal pour le bien, et le mensonge pour la vérité.
À Amsterdam, chez Pierre Arents, Libraire aux troix Naveaux, en la Rue de la Bourse. 1679.
S. Pierre en sa seconde Épître, chap. II. v. 1, 2, 3.
Comme il y eut autrefois des faux Prophètes entre le peuple d’Israël, il y aura pareillement entre vous de faux Docteurs, qui sous des prétextes spécieux introduiront d’une manière insensible des erreurs mortelles, et qui reniant par effet le Seigneur après qu’il les avait eu rachetés, attireront sur eux des fléaux qui les extermineront en peu de temps.
Beaucoup de monde les suivront dans leurs relâchements et leur perdition, et la voie de la vérité sera calomniée et blasphémée par eux.
Ils feront trafic de vos âmes par des paroles bien étudiées et de belle apparence pour satisfaite à leur avarice. Mais leur sentence, prononcée depuis longtemps, s’exécutera bientôt, et la main qui les doit perdre n’est pas endormie.
DÉDICACE
À son Altesse Sérénissime, Révérendissime,
MONSEIGNEUR
CRISTIAN ALBRECHT,
Héritier de Norvège ; Postulé Coadjuteur du Diocèse de Lubeck ; Duc de Slesvicq, Holstein, Stormarie, et Dithmarse ; Comte d’Oldenbourg et de Delmenhorst, etc.
J’AI longtemps souhaité, Altesse Sérénissime, de savoir qui sont mes accusateurs, et de quels crimes iceux me veulent accuser : et je ne l’ai jusqu’à présent pu apprendre ; nonobstant que j’en aie prié Votre Altesse Sérénissime par mes missives familières, et aussi par diverses Requêtes présentées aux Juges, tant à Votre Cour de Gottorp, qu’au Magistrat de Votre Ville de Husum. Et après avoir fait cela en vain, je reçois un Livre imprimé à Slesvicq par Jean Holwein Votre Imprimeur en l’an 1674, lequel a été composé par un certain Mr. George Henry Burchardus, lequel se dit Prédicant en Votre Ville de Slesvicq, en l’Église Cathédrale. Par lequel Traité je commence à découvrir de quels crimes on m’a voulu accuser, et je m’imagine que ce Burchardus pourrait bien être l’un de mes accusateurs, sans toutefois en avoir de l’assurance, sinon par des suppositions bien fondées. Car s’il ose bien publiquement mettre au jour un Livre imprimé rempli de tant de mensonges si notoires, il aura bien pu sans honte ou sans conscience rapporter aux Juges les mêmes mensonges, voire en demander justice. Car celui qui a perdu la crainte de Dieu ne craint plus rien que les hommes. Et si ce Burchard a su si bien colorer ses mensonges qu’il les ait fait voir à Votre Altesse Sérénissime et à ses Conseillers pour des Vérités, ce n’est pas de merveille qu’il ait pris la hardiesse de faire et d’écrire des choses si infâmes et mensongères, en croyant qu’il est appuyé de Votre Altesse Sérénissime et de son Conseiller-régent, à qui son livre a aussi été dédié. Par lesquelles deux Dédicaces il semble vouloir induire un chacun à croire que je suis une méchante créature ; que j’enseigne des erreurs ; que je blasphème contre Dieu ; que je méprise les Mérites de Jésus Christ, et nie la Très sainte Trinité, etc.
Sur quoi il semble vouloir demander justice ; apportant à ces fins quantité d’Histoires de personnes qu’on a donné Sentence de Mort pour leurs abominables doctrines, afin que Votre Altesse Sérénissime et son Conseil fassent aussi les mêmes devoirs à l’encontre de moi. En quoi je remarque le cœur de ce Burchard être possédé d’un esprit cruel et vindicatif, sans aucune Charité Chrétienne. Car encor bien qu’il serait véritable (que non) qu’il pourrait trouver en moi quelque erreur ou défaut, il ne doit pourtant procéder par de semblables voies de fait ou des poursuites si rigoureuses, mais selon le conseil de Jésus Christ, me reprendre entre lui et moi ; et s’il ne gagnait rien en secret, appeler des témoins avec lui, afin que toute parole fût ferme : et si je l’avais écouté, il m’aurait gagné : mais si je ne n’avais pas voulu écouter, il me devait lors tenir comme une païenne, selon le conseil de Jésus Christ ; et non pas m’aller accuser à la Justice, pour me faire appréhender, ou brûler mes écrits, auparavant de les avoir argués d’aucuns maux.
Mais il semble que ce Burchardus n’a pas bien remarqué les conseils que donne Jésus Christ en son Évangile. Et quoiqu’il veuille porter le Titre d’un Évangélique, ses œuvres démentent bien sa doctrine. Car Jésus Christ a dit à ses disciples : Aimez-vous l’un l’autre, à cela connaîtra-t-on que vous êtes mes disciples. Et cet homme hait son prochain d’une haine mortelle, et me souhaite la mort, sans que je l’aie jamais en rien offensé, car je ne le connais, et n’ai jamais ouï parler de lui. S’il est fol ou hypochondriaque, je lui pardonne volontiers : car j’aurais en tel cas pitié de son infirmité. Mais s’il est en son bon sens, il le faut faire venir à la raison, et intituler son Livre LE TÉMOIGNAGE de MENSONGE, contredisant à celui que j’ai souffert qui fut imprimé sous le titre du TÉMOIGNAGE de VÉRITÉ, laquelle il veut réfuter, quoiqu’en effet il la rende plus recommandable par ses mensonges si manifestes. Car un chacun pourra toucher au doigt que cet homme est un Menteur, un Détracteur, un Larron d’honneur de son prochain et qu’il ne cherche point la gloire de Dieu, ni le salut des âmes là-dedans ; et que tout son Livre ne contient que des paroles étudiées, des calomnies et mensonges : ce que je ferai voir aussi clair que le soleil. Et si je ne fais point cela en ce présent Traité, je veux bien demeurer dans l’infamie. Mais si je vérifie mon dire, il faut qu’il soit chargé de la même infamie de laquelle il m’a voulu charger, à l’exemple de Haman, qui fut pendu au même gibet qu’il avait fait dresser pour y pendre Mardochée. Car je prouverai assurément qu’il est coupable des mêmes crimes desquels il m’accuse ; et que lui-même méprise la Doctrine de Jésus Christ et ses Mérites, lorsqu’il résiste à la Vérité Évangélique, en impugnant la Vérité connue ; ce qui est un des péchés contre le Saint Esprit, qui ne sera pardonné en ce Monde ni en l’autre. Car ma Vie et ma Doctrine est connue de tant de milles personnes pour très bonne et salutaire, et toute conforme à la Doctrine Évangélique : pendant que ce passionné la veut faire passer pour des erreurs et des blasphèmes contre Dieu, après avoir lu les témoignages de tant de personnes diverses, toutes dignes de foi, lesquelles ont eu connaissance de tous mes comportements dès mon enfance jusqu’à présent. Ce que plusieurs ont affirmé par serment, comme se peut voir audit TÉMOIGNAGE de VÉRITÉ, lequel ce Burchardus réfute sans aucun fondement ; apportant pour ce faire une quantité d’Histoires de ce qui s’est passé au regard des personnes qu’on a voulu suspecter d’hérésies ; et aussi plusieurs relations qu’il fait, pour montrer comment la réforme de Luther a commencé et a été reçue en divers lieux des Rois et Ducs. Ce qui ne vient aucunement à propos à l’entreprise qu’il avait fait de réfuter le TÉMOIGNAGE de VÉRITÉ. Car c’est sauter du coq à l’âne, de prouver la fermeté de sa Réforme : laquelle je n’ai jamais contredit, et ne la veux pas disputer ; mais la laisser bonne ou mauvaise, comme elle est devant Dieu, lequel en doit être le seul Juge. Car je ne porte jamais la querelle d’aucunes Sectes ou Religions en particulier, mais je souhaite de tout mon cœur que toutes ne seraient qu’une en l’Esprit de Jésus Christ. Et nuls hommes ne peuvent dire avec Vérité que j’aie jamais conseillé à une seule personne qu’elle changeât de nom de Religion, et qu’aucunes s’appelassent Papistes, lorsqu’elles sont de quelque autre Réforme. Mais j’ai bien tâché de tout mon possible de conseiller à plusieurs qu’ils devinssent des vrais Chrétiens, en imitant Jésus Christ : ce que je conseille encor à tous ceux qui veulent être sauvés. Et cela n’est point une Hérésie ou un Blasphème contre Dieu, comme ce Burchard veut faire entendre dans son Traité mensonger ; mais c’est une Vérité Chrétienne que lui et tous ceux qui sont de sa profession doivent enseigner et conseiller au peuple, au lieu de procurer qu’on brûle les livres qui traitent de cette matière, laquelle est plus à estimer que le récit de plusieurs Histoires desquelles ce Burchardus a rempli son livre, lequel ne contient nuls enseignements salutaires ; mais plusieurs choses pour donner scandale aux gens de bien qui ont connaissance de la Vérité. Lesquelles personnes pourront fort facilement juger que cet Historien ne parle que par passion ; et qu’il ne bute qu’à inciter le peuple à haïr les servants de Dieu : vu qu’il incite et admoneste les personnes à ne les pas loger. Ce qui est aussi contre la Charité Chrétienne, qui enseigne de loger les pèlerins comme une œuvre de miséricorde Évangélique. Mais il semble que ce Prédicant a oublié tout son Catéchisme ; ou qu’il est épris d’un tel Esprit de Vengeance, qu’il a perdu son bon sens : car nous sommes des Chrétiens, comme il dit d’être aussi. Pourquoi donc veut-il que nous couchions sur les rues à faute de logement, pendant qu’il couche dans un lit mollet, et dans une maison bien accommodée ? Ne doit-il pas avoir retenu que Jésus Christ dit qu’il faut faire à autrui ce qu’on veut qu’il soit fait à nous-mêmes. Et je lui demanderais volontiers, s’il arrivait que pour quelque occasion il aurait besoin d’aller en quelque lieu sous l’Église Romaine, s’il voudrait bien lors qu’on le laissât coucher sous les nues, pour ne trouver personne qui le voulût loger, à cause qu’il est Luthérien ? Ne se mettrait-il pas en furie, en maudissant ces personnes de leurs cruautés ? pendant qu’avec beaucoup plus de sujet elles refuseraient de le loger, qu’on ne pourrait ici avoir de nous loger : à cause que c’est un point de la croyance Romaine, que personne ne peut être sauvé hors d’icelle Église, où il est précisément défendu d’avoir correspondance avec ceux d’autres Religions. Ce que je ne crois point que Lutherus ait si étroitement prohibé à ses disciples. Et je m’étonne comment ce Burchard cite par son livre que Lutherus a conseillé de maudire les Juifs lorsqu’on les rencontre : vu qu’ils sont sortis du vrai Peuple de Dieu et que nous sommes sortis des Païens : ce qui est une origine beaucoup moins à estimer que celle d’être sorti du Peuple de Dieu, comme sont les Juifs. Pour moi, je suis bien en cela d’une opinion contraire à ce Burchard et à ce qu’il raconte de son Réformateur Lutherus : car je crois et j’attends que les Juifs, qui ont été coupés de la vraie Église de Dieu par leurs péchés et désobéissance, qu’ils seront ré-entés en icelle, et surpasseront en vertu les Chrétiens de maintenant, qui se vantent d’être le Peuple de Dieu lorsque leurs œuvres démentent leur profession. Mais je vois bien que ce Burchardus n’est possédé que de ses passions vicieuses, desquelles il suit les mouvements ; et qu’il a entrepris de s’attacher opiniâtrement à la réforme de Luther ; sans savoir qu’il y a des gens de bien en toute Nation et Religion, et qu’on doit avoir une charité chrétienne pour tous les hommes, lesquels sont tous nos frères par la création, étant tous en général sortis de Dieu notre Père commun, et que nous sommes aussi tous frères par nature, étant tous sortis d’un même Père Adam ; et que nous sommes encore triples frères lorsque faisons la profession d’être des Chrétiens. Pourquoi donc cette inimitié entre les Chrétiens à cause de quelques opinions que les uns et les autres ont entrepris de croire ou de tenir ? Car c’est une chose très cruelle que les hommes se tuent l’un l’autre pour quelque opinion de Religion. Je crois que le sang de ceux qui sont tués ou occis pour ce sujet criera vengeance à Dieu, comme fit le sang d’Abel.
Car quel mal font ces personnes d’avoir quelque opinion (qui est tombée en leurs fantaisies, ou qu’ils ont retenu d’un autre), pour avoir mérité la mort ? Puisqu’en ces diverses opinions un chacun croit d’avoir la meilleure. Car si elles ne croiraient pas cela, elles ne se pourraient résoudre à souffrir la mort pour leur croyance, de laquelle elles se déporteraient plutôt que de souffrir la mort ou les persécutions.
Ce qui doit faire comprendre à tous bons esprits que toutes ces diverses opinions de Religions sont fondées sur quelque zèle de la gloire de Dieu. Car combien de Luthériens sont morts pour les opinions de Luther ? combien pour les opinions de Calvin ? et combien de tant de diverses réformes ont souffert la mort volontiers pour leur Religion, en croyant qu’elle était la meilleure ? Et je crois que ce Burchard aurait bien aussi le désir de mourir pour sa Religion ; mais qu’il estime encor plus sa vie que sa Religion, quoiqu’il la voudrait bien faire ôter à un autre pour soutenir ses propres opinions. Et s’il cherche à me faire mourir parce que je suis Catholique, il a grand tort : vu que je ne donne scandale à personne, et ne converse avec nuls Luthériens, lesquels il pourrait craindre que je gagnerais à moi, et qu’il ne tirerait plus de profit d’iceux. Car je ne cherche personne, et je refuse de parler à divers gens honorables, à fin de demeurer en mon recueillement. Et s’il était autant fondé en la doctrine de Luther comme je suis en la doctrine Évangélique que j’enseigne, il n’aurait point à craindre que je gagnerais de ses Disciples : car je ne crains point qu’il gagnera les miens. Je les peux bien laisser converser avec toute sorte de Nations sans péril ; vu qu’ils portent partout le témoignage de leurs consciences, qui leur dicte que la doctrine Évangélique que je leur enseigne est celle que Jésus Christ a enseignée en étant sur la terre ; et qu’ils sont témoins oculaires de ce que je mets en pratique les choses que j’enseigne par mes Écrits.
Si ce Burchard faisait cela aussi, savoir, mettre en pratique la doctrine de Jésus Christ, il n’aurait garde de me vouloir faire mourir, ni d’empêcher qu’on logeât mes amis ; mais les approcherait pour entendre d’eux la vérité de ses doutes. Mais il envoie chercher mes amis afin de leur imprimer ses sottes imaginations, en les pensant pervertir à recevoir ses mensonges ; au lieu que lui se devrait convertir pour recevoir d’iceux la Vérité : parce qu’ils connaissent un Évangile vivant et opérant, là où il ne connaît qu’un Évangile en la lettre, ayant aussi oublié que le S. Esprit dit que la lettre tue, et que c’est l’Esprit qui vivifie. Ce qui se vérifie en ce Burchardus même : car il prêche l’Évangile, et enseigne les mêmes choses que j’enseigne : mais ne les met lui-même point en pratique, non plus que ses disciples et auditeurs de ses paroles : puisqu’on les voit tous également chercher les biens, aises et plaisirs de ce monde, autant qu’il est en leur pouvoir ; et que l’Apôtre dit aux Chrétiens : Si vous êtes régénérés, cherchez les choses qui sont d’en haut, et non plus celles qui sont sur la terre ; et que Jésus Christ dit que celui qui le veut suivre renonce à soi-même, et quitte tout ce qu’il a, voire, haïsse sa propre âme. Ceci est un langage que ce Burchard et ses semblables n’entendent point : et quoiqu’ils en lisent les paroles selon la lettre, ils glosent et tordent tellement le sens d’icelles, qu’elles n’ont plus de vie, et ne peuvent donner d’aliment à leurs âmes, non plus que ne font les Histoires de son livre qu’il a fait contre moi.
Car que profitera-t-il au salut des âmes de savoir quand ces Rois ou Princes, qu’il rapporte, ont entrepris la réforme de Luther ; et de savoir qu’on a tenu les opinions d’aucunes personnes pour des hérésies ; voire, qu’on en a fait mourir quelques autres ? Pour moi, ces choses me semblent si fades, que j’ai un dégoût de les entendre : parce qu’elles n’ont ni piété ni doctrine. Et je ne sais si je me saurai bien donner la patience d’entendre lire tout son livre. Il me semble que j’en ai jà entendu assez par la dédicace à votre Altesse Sérénissime, pour comprendre que cet homme n’a point beaucoup de jugement, et encor moins de vertu ou de charité, ni même de raison humaine. Car il veut louer et flatter votre Altesse Sérénissime de ce qu’elle a fait cesser mon Imprimerie, et fait emporter mes livres, qui étaient de mauvaises doctrines, comme il dit, à fin que le peuple ne serait pas envenimé de cette doctrine errante. Pendant qu’il sait par effet que ces livres et cette doctrine a été mille fois plus connue et recherchée depuis que ces livres sont hors de ma puissance qu’elle n’était auparavant. Et partant il n’a aucun sujet de louer (comme il fait) la prévoyance de votre Altesse Sérénissime en cela : vu qu’il n’y pouvait jamais avoir un moyen plus propre pour divulguer cette Doctrine et publier ces livres que cette défense d’imprimer et de publier lesdits livres, lesquels sont maintenant cherchés et désirés d’un chacun de ses manants, où auparavant mon silence et ma retenue les tenait en secret. Si bien que ce ne sont que des paroles jetées au vent, tous ces éloges et applaudissements qu’il fait à vre Altesse Sérénissime pour ce sujet. Et encor a-t-il moins de fondement ou raison de rapporter la condamnation qu’a faite d’heureuse mémoire son Altesse Sérénissime votre feu Père, de la doctrine d’un certain David Joris, duquel on a brûlé les livres en votre Ville de Tonningue. Car je n’ai jamais connu cet homme, ni lu aucuns de ses écrits ; et je ne peux savoir s’il avait des hérésies ou non, pour n’en avoir jamais ouï parler avant de venir en ces quartiers, à cause que les Catholiques n’ont rien de commun avec ceux d’autres Religions : c’est pourquoi que je n’ai jamais lu ou connu toutes les personnes que ce Burchard cite dans son livre, en disant qu’elles ont eu quelques erreurs. J’ai bien connu les écrits de Thomas à Kempis, d’un Taulerus, lesquels n’ont pas été en des erreurs, mais dans l’Esprit de Dieu. Mais si ce Burchard ou autres Luthériens les veulent tenir pour des Hérésiarques, comme ils me font, ils sont libres de ce faire, je ne les empêcherai point : puisqu’ils sont même libres de dire que l’Esprit de Dieu vient du Diable : vu que les Prêtres Pharisiens ont bien dit de Jésus Christ qu’il faisait les œuvres par Belzébub le Prince des Diables. Mais c’est un faible argument de rapporter que ces personnes ont été méchantes à cause qu’on les a fait mourir pour quelques sentiments qu’elles portaient de la Religion : vu qu’en tel cas il faudrait dire que tous les anciens Prophètes de Dieu qu’on a tués (voire entre le Temple et l’Autel) étaient des méchantes personnes ; et que Stephanus, et tant d’autres disciples de Jésus Christ qu’on a fait mourir pour leur Religion, ont aussi été des méchantes personnes. Et les Apôtres ont presque tous été sentenciés et mis à mort pour la Religion ; voire Jésus Christ même a été pour icelle pendu à un gibet entre deux larrons. Tellement que si ce Burchardus veut conclure que tous ceux qu’on a fait mourir pour la Religion ont été des malfaiteurs, il condamne par là les Prophètes, les Apôtres, tant de Saints Martyrs, et Jésus Christ même. En quoi il le méprise bien davantage que je ne fais en disant que les mérites de Jésus Christ ne seront appliqués qu’à ceux qui le voudront suivre et imiter. Ce qui est une Vérité certaine, vérifiée en tant d’endroits de l’Écriture ; comme lorsque Jésus Christ dit que celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être son disciple : et ailleurs : que celui qui aime son Père et sa Mère, etc., plus que moi, n’est point digne de moi. Et qu’il faut prendre sa croix pour le suivre ; qu’il faut renoncer à soi-même. Et que Jésus Christ dit si ouvertement en son Évangile : Soyez mes imitateurs.
Or si Jésus Christ avait tout satisfait pour ceux qui s’aiment eux-mêmes, et les biens et plaisirs de cette vie ; qui rejettent à leur possible les croix et les souffrances ; qui ne tâchent nullement d’imiter Jésus Christ ; en disant que cela est impossible ; ou bien pour ceux qui veulent vivre et mourir dans l’affection de leurs péchés, comme ce Burchardus semble vouloir faire entendre que Jésus Christ a tout satisfait, et aussi bien pour tous ces méchants que pour les bons ou pour ceux qui seront ses imitateurs, ce serait une injustice : en quoi ce Burchardus fait bien un plus grand blasphème contre Dieu de le dire, que tous les blasphèmes qu’il s’est imaginé d’y avoir en les écrits pour lesquels il souhaite aussi qu’on me ferait brûler ou couper la tête, comme il dit qu’on a fait à trois Étudiants au Pays de Suède, et à un certain Servetus, à cause qu’il avait des sentiments contraires à ceux dudit Burchard touchant la Très-Sainte Trinité. S’il n’avait pas l’âme cruelle, il n’aurait point de joie de ce qu’on a fait mourir ces personnes pour quelque sentiment de Religion : à cause qu’il peut être que ces personnes ont été beaucoup meilleures devant Dieu que lui et son Lutherus qu’il appelle Sauveur. C’est pourquoi que je veux laisser ce jugement à Dieu : car je ne sais pas si ces personnes ont été mises à mort pour la justice et vérité, comme les Apôtres : ou bien pour leurs malfaits : vu que je n’ai jamais lu ces Histoires, et ne sais comment elles se sont passées.
Mais je sais bien que, par des faux zélés de l’honneur de Dieu, Jésus Christ et ses Apôtres ont été mis à mort, et qu’on disait d’iceux qu’ils voulaient détruire la Loi de Dieu ; comme ce Burchard dit maintenant faussement de moi que je veux renverser toutes les Églises : ce qui est bien éloigné de la Vérité. Car je les voudrais bien toutes pouvoir rétablir avec la perte de ma Vie, et épandre pour ce sujet jusqu’à la dernière goutte de mon sang.
Mais il est bien vrai que je vois clairement qu’en toutes sortes de Religions, il y a des fautes et des erreurs : c’est ce que je voudrais bien renverser, s’il était en mon pouvoir. Car si toutes ces erreurs étaient ôtées en toutes ces Religions, il n’y en aurait plus qu’une bonne ; parce qu’elles seraient toutes unies et de mêmes sentiments : vu qu’il n’y a rien d’autre que les erreurs qui ont divisé la Chrétienté et apporté l’inimitié entre les Chrétiens, au lieu qu’iceux se doivent aimer l’un l’autre, comme Jésus Christ leur a enseigné en disant : Aimez-vous les uns les autres, à cela connaîtra-t-on que vous êtes mes disciples.
Or qui se peut maintenant dire disciple de Jésus Christ et de porter cette marque ? puisqu’on voit toutes ces diverses Religions se haïr l’une l’autre de haine mortelle, de laquelle aussi ce Burchard me hait, à cause que je ne suis pas Luthérienne comme il est Luthérien : ce qui est une haine mal fondée. Car que profiterait-il au salut de son âme si j’étais Luthérienne ? Et quel dommage peut recevoir icelle, si je suis Catholique ? sinon l’ambition qu’il a en son Esprit, d’avoir la meilleure Religion, et la convoitise qu’un chacun le suivrait ? Autrement l’affaire ne lui touche ; puisque je ne suis pas sous sa charge, et que Votre Altesse Sérénissime a permis en Nordstrand l’exercice de la Religion Catholique, avant que j’aie eu la pensée d’y aller. C’est pourquoi que ce Burchardus n’est fondé, selon le droit Civil ni Ecclésiastique, de m’arguer pour ma Religion ; puisque je suis dans un lieu où je la peux bien professer, et que je ne converse nullement avec ceux de sa Religion (lesquels il craindrait que je gagnerais à la mienne) : car je ne veux gagner personne ; et ne trouve pas à propos de quitter une corruption pour entrer dans une autre. Mais je conseille tous ceux qui me le demandent, d’entrer dans la réforme de leurs âmes et de tâcher à devenir des vrais Chrétiens et disciples de Jésus Christ, et non d’un Luther, Calvin ou autres, de tel nom qu’on les puisse nommer : vu que tous hommes sont défaillants, et que Dieu seul est seul Saint : lequel a envoyé Jésus Christ son fils aux hommes comme un Dieu-homme, ou un homme divinisé, à fin de leur enseigner sa justice et sa Vérité Divine, et quant et quant ses œuvres humaines, pour arriver à cette Justice et Vérité Divine.
Mais ce Burchardus n’entendra point ce langage, parce qu’il n’a pas justement trouvé ces mêmes termes en ses livres d’études. Il s’attache plutôt à raconter quantité d’Histoires des choses passées, que ce qui serait profitable au salut des âmes. En quoi il témoigne assez qu’il ne possède pas le pur Or de la Charité, mais que tout son Traité n’est que du laiton doré avec quelques paroles saintes. Car il dit en son Titre que son livre est une fondamentale Remarque Chrétienne pour redresser l’honneur de Dieu et de notre Sauveur Jésus Christ ; pour donner aux ignorants des advertances nécessaires. Ce qui sont tous mots dorés, mais au dedans ce n’est qu’un airain qui résonne : vu que ce livre ne contient aucune chose que des discours étudiés, des mensonges, et des calomnies : et tout ce qu’il y a de bon en son contenu, ce sont les extraits qu’il a tirés hors de mes écrits : encore en rapporte-t-il divers faussement, et retourne le sens de mes paroles ou de mes sentiments ou intentions, et dit mensongèrement que j’ai dit de moi-même, d’être plus que la Vierge Marie, que les Apôtres et Prophètes, ou choses semblables. Ce qui n’est jamais entré en ma pensée : mais si quelqu’un de mes amis ont déclaré quels sentiments ils portaient de moi, cela ne me touche : vu que je me soucie fort peu des louanges ou des mépris que me font les hommes ; et que j’attends que Dieu seul me jugera en équité. Mais ce Burchard a grand tort de prendre ce que les autres personnes disent de moi comme si je le disais moi-même par vanité ou présomption. En quoi il montre son infidélité et la malice qu’il a pour pouvoir mal-dire de moi à tort ou à droit. Car lorsqu’il ne trouve rien de mauvais en mes écrits qui favorise ses desseins, il tire le rapport des louanges qu’autres personnes font de moi : à fin qu’il puisse publier que je suis superbe, et m’estime par-dessus les Apôtres, Prophètes, et Dieu même. Ce qui doit bien être remarqué tout au commencement de son Traité, où il cite beaucoup de choses qu’il tire hors des témoignages de diverses personnes, comme si moi-même les avais dites à ma louange. Et il est à croire qu’il fait cela par un esprit de jalousie ; à cause qu’il ne saurait trouver tant de témoins qui parleraient en bien de lui, comme il voit qu’on parle en bien de moi, ce qui lui est insupportable. Car s’il savait prouver que tous ces Témoins, ou partie d’iceux, n’ont pas dit vérité, il aurait eu sujet de les alléguer : mais s’il ne savait faire cela, il devait plutôt laisser leurs dépositions ou Témoignages en silence, que d’en rapporter quelque chose ; puisqu’il avait fait dessein de me diffamer : vu que tous ces témoins déclarent tout le contraire, et lui doivent faire monter la honte au visage, en voyant que lui seul veut dire tant de mal d’une chose laquelle il n’a jamais vu ni connu là où si grand nombre de personnes dignes de foi témoignent le contraire après qu’ils en ont parfaite connaissance.
Ce qui me fait douter que ce Burchard n’est pas en son bon sens. Néanmoins je n’ose juger cela absolument, lorsque je vois que Votre Altesse Sérénissime et son Conseil réfèrent à ses allégations. Et je m’imagine que lui seul a été mon Accusateur, lequel a donné sujet de me faire défendre d’imprimer ou de publier mes écrits. Ce qui serait bien un faible fondement : puisque je ne saurais croire que cet homme est en son bon sens ; et qu’une personne troublée d’Esprit donne des injures, et méprise toujours ceux qui ne font point ses volontés. De quoi les personnes Sages ne s’offensent nullement lorsqu’elles savent que la personne qui leur donne des injures est troublée d’esprit ; elles en ont seulement compassion. Comme aussi j’aurais avec ce Burchard si je ne voyais par expérience que plusieurs écoutent ses mensonges comme si c’étaient des Vérités. Ce qui m’a ému à répondre à son Traité, et à faire imprimer ma réponse au même lieu qu’il a fait imprimer son livre ; si en cas Votre Altesse Sérénissime me le veut permettre.
Ce que je demande par cette : à fin que toutes personnes d’esprit puissent voir la Vérité hors du mensonge ; et juger si ce Burchard a eu raison de m’attaquer de la sorte, et de dire de moi tant de mensonges verbalement et par écrit. Ce que Votre Altesse Sérénissime pourra elle-même juger par ma réponse ; et avoir le plaisir de voir que ce grand Philistin Goliath sera abattu avec une petite Pierre de Touche que je lui jetterai au front, pour l’égorger avec sa propre Épée, qui est le livre qu’il a composé contre moi : duquel il se vante, et me défie comme Goliath défiait le petit David. Je ne lui donnerai pas des injures comme il me fait : mais je lui montrerai par des Vérités Chrétiennes, et des raisons de bonne Philosophie, qu’il me blâme à tort ; qu’il est mensonger en ses discours ; et qu’il est sans Charité. Ce que j’offre de faire si clairement que le soleil donne en plein midi sa lumière. Laquelle Pierre de Touche je présente, dédie, et offre avec permission, en demeurant
De Votre Altesse Sérénissime
Très Obéissante Servante
ANTHOINETTE BOURIGNON.
Dédicace
À MONSIEUR
MONSIEUR
FRÉDÉRIC CHRISTIAN
KIELMAN, etc.
Ministre Régent des États de son Altesse Sérénissime le Duc de Slesvicq, Holstein, etc. Conseiller en son Conseil privé, etc.
MONSIEUR.
J’AI souvent murmuré en mon esprit de ce que le sage Conseil de la Cour de Gottorp a ordonné au Magistrat de Husum de tenir information Juridique sur mes comportements, et ceux de mes Amis Hollandais : vu que nous sommes tous gens de bien et d’honneur, craignant Dieu, et ne faisant mal à personne, vivant irrépréhensiblement, tant vers la Justice Civile que l’Ecclésiastique. En sorte que je ne pouvais comprendre pour quelle raison l’on tenait information sur nos comportements. Mais ayant depuis vu un livre imprimé à Slesvicq en l’an 1674, composé par un certain M. George Henry Burchardus, Prédicant Luthérien, en l’Église cathédrale de Slesvicq, lequel me donne là-dedans tant d’éloges d’infamie, et m’accuse de tant de crimes, que je vois par là que ce n’est pas de merveille, si on a été obligé d’informer à ma charge. Car si les allégations de ce Burchardus étaient véritables, et qu’il m’aurait accusé à la Justice de tant de crimes, elle devait avoir veillé qu’une si méchante personne (comme il me dépeint) n’aurait point avancé à nuire au peuple (comme il dit) en lui apportant de si mauvaises doctrines, pour le pervertir de la Doctrine Évangélique, de laquelle ce Burchardus se nomme le Ministre.
C’est pourquoi qu’il a été très bon que Votre Conseil ait fait tenir cette information, à fin d’être informé de la Vérité du fait. Mais il eût été très mauvais de donner quelque décret sur les faux rapports et mensonges que ce Burchard peut avoir donné à entendre, si en cas ç’a été pour ce sujet qu’on m’a fait une défense de ne plus imprimer ni distribuer mes écrits ; et cela avant de m’avoir entendu en mes défenses. Car si quelqu’un trouvait quelque chose de mauvais en mes écrits, je le veux condamner moi-même, et pas seulement cesser de publier ces maux, mais même les réparer, en les rétractant publiquement sitôt que j’en aurai été convaincue. Mais aussi longtemps que je ne sais pas quel mal j’ai fait, je ne m’en peux amender, pour ne le pas connaître. Et je peux toujours croire et supposer que mes écrits sont bons et salutaires, jusqu’à ce qu’il conste du contraire.
Et ce n’est pas assez qu’il vienne quelque homme passionné m’accuser à la justice en disant qu’il y a des erreurs et des blasphèmes contre Dieu en mes écrits. Mais il faut voir si son dire est véritable, et peser mes exceptions avec ses accusations dans la balance de la justice, pour donner le droit à qui il appartient : et si icelle trouve que j’ai tort, je veux bien être condamnée. Mais si ce Burchardus a tort, il ne devait poursuivre une si cruelle exécution contre moi, ni faire condamner mon innocence, sans me donner le temps de la faire paraître, ou du moins de la pouvoir disputer ou contredire aux mensonges.
Je ne sais positivement si ce Burchardus, ou quelque autre, a occasionné une exécution si rigoureuse : puisqu’il n’a encore plu à Votre Conseil de me déclarer qui sont mes accusateurs, et de quels crimes ils m’accusent, quoique je l’aie diverses fois demandé et supplié de le savoir, à fin de me pouvoir défendre contre iceux. Ce que je n’ai jusqu’à présent obtenu ; et ne parle que par supposition, en disant que ce Burchard est mon accusateur : à cause qu’il est bien à croire qu’il a eu cette hardiesse de m’aller accuser à la Justice, puisqu’il la prend bien de faire imprimer publiquement un livre rempli de mensonges si manifestes.
Car je ne crois point qu’il contienne en soi une seule chose qui soit véritable de tous les crimes desquels il m’accuse dans son Traité : lequel peut à juste titre être appelé le Témoignage de Mensonge, contredisant au Témoignage de Vérité, lequel depuis peu était mis au jour ; auquel livre il trouve tant à redire, qu’il ne s’en sait expliquer. Or s’il avait autant de témoins pour affirmer son dire être Véritable, comme il y en a de produits en ce Témoignage de Vérité pour vérifier que ma doctrine est bonne et qu’elle a fait de grandes opérations dans les âmes de plusieurs gens de bien, l’on pourrait mettre l’un et l’autre sur la balance pour juger qui a plus d’apparence de Vérité. Mais lorsqu’on voit que ce Burchard parle lui seul dans son livre, et ne vérifie pas une seule chose de ses allégations ; ne faisant que m’injurier et calomnier sans fondement, il doit être rejeté par impertinence et dénégation ; voire condamné à réparer les fautes qu’il a commises.
Je crois bien qu’il n’a pas demandé contre moi une exécution si rigoureuse, que de venir en la maison de mes amis, rompre les portes et les coffres tous en général, et faire montrer leur argent, emporter leurs Titres et papiers, avec les miens ; et faire une telle émotion en la Ville, que ç’a été un miracle de Dieu qu’on n’a pas tous été pillés et meurtris, à quoi cet Exploiteur de Justice Kirchman semblait tendre, en agaçant mes amis en toute chose pour leur donner occasion de lui faire quelque résistance : car il rompait et coupait toute chose, prenant tout en confusion, jetant les livres de haut en bas, quoique nos amis les voulaient avaler par le moyen d’une roue qui y était auprès ; et voulaient aussi tout pacquer en ordre ce qui était en confusion ; à quoi cet Exploiteur ne voulait nullement entendre, en cherchant matière de quereller à la moindre parole que mes amis lui disaient, les menaçant de les avoir à Gottorp, avec plusieurs autres insolences, en demandant s’ils voulaient aller contre l’ordre de son Altesse Sérénissime qu’il en serait fait ; et qu’il voulait répondre de son exploit vers ladite Altesse, mais qu’icelle Altesse en répondrait devant Dieu. Quoique lui-même n’ait nullement observé en cet exploit l’ordre de ladite Altesse, laquelle par l’ordonnance signée de la main de Votre Excellence, en qualité de Chef de la justice, avait seulement ordonné de lever la presse et ce qui y appartenait. Lesquelles choses mes amis lui voulaient donner aimablement, et le tout pacquer en sa présence. Mais lui comme un homme étourdi, rompait et coupait en confusion tout ce qu’il trouvait : afin de le donner en pillage au peuple, comme il a donné grande quantité de livres et papiers à qui bon lui a semblé sur les rues et ailleurs de part et d’autre, tout de même comme si mon bien aurait été confisqué et mis en sa puissance pour en disposer à sa fantaisie : quoique ce soit le bien d’autrui qu’il a ainsi détruit et ruiné sans aucun ordre. En sorte que je pense que s’il eût fait un semblable exploit en la Hollande, où mes amis ont quelque chose à dire, que ce Fiscal aurait fait par là son dernier exploit. Mais, comme étant ici des étrangers, il nous faut laisser la Justice à votre sage Conseil.
Je crois bien, dis-je, que ledit Burchardus n’a point fait faire à ce Fiscal tant d’excès ; mais je crois pourtant qu’il en a été la cause mouvante ; vu que sans accusateur, nuls Juges ne peuvent condamner personne, ne soit par des faux témoins, ou par contumace, ce qui n’est pas arrivé au cas présent, du moins que je le sache. Car je ne peux avoir été contumacée là où je m’ai toujours offert pour me défendre et pour réfuter les témoins, si aucuns il y en avait eu.
Mais s’il n’y a à ma charge autre chose que des calomnies et mensonges controuvés par ledit Burchard ou de ses semblables, on fera bien de me restituer au plus tôt tout ce qu’on m’a ôté et à mes amis, vu qu’ès Règles de droit il est dit : Mal prendre, bien rendre. Puisque je ferai voir par ce présent Traité que toutes ses accusations sont fausses et mensongères, sans aucune apparence de raison ; et qu’il a eu grand tort de m’attaquer de la sorte ; puisque je n’ai jamais mis un fétu en son chemin, ni parlé contre sa Religion en aucune façon.
S’il me savait prouver que j’aurais donné quelque scandale, ou aucuns de mes Amis, ou bien que nous tâcherions d’attirer le peuple à nous, ou de lui donner quelque mauvaise doctrine, ces Prédicants auraient eu quelque sujet de se plaindre de nous. Mais ils ont vu par l’information qu’on a tenue à Husum sur nos comportements, qu’un chacun témoin en a dit du bien, et qu’on a trouvé être faux les doutes qu’on avait eus que nous étions des sectateurs de nouvelle Religion, qu’on faisait des assemblées de nuit en la maison, et que j’y faisais la prédication. Sur quoi on a examiné aucunes personnes qui ont été ouïes en témoignage par devant ce Magistrat ; lesquelles me l’ont rapporté : ce qui m’a donné sujet de rire, entendant des interrogats sur des choses si frivoleuses et non véritables, dont jamais une chose semblable n’entra dans la pensée de nous tous. Car un chacun tâche seulement à perfectionner son âme, et de vivre en bon Chrétien, méprisant même toutes ces sectes et divisions qui sont maintenant en la Chrétienté. C’est bien loin d’en vouloir commencer des nouvelles.
Mais nous avons bien su qu’aucuns malveuillants ont voulu semer quelque chose de semblable : puisque diverses personnes sont venues de divers quartiers ici aux environs, pour se présenter à mes amis, tant à Husum qu’à Slesvicq, à fin d’être acceptées en leur compagnie, pour recevoir leurs doctrines. Ce que mes amis ont méprisé, et ont absolument déchassé ces personnes hors de leur logis, leur disant qu’ils n’avaient pas d’autre doctrine que celle de Jésus Christ, et qu’on leur avait fait entendre des mensonges en leur faisant croire que nous recevons des personnes pour prendre notre doctrine. Car en effet, je n’ai pas encor reçu une seule personne de ce pays dans notre compagnie, où il n’y a que celles qui sont venues de la Hollande, d’où j’en ai depuis refusé plusieurs qui se sont présentées, voire même d’y venir avec tous leurs biens.
En sorte que ces Prédicants Luthériens ont grand fort de me persécuter ainsi, sans que nous leur en donnions aucun sujet.
Je prie que Dieu leur pardonne si ce sont eux qui font courir ces bruits par tout le Pays, que nous cherchons des personnes pour les enrôler sous notre bannière, comme on fait les soldats pour aller à la guerre : vu que nous n’avons rien à guerroyer, ni à fortifier ; et ne cherchons autre force que celle qui est en la Vérité de Dieu, laquelle tous ces Prédicants, voire tout le Monde, ne pourront jamais ôter.
Mais si c’est cette Vérité seule qui leur déplaît en moi, ils ont une forte partie à combattre, qui ne branle jamais : puisque la Vérité est Dieu même avec sa toute-puissance. Ils la devraient doucement laisser opérer. Car si la Vérité que j’avance n’est pas de Dieu, elle se détruira assez d’elle-même : mais si elle est de Dieu, ils ne la peuvent empêcher : quoiqu’ils s’y opposent, elle emportera toujours la Victoire après avoir bien combattu.
C’est pourquoi que je ne sais comprendre pourquoi ces Prédicants sont si alarmés contre moi qui ne leur fais ou dis rien de mal à propos. Et qu’ils veulent induire la Justice à nous déchasser d’ici comme on ferait des malfaisants : puisque nous ne leur faisons aucuns dommages ou incommodités : pendant qu’ils souffrent bien tant d’ivrognes, de paillards et autres grands pécheurs. Ce qui me fait douter qu’ils me haïssent sans cause ; comme Jésus Christ disait de lui, que les Prêtres Pharisiens le haïssaient, parce que sa doctrine rendait témoignage que leurs œuvres étaient mauvaises. Et si ce Burchardus me hait aussi à cause que ma doctrine rend témoignage tacite que ses œuvres sont mauvaises, je ne le peux savoir. Car je n’ai jamais dit ouvertement que ses œuvres sont mauvaises, pour ne les avoir jamais connues en particulier auparavant qu’il m’ait haï sans cause. Mais je peux bien dire maintenant avec Vérité, qu’il a fait une œuvre mauvaise d’employer la Justice pour me faire condamner sur ses faux rapports ; et de louer Votre Excellence de ce qu’icelle m’a fait ainsi exécuter, en lui disant que Dieu le bénira et toute la famille pour ce sujet. En quoi il montre sa flatterie, et sa passion de vengeance contre moi. Car quel sujet de louange y peut-il avoir en ce qu’un Juge condamne une personne avant l’entendre en ses défenses ? Il y a en cela fort peu à louer : vu qu’on pourrait condamner de la sorte le plus saint homme du monde.
Mais ce Burchard croit d’avoir tellement la Justice de Gottorp en sa puissance, qu’il dit en la Dédicace de son livre à Votre Excellence, d’être assuré qu’icelle poursuivra cette exécution contre moi. En quoi j’espère qu’il sera un faux Prophète. Car il serait impossible que Votre Excellence irait avant à condamner mon innocence après l’avoir reconnue. Et il serait aussi impossible qu’elle voudrait déchasser des gens de bien hors du domaine de son Prince, s’il aime ses avantages.
Car quel profit ou honneur pourrait revenir à son Altesse Sérénissime, lorsque pour satisfaire à ces Prédicants elle nous aurait déchassé de son domaine, là où nous édifions les Manants par une bonne vie exemplaire, et leurs apportons du profit et du négoce, en dépensant ici notre argent ? et nous aurions aussi jà eu augmenté les digues en Nordstrand si les malveuillants ne nous l’eussent pas empêché.
En sorte que ladite Altesse Sérénissime ne peut avoir que des avantages en maintenant des semblables personnes sur son domaine : mais pourrait bien avoir la disgrâce de Dieu de les en déchasser, au lieu de sa bénédiction à les conserver vu qu’on lit en l’Écriture, que Dieu dit à Abraham qu’il pardonnerait aux cinq Villes de Sodome, Gomorrhe et autres, si dans icelles y étaient trouvés dix Justes. Comment n’épargnerait-il pas le Pays de Holstein si tant de Gens de bien et d’honorables familles y prenaient leurs Domiciles ?
Ce qui est bien à considérer, voire plus à estimer que la satisfaction qu’on donnerait à ces Prédicants en nous déchassant : ce qui n’apporterait profit pour le corps ni pour l’âme de personne, et ne serait aux avantages spirituels ni temporels de ladite Altesse Sérénissime, ni de tous ses manants.
Ce qu’étant bien balancé par Votre Excellence, j’espère qu’icelle se portera d’accorder mes justes demandes, avec plus de ferveur qu’elle n’a secondé les mauvais desseins de ce Burchard, par ses faux donner-à-entendre ; et qu’elle mettra les allégations de ce Burchard sur cette Pierre de Touche, laquelle je vous dédie, offre et présente, pour connaître si ses paroles dorées ne sont point de faux aloi. Ce qu’attendant je demeure
de Votre Excellence
Très humble Servante
Anthoinette Bourignon.
AU LECTEUR.
IL y a bien à s’étonner, Ami Lecteur, de voir au temps présent les personnes qui font profession d’enseigner la Vérité de Dieu s’opposer et résister à icelle de toutes leurs forces, lorsqu’icelle vérité ne leur apporte pas d’honneur et de profit temporel ; ou bien que la vérité est annoncée par autre que par ceux qui seuls veulent avoir l’honneur de ce faire. Car sitôt qu’ils sont placés en quelques états ou dignités, ils veulent dominer dessus tout, et ne peuvent souffrir qu’il y aurait quelqu’un pour les devancer en la vertu et en la doctrine. Car ils sont possédés d’un tel Esprit de jalousie, qu’ils voudraient bien exterminer tout ce qu’ils craignent qui serait plus estimé que ce qu’eux disent ou font. Ce qui paraît clairement ès actions de ce Prédicant BURCHARD, lequel est tellement troublé et inquiété en sa conscience, qu’il ne peut dormir à repos en sachant qu’il y a ici une fille qui compose des livres sans lui en demander la permission. Pour cela voudrait-il bien la faire mourir, et brûler tous ses écrits, afin qu’iceux ne viendraient plus au jour, s’il était en son pouvoir ; et appelle à son secours son Altesse Sérénissime le Duc d’Holstein avec son Conseil, et la Justice, pour être par eux secondé en ses mauvais desseins ; leur persuadant de croire qu’il y a des erreurs en mes écrits, et des blasphèmes contre Dieu. Et pour tant mieux persuader cela à tout le monde, il a fait imprimer un livre lequel il appelle Profondes Remarques Chrétiennes sur les Erreurs et Blasphèmes contre Dieu trouvés ès écrits d’Anthoinette Bourignon etc., imprimé à Slesvicq l’an 1674. Par lequel livre il veut faire entendre à tout le monde que je suis en des erreurs ; et que je blasphème contre Dieu ; que je rejette les mérites de Jésus Christ ; et que je veux détruire toute la Chrétienté ; avec plusieurs autres maux qu’il s’est imaginé y avoir en mes écrits par son ignorance, ou par pure malice. Car je ferai voir en ce présent Traité aussi clair que le Soleil que tous les maux desquels il m’accuse sont en lui-même et que je n’enseigne rien en mes écrits qui ne soit conforme à la Sainte Écriture ; et que ma doctrine est la même que celle qu’a enseignée Jésus Christ et ses Apôtres en étant sur la Terre ; que je déteste toute sorte d’hérésies ; que j’estime plus les Mérites de Jésus Christ que ne font aucunes personnes sur la Terre ; lequel Jésus Christ je reconnais pour vrai Dieu et aussi vrai Homme, le Sauveur et Rédempteur de tout le monde ; que j’honore la très Sainte Trinité en un seul Dieu, etc. Et que ce Burchard méprise toutes ces choses, par les propres allégations qu’il cite dans ledit Traité qu’il a composé contre moi ; et que lui-même est dans des grandes erreurs, des mensonges, et des blasphèmes contre Dieu. Ce que je montrerai, point par des Histoires foraines (comme il raconte ce qu’autres personnes ont fait, pour m’appliquer les fautes ou erreurs des autres), mais par des Vérités Chrétiennes et des vives raisons fondamentales, prouvées par son propre dire. Ce que je prie le Lecteur de bien remarquer, et ne se point laisser embrouiller l’esprit des fantômes de discours controuvés de ce Burchard, qui ne tâche que d’épouvanter les esprits efféminés, en leur faisant voir par un faux visage comme si j’étais une errante, et blasphématrice contre Dieu ; quoiqu’en effet je suis la très humble et fidèle Servante de Dieu : ce qui est assez prouvé par LE TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, auquel tant de personnes diverses (qui m’ont connue dès ma jeunesse) ont affirmé qu’en toute ma vie j’ai suivi la véritable vertu ; et que j’ai aussi reçu à ces fins des grâces particulières de Dieu.
Mais il semble que cela même a planté la jalousie au cœur de ce Burchard, et qu’il ne peut souffrir que l’on dise que j’ai reçu plus de grâces de Dieu que lui. De quoi il ne se faut étonner, puisqu’il vit encor selon les mouvements de sa Nature corrompue. Car le proverbe dit : Jamais honneur sans jalousie. Et il n’y peut avoir rien plus honorable que la vertu et les grâces particulières qu’une personne reçoit de Dieu. Et si ce Burchard n’a rien de cela, il faut qu’il crève de défait de voir qu’une simple fillette, comme je suis, reçoit des grâces particulières de Dieu. Et il faut néanmoins qu’il en ait la patience ; parce que Dieu est un Maître, à qui il ne peut donner nulles Lois.
Je ne connais pas ce Burchard, et n’ai jamais ouï parler de lui auparavant qu’il m’eût attaqué : mais j’ai bien pu voir, par le Traité qu’il a composé contre moi, que c’est un homme passionné et fort opiniâtre à soutenir ce qu’il a en sa fantaisie ; et qu’il est fort agissant pour chercher et trouver des choses qui favorisent ses entreprises. Car il a ramassé dans son dit livre presque toutes les Histoires des personnes à qui on a voulu donner le nom d’hérétiques, pour me les appliquer, et conclure que plusieurs d’icelles ont été brûlées, ou autrement mises à mort ; et partant qu’on doit faire le même de moi. Par où se voit la cruauté de son âme ; et comment il est homicide devant Dieu ; lequel a dit en ses commandements : Tu ne tueras point. Sans excepter même le méchant hors du bon.
Comment donc cet Historien peut-il souhaiter qu’on me ferait mourir, sans enfreindre les commandements de Dieu ? et pas seulement de simples souhaits ; mais inciter aussi de tout son pouvoir les Supérieurs et la Justice à ce faire, par un pur esprit de vengeance, sans lui en avoir jamais donné aucune occasion ?
Car je n’ai jamais parlé contre les Luthériens, et ne sais pas encore aujourd’hui en quoi ils errent, ni en quoi ils sont fondés, et ne m’en veux pas aussi enquérir ; vu que cela ne me touche. Et partant je ne peux avoir parlé contre sa Religion en particulier : ne soit que je puisse avoir dit en général que des choses soient mauvaises lesquelles ils estiment pour bonnes. Et cela me doit être pardonné, puisque Dieu m’enseigne de toujours parler Vérité, et dit que la langue qui ment, tue son âme.
Et si ce Burchard a pris pour soi ou pour sa Religion les Vérités que j’ai dites en général, c’est signe qu’il se trouve coupable des maux que j’ai repris par mes écrits, lesquels ne sont pas repris pour les Luthériens en particulier, mais pour tous ceux qui font les mêmes maux. Et si lui en son particulier s’en trouve grevé, il les doit corriger : sans procurer qu’on fasse mourir la personne qui les découvre.
Il faut bien dire que j’ai déclaré par mes écrits quelque chose qui touche sa personne en particulier, et non pas sa Religion en général : car autrement les autres Prédicants ses confrères se seraient joints avec lui pour écrire contre moi. Mais je crois qu’ils sont plus sages, et qu’ils ne veulent point avoir part à la confusion des mensonges qu’il a allégués en son Traité. Et s’ils sont de bon jugement, ils voient bien que je ne peux avoir des Hérésies en enseignant la Doctrine de Jésus Christ, et induisant un chacun à faire ce qu’il nous a enseigné, et à aimer Dieu de tout son cœur, à être débonnaire, pauvre d’Esprit et humble de cœur : puisque toutes ces choses sont trop bonnes. Mais si entre icelles j’ai écrit quelque chose contre la Doctrine de Luther, je ne le peux savoir : pour n’avoir jamais rien lu de qu’il a écrit, ni m’informé de ce qu’il a enseigné. Car je n’ai jamais conversé avec les Luthériens. Et partant ces Prédicants n’ont point eu sujet d’être mal contents que j’attirerais de leur Peuple : puisqu’en trois ans que je suis ici je n’ai fait connaissance avec un seul Luthérien. Et je ne cherche et ne reprends aussi personne sinon ceux qui premièrement m’attaquent, comme a fait ce Burchard et ses semblables, lesquels ne connaissent pas la vertu de Dieu, ni la force de la Vérité qu’il m’enseigne, et ils m’attaquent ainsi à l’aveugle sans aucune raison. Car je me comporte bien, et ne donne scandale à personne, et ne dis ou fais aucune chose qui soit digne de répréhension.
Et on ne saurait trouver d’autres raisons pourquoi ces Prédicants me veulent attaquer, sinon qu’ils doivent avoir une mauvaise conscience, laquelle s’émeut au moindre bruit qu’ils entendent qu’on veut toucher leurs Avarices, leurs Superbes, ou Autorités. Lesquelles choses je blâme extrêmement en des personnes qui tiennent ici la place de Dieu. Et si c’est pour ce sujet que ce Burchard ou autres me persécutent, je m’en veux réjouir, selon le conseil de Jésus Christ, qui dit : Éjouissez-vous en ce temps-là, quand les hommes diront mal de vous, en mentant à cause de moi, etc.
Car je n’ai fait autre mal que publier la Doctrine Évangélique et mépriser les péchés des hommes méchants. Et celui qui ne s’en trouve coupable ne doit pas tirer le fait à soi, ni dire du mal de moi en mentant, comme fait ce Burchard par son Traité, lequel mériterait plutôt d’être brûlé que ne sont mes livres : vu que le sien est dans le mensonge, et les miens dans la Vérité, laquelle il ne peut jamais faire changer, quoi qu’il écrive ou imprime, et que tous les Luthériens se joindraient ensemble, voire tout le monde, jamais on ne peut faire changer la vérité, puisqu’elle est Dieu même. Et partant c’est en vain qu’on se bande ainsi contre moi, parce que j’ai parlé vérité.
Car encore bien qu’on me brûlerait selon le désir de mes adversaires, les cendres de mon corps voleraient bien par tout le monde pour déclarer les Vérités de Dieu aux Juifs, Turcs, et Païens, lorsque les Chrétiens ne la voudraient plus recevoir. Et s’il n’y avait plus personne dans le Monde pour la déclarer aux hommes, Dieu ferait parler les pierres et les métaux pour l’annoncer, bien que ce serait contre le gré de tous les Prêtres du Monde, lesquels n’ont point de pouvoir pour résister à son bras tout-puissant. Ce qui a bien paru du temps d’Élie, auquel quatre cents et cinquante Prêtres, le Peuple et le Roi, résistaient tous à la Vérité ; et qu’Élie seul était celui qui la maintenait à l’honneur de Dieu. Mais lorsqu’on en a voulu faire la preuve, pour voir qui servait le vrai Dieu, il fit tomber le feu du Ciel sur l’offrande qu’Élie avait préparée, et point sur celles des faux Prêtres de Baal, nonobstant qu’ils étaient si puissants parmi les hommes, et qu’ils criaient et priaient à Dieu de toutes leurs forces.
Qui peut douter que Dieu n’en fera maintenant de même en mon regard : puisque je soutiens sa Vérité, et que je sers le même Dieu que servait Élie : quoique ce Burchard soutienne par son Traité le contraire, comme ces faux Prêtres soutenaient aussi d’Élie, en disant qu’eux servaient le vrai Dieu.
Ce qu’on pourra voir par cette Pierre de Touche, laquelle je présente à tous hommes de bonne volonté, lesquels sont désintéressés, et non partials : à fin qu’iceux puissent voir lequel de nous deux sert le vrai Dieu, Burchard ou moi. Point par des miracles extérieurs, tels que de faire descendre le feu du Ciel, comme au temps d’Élie, parce que de semblables signes ne sont plus nécessaires depuis que notre Foi est assez confirmée ; mais par des Vérités si solides qu’elles pénétreront les cœurs et les esprits des hommes de bon jugement, et feront brèche à leurs âmes pour découvrir le mensonge hors de la Vérité, de l’Or de la vraie Charité hors du Métal de la Charité apparente. Ce que je souhaite que fassiez pour le bien éternel de votre salut. Quoi faisant je demeure
AMI LECTEUR
Votre bien humble Servante.
Anthoinette Bourignon.
AVIS
Sur la
PROFESSION de FOI,
et sur le
Catalogue des Livres imprimés
de Madlle.
ANTHOINETTE BOURIGNON.
MON CHER LECTEUR,
DEUX sortes de personnes m’obligent de mettre à la tête de tous les Livres de Mademlle Bourignon la Profession publique de sa Foi et de sa Religion qu’elle a présentée ouvertement à la Cour de Gottorp en Holstein, et d’y joindre le Catalogue de ceux de ses Écrits qui sont imprimés jusques à présent. Car comme l’on sème presque partout beaucoup de discours à son désavantage, beaucoup de monde (et presque tous) y ajoutent foi facilement et sans examen, surtout lorsque cela vient des gens d’Église, à la parole desquels le peuple s’arrête, pensant que des personnes si Saintes et Spirituelles ne voudraient pas mentir. Ainsi l’on ne veut pas prendre la peine de s’informer plus outre si ce que ces Messieurs débitent contre Madlle Bourignon est véritable, ni de voir les pièces nécessaires pour porter un jugement de cette conséquence, sur lequel on se laisse souvent emporter à des actions qui pourraient bien être le sujet d’une repentance éternelle. Afin donc que ces Personnes qui ne veulent pas prendre la peine de s’informer en détail de la Vérité par la lecture des livres de cette Demoiselle, puissent avoir de quoi en faire un jugement certain, ils verront ici en cinq ou six lignes de sa Confession tout l’Abrégé et le Fondement de toute sa Doctrine et de sa Vie, et apprendront par là à ne pas si facilement croire aux mensonges publics, inventés même par des Prêtres Luthériens et autres, et débités tant par leurs écrits et livres, que par leurs paroles et leurs Prêches, par lesquels ils décrient cette personne, ses amis, la Doctrine, comme des impies, ou des Personnes de quelque Religion nouvelle, errante, et fantasque, afin d’en donner de l’horreur au menu peuple qui se laisse détourner par ce moyen de la connaissance de la Vérité salutaire, au dommage de leurs propres âmes, lesquelles ils blessent fort par des jugements téméraires et faux, et par des passions étranges à quoi ces Calomniateurs les disposent, jusques là que de refuser souvent les devoirs communs de l’humanité à des gens de bien qui ne cherchent que de plaire à Dieu.
Mais comme il y a encore des personnes plus posées et circonspectes, qui tâchent de régler leurs jugements et leur conduite par la connaissance particulière de la Vérité, si seulement ils savaient par quels moyens s’en informer ; c’est en leur faveur que j’ai joint le Catalogue des livres imprimés de cette Demoiselle, où j’ai marqué en deux ou trois mots les principales matières dont ils traitent. Je ne dis rien de ses manuscrits, qui ne sont pas encore imprimés, sinon qu’ils le seront lorsque l’occasion le permettra, et que n’étant ni moindres en nombre, ni inférieurs en dignité à ceux qui ont commencé à paraître, ils ne peuvent tous ensemble que frapper bien fort le cœur des Lecteurs bien disposés, pour les faire retourner à leur Dieu. Cependant, agréez, Lecteur mon cher Ami, que je vous avertisse de ne pas apporter à leur Lecture un Esprit élevé de Maître et de Censeur. Dieu n’a que faire ni de Maître, ni de Sages. Il ne demande que des Enfants et des humbles Disciples. Ne rejetez pas les choses, et surtout celles qui concernent la grandeur de la corruption et des ténèbres des hommes, pour surprenantes qu’elles paraissent d’abord. Si elles semblent incroyables, il n’en est pas ainsi devant Dieu, à qui les choses sont bien autres qu’elles ne sont à nos yeux obscurcis. La Vérité est tout autre aux yeux du nouvel Adam qu’à ceux du vieux ; et l’on est autant hors de sa connaissance et de sa possession, qu’on est hors de l’imitation de Jésus Christ. Tâchez de pratiquer ce dont on ne peut douter qu’il ne soit bon et véritable. Ce que vous ne pouvez entendre, laissez-le là : Dieu le vous fera connaître lorsqu’il vous sera salutaire si vous demeurez fidèle à ce que vous savez déjà. Laissez les choses incidentes, et allez au but unique et principal, qui est connaître votre corruption, y mourir, et revivre par la vie de Jésus Christ dans l’Amour de Dieu et la Pratique de ses Divines Lois, qui sont gravées dans ces saints écrits avec autant de clarté, que de réalité dans l’âme Chrétienne dont Dieu se sert pour nous les renouveler, et qu’il veuille aussi imprimer miséricordieusement dans la nôtre. Amen.
P. P.
PROFESSION
DE
FOI et de RELIGION,
Faite publiquement par
Damlle ANTHOINETTE BOURIGNON.
Sur les doutes qu’on pourrait avoir de sa Croyance et de sa Religion.
I.
JE suis Chrétienne ; et je crois tout ce qu’un vrai Chrétien doit croire.
II.
Je suis baptisée dans l’Église Catholique, au Nom du Père, au Nom du Fils, au Nom du Saint Esprit.
III.
Je crois les douze Articles du Credo, ou le Symbole des Apôtres ; et ne doute en aucun Article d’icelui.
IV.
Je crois que Jésus Christ est vrai Dieu, et qu’il est aussi vrai Homme ; Et qu’il est le Sauveur et Rédempteur du Monde.
V.
Je crois en l’Évangile ; aux Ss Prophètes ; et en toute la S. Écriture, tant le Vieux que le Nouveau Testament.
Et je veux vivre et mourir en tous les points de cette Croyance. Ce que je proteste devant Dieu et les hommes, à tous ceux qu’il appartiendra.
Et foi de quoi, j’ai signé cette mienne Confession de ma main, et cachette de mon Cachet. En Slesvicq l’11 de Mars 1675.
Était cacheté, et soussigné
Anthoinette Bourignon.
CATALOGUE,
Des
Livres imprimés,
Composés par Madlle
ANTHOINETTE BOURIGNON,
Née en la Ville de Lisle en Flandres.
I.
LA lumière née en Ténèbres, divisée en quatre parties, qui sont pleines de doctrines et d’instructions salutaires générales et particulières, tant Divines que morales, de Théorie et de Pratique, propres à ouvrir les yeux et à toucher le cœur des hommes de bonne volonté, afin de les disposer à rechercher Dieu et sa vérité, et à changer leurs mauvaises vies pour embrasser une vie nouvelle selon Dieu. En Français et en Flamand.
II.
Le Tombeau de la fausse Théologie exterminée par la véritable venant du S. Esprit. Divisé en quatre parties. Il y est traité de plusieurs matières doctrinales que l’on avait la plupart proposées à Madlle A. B. par manière d’opposition et pour lui contredire. L’on y voit comment les Sages, par le moyen de leurs études, sont déchus de la simple, solide, vivante et efficace vérité de Dieu, et de la vraie vertu Chrétienne ; et qu’ils ont changé le véritable Christianisme en un Christianisme disputeur et pointilleux, hypocritique et vicieux, et tel que l’Église de Laodicée, malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu : pendant qu’il se dit riche en vertu, et n’avoir faute de rien en connaissance. En Français et Flamand.
III.
L’Innocence reconnue et la vérité découvertes etc. Première Partie. Où l’on voit par un exemple vivant la haine et cruauté que les Prêtres mêmes exercent sur leurs propres Confrères qui ne veulent condescendre à leur conduite, mais se retirer de la corruption du Monde, les faisant alors trahir, emprisonner et souffrir jusqu’à la mort. En Français.
Avec une Lettre à un Père de l’Oratoire sur le même sujet. En Français et Flamand.
IV.
La Lumière du Monde. Divisée en trois parties, dont la seule Ire est imprimée. Il y est traité de ce que l’Église Chrétienne et le culte Divin sont tout-déchus et devenus tout-extérieurs, terrestres et charnels ; et que cela a attiré les derniers fléaux de Dieu ; et comment il est aussi possible que nécessaire d’aimer, de chercher, de trouver, de posséder et d’adorer Dieu en Esprit et Vérité. En Français et en Flamand.
V.
Avertissement contre les Trembleurs, opposé à un libelle diffamatoire de cette Secte contre A. B. Par où l’on montre que cette Secte n’a pas la lumière du S. Esprit, et dans lequel leurs erreurs et fantaisies sont parfaitement ruinées. Il y est prouvé solidement et à fond que l’on doit obéir selon Dieu à toute sorte de Magistrats et de Supérieurs, et qu’il faut observer des bons règlements dans l’État Politique, dans l’Ecclésiastique et dans la vie commune. L’on y découvre aussi les qualités que doit avoir une personne vraiment régénérée et illuminée de Dieu. En Flamand.
VI.
Le Témoignage de Vérité. Où sont rapportées les dépositions publiques de plusieurs personnes dignes de foi sur la vie et les mœurs de ladite Demoiselle, qu’ils affirment avec serment avoir vécu dès son Enfance d’une manière extraordinairement vertueuse et exemplaire. L’on y a encore ajouté plusieurs autres témoignages, pour confondre les mensonges et les calomnies qu’on avait publiés contre sa personne et ses écrits. Il y est aussi traité de ce que les Chrétiens ont mal-fait de faire des divisions entre eux, prétextant quelques irrégularités dans quelques cérémonies et opinions particulières et non-essentielles à l’Amour de Dieu, pendant qu’ils ont excédé par opposition, et négligé leur propre régénération et le renoncement à eux-mêmes. Item, de la véritable et de la fausse application des Mérites de Jésus Christ. Que les Commandements de Dieu ne sont pas une charge, mais des aimables effets de son Amour et de son soin Paternel ; et qu’il est nécessaire, facile et agréable de les observer pour être sauvé. Contre la Prédestination personnelle. De la Création glorieuse d’Adam : de sa chute, avant laquelle Jésus Christ a tiré de lui un corps pour soi : et de plusieurs autres divins mystères inconnus jusqu’à présent. En Allemand et bientôt en Flamand.
VII.
Traité admirable de la solide Vertu. Première partie. Où l’on voit qu’on la doit apprendre par la douceur et l’humilité de Jésus Christ, lesquelles nous montrant notre néant, nous font mortifier notre nature corrompue pour revivre à l’Amour de Dieu. L’on y découvre aussi tous les artifices par lesquels le Diable nous veut empêcher et retarder dans le progrès de la vraie vertu. En Français, Flamand, Latin et Allemand.
VIII.
La Pierre de Touche. Qui montre comment il faut examiner la validité des Docteurs et Conducteurs des Âmes, et celle de leurs doctrines, sur la Pierre de Touche de la Charité ou de l’Amour de Dieu. L’on y voit la réfutation des abominables mensonges et calomnies que l’on a inventés pour avoir prétexte de diffamer et persécuter à mort cette Demoiselle, comme si elle niait la Sainte Trinité, la Divinité Éternelle de Jésus Christ, ses Saints Mérites, et comme si elle voulait renverser toute la Religion Chrétienne : et semblables faussetés horribles qu’on lui a imputées. L’on y voit aussi comment et pourquoi Dieu a créé l’homme ; quels soins il a eu de le relever de la chute : comment les hommes sont sauvés par les Mérites de Jésus Christ en observant ses commandements. Item, de la décadence de l’Église Chrétienne : et que Dieu veut la rétablir sur la terre avant la fin du monde, et commencer dès à présent ce sien œuvre. En Français, en Allemand, et en Latin.
IX.
Traité admirable de la solide Vertu. Deuxième Partie. Où il est montré que pour atteindre à la Vraie Vertu il faut : I. Abandonner le Monde et ne se plus conformer à lui. II. Abandonner la convoitise, par une totale mortification de la Nature corrompue, en se contentant du simple nécessaire et du moindre en toutes choses. III. Abandonner et renoncer sa propre volonté, tant grands que petits, irrégénérés que régénérés ; et la combattre jusques à la mort ainsi qu’a fait Jésus Christ même, venant nous montrer par lui-même en sa propre personne comment, en le suivant et faisant comme lui, nous pourrons trouver la voie de sortir hors de nos ordures pour être réunis à Dieu. En Français, Flamand, et Allemand.
X.
L’Aveuglement des hommes de maintenant. Première Partie. Traité Apologétique à l’occasion des médisances semées contre les comportements de Madlle A. B. Où l’on voit par des exemples vivants comment la Nature corrompue s’aveugle elle-même et est artificieuse pour se dissimuler à soi et aux autres ses défauts, les excuser et défendre par toutes sortes de prétextes, même saints en apparence, ne voulant en être reprise, mais les rejetant plutôt sur autrui et en accusant les autres, pendant qu’elle fait tout mal-à-propos, et que même elle veut se décharger du devoir de renoncer à soi-même et de se changer. Tous ses prétextes y sont réfutés, et principalement ceux qu’elle tire de ce que Jésus Christ a tout agi et pâti pour les hommes, et qu’eux sont trop fragiles pour observer les commandements de Dieu. En Français et en Flamand.
XI.
Le Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Première Partie. Où sont proposées par des lumières divinement convaincantes et tout extraordinaires les grandes et fondamentales Vérités de la vraie Religion Chrétienne, du Tout de Dieu, du Néant de l’Homme, de sa Liberté, de la Fin de sa Création, de la Gloire où il a été créé, des Misères où il est tombé, de sa Corruption, de sa Restauration, de la grandeur de la Charité de Jésus Christ, et de celle de ses Mérites par lesquels il a racheté les hommes Trois fois de trois grandes rébellions universelles, venant nous offrir à présent une troisième et dernière Rédemption par le Renouvellement de son Esprit Évangélique. Et à ce sujet il est montré combien profonde est l’incroyable corruption de notre nature et de notre méchant cœur, et combien il est nécessaire de les combattre et vaincre si l’on ne veut se damner éternellement. En Français, Flamand, Latin, et Allemand.
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Abrégé et Table des matières
De cette
PIERRE DE TOUCHE.
TITRE I.
Charité, épreuve des Esprits.
Article I. La lumière est insupportable aux méchants.
II. La Charité recommande la Vérité.
III. Motif et But du libelle de Burchardus.
IV. Son procédé n’est pas Chrétien.
V. La Calomnie cherche prise sur la Doctrine, n’en trouvant sur la vie.
VI. Réjection des calomnies de Burchardus. A. B. ne nie ni les Mérites de J. C. ni sa Divinité, ni la Sainte Trinité.
VII. Les méchants font ce qu’ils condamnent. Manière de vaincre le Diable.
VIII. Œuvres des méchants n’ont ni science, ni vertu.
IX. Ils blâment ce qui est honorable.
X. Les desseins des méchants ne réussissent qu’à leur confusion. Matière de cet ouvrage.
XI. L’on ne permet à la Vérité attaquée de se défendre.
XII. Approbateurs et Improbateurs des écrits d’A. B.
XIII. Pourquoi plusieurs n’approuvent ni ne désapprouvent absolument les écrits d’A. B.
XIV. Génie et manière d’agir d’un Prêtre de ce temps, et de ses semblables.
XV. Violence opiniâtre de ce Prêtre en ses persécutions. Son zèle faux et ignorant.
XVI. Ce que les Prêtres appellent Hérésie. Écrits d’A. B. s’expliquent l’un l’autre.
XVII. Burchardus plus âpre que les autres ennemis d’A. B. Il lui impute ce qu’elle nie.
XVIII. Les Persécutions sous prétexte de Religion sont injustes et contre le PRINCIPE NATUREL de ne faire à autrui que ce que l’on veut être fait à soi-même.
XIX. Jugement impartial d’A. B. touchant les Religions. Leurs Confusions.
XX. Chrétiens cruels renient le Christianisme en se persécutant les uns les autres pour des opinions.
XXI. Fragilité des opinions des hommes.
XXII. Les Prêtres comme Burchardus aiment mieux persécuter la Vérité que de s’en bien informer.
XXIII. Informations Juridiques d’A. B. prouvent son innocence. Pourquoi Burchardus se prend à ses lumières.
XXIV. Le S. Esprit se déclare par A. B. Vanités des Sermons de Saint Burchardus.
XXV. Zèle excessif et indiscret de Burchardus contre la vérité.
XXVI. Magister Burchardus ne cherche, ni plusieurs aussi, la gloire de Dieu. Source des Sectes.
XXVII. Ce que c’est que Religion, Église, Secte.
XXVIII. La Chrétienté devenue Babel.
XXIX. Dieu fait connaître et expérimenter à A. B. le mal et le bien de toutes les Religions.
XXX. Il faut aimer les gens de bien sans égard aux Sectes.
(2) Examen et rareté de la Charité.
XXXI. Examen de la Charité. Tous la prétextent : Peu l’ont.
XXXII. La CHARITÉ ne consiste dans les œuvres extérieures. Ses vraies Propriétés.
XXXIII. Nécessité d’observer ces marques dans l’examen.
XXXIV. Actions et sentiments d’A. B. et de Burchardus examinés sur la Pierre de Touche de la CHARITÉ.
XXXV. Bonnes qualités de Saint Burchardus.
XXXVI. Démonstration que Burchardus est sans Charité. Et qu’ainsi son procédé est faux et trompeur.
XXXVII. Il est impatient, cruel, et envieux.
XXXVIII. Il est insolent, enflé, cherchant son propre, dépiteux, songe-malice.
XXXIX. Il s’éjouit de l’injustice en l’exécution contre A. B. S’attriste de la Vérité. Ne souffre, ne croit, et n’espère le bien.
XL. Il craint la décadence de sa Religion.
XLI. Ce qui est fondé en la Charité ne déchoit jamais.
XLII. Burchardus destitué de Charité veut tout affermir par violence.
XLIII. A. B. soumet ses écrits à l’examen.
XLIV. Preuves de la Charité d’A. B. et de ses Amis dans l’injuste exécution contre eux.
XLV. La Charité s’affermit par les Persécutions.
XLVI. Incapacité de ces Prêtres à éprouver la Charité, et tout par elle.
XLVII. Preuve de leur incapacité par leurs actions.
XLVIII. Les Méchants calomnient confusément.
XLIX. Ce que c’est qu’Hérésie et être hérétique.
L. Procédé inique des Prêtres modernes. Procédé d’A. B. contraire.
LI. Pour bien déclarer la Vérité, il en faut chercher la source, et non déchirer les Écritures par disputes.
(3) Des Mérites de Jésus Christ.
LII. L’on déchire les Écritures pour se flatter par les Mérites de J. C.
LIII. Jésus Christ n’a intercédé ni mérité pour les pécheurs continuants.
LIV. L’on flatte les Mondains avec les Mérites de Jésus Christ.
LV. Les Prêtres mutilent les Écritures pour flatter.
LVI. Fausse Idée de la Conversion. Nécessité de la Pénitence.
LVII. Les Commandements de Dieu sont utiles et nécessaires.
LVIII. Pourquoi Dieu a envoyé son Fils. Comment il est vrai Dieu et vrai homme.
LIX. Dieu n’abandonne point les hommes comme eux l’ont abandonné.
LX. Jésus Christ est le Sauveur de tout le Monde, quoique tout le Monde ne soit pas sauvé.
LXI. Dieu sauve tous de sa part. Tous ne veulent être sauvés.
LXII. Croire sans œuvres est inutile.
LXIII. L’ignorance de la fin pour quoi Jésus Christ est venu, est une source d’erreurs mortelles.
LXIV. Recherche des choses en leur source.
(4) Pourquoi Dieu a créé l’homme.
LXV. Dieu n’a besoin de l’homme. Il le crée pour l’AMOUR.
LXVI. Les Anges créés pour l’Amour Divin. Leur chute.
LXVII. L’homme pourquoi créé un peu moindre que l’Ange. Il tombe comme lui.
LXVIII. Ce que c’est que le péché.
LXIX. Homme créé sans Commandements. Qui sont donnés pour le péché. Dieu n’en a besoin.
(5) Commandements pourquoi donnés.
LXX. La Bonté de Dieu rappelle les hommes par ses commandements à la fin de leur création, à savoir, à son AMOUR.
LXXI. Ordonnances données à Adam sont des bénéfices de Dieu pour retourner à sa fin.
LXXII. Pourquoi Dieu a donné toutes les Lois Mosaïques.
LXXIII. Pourquoi Jésus Christ est venu sur la terre.
LXXIV. Tout ce que Jésus Christ a fait au Monde est pour nous ramener à l’AMOUR DE DIEU.
(6) J. Christ pourquoi venu sur la Terre.
LXXV. Le but des Prophètes et de la Venue de Jésus Christ. Il est anéanti par les Docteurs d’à présent.
LXXVI. Ignorance des conduites de Dieu vers l’homme, source de mal. Elles sont comme d’un Médecin vers un malade.
LXXVII. But des actions et passions de J. Christ. L’Imitation seule nous les rend utiles.
LXXVIII. Jésus Christ n’a pas souffert pour nous décharger de souffrir : mais pour nous y engager.
(7) Docteurs opposés aux desseins de J. C.
LXXIX. Docteurs opposés à Jésus Christ.
LXXX. Docteurs Flatteurs et Hypocrites d’à présent.
LXXXI. Antéchrists. Nouveaux Sauveurs. Faux Prophètes.
(8) Docteurs opposés aux Envoyés de Dieu.
LXXXII. A. B. secondant les desseins de Jésus Christ est persécutée des Prêtres d’à présent.
LXXXIII. Protestation suffisante d’A. B.
LXXXIV. Diverses informations Juridiques contre A. B.
LXXXV. Les Prêtres persécutent les bons sous des prétextes de doctrine mauvaise.
LXXXVI. Prêtres d’à présent imitent les Blasphèmes des Pharisiens.
LXXXVII. Examen d’une doctrine de Burchardus et d’une d’A. B. sur la Pierre de Touche.
LXXXVIII. Assurance dans l’Imitation de J. C. Incertitude et malheur hors d’elle.
LXXXIX. Bonheur temporel et éternel des Imitateurs de Jésus Christ.
XC. Satisfaction de J. Ch. au sens et en l’application qu’on en fait aux mondains, les trompera.
XCI. Ce que c’est qu’erreur ou Hérésie, et Blasphème.
XCII. Doctrine d’A. B. ramenant à la fin de la Création, à l’Amour et à la louange de Dieu, ne peut être Hérétique ni Blasphématrice.
(9) Perfection d’Adam.
XCIII. Preuves de cela en quelques-unes. De la perfection d’Adam.
(10) Jésus Christ né d’Adam parfait.
XCIV. Jésus Christ est né d’Adam avant tous les autres hommes.
XCV. Pourquoi Dieu s’est tiré un corps hors d’Adam.
XCVI. Imposture Diabolique de Burchardus contre Madlle A. B. comme si elle niait la Divinité de Jésus Christ, qu’elle confesse très formellement.
XCVII. Dieu communique extérieurement avec les hommes par le corps de Jésus Christ.
XCVIII. Blasphèmes des ignorants contre ces Adorables Mystères. Doctrine des Sociniens renversée.
XCIX. Piété d’A. B. et de sa Doctrine.
C. L’ignorance du motif des choses et l’attache aux opinions rendent les Prêtres des Persécuteurs de tout bien.
CI. Comment l’homme créé en gloire est devenu comme une bête corruptible (Ps. 49. v. 13.). Jésus Christ vrai Dieu.
(11) Doctrines modernes Blasphématrices et Hérétiques.
CII. Démonstration que Magister Burchardus enseigne des Blasphèmes et des Hérésies.
CIII. Burchardus errant en blasphémant ne peut prouver le même d’A. B. par des fondements solides.
CIV. Doctrine moderne des Mérites et de la Satisfaction de Jésus Christ examinée sur la Pierre de Touche de l’AMOUR DE DIEU.
CV. Jésus Christ n’a pas satisfait pour suppléer au manquement d’obéissance à ses commandements.
CVI. La conduite des Prophètes et des Apôtres condamne celle d’à présent.
CVII. Différence des Chrétiens d’autrefois et de ceux d’à présent.
CVIII. Pénitence fantastique et bestiale des hommes.
CIX. Deux Paradis incompatibles.
CX. Comment Jésus Christ a choisi le meilleur en ce Monde.
CXI. Justice, Vérité, et Bonté de Dieu inséparables dans la Rédemption de l’homme.
(12) De la S. Trinité.
CXII. Rédemption, sujet de parler de la S. Trinité.
CXIII. Il n’y a point en Dieu de personnes à la façon des créatures. Justice, Vérité et Bonté peuvent être prises personnellement, et marquent mieux la S. Trinité que tout autre emblème.
CXIV. Que la Très-Sainte Trinité est incompréhensible.
CXV. L’on n’est pas coupable de ne pas savoir ce que l’on confesse incompréhensible, ni d’en déclarer quelques conceptions utiles.
CXVI. Manières vulgaires dont on exprime la Sainte Trinité, et celles d’A. B. mises sur la Pierre de Touche.
CXVII. Il n’y a en Dieu nulles personnes individuelles à la façon des hommes. Dieu s’est manifesté comme Père, Fils, et S. Esprit, afin que nous sachions que sa Justice, Vérité, et Bonté coopèrent inséparablement dans l’œuvre de notre Rédemption.
CXVIII. Les méchants blasphèment les choses bonnes.
(13) Le mal du Méchant le ruine.
CXIX. Les Persécutions des méchants ne peuvent nuire à la Vérité, mais l’aident.
CXX. Persécution des Prêtres, occasion de leur ruine.
CXXI. Prêtres, Marchands d’âmes : attirent tous à eux ; empêchent le bien.
CXXII. Les Persécuteurs se ruinent eux-mêmes.
CXXIII. Les Prêtres se manifestent cruels aux uns, flatteurs aux autres, incroyables à tous, amateurs de gloire.
CXXIV. Les Chrétiens ont apostasié de Dieu et de ses Lois plus que les Juifs.
CXXV. But et nécessité des Commandements de Dieu. Péché d’Adam.
CXXVI. Pourquoi Dieu a pardonné aux hommes et non aux Anges.
CXXVII. Pourquoi les hommes sont produits par génération. Que Jésus Christ est sans Péché Originel.
(14) Motif et But de l’Incarnation de Jésus Christ.
CXXVIII. Par quel motif Jésus Christ a voulu venir sur la terre.
CXXIX. À quel dessein Jésus Christ a voulu s’incarner.
CXXX. Hommes insensibles aux rappels intérieurs ; même aux extérieurs de simples hommes. Descente de Jésus Christ.
CXXXI. Pourquoi Jésus Christ a voulu prendre notre mortalité.
CXXXII. Comment Jésus Christ a pris nos péchés et nos langueurs, et pourquoi.
CXXXIII. Comment et pourquoi Jésus Christ a prévenu son temps.
CXXXIV. La nécessité de la venue de Jésus Christ pour notre Rédemption ne doit se tirer du côté de Dieu, qui en soi n’a besoin de nuls moyens.
CXXXV. Jésus Christ était notre Intercesseur à la droite de Dieu avant que de venir en ce Monde nous rappeler.
CXXXVI. Puissance de Dieu pour sauver. Hommes aveugles pervertissent les Écritures.
CXXXVII. Amour propre, auteur de la croyance vulgaire de la Satisfaction.
CXXXVIII. La vraie croyance est inséparable de la pratique des Commandements de Dieu.
CXXXIX. L’observation des Commandements de Dieu est nécessaire à salut.
CXL. L’Amour des Créatures est incompatible avec l’Amour de Dieu.
CXLI. État des hommes d’à présent.
(15) Causes des Persécutions d’Anthoinette Bourignon.
CXLII. Les Prêtres sont des Persécuteurs des Envoyés de Dieu.
CXLIII. Ils persécutent A. B. pour la Vérité qui se découvre.
CXLIV. Ils persécutent ceux qui répugnent à leur Ambition.
CXLV. Prêtres Dominateurs et Idolâtres de leur Autorité.
CXLVI. De l’honneur et de l’obéissance qu’on doit aux Supérieurs.
CXLVII. Les Prêtres, craignant que la conviction de leurs lâches erreurs ne diminue leur Autorité, persécutent par voie de fait.
CXLVIII. Comment les Prêtres déguisent leurs lâches doctrines pour leur profit.
CXLIX. Pourquoi ils condamnent la Communauté des biens.
CL. Fausse explication des VIII Béatitudes pour se dispenser de la Pauvreté de Jésus Christ.
CLI. Prédicateurs de Spéculations. Ennemis de Pratique.
CLII. Leur malignité et envie spirituelle.
CLIII. L’Abomination de la désolation est au Sanctuaire.
CLIV. Les Chrétiens quittent les Conseils de Jésus Christ pour ceux des Docteurs modernes.
(16) Tromperies des doctrines des hommes.
CLV. Foi imaginative, citerne sans eau.
CLVI. Doctrine imaginative de Burchardus et de ses semblables est Diabolique, Antichrétienne, et digne d’anathème.
CLVII. Foi opérante est seule valable. Foi imaginative est Diabolique.
CLVIII. Deux propriétés d’une Doctrine Diabolique. Elles sont dans la Doctrine moderne.
CLIX. Démonstration qu’en Burchardus, et dans ses semblables, se trouvent les propriétés de la Doctrine Diabolique.
CLX. But des Lois et du Ministère de Jésus Christ.
(17) Ministère de Jésus Christ.
CLXI. Dieu n’a besoin de Satisfaction, mais les hommes ont besoin de l’Amour de Dieu.
CLXII. Tous étant égarés, Jésus Christ les vient rappeler.
CLXIII. Chrétiens incrédules. Fausse tradition.
CLXIV. Juifs et Chrétiens rejettent leur guérison.
CLXV. Comment Jésus Christ est venu guérir les hommes et les ramener à l’Amour de Dieu, leur unique fin. Pourquoi il a souffert.
CLXVI. Pourquoi Jésus Christ a été pauvre et méprisé.
CLXVII. Pourquoi Jésus Christ a renoncé sa propre volonté.
CLXVIII. Pourquoi Jésus Christ a quitté aises, service, Patrie, Parents.
CLXIX. Comment les Chrétiens renient JÉSUS CHRIST leur Sauveur.
CLXX. Ils aiment la mort.
(18) Pourquoi les Prêtres persécutent A. B.
CLXXI. Furieux aveuglement de Persécuteurs d’A. B.
CLXXII. Magister Burchardus aussi spirituel qu’une vache pour connaître les divines lumières.
CLXXIII. Imiter Jésus Christ est le Commandement Ancien et Nouveau. Il a été facile aux premiers Chrétiens.
CLXXIV. Il l’est encore à présent plus que les commandements du Monde.
CLXXV. Pourquoi l’on trouve le joug de Jésus Christ plus pesant que celui du Monde.
CLXXVI. Comment les Chrétiens sont parvenus à la réjection et haine de la Doctrine de Jésus Christ.
CLXXVII. Les Prêtres agissent plus mal envers A. B. que les Pharisiens envers Jésus Christ.
CLXXVIII. Et sont plus inexcusables.
(19) Pourquoi l’on doit bien vivre.
CLXXIX. Dieu n’a que faire pour soi ni du bien, ni des mérites, ni de la satisfaction, ni de la reconnaissance des hommes : mais eux en ont besoin pour eux.
CLXXX. La Pénitence n’est pas imposée de Dieu pour réciprocation de son Amour. Mais il lui déplaît que l’homme se soit imposé cette nécessité à soi-même, et elle ne lui plaît que comme un moyen pour revenir à cet Amour.
CLXXXI. Dieu de sa part ne veut que l’Amour, et non ni loi, ni œuvres, dont l’homme n’a besoin que pour son péché.
CLXXXII. Celui qui a retrouvé l’Amour observe la Loi sans Loi ; mais pour le retrouver en quittant le mal, il faut des Lois.
CLXXXIII. Absurdité de la Doctrine de ces Prêtres déclarée par une comparaison.
CLXXXIV. Prétextes et orgueil des hommes ne voulant reconnaître qu’ils ont besoin de souffrir pour eux-mêmes.
CLXXXV. L’homme ne peut mériter : mais ayant perdu la vie éternelle, il ne peut la recouvrer comme auparavant par hérédité sans sa coopération.
CLXXXVI. L’homme est obligé à aimer Dieu, quoique Dieu n’ait besoin de son Amour, et encore moins des moyens à cet Amour.
CLXXXVII. L’homme doit travailler pour ses péchés, et ne pas présumer qu’ayant déjà l’Amour de Dieu il donne à Dieu des bonnes œuvres pour cet Amour.
CLXXXVIII. Lorsqu’on a recouvré l’Amour, alors on fait tout pour et par cet Amour : mais auparavant il faut agir pour satisfaire aux moyens et aux obstacles de cet Amour.
CLXXXIX. Jésus Christ n’a point satisfait pour que les hommes soient quittes de satisfaire eux-mêmes à leur juste devoir vers les moyens et obstacles à l’Amour de Dieu.
(20) Suivre Jésus Christ, et non les hommes.
CXC. Chrétiens sans Foi. Prêtres abusent des Écritures pour établir leurs opinions et leurs Sectes.
CXCI. Il ne faut point suivre les hommes, mais Jésus Christ seul.
CXCII. Prêtres ennemis de l’observance de la Loi de Jésus Christ.
(21) Satisfaction de Jésus Christ, pourquoi.
CXCIII. Ils excluent l’observance de la Loi sous prétexte que Jésus Christ est notre Intercesseur.
CXCIV. Intercession de Jésus Christ rend les pécheurs continuants plus coupables, et n’est pour eux.
CXCV. Prêtres font continuer, endurcir, et périr les hommes dans leurs péchés.
CXCVI. Disent faussement qu’on ne peut pratiquer la Doctrine qu’ils prêchent eux-mêmes.
CXCVII. Font pis de prêcher comme ils font que de se taire.
(22) Prêtres sont Idolâtres de leurs Prédécesseurs.
CXCVIII. Ils laissent la vérité et se dévouent aux hommes avec serments.
CXCIX. Persécutent la vérité non conforme à ceux à qui ils se sont voués.
CC. Imputent à crime ce qui est l’effet des promesses de Dieu touchant l’augmentation de ses lumières.
CCI. Les rejettent à cause qu’elles ne sont pas conformes à ce qu’ont eu leurs Prédécesseurs. Il ne faut se vouer qu’à Jésus Christ.
CCII. Substance des écrits d’A. B. Elle déplaît aux Prêtres et les confond.
(23) Prêtres, Persécuteurs d’A. Bourignon.
CCIII. Les Prêtres aiment mieux persécuter qu’être confondus par la vérité.
CCIV. Persécution de FLENSBOURG en Holstein.
CCV. Les Ecclésiastiques agissent autrement que Jésus Christ envers les errants. Résurrection.
CCVI. Inhumanité de ces Prêtres de FLENSBOURG.
CCVII. Burchardus ne veut ouïr la vérité par malice, et en empêche la publication.
CCVIII. Prêtres font découvrir les Paillardises de la Chrétienté.
(24) Mérites de J. Christ, et leur Application.
CCIX. Comment Burchardus et ses semblables méprisent et blasphèment Jésus Christ avec cruauté.
CCX. Doctrine moderne de la Satisfaction n’a ni vérité ni apparence d’elle.
CCXI. Leurs subterfuges de belle apparence convaincus de nullité par leurs actions. Leur doctrine nourrit les péchés, et ne dispose à la conversion.
CCXII. Jésus Christ plus honoré par imitation que par imagination et par pécher à crédit.
CCXIII. Burchardus coupable des crimes qu’il impute faussement à A. B. de détruire l’Écriture, mépriser les mérites de Jésus Christ, et blasphémer.
CCXIV. Burchardus Sauveur des méchants par Foi imaginaire.
CCXV. Burchardus Protecteur des transgressions de la Loi de Jésus Christ, et ennemi de ce qui tend à son observation.
CCXVI. Qu’il y a une nécessité indispensable d’observer les Lois de Dieu.
(25) Nécessité d’observer les Lois de Dieu.
CCXVII. Jésus Christ venu pour rétablir les Lois de Dieu. Burchardus le tient pour coopérateur aux péchés.
(26) J. Christ seul Sauveur et Médiateur.
CCXVIII. Burchardus déshonore Jésus Christ, le chargeant des ordures vivantes et continuantes des pécheurs. Jésus Christ seul Sauveur et Médiateur.
CCXIX. Jésus Christ Dieu et Homme. Nul n’est sauvé que par lui. Burchardus impute par calomnie le contraire à A. B.
CCXX. Comment et pourquoi Jésus Christ s’est chargé de nos infirmités.
(27) Nécessité des bonnes œuvres.
CCXXI. La fragilité des hommes les oblige à faire la Loi de Dieu.
CCXXII. Les œuvres de la Loi sauvent comme moyen.
CCXXIII. Les méchants protègent leur impiété par les chutes des Saints.
CCXXIV. Doctrine d’A. B. ne peut être Diabolique, comme celle de Burchardus en ce cas.
CCXXV. Doctrine et Pratique des Saints opposées à la moderne.
CCXXVI. Chrétiens pèchent contre la vérité connue. Sacrifice et salut, pour qui.
CCXXVII. Leur obligation à bien faire.
CCXXVIII. Leur endurcissement, causé par leurs Conducteurs.
CCXXIX. Pénitence Chimérique.
(28) Persécutions d’Antoinette Bourignon, particulièrement à Flensbourg.
CCXXX. A. B. persécutée et calomniée par les Prêtres, comme J. Christ.
CCXXXI. Parallèle des anciens Persécuteurs de Jésus Christ avec les nouveaux Persécuteurs de ses envoyés.
CCXXXII. A. B. écrit par inspiration du S. Esprit pour le rétablissement de l’Église.
CCXXXIII. Prétextes des Pharisiens anciens contre J. Christ ont plus d’apparence que ceux des Pharisiens nouveaux contre A. Bourignon.
CCXXXIV. Persécution d’A. B. et des siens à la sollicitation des Prédicants de FLENSBOURG.
CCXXXV. Écrits et Conduite d’A. Bourignon.
CCXXXVI. Impostures des Prêtres de FLENSBOURG.
CCXXXVII. Procédé du Magistrat de Flensbourg vers A. Bourignon, et d’elle envers eux.
CCXXXVIII. A. Bourignon ne séduit et n’attire personne : mais veut seulement obéir à Dieu.
CCXXXIX. Témoignages discordants contre A. B.
(29) Hommes esclaves les uns des autres.
CCXL. Vœux que font les hommes pour soutenir certains sentiments sont contre le S. Esprit.
CCXLI. Ne se vouer qu’à Jésus Christ. Ne conduire qu’à lui.
CCXLII. Prêtres attirent tous à eux, à tort et à travers.
CCXLIII. Surprennent les Magistrats pour faire persécuter les bons.
(30) Persécuteurs Mensongers.
CCXLIV. Ils mentent effrontément, disant qu’il y a du mal caché là où le bien est trop visible.
CCXLV. Procédé d’A. Bourignon trop ouvert pour être suspect de mal.
CCXLVI. A. B. ne parle pas en tout ce Traité contre les gens de bien qui restent entre les Ecclésiastiques.
CCXLVII. Personne n’est contraint à bien ni à mal.
(31) Fausse Pénitence.
CCXLVIII. Chemin large enseigné par Burchardus touchant la Pénitence.
CCXLIX. Comparaison de cette absurdité.
Pour qui Jésus Christ a satisfait.
(32) De la Réconciliation obtenue par J. Christ.
CCL. Les pécheurs volontaires ne peuvent être réconciliés avec Dieu par Jésus Christ.
CCLI. Dieu veut sauver tous, moyennant que tous veulent l’être et ne demeurent esclaves volontaires du Diable.
CCLII. Comment tous les Chrétiens et ceux qui croient en Jésus Christ ne seront sauvés.
CCLIII. Comment tous les Chrétiens et tous ceux qui croient en Jésus Christ seront sauvés.
CCLIV. Foi vaine et trompeuse.
(33) Malins Persécuteurs des Envoyés de Dieu.
CCLV. Fureur des Persécuteurs d’A. Bourignon se fait voir par et paroles et actions méchantes.
CCLVI. L’injustice des Persécuteurs sera punie par une juste vengeance.
CCLVII. Fausses accusations de Burchardus contre A. Bourignon pareilles à celles qu’on faisait contre Jésus Christ.
CCLVIII. Ce qu’A. Bourignon tient de foi.
CCLIX. Comment les Prêtres cherchent d’occasion d’exterminer ce qu’ils devraient estimer.
CCLX. Les Écrits et connaissances d’A. Bourignon ne peuvent venir de l’homme ni du Diable. À quoi s’étend l’esprit humain, et à quoi non.
CCLXI. Ce que le Diable connaît ou ignore.
CCLXII. État de l’homme surpassera celui de l’Ange.
CCLXIII. Prédicants appellent Diabolique et persécutent ce qui est Divin. Ils ont oublié Dieu.
CCLXIV. Le Diable anime ceux de son parti à persécuter A. Bourignon.
CCLXV. Ni ce qu’enseigne A. Bourignon comme mystères particuliers et non nécessaires, ni ce qu’elle propose comme nécessaire, ne donne sujet de persécution.
CCLXVI. A. Bourignon n’écrit par égard humain, ne trouvant que des misères de ce côté là. Prêtres et Peuple de Flensbourg.
CCLXVII. A. Bourignon agit pour la gloire de Dieu ; et les Prêtres pour leurs avantages.
CCLXVIII. Mystères cachés révélés de Dieu à A. B. Pourquoi elle les déclare.
CCLXIX. Tout est à Dieu. Il fait du sien ce qu’il veut.
(34) Dieu envoie à présent les lumières.
CCLXX. Les Chrétiens rejettent les lumières que Dieu veut maintenant envoyer sur la terre.
CCLXXI. Les Turcs et les Païens sont plus propres à recevoir la vérité que les Chrétiens.
CCLXXII. Dieu a coutume de donner ses lumières par les simples.
CCLXXIII. Promesses de Dieu pour les derniers temps commencent à s’accomplir.
CCLXXIV. Elles n’ont eu par le passé leur plein accomplissement.
CCLXXV. Le S. Esprit engendre uniformité à mesure qu’on le possède. La discorde ne vient pas de lui.
(35) De la vraie Église.
CCLXXVI. Ce que c’est que la Sainte Église.
CCLXXVII. Comment A. B. souhaite et la destruction et le rétablissement de l’Église.
CCLXXVIII. Les Prêtres, par propre intérêt, rendent odieuse la vérité, et ceux qui l’annoncent.
(36) Être assis sur la Chaire de Moïse.
CCLXXIX. Prêtres croient être assis sur la Chaire de Moïse sans savoir ce qu’elle est.
CCLXXX. Prêtres n’étant dans la Chaire de Moïse, on ne doit faire tout ce qu’ils disent.
CCLXXXI. Chaire de Moïse, Doctrine de Moïse. L’on n’y est plus à présent.
CCLXXXII. Doctrine et Lois de Moïse doivent être observées. Elles butent à la pénitence aussi bien que celles de Jésus Christ et ses mérites.
CCLXXXIII. Doctrines flatteuses d’à présent sont contraires au but de celle de Moïse et de Jésus Christ.
CCLXXXIV. Trois qualités de ceux qui sont assis sur la Chaire de Moïse. Démonstration que Burchardus ne les a point.
CCLXXXV. Esprit de Moïse et celui de Burchardus, opposés.
CCLXXXVI. A. B. possède l’Esprit de Moïse et ses qualités. Est assise sur la Chaire de Moïse.
CCLXXXVII. Ce n’est pas une superbe à elle de déclarer les grâces et dons qu’elle a reçus de Dieu.
(37) Pourquoi A. B. est Envoyée de Dieu.
CCLXXXVIII. Vérités que Dieu veut qu’A. Bourignon déclare aux hommes.
CCLXXXIX. Elle écrit par mouvement de Dieu, qui lui a donné les qualités de son Esprit.
CCXC. Elle n’attribue nul rien à soi, mais tout à Dieu, Auteur de tout bien.
CCXCI. Marques qu’une âme a le S. Esprit.
CCXCII. A. B. révèle les secrets de Dieu. Nullité des prétextes de Superbe pour quoi on la veut perdre.
CCXCIII. Ce qu’elle dit de soi. Pourquoi elle publie ses écrits. Ses misères en cette vie. Ses combats avec ennemis et amis.
CCXCIV. Comment Dieu se communique à elle.
CCXCV. Elle est envoyée de Dieu pour remémorer la Loi Évangélique par exprès commandement de Dieu.
CCXCVI. Horrible malignité des Chrétiens ne voulant souffrir la vérité ni ceux qui la disent.
CCXCVII. Nouvelle Jérusalem rebâtie. Injustice des persécutions d’A. B.
CCXCVIII. Dieu Auteur des Écrits et de la Doctrine d’A. B.
CCXCIX. Quelles choses Dieu déclare à A. B. pour les annoncer aux hommes.
CCC. Peuple Apostat.
CCCI. Nuls Chrétiens.
CCCII. Christ Sauveur.
CCCIII. Christ exemple.
CCCIV. Amour, fin de l’Ange et de l’Homme. Liberté.
CCCV. Chute de l’Ange et de l’homme.
CCCVI. Dépravation de l’homme. Sa prérogative sur le Diable.
CCCVII. Salut et Damnation.
CCCVIII. Lois, remèdes et moyens.
CCCIX. Charité, fin.
CCCX. Dieu écouté et rejeté en ces choses.
CCCXI. Nul contraint. Que chacun éprouve.
CCCXII. On flatte par les Mérites de J. Christ ceux qui n’aiment Dieu.
CCCXIII. A. Bourignon ne s’amuse à tous les fatras de Burchardus. Abrégé de ce qu’il prétend. Il ne veut qu’A. B. écrive, mais qu’elle file.
CCCXIV. A. B. obéit à Dieu plutôt qu’aux ignorants.
CCCXV. Elle obéit à Dieu sans blesser le devoir vers les Supérieurs.
CCCXVI. Perfide Infidélité des Citations de Burchardus. Comment on déchire et falsifie les Écritures.
CCCXVII. D’où vient qu’on trouve des contradictions ès choses Divines. Règle pour bien entendre les Écritures. Falsifications de Burchardus.
CCCXVIII. Opiniâtreté de Burchardus même contre Dieu.
CCCXIX. Témoignage de Dieu touchant les desseins de J. C. La Séduction des hommes : leur corruption : leur devoir.
CCCXX. Conclusion.
Traduction d’une lettre jointe à l’édition Latine, où l’on représente en peu de mots l’idée et les artifices de tout le Libelle que Burchardus a publié contre Madlle Bourignon.
Sentiment touchant un second libelle qu’il a publié depuis peu pour répliquer à cette Pierre de Touche.
RÉFUTATION
Faite par
ANTHOINETTE BOURIGNON,
Des mensonges controuvés par M. GEORGE HENRY BURCHARDUS, Prédicant Luthérien en l’Église Cathédrale de Slesvicq, sur la doctrine et la bonne vie de ladite Anthoinette Bourignon, et ses Écrits Salutaires par elle mis au jour depuis l’An 1664 jusqu’à présent, signamment sur un de ses Livres appelé TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ.
I. La lumière est insupportable aux méchants.
IL semble, chers FRÈRES CHRÉTIENS, que ces lumières si brillantes n’ont pu être 1 regardées par ceux qui avaient les yeux chassieux, sans blesser leurs vues, et les faire crier de douleur avec des injures et calomnies contre cette véritable doctrine enseignée par le Saint Esprit, laquelle ne contient que des choses utiles et salutaires ; quoique ce Burchardus les appelle des erreurs 2 et des blasphèmes contre Dieu, ou bien, une doctrine Diabolique. Ce qu’il a voulu montrer par un livre qu’il a fait imprimer à Slesvicq l’an 1674, pour épouvanter les ignorants, en leur disant qu’il y a des erreurs et des blasphèmes contre Dieu dans ces écrits ; à fin que les personnes eussent horreur de les lire 3 et d’en tirer les enseignements propres au salut de leurs âmes.
II. La charité recommande la Vérité.
En quoi il fait contre la Charité Chrétienne, 4 laquelle souhaite au prochain la Lumière du S. Esprit, et la Doctrine salutaire d’où elle lui pourrait venir, sans partialité. Car encor bien que la Vérité de Dieu serait proférée par un Diable même, on la doit toujours estimer et la suivre : vu que la Vérité en soi est toujours aimable et profitable à salut, de laquelle on ne doit jamais détourner personne, mais la recommander à un chacun, sans avoir égard si elle est annoncée par une fille ou par un homme. Et il doit suffire à un chacun de savoir que la Vérité de Dieu est toujours bonne en tout tel lieu où elle se retrouve.
III. Motif et But du libelle de Burchardus.
Mais ceux qui ont l’ambition de vouloir seuls dominer sur le peuple 5 ne peuvent souffrir que cette Vérité soit annoncée par autre que par eux : ce que je crois qui a ému les passions de ce Burchardus à se venger de moi, en me persécutant outrageusement, et tâchant de me faire exterminer par la Justice. Ce à quoi ne pouvant arriver, il a fait imprimer un Livre lequel il intitule Profondes Remarques Chrétiennes, etc. : quoique personne ne pourrait trouver en icelui aucune marque de Chrétiens, mais beaucoup de témoignages de cruauté et de mensonges. Car il rapporte plusieurs histoires, pour montrer comment on a fait mourir des personnes pour quelques opinions de Religion qu’elles avaient entrepris de croire. Et il semble vouloir condamner au feu et à l’épée toutes celles qui sont d’opinion contraire à la sienne. Pour cela voudrait-il bien qu’on brûlât aussi tous mes livres, et qu’on rejetât ma Doctrine comme des erreurs et des blasphèmes contre Dieu, à fin que la sienne seule pût dominer sur tous les hommes.
IV. Son procédé n’est pas Chrétien.
Ce qui n’est pas le fait d’un vrai Chrétien : vu que Jésus Christ a dit à ses Apôtres de ceux qui enseignaient en son nom et ne le suivaient pas, 6 laissez-les faire, car tout ce qui n’est contre nous est avec nous. Et encor bien que je ne sois pas Luthérienne, je ne suis pas contre la Doctrine de Luther en ce qu’il a été en la Vérité de Dieu : j’estime cela et l’enseigne aussi bien que lui. C’est pourquoi que ce Burchardus n’a pas eu sujet de se plaindre de moi ; puisqu’il dit d’enseigner l’Évangile, et que j’enseigne aussi le même Évangile. Car si on trouve dans tous mes écrits quelque chose de contraire audit Évangile, je la déteste et condamne, offrant d’en faire une due réparation. Mais je ne peux empêcher que Burchardus ou ses semblables disent en mentant que j’enseigne des choses contraires audit Évangile : vu qu’il ne faut qu’ouvrir sa bouche pour dire que je blasphème contre Dieu lorsque je parle à la louange de Dieu ; ou bien pour dire que j’ai des erreurs, lorsque j’enseigne des vérités Chrétiennes ; ou bien que ma Doctrine vient du Diable, lorsqu’icelle vient de la sapience du S. Esprit. Car qui pourrait retenir des passions de furie dans lesquelles les hommes se laissent emporter ? ou qui pourrait purger 7 une langue venimeuse qui infecte tout ce qu’elle peut toucher, à la façon de la langue du serpent, à qui les piqûres et le venin sont si naturels, qu’il perdrait plutôt la vie que sa malice ?
V. La Calomnie cherche prise sur la Doctrine, n’en trouvant sur la Vie.
Ne pourrais-je point appliquer cette propriété à notre Burchard, lequel veut mal-dire quoiqu’il ne trouve rien à redire sur ma vie et mes comportements, non plus que sur ceux de mes amis ; lesquels sont assez connus par expérience en l’espace de trois ans que nous sommes dans ce Pays de Holstein, auquel personne ne pourrait dire avec vérité qu’aucun de nous ait fait chose mauvaise, mais beaucoup de bonnes et d’édifiantes. Mais le proverbe dit que lorsqu’on veut tuer son chien on dit qu’il est devenu enragé. Et ce Burchardus ne pouvant rien trouver à redire sur toutes nos actions et comportements, il se vient jeter sur notre Doctrine, en disant qu’elle est errante, sans savoir prouver son dire. Car si ma Doctrine est errante, aussi est errant l’Évangile ; vu que ma doctrine ne contient en substance sinon ce qui est contenu en l’Évangile, 8 auquel j’induis un chacun à le suivre et pratiquer, et à rien d’autre.
VI. Réjection des calomnies de Burchardus. A. B. ne nie ni les Mérites de J. C. ni la Divinité, ni la Sainte Trinité.
Comment donc pourrais-je blasphémer contre Dieu en le louant nuit et jour de ce qu’il nous a envoyé son fils Jésus Christ pour 9 nous enseigner la voie de salut, sans lequel Jésus Christ je ne crois point 10 que personne puisse être sauvé ? Et comment donc pourrait-il être vrai que je rejette les mérites de Jésus Christ ? puisque je crois fermement de ne pouvoir être moi-même sauvée sinon par les mêmes mérites de Jésus Christ ; lesquels si je les rejetais, comme dit ce Burchardus, je rejetterais mon propre salut, et ne le pourrais jamais obtenir, non plus que ne feront tous ceux qui rejetteront ces Saints Mérites. Je souhaite que tous bons esprits remarquent de bien près tous les livres que j’ai composés, pour voir s’ils y pourront trouver quelques erreurs, comme dit ce Burchardus qu’il y en a, et je dirai cette remarque, avec vérité, être très Chrétienne ; parce qu’elle butera à découvrir la Vérité de Dieu, là où les remarques de ce Burchard ne tendent qu’à faire voir la Vérité pour des mensonges, et à montrer que des choses bonnes soient mauvaises : comme il veut montrer que je nie les trois Personnes en la S. Trinité : là où que véritablement je crois que personne dans le monde ne l’estime et honore davantage que je fais. Il veut aussi faire entendre que je nie la divinité en Jésus Christ, comme les Sociniens : desquels je ne connais que le nom : mais je sais bien que personne n’a jamais parlé plus précisément pour montrer comment Jésus Christ est vraiment Dieu et vraiment homme, comme je l’ai décrit au TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, que ce Burchardus méprise si fort par son ignorance. Laquelle ignorance je voudrais bien éclairer s’il me voulait écouter, en lui expliquant plus particulièrement les mystères cachés, qu’il n’entend pas bien dans mon dit livre ; mais il ne voudrait pas être éclairé par une femme, puisqu’il les méprise si fort, qu’il dit qu’il ferait mieux d’être employé à curer les fols dans leurs cachots, que d’écrire contre ma femme.
VII. Les méchants font ce qu’ils condamnent. Manière de vaincre le Diable.
Sur quoi je lui demanderais volontiers qui l’a donc ému à écrire contre moi ? Vu qu’il était libre de laisser cela et de mépriser mes écrits, comme venant d’une femme qu’il estime si peu, en disant que je ne suis pas seulement sotte, mais que j’ai aussi une doctrine diabolique. Il me devait seulement faire l’honneur qu’on fait aux folles et au Diable, lesquels ne sont jamais mieux vaincus, qu’en les méprisant et laissant agir selon leur fantaisie. Car les fols cessent leurs folies lorsqu’on ne les contredit en rien. Et le Diable n’est jamais mieux vaincu que lors 11 qu’on le méprise, 12 en s’adressant à Dieu pour avoir sa grâce et le don de force pour surmonter le Diable, sans le combattre directement, à cause qu’il est 13 un puissant ennemi, et qu’il a beaucoup d’adhérents qui l’assistent à tirer contre les droits de cœurs. C’est pourquoi qu’il vaut toujours mieux de le mépriser que de le combattre : ce que ce Burchardus devrait aussi faire en mon regard, vu qu’il m’estime une sotte et une endiablée.
VIII. Œuvres des méchants n’ont ni Science ni Vertu.
Mais il semble qu’il soit beaucoup plus fol que celle qu’il appelle folle, en écrivant contre moi comme il a fait. Il devait prendre la condition qu’il estime la meilleure, et se laisser employer d’aller ès maisons de fols, curer ces infirmes de cerveaux, plutôt que d’écrire contre moi, qui ai encore mon bon sens pour lui montrer sa folie, laquelle il estime sagesse, en voulant faire paraître qu’il a l’Esprit de composer des livres : quoique ce livre qu’il a fait contre moi n’ait rien de relevant. Et le plus ignorant paysan du Monde en pourrait bien faire autant ou davantage : car il ne faut point avoir étudié pour rapporter une quantité d’Histoires des choses qui sont passées, il n’en faut que lire les Auteurs pour en composer un gros volume, en les ramassant par ensemble, et on n’a de besoin d’être pour cela ni sage ni vertueux ; puisque le Diable même sait mieux les Histoires passées que personne, et qu’il n’y a rien de plus capable de donner des injures et à calomnier les personnes qui ne font point leurs volontés que celles qui sont folles. Car si j’allais vers le cachot d’un fol pour lui dire ce qu’il n’entend pas volontiers, il me saurait bien dire que je suis une errante et blasphématrice contre Dieu (aussi bien que fait ce Burchardus par son livre) et m’appeler vieille sotte d’Esprit errant, comme il fait.
IX. Ils blâment ce qui est honorable.
Et je ne sais comprendre pourquoi il méprise ma vieillesse, vu que c’est une chose bonne 14 et honorable de vivre longuement sur la Terre ; et que Dieu commande 15 d’honorer Père et Mère afin de vivre longuement ; auquel commandement sont compris toutes les anciennes personnes sous le nom de Père et Mère. Pourquoi donc ce Burchardus veut-il mépriser ma vieillesse au lieu de l’honorer pour accomplir ce commandement de Dieu ? lequel promet aux jeunes gens, comme une bénédiction, de vivre longuement sur la Terre à ceux qui honorent Père et Mère, les exhortant de les honorer à ces fins de vivre longuement sur la Terre. Ce qui témoigne assez que la vieillesse est honorable devant Dieu et les hommes : quoique ce Burchardus prenne sujet de me mépriser à cause de ma vieillesse, en m’appelant si souvent dans son livre vieille errante, comme si c’était un crime d’être vieille : quoique Dieu donne la longue vie pour une de ses bénédictions. Mais il est à croire que ce Burchard n’a autre sujet de me mépriser, sinon à cause de mon âge. Et si j’étais jeune, il est bien à croire qu’il m’appellerait jeune sotte qui ne sait ce qu’elle dit ou fait, à faute d’expérience. En sorte qu’on ne sait quand on le pourra faire à son gré. Ainsi se comportent les personnes passionnées qui ne savent ce qu’elles veulent ; tantôt on est trop jeune, et tantôt on est trop vieille ; et quoique je ne sois ni trop jeune ni trop vieille, je ne suis pas encore au gré de ce Burchardus, qui ne sait où il trouvera prise sur moi. Il la cherche dans mes écrits et dans ma personne ; et lorsqu’il ne trouve rien de mauvais en l’un ni en l’autre, il invente des mensonges pour me blâmer.
X. Les desseins des méchants ne réussissent qu’à leur confusion. Matière de cet ouvrage.
Mais le Diable se trompe toujours soi-même dans ses entreprises, 16 comme j’espère que fera aussi ledit Burchard, et qu’en pensant m’apporter de la confusion par ses mépris, qu’il la recevra lui-même par ses mensonges. Car je fais dessein de montrer par ce présent TRAITÉ bien clairement que cet homme ne parle que par passion en son Livre qu’il a composé contre moi ; et qu’icelui ne contient que des calomnies, des erreurs et des mensonges controuvés, pour arriver à ses desseins de me faire mépriser, et rejeter ma Doctrine : ce qu’il a sollicité si avant, qu’il a obtenu un ordre de m’empêcher d’imprimer et de publier mes écrits. Mais cette défense les a plus fait estimer et rechercher que jamais, pour vérifier que le Diable se trompe toujours en ses entreprises. Et je crois que ce Burchardus trouvera aussi par expérience qu’il a très mal fait de me persécuter de la sorte et d’écrire ainsi contre moi, pour me donner sujet de lui répondre : vu que ma réponse ne lui sera à son gré. Il a pensé au commencement de m’ébranler par ses calomnies, en croyant que j’étais un enfant qui s’épouvanterait bien de son propre père lorsqu’il aurait sur son visage un masque hideux. Mais j’ai bien vu, au travers de ce faux visage, que toutes ses calomnies n’étaient que pour m’épouvanter, et aussi ébranler les esprits efféminés qui n’ont la force de pénétrer la Vérité hors du mensonge. C’est pourquoi que j’ai résolu de former cette PIERRE DE TOUCHE, 17 afin qu’un chacun puisse discerner l’Or de la vraie Charité, hors le métal du Laiton doré de la Vérité apparente, et à fin qu’on ne se laisse plus tromper par fausses apparences. Je ne présente pas cette PIERRE DE TOUCHE à ce Burchard, vu que c’est lui qui a forgé la fausse monnaie dans son Livre, et partant n’a besoin de la mettre sur la Pierre de Touche pour l’éprouver : puisqu’il sait en son cœur que les allégations et crimes desquels il m’accuse sont faux, et qu’ils ne sont avancés que pour me rendre odieuse à un chacun. Mais quoique le mensonge soit subtil, la Vérité est bien plus habile, et attrapera assurément tous ses mensonges à sa confusion.
XI. L’on ne permet à la Vérité attaquée de se défendre.
C’est pourquoi qu’il tâche maintenant d’empêcher que ma réponse vienne au jour, quoique du commencement il l’ait bien désiré, et envoyé chez mes amis en Slesvicq pour me présenter son service, en disant que si j’avais quelque chose à prétendre à la Cour de Gottorp, qu’il me l’obtiendrait, pour y avoir du crédit. Mais à présent que j’ai supplié par requête d’avoir permission de lui répondre, je ne la sais obtenir : ce qui me semble sort étrange, 18 qu’après lui avoir permis d’écrire contre moi, qu’on me refuse la permission de lui pouvoir répondre, sous ombre qu’on ne veut pas entendre quereller. Ce qu’étant véritable, ledit Burchardus ne devrait pas quereller le premier ; puisque je ne lui en ai donné aucun sujet, en vivant seule, recueillie en ma chambrette, sans en sortir d’un an entier, en ne parlant qu’à mes amis confidents. D’où on dirait que personne ne pourrait tirer occasion de me quereller.
XII. Approbateurs et Improbateurs des écrits d’A. B.
Car pour mes écrits, ils sont publics et semés presque par toute la Chrétienté depuis dix ans en çà, là où tant de gens de bien les ont examinés et sont approuvés pour saints et salutaires de plusieurs doctes et ignorants. Et personne ne me les a jamais osé disputer, sinon trois mauvais B : un Benjamin de la Secte des Trembleurs, un Berkendal Calviniste, et dernièrement un Burchardus Luthérien, duquel il s’agit maintenant : lequel aurait mieux fait de se taire que de publier un livre si mensonger, comme toutes gens d’esprit peuvent juger à sa confusion par la réponse que j’ai faite aux deux autres B précédents, lesquels ont été si bien réfutés, qu’ils n’ont plus garde de lever la Tête : comme a bien pu voir notre Burchardus aussi. Car l’AVERTISSEMENT que j’ai fait contre ce Trembleur, et ce TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ que j’ai donné contre Berkendal, leur ont bien interdit de répliquer, ce que Burchard peut bien aussi avoir remarqué : puisqu’il se vante d’avoir lu tous mes écrits ; quoiqu’il n’ait appris d’iceux que pendant que je suis encore vivante je lui pouvais faire une réponse aussi claire que j’avais faite aux deux précédents Benjamin et Berkendal. Mais le péché aveugle toujours l’âme, et fait qu’elle ne peut voir ce qu’elle doit faire ou laisser ; et la Nature corrompue 19 se présume toujours d’être plus sage qu’un autre : quoique le proverbe dise qu’il fait bon à se mirer au miroir d’autrui, et que cela ne coûte rien : mais il coûte souvent cher d’acheter son propre miroir à ses dépens : comme fera ce Burchardus, qui ne verra la faute qu’il a faite d’écrire contre moi, jusqu’à ce qu’il aura ma réponse, et que je lui aurai fait voir clairement le grand tort qu’il a eu de m’attaquer de la sorte.
XIII. Pourquoi plusieurs n’approuvent ni ne désapprouvent absolument les écrits d’A. B.
Car je pense que nulles personnes de bon jugement ne voudraient entreprendre d’écrire publiquement contre mes écrits, quoique plusieurs y trouveraient bien à murmurer en eux-mêmes, ou avec leurs semblables, à cause que ce 20 chemin étroit que j’enseigne n’est plus en usance maintenant, depuis qu’on a trouvé des gloses et explications sur les Écritures pour s’en dispenser, en disant que les hommes sont trop fragiles pour mener une vie Évangélique, et que nous ne sommes plus au temps de la primitive Église ; et qu’il se faut attendre sur les mérites de Jésus Christ. Et quoique les Sages avouent bien que ma doctrine et mes enseignements sont choses bonnes, si on les savait pratiquer, toutefois ils ne les veulent pas mettre en pratique. Mais ces trois mauvais B qui ont écrit contre moi, disent absolument que mes Livres sont mauvais, et qu’il les faudrait brûler : et cela disent-ils à cause que ces personnes ne sont pas capables de pénétrer la vérité de ces choses, et se réfèrent seulement à ce qu’ils ont lu dans leurs livres, sans vouloir apprendre autre chose ; comme fait aussi ce Burchardus, qui n’a point voulu suivre le conseil de Monsieur le Superintendant Reinbout son Supérieur, lequel a toujours conseillé à ses Prédicants sujets de ne rien écrire contre moi, puisque j’enseignais beaucoup de choses bonnes. Mais sitôt qu’il a été mort, ce Burchardus a méprisé ce conseil, en pensant d’être plus sage, et de mieux faire que ledit Reinbout son Supérieur : lequel n’avouait pas tout ce que j’écris dans mes livres, vu qu’il n’était pas disposé d’entreprendre un chemin si étroit : il avait néanmoins trop de savoir et d’esprit pour les mépriser ; mais les a loués en diverses rencontres, et a prêché publiquement que je n’étais pas de la secte des Trembleurs, comme le petit peuple voulait croire. Et encore qu’il m’ait écrit sur divers points de ma Doctrine, il l’a fait si civilement, que je m’ai senti obligée de toujours tenir en secret la réponse que je lui ai faite.
XIV. Génie et manière d’agir d’un Prêtre de ce temps, et de ses semblables.
Mais ce Burchardus n’a sagesse ni discrétion aucune, et dit tout ce que la furie de ses passions invente, comme s’il était seul dans le Monde pour soutenir ses opinions, sans que personne lui dût contredire. Il est Juge et Partie en sa propre cause, et donne bien légèrement des sentences de condamnation sans ouïr partie, coupant tout au travers de mes écrits sans les connaître, en disant cela est une Hérésie, cela est un blasphème contre Dieu, ou cela est le sentiment d’un Servetus, d’un David Joris, et autres, en pensant que tout le Monde sera obligé de le croire, à cause que c’est lui qui le dit. Et il pourrait bien avoir audience parmi 21 les femmelettes qui apprennent toujours, et ne viennent jamais à la connaissance de la Vérité, comme dit l’Écriture. Mais parmi les gens d’esprit, ils verront bien que ce n’est qu’un homme partial et passionné, qui parle par passion contre moi : de quoi il ne pourra jamais avoir d’honneur. Car les vérités que j’avance sont connues de trop de gens de bien, lesquels se scandalisent d’entendre un Prédicant, qui se dit Évangélique, parler si mal d’une personne qui enseigne et pratique les conseils Évangéliques de tout son pouvoir. Et quoique ledit Burchardus même trouve quelque chose de bon en mes écrits, il veut néanmoins détruire le bon avec le mauvais, et mettre tout au feu et à l’épée, sans faire réflexion qu’aucuns de mes livres ont été dédiés par feu Monsr. de Cort à la Noble DUCHESSE D’HOLSTEIN sa Princesse, et aussi au MAGISTRAT D’AMSTERDAM ; lesquels les ont estimé de mériter leur protection et défense. Mais ce Burchard ne veut prendre égard à rien, et les veut avoir brûlés à tort et à droit sous sa seule condamnation ou de ses semblables, et veut qu’ils soient appelés mauvais, quoique tous les hommes du Monde les jugeraient bons : ce lui est assez d’avoir entrepris de ce faire en sa fantaisie. Il sait que tant de personnes les ont examinés, et que personne ne les a encore condamnés pendant qu’il ne veut désister de sa poursuite, et ne dit pas à moi, comme Jésus Christ disait à la femme trouvée en adultère, 22 à savoir, allez et ne séchez, plus, vu que nuls ne vous ont condamné je ne vous condamnerai point aussi : Mais il veut avoir sentence de mort contre moi, et il dit au Chef de la Justice en son livre, qu’il est assuré qu’icelui continuera, et que pour ce sujet Dieu le bénira avec sa famille : comme si la rage qu’il a contre moi était insatiable.
XV. Violence opiniâtre de ce Prêtre en ses persécutions. Son zèle faux et ignorant.
Car il se devrait contenter d’avoir fait lever mon imprimerie, et tous en général mes livres imprimés, sans vouloir encor que la Justice aille plus avant. Or ce Juge ne lui pourrait-il pas bien demander ce que Pilate demandait au Peuple de Jésus Christ, en leur disant : 23 Quel mal a fait cet homme ? Et dire aussi à ce Burchardus de moi, quel mal a fait cette fille ? Car si 24 j’ai fait quelque mal, je veux bien être sentenciée, et payer les peines de mes maux. Mais quoique ce Burchardus ne sache déclarer quel mal j’ai fait, il crie à haute voix comme fit ce peuple sur Jésus Christ : 25 Crucifiez-le, crucifiez-le, et que son sang soit sur nous et sur nos enfants. Car je pense qu’il tiendrait à honneur 26 de m’avoir fait mourir pour le zèle de sa Religion ; et qu’il animerait bien ses successeurs de faire le même vers toutes les personnes qui ne veulent pas céder à leurs opinions, ou bien celles qui enseignent quelque chose de contraire : vu qu’ils tiennent 27 pour des hérésies tout ce qui ne les favorise point. C’est pourquoi que Burchardus m’appelle si souvent Vieille errante dans son livre : et puisqu’il ne sait trouver que j’aie fait aucun mal, du moins il soutient que j’ai des hérésies, lesquelles il a ramassées en son livre, pour l’obligation qu’il a à la gloire de Dieu et de notre Sauveur Jésus Christ, et pour avertir les ignorants ; comme il pose cela en grosse lettre au Titre de son Livre.
XVI. Ce que les prêtres appellent Hérésie. Écrits d’A. B. s’expliquent l’un l’autre.
Mais je voudrais bien demander à ce Burchardus si lui-même sait bien ce que c’est d’Hérésie ? et comment sont les personnes hérétiques ? quels sentiments elles doivent avoir ? ce qu’elles disent ou font ? Et je crois qu’il ne me saurait dire cela, pour ne le point savoir. Celui est assez qu’il ait compris en son Esprit que tout ce qui est contre ses sentiments en matière de Religion sont des Hérésies, condamnées dans le Consistoire de sa fantaisie. Et il ne peut avoir d’autre fondement pour dire qu’il y a des erreurs dans mes écrits ; puisque personne ne les a jamais encor condamnés pour tels. J’ai bien su que tous mes livres ont été diverses fois examinés par des Docteurs en Théologie, voire par des Universités entières : mais plus on les a épluchés de près, moins on les a su condamner : vu que l’un éclaircit l’autre. Car on trouverait bien au commencement quelque chose qui choquerait quelque esprit chatouilleux : mais en lisant plus avant on trouve l’explication de mon dire si claire, qu’ils n’en savent mal juger, pour garder leurs réputations.
XVII. Burchardus plus âpre que les autres ennemis d’A. B. Il lui impute ce qu’elle nie.
Je crois bien que si aucuns malveillants me pouvaient nuire, qu’ils le feraient bien en cachette, à cause de ma Doctrine. Car quelque Prêtre Catholique a dit encore depuis peu qu’il donnerait bien l’estrain pour me brûler ; et quelqu’autre me fait épier pour me faire tuer s’il pouvait quelque part en chemin. C’est pourquoi que je dois demeurer 28 cachée et inconnue par tout où je suis. Mais nuls sages n’oseraient dire ouvertement, (comme fait ce Burchardus) qu’ils trouvent dans mes écrits des erreurs et des blasphèmes contre Dieu ; à cause qu’ils ne sauraient prouver cela et qu’en jugement nulles allégations ne sont avouées sans être prouvées, ne soit qu’icelles allégations soient avouées de la partie accusée même. Car lorsqu’elle confesse son mal, il ne faut nuls témoins pour la convaincre : vu qu’elle se condamne elle-même : ce qui n’est pas arrivé en mon regard. Car je dénie formellement qu’il y ait quelques erreurs en ma Doctrine ; et je défie ce Burchardus, et tout autre, de me le prouver : puisqu’on ne peut vérifier une chose qui n’est pas, ne soit par des faux témoins, lesquels j’aurais l’occasion de réfuter aussi longtemps que Dieu me donnera la vie. C’est pourquoi que ce Burchardus s’est levé trop matin pour me vouloir condamner d’Hérésies et de Blasphèmes contre Dieu : il devait attendre jusqu’après ma mort, et il eût (peut-être) bien lors obtenu qu’on eût brûlé mes livres, comme il dit qu’on a brûlé les livres de David Joris ; de quoi il s’en réjouit, et applaudit le Juge d’un tel exploit, en rapportant que mes sentiments sont semblables à ceux dudit David Joris en divers points qu’il cite par son livre, me voulant comparer à icelui afin d’inciter le Juge à faire aussi brûler mes livres comme il a fait les siens en la Ville de Tonningue. Mais je ne sais si cela s’est fait aussi par des faux donner-à-entendre, ou si véritablement ledit Joris avait en ses livres quelques Hérésies, pour ne les avoir jamais lus, et encor moins connu sa personne, laquelle était peut-être morte lorsque ses livres ont été condamnés, et qu’il ne pouvait lors plus se défendre. En tel cas il pourrait bien être arrivé qu’on l’aurait condamné à tort, comme on me ferait si on voulait recevoir pour des vérités les mensonges que ce Burchardus écrit en son livre contre moi. Car si ce qu’il allègue de moi là-dedans était véritable, j’aurais assurément mérité la mort, pour m’avoir estimé plus que Dieu, et enseigné une doctrine diabolique, comme il dit. En cette façon l’on pourrait condamner à mort 29 le plus saint homme du Monde par des fausses accusations : ce que personne ne saurait empêcher lorsque la malice des hommes est venue à ce point de vouloir mentir si effrontément sans craindre Dieu ni les hommes. Je me peux bien abstenir de mal faire, mais je ne peux point empêcher le méchant de mal dire des choses bonnes que je fais : vu que Jésus Christ même ne l’a pas voulu empêcher, et 30 a souffert qu’on ait dit du mal de lui en mentant. Et je ne peux avoir plus de puissance que lui, pour empêcher la malice des hommes. On m’a rapporté qu’on a déterré le corps dudit David Joris longues années après sa mort, et qu’on a brûlé les ossements d’icelui, et jeté les cendres d’iceux au vent, parce qu’on disait qu’il était hérétique : ce qui me semble très cruel.
XVIII. Les Persécutions sous prétexte de Religion sont injustes et contre le PRINCIPE NATUREL de ne faire à autrui que ce que l’on veut être fait à soi-même.
Car je ne saurais avouer qu’on fît mourir une personne pour quelque sentiment qu’il a de Religion. Vu que cela est incertain si iceux sont mauvais ou bons devant Dieu, et qu’on ne peut s’appuyer sur les jugements des hommes en cela. Car les uns tiennent pour sainteté ce que les autres tiennent pour des hérésies. Et l’on trouve cela parmi toute sorte de Religions : vu qu’une chacune d’icelles condamne les autres d’Hérésies : les Catholiques disent que toutes les sortes de Religions hors de l’Église Romaine sont toutes hérétiques, et tiennent pour un point de leur croyance que personne ne peut être sauvé hors de ladite Église Romaine. Or je demanderais volontiers à notre Burchardus s’il ne lui semblerait point une chose cruelle que ces Catholiques mettraient à mort tous les Luthériens qu’ils auraient en leur puissance ? Ou bien qu’ils feraient brûler leurs livres ? Sans doute qu’il jugerait cela être une cruauté barbarique, et à lui insupportable. Comment donc veut-il lui-même faire une chose si cruelle en mon regard, avec beaucoup moins de fondement que ne feraient les Catholiques en faisant mourir les Luthériens et brûler leurs livres, lesquels sont remplis de toute sorte de disputes et controverses en mépris de la Religion Catholique ? Là où mes écrits ne contredisent pas la Religion des Luthériens, laquelle je n’ai jamais disputé, ni aucunes autres en particulier.
XIX. Jugement impartial d’A. B. touchant les Religions. Leurs Confusions.
J’ai seulement dit mon sentiment sur aucunes choses qui m’ont été proposées en matière de perfection, et même lorsque des personnes de qualité m’ont demandé si on pouvait bien être sauvé en étant Luthérien ? J’ai répondu absolument qu’oui, moyennant d’être vraiment 31 Chrétien. Et je ne crois point qu’aucuns Catholiques voudraient dire cela avec autant d’impartialité comme je fais, à cause que je vois que les hommes se jugent et se condamnent ainsi l’un l’autre. Car les Luthériens appellent les Catholiques des Idolâtres ; et les Calvinistes, Anabaptistes et autres Religions appellent les unes les autres toutes Hérétiques. À qui donc devrai-je croire, lorsqu’ils disent (tant les uns que les autres) qu’ils sont les meilleurs, et sont dans la voie assurée de leur salut ? Car les Luthériens disent qu’ils sont les Évangéliques et ont la vraie Doctrine ; et les Catholiques disent qu’ils ont la seule vraie Église hors de laquelle il n’y peut avoir de salut ; les Calvinistes disent qu’ils sont les élus de Dieu, et ont sa vraie Doctrine ; les Anabaptistes disent qu’ils sont des personnes régénérées en l’Esprit de Jésus Christ, et méprisent pour cela toutes les autres, pour s’estimer les seuls vertueux : si bien qu’on ne peut avoir de fermeté ou d’assurance sur les opinions de toutes ces personnes. Et si je me rendais Luthérienne, les Catholiques feraient bien aussi brûler mon corps après sa mort, pour se venger d’une telle Hérétique qu’ils croiraient de moi, comme Burchardus dit qu’on a fait brûler le livret de David Joris. Quel mal semble-t-il à ce Burchardus que je ferais à me rendre Luthérienne ? Je pense qu’il croirait que je ferais très bien, et que j’assurerais par là mon salut, et sortirais hors des erreurs ; pendant que les Catholiques me feraient brûler, s’ils m’avaient en leur pouvoir, à cause de ce changement de Religion ; en pensant de par là glorifier Dieu et notre Sauveur Jésus Christ. Quoique ce Burchardus mette dans le Titre de son livre, que c’est pour la même gloire de Dieu et de Jésus Christ, qu’il a ramassé tout ce qu’il appelle des erreurs dans mes écrits ; et 32 il penserait de lui faire Sacrifice de me faire brûler en étant Catholique : comme les Catholiques penseraient de faire sacrifice à Dieu en faisant brûler un Luthérien.
XX. Chrétiens cruels renient le Christianisme en se persécutant les uns les autres pour des opinions.
Ce qui est 33 abominable, de voir les Chrétiens se porter des haines mortelles pour quelques opinions qu’un chacun a entrepris de croire ; là où Jésus Christ leur ordonne en son Évangile, 34 d’aimer l’un l’autre pour par là faire connaître qu’ils seront ses Disciples. Et cette haine n’a aucun fondement, étant seulement appuyée sur quelques opinions que l’un et l’autre s’est imaginé d’être bonnes. Cette cruauté de faire mourir les hommes pour quelques opinions qu’iceux ont conçues dans leurs imaginations est plus que barbarique, 35 et ne doit être pratiquée par des Chrétiens ; de tant plus que Jésus Christ leur enseigne 36 d’aimer même leurs ennemis, et de prier pour ceux qui les persécutent. Ce que notre Burchardus n’observe nullement. Car encor bien que je lui serais devenue son ennemie pour avoir contredit à aucuns de ses sentiments, il ne me devait pourtant haïr d’une haine mortelle, comme il fait, mais m’aimer, selon le conseil de Jésus Christ, et prier pour moi encore que je le persécuterais. Car 37 celui qui hait son frère est homicide, dit l’Évangile. Mais il semble que ce Burchardus a oublié toutes les Sentences de l’Évangile pour se ressouvenir seulement des Histoires des choses passées ; et qu’il ne donne point tant de place à sa raison qu’à sa cruauté, en voulant faire mourir les personnes à cause de quelques opinions qu’elles ont entrepris de croire, quoique d’ailleurs elles vivent bien, et sont sans reproches. Ce qui semble être la Tyrannie d’un Tigre, laquelle je crois ne se pas retrouver entre les Païens ou Barbares.
XXI. Fragilité des opinions des hommes.
Car il peut arriver qu’une personne se serait imaginé 38 qu’une chose serait bonne, bien qu’en effet elle serait mauvaise ; ou qu’une chose 39 serait mauvaise, quoiqu’en effet elle serait très bonne : faudrait-il pourtant faire mourir ces personnes à cause de leurs fantaisies ou imaginations, lesquelles ne sont quelquefois pas en leur puissance de faire changer, vu que l’Apôtre même dit 40 qu’il n’est pas en la puissance de l’homme de retenir son esprit ? Comment donc ce Burchardus me veut-il procurer la mort parce qu’il s’est imaginé que j’ai écrit des choses qui ne sont pas véritables ? Car encore bien que cela serait, et que j’aurais écrit des choses lesquelles ne seraient que des imaginations, je n’aurais pourtant mérité la mort : à cause que cela ne serait qu’une maladie de cerveau, laquelle peut survenir au plus habile homme du Monde. Car j’en ai connu un de très bon jugement, bien faisant ses affaires, lequel s’imaginait quelquefois en marchant sur les rues qu’il y avait une grande Rivière devant soi, et ne voulait plus avancer un pas, allant toujours en arrière : et quoiqu’il voulût parfois un peu avancer pour surmonter sa pensée, il reculait avec frayeur, comme pensant se précipiter dans cette eau qu’il croyait y avoir devant soi et demeurait quelquefois en ce combat sur les rues de la ville bien longtemps, jusqu’à ce qu’aucuns de sa connaissance venaient le tirer par force pour le faire passer cette place qu’il pensait être une eau profonde, là où il n’y avait qu’un chemin aplani, pavé de pierres, comme par toute la ville. Et lorsqu’il avait ainsi passé outre par l’assistance de ses amis, il les remerciait, et disait en se lamentant : Qu’est-ce de l’imagination de l’homme, laquelle il ne sait surmonter ! Et si moi j’avais eu une semblable imagination touchant le corps de Jésus Christ ou autre divin Mystère que j’ai écrit dans ce Livre du TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, faudrait-il pourtant me faire mourir, comme ce Burchardus désire ?
XXII. Les Prêtres, comme Burchardus, aiment mieux persécuter la Vérité que de s’en bien informer.
Je crois qu’un chacun dira que non. Combien moins le devrait-on faire lorsque je n’ai rien écrit, sinon ce que Dieu m’a enseigné ? Ne devrait-on pas plutôt prêter l’oreille pour écouter ces merveilles, et m’en demander les circonstances et particularités, que d’aller en mon absence m’accuser à la Justice comme si j’avais dit des blasphèmes contre Dieu, ou enseigné des hérésies ? Ne faut-il pas dire que ce Burchardus est un homme cruel et sans raison, d’agir ainsi contre une personne qui ne lui a jamais fait nul mal ? Ne voit-on pas bien 41 que l’abomination de la désolation est maintenant entrée au lieu Saint ? Et que ceux qui doivent écouter le Saint Esprit le veulent déchasser loin d’eux ? Car je ne sais nul autre sujet pourquoi que ces Prédicants me veulent avoir hors du Pays de Holstein, sinon à cause que j’ai reçu la lumière du Saint Esprit, et que par le moyen d’icelle je découvre la vérité de beaucoup de choses. Ce qu’ils ne veulent pas souffrir, aimant mieux périr dans leurs ténèbres, que de recevoir d’autre lumière que celles qu’ils ont reçue aux Écoles : ce qui est leur condamnation selon le dire de Jésus Christ, lorsqu’il déclare 42 que la Lumière est venue au Monde, et que les hommes ont plus aimé leurs Ténèbres qu’icelle Lumière. Ce qui est aussi arrivé lorsque Jésus Christ est venu apporter la Lumière au Monde : nuls Prêtres 43 ne l’ont voulu recevoir : pour cela, dit-il, que c’est leur condamnation que la Lumière est venue au Monde et que les Hommes ne l’ont point voulu recevoir. Ce qu’il confirme aussi lorsqu’il leur disait : 44 Si je n’avais point fait les œuvres que j’ai faites en votre présence, vous n’auriez point de Coulpe. Et comme l’Écriture parle toujours, elle dit encore aujourd’hui à ce Burchard et à ses semblables qui me veulent persécuter, qu’ils n’auraient point de Coulpe si je n’avais point demeuré ici trois ans, et qu’un chacun a pu voir que je me comporte bien, que je méprise le Monde, et tâche d’imiter Jésus Christ.
XXIII. Informations Juridiques d’A. B. prouvent son innocence. Pourquoi Burchardus se prend à ses lumières.
Car il ne faut que s’informer en tous les lieux où nous avons conversé, et là on trouvera qu’un chacun en porte bon Témoignage. Et si on a la curiosité, l’on peut aussi voir l’information que le Magistrat de Husum a tenue de nos comportements par charge de la Cour de Gottorp, laquelle étant Juridique, est tant plus digne de foi. Mais il semble que cela même tourmente notre Burchardus, parce qu’il entend trop de bien dire de nous : ce qu’il ne peut pourtant empêcher : car personne ne peut autrement faire lorsqu’on en a tant soit peu de connaissance. C’est pourquoi qu’il se prend aux Lumières intérieures, desquelles les hommes ne peuvent tant témoigner comme de mes actions extérieures ; parce que le S. Esprit est invisible, quoiqu’il se rende souvent visible par ses opérations, comme ont témoigné tant de personnes dignes de foi au TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, disant qu’elles 45 ont reçu des grandes opérations de Dieu dans leurs âmes par le moyen de la lecture de mes livres ; et plusieurs d’icelles ont résolu par là de quitter le Monde pour se rendre disciples de Jésus Christ : ce qu’aucunes ont jà effectué.
XXIV. Le S. Esprit se déclare par A. B. Vanités des Sermons de Saint Burchardus.
Mais ce Burchardus ne veut pas entendre parler de cette Lumière du S. Esprit que Dieu m’a départie, mais plutôt veut dire qu’elle est des Ténèbres ou des 46 Œuvres du Diable, quoique 47 on connaisse l’arbre à son fruit, et le S. Esprit à ce qu’il produit. Et ce ne peuvent être des opérations du Diable 48 qu’une personne devienne humble de cœur, pauvre d’esprit, en méprisant tous les honneurs et plaisirs de cette vie pour suivre la bassesse et les souffrances de Jésus Christ, comme tâchent de faire toutes ces personnes qui ont reçu la Lumière que Dieu leur a envoyée par le moyen de mes écrits. Et je pense que tous les Sermons qu’a faits ce Burchardus en sa vie n’ont pas encore fait de semblables opérations dans une seule âme de ses auditeurs : pendant qu’il maintient que sa Doctrine est meilleure que la mienne, et qu’il est un Évangélique, et moi une Vieille errante : et que l’un de ses confrères Prédicants m’a écrit dans une de ses lettres qu’il ne faut point toucher ce BURCHARD, parce qu’il est un Vrai Disciple de Jésus Christ, et un SAINT ENTRE MILLE. D’où je peux bien conjecturer combien peuvent être saints les 999 autres, qui doivent avoir moins de sainteté que lui, selon le dire de ce Prédicant son confrère.
XXV. Zèle excessif et indiscret de Burchardus contre la vérité.
Ce qui me fait bien voir que les uns et les autres ont fort peu de Charité : vu que le plus saint d’entre mille a tant de cruauté que de me vouloir faire mourir parce que j’ai écrit en mon livre du Témoignage de Vérité des choses qu’il ne sait comprendre. Il est à croire qu’il aurait bien fait mourir plusieurs des anciens Prophètes s’il en aurait eu le pouvoir, à cause que ceux-là ont dit des choses beaucoup plus étranges que moi. Car s’il voulait bien remarquer les Écritures, il trouverait dans les Prophètes tout ce que j’ai écrit dans mon livre, qu’il méprise si fort. Mais il semble ne point vouloir chercher pour trouver la vérité, 49 mais plutôt faire tout son devoir pour l’étouffer afin que personne ne la découvre : puisqu’il me veut avoir hors du Monde à cause que j’annonce cette vérité de la part de Dieu. Il ne veut pas seulement boucher les oreilles pour ne pas l’entendre, mais veut aussi empêcher que personne ne l’entende. Car il ne veut pas souffrir que j’aille en l’île de Nordstrand ; quoique ce soit un lieu le plus écarté qui soit (peut-être) dans le Monde ; de crainte que je ne produise là des enfants, comme il dit en son livre. Mais s’il était sage, il souhaiterait que j’aille plutôt en Nordstrand qu’en la Cour de quelque Prince où je suis bien désirée : parce que mes enfants se pourraient là plus multiplier en étant au milieu du Monde avec l’autorité de quelque Grand, que je ne ferais en Nordstrand (ce qu’il appelle la Couche de production), puisqu’il y a là fort peu de personnes, et que c’est une île au milieu de la Mer, où personne ne passe sinon ceux qui veulent être en ce lieu. Et si Burchardus croit que ma Doctrine peut faire mal aux hommes, il doit plutôt procurer de me faire avoir Nordstrand, pour être hors du Monde (vu qu’il se vante d’avoir tant de crédit auprès des Juges), au lieu de me faire bannir en un autre Pays là où je pourrais encore épandre ma Doctrine davantage ; vu qu’il la juge mauvaise.
XXVI. Magister Burchardus ne cherche, ni plusieurs aussi, la gloire de Dieu. Source des Sectes.
Mais je pense que ce n’est point pour la gloire de Dieu ni le salut des âmes (comme il dit) qu’il agit en cette affaire, 50 mais seulement pour son propre intérêt. Car depuis que la vraie charité est bannie hors des cœurs des Chrétiens, 51 un chacun ne cherche plus que son propre, et à soutenir ses propres opinions pour attirer 52 davantage le peuple à soi, à fin que de là leur revienne honneur et profit. Et je crois que c’est là le seul sujet de la division des Chrétiens. Car si tous eussent cherché la gloire de Dieu et le salut des âmes, 53 jamais ils n’auraient fait de schisme ni division en la Chrétienté. Mais depuis que les hommes ont commencé à chercher leurs propres gloires au lieu de la gloire de Dieu, et leurs propres avantages au lieu du Salut des âmes, la Jalousie et l’Envie est entrée dans leurs cœurs, en sorte qu’ils n’ont plus su se souffrir l’un l’autre. Et pour ce seul sujet ils se sont divisés, et un chacun a voulu avoir une Religion à part, ou pour mieux dire, une Secte à part.
XXVII. Ce que c’est que Religion, Église, Secte.
Car une Religion n’est rien d’autre qu’une chose liée à Dieu. Là où toutes ces personnes par leurs Schismes ont délié les hommes de Dieu pour les faire attacher à eux-mêmes. En sorte qu’on peut de nom propre appeler toutes ces divisions des Sectes, plutôt que des Religions diverses, desquelles il n’en peut jamais avoir qu’une bonne, qui est composée de personnes qui sont liées ensemble en l’Esprit de Jésus Christ. Voilà la vraie Église et la seule vraie Religion, hors de laquelle il n’y peut avoir de Salut. Ce que les Catholiques s’appliquent à eux, à cause que ce nom de Catholique contient en soi la communion des Saints. Et s’il était vrai qu’ils seraient véritablement Saints, il serait aussi vrai que hors de leur Église il n’y aurait point de salut, à cause que l’Écriture nous dit (1) que rien de souillé n’entrera au Royaume des Cieux. Et tous ceux qui sont hors d’une sainteté de vie sont souillés de péchés, et partant ne peuvent être sauvés en mourant dans leurs souillures. Toutes ces choses sont si claires, qu’un petit esprit même les peut comprendre, si le péché ne l’avait point aveuglé.
XXVIII. La Chrétienté devenue Babel.
Mais il semble que nous sommes arrivés au temps prédit par les anciens Prophètes, auquel 54 Dieu a abandonné son peuple à l’Esprit d’erreur ; et que la Chrétienté est devenue 55 la Babel de confusion, dont cette grande Tour 56 qui était commencée à bâtir en Babylone a été la figure. Car sitôt 57 qu’il arriva la diversité des langues, et que les Ouvriers n’entendaient plus l’un l’autre, il fallut cesser ce grand ouvrage, pour la confusion qui était survenue à cause des diversités de langage : ce qui se voit maintenant accompli en pleine perfection en la Chrétienté, vu que les Pasteurs d’icelle, comme les ouvriers qui travaillent à la Vigne du Seigneur, n’entendent plus l’un l’autre, un chacun parlant son propre langage différent. Car les Catholiques disent qu’il faut être soumis au Pape pour être sauvé. Les Calvinistes disent qu’il ne faut qu’être prédestiné de Dieu à salut. Les Luthériens disent qu’il ne faut que s’appliquer les Mérites de Jésus Christ. Les Arminiens disent que les hommes se peuvent sauver quand ils veulent. Et les Mennonistes croient d’être sauvés par leurs justices extérieures. Les Trembleurs assurent leur salut sur la Croyance que le Saint Esprit leur donne sa Lumière. Et ainsi de plusieurs autres, desquels je n’ai jamais entendu les sentiments, quoique je sache qu’ils parlent tous un langage différent : à cause que toutes ces Sectes sont désunies 58 l’une de l’autre, et forment leurs Églises à part, quoiqu’elles se disent toutes Chrétiennes, et aient toutes le même Évangile, le même Symbole des douze Articles du Credo, la même Oraison Dominicale que Jésus Christ a enseignée pour bien prier, aussi les mêmes Dix Commandements du Décalogue donné par Moïse ; et partant doivent être tous Frères Chrétiens ; pendant qu’on les voit se 59 haïr l’un l’autre, s’appeler l’un l’autre hérétiques, en condamnant l’un l’autre à la condamnation Éternelle, parce qu’ils voient que les autres ne les veulent pas suivre. Car chacune de ces Religions voudrait bien 60 avoir tous les hommes sous soi ; et un chacun tâche d’en attirer le plus qu’il peut : un Catholique ferait beaucoup pour gagner un Luthérien à sa Religion, en pensant d’avoir gagné une âme à Dieu, et un Luthérien ferait encore davantage pour gagner un Catholique à soi. Et ainsi font toutes sortes de Religions : elles pensent d’avoir rendu service à Dieu d’attirer quelqu’un dans les Sentiments qu’elles possèdent, et font comme dit l’Écriture des Juifs : 61 Qu’ils vont par Mer et par Terre pour faire un petit Juif, et après qu’ils l’ont fait, ils le rendent enfant du Diable, et beaucoup pire que devant.
XXIX. Dieu fait connaître et expérimenter à A. B. le mal et le bien de toutes les Religions.
Dieu m’a fait voir en esprit toutes ces choses, et m’a envoyé hors de l’Église Romaine, à fin que je connusse aussi les autres par expérience. Mais à cause que je les déclare, l’on me poursuit à mort : pas les Catholiques seulement, mais aussi toutes les autres sortes de Religions : et ce à cause que je ne les peux suivre, en voyant que toutes sont dans des Ténèbres, les unes errant dans une chose et les autres dans une autre. C’est pourquoi que je me tiens à m’exercer en la pratique des enseignements de Jésus Christ, sans mépriser nulles de ces Religions en particulier, mais estimant d’icelles ce 62 qu’elles ont de bon et conforme à l’Évangile. C’est ce que notre Burchardus méprise aussi en moi, en disant par son Livre que je suis donc une inconstante de ne me point arrêter à une Religion. Comme s’il me voulait faire croire qu’il faut de nécessité s’arrêter à une Secte particulière. Et en ce cas je lui obéis : car je m’arrête à l’Église Romaine en laquelle je suis née : point à cause que je ne connaisse les abus ou relâchements d’icelle ; mais à cause que je ne trouve point mieux, et qu’il faut plutôt supporter les imperfections de sa propre mère que celles des étrangers, comme me sont tous ceux qui sont hors de la dite Église Romaine. Car avant que je fusse venue en l’an 1667, en la Hollande, je n’avais jamais conversé avec nulles personnes autres que celles qu’on appelle Catholiques, ni été en pays hors de l’obéissance de Rome : et même j’avais beaucoup d’aversion de venir en la Hollande, à cause qu’on m’avait donné dès mon enfance une fort mauvaise impression des hérétiques, comme on appelle là tous ceux qui sont hors de l’Église Romaine ; et on enseigne aux enfants qu’il vaut mieux de converser avec un Diable qu’avec un Luthérien, Calviniste, ou autres. Si bien que ma nature répugnait fort d’aller en la Hollande, en pensant que les personnes de là étaient toutes monstrueuses. Et je ne m’y aurais su résoudre ne fût que feu Monsr. de Cort me désabusait, en m’assurant qu’il y avait entre ces personnes non Romaines autant de gens de bien que parmi les Catholiques. Ce que j’ai trouvé par expérience être véritable.
XXX. Il faut aimer les gens de bien sans égard aux Sectes.
C’est pourquoi que je les aime maintenant 63 partout où je les trouve, sans m’informer si elles sont Romaines ou non. Ce que ce Burchardus méprise, et voudrait peut-être que j’aimasse les Luthériens seulement, comme il fait, en haïssant tous les autres. Ce qui est contre la Charité Chrétienne. Car quel sujet me donne un homme de bien de le haïr en bien vivant à cause seulement qu’il ne s’appelle point Catholique ? Vu qu’il peut être en effet plus Catholique que le plus saint d’entre les Romains ? Ne dois-je pas plutôt regarder 64 où sont les vrais Chrétiens pour me lier d’affection à eux, que d’écouter comment on les appelle ? Car tous ces noms divers peuvent être 65 mensongers : comme lorsqu’on appelle un Romain, Catholique, et que sa vie n’est pas sainte ni ses sentiments Chrétiens, on lui donne un faux nom : puisque Catholique ne veut signifier autre chose qu’une personne qui est en la communion des Saints : et lorsqu’on appelle un Luthérien Évangélique, et que sa vie et ses sentiments ne sont pas conformes à l’Évangile, on lui donne aussi un faux nom ; et lorsqu’on appelle un Calviniste élu de Dieu, et que sa vie et ses sentiments ne sont point conformes à la vie et doctrine de Jésus Christ, on lui donne aussi un faux nom : parce que nuls ne seront élus, sinon ceux qui à la mort seront trouvés revêtus 66 de l’ESPRIT DE JÉSUS CHRIST. En sorte que tous ces noms ne sont que des faux visages et des masques pour tromper les esprits enfantins, lesquels s’arrêtent à la spéculation des beaux mots, ou choses belles à l’extérieur : mais celui à qui Dieu a donné le jugement 67 doit ôter tous ces masques et ne point écouter ces paroles flatteuses qui trompent le Monde, en faisant prendre le mal pour le bien, et le mensonge pour la Vérité.
Examen et rareté de la Charité.
XXXI. Examen de la Charité. Tous la prétextent : peu l’ont.
Mais il faut pénétrer les choses en examinant leur fond, et voir si ce qui paraît de l’Or n’est pas du Cuivre doré, comme sont maintenant presque toutes les Vertus et Vérités des hommes. Car un chacun tâche de dorer ses Vices et son relâchement avec de l’OR de CHARITÉ, quoiqu’au dedans il n’y ait rien de semblable : vu qu’icelle Charité est maintenant si 68 refroidie au cœur des hommes, qu’on ne voit plus en leurs comportements rien de semblable : puisqu’on les voit 69 remplis d’orgueil, d’avarice, de luxure, d’envie et de cruauté : ce qui paraît même dans ceux qu’on appelle les Saints entre mille. Et il me semble que les meilleurs d’aujourd’hui n’ont plus un grain de la vraie CHARITÉ, et qu’ils ne connaissent pas même ce que c’est de cette vraie Charité. Car s’ils la connaissaient, ils tâcheraient du moins de la désirer, et feraient leur mieux pour l’obtenir : là où on voit qu’au contraire les Prédicants la rejettent, et veulent faire brûler les livres qui traitent particulièrement de cette Charité Chrétienne. Je sais bien qu’ils n’avoueront point d’être sans Charité, puisqu’ils portent le nom d’être charitables ; à cause qu’on a maintenant donné le nom de Charité à tant de choses diverses qu’on ne sait plus ce que c’est de la vraie Charité.
XXXII. La CHARITÉ ne consiste dans les œuvres extérieures. Ses vraies Propriétés.
Les uns tiennent que c’est de donner un peu de ses biens aux pauvres, de visiter les malades, etc., les autres d’enseigner les ignorants, d’admonester les défaillants, etc., et quoique ces choses soient notées 70 en l’Écriture pour des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, elles ne peuvent pourtant porter le nom de la vraie Charité, ne soit qu’icelles soient faites pour le seul AMOUR 71 qu’on porte à Dieu. Car toutes ces œuvres de miséricorde spirituelles et corporelles se peuvent bien faire sans charité : 72 les méchants qui haïssent Dieu, voire les Diables mêmes, pourraient bien faire toutes ces œuvres de miséricorde par égard humain, ou par propre complaisance, ou bien pour tromper le monde. C’est pourquoi que Saint Paul a si particulièrement expliqué ce que c’est de la CHARITÉ, lorsqu’il dit : 73 Encore bien que vous donneriez tous vos biens à la nourriture des pauvres, et votre corps pour être brûlé, que vous parleriez le langage des Anges et auriez le don de prophétie, et la foi si grande que vous transporteriez les montagnes, etc., tout cela n’est rien si vous n’avez la Charité. Par où il donne assez à entendre que la vraie charité est autre chose que ce qu’on s’est imaginé : à cause que la Charité consiste au seul AMOUR DE DIEU, et point en des choses extérieures. Et à fin que les hommes ne se flattent pour se perdre, en pensant d’avoir l’amour de Dieu lorsque cela n’est point véritable, le même Apôtre décrit les conditions de la vraie CHARITÉ en disant : 74 La charité est patiente, elle est bénigne, charité n’est point envieuse, charité n’a point d’insolence, elle ne s’enfle point, elle n’est point ambitieuse, elle ne cherche point ses profits, elle n’est point dépiteuse, elle ne pense point à mal, elle ne s’éjouit point de l’injustice, mais elle s’éjouit de la vérité, elle endure tout, elle croit tout, elle espère tout, elle souffre tout ; Charité jamais ne déchoit, encore que les prophéties soient abolies, et que les langues cessent et que la science soit abolie.
XXXIII. Nécessité d’observer ces marques dans l’examen.
Voilà toutes les conditions que l’Apôtre décrit que doit avoir celui qui a la Charité : sur lesquelles conditions il faut bien prendre égard. Car les hommes de maintenant sont si amoureux d’eux-mêmes, qu’ils disent, voire croient par présomption d’esprit, qu’ils ont la charité, quoiqu’en effet ils ne possèdent pas une seule de ces conditions que l’Apôtre décrit comme les vraies marques par lesquelles on peut connaître si une personne a la charité ou non : vu que ce sont les fruits que la charité produit toujours dans les âmes qu’elle possède. Et comme on connaît l’arbre à son fruit, ainsi connaîtra-t-on la charité aux vertus ci-dessus nommées, qu’elle produira en la personne qui possède la vraie charité.
XXXIV. Actions et sentiments d’A. B. et de Burchardus examinés sur la Pierre de Touche de la CHARITÉ.
C’est pourquoi je présente cette Pierre de Touche à tous bons Chrétiens, à fin qu’iceux puissent frotter mes actions et mes sentiments sur cette sur Pierre de Touche, pour savoir si je suis de bon Or de la vraie Charité, ou si notre Burchardus est dans icelle, en me persécutant et en écrivant contre moi comme il fait, et en tâchant d’exterminer tout ce qui n’est pas conforme à ses intentions.
XXXV. Bonnes qualités de Saint Burchardus.
Il faut confesser 75 qu’il parle le langage des Anges lorsqu’il lit l’Évangile au Peuple ; et qu’il prophétise alors ; et qu’il semble aussi de donner de son bien aux pauvres, vu qu’il a le nom d’être Saint entre mille ; et qu’il voudrait aussi bien donner son corps pour être brûlé, à cause du zèle de sa Religion, vu qu’il me persécute tant à cause que je n’en suis point ; et qu’il admoneste tant les Juges par son Livre de faire Justice de moi, ou de faire brûler mes Livres, et qu’il est infatigable en cette poursuite. C’est signe qu’il donnerait bien son Corps pour être brûlé, plutôt que de renier sa Religion. Mais l’Apôtre nous dit précisément que 76 tout cela n’est rien sans la CHARITÉ. C’est pourquoi qu’il est très bon de remarquer si tout son procédé provient de Charité ou de son amour propre : car l’un de ces motifs servirait à son salut éternel ; et l’autre servirait à sa damnation éternelle : pendant qu’il ferait toutes les mêmes choses.
XXXVI. Démonstration que Burchardus est sans Charité. Et qu’ainsi son procédé est faux et trompeur.
C’est pourquoi qu’il faut toucher plus d’une fois ses actions pour connaître si elles sortent du vrai Or de la Charité. Et il faut demeurer auprès de la connaissance qu’en a S. PAUL, pour en avoir plus d’assurance : car la vue 77 nous peut souvent tromper, lorsque nous n’avons pas eu l’usance de manier LA PIERRE DE TOUCHE ; nous prendrions bien le faux Or pour le vrai.
XXXVII. Il est impatient, cruel, et envieux.
Et partant il faut considérer tout premier si ledit Burchardus est 78 Patient. Et cela se verra clairement, en ce qu’il ne m’a pas voulu souffrir au Pays d’Holstein si tôt qu’il a pu gagner le Juge pour me défendre d’imprimer ou de publier mes écrits ; et n’a voulu avoir la patience d’attendre que je m’aurais défendu, comme j’offrais de faire ; mais a précipité une exécution contre mon innocence, sans me donner le temps de demander pourquoi cela se faisait ? Et je crois qu’il aurait fait brûler tous mes livres s’il eût été en sa puissance, avant que j’en eusse entendu la raison. Voyez un peu, mes Frères Chrétiens, s’il y a en lui quelque Bénignité, et si on ne voit point là-dedans une Envie spirituelle du bien d’autrui ? Ce qui est aussi un péché d’entre ceux que l’Écriture dit être 79 contre le S. Esprit. Car celui qui a la Charité 80 aime autant le bien spirituel de son prochain que les siens propres : à cause qu’il ne regarde que la gloire de Dieu qu’il aime, il est aussi bien content qu’un autre l’honore ou reçoive de ses grâces 81 que lui-même.
XXXVIII. Il est insolent, enflé, cherchant son propre, dépiteux, songe-malice.
C’est pourquoi que l’Apôtre dit que la Charité n’a point d’insolence, comme on trouve en ce que Burchardus a fait contre moi. Ni aussi ne s’enfle point, ou est présomptueuse, comme il se présume d’être seul saint, et ne peut entendre parler de la sainteté d’un autre sans se troubler et alarmer, comme il fait contre moi. L’Apôtre dit que la Charité ne cherche point ses profits, mais ce Burchard ne me peut pour d’autre fin persécuter que pour son propre intérêt, en craignant que je n’attirasse par ma Doctrine quelqu’un de ses sujets, desquels il perdrait leurs présents, 82 lesquels doivent augmenter son revenu annuel ; ou qu’il serait intéressé en la diminution de ses disciples, en ayant l’ambition d’en avoir 83 grand nombre. Car il se dépiterait grandement si quelqu’un d’iceux voulait quitter ses sentiments pour suivre les miens. Mais s’il avait la CHARITÉ il serait Bénin, et dirait en semblable cas avec le Prophète : 84 Tous Esprits louent le Seigneur, autant les Disciples d’un autre que les siens en bien vivant, et il ne penserait point à mal de moi : vu qu’il a du sujet d’en penser tout bien.
XXXIX. Il s’éjouit de l’injustice en l’exécution contre A. B. S’attriste de la Vérité. Ne souffre, ne croit, et n’espère le bien.
Et si notre Burchardus avait la Charité il ne s’éjouirait point de l’injustice qu’on m’a faite en la rigueur de cette exécution, en laquelle le Commissaire a de beaucoup excédé sa commission, et nous a fait beaucoup de dommage sans profit à personne. Car il a laissé perdre et piller plusieurs de mes livres, qu’on en a fait des ablatures, et profané des choses si saintes, les trouvant en des Tavernes, en des boutiques pour envelopper leurs denrées ; et les femmes de Paysans les mettaient sur leurs quenouilles pour tenir le lin qu’elles filaient : de quoi notre Burchardus s’est grandement réjoui de ce mal, en voulant penser mal de choses bonnes. Et quoique l’Apôtre die que la Charité se réjouit de la Vérité, il s’en attriste, et me veut empêcher que je ne la prononce plus, parce qu’elle lui déplaît, au lieu de s’éjouir en icelle. L’Apôtre poursuit en disant que la Charité endure tout, croit tout, espère tout, et souffre tout. Ce qu’on ne peut apercevoir en notre Burchardus, lequel ne veut pas souffrir que je demeure en Holstein, encore moins que j’écrive des choses bonnes ; et ne veut pas croire que j’ai reçu la Lumière du Saint Esprit, ni espérer qu’icelle apporte du bien pour le salut des âmes ; encore moins veut-il souffrir qu’on lise les vérités que j’écris, en disant publiquement par son livre, que ce sont des erreurs et des blasphèmes contre Dieu.
XL. Il craint la décadence de sa Religion.
L’Apôtre finit en disant 85 que la Charité jamais ne déchoit, encore que les Prophéties soient abolies, et que les langues cessent, et que la science soit abolie. C’est pourquoi que notre Burchardus n’aurait sujet de rien craindre, s’il avait la Charité ; vu que sa Religion ne peut jamais déchoir si elle est fondée sur icelle. Et encore que les Prophéties soient là cessées, et qu’il rejette ce que j’ai dit au TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ par Esprit Prophétique, il ne doit pas croire que ses sentiments défaudront pour mon dire, s’il est possédé de la Charité, il devrait demeurer inébranlable sur cette Charité, encore qu’il ne me parlerait point un mot pour m’empêcher, et qu’il ne ferait plus de prédications, et qu’il n’aurait plus de science pour composer des livres, si ne craindrait-il jamais que sa Religion défaille en possédant la Charité : puisque l’Apôtre assure qu’elle ne défaillira jamais. Mais son trouble et ses alarmes, et la crainte qu’il a que je parle contre sa Religion, témoignent assez qu’il n’a point cette Charité ni aucunes de ces qualités déclarées par cet Apôtre. Car autrement il se tiendrait en repos, encore bien que j’écrirais et publierais mes livres partout jusqu’au dernier jour du Jugement, il ne s’en mettrait en peine, en s’assurant sur l’Écriture qui ne peut mentir en ce qu’elle dit, que la Charité ne déchoit jamais : sa Religion et ses sentiments en ce cas ne pourraient aussi jamais déchoir, quoi que je dise ou écrive.
XLI. Ce qui est fondé en la Charité ne déchoit jamais.
Il ne serait point de besoin de faire brûler des livres ou faire mourir des personnes qui ont parlé contre sa Religion, puisque rien de cela ne le pourrait grever si elle est fondée sur la Charité ; laquelle est un fondement ferme comme la Roche, que les vents et les ondes de la Mer ne peuvent ébranler. C’est la promesse que Jésus Christ fit à Saint Pierre, en le constituant Chef de son Église, lui disant : 86 Vous êtes Pierre, et sur cette Pierre j’édifierai mon Église, que les portes d’Enfer ne pourront renverser. Et si l’Église Luthérienne a cette fermeté, elle ne doit craindre que les Écrits d’une fillette sans étude la pourront renverser : mais on doit plutôt croire que mes écrits l’affermiront davantage, comme le vent affermit davantage un arbre qui est bien planté, et lui fait jeter de plus profondes racines par les agitations du vent.
XLII. Burchardus destitué de Charité veut tout affermir par violence.
Mais il est à croire que ce Burchardus voit bien lui-même qu’il n’est pas fondé sur la Charité, et qu’il n’a point les conditions décrites par cet Apôtre. C’est pourquoi il se veut maintenir et fortifier par des moyens humains, par des querelles 87 et disputes, par des persécutions faites aux personnes qui ne lui cèdent point ; et par faire exterminer avec le bras de la Justice tout ce qu’il croit de lui être contraire. Ce qui n’est pas une méthode Chrétienne ni avouée de Jésus Christ même, lequel a dit : 88 Ne résistez point au mal, par où il donne bien à entendre qu’il faut encore moins résister au bien, comme fait ce Burchardus, lequel devrait laisser aller mes écrits en public, afin qu’un chacun puisse juger s’ils sont bons ou mauvais, vu qu’il y a encor assez de personnes d’esprit dans le Monde pour faire ce discernement, sans qu’il soit de besoin d’étouffer mes écrits : de tant plus qu’il prie en son livre qu’on les examine de bien près, afin d’en découvrir le mal qu’il y a de caché sous la couleur du bien.
XLIII. A. B. soumet ses écrits à l’examen.
En quoi il me fait plaisir sans le savoir, car je ne désire rien plus dans le Monde comme je désire que mes livres soient bien épluchés de près. Car plus on les examinera, de tant plus on découvrira les solides vertus et vérités qu’ils contiennent. Et je les veux produire pour rembarrer les injures et calomnies qu’il me fait dans son livre. Car ce Témoignage muet convaincra bien ses mensonges. Et s’il y avait eu dans mes dits Livres quelque chose de mauvais ou suspecté de quelques erreurs, je ne les aurais pas si librement mis au jour, puisque l’Écriture dit 89 que celui qui fait chose malséante ne vient point à la Lumière, de crainte que ses œuvres ne soient connues. Mais parce que je n’ai rien fait de malséant, je viens à la Lumière, afin que mes œuvres soient connues et manifestées à tous ceux qui les veulent voir ou entendre. Et si j’avais voulu enseigner des erreurs ou des choses malséantes, je n’aurais eu garde de déclarer ainsi mes secrets à tout le Monde, et faire imprimer les lettres particulières que j’écris à mes amis confidents. C’est pourquoi que ma naïve sincérité a fait assez paraître que je ne voulais rien faire de malséant. Mais si les méchants 90 la prennent en mal, je ne peux empêcher leurs malices, mais bien leur faire voir que j’ai les qualités écrites par S. PAUL, 91 que doit avoir la vraie CHARITÉ.
XLIV. Preuves de la Charité d’A. B. et de ses Amis dans l’injuste exécution contre eux.
Car j’ai été patiente lorsqu’on m’a venu exécuter, et n’ai dit autre chose sinon qu’on devait laisser l’Exploiteur exécuter sa commission. Et lorsqu’il l’excédait, comme il a fait, il avait mérité des coups de bâtons, quoique personne de nos amis ne lui ait donné une mauvaise parole, à cause qu’ils savent tous que la CHARITÉ souffre et endure tout, et croit tout, en pensant que cet Exploiteur avait ordre de faire ce qu’il faisait, comme il disait. En sorte qu’on ne peut dire que personne de nos amis ait manqué en ce rencontre de témoigner qu’ils avaient les conditions de la Charité, lesquelles cet Apôtre a décrites, et qu’ils ont tout souffert avec patience et bénignité sans aucune insolence, ou gloire et ambition ou dépit, quoiqu’on leur en donnait assez de sujet. Nous avons aussi assez montré que nous ne cherchons par notre profit, en laissant sans contredire emporter nos propres biens à notre vue, offrant de les pacquer en bon ordre : et n’avons aussi pensé à nul mal, en croyant qu’il y avait quelque mauvais rapport fait au Juge, mais avons seulement été tristes de voir l’injustice de cet Exploiteur ; et serions maintenant éjoui de voir paraître la Vérité, endurant et espérant la bonne issue, cependant que notre charité n’est pas déchue ni diminuée.
XLV. La Charité s’affermit par les Persécutions.
Car je puis dire avec vérité que tous nos frères sont plus unis par ensemble depuis cette persécution qu’ils n’étaient auparavant, et que la charité est enflammée entre nous, en voyant que les choses s’accomplissent en nous qui ont été prédites par Jésus Christ à ses Disciples, à savoir 92 qu’ils seraient poursuivis et persécutés pour son nom. Ce qui a pris un commencement en notre communauté ; à laquelle on ne peut mal dire ou mal faire pour autre sujet, sinon parce que nous croyons en la Vérité, qui est Dieu même ; et que professons son saint Nom, en tâchant de devenir des vrais Chrétiens. Et nous trouvons que véritablement l’Apôtre a dit que la Charité jamais ne déchoit, encore que toutes les prophéties cesseraient, et que les langues cesseraient, et que toutes sciences seraient abolies : car depuis qu’il m’a fallu fuir pour les persécutions ; je n’ai plus pu parler ni prophétiser parmi les frères, et toutes les sciences que Dieu m’a données ont cessé pour leur regard, pendant qu’ils sont demeurés dans la Charité et la résolution d’aimer Dieu jusqu’à la mort.
XLVI. Incapacité de ces Prêtres à éprouver la Charité, et tout par elle.
Toutes ces choses ont bien plus d’apparence des qualités de la CHARITÉ que cet Apôtre décrit, que n’ont toutes les œuvres et les livres de notre Burchardus ; comme un chacun pourra remarquer par cette PIERRE DE TOUCHE : laquelle je ne présente point à ces Prédicants, vu qu’ils sont mes parties et qu’ils jugeraient toujours à leurs avantages, de tant plus qu’ils ont absolument résolu 93 de faire paraître fin or ce qui est faux, par ignorance ou bien par malice ; et partant ils sont tellement préoccupés 94 en leur entendement de croire qu’ils sont en la Vérité, et moi en des erreurs, qu’ils ne sont plus capables de faire un bon discernement ; et encore bien qu’ils seraient convaincus en leurs consciences que je suis en la vraie charité, si ne le voudront-ils pas confesser, 95 à fin de maintenir leurs opinions bonnes. Mais je présente cette PIERRE DE TOUCHE aux gens d’esprit, désintéressés et non partials, capables d’en bien pouvoir juger selon la vérité du fait, et voir clairement qui de nous est de meilleur aloi, les sentiments de notre Burchardus ou bien les miens ; non seulement par cette PIERRE DE TOUCHE que je présente, mais par la PIERRE DE TOUCHE que Saint Paul nous a laissée, en décrivant quelles marques doivent avoir ceux qui ont la vraie Charité, sans laquelle tous nos autres biens ne sont rien, comme il l’assure.
XLVII. Preuve de leur incapacité par leurs actions.
Je pense que ce Burchardus ou ses semblables n’ont jamais pénétré jusqu’au fond ce que c’est de la CHARITÉ, ni aussi ce que c’est d’une Hérésie. Car s’ils connaissaient cela, ils ne croiraient point d’avoir la vraie Charité, lorsqu’ils cherchent encore leur profit : ce que Saint Paul dit que la Charité ne cherche point. Et ils ne diraient point aussi que j’ai des erreurs, lorsque j’enseigne la même doctrine qu’a enseignée Jésus Christ et ses Apôtres ; car ce serait les condamner s’ils me condamnaient. Et lorsqu’ils veulent faire brûler mes livres, il faudrait ensuite qu’ils fissent brûler le Nouveau Testament, qui déclare toutes les mêmes choses que je déclare par mes livres en matière de vertu. Et s’il y a quelques choses dans mes livres outre ce Nouveau Testament, ils me les devraient proposer pour en avoir éclaircissement, afin d’ôter ces points qui sont mauvais, si aucuns y en avait, sans vouloir faire contre le conseil et l’ordonnance que Jésus Christ donnait à ses moissonneurs, lesquels se plaignaient 96 qu’il y avait de l’ivraie parmi le bon grain, en demandant s’ils l’arracheraient ? à quoi Jésus Christ répondit sagement : Laissez-la croître tout ensemble jusqu’à la Moisson, craignant qu’en arrachant l’ivraie vous n’arrachiez aussi le bon grain : mais au jour de la moisson, je dirai aux moissonneurs, amassez premièrement l’ivraie et la liez en faisceaux pour la jeter au feu : mais amassez le bon grain en mon grenier. Et l’on m’a dit que c’était aussi le sentiment de Luther, qu’il fallait laisser le mauvais avec le bon, et que la mort les séparerait bien. Mais ses disciples maintenant ne veulent pas suivre son conseil en mon regard, mais veulent jeter au feu toute ma doctrine, la bonne avec la mauvaise, sans vouloir attendre seulement le jour que je l’aie défendue, 97 mais comme des Juges iniques, ils donnent des Sentences de condamnation contre mes écrits auparavant de les avoir débattus, ni su ce que je veux maintenir, en disant et écrivant à l’aveugle en général, qu’il y a des Hérésies.
XLVIII. Les Méchants calomnient confusément.
Et même ce Burchardus dans les Remarques de son Livre ne dit point positivement ce point particulier est une Hérésie en prouvant pourquoi qu’il l’appelle Hérésie par des fondements de l’Écriture ; et quoiqu’il en cite plusieurs passages, il ne les applique nullement à propos sur mes écrits ; ce que je lui ferais bien voir, s’il me les avait proposés en particulier et distinctement : mais il confond quantité de choses toutes ensemble, à fin que les esprits soient embrouillés et obscurcis par ses allégations sans conclusion, et fait comme les vendeuses de pommes, qui s’injurient l’une l’autre à tort et à droit, en s’appelant putains et larronnesses, sans prouver quelles paillardises ou larcins elles ont commis.
XLIX. Ce que c’est qu’Hérésie et être hérétique.
Et ce Burchardus en fait tout de même en mon regard lorsqu’il dit d’y avoir des hérésies et des Blasphèmes contre Dieu en mes écrits. Ce qui ne peut sortir que de la rage furieuse qu’il a contre moi. Car rien n’est Hérétique sinon ce qui retranche l’âme de l’Amour de son Dieu. Et une personne ne peut être tenue pour hérétique sinon celle qui veut opiniâtrement maintenir des choses qui retranchent les hommes de l’Amour de Dieu. Car encor bien qu’une personne aurait en soi quelques véritables erreurs, elle ne peut pourtant être appelée hérétique jusqu’à ce qu’elle en soit convaincue, 98 et qu’elle veuille néanmoins persister en icelles : cela est une règle générale, laquelle s’observe même dans les Inquisitions de l’Église Romaine, quoiqu’icelle soit très rigoureuse. Jamais on ne condamnera une personne pour hérétique avant avoir formé un procès sur ses erreurs, et quelle en soit convaincue, après les avoir débattues : encor lui donne-t-on le temps de se conseiller et repentir. Et si même après en être condamnée la personne s’en repent et veut désister de ses erreurs, on la reçoit à pardon et ne la retranche point de l’Église comme une hérétique, mais on la reçoit comme un enfant obéissant, qui a reconnu sa faute. Et si Luther, ou autres Réformateurs, eussent ainsi voulu faire, ils ne fussent jamais été retranchés de l’Église Romaine : ce qui est seulement arrivé après qu’ils ont eu défendu leurs causes, et qu’ils sont demeurés opiniâtres en leurs sentiments.
L. Procédé inique des Prêtres modernes. Procédé d’A. B. contraire.
Mais ces Luthériens modernes ne me veulent disputer les choses qu’ils appellent erreurs en mes écrits : mais sans aucune forme de procès et de raisons ils les condamnent, et veulent qu’on brûle mes livres et ma personne s’ils pouvaient. Ce qui est une grande injustice, de laquelle ils s’éjouiraient si on la mettait en exécution, quoique S. Paul dit 99 que la Charité ne s’éjouit point de l’injustice, mais s’éjouit de la Vérité : ce qu’ils font tout au contraire, en s’attristant même de ce que je montre si clairement la Vérité en mes écrits. C’est pourquoi qu’ils les veulent exterminer. Pour moi je fais tout au contraire. Car je m’éjouis extrêmement, lorsque je vois quelqu’un dans la vérité, encore que ce serait un Luthérien ou autre qui me soit ennemi ; je serai toujours joyeuse d’entendre qu’ils seraient en quelque chose dans la vérité, à cause que la charité qui possède mon âme m’enseigne cela. Et je pense que tout le mal vient d’ignorance, et de ce que les autres ne font pas ainsi. Car si on savait ce que c’est de la vraie CHARITÉ, on n’aurait garde de s’éjouir de l’injustice, ni de s’attrister de la vérité ; mais à faute de savoir cela, on commet de grandes fautes sans l’apercevoir.
LI. Pour bien déclarer la Vérité, il en faut chercher la source, et non déchirer les Écritures par disputes.
C’est pourquoi que je veux déclarer positivement ce que c’est de la Charité, à fin d’ouvrir les yeux aux ignorants. Et pour ce faire, il faut chercher l’origine d’une chose et la mettre pour fondement de ce qu’on veut montrer. Et partant il faut savoir premièrement pourquoi Dieu a créé l’homme et à quelle fin ? car autrement on bâtit toutes ces disputes sur le vent des paroles étudiées, à quoi toutes sortes de Religions aiguisent leurs esprits, pour trouver des discours qui fortifient les sentiments qu’un chacun a entrepris de croire ; et on coupe et déchire les Écritures pour en tirer quelques mots favorables à leurs desseins, en laissant ce qui est devant et après ces mots, qui explique le vrai sens.
Des Mérites de Jésus Christ.
LII. L’on déchire les Écritures pour se flatter par les Mérites de J. C.
Comme, par exemple, quelqu’un de ces prédicants m’écrivit dernièrement, que je parlais contre l’Évangile, en disant que Jésus Christ n’avait point satisfait pour tout le monde, mais seulement pour ceux qui suivront sa doctrine. Et pour prouver son dire il me citait S. Jean en sa première Épître, chapitres 1 et 2, là où il dit 100 que le sang de Jésus Christ nous nettoie de tous péchés. Cela ne veut pas dire pourtant de tous les péchés que nous avons commis et voulons encore commettre, mais il dit précisément auparavant 101 que si nous vivons en ténèbres nous n’avons point de communion avec lui ; et si nous le disons nous mentons, et ne faisons pas Vérité : mais si nous cheminons en la lumière comme lui, nous avons communauté avec lui, et en ce cas le sang de Jésus Christ nous nettoie alors de tous péchés, et non pas sans cette condition, ni lors que nous cheminons en ténèbres. Et il est bien vrai qu’il dit aussi, 102 si nous confessons nos péchés, qu’il est juste et droiturier, et qu’il pardonnera nos péchés. Mais cette confession n’est point à entendre de confesser cela de bouche seulement, en continuant en ses péchés : car celui qui continue ainsi, il ne doit pas attendre d’être purgé de ses péchés, puisqu’il se souille continuellement par des nouveaux péchés. Il est bien vrai que si nous disons 103 que sommes sans péché, que nom démentons Dieu : car 104 tous hommes sont pécheurs, pour avoir tous péché en Adam ; et depuis lui, en eux-mêmes. Mais S. Jean dit en son 2e chapitre, 105 mes enfants je vous dis toutes ces choses afin que vous ne péchiez plus, mais si quelqu’un a péché, nous avons un Intercesseur vers le Père, Jésus Christ le Juste. Mais cela s’entend pour les péchés passés 106 lorsque nous les voulons quitter et amender et non autrement.
LIII. Jésus Christ n’a intercédé ni mérité pour les pécheurs continuants.
Car si Jésus Christ voulait intercéder pour les hommes qui veulent continuer et persévérer en leurs péchés, il se rendrait coupable de leurs péchés : vu que le proverbe dit que le Souteneur est autant coupable que le larron. Et j’ai vu pendre pas la Justice pour le larcin des personnes qui n’avaient jamais dérobé, mais seulement soutenu le larcin, lesquelles en effet étaient plus coupables que les larrons mêmes, lesquels ne pourraient beaucoup dérober s’ils n’avaient pas eu de soutien. Il est vrai que S. Jean dit précisément 107 que Jésus Christ n’est pas seulement un MÉDIATEUR pour ses Disciples, mais pour tous les hommes, à cause 108 que Dieu n’est Accepteur des personnes : mais il entend pour tous les hommes qui gardent ses commandements, en disant 109 que celui qui dit qu’il le connaît et ne garde point ses commandements, que celui-là est un menteur, et que celui qui dit qu’il demeure en lui, doit aussi même cheminer, comme lui a cheminé. Et que celui qui aime le Monde, l’Amour du Père n’est pas en lui. Or toutes ces circonstances ne se trouvent point ès personnes à qui on enseigne que Jésus Christ a tout satisfait pour elles : vu qu’on ne les voit pas cheminer en Lumière comme Jésus Christ a cheminé en Lumière ; pour cela elles n’ont point de communion avec lui. Car le même Saint Jean dit précisément 110 que si nous disons qu’avons communion avec lui, et que nous cheminions en ténèbres, que nous sommes menteurs, et que Vérité n’est point avec nous. Et ce n’est pas à de semblables personnes que l’Apôtre parle lorsqu’il dit : Que le sang de Jésus Christ nous nettoie de tous péchés ; mais il parle aux personnes qui cheminent en lumière comme lui est en lumière ; parce qu’avec icelles Jésus Christ a communion, et non avec celles qui cheminent en ténèbres. C’est pourquoi que le passage de l’Épître de Saint Jean que ce Prédicant me cite pour prouver que le sang de Jésus Christ nous purifie de tout péché, le condamne ; en répétant si souvent que celui qui ne chemine point en sa lumière n’a point de communion avec lui : vu qu’il dit précisément que nous mentons en disant que nous avons communion avec lui lorsque nous cheminons en ténèbres. Donnant par là assez à entendre que le sang de Jésus Christ nettoie de tout péché seulement ceux qui cheminent en sa lumière : vu que les autres n’ont pas de communion avec lui.
LIV. L’on flatte les Mondains avec les Mérites de Jésus Christ.
Or je demanderais volontiers qui sont les personnes maintenant qui cheminent en la lumière de Jésus Christ, et qui ont communion avec lui, entre celles auxquelles on enseigne que Jésus Christ a tout satisfait pour eux ? Ne voit-on pas en effet qu’ils aiment le Monde et ses vanités, étant convoiteux d’honneurs et de richesses, d’aises et de plaisirs sensuels, appliquant leurs esprits et tous leurs soins à complaire aux hommes de qui ils attendent quelque faveur ? Toutes lesquelles choses ne peuvent avoir rien de commun avec Jésus Christ, lequel dit : 111 Je ne suis point du Monde ; 112 et si vous êtes de moi, le Monde vous haïra. Et au lieu que les hommes convoitent honneurs et richesses, Jésus Christ a cheminé en bassesse, humilité, et en pauvreté volontaire, en mésaises, en mépris, et en persécutions. Quelle communion donc peut-il y avoir entre la lumière des hommes avec la lumière de Jésus Christ ? Vu que les hommes vont par un chemin tout contraire à celui par lequel Jésus Christ a cheminé, et qu’il leur a dit si précisément 113 Soyez mes imitateurs : et ailleurs il dit 114 que celui qui veut plaire aux hommes n’est point son disciple.
LV. Les Prêtres mutilent les Saintes Écritures pour flatter.
Tous ces passages, avec mille autres qui sont dans l’Écriture, pour montrer qu’il faut cheminer comme Jésus Christ a cheminé en étant sur la Terre, laissent ces Prédicants en arrière, et déchirent hors de l’Écriture ces mots seulement, que le sang de Jésus Christ nous nettoie de tous péchés, sans vouloir examiner à qui ces paroles s’adressent, ni aussi remarquer les choses qui sont dites devant et après ces mots, pour avoir intelligence d’iceux. Et ce leur est assez de sentir que ces mots flattent leurs natures corrompues, pour secouer le joug de Jésus Christ de leurs épaules, en croyant que c’est assez que lui-même l’a porté pour en appliquer à eux les mérites, en oubliant que Jésus Christ leur a dit à tous 115 prenez mon joug : et a dit aussi 116 que celui qui veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et me suive. Toutes ces choses sont glosées et le vrai sens renversé, à fin de faire vivre les hommes à l’aise en méprisant les conseils de Jésus Christ, quoiqu’il ait dit 117 demeurez en ma parole, et ailleurs, 118 vous êtes mes amis si vous gardez mes commandements. Et ailleurs, 119 si vous cheminez par les voies que j’ai cheminé. Cela ne se peut entendre qu’on peut bien cheminer selon la chair et le sang, comme cheminent maintenant presque tous les hommes, en disant que Jésus Christ a tout satisfait pour eux. Car il ne se faut pas tromper, vu que l’Écriture dit 120 que la chair et le sang n’hériteront point le Royaume des Cieux. Et Jésus Christ n’a point satisfait pour ceux qui veulent continuer en leurs péchés, mais pour les pécheurs vraiment repentants qui se soumettent à la Loi Évangélique ; de ceux-là dit Dieu 121 qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive.
LVI. Fausse Idée de la Conversion. Nécessité de la Pénitence.
Mais ces personnes qui veulent croire que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, n’ont garde de se convertir ni de vivre éternellement ; vu qu’elles s’imaginent d’être sauvées par les mérites de Jésus Christ en continuant en leurs péchés. Et pour colorer cette fausse imagination, ils disent que c’est se convertir, de confesser qu’ils sont pécheurs, et reconnaître leurs fragilités : apportant le même passage en la lettre de Saint Jean, 122 que celui qui dit de n’avoir péché est menteur. Ce qui est une Vérité certaine. C’est pourquoi Jésus Christ dit 123 qu’il n’est point venu appeler le juste, mais le pécheur à pénitence, mais on laisse cette condition de pénitence en arrière, en se persuadant que Jésus Christ est mort pour les pécheurs. Ce qui est aussi véritable : mais point pour de semblables pécheurs, qui veulent continuer, voire augmenter leurs péchés, comme on voit que les hommes font maintenant : mais Jésus Christ est mort pour appeler le pécheur à pénitence, laquelle était ordonnée par Dieu à l’homme dès le commencement pour le péché d’Adam. Et les hommes depuis lui, ayant négligé icelle pénitence, se sont tous perdus par leurs propres péchés, comme Adam avait fait par les siens. En sorte que si Jésus Christ n’était point venu au Monde pour les rappeler à cette pénitence, tous les hommes étaient péris par leurs fautes particulières, comme ils étaient tous péris par la faute d’Adam au commencement. Et comme Adam n’a eu pardon de son péché sinon avec cette condition de faire pénitence, ainsi aussi les hommes n’obtiendront pardon de leurs péchés particuliers sinon en accomplissant la Loi Évangélique, laquelle leur est donnée de Jésus Christ comme une médecine 124 à leurs maux, sans laquelle avaler, ils ne peuvent avoir guérison. Quoi que ces Prédicants disent, il faut mettre la main à l’œuvre, et pratiquer les enseignements de Jésus Christ, 125 ou périr éternellement.
LVII. Les Commandements de Dieu sont utiles et nécessaires.
Car la Vérité est (comme j’ai dit au Témoignage de Vérité) que les commandements de Dieu ne sont pas donnés aux hommes comme une charge mise sur leurs épaules ; mais sont donnés à l’homme 126 comme une grande faveur que Dieu leur a faite, à fin qu’ils puissent connaître par ces commandements leurs péchés, et qu’ils puissent savoir les moyens de les amender. Tout de même en est-il de la Loi Évangélique. Car Dieu n’a que faire de nos œuvres, ni de notre observance de cette Loi Évangélique ; mais notre fragilité 127 en a grand besoin, vu que sans l’observance d’icelle nous périssons et tombons en toutes sortes de péchés, sans même les connaître. Car les hommes depuis Adam sont toujours tombés davantage dans l’aveuglement et l’oubli de Dieu. En sorte qu’à juste raison, Dieu a dit par son Prophète 128 Mon peuple m’a abandonné, moi qui suis la Fontaine d’eau Vive, pour aller puiser ès citernes crevassées qui ne peuvent tenir leurs eaux. Et cela à cause que tous les hommes avaient abandonné Dieu lorsque Jésus Christ a pris notre mortalité, et en particulier les Juifs (vu que Dieu dit précisément mon peuple), qui seul étaient lors son peuple, pendant qu’ils ont abandonné leur Dieu, pour aller chercher quelques avantages parmi les hommes, lesquels ne les peuvent sauver ni rien donner des choses éternelles, et ne sont que des citernes crevassées qui ne peuvent tenir leurs eaux ni désaltérer les âmes des hommes, lesquels plus ils boiront des honneurs, richesses et plaisirs de ce Monde (que les hommes peuvent donner les uns aux autres), de tant plus ils en seront altérés ; pendant que tout le peuple de Dieu s’était tellement tourné vers ces citernes crevassées, qu’ils avaient entièrement abandonné leur Dieu.
LVIII. Pourquoi Dieu a envoyé son Fils. Comment il est vrai Dieu et vrai homme.
C’est pourquoi que par sa grande miséricorde, il envoya lors son Fils Jésus Christ pour les rappeler à soi, en leur faisant voir par ses commandements leurs péchés, et en leur enseignant les moyens de les amender, et cela tout particulièrement par la Loi Évangélique, que Jésus Christ leur a apportée : et c’est le seul sujet pour quoi Dieu a envoyé sur la Terre son Fils Jésus Christ, 129 lequel a été de toute éternité Dieu ; depuis la Création d’Adam, homme glorieux ; et depuis la chute des Juifs, homme mortel et passible. Et cela pour 130 rappeler son peuple à pénitence et réconciliation avec leur Dieu, lequel ils avaient si lâchement abandonné. Lequel Jésus Christ est venu au Monde pour se revêtir de notre mortalité ; prenant un corps mortel au ventre de la Vierge Marie, chargé de notre langueur et des misères que le péché d’Adam avait apportées en notre nature humaine, à fin d’être propitiatoire 131 et notre Avocat, pour solliciter la réconciliation avec notre Dieu, en ramenant les hommes à la connaissance de la faute qu’ils avaient faite en ayant ainsi abandonné leur Dieu, comme il se plaint de son peuple par son Prophète, en disant 132 Mon peuple m’a abandonné, moi qui suis la Fontaine d’eau Vive, pour aller puiser ès citernes crevassées qui ne peuvent tenir leurs eaux : comme en se lamentant de la faute que son Peuple avait commise, de quitter son Amour pour mettre leurs affections aux hommes, qui ne peuvent se sauver l’un l’autre, ni se donner un seul moment de vie. Ce qui est une grande folie : puisqu’en demeurant en l’AMOUR DE DIEU les hommes pouvaient vivre éternellement bienheureux, en buvant à souhait de cette eau vive de la Divine Sapience, de laquelle parlait aussi Jésus Christ à la Femme de Samarie 133 en lui promettant qu’elle n’aurait jamais plus soif. Car en effet, celui qui est enivré de cet Amour de Dieu est entièrement rassasié, et jamais plus altéré des biens et plaisirs de cette Vie. Lesquels plaisirs on ne peut désirer en buvant à cette Fontaine d’eau Vive de ce DIVIN AMOUR : là où l’amour des Créatures altère toujours leurs âmes, et ne rassasie jamais leurs désirs : car de tant plus on boit des plaisirs de la chair, de tant plus on s’en trouve altéré, et tant moins rassasié.
LIX. Dieu n’abandonne point les hommes comme eux l’ont abandonné.
Par où on peut comprendre la grande folie qu’avait faite le Peuple de Dieu, d’abandonner son AMOUR pour aller mettre ses affections aux hommes, autant fragiles et impuissants qu’ils sont eux-mêmes. Mais la bonté et miséricorde de Dieu a été si grande au regard des hommes, qu’il ne les a pas voulu abandonner comme iceux l’avaient fait ; mais leur a envoyé un 134 Médecin pour curer leurs plaies et penser leurs maladies, afin qu’ils se puissent guérir et devenir sages en délaissant leurs folies, retournant de la vanité à la vérité et connaissance de leurs péchés. C’est pourquoi que l’Apôtre dit 135 que Dieu a tant aimé le Monde qu’il a donné son Fils unique ; et ne leur a point envoyé son Fils pour les condamner, mais pour les sauver. C’est pourquoi qu’il peut bien être appelé NOTRE SAUVEUR et le RÉDEMPTEUR DE TOUT LE MONDE véritablement.
LX. Jésus Christ est le Sauveur de tout le Monde, quoique tout le Monde ne soit pas sauvé.
Mais l’on explique aussi ce mot de tout le Monde d’un sens renversé, lorsqu’on enseigne ou conclut de ces paroles que Jésus Christ a donc tout satisfait pour tous les hommes, autant pour les méchants comme pour les bons, comme le Catéchisme des Calvinistes dit qu’encore bien qu’on n’aurait point gardé les commandements de Dieu, et qu’on se sentirait encore porté à toute sorte de maux ; que Dieu par sa seule grâce donnera le salut, si on veut seulement croire en Jésus Christ, et appliquer à soi-même ses mérites. Ce que j’appellerais bien une Doctrine Diabolique (comme notre Burchardus appelle ma Doctrine) si je suivais ma ferveur. Mais j’en veux laisser le jugement à tous ceux qui entendront, pourquoi Jésus Christ est venu au Monde revêtu de notre mortalité : ce que fort peu de personnes comprennent. Plusieurs disent bien qu’il est venu pour nous racheter, comme il est véritable ; mais ne disent point par quelle manière il nous peut racheter : ce qui embrouille l’esprit de plusieurs, pour les faire croire aux mensonges. Car encore bien que Jésus Christ soit véritablement venu pour sauver tout le Monde, tous les hommes ne seront pourtant par lui sauvés : vu qu’on voit plusieurs personnes vivre et mourir en des péchés abominables ; et qu’il est écrit 136 qu’au Jugement de Dieu, il séparera les bons en les mettant à sa droite, leur dira : Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé dès la fondation du Monde, etc. Et dira aussi aux méchants : Allez maudits au feu éternel, préparé pour les Diables et ses Anges. Par lesquelles Sentences on voit clairement que tous les hommes ne seront point sauvés ; vu que d’aucuns sont envoyés au feu éternel ; et qu’on ne peut conclure que tous les hommes en général seront sauvés par Jésus Christ. Comment donc veut-on entendre que Jésus Christ est venu au Monde pour sauver tout le Monde ?
LXI. Dieu sauve tous de sa part. Tous ne veulent être sauvés.
Ne faut-il pas entendre d’un véritable sens (lequel j’ai aussi écrit au Témoignage de vérité) que Jésus Christ est venu au monde revêtu de notre mortalité pour sauver tous les hommes en général, autant bons que mauvais, de sa part ? vu 137 que Dieu n’est accepteur des personnes, et qu’il ne faut point dire follement (comme font ces Prédestinateurs) qu’il veut sauver Pierre, et damner Paul. Car cela serait une injustice, laquelle ne se peut retrouver en Dieu. Et lorsque tous les hommes en général ont également péché contre lui, il ne peut et ne veut damner l’un ni sauver l’autre de sa part, parce 138 qu’il est juste, et qu’il n’y a point d’injustice en lui, et que Dieu dit précisément 139 qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive. Ce qui vérifie assez que Jésus Christ de sa part veut sauver tous les hommes, quoique pécheurs. 140 Mais les hommes ne veulent pas tous être sauvés par lui lorsqu’iceux ne veulent pas prendre les médecines que Jésus Christ leur est venu apporter, ni embrasser les moyens qu’il leur est venu enseigner pour leur salut. Tous ceux-là ne seront pas sauvés par Jésus Christ, de leurs propres fautes, pour ne point avoir voulu faire les choses nécessaires à leur salut.
LXII. Croire sans œuvres est inutile.
Et ce ne sera point assez de dire qu’on croit en Jésus Christ, ou qu’on se veut appliquer les mérites de Jésus Christ, mais il faut venir aux effets : vu que lui-même dit : 141 qui croit en moi fait les œuvres que je fais ; et qu’au jugement dernier Dieu dit 142 que selon vos œuvres vous serez jugés, et que selon vos œuvres vous serez condamnés. Mais il ne dit point selon votre croyance ou vos imaginations, en voulant appliquer les mérites de Jésus Christ à ses ennemis, ou aux personnes qui s’en sont rendues indignes par leur désobéissance à sa loi : vu que 143 toutes ces Fois et Croyances sans les œuvres sont mortes ; et que par la sentence du dernier jugement, Dieu met la cause du salut des âmes ès bonnes œuvres qu’un chacun aura faites, en disant 144 possédez le Royaume parce que j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, etc. Et il rejette les autres arrière de soi, en leur disant allez, maudits, au feu éternel ; car j’ai eu faim et vous ne m’avez point donné à manger, etc. Pour montrer qu’il ne sauve et ne condamne pas les hommes pour leurs belles ou mauvaises spéculations ou imaginations de leurs fantaisies, mais pour les œuvres qu’un chacun aura faites, vu qu’il est écrit que selon vos œuvres vous serez jugé, et selon vos œuvres vous serez condamné.
LXIII. L’ignorance de la fin pour quoi Jésus Christ est venu est une source d’erreurs mortelles.
Pour moi, je m’imagine que si on avait pénétré le fond de la cause pour quoi Jésus Christ est venu au monde revêtu de notre mortalité, qu’on ne pourrait enseigner aux hommes (comme on fait) que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, de la façon qu’on les voit vivre maintenant sur la Terre : là où on voit presque par toute la Chrétienté que la Doctrine de Jésus Christ est méprisée ; que sa bassesse est tenue pour infamie ; que sa pauvreté est odieuse à un chacun ; et que ses souffrances sont en horreur aux plus dévots ; lesquels évitent toutes ces choses à leur possible, aimant toujours mieux d’être riches que pauvres, et plutôt exaltés qu’abaissés, mieux aimant de jouir que de pâtir : et cela à cause qu’on s’est imaginé que c’est assez que Jésus Christ ait fait toutes ces choses pour les hommes, et qu’iceux n’ont point de besoin de le suivre en icelles. Ce qui est une grande erreur, beaucoup plus à rejeter que toutes les erreurs desquelles ce Burchardus m’accuse. Car si cela était véritable, il faudrait bien tracer et biffer tous ces passages de l’Écriture que j’ai ci devant cités : comme est celui où Jésus Christ dit : 145 Soyez mes imitateurs, et 146 qui croit en moi il fait les œuvres que je fais, ou bien 147 que celui qui veut venir après moi renonce à soi-même, prenne sa croix et me suive, avec tant d’autres passages. Car si les hommes ne doivent pas faire ces choses, c’est en vain de les écrire ; ne soit qu’on veut tenir l’Évangile pour une histoire qui raconte les choses passées. Ce que nuls bons Chrétiens ne peuvent faire, en entendant que Jésus Christ leur dit 148 qu’il est la voie, la vérité et la vie, et que celui qui entre par lui sera sauvé, parce qu’il est la porte. C’est à dire, que les hommes doivent 149 cheminer par la même voie qu’il a cheminé ; et qu’ils doivent croire en la même vérité qu’il a enseignée ; et qu’ils doivent aussi mener une vie semblable à celle qu’il a menée étant sur la Terre. Mais ce n’est pas à dire, comme aucuns s’imaginent, que toutes ces choses soient racontées de lui comme on raconte une histoire, pour satisfaire à la curiosité des esprits. Car il en faut venir à la pratique, ou autrement 150 il vaudrait mieux les ignorer que de les savoir pour notre plus grande condamnation : vu que 151 celui qui a connu la volonté du Père et ne l’a point faite sera battu de beaucoup de coups. C’est pourquoi qu’il ne se faut jamais imaginer que c’est assez de lire l’Évangile ou de l’entendre prêcher aux Églises, puisque tout consiste à le pratiquer : vu que Jésus Christ dit précisément 152 qui chemine en ma lumière fait les œuvres que je fais.
LXIV. Recherche des choses en leur source.
Mais pour bien comprendre toutes ces vérités, il faut prendre les choses dans leurs origines, et savoir pourquoi icelles nous sont ordonnées ou enseignées par Jésus Christ. Et premièrement, il faut savoir si Dieu avait besoin de l’homme lorsqu’il l’a créé ? ou s’il a eu besoin des œuvres d’icelui pour sa gloire ou ses avantages ? et s’il a aussi besoin qu’on observe ses Lois ? et en particulier la Loi Évangélique ? Et l’on verra par là ce qui l’a mû à envoyer au Monde son Fils unique et à quelle fin icelui nous est venu enseigner sa Doctrine ? et pourquoi qu’il a fait devant nous les œuvres qu’il a faites ?
Pourquoi Dieu a créé l’homme.
LXV. Dieu n’a besoin de l’homme. Il le crée pour l’AMOUR.
Et je pense que personne n’est si ignorant que de croire ou de penser que Dieu avait besoin de l’homme lorsqu’il l’a voulu créer, vu qu’il est un Dieu indépendant de toute chose, 153 qui n’a besoin de rien. Et quoique l’homme fût demeuré en son néant, Dieu n’aurait pourtant eu un degré de gloire moindre qu’après avoir créé le monde ; voire mille Mondes ne lui pouvaient rien ajouter, comme étant en soi-même possesseur de toute chose ; il n’avait donc nul besoin de l’homme, ni d’aucune autre chose. Et lorsqu’il a créé la Terre, le vent, le feu et l’eau, et toutes autres créatures terrestres, ç’a été seulement pour l’homme ; et l’homme même a été créé seulement pour AIMER DIEU, et point pour autre sujet. C’est pourquoi que l’homme doit toujours demeurer en cet AMOUR, et n’en jamais désister ; 154 à cause qu’en cet amour sont compris toutes les Lois et les Prophètes ; et que sans cet Amour de Dieu 155 personne ne peut être sauvé. C’est de quoi S. Paul parle sous le nom de CHARITÉ, puisque la Charité n’est autre chose que l’AMOUR DE DIEU. Et cet Apôtre explique comment l’homme n’a rien sans cette Charité, en disant (comme j’ai cité ci devant) : 156 Encor bien que vous donneriez tous vos biens à la nourriture des pauvres, et votre corps pour être brûlé ; que vous auriez le don de Prophétie ; et la foi si grande pour transporter les montagnes, etc. Vous n’avez rien sans cette Charité. À cause que cet amour de Dieu est le premier et le plus grand commandement, et l’unique fin pour laquelle Dieu a créé l’homme.
LXVI. Les Anges créés pour l’Amour Divin. Leur chute.
Il voulait avoir une créature capable de l’aimer, afin de prendre 157 ses délices avec icelle ; et avait auparavant créé les Anges à la même fin, pour être aimé d’iceux, et pour rien d’autre. Mais les Anges, se voyant des Esprits si parfaits, ont retourné l’amour qu’ils devaient à Dieu leur Créateur pour s’aimer eux-mêmes, en considérant leurs beautés et perfections. Et pour avoir changé l’ordre de Dieu, et la fin pour laquelle il les avait créés, la plupart sont devenus Diables.
LXVII. L’homme pourquoi créé un peu moindre que l’Ange. Il tombe comme lui.
Et comme Dieu persistait en la volonté d’être aimé de ses créatures, il créa l’homme à la même fin ; lequel il fit 158 un peu moindre que les Anges, en leur formant un corps matériel, à fin qu’ils ne pourraient tomber en la présomption de vouloir être Dieu pour leurs natures Divines et Angéliques ; en quoi les hommes ne pouvaient tomber comme les Anges, pour se voir composés d’un corps matériel, lequel ne se trouve pas en Dieu, parce qu’il est pur Esprit ; en quoi les Anges approchaient davantage de cette qualité spirituelle. Mais l’Homme est cependant tombé dans la même faute que l’Ange, en retirant son amour de Dieu pour le mettre dans les Créatures que Dieu avait créées pour son usage ; par où l’Homme est devenu un Diable incarné, comme l’Ange devint un Diable Angélique, à cause du même péché, lequel comprend en soi tous les autres péchés, lesquels, quoiqu’ils portent divers noms, ne sont rien en substance autre chose que de retirer l’Amour que nous devons à Dieu, pour le mettre en quelque créature, telle qu’elle puisse être.
LXVIII. Ce que c’est que le péché.
Et il n’y peut avoir rien dans le Monde qui soit péché, sinon ce transport de nos affections de Dieu, pour les mettre en quelqu’autre chose que lui. Et il y a seulement autant de divers péchés, que nous prenons de divers objets pour aimer. Et lorsque nous aimons les Richesses, cela s’appelle péché d’Avarice ; et lorsque nous aimons les honneurs, nous tombons au péché d’Orgueil ; et en aimant les plaisirs charnels, nous tombons au péché de Luxure ; et lorsque nous aimons les friandises, nous tombons au péché de Gloutonnerie ; et ainsi de toutes les autres sortes de péchés ; lesquels ne sont qu’un même péché en substance, qui est celui d’ôter notre amour de Dieu pour le mettre en autre chose qu’en lui. Cela a rendu les Anges, Diables ; et damne aussi les Hommes pour le même sujet : à cause que Dieu avait créé ces deux espèces de créatures également afin d’être aimé d’elles, et pas pour d’autre sujet. Car Dieu, n’ayant besoin de rien, n’a aussi que faire de nulles créatures, non plus Angéliques que Terrestres. Mais PAR PUR AMOUR il a voulu en créer de celles qui le devaient aimer et réciproquer l’Amour qu’il leur voulait porter, en les ayant rendues capables de cet amour divin, pour l’amour qu’il porte à soi-même.
LXIX. Homme créé sans Commandements. Qui sont donnés pour le péché. Dieu n’en a besoin.
Voilà la cause seule pour quoi Dieu a créé l’homme, et point à d’autre fin. Ce qui étant véritable, il ne faut pas s’imaginer que Dieu ait donné aucunes 159 Lois ou commandements à l’homme en le créant ; vu qu’il le voulait avoir tout libre pour être aimé de lui par pure affection sans aucune contrainte. Mais toutes les Lois, défenses et commandements que Dieu a donnés à l’homme depuis, ont été engendrés du péché ; et point de ce que Dieu avait besoin de nos observances ou d’aucunes actions ou omissions des hommes : vu qu’il ne demandait d’iceux autre chose que son Amour ; moyennant lequel Amour à leur Dieu, l’homme pouvait librement faire tout ce qu’il voulait, et pouvait aussi jouir à son plaisir de toutes les créatures que Dieu avait créées pour son usance. Mais depuis que l’homme a voulu retirer ses affections de Dieu pour les mettre en quelque créature, il a perdu tous ces avantages, et s’est chargé de toute sorte de misères, se rendant ennemi de Dieu pour devenir ami de soi-même ou de quelque autre créature : par où il est devenu un Diable en chair, comme l’Ange est pour le même sujet devenu un Diable en Esprit, sans aucune différence au regard du péché : vu que l’Ange et l’Homme en quittant l’Amour de Dieu ont abandonné tous biens, et sont entrés en tout mal : puisqu’il n’y a nul autre bien que Dieu, et que la privation de tout bien fait la possession de tous maux. Car le mal est un pur néant, qui ne fut pas créé de Dieu ; et rien ne peut avoir d’être sinon ce que Dieu a créé ; et n’ayant point créé le mal, icelui ne peut être qu’un misérable néant, ou une privation du bien. C’est pourquoi que sitôt que l’Homme déchoit de l’Amour de son Dieu il tombe de soi-même en toute sorte de mal, lequel consiste en la privation de toute sorte de bien.
Commandements pourquoi donnés.
LXX. La Bonté de Dieu rappelle les hommes par ses commandements à la fin de leur création, à savoir, à son AMOUR.
Et quoique l’Homme se soit ainsi précipité de soi-même en toute sorte de maux, Dieu par sa Toute-Bonté et Miséricorde a eu compassion de son ignorance, et ne l’a point voulu laisser périr éternellement, comme il avait mérité par son ingratitude en délaissant l’Amour de son Créateur et Bienfaiteur pour mettre ses affections en quelques objets indignes de son Amour en mépris d’un objet si aimable, comme était son Dieu et son Créateur, auquel rien n’est à comparer, lequel l’avait créé à ces fins d’être aimé de sa créature. Cette grande Bonté Divine a voulu rappeler l’homme après sa chute, comme il fit Adam dans le Paradis terrestre, en lui demandant : 160 Adam, où es-tu ? pour le faire rentrer en soi-même, connaître sa faute et l’amender, en lui enseignant les moyens par lesquels il pouvait ce faire.
LXXI. Ordonnances données à Adam sont des Bénéfices de Dieu pour retourner à sa fin.
Premièrement il lui défendit de ne point manger du fruit de l’arbre de Science, à fin qu’il n’eût pas augmenté sa malice par trop de savoir ; secondement il lui fit voir sa nudité, de quoi il fut honteux ; tiercement il le fit déchasser hors du Paradis Terrestre, à fin qu’il n’eût pu manger du fruit de l’arbre de Vie, et qu’il ne vécût point longtemps dans l’état misérable auquel son péché l’avait réduit. Car cet arbre avait cette nature, de maintenir l’homme toujours en vie. Or Dieu n’a point fait toutes ces choses comme pour châtier Adam de son péché, mais pour le bénéficier, en lui donnant les remèdes à ses maux, à fin d’éviter qu’il n’en commît pas davantage à l’advenir. Et comme Dieu voyait que les délices et le repos du Paradis avaient fait tomber Adam pour aimer iceux au lieu de son Dieu, sa bonté lui ordonna de cultiver la Terre ; et gagner sa vie à la sueur de son visage, à fin que la paresse et le repos ne lui donnassent plus de loisir de jouir et considérer toutes ces belles créatures pour y porter ses affections. Pendant que les hommes de maintenant sont tombés dans un si grand aveuglement d’esprit, qu’ils croient que toutes ces ordonnances faites de Dieu à Adam lui ont été des charges et des châtiments de la colère de Dieu ; quoiqu’en effet ce n’ont été que des traits de son amour vers l’homme, même après qu’il s’était rendu son ennemi ; et ce n’a été qu’un vrai soin Paternel pour empêcher que l’homme n’avançât point en pire, mais reconnût sa faute pour l’amender.
LXXII. Pourquoi Dieu a donné toutes les Lois Mosaïques.
De cette sorte ont été aussi donnés de Dieu à l’homme tous les autres commandements jusqu’à présent. Car Dieu a en tout temps pris soin que l’homme ne demeurât point en ses péchés par ignorance ; leur ayant toujours donné des Lois à mesure des fautes qu’ils commettaient, à fin de leur faire voir icelles, et afin d’avoir les moyens de les pouvoir amender. Car lorsque Dieu a vu que les nommes avaient mis leurs affections aux bêtes qu’ils possédaient, il a ordonné qu’on lui offrirait d’icelles en Sacrifice, à fin que les hommes reconnaîtraient toujours qu’icelles leur étaient données de leur Dieu. Ce qu’ils devaient reconnaître en les offrant en Sacrifice. Et quand les hommes se sont avancés à mettre leurs affections en plusieurs autres choses, Dieu a donné plusieurs autres défenses et commandements, comme on voit tant de choses diverses en la Loi Mosaïque ; à cause que les hommes en ce temps avaient quitté l’AMOUR de leur Dieu pour aimer tant de choses diverses, qu’ils ne faisaient presque plus rien sans péchés ou affections terrestres.
LXXIII. Pourquoi Jésus Christ est venu sur la terre.
Et depuis cette Loi Mosaïque, les hommes sont encore déchus davantage de cet AMOUR DE DIEU, ayant mis toutes leurs affections ès richesses, plaisirs et honneurs de cette vie : en sorte qu’on ne voyait plus rien dans leurs œuvres que 161 la convoitise des yeux, la concupiscence de la chair, et l’orgueil de vie. Ce qui contredit directement à l’AMOUR DE DIEU ; puisque toutes ces choses ne regardent que l’amour propre, duquel amour propre les hommes étaient si remplis, que cet Amour divin ne pouvait trouver aucune place dans leurs cœurs, et qu’ils en étaient tous retranchés et séparés, de quoi leur Père céleste ayant compassion il a résolu d’envoyer son Fils unique Jésus Christ sur la Terre pour les rappeler de leurs erreurs, en leur apportant sa divine Lumière pour les éclairer, et apportant son DIVIN AMOUR pour les échauffer : prenant aussi un corps passible et mortel comme nous, pour enseigner par ses œuvres et sa doctrine ce que les hommes devaient faire et laisser pour retourner en l’ AMOUR DE DIEU qu’ils avaient abandonné. Et cela si particulièrement, que personne ne peut plus périr par ignorance après avoir connu la Loi Évangélique : puisqu’un chacun peut voir en icelle particulièrement tout ce qu’il doit faire et laisser pour recouvrer l’AMOUR DE DIEU, duquel dépend la vie éternelle.
LXXIV. Tout ce que Jésus Christ a fait au Monde est pour nous ramener à l’AMOUR DE DIEU.
Car à cause que les hommes étaient tous vivants en l’Orgueil de vie, Jésus Christ prit un état vil et abject : car il choisit une simple Vierge pour sa Mère, un Charpentier pour son nourricier (lesquelles personnes sont méprisées parmi la gloire du Monde), afin de montrer aux hommes comment la gloire et l’orgueil les avait retirés de l’AMOUR DE DIEU pour aimer une bouffée de vent d’honneur que les hommes se rendent les uns aux autres. 162 Et afin qu’ils eussent méprisé cette grandeur, Jésus Christ vient lui-même en bassesse et humilité pour enseigner cela aux hommes par ses œuvres, en leur disant aussi par sa doctrine 163 que Dieu résiste aux Superbes, et qu’aux humbles il donne son cœur. Secondement, à cause que les hommes avaient retiré leurs cœurs de l’AMOUR DE DIEU, pour les mettre en l’affection des Richesses de ce Monde, Jésus Christ vient choisir la pauvreté, à fin que les hommes apprissent de lui d’être pauvres, et de ne plus mettre leurs affections ès richesses de ce Monde, qui ne sont que des ordures dignes de mépris, lesquelles font assurément perdre l’AMOUR que nous devons porter à Dieu. Et à cause que les hommes avaient perdu l’AMOUR DE DIEU pour s’aimer eux-mêmes, leurs aises, repos et plaisirs sensuels, Jésus Christ leur vient enseigner par son exemple une vie pénible, laborieuse, pleine de mépris et de persécutions : enseignant aussi par sa doctrine 164 qu’il faut renoncer à soi-même, porter sa croix, 165 être rejeté et méprisé des hommes ; en leur disant 166 le Serviteur n’est point meilleur que son Maître : et ainsi de toute autre chose que Jésus Christ a faite et enseignée, ç’a été pour nous donner exemple, et à fin de nous faire voir que toutes ces choses, èsquelles nous avions mis nos affections, ont retiré icelles de l’Amour de Dieu, pour lequel seul amour nous avons été créés.
J. Christ pourquoi venu sur la terre.
LXXV. Le but des Prophètes et de la Venue de Jésus Christ. Il est anéanti par les Docteurs d’à présent.
Tous les anciens Prophètes nous ont aussi enseigné les mêmes choses par des moyens divers, lorsque de la part de Dieu ils menaçaient les hommes de tant diverses malédictions si en cas ils n’observaient point les commandements de Dieu : en leur faisant aussi tant de promesses de bénédictions si en cas ils observaient les mêmes Commandements. Et toute l’Écriture, tant le Nouveau que le Vieux Testament, est remplie de ces enseignements ; pendant qu’on entend aujourd’hui les Prédicateurs prêcher (presque partout) qu’on ne peut garder les Commandements de Dieu ni observer la Loi Évangélique, en disant pour raison de science que les hommes sont trop fragiles pour ce faire ; ce qui est une grande tromperie, 167 puisque Dieu nous donne toutes ces Lois à cause de notre fragilité seulement, et 168 point pour nous charger ou contraindre à des choses pénibles ou fâcheuses pour son service : vu qu’il n’a 169 que faire de notre service, et qu’il n’est pas comme sont les Rois de la Terre, lesquels doivent maintenir leurs Royaumes par les bons devoirs de leurs sujets. Mais il n’en va point ainsi au regard de Dieu, lequel est Souverain, Indépendant de toute chose, et qu’il n’a que faire de notre observance de ses Lois, et n’a nulles charges qu’il veuille faire porter par les hommes. Mais l’homme a fort grand besoin de l’observance de toutes ces Lois, à cause de sa fragilité et de ses misères : puisqu’on voit par expérience qu’il s’est toujours retiré davantage de l’AMOUR DE SON DIEU ; et que si Jésus Christ n’eût point venu en son temps, il est à croire que tous les hommes en général eussent maintenant été des Athéistes, en vivant dans l’oubli de Dieu, comme on voit à présent que plusieurs vivent ; nonobstant que tant de Prophètes, d’Apôtres, et que Jésus Christ même les aient venu rappeler, et enseigner le chemin pour retourner en l’AMOUR DE DIEU.
LXXVI. Ignorance des conduites de Dieu vers l’homme, source de mal. Elles sont comme d’un Médecin vers un malade.
Et la principale cause de ce malheur est que les hommes n’entendent point LES CONDUITES DE DIEU, et se font accroire l’un à l’autre le mensonge pour la vérité, en croyant à leurs imaginations corrompues, se forment des chimères en l’air pour flatter leurs sensualités. Car quelle apparence de Vérité y a-t-il de dire que les hommes ne peuvent observer les commandements de Dieu, ou la Doctrine Évangélique ? Puisque toutes ces Lois sont données de Dieu aux hommes comme des remèdes à leurs maux, ou des cataplasmes pour curer les plaies de leurs âmes ? Car tous hommes sont pécheurs et malades de diverses maladies mortelles, vu que l’Apôtre dit 170 que celui qui dit être sans péchés, il est menteur, et Vérité n’est point avec lui. Cela étant, ne faut-il point s’estimer heureux de pouvoir trouver les remèdes à ses maux, 171 comme sont les commandements de Dieu et les conseils Évangéliques les remèdes à nos péchés ? Et celui qui dit de ne pouvoir prendre ces remèdes, il ne veut pas guérir, et aime mieux de mourir éternellement en ses misères. Car lorsqu’un malade ne veut pas prendre de médecines, il est en danger de mourir, et on désespère de sa guérison. Et si un blessé ne veut pas laisser curer ses plaies, il faut qu’elles se pourrissent avec le temps. Tout de même en est-il de nos âmes, lesquelles sont blessées et malades de diverses plaies et maladies, comme un chacun peut savoir de soi-même. Et voici ce divin Médecin Jésus Christ, envoyé de son Père Céleste 172 pour nous apporter guérison, qui a préparé toute sorte de médecines aux diverses maladies de nos âmes.
LXXVII. But des actions et passions de J. Christ. L’Imitation seule nous les rend utiles.
Car contre l’Avarice il apporte la Pauvreté volontaire, contre notre Orgueil, son Humilité ; contre l’Endurcissement de notre cœur, la Charité ; contre notre Luxure et Sensualité, les Souffrances et la Chasteté ; et ainsi de tout le reste. Car pour autant de maux et de blessures qu’il y peut avoir à nos âmes, autant de divers remèdes a apportés avec soi ce divin Médecin d’icelles. Mais si nous disons, avec plusieurs Théologiens modernes, que nous sommes trop fragiles ou trop faibles pour prendre ces remèdes, il faut mourir dans cette infirmité, et périr éternellement. Car Dieu est juste, et laisse périr le méchant lorsqu’il ne se veut point convertir. Et si on veut dire (comme disent maintenant plusieurs errants) que Jésus Christ a pris la médecine pour nous, et que cela sera capable de nous sauver, c’est tout de même que de dire qu’un malade sera guéri lorsque le Médecin avalera lui-même la médecine. Et je prie un chacun de vouloir faire cette expérience, pour savoir s’il se pourra guérir d’une maladie à cause que le Médecin avalera une médecine propre à la maladie du patient, et si le patient sentira l’opération de la médecine lorsque le Médecin seul l’a incorporé. De beaucoup moins opéreront les Mérites de Jésus Christ dans l’âme de celui qui ne veut pas incorporer la Doctrine Évangélique, ni boire dans le calice de ses souffrances, lequel Jésus Christ a bu le premier, 173 pour nous encourager à le prendre plus volontiers.
LXXVIII. Jésus Christ n’a pas souffert pour nous décharger de souffrir : mais pour nous y engager.
Mais il ne faut pourtant croire que ce que Jésus Christ a souffert passera en nous sans le vouloir imiter et suivre, puisqu’il a dit précisément en son Évangile soyez mes imitateurs et qu’il y demandait aux enfants de la femme de Zébédée (laquelle voulait que ses fils fussent à la droite et à la gauche de Jésus Christ) 174 s’ils sauraient bien boire le calice avec lui ? En quoi on peut voir clairement que ce n’est point assez que Jésus Christ ait souffert ou épandu son sang pour sauver les hommes ; mais 175 qu’il faut qu’iceux souffrent aussi avec lui : pour cela dit Jésus Christ, 176 que celui qui veut être son Disciple renonce à soi-même, prenne sa croix, et le suive.
Docteurs opposés aux desseins de J. C.
LXXIX. Docteurs opposés à Jésus Christ.
Cela ne veut pas donner à entendre, comme disent ces nouveaux Docteurs, que Jésus Christ a tout satisfait pour nous, et qu’il ne faut point faire ce que Jésus Christ a fait pour être sauvé, vu que nous sommes trop fragiles pour cela. Et je leur demanderais volontiers à quoi donc peut servir de renoncer à soi-même, de porter sa croix, et de suivre Jésus Christ, de boire le calice, et tant d’autres choses que Jésus Christ a enseigné qu’il faut faire pour être sauvé ? Vu qu’il suffit de croire que Jésus Chris a tout satisfait pour les hommes, comme disent ces Nouveaux Docteurs. Car s’il y aura jamais des personnes dignes de jouir des Mérites de Jésus Christ, ç’ont été ses disciples bien aimés, lesquels avaient tout abandonné ce qu’ils possédaient pour le suivre. Ceux-là devaient plutôt s’appliquer les Mérites et la satisfaction de Jésus Christ que ne font les personnes de maintenant 177 qui vivent sans charité, remplies de péchés d’amour propre, d’avarice, d’orgueil, et de toutes autres sortes de péchés, sans les vouloir amender : auxquelles personnes néanmoins on prêche que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, et aussi bien pour leurs péchés passés que pour ceux qu’ils commettront encore.
LXXX. Docteurs Flatteurs et Hypocrites d’à présent.
Je crois bien que ces nouveaux Docteurs n’avoueront point toutes les circonstances que j’écris des personnes auxquelles ils enseignent que Jésus Christ a tout satisfait pour elles ; à cause qu’ils ont toujours de mots dorés 178 pour couvrir l’ordure des hommes, et qu’ils me diront que ces personnes doivent aussi quitter leurs péchés, et mener une bonne vie, voire qu’on leur enseigne de mépriser le Monde et ses Vanités, pour suivre la vertu. Mais tout cela ne sont que des paroles étudiées pour obscurcir les entendements : vu qu’on voit par effet tous ceux qui croient que Jésus Christ a tout satisfait pour eux vivre à l’aise selon la chair et le sang, chercher la gloire du Monde et ses richesses, honneurs et plaisirs à leur possible, lesquelles choses s’augmentent en eux journellement au lieu de diminuer. Et cela se fait sous cette croyance qu’elles seront sauvées par les Mérites de Jésus Christ : et ainsi se reposent à l’aise 179 sur ces faux oreillers que ces Prédicants leur ont mis sous les bras, comme a dit le Prophète qu’ils feront ès derniers temps : ce qui se trouve tout accompli à présent, là où on voit vivre les hommes en repos au milieu de leurs péchés, en prenant leurs ébats en ce Monde comme dans un lieu de délices : où que nous y sommes envoyés comme dans une vallée de larmes, et où Jésus Christ a dit : 180 Si vous ne faites pénitence vous périrez tous.
LXXXI. Antéchrists. Nouveaux Sauveurs. Faux Prophètes.
C’est pourquoi qu’il me semble que ces personnes qui enseignent une Doctrine si contraire à celle de Jésus Christ et de ses Apôtres sont des Nouveaux Sauveurs, qui veulent sauver les personnes par le chemin large, lequel Jésus Christ a dit 181 qu’il mène à perdition. Car quelle contradiction n’y a-t-il pas entre leur doctrine et celle de Jésus Christ ? Lequel ne parle à ses Disciples 182 que de souffrir persécution pour la Justice, d’être méprisé et rejeté, être emprisonné, voire mis à mort pour la justice, d’être haï du Monde, de porter sa croix, d’être pauvre d’Esprit, humble de cœur, débonnaire, patient, charitable, et tant d’autres vertus. Là où ces Nouveaux Sauveurs ont trouvé un chemin de salut fort accommodant à la Nature corrompue. Car ils disent qu’un chacun doit demeurer en l’état qu’il est, aller à l’Église au temps ordonné, et que moyennant cela elles seront sauvées par les Mérites de Jésus Christ. Voilà un chemin du Paradis bien abrégé. Et si icelui était autant assuré que 183 le chemin étroit que Jésus Christ a enseigné, ma Nature corrompue le voudrait bien prendre aussi : car les souffrances, les malaises, les mortifications lui sont plus pénibles que ne serait la croyance que Jésus Christ a tout satisfait pour elle. Vu que cela est aisé et plaisant à la Nature même. Mais je crains que c’est la voix des faux Prophètes qui crient 184 paix et assurance 185 lorsque le danger est plus grand. C’est pourquoi que je ne les veux pas écouter ni suivre ; aimant mieux d’être d’iceux persécutée comme je suis, à cause que je déclare la Vérité, et que je reprends les vices et erreurs des hommes, et que je dis qu’il faut imiter Jésus Christ pour être son Disciple.
Docteurs opposés aux Envoyés de Dieu.
LXXXII. A. B. secondant les desseins de Jésus Christ est persécutée des Prêtres d’à présent.
Ne voilà pas de sujet de persécution ? Pourrait-on bien croire qu’on persécuterait une personne de la sorte comme on me fait, pour des choses si bonnes ? Et si on ne les voyait de ses propres yeux, l’on s’imaginerait que cela ne se pourrait faire par des Chrétiens, et encore moins par des Prêtres qui se font nommer des Évangéliques. Sans doute que plusieurs personnes s’imaginent qu’on me persécute pour d’autre sujet que pour des choses bonnes : mais je proteste que jamais en ma vie je n’ai fait choses dignes de répréhension devant les hommes ; et que je ne sais pas encore à l’heure présente pour quelle raison je suis persécutée ; vu qu’on ne me l’a jamais voulu déclarer. Car je l’ai souvent demandé en divers Tribunaux de Justice, et à des personnes particulières, et même j’ai fait imprimer en divers endroits de mes livres, en priant qu’on me voulût déclarer s’il y a quelque chose de mauvais dans mes livres, qu’on me fera plaisir de me le faire voir ; et que si on me sait convaincre de quelque Erreur, que je la rétracterai publiquement. Car je ne veux soutenir nulles erreurs, ni rien qui ait ombre de mal.
LXXXIII. Protestation suffisante d’A. B.
Il me semble que cette mienne position devait faire cesser toute sorte de persécutions et outrages contre moi, encore bien même que j’aurais manqué en quelque chose (que non.) Car un malfaiteur ne peut faire davantage que de reconnaître sa faute, s’en repentir et amender. Et une personne qui est tombée en quelque erreur ne peut faire davantage que de l’abjurer et la rétracter publiquement, comme j’ai toujours offert de faire, tant en Jugement que dehors ; et personne ne m’a encore su montrer en quoi j’erre, ni en quoi je peux avoir mal fait.
LXXXIV. Diverses informations Juridiques contre A. B.
Car ma vie et mes comportements ont été de bien près examinés au Tribunal de Justice de LILLE, qui est le lieu de ma naissance, ou plus de cent témoins ont été ouïs de part et d’autre sur toute ma vie, depuis mon enfance jusqu’à 1663, que cette information a été tenue ; laquelle, étant Juridique, est réservée ès Archives de la dite Ville. Et après icelle information tenue, les Messieurs du Magistrat d’icelle Ville ont été obligés de déclarer qu’ils n’avaient rien à ma charge (bien qu’ils me fussent lors ennemis) à cause que les témoins mêmes qu’ils avaient entendus contre moi avaient parlé à ma louange plus qu’à mépris. En sorte qu’ils n’ont pour ce sujet pu avoir prise sur moi, et m’ont déclaré qu’ils ne me demandaient rien. Et depuis que je suis venue en Holstein, le Magistrat de la Ville de HUSUM (en laquelle j’ai demeuré deux ans) ont aussi, par charge de la Cour de Gottorp, tenu information de mes comportements et de ceux de ma compagnie, et ont aussi été obligés de faire à ladite Cour un très bon rapport de tous nos comportements, et de déclarer qu’il n’y avait aucune chose à notre charge : ce qui a occasionné ladite Cour de Gottorp de donner une sentence favorable, en disant qu’ayant vu que nous nous comportons bien, et ne donnons scandale à personne, que je peux librement demeurer sous la Juridiction de son Altesse Sérénissime d’Holstein, avec ceux de ma compagnie, etc. Et depuis étant allée en la Ville de FLENSBOURG, où les Prédicants m’ont aussi poursuivie, persécutée, et induit le Magistrat de tenir aussi information sur mes comportements : ce qu’étant fait, ils ont été aussi obligés de dire qu’il n’y avait rien à ma charge, et qu’il était faux ce qu’on leur avait rapporté, que j’étais là allée pour pervertir le Peuple, et les attirer à la Religion de l’Église Romaine ; puisque tous les témoins qu’ils ont ouïs, tant les personnes de mon logement que celles du voisinage, ont déposé que je ne parlais à personne, en étant toujours recueillie en ma chambre, et que la propre femme du logis ne me connaîtrait, bien que je serais devant ses yeux, comme elle-même a déposé par devant ledit Magistrat.
LXXXV. Les Prêtres persécutent les bons sous des prétextes de doctrine mauvaise.
En sorte qu’au regard de mes comportements, personne ne peut plus douter qu’ils soient mauvais, ni ceux d’aucune personne de ma compagnie. Mais on veut soupçonner quelque chose de mauvais en ma doctrine : de laquelle ces Prédicants en parlent, comme s’il y avait en icelle des erreurs et des blasphèmes contre Dieu. Ce qu’un d’entre eux, appelé M. George Burchardus, Prédicant de l’Église Cathédrale de SLESVICQ, a tant de fois réitéré en son livre, lequel je réfute maintenant par cette PIERRE DE TOUCHE. Lequel livre il a appelé Remarques Chrétiennes sur les grandes erreurs et blasphèmes contre Dieu, trouvées dans les écrits et la doctrine d’Anthoinette Bourignon. Quoiqu’en Vérité son dit livre ne contienne rien de Chrétien, étant seulement rempli d’injures et de mensonges et calomnies contre moi. Car il m’appelle fort souvent vieille errante, sans qu’il ait prouvé une seule erreur. Ce que je défie tout le Monde de faire, à cause qu’on ne peut trouver des erreurs là où il n’y a que des vérités Chrétiennes, inspirées par le S. Esprit. Mais je ne peux empêcher que ce Burchardus ou de ses semblables disent mensongèrement qu’il y a des erreurs en ma doctrine ou des blasphèmes contre Dieu : ce qui sont des mépris et mensonges controuvés par des noires malices : puisqu’on veut faire croire que les lumières de Dieu sont des illusions du Diable ; et que la Vérité est le mensonge. Je me peux bien abstenir de mal faire ; mais je ne peux pas empêcher le méchant de mal dire, même des choses les plus saintes, puisque Jésus Christ, la Sainteté même, a bien souffert qu’on disait de lui 186 qu’il faisait ses œuvres par la vertu du Diable.
LXXXVI. Prêtres d’à présent imitent les Blasphèmes des Pharisiens.
Ce que disaient les Prêtres de son temps : et ce n’est donc de merveille si les Prêtres d’à présent disent que j’ai une Doctrine Diabolique, ou que j’ai un Esprit familier qui m’enseigne les Écritures. Vu qu’ils sont dans le même esprit de vouloir dominer sur tout le Peuple, comme étaient ces Prêtres Pharisiens, lesquels ne voulaient pas souffrir que Jésus Christ enseignât les vérités qu’il avait apprises de son Père, en disant avec mépris (comme ils disent maintenant de moi) : 187 Où aurait cestui-ci appris les Écritures pour les expliquer ? 188 N’est-ce par le fils d’un charpentier ? De même disent ces Prêtres Luthériens de moi : 189 Où aurait cette fille appris les Écritures ? elle confesse même de ne les avoir lues. Ergo, il faut qu’elle ait quelque spiritus familiaris qui lui enseigne cela, vu que ses écrits sont remplis de passages desdites Écritures. Et ils ont aucunement raison en cela, car j’ai en effet un Esprit familier qui me dicte ce que je dois écrire, mais il faut voir si cet Esprit familier qui me guide est de Dieu ou du Diable, sans en faire à l’aveugle des jugements téméraires, et donner des sentences avant avoir pris connaissance de cause ; puisque l’Écriture dit précisément 190 qu’il faut examiner les Esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu ou du Diable. Sans faire comme ce Burchardus, lorsqu’il appelle du nom de Blasphèmes contre Dieu les choses qui sont entièrement à sa louange ; et qu’il appelle du nom d’Hérésie les vérités Évangéliques que j’avance.
LXXXVII. Examen d’une doctrine de Burchardus et d’une d’A. B. sur la Pierre de Touche.
Et il faudrait bien mettre un peu sur la Pierre de Touche son dire avec le mien, pour voir lequel des deux est de meilleur aloi, et ressemble plus le vrai or de la Charité : car il enseigne que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, et qu’iceux seront sauvés, par ses seuls mérites ; et moi j’enseigne (conformément à l’Évangile) 191 qu’il faut imiter Jésus Christ pour être son Disciple. Lequel de ces deux sentiments vous semble-t-il, mes frères Chrétiens, s’approcher davantage de la CHARITÉ ? Car celui qui croit que Jésus Christ a tout satisfait pour lui ne se mettra en peine pour garder les commandements de Dieu ni la Loi Évangélique : puisqu’il se tient, sans ce faire, assuré de son salut par les mérites de Jésus Christ : et celui qui croit (comme j’enseigne) 192 qu’il faut garder les commandements de Dieu et suivre la Doctrine Évangélique, il s’efforcera à son possible pour là arriver, et selon le conseil de l’Apôtre, pour 193 opérer son salut avec crainte et tremblement. Laquelle de ces deux personnes seront mieux à votre semblant, mon frère Chrétien, et en laquelle de ces personnes remarquera-t-on plus d’AMOUR DE DIEU ?
LXXXVIII. Assurance dans l’Imitation de J. C. Incertitude et malheur hors d’elle.
Ne faut-il pas dire et juger d’un droit jugement que la personne qui opérera son salut avec crainte, et tâchera d’imiter Jésus Christ, sera plus 194 assurée que celle qui s’attend sur les seuls Mérites de Jésus Christ ? Car encore bien même qu’il serait véritable que Jésus Christ aurait tout satisfait pour nous, comme enseignent ces Prédicants, si est-il bon et plaisant de garder les conseils Évangéliques, vu que Jésus Christ même dit : 195 Prenez, mon Joug, il est doux, et ma charge est légère. Vaut-il donc mieux laisser ce conseil en arrière, poursuivre le conseil des hommes, qui flattent la nature corrompue en voulant vivre selon les appétits de leur chair, et attendre ainsi le Salut par les Mérites d’un autre ? Ne vaut-il pas toujours mieux prendre le chemin assuré que celui qui est douteux, et risquer ainsi son salut éternel sur le dire d’aucuns Prédicants ? C’est en quoi l’Écriture dit : 196 Malheur à l’homme qui a mis sa confiance en l’homme. Car je crains que malheur arrivera aux personnes qui sous cette croyance que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, demeureront dans l’état où elles sont, sans vouloir se convertir ni abandonner leurs plaisirs, richesses et honneurs mondains, pour devenir des vrais Chrétiens ; qu’icelles se trouveront trompées à la mort, et qu’au lieu que les Mérites de Jésus Christ leur soient appliqués, qu’elles auront plutôt la sentence de condamnation éternelle : puisqu’il est écrit 197 que personne ne sera reçu du Père, sinon celui qui sera revêtu de l’Esprit de Jésus Christ : et que ces personnes à qui on enseigne que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, sont revêtues d’un esprit d’orgueil, d’avarice et de luxure, d’envie et de paresse : qui sont tous péchés capitaux, pour l’un desquels la personne peut être damnée pour être en cet état morte, et hors de la Charité, qui est l’AMOUR DE DIEU. C’est pourquoi qu’il est bien dangereux de suivre la doctrine de ces Prédicants en ce point ; lesquels ne peuvent retirer 198 les âmes des enfers si elles y descendent pour avoir cru leurs allégations que Jésus Christ a tout satisfait, laquelle est une mal-entente, en laquelle ils errent grandement, quoiqu’ils se présument d’être des Évangélistes et d’avoir la vraie doctrine. Il faut que les âmes de ceux qui la croient soient oppressées à la mort, pour se trouver chargées de péchés, desquels il sera trop tard de se repentir, pour avoir présumé leur salut sans bonnes œuvres : ce qui est aussi compté l’un des péchés contre le Saint Esprit, 199 qui ne sera pardonné ni en ce monde, ni en l’autre.
LXXXIX. Bonheur temporel et éternel des Imitateurs de Jésus Christ.
Mais les personnes qui auront suivi mes allégations conformes à la Loi de Dieu, en s’efforçant à imiter Jésus Christ, embrassant sa Loi Évangélique, méprisant le Monde et ses vanités pour suivre la bassesse et humilité de Jésus Christ, celles-là seront bienheureuses pour le temps et pour l’Éternité. L’on peut voir cela ès personnes qui ont quitté le Monde pour se rendre Disciples de Jésus Christ : car celles-là sont joyeuses et contentes, et médisent souvent d’être maintenant plus heureuses en travaillant et en souffrant persécution pour la justice, qu’elles n’étaient en toute sorte de délices mondaines. En quoi se vérifie ce que Jésus Christ a dit : 200 Que son joug est doux, et sa charge légère. Car c’est une vérité très certaine, que servir Dieu c’est régner, et servir le Monde c’est être esclave, même pour le temps présent, outre la promesse que Jésus Christ a faite à ceux qui l’auront suivis, en leur disant : 201 Là où je suis, vous serez. Et à ses Apôtres il leur dit : 202 Vous qui avez tout délaissé pour me suivre, vous serez assis sur douze Trônes pour juger les douze lignées d’Israël. Que pourrait-on dire davantage pour prouver que la Doctrine laquelle enseigne d’imiter Jésus Christ est beaucoup meilleure que celle qui enseigne que Jésus Christ a tout satisfait pour nous : vu que l’une est fondée sur la Vérité Évangélique, et que l’autre est seulement fondée sur les imaginations des hommes, qui croient d’avoir quelque intelligence des Écritures lorsqu’ils tirent d’icelles des sens tout renversés. Ce que je vois clairement par les passages que ces Prédicants mêmes m’allèguent pour prouver que le sang de Jésus Christ nettoie de tout péché, 203 comme il est en Saint Jean, lequel dit précisément que si nous cheminons en sa lumière : comme je dis aussi tout de même qu’à cette condition le sang de Jésus Christ nettoie de tous péchés toutes les personnes qui chemineront par où Jésus Christ a cheminé. Pour de semblables Jésus Christ a tout satisfait, et non pour celles qui cheminent en ténèbres : vu que cet Apôtre dit tout exprès que ceux qui cheminent en ténèbres n’ont point de communion avec Jésus Christ, et ne peuvent par conséquent avoir part à ses mérites.
XC. Satisfaction de J. Ch. au sens et en l’application qu’on en fait aux mondains, les trompera.
C’est pourquoi que tous les passages que ces prédicants m’allèguent pour prouver que je suis en des erreurs, en enseignant qu’il faut imiter Jésus Christ, me servent pour prouver que ce sont eux-mêmes qui errent, en enseignant que Jésus Christ a tout satisfait pour les personnes qui vivent selon les mouvements de la nature corrompue, comme sont celles à qui on enseigne journellement cette Satisfaction de Jésus Christ. Je ne sais en quelle école est puisée cette Doctrine : mais je sais bien qu’elle est fort dangereuse, et qu’elle en trompera plusieurs à la mort, 204 lesquels ne trouveront pas les Mérites de Jésus Christ, comme on leur a fait croire, lorsqu’ils n’auront point suivi les conseils Évangéliques ; vu que Jésus Christ dit : 205 Celui qui m’aime garde mes commandements. Ce qui est une preuve suffisante pour vérifier qu’on ne peut aimer Jésus Christ sans garder ce qu’il a commandé : et il n’y a rien de plus clair ni rien de plus véritable que cela : pendant que ces Prédicants disent que c’est une Hérésie que j’enseigne, et que je renverse toute leur Religion, lorsque je veux dire que les hommes ne seront pas sauvés par les mérites de Jésus Christ comme ils enseignent au peuple. Et moi je dis que si leur Religion n’a point d’autre fondement que cette croyance, qu’elle n’est pas bien fondée, et que les hommes font très-mal d’appuyer leur salut sur des opinions des hommes, lesquels peuvent errer, comme ils errent assurément en ce point, que les hommes, en vivant comme on les voit vivre, remplis d’Amour propre, d’affections aux plaisirs, richesses et honneurs de ce Monde, seront sauvés par les Mérites de Jésus Christ ; puisque cela n’est pas Véritable. Car celui qui n’entre pas par la porte que Jésus Christ a entré, et enseigné qu’icelle 206 est étroite, ne peut être sauvé. Et qui ne chemine point 207 par la voie que Jésus Christ a cheminé, n’arrivera point au Port assuré ; et celui 208 qui ne suit point la vie de Jésus Christ, ne peut avoir de vie en lui. Car personne ne peut être sauvé que par Jésus Christ, et personne n’aura part avec lui, sinon ceux qui l’auront suivi en ce Monde.
XCI. Ce que c’est qu’Erreur ou Hérésie, et Blasphème.
Mais à cause que j’enseigne ces vérités Chrétiennes, lesquelles Dieu m’a enseignées, ces Prédicants écrivent que j’enseigne des erreurs et des blasphèmes contre Dieu. Ce qu’on pourrait bien croire, en ne point remarquant ce que c’est d’une erreur ou un blasphème contre Dieu. Car une Erreur n’est autre chose qu’une Doctrine qui retire les âmes des hommes de Dieu ; et un Blasphème n’est autre chose que de rendre Dieu coupable de quelque mal ou injustice. Mais à cause qu’on ne regarde point ces choses jusqu’au fond, on croit quelquefois être des erreurs et blasphèmes des choses qui unissent les hommes à Dieu ; et qui honorent son Saint Nom, et cela, à cause que ces Prédicants le disent et font accroire ces choses au peuple : ce que feu Monsr. de Cort ayant bien considéré (lequel était aussi Prêtre et Prédicateur) disait (depuis avoir reçu la lumière de vérité) nous sommes trompés, et nous trompons aussi les autres. Mais ce Pasteur était humble de cœur, et rempli de Charité, là où ces Prédicants modernes n’ont que l’ambition de vouloir régner sur tout le Monde, 209 et d’avoir les préférences et les salutations ès rues. C’est pourquoi 210 qu’ils ne veulent pas recevoir les Vérités de Dieu qui choquent leurs desseins, et appellent du nom d’Hérésies et de blasphèmes contre Dieu toutes les choses qui ne les favorisent point.
XCII. Doctrine d’A. B. ramenant à la fin de la Création, à l’Amour et à la louange de Dieu, ne peut être Hérétique ni Blasphématrice.
Car quelle Hérésie y peut-il avoir en ma doctrine, laquelle ne tend et ne vise à d’autre chose que d’attirer les hommes à l’AMOUR DE DIEU, et au mépris des vanités du Monde ? Ou bien quelle Hérésie peut-il avoir en ce que j’enseigne, qu’il faut suivre la Doctrine Évangélique pour être Disciple de Jésus Christ ? Vu que toutes ces choses ne tendent qu’à l’AMOUR DE DIEU, et au SALUT des âmes de nos Frères Chrétiens. Et quel blasphème contre Dieu y peut-il avoir d’enseigner que Dieu a créé l’homme seulement pour être aimé d’icelui, par le pur amour qu’il porte à l’homme, sans en avoir aucun besoin ? Vu que cela ne peut tourner qu’à la louange de Dieu, et à la reconnaissance de ses bienfaits vers sa créature. Et quel blasphème contre Dieu y peut-il avoir en ce que j’ai dit que Dieu a créé l’homme tout parfait, et qu’icelui avait les deux natures en soi ? Et qu’en lui n’y avait aucun manquement ni imperfection au temps de sa création ? Vu que cela contourne à l’honneur de Dieu, lequel 211 rend toutes ses œuvres parfaites et accomplies, sans aucuns défauts. Car si nous voyons par effet plusieurs défauts maintenant ès œuvres de Dieu, 212 ce ne peut avoir été Dieu qui les ait laissé en ses créatures : mais 213 le péché de l’homme a engendré tous ces défauts, et a apporté en lui toutes ces corruptions et divisions que nous voyons maintenant ès hommes.
Perfection d’Adam.
XCIII. Preuves de cela en quelques-unes. De la perfection d’Adam.
Car il était bien plus parfait, qu’un homme avait les deux Natures en soi de mâle et de femelle tout ensemble pour générer des hommes de son semblable, que de falloir hors de lui chercher une partie de sa nature, pour générer avec peine ce qu’il pouvait faire avec délices sans être assujetti pour cela à une autre créature, laquelle souvent lui cause mille misères et afflictions, tant en son corps qu’en son esprit. Mais cette perfection, en laquelle Dieu avait créé l’homme en l’état de grâce, est méprisée et moquée de ces Prédicants par leurs ignorances, et à cause qu’ils n’ont que des yeux de taupes, qui ne regardent que la terre, et ne peuvent partant voir les choses Célestes et Divines, et encore moins comprendre comment autres qu’eux connaîtraient ce qu’ils ne connaissent point eux-mêmes. Pour ce sujet ils se moquent (comme sont 214 les moqueurs des derniers temps) des plus hauts mystères Divins. Car ce Burchardus dit par moquerie en son Livre que j’ai déclarés qu’Adam et Jésus Christ étaient des hermaphrodites, lesquelles personnes sont des Monstres en la Nature ; sans qu’il se donne de garde que l’Écriture dit 215 que les moqueurs iront avec les sorciers, empoisonneurs, et autres grands pécheurs. Et c’est de semblables moqueries que l’Écriture parle d’être égalé avec les empoisonneurs ; vu que la moquerie qu’on fait de quelques défauts particuliers des hommes, ne peut jamais être un si grand péché qu’il soit comparé aux sorciers, etc. Mais les moqueries qu’on fait des choses divines méritent sans doute de tels châtiments, comme ont mérité les sorciers, empoisonneurs et autres : vu qu’en se moquant des œuvres de Dieu, on se moque de Dieu même, lequel ne veut 216 pas être moqué des hommes, lesquels le doivent adorer 217 en toutes ses œuvres, autant celles qu’ils ne comprennent point, que celles qu’ils comprennent bien : vu 218 que tant plus les œuvres de Dieu sont incompréhensibles, de tant plus elles doivent être admirées et adorées des hommes. Et au lieu que ce Burchardus devait admirer la déclaration que j’ai faite en ce livre du TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, comment Adam avait été créé tout parfait, en ayant les deux natures en soi ; et que Jésus Christ a été né de lui en cet état de perfection avant qu’Adam eut péché ; ce Burchardus s’est moqué à l’aveugle de ces allégations miennes, lesquelles il n’a pas encore trouvées en ses Livres, en 219 voulant mépriser tout ce qu’il n’a pas appris ès Écoles, ou lu ès Livres des Histoires.
Jésus Christ né d’Adam parfait.
XCIV. Jésus Christ est né d’Adam avant tous les autres hommes.
Mais s’il avait avec une pure conscience remarqué les Écritures, elles parlent assez de ces choses, et il aurait bien trouvé assurément que Jésus Christ a été né d’Adam dès l’instance de sa création, vu que l’Écriture l’appelle souvent 220 le premier-né entre les hommes ; et que Jésus Christ même dit 221 qu’il était avant David, quoique l’Écriture l’appelle fils de David. Et si l’on me lisait l’Écriture, je verrais (peut-être) cent passages qui portent témoignage que Jésus Christ est le premier-né d’entre les hommes ; pourquoi il est seul appelé 222 Fils de l’homme. Ce qu’il ne peut véritablement être appelé par sa naissance en étable de Bethlehem : vu que tous les Fidèles croient qu’il a été conçu du Saint Esprit, au ventre de la Vierge Marie, comme le dit le Symbole des Apôtres au Credo ; et partant ne peut avoir été véritablement le fils de quelque homme. Et Jésus Christ ne peut aussi avoir été selon son corps mortel avant David, vu que sa Mère Marie est par longue génération descendue de la race de David, comme l’Écriture enseigne par les Générations que Saint Matthieu 223 a décrites. En sorte qu’on ne peut en aucune façon appliquer le sens de ces passages des Écritures à la naissance du Fils de Dieu lorsqu’il a pris notre mortalité ; et qu’il faut de nécessité croire que Jésus Christ est véritablement le premier-né d’entre les hommes naturels ; et qu’il a été un homme parfait et accompli de la même nature qu’Adam. Car il ne peut avoir été (selon sa mortalité) avant David ; puisque sa Mère est issue de David bien mille années depuis que David fut mort ; et l’enfant ne pouvait être venu ayant son vieux Grand-père : pendant que cette bouche sacrée ne peut mentir, en disant 224 qu’il était avant qu’Abraham fut.
XCV. Pourquoi Dieu s’est tiré un corps hors d’Adam.
Il faudrait admirer ce Divin Mystère, et honorer Dieu, pour le GRAND AMOUR qu’il a porté aux hommes dès l’instant de leur création, en 225 voulant prendre ses délices avec iceux, et qu’à cette fin il a voulu tirer hors d’Adam et fait naître d’icelui un corps humain, par lequel Dieu pouvait traiter avec l’homme comme l’ami avec son ami, par un organe capable d’être vu, entendu, et touché de l’homme, conformément à sa nature humaine, lequel corps était Jésus Christ, véritablement homme comme Adam, et sorti de sa semence ; et véritablement aussi Dieu, adoptant ce Fils bien-aimé, lequel n’a jamais été un moment séparé de sa Divinité, depuis qu’il a eu donné l’être à ce corps glorieux.
XCVI. Imposture Diabolique de Burchardus contre Madlle A. B. comme si elle niait la Divinité de Jésus Christ, qu’elle confesse très formellement.
Mais à cause que ce Burchardus n’entend rien de ces Divins Mystères, il dit en son livre mensongèrement qu’avec les Sociniens, je nie la Divinité de Jésus Christ. Laquelle je crois que jamais personne dans le Monde n’a si bien reconnu comme Dieu me l’a inspiré et fait entendre : puisque je vois plus clair que le soleil que Jésus Christ est le vrai Fils d’Adam, né de lui avant son péché ; et en cette qualité qu’il est véritablement homme comme Adam, pour être sorti de sa semence, avec sa même Nature humaine, sans aucune différence : mais que Jésus Christ est aussi véritablement VRAI DIEU ; pour participer aux qualités divines du Vrai seul Dieu incompréhensible. Et qu’il n’est pas un Dieu créé (comme disent aucuns de ces Sociniens) : mais le même VRAI DIEU ÉTERNEL 226 qui fut, qui est, et qui sera à toute éternité. Et que ce même seul Dieu éternel est celui qui opère par Jésus Christ, qui parle en lui aux autres hommes, qui émeut son corps et son Esprit pour leur faire connaître ses saintes volontés. Et que c’est par ce même corps de Jésus Christ que Dieu parlait au Paradis Terrestre à Adam, lequel disait à Dieu (même après son péché) 227 qu’il l’avait entendu promener, et qu’en étant honteux de sa nudité, qu’il avait fui.
XCVII. Dieu communique extérieurement avec les hommes par le corps de Jésus Christ.
Et toute personne de bon jugement peut bien penser que Dieu n’a ni corps, ni pieds, pour se promener, ou être vu et entendu des hommes ; car en tel cas il ne serait pas un Dieu incompréhensible, comme il est ; mais une créature visible : ce qui ne se peut dire que Dieu soit, vu que l’Écriture dit exprès que 228 personne ne vit jamais Dieu : quoique d’ailleurs elle dise 229 que Dieu parlait à Moïse ; 230 et qu’icelui l’a vu par derrière. Ce qui ne se peut aussi dire de cette invisible et incompréhensible Divinité, laquelle n’a derrière ni devant, mais est sans fin ni commencement, et comprend en soi toute chose, ne pouvant être comprise de rien. Par où on peut facilement comprendre que Dieu a de 231 tout temps parlé aux hommes par le corps glorieux de Jésus Christ, depuis Adam jusqu’à présent ; et qu’il 232 traitera de la sorte avec eux à toute Éternité ; vu que les corps et les âmes des hommes ont été créés éternels, afin que Dieu prisse éternellement ses délices avec iceux. Et n’y ayant rien qui engendre plus l’AMOUR que la ressemblance, Dieu a voulu se faire semblable à l’homme par le corps de Jésus Christ, vu que l’homme ne se pouvait faire semblable à Dieu.
XCVIII. Blasphèmes des ignorants contre ces Adorables Mystères. Doctrine des Sociniens renversée.
Voilà les Lumières que Dieu me donne et les secrets qu’il me communique, lesquels ces ignorants appellent du nom d’Hérésie, ou de blasphème contre Dieu, ou des sentiments semblables à ceux des Sociniens. Mais s’ils avaient seulement conservé une raison humaine, ils diraient plutôt que je renverse par cette Doctrine toutes les erreurs de ces Sociniens ; au lieu d’être de leurs sentiments en ce qu’ils nient la Divinité de Jésus Christ, et disputent pour savoir s’il est venu du Ciel ou de la Mère Marie ; à cause qu’ils sont dans des erreurs, et qu’ils n’ont jamais rien su comprendre de ce divin Mystère, lequel il semble que Dieu ait voulu tenir caché, et ne l’a voulu révéler jusqu’ès derniers temps, èsquels nous vivons à présent. Et au lieu de le bénir et remercier jour et nuit d’un si grand bienfait vers les hommes, iceux veulent persécuter, emprisonner, et mettre à mort les personnes qui leur apportent de si heureuses nouvelles, et des Lumières si brillantes.
XCIX. Piété d’A. B. et de sa Doctrine.
Car ces Prédicants, au lieu de les recevoir comme un Présent venu du Ciel, ils tâchent d’étouffer cette lumière et de me surprendre 233 en mes paroles, en disant mensongèrement que je dénie la Divinité de Jésus Christ, ou bien que je dis qu’icelui a deux corps, ou bien qu’il est une personne monstrueuse, comme sont les Hermaphrodites. Ce qui sont tous blasphèmes contre Dieu, qui ne doivent jamais sortir de la bouche d’un Chrétien pour accuser une personne innocente comme je suis, qui nuit et jour honore Dieu au lieu de le blasphémer, comme ces malveuillants veulent faire croire à grand tort : vu que mes œuvres et mes pensées adorent continuellement Dieu, et que je ne peux prendre aucunes satisfactions en ce Monde que d’accomplir sa sainte Volonté. En quoi faisant je ne peux jamais tomber en aucunes erreurs, comme disent ces Prédicants : vu qu’une erreur n’est autre chose qu’une Doctrine ou des sentiments qui retirent les hommes de l’AMOUR DE DIEU, et que tout ce que j’avance conduit au même amour. Car qu’y a-t-il dans le Monde pour obliger davantage à aimer son Dieu que de savoir qu’icelui a créé l’homme par pur amour à fin d’être aimé de sa créature : et qu’après l’avoir créée toute parfaite avec tant de bénéfices, qu’il a encore voulu faire naître un corps humain tout semblable à l’homme, pour par icelui se communiquer avec lui palpablement, par un organe conforme à sa nature ? Ne sont-ce pas là des motifs très puissants pour obliger l’homme à s’unir à son Dieu, au lieu de le retrancher de lui, comme disent ces personnes abusées que je fais en enseignant des hérésies ? Ô ! qu’il serait bien souhaitable que tous les hommes de bonne volonté seraient en de semblables erreurs comme je suis ! Ils n’auraient garde de blasphémer contre Dieu ; mais l’adoreraient continuellement avec moi.
C. L’ignorance du motif des choses et l’attache aux opinions rendent les Prêtres des Persécuteurs de tout bien.
C. Mais à cause que ces Prédicants n’ont point de connaissance de ces motifs des choses qui les pourraient lier à Dieu, ils en sont déliés, pour s’attacher à quelques opinions qu’ils ont entrepris de croire ; et damnent et condamnent d’hérésie tout ce qu’ils trouvent de contraire à leurs opinions, également le bon avec le mauvais. Car ils veulent que la Justice brûle mes livres, encore qu’ils disent d’y avoir des choses bonnes, qu’ils disent d’enseigner eux-mêmes. Pourquoi donc vouloir étouffer le bon grain avec la Zizanie contre l’ordonnance de Dieu, lequel a dit à ses serviteurs sous la figure d’un maître : 234 Laissez croître l’ivraie avec le bon grain jusqu’au jour de la moisson, et alors je dirai aux moissonneurs, cueillez premièrement l’ivraie et la liez, en faisceaux pour la brûler, mais amassez le bon grain en mon grenier. J’ai encore rapporté ce passage, parce qu’il vient si bien à propos sur le fait de ces Prédicants, qui ne veulent pas seulement qu’aucuns de mes livres soient réservés, lesquels ne parlent d’autre chose que de la solide vertu ; mais veulent tout avoir brûlé, tant les choses bonnes, que celles qu’ils se sont imaginé être mauvaises, et cela sans miséricorde, pour accomplir leur vengeance. Car lorsqu’ils ne peuvent trouver rien de mauvais dans mes écrits pour les condamner, ils inventent des mensonges pour mal dire des choses bonnes. Car ils disent aussi mensongèrement que j’ai dit que Jésus Christ a deux corps : vu que je ne crois point cela, et partant ne le peux avoir dit contre ma croyance. Car Jésus Christ n’a non plus deux corps que n’avait Adam, et que n’ont aussi tous les autres hommes. Mats j’ai bien dit que depuis son péché son corps glorieux a été couvert de mortalité : et aussi sont couverts tous ceux de la postérité d’Adam.
CI. Comment l’homme créé en gloire est devenu comme une bête corruptible (Ps. 49. v. 13). Jésus Christ vrai Dieu.
Car Dieu ayant créé en Adam un corps glorieux, il avait semblablement créé tous les hommes en général de sa même nature ; et s’il n’eût point péché, tous les hommes fussent nés de lui avec des corps glorieux comme il avait avant son péché. Car Dieu n’a créé qu’un seul homme, lequel portait en sa semence tous les autres hommes qui naîtraient de lui ; et partant étaient tous d’une même nature : car toute chose engendre son semblable : si bien que tous les hommes en général ont des corps glorieux, lesquels dureront éternellement avec leurs Âmes ; comme on les verra au temps de la résurrection des morts. Et ce corps mortel que nous portons à présent n’est point un autre corps que celui que Dieu a créé en Adam, mais le même corps 235 a été couvert de mortalité par le péché d’Adam, et est par icelui devenu grossier et pesant, terrestre et misérable ; où avant le péché ce même corps était clair, luisant, agile, subtil, et glorieux, comme il sera encore après cette vie mortelle (s’il meurt en l’amour de son Dieu), il ressuscitera 236 en la même gloire où il avait été créé : 237 car les œuvres de Dieu ne périssent jamais, mais durent éternellement. C’est pourquoi que nous n’avons point deux corps, sinon un seul glorieux que Dieu a créé, non plus aussi que Jésus Christ, lequel n’a que son corps glorieux que Dieu a fait naître d’Adam à l’instant de la création. Et dans le corps glorieux de Jésus Christ, le vrai Dieu qui créa le Ciel et la Terre y habite.
Doctrines modernes Blasphématrices et Hérétiques.
CII. Démonstration que Magister Burchardus enseigne des Blasphèmes et des Hérésies.
Par lequel sentiment un chacun peut bien entendre que je ne dénie point la Divinité de Jésus Christ, comme ce Burchardus écrit de moi mensongèrement ; mais que je l’avoue plus que jamais personne n’a fait, et que j’honore par là Dieu : là où ce Burchardus le blasphème, en disant que Jésus Christ porte les péchés que commettent continuellement les hommes, auxquels il prêche qu’ils seront sauvés, par les mérites de Jésus Christ, quoiqu’ils meurent en la persévérance de leurs péchés, comme on voit que font ceux qui suivent cette croyance, laquelle est assurément une hérésie, puis qu’elle retire de l’AMOUR DE DIEU : vu que la personne qui croit d’être sauvée par les seuls mérites de Jésus Christ vit et demeure en l’amour de soi-même, sans s’efforcer à recouvrer l’AMOUR DE DIEU. Et ce me semble aussi être un blasphème de dire que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes sans qu’ils aient de besoin de satisfaire de leur part : vu que cela serait une injustice, que Jésus Christ le Juste satisfît pour le coupable lequel veut demeurer en son péché.
CIII. Burchardus errant en blasphémant ne peut prouver le même d’A. B. par des fondements solides.
Par où se voit que ce Burchardus a plus d’apparence d’hérésie et de blasphème contre Dieu, qu’il n’y a dans mes écrits, desquels il me veut accuser dans son livre. Car il ne saurait prouver la moindre chose de semblable : où je prouve par des vérités Chrétiennes et de vives raisons qu’il est dans des erreurs et dans des grandes ignorances fort propres à bannir l’AMOUR DE DIEU hors du cœur de tous les hommes, lesquels ne se mettraient en souci d’aimer Dieu lorsqu’ils croient d’être sauvés sans cet Amour par les seuls mérites de Jésus Christ : pendant que Saint Paul (comme j’ai dit ci devant) dit 238 que personne ne sera sauvé sans cet AMOUR, qu’il appelle du nom de CHARITÉ, encore bien qu’on ferait toutes les bonnes œuvres du Monde ; et qu’on aurait le don de prophétie, et la foi pour transporter les montagnes ; que tout cela n’est rien sans la charité.
CIV. Doctrine moderne des Mérites et de la Satisfaction de Jésus Christ examinée sur la Pierre de Touche de l’AMOUR DE DIEU.
Comment donc ces personnes peuvent-elles être sauvées par les seuls mérites de Jésus Christ lorsqu’elles n’ont pas une seule de toutes ces vertus, et qu’elles sont remplies de toute sorte de péchés ? Ne sent-on pas par cette PIERRE DE TOUCHE que la Charité de ce Burchardus n’est qu’apparente et de faux aloi ? Il ne faut point être fort expert à manier la PIERRE DE TOUCHE pour connaître cela, vu qu’on le peut entendre au son des Paroles de l’Apôtre lorsqu’il touche quelle condition doit avoir l’Or de la vraie Charité, et qu’on confronte la vie et le comportement des personnes de maintenant avec les conditions lesquelles cet Apôtre décrit qu’a la vraie Charité. Il ne faut que ce son pour la connaître, encore bien qu’on ne la mettrait pas sur la PIERRE DE TOUCHE. Ce qu’on peut néanmoins faire pour plus grande assurance, à cause que cette fausse monnaie de la Charité apparente est si bien dorée, que les ignorants la prendraient pour du vrai or, lorsqu’on entend dire que c’est se justifier soi-même de faire des bonnes œuvres pour être sauvé et qu’il vaut mieux donner la gloire de notre salut aux Mérites de Jésus Christ.
CV. Jésus Christ n’a pas satisfait pour suppléer au manquement d’obéissance à ses commandements.
Cela a belle apparence de vouloir honorer Dieu, bien qu’en effet on le méprise lorsqu’on le veut obliger à nous sauver par les mérites de son Fils Jésus Christ quoique nous ne gardions pas ses commandements, et que nous ne tendions point à la fin pour quoi Dieu nous a créés, à savoir, pour l’aimer de tout notre cœur, 239 comme il l’a aussi depuis commandé par ses commandements. Car c’est un grand mépris que fait un valet de son Maître, lorsqu’il dirait : Je ne sais faire ce que mon Maître me commande. Et le Maître qui entend cela chasserait un tel serviteur promptement hors de son service ; comme Dieu déchassera assurément de son Royaume 240 tous ceux qui n’auront point gardé ses commandements, quoique ces Prédicants aient trouvé des nouvelles inventions pour sauver les hommes encore qu’iceux n’observent point les commandements de Dieu ni les conseils Évangéliques. Laquelle Doctrine est de faux aloi ; puisque tous les saints Prophètes ont gardé les commandements de Dieu pour être sauvés. Et lorsqu’iceux ont eu enfreint quelqu’un de ces commandements de Dieu, ils en ont fait des rigoureuses pénitences : car David dit 241 qu’il lavait son lit avec ses larmes, et qu’il mangeait son pain avec la cendre, et que sa chair était séchée sur les os de crainte et anxiété pour les péchés. Là où les personnes de maintenant enseignent sans crainte les commandements de Dieu sans en vouloir faire pénitence, ni même en avoir le désir, sous ce faux donner-à-entendre qu’elles sont trop fragiles pour cela, et qu’elles seront sauvées par les mérites de Jésus Christ.
CVI. La conduite des Prophètes et des Apôtres condamne celle d’à présent.
CVI. Ne voilà point de belles inventions pour retirer les hommes de l’AMOUR DE DIEU, et les faire descendre doucement ès enfers ? Car peut-il avoir des personnes plus dignes que ces saints Prophètes de Dieu à qui les mérites de Jésus Christ doivent être appliqués, lesquels, ayant la lumière du saint Esprit, pouvaient voir plus clairement que les hommes de maintenant comment les mérites de Jésus Christ peuvent sauver les hommes, sans entreprendre pour leurs péchés de si rudes pénitences ? Mais je crois que ces pointilleux esprits m’allégueraient bien que Jésus Christ n’avait pas encore souffert au temps des anciens Prophètes. Ce qui est véritable ; vu qu’il était lors encore en son corps glorieux, lequel ne pouvait rien souffrir. Mais je prendrai les Apôtres et disciples de Jésus Christ lesquels ont tous abandonné le Monde pour être sauvés, embrassant une vie pénible et laborieuse, la bassesse et la pauvreté de Jésus Christ, ses souffrances, sa croix, voire sa mort. Auraient-ils donc fait toutes ces choses en vain ou superflu lorsque Jésus Christ aurait eu tout satisfait pour eux ? Ne faudrait-il pas conclure qu’ils ont erré, ou bien que les hommes de maintenant errent, en disant qu’on ne peut garder les commandements de Dieu, ni les conseils Évangéliques ; et qu’il faut attendre son salut par les mérites de Jésus Christ ?
CVII. Différence des Chrétiens d’autrefois et de ceux d’à présent.
N’avons-nous pas le même Dieu qu’ont eu les Apôtres et les premiers Chrétiens, lesquels ont mis en pratique cette Doctrine Évangélique ? Et les hommes n’avaient-ils pas alors la même fragilité que ceux de maintenant ? Comme étant tous également sortis de la masse corrompue d’Adam, ils ont tous été dans la même fragilité et le même état que sont les hommes d’à présent. Et il n’y a d’autre différence, sinon que ces premiers Chrétiens ont suivi la Doctrine de Jésus Christ, et que les hommes de maintenant suivent les conseils des hommes sensuels, comme ils sont eux-mêmes : lesquels voulant demeurer dans leurs péchés et suivre leurs natures corrompues ont trouvé des inventions pour espérer leur salut sans se convertir ni faire aucune pénitence, en oubliant que Jésus Christ a dit : 242 Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous. Sans excepter ceux qui croiront d’être sauvés par les mérites de Jésus Christ hors des autres ; mais dit en termes exprès : Vous périrez tout, si vous ne faites pénitence. Et contre ce décret on enseigne maintenant qu’on sera sauvé sans faire de pénitence : ou on glose tellement ces paroles, qu’on fait voir l’amour propre pour pénitence.
CVIII. Pénitence fantastique et bestiale des hommes.
Car on s’aime tant soi-même qu’on ne veut pas être damné ni souffrir les peines éternelles, pour lesquelles éviter on veut croire en son imagination qu’on peut être sauvé par les Mérites de Jésus Christ. Ne voilà pas une belle pénitence, laquelle consiste seulement dans une simple imagination, en se voulant appliquer les mérites de Jésus Christ ? Et en ce cas, tous les Apôtres, Disciples de Jésus Christ, et tant d’autres saints personnages, ont bien été fols de tant pleurer, de se retirer ès déserts, de macérer leurs corps, comme saint Paul disait 243 qu’il châtiait, pour le réduire en servitude. Pendant que toutes ces personnes n’ont pu commettre de folies en ayant reçu le Saint Esprit. Elles ont eu la vraie sapience de Dieu, et n’ont pu errer en icelle, comme errent les hommes à présent, qui avec leurs lumières naturelles ne comprennent sinon ce qui regarde le temps, comme font les bêtes, qui cherchent toujours les meilleures herbes pour pâturer à leur goût. Et par ainsi les hommes sont devenus bestiaux, ne voulant plus écouter après les choses surnaturelles, pour se contenter d’avoir ici leurs aises et commodités et ce que la nature désire ; et avec ce, espérer aussi la vie éternelle. Ce qui ne se peut faire, comme il fut dit au faux Riche de l’Évangile : 244 Parce que tu as eu des biens en ce Monde, et le Lazare semblablement des maux ; pour cela est-il consolé, et toi tourmenté.
CIX. Deux Paradis incompatibles.
Cet Exemple doit servir à toutes personnes qui ont soin du salut de leurs âmes : elles doivent fermement croire qu’on ne peut avoir deux Paradis ou deux lieux de délices : car si elles les veulent prendre en ce Monde, elles seront privées des délices éternelles. Mais au contraire si elles se privent des délices de ce Monde pour l’Amour de Dieu, elles posséderont assurément les délices éternelles.
CX. Comment Jésus Christ a choisi le meilleur en ce Monde.
Voilà la lumière que Dieu me donne. Bienheureux sera qui la suivra. Car il est très certain que s’il y avait eu quelque chose de meilleur que la pénitence, la bassesse, la pauvreté, et les souffrances, que Jésus Christ l’aurait choisi ; et que le meilleur a été ce que Jésus Christ a choisi en venant en ce Monde misérable. Car il n’y peut jamais avoir été personne à qui toute sorte de délices appartinssent comme à Jésus Christ. Puis qu’en étant le vrai Fils de Dieu, toutes richesses, honneurs, et plaisirs lui appartenaient en propriété, comme Fils et héritier de celui qui les avait créés. Mais il a montré par effet qu’il était meilleur de mépriser toutes ces choses, que de les posséder en ce temps de pénitence qui fut ordonné de Dieu à cause du péché d’Adam ; et que cette pénitence est annexée au pardon du péché, 245 sans laquelle pénitence il n’y peut avoir de pardon d’icelui : à cause que Dieu est Juste autant que Bon et véritable : vu que 246 ces trois qualités sont en lui inséparables, et que jamais Dieu ne fera aucune chose au Ciel ni en Terre sans être accompagnée de Justice, Bonté, et Vérité tout ensemble.
CXI. Justice, Vérité, et Bonté de Dieu inséparables dans la Rédemption de l’homme.
C’est pourquoi que les hommes se trompent de croire que Dieu les sauvera par sa seule Bonté, sans l’intervention de sa Justice et de sa Vérité. Car s’il eût voulu faire cela, il aurait donné à Adam le Pardon de son péché sans lui enjoindre de pénitence ; vu qu’Adam était beaucoup moins coupable que ne sont les hommes de maintenant, qui espèrent le salut sans faire pénitence, par la seule Bonté de Dieu, après qu’icelui leur a enjoint icelle pour le péché d’Adam : et qu’iceux sont encore coupables de beaucoup d’autres péchés qu’ils ont commis eux-mêmes. En quoi manqueraient à Dieu ces deux qualités de Justice et de Vérité : vu qu’il est très juste que l’homme porte la peine de son péché après avoir pour sa propre satisfaction porté les délices d’icelui. Et qu’il est aussi très véritable qu’il en doit faire la pénitence ; puisque Dieu lui a dit 247 qu’à la sueur de son visage, il gagnerait sa vie.
De la S. Trinité.
CXII. Rédemption, sujet de parler de la S. Trinité.
Cette Vérité sortie de Dieu même doit demeurer ferme ; et cette Justice observée au pardon du péché doit persister jusqu’à la fin du Monde ; puisque Dieu est immuable et ne change jamais ; encore bien que les hommes changent, lui demeure toujours Bon, Juste et Véritable en ces trois qualités, que j’attribue à Dieu sous le nom de Trinité. De quoi notre Burchardus se moque, et m’accuse là-dedans de blasphème contre Dieu ; et dit pour ce sujet que je nie la très-Sainte Trinité. Rapportant l’Histoire qu’un certain Servetus a été brûlé pour un semblable sujet : voulant tacitement conclure de là qu’on me doit aussi faire brûler, parce que j’ai dit, que les trois personnes de la Trinité est une grosse expression pour faire entendre aux hommes quelques qualités de Dieu. En quoi il me semble qu’il blasphème contre Dieu beaucoup plus que moi.
CXIII. Il n’y a point en Dieu de personnes à la façon des créatures. Justice, Vérité et Bonté peuvent être prises personnellement, et marquent mieux la S. Trinité que tout autre emblème.
Car en vérité il n’y peut avoir nulles personnes en Dieu, lesquelles sont seulement ses créatures, et que rien de créé ne peut être l’essence de Dieu. Mais la Bonté, Justice et Vérité de Dieu sont des qualités essentielles de Dieu, et toujours inséparables de lui. Et si on veut appeler ces qualités Divines du nom de personnes, ou autres, c’est peu de chose, moyennant qu’on puisse comprendre que Dieu est en soi tout Juste, tout Bon et tout Véritable. Et il me semble que cette doctrine conduit davantage les hommes à Dieu que ne fait celle qui s’arrête aux trois personnes comme les Catholiques dépeignent la très-Sainte Trinité, à savoir avec un Vieillard qui signifie le Père, un Jeune homme qui signifie le Fils, et au milieu d’iceux une Colombe qui signifie le Saint Esprit. Car un chacun sait bien que cela n’est point réel en Dieu, qu’icelui n’est pas vieux ni jeune : vu qu’il a été, est, et sera toujours sans commencement et sans fin. Et qu’il n’est pas né en jeunesse, ni vieilli par laps de temps ; et qu’il est encore moins une colombe, ou quelqu’autre bête innocente : mais que toutes ces choses sont seulement des figures pour faire comprendre à notre grossier entendement quelque chose des qualités de Dieu ; et nous montrer qu’il n’est pas seulement un Père débonnaire ; mais aussi un juste Juge et Véritable. C’est pourquoi que j’ai voulu comparer en mon Livre du TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ 248 la Toute-puissance de Dieu, à la personne du Père ; 249 sa Vérité au Fils ; 250 et sa Bonté à la colombe qui représente le Saint Esprit. Et pour cette comparaison ce Burchardus me voudrait bien faire condamner à la mort, comme il dit qu’on a condamné ledit Servetus, pour ne pas avoir voulu reconnaître ces trois personnes en la Trinité.
CXIV. Que la Très-Sainte Trinité est incompréhensible.
Par où il fait assez paraître qu’il voudrait bien exterminer tous ceux qui ne croient point comme lui ; lequel, étant grossier et Terrestre en son esprit, ne veut rien entendre de Dieu, seulement cela, à savoir : qu’il a en soi trois personnes matérielles, qu’on appelle le Père, le Fils, et le Saint Esprit : en pensant avec cela qu’il a la vraie connaissance de Dieu, lequel n’est connu de personne, et est incompréhensible pour toutes créatures. Ce qu’il a un jour fait entendre à Saint Augustin, lorsqu’en se promenant sur le bord de la Mer, il voulait comprendre ce que c’était de la très sainte Trinité. Dieu lui fit lors voir un enfant qui avec ses mains avait fait une petite fosse dans le sablon, et courait à la Mer pour avec ses petites mains apporter de l’eau d’icelle dans cette petite fosse qu’il avait faite dans le sablon. Ce qu’Augustin, remarquant, alla demander à cet enfant ce qu’il faisait. À quoi l’enfant répondit qu’il voulait de la façon mettre toute l’eau de la Mer dans cette petite fosse. De quoi Augustin se prit à rire, en disant : Mon enfant, vous ne pouvez jamais faire cela, laissez cette entreprise et ce travail. À quoi l’enfant répondit : J’aurais plutôt fait cela que vous n’aurez compris ce que vous voulez comprendre en votre esprit, etc. Avec ces paroles le garçon s’évanouît. Je pense que cette Histoire est très véritable, pour être racontée d’Augustin même à qui elle arriva. Mais encore que ce ne serait qu’une fable ou une imagination, si est-il une Vérité infaillible que nuls jugements humains ne peuvent jamais comprendre ce que c’est de la TRÈS-SAINTE TRINITÉ. Et qu’en effet l’on mettrait plutôt toute l’eau de la Mer, ce grand Océan, dans une petite fosse, qu’on ne pourrait mettre dans l’esprit des hommes ce que c’est de Dieu, ou de la TRÈS-SAINTE TRINITÉ : vu que tous les entendements des hommes ensemble ne sont rien que de petits grains de sablon dans lesquels ne peuvent entrer les eaux de la Divine Sapience, sinon quelques gouttelettes que Dieu verse dans des âmes particulières à qui il plaît de se communiquer.
CXV. L’on n’est pas coupable de ne pas savoir ce que l’on confesse incompréhensible, ni d’en déclarer quelques conceptions utiles.
C’est pourquoi que ce Burchardus n’a point sujet de se présumer de savoir ce que c’est de la Très-Sainte Trinité, ou de me condamner de Blasphèmes contre Dieu lorsque j’en déclare ce que Dieu m’en a fait entendre, à savoir : qu’il ne fait jamais rien sans être accompagné de Justice, de Bonté et de Vérité : et que ceux qui croient d’être sauvés par la seule Bonté de Dieu se trompent.
CXVI. Manières vulgaires dont on exprime la Sainte Trinité, et celles d’A. B. mises sur la Pierre de Touche.
C’est ce que Dieu m’a révélé ; et c’est aussi un sentiment plus utile et salutaire aux hommes, que de croire qu’il y a en Dieu trois personnes matérielles : vu que cette croyance de trois personnes n’opère nulles vertus en l’âme de celui qui le croit. Car si on pense qu’il y a en la Très-sainte Trinité un Vieillard, un Jeune homme et une Colombe, cela ne peut enflammer l’âme en l’amour de Dieu. Mais lorsqu’une personne croit qu’il y a en Dieu une Justice, une Vérité, et une Bonté tout ensemble ; et que ces trois choses ne vont jamais l’une sans l’autre : 251 alors elle craindra cette justice de Dieu, et tâchera selon le conseil de l’Apôtre 252 d’opérer son salut avec crainte et tremblement. Et lorsque la personne croit qu’il y a une Vérité en Dieu, elle espérera en ses promesses, et en ce qu’il a dit : 253 Je ne veux point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive. Et si la personne croit en la Bonté de Dieu, elle 254 l’aimera, et par ainsi cheminera d’un pas ferme en la solide vertu. Et cela sont les fruits d’une vraie croyance, telle que Dieu m’enseigne. Ce qui est vrai Or de Charité, lequel on peut hardiment mettre de tout côté sur la Pierre de Touche : car tant plus on le frottera, de tant plus on découvrira la pureté de l’Or de la Charité.
CXVII. Il n’y a en Dieu nulles personnes individuelles à la façon des hommes. Dieu s’est manifesté comme Père, Fils, et S. Esprit, afin que nous sachions que sa Justice, Vérité, et Bonté coopèrent inséparablement dans l’œuvre de notre Rédemption.
Mais si on veut toucher les sentiments de notre Burchardus, on découvrira bientôt que ce n’est que de laiton, ou cuivre doré qui trompe. Car les mots de sa confession sont mots dorés, lorsqu’il dit : J’adore un seul Dieu en trois personnes ; le Père, le Fils, et le Saint Esprit. Parce que cela est le commun langage de ceux qui font profession d’être Chrétiens. Mais ces mots n’engendrent point de charité en l’âme lorsqu’on n’entend point ce qu’iceux mots comprennent ; c’est à savoir : que Dieu est tout Bon, tout Juste, et tout Véritable. En sorte que la charité du prochain est bien plus exercée, lorsqu’on lui explique les qualités solides que Dieu porte inséparablement en soi ; que lorsqu’on leur avance quelques spéculations qu’il y a trois personnes en la très-sainte Trinité, laquelle ne peut jamais être comprise ni spéculée comme elle est. Car Jésus Christ est bien une personne en Dieu, en tant qu’il est vraiment homme comme nous. Mais il n’y a point de personnes divines : vu que toutes personnes sont choses créées, qui ont eu un commencement et n’ont point toujours eu l’être, sinon depuis que Dieu leur a voulu donner icelui. Mais Dieu n’a point eu de commencement, et ne fut jamais créé, et est un Esprit incompréhensiblement éternel, à rien comparable. En sorte que ce Père, ce Fils, et ce Saint Esprit qu’on nous dépeint n’est qu’une grossière expression pour former en notre entendement quelque crayon de ce que Dieu est Bon, Juste, et Véritable ; et que toutes ces qualités ne font qu’un seul Dieu.
CXVIII. Les méchants blasphèment les choses bonnes.
Mais cet ignorant Burchardus ne veut point entendre ces choses ; et les veut faire passer pour des hérésies ou des blasphèmes contre Dieu ; lesquels doivent être châtiés de la mort, comme a été ce Servetus qu’il rapporte par ses Histoires d’avoir été brûlé pour ce point de la très-sainte Trinité. En quoi il montre sa cruauté, et le peu de charité qu’il a en son âme ; en voulant condamner à mort toutes les personnes qui ne suivent pas ses sentiments. Ce qui provient d’amour propre, et d’une grande estime de soi-même : en voulant plus référer à sa capricieuse imagination, qu’aux Lumières que Dieu me donne. Et à fin de les faire mépriser aussi des autres, il fait imprimer un Livre mensonger, pour faire entendre qu’il y a en ma doctrine des hérésies et des blasphèmes contre Dieu. Voire en disant que c’est une Doctrine Diabolique. À quoi je réponds, comme Jésus Christ fit aux Pharisiens qui lui disaient 255 qu’il faisait ses œuvres par la Vertu du Diable : à quoi Jésus Christ ne dit autre chose, sinon : 256 Je n’ai pas de Diable. Ce que je peux aussi dire avec vérité par la grâce de Dieu, que j’ai vaincu le Diable ; lequel n’a plus de puissance sur moi ; et que Dieu seul est mon guide et ma sagesse, de quoi on peut bien voir les effets. Car le Diable ne peut jamais rassasier une âme comme la mienne est toute rassasiée et ne désire rien au Ciel ni en Terre que d’accomplir la volonté de son Dieu en la vie et en la mort. Et le Diable n’est 257 point aussi contraire à soi-même pour enseigner des choses qui détruisent son Royaume : mais il s’efforce à l’édifier davantage, à quoi ces Prédicants l’assistent beaucoup, 258 lorsqu’ils veulent empêcher qu’on ne déclare point la Vérité aux hommes, ou qu’on dise aux Chrétiens qu’il faut imiter Jésus Christ pour être sauvé.
Le mal du méchant le ruine.
CXIX. Les Persécutions des méchants ne peuvent nuire à la Vérité, mais l’aident.
Et ils s’alarment pour ce sujet de tous côtés contre moi, et appellent la Justice pour me faire exterminer s’ils pouvaient. Mais je crains qu’ils se heurteront la tête, et se blesseront eux-mêmes au lieu de me blesser ; à cause que la vérité demeurera toujours véritable ; quoiqu’elle soit méprisée des ignorants, elle ne changera jamais. Et encore bien qu’on me ferait mourir, ou qu’on brûlerait tous mes Livres, les vérités qu’ils contiennent ne seront pas terminées pour cela ; mais elles en deviendront plus brillantes et éclatantes. Parce que ces vérités seront examinées de plus près, et reconnues de tant plus de personnes, comme il est jà paru par le commencement des persécutions que m’ont fait ces Prédicants. Car depuis que mes livres et mon imprimerie ont été levés par la Justice, et transportés à GOTTORP, presque toutes les personnes de ce Pays d’HOLSTEIN ont eu connaissance de mes écrits ; et plusieurs en ont été si touchés et convaincus en leurs consciences, que diverses se sont venus présenter pour se rendre de notre compagnie, et pour suivre les vérités Chrétiennes qu’elles ont remarquées en mes écrits. Là où auparavant cet outrage à moi fait, personne du Pays ne prenait connaissance de ma doctrine, laquelle leur était inconnue par mon silence et ma retenue.
CXX. Persécution des Prêtres, occasion de leur ruine.
En sorte que lorsque ces Prédicants penseront établir leurs sentiments par les persécutions qu’ils me feront, il est à croire qu’ils les détruiront tout à fait : car la Vérité est forte comme la mort, 259 et c’est un glaive tranchant de deux côtés qui coupe toutes tromperies et mensonges, pour bien couverts ou colorés qu’iceux pourraient être. De quoi on en pourra voir le commencement par cette PIERRE DE TOUCHE, laquelle ces Prédicants m’ont obligée d’écrire pour réfuter les fausses accusations que ce Burchardus fait de moi par son livre. Lequel, s’il ne fut pas mis au jour, je n’aurais point eu d’occasion de réfuter par des vérités si claires qu’elles renversent toute la boutique qu’ils avaient dressée pour faire marchandise du peuple, comme a prédit l’Apôtre, 260 qu’ès derniers temps les Prêtres feront marchandise du peuple.
CXXI. Prêtres, Marchands d’âmes : attirent tous à eux ; empêchent le bien.
Car qu’est-ce autre chose d’attirer les personnes à sa suite sinon que trafiquer avec icelles ? vu que si on n’avait ni honneur ni profit en cela, un chacun demeurerait en repos comme je fais, en ne cherchant personne, refusant même celles qui volontairement se viennent présenter à nous. Ce qui est un témoignage assuré que je cherche de conduire les personnes à Christ par mes écrits, et point les attirer à moi. Mais ces Prédicants veulent par force attirer un chacun à eux, et ne me peuvent persécuter pour autre sujet, sinon parce que je ne suis pas Luthérienne, vu qu’ils rejettent toutes les personnes qui ne les suivent pas, n’ayant point remarqué que David dit : 261 Que tous Esprits louent le Seigneur. Et que pour ce sujet les Luthériens me doivent laisser en repos louer le Seigneur dans l’Esprit qu’il m’a départi, sans me vouloir contraindre à ne plus écrire les choses que Dieu m’inspire, ni prétendre de faire brûler par la Justice les mêmes écrits lesquels ont jà porté tant de fruits de pénitence ès âmes de plusieurs personnes depuis dix ans en çà, et qui ont été connus et examinés presque par toute la Chrétienté.
CXXII. Les Persécuteurs se ruinent eux-mêmes.
En sorte que je crois que si ces Prédicants avancent à persécuter ces Vérités Chrétiennes, ou à faire brûler mes écrits, 262 que leur ruine est proche ; et qu’ils perdront par là plus leur crédit et autorité que ne pourra jamais faire tout ce qu’on pourrait jamais dire ou écrire contre leur Religion. Car toutes gens de bien qui ont approuvé mes écrits et y ont trouvé tant de choses bonnes, jugeront sitôt qu’il faut que ces Luthériens soient déchus de la Justice et Vérité de Dieu, en condamnant des choses si bonnes et salutaires. De quoi ils acquerront de toutes gens de bien du mépris et despect : quoiqu’aucuns méchants qui goûtent leurs doctrines et veulent demeurer au chemin large les seconderont bien pour un temps, et aideront à l’aveugle à me persécuter ; comme nos Frères ont vu des jeunes garçons venir en bande du soir à leur logis jeter des pierres en quantité à la porte ou aux fenêtres de la maison, pour la haine que ces Prédicants leur ont su donner, en disant que nous sommes de la Secte des Trembleurs, et avons des Doctrines diaboliques, des hérésies et blasphèmes contre Dieu, avec mille autres maux ; lesquels ce Burchardus a écrit dans son livre, et prêché publiquement, comme aussi ont fait les Prédicants de FLENSBOURG, disant que ma Doctrine est diabolique, pleine d’hérésie et de blasphèmes contre Dieu. Ce qui donne de l’aversion contre nous au peuple, lequel pense de bien faire en croyant leurs Prédicants, lesquels disent de tenir la place de Dieu, lorsqu’en effet ils sont ennemis de sa Vérité, et ne veulent pas souffrir que je la déclare. Voire le dit Burchardus écrit dans son livre que les personnes ne nous doivent pas loger en leurs maisons.
CXXIII. Les Prêtres se manifestent cruels aux uns, flatteurs aux autres, incroyables à tous, amateurs de gloire.
Ce qui dénote assez qu’il a totalement perdu la Charité, et est seulement rempli d’un Esprit de vengeance et d’amertume contre son prochain. C’est à lui à penser par quelle voie il pourra être sauvé, lorsque S. Paul dit si absolument 263 qu’il faut avoir cette charité pour arriver au salut : et que ce Burchardus demeure dans la haine qu’il nous porte sans aucune raison, et induit même le peuple à nous haïr. Ce qui fait bien paraître 264 que sa Charité n’est qu’apparente et point réelle ; et qu’il nourrit aussi plusieurs personnes dans cette charité feinte, sous l’espoir qu’elles seront néanmoins à la fin sauvées par les mérites de Jésus Christ, en suite de cette nouvelle Doctrine, controuvée par les hommes ignorants, qui n’entendent nullement le sens des saintes Écritures, et veulent néanmoins les expliquer à la faveur du relâchement des hommes ; en leur disant que Jésus Christ a tout satisfait pour eux : en les faisant ainsi reposer sur un faux oreiller, pour ne pas savoir comment Jésus Christ a satisfait pour les hommes. Et ils les animent à maintenir une Doctrine si préjudiciable à leurs âmes, pensant même de faire cela par un zèle de la Religion. En quoi on peut voir 265 que Dieu a abandonné fin peuple à l’esprit d’erreur, comme il a menacé par ses saints Prophètes ; 266 et que la Vérité n’est plus en crédit maintenant parmi les hommes ; vu que les Prêtres mêmes la persécutent de la sorte. En quoi on pourrait bien maintenant demander ce que Jésus Christ demandait de son temps, en disant : 267 Si le sel est corrompu, avec quoi salera-t-on la chair ? Et quels gens de bien pourront maintenant croire à ces Prédicants après qu’iceux auront ainsi étouffé des vérités Chrétiennes que Dieu envoie au Monde en ces derniers temps ? Pourquoi on le doit bénir et remercier jour et nuit, au lieu de les vouloir étouffer dans leur berceau : comme on fait pour complaire à ces Prédicants, qui ne cherchent là dedans que leurs propres gloires et à maintenir leurs autorités pour dominer sur le peuple ; en ne visant à la gloire de Dieu, ni au salut des âmes du prochain ; à cause que 268 la Charité est maintenant refroidie, et qu’un chacun ne vise plus qu’à soi-même et à ses avantages.
CXXIV. Les Chrétiens ont apostasié de Dieu et de ses Lois plus que les Juifs.
En quoi Dieu a bien sujet de dire maintenant des Chrétiens ce qu’il disait jadis des Juifs, à savoir : 269 Mon peuple m’a abandonné, moi qui suis la fontaine d’eau vive, pour aller puiser dans des citernes crevassées, qui ne peuvent tenir leurs eaux. Car les Chrétiens sont devenus le peuple de Dieu depuis que les Juifs l’ont eu abandonné ; 270 ils ont été retranchés, et les Chrétiens entés dans leur tronc, à fin 271 de porter des fruits salutaires, dignes d’être 272 servis à la table de leur Seigneur. Mais de ces Chrétiens, qui sont maintenant le peuple de Dieu, Jésus Christ a beaucoup plus de sujet de dire : Mon peuple m’a abandonné, etc., qu’il n’a eu de dire cela des Juifs ; vu que les Juifs enseignaient 273 encore la Loi de Dieu, et pressaient le peuple à l’observance d’icelle, en sorte que leur Doctrine était bonne ; vu que Jésus Christ disait d’iceux : 274 Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites point ce qu’ils font ; à cause qu’ils ne faisaient pas eux-mêmes ce qu’ils enseignaient. Mais les Chrétiens de maintenant enseignent qu’on ne peut garder les commandements de Dieu, et encore moins la Loi Évangélique. En sorte qu’on ne peut nullement faire ce qu’ils disent non plus que ce qu’ils font : à cause qu’ils font mal, et enseignent aussi mal : vu que les Commandements de Dieu ne sont donnés aux hommes sinon 275 pour être par eux observés.
CXXV. But et nécessité des Commandements de Dieu. Péché d’Adam.
Car Dieu n’a point besoin des Lois ou des Commandements : mais les hommes ont nécessité des Lois 276 pour bien régler leurs vies. Et ceux qui ne veulent point observer ces Lois, ne veulent point être sauvés. C’est pourquoi, qu’il y a grande erreur, en cette Doctrine, laquelle dit qu’on ne peut observer la Loi Évangélique. Vu que 277 de l’observance de cette Loi seule peut être sauvé le Chrétien, et rien d’autre. Car si Jésus Christ ne fût point venu pour nous apporter sa Lumière, tous les hommes étaient perdus plus misérablement qu’ils ne furent perdus par le péché d’Adam, auquel péché toutes les volontés des hommes n’ont point contribué ; vu qu’iceux n’avaient encore l’être, et qu’il n’y avait que la volonté d’Adam seul qui délaissa l’Amour de son Dieu pour le mettre ès créatures.
CXXVI. Pourquoi Dieu a pardonné aux hommes et non aux Anges.
Cela a été le sujet pourquoi Dieu a pardonné le péché aux hommes, et non pas le péché aux Anges, lesquels de leurs propres volontés étaient également tombés en la même faute, et avaient (l’Ange autant que l’homme) retiré leurs affections de Dieu pour s’aimer eux-mêmes, quoique l’une et l’autre de ces créatures avaient également été créées de Dieu pour le même sujet, et pour la même fin. Mais Dieu par bonne justice a damné les Anges rebelles, et sauvé les hommes, à cause que les Anges avaient été créés de Dieu en nombre, et qu’un chacun d’iceux pouvait user de la libre volonté. Mais les hommes, étant tous créés dans un seul homme, n’avaient pas encore l’usance de leurs libres volontés.
CXXVII. Pourquoi les hommes sont produits par génération. Que Jésus Christ est sans Péché Originel.
Voilà pourquoi que Dieu les laissés générer et venir hors Adam, pour éprouver si un chacun d’eux voulait de sa libre volonté demeurer en l’Amour de Dieu, ou bien s’en retirer comme avait fait Adam : à fin de ne les point laisser périr par le péché de leur Père : car c’est une vérité certaine 278 que jamais une personne arrivée à l’usage de raison ne peut être damnée pour le péché d’Adam, lorsque de soi-même elle ne retire point ses affections de son Dieu de sa franche et libre volonté : car encore bien que tous les hommes sont tombés en Adam, ils ont aussi tous reçu en Adam le pardon de son péché en la condition de faire la pénitence que Dieu lui a enjoint pour icelui : car 279 la chute, le pardon, et la pénitence, est arrivée à tous les hommes en Adam : à cause qu’il portait tous les hommes en ses reins, et que nuls n’étaient séparés de lui sinon le Fils de Dieu, ce premier-né entre les hommes : lequel n’a pu en aucune façon participer au péché d’Adam, vu qu’il était jà sorti de lui avant son péché, et avait dès lors sa seule libre volonté, laquelle n’a jamais été un moment séparée de la volonté et de l’Amour de son Dieu.
Motif et but de l’incarnation de Jésus Christ.
CXXVIII. Par quel motif Jésus Christ a voulu venir sur la terre.
Et à cause que l’AMOUR DE DIEU engendre toujours l’amour du prochain, elle a produit en l’Âme de Jésus Christ une telle charité pour les autres hommes, ses frères par nature humaine, qu’il a voulu de se charger de leurs misères, 280 pour les venir délivrer de leurs aveuglements et de la damnation éternelle en laquelle un chacun d’eux s’étaient volontairement précipités, sans même reconnaître leurs malheurs. Car toute chair avait corrompu sa voie ; et il n’y avait plus rien de sain en la maison de Dieu lorsque Jésus Christ prit la résolution de se revêtir de notre mortalité : 281 Et toutes les brebis de la maison d’Israël étaient péries. C’est pourquoi que David disait 282 que Dieu avait regardé par toute la Terre, et qu’il n’y avait trouvé personne qui faisait bien, et reprend, par un, jusqu’à un seul. Ce qui était arrivé au temps que Jésus Christ prit notre mortalité, et arrive aussi 283 maintenant en sens parfait plus qu’alors. Car l’Écriture parle toujours, 284 et s’accomplit toujours en plus grande perfection : comme elle fera jusqu’à la fin du Monde. Car Dieu n’est point borné ni limité, et il n’y a nuls temps en son regard.
CXXIX. À quel dessein Jésus Christ a voulu s’incarner.
Jésus Christ était né de Dieu et de l’homme pour sauver les hommes, desquels il devait être le juge, et aussi régner sur iceux éternellement. Mais voyant que tous les hommes avaient abandonné l’Amour de leur Dieu, et avaient tous corrompu leurs voies, Jésus Christ en a eu pitié, et est venu avant le temps pour les rappeler et retirer de l’esclavage du Diable, auquel ils étaient volontairement asservis sans le connaître. Car 285 le péché aveugle toujours l’âme, laquelle ne voit point où elle marche après être tombée en péché. C’est pourquoi Jésus Christ leur est venu apporter la lumière de Vérité à fin que les hommes reconnussent leurs voies, en leur disant avec le Sage : 286 Retournez, retournez, Sulamites ! car vous êtes toutes égarées de votre Dieu, bien que vous soyez ses enfants ; et vos âmes sont mortes à sa grâce, et périssent éternellement si vous ne retournez en son AMOUR.
CXXX. Hommes insensibles aux rappels intérieurs ; même aux extérieurs des simples hommes. Descente de Jésus Christ.
Cette voix de Jésus Christ se pouvait bien faire entendre à l’intérieur des âmes, lesquelles sont des Esprits, comme Dieu est aussi Esprit : mais leurs cœurs étaient si endurcis, et leurs volontés si terrestres, qu’iceux n’étaient plus capables d’entendre cette voix intérieure ; et ils ne savaient voir comment ils avaient délaissé l’Amour de Dieu, ni par quels moyens ils pouvaient recouvrer icelui. Et quoique Dieu leur eût tant de fois envoyé des Prophètes pour les admonester, pour les menacer, et pour leur faire des promesses de bénédictions temporelles et éternelles, ils demeuraient toujours dans leurs aveuglements, et ne pouvaient retrouver le chemin pour retourner à l’amour de Dieu, qu’ils avaient si lâchement quitté ; sans même savoir par quels moyens ils étaient ainsi déchus : encore moins par quelles voies ils retourneraient à lui. Mais Jésus Christ ne pouvant souffrir que tous les hommes périssent de la sorte par ignorance et fragilité, il a bien voulu quitter le sein de son Père (où il 287 reposait depuis sa création, comme son Fils bien aimé) pour venir en cette Terre corrompue par le péché rappeler les hommes à pénitence et conversion, en leur faisant voir tout par le menu, comment ils devaient retourner en cet Amour de Dieu pour lequel ils avaient été créés : et non point seulement par une voix qui criait au désert, comme celle de Saint Jean Baptiste : mais par des actions que Jésus Christ voulait opérer en leur présence ; à fin qu’ils l’eussent suivi, et qu’ils eussent fait les œuvres qu’il faisait pour retourner en l’AMOUR DE LEUR DIEU.
CXXXI. Pourquoi Jésus Christ a voulu prendre notre mortalité.
Et comme il ne pouvait pâtir ni souffrir en son corps glorieux, ni faire la pénitence que Dieu avait enjointe à l’homme pour son péché : vu que lui n’avait point péché en Adam, ni reçu la malédiction du péché comme les autres hommes ; il s’est voulu revêtir de notre mortalité, et prendre sur soi nos misères et langueurs, et porter la peine de nos péchés, quoiqu’il ne fut en rien coupable d’iceux. Et cela 288 à fin de nous enseigner visiblement comment les hommes devaient satisfaire à la Justice de Dieu, et par quels moyens ils pouvaient recouvrer sa grâce.
CXXXII. Comment Jésus Christ a pris nos péchés et nos langueurs, et pourquoi.
Ce n’est point pourtant que Jésus Christ soit venu prendre sur soi les péchés des hommes pour les laisser continuer en leurs péchés, comme font entendre ces ignorants par leurs nouvelles doctrines : mais c’est seulement 289 qu’il a voulu prendre la ressemblance d’un pécheur pour nous montrer, et comment nous devons porter les peines dues à nos péchés, et comment nous devons demeurer en l’Amour de Dieu. Ce que Jésus Christ a enseigné en se revêtant de toutes les misères que le péché a apportées en la nature humaine : comme est le froid, le chaud, la lassitude, le travail, la faim, la soif, les maladies, et la mort, lesquelles sont toutes choses que Dieu n’a point créées, mais que le péché a engendrées par corruption en la nature humaine. Et quoique le corps de Jésus Christ n’était pas corruptible, pour n’avoir jamais péché, ni contracté en aucune façon au péché d’Adam, si a-t-il voulu pour l’amour qu’il nous portait participer aux peines dues à nos péchés, en prenant à ces fins nos langueurs sur soi, 290 afin de nous encourager à les porter volontairement, en voyant le juste les porter sans l’avoir mérité, et cela volontairement, pour 291 l’amour qu’il portait aux hommes, et à fin de les racheter de l’esclavage du Diable, dans lequel ils s’étaient engagés volontairement.
CXXXIII. Comment et pourquoi Jésus Christ a prévenu son temps.
C’est pourquoi que Jésus Christ est venu avant le temps de sa gloire prendre nos misères par un corps mortel que Dieu a formé dans le corps d’une Vierge de la même nature corrompue comme tous les autres hommes qui naissent depuis Adam : avec lequel corps il a cheminé parmi les hommes, et leur a montré leurs fautes et péchés, et aussi enseigné par quels moyens iceux pouvaient recouvrer la grâce de Dieu qu’ils avaient perdue par leurs péchés : et cela d’une manière si visible et sensible, que personne ne la pouvait ignorer. C’est pourquoi que Jésus Christ même dit, en parlant aux hommes : 292 Si je n’avais point fait les œuvres que j’ai faites en votre présence, vous n’auriez point de coulpe. C’est à cause que les hommes étaient devenus si ignorants par leurs péchés qu’ils ne pensaient point mal-faire en aimant eux-mêmes, et les richesses, honneurs et plaisirs de ce Monde. Et si Jésus Christ n’avait pas conversé parmi les hommes en méprisant toutes ces choses, les Chrétiens ne seraient pas si coupables comme ils sont maintenant, après avoir vu les œuvres et reçu la Doctrine de Jésus Christ : lequel est venu comme un Maître, enseigner les œuvres que nous devons faire, et comme un Pédagogue nous laisser la leçon que nous devons suivre et imiter.
CXXXIV. La nécessité de la venue de Jésus Christ pour notre Rédemption ne doit se tirer du côté de Dieu, qui en soi n’a besoin de nuls moyens.
C’est pourquoi que les hommes se trompent grandement, de croire que Jésus Christ est venu endurer en ce Monde seulement pour satisfaire à leurs péchés : car en tant que Dieu, il n’avait besoin d’aucune satisfaction, en étant puissant de pardonner gratuitement. Et en tant qu’homme, il avait plus de pouvoir auprès de son Père éternel en étant en son corps glorieux qu’il n’a eu depuis qu’il a été revêtu de nos misères, et de nos langueurs, lesquelles avaient défiguré en lui, comme en tous les hommes, la belle image que Dieu y avait figurée à sa ressemblance. C’est pourquoi que Jésus Christ n’avait nul besoin de se revêtir de notre mortalité pour réconcilier les hommes avec Dieu de la manière qu’on se veut maintenant imaginer : et il ne fallait point qu’il fût descendu en cette vallée de larmes pour procurer notre réconciliation avec Dieu : vu qu’il a toujours été uni à lui en son corps glorieux depuis sa création. Car il ne faut point aller chercher un Roi au désert pour lui présenter une requête, lorsqu’on le peut trouver en son Palais, là où il donne audience et apostille les Requêtes qu’on lui présente.
CXXXV. Jésus Christ était notre Intercesseur à la droite de Dieu avant que de venir en ce Monde nous rappeler.
Et pour avoir assurance que Jésus Christ était au Palais de son Père avant qu’il s’eût revêtu de notre mortalité, il ne faut que remarquer ce que dit David, en parlant de Jésus Christ, à savoir : 293 Le Seigneur a dit mon Seigneur, assisez-vous à ma dextre, jusqu’à ce que j’aurai mis vos ennemis pour marchepied de vos pieds. Ce qui déclare assez que Jésus Christ n’avait point de besoin de venir en ce misérable Monde pour être notre Avocat vers Dieu, comme disent ces ignorants ; vu qu’il était assis à la droite de son Père, selon les paroles de David : là où il pouvait mieux procurer le pardon de nos péchés que de venir en opprobres sur la Terre pour nous réconcilier à lui, en un état si défiguré, qu’il disait lui-même : 294 Je ne suis pas un homme, mais l’opprobre des hommes, voire un vermisseau et pas un homme. Ne vous semble-t-il pas (mes frères Chrétiens) que Jésus Christ avait plus d’audience auprès de Dieu en étant avec son corps glorieux à la droite de son Père pour avocasser ou intercéder pour le pardon des hommes, en étant de si près uni qu’assis à sa droite ; que lorsqu’il est venu en cette Terre de bannissement pour converser avec les ennemis de Dieu, comme étaient lors devenus tous les hommes. De tant plus que l’Apôtre nous dit 295 que nous avons un Avocat auprès de Dieu, lequel intercède pour nous, à savoir Jésus Christ ? Comment peut-on donc croire que Jésus Christ souffrant est venu en Terre intercéder pour nous ? N’est-il pas plus vraisemblable qu’il est venu en Terre pour nous appeler de notre égarement, et nous retirer de notre aveuglement, en nous enseignant d’œuvres et de paroles les moyens que nous devons prendre pour retourner en l’AMOUR DE DIEU, en voyant que les hommes ne connaissaient plusieurs voies, et ne voyaient nullement par quels moyens ils avaient quitté leur Dieu ; en pensant de l’aimer lorsqu’ils le haïssaient ; et de l’honorer lorsqu’ils méprisaient ses commandements ; comme les Chrétiens font encore aujourd’hui lorsqu’ils disent qu’ils ne peuvent garder la Loi Évangélique, et qu’ils veulent attribuer la gloire de leur salut aux seuls Mérites de Jésus Christ ?
CXXXVI. Puissance de Dieu pour sauver. Hommes aveugles pervertissent les Écritures.
Ce qui est un profond aveuglement auquel les hommes sont tombés par des faux donner-à-entendre, en disant les uns aux autres : que le sang de Jésus Christ nettoie de tous péchés, de la façon que l’expliquent ces Prédicants : qui en ce point sont 296 les aveugles qui conduisent les autres aveugles, et tombent tout ensemble dans la fosse, comme dit l’Écriture. Car en tant que Dieu, Jésus Christ n’avait pas besoin d’épandre son sang pour sauver les hommes, étant puissant par sa seule autorité de créer et de sauver mille Mondes par sa seule parole : comme il avait créé le Monde que nous voyons. Et en tant qu’homme, Jésus Christ n’avait pas de besoin pour sauver les hommes de porter nos misères et langueurs, de prêcher et enseigner aux hommes tant de choses diverses comme il a fait ; et encore moins de pâtir et de mourir pour les sauver : vu qu’une seule goutte du sang de son corps glorieux était capable d’obtenir de son Père la rémission de tous les hommes. Par où se voit que tous ces passages des Écritures qui parlent de la satisfaction de Jésus Christ pour les hommes sont très mal entendus, et qu’on tire d’iceux des sens tout renversés, lesquels retirent davantage les hommes de l’AMOUR DE LEUR DIEU qu’ils ne les font tendre à icelle.
CXXXVII. Amour propre, auteur de la croyance vulgaire de la Satisfaction.
Car ce n’est que par Amour propre qu’on se veut persuader que Jésus Christ a tout satisfait : à fin de demeurer vivant à l’aise selon la Nature corrompue et attendre néanmoins le salut par les souffrances d’un autre ; là où que la pratique de la vertu et Doctrine de Jésus Christ conduit les hommes à l’Amour de Dieu, et par conséquent à l’assurance de salut éternel : de laquelle assurance les plus pieux d’aujourd’hui en sont fort éloignés, sans le connaître, sous prétexte qu’ils s’imaginent de croire en Jésus Christ, et d’avoir part à ses mérites ; sans considérer que Jésus Christ dit 297 qui croit en moi garde mes commandements.
CXXXVIII. La vraie croyance est inséparable de la pratique des Commandements de Dieu.
Or quels sont les commandements de Jésus Christ autre chose que sa Doctrine Évangélique, lesquels conseils presque tous les plus dévots d’aujourd’hui ont à mépris ? Car qui voudrait être pauvre, méprisé et humilié ? là où on voit qu’un chacun tâche à s’enrichir, se louer et exalter autant qu’il peut : pendant qu’on dit fermement de croire en Jésus Christ. En quoi il faut 298 qu’ils mentent, ou que l’Écriture soit fausse lorsqu’elle dit qui croit en moi garde mes commandements. Cela doit être la marque assurée pour connaître si les hommes croient en Dieu, ou en Jésus Christ, lorsqu’iceux gardent les commandements. Car cela est la vraie PIERRE DE TOUCHE pour éprouver si une Âme est de vrai or de la charité, lorsqu’icelle garde les commandements.
CXXXIX. L’observation des Commandements de Dieu est nécessaire à salut.
Ce qu’il faut faire de nécessité pour être sauvé comme Jésus Christ le disait au jouvenceau de l’Évangile, lors qu’icelui demandait à Jésus Christ 299 ce qu’il fallait faire pour être sauvé, il ne lui dit autre chose, sinon garder les commandements. Et il est à croire que ce jeune homme était aussi dans la tromperie en laquelle sont les hommes d’à présent lorsqu’ils disent mensongèrement qu’ils aiment Dieu, et qu’ils croient en Jésus Christ : parce que cela est aisé à s’imaginer. Mais il en faut venir aux preuves, et voir par cette PIERRE DE TOUCHE (comme on voyait à ce jeune homme de l’Évangile) si on aime Dieu de tout son cœur, comme l’ordonne le premier commandement. Car s’il eût été véritable que ce jeune homme de l’Évangile eût eu gardé les commandements de Dieu dès sa jeunesse, 300 comme il disait, il n’aurait pas été triste lorsque Jésus Christ lui disait : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, le donnez aux pauvres, et me suivez : parce qu’il eût fait cela joyeusement.
CXL. L’Amour des Créatures est incompatible avec l’Amour de Dieu.
Car une personne qui aime Dieu de tout son cœur ne peut aimer les richesses : vu que cela serait incompatible avec l’AMOUR DE DIEU ; et que l’Écriture dit : 301 Là où est votre cœur, là est votre trésor. Et lorsque nos cœurs sont en des richesses, en des plaisirs, ou en des honneurs de ce Monde, notre trésor ne peut être lors en Dieu. Et c’est une tromperie de le croire, et une folie de l’espérer, ou de dire, qu’on aime Dieu, 302 lorsqu’on aime encore le Monde. Ce sont des mensonges, sur lesquels l’Écriture a bien raison de dire 303 que tous hommes sont menteurs : vu que nos amours ne peuvent être en même temps en deux objets si différents et éloignés l’un de l’autre. Car à mesure que nous entrons en l’AMOUR DE DIEU, au même temps nous sortons de l’Amour de nous-mêmes et de l’affection des autres créatures : cela marche toujours de pas égal, puisque l’AMOUR DE DIEU ne peut non plus demeurer dans nos âmes avec l’amour des créatures, que le feu ne peut demeurer au milieu de l’eau froide : ce qui est impossible selon la Nature, tout de même 304 est-il impossible selon la grâce d’aimer Dieu et le Monde ; à cause que ce sont deux contraires qui déchassent toujours l’un l’autre. Et on trouvera cela par expérience en des personnes qui sont véritablement converties ; à savoir, que toutes les affections qu’elles ont eues aux créatures avant leurs conversions, tomberont d’elles-mêmes sans violence, lorsque leurs cœurs sont arrivés à l’Amour de Dieu. J’ai aussi cela par ma propre expérience : car lorsque l’Amour de Dieu a crû en moi, toutes les créatures que j’avais aimées m’étaient mises en oubli ; et je ne désirais plus autre chose que d’en être séparée, puisque mon cœur en était entièrement détaché.
CXLI. État des hommes d’à présent.
En sorte que je sais par lumière de Dieu, et par ma propre expérience, Que l’Amour de Dieu ne vie plus dans les cœurs ; Que tous les hommes sont déchus de la Charité, et Qu’il n’y a plus de vrais Chrétiens sur la Terre ; et Que les hommes se font accroire faussement les uns aux autres qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ en vivant et mourant dans leurs amours propres, comme on les voit vivre en effet, tant ceux qu’on appelle bons que les mauvais.
Causes des persécutions d’Anthoinette Bourignon.
CXLII. Les Prêtres sont des Persécuteurs des Envoyés de Dieu.
Mais à cause que j’écris ces Vérités, lesquelles j’apprends de Dieu, ces prédicants me veulent faire mourir ; et tâchent à faire brûler mes livres qui traitent de cette matière. Et pour témoigner le grand désir qu’ils ont que cela se fasse, un Prédicant a prêché depuis peu en Hambourg, en l’Église de Madeleine, contre ma Doctrine, et dit mensongèrement que mes livres sont publiquement brûlés par la Justice. En sorte qu’ils ne savent quels mensonges controuver pour décréditer les vérités que j’avance de la part de Dieu. Et il est bien à croire que s’ils m’avaient en leur puissance, qu’ils me tueraient entre le Temple et l’Autel, comme les Prêtres anciens ont tué les Saints Prophètes : de quoi Dieu se plaint grandement, 305 en disant : Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu vous assembler, comme la poule assemble ses poulets, et vous ne l’avez point voulu : mais avez tué mes Prophètes et ceux que je vous ai envoyés. Ainsi votre Maison sera laissée déserte.
CXLIII. Ils persécutent A. B. pour la Vérité qui se découvre.
Ne pourrait-on, mes frères Chrétiens, appliquer ces passages en sens parfait et accompli à notre temps présent ? Puisqu’on voit les Chrétiens, qui doivent être le peuple de Dieu, et la sainte Cité de Jérusalem, avoir tellement abandonné la charité, qu’icelle est en mépris parmi eux ; et que les Prêtres mêmes ne veulent pas souffrir que je parle de la vraie Charité sans me poursuivre à mort, me blâmer et me vouloir faire lapider, sans que je sache pourquoi ? Car je leur pourrais bien demander, comme fit Jésus Christ aux Prêtres Pharisiens qui le voulaient lapider : il leur disait bénignement : 306 Je vous ai déclaré diverses vérités que j’ai apprises de mon Père ; pour laquelle d’icelles me voulez-vous lapider ? Tout de même peux-je demander maintenant aux Prêtres Luthériens, et leur dire : J’ai enseigné tant de sortes de Vérités Chrétiennes dans mes écrits, pour laquelle d’icelles me persécutez-vous ? ou pour quel point voulez-vous faire brûler mes livres ? Je les ai donnés en public là où qu’un chacun les a pu voir. Les Cours des Rois et des Princes les ont reçus et admirés : et s’il y avait eu quelque chose de mauvais en iceux, quelqu’un les aurait rejetés, et je n’aurais point aussi si librement publié ces maux, vu que l’Écriture dit 307 que celui qui fait choses malséantes ne vient point à la Lumière, de peur que ses œuvres ne soient connues et manifestées. Or c’est bien signe qu’il n’y a rien de malséant en mes écrits, puisque je viens avec iceux à la Lumière, et désire qu’un chacun les voie et examine : car s’il y avait en iceux livres quelque chose de mauvais, je le condamnerais moi-même, et il ne faudrait pas que ces Prédicants employassent la Justice pour les faire brûler, vu que je les brûlerais moi-même. Car je me suis (selon 308 le conseil de l’Écriture) retiré du mal ; et je fais le bien. C’est pourquoi que je déteste toute sorte de maux, et j’aime toute sorte de bien partout où je le trouve.
CXLIV. Ils persécutent ceux qui répugnent à leur Ambition.
Et si je trouvais quelque bien dans ces Prédicants, je l’aimerais aussi, quoiqu’ils me soient si grands ennemis mortels, et qu’ils prêchent en divers endroits que ma Doctrine est Diabolique ; qu’il y a en icelle des erreurs et des blasphèmes contre Dieu : comme ils ont prêché au peuple en FLENSBOURG en diverses Églises durant toutes les Fêtes du Noël dernier : au lieu de leur enseigner la bassesse et l’humilité de Jésus Christ, qui venait naître en ce Monde dans une Étable, ils ont enseigné durant toutes ces solennités que j’avais des erreurs : à cause que je ne veux point approuver leurs superbe et arrogance de dominer sur le peuple ; au lieu qu’ils devraient (à l’imitation de Jésus Christ) désirer d’être les Serviteurs de tous : car il disait à ses Apôtres et disciples : 309 Vous m’appelez Seigneur et Maître ; et vous dites bien, car je le suis. Mais quoique je sois votre Maître, je suis votre Serviteur à vous tous.
CXLV. Prêtres Dominateurs et Idolâtres de leur Autorité.
Mais ces Prêtres de maintenant, quoiqu’ils se disent les disciples d’un tel Maître, ils ne le veulent pas imiter en sa bassesse ; mais veulent régner et dominer sur un chacun. Et à cause que je ne les suis pas, ou honore leurs longues robes, ils me veulent lapider, et faire brûler les livres de ma Doctrine : parce qu’elle enseigne de pratiquer la bassesse et humilité de Jésus Christ. Ce qui leur fait une correction tacite, laquelle leur est insupportable, ne pouvant souffrir qu’on diminue un grain de leurs autorités, sans s’alarmer contre ceux qui ne la favorisent point. Car ils sont idolâtres de cette Autorité. Et me diraient bien comme disait Micha l’Israélite au Livre des Juges, 310 lorsqu’on lui demandait pourquoi il pleurait et était si mal content ? Il leur répondit : Demandez-vous pourquoi je suis troublé, puisque vous avez pris et emporté mon Idole ? Tout de même diraient ces Prédicants s’ils parlaient vérité, lorsqu’on leur demanderait : pourquoi vous mécontentez-vous tant contre cette fille ? Ils ne sauraient répondre en parlant Vérité, sinon dire : Vous étonnez-vous de cela ? Puisque par ses écrits et sa Doctrine, elle prend et emporte notre autorité ; et annule l’intention que nous avons de dominer sur la Terre : et nous ne voulons pas être abaissés. Car cette Idole d’AUTORITÉ leur est si chère, qu’ils aimeraient quelquefois mieux perdre la vie que de perdre cette Idole d’Autorité.
CXLVI. De l’honneur et de l’obéissance qu’on doit aux Supérieurs.
Voilà pourquoi qu’ils me persécutent. Ils ne me sauraient prouver néanmoins que j’aurais déclaré ou enseigné qu’il ne faut pas honorer les Prêtres, ou leur obéir en chose bonne : car je fais cela moi-même, et je crois que les Prêtres doivent être les Saints entre le Peuple. Et quoiqu’ils aient voulu faire entendre que je ne cède point d’Autorité aux Supérieurs, non plus Civils qu’Ecclésiastiques ; ce n’ont été que des calomnies qu’ils ont voulu jeter contre moi avec plusieurs autres. Car mes écrits sont remplis d’explications comment on doit porter respect aux Supérieurs. Et j’ai parlé fort amplement de cela dans l’AVERTISSEMENT que j’ai écrit contre les Trembleurs : là où je dis qu’il faut honorer et obéir à toute sorte de Supérieurs, encore bien qu’iceux-mêmes ne feraient pas bien. Que ce n’est pas à faire aux inférieurs à leur donner des Lois : mais qu’iceux doivent recevoir les Lois de leurs Supérieurs : comme Jésus Christ même nous a donné l’exemple, en obéissant aux Lois des Juifs, parce qu’il était Juif ; et qu’il obéît à l’ordonnance de César, en se trouvant en Bethlehem pour être enregistré : suivant ainsi en toute chose bonne les ordonnances des Supérieurs, tant Ecclésiastiques que Séculiers. Comme je fais aussi très volontiers à son imitation.
CXLVII. Les Prêtres, craignant que la conviction de leurs lâches erreurs ne diminue leur Autorité, persécutent par voie de fait.
En sorte que ces Prédicants ne me peuvent accuser que je diminue en rien leurs autorités ; sinon en ce point, que j’enseigne QU’IL FAUT IMITER JÉSUS CHRIST POUR ÊTRE VRAIS CHRÉTIENS ; et qu’iceux enseignent qu’on ne peut imiter Jésus Christ à cause de notre fragilité. Ce qui ne me semble point une Doctrine si autorisée par les Écritures que la mienne, qui est fondée sur les paroles de Jésus Christ, qui dit à ses disciples précisément : 311 Soyez mes Imitateurs. Et de crainte que ces Prédicants ont que ma Doctrine serait plus approuvée que la leur, ils la veulent exterminer, et faire brûler les livres qui traitent de cette matière ; incitant le peuple et la Justice à ne me pas souffrir, ni loger dans leurs logements. Et Burchardus dit en son Livre sur la Dédicace qu’il a fait au Chef de la Justice, qu’il est assuré qu’il avancera à me persécuter ; et que pour ce sujet il aura la bénédiction de Dieu avec toute sa famille. Par où on peut voir à quel degré est montée sa malice ; et quelle haine insatiable il porte à la Vérité de Dieu : vu qu’il ne se contente pas qu’on m’ait défendu sans cause d’imprimer et de distribuer mes écrits ; et qu’avec violence on m’ait emporté tous mes livres, plus que pour la valeur de cinq mille Florins : lesquels sont tous imprimés en la Hollande et en Brabant, et n’ont rien de commun avec la difficulté que ces Prédicants me veulent mouvoir ici en Holstein : lesquels Prédicants je n’ai jamais attaqués, ou parlé contre leurs Religions. Et ne sais encore à présent quels sentiments ils portent en matière de Religion ; et ne sais pourquoi ils m’attaquent et me persécutent, sinon à cause qu’ils aperçoivent que j’enseigne la pratique d’une vie Évangélique. Et ils veulent pour cela qu’on brûle tous mes livres, et qu’on emprisonne ma personne, à fin que je ne puisse plus déclarer les Vérités que Dieu m’enseigne. Lesquelles ils ne veulent point seulement recevoir, 312 mais empêcher aussi qu’aucuns autres les reçoivent à leur imitation ; pour maintenir qu’ils ont bien enseigné, en disant que les hommes sont trop fragiles pour garder les commandements de Dieu, ou la Loi Évangélique ; et qu’ils seront sauvés, en s’appliquant les Mérites de Jésus Christ : quoiqu’ils vivent et meurent dans leurs péchés.
CXLVIII. Comment les Prêtres déguisent leurs lâches doctrines pour leur profit.
Je sais bien qu’ils n’ajoutent point précisément ces mots, quoiqu’ils vivent et meurent dans leurs péchés : parce que ces mots donneraient de l’ombrage aux tendres consciences, qui savent que Jésus Christ a dit 313 qu’il n’est point venu pour condamner les hommes, 314 mais à fin qu’ils se convertirent et vivent. Ce qui enseigne la nécessité d’une conversion, que ces Prédicants n’enseignent point. Car ils disent qu’un chacun doit demeurer comme il est, et bien faire en cet état : ce qui est bien éloigné des conseils Évangéliques où Jésus Christ dit 315 que celui qui ne quitte Père, Mère, Femme, Enfants et toute chose pour son nom, qu’il n’est pas digne de lui ; ou le conseil de David, lorsqu’il dit (comme j’ai encore rapporté) : 316 Écoutez, ma Fille, et inclinez votre oreille ; oubliez votre Terre, et votre parentage, et la maison de votre Père : car le Roi a convoité votre beauté. Mais ces Prédicants n’ont garde de dire cela aux personnes que Dieu attire à son Amour ; parce qu’icelles ne leur apporteraient plus de profit si elles se retiraient du Monde pour vivre en l’oubli de ses vanités. Car ils ne tireraient plus aucun profit de semblables personnes. Lequel profit ils ont bien plus à cœur que le salut des âmes.
CXLIX. Pourquoi ils condamnent la Communauté des biens.
C’est pourquoi que Burchardus me blâme de vivre en une communion de biens : disant en son livre que David Joris et autres hérétiques ont ainsi vécu en la communion des biens : à fin de me faire aussi soupçonner d’hérésie en ce point. Sans se souvenir que cette communion de biens est une chose bonne et salutaire ; laquelle a été pratiquée par Jésus Christ, ses Apôtres, et tous les Chrétiens au temps de l’Église primitive, où qu’on voit ès Actes des Apôtres 317 que tout était en commun, et que personne ne disait quelque chose être sienne. Mais ces Prédicants Modernes ne peuvent avouer cette communauté de biens ; par ce qu’ils aiment mieux de garder leurs biens particuliers, et y ajouter de ceux des autres autant qu’ils peuvent, pour les augmenter par avarice. C’est pourquoi qu’ils doivent mépriser tout ce qui ne fait pas à leurs desseins : vu qu’en voulant être riches, ils ne peuvent aimer la pauvreté d’esprit 318 que Jésus Christ a béatifiée en prêchant les huit béatitudes.
CL. Fausse explication des VIII Béatitudes pour se dispenser de la Pauvreté de Jésus Christ.
Peut-être qu’ils diront (comme aucuns autres ignorants) que ces huit béatitudes sont dites de la vie éternelle et point de ce Monde (comme me dit un jour un vieux Théologien). Ce qui est bien ridicule de croire que Jésus Christ aurait prêché en ce Monde les béatitudes qu’on doit avoir dans l’éternité : vu qu’il n’y a rien de semblable en tout le contenu de ces huit béatitudes. Car il ne faut point être en la vie éternelle persécuté pour la Justice ; vu qu’icelle dominera lors sur toute chose. Et il ne faut aussi là pleurer ; puisque toutes larmes seront lors essuyées, 319 comme Dieu a promis par ses Prophètes : qu’il n’y aura plus de pleurs, plus de cris ou de lamentations ; mais une joie continuelle, et un contentement parfait. Et on ne sera point aussi pauvre d’Esprit en la vie éternelle ; vu qu’il sera lors permis de jouir de toute chose avec délices en abondance. Et il ne faut point aussi être admonesté d’être pacifique au Royaume des Cieux, puisqu’il n’y aura jamais de troubles ou de guerres. Et l’on n’aura point aussi en la vie éternelle faim et soif de la Justice car il n’y peut là avoir nulles altérations ni désirs de plus grande justice que celle qu’un chacun possédera lors. C’est pourquoi qu’il ne peut être véritable que Jésus Christ ait prêché les huit béatitudes pour déclarer ce que les hommes bienheureux auront en la vie éternelle ; mais il les a prêchées aux hommes encore vivants sur la Terre ; en leur disant comment qu’ils deviendront bienheureux s’ils sont en ce Monde pauvres d’esprit, débonnaires, s’ils pleurent leurs péchés, s’ils ont faim et soif de la justice, et le reste.
CLI. Prédicateurs de Spéculations. Ennemis de Pratique.
Mais ces Prédicants ne prêchent point au peuple ces huit béatitudes de la sorte. Car lorsqu’ils disent qu’il faut être PAUVRE D’ESPRIT, ils n’entendent pas pauvre en effet, mais pauvre par spéculation. C’est pourquoi qu’il y a beaucoup de personnes qui croient d’être pauvres d’esprit : quoiqu’en effet elles soient affectionnées aux richesses, sonneurs et plaisirs : comme sont même ceux qui prêchent ces béatitudes. Et s’ils les expliquaient au vrai sens, il faudrait qu’ils quittassent eux-mêmes ce qu’ils aiment le plus. C’est pourquoi ils doivent trouver des paroles étudiées pour pouvoir prêcher cet Évangile sans le pratiquer.
CLII. Leur malignité et envie spirituelle.
Et ce qu’il y a de pire est qu’ils me veulent empêcher d’enseigner cette pratique ; afin que les autres ne la mettent point en effet. Ce qui me semble être directement contraire à la charité. Car si nous aimions Dieu, nous aimerions toujours qu’un autre vécût selon la perfection Évangélique, encore bien que nous-mêmes ne le voudrions pas faire, en étant joyeux qu’à tout le moins il y aurait quelques autres que nous qui suivraient cette perfection : à fin que Dieu fût toujours honoré et suivi de quelqu’un. Car j’ai connu des grands pécheurs, qui estimaient et aimaient fort les personnes vertueuses, quoiqu’eux-mêmes ne se fussent adonnés à suivre la vertu pour leurs mauvaises habitudes. Ils aidaient et protégeaient à leur possible les personnes vraiment vertueuses ; et se recommandaient à leurs prières. Mais ces Prédicants ne veulent pas seulement souffrir que moi et ceux de ma compagnie tâchent d’imiter Jésus Christ, et à devenir des vrais Chrétiens, puisqu’ils ne nous laissent point en repos ; et appellent en divers lieux la Justice séculière, pour nous poursuivre et persécuter sans cause.
CLIII. L’Abomination de la désolation est au Sanctuaire.
Par où on peut clairement voir 320 que l’abomination de la désolation est maintenant entrée au Sanctuaire, et que la fin du Monde approche ; qu’il est temps de sortir de la Judée, pour aller au désert, et courir ès montagnes ; vu qu’on ne peut plus demeurer ès Villes en bien faisant, et nous serons contraints d’aller parmi les Turcs et Barbares, lorsque les Chrétiens ne nous veulent point souffrir en pratiquant la vie Évangélique : à cause qu’iceux veulent tous demeurer attachés chacun à leurs Sectes, et aux traditions qu’ils ont retenues de leurs Instituteurs. Ces Luthériens ne veulent rien avouer sinon ce qui favorise leur Religion ; et ainsi font toutes autres sortes de Religions. Car un chacun tire à soi et méprise les autres. En sorte qu’on ne trouve en toute la Chrétienté plus de Charité. Car l’AMOUR DE DIEU en est banni, et l’amour du Monde y est établi, et cela si fortement, qu’on ne veut même pas entendre parler des conseils de Jésus Christ, 321 sinon du bout des lèvres : en méprisant en effet la pratique d’iceux.
CLIV. Les Chrétiens quittent les Conseils de Jésus Christ pour ceux des Docteurs modernes.
Ce qui est déplorable, et donne bien sujet que Dieu dise de notre temps en pleine perfection : 322 Mon peuple m’a abandonné, moi qui suis la fontaine d’eau vive, pour aller puiser ès Citernes crevassées, lesquelles ne peuvent tenir leurs eaux. Parce que les hommes font maintenant cela plus qu’ils n’ont jamais fait depuis le commencement du Monde. Vu qu’on trouve si peu de personnes qui veulent suivre les conseils de Jésus Christ ; et si grand nombre qui veulent suivre les conseils des hommes, à cause que leurs conseils flattent la Nature corrompue ; laquelle ne veut rien souffrir, et veut cependant être sauvée ; là où les conseils de Jésus Christ ne parlent que 323 de faire pénitence, 324 de porter la Croix, 325 de souffrir persécution pour la Justice, 326 de renoncer à soi-même, et autres choses qui sont pénibles à cette Nature corrompue. C’est pourquoi que les hommes rejettent volontiers toutes ces choses loin d’eux, si par autres moyens ils pouvaient arriver à leur salut. Et voici des nouveaux Docteurs, qui ont trouvé des inventions pour sauver les hommes en demeurant dans leurs amours propres, sans renoncer à eux-mêmes, sans faire de pénitence, sans porter la Croix, et sans être persécutés pour la Justice ; moyennant qu’ils croient en leurs imaginations que Jésus Christ a tout satisfait pour eux.
Tromperies des doctrines des hommes.
CLV. Foi imaginative, citerne sans eau.
Cette Doctrine est fort accommodante et propre pour les personnes sensuelles, qui aiment bien d’avoir leurs aises et commodités en ce Monde. Mais elle n’est pas constante : et ce sont comme les citernes qui ne peuvent tenir leurs eaux. Car lorsqu’il vient quelque personne d’autre sentiment, et qui met le fondement de leur salut en la pratique de la Doctrine Évangélique, toutes ces eaux d’espérance de leur salut sur ce que Jésus Christ a souffert, s’écoulent vitement, et les âmes demeurent comme toutes sèches et arides, ne sachant plus où chercher d’assurance, principalement à l’heure de leur mort, lorsqu’il est trop tard pour faire pénitence. Il faut de nécessité que ces consciences soient lors troublées et en détresse, pour ne trouver d’appui sur les hommes qui leur ont donné tant d’espérance de salut par leurs discours ; lesquels ne les peuvent sauver, ni donner aucun repos de conscience, vu qu’elles doivent être conduites au Tribunal de la justice de Dieu ; là où que 327 selon leurs œuvres elles seront jugées, et selon leurs œuvres, elles seront condamnées : et non pas selon ce qu’elles se sont imaginé : vu qu’on dira au jugement de Dieu : VOILÀ L’HOMME ET SES ŒUVRES : et non point : Voilà l’homme qui a cru que Jésus Christ a tout satisfait pour lui.
CLVI. Doctrine imaginative de Burchardus et de ses semblables est Diabolique, Antichrétienne, et digne d’anathème.
Car cela est faux (au sens que ces Docteurs le prennent). Et je peux dire avec plus de Vérité que ne fait ce Burchardus de ma Doctrine, que la leur est Diabolique : vu qu’elle contredit à la Doctrine de Jésus Christ, et partant est Antichrétienne. Car tout ce qui contredit à Christ, tout cela est d’Antéchrist, et ne peut être que Diabolique : duquel nom ce Burchardus appelle ma doctrine par son livre ; en apportant pour prouver son dire, que l’Apôtre dit 328 que celui soit Anathème qui enseigne autrement que je vous ai enseigné. Lequel passage lui doit être droitement appliqué ; vu que cet Apôtre n’a jamais enseigné autre chose que 329 Jésus Christ crucifié. Et qu’il a 330 par ses œuvres et par ses paroles enseigné à suivre la bassesse, la pauvreté, et la charité de Jésus Christ. Car il se vante 331 d’avoir plus travaillé à la Vigne du Seigneur que tous les autres Apôtres ensemble ; et 332 qu’avec ses mains il a gagné son pain et celui des autres. 333 Qu’il a châtié son corps, pour le réduire en servitude. Comment donc ne serait pas anathème celui qui enseigne maintenant qu’il ne faut que croire que Jésus Christ a tout satisfait, pour être Sauvé. Vu que cela est enseigné tout autrement qu’a enseigné cet Apôtre ? Lequel savait assurément mieux que ces nouveaux Docteurs comment Jésus Christ avait satisfait pour les hommes : pendant que Saint Pierre dit : 334 Mes Frères, soyez sobres et vigilants, car le Diable votre adversaire vous circuit comme un Lion rugissant, en cherchant quelqu’un pour le dévorer ; auquel il faut résister par la force de la Foi. Ces choses ne veulent point dire aux hommes : Soyez en repos en l’état que vous êtes, puisque Jésus Christ a tout satisfait pour vous. Mais il excite les hommes à être sobres, à veiller, à penser que nous avons un ennemi, le Diable, lequel tourne et nous environne toujours, en pensant de nous perdre avec lui. Et ailleurs Jésus Christ dit 335 qu’il faut toujours prier et jamais cesser.
CLVII. Foi opérante est seule valable. Foi imaginative est Diabolique.
Toutes ces choses sont autres que de croire en Jésus Christ seulement : comme enseignent ces Prédicants. Vu qu’il n’y peut avoir de vraie Foi là où les œuvres de la Foi ne paraissent ; et que Dieu dit expressément : 336 Qui croit en moi garde mes commandements. Autrement ce ne serait 337 qu’une foi morte, et une Croyance aveugle, laquelle ne peut sauver personne. Il faut avoir une Foi Vivante et opérante pour arriver au Salut ; et point une Foi Spéculative, comme les hommes de maintenant se sont imaginé à leur damnation. Laquelle imagination on peut véritablement appeler Diabolique : à cause qu’elle opère en l’âme des hommes les mêmes effets que le Diable opère en icelles ; en les faisant oublier Dieu et toutes ses Lois. Car si on suppose être véritable que Jésus Christ ait tout satisfait, on n’a que faire de veiller en aucune chose de notre part ; ni 338 d’opérer notre Salut avec crainte et tremblement, comme dit l’Apôtre ; ni de renoncer à tout ce qu’on possède ; ni de porter sa croix, ou de prier continuellement ; comme Jésus Christ dit qu’il faut faire. Vu que lui seul a tout satisfait, il n’y a plus rien à faire pour nous, que prendre le bon temps, comme on voit que font ceux qui suivent cette Doctrine.
CLVIII. Deux propriétés d’une Doctrine Diabolique. Elles sont dans la Doctrine moderne.
Et pour montrer qu’elle est Diabolique, il ne faut que remarquer les propriétés de la Doctrine du Diable et ses œuvres, pour les confronter avec la Doctrine des hommes de maintenant, pour voir si icelle n’est pas toute conforme à celle du Diable. Car premièrement on trouvera qu’il enseigne toujours à faire ce que la Nature corrompue désire ; et c’est par là qu’il gagne plusieurs âmes à soi, en les taisant tomber en diverses sortes de péchés pour satisfaire à leurs Natures corrompues. Secondement le Diable a cette propriété, qu’il ne peut souffrir que personne soit sauvé ou fasse bien : car il est si jaloux sur le bonheur des hommes, qu’il les tente toujours, à fin de les avoir avec lui ès Enfers : quoiqu’il ne puisse avoir le moindre soulagement par la damnation des âmes : il a cependant une rage mortelle lorsqu’il les voit bien faire, et il s’oppose à cela de toutes ses forces. Voilà les deux qualités de la Doctrine du Diable : lesquelles se retrouvent aussi en cette Doctrine de la Satisfaction de Jésus Christ comme on la met en pratique maintenant ; vu qu’icelle flatte et seconde la Nature corrompue, pour être icelle douillette et sensuelle ; et qu’aussi ceux qui tiennent cette Doctrine ne peuvent souffrir qu’un autre ne la suive point, ou que quelqu’un tâche d’imiter Jésus Christ, ou de faire ce qu’il a ordonné en la Loi Évangélique.
CLIX. Démonstration qu’en Burchardus, et dans ses semblables, se trouvent les propriétés de la Doctrine Diabolique.
Et cela est le seul sujet pourquoi ces Prédicants me haïssent et me persécutent, et pour rien d’autre. Car, comme j’ai montré ci devant, je ne les ai jamais en rien offensés, ni parlé contre leur Religion, non plus que contre les autres, quoiqu’icelles me haïssent presque toutes. Car les Calvinistes écrivent aussi contre moi, et les Trembleurs. Les Mennonistes sont plus retenus, quoiqu’en leurs cœurs ils me portent inimitié. Et tout cela vient de cette source de Jalousie, laquelle ne veut pas souffrir que ma Doctrine tende à plus grande perfection que la leur. Et encore bien qu’ils n’auraient aucuns dommages lorsqu’avec ma compagnie je suivrais précisément les conseils Évangéliques, si leur est cela insupportable, et nous voudraient bien empêcher s’il était en leur pouvoir, à fin de n’avoir point de déplaisir de voir quelqu’un mieux vivre qu’eux ne font. Ce qui est une malice Diabolique : car la malice humaine ne s’étend pas plus avant que de ne point vouloir faire le bien soi-même. Mais le Diable empêche de toutes ses forces qu’un autre fasse le bien, lorsqu’il ne peut ni ne veut lui-même bien faire. En sorte que je prouve mieux par là que la Doctrine de notre Burchardus a plus de propriété de la Doctrine du Diable que n’a la mienne, laquelle il appelle du nom de Diabolique : vu que je m’éjouis lorsque j’entends qu’un autre fait bien, quoiqu’il ne me suive point : là où ce Burchardus devient comme hors de sens d’entendre que nous voulons prouver que les hommes peuvent bien garder la Loi Évangélique, et qu’icelle Loi n’a été donnée par Jésus Christ aux hommes 339 que pour être d’iceux observée.
CLX. But des Lois et du Ministère de Jésus Christ.
Car autrement à quoi pourrait-elle servir, et qui la garderait ? Les Anges qui sont confirmés en grâce n’ont que faire de nulles Lois : et les Bêtes ont toujours la Loi de Nature, qui est suffisante de les maintenir. En sorte qu’il n’y a que les hommes seuls capables d’observer cette Loi Évangélique, laquelle Jésus Christ par son amour leur est venu apporter ; à fin de par icelle les ramener à l’AMOUR DE LEUR DIEU, pour lequel aimer l’homme a été créé, et pour rien d’autre. Ce qui étant bien considéré, il sera fort aisé de découvrir que Jésus Christ n’est point venu prendre notre mortalité pour satisfaire à son Père pour les péchés des hommes seulement ; mais qu’il est venu aussi pour leur enseigner en particulier quelles choses les ont retirés de l’Amour de Dieu ; et par quels moyens ils peuvent retrouver cet AMOUR.
Ministère de Jésus Christ.
CLXI. Dieu n’a besoin de Satisfaction, mais les hommes ont besoin de l’Amour de Dieu.
Voilà le Ministère de Jésus Christ, et la charge 340 de l’Ambassade que Dieu lui a donnée en l’envoyant parmi les hommes. Ce n’était point que Dieu avait 341 besoin de son sang, pour lui être offert en sacrifice, non plus qu’il n’a eu besoin 342 du sang des Bêtes en l’Ancien Testament : mais c’est qu’il a voulu montrer aux hommes par l’exemple de son Fils Jésus Christ, comment ils doivent tous lui être obéissants 343 jusqu’à la mort ; et que par son amour ils doivent être préparés d’épandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang, sans craindre (comme dit l’Écriture) 344 ceux qui ne peuvent tuer que le corps : mais craindre seulement celui qui peut tuer et envoyer le Corps et l’Âme ès Enfers : en leur enseignant par là que son Amour vaut plus que leurs vies, lesquelles ils doivent volontairement exposer pour maintenir cet AMOUR : comme Saint Paul était disposé à cela, lorsqu’il disait : 345 Qui est-ce qui me séparera de l’Amour de mon Dieu ? Ni les adversités ou tribulations, ni la vie ni la mort, etc. Et cet Apôtre avait retenu cette Doctrine de l’exemple de son Maître Jésus Christ : 346 lequel a été obéissant jusqu’à la mort de la Croix. Et c’est ainsi qu’il nous a rachetés du péché et de la Mort, où tous les hommes étaient tombés.
CLXII. Tous étant égarés, Jésus Christ les vient rappeler.
Lorsque Jésus Christ prit notre corruption 347 il n’y avait plus rien de sain en la maison du Seigneur, 348 et toute chair avait corrompu sa voie. Et l’on pouvait bien approprier toutes les lamentations qu’ont faites les anciens Prophètes sur Sion qui représente l’Église de Dieu, laquelle était 349 devenue stérile et toute déserte, voire Vieille et si défigurée, quelle n’était plus reconnaissable. Car les habitants d’icelle 350 avaient méprisé la Loi de Dieu par leurs traditions ; et buvaient la Doctrine des hommes au lieu de la Sapience du S. Esprit : comme on fait encore à présent en pleine perfection. C’est pourquoi que Jésus Christ fut lors envoyé du sein de son Père, pour leur faire voir la folie qu’ils avaient faite 351 en délaissant la Fontaine d’eau Vive pour aller puiser dans des citernes crevassées, qui ne peuvent tenir leurs eaux ; et à fin de les ramener à cette fontaine d’eau Vive de la sapience de Dieu. Il vient donc en ce Monde revêtu de notre mortalité, en disant aux hommes : 352 Je suis la Voie, la Vérité, et la Vie, 353 qui marche par moi sera sauvé. Cela n’est point à dire qu’il vienne épandre son sang pour laver les hommes qui ne veulent point sortir de leurs péchés, et se souillent journellement avec iceux davantage, comme on les voit vivre encore à présent. Mais Jésus Christ dit qu’il est la voie, et que celui qui entrera par lui, qu’il sera sauvé. Il ne dit point que tous ceux qui croiraient qu’il a tout satisfait pour eux seront sauvés. Puisqu’il dit 354 qu’il faut accomplir toute Justice ; et qu’il ne serait point juste 355 que l’innocent souffrirait pour le coupable, signamment lorsqu’icelui ne se veut point détourner de ses méchancetés. Car Jésus Christ ajoute : Je suis la vérité, 356 qui croit en moi sera sauvé. C’est à dire, qui croit en son Évangile, 357 et qui fait les œuvres qu’il a faites. Car il dit 358 que celui ne peut être son Disciple qui ne renonce à tout ce qu’il possède. Et cela est une Vérité sortie de Jésus Christ même, qui ne donnera la vie sinon à ceux qui croiront en sa Vérité.
CLXIII. Chrétiens incrédules. Fausse tradition.
Et comment les personnes de maintenant auraient-elles la vie, lorsqu’elles ne veulent point croire qu’il faut renoncer à soi-même pour être Disciples de Jésus Christ, après qu’icelui leur a dit cela si clairement ? mais qu’elles glosent toutes choses à leur avantage, en disant qu’elles sont trop fragiles pour observer ces choses, mais qu’elles seront sauvées par les seuls Mérites de Jésus Christ. Ce qui n’est qu’une tradition des hommes, laquelle Jésus Christ n’a point enseignée : au contraire il a dit : 359 Soyez mes imitateurs, et prenez vos croix et me suivez. Cela ne se peut entendre, qu’il doive porter seul la croix pendant que les hommes reposeront à l’aise en leurs Natures corrompues ; vu qu’il leur dit : Prenez votre croix, et me suivez.
CLXIV. Juifs et Chrétiens rejettent leur guérison.
Mais les juifs n’ont point voulu entendre ce langage, non plus que ne le veulent entendre les Chrétiens d’à présent. Il est venu entre les Juifs qui étaient son peuple ; 360 et les siens ne l’ont point connu. Et fort peu qui ont cru en lui l’ont suivi : les autres l’ont méprisé. Car l’Apôtre dit 361 qu’il était charge aux Gentils, et scandale aux Juifs : parce qu’iceux ne voulaient point quitter leurs amours propres pour se convertir à Dieu. Pour cela 362 ont-ils mieux aimé leurs ténèbres que la Lumière que Jésus Christ leur venait apporter sur la Terre, laquelle ils n’ont pas voulu recevoir, quoiqu’elle était le remède à leurs maux, et la guérison de leurs plaies.
CLXV. Comment Jésus Christ est venu guérir les hommes et les ramener à l’Amour de Dieu, leur unique fin. Pourquoi il a souffert.
Car Jésus Christ en voyant que les hommes (par leurs aveuglements) avaient quitté l’AMOUR DE DIEU pour s’aimer eux-mêmes, il leur vient enseigner qu’ils doivent renoncer à eux-mêmes, comme lui montrait par ses œuvres comment il renonçait à soi-même, en quittant le sein de son Père, et l’état glorieux auquel il régnait, pour venir en ce bas Monde se revêtir du sac de notre mortalité, porter nos misères et langueurs comme s’il eût été un vrai pécheur, et charger sur son corps toutes les misères que le péché avait apportées en la nature humaine : ce qui est un 363 grand exemple de renonciation à nous-mêmes, et d’embrasser les souffrances ; et ce à cause que Jésus Christ voyait que l’Amour que les hommes portaient à eux-mêmes les avait retirés de l’Amour de Dieu, il les voulait faire 364 retourner en icelui, comme s’il leur avait dit : Voyez, mes frères, parce que vous vous êtes aimé vous-mêmes, vous avez perdu l’Amour de Dieu. Mais comme ce n’est point assez qu’un Médecin découvre l’origine de la maladie de son patient ; car il doit outre ce lui appliquer les remèdes à son mal : et Jésus Christ en a fait tout de même, en disant aux hommes par son Évangile, qu’ils doivent 365 renoncer à eux-mêmes, porter leurs croix, et le suivre : puisque cela était le vrai remède pour guérir la plaie de leurs amours propres, laquelle leur avait fait perdre l’AMOUR DE DIEU. Et ainsi ce divin Médecin de nos âmes va de plaie en plaie, pour curer toutes nos blessures, apportant le remède à chacune en particulier.
CLXVI. Pourquoi Jésus Christ a été pauvre et méprisé.
Car comme il voyait que les hommes avaient délaissé l’AMOUR DE DIEU pour aimer les richesses et les honneurs du Monde ; il vient en extrême pauvreté et mépris, en naissant de parents pauvres, d’une simple vierge, et 366 travaille avec son Père nourricier pour gagner la vie. Il demeure inconnu et méprisé des hommes, qui le regardaient pour le fils d’un charpentier, et leur enseigne aussi dans son Évangile, d’être 367 humble de Cœur et pauvre d’Esprit : à fin de guérir par là leurs Superbes et la convoitise par laquelle ils avaient retiré leurs cœurs de l’amour qu’ils devaient à Dieu.
CLXVII. Pourquoi Jésus Christ a renoncé sa propre volonté.
Et comme les hommes étaient déchus de la soumission à la volonté de Dieu pour adhérer à leurs propres volontés, Jésus Christ vient leur dire de paroles et montrer par effet 368 qu’il n’était point venu en ce Monde pour faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l’avait envoyé. Car sans doute que personne de sa propre volonté ne quitterait l’état glorieux, auquel Jésus Christ était dans le Ciel, pour venir en Terre endurer des peines et travaux, souffrir de ses ennemis, même des injures, des mépris, des battures et la mort, au lieu de vivre impassible et immortel en état glorieux ; auquel il était auparavant de se revêtir de notre mortalité : ce qui témoigne une grande charité vers les hommes ; à fin de leur apprendre de souffrir l’un pour l’autre, et de les aider et soulager le prochain. Car Jésus Christ, outre son exemple, a aussi dit aux hommes en son Évangile : 369 Aimez-vous les uns les autres, à cela connaîtra-t-on que vous êtes mes Disciples. À cause que l’endurcissement de leurs cœurs les avait retirés de l’Amour de Dieu, et par conséquent de l’amour du prochain, en quoi consiste la vraie Charité, Jésus Christ leur découvre aussi cette plaie, et leur donne le remède à icelle, en disant : Aimez-vous les uns les autres.
CLXVIII. Pourquoi Jésus Christ a quitté aises, services, Patrie, Parents.
Et à cause que les aises et commodités de ce Monde avaient retiré les cœurs des hommes de l’Amour de leur Dieu, pour aimer d’être bien traités et servis, Jésus Christ vient montrer par son exemple qu’il prend la condition d’un serviteur ; et il dit aux hommes en son Évangile 370 qu’il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir : à fin de les apprendre qu’ils doivent servir eux-mêmes ; et ne pas mettre leurs affections sur les aises et les services des hommes. Et comme Jésus Christ voyait que les hommes avaient retiré leurs cœurs de l’Amour de Dieu pour aimer leurs Parents Sanguins, leurs terres ou Pays, il vient en ce Monde comme un Pèlerin, et ne demeure pas au lieu de sa naissance, allant en Égypte fort peu après sa naissance, et ne voulut faire aucuns signes parmi son parentage ni en son Pays ; voire il se retire de sa Mère à l’âge de douze ans pour demeurer au Temple, en lui disant qu’il 371 devait faire l’œuvre de son Père, sans se soucier qu’elle était en peine de l’avoir perdu. Et lorsqu’il prêchait le peuple qui lui disait : 372 Vos Frères et votre Mère sont à la porte, qui demandent après vous : il étendit ses mains sur ses Disciples, en disant : Ceux-là sont ma Mère et mes Frères, qui écoutent mes paroles, et font la Volonté de mon Père. Et outre tant d’exemples, pour enseigner qu’il faut détacher nos affections des Parents et de sa Patrie, pour faire la volonté de Dieu, Jésus Christ dit en son Évangile 373 que celui qui ne quitte Père, Mère, Sœur, Frère, Femme ou Enfants pour son nom, qu’il n’est point digne de lui. À cause que toutes ces affections sanguines retirent les cœurs de l’Amour de Dieu.
CLXIX. Comment les Chrétiens renient JÉSUS CHRIST leur Sauveur.
Voilà ainsi comment Jésus Christ a sauvé le Monde, en apportant aux hommes toute sorte de remèdes à leurs maux, et diverses médecines aux diverses maladies de leurs âmes ; les guérissant par des remèdes propres à leurs infirmités. Et on entend maintenant ces ignorants dire qu’ils ne peuvent incorporer ces remèdes, ni prendre la pauvreté contre leurs convoitises ; ni l’humilité contre leurs superbes ; et qu’ils ne savent quitter leurs amours propres pour aimer Dieu, ni aussi l’endurcissement de leurs cœurs pour aimer leurs prochains ; et qu’ils ne sauraient laisser de plaire aux hommes pour plaire à Dieu ; ni délaisser leurs propres volontés, pour faire la Volonté de Dieu ; et qu’ils ne sauraient souffrir les peines et travaux, les persécutions et la mort, pour suivre et imiter Jésus Christ.
CLXX. Ils aiment la mort.
Ce qui est bien signe qu’ils ne veulent point être sauvés ni guéris de la maladie de leurs âmes, en aimant mieux de les laisser mourir éternellement que de prendre des remèdes si salutaires, que Jésus Christ notre divin Médecin a avalés le premier en notre présence pour encourager les hommes à les prendre volontiers ; puisqu’il leur dit : 374 Si je n’avais point fait les œuvres que j’ai faites en votre présence, il n’y aurait point de coulpe en vous. Cela est signe qu’ils seront coupables, lorsqu’ils ne suivront point ses œuvres. Car si Jésus Christ avait seulement venu satisfaire pour les hommes, iceux ne pourraient être devenus coupables pour avoir vu Jésus Christ faire en leur présence les œuvres de leur rédemption : vu que cela les aurait plutôt favorisés et davantage contentés, au lieu de leur faire avoir plus de coulpe.
Pourquoi les Prêtres persécutent A. B.
CLXXI. Furieux aveuglement de Persécuteurs d’A. B.
Mais ces aveugles ferment les yeux à des vérités si claires, lesquelles l’infirmité de leurs yeux ne peuvent souffrir ni supporter. C’est pourquoi que ces Prédicants me persécutent à cause que je leur montre des Vérités trop brillantes, lesquelles ils ne veulent point regarder ; et ce leur serait assez de les pouvoir faire évanouir, en disant que ces vérités sont des erreurs et des blasphèmes contre Dieu : sans prouver aucune chose de leur dire, en jetant au vent quantité de paroles étudiées pour éblouir l’entendement des hommes ; lesquels j’espère qu’ils ne seront si ignorants que de recevoir cela à l’aveugle. Car un Papegai dirait bien les mêmes mots que ce Burchardus dit dans son Livre (s’il les avait appris), et crierait bien : Hérésie, blasphèmes contre Dieu, ou Doctrine Diabolique ; comme fait ce Prédicant sans aucune raison. Car encore bien que j’aurais écrit dans mon livre du TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, des choses qu’il ne sait entendre, il les doit là laisser, pour ceux qui les entendent bien, sans les injurier à l’aveugle, à cause qu’il ne les connaît point ; vu que ce n’est que sa lourdesse qui lui fait méconnaître ces Divins mystères. Et s’il examinait bien les saintes Écritures, il y trouverait en substance toutes les choses que je dis dans mon livre. Car il ne peut autrement être que le S. Esprit n’ait inspiré aux anciens Prophètes tout ce qui doit arriver jusqu’à la fin du Monde.
CLXXII. Magister Burchardus aussi spirituel qu’une vache pour connaître les divines lumières.
Mais quoique ce Burchardus étudie les Écritures, et qu’icelles rapportent ce que je déclare, il ne les reconnaît point. C’est comme lorsqu’on a fait une nouvelle porte à une Étable, et que la vache retourne de sa pâture, elle ne sait plus connaître son étable, et tourne et vire comme une éperdue sans entrer dedans icelle. Tout de même fait notre Burchardus avec la nouvelle Lumière que Dieu envoie maintenant par sa grande miséricorde ; il ne la connaît point à cause de la nouveauté de mes expressions, et voudrait que j’usasse des vieux termes des Écoles, ou des façons de controverses, comme les disputeurs ont coutume de se servir en leurs disputes ; et il entendrait bien ce langage, parce qu’il l’a jà parlé longtemps. Mais à cause que je viens avec plus de clarté déclarer les mêmes choses que les anciens Prophètes ont déclarées obscurément, il ne les veut pas entendre, ni me demander comment je les entends ; mais veut qu’on m’emprisonne et qu’on brûle mes livres, parce qu’iceux parlent vérité, et incitent les hommes à l’AMOUR DE DIEU ET À L’IMITATION DE JÉSUS CHRIST.
CLXXIII. Imiter Jésus Christ est le Commandement Ancien et Nouveau. Il a été facile aux premiers Chrétiens.
Car je peux dire avec S. Jean : 375 Je n’apporte point de nouveau Commandement, mais le commandement d’aimer Dieu, qui fut donné à l’homme dès son commencement. Mais j’apporte bien un nouveau commandement (comme dit aussi cet Apôtre) en disant 376 qu’il faut imiter Jésus Christ. Vu qu’il y a si longtemps qu’on s’est imaginé que les hommes sont trop fragiles pour cette imitation de Jésus Christ ; et que je montre tout nouvellement que cela se peut bien faire, voire qu’il est très facile à celui qui veut véritablement retourner en l’AMOUR DE SON DIEU : car celui-là trouvera même les conseils Évangéliques agréables, et saura par expérience la vérité des paroles que Jésus Christ a dites, 377 que son Joug est doux et sa Charge légère : comme ont assurément expérimenté les Chrétiens en la primitive Église, lesquels volontairement abandonnaient toutes choses pour embrasser la bassesse et pauvreté Évangélique, voire allaient avec joie au supplice, en s’estimant heureux de suivre Jésus Christ à la Mort. L’on voit cela en l’Apôtre S. André lequel avec joie embrassait et baisait la croix en laquelle il devait mourir, en disant O BONA CRUX ! comme si toute douceur et délices étaient contenues en la souffrance pour Jésus Christ. Un S. Laurent s’éjouissait au milieu des charbons ardents qui brûlaient son corps, en se moquant des Tyrans qui le martyrisaient, en leur disant : Si vous voulez manger de ma chair, elle est assez rôtie de ce côté-là.
CLXXIV. Il l’est encore à présent plus que les commandements du Monde.
Et si des personnes fragiles, composées de chair et d’os comme nous sommes, ont bien eu de la joie d’exposer la vie pour retrouver l’AMOUR DE DIEU, comment donc maintenant les mêmes personnes fragiles ne sauraient-elles embrasser une Vie Évangélique, et même avec joie ? Vu que ce joug est véritablement plus doux que la Loi du Monde, laquelle tyrannise souvent les personnes, et les rend esclaves de leurs passions et des égards humains, n’ayant nulles libertés sinon celles que les Mondains leur donnent : lesquels mondains ne laissent pas quelquefois la liberté à une personne de porter un habit ou un soulier à son aise, mais tels dans lesquels ils sont pressés et restreints plus qu’un criminel n’est avec ses fers et ses chaînes : pendant que ceux qui aiment le Monde portent toutes ces fatigues avec joie pour être aimés du Monde. Comment donc ne pourrait porter la Loi Évangélique celui qui aimerait son Dieu autant que ces personnes aiment le Monde ? Vu que cette Loi est beaucoup plus légère que la Loi du Monde ; et que ce joug est beaucoup plus doux que ne sont les plus grandes délices du Monde ? puisqu’icelles ne laissent que de l’amertume en l’âme après qu’on les a goûtées et que la vie Évangélique donne à cette âme de la joie intérieure et du repos de conscience.
CLXXV. Pourquoi l’on trouve le joug de Jésus Christ plus pesant que celui du Monde.
Mais l’imagination de l’homme, étant blessée par le péché, fait croire que 378 le doux est amer, et que l’amer et doux ; et par ce moyen les hommes concluent qu’ils ne sauraient observer la Loi Évangélique, à cause de leurs fragilités : laquelle fragilité ils ne considèrent point au service du Monde, pour lequel on perd souvent l’aise, le repos, la Santé, voire quelquefois la Vie, laquelle plusieurs ont quelquefois exposé pour un point d’honneur, ou pour avoir excédé en plaisirs charnels, ou celui du boire et manger, courir, ou sauter : lesquelles choses néanmoins on ne veut pas estimer si pesantes que le joug de la Vie Évangélique. Ce qui arrive à cause que les hommes ont maintenant plus d’amour pour le Monde et ses Vanités qu’iceux n’ont pour Dieu. Et aussi longtemps que les hommes sont en cette disposition, il est très certain qu’ils trouveront la Loi Évangélique très pesante : voire il leur semblera qu’icelle est impossible d’être observée par des personnes qui ont le même Dieu qu’ont eu tous ceux de l’Église primitive, lesquels avaient aussi la même fragilité que les hommes de maintenant ont ; et il n’y a en iceux aucune différence, sinon celle que ces premiers Chrétiens avaient le DÉSIR EFFICACE DE RETOURNER EN L’AMOUR DE DIEU ; là où les Chrétiens d’à présent ont le désir de demeurer dans leurs amours propres.
CLXXVI. Comment les Chrétiens sont parvenus à la réjection et haine de la Doctrine de Jésus Christ.
Et pour faire cela avec plus de repos de conscience, ils ont établi des Écoles et Universités, à fin de là étudier des raisons et des arguments frivoleux pour faire entendre aux hommes qu’iceux seront bien sauvés hors de l’Amour de Dieu. Et la Nature corrompue (qui se flatte toujours) a reçu volontiers ces Doctrines des hommes, 379 en méprisant la Doctrine à nous envoyée de la Divine Sapience par le ministère de Jésus Christ. Laquelle Doctrine est maintenant à si grand mépris parmi les Chrétiens, qu’ils ne peuvent pas seulement souffrir qu’on en parle ouvertement, ou qu’on leur montre que leur Vie n’est plus Chrétienne, mais Antichrétienne, et toute contraire à celle des Chrétiens de la primitive Église, ou à la Doctrine que Jésus Christ leur a enseignée, et aussi ses Apôtres et vrais Disciples ; à cause que ces Vérités leur sont des corrections tacites, lesquelles ils ne veulent supporter.
CLXXVII. Les Prêtres agissent plus mal envers A. B. que les Pharisiens envers Jésus Christ.
C’est la seule raison pourquoi ces Prédicants me persécutent maintenant, et qu’ils veulent qu’on brûle mes Livres qui traitent clairement de cette perfection Évangélique. Car je n’apporte pas de nouvelle Loi ; mais je remémore celle que Jésus Christ nous a apportée ; de laquelle je montre que les hommes en sont déchus, et qu’iceux ne vivent plus en vrais Chrétiens. C’est pourquoi on me veut tuer, ou du moins faire haïr et rejeter de tout le Monde, comme notre Burchardus tâche de faire par son livre, en exhortant les Juges à ne me pas souffrir, et le peuple à ne me pas loger. Ce qui est plus que barbarique : vu que les Barbares et Païens jugent encore selon la raison, et ne condamneront personne avant de l’avoir ouï en ses défenses : là où ces Prêtres maintenant ne veulent pas permettre qu’on entende mes défenses, et me veulent avoir condamnée sans ouïr partie ; de crainte que mes défenses ne découvrent leurs mensonges et malice ; laquelle malice surpasse de beaucoup celle des Prêtres Pharisiens qui firent mourir Jésus Christ. Vu qu’iceux l’ont condamné par forme de Justice : car ils ont souvent interrogé Jésus Christ sur sa Doctrine, voire entendu en sa cause divers témoins, et confronté avec lui les personnes qui l’avaient accusé. Mais moi, on ne veut m’entendre ni examiner, ni user d’aucune formalité de Justice ; parce qu’on a entrepris de m’exterminer à tort et sans raison, et pour cela n’a-t-on pas voulu entendre mes raisons : quoique j’aie toujours présenté de les dire, et supplié tant à la Cour de Gottorp qu’icelle du Magistrat de Husum, pour savoir qui sont mes Accusateurs, et de quels crimes ils m’accusent, sans avoir su obtenir cette Justice demandée, non plus de l’un que de l’autre de tes Tribunaux. Et je ne sais pas encore à cette heure le sujet pourquoi on m’a persécutée, ou pourquoi on veut mépriser mes écrits : car s’il y avait en iceux quelque chose de mauvais, je le voudrais moi-même condamner, voire rétracter tout ce qu’il y pourrait avoir de mauvais en mes écrits. Car je proteste devant Dieu et les hommes, que je ne veux rien enseigner par tous mes écrits, sinon ce que Jésus Christ et ses Apôtres ont enseigné, sans apporter aucune nouveauté ou changement.
CLXXVIII. Et sont plus inexcusables.
C’est pourquoi que ces Prédicants ont plus grand tort de me persécuter que n’ont eu les Prêtres Pharisiens de persécuter Jésus Christ : vu qu’icelui semblait (à leur fantaisie) d’enseigner des choses contraires à la Loi de Dieu : là où moi j’enseigne toute chose conforme à la Loi Évangélique ; et s’il y a un seul point qui choque cette Loi dans mes écrits, je le déteste et ne le veux pas maintenir. Mais ces personnes jalouses et sans charité ne veulent point que je dise seulement la vérité en cela ; et sont accroire au peuple que j’enseigne des hérésies, ou que je blasphème contre Dieu. Et un de ces Prédicants m’écrit dernièrement que je devais rétracter mes erreurs, comme j’avais autrefois promis de faire lorsqu’on me pourrait convaincre d’aucunes erreurs ; vu qu’il m’avait convaincu (comme il disait), en m’apportant divers passages de l’Écriture pour prouver que Jésus Christ avait tout satisfait pour les hommes, et qu’iceux ne doivent rien satisfaire, mais qu’ils devaient bien vivre en reconnaissance de l’amour que Jésus Christ leur avait témoigné en satisfaisant pour eux.
Pourquoi l’on doit bien vivre.
CLXXIX. Dieu n’a que faire pour soi ni du bien, ni des mérites, ni de la satisfaction, ni de la reconnaissance des hommes : mais eux en ont besoin pour eux.
Ce qui est encore une subtile invention, laquelle semble de vouloir donner l’honneur du salut des hommes aux mérites de Jésus Christ seul, et point aux bonnes œuvres des hommes. Mais cela est pourtant une fausse monnaie bien dorée de vertu, quoiqu’en effet elle n’est que du cuivre d’amour propre. Car quel besoin a Dieu que nous fassions bien pour son Amour, vu qu’il n’a nulles nécessités de nos bienfaits, étant en soi-même tout riche, tout puissant et tout satisfait, quoique les hommes ne feraient jamais de bien ? Et partant il ne peut être honoré par notre amour ou par notre satisfaction. Mais nous avons de besoin de bien faire pour être sauvés ; et de satisfaire pour nos péchés si nous voulons retourner à l’Amour de Dieu, pour lequel amour l’homme a été créé. Car notre Nature, étant tellement corrompue par le péché, ne saurait retrouver cet Amour de Dieu sinon par le moyen de la mortification de nos sens corrompus, à cause que depuis le péché l’homme se trouve toujours incliné à malfaire, et doit faire grande violence pour résister ou s’opposer à ce mal, auquel elle se trouve inclinée : en sorte que c’est 380 l’avantage de la personne lorsqu’elle vit bien, et non pas l’intérêt de Dieu, 381 lequel n’a besoin de rien ; étant puissant de créer cent mille Mondes de nouveau pour sa gloire ; sans être satisfait pour aucuns mérites des hommes, lesquels en effet ne peuvent jamais rien mériter devers Dieu, ni bien vivre pour l’amour qu’iceux lui portent, ni aussi en reconnaissance de ce que Jésus Christ a satisfait pour eux. Car toutes les actions de grâces de tous les hommes du Monde ensemble ne peuvent satisfaire à la moindre grâce qu’ils ont reçue de Dieu : voire souvent les louanges et services qu’ils pensent faire à Dieu sont des mépris et despects à cette Grande Majesté Divine.
CLXXX. La Pénitence n’est pas imposée de Dieu pour réciprocation de son Amour. Mais il lui déplaît que l’homme se soit imposé cette nécessité à soi-même, et elle ne lui plaît que comme un moyen pour revenir à cet Amour.
En sorte qu’il ne faut pas croire que nous réciproquions l’Amour de Dieu par nos bonnes œuvres, ou penser qu’icelles obligeront Dieu à nous aimer davantage : mais il faut avec humilité de cœur faire pénitence comme des criminels, pour satisfaire à la Justice de Dieu. Lequel nous a enjoint icelle pénitence pour nos péchés, et non pour par icelle pénitence nous faire témoigner l’Amour que nous lui portons ; puisqu’il n’a rien demandé de l’homme en son commencement, sinon son Amour seulement, moyennant lequel Amour, l’homme pouvait jouir de toutes sortes de créatures à son plaisir, sans faire aucune pénitence. Ce qui est bien éloigné de faire pénitence ou de se priver des contentements de cette Vie pour plaire à Pieu ; vu qu’il déplaît à Dieu que l’homme se soit de lui-même jeté par son péché dans cet état de pénitence, au lieu de le voir en toute sorte de délices en l’état que Dieu l’avait premièrement créé. Et il aurait bien été plus agréable à Dieu, si l’homme eut demeuré en l’état d’innocence, en jouissant de toute sorte de délices ; que de le voir maintenant se peiner et travailler, et gagner ainsi 382 le Royaume des Cieux par force, lequel lui était donné gratuitement par pur amour ; et que de voir maintenant les hommes assujettis à tant de Lois par leurs péchés, signamment à la Loi Évangélique, laquelle ces Prédicants veulent faire entendre qu’on doit observer seulement pour rendre à Dieu amour réciproque. Ce qui est très mal entendu. Car Dieu ne peut prendre de plaisir dans nos souffrances, ou nos travaux et pénitences, sinon autant que toutes ces choses peuvent servir de moyens pour ramener les hommes à SON AMOUR, qui est le seul sujet de sa création.
CLXXXI. Dieu de sa part ne veut que l’Amour, et non ni loi, ni œuvres, dont l’homme n’a besoin que pour son péché.
Par où on peut voir que ces Prédicants ne donnent pas d’honneur à Dieu, en disant : qu’on peut bien imiter Jésus Christ pour lui témoigner l’amour qu’on lui porte ; vu qu’il n’a pas de besoin de ce témoignage, et que Dieu n’a jamais rien demandé de l’homme 383 que son AMOUR, et ne demandera aussi jamais autre chose. Et s’il doit bien vivre et observer la Loi Évangélique, ce ne peut être qu’à cause de son péché et de sa fragilité, et point à cause qu’il honore Dieu en cela : car l’Écriture dit 384 qu’il est plus honorable de donner que de recevoir dons. Et partant il faut laisser cet honneur à Dieu, qui en effet nous donne toute chose, au lieu que l’homme veut avoir lui-même l’honneur de donner à Dieu une bonne vie, ou des bonnes œuvres, voire l’observance de la Loi Évangélique. Car Dieu n’a que faire de nos dons, ni que nous fassions quelque chose pour lui. Mais nous, étant si pauvres et misérables, avons toujours besoin de recevoir de lui des grâces, des Lois, et les moyens par lesquels nous pouvons recouvrer l’Amour de Dieu, pour avoir la Vie éternelle.
CLXXXII. Celui qui a retrouvé l’Amour observe la Loi sans Loi ; mais pour le retrouver en quittant le mal, il faut des Lois.
Car si l’homme pouvait recouvrer cet AMOUR DE DIEU sans l’observance de la Loi Évangélique, il n’aurait point de besoin de cette observance, non plus que d’aucunes autres Lois ; vu que cet amour est loi à soi-même : et quiconque possède cet amour, observe en effet toutes les Lois en général, et n’est plus soumis à aucunes Lois ; comme n’a été soumis l’homme au temps de sa création, étant tout libre, et en dominant sur toute chose que Dieu avait créée pour lui. En quoi on peut remarquer l’erreur où sont tombées ces personnes qui disent que c’est pour l’amour qu’on porte à Dieu qu’il faut bien vivre ou imiter Jésus Christ. Mais qu’il ne faut pas faire ces choses pour mériter le pardon de ses péchés ; en ajoutant que c’est se justifier soi-même, de faire des bonnes œuvres pour mériter quelque chose. Ce qui provient d’un fond de superbe, et d’amour et estime de soi-même. Car en disant qu’il faut seulement bien vivre ou imiter Jésus Christ pour l’amour qu’on porte à Dieu, c’est se préférer à Dieu, en croyant que Dieu a plus de besoin de notre bonne vie que nous n’avons nous-mêmes, vu que (selon le dire de ces Casuistes) c’est seulement pour l’amour qu’on porte à Dieu qu’il faut bien vivre : pendant que c’est l’homme misérable, tombé en péché, qui a de besoin d’une bonne vie, et de l’observance de toutes les Lois, ou autrement il périra éternellement en ses misères, comme périrait une personne navrée et blessée de plusieurs plaies, si elle ne se voulait laissée curer ou guérir.
CLXXXIII. Absurdité de la Doctrine de ces Prêtres déclarée par une comparaison.
Et icelle serait tombée en frénésie si elle disait à son Médecin : Je ne veux pas prendre vos remèdes pour ma guérison, mais pour l’amour que je vous porte. Ce qui offenserait grandement le Médecin, lequel n’a que faire de prendre la peine de curer un semblable patient qui ne reconnaît point la nécessité où il est, et qui penserait obliger le Médecin en se laissant curer d’icelui, quoique le Patient n’ait aucune chose à lui donner en récompense de sa cure. Tout de même fait l’homme vers son Dieu, lorsqu’il dit de vouloir bien vivre pour l’Amour qu’il porte à Dieu le souverain Médecin de nos âmes, lequel, les voyant navrées et blessées de tant de plaies mortelles de péchés divers, veut appliquer les remèdes à chacune, par autant de divers conseils Évangéliques, que l’âme est blessée de diverses plaies de péchés contraires à iceux ; en appliquant la pauvreté d’esprit contre son avarice ; et la bassesse de Jésus Christ contre sa superbe ; ou sa débonnaireté contre l’arrogance de l’homme ; et ainsi de tout le reste des plaies de péchés, desquelles les âmes des hommes sont blessées : lesquels quoique pauvres et misérables, n’ayant rien adonner à Dieu en récompense de tout ce qu’il a fait pour iceux, veulent néanmoins faire entendre qu’ils n’ont pas de besoin de s’appliquer les remèdes de leurs âmes sinon pour l’Amour qu’ils portent au Médecin d’icelles. Ce qui est bien lamentable, de voir les hommes dans un tel aveuglement d’esprit, qu’ils ne voient point le malheur où ils sont tombés, ni les moyens pour en être délivrés ; mais par un opiniâtre aveuglement périssent en leurs misères auprès des médicaments que Jésus Christ leur a préparés.
CLXXXIV. Prétextes et orgueil des hommes ne voulant reconnaître qu’ils ont besoin de souffrir pour eux-mêmes.
Et cela par un amour qu’iceux portent à eux-mêmes, en s’estimant trop pour vouloir souffrir quelque chose de pénible à leurs Natures corrompues. Et pour couvrir cette superbe et cet amour propre, ils disent que c’est se justifier soi-même de faire quelque chose pour mériter. Voyez un peu, mes frères Chrétiens, quel absurde argument, de vouloir être guéri et sauvé sans rien faire pour cela ! Comme si Dieu leur était obligé de leur donner son Paradis et le salut éternel pour en être dignes assez en eux-mêmes, sans vouloir faire aucune chose pour y parvenir. N’est-ce pas se justifier beaucoup davantage, de croire que la vie éternelle leur appartient en propriété, que de faire ce qui est en nous pour la pouvoir obtenir ? Car si un serviteur ne voulait point travailler au service de son Maître, en disant qu’icelui est obligé de le nourrir et entre tenir sans rien faire ; il ne serait point aimé de son Maître, mais déchassé de son service comme fainéant, selon ses mérites. Tout de même seront déchassés 385 du Royaume des Cieux les personnes qui ne veulent point travailler à la Vigne du Seigneur pour 386 opérer leur salut avec crainte et tremblement, comme dit l’Apôtre.
CLXXXV. L’homme ne peut mériter : mais ayant perdu la vie éternelle, il ne peut la recouvrer comme auparavant par hérédité sans sa coopération.
Il est bien vrai que toutes les bonnes œuvres des nommes ensemble ne peuvent rien mériter pour la vie éternelle, laquelle Dieu nous a préparés gratuitement avant que les hommes fussent créés ; et par conséquent avant qu’iceux pussent mériter quelque chose. Et partant c’est par pure grâce que les hommes sont sauvés, et nullement par leurs mérites. Mais depuis qu’ils ont perdu cette grâce par leurs péchés, ils ont par conséquent perdu le droit d’hérédité de la Vie éternelle, et par là perdu tous les prérogatifs et bénéfices de Dieu reçus à leur création ; et d’enfants de Dieu qu’ils étaient, ils sont devenus les ennemis de Dieu, assujettis à toute sorte de misères, d’ignorances et d’impuissances. C’est pourquoi qu’ils ont maintenant de besoin de se peiner et travailler pour avoir l’aliment de la vie présente, et beaucoup davantage pour avoir la vie Éternelle : laquelle ne peut plus venir aux hommes par hérédité comme elle leur était donnée au commencement : vu que Jésus Christ dit en son Évangile : 387 Cherchez le Royaume des Cieux, etc.
CLXXXVI. L’homme est obligé à aimer Dieu, quoique Dieu n’ait besoin de son Amour, et encore moins des moyens à cet Amour.
CLXXXVI. Cela donne assez à entendre qu’il ne nous arrivera point sans rien faire de notre part ; ou lors que nous voudrons bien vivre seulement pour l’Amour que portons à Dieu. Lequel ne peut être honoré par notre amour : vu que c’est l’homme qui reçoit honneur d’aimer Dieu ; et pas Dieu d’être aimé de l’homme : puisqu’il n’a que faire de l’homme ; mais icelui doit tout recevoir de son Dieu ; quoiqu’il ne lui puisse rien donner ni ajouter un grain à la gloire par l’amour qu’il lui porte. Mais l’homme doit être en continuelle action de grâces vers son Dieu, à cause qu’il l’a créé une créature capable d’aimer un Dieu. Ce qui oblige grandement l’homme à l’aimer, à cause qu’il veut bien être aimé de l’homme, puisqu’il l’a créé à ces fins par une grâce toute particulière. En sorte que l’homme doit faire tout ce qu’il peut pour retourner à cet Amour : à cause que d’icelui dépend tout son bonheur éternel : sans pourtant penser que Dieu lui aura de l’obligation lorsqu’il vivra bien ou gardera la Loi Évangélique. Puisque tout cela contourne aux avantages des hommes, et point aux avantages de Dieu, lequel est autant glorieux en soi-même lorsque tous les hommes seraient damnés que lorsqu’ils seraient tous sauvés : car cela n’ôte ni ne donne rien à Dieu.
CLXXXVII. L’homme doit travailler pour ses péchés, et ne pas présumer qu’ayant déjà l’Amour de Dieu il donne à Dieu des bonnes œuvres pour cet Amour.
Et partant l’homme doit se peiner et travailler, et pleurer ses péchés, à fin d’en obtenir le pardon par la miséricorde de Dieu : mais point s’imaginer qu’il peut donner quelque chose à Dieu, en étant si pauvre et misérable : il doit toujours reconnaître sa misère, et 388 frapper la poitrine avec le Publicain : sans dire avec le Pharisien : Je vous remercie, Seigneur, de ce que je ne suis point pécheur comme ce publicain, et que je fais beaucoup de bonnes œuvres. Vu que ce Pharisien ne fut pas justifié comme le Publicain. Car lorsque l’homme dit qu’il ne doit point bien vivre pour soi-même, mais pour l’amour qu’il porte à Dieu, il se justifie soi-même, en jugeant qu’il n’a pas mérité de pénitence, laquelle il veut seulement faire pour l’amour qu’il porte à Dieu ; en quoi il s’élève grandement au-dessus de soi-même.
CLXXXVIII. Lorsqu’on a recouvré l’Amour, alors on fait tout pour et par cet Amour : mais auparavant il faut agir pour satisfaire aux moyens et aux obstacles de cet Amour.
Car s’il aimait véritablement Dieu, il n’aurait plus de besoin d’aucune pénitence, et pourrait lors faire tout ce qu’il voudrait, comme dit S. Augustin, AIMEZ ET FAITES TOUT CE QUE VOUS VOULEZ : à cause 389 qu’en cet Amour de Dieu sont contenus toutes les Lois et les Prophètes. Et on n’a plus lors de besoin d’aucunes autres observances, en pouvant lors dire avec Vérité qu’on fait toute chose pour l’AMOUR qu’on porte à Dieu, mais non pas aussi longtemps qu’on vit encore en l’amour de soi-même, comme vivent véritablement ces personnes de maintenant qui se persuadent de bien vivre pour l’amour qu’elles portent à Dieu : lorsqu’elles lui sont encore redevables pour si grand nombre de péchés, auxquels elles doivent satisfaire, comme parle la parabole de l’Évangile 390 d’un homme qui était redevable de dix mille talents à son Maître, lequel commanda qu’il fût mis en prison avec sa famille, parce qu’icelui n’avait point d’argent pour payer sa dette. Or cette Parabole regarde l’homme pécheur, lequel doit payer et satisfaire à son Dieu les peines de ses péchés à mesure qu’iceux seront en grand nombre, selon la Vérité de Dieu, lequel dit 391 qu’à celui à qui aura été beaucoup donné, beaucoup sera redemandé. Comme il se voit aussi dans la Parabole d’un Maître 392 qui partit de sa maison, et laissa à ses Serviteurs divers talents, à l’un cinq, à l’autre deux, et un seul à un autre. Et à son retour demanda à chacun de ses Serviteurs le compte de ce qu’il leur avait laissé : et punit ce Serviteur lequel n’avait fait aucun profit de son talent ; et récompensa les autres, parce qu’ils avaient profité avec leurs talents.
CLXXXIX. Jésus Christ n’a point satisfait pour que les hommes soient quittes de satisfaire eux-mêmes à leur juste devoir vers les moyens et obstacles à l’Amour de Dieu.
Ce qui montre assez que le pécheur doit satisfaire pour ses péchés, ou être puni pour iceux éternellement ; et qu’il ne faut pas croire que Jésus Christ a tout satisfait seul pour les hommes, comme ces nouveaux Docteurs veulent faire entendre. Car en ce cas, toutes ces paraboles de l’Évangile seraient inutiles, avec tant d’autres passages de l’Écriture Sainte, qui vérifient 393 que les hommes rendront compte à Dieu de toutes les œuvres qu’ils auront faites ; 394 voire jusqu’à une seule parole oiseuse. Et que selon leurs œuvres les hommes seront jugés, et que selon leurs œuvres ils seront condamnés. Or quelle condamnation y pourrait-il avoir pour les hommes, s’il était véritable que Jésus Christ aurait tout payé et satisfait pour iceux ? Il ne resterait lors plus rien à compter ni à payer, et un chacun serait franc et libre de toutes les peines de ses péchés, sans avoir crainte de la punition d’iceux. Et Dieu ne pourrait plus commander qu’on mettrait ce pécheur en prison, jusqu’à ce qu’il ait tout satisfait sa dette. Car s’il ne doit rien, et que Jésus Christ a tout payé pour lui, il ne doit par conséquent lui-même rien avoir à payer ; et encore moins doit-il être menacé d’être mis en prison selon la parabole de l’Évangile : lesquelles paraboles il faudrait entendre comme on entend quelques fables, si le pécheur n’était point obligé de satisfaire à Dieu pour ses propres péchés, comme l’Écriture déclare qu’il faut faire 395 en tant d’endroits, et par tant de divers passages, si clairement que personne n’en pourrait jamais douter, n’était que ces Prédicants ont trouvé tant d’inventions pour détourner les hommes de cette satisfaction à Dieu sous un pieux prétexte : que Jésus Christ a tout satisfait tour eux, et partant qu’iceux ne sont obligés de satisfaire pour quelque partie. Apportant divers passages des Écritures pour fortifier leurs inventions ; desquels passages ils en tirent le sens tout renversé, afin de les faire servir à leurs intentions. Quoiqu’en effet tous les passages que ce Prédicant me cite dans sa lettre particulière fortifient mon dire, et prouvent comment l’homme doit être disposé pour jouir des mérites de Jésus Christ ; comme j’ai montré ci devant que Saint Jean dit en la première Épître 396 que le sang de Jésus Christ nettoie de tout péché ceux qui cheminent en sa Lumière : mais non pas ceux qui cheminent en ténèbres, comme font les hommes à qui on prêche maintenant qu’ils seront nettoyés par le sang de Jésus Christ. Vu que ceux-là n’ont point de communion avec lui. Et en son second chapitre, le même Apôtre dit précisément que si nous disons de croire en Jésus Christ et que ne gardions pas ses commandements, que nous sommes des menteurs. Car celui qui dit qu’il demeure en lui, il faut que lui-même chemine aussi comme il a cheminé.
Suivre Jésus Christ, et non les hommes.
CXC. Chrétiens sans Foi. Prêtres abusent des Écritures pour établir leurs opinions et leurs Sectes.
Or il est assez notoire que les hommes de maintenant ne croient point en Jésus Christ ; vu qu’ils ne gardent pas ses commandements, puisqu’on les entend prêcher qu’on ne peut garder les commandements de Dieu, ni la Loi Évangélique, et que personne ne veut cheminer comme Jésus Christ a cheminé, et qu’on dit mensongèrement qu’on demeure en lui, lorsqu’on ne garde point les commandements. C’est pourquoi que tous ces passages, avec tant d’autres que ces Prédicants allèguent contre moi pour prouver comment l’Écriture dit que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, sont très mal expliqués, et que ce ne sont que des bravades que ce Prédicant me dit qu’il m’a vaincu par l’Écriture même, et que je dois reconnaître mes erreurs. Car je le voudrais lui-même condamner, et faire voir ses erreurs par les mêmes passages qu’il m’allègue, sans en citer pas un autre, en me servant seulement de son propre dire. Mais je ne veux pas entrer en de semblables disputes ni controverses, pour laisser un chacun croire ce qu’il lui plaît. Les Étudiants ont assez disputé de ces choses par ensemble, et que trop offensé Dieu de part et d’autre pour soutenir un chacun ses opinions, sans que j’aie besoin d’entrer en des controverses et disputes : pour ne point faire profession de disputer ou de quereller personne. Je laisse le jugement à Dieu de toute chose, et je déclare seulement ce que Dieu m’enseigne ; parce qu’il me l’a ainsi commandé, et pas pour soutenir quelques opinions particulières ; lesquelles je n’approuve nullement en des Chrétiens, qui ne doivent avoir tous en général et chacun en son particulier qu’un même Dieu, une même Foi, et une même Doctrine, sans diviser un Luthérien hors d’un Calvinien, ou un Romain hors d’un non-Romain : puisque toutes ces diversités ont le même Évangile ; ils ne doivent pas aussi être divisés de nom : vu que Saint Paul a fort méprisé cela de son temps en disant aux Chrétiens : 397 Jésus Christ est-il divisé entre vous, que l’un dit je suis de Paul, l’autre de Cephas, l’autre d’Apollo ? Lesquelles personnes avaient toutes reçu le Saint Esprit, et été des vrais Disciples de Jésus Christ en une même Doctrine, pendant que cet Apôtre blâme si fort que ces Chrétiens ont commencé à prendre divers noms de Paul ou d’Apollo.
CXCI. Il ne faut point suivre les hommes, mais Jésus Christ seul.
Combien est-il maintenant plus blâmable d’entendre les Chrétiens se nommer de divers noms de personnes imparfaites et bien éloignées des vertus de Paul, ou de Cephas, ou d’Apollo ; en disant publiquement : Je suis Luthérien, Calvinien, ou autres ? Ce qui devrait faire rougir les Chrétiens, de porter un autre nom que celui qu’ils doivent avoir retenu de Jésus Christ seul. Et les hommes se doivent tenir pour injuriés et méprisés d’être appelés autrement que Chrétiens ; pour être tous par le Baptême enrôlés sous l’étendard de Jésus Christ, afin de combattre le bon combat à sa suite, mais non pour combattre l’opinion d’un Luther, Calvin, Romain, ou autres opinions de quelque homme, tel que ce pourrait être : puisqu’il n’y a que Dieu qui est seul Saint ; et que son Fils Jésus Christ nous a été envoyé pour nous montrer la voie qui mène à salut, sans que les hommes doivent sortir d’icelle voie pour se détourner ès divers sentiers que les hommes ont entrepris, chacun selon sa fantaisie, et veulent cheminer en iceux, souvent au préjudice du salut de leurs âmes. Car il est très certain que Luther, Calvin ou autres Réformateurs, tels qu’ils soient, ne peuvent sauver les personnes qui auront fidèlement soutenu leurs opinions : mais leur serviraient bien de plus grande condamnation. Car tous les hommes sont défaillants, et peuvent avoir enseigné des erreurs pour des Vérités. Ce qui les condamnera, outre leurs propres péchés, pour avoir mal enseigné les autres, ou leur laissé des Doctrines errantes ; en contribuant par ce moyen à la damnation des autres : ce qui les fera par ainsi participer à leurs péchés, et augmenter leurs peines ès Enfers pour toute éternité. Mais celui qui suit la Doctrine Évangélique ne peut jamais manquer ni errer en aucune façon : vu qu’icelle est la porte qui mène à la vie, et le chemin assuré de salut : car Jésus Christ dit que celui qui entre par lui sera sauvé. Qu’y a-t-il donc à disputer ou argumenter si une personne tient les sentiments de Luther, Calvin ou autres ? Vu que lorsqu’on tient les sentiments de Jésus Christ, on est au chemin assuré de son salut. Mais si on tenait les sentiments de tous les Réformateurs ensemble, et qu’on ne suivrait point la Doctrine Évangélique, cela ne donnerait le salut à personne ; puisque S. Paul écrit précisément aux Romains, chap. 2, en leur disant : 398 Car ceux qui oyent la Loi ne sont point justes devant Dieu : mais ceux qui mettent en effet la Loi seront Justifiés. Ce qui renverse toutes les allégations des personnes qui disent d’être justifiées par les seuls mérites de Jésus Christ : vu que cet Apôtre dit qu’elles ne seront pas justifiées pour avoir entendu prêcher souvent l’Évangile, ou entendu réciter les histoires Évangéliques ; mais que seulement ceux-là seront justifiés devant Dieu, qui mettront en effet cette Loi.
CXCII. Prêtres ennemis de l’observance de la Loi de Jésus Christ.
Comment donc est-il possible que ces Prédicants apportent tant d’arguments pour prouver que les hommes seront bien sauvés sans mettre cette Loi en effet par les seuls mérites de Jésus Christ ? Il faudrait que ces personnes se trompent, ou bien que l’Écriture fût fausse, s’il était véritable ce que ces Prédicants enseignent en ce point. Car s’il faut mettre en effet la Loi pour être justifié, fort peu de personnes de ce temps seront justifiées : puisque si peu veulent mettre en effet cette Loi Évangélique, ou pratiquer la Doctrine de Jésus Christ ; vu que tant de personnes croient que cela n’est point nécessaire, selon la Doctrine de leurs Conducteurs, qui mettent cette pratique comme une reconnaissance que les hommes feraient à Dieu pour l’amour qu’il leur porte, et non pour une chose nécessaire à leur salut. En quoi ils sont superbes et arrogants, en ne se voulant pas reconnaître coupables, ni obligés à porter la peine de leurs péchés. Ce qui ne peut attirer sur eux la miséricorde de Dieu, lequel dit : 399 Je résiste aux Superbes, et aux humbles je donne mon cœur. Vu que c’est une grande superbe de s’imaginer que Jésus Christ est obligé de porter toute la peine de leurs péchés sans qu’ils en voulussent porter la moindre chose, pour aimer trop leurs aises, repos, et commodités ; en voulant bien souffrir que Jésus Christ portât toutes leurs charges, afin qu’ils en fussent délivrés commodément.
Satisfaction de Jésus Christ, pourquoi.
CXCIII. Ils excluent l’observance de la Loi sous prétexte que Jésus Christ est notre Intercesseur.
Et pour tant mieux établir leurs erreurs, ils disent que Jésus Christ est notre Avocat vers son Père. 400 Ce qui est très véritable. Mais je leur demanderais volontiers si l’Avocat d’un criminel pourrait bien gagner la cause de celui pour lequel il procure, lorsque le criminel continuerait ou avancerait journellement en ses crimes, comme font les pécheurs de maintenant, qui amassent péchés sur péchés ; et n’ont pas seulement le désir efficace de les quitter ou de se convertir ? Car il est à croire que si un Roi ou Prince avait pardonné quelque homicide, par l’intercession d’un bon avocat, et que le même criminel retomberait derechef à tuer ou meurtrir son prochain : qu’il serait lors plus grièvement puni de ses crimes commis depuis son pardon, qu’il n’eût été pour sa première faute ; à cause de son ingratitude de la grâce reçue.
CXCIV. Intercession de Jésus Christ rend les pécheurs continuants plus coupables, et n’est pour eux.
Ainsi en est-il du pardon que Dieu fait aux hommes par l’intercession de Jésus Christ notre Divin Avocat, lequel postule bien vers son Père le pardon des pécheurs convertis ; mais non pas pour ceux qui sont continuants en leurs péchés. Car on ne lit point dans toute l’Écriture que Dieu ait jamais pardonné les péchés à des pécheurs continuants, mais seulement à des pécheurs repentants. L’on peut voir cela en divers endroits de l’Évangile : comme 401 à la femme trouvée en adultère, à qui Jésus Christ demande si personne ne l’avait condamnée ? en la renvoyant lui dit : Je ne vous condamnerai point aussi, allez et ne péchez plus. Comme il dit aussi au Paralytique de si longues années ; après que Jésus Christ l’avait guéri, il lui dit aussi : 402 Allez et ne péchez plus, craignant qu’il ne vous arrive pire. Pour montrer à qui Jésus Christ départit ses grâces, et fait participants de ses mérites. Il entend que ceux-là se doivent convertir et ne plus pécher : comme on voit que la Magdeleine fit une longue pénitence après que Jésus Christ l’avait converti, elle ne pécha plus, non plus que ne firent tous ceux qui véritablement avaient participé aux mérites de Christ.
CXCV. Prêtres font continuer, endurcir, et périr les hommes dans leurs péchés.
Mais à présent on voit qu’en effet les personnes qui croient que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, s’empirent journellement, et continuent dans leurs péchés sans aucune conversion. Car le superbe augmente sa gloire, l’avaricieux son avarice, le luxurieux sa luxure, et aussi toutes autres sortes de péchés à quoi les hommes sont inclinés, lesquels ils continuent sans crainte, s’appuyant sur les mérites de Jésus Christ comme ces Prédicants enseignent, en disant que cette Foi est capable de les sauver. Par laquelle Doctrine, les hommes s’endurcissent en leurs péchés, et ne pensent nullement à se convertir, et encore moins à faire pénitence.
CXCVI. Disent faussement qu’on ne peut pratiquer la Doctrine qu’ils prêchent eux-mêmes.
Ce qui fait que plusieurs vont périssant dans cet aveuglement sans l’appréhender. Et parce que je vois clairement ces vérités, et que je les déclare, ces Prédicants me veulent faire mourir, en disant que j’enseigne des hérésies, quoique véritablement je n’enseigne autre chose que la même Doctrine que Jésus Christ et ses Apôtres ont enseignée et pratiquée en étant sur la Terre : comme ces Prédicants disent aussi d’enseigner la même Doctrine. Mais avec cette différence néanmoins, que j’enseigne la pratique de cette Doctrine, et qu’ceux enseignent les paroles, en ajoutant cette glose : que les hommes sont trop fragiles pour mettre icelle Doctrine en effet. Ce que je dénie absolument ; vu que Dieu m’assure par son S. Esprit que tous hommes de bonne volonté peuvent mettre en effet la Loi Évangélique, par la grâce de Dieu, laquelle ne sera déniée aux personnes qui la désirent et demandent avec humilité de cœur. Mais pour ceux qui veulent demeurer attachés aux opinions des hommes, ceux-là sont libres de vivre et mourir impénitents, et d’attendre là-dessus les jugements de Dieu sur leurs âmes ; puisqu’il est dit 403 que ceux qui auront connu la Loi seront condamnés par la Loi, et que les gentils, qui n’ont point la Loi, et font néanmoins naturellement les choses qui sont de la Loi, sont Loi à eux-mêmes, et montrent par leurs œuvres que la Loi est écrite dans leurs cœurs. Et iceux condamneront les Chrétiens au Jugement de Dieu, lesquels ont connu la Loi Évangélique et ne l’ont point observée. Car cette même Loi les condamnera : puisque l’Apôtre dit précisément que ceux qui ont connu et entendu la Loi ne seront point justifiés devant Dieu : mais seront dignes de plus grande condamnation : puisqu’il est écrit 404 que celui qui a connu la volonté du Père et ne l’a point fait sera battu de beaucoup de coups ; et que celui qui n’a point connu la volonté du Père et a fait choses dignes de plaies sera battu de peu de coups.
CXCVII. Font pis de prêcher comme ils font que de se taire.
Par où se peut voir que c’est un plus grand mal d’enseigner l’Évangile au Peuple, en disant qu’on ne le peut mettre en pratique, que ne serait de ne leur pas enseigner l’Évangile du tout. Puisque, selon cet Apôtre, celui qui entend l’Évangile et ne le met en pratique ne sera point justifié devant Dieu ; et que celui qui a connu la volonté du Père et ne l’a point faite sera battu de beaucoup de coups.
Prêtres sont Idolâtres de leurs Prédécesseurs.
CXCVIII. Ils laissent la vérité et se dévouent aux hommes avec serments.
Ne faut-il pas voir, mes frères Chrétiens, que nous vivons maintenant dans un temps dangereux et malheureux ? où la vérité ne peut plus être déclarée, et où le mensonge est soutenu et exalté, et où que le dire du Prophète est maintenant accompli, 405 que le Peuple de Dieu est abandonné à l’Esprit d’erreur. Puisque ceux qui le doivent conduire au chemin de salut les divertissent d’icelui pour les faire cheminer par des voies que les hommes se sont aplanies les uns aux autres, en estimant plus la Doctrine des hommes que celle de Jésus Christ ? Car on me dit que tous ces Prédicants Luthériens font serment (avant de pouvoir être promu à quelque bénéfice Ecclésiastique) qu’ils soutiendront toujours la Doctrine de Luther ; et s’opposeront à tout ce qui sera au contraire.
CXCIX. Persécutent la vérité non conforme à ceux à qui ils se sont voués.
Et je crois que c’est pour ce seul sujet que ces Prédicants de Flensbourg ont fait brûler publiquement par le Bourreau deux de mes livres du TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ : à cause qu’iceux ne contiennent point la Doctrine de Luther. Car ce ne peut être pour d’autre sujet ; vu qu’iceux ne contiennent rien de mauvais, mais beaucoup de choses bonnes. Car s’il y avait un seul point contraire à la S. Écriture, je le condamnerais moi-même, et le rétracterais publiquement, en connaissant mes erreurs, s’ils me savaient convaincre d’aucunes d’icelles. Mais au lieu de me dire quel mal il y a en mes écrits, ils les font brûler sans ouïr partie, ni me demander comment j’entends ce que j’ai écrit ; vu qu’un chacun doit expliquer ses propres allégations. Mais sans aucune forme de Justice ou de raison, ces Prédicants poursuivent à la Justice une exécution si cruelle contre une Doctrine si innocente, toute conforme à la Doctrine Évangélique, laquelle ils ne veulent pas suivre, mais la prêcher de bouche seulement, pour porter le nom d’Évangéliques, en détruisant par leurs gloses et leurs actions la substance d’icelle sainte Doctrine. Et puisqu’ils ont fait brûler mes livres pour exterminer cette Doctrine si salutaire de l’Imitation de Jésus Christ, ils devraient par même conséquence avoir fait aussi brûler le Vieux et le Nouveau Testament : puisque tout vient d’une même source ; et que le même Esprit qui a dicté les saintes Écritures est celui même qui me dicte mes écrits, sans aucune différence : comme il est assez à remarquer pour ceux qui les veulent lire diligemment, sans préoccupation d’esprit, et les confronter avec l’Écriture sainte. Car on y trouvera toutes les mêmes choses que Jésus Christ, ses Apôtres et tous les anciens Prophètes ont déclaré depuis le commencement du Monde, avec seulement cette différence que mes écrits sont exprimés avec des termes plus clairs et exprès que ceux de la S. Écriture.
CC. Imputent à crime ce qui est l’effet des promesses de Dieu touchant l’augmentation de ses lumières.
Ce n’est pourtant que je m’estime plus que les anciens Prophètes, que les Apôtres, ou Jésus Christ même ; comme m’accuse faussement notre Burchardus ; mais c’est que nous approchons de l’accomplissement 406 des temps, auquel les Apôtres mêmes ont dit en Esprit Prophétique 407 qu’ils entendront et prophétiseront lors en pleine perfection, et verront clairement ce qu’iceux voyaient lors comme par un miroir obscur. De quoi notre Burchardus se moque, comme si je parlais d’une fable, lorsque je déclare les mêmes paroles que les Apôtres ont déclarées de leur temps.
CCI. Les rejettent à cause qu’elles ne sont pas conformes à ce qu’ont eu leurs Prédécesseurs. Il ne faut se vouer qu’à Jésus Christ.
En quoi on voit l’absurdité de son esprit, et le désir qu’il a de rejeter et mépriser tout ce qui n’est pas conforme à la Doctrine de Luther, laquelle il a voué de maintenir : comme moi j’ai promis de maintenir la Doctrine de Jésus Christ. Ce qui est bien une promesse mieux fondée que de promettre fidélité à la Doctrine d’un Luther, laquelle est sortie d’un homme fragile et pécheur, comme tous les autres hommes, qui peuvent errer et faillir en ce qu’ils croient être le meilleur ; comme véritablement a erré et failli Luther, s’il a enseigné comme enseignent maintenant ses Disciples, qu’il ne faut que croire que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, pour être sauvé. Vu que cette croyance ne peut sauver personne, puisque Jésus Christ leur dit : 408 Soyez mes imitateurs, 409 et qui croit en moi fait les œuvres que j’ai faites. Pour moi je crois en ces paroles que Jésus Christ a dites : mais je ne sais pas ce que Luther a dit, pour n’être pas Luthérienne. Et n’ai aussi jamais su quel sentiment il avait, sinon depuis qu’on m’en a dit quelque chose par hasard : lesquelles choses j’estime lorsqu’elles sont conformes à la Doctrine de Jésus Christ, et non autrement. Encore ne les estimé-je pas à cause que Luther les a dites, mais à cause que Jésus Christ les a dites. Car si Luther a eu quelque Doctrine qui est conforme à la Doctrine Évangélique, et qu’il l’ait suivi ici en la vie et en ses mœurs, ce sera pour lui, et non pour les autres. Mais ce que Jésus Christ a enseigné et pratiqué, ce n’est point pour lui, mais pour tous les hommes qui le voudront imiter et suivre.
CCII. Substance des écrits d’A. B. Elle déplaît aux Prêtres et les confond.
Si bien qu’on doit fortement soutenir la Doctrine de Jésus Christ, au lieu de soutenir la Doctrine de Luther, sur laquelle personne ne peut appuyer son salut, comme un chacun doit faire sur la Doctrine de Jésus Christ ; laquelle j’enseigne par tous mes écrits, qui ne tendent et ne concluent autre chose sinon qu’il faut embrasser la Loi Évangélique, et mettre icelle en pratique pour être des vrais Chrétiens. Ce que ces Prédicants appellent des hérésies et des blasphèmes contre Dieu : à cause que cette pratique confond toutes leurs études : puisque Jésus Christ a dit : 410 Je détruirai la sagesse des Sages, et confondrai la prudence des Prudents. Et alors on dira où est le Sage ? où est l’Écrivain ?
Prêtres, Persécuteurs d’A. Bourignon.
CCIII. Les Prêtres aiment mieux persécuter qu’être confondus par la vérité.
Ce que ces Prédicants veulent maintenant empêcher, et faire que ces passages ne s’accomplissent pas en eux. Et veulent s’établir au lieu d’être détruits en leurs sagesses. Et ils veulent être loués et estimés au lieu d’être confus. Mais le bras puissant de Dieu peut plus édifier qu’iceux ne sauraient détruire. Ils pourraient bien tuer mon corps s’il était en leur puissance, mais ne peuvent détruire la Vérité : vu qu’elle est Dieu, et qu’elle durera éternellement. Quoique ces hommes fassent, ils ne changeront jamais la Vérité. Et lorsqu’ils brûleront les livres qui portent témoignage de la Vérité, les cendres d’iceux voleront plus loin que ne peuvent voler les écrits, pour allumer le désir des hommes à connaître la Vérité. Comme on voit par effet qu’un chacun en ce pays d’Holstein est désireux d’avoir de mes écrits, depuis qu’on les a ainsi persécutés ; là où auparavant cette persécution presque personne n’en avait la connaissance. Par où se voit que le mal confond toujours le malfaiteur. Car si ces Prédicants n’avaient point attaqué ma Doctrine, je ne les aurais jamais touchés : puisque je ne suis point venue pour reprendre personne, mais pour déclarer la Vérité à ceux qui la voudront bien recevoir : et si ces Prédicants ne la voulaient point recevoir, ils la devaient laisser pour ceux à qui elle sera agréable ; sans vouloir tuer ceux qui leur sont envoyés : comme ont fait ceux 411 qui ont tué les anciens Prophètes. Puisqu’un messager ne doit mal avoir de la lettre qu’il porte. Je n’attire personne et ne reprends personne, et ne fais aucun mal : pendant que ces Prédicants me veulent exterminer, et appellent à tout côté la Justice à leur secours pour faire brûler mes livres, et emprisonner ma personne, sans m’en vouloir dire le pourquoi. Ce qui serait insupportable, si je ne voyais ès Actes des Apôtres 412 qu’iceux ont aussi été poursuivis, persécutés, et mis à mort pour avoir dit la Vérité, et enseigné la même Doctrine Évangélique, laquelle j’enseigne ; et que Jésus Christ a si souvent prédit à ses Disciples 413 qu’ils seront persécutes, menés devant les Juges, emprisonnés, et mis à mort pour son nom.
CCIV. Persécution de FLENSBOURG en Holstein.
Ce qui est accompli en pleine perfection en moi et ceux de ma compagnie, puisque l’un de nous a été mis en prison depuis peu en la Ville de FLENSBOURG (par la sollicitation des Prédicants), où il a été mal traité, nourri au pain et à l’eau, les fers aux pieds et mains, et finalement conduit hors de la Ville fort scandaleusement, au milieu des hallebardiers. Et tout cela à cause seulement qu’il avait porté une de mes lettres au Magistrat du dit Flensbourg, lequel ne l’as su convaincre d’aucuns autres maux : pendant qu’ils l’ont ainsi tourmenté et retenu en arrêt environ cinq mois : après lesquels ils ont voulu avoir de lui de l’argent, ou bien disaient qu’ils le laisseraient pourrir en ses misères, comme l’un des Bourgmestres a dit à aucuns de mes amis, qu’ils auraient du Prisonnier la somme demandée, ou qu’ils le laisseraient consumer en ses misères. Voyez un peu, mes Frères Chrétiens, quelle injustice ou quelle persécution ce prisonnier a endurée pour la Justice ! vu que sans avoir fait aucun mal, il est traité comme un criminel. Et lorsqu’il a appelé par devant le Roi de cette injustice, on lui a dit qu’il n’y avait point d’appel en matière criminelle. Et lorsqu’ils ont eu exercé toutes leurs cruautés sur cette personne comme sur un criminel, ils l’ont encore fait mettre dans un trou profond, là où n’y avait point de lumière, avec pieds et mains liés, pour l’obliger à leur donner de l’argent, le tourmentant à ces fins, en disant qu’il demeurerait en ces misères, bien qu’il périrait en icelles, jusqu’à ce qu’il aurait payé la somme qu’ils prétendaient de lui : en le traitant en criminel, afin qu’il ne pût appeler au Roi ; et en après l’ont traité comme en cas civil, pour tirer de l’argent de lui à force de tourments, comme les Voleurs des bois ont coutume de tourmenter les personnes pour avoir leur argent, en les liant quelquefois à des arbres, avec du feu sous les pieds, pour leur faire connaître où est leur argent, afin qu’ils le puissent voler. Ce que je peux bien comparer au procédé de ce Magistrat, et à la cruauté qu’ils ont exercée vers mon ami. Car s’il était criminel (comme ils disent), tous les dépens des criminels se font ex officio ; et pas aux dépens du criminel. Mais ces Magistrats ont taxé ce prisonnier à payer pour ses dépens de bouche, autant par semaine ; et lorsqu’il fut mené en la prison du Bourreau, un marck-lups par jour. Ce qui est contre toutes les règles de droit : vu que les criminels sont toujours entretenus par la bourse commune de la Ville ou du lieu là où ils sont emprisonnés. Et ce n’est qu’en cas Civil que les arrêtés payent leurs dépens ; encore sont-ils entretenus de la Justice, lorsqu’ils se veulent contenter de la portion ordonnée en cas semblable.
CCV. Les Ecclésiastiques agissent autrement que Jésus Christ envers les errants. Résurrection.
Mais toutes ces injustices ne sont point estimées pour péché de ces Prédicants et Magistrats : ce leur est assez qu’ils puissent à l’aveugle se venger de ceux qui parlent Vérité ; et persécuter ceux qui tâchent d’imiter Jésus Christ, et ceux qui ne veulent pas suivre leurs Doctrines. En quoi ils sont bien différents de leur Maître Jésus Christ, lequel a dit (lorsqu’il avait lavé les pieds à ses Apôtres) : 414 Ce que je vous ai fait, faites-le aussi les uns aux autres. Et ils sont encore plus contre le commandement, disant 415 qu’il faut aimer son prochain comme soi-même. Car ils ne voudraient être ainsi maltraités lorsqu’ils se trouveraient parmi les personnes qui font profession d’autre Religion que celle de Luther. Et s’ils voulaient imiter Jésus Christ, ils souffriraient tous ceux qui sont d’autres sentiments que les leurs, et tâcheraient avec 416 douceur de les convaincre d’erreurs, ou de les attirer à la connaissance de la vérité, comme Jésus Christ a fait à l’endroit des Pharisiens, Esséniens, Sadducéens et autres ; lesquels avaient même des sentiments véritablement errants, comme en particulier les Sadducéens, qui ne croyaient point en la résurrection des morts. Ce qui est une Doctrine perverse, pour engendrer toute sorte de maux. Car si les hommes ne croient point qu’ils ressusciteront après la Mort, ils n’ont que faire à connaître un Dieu ; encore moins à le craindre ou aimer ; et seraient comme les bêtes, lesquelles finissent par la mort. Et quoique ces personnes étaient dans des erreurs si abominables, Jésus Christ ne les a pas poursuivies, persécutées, ni fait emprisonner ou mettre à mort : comme nous veulent faire ces Prédicants pour des erreurs imaginaires, qu’ils disent sans fondement qu’il y a dans ma Doctrine.
CCVI. Inhumanité de ces Prêtres de FLENSBOURG.
Par où on peut voir qu’ils sont sans Charité, sans Justice et sans Vérité. Car s’ils avaient tant soit peu de charité, ils ne traiteraient pas mal des personnes innocentes et bien vivantes, comme nous sommes, lesquelles les Prédicants de Flensbourg ont publiquement défendu en leurs sermons à tous leurs sujets de ne loger personne d’entre nous si en cas nous viendrions dans la dite Ville : et ils ont aussi défendu à tous leurs manants d’avoir avec quelqu’un de nous quelque correspondance. En quoi ils découvrent la cruauté de leurs cœurs et leurs impiétés : puisque l’Écriture S. recommande si souvent 417 l’hospitalité ; et qu’elle met pour une œuvre de miséricorde 418 de loger les Pèlerins : et que la Charité Chrétienne oblige d’aider les Étrangers, et de secourir tous ceux qu’on sait être en besoin. Et quelle injustice ne commettent-ils pas en notre regard, de défendre au peuple de nous loger, ou donner quelque secours au besoin ? Vu que nous ne faisons mal à personne, et que ces Prédicants ne sauraient prouver aucune chose mauvaise en nos comportements, ni en notre Doctrine. Et qu’ils sont aussi sans Vérité, lorsqu’ils disent qu’il y a des erreurs, ou des blasphèmes contre Dieu dans mes écrits : puisque je les défie de pouvoir prouver une seule chose mauvaise ès douze livres que j’ai fait imprimer de mes écrits. Je sais bien que notre Burchardus déclare plusieurs choses mauvaises dans le livre qu’il a fait contre moi : mais ce sont tous mensonges et calomnies ; lesquels je prouverai être telles aussi clair que le soleil, lorsqu’on me permettra de lui répondre.
CCVII. Burchardus ne veut ouïr la vérité par malice, et en empêche la publication.
Mais il semble de s’opposer à icelle réponse, vu que je n’ai encore su obtenir de son Altesse Sérénissime la permission de ce faire, quoique je l’aie demandé par un supplicat à là Cour de GOTTORP, sans pouvoir obtenir aucune apostille sur ma requête jusqu’à présent. Ce qui fait bien voir que ledit Burchardus craint que ses mensonges et calomnies ne viennent au jour par ma réponse : pour cela empêche-t-il qu’elle ne se fasse. Car il se vante qu’il a du pouvoir à la dite Cour de Gottorp. Lequel crédit il semble employer pour m’empêcher à lui répondre sur le contenu du livre qu’il a fait imprimer contre moi : ce qui est une grande injustice : puisque lui a bien eu la hardiesse et permission de faire imprimer contre moi des mensonges et des calomnies ; et qu’il veut maintenant empêcher que je ne fasse imprimer contre lui des vérités et des choses bonnes et salutaires, comme celles dont tous mes écrits sont remplis. Par où on peut bien voir que c’est la Vérité que j’avance qui le choque, et non pas des hérésies ou blasphèmes contre Dieu. Comme il veut faire entendre par son livre : vu que personne ne peut être blâmé d’hérésie, sinon celui qui en est convaincu ; et que lui, au lieu de m’en convaincre, ne veut permettre que je die les raisons que j’ai contre ses accusations ; voulant étouffer la vérité du fait pour soutenir le mensonge. Ce qui me semble une noire malice. Car s’il y avait seulement de l’ignorance ou de la fragilité, il serait bien aise que je m’éclaircisse davantage, ou que j’expliquasse mon dire de la façon que je l’entends. Mais il ne veut ni l’un ni l’autre, mais me serrer la bouche pendant qu’il me donne des injures, et qu’il dit du mal de moi en mentant. Et avec toutes ces iniquités il veut encore porter le nom d’un Évangélique, et être honoré pour tel d’un chacun. Ce qui rend notre temps bien dangereux ; puisqu’on ne sait plus là où l’on trouvera la Vérité, tellement est-elle défigurée, qu’on appelle 419 le mal du nom de bien, et le bien du nom de mal ; et qu’on veut tuer ceux qui parlent vérité, et enseignent à pratiquer la Doctrine Évangélique. Là où Jésus Christ n’a point persécuté ni mal traité les hérétiques mêmes en son temps ; mais les a admonestés et convaincus par des vérités Chrétiennes 420 et des sages raisonnements. De quoi ces nouveaux Évangéliques font tout le contraire, et ne veulent pas seulement entendre mes raisons ; quoiqu’iceux n’ont aucune matière pour me convaincre ; et plusieurs disent qu’ils ne peuvent rien contre moi, pendant qu’ils me veulent faire mourir, seulement à cause que je parle Vérité. Ce qui ne serait croyable, si l’expérience ne nous en donnait l’assurance, et si ces Prédicants n’avaient fait publiquement brûler des livres si salutaires, et fait eux-mêmes imprimer des choses si contraires à la Vérité, comme a fait ce Burchardus, lequel s’est (peut-être) imaginé qu’il n’y avait plus nuls bons esprits au Monde pour discerner la Vérité de mes écrits, et pour en porter bon témoignage contre ses mensonges. Et il semble qu’il a cru d’abord qu’un chacun croirait à l’aveugle ses allégations, sans examiner si icelles sont véritables, puisqu’il s’est tant vanté au commencement qu’il me confondrait, même par les S. Écritures. Et quelqu’un de ses amis me fit dire que je ne pouvais rien répondre à son livre ; et si je le voulais faire, qu’il avait de peines bien aiguës pour me donner. Mais depuis que j’ai par un supplicat demandé à ladite Cour de Gottorp la permission de ce faire, en assurant que je montrerai aussi clair que le Soleil que toutes ses allégations ne sont rien que des calomnies et des mensonges, un chacun s’est tu, et Burchardus retient ses livres, en sorte que personne ne les trouve à acheter : et l’on me dit que son Altesse Sérénissime le Duc de Holstein ne veut pas que je dispute avec ses Prédicants en matière de Religion. Ce qui eut été bon d’être dit aussi audit Burchardus auparavant qu’il eut composé son livre. Car pour moi, je ne veux disputer avec personne, pour laisser un chacun libre de dire et de croire ce qui lui plaira, en laissant à Dieu le jugement de toutes choses.
CCVIII. Prêtres font découvrir les Paillardises de la Chrétienté.
Mais il semble que ces Prédicants qui m’attaquent se veulent détruire eux-mêmes, et qu’on pourra bientôt dire : 421 Elle est chue la grande Paillarde, comme S. Jean parle de la Chrétienté en son Apocalypse. Vu que par de si cruelles persécutions je serai contrainte de découvrir beaucoup d’excès de ses paillardises, qui sont les infidélités que les Chrétiens commettent contre la Foi promise à Jésus Christ au Baptême, là où ils ont renoncé au Diable, au Monde et à ses pompes. Pendant qu’on les voit en effet adhérer au Diable, aimer le Monde, et suivre ses pompes et ses vanités. Et tout cela se fait sous un pieux prétexte et espoir de salut éternel. Car à cause que je dis que c’est fausser sa foi à Jésus Christ en ne point pratiquer la Loi Évangélique, on me dit que je rejette par là ses mérites, et son sang épandu pour les hommes.
Mérites de J. Christ, et leur Application.
CCIX. Comment Burchardus et ses semblables méprisent et blasphèment Jésus Christ avec cruauté.
En quoi je peux dire de ces Prédicants, avec plus de Vérité que ce Burchardus dit de moi : que c’est lui qui méprise Jésus Christ, et lui ôte l’honneur qui lui appartient. Car il le veut faire valet de tous les hommes pour porter leurs péchés et la pénitence d’iceux, pendant que les hommes se tiendront en repos et prendront le bon temps. Et ce que ce Burchardus allègue en cette satisfaction de Jésus Christ est un plus grand blasphème contre Dieu que tout ce qu’il dit de juger tel en tous mes livres : puisque Dieu coopérerait assurément aux péchés des hommes (ce qu’il ne peut faire) s’il voulait que son fils Jésus Christ satisfît pour les pécheurs continuants, lorsqu’ils ne se veulent convertir, ni faire aucune pénitence : vu que ce sang de Jésus Christ leur servirait lors de nourriture aux péchés qu’ils ont coutume de commettre ; voire en commettraient encore davantage, en sachant que Jésus Christ portera autant grand nombre de leurs péchés qu’un petit nombre, ils n’auront point de crainte de les multiplier jusqu’à l’infini : comme on voit en effet que les hommes d’à présent multiplient à tout moment davantage leurs péchés sur cette fausse supposition que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, et autant pour beaucoup de péchés que pour peu, sans que les hommes se mettent en peine de satisfaire aucune chose, selon le dire de ces nouveaux Casuistes : lesquels pensent honorer Jésus Christ en le chargeant du fardeau de leurs péchés, et en commettant journellement davantage, à fin que sa charge soit plus pesante à porter : comme un Maître cruel, lequel n’épargne point les peines de son valet, en le chargeant d’autant de faix qu’il peut porter avec douleur et peine. Et cette cruauté et ce mépris de Jésus Christ porte le nom d’honneur fait à Jésus Christ, en disant que c’est lui qui doit porter la peine de nos péchés, et pas nous : comme s’il était vrai que nous serions les Maîtres, et que Jésus Christ serait notre serviteur à gage, en travaillant pendant que nous reposons à l’aise et que lui endure des travaux. Ce qui me semble être un grand mépris fait à Jésus Christ au lieu d’un honneur, comme ces Prédicants veulent faire entendre.
CCX. Doctrine moderne de la Satisfaction n’a ni Vérité ni apparence d’elle.
Mais s’ils disaient que Jésus Christ a souffert pour les péchés que les hommes avaient commis par ignorance lorsque Jésus Christ a pris notre mortalité, ce ne serait point de merveille : vu que les hommes avaient lors entièrement oublié Dieu, pourquoi le Prophète disait de ce temps-là 422 que toute chair avait corrompu ses voies ; et que Jésus Christ survenant en cette ignorance des hommes, il s’aurait offert en sacrifice à son Père Éternel pour la réconciliation des hommes ; il y aurait encore quelque apparence de Vérité et de miséricorde vers iceux, à cause de leur ignorance et de l’aveuglement auquel iceux étaient tombés, duquel Jésus Christ les voulait retirer. Mais de dire (comme disent les Calvinistes à présent dans leur Catéchisme) qu’encore bien qu’on aurait fait tous les péchés du Monde, et qu’on serait encore incliné à toute sorte de maux et péchés, que le sang de Jésus Christ néanmoins nettoie tout ! Sans considérer que l’Apôtre dit expressément 423 que si nous avons péché volontairement après avoir reçu la connaissance de la Vérité, qu’il n’y a plus aucun Sacrifice resté pour nous ; mais une effroyable cruelle punition de feu, qui de son ardeur dévorera le pécheur. Cela est bien loin de ce qu’enseignent ces nouveaux Docteurs : lesquels voient en effet les hommes continuer, voire augmenter leurs péchés journellement, après qu’ils ont connu la Vérité Évangélique, laquelle on leur prêche continuellement, de quoi ils ne peuvent être ignorants ; pendant qu’on les voit volontairement demeurer dans leurs péchés sans en vouloir sortir, à cause qu’on leur fait entendre que le sang de Jésus Christ les nettoiera de toutes leurs souillures : là où l’Apôtre dit qu’il n’y a plus de Sacrifice pour de semblables pécheurs : mais une cruelle punition de Dieu.
CCXI. Leurs subterfuges de belle apparence convaincus de nullité par leurs actions. Leur doctrine nourrit les péchés, et ne dispose à la conversion.
Je sais bien que ces Prédicants, pour colorer leurs allégations, diront qu’il faut que les hommes quittent leurs péchés ; encore bien que ce ne serait qu’en reconnaissance de ce que Jésus Christ a enduré pour eux. Mais ce ne sont que des paroles controuvées, comme tout le reste de leurs allégations. Car on voit en effet les hommes à qui on prêche cette Satisfaction de Jésus Christ vivre pis que les autres, étudier à tromper leurs prochains, être infidèles, et tirer du bien d’autrui autant qu’ils peuvent, par fraudes au poids, à la matière, en la mesure de ce qu’ils vendent ou achètent. On les voit aussi adonnés à l’ivrognerie et à la luxure, et à toute autre sorte de péchés, lorsqu’iceux se peuvent commettre sans la répréhension des hommes. En quoi se découvre assez la fausseté de cette Doctrine, laquelle nourrit plus les hommes dans leurs péchés qu’elle ne les dispose à se convertir à Dieu. Pendant qu’on appelle cela la vraie Doctrine ; et les Prédicants d’icelle, des Évangéliques, lesquels disent, pour mieux soutenir cette dangereuse opinion, que j’ôte l’honneur à Jésus Christ lorsque j’enseigne que les Chrétiens le doivent imiter et suivre ; comme Jésus Christ même a aussi enseigné, en disant : Soyez mes imitateurs.
CCXII. Jésus Christ plus honoré par imitation que par imagination et par péchés à crédit.
Et je voudrais bien demander à toutes gens d’esprit si l’on n’honore point davantage Jésus Christ en prenant notre propre croix pour le suivre qu’en le laissant porter seul sa croix pour nous, pendant que nous reposons à l’aise, en le regardant souffrir ? Et si ce n’est point aussi estimer davantage les mérites de Jésus Christ en croyant qu’il nous a mérité par son intercession auprès de Dieu son Père la grâce de le pouvoir imiter ; que de croire qu’il est obligé à porter nos ordures et les peines de nos péchés, et à payer nos excès par son sang ? Car quel honneur peut revenir à Jésus Christ, de voir les hommes continuer dans leurs péchés, pendant que lui souffre et travaille pour les nettoyer ? Et ce serait une moquerie insupportable, si on faisait cela à une personne qui voulût du bien à une autre en payant les dettes, ou en étant sa caution pour ce qu’il devrait, pendant que cet ami bénéficié commettrait toujours des nouveaux excès, en faisant des nouvelles dettes sur la croyance que son ami, lequel a payé les précédentes, payera aussi les dettes subséquentes. Combien cette ingratitude doit elle être plus insupportable à Dieu, quand les hommes méprisent ainsi le sang et les mérites de Jésus Christ, lorsqu’ils veulent continuer dans leurs péchés, en disant qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ, encore bien qu’ils auraient fait tous les péchés du Monde, et seraient encore inclinés à toute sorte de maux ? Comme on voit en effet que les hommes de maintenant sont, généralement parlant. Car le péché abonde en tout lieu ; et là où qu’on se peut retrouver 424 lorsqu’on demande si la Justice domine ès places où que nous allons, l’on répond partout que non : pendant qu’on prêche en tant d’endroits qu’on sera sauvé par les Mérites de Jésus Christ, lequel néanmoins a dit 425 qu’il faut accomplir toute Justice pour être sauvé. Et ces Prédicants sauvent les hommes sans accomplir aucune justice. En quoi ils contredisent à l’Écriture, et à ce que Jésus Christ même a dit, 426 que rien de souillé n’entrera au Royaume des Cieux.
CCXIII. Burchardus coupable des crimes qu’il impute faussement à A. B. de détruire l’Écriture, mépriser les mérites de Jésus Christ, et blasphémer.
Par où un chacun peut voir que j’ai beaucoup plus de droit de dire que ce Burchardus détruit la Sainte Écriture, et qu’il méprise les mérites et le sang de Jésus Christ, et qu’il blasphème contre Dieu ; que lui n’a de raison de dire cela de moi, comme il dit mensongèrement. Car je le défie de prouver aucune chose dans tous mes écrits, qui contredise à l’Écriture sainte, ou à l’honneur de Dieu et aux mérites de Jésus Christ. Je ne peux empêcher que sa malice ou son ignorance ne dise, comme il fait par son Livre, qu’il y a des hérésies et des blasphèmes contre Dieu, et des choses contraires à l’Écriture Sainte, en mes écrits. Mais il en faut venir aux preuves ; ou du moins fonder son dire sur un bon raisonnement, sans crier comme font les fous en donnant des injures à ceux qui ne font point toutes leurs volontés. Pour moi je prouve mon dire par la Sainte Écriture et par bonnes raisons, en disant : qu’il faut de nécessité imiter Jésus Christ, bien vivre, et garder les commandements pour être sauvé. Car toute l’Écriture, tant le Vieux que le Nouveau Testament, est remplie de promesses de bénédictions de Dieu pour ceux qui feront bien ; et de toutes sortes de malédictions pour ceux qui feront mal : comme la raison même dicte qu’on aura bien en bien faisant, et mal en mal faisant.
CCXIV. Burchardus Sauveur des méchants par Foi imaginaire.
Mais ce Burchardus sauve les méchants aussi bien que les bons par les mérites de Jésus Christ ; afin de flatter les hommes, et les faire continuer dans leurs péchés : et cela sans aucun fondement de l’Écriture, ni fondé même sur une raison naturelle ; sinon sur une sotte imagination de quelque pointilleux esprit, ou quelque adhérant du Diable qui, voulant gagner des âmes à son Maître, en flattant les hommes en leurs péchés, a trouvé cette subtile invention que les hommes seront bien sauvés en continuant en leurs péchés, moyennant de s’imaginer que Jésus Christ a tout satisfait pour eux. Et ont appelé cette tromperie du nom de Foi en Jésus Christ ; en leur disant qu’ils seront sauvés, moyennant d’avoir la Foi en Jésus Christ : ce qui est très véritable, s’ils expliquaient ce que c’est d’avoir la Foi en Jésus Christ. Mais ils laissent le sens de ces paroles ; et font entendre faussement que c’est avoir la Foi en Jésus Christ en s’imaginant qu’il a tout satisfait pour les hommes. Ce qui n’est qu’une Foi spéculative, laquelle ne peut sauver. Car la vraie Foi en Jésus Christ opère les œuvres de la Foi : vu que Jésus Christ même dit : 427 Qui croit en moi fait les œuvres que je fais. Pendant qu’on voit que ceux qui s’appliquent les Mérites de Jésus Christ font leurs œuvres toutes contraires à celles que Jésus Christ a faites. En sorte qu’ils ne vivent point de Foi 428, mais d’une croyance trompeuse, qui les séduit et les fera périr éternellement : puisque l’Apôtre dit 429 qu’il n’y aura plus d’offrande ni de sacrifice pour ceux qui volontairement demeurent en péché après avoir connu la Vérité. Et que Jésus Christ dit aussi 430 qu’il ne se faut point laisser tromper, que les Paillards et les Ivrognes n’entreront point au Royaume des Cieux. Et qu’on voit ici presque toutes les personnes entachées de ces vices, auxquelles on enseigne cependant qu’elles seront sauvées par les Mérites de Jésus Christ. Ce que j’ai plus d’occasion d’appeler du nom d’hérésie que ce Burchardus n’a de raison d’appeler ma Doctrine du nom d’hérésie : vu qu’icelle ne peut errer, en étant conforme à la Doctrine de Jésus Christ et de ses Apôtres, laquelle ils ont eux-mêmes pratiquée : comme j’exhorte aussi les hommes de maintenant à cette pratique.
CCXV. Burchardus Protecteur des transgressions de la Loi de Jésus Christ, et ennemi de ce qui tend à son observation.
Car ce n’est rien de se glorifier en la Loi Évangélique 431 vu qu’on déshonore Dieu, par la transgression d’icelle Loi. Pendant que ce Burchardus ne se contente point de transgresser cette Loi Évangélique, et d’avouer que les autres en fassent de même : mais il me blâme aussi comme si je déshonorais Jésus Christ, et si je méprisais ses mérites, lorsque j’enseigne cette pratique. Pendant que la vérité est que ma foi et ma croyance en Jésus Christ est si grande, que je ne crois point qu’une seule âme puisse être sauvée, sinon par Jésus Christ ; et que lui seul est la Porte de salut ; et que même personne n’a jamais été sauvé que par Jésus Christ avant qu’icelui eut été revêtu de notre mortalité : vu que lui est le seul Fils de Dieu à qui il s’est communiqué et a fait voir ses saintes volontés, lesquelles les hommes doivent observer pour être sauvés.
CCXVI. Qu’il y a une nécessité indispensable d’observer les Lois de Dieu.
Et encore que Jésus Christ n’eût jamais venu converser avec les hommes corrompus, ils eussent néanmoins été tous obligés d’observer la Doctrine de Jésus Christ ; laquelle n’est pas sienne, comme il dit, 432 mais de celui qui l’a envoyé. Car si les hommes ont été de tout temps obligés d’aimer Dieu de tout leur cœur pour être sauvés, ils ne pouvaient être sauvés sans cet AMOUR, non plus avant que Jésus Christ eût pris notre mortalité, que depuis qu’il s’est revêtu d’icelle : vu que cet amour a été toujours nécessaire à salut, et le sera jusqu’à la fin du Monde ; comme S. Paul déclare, en disant 433 qu’encore bien qu’on aurait toutes les vertus, et la foi pour transporter les montagnes ; que cela ne serait rien sans la charité ; c'est-à-dire, sans cet Amour de Dieu. Cela étant véritable, et prouvé par l’Écriture S., comment ces nouveaux Docteurs veulent-ils promettre le salut aux hommes par les mérites de Jésus Christ sans qu’iceux aient l’amour de Dieu, en étant remplis d’amour d’eux-mêmes, et en vivant sans aucune charité ? Comme en effet on voit vivre un chacun de la sorte au temps présent, auquel la charité n’est pas seulement refroidie, mais entièrement morte et évanouie hors des cœurs des hommes. Ce que Jésus Christ leur est venu montrer par sa Loi Évangélique, laquelle enseigne la pauvreté d’esprit, l’humilité de cœur, la renonciation à notre propre volonté, etc., à cause que la convoitise, l’orgueil, et l’amour propre avaient retiré notre cœur de l’Amour de Dieu pour aimer toutes ces choses, et qu’il faut de nécessité retirer notre cœur de toutes ces choses si nous voulons retrouver l’AMOUR DE DIEU : à cause que nos cœurs ne peuvent être divisés en des objets si éloignés l’un de l’autre, comme sont les choses terrestres et passagères, avec un Dieu éternel.
Nécessité d’observer les lois de Dieu.
CCXVII. Jésus Christ venu pour rétablir les Lois de Dieu. Burchardus le tient par blasphème pour coopérateur aux péchés.
Et personne ne savait cela si Jésus Christ ne l’eût point venu engeigner aux hommes, lesquels étaient si ignorants ès choses éternelles, qu’iceux ne les comprenaient non plus que les bêtes ; tant étaient-ils éloignés de la connaissance et de l’Amour de Dieu, qu’ils ne découvraient pas même leurs aveuglements et péchés ; en pensant bien vivre lorsqu’ils cheminaient en l’ombre de la mort, quoiqu’il n’y avait plus rien de sain en toute la Terre. Ce que Dieu a supporté longtemps des hommes, à cause de leur ignorance, de laquelle ayant finalement pitié, il a résolu d’envoyer son Fils bien aimé comme le dernier remède à leurs maux, et le dernier Prophète pour les rappeler de leurs égarements : mais non point pour venir endurer et souffrir la mort pour les laisser continuer en leurs péchés et aveuglements (comme ces nouveaux Docteurs font maintenant entendre par leurs gloses et traditions). Car en ce cas, Dieu eût coopéré aux péchés des hommes en leur envoyant son Fils Jésus Christ pour nettoyer leurs âmes à mesure qu’iceux les souilleraient continuellement de nouveau ; vu qu’autant fait de mal celui qui soutient le mal que celui qui le commet. Ce qui est un blasphème contre Dieu, de dire ou de croire qu’icelui coopérerait en aucune façon au mal. Et à cause que ce Burchardus commet ce blasphème contre Dieu, il m’accuse du même crime duquel il est coupable entièrement, en voulant que Jésus Christ ait venu satisfaire pour les pécheurs continuants, comme font tous ceux qui sont dans cette croyance de la satisfaction de Jésus Christ ; lesquels, se flattant sur leurs fragilités, ne font nuls devoirs pour recouvrer l’AMOUR DE DIEU qu’ils ont perdu ; et par ainsi vivent et meurent dans leurs péchés, et périssent éternellement : vu que 434 rien de souillé n’entrera au Royaume des Cieux.
J. Christ seul Sauveur et Médiateur.
CCXVIII. Burchardus déshonore Jésus Christ, le chargeant des ordures vivantes et continuantes des pécheurs. Jésus Christ seul Sauveur et Médiateur.
Et je peux dire avec vérité (ce que Burchardus dit de moi mensongèrement) que c’est lui qui dérobe l’honneur à Jésus Christ en le voulant charger de toutes les ordures et péchés des hommes, pour laisser iceux plus librement en commettre davantage, sous une fausse espérance des mérites de Jésus Christ : là où que moi je donne à Jésus Christ l’honneur du salut de tous les hommes qui ont été et seront sauvés à l’avenir ; à cause que Jésus Christ est le Sauveur du Monde 435 et le Fils unique de Dieu, auquel il a pris son bon plaisir : comme Dieu disait par une voix intelligible sur le mont de Tabor, lorsque Jésus Christ fut transfiguré en son corps glorieux ; en ajoutant : Écoutez-le : parce qu’il savait précisément et particulièrement la volonté de son Père, 436 et que nuls autres hommes n’ont eu de si particulières communications avec Dieu comme avait Jésus Christ, lequel n’a jamais été un seul moment séparé de cette Divinité. Et partant savait tout ce que les hommes devaient faire et laisser pour être agréables à Dieu. C’est pourquoi qu’un chacun doit écouter Jésus Christ, comme celui à qui les secrets du Père sont communiqués pour les départir aux autres hommes. Et cela a été dès le commencement de la création du Monde que Dieu s’est communiqué aux hommes par le moyen de Jésus Christ : le corps duquel a été né d’Adam à ces fins, comme j’ai encore rapporté ailleurs 437 ; en disant que Dieu se voulant communiquer aux hommes, et prendre avec iceux ses plaisirs, il a voulu prendre un corps humain semblable au corps des hommes ; afin de se faire entendre aux hommes par un organe visible et sensible à leurs natures. Et cet organe de Dieu, par lequel il se communique à l’homme, est le corps de Jésus Christ, auquel seul on peut attribuer l’honneur du salut de tous les hommes qui furent et qui seront sauvés. Et on peut dire avec vérité que personne ne peut être sauvé sinon des vrais Chrétiens : c’est à dire, sinon ceux qui posséderont l’Esprit de Jésus Christ, lequel est l’Esprit du seul vrai Dieu vivant. C’est pourquoi qu’on peut dire avec vérité, comme dit aussi l’Écriture, 438 que personne n’ira au Père que par Jésus Christ. Et il faut que tous les saints Prophètes et Patriarches aient été sauvés par Jésus Christ, à cause que lui seul est toujours demeuré uni inséparablement à sa Divinité ; et partant a toujours connu clairement sa sainte volonté, où Adam et les autres Prophètes et Patriarches ont été défaillants, et parfois séparés de son Amour. Mais Jésus Christ a toujours été en Dieu ; et depuis qu’il est fait homme, toujours uni à sa Divinité, et partant, DIEU ÉTERNEL, ET HOMME DIVINISÉ DEPUIS LE TEMPS DE SA NAISSANCE.
CCXIX. Jésus Christ Dieu et Homme. Nul n’est sauvé que par lui. Burchardus impute par calomnie le contraire à A. B.
Et cette mienne croyance est bien éloignée de la croyance des Sociniens, laquelle notre Burchardus me veut aussi attribuer, comme si je niais la Divinité de Jésus Christ. Et cela vient de ce qu’il a entrepris absolument de dire du mal de moi. Et à cause qu’il ne sait trouver nuls véritables maux ; il faut qu’il en avance des mensongers, comme est celui de dire que je nie la Divinité en Jésus Christ, ou que je lui dérobe l’honneur, en ne voulant attribuer le salut des hommes à ses mérites. Pendant que véritablement, j’attribue à Jésus Christ le salut de tous les hommes en général : vu que c’est par lui seul qu’ils seront sauvés. Il est bien vrai que Dieu a créé tous les hommes à salut avant que Jésus Christ fût ; et partant, qu’il les avait tous sauvés de sa part : mais en les ayant créés libres, ils ont de leur libre volonté perdu ce salut, et par leurs péchés se sont rendus ennemis de Dieu. En sorte qu’il fallait un Médiateur entre Dieu et l’homme pour faire une réconciliation, et pour ramener cet homme en la grâce de son Dieu. Et à cause qu’il n’y avait personne demeuré en la grâce et union avec Dieu d’entre tous les hommes sinon Jésus Christ seul, lequel fut né d’Adam avant son péché et lorsqu’il était encore en l’état de pleine perfection auquel Dieu l’avait créé, il n’a pu tomber dans le péché d’Adam comme firent tout le reste des hommes qui étaient encore en ses reins au temps de son péché. Mais Jésus Christ, en étant sorti, était à soi-même, en jouissant de sa libre volonté indépendante de celle d’Adam. C’est pourquoi qu’il est demeuré seul sans péché d’entre tous les hommes, en ayant du pouvoir auprès de son Père pour procurer la rémission et le pardon des péchés aux autres hommes ; comme il a fait de tout temps par une charité Chrétienne, laquelle est inséparable de l’Amour de Dieu 439, puisqu’icelle est toujours unie à l’amour du prochain. Et c’est par cette charité que Jésus Christ a procuré vers son Père le pardon du péché d’Adam ; et par conséquent c’est par Jésus Christ qu’Adam a été sauvé, et aussi tous les Saints Prophètes et Patriarches. Car c’est par Jésus Christ que Dieu leur a parlé, et donné ses Lois aux hommes : c’est aussi par Jésus Christ que Dieu leur communique encore continuellement ses grâces : à cause que Jésus Christ étant notre Frère, 440 il est aussi notre Médiateur continuel auprès de Dieu, et procure le salut pour tous les hommes. En sorte que je n’attribue pas seulement l’honneur de mon salut à Jésus Christ, mais aussi l’honneur du salut de tous ceux qui sont et seront sauvés. C’est bien loin de lui vouloir dérober cet honneur, comme Burchardus veut faire entendre mensongèrement, en m’inculpant le larcin qu’il commet lui-même ; en faisant Jésus Christ comme le valet qui nettoie les ordures et péchés des hommes.
CCXX. Comment et pourquoi Jésus Christ s’est chargé de nos infirmités.
Il est bien vrai que Jésus Christ s’est chargé de leurs péchés lorsqu’il s’est revêtu de notre mortalité ; vu qu’il n’y a que le péché qui a engendré la mort, à laquelle Jésus Christ s’est volontairement soumis. Et qu’il a porté aussi les peines de nos péchés, endurant le froid, le chaud, la faim, la soif, les travaux et lassitudes : lesquelles choses sont survenues à l’homme en pénitence de ses péchés. Car auparavant icelui, l’homme était en toute sorte de délices, sans aucunes incommodités. Et Jésus Christ, comme n’ayant point péché, ne devait par conséquent porter les peines dues à icelui : mais par 441 l’amour qu’il nous portait, il s’est volontairement soumis à tous ces maux sans les avoir mérités : 442 pour nous donner exemple, et nous encourager à les porter volontairement 443 pour satisfaire à la Justice de Dieu ; et afin de nous montrer ce que peut faire la fragilité de l’homme depuis son péché. Car Jésus Christ s’est fait véritablement homme fragile comme nous, en se revêtant de notre mortalité, et a senti en sa chair la même faiblesse que ressentent tous les autres hommes ; ce qui paraît assez ès Écritures. Car il appréhendait d’être emprisonné ; et pour ce sujet il fuyait ses ennemis. Il a même eu tant d’appréhension de la mort au Jardin des olives, 444 qu’il en sua sang et eau 445 ; il a souvent pleuré, et dit à son Père 446 que s’il est possible, que ce calice passe de moi. Il a crié après son Père comme doutant en la Foi, lorsqu’il disait : 447 Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? Et a même dit 448 qu’il avait soif, un peu avant sa mort. Toutes lesquelles choses témoignent assez que Jésus Christ a porté nos langueurs et les misères dues à nos péchés : et qu’il a été véritablement homme mortel comme nous ; et par conséquent qu’il connaît 449 très bien notre fragilité et les misères que le péché a apportées en notre nature humaine, pour les avoir lui-même expérimentées en son propre corps.
Nécessité des bonnes œuvres.
CCXXI. La fragilité des hommes les oblige à faire la Loi de Dieu.
C’est pourquoi qu’il ne se faut point flatter, en disant que nous sommes trop fragiles pour observer la Loi Évangélique : vu qu’icelle nous est donnée seulement à cause de notre fragilité. Car Dieu ni Jésus Christ n’ont que faire de nos œuvres ; ils veulent seulement notre Amour : mais la faiblesse de l’homme a besoin de ces œuvres pour arriver à cet AMOUR, après que nous l’avons abandonné. Et sans ces œuvres tous hommes vont périssant ; depuis qu’ils ont perdu cette charité ils ont perdu la grâce de Dieu et leur salut ; et ils ont nécessairement besoin de ces moyens de la Loi Évangélique pour retourner en cet Amour. C’est pourquoi que les hommes se trompent grandement lorsqu’ils disent être trop fragiles pour observer la Loi Évangélique : vu que Jésus Christ leur a apporté icelle comme une aide et 450 un remède à leurs fragilités, et point comme une charge à leurs misères, comme les ignorants s’imaginent.
CCXXII. Les œuvres de la Loi sauvent comme moyen.
Il est bien vrai 451 qu’on ne sera point sauvé (directement) par les œuvres de la Loi, comme dit l’Apôtre ; mais indirectement. Ce seront les œuvres de la Loi qui ramènent les hommes au salut, lequel leurs péchés leur avaient fait perdre. Vu qu’on ne peut arriver à aucune fin sans moyens. Car si nous voulons passer la Mer, il se faut nécessairement servir de barque ou de quelque ponton qui nous porte : et si nous voulons arriver au port de salut, il faut aussi de nécessité user de la barque des commandements de Dieu, ou du ponton de la Loi Évangélique, avec lesquelles Lois nous pouvons passer la Mer orageuse de ce Monde. Mais lorsque ne voulons pas entrer dans cette barque ou ponton, en disant que nous en sommes effrayés ou trop fragiles pour nous embarquer en ces moyens, il faut de nécessité que nous submergions en cette Mer de péchés, lesquels ont maintenant englouti presque tous les hommes, à faute qu’ils se sont imaginé être trop fragiles pour observer les commandements de Dieu ou la Loi Évangélique, depuis qu’on a prêché publiquement au Peuple qu’il est impossible à la fragilité des hommes qu’iceux observent ces Lois ; en leur apportant pour exemple qu’un David, un Salomon, et tant d’autres Saints personnages, n’ont pas su observer ces Lois ; et qu’ils les ont quelquefois transgressées.
CCXXIII. Les méchants protègent leur impiété par les chutes des Saints.
Ne voilà point une belle conséquence pour prouver que les hommes ne peuvent garder ces Lois ? à cause qu’aucuns amis de Dieu les ont quelquefois transgressées ; lesquels par quelque surprise de tentation sont tombés en quelques fautes : pour lesquelles néanmoins ils ont pleuré et fait longue pénitence, comme on lit de David, lequel 452 lavait sa couche de larmes de pénitence ; et s’est lamenté tout le temps de la vie à cause de ses péchés. Ce qu’on va maintenant comparant avec des hommes vicieux, lesquels volontairement demeurent en leurs péchés sans repentance ou amendement, et cela pour l’amour qu’ils portent à eux-mêmes, et pour l’affection qu’ils ont aux vices. Et on compare cette disposition aux saints Personnages (lesquels par pure fragilité sont tombés quelquefois en péché), afin de fortifier le méchant impénitent en ses vices, et l’empêcher qu’il ne prenne pas les moyens pour sortir d’iceux, qui sont les commandements, lesquels on leur dit être impossibles d’être observés par les hommes fragiles : afin qu’iceux ne fassent nuls devoirs pour recouvrer l’Amour de Dieu qu’ils ont perdu ; et par conséquent qu’ils continuent en leurs péchés et meurent impénitents !
CCXXIV. Doctrine d’A. B. ne peut être Diabolique, comme celle de Burchardus en ce cas.
Ne pourrais-je pas dire de cette Doctrine qu’elle est Diabolique, avec plus de Vérité que ce Burchardus dit que ma Doctrine est Diabolique ? Puisque la sienne retire les hommes de l’observance des commandements de Dieu et de la Loi Évangélique ; au lieu que ma Doctrine les attire à cette observance, et à suivre Jésus Christ selon leur pouvoir. Et je voudrais bien que ce Burchardus me nommât quel Diable a jamais enseigné qu’il faut garder les commandements de Dieu et la Loi Évangélique, pour prouver que cette Doctrine est Diabolique. Car pour moi je lui prouverai bien que le Diable induit toujours les hommes à demeurer en leurs péchés, et à jamais se convertir, ni faire de pénitence ; afin qu’il les puisse avoir à la fin avec lui ès enfers : puisqu’il est ennemi du salut de leurs âmes, et qu’il tâche toujours de les tenter pour les faire pécher, et encore plus pour les faire demeurer en péchés sans pénitence, en leur faisant espérer leur salut sans bonnes œuvres. Ce qui est une présomption, et un des péchés contre le Saint Esprit, lesquels péchés 453 ne seront pardonnés en ce Monde ni en l’autre, selon qu’en parle l’Écriture, en appelant l’un de ces péchés : présomption d’être sauvé sans bonnes œuvres 454. Pendant qu’on entend ces Prédicants mépriser les bonnes œuvres, en disant que c’est se justifier soi-même de faire des bonnes œuvres pour être sauvé.
CCXXV. Doctrine et Pratique des Saints opposées à la moderne.
Voyez un peu, mes Frères Chrétiens, quel beau masque d’humilité l’on donne au vice et à la négligence spirituelle ! L’Apôtre dit 455 qu’il faut opérer notre salut avec crainte et tremblement ; et ces personnes disent que c’est une présomption de faire bonnes œuvres pour opérer son salut ! À qui doit-on maintenant croire, à ces Prédicants, ou à ce S. Apôtre de Jésus Christ, lequel ne parle que de pénitence, et dit 456 d’avoir lui-même châtié son corps, afin de le réduire en servitude, afin qu’en ayant prêché les autres, il ne soit lui-même réprouvé ? Pendant qu’il n’y a personne à qui les Mérites de Jésus Christ doivent mieux être appliqués pour sauver les hommes par le moyen d’iceux qu’à ses S. Apôtres, lesquels ont quitté tout ce qu’ils possédaient pour suivre Jésus Christ ; et partant sont bien les plus proches pour être sauvés par le sang de Jésus Christ, s’il y avait un salut à espérer de la sorte que ces Prédicants enseignent maintenant. Et il aurait été superflu aux Apôtres et Disciples de Jésus Christ de tant peiner et travailler, de châtier leur chair, d’endurer les persécutions, les prisons et la Mort, si Jésus Christ avait tout satisfait pour eux comme ces ignorants enseignent maintenant. Ce qui ôte véritablement l’honneur à Jésus Christ : comme Burchardus dit que c’est moi qui ôte l’honneur à Jésus Christ, en disant qu’il n’a point satisfait pour les pécheurs persévérants en leurs péchés, vu qu’iceux 457 le crucifient de nouveau en continuant en leurs malices : avec cette différence que les Juifs ont crucifié Jésus Christ 458 par ignorance, où les Chrétiens de maintenant le crucifient après avoir connu la vérité.
CCXXVI. Chrétiens pèchent contre la vérité connue. Sacrifice et salut, pour qui.
C’est pourquoi qu’iceux ne doivent pas attendre (comme dit l’Apôtre) que Jésus Christ s’est offert en sacrifice pour eux : vu 459 qu’il n’y a plus de sacrifice à offrir pour ceux qui pèchent depuis avoir connu la vérité, mais une cruelle punition de feu, qui les dévorera. Mais que les Juifs aient péché par ignorance en mettant à mort Jésus Christ, il le déclare en étant sur la croix, lorsqu’il dit : 460 Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu’ils font. Mais les Chrétiens ne peuvent demeurer en cette ignorance depuis que Jésus Christ leur a donné sa Loi Évangélique comme une règle pour les conduire à l’Amour de Dieu. Laquelle règle ces nouveaux Docteurs ne veulent pas observer : Impugnant par ainsi la vérité connue ; ce qui est aussi un des péchés contre le S. Esprit, que l’Apôtre déclare entre les autres 461 d’impugner la vérité connue. Or tous les Chrétiens connaissent la Loi Évangélique, et presque personne ne veut observer cette Loi. En sorte qu’ils ne pèchent par ignorance, mais contre leur connaissance, et après avoir connu la vérité Évangélique que Jésus Christ leur est venu apporter. C’est pourquoi qu’iceux ne doivent point attendre que c’est pour eux que Jésus Christ s’est offert en sacrifice à son Père céleste, lorsqu’ils veulent demeurer dans leurs péchés ; mais pour ceux qui ont eu péché par ignorance, et avant que Jésus Christ se fût revêtu de notre mortalité. Car les hommes avaient lors tout à fait perdu la connaissance de Dieu, et ne connaissaient point même leurs péchés : mais depuis que Jésus Christ a conversé avec les hommes, et leur a montré par ses œuvres et paroles ce qu’ils doivent faire et laisser, il n’y a plus de sacrifice à offrir pour eux : à cause qu’ils ne peuvent plus avoir d’ignorance ; et ils seront assurément punis par le feu, s’ils ne se convertissent à pénitence en embrassant la Loi Évangélique qu’il nous a délaissée par écrit en perpétuelle mémoire aux Chrétiens, lesquels ne peuvent être sauvés sans l’observance d’icelle Loi, non plus qu’aucuns autres. Car encore bien que les Turcs, Païens, et autres n’aient pas connaissance de la Loi Évangélique selon la lettre, ils la doivent néanmoins observer en effet s’ils veulent être sauvés. Et nuls Prophètes, Patriarches et autres n’ont pu être sauvés sans l’observance de cette Loi : puisqu’elle est l’unique moyen qui mène à salut.
CCXXVII. Leur obligation à bien faire.
En sorte que ce n’est point assez de porter le nom de Chrétiens si avec ce on n’observe les œuvres d’un Chrétien, comme Jésus Christ leur a enseigné de fait et de paroles. C’est ce que l’Écriture déclare aussi, en disant : 462 Si vous êtes des enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. Ainsi celui qui se dit enfant de Jésus Christ doit faire les œuvres de Jésus Christ, et 463 cheminer en ce Monde comme il a cheminé, ou autrement le nom de Chrétien qu’il porte lui servira de plus grande condamnation. Car en se pensant glorifier en la Loi et la Doctrine de Jésus Christ, on le déshonore par la transgression d’icelle Loi, en péchant contre son savoir, après avoir connu la vérité Évangélique. Car si les Païens doivent observer en substance cette Loi pour être sauvés, combien davantage la doivent observer les Chrétiens ? lesquels en ont si particulière connaissance par une faveur et particulière miséricorde de Dieu, lequel a envoyé sa Lumière de Vérité aux hommes par Jésus Christ pour les rappeler de leurs égarements, et délivrer de leurs ignorances, pour lesquelles Jésus Christ a satisfait ; mais non pour les pécheurs endurcis qui volontairement pèchent contre la lumière que Dieu leur a donnée ? Car l’Écriture admoneste fort les hommes, en leur disant : 464 Si vous avez entendu la voix du Seigneur, n’endurcissez point votre cœur.
CCXXVIII. Leur endurcissement, causé par leurs Conducteurs.
Mais on voit à présent les cœurs des Chrétiens si endurcis que rien ne les amollit. On voit que le Monde est à sa fin, que les fléaux de Dieu s’avancent d’un côté par les guerres, d’autre côté par la peste, le feu tombe du Ciel, la Mer donne du sang, et tant d’autres signes, même extérieurs. Et surtout, on voit que la Charité est refroidie, comme Jésus Christ 465 a prédit qu’elle sera ès derniers temps. Et tout cela ne touche pas le cœur du Chrétien : il demeure persévérant en ses péchés, voire les augmente journellement, sans aucune apparence de conversion ou pénitence, à cause que ces Conducteurs ne prêchent point la pénitence, comme Jean Baptiste : mais notre Burchardus dit expressément en son livre que faire pénitence n’est autre chose que connaître sa fragilité : pour avec de semblables frivoles amuser le peuple, et le faire mourir impénitent.
CCXXIX. Pénitence Chimérique.
Car quelle apparence y a-t-il que dire qu’on est fragile serait faire pénitence ? vu que cela n’est nullement pénible ; mais donne plutôt de la satisfaction à la nature, laquelle demeure plus à repos dans ses péchés lorsqu’elle s’imagine être trop fragile pour les amender. Car autrement elle serait tourmentée de remords et de bourrellement de conscience, lesquels ont fait plusieurs pécheurs retourner à Dieu en craignant l’enfer et les peines éternelles dues à leurs péchés : ce qui doit plutôt être appelé pénitence que de connaître sa fragilité. Car PÉNITENCE signifie CHOSE PÉNIBLE, comme le terme même l’explique. Mais ces flatteurs des hommes tordent les paroles mêmes de l’Écriture à leurs avantages. Et à cause qu’iceux ne veulent pas faire de pénitence, ils donnent le nom de pénitence à des choses lesquelles apportent de la satisfaction aux sens corrompus de la Nature, comme est celle de s’imaginer d’être trop fragile pour faire pénitence. Là où Jésus Christ (lequel connaît plus que personne la fragilité des hommes) leur a dit clairement : 466 Si vous ne faites pénitence vous périrez tous.
Persécutions d’Anthoinette Bourignon, particulièrement à Flensbourg.
CCXXX. A. B. persécutée et calomniée par les Prêtres, comme J. Christ.
Et parce que je dis maintenant le même, on me veut faire mourir ; et on a brûlé mes livres à Flensbourg par le Bourreau, à cause qu’iceux traitent de cette pénitence, en disant (contre vérité) que ce sont des hérésies et des blasphèmes contre Dieu. En quoi ces Conducteurs aveugles font tout de même à l’endroit de la Vérité comme ont fait ci-devant les Conducteurs du peuple Juif à l’endroit de Jésus Christ qui leur apportait la lumière de vérité : car ils disaient 467 qu’il venait détruire la Loi de Dieu, 468 et était un Séducteur de peuple, 469 qu’il enseignait une nouvelle Doctrine, 470 et se disait le Fils de Dieu, lui qui était homme mortel comme les Autres. Et par ces faux donner-à-entendre, ils ont pendu Jésus Christ au gibet de la Croix ; et ont pensé en ce faisant maintenir leurs états et réputations : quoiqu’en effet ils les ont entièrement détruits et ruinés pour ce sujet, et ont aussi été abandonnés de Dieu à la malédiction : comme on voit ce peuple Juif encor aujourd’hui rejeté et méprisé d’un chacun, outre ce que Dieu les a 471 abandonnés à l’Esprit d’erreur et de confusion. Or, ne doit-on pas craindre qu’il en arrivera maintenant de même à ces Conducteurs du peuple, qui méprisent la Vérité, et ne veulent pas souffrir qu’elle paraisse en public ? Car Burchardus a tant sollicité à la Cour de Gottorp, qu’icelle enfin m’a défendu de publier mes écrits et de les imprimer, sans me dire pour quelle raison cela s’est fait ; et bien que je l’aie demandé, et demande encore à présent, je ne le peux savoir, et partant je ne me peux défendre contre les fausses accusations qu’on peut avoir faites contre moi ou mes écrits. Et je dois seulement souffrir comme un agneau entre les mains du boucher sans dire mot, tout de même que Jésus Christ a souffert la mort sans coulpe ; et on me veut aussi maintenant faire souffrir la mort pour avoir dit la Vérité, et déclaré les secrets divins que Dieu me communique ; ce qu’on appelle des hérésies et des blasphèmes contre Dieu.
CCXXXI. Parallèle des anciens Persécuteurs de Jésus Christ avec les nouveaux Persécuteurs de ses Envoyés.
Et ces Prédicants prêchent en divers endroits que ce sont des Doctrines Diaboliques ; comme on disait aussi de Jésus Christ 472 qu’il faisait ses œuvres par la vertu du Diable. En quoi je vois une conformité sans aucune différence : vu que ces Prédicants agissent tout de même contre l’Esprit de Jésus Christ maintenant, comme les Prêtres Juifs ont agi contre son corps. Car ils disent que c’est l’Esprit du Diable qui m’a envoyée ici, et qui me fait écrire les choses que je dis par mes livres. Ils disent aussi que ce sont des hérésies, sans considérer ce que j’ai déduit ci-dessus, QU’UNE HÉRÉSIE EST UNE CHOSE QUI RETIRE L’HOMME DE L’AMOUR DE DIEU : là où mes écrits attirent les hommes à cet Amour, et montrent les moyens pour y arriver. Et ils disent qu’il y a en mes écrits des blasphèmes contre Dieu ; là où il n’y a que des choses qui honorent Dieu en tout point : en montrant sa Toute-puissance, sa Justice, sa Miséricorde, sa Bonté, sa Vérité, et autres qualités essentielles, qui se retrouvent en Dieu, plus que personne n’a jamais montré. Et je voudrais bien que cet Historien Burchardus visitât encore ses histoires, pour voir s’il trouvera bien un Auteur lequel ait parlé si hautement et distinctement de la Divinité, et d’un seul Dieu en trois personnes, comme parlent mes écrits. Et si aucuns Auteurs ont plus confirmé la Divinité en Jésus Christ, que je confirme. Pendant qu’il me faut endurer que ce Burchardus crie par son Livre que je dénie la Sainte Trinité, et la Divinité en Jésus Christ. De quoi il me faut avoir patience, et le laisser crier comme on laisse crier les fous après ceux qu’ils haïssent. Car tous bons Esprits jugeront bien, en lisant mes écrits, qu’il n’est qu’un Menteur, et qu’il allègue des choses fausses contre moi, pour souler l’envie qu’il me porte : comme ces Juifs disaient par envie de Jésus Christ qu’il venait détruire la Loi de Dieu.
CCXXXII. A. B. écrit par inspiration du S. Esprit pour le rétablissement de l’Église.
Car ce Burchardus dit que j’ai comme ramassé en mes écrits toutes les vieilles hérésies. Et les trois Prédicants de Husum écrivent que comme une Truie Sauvage, je viens détruire tout le jardin de l’Église. Quoique véritablement je n’écris autre choie sinon ce que le S. Esprit me dicte, lequel veut maintenant rétablir son Église par les lumières divines desquelles il la veut éclairer. En sorte que ces Prédicants diraient vérité s’ils disaient que je viens détruire toutes les vieilles hérésies, comme feu Monsieur de Cort m’a souvent dit au commencement que je l’ai connu, en m’assurant que toutes les anciennes hérésies qu’il avait jamais lues étaient détruites par la Vérité de mes écrits. Et il pouvait mieux juger de cela que moi, qui n’ai jamais lu d’aucune sorte d’hérésie. Et je sais seulement de la part de Dieu en général QU’UNE HÉRÉSIE EST UNE CHOSE QUI RETIRE OU RETRANCHE LES HOMMES DE L’AMOUR DE DIEU. De quoi je suis bien éloignée. Car je donnerais bien ma vie si par icelle je pouvais amener tous les hommes à cet Amour de Dieu, ou si je pouvais aider à rétablir l’Église en son premier état, comme elle était au temps des Apôtres. Cela est bien loin de la vouloir détruire comme ferait une Truie sauvage un très beau jardin, selon que posent ces Prédicants de Husum fort mal-à-propos, et avec moins de raison que ces Pharisiens disaient de Jésus Christ qu’il venait détruire la Loi de Dieu : vu qu’icelui semblait leur apporter une nouvelle Loi contredisant en diverses choses à la Loi qu’ils avaient reçue par Moïse.
CCXXXIII. Prétextes des Pharisiens anciens contre J. Christ ont plus d’apparence que ceux des Pharisiens nouveaux contre A. Bourignon.
Car ils ont souvent reproché à Jésus Christ et à ses Apôtres qu’ils transgressaient la Loi de Dieu : comme lorsque Jésus Christ fit voir l’aveugle-né par le moyen de la boue, ils disaient 473 qu’il avait violé le Sabbath. Comme aussi 474 en la guérison de l’homme paralytique, qui se fit un jour de Sabbath ; ou quand Jésus Christ arraisonna la femme de Samarie, elle dit à Jésus Christ 475 que les Juifs n’avaient point de communion avec les Samaritains. Et ces Pharisiens reprochaient aussi à Jésus Christ 476 que ses Apôtres mangeaient sans laver les mains, et qu’ils cueillaient des épis de blé au jour du Sabbath. Car en effet la Doctrine de Jésus Christ contredisait à la Loi de Dieu, laquelle avait défendu aux Juifs de ne pas manger de plusieurs sortes de viandes ; là où Jésus Christ disait à ses Apôtres en les envoyant prêcher : 477 Mangez tout ce qu’on vous mettra au-devant. Et 478 ce qui entre en la bouche ne souille pas l’âme. D’où se voit que Jésus Christ disait et faisait des choses contre la Loi écrite : là où moi je ne dis rien contre l’Écriture ou la Doctrine de Jésus Christ : mais je ratifie et éclaircis icelle, pour la fortifier davantage. Et je proteste (comme autrefois) que je ne veux rien enseigner par tous mes écrits, sinon la pratique de la Doctrine Évangélique, sans aucune nouveauté. Ce qui ne peut détruire l’Église (comme ces Prédicants disent), mais l’édifier ou réparer de nouveau.
CCXXXIV. Persécution d’A. B. et des siens à la sollicitation des Prédicants de FLENSBOURG.
Mais je ne peux empêcher que ces Prédicants ne disent à tort quelque chose de moi ; vu que Jésus Christ même n’a point empêché qu’on dît le même de lui ; et qu’on l’appelât Séducteur du Peuple ; comme ces Prédicants de Flensbourg disent aussi de moi (qu’ils ont servi à la Justice et au Roi même) que je venais en ladite Ville de Flensbourg, avec des livres remplis d’hérésies et de blasphèmes contre Dieu, pour séduire le Peuple par de nouvelles Doctrines, qu’ils appellent Diaboliques, sans qu’ils aient considéré que l’Écriture dit 479 que la langue qui ment tue son âme. Ils ont menti effrontément au Roi et à la Justice : car je ne veux séduire personne, et n’apporte de nouvelle Doctrine, sinon celle qui vient du S. Esprit, et pas du Diable, comme ils disent : puisque ma Doctrine est toute conforme à celle de Jésus Christ, lequel est Dieu et homme, et non un Diable, pour être Diabolique ce qu’il nous a enseigné, non plus que ce que j’enseigne, qui est toute la même chose, sortie d’un même Esprit, avec cette différence néanmoins que Jésus Christ était envoyé en ce Monde pour attirer le peuple à soi, afin de le conduire à son Père ; là où moi, je ne suis envoyée pour attirer personne : à cause que la Doctrine Évangélique est maintenant assez connue par toute la Chrétienté ; et qu’il ne faut point enseigner un nouvel Évangile, ni donner aux hommes de nouvelles Lois, puisque la Loi Évangélique est la dernière que Dieu donnera aux hommes. Pour cela disait Jésus Christ 480 qu’il était venu à la dernière heure : puisqu’il n’y aura plus d’autre Évangile que celui de Jésus Christ. C’est pourquoi que l’Apôtre disait à ses Disciples : 481 Si quelqu’un vous enseigne un autre Évangile que celui que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème, encore qu’il serait un Ange du Ciel. Lequel passage ce Burchardus me veut aussi appliquer, comme si je voulais enseigner un autre Évangile ; en ne sachant trouver rien de mauvais en moi il faut qu’il invente des maux mensongers, et qu’il m’applique les Écritures d’un sens tout renversé, comme il a fait souvent en son livre.
CCXXXV. Écrits et Conduite d’A. Bourignon.
Car s’il tenait le vrai sens, un chacun verrait que mes écrits sont une nouvelle Écriture que Dieu envoie aux hommes pour sa dernière miséricorde ; et que c’est l’Évangile même, expliqué par des termes plus clairs et précis que les Évangélistes n’ont écrit la première fois ledit Évangile, lequel ne peut jamais changer : 482 car Dieu hier et aujourd’hui est le même. Et je ne peux séduire le peuple en enseignant qu’il doit mettre en pratique les mêmes choses que Jésus Christ et ses Apôtres ont enseignées aux Chrétiens. Aussi ne prends-je pas les moyens pour séduire le peuple : puisque je ne converse avec personne ; et je me tiens solitaire, quelquefois enserrée dans une chambre sans en sortir l’espace d’un an entier : à cause que je ne suis pas envoyée de Dieu pour prêcher ou attirer les hommes à moi, vu que je les fuis à mon possible, et rejette souvent ceux qui me veulent suivre ; comme j’ai rejeté plusieurs personnes Luthériennes de celles qui se sont venues présenter à nos frères pour être de leur compagnie : lesquelles étaient émues d’abandonner le Monde par la lecture d’aucuns de mes écrits, qui ont été semés par les villes et villages d’Holstein et Danemark depuis que ces Prédicants les ont pensé décréditer, ou donner en pillage comme un butin que les larrons ont fait en quelque bois. Lesquels écrits ont fait tant d’opérations en l’âme des personnes de ce Pays, que plusieurs se sont venus présenter pour prendre la Doctrine que j’enseigne. Mais je les ai toutes refusées, en les exhortant à suivre la Doctrine de Jésus Christ qu’ils lisent dans l’Évangile ; et qu’en ce faisant, ils suivront aussi ma Doctrine assurément.
CCXXXVI. Impostures des Prêtres de FLENSBOURG.
C’est pourquoi que ces Prédicants de FLENSBOURG ont grand tort de dire que j’étais allée à Flensbourg pour séduire leur peuple ; voire pour les attirer à la Religion Catholique ; comme ils ont dit mensongèrement ; vu que je n’ai fait connaissance avec personne de Flensbourg en trois semaines que j’ai resté en ladite Ville, pour m’y avoir tenu le plus secrètement que j’ai pu ; n’ayant pas seulement fait connaissance avec la femme du logis auquel j’étais, laquelle a déposé par devant la Justice qu’elle ne m’avait vu qu’en passant ; et bien qu’elle me verrait devant soi, qu’elle ne me connaîtrait pas. Et tous les voisins avec ceux du logis ont déposé dans la même information (là tenue contre moi) qu’ils n’ont jamais vu personne venir auprès de moi, sinon quelque charretier ou garçon pour m’apporter des lettres. Par où on peut découvrir l’imposture de ces Prédicants, et comment qu’ils ne se hontissent pas de mentir pour arriver à leurs prétentes ; en faisant entendre que j’étais là venue pour attirer le peuple à moi, et leur mettre en main mes livres. Car si cela eût été vrai, je les aurais montrés à quelqu’un et en particulier à ceux du logis où j’étais. Et j’aurais aussi entretenu les personnes de discours de Religion, ou de choses spirituelles. Mais personne ne peut dire avec vérité que j’aie là fait connaissance avec une seule personne, ni montré mes livres à aucunes ; et ne les avais pas aussi apportés avec moi à Flensbourg, mais les ai trouvés au même lieu, d’une personne qui avait été curieuse de les voir et les avait fait venir de Husum : mais entendant que ces Prédicants étaient si contraires à cette Doctrine, il les avait renvoyés en mon logis, afin que je les prisse avec moi à Husum, comme j’avais intention de faire. Mais comme je partis hâtivement, je laissai le peu de bagage à la Veuve qui m’accompagnait, afin qu’icelle le prît avec elle, si en cas je ne retournais plus là.
CCXXXVII. Procédé du Magistrat de Flensbourg vers A. Bourignon, et d’elle envers eux.
Mais ces Prédicants importunèrent tellement le Magistrat de Flensbourg, qu’icelui vint en commission fureter mon bagage, ouvrir mon coffre, et y prirent ce que bon leur semblait ; et en trouvant quelque translats de mes écrits, lesquels ne m’appartenaient, ils les prirent aussi, et aucuns autres livres que les Disciples de Labadie avaient composés contre moi, avec six de mes livres intitulés LE TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, et prirent encore un d’iceux à la Veuve qui m’avait accompagnée, laquelle avait acheté ledit livre avec son labeur et travail, parce que la femme n’est pas riche, quoiqu’honnête. Ces Messieurs ont tout emporté ces choses, sans que je puisse savoir le sujet. Et lorsque cela me fut rapporté, j’écrivis une lettre au Magistrat dudit Flensbourg, lequel avait été exécuteur de cet exploit par la sollicitation de leurs Prédicants, par laquelle lettre je me plaignais grandement du tort qu’ils m’avaient fait, de prendre ainsi mes biens en mon absence, sans avoir aucun droit de ce faire. Car je n’étais point leur manante, devant qui j’étais traitable ; et je ne devais rien à personne, pour appréhender ainsi mes biens : et étais encore moins criminelle, pour être maltraitée en forme de Justice. En sorte que je disais en ma lettre qu’ils m’avaient pris mes biens fort mal à propos ; et que si des voleurs m’en avaient fait autant sur leur Juridiction, qu’ils auraient été obligés de les punir et châtier : concluant, partant, qu’ils me devaient rendre ce qu’ils avaient pris de mon bagage, sans me contraindre à m’en plaindre au Roi. Mais au lieu de vouloir réparer leur faute, ils l’ont empirée de beaucoup ; et ont arrêté le porteur de ma dite lettre environ cinq mois en ladite Ville ; l’ont emprisonné et maltraité ; mis les fers aux mains et aux pieds ; le fait nourrir au pain et à l’eau ; et finalement ont fait brûler ma dite lettre par leur bourreau au marché dudit Flensbourg, sans que moi ni le porteur d’icelle en ayons su le pourquoi ; sinon qu’ils disaient en général qu’icelle lettre leur était injurieuse ; et autrefois disaient qu’elle était un écrit diffamatoire. Quoique dans ma lettre j’avais écrit le lieu là où ils pourraient adresser leur réponse, s’ils avaient quelque chose à me répliquer. Et lorsque j’entendis que le porteur de ma dite lettre était par eux arrêté pour ce sujet, je leur écrivis une seconde lettre, par laquelle je les priais de laisser libre ledit porteur qui n’avait rien mal-fait à la porter : mais si le contenu d’icelle lettre était répréhensible, que j’en étais l’autrice, et que je la défendrais : vu que je n’avais rien dit que la Vérité du fait, et que je l’avais seule dictée, et qu’ils ne se devaient pas prendre à d’autre qu’à moi seule. Mais leurs passions ont été si furieuses, qu’ils n’ont voulu entendre aucunes raisons ; et sont allés avant à l’exécution de faire brûler lesdits livres sans ouïr partie sur ces faux rapports, soutenant que j’étais allée à Flensbourg pour séduire et attirer le peuple. Comme s’ils n’attendaient pas le Juge qui les doit juger en équité, et condamner leurs injustices. Encore ont-ils bien montré en effet qu’ils estiment beaucoup lesdits livres : puisque de sept qu’ils en ont emporté de mon logis, ils en ont gardé les cinq, et en ont fait brûler deux seulement.
CCXXXVIII. A. Bourignon ne séduit et n’attire personne : mais veut seulement obéir à Dieu.
En quoi ils ont eu beaucoup de raison ; puisque ces livres contiennent plus de Doctrines et d’enseignements de la vraie vertu, que tous les livres èsquels ces Prédicants ont étudié tout le temps de leur vie : quoiqu’ils veulent dire que je veux séduire le peuple par mes écrits : comme on disait que Jésus Christ séduisait le peuple par sa Doctrine : bien qu’en vérité je ne veuille séduire ni attirer personne à moi ; et ne suis pas une Sectatrice de nouvelle Religion ; et ne fais rien d’autre que d’apporter la lumière de Vérité à ceux qui la veulent recevoir : et je n’aurai aucun dommage si quelqu’un la rejette ou méprise, car ce sera pour eux, et non pour moi, tous les avantages qu’il en arrivera à tous ceux qui auront suivi la Lumière de Vérité : et j’ai satisfait à Dieu en l’ayant déclarée comme il me l’a commandé ; et a voulu précisément que je l’aie écrite, pour ne point être distraite en conversant avec les hommes pour leur déclarer les Vérités de Dieu verbalement, comme je serais assurément distraite s’il me fallait converser maintenant avec les hommes qui aiment mieux leurs ténèbres qu’icelle lumière, laquelle ils tâchent d’obscurcir ou d’éteindre, s’il était en leur pouvoir. Ce qu’on peut clairement voir par le procédé de ces Prédicants de Flensbourg. Car que n’auraient-ils pas fait à ma personne, pour étouffer la lumière que j’apporte de la part de Dieu ? Puisqu’ils ont fait si mal traiter un de mes amis à cause seulement qu’il a porté une de mes lettres, et qu’ils ont fait brûler mes livres en sa présence scandaleusement. Il est à croire qu’ils eussent bien aussi fait brûler ma personne, sans aucune raison ; puisque l’un est autant innocent que l’autre.
CCXXXIX. Témoignages discordants contre A. B.
Car mes livres n’ont jamais été disputés de personne, et encore moins condamnés pour mauvais. Et on pourrait bien demander d’iceux quel mal ont fait ces livres ? comme Pilate demandait aux Juifs de Jésus Christ, en disant : 483 Quel mal a fait cet homme ? Je sais bien qu’on pourrait apporter des faux témoignages de mes écrits, comme fait Burchardus par son livre ; et comme 484 on apporta aussi plusieurs faux témoignages contre Jésus Christ, lesquels ne s’accordaient point par ensemble. Comme aussi ne s’accordent point les témoignages de ces Prédicants. Car Burchardus me compare à Weigelius et à beaucoup d’autres, qu’on a tenus pour des hérétiques : mais les trois Prédicants de Husum en leur écrit disent précisément qu’ils ne me comparent point à ce Weigelius, ni à ces esprits errants. En sorte qu’il y a de la discordance en leurs témoignages. Comme je crois qu’il y a aussi grande différence dans les Universités où mes écrits sont examinés. Car sans doute qu’il y a toujours en de semblables Collèges quelques bons esprits, qui jugeront bien y avoir beaucoup de choses bonnes et doctrinales en mes écrits : et partant ne les voudront jamais condamner ; quoiqu’aucuns esprits étourdis en particulier, comme celui de Burchardus ou ses semblables, jetteront bien au vent des mensonges et calomnies. Ce qu’un esprit bien fait ne voudrait taire. Car Monsieur Reinbolt, Superintendant de ce Pays d’Holstein, n’a jamais voulu condamner aucune chose de mes écrits ; et a défendu aux Prédicants ses sujets, qu’iceux n’écrivissent rien contre moi ; et a lui-même prêché publiquement diverses fois que je n’étais point de la Secte des Trembleurs, comme on le voulait faire croire, et il a souvent souhaité de me parler, et d’avoir avec moi de la correspondance ; ce que je n’ai point souhaité : à cause que n’eussions rien profité au salut l’un de l’autre : car il ne pouvait entrer dans mes sentiments ; puisqu’il avait fait vœu de ne point suivre autres sentiments que ceux de Luther (comme on m’a dit, que tous ceux qui sont promus à l’Office Ecclésiastique dans la réforme de Luther font vœu ou serment de maintenir toujours les sentiments de Luther) : et pour moi je n’approuve pas de semblables vœux qui ne peuvent être institués que par les hommes. Car après que tous Chrétiens ont fait le vœu et la promesse d’être Disciples de Jésus Christ au Baptême, ils ne doivent plus faire un second vœu de demeurer fidèles disciples d’un Luther ou d’autres hommes fragiles qui peuvent errer.
Hommes esclaves les uns des autres.
CCXL. Vœux que font les hommes pour soutenir certains sentiments sont contre le S. Esprit.
J’ai fort blâmé aussi entre les Catholiques de semblables vœux ou promesses, qui ôtent la liberté aux hommes de recevoir la Lumière du S. Esprit, si icelui se voulait communiquer à eux, ou s’ils étaient disposés à recevoir quelque intelligence des S. Écritures : car en tel cas il faudrait que ces hommes résistassent au S. Esprit ; ou bien qu’ils faussassent leurs serments faits aux Supérieurs. En sorte que les hommes se rendent eux-mêmes esclaves l’un de l’autre, là où Dieu les a créés tous libres et capables de recevoir sa divine Lumière médiatement ou immédiatement : ce qu’ils ne peuvent faire lorsqu’ils sont limités à une certaine croyance, ou à certains sentiments, comme on dit que les Prédicants d’ici sont bornés aux sentiments de Luther. C’est pourquoi que je n’ai rien à traiter avec eux : car ils ne pourraient recevoir mes sentiments, encore bien qu’ils jugeraient qu’ils viennent de Dieu, si en cas ces sentiments étaient contraires aux sentiments de Luther ; puisqu’ils ont juré de ne rien recevoir de contraire.
CCXLI. Ne se vouer qu’à Jésus Christ. Ne conduire qu’à lui.
Et moi j’ai juré au Baptême de ne recevoir autre Doctrine que celle de Jésus Christ : et je ne veux fausser ma foi lors promise et souvent depuis ratifiée. C’est pourquoi que je ne peux devenir Luthérienne ; et ce serait en vain que ces Prédicants m’induiraient à cela. Comme je ne les veux pas aussi induire à être Romains, mais bien des Chrétiens, si cela était en mon pouvoir. Ce qui ne se ferait par des correspondances ou paroles verbales avec tant de fermeté que par des écrits. C’est pourquoi que j’évite volontiers toutes conversations et paroles oiseuses ; et aussi la conférence de ces Prédicants ; lesquels n’ont aucun sujet de dire que j’attire ou séduis leurs peuples : vu que je ne les veux voir ni parler. Ce qui dément directement l’allégation de ces Prédicants : car un chacun peut savoir, tant par l’information qu’on a tenue de nos comportements à la Cour de Gottorp, que par le Magistrat de Husum et de Flensbourg, que ni moi ni mes amis n’ont attiré personne ; et que nous tâchons tous de vivre en bons Chrétiens, faisant droit à un chacun, et tort à personne, et que nous n’avons aussi nul culte de Dieu particulier ; qu’un chacun de nous tâchons d’accomplir les commandements de Dieu, et de bien vivre dans l’état où nous sommes, sans faire de particulière profession d’aucune Religion nouvelle : mais un chacun tâche de devenir vrai Chrétien sous tel nom qu’il porte ; sans autre communion que celle des Chrétiens. Car c’est peu de chose de porter le nom de Catholique, Luthérien, Calviniste et autres, si avec ces noms nous ne sommes pas des vrais Chrétiens. Tous ces noms ne nous peuvent sauver ; et encore que nous observerions exactement les règles de toutes ces Religions par ensemble, et que posséderions les sentiments de toutes ces sortes de Religions ; nous n’arriverons point au salut éternel, si avec iceux nous n’observons la Doctrine de Jésus Christ. C’est pourquoi que je n’ai garde de m’informer quel nom de Religion portent les personnes qui veulent devenir des vrais Chrétiens ; et encore moins les induirais-je à changer de nom de Religion : vu que j’estime tous ces noms des riens ; et que je regarde seulement si on veut devenir des véritables Chrétiens.
CCXLII. Prêtres attirent tous à eux, à tort et à travers.
Mais ces Prédicants, qui ne visent qu’à leurs propres intérêts, estimeraient beaucoup si je voulais m’appeler Luthérienne ; et estimeraient encore davantage si beaucoup de Catholiques se voulaient rendre Luthériens ; et ils n’auraient garde de les rejeter, comme je fais, et de les envoyer à l’Évangile, comme je renvoie les Luthériens qui se sont venus présenter à moi, à cause que je possède la charité, et ne cherche rien sinon le salut des âmes : là où ces Prédicants cherchent encore d’être suivis et honorés, et de gagner de l’argent pour vivre à l’aise.
CCXLIII. Surprennent les Magistrats pour faire persécuter les bons.
C’est pourquoi ils tâchent d’attirer les hommes à eux, et ils ont tant de crainte que je n’attire quelques-unes de leurs ouailles, en quoi ils souffriraient aucun dommage. Et cette crainte leur a fait dire que j’étais allée à Flensbourg pour séduire le peuple, ou les attirer à la Religion de l’Église Romaine : pour par de semblables mensonges induire le Roi et le Magistrat à me persécuter, ou me faire mourir ; à cause qu’ils ont du crédit parmi les Juges, qui se laissent envelopper des longues Robes de ces Prédicants. Ceux-là croient facilement leurs mensonges, et par des zèles aveugles font facilement quelque chose contre la Justice, pour complaire à ceux qu’ils disent de tenir la place de Dieu : quoiqu’ils pourraient plus véritablement dire qu’ils tiennent la place de Luther, et qu’ils soutiennent plus ses sentiments que ceux des conseils Évangéliques. Car s’ils étaient des vrais Évangéliques (comme ils se nomment), ils n’auraient garde de me persécuter comme ils font ; mais m’appelleraient plutôt à leur aide pour confirmer par effet leurs Doctrines Évangéliques. Mais on voit qu’au contraire, comme des cruels Tyrans, ils tâchent de me faire mourir à cause de cette même Doctrine. Et un des Juges dit publiquement lorsque ceux de Flensbourg avaient brûlé mes livres : Que ne l’a-t-on brûlée avec ? Ce qui donne assez à connaître la cruauté de leurs cœurs et la fausse charité de leurs âmes, laquelle ils aimeraient mieux de perdre que de laisser sans vengeance ceux qu’ils haïssent, bien que ce serait sans aucune cause. Ce qui est bien lamentable, que les Chrétiens ont maintenant tellement oublié Dieu et la Justice, qu’ils ne craignent plus rien que l’égard des hommes ; et qu’ils disent et font contre le droit de cœur tous les maux qu’ils peuvent, et avec ce les accusent des mêmes maux desquels ils sont eux-mêmes coupables.
Persécuteurs mensongers.
CCXLIV. Ils mentent effrontément, disant qu’il y a du mal caché là où le bien est trop visible.
Car encore bien que ces Prédicants puissent bien voir par mes écrits que je tâche d’attirer le Peuple à Christ et à l’Amour de Dieu, ils disent effrontément que je viens séduire le peuple : comme on disait aussi de Jésus Christ ; quoiqu’il venait pour sauver le Peuple, et le ramener au droit chemin des commandements de Dieu. Ces Prêtres Pharisiens ont cependant fait mourir Jésus Christ comme un Séducteur de peuple, quoiqu’ils ne trouvaient aucun mal en lui. Tout de même veulent faire de moi maintenant ces Prédicants. Car ils prêchent eux-mêmes que nous sommes de bonne vie, chastes, et modérés, sobres, avec autres vertus : mais ils ajoutent qu’il y a du poison mêlé en ma Doctrine, duquel le peuple se doit garder. Et cela se fait à cause que le peuple voit notre bon comportement, duquel il est bien édifié. Mais ces Prédicants leur proposent un mal invisible, comme serait quelque poison caché sous la bonne vie ; sans montrer où il est, ni comment il se pourrait cacher. Et cela est une séduction bien plus grande que d’enseigner la pratique de l’Évangile au Peuple, comme je fais ; laquelle est une Doctrine connue et approuvée de tous Chrétiens.
CCXLV. Procédé d’A. Bourignon trop ouvert pour être suspect de mal.
Car si je voulais enseigner chose mauvaise, je ne rendrais point mes livres si publics comme je fais, craignant que ce poison caché ne serait découvert de quelqu’un. Car j’ai envoyé ce livre même (où ces Prédicants tirent leur plus grand venin contre moi, intitulé Témoignage de Vérité) tout premier à son Altesse Sérénissime le Duc d’Holstein ; en lui disant dans ma lettre jointe que si ladite Altesse ne désirerait point que je le publiasse sous son Domaine, que je ne le ferais nullement. Et j’ai depuis envoyé le même livre à sa Majesté de Danemark, afin qu’icelle le fît aussi examiner, pour voir s’il contenait chose mauvaise. Mais ni l’un ni l’autre ne m’a rien fait dire de contraire. Car s’il y avait eu chose mauvaise, je ne l’aurais voulu publier : puisque je veux seulement bien faire. Et Dieu ne m’a point donné aussi si peu d’esprit que de publier si ouvertement des choses mélangées de poison : puisque l’Écriture dit 485 que celui qui fait chose malséante ne vient point à la lumière ; craignant que ses œuvres ne soient connues et manifestes. Car s’il y avait quelque poison caché sous le bien de ma Doctrine, je la distribuerais le plus secrètement qu’il me serait possible : comme fait celui qui veut empoisonner un corps : il n’a garde de faire voir ce poison à quelqu’un, mais le cache à son possible : comme je ferais aussi si j’avais dessein d’empoisonner quelque Âme, comme ces Prédicants veulent faire croire, sans aucune vérité. Car je voudrais pouvoir sauver tous les hommes en général, et ne peux désirer de séduire personne : puisque je ne veux être suivie de personne ; et si aucunes personnes sont venues de la Hollande avec moi en Holstein, ç’a été de leurs libres volontés, et non par ma sollicitation : puisque je ne peux chercher personne ; mais seulement aider celles qui se veulent soumettre au vouloir de Dieu. Pour les autres, je n’ai rien à leur dire, et je les fuis à mon possible ; c’est bien loin de les vouloir séduire pour les attirer à moi, ou de leur donner de l’argent pour être suivie, comme ces Prédicants ont semé, que j’avais de l’argent pour attirer le peuple. Car j’ai refusé diverses personnes qui me voulaient apporter leurs propres biens et argent : et ne les ai point voulu recevoir, pour n’avoir besoin de personnes ni d’argent ; et je ne cherche 486 que le Royaume des Cieux et sa Justice. Mais ces Prédicants, qui cherchent le reste, s’alarment aussitôt qu’on veut diminuer leurs revenus et autorités ; aimant quelquefois mieux de perdre leurs âmes que de perdre ces choses.
CCXLVI. A. B. ne parle pas en tout ce Traité contre les gens de bien qui restent entre les Ecclésiastiques.
Je ne parle point pour les gens de bien qui sont entre eux ; mais pour les avares qui font de telles choses. Ce n’est point aux bons que je parle en tout ce Traité ; et ceux qui ne s’en sentent coupables ne doivent tirer le fait à eux. Car en toutes Nations et Religions il y en a toujours des bons et des mauvais. Et partant ceux qui se trouvent souillés, qu’ils se nettoient : de quoi je désespère, entendant que l’Écriture dit (parlant des derniers temps) 487 que le méchant s’empirera, et fera plus de mal : mais j’espère que le bon deviendra meilleur. Vu que la miséricorde de Dieu est si grande, qu’il envoie maintenant sa lumière de Vérité, pour éclairer tous ceux qui la voudront recevoir.
CCXLVII. Personne n’est contraint à bien ni à mal.
Et si ces Prédicants la rejettent, ce sera pour eux ; Dieu ne force personne : sa bonté s’épand sur tous les hommes, aussi bien sur les méchants que sur les bons, comme il fait luire le Soleil sur les uns et les autres. Mais ceux qui s’en veulent mal servir le peuvent faire ; vu qu’ils sont tous créés libres, et 488 mis au milieu du feu et de l’eau, pour pouvoir tourner de quel côté qu’ils veulent. Ceux qui veulent embrasser le chemin étroit que Dieu me montre seront heureux à toute éternité ; mais ceux qui veulent prendre le chemin large que ces Prédicants enseignent, ils le peuvent faire, et voir ce qui leur arrivera à la mort. Car c’est peu de chose d’avoir suivi les mouvements de sa Nature corrompue un si peu de temps que dure cette vie ; et avec ce mettre son salut en danger pour toute éternité. Car Jésus Christ dit 489 que le chemin large mène à perdition.
Fausse Pénitence.
CCXLVIII. Chemin large enseigné par Burchardus touchant la Pénitence.
Et je ne connais point de chemin plus large que celui qu’enseigne ce Burchardus, lequel écrit que toute la pénitence consiste à connaître sa faiblesse et sa fragilité. Ce qui est bien aisé à la Nature : car il ne faut ni science ni vertu pour connaître notre misère : puisque les fols l’expérimentent aussi bien que les sages ; et que personne ne peut ignorer qu’il est fragile et misérable. Et on aurait plus de peine à s’imaginer le contraire qu’à connaître une Vérité si claire et sensible. Et si cela doit porter le nom de pénitence (comme notre Burchardus l’appelle), je ne sais pourquoi Jésus Christ, ses Apôtres, et tant de saints Personnages, ont jeûné, travaillé et peiné pour macérer leurs corps par pénitence ; et pourquoi David a tant pleuré de larmes de pénitence. Il lui devait suffire de connaître son péché et sa fragilité, selon la glose de ce Burchardus, qui met toute la pénitence en la connaissance de notre fragilité.
CCXLIX. Comparaison de cette absurdité.
C’est tout de même comme s’il disait à un malade qu’il serait guéri moyennant de connaître qu’il est malade : ou à une personne pauvre, qu’elle serait riche moyennant de connaître sa pauvreté : ce qui serait ridicule, d’entendre un homme d’esprit ainsi raisonner. Car quoique le malade connaîtrait sa maladie, et qu’il saurait même de quoi elle provient, il ne pourra pour cela guérir s’il ne prend les remèdes contraires aux sujets des causes de sa maladie. Car si elle provient de trop de chaleur, il se doit servir des choses rafraîchissantes ; et si sa maladie provient de quelque froideur, il doit prendre du vin, ou quelque chose qui échauffe : et par ces moyens il recouvrera peu à peu la santé et la guérison de son mal. Mais si le malade ne veut rien faire sinon se plaindre de son infirmité, il faut qu’il meure sans espoir de guérison. Tout de même en est-il de la maladie des âmes, lesquelles sont atteintes de diverses maladies de péchés ; les unes par trop de froidure en l’Amour de Dieu ; les autres par trop de chaleur de luxure, ou d’avarice, etc., et si un Médecin les vient flatter, en leur disant : C’est assez que vous connaissiez vos misères, et que vous vous humiliiez sous icelles pour être guéries, sans faire autre pénitence : icelui Médecin est le Bourreau qui tue ces Âmes ; comme serait le Médecin du Corps qui dirait à son patient : C’est assez que vous plaigniez vos misères pour être guéri, sans prendre aucun autre remède. Et on appellerait aussi un homme menteur et trompeur, lequel dirait à un pauvre qu’il sera riche moyennant de connaître qu’il est pauvre, ou bien on le tiendrait pour un fou s’il faisait une telle proposition, laquelle néanmoins notre Burchardus ose bien faire par son livre, en disant que la pénitence consiste seulement en la connaissance de sa fragilité ; et moyennant cela Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, et nettoyé tous leurs péchés.
CCXLIX bis. Pour qui Jésus Christ a satisfait.
Ce qui n’est qu’un faux donner-à-entendre : vu que Jésus Christ n’a satisfait que pour ceux qui seront ses imitateurs, et voudront renaître en son Esprit : ceux-là auront pardon de leurs péchés passés (lesquels ils avaient commis par ignorance) ; par le sang et les Mérites de Jésus Christ, lequel est venu pour les réconcilier avec son Père éternel. Mais point ceux qui voudront persévérer dans leurs péchés 490 après qu’ils auront reçu la lumière de Vérité, que Jésus Christ leur est venu apporter : parce qu’iceux 491 n’ont nulle communion avec Jésus Christ ; 492 et ne peuvent participer à son sang et à ses mérites ; mais doivent attendre une punition de feu éternel, comme S. Paul décrit. Car ceux qui auparavant avaient péché par ignorance se peuvent réconcilier après avoir reçu la Lumière de Vérité.
De la réconciliation obtenue par J. Christ.
CCL. Les pécheurs volontaires ne peuvent être réconciliés avec Dieu par Jésus Christ.
Mais il n’y peut avoir de réconciliation avec ceux qui volontairement demeurent en leurs péchés après avoir reçu la lumière de Vérité : vu qu’une réconciliation est une paix faite entre deux ennemis : comme l’homme par le péché était ennemi de son Dieu : y ayant entre Dieu et son âme une inimitié mortelle, qui les avait séparés de l’affection qui devait être entre Dieu et l’homme. Or Jésus Christ, comme le vrai Médiateur, est survenu pour faire la paix et accorder ces deux parties ; afin que les hommes ne périssent éternellement. Et il a prié son Père pour obtenir cette réconciliation, et il l’a aussi obtenue par sa prière pour ceux qui se voulaient véritablement réconcilier, et r’entrer en la grâce de Dieu. Mais Jésus Christ ne pouvait réconcilier les personnes qui volontairement voulaient demeurer dans leurs péchés, puisque celles-là sont incapables de réconciliation lorsqu’elles veulent en effet demeurer ennemies de Dieu par la continuation en leurs péchés, 493 lesquels péchés seuls causent l’inimitié avec Dieu. Comment donc le sang de Jésus Christ pourrait-il satisfaire pour des personnes qui 494 volontairement ne veulent point se réconcilier avec Dieu par un amendement de vie, et un regret de leurs péchés passés ? Vu que tous les hommes, étant créés libres, ne peuvent être forcés à rien de la part de Dieu : et partant ils ne peuvent avoir la paix ou la réconciliation avec Dieu lorsque volontairement ils veulent demeurer dans leurs péchés, et par conséquent dans son inimitié. Car Jésus Christ, étant un avec son Père, ne peut forcer les hommes à les réconcilier avec lui, contre leur gré, en ayant leur pleine liberté.
CCLI. Dieu veut sauver tous, moyennant que tous veulent l’être et ne demeurent esclaves volontaires du Diable.
C’est pourquoi qu’il ne peut être véritable que Jésus Christ ait tout satisfait pour les pécheurs persévérants ; mais seulement pour ceux qui se veulent convertir et revivre à l’Esprit de Jésus Christ. Ceux-là seuls seront nettoyés par le sang de Jésus Christ, et réconciliés avec Dieu le Père, et nuls autres. Quoiqu’il soit véritable (comme ce Burchardus allègue) que Jésus Christ a satisfait pour tous les hommes, quels grands pécheurs qu’ils soient, ou qu’ils étaient, lorsqu’il est venu prendre notre mortalité. Car Dieu 495 n’est accepteur des personnes ; et n’a point envoyé son Fils unique pour racheter Pierre ou Jean seulement ; car il n’a non plus besoin de l’une que de l’autre de ces personnes, et les veut toutes sauver de sa part : mais ne les peut sauver 496 si elles ne le veulent être ; à cause qu’elles sont toutes créées libres : il ne leur peut ôter la liberté qu’il leur a une fois donnée : car Dieu ne peut jamais contredire à soi-même, ni faire rien d’injustement. Il a créé tous les hommes en général à salut, et ne veut pas qu’un seul périsse de sa part ; mais de la part des hommes, ils sont libres de se damner lorsqu’ils veulent, sans que Dieu les empêchera de ce faire. Tout de même est Jésus Christ mort pour racheter tous les hommes ; mais ceux qui ne veulent pas être libres de péchés demeurent volontairement esclaves du Diable ; et le sang et les mérites de Jésus Christ ne leur seront point profitables pour les racheter : parce qu’ils s’en sont volontairement rendus indignes, en demeurant ennemis de Dieu par la continuation de leurs péchés, lesquels ils ne veulent point quitter, ni renaître dans l’Esprit de Jésus Christ : pendant qu’on leur prêche mensongèrement, qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ.
CCLII. Comment tous les Chrétiens et ceux qui croient en Jésus Christ ne seront sauvés.
Et j’ai ouï en ma jeunesse un Prédicateur dire en Chaire de vérité (comme les Catholiques appellent la Chaire où ils prêchent ès Églises) que tous les chrétiens seront sauvés. Ce qui me donna de l’étonnement : car je sentais en mon âme un témoignage que cela n’était véritable : à cause que je voyais que plusieurs de nos Chrétiens étaient sans charité ; et que S. Paul dit 497 que sans icelle charité on ne peut être sauvé, encore bien qu’on ferait toutes les bonnes œuvres du monde. Et je raisonnais en mon Esprit qu’il fallait que cet Apôtre ou bien ce Prédicateur ne dise pas vérité ; et ne savais comprendre comment ces deux (qui prêchaient le même Évangile) enseignaient des choses si contraires l’un à l’autre. Mais je vois bien maintenant que la faute venait de ce Prédicateur, et non de l’Apôtre : vu que les Prédicants de maintenant enseignent la même Doctrine en substance, et disent que tous ceux qui croient en Jésus Christ seront sauvés, sans expliquer ce que c’est de croire en Jésus Christ ; non plus que ce Prédicateur de l’Église Romaine n’expliquait aussi ce que c’était d’être Chrétien. Car si l’un et l’autre avaient expliqué leur dire, ils auraient tous deux dit la Vérité, là où ils ont tous deux parlé mensonges, pour avoir déchiré quelques paroles de l’Écriture, sans vouloir prendre égard aux choses qui sont dites devant et après ces paroles en la même Écriture ; en voulant seulement tirer d’icelle les choses qui sont à leurs desseins, et par ainsi trompent et abusent le peuple, en leur déclarant le mensonge pour la Vérité.
CCLIII. Comment tous les Chrétiens et tous ceux qui croient en Jésus Christ seront sauvés.
Car il est bien vrai que tous les Chrétiens seront assurément sauvés : mais il est aussi vrai qu’il n’y a nuls vrais Chrétiens sinon ceux-là qui imiteront Jésus Christ, lequel dit lui-même : 498 Qui m’aime, garde mes commandements. Ou bien : Celui qui m’aime, fait les œuvres que je fais. Et ailleurs : 499 Qui veut être mon Disciple, renonce à tout ce qu’il possède, prenne sa croix et me suive. Or toutes les personnes qui font ces choses seront assurément sauvées, de tout tels noms qu’on les appelle ; à cause qu’elles sont vraiment Chrétiennes et Disciples de Jésus Christ : et partant elles seront 500 là où Jésus Christ sera à toute éternité, après l’avoir ainsi suivi en ce Monde. Et on peut dire d’elles que de semblables Chrétiens seront tous sauvés. Mais on ne peut dire avec vérité que tous ceux qui sont baptisés et portent le nom de Chrétiens seront sauvés : puisque cela n’est point véritable ; mais au contraire si ces Chrétiens n’ont pas vécu selon leurs croyances, ils seront plus grièvement punis à toute éternité que les païens, lesquels par ignorance n’auront pas imité Jésus Christ. Par où on peut voir que ce n’est que pour flatter le peuple qu’on leur prêche choses semblables, en tels quartiers ou en telle Religion que ce pourrait être ; et que semblables Prédicants n’ont point de vrai OR de CHARITÉ vers le salut des âmes ; mais sont seulement de laiton d’une charité apparente ; et que personne ne peut sur de semblables paroles ou sermons appuyer son salut : car on se trouverait trompé à la mort ; lorsqu’il serait trop tard de s’en repentir, et que le temps de pénitence serait passé, lequel ne retourne jamais. Il est bien vrai (comme disent les Prédicants Luthériens) que tous ceux qui croient en Jésus Christ seront sauvés : mais il n’est pas vrai ce que dit Burchardus : que faire pénitence n’est autre chose que connaître la fragilité : vu que cela n’est nullement pénible, comme j’ai dit ci-dessus. Mais croire en Jésus Christ, 501 c’est faire les œuvres qu’il nous a commandées ; assavoir : d’aimer l’un l’autre, d’être humble de cœur et débonnaire, d’être pauvre d’esprit, de choisir la dernière place, de servir plus volontiers que d’être servi, et tout le reste des enseignements de Jésus Christ. Tous ceux qui font ces choses croient en lui, et nuls autres.
CCLIV. Foi vaine et trompeuse.
Car de dire qu’on croit en Jésus Christ par quelque imagination ou spéculation d’esprit, c’est une tromperie : vu que croire en lui, c’est croire véritablement en toutes les paroles qu’il a dites et les mettre en effet. Car là où il n’y a d’opération, il n’y peut avoir de foi ni de vraie croyance : et ce ne peut être qu’une foi morte lorsque notre foi n’opère pas en nous les œuvres de notre croyance. Je sais bien que Jésus Christ est mort pour tous pécheurs, quel grand nombre de péchés qu’ils aient commis, lorsqu’ils s’en repentent, et se convertissent à pénitence. Comme je sais aussi qu’il n’a rien mérité pour ceux qui veulent demeurer dans leurs péchés, comme on voit que les hommes de maintenant vivent et meurent en iceux, depuis qu’on leur a fait accroire que Jésus Christ a tout satisfait pour eux. Ce qui est une Doctrine damnable, qui en a jà conduit grand nombre ès enfers, par un faux repos de leur salut.
Malins Persécuteurs des Envoyés de Dieu.
CCLV. Fureur des Persécuteurs d’A. Bourignon se fait voir par paroles et actions méchantes.
Et à cause que Dieu me découvre ces choses, et qu’il me commande de les déclarer, on me veut faire mourir ; et ces Prédicants font brûler mes livres qui traitent ces Vérités divines. Et pour colorer leurs cruautés en mon regard, ils disent que je rejette les mérites de Jésus Christ ; et animent toutes les personnes qui ont suivi leur Doctrine à me haïr et me persécuter, en leur disant (comme écrit Burchardus en son livre) que toute l’Écriture ne bute qu’à faire connaître les mérites de Jésus Christ pour le salut des hommes. Et que je veux damner tout le Monde en disant le contraire ; parce que tous ont appuyé leur salut sur ces mérites de Jésus Christ. Ce qui ne peut avoir été causé que par la persuasion de ces Prédicants, lesquels ont trouvé ce chemin de salut plus aisé et profitable que la Vie Évangélique, laquelle Jésus Christ nous a enseignée ; et partant ils se sont persuadé que cela était véritable, et l’ont aussi fait croire au peuple. Mais Dieu par sa grande miséricorde m’a fait voir que ces Mérites de Jésus Christ DE LA FAÇON QU’ON LES EXPLIQUE AUJOURD’HUI ne sont que 502 des coussins qu’on met sous les bras des hommes, pour les faire reposer dans leurs péchés ; comme les Prophètes ont prédit qu’on fera ès derniers temps ; et qu’il ne se faut point flatter, qu’il n’y aura que les vrais Disciples de Jésus Christ qui seront sauvés. Voilà la lumière que Dieu me donne, avec laquelle je ne peux damner personne : et ceux qui ne la veulent recevoir la doivent laisser en arrière, sans me vouloir faire mourir à cause que j’obéis à Dieu en déclarant des choses si utiles et nécessaires au salut des âmes. Car encore bien qu’on me ferait mourir pour ce sujet, j’en serais tant plus heureuse ; et ma mort ne ferait pas changer la Vérité. Car il sera toujours véritable qu’il se faut convertir à Dieu et devenir des vrais Chrétiens pour être sauvés ; quoique ces Prédicants s’opposent à cette Doctrine et croient de m’avoir fait déshonneur d’avoir fait brûler mes livres à Flensbourg : bien que tout au contraire, ils m’ont fait grand honneur parmi ceux de ma Religion, lesquels savent bien que les Luthériens sont ennemis jurés des Catholiques, et par conséquent qu’ils rejettent tout ce qui vient de la Religion Catholique : et partant estiment les persécutions qu’on fait aux Catholiques en matière de Religion pour des cruautés, et estiment ceux qui sont persécutés de ces Luthériens ou autres non-Romains pour des Martyrs, lesquels endurent pour la Vérité et la vraie Église (comme ils appellent leur Religion Catholique). En sorte que si ces Luthériens m’eussent fait brûler audit Flensbourg avec mes livres (comme l’un des Juges disait qu’on devait avoir fait), en tel cas ceux de l’Église Romaine eussent édifié mon sépulcre comme celui d’une Martyrisée pour la Foi ; et m’eussent estimée pour Martyre, et ces Prédicants pour des Tyrans.
CCLVI. L’injustice des Persécuteurs sera punie par une juste vengeance.
Voilà le déshonneur qu’ils s’eussent fait à eux-mêmes, et l’honneur qu’ils eussent fait à moi en me pensant déshonorer. Mais Dieu n’a point permis qu’ils m’aient fait mourir, à cause qu’ils ne m’ont pas eue en leurs puissances : car autrement ils en ont bien eu la volonté, en faisant brûler mes livres sans me vouloir dire pourquoi, encore que je l’aie demandé, et leur écrit le lieu là où ils pouvaient adresser leur réponse à la lettre que j’écrivais à ces Messieurs du Magistrat de Flensbourg ; après avoir aussi tant de fois répété en mes livres imprimés que s’il y a en ma Doctrine ou en mes écrits quelque chose de mauvais, que je veux moi-même les condamner, voire rétracter tout ce qui sera prouvé mauvais. Mais ces Prédicants et ce Magistrat (qui se laisse envelopper de leurs longs manteaux) n’ont pas eu égard au droit ni à la Justice pour faire brûler mes livres ; et ce leur a été assez qu’ils se soient pu venger par voie de fait d’une personne qui n’était point Luthérienne, comme ils sont, pour tâcher de la diffamer et décréditer. En quoi tous bons Esprits peuvent juger s’il y a de la Justice en ce procédé ; et si Dieu enverra sa bénédiction sur une Nation si méchante ; ou si icelle ne doit pas plutôt attendre ses châtiments ; vu qu’il dit en l’Écriture, en parlant de ses amis : 503 Qui vous touche, il touche la prunelle de mes yeux ; car je suis Amie de Dieu, et sa très humble Servante. C’est pourquoi qu’on pourrait bien faire les lamentations sur ces personnes de FLENSBOURG que Jésus Christ faisait sur la Ville de Jérusalem, en disant : 504 Jérusalem, Jérusalem, qui tuez les Prophètes et lapidez ceux qui vous sont envoyés ; oh ! si vous voyiez les malheurs qui vous sont à arriver ! etc. Je ne souhaite nul mal à ces personnes ; à cause que Jésus Christ dit : 505 Priez pour vos ennemis : mais je sais aussi qu’il a dit de ses amis 506 qu’il les vengera. C’est pourquoi que ceux qui persécutent ainsi les Amis de Dieu sans aucun sujet doivent attendre la vengeance de Dieu, qui leur arrivera assurément, comme Dieu l’a juré, qu’il les vengera.
CCLVII. Fausses accusations de Burchardus contre A. Bourignon pareilles à celles qu’on faisait contre Jésus Christ.
Je sais bien que ces Prédicants n’avoueront pas que je sois la Servante de Dieu : vu qu’ils donneraient sentence contre eux-mêmes s’ils me disaient Amie de Dieu en me persécutant de la sorte comme ils font. C’est pourquoi que Burchardus dit dans son livre que je suis Superbe, et que je m’estime plus que les Prophètes, les Apôtres, la Vierge Marie, et que Dieu même. En quoi il est Menteur, comme en toutes ses allégations : lesquelles ne sont controuvées que pour faire paraître le bien mal. Et tout de même que les Pharisiens demandaient à Jésus Christ : 507 Ce qu’il faisait de soi-même, 508 que lui étant homme comme les autres, qu’il se faisait Dieu ? Ainsi aussi disent ces Prédicants de moi : que je me veux faire Dieu. Car l’un de ces Prédicants, en m’écrivant une lettre, m’appelle en icelle Déesse (par moquerie) : comme les Juifs disaient à Jésus Christ, en se moquant de lui : 509 Dieu te garde, Roi des Juifs : pendant qu’il était véritablement le Roi des Juifs. Comme il était aussi véritablement le Fils de Dieu. Et à cause qu’il ne le déniait point lorsque le grand Prêtre lui demandait s’il était le Fils de Dieu, et qu’il eut répondu seulement : Vous le dites ; et mon Royaume n’est pas de ce Monde, etc., ils tâcheront sitôt à le mettre à mort, en disant : Il a blasphémé ; et lui qui est homme se dit le Fils de Dieu ; nous n’avons pas besoin d’autres témoins que son propre témoignage. Et ainsi ont procédé à mettre à mort Jésus Christ, à cause qu’il avait dit vérité. Et les Prêtres et Pontifes l’ont condamné à mort pour ce seul sujet. Car Pilate disait ouvertement qu’il ne trouvait point de mal en lui, après l’avoir examiné. Et ces Prédicants font maintenant tout de même en mon regard. Car quoiqu’ils ne trouvent nul mal en moi (après avoir tenu tant d’informations), ils sont obligés de confesser qu’ils ne trouvent rien de mauvais en toute ma vie et mes comportements, ils viennent dire que par ma Doctrine j’ai blasphémé contre Dieu ; à cause que j’ai parlé vérité, et déclaré les choses que j’ai apprises de Dieu sans l’intervention des hommes. Ce qu’ils ne veulent souffrir, et pourtant disent que je suis superbe, et que je m’estime plus que les Prophètes, Apôtres, et que Dieu même, comme Burchardus écrit dans son livre fort mensongèrement.
CCLVIII. Ce qu’A. Bourignon tient de foi.
Car je sais bien d’être une simple créature humaine comme tous les autres hommes, sortie de la masse corrompue d’Adam. Et je ne me dis ni Prophète, ni Apôtre, ni Vierge Marie, ni Dieu même. Comme dit ce Burchardus : mais je me déclare une fragile créature comme toutes les autres, à qui néanmoins Dieu a envoyé sa lumière de vérité pour la communiquer aux hommes. Et comme Jean Baptiste disait, lorsqu’on lui demandait 510 qui il était, il dit : Je suis une voix qui crie au désert, préparant la voie du Seigneur, et prêchant la pénitence : ainsi aussi dis-je que je suis envoyée au Monde comme une voix qui crie au cœur des hommes : Faites pénitence ; car le Royaume des Cieux est proche.
CCLIX. Comment les Prêtres cherchent l’occasion d’exterminer ce qu’ils devraient estimer.
Et à cause que je fais le récit de l’ambassade pourquoi je suis envoyée, ces prêtres me veulent tuer. Et quelqu’un d’entre eux a dit encore depuis peu que sitôt que j’écris encore quelque chose, que c’est fait de moi. Pendant qu’iceux écrivent de divers quartiers contre moi, afin de me donner sujet de leur répondre, en disant à leurs amis et en secret que sitôt que je leur aurais répondu, que je serai emprisonnée. En quoi on peut voir leur injustice et peu de charité qu’ils ont au cœur. Car ils veulent avoir la liberté d’écrire contre moi toutes sortes d’injures, de calomnies, et de mensonges : pendant qu’ils menacent de me faire emprisonner si en cas je leur réponds ; ou que je montre que leurs dires ne sont véritables. Je laisse le jugement à tous bons esprits, pour voir si cela est juste ou non ? Et aussi, s’il y a quelque marque de charité dans l’âme de ces Prédicants, lesquels avec tant de violence empêchent que la Vérité ne vienne au jour pour éclairer les âmes des hommes de bonne Volonté ? Car encore bien que ces Prédicants ne voudraient point croire à la lumière que Dieu me donne, ils ne doivent pourtant empêcher qu’icelle ne luise sur les autres, et encore moins doivent-ils la vouloir éteindre et suffoquer en me faisant mourir, comme on fit aussi mourir Jean Baptiste pour avoir repris les péchés d’Hérode : vu qu’il importe grandement pour le salut des âmes que les péchés de maintenant soient connus et découverts : parce qu’ils sont devenus si communs et ordinaires, que ceux qui les commettent même ne les découvrent point. Par exemple : presque personne ne sait aujourd’hui que la convoitise des biens et plaisirs de ce Monde soit péché : à cause qu’on voit qu’un chacun vit dans la convoitise, ces Prédicants aussi bien que les autres. Et il est à croire que c’est le sujet pourquoi qu’ils me haïssent ; à cause que ma Doctrine rend 511 témoignage que leurs œuvres sont mauvaises : car sans que je les reprenne ou que je les veuille corriger, ils s’alarment contre mon innocence et contre les lumières que Dieu me donne ; au lieu de dire, comme disait David de Simei 512 lorsqu’il le maudissait, et que les gens de David le voulaient tuer pour ce sujet : ce que David défendit, en disant : Peut-être que Dieu lui a commandé de me maudire : quoique David n’avait lors pas tant de sujet de croire que Dieu avait commandé cela à Simei, comme ces Prédicants ont de sujet de croire maintenant que Dieu m’a commandé d’écrire les choses qui sont contenues en mes livres. Lesquelles choses ces Prédicants devraient estimer et suivre s’ils avaient la charité ; à cause que je déclare si ouvertement QU’ELLES ME SONT DONNÉES IMMÉDIATEMENT DE DIEU ; ce qui mérite bien d’être examiné, avant de les condamner à l’aveugle, comme ils font, en regardant seulement que ces écrits ne favorisent point le désir que ces Prédicants ont de dominer sur le peuple, et d’être honorés et suivis. Ils maudissent pour ce sujet la Doctrine que Dieu m’apprend : quoiqu’icelle soit tant nécessaire au salut des hommes : ces Prédicants ne la veulent pas souffrir, et la maudissent, en me lapidant de persécutions, en me voulant faire mourir, comme si j’enseignais choses mauvaises : quoique je n’enseigne autre chose sinon ce que Dieu m’a enseigné.
CCLX. Les Écrits et connaissances d’A. Bourignon ne peuvent venir de l’homme ni du Diable. À quoi s’étend l’esprit humain, et à quoi non.
Car je n’ai jamais rien appris de tout ce que j’écris, ès Écoles, ni en la lecture des livres, non plus qu’ès Sermons ou ès discours des hommes : vu que je ne me sers d’aucuns de ces moyens pour composer mes écrits ; à quoi faire toutes ces choses me serviraient d’empêchements au lieu d’instructions. C’est pourquoi mes écrits ne peuvent venir d’une science humaine, laquelle les hommes apprennent l’un de l’autre. Et ma Doctrine ne peut aussi venir de la Nature ; puisque l’esprit humain est limité aux choses naturelles, et ne peut comprendre choses divines ou surnaturelles, sinon par une lumière divine et surnaturelle. Par exemple, l’Esprit humain peut bien apprendre toute sorte d’arts et de sciences naturelles ; toute sorte de langages divers ; toute sorte de métiers et d’inventions humaines. Mais l’Esprit humain ne peut savoir comment Dieu a créé l’homme, ni à quelle fin, ne soit que Dieu même le révèle ; et l’homme ne peut aussi savoir les secrets des cœurs et des consciences des autres hommes, si Dieu ne les lui révèle ; et l’homme ne peut aussi savoir ce qu’il y aura en la vie éternelle, ne soit que Dieu le lui révèle. Pendant que j’ai su diverses fois toutes ces choses, et les ai aussi déclarées quelques fois aux autres, tant par mes écrits que verbalement.
CCLXI. Ce que le Diable connaît ou ignore.
Et on ne peut croire que cela vienne du Diable (comme disent ces Prédicants), vu que le Diable même ne sait les desseins ou intentions de Dieu, ni pourquoi il a créé l’homme. Le Diable ne sait point aussi les secrets des cœurs, sinon par conjecture. Lorsqu’il voit les actions, ou mouvements des personnes, il conjecture de leurs intentions et secrètes pensées, par la subtilité de son esprit, et devine ce que l’homme pense : en quoi le Diable se trompe souvent par ses conjectures ; pour ne pas avoir de connaissance assurée des secrètes pensées des hommes. Et le Diable ne peut aussi savoir ce que Dieu a réservé à l’homme pour la vie éternelle. Il sait bien à son dommage en quel état a été créé l’Ange, et de combien de grâces et bénéfices Dieu l’avait orné ; parce que le Diable a été Ange, et n’a point perdu la mémoire de son état glorieux : mais il ne sait rien de l’état glorieux des hommes auquel ils seront à toute éternité comme des petits Dieux : vu que cela surpasse la capacité du Diable ; lequel ne peut comprendre ce qui est au-dessus de lui, comme sera l’homme en son état glorieux, qui surpassera de beaucoup les Anges du Ciel.
CCLXII. État de l’homme surpassera celui de l’Ange.
Le Diable voit bien en général que l’homme sera plus grand et noble que les Anges à toute éternité, par conjecture ; à cause qu’il a vu que Dieu a pardonné à l’homme son péché, et pas à l’Ange ; et que Dieu a eu aussi plus de communication, et pris plus de plaisirs avec l’homme en son état d’innocence, qu’il n’a eu avec les Anges. Et le Diable a aussi entendu que Dieu a donné charge aux Anges de garder les hommes ; ce qui est un Office servile : comme si les hommes étaient les Seigneurs, et les Anges les serviteurs. Et toutes ces choses ont engendré la haine et la jalousie au Diable contre l’homme. C’est le sujet pourquoi il tente continuellement l’homme ; afin de le faire déchoir de la noblesse de l’état auquel Dieu l’avait constitué : ce qu’il ne peut jamais faire sans le consentement de l’homme ; vu que le Diable n’est qu’une misérable impuissance, lequel ne sait rien que ses malheurs, et les choses qu’il voit ou apprend des hommes ; mais ne sait les secrets Divins, non plus que ne savent aussi les hommes naturels, sinon autant qu’il plaît à Dieu de leur en révéler.
CCLXIII. Prédicants appellent Diabolique et persécutent ce qui est Divin. Ils ont oublié Dieu.
C’est pourquoi que ces Prédicants ont grand tort de dire que j’ai une Doctrine Diabolique : puisque le Diable ne me peut apprendre ce qu’il ne sait point lui-même. Et je suis assurée que les Diables, non plus que les hommes, ne savent point beaucoup de choses que j’ai écrites : à cause que Dieu seul me les a révélées pour les dire aux hommes. Et au lieu que les hommes les doivent admirer et estimer, ils me veulent faire mourir en récompense de ce que je leur annonce les merveilles de Dieu, et les moyens par lesquels les hommes peuvent retourner à son Amour. Et si ces Prédicants n’étaient point abandonnés à l’Esprit d’erreur, ils lèveraient la tête pour regarder ce que je veux dire, et m’examineraient de bien près pour découvrir davantage les merveilles de Dieu, afin de les connaître et les annoncer au peuple. Mais à cause qu’ils sont sans charité, ils ne regardent qu’à leurs propres intérêts, laissant la gloire de Dieu et le salut des âmes en arrière ; comme un reste que Dieu doit donner après que les hommes mettent tout leur soin en l’amour d’eux-mêmes, pour avoir mis en oubli les biens éternels, que Dieu leur a préparés s’ils meurent en son AMOUR.
CCLXIV. Le Diable anime ceux de son parti à persécuter A. Bourignon.
Et le pis est qu’on ne veut pas souffrir que j’en parle aux hommes par mes écrits, lesquels on fait brûler scandaleusement par le Bourreau de Flensbourg, en disant que ce sont des hérésies et des blasphèmes contre Dieu, voire une Doctrine Diabolique. Quoique je peux dire avec vérité, comme disait Jésus Christ : 513 Je n’ai pas de Diable : mais ceux qui me persécutent sont conduits par le Diable, lequel aperçoit bien que la Doctrine que j’avance et les lumières que Dieu me donne détruiront la puissance du Diable, et feront cesser son règne et le domaine qu’il a sur les hommes, lesquels le détesteront après qu’iceux auront connu la vérité. Et pour ce sujet, le Diable anime tous ceux qui sont de son parti contre moi, et échauffe leurs cœurs de rage et de furie pour me dévorer s’ils pouvaient. Car si ces personnes n’étaient incités par ce mauvais Esprit, il serait impossible qu’elles me haïssent ainsi sans cause, ou qu’elles eussent le cœur de me maltraite, moi qui ne fais du mal à personne, et apporte de l’avantage, même temporel, au lieu où je me tiens. Et si les persécutions qu’on me fait n’étaient pas suscitées par le Diable, il serait impossible qu’une seule personne me voulût persécuter. Car encore bien même que les choses que j’ai écrites des divins mystères, ou de ce que Dieu me révèle, seraient toutes songes ou rêveries, si n’aurai-je pourtant mérité nulle persécution, 514 car il n’est pas en la puissance de l’homme de retenir son esprit, ou empêcher les fantaisies qui passent au travers de son entendement.
CCLXV. Ni ce qu’enseigne A. Bourignon comme mystères particuliers et non nécessaires, ni ce qu’elle propose comme nécessaire, ne donne sujet de persécution.
Pourquoi donc me veut-on faire mourir à cause que j’ai dit qu’Adam était créé de Dieu homme tout parfait, en ayant en soi-même les deux natures ? vu que cela ne peut nuire à personne, ni blesser le corps ou l’âme du Chrétien. Et quel mal veut-on tirer de cette proposition, laquelle je n’ai pas avancée pour un Article de foi qu’un chacun doive croire : mais comme une lumière que j’ai reçue de Dieu parmi les autres ; laquelle un chacun est libre d’admettre ou de rejeter, si elle ne lui semble pas véritable. Car je n’aurai ni profit ni dommage, si on croit des choses de semblable nature. J’ai bien un contentement sensible lorsque les hommes reçoivent la Doctrine Évangélique, et la mettent en pratique : à cause qu’icelle est nécessaire à salut. Mais de croire qu’Adam avait en soi les deux natures, cela n’est point nécessaire à salut ; et ceux qui trouveront cette croyance utile à la perfection de leurs âmes, s’en peuvent servir pour honorer Dieu en la perfection de ses œuvres : mais les personnes qui ne trouvent pas d’utilité à croire cette perfection avoir été en Adam, ne seront pas damnées pour cette incrédulité ; et ils la peuvent tenir pour une fable, lesquelles on écoute bien avec attention, lorsque la fable est plaisante. Ce que du moins doivent faire ces Prédicants, au lieu de me persécuter à mort pour avoir écrit choses semblables, lesquelles ils n’entendent point à cause de leurs aveuglements : de tant plus que je déclare qu’icelles choses me sont révélées de Dieu : ce qui est bien à noter. Car si je disais d’avoir le S. Esprit, et qu’il ne serait pas véritable, je mériterais les châtiments que les Prophètes ont ordonnés : mais je parle vérité. Et encore bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est véritable. Et je ne suis ni sotte ni présomptueuse, comme disent ces Prédicants fort mal à propos, pour ne trouver en mes écrits nulles sottises ni nulle présomption, en déclarant simplement la vérité des choses que Dieu me fait connaître, sans désirer (à cause d’icelles) louange, honneur, plaisirs ou richesses : vu que toutes ces choses sont haïes de moi. Et tout ce que je fais en ce Monde ne regarde en rien mon propre, mais seulement la gloire de Dieu, et le salut des âmes de mon prochain : comme toutes les personnes qui m’ont conversé peuvent témoigner.
CCLXVI. A. Bourignon n’écrit par égard humain, ne trouvant que des misères de ce côté-là. Prêtres et Peuple de Flensbourg.
Car si je me cherchais moi-même, je n’aurais garde de faire imprimer mes écrits, lesquels coûtent beaucoup d’argent, et me causent beaucoup de persécutions, d’incommodités et de misères : vu que souvent il me faut fuir d’un lieu à l’autre, et demeurer inconnue pour la poursuite de mes ennemis. Car il faut noter que la captivité apporte beaucoup de nécessité ; et que je suis plus captive qu’une prisonnière ; n’osant pas seulement mettre la tête à la fenêtre de ma chambre, de crainte d’être découverte ; ne pouvant sortir pour acheter un morceau de pain, bien que j’en aurais grande nécessité, à cause des persécutions et de l’émotion du peuple contre moi pour mes écrits. En sorte que si j’eusse été connue en allant sur les rues de FLENSBOURG, il est bien à craindre que les garçons m’eussent jeté de la fange et des pierres, ou peut-être massacrée : à cause que leurs Prédicants avaient prêché en diverses Églises que j’étais une séductrice de peuple ; que j’avais une doctrine Diabolique ; que j’enseignais des hérésies pires que celles des Juifs : en défendant au peuple de me loger, ou d’avoir avec moi quelque correspondance sous peine de punition. Ce qui avait planté au cœur du peuple de cette Ville une telle aversion, qu’icelui eut pensé de faire service à Dieu de me tuer. Et le Magistrat d’icelle Ville n’a point aussi fait de scrupule de prendre mon bien, et de faire brûler mes livres, sans aucun droit ou raison, en étant venue dans leur Ville comme une passagère qui ne fit mal à personne, et en sortant d’icelle Ville aussitôt que j’avais là fait mes affaires. Par où un chacun peut voir que mes écrits m’apportent du grand dommage, des persécutions, du déshonneur, ou incommodités, lesquelles je pourrais éviter, si Dieu ne me commandait d’écrire et de publier ses lumières. Car Dieu m’a donné assez de jugement pour veiller sur mon bien ; et pour voir ce qui me serait le plus avantageux. Ce qui doit ôter toute sorte de soupçon que j’écrive pour plaire aux hommes, et pour avoir de l’honneur ou du profit en ce Monde ; vu que par expérience je sais qu’il m’arrive tout le contraire.
CCLXVII. A. Bourignon agit pour la gloire de Dieu ; et les Prêtres pour leurs avantages.
C’est pourquoi qu’on a sujet de croire que c’est Dieu qui me commande d’écrire les choses qu’il me révèle, et que je ne peux avoir (en ce faisant) autre motif, sinon celui de lui obéir et plaire. Ce qu’un chacun devrait priser et estimer : vu qu’on trouve aujourd’hui peu de personnes disposées à souffrir dommage et persécutions pour accomplir la Volonté de Dieu : en voyant au contraire que tout ce que les hommes de maintenant font, bute toujours à leur profit, honneur, ou plaisir ; et qu’iceux ne feraient aucune chose à d’autre fin que pour en tirer quelques avantages temporels. Car si ces Prédicants mêmes prêchent, baptisent les personnes, les confessent, les marient, les enterrent ; c’est tout pour leurs avantages. Et à cause que cela est ainsi en leurs regards, ils pensent qu’il est aussi de même en mon regard ; en quoi ils se trompent grandement. Car je suis en cela le conseil de l’Écriture, laquelle dit : 515 Si vous l’avez reçu pour rien, donnez-le aussi pour rien ; comme l’Apôtre faisait en disant : Je l’ai reçu pour rien, et je le donne aussi pour rien. Car je ne reçois rien de personne pour composer mes livres, et je les fais imprimer à mes propres dépens, sans jamais avoir vendu d’iceux pour la valeur de ce que j’en ai déboursé. Mais j’estime ce dommage bien employé, lorsqu’il est appliqué pour le salut des âmes. Là où ces Prédicants (en faisant profession d’être employés au salut des mêmes âmes) veulent avoir des gages et bonne pension et mercède. Et il est à croire qu’ils s’alarment ainsi à l’encontre de moi, par crainte que leurs revenus diminueraient si ma Doctrine était reçue du peuple, lequel verrait bien par icelle Doctrine que la perfection des âmes ne consiste point à beaucoup donner aux Confesseurs ou Prédicants ; ni à les avoir souvent à leurs tables : mais que la perfection Chrétienne consiste seulement en 516 l’imitation de Jésus Christ, 517 en gardant les commandements de Dieu, et en quittant le mal pour faire le bien.
CCLXVIII. Mystères cachés révélés de Dieu à A. B. Pourquoi elle les déclare.
Voilà une vraie Doctrine, laquelle ne coûte rien à personne pour l’apprendre. Car à cause que Dieu me l’a donnée pour rien, je la donne aussi pour rien aux autres. Et si j’ajoute encore autre chose en mes écrits que ces enseignements salutaires, ce n’est que par abondance de lumières que Dieu me communiquées. Laquelle abondance ne nuit point à la Doctrine Évangélique nécessaire au salut : mais elle est un excès de la bonté et miséricorde de Dieu ; laquelle on doit reconnaître et estimer comme un présent de grand prix, pour louer Dieu, et l’estimer davantage. Et ce n’est qu’à ces fins que je les communique aux autres, et non par m’estimer moi-même, comme disent ces Prédicants, lesquels ne peuvent souffrir que je parle des grâces que j’ai reçues de Dieu, quoique Dieu même me commande de les déclarer : vu qu’il ne me les a données pour moi seule, mais pour en faire aussi participants plusieurs autres. Car Dieu m’a fait connaître comment il a créé les hommes, et à quelle fin, avec beaucoup d’autres mystères cachés. J’ai vu en mon esprit beaucoup de secrets cachés, qui n’ont encore été révélés à personne ; à cause que le temps n’était pas venu pour les révéler aux hommes : ce qui est figuré 518 par le livre fermé que Saint Jean vit dans son Apocalypse : lequel livre personne ne savait ouvrir, sinon l’Agneau occis. Et à cause que je commence à déclarer des choses semblables, on me veut tuer, ou accabler de persécutions, en disant mensongèrement que je rends bon témoignage de moi-même par orgueil ou vaine gloire, en m’estimant plus que les Prophètes, Apôtres et Dieu même : à quoi je n’ai rien à répondre ; sinon en disant que mon témoignage est véritable, vu que je déclare seulement les choses cachées que Dieu m’a révélées, et non des choses controuvées pour m’estimer plus qu’un autre : en sachant très bien que je ne dis rien de moi-même, et que tout l’honneur appartient à Dieu, lequel est l’auteur de tout bien, et que l’homme naturel n’a rien en soi que corruption et ignorance.
CCLXIX. Tout est à Dieu. Il fait du sien ce qu’il veut.
C’est pourquoi que je ne peux avoir de gloire des lumières que je reçois de Dieu : puisqu’elles sont siennes ; et comme il me les a données lorsqu’il lui a plu, il me les peut aussi ôter lorsqu’il lui plaira, sans que moi ou personne aie droit de lui demander pourquoi qu’il fait ainsi : mais un chacun doit admirer et estimer tout ce qu’il fait : puisque tout contourne à notre bien, si nous en faisons bonne usance.
Dieu envoie à présent ses lumières.
CCLXX. Les Chrétiens rejettent les lumières que Dieu veut maintenant envoyer sur la terre.
Mais ceux qui avec ces Prédicants veulent dire que les lumières de Dieu sont des hérésies et des blasphèmes contre Dieu, ou des Doctrines Diaboliques, ceux-là ne peuvent profiter d’icelles ; et sont de ceux de qui Jésus Christ a dit 519 qu’ils aiment mieux leurs ténèbres que la lumière, quoiqu’icelle lumière est venue maintenant en pleine perfection dans le Monde. Mais ceux qui se disent tenir la place de Dieu ne la veulent point recevoir, et crient : ôtez-la, ôtez-la : comme criaient les Juifs de Jésus Christ, lesquels ont tué son corps, comme ces personnes veulent maintenant tuer son Esprit : ce qui n’est en leur pouvoir ; à cause que l’Esprit de Jésus Christ n’est pas susceptible de la mort, et qu’il est un Esprit immortel. Car encore bien qu’on tuerait mon corps, on ne peut tuer les vérités que Dieu m’a révélées, et commandé de déclarer à ceux qui les veulent recevoir : car ceux qui ne les veulent recevoir ont reçu leur condamnation, comme Jésus Christ disait aux Juifs 520 que c’était leur condamnation que la lumière était venue au Monde, et qu’ils ont mieux aimé leurs ténèbres qu’icelle lumière. Laquelle lumière luisait sur tous les Juifs, quoique fort peu d’iceux l’aient voulu recevoir. Pour cela, Jésus Christ a envoyé ses Apôtres en divers lieux, en leur disant : 521 Allez et enseignez toute nation. Et lui-même a bien enseigné la femme Samaritaine, et a dit à la Cananéenne 522 qu’il n’avait point trouvé telle foi en Israël qu’en icelle. Pour montrer comment Dieu n’est accepteur des personnes et qu’il donne ses grâces aussi bien aux étrangers qu’à son propre peuple (comme étaient les Juifs), lorsque les infidèles veulent recevoir sa divine lumière : laquelle est maintenant envoyée aux Chrétiens comme au peuple de Dieu : mais si icelui ne veut point recevoir sa lumière, elle leur sera ôtée et donnée aux Turcs et Païens, qui la voudront bien recevoir, comme il semble que les choses se préparent, puisqu’on voit les Chrétiens de maintenant rejeter la lumière de Dieu avant même la connaître ; et que ceux qui la découvrent et ne la peuvent ignorer, la persécutent, et veulent faire mourir la personne par laquelle Dieu la veut mettre au jour.
CCLXXI. Les Turcs et les Païens sont plus propres à recevoir la vérité que les Chrétiens.
Que doit-on attendre de cette ingratitude des Chrétiens de maintenant qui persécutent ainsi la Vérité de Dieu, au lieu de l’estimer et suivre ? N’ont-ils pas mérité d’être abandonnés à l’Esprit d’erreurs auquel ils sont tombés, en témoignant qu’ils aiment plus leurs ténèbres que la lumière ; et en voulant faire dominer leurs erreurs au-dessus des vérités que Dieu révèle ? Ne faut-il pas croire de là ce que l’Écriture a dit : que les Païens et Idolâtres entreront au Royaume des Cieux ; et que les Enfants d’icelui seront chassés dehors ? Car pour moi je ne doute nullement que si j’allais parmi les Turcs et Païens déclarer les choses que Dieu me communique, qu’iceux m’écouteraient et recevraient davantage que ne font les Chrétiens, lesquels me veulent tuer à cause que je parle Vérité, et que j’avance les merveilles de Dieu, lesquelles ils n’ont pas trouvées dans leurs livres scolastiques, ou appris dans leurs Écoles : comme si Dieu était borné à leurs Universités, et qu’il ne pourrait donner davantage de lumière à une personne sans étude qu’à un Étudiant : quoique nous voyions que Dieu a toujours fait le contraire.
CCLXXII. Dieu a coutume de donner ses lumières par les simples.
Car où avaient étudié tous les anciens Prophètes pour savoir les secrets de Dieu, et écrire le Vieux Testament ? Et où ont été à l’École les Apôtres, pour nous donner tant de bons enseignements lorsqu’ils ont écrit le Nouveau Testament ? puisque l’Apôtre dit qu’il y avait entre les Disciples de Jésus Christ 523 fort feu de sages, et peu de grands : pendant que nuls Chrétiens n’ignorent que Dieu leur a communiqué ses secrets et révélé ses mystères cachés. Pourquoi donc ces Prédicants veulent-ils que Dieu ne fasse plus ainsi et qu’il soit obligé à leur communiquer seuls ses secrets, à cause qu’ils ont étudié aux Écoles ? Pensent-ils être les Pédagogues de Dieu pour lui prescrire des règles et des Lois à leurs fantaisies, lesquelles il ne surpassera point ? Ce serait en eux une grande ambition et arrogance. Car Dieu étant souverain sur toute chose, il sait bien ce qu’il doit faire, sans l’avis des hommes ; et ne changera jamais ses desseins pour leur complaire. Il a dit par son Apôtre 524 qu’il se sert de choses faibles pour confondre les fortes ; et qu’il détruira la sagesse des sages, et abolira la prudence des prudents. Et il fera assurément ces choses, quoi que ces Prédicants en disent. Ils peuvent aboyer et crier contre les vérités de Dieu, comme aboient les chiens contre les personnes qu’ils ne connaissent point : mais tous leurs cris n’empêcheront pas les desseins de Dieu : lequel a arrêté par sa grande miséricorde d’envoyer aux hommes sa Divine lumière, laquelle leur doit enseigner toute Vérité.
CCLXXIII. Promesses de Dieu pour les derniers temps commencent à s’accomplir.
Ce qui s’accomplira maintenant, comme il a été promis 525 au temps des Apôtres. Ce que Burchardus dit avoir été accompli au jour de la Pentecôte : quoique cela contredise aux Apôtres mêmes ; lesquels, depuis icelle Pentecôte, ont dit clairement : 526 Nous entendons et prophétisons maintenant en partie ; mais quand l’accomplissement des temps sera venu ; nous entendrons et prophétiserons en pleine perfection. En quoi on voit que c’est Burchardus qui parle contre l’Écriture ; au lieu qu’il doit prouver que c’est moi, comme il allègue, qui contredis à icelle. Car il dit que les choses sont jà accomplies, lesquelles l’Écriture dit expressément qu’elles 527 doivent arriver ès derniers temps, ou en l’accomplissement des temps : duquel accomplissement nous qui vivons maintenant sommes beaucoup plus proches que n’ont été les Apôtres. Pourquoi donc ne veut-on point que Dieu envoie davantage sa Lumière de Vérité maintenant qu’il n’a fait de leur temps ? Et pourquoi, disent ces Prédicants, que c’est en moi une Superbe, de dire que Dieu m’a donné plus clairement à connaître ses vérités qu’il n’a fait jadis aux Apôtres ? Puisque le S. Esprit l’a ainsi décrit ès Saintes Écritures, et que le Prophète dit 528 que Dieu épandra de son Esprit sur toute chair, et que les filles et fils prophétiseront, et que les vieillards songeront songes.
CCLXXIV. Elles n’ont eu par le passé leur plein accomplissement.
Et je voudrais bien que ces Prédicants me diraient quand ce peut avoir été que ces choses sont accomplies ? Puisqu’on voit l’Esprit de Dieu épandu sur si peu de personnes ; et qu’au temps de la Pentecôte cet Esprit a été épandu sur un si petit nombre de personnes, et même si imparfaitement, que les Apôtres se contredisaient encore quelquefois l’un l’autre en matière de Religion : 529 car Paul et Barnabas, ne se sachant accorder, furent obligés de se séparer, l’un cheminant vers Chypre, et l’autre vers Syrie. Ce qui n’est point un témoignage qu’ils avaient reçu 530 le S. Esprit en plénitude, lequel leur enseignerait toutes vérités, selon la promesse de Jésus Christ. Car si les Apôtres eussent reçu le S. Esprit en pleine perfection, ils ne pourraient plus avoir discordé par ensemble, ni été d’opinion contraire en matière de Religion : vu que l’Esprit de Dieu est toujours conforme en toute telle personne qu’il se retrouve. Et je sais par expérience que toutes les personnes qui ont reçu quelques lumières du S. Esprit ont toujours été conformes à tout ce que je leur disais venant du S. Esprit ; encore bien que je ne les avais auparavant jamais vues ni ouï parler d’elles. Je voyais dans leurs âmes un avouement et concordance sur ce que je disais. Et cela est la conformité qu’il y a toujours entre les enfants de Dieu et ce qui compose la communion des Saints.
CCLXXV. Le S. Esprit engendre uniformité à mesure qu’on le possède. La discorde ne vient pas de lui.
Car lorsque le S. Esprit régit diverses âmes, quoique fort éloignées et inconnues l’une à l’autre, elles sont néanmoins toutes unies en la même volonté de Dieu ; et à mesure qu’on voit maintenant les Chrétiens de cœur et de volonté différents, l’on les peut dire avec vérité éloignés des lumières du Saint Esprit. C’est pourquoi que je tiens toutes ces divisions de Reformes dans la Chrétienté être venues du Diable, et point du S. Esprit. Car 531 on connaît toujours l’arbre à son fruit. Et lorsqu’on voit tous ces réformés se contredire l’un l’autre, se haïr, se persécuter, et tuer, il faut conclure de là qu’ils n’ont pas la lumière du S. Esprit, et qu’ils suivent l’esprit d’erreur, lequel est toujours en discord et désunion : là où l’Esprit de Dieu lie les âmes par ensemble d’un lien de charité toute conforme, sans aucunes divisions ou discords. Car tous ceux qui ont reçu la lumière du S. Esprit aiment Dieu de tout leur cœur, et méprisent les biens et plaisirs de cette courte vie, vivent de foi en Dieu, et de charité au prochain. Et ces qualités avec plusieurs autres sont dans toutes les âmes en général qui ont reçu la lumière du S. Esprit, partout où elles pourraient être, tant ès Indes, qu’ès Pays de çà, par tout le Monde universel ; où ces âmes se peuvent retrouves elles sont toutes unies et conformes de désirs et de volontés.
De la vraie Église.
CCLXXVI. Ce que c’est que la Sainte Église.
Et icelles sont seules la Vraie et Sainte Église : mais rien d’autre. Car la Sainte Église ne consiste point dans quelque assemblée de Religion particulière ; ou dans quelque nom qu’on appelle les Religions : quoique les Romains se nomment la vraie Église ; et les Luthériens, les Évangéliques ; les Calvinistes, les élus de Dieu ; les Anabaptistes, les personnes régénérées ; et ainsi les autres. Toutes ces paroles ne les rendent point la Sainte Église, lorsqu’icelles ne se conduisent point par la lumière du S. Esprit. Parce qu’il n’y peut avoir d’autre communion des Saints sinon celle qui est composée des âmes qui se laissent régir par le S. Esprit : 532 celles-là composent la seule vraie Église. Et j’ai mû un jour cette question avec un Docteur en Théologie de l’Université de Louvain, lequel soutenait que hors de la Sainte Église il n’y avait point de salut. Ce qu’il me fallait avouer : mais je lui demandai par diverses fois en disant : Où est-elle, Monsieur, la Sainte Église ? À quoi il tarda à me répondre, et étant pressé par une troisième fois, en lui priant de me dire là où était la vraie Église ? il me dit : J’espère qu’elle est entre nous trois. En quoi il montra d’avoir le sentiment d’un vrai Docteur, et point le sentiment erroné de tant d’autres, qui veulent tous soutenir que leur Religion (qu’un chacun a entrepris de professer) est la Sainte Église, privativement à toutes autres ; quoique je n’en connaisse pas une qui soit conduite par la Lumière du S. Esprit.
CCLXXVII. Comment A. B. souhaite et la destruction et le rétablissement de l’Église.
De quoi Burchardus m’a fort blâmée en son livre, parce que j’ai dit dans une de mes lettres, écrite à Labadie, 533 que toutes ces diverses Églises sont corrompues, et qu’il faudrait plutôt prier Dieu qu’il les détruisît, au lieu de les vouloir soutenir ou rétablir ; afin d’en avoir une qui serait sainte sans corruption. Je ne peux nier d’avoir dit toutes ces choses dans ma dite lettre à Labadie : mais je n’ai pourtant voulu faire entendre, comme glose ce Burchardus, que je souhaite la ruine de la vraie Église, puisque je veux maintenir et soutenir icelle au péril de ma vie, et en souffrant toute sorte de persécutions. Car tout ce qu’on me fait souffrir provient de ce que je parle vérité et que je découvre le relâchement de la Sainte Église en remémorant l’état dans lequel était l’Église primitive : afin que les Chrétiens retournent en icelui, en reprenant son premier Esprit auquel Jésus Christ l’avait établi. Et parce que je soutiens qu’en l’observance de la Loi Évangélique consiste la vraie Église, et que je montre de combien toutes ces Églises et Réformes d’à présent sont déchues de cet Esprit, on me veut tuer : quoique je n’aie jamais choqué aucune Religion en particulier. Je peux bien souhaiter par une charité Chrétienne que Dieu renverse tout ce qui est corrompu, afin d’établir de nouveau sa Sainte et Vraie Église, comme il a promis par les Saints Prophètes 534 qu’il rétablira toute chose, et que sa 535 vraie Épouse sera la nouvelle Jérusalem. Je ne sais quel mal je peux avoir commis en souhaitant que Dieu détruirait toutes ces Églises corrompues pour en avoir une seule sans corruption. Car il me semble que tous vrais Chrétiens doivent souhaiter cela avec moi ; voire aspirer après ce jour bienheureux auquel tous maux seront ôtés, et que la Justice régnera sur la Terre. C’est ce que l’Église prie continuellement, en disant : Venez saint Esprit renouveler la Terre. Laquelle Terre ne peut être renouvelée avant que la vieille corruption en soit détruite et ruinée, comme je souhaite : mais non pas d’un sens renversé, comme ce Burchardus veut faire entendre en son livre, voire à la Justice, en disant aux Juges que je veux détruire l’Église ; et que je contredis et renverse les fondements de sa Religion, laquelle est en la vraie croyance.
CCLXXVIII. Les Prêtres, par propre intérêt, rendent odieuse la vérité, et ceux qui l’annoncent.
Et il fait cela pour me décréditer et me faire précipiter en toute sorte de misères. Car un Juge doit châtier une personne qui veut détruire l’Église de Dieu. Les Prêtres Catholiques, mes ennemis, ont aussi dit que je voulais détruire la S. Église, et que de l’Église de Nordstrand je voulais faire une taverne. Et les uns et les autres ont de semblables inventions afin de me rendre odieuse à tout le Monde, et afin que par ce moyen personne ne reçoive les vérités de Dieu que j’avance. En sorte que les Diables mêmes ne sauraient trouver des moyens plus propres que n’usent ces personnes pour s’opposer aux desseins de Dieu. Car sitôt qu’elles auront su persuader au peuple qu’il y a des erreurs et du venin cachés en ma Doctrine (comme ils disent), un chacun en aura horreur. Et on m’a rapporté que plusieurs personnes n’oseraient lire mes écrits, de crainte d’être séduites ou trompées. Ce qui est une faiblesse d’esprit. Car tant plus on craint qu’il y a du mal en iceux, de tant plus on les doit examiner de près afin de découvrir ces erreurs et les condamner comme choses mauvaises, ou du moins de s’en garder, sans rejeter à l’aveugle les lumières de Dieu pour des erreurs, sur le dire de ces Prédicants, lesquels cherchent plus en cela à maintenir leurs avantages que le salut des âmes. Car s’ils n’avaient pas d’intérêt particulier en cela, ils laisseraient divulguer ma Doctrine, en sachant bien qu’il y a assez de bons esprits dans la Chrétienté pour juger si mes écrits sont bons ou mauvais ; ou pour découvrir s’il y a en iceux quelques hérésies ou choses contre la charité Chrétienne.
Être assis sur la Chaire de Moïse.
CCLXXIX. Prêtres croient être assis sur la Chaire de Moïse sans savoir ce qu’elle est.
Mais ces Prédicants ne veulent référer à personne ; et veulent qu’on les croie aussi bien en mentant qu’en disant la vérité ; à cause qu’ils sont constitués ès dignités ecclésiastiques, et qu’ils prennent ce passage de l’Écriture où Jésus Christ a dit aux Juifs : 536 Ils sont assis en la Chaire de Moïse ; partant, faites ce qu’ils vous disent. Et il est bien vrai que l’Écriture parle toujours, et que ce qu’elle a dit aux Juifs, elle le dit aussi aux Chrétiens, et à tout le peuple de Dieu. Mais je demanderais volontiers à ces Prédicants (comme je demandai au Docteur de Louvain où est la sainte Église ?) afin que ces Prédicants me répondraient catégoriquement, en leur faisant une question pour savoir où est la Chaire de Moïse ? Et s’ils me disaient que la Chaire de Moïse sont les chaires èsquelles ils prêchent ès Églises, je dirai que Moïse n’a jamais prêché en ces formes de chaires ; et que ce n’est qu’une invention humaine d’élever ainsi des Chaires pour prêcher : ce qui ne sert que pour élever les Prédicants au-dessus des autres personnes ; et que Jésus Christ ni ses Apôtres n’ont point prêché en de semblables Chaires, mais parmi les rues, ès montagnes, ou au bord de la Mer, et partout là où ils trouvaient le peuple assemblé, simplement, sans faire le Docteur ou Orateur. En sorte que toutes ces chaires prêchoires ne peuvent être la Chaire de Moïse. Mais ils diront (peut-être) que leurs promotions à l’état Ecclésiastique les ont posés en la Chaire de Moïse ; et, partant, que le peuple doit faire ce qu’ils disent, selon l’ordonnance de Jésus Christ. Et cette deuxième allégation n’est non plus fondée que la première : car j’ai connu des personnes très méchantes qui étaient promues à l’état Ecclésiastique, et qu’ils enseignaient des choses méchantes.
CCLXXX. Prêtres n’étant dans la Chaire de Moïse, on ne doit faire tout ce qu’ils disent.
C’est pourquoi que les gens d’esprit ne croient point qu’il faut faire tout ce que ces Prêtres disent : ce qu’ils persuadent bien de croire quelques simples femmelettes de petits cerveaux, lesquelles n’ont point assez de capacité pour discerner le mal hors du bien, et croient à l’aveugle tout ce que ces Prédicants disent, comme s’il venait de Dieu. Et j’ai connu une femme veuve, laquelle (étant fort riche sans aucuns enfants) fut attirée dans un Cloître à cause de ses richesses, et fît là vœu de Religion ; mais après y avoir été quelque espace de temps, elle se repentit ; et prouva si bien qu’elle y avait été attirée par la subtilité des Religieuses de ce Convent, qu’elle en sortit libre ; et ses vœux furent déclarés nuls, pour n’avoir pas été faits de son plein consentement. Et comme elle sollicitait pour r’avoir son argent après être sortie du dit Convent, elle vint en ma compagnie à Malines, là où était son juge délégué. Et entre autres choses, on lui demanda précisément en ma présence pourquoi elle avait entré dans ce Convent en étant si âgée, même contre son gré ? à quoi elle répondit : que son Confesseur lui avait dit qu’il fallait qu’elle entrât dans ce Convent : ce qu’elle n’avait osé omettre en croyant que c’était Dieu qui le voulait, à cause que son Confesseur lui disait. À quoi un bon Théologien là présent se prit à rire en demandant à la femme si en cas que son Confesseur lui aurait dit qu’elle devait venir coucher avec lui, si elle lui eût aussi obéi ? De quoi elle fut honteuse, en confessant qu’elle avait été trop simple de croire à ce Prédicant. Et je pense qu’il y a encore plusieurs personnes simples de semblables sentiments, lesquelles croient ce que ces Prédicants disent comme si c’était Dieu qui leur parlerait ; à cause qu’ils disent de tenir la place de Dieu, et d’être assis en la chaire de Moïse : sans savoir ce que c’est de cette Chaire de Moïse, non plus qu’on ne sait ce que c’est de la Sainte Église ; à cause que par tradition les ignorants ont fait entendre les uns aux autres des vérités apparentes pour des réelles. Et parce qu’ils ont vu que ces Prédicants sont établis ès dignités Ecclésiastiques, qu’ils ont pensé qu’iceux tiennent la place de Dieu, et qu’ils sont assis en la Chaire de Moïse, sans comprendre ce que c’est la Chaire de Moïse : laquelle n’est point ces Chaires prêchoires, faites de pierres ou de bois : vu que des méchantes personnes peuvent bien monter en la chaire prêchoire, voire une bête ou un Diable même, lequel a quelquefois prêché en icelles. Et que la Chaire de Moïse ne peut aussi être la promotion à l’état Ecclésiastique : vu qu’icelui est desservi quelquefois par des méchantes personnes qui sont liées par pacte précis au Diable. Car j’ai entendu raconter qu’un semblable Pasteur baptisait tous les enfants de son Village au nom du Diable ; et qu’il les offrait au Diable au lieu de les offrir à Dieu.
CCLXXXI. Chaire de Moïse, Doctrine de Moïse. L’on n’y est plus à présent.
Par où on peut clairement voir que la Chaire de Moïse ne consiste point en la promotion Ecclésiastique : mais qu’elle consiste seulement en la Doctrine de Moïse, laquelle est la vraie chaire de Vérité, et la Doctrine qu’il faut suivre, non pas ce que ces Prédicants disent d’eux-mêmes. Car en étant tous hommes fragiles comme les autres, ils peuvent prêcher des mensonges, et enseigner des erreurs. Mais ceux qui sont possédés de la Doctrine de Moïse et enseignent cela aux autres, il les faut suivre et faire ce qu’ils disent, selon le conseil de Jésus Christ : parce qu’ils parlent vérité en enseignant ce que Dieu a déclaré à Moïse son Prophète ; et aussi longtemps que ces Prédicants demeurent en cette Doctrine, il faut faire ce qu’ils disent : vu que ce n’est pas eux qui parlent, mais Dieu ; et lorsqu’il a parlé à Moïse, il a parlé en lui à tous ceux qui veulent être sauvés. Et personne ne peut jamais manquer en faisant ce que Dieu a dit à Moïse, encore bien que ceux qui enseignent ces choses ne les feraient point eux-mêmes ; et qu’ils prêcheraient bien en faisant mal : ce que Jésus Christ a dit des Pharisiens, qu’il ne fallait point faire ce qu’ils faisaient, mais bien ce qu’ils disaient. Mais à présent on ne pourrait plus suivre ce conseil de Jésus Christ : parce que plusieurs ne font pas mal seulement, mais enseignent aussi mal. Desquels on peut bien dire ce que disait l’Apôtre aux Juifs, 537 qu’en se glorifiant en la Loi, ils déshonorent Dieu par la transgression de la même Loi. Car on entend à tout côté les Prédicants dire qu’ils sont les envoyés de Dieu, et rejettent ma Doctrine à cause que je ne suis pas de semblable envoyée comme ils sont ; parce qu’ils disent qu’ils tiennent la place de Dieu, et se glorifient en sa Loi et en l’annonciation de l’Évangile à cause de leur promotion : pendant qu’ils déshonorent Dieu par la transgression de toutes ces choses : car ils n’observent point la Doctrine de Moïse, ni celle de l’Évangile ; pendant qu’ils se glorifient en ces choses.
CCLXXXII. Doctrine et Lois de Moïse doivent être observées. Elles butent à la pénitence aussi bien que celles de Jésus Christ et ses mérites.
Ils prêchent que les hommes sont trop fragiles pour les observer. En quoi on ne les doit suivre : vu que Dieu n’a donné sa Loi à Moïse 538 sinon pour être observée par les hommes ; et qu’il n’a envoyé son Fils Jésus Christ en Terre sinon pour montrer aux hommes ce qu’ils doivent faire et laisser pour rentrer en la grâce de Dieu, laquelle ils avaient perdue : vu que toutes ces Lois ne sont données aux hommes qu’à cause de leurs fragilités, et comme des véritables moyens pour aider leurs faiblesses. C’est bien loin que leurs fragilités les dispenseraient de l’observance de ces Lois ; puisqu’icelle fragilité les oblige davantage : et à mesure 539 qu’ils sont fragiles, à mesure doivent-ils observer plus exactement routes les Lois ; lesquelles ne leur sont données de Dieu qu’en considération de leurs faiblesses et fragilités. Vu que 540 les parfaits n’ont besoin de nulles Lois, en étant Loi à eux-mêmes. Ce que Jésus Christ nous fait aussi entendre, lorsqu’il dit : 541 Ceux qui sont sains n’ont besoin de Médecin ; mais ceux qui sont malades. Et ailleurs dit : Je ne suis pas venu pour appeler le Juste, mais le pécheur à repentance. Par où on peut assez entendre que toutes ces Lois sont des voix qui crient aux hommes la pénitence, et qu’ils se doivent repentir et convertir pour être sauvés, en embrassant les choses ordonnées par ces Lois, comme les vrais moyens de leur salut ; et que ce n’est point assez d’entendre ces Docteurs prêcher la Loi de Moïse, ou la Doctrine Évangélique : mais qu’il faut mettre ces choses en pratique, sans s’arrêter aux gloses ou explications que les hommes font là-dessus. Vu qu’ils ne sont plus dans la Chaire de Moïse lorsqu’ils sont en la Doctrine des hommes, qui tordent les Lois de Dieu pour les faire plier à leurs relâchements. C’est pourquoi que l’Écriture dit : 542 Malheur à l’homme qui a mis sa confiance en l’homme ; ou qui se fie ès paroles des hommes, encore bien qu’ils disent de tenir la place de Dieu : il ne les faut croire sinon autant qu’ils demeurent en la Doctrine de Moïse et en celle de Jésus Christ ; vu que hors de là ils ne sont point assis en la chaire de Vérité. Il est bien vrai que Jésus Christ est venu en ce Monde appeler le pécheur et non le juste ; mais c’est seulement le pécheur repentant, lequel se veut convertir et mourir au péché pour vivre à la grâce : mais il n’est point venu pour sauver le pécheur continuant en ses péchés : puisque la mort et les mérites de Jésus Christ serviront de plus grande condamnation à ceux qui ne feront point ce qu’il leur a enseigné : 543 Car son sang sera en malédiction à ceux qui périssent.
CCLXXXIII. Doctrines flatteuses d’à présent sont contraires au but de celle de Moïse et de Jésus Christ.
Cela étant véritable, comment donc ces Prédicants peuvent-ils enseigner maintenant à tous les hommes qu’iceux seront sauvés par les mérites de Jésus Christ, pour méchants qu’ils soient ? Puisque l’Écriture dit que ces mêmes mérites serviront de malédiction à ceux qui périssent. Ne faut-il pas craindre que leurs enseignements soient des Séductions ? et que j’aurais bien plus de sujet de dire à ce Burchardus qu’il séduit le peuple par de semblables Doctrines, que lui n’a de sujet de dire cela de moi, qui enseigne la vérité ? Car personne ne peut être séduit ou trompé par ma Doctrine de garder les commandements de Dieu, et en observant la Loi Évangélique, comme j’écris et que je pratique : mais on peut bien être trompé en se flattant soi-même, demeurant en ses péchés comme les hommes de maintenant font ; en s’étant imaginé que Jésus Christ a tout satisfait pour eux.
CCLXXXIV. Trois qualités de ceux qui sont assis sur la Chaire de Moïse. Démonstration que Burchardus ne les a point.
Cette séduction est bien plus manifeste et apparente ; et ces flatteries, faites aux hommes par ces Prédicants, témoignent bien qu’iceux ne sont pas assis en la chaire de Moïse : puisque ceux qui sont assis en cette chaire sont possédés d’un esprit de VÉRITÉ, de JUSTICE et de CHARITÉ de Dieu. Ce qui ne se retrouve pas au procédé de notre Burchardus : car son livre qu’il a composé contre moi est rempli de mensonges si grossiers, qu’un chacun peut les toucher au doigt, vu qu’il m’accuse : d’hérésie, de blasphèmes contre Dieu, d’avoir une Doctrine Diabolique, de nier la Très Sainte Trinité, et la Divinité en Jésus Christ. Il dit que j’ai dit d’être plus que les Prophètes, les Apôtres, et la Vierge Marie, et que je tiens Adam pour un hermaphrodite, avec beaucoup d’autres choses. De tout quoi je n’ai jamais eu une pensée ni la moindre croyance. En sorte qu’il ne peut être dans un Esprit de VÉRITÉ en rapportant si grand nombre de mensonges malicieusement inventés ; et même j’ai entendu de ceux qui ont tout lu les livres que David Joris a composés, lesquelles personnes m’ont dit que les choses que Burchardus raconte de lui (pour les comparer à ma Doctrine, et montrer que mes sentiments sont hérétiques, comme étaient (selon son dire) les sentiments dudit David Joris), que cela n’est pas véritable ; et que ledit Joris n’a jamais possédé les sentiments que Burchardus lui attribue. Ce qui sont des mensonges manifestes, lesquels il a bien osé faire imprimer. Par où un chacun peut voir qu’il n’est pas assis en la chaire de Moïse : vu qu’il n’est possédé d’un Esprit de Vérité. Non plus aussi de l’Esprit de JUSTICE, car quelle Justice peut-on remarquer en ce qu’il me persécute sans aucune raison, sinon celle que j’aime la justice et que je parle vérité ? Quelle justice a témoignée ce Burchardus à me faire lever tous mes livres par la Justice, qui sont mes propres biens et ceux de mes amis, venus de la Hollande comme une autre marchandise ? Quelle justice a-t-il usée de me faire défendre de publier mes livres, et lever mon imprimerie, sans me faire dire le pourquoi ? Car si ces livres sont bons, on ne les doit point faire défendre : puisque le bien doit être partout aimé et désiré : mais si mes écrits sont mauvais, il me doit avoir montré le mal qu’il y avait en iceux, et je l’aurais moi-même condamné, sans l’entremise des Juges ou Magistrat. Et quelle injustice en ce Burchardus de presser par la dédicace de son livre le Président de la justice de Gottorp à poursuivre son exécution contre moi ; en lui promettant des bénédictions de Dieu pour ce sujet : sans que personne me veuille déclarer de quoi on m’accuse ou qui sont mes Accusateurs ? Ce que je ne sais pas encore aujourd’hui ; quoique pour des maux qui me sont inconnus j’aie déjà souffert tant de dommage, de déshonneurs, et de persécutions. Et si ce Burchardus avait en son âme tant soit peu de justice, il n’oserait dormir en repos d’avoir si injustement persécuté une personne comme il m’a fait : mais il montre assez qu’il n’a rien de la justice de Moïse ; encore qu’il dise être assis en la chaire de Moïse. Et il n’a aussi rien de la CHARITÉ de Moïse ; puisqu’il ne veut pas seulement souffrir que je publie des livres qui attirent les hommes à l’Amour de Dieu, et à suivre Jésus Christ.
CCLXXXV. Esprit de Moïse et celui de Burchardus, opposés.
Car la charité que Moïse avait pour les âmes des hommes et pour procurer leur salut, 544 le faisait jeûner et prier continuellement, exhortant les hommes pour leur faire observer les commandements de Dieu ; et lorsqu’iceux ne les voulaient point observer, 545 Moïse se mettait en colère, et de déplaisir rompit la Pierre là où ces commandements étaient écrits. Il exhortait le peuple 546 à les enseigner à leurs enfants, à les mettre sur leurs portes, et à les porter avec eux où ils allaient. Mais ce Burchardus dit que les hommes sont trop fragiles pour garder ces commandements ; et se met en colère contre moi à cause que j’enseigne (comme Moïse) 547 qu’il faut garder ces commandements pour être sauvé. Et il me voudrait bien rompre et briser comme la pierre, à fin que je n’avancerais plus la Doctrine de Moïse.
CCLXXXVI. A. B. possède l’Esprit de Moïse et ses qualités. Est assise sur la Chaire de Moïse.
En quoi on voit que je suis davantage en la chaire de Moïse que n’est ce Burchardus avec sa promotion : vu qu’il enseigne le contraire à ce que Moïse a enseigné, et que j’enseigne les mêmes choses que Moïse a enseignées ; et que je suis possédée (par la grâce de Dieu) du même Esprit de JUSTICE, VÉRITÉ et CHARITÉ, comme Moïse a été. Car je parle Vérité, et le mensonge n’est point en moi. J’aime la Justice, et ne peux souffrir l’injustice, non plus en moi qu’ès autres. Et je suis aussi possédée de la Charité, en estimant plus le salut et les biens spirituels de mon prochain que les miens propres. Et j’ai souvent été en doute pour savoir si je n’excédais point en cette charité du prochain, par laquelle la Loi de Dieu ordonne d’aimer son prochain comme soi-même : et que j’expérimentais en mon intérieur d’aimer mon prochain plus que moi-même, en lui souhaitant plus de bien qu’à moi-même. Mais Saint Paul m’a ôté ce doute, lorsqu’il dit 548 de vouloir bien être biffé hors du livre de vie, pourvu que ses frères soient sauvés. Et toutes ces grâces que Dieu m’a faites montrent assez que je suis par lui assise en la Chaire de Moïse, en étant en sa Doctrine et 549 en ses sentiments. Mais ces Prédicants n’ont que faire de ma promotion de Dieu ; ils n’estiment sinon celles des hommes, et ne veulent pas souffrir qu’une fille vienne dire quelque chose de la part de Dieu, sans la persécuter et outrager ; en appelant les Chefs et Supérieurs des Pays et de la Justice pour empêcher qu’elle ne parle plus de bouche ni par écrit, et faire qu’elle tienne ses secrètes révélations de Dieu pour elle-même, sans les communiquer aux autres. Ce qui est extrêmement contre la charité, laquelle souhaite que tous les hommes recevraient la Lumière de Vérité, afin qu’ils puissent être sauvés.
CCLXXXVII. Ce n’est pas une superbe à A. B. de déclarer les grâces et dons qu’elle a reçus de Dieu.
Je m’imagine que si notre Burchardus entend que je dis d’avoir la Vérité, Justice et Charité de Moïse, qu’il me condamnera de superbe plus que jamais : vu qu’il m’a déjà tant de fois condamnée de péchés par son livre, quoique je n’avais lors jamais parlé ouvertement des grâces que Dieu m’a faites. Mais la condamnation d’un homme si imparfait ne peut nuire à mon âme. Car Dieu sait que c’est lui qui me commande de ce faire ; et si cela plaît ou déplaît aux hommes, c’est peu de chose : lorsqu’il plaît à Dieu, il me suffit. Je ne veux pourtant dire d’avoir les mêmes degrés de vertus de Justice, Vérité et Charité qu’a eus Moïse : parce que Dieu ne m’a point révélé combien il lui en avait départi : mais je veux seulement dire que mon âme est possédée (à proportion) de la même Charité, Justice et Vérité que celle qu’a eue Moïse. Mais s’il a eu une livre de chacune de ces vertus, et que j’en aie seulement une once, je n’en sais rien, et ne le veux pas aussi demander : parce que la vertu d’un autre ne me regarde, et qu’il me suffit d’avoir été fidèle en ce qui m’a été commis. Si Dieu m’a donné son divin Amour, que je fasse toutes mes actions et dresse toutes mes intentions pour cet Amour, sans chercher en rien mon propre, ou la satisfaction des hommes ; et si Dieu m’a donné sa Justice, il faut que j’exerce icelle vertu en choses petites et grandes également, selon mon emploi, en faisant toujours justement à un chacun, voire à mes ennemis mêmes. Et Dieu m’a tellement planté cette Justice au fond de mon âme, que je ne peux souffrir d’injustice à l’endroit des bêtes mêmes, beaucoup moins à l’endroit de quelque personne. Et la vérité que Dieu m’a départie est si enracinée en mon âme, que je souffre toute sorte de persécutions à cause d’icelle. Et quoiqu’il m’est dur de tant souffrir pour avoir dit la Vérité que Dieu me commande, je ne peux cesser de ce faire. Aussi 550 vaut-il mieux d’obéir à Dieu qu’aux hommes : puisque Jésus Christ me dit : 551 Ne craignez point ceux qui ne peuvent que tuer le corps ; mais craignez celui qui peut envoyer les âmes ès enfers.
Pourquoi A. B. est Envoyée de Dieu
CCLXXXVIII. Vérités que Dieu veut qu’A. Bourignon déclare aux hommes.
Je sais bien qu’il n’est point permis de déclarer toutes sortes de vérités, principalement celles qui ne sont profitables : mais il convient toujours de déclarer aux hommes les Vérités que Dieu veut qu’ils sachent pour opérer leur salut : comme il fallait que Moïse eût déclaré au peuple les choses que Dieu lui communiquait pour leur salut ; et s’il n’eût point voulu faire cela, il n’aurait pas été fidèle à Dieu, ni eu de charité pour les âmes de son prochain. Tout de même en arrive-t-il maintenant en mon regard, à proportion que Dieu me communique ses secrets. Car il veut que je déclare aux hommes : Comment qu’ils ont abandonné leur Dieu, et sont morts à sa grâce. Il veut que je leur dise : Qu’ils ne peuvent être sauvés sans garder ses commandements. Et que je leur montre : Qu’ils sont sans charité, et n’aiment plus qu’eux-mêmes. Que je leur dise : Qu’ils périront tous, s’ils ne renaissent en l’Esprit de Jésus Christ. Il veut que je déclare : Que le Monde est à sa fin ; Que l’abomination de la désolation est dans le Sanctuaire ; Que les hommes se séduisent l’un l’autre, sous bonnes apparences ; Que le péché est masqué de sainteté, et couvert d’hypocrisie ; Que les cœurs des hommes se trompent eux-mêmes ; Que le Monde est jugé ; Que la Sentence est irrévocable : avec mille autres choses utiles et nécessaires au salut des âmes. Mais les hommes ne veulent pas souffrir que je déclare ces choses, me voulant faire mourir à cause d’icelles.
CCLXXXIX. A. B. écrit par mouvement de Dieu, qui lui a donné les qualités de son Esprit.
Et ces Prédicants de Flensbourg ont fait brûler mes livres afin de décréditer ces vérités divines. Et ce Burchardus dit que par un esprit de superbe je m’estime plus que les Prophètes, Apôtres, et la Vierge Marie : afin de rendre les desseins de Dieu odieux à tout le Monde, comme s’ils avaient dit en leurs cœurs : 552 Il n’y a point de Dieu. Car s’ils croyaient véritablement qu’il y a encore un Dieu vivant qui tient le compte de leurs actions, ils n’oseraient ainsi maltraiter les choses qu’on annonce de la part de Dieu, ni faire brûler par le bourreau des livres que le S. Esprit a dictés, de quoi on en peut avoir témoignage de Dieu et des hommes. Car ceux qui me voient écrire savent bien que je le fais sans aucune étude ou spéculation humaine ; et que cela coule de mon Esprit comme un fleuve d’eau coule hors de sa source ; et que je ne fais que prêter ma main et mon esprit à une autre puissance que la mienne. Car lorsque j’ai écrit quelque chose, je ne la saurais plus écrire une autre fois lorsque je voudrais. Aussi ne sais-je point ce que j’ai écrit au commencement de quelque Traité lorsque je suis au milieu, ou à la fin d’icelui : puisque je ne relis point mes écrits ; mais les donne aux autres feuille à feuille, à mesure qu’ils sont dictés, sans les examiner davantage. Car à mesure que j’ai moins de mémoire des choses que j’ai écrites du passé, à mesure j’en reçois mieux de nouvelles. Plusieurs personnes sont témoins de cela. Et Dieu donne encore un plus assuré témoignage en me départissant sa Justice, sa Vérité, et sa Charité.
CCXC. A. B. n’attribue nul rien à soi, mais tout à Dieu, Auteur de tout bien.
Car ces choses ne peuvent venir de la Nature, laquelle, étant corrompue, ne peut produire aucun bien ni aucunes vertus divines : à cause que je suis sortie de la masse corrompue d’Adam, comme tout le reste des hommes, il n’y pourrait avoir en moi aucune Justice, Vérité ni Charité, lesquelles sont toutes vertus Divines et surnaturelles, lesquelles ne viennent en l’âme des hommes sinon par l’œuvre du S. Esprit : car il n’y a que Dieu seul qui est parfaitement juste et véritable. Et personne ne se peut glorifier en la Justice, Vérité et Charité qu’il possède, sans avoir l’esprit malfait ou troublé ; à cause que ces vertus ne sont nullement en la personne, mais en Dieu seul, lequel les départit à qui bon lui semble. Et celui qui a reçu quelqu’une de ces vertus en doit glorifier Dieu, et point s’en glorifier soi-même : comme par la grâce de Dieu, je ne m’en glorifie point. Et je ne crains aussi que personne me saurait vérifier qu’en aucune façon je m’attribue à moi-même quelque perfection ou vertu : parce que Dieu m’a donné trop de la Lumière de Vérité pour ce faire : en m’ayant fait clairement voir que tous les biens viennent de Dieu, et que tous les maux viennent de l’homme et du Diable ; lesquelles deux créatures étant également retirées de Dieu, source de tous biens, sont tombées en toute sorte de maux. Et partant, il ne peut rien sortir de la Nature corrompue de l’homme que maux et péchés. C’est pourquoi il ne peut avoir d’occasion de se glorifier pour ses vertus, lesquelles ne sont pas siennes ni en sa disposition. Et partant, à grand tort ce Burchardus dit en son livre que je m’estime plus que les Prophètes, Apôtres, ou que la Vierge Marie : desquels je ne peux savoir à quels degrés de grâces ils sont arrivés, pour les pouvoir comparer aux grâces que Dieu m’a départies. Je sais bien que je suis une pauvre créature, sujette à beaucoup de misères et infirmités : ce qui me fait bien souvent humilier devant Dieu et les hommes : mais je sais bien aussi que Dieu habite en moi par sa Justice, Vérité, et Charité ; et qu’il me fait régler toutes mes actions au niveau de ces vertus.
CCXCI. Marques qu’une âme a le S. Esprit.
Ce qui me donne assez de témoignages que c’est Dieu qui me guide : vu que Diable et la Nature n’ont rien de ces vertus. Et partant, on ne peut trouver de témoignage plus assuré qu’une âme est guidée par le S. Esprit, que lorsqu’elle est possédée de la Justice, Vérité, et de la Charité de Dieu. Car si on désirait de voir des miracles pour avoir cette preuve, on se pourrait trouver trompé : vu que le Diable sait bien faire des miracles, ou des choses qui semblent surnaturelles ; mais il ne peut jamais avoir en soi la Justice, Vérité, et Amour de Dieu. Le Diable pourrait bien prier, jeûner, donner son bien aux pauvres, et induire les hommes à toutes sortes de bonnes œuvres extérieures : mais il ne peut jamais avoir la Charité, ni la Vérité, ou la Justice de Dieu. C’est ce que S. Paul déclare en disant : 553 Encore bien que vous donneriez tous vos biens à la nourriture des pauvres ; et votre Corps pour être brûlé ; que vous transporteriez les montagnes ; auriez le don de Prophétie etc., que tout cela ne serait rien sans la Charité : comme il est en effet. Car comme dit ailleurs le même Apôtre : 554 On ne sera point sauvé par les œuvres de la Loi. Et c’est à cause que les œuvres de la Loi ne sont point la fin de notre salut ; mais sont seulement les moyens pour y arriver. Et si nous nous arrêtons aux dits moyens, nous n’arriverons point à la fin ; quoique les moyens soient nécessaires pour y arriver : comme serait nécessaire une barque ou ponton pour passer la mer. C’est pourquoi qu’il ne faut point mépriser les œuvres de la Loi, comme font plusieurs ignorants qui rejettent les bonnes œuvres, à cause que cet Apôtre a dit qu’on n’est point sauvé par les œuvres de la Loi ; ce qui leur arrive faute d’intelligence des Écritures. Car celui qui méprise les œuvres de la Loi n’arrivera jamais au salut : vu que ces œuvres sont les chemins pour arriver à icelui. Et si on ne veut prendre le chemin nécessaire pour aller dans une ville, on n’y peut jamais arriver. Tout de même ne peut-on arriver à la vie éternelle sinon par les œuvres de la Loi.
CCXCII. A. B. révèle les secrets de Dieu. Nullité des prétextes de Superbe pour quoi on la veut perdre.
Dieu m’a donné l’intelligence de ces choses avec plusieurs autres ; et a ému mon cœur d’une Charité Chrétienne à les communiquer au prochain, parce qu’il y a encore dans le Monde beaucoup de personnes de bonne volonté, lesquelles périssent par ignorance, à cause qu’on ne leur a jamais déclaré la vérité des choses ; et qu’elles ont cru d’un sens renversé plusieurs passages de la S. Écriture, lesquels Dieu me révèle maintenant au sens véritable. Et pour ce bénéfice reçu de Dieu, les hommes me veulent tuer et perdre s’ils pouvaient, et ils prennent le prétexte de ce faire, en disant que je m’élève par-dessus les Prophètes, Apôtres et la Vierge Marie. Ce qui est un faible sujet pour mettre une personne à mort. Car encor que cela serait véritable, je ne pourrais nuire à personne en portant un orgueil caché en mon cœur, lorsque j’enseigne des choses bonnes et salutaires aux autres. Il faudrait seulement en tel cas 555 faire ce que je dis, et point ce que je ferais : comme Jésus Christ disait au peuple des Pharisiens. Car sans doute que ce peuple aurait été sauvé en suivant la Doctrine de ces Prêtres Pharisiens pour aussi avant qu’ils étaient assis en la Chaire de Moïse, et qu’ils enseignaient sa Doctrine : et quoique les Prêtres eussent été damnés pour leurs mauvaises vies, le peuple n’aurait eu aucun dommage en bien faisant eux-mêmes ; et ne porteraient pas la punition pour le mal de leurs Conducteurs. Ainsi, aussi ne pourrais-je faire mal à personne en déclarant les Secrets que Dieu me communique, quoique je serais superbe en moi-même, comme ces Prédicants veulent faire entendre : cela ne toucherait qu’à moi ; et il m’en faudra seule rendre compte à ce grand Juge, 556 qui sonde les reins, et examine les consciences. En sorte que ma Superbe, s’il y en avait en moi (que non), ne pourrait nuire à ceux qui lisent mes écrits, ou suivent ma Doctrine : mais ils pourraient grandement profiter à leurs âmes en suivant la Justice, Vérité et Charité, que Dieu m’enseigne : puisqu’icelles vertus me sont déclarées pour les communiquer aux autres comme je fais.
CCXCIII. Ce qu’A. B. dit de soi. Pourquoi elle publie ses écrits. Ses misères en cette vie. Ses combats avec ennemis et amis.
Je ne dis point d’être un Prophète, un Apôtre, ou la Vierge Marie ; et peut-être que je n’ai de moi-même la moindre de leurs vertus : mais je suis envoyée au Monde pour déclarer les Vérités de Dieu à ceux qui les veulent recevoir. Ceux qui ne les veulent recevoir les peuvent mépriser ou rejeter sans me faire aucun dommage : car je ne contrains personne, et si je pouvais écrire en particulier à ceux qui cherchent cette Lumière de Vérité, je n’aurais garde de les proposer à ceux qui sont ennemis d’icelle. Mais comme je ne peux savoir là où sont éparses ces âmes de bonne volonté, je suis obligée de donner mes écrits en public, plutôt que de ne point aider les âmes 557 qui ont faim et soif de la Justice. Et combien que cela me dût coûter la vie, je l’expose volontiers pour le salut de mon prochain, à cause que pour mon regard, j’ai la mort en désir, et la vie en patience. Si bien que celui qui m’ôtera la vie me ferait plaisir, moyennant qu’il le puisse faire sans pécher ; et que je ne sois plus nécessaire au prochain. Car je pourrais bien dire avec vérité ce que S. Paul disait, à savoir : 558 Qui me délivrera de cette vie misérable ? 559 De laquelle je voudrais bien être délivrée, si je ne suis plus nécessaire aux frères. Car j’ai été assez longtemps en cette terre de bannissement pour retourner en ma Patrie, s’il plaisait ainsi à mon Dieu : puisque j’ai vu que tout ce qui règne à présent dans le Monde n’est que 560 convoitise des yeux, concupiscence de la chair, et orgueil de vie. Et partant je suis lasse de vivre parmi ces péchés. C’est pourquoi que je converse avec les hommes le moins que je peux, pour les trouver sans Vérité, sans Justice, et sans Charité : ce que je découvre en eux par leurs paroles et actions. Car l’Esprit de Justice qui vit en moi se trouve choqué par leurs injustices ; et l’Esprit de Vérité se trouve démenti par leurs mensonges ; et l’Esprit de Charité se trouve contredit par l’Esprit d’amour-propre. En sorte que je ne peux avoir de bonne correspondance avec des hommes si contraires à l’Esprit qui me guide : et je ne peux converser avec iceux sans vivre dans une guerre continuelle, et combattre tous ceux qui ne sont possédés de la Justice, Vérité, et Charité de Dieu. Et je crois que c’est de ces contradictions que S. Paul dit 561 que notre vie est un combat continuel. Car pour moi, je suis en continuelle guerre, et j’expérimente ce que Jésus Christ a dit, 562 que les domestiques de l’homme seront ses ennemis. Vu que jusqu’aux personnes mêmes qui m’accompagnent, elles sont possédées d’un esprit contraire à celui qui me possède. Et je n’ai encore trouvé personne dans le Monde qui soit guidé du même Esprit de Justice, Vérité et Charité, comme Dieu m’enseigne qu’il faut être pour arriver à salut : mais j’en ai seulement trouvé quelques-unes qui tendent et aspirent à cette perfection, ce qui me console grandement, en espérant que Dieu parachèvera en ces personnes ce qu’il y a commencé, et qu’elles arriveront finalement à cet Esprit de Justice, Vérité et Charité que Dieu m’enseigne.
CCXCIV. Comment Dieu se communique à A. B.
Ce n’est point que Dieu me parle par des voix, des Tonnerres et éclairs, comme il fit autrefois aux anciens Prophètes ; ou comme il parla à Toby 563 par le moyen des Anges en forme de jouvenceaux ; ou comme il parlait à Jacob 564 en vision d’une échelle sur laquelle montaient et descendaient les Anges ; 565 ou comme il parlait à Joseph en songe, lui disant : Prenez l’enfant et la mère et fuyez en Égypte. Car je ne m’oserais assurer sur toutes ces choses, èsquelles le Diable et la fantaisie de l’homme s’y peuvent mélanger, et faire voir et entendre choses semblables comme si elles venaient de l’Esprit de Dieu. Mais je m’arrête sur la solide Vérité de Dieu, sur sa Justice, et sur son Amour, à cause qu’en choses semblables le Diable ne peut avoir de prise. J’ai bien eu quelquefois des songes et des visions venant de la part de Dieu, comme j’ai pu voir depuis par expérience : mais je ne m’appuie pas sur ces songes et visions, ne soit que ces mêmes choses que j’ai vues ou songées me soient confirmées par une intelligence secrète, comme je traite ordinairement avec Dieu. Car sitôt que mon âme est libre de toute image, et qu’elle est délivrée de l’agitation de ses passions, et que l’imagination cesse d’opérer ; alors j’entends la Voix de Dieu et son raisonnement : point par mes oreilles, mais par mon entendement. Et de cette sorte il me fait voir et entendre tout ce que j’ai besoin de savoir, tant pour ma conduite que celle des autres. Ce que plusieurs personnes ont expérimentées, et trouvé que je leur ai dit des choses du plus secret de leurs cœurs qu’hommes ni Diables ne pouvaient savoir. De quoi se moque notre Burchardus, en tenant ces choses pour des fantaisies, ou des péchés de superbe ; en présumant de moi-même quelque chose plus grand que les Prophètes, Apôtres, et la Vierge Marie. Comme se moquent ordinairement les hommes superbes des choses qu’ils ne connaissent point ; et ne veulent céder ou référer à un autre ce qu’ils n’ont pas eux-mêmes.
CCXCV. A. B. est envoyée de Dieu pour remémorer la Loi Évangélique par exprès commandement de Dieu.
C’est pourquoi que les Pharisiens demandaient aussi à Jésus Christ 566 ce qu’il présumait de soi-même, en se disant le Fils de Dieu ? Et criaient, pour ce sujet, 567 qu’il avait blasphémé. Et si notre Burchardus eût été de ce temps-là, il eût sans doute crié cela de Jésus Christ avec les autres Prêtres ; puisqu’il crie maintenant de moi que je blasphème, et avec moins de sujet que n’avaient les Juifs de dire cela de Jésus Christ, lequel se disait le Fils de Dieu ; là où je dis seulement d’être une Envoyée de Dieu pour déclarer la Vérité qu’il me communique. Quoique le dire de Jésus Christ était très véritable ; puisqu’il était vraiment le Fils unique de Dieu ; comme il est aussi très véritable que je suis envoyée de Dieu aux hommes, pour les éveiller du sommeil de leurs péchés, dans lesquels ils dorment en repos, sans apercevoir le danger auquel ils sont. Et après qu’ils seront éveillés par la Lumière du S. Esprit, ils peuvent, s’ils veulent, encore demeurer dormants dans leurs péchés : car Dieu leur aura montré sa miséricorde ; et moi j’aurai aussi fait de ma part ce qu’il m’a commandé. Et comme ces Prêtres Pharisiens ne voulaient croire que Jésus Christ était le Fils de Dieu, ainsi aussi ne veulent point croire maintenant ces Prêtres Luthériens, que je suis l’Envoyée de Dieu : quoiqu’il soit très véritable. Car s’il était autrement, je le dirais. Et si quelqu’un me trouve hors de la Vérité, il peut bien croire que je ne suis pas possédée de l’Esprit de Dieu : à cause que 568 le Diable est Père de mensonge, comme Dieu est Père 569 de Vérité. Et l’un et l’autre de ces Pères engendre des enfants dans les âmes qu’ils possèdent de leurs semblables natures. Dieu Père de Vérité engendre la Vérité en l’âme de celui qu’il possède : et le Diable, étant Père de mensonge, engendre le mensonge dans l’âme de celui qu’il possède. Par où on peut discerner si une personne est guidée de Dieu ou du Diable, lorsqu’elle est dans le mensonge ou dans la Vérité : car la Vérité est Dieu ; et le mensonge est le Diable : duquel je ne peux avoir la Doctrine, comme dit ce Burchardus ; puisqu’on me persécute tant à cause que je parle vérité. Et maintenant je dis avec Vérité : que je suis envoyée de Dieu pour annoncer sa Vérité aux hommes. Et je ne leur apporte point tant de nouveauté par les vérités que j’avance, comme Jésus Christ apportait aux Juifs par sa Loi Évangélique : car il semblait de vouloir renverser toute la Loi de Dieu par la Loi Évangélique ; mais moi je viens seulement dire qu’il faut observer cette même Loi Évangélique pour être un vrai Chrétien. En quoi il n’y a nulle nouveauté : vu qu’il a en tout temps fallu faire ces choses pour être des Chrétiens. Et à cause que le Diable a jeté hors de la mémoire des hommes la nécessité qu’ils ont d’observer cette Loi Évangélique pour être de vrais Chrétiens, Dieu veut maintenant que je leur remémore, comme j’ai fait par mes écrits ; et veut aussi que je déclare que C’EST LUI QUI ME FAIT ÉCRIRE, ET ME RÉVÈLE CES VÉRITÉS ; AFIN QUE CEUX QUI ME VEULENT TUER SACHENT QU’ILS TUERAIENT L’ENVOYÉE DE DIEU, ET AFIN QU’ILS NE PÉCHERAIENT PAR IGNORANCE. Car ils ne me peuvent faire mourir, ou persécuter, pour autre sujet, sinon à cause que Dieu me révèle ses secrets : vu qu’ils ne peuvent douter de ma bonne vie, de ma Justice, Vérité, et Charité ; puisqu’elle est manifeste à tant de personnes : comme on peut voir par mon livre intitulé le Témoignage de Vérité, (lequel Burchardus veut réfuter à la confusion) avec tant d’autres personnes, qui ont connaissance de mes comportements. Et on ne me peut aussi faire mourir à cause de ma Doctrine : puisqu’icelle est toute conforme à la Doctrine de Jésus Christ et de ses Apôtres : car s’il y avait quelque chose de contraire à cette Doctrine Évangélique, je la condamnerais moi-même, et la rétracterais publiquement.
CCXCVI. Horrible malignité des Chrétiens ne voulant souffrir la vérité ni ceux qui la disent.
En sorte qu’on peut bien examiner et sonder la cause de mes persécutions ; et on trouvera qu’icelles me sont faites à cause que je parle vérité ; et pour rien d’autre. Ce qui est bien lamentable, que les Chrétiens de maintenant ne veulent pas souffrir entre eux une personne qui parle vérité, et déclare ce que Dieu lui révèle si clairement et avec tant de raisons convaincantes, qu’un chacun les peut entendre par sa raison naturelle : pendant qu’on s’oppose si fortement à ces vérités si connues et manifestes ; comme 570 Jannes et Jambres résistaient à la vérité du temps de Moïse. Et l’on fait à présent contre les lumières et la miséricorde de Dieu tout de même qu’on a fait du temps de Jésus Christ, lequel était envoyé de Dieu pour ramener les hommes au chemin de salut, duquel ils étaient fourvoyés par leurs péchés : car on disait de Jésus Christ : 571 qu’il était un Séducteur de peuple ; 572 qu’il voulait détruire la Loi de Dieu ; 573 qu’il faisait ses œuvres par la vertu du Diable. Et les Sages, les Prêtres et Pontifes l’ont méprisé, et rejeté sa Doctrine comme mauvaise, l’ayant pour icelle persécuté, et finalement mis à mort. Quoique depuis, tant de sages et de grands personnages, voire toute la Chrétienté, aient embrassé cette Doctrine, et l’estiment encore pour bonne et salutaire, et ont édifié tant d’Églises si solennelles pour introduire cette même Doctrine, que nos devanciers ont tant vitupérée qu’ils ont pendu à un gibet celui qui leur apportait cette Doctrine du ciel. Ce qui est la vraie image de ce que font les Sages de maintenant, lesquels me veulent faire mourir à cause que j’ai reçu la lumière de Dieu pour faire connaître aux hommes, combien qu’ils sont éloignés du chemin de leur salut. Car ils disent aussi : que je veux séduire le peuple ; que je détruis l’Église, que j’ai une Doctrine Diabolique ; et que je mérite d’être brûlée. Pendant que si on me brûlait, l’on verra après ma mort que la Doctrine que j’enseigne sera renommée, suivie et estimée de tous vrais Chrétiens, lesquels maudiront mes Persécuteurs ; comme les Chrétiens de maintenant maudissent les Juifs parce qu’ils ont fait mourir Jésus Christ. En sorte que ma mort serait l’édification de la nouvelle Jérusalem céleste, laquelle Dieu veut rétablir sur la terre avant que la Monde finisse.
CCXCVII. Nouvelle Jérusalem rebâtie. Injustice des persécutions d’A. B.
C’est ce qu’il ma révélé, et qu’il veut que je déclare pour la consolation des bons, à la confusion des méchants moqueurs des œuvres et desseins de Dieu, lesquels verront trop tard le mal qu’ils font en persécutant la vérité de Dieu : car ils sont obstinés en leurs péchés. Et quoique je leur demande si souvent : 574 Pourquoi me persécutes-tu ? (comme la voix demandait à S. Paul, lorsqu’il allait en Damas pour persécuter les Chrétiens) ces Prédicants ne me veulent répondre ni dire en particulier pourquoi ils me persécutent ; mais crient en général : Elle a blasphémé ; elle a des hérésies, et une Doctrine Diabolique. Et concluent, partant, qu’on me doit déchasser, outrager, et mettre à mort : sans me dire le pourquoi. Ce qui est une injustice, laquelle surpasse de beaucoup celle que les Pharisiens ont exercée contre Jésus Christ. À cause qu’en effet Jésus Christ attirait le peuple à soi, en allant prêcher en divers lieux une Doctrine nouvelle, par laquelle il avait attiré à sa suite grand nombre de personnes qui le suivaient. Car l’une des accusations qu’on faisait contre lui était 575 qu’il avait ému le peuple, commençant depuis Galilée, par toute la Judée, etc. Car en effet Jésus Christ enseignait publiquement ès synagogues des choses contraires à la Loi, selon le jugement des hommes. Et partant, ces Juifs avaient matière de former quelque action contre lui, selon le droit civil : vu qu’il disait qu’il était roi, et qu’il était le Fis de Dieu. Mais moi qui n’attire personne, et ne me trouve pas ès synagogues, et ne veux pas être suivie, et confesse d’être une simple créature, sortie de la masse corrompue d’Adam comme le reste des hommes, quelle matière donc peux-je avoir donné pour former quelque action contre moi ? Vu que je ne fais rien qui soit digne de répréhension, non plus par devant la Justice Civile qu’Ecclésiastique : et tout le mal que je fais est de garder mon âme de péchés, et d’écouter la voix de Dieu à l’intérieur de mon âme ; et écrire en secret dans ma chambrette les choses que Dieu veut que je communique aux hommes. Ne peut-on pas bien juger que c’est une grande injustice de me persécuter pour de semblables sujets ? Et que Jésus Christ, selon la Loi humaine, a donné beaucoup plus de sujet pour être persécuté que moi ; et aussi selon la Loi divine, en enseignant des choses contraires à cette Loi ; là où moi j’enseigne des choses toutes conformes à la Loi Évangélique : laquelle Loi tous Chrétiens tiennent pour bonne et salutaire ; comme elle est confirmée et avouée par toute la Chrétienté, en laquelle personne n’en doute maintenant, pour être la Doctrine Évangélique reçue et confirmée d’un chacun en toutes les Religions diverses.
CCXCVIII. Dieu Auteur des Écrits et de la Doctrine d’A. B.
C’est pourquoi que je ne dois point être persécutée, et encore moins mise à mort pour ma Doctrine, laquelle n’est pas mienne, mais de celui qui m’a envoyée ; lequel est l’Auteur de ma Doctrine et de mes écrits. Et s’il y avait quelque chose de mauvais en iceux, il s’en faut prendre à celui qui en est l’Auteur, et point à l’instrument duquel il s’est servi pour l’annoncer aux hommes. Car un messager ne doit mal avoir de la lettre qu’il porte.
CCXCIX. Quelles choses Dieu déclare à A. B. pour les annoncer aux hommes.
Il est vrai que je sais bien le contenu du message que Dieu veut faire aux hommes : vu qu’il me le déclare, et m’en donne une claire intelligence, et aussi des paroles propres à me faire entendre des autres. Mais je n’y mets rien du mien, et ne dis sinon ce que j’apprends de mon Dieu ; lequel me fait entendre...
CCC. Peuple Apostat.
... Que les hommes de maintenant sont tous abandonnés à l’Esprit d’Erreur. Et, Que c’est du temps présent qu’il a dit par son Prophète en pleine perfection et accomplissement : Mon peuple m’a abandonné, moi qui suis la fontaine d’eau vive, pour aller puiser ès citernes crevassées, qui ne peuvent tenir leurs eaux.
CCCI. Nuls Chrétiens.
Dieu me dit aussi : Qu’il n’y a plus maintenant de Vrais Chrétiens sur la Terre ; et que les hommes sont plus déchus de la Vérité qu’ils n’étaient au temps que Jésus Christ s’est revêtu de notre mortalité.
CCCII. Christ Sauveur.
Dieu me dit aussi : Que Jésus Christ a pris notre mortalité par pur Amour qu’il portait aux hommes, ses frères naturels ; afin de les retirer du péché et de la voie de perdition, en laquelle ils cheminaient tous.
CCCIII. Christ exemple.
Dieu dit précisément : Que Jésus Christ s’est fait homme mortel pour nous donner exemple, et nous enseigner par quels moyens nous pouvons retrouver l’Amour et la grâce de Dieu ; en prenant un Corps infirme et sujet à toute sorte de misères et de mort, comme les nôtres ; afin de nous encourager à faire les œuvres qu’il a faites en son corps mortel.
CCCIV. Amour, fin de l’Ange et de l’Homme. Liberté.
Dieu me dit aussi : Qu’il a créé l’Ange et l’homme pour ÊTRE AIMÉ d’iceux, et point pour autre fin ; et qu’il a leur donné pour ce sujet des qualités divines, capables d’aimer leur Dieu ; et qu’il les a faits tous deux libres, comme des petits Dieux : en les ayant adoptés pour ses enfants, ne les ayant assujettis à rien qu’à son seul AMOUR, lequel était la fin de leur création ; et qu’en cet Amour, ils pouvaient dominer sur toutes autres Créatures.
CCCV. Chute de l’Ange et de l’homme.
Dieu me dit : Que l’Ange et l’homme sont tombés dans la même faute ; et qu’ils ont tous deux retiré leurs affections de leur Dieu pour les mettre en quelques créatures : l’Ange en l’amour de sa perfection Angélique ; et l’homme, étant moins parfait, a retiré son Amour de Dieu, pour la mettre en la perfection des autres créatures à lui soumises, en sorte que par cette même faute, l’Ange est devenu un Diable spirituel et l’Homme est devenu un Diable charnel.
CCCVI. Dépravation de l’homme. Sa prérogative sur le Diable.
Dieu me dit : Que l’homme a été tellement corrompu par le péché, qu’il ne peut nul bien faire de soi-même, non plus que le Diable. Mais que l’homme, par l’entremise de Jésus Christ, a reçu cette miséricorde de Dieu de se pouvoir convertir, et point le Diable. Mais qu’aussi longtemps que l’homme suit la corruption de sa Nature, il demeure dans son état Diabolique, et ne peut être sauvé.
CCCVII. Salut et Damnation.
Dieu me dit aussi : Que personne ne sera jamais sauvé sinon celui qui retourne en l’AMOUR DE SON DIEU, pour lequel il a été créé ; et que tous ceux qui meurent hors de cet Amour périssent éternellement.
CCCVIII. Lois, remèdes et moyens.
Il me dit : Que l’homme a besoin de garder ses commandements et la Loi Évangélique à cause de sa fragilité ; et que cela sont tous remèdes à ses maux ; et qu’en embrassant ces remèdes, l’homme recouvrera l’AMOUR de son Dieu, qu’il a perdu en voulant aimer autre chose que lui.
CCCIX. Charité, fin.
Dieu me dit : Que c’est de cet Amour que S. Paul parle, sous le nom de Charité ; et qu’encore bien qu’on aurait toutes les vertus que cet Apôtre décrit, le don de Prophétie, et de faire des miracles, etc., que cela n’est rien sans cet AMOUR de Dieu ; et que l’homme doit mourir à toutes autres affections, pour vivre à ce seul AMOUR de son Dieu.
CCCX. Dieu écouté et rejeté en ces choses.
Voilà toutes les choses que Dieu me fait entendre avec beaucoup d’autres, desquelles j’ai parlé en mes écrits, lesquelles on peut bien écouter : puisque Jésus Christ dit à ses Apôtres : (1) Qui vous écoute, il m’écoute ; et qui m’écoute, il écoute celui qui m’a envoyé. Et c’est à cause que Jésus Christ ne (1) parlait point de soi-même, mais disait les choses qu’il avait apprises de son Père. Ainsi peux-je dire avec Vérité que je ne dis nulles de ces choses de moi-même, et que je les ai apprises de Dieu ; et que ceux qui les écouteront, écouteront Dieu même : vu qu’elles viennent de lui et nullement de moi. Et partant, ceux qui rejettent ces Vérités rejettent Dieu même.
CCCXI. Nul contraint. Que chacun éprouve.
Je laisse maintenant un chacun libre de les recevoir ou les rejeter, comme bon leur semble : car je n’ai point la commission de contraindre personne ; mais de déclarer la Vérité des choses que Dieu me fait connaître ; lesquelles on pourra mettre sur la Pierre de Touche, pour sonder si elles sont de vrai Or de Charité ; en touchant par après la Doctrine de ces nouveaux Docteurs qui disent que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, afin de savoir si icelle Doctrine n’est point de faux aloi : puisque Dieu me dit précisément, comme il a dit à l’Apôtre, que personne ne sera sauvé sans avoir cette Charité, qui est l’AMOUR DE DIEU 576.
CCCXII. On flatte par les Mérites de J. Christ ceux qui n’aiment Dieu.
Or on voit par effet que tous les hommes de maintenant vivent sans Charité, et ont mis toutes leurs affections en l’amour d’eux-mêmes, en leurs richesses, en leurs honneurs, et en leurs plaisirs : pendant qu’on leur prêche qu’ils seront tous sauvés par les mérites de Jésus Christ. Je les laisse libres de prêcher cela jusqu’à ce que le Diable les emporte tous : car ils lui appartiennent tous, s’ils meurent sans avoir retrouvé l’AMOUR DE DIEU.
CCCXIII. A. Bourignon ne s’amuse à tous les fatras de Burchardus. Abrégé de ce qu’il prétend. Il ne veut qu’A. B. écrive, mais qu’elle file.
Je ne me peux arrêter à répondre par ordre en particulier à tous les arguments que notre Burchardus allègue dans son livre ; comme étant indignes de me faire passer mon temps pour des sujets si peu profitables. Je n’ai pas entendu lire tout son livre, mais seulement une petite partie ; par laquelle j’ai bien entendu en cette petite portion qu’elle était toute la pièce. Et j’ai vu en général : Qu’il me veut mépriser et calomnier sans raison. Et qu’il veut maintenir la reforme de Luther ; qu’il me veut faire exterminer par la Justice s’il pouvait ; qu’il veut vérifier que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes encore bien qu’iceux vivent et meurent en leurs péchés, et qu’il veut montrer qu’il n’appartient pas aux femmes d’écrire : c’est pourquoi qu’il dit que je dois me mêler à filer de mon fuseau. En quoi je lui obéis : car ma plume est mon fuseau ; et je n’ai jamais manié d’autre fuseau. Car je ne sais point filer, pour ne l’avoir fait en ma vie. Mais s’il entendait bien les Écritures, il trouverait que Salomon parle 577 d’une femme forte, que ses doigts prirent le fuseau. Ce qui ne peut avoir été pour filer du lin ou autre matière : vu que le filer, étant une chose légère, ne peut signifier rien de fort, comme l’Écriture veut signifier la force d’une femme, parce que ses doigts prirent le fuseau. Ne pourrait-on pas croire que ce fuseau de l’Écriture signifie ma plume ; puisqu’icelle a plus d’apparence de force que n’a un fuseau pour filer ?
CCCXIV. A. B. obéit à Dieu plutôt qu’aux ignorants.
Mais c’est folie de parler davantage à ceux qui bouchent les oreilles pour ne vouloir entendre ; je veux laisser notre Burchardus avec tous ses semblables dans leurs ignorances ; et me tenir à la Vérité que j’apprends de Dieu ; sans prendre égard à ce qu’ils me disent : que j’ai écrit assez, et qu’il me faut laisser de manier la plume ; parce qu’il n’appartient aux femmes d’écrire : mais je veux prendre égard à ce que Dieu me commandera.
CCCXV. A. B. obéit à Dieu sans blesser le devoir vers les Supérieurs.
J’ai écrit jusqu’à présent par commandement de Dieu ; et s’il m’ordonne d’écrire davantage, je le ferai aussi ; mais jamais contre l’intention des Supérieurs là où je suis. Car s’ils me défendent de faire la Volonté de Dieu sous leur obéissance, je m’en irai en autre lieu là où on me le permettra. Et je suivrai le conseil de Jésus Christ, qui dit : 578 Si on vous persécute dans un lieu, fuyez dans un autre. Et lorsqu’on ne vous recevra point en un lieu, secouez la poussière de vos pieds, et allez dans un autre.
CCCXVI. Perfide Infidélité des Citations de Burchardus. Comment on déchire et falsifie les Écritures.
J’ai bien remarqué aussi que Burchardus a déchiré de mes écrits quelques mots ou quelques passages, pour d’iceux prendre sujet de me calomnier, en laissant en arrière le reste du texte qui explique le sens de ces mots ou des passages que je veux alléguer. Il ne parle rien de ce que j’ai écrit devant ou après, coupant par ainsi les choses hors de mes écrits qui sont à son dessein, en recelant ce qui lui pourrait être contraire : comme il fait aussi dans les Écritures, en citant seulement les mots ou versets d’icelle qui le favorisent ; en laissant le surplus en arrière, afin qu’on ne puisse en découvrir le vrai sens. Ce qui est une grande infidélité, laquelle commettent aussi (comme lui) tous les autres sectateurs des diverses Religions. Car un chacun d’icelles ont tiré des Écritures quelques passages pour établir sur iceux leurs nouvelles Religions. C’est pourquoi que chacuns tiennent leurs réformes être fondées sur l’Écriture, où un chacun croit être la meilleure ; pendant que Dieu me dit QUE TOUTES SONT DANS DES ERREURS, à cause qu’ils n’entendent point le vrai sens des Écritures, et qu’un chacun les prend à la lettre, comme il l’entend : quoiqu’en ce faisant on trouve toute sorte de contradictions ès Écritures mêmes ; comment n’en trouverait-on pas quelques-unes dans mes écrits ? Encore bien qu’il n’y ait aucune contradiction, non plus dans l’Écriture que dans mes écrits.
CCCXVII. D’où vient qu’on trouve des contradictions ès choses Divines. Règle pour bien entendre les Écritures. Falsifications de Burchardus.
Mais il y a beaucoup de contradictions en la fantaisie des hommes ; lesquels s’imaginent être mauvais tout ce qu’ils n’entendent point. Comme Burchardus croit d’avoir trouvé dans mes Écrits des hérésies, des blasphèmes contre Dieu, ou une Doctrine Diabolique dans les choses que Dieu m’a révélées, et que le S. Esprit a dictées. Et ce n’est point de merveille ; puisque pour entendre les Écritures, il faut avoir l’Esprit de celui qui les a dictées, et personne ne les entend mieux que celui qui a l’âme disposée à les mettre en pratique. Car à mesure qu’une personne est éloignée de la pratique de la Loi Évangélique, autant est-elle éloignée de l’intelligence d’icelle ; vu qu’elle sait seulement les mots et la lettre, et rien du vrai sens. C’est pourquoi qu’il m’a été très aisé de faire voir par cette PIERRE DE TOUCHE que la Doctrine de Burchardus a plus d’apparence d’hérésie, de blasphèmes contre Dieu, ou de Doctrine Diabolique, que ce qu’il a voulu prouver en mes écrits être tel. Car ce qu’il a déclaré être mauvais en iceux n’est fondé que sur ses mensonges et fausses accusations ; ou sur des sens renversés, qu’il a pris pour ne point vouloir tenir le sens de mon texte. Ce qu’il a fait en plusieurs endroits de son livre, là où il rapporte que j’ai dit des choses dans un tel folio, qu’il n’est pas véritable que je les aie dites ; mais est quelquefois tout au contraire : comme l’ont remarqué quelques étudiants, lesquels en ont fait des mémoires et notices : afin que ceux qui auront la curiosité puissent voir comment Burchardus a infidèlement cité aucuns passages des Écritures, et aussi les passages de mon texte, sans aucune Vérité : et pour ce sujet, j’ai trouvé à propos de joindre 579 lesdites notices et remarques à cette PIERRE DE TOUCHE : comme lui a joint à la fin de son livre les choses qu’un certain Possevinus a dites : quoique les choses dites par cet Auteur Possevinus ne viennent nullement à propos sur mon fait, il l’a joint à son livre contre moi (au lieu de quoi il a mis dans la seconde édition quelques lettres que lui ont écrites Musæus, Bebelius, et autres Pédants de même espèce), afin de grossir la pièce : et moi je joins ces remarques curieuses pour l’utilité du lecteur ; afin qu’il voie que son livre est entièrement réfuté, et qu’il ne reste rien en ses allégations qui ne soit entièrement soldé et répondu : et afin aussi que les mal-veuillants ne prennent sujet de dire que je n’ai point répondu catégoriquement sur toutes les accusations qu’il m’a faites. Et à cause que ce n’est point mon style ordinaire de répondre par ordre sur tous les points, j’ai laissé faire cela par ceux qui sont usités de suivre l’ordre scolastique ; afin que je ne sois en défaut de rien, et que les sages et les ignorants puissent voir le tort qu’a eu ledit Burchardus, d’écrire ainsi contre moi sans autre fondement qu’une passion haineuse, et le désir qu’il a de maintenir ses opinions contre Dieu et les hommes.
CCCXVIII. Opiniâtreté de Burchardus même contre Dieu.
Car c’est maintenir ses propres opinions contre Dieu, lorsqu’on les veut maintenir contre l’inspiration du Saint Esprit, comme je déclare d’avoir ; et c’est maintenir ses opinions contre les hommes, lorsqu’on ne veut pas même céder à la raison humaine : comme fait ce Burchardus et ses semblables, qui jugent ma Doctrine mauvaise ; quoiqu’elle soit sortie de Dieu. De quoi en ont témoigné tant de personnes dignes de foi au TÉMOIGNAGE DE VÉRITÉ, auxquelles Burchardus ne veut pas référer ; et soutient opiniâtrement que les hommes seront sauvés par les mérites de Jésus Christ : quoique Dieu m’assure que Jésus Christ est venu prendre notre mortalité pour enseigner aux hommes le chemin de leur salut 580, et pour les convertir à pénitence, en quittant leurs péchés pour revivre à l’Esprit de Jésus Christ, et devenir des nouvelles créatures, en résistant à l’inclination de leur nature corrompue, laquelle ne peut nuls biens faire, et est un Diable en malice. En sorte qu’il ne faut que suivre les inclinations de notre Nature corrompue pour aller ès enfers.
CCCXIX. Témoignage de Dieu touchant les desseins de J. C. La Séduction des hommes : leur corruption : leur devoir.
Ce qui est une Vérité que Dieu m’enseigne comme je la déclare : laissant libre un chacun de la croire ou non ; puisque rien ne me porte à déclarer ces choses, sinon la charité Chrétienne que j’ai pour le salut des âmes de mes frères Chrétiens, lesquelles Dieu me dit : Qu’elles sont séduites et trompées par les Doctrines des hommes de maintenant ; et que Jésus Christ n’a rien satisfait, sinon pour ceux qui seront ses Imitateurs, et renonceront à leur Nature corrompue, laquelle engendre toutes sortes de péchés et malice, si avant qu’elle ne saurait dire une seule parole ni faire une seule action sans pécher. Ce qui doit tenir les hommes en grande crainte de leur salut. Car aussi longtemps qu’ils vivent selon les mouvements de leurs natures, ils vivent en péchés, et sont en la disgrâce de Dieu, puisqu’ils sont hors de son Amour. C’est ce que Jésus Christ leur est venu enseigner par son corps mortel, en leur disant 581 qu’ils doivent renoncer à eux-mêmes et le suivre : à cause que lui a résisté à cette Nature corrompue ; enseignant de n’aimer ni richesses, ni honneur, ni plaisirs de ce Monde, comme lui ne les a aimés : pour nous donner exemple : afin que par le moyen de cesser d’aimer Père, Mère, Frères, Sœurs, soi-même et toute autre chose, les hommes puissent retourner en l’Amour de leur Dieu ; pour lequel amour ils ont été créés. Et il ne faut point espérer ni attendre d’autres moyens de salut que ceux que Jésus Christ nous a laissés par son Évangile. Ceux qui ne se veulent pas servir de ces moyens périront : vu que Jésus Christ a été le dernier remède que Dieu donnera aux hommes pour recouvrer son AMOUR ; puis 582 qu’il est venu à la dernière heure, il n’en faut point attendre d’autre. C’est ce que l’Apôtre voulait enseigner en disant : 583 Si quelqu’un vous enseigne un autre Évangile que celui que je vous ai enseigné, qu’il soit maudit. À cause que Dieu ne donnera plus aucunes nouveautés : pour avoir par Jésus Christ enseigné aux hommes tout ce qu’iceux peuvent jamais savoir pour retourner en l’AMOUR DE LEUR DIEU, duquel seul Amour dépend leur salut ; et de la privation de cet Amour dépend leur damnation. Car il n’y peut avoir d’autre péché en substance, sinon celui d’avoir retiré ses affections de Dieu pour les mettre en quelque autre chose, telle qu’elle pourrait être.
Conclusion.
Et lorsque vous aurez bien compris cette Vérité, MES FRÈRES CHRÉTIENS, vous pourrez mettre sur cette PIERRE DE TOUCHE les sentiments et la Doctrine de notre Burchardus et de ses semblables, pour voir s’ils sont de pur Or de Charité, ou de faux aloi, sans que j’aurai de besoin de vous en dire davantage, en laissant le reste à votre propre conception, en priant Dieu qu’il illumine vos âmes, pour vous faire bien discerner des choses si nécessaires à votre Salut. Quoi faisant je demeure de vous tous,
MES FRÈRES CHRÉTIENS,
Votre bien affectionnée en Jésus Christ
ANTHOINETTE BOURIGNON.
FIN.
Jérémie chap. XVIII. v. 18, 19, 20.
Ils se sont dit les uns aux autres, venez, trouvons quelques artifices pour perdre ce Jérémie : car il ne faut pas que le privilège d’expliquer la Loi soit ôté aux Prêtres, ni qu’on ôte aux Sages la prérogative de donner conseil pour la conduite des âmes, ni aux Prophètes et Prédicateurs la charge d’annoncer la Parole de Dieu. Venez, faisons servir ses propres paroles à sa ruine, et n’ayons nul égard au sens de ses discours. Regardez-moi, SEIGNEUR, et écoutez ce que disent ceux qui me suscitent des persécutions. Doit-on rendre le mal pour le bien ? Qu’ils aient mis des embûches à ma vie ! Souvenez-vous que je me suis conduit en votre présence afin de parler pour leur bien, et pour détourner d’eux votre colère.
TRADUCTION
d’une Lettre jointe à l’Édition Latine
de la Pierre de Touche, où l’on représente
en peu de mots le dessein et les Artifices
de tout le libelle que Magister Burcardus
a publié contre Mad.lle Bourignon.
Monsieur,
C’Est avec beaucoup de joie que j’ai appris que le livre de la Pierre de Touche, que Mad.lle Bourignon a composé contre les faussetés qu’un certain Burcardus a publiées pour la diffamer, était prêt de voir le jour, et qu’il paraîtrait bientôt en Latin aussi bien qu’en Allemand, quoiqu’avec quelque inégalité. Car j’ai su que quelques amis de cette Demoiselle avaient fait des remarques particulières sur le livre de Burcardus pour en examiner un peu en détail les faussetés, et que ces remarques seraient omises dans l’édition Latine. Cependant, pour en dire ma pensée, elles ne seraient pas moins utiles aux gens d’étude qui verront le livre dans leur langue, qu’elles le seront à ceux du commun pour qui on les fera paraître en langue vulgaire. Et peut-être qu’elles seraient un peu plus nécessaires pour quelques-uns de ce premier rang. La plupart des gens d’étude sont accoutumés à ne se pas satisfaire par la simplicité Divine qui ne s’approche pas de leur méthode scolastique. Ils veulent entrer dans le détail des choses en particulier selon toutes les formalités de l’école. Et il me semble que ç’a été pour condescendre à cette manière d’agir que ces amis ont couché leurs remarques par écrit, sachant d’ailleurs que l’Esprit de Dieu qui dirige cette personne ne lui permettrait pas d’entrer dans le menu de toutes les brouilleries particulières de Burcardus pour les démêler, puisque ce n’est pas sa coutume. Mais puisqu’on les veut omettre, j’aurais au moins désiré que pour suppléer à leur absence on voulût en peu de mots donner au Lecteur une idée du livre de Burcardus, et montrer la source et les fondements de ses artifices. Il ne sera pas hors de propos qu’on connaisse l’occasion qui a fait naître ce divin livre de la Pierre de touche, et qui y a un rapport particulier par une opposition toute expresse.
Sans douter de la capacité des autres pour exécuter proprement ce dessein, je veux bien déclarer ce qui me semble de la manière dont on pourrait s’y prendre. Je le ferai ici en peu de mots ; et si la nécessité l’exigeait, et que le temps le permît, on pourrait déduire plus au long, et prouver en détail, tout ce qui ne sera dit ici qu’assez généralement.
Tout ce que l’on devrait dire sur ceci se peut, à mon avis, rapporter à deux choses : l’une est touchant Burcardus, l’auteur de ce libelle, et son dessein ; et l’autre regarde les moyens dont il s’est servi pour parvenir à son but.
Pour parler premièrement de l’Auteur, il importe beaucoup que l’on observe bien que c’est un homme qui n’est pas seulement dépourvu et de la Divine Charité, et de ses marques que S. Paul nous décrit (1 Cor. 13) : mais qu’il est imbu de qualités qui y sont toutes directement contraires. Il n’est pas nécessaire d’insister beaucoup en ce lieu sur la preuve de ceci. Ce divin ouvrage de la Pierre de Touche la propose très palpablement. Mais on doit bien se souvenir de cet article pour bien juger du reste. Car lorsqu’on voit un arbre qui est non seulement stérile pour le bien, mais qui de plus est rempli d’un suc malin, l’on sait avec assurance et facilité ce qu’il y a à espérer et à juger de son fruit. Il ne faut pas croire aussi que le dessein et le but de cet homme soit tel qu’il le veut faire accroire, de combattre l’erreur et de protéger la vérité. Si cela était, ne se serait-il pas réjoui d’un très grand nombre de divines vérités qui, sans contredit de personne, se trouvent dans les écrits de Mad.lle Bourignon ? Ne les aurait-il pas recommandées ? N’eût-il pas souhaité de rencontrer partout la vérité, même dans les choses qui lui semblaient obscures ou difficiles à accorder avec elle ? Cela ne l’eût-il pas obligé à demander en Charité à Mad.lle A. Bourignon, qui lui était voisine, une explication de ses doutes, pour voir si on ne les lui aurait pas expliqués ou autrement ou plus clairement qu’il ne les avait conçus ? Assurément tous ceux qui cherchent la Vérité dans la Charité doivent agir de la sorte. Encore moins aurait-il dû inventer et forger de son propre des erreurs pour les lui imputer faussement et avoir matière de combattre. Mais c’est un homme d’Église, de ceux qui passent pour spirituels, et encore n’est-il pas du nombre des meilleurs (car il y en a des bons que je n’ai pas dessein de toucher, quelque part qu’ils puissent être : j’ai même ouï dire que Burcardus ayant sollicité quelques-uns de ses amis afin qu’ils contribuassent avec lui à son bel ouvrage diffamatoire, ils lui ont refusé et le travail et le consentement qu’il leur demandait). Notre homme est du nombre de ceux que les études et la charge laquelle ils ont voulu avoir ont tellement enflés, qu’ils croient d’être les seuls Maîtres en Israël, sans qu’il doive être permis à ceux qui ne sont pas entrés par la porte de leurs études et de leur apprentissage d’ouvrir la bouche pour parler des choses divines, et encore moins pour les publier. Cet homme ayant ouï dire qu’une fille sans étude humaine avançait des choses que beaucoup de personnes tenaient pour des vérités divines, et qui faisaient dans les âmes des gens de bien de telles opérations qu’il savait qu’on n’en pourrait pas dire autant ni de lui ni de tous ses prêches, craignant qu’on ne remarquât cette différence, et que cela ne servît à l’avilir devant le monde, il s’est laissé emporter pas la furie de son Zèle à une telle extrémité de haine contre cette Personne innocente, qu’il voudrait la rendre à tout le monde aussi abominable et odieuse qu’il a voulu injustement se la rendre à lui-même : et sa colère passe tellement ses bornes, qu’il souhaiterait bien que les Puissances du monde fussent à son service pour être les exécutrices de sa passion furieuse contre cette fille. Mais parce qu’il ne peut avoir de prise sur cette personne du côté de sa manière de vivre, qui est irrépréhensible ; et que d’ailleurs il ne peut aussi disposer des Magistrats et des juges avec autant de liberté et de facilité qu’il peut disposer du mensonge, des fraudes, des calomnies et des faussetés, il lui est force de se restreindre à ces dernières choses pour les mettre en œuvre et s’en servir à son dessein. C’est en effet à quoi il travaille diligemment : il forge et fabrique quantité d’hérésies et d’erreurs, il les publie, il les montre, il fait le dolent et le plaintif sur ce qu’on renverse tout le Christianisme. Voilà sans doute des beaux prétextes pour faire concevoir au monde une haine apparemment juste qu’il voudrait embraser dans les cœurs de tous contre une personne qui doit être recommandable à tous ceux qui ont encore quelque reste d’amour pour ce qui est à Jésus Christ.
C’est là la source et la cause du livre de Burcardus, aussi bien que la fin qu’il s’y propose : en voilà aussi la matière avec la forme. L’envie et la haine, les mensonges et les faussetés sont les ingrédients de sa composition. Mais pour entrer un peu plus dans le détail de sa connaissance par la découverte des moyens dont il s’est servi pour travailler si bien, j’estime qu’il est bon de prendre garde, premièrement, à sa manière d’agir ou à l’artifice avec lequel il fait naître les spectres qu’il veut combattre, les manie et les régit ; et puis aux forces qu’il se réserve pour se défendre et pour empêcher la ruine de tout son travail, laquelle il témoigne assez de prévoir. Toute l’adresse et l’art de tout son libelle, aussi bien que toute sa force, consiste en ces deux choses.
Quoiqu’il ait employé la première en plus de 200 pages, toutefois il ne lui donne un Nom, pour la faire connaître, que vers la fin. C’est dans la page 205 de la seconde édition. Il l’appelle d’un mot étranger, mais c’est peut-être pour faire voir qu’il sait du grec. Ce mot barbare ne peut bien être exprimé en notre langue, c’est comme, qui dirait, faire un corps ou un ramas de plusieurs choses, ou plutôt faire des phantosmes : car, en effet, Burcardus confesse dans ce lieu même que ces monstres, dont il s’appelle l’Annotateur (il aurait mieux dit le Fabricateur), ne se présentent pas à celui qui voudra lire les livres de Mad. Bourignon avec simplicité et comme ils sont écrits : mais qu’on ne les découvre que par cet art de friperie, de Somatopée, de fabricature de spectres, par épitomés et par systèmes ; et il trouve cette science si belle, que dans le même lieu il en rapporte l’usage à une illumination Divine.
La seule inspection de l’ouvrage de Burcardus peut sans peine faire juger à son lecteur de la beauté et de l’excellence de cet Art dont il s’est servi pour le fabriquer. Je n’en veux dire que trois mots de similitude pour faire comprendre ce que c’est. Posons le cas que quelque malveillant eût dessein que des hommes simples et sans finesse eussent de l’horreur et de la haine contre une personne qui d’ailleurs serait bien faite ; et qu’il ne pût venir à son but si l’on voyait cette personne dans son bon état. Il en viendrait facilement à bout par l’Art de forger des corps et des ramas en s’y prenant de la sorte. Il faudrait tout premier ôter la vigueur et la vie à cette personne, par la solution de la liaison qui est essentielle à la vie dans les parties principales : après quoi il faudrait l’écorcher, la démembrer, déchirer, tailler en mille pièces toutes sanglantes, dont on devrait choisir les plus défigurées, celles qui pourraient exciter le plus d’horreur, les plus disproportionnées et divisées, l’une du haut, l’autre du bas, amasser tout cela, l’agencer, l’enfiler, le clouer, pour ainsi dire, ensemble, et enfin en bâtir un composé qui parût sous la forme la plus horrible qu’on pourrait s’imaginer : même, de peur que cela ne restât encore trop beau, le salir et le plâtrer de boue, de crachats, et de toutes sortes d’ordures. Il faudrait en second lieu mettre tout en usage pour froisser, fouler, briser, piler, même avec exécrations et imprécations, un si misérable ramas. Enfin, après l’avoir bien démené et agité, il le faudrait traîner dans la voirie publique et l’exposer en vue entre toutes sortes de vilenies et de charognes. Cela fait, qu’on appelle le monde pour leur demander leur sentiment touchant ce misérable je ne sais quoi, si on le devrait tenir pour une personne humaine et qui fût de bonne et de belle constitution ? Les simples gens qui ne se douteraient pas d’une telle bourrellerie, ne pourraient manquer à en porter un jugement tel que cet Ouvrier aurait espéré par le moyen de son art : en quoi il aurait agi sur une chose matérielle de la même manière que Burcardus a travaillé sur un sujet spirituel, je veux dire, à l’égard des livres ou de la doctrine de Mad. Bourignon, qu’il a traités en ces trois manières dans les trois parties de son livre. Pour montrer sans doute un chef-d’œuvre de son bel art.
En effet, on peut voir que dans la première partie de son libelle il en fait le premier essai et la première fonction sur les écrits de cette personne illuminée de Dieu, en séparant, démembrant et mettant en pièces ce qui devait demeurer inséparable ; en amassant, joignant et collant ce qu’il fallait laisser séparé ; en omettant ce qu’on devait interposer ; interposant du sien ce qui doit être omis ; souillant et gâtant tout par des additions de mots, et par l’ordure des erreurs, des mensonges et des fictions qu’il a inventées lui-même. On le peut voir dans la seconde partie qui se démène avec son ramas, le froisse, le foule, le brise, et tout instrument lui est bon pour cet effet, le premier qu’il trouve, même il n’a point de honte de faire servir à cela les divines Écritures avec les imprécations qui s’y rencontrent (peut-être afin qu’il paraisse que son art est divin) encore les démembre-t-il, et les tord-il en un sens tout renversé. On le voit enfin dans la troisième partie de son Livre qui traîne son ouvrage, après quoi il a tant travaillé, dans la voirie de toutes sortes d’hérésies et d’hérétiques, et qui le jette au milieu de beaucoup de charognes exposées, qui n’ont point l’avantage d’une honorable sépulture, et qui sont en mauvaise odeur à la mémoire de tout le monde. Après cela, faudrait-il s’étonner si un Ouvrier si habile que le nôtre, ayant travaillé avec tant de peine et d’adresse, ne ferait pas voir au lecteur ce que le lecteur même ne pourrait pas voir dans les écrits de M. Bourignon lorsqu’il les lirait avec simplicité et tels qu’ils sont ? Un Ouvrier si expert aurait-il donc tant travaillé pour ne rien faire voir de nouveau ?
Ceux qui voudront connaître plus particulièrement combien il se faut fier à cet Art de faire des ramas, n’ont qu’à considérer les ramas, systèmes, épitomés, dans lesquels toutes sortes de Religions ont prétendu de ramasser les doctrines de la S. Écriture. Car s’il fallait juger par eux de ce que l’Écriture est en elle-même, il faudrait conclure qu’elle serait un ouvrage tout plein de contradiction et de confusion. Car tous ces livres où l’on croit avoir ramassé les pensées de l’écriture, se contredisent les uns aux autres, se condamnent, et souvent se maudissent et s’abominent mutuellement, même ceux d’une même Religion ; et cependant ces Ramasseurs ont tâché de traiter les Écritures et d’en ramasser les pensées le mieux et le plus honorablement qu’ils croyaient de pouvoir faire. Faut-il donc croire que l’Écriture, que chacun pense et proteste avoir fidèlement ramassé, agencé, digéré, soit ainsi bigarrée en diversité de sentiments contraires ? Certes j’aime mieux me défier de l’Art de faire des ramas, ou de la Somatopée de notre Magister, quand bien l’on s’en servirait avec une bonne intention, que non pas de révoquer en doute l’uniformité des Divines Écritures. Quel effet devra-t-on donc attendre de cet Art lorsqu’on voudra l’employer avec une intention maligne sur une chose pour laquelle on aura une haine de la dernière extrémité ?
Le second moyen par lequel Burcardus prétend de mettre à couvert tout son travail et conserver le crédit à sa manière d’agir, se trouve dans la page 199 de son livre, et dans quelques-unes des suivantes. Il ne lui donne point de nom, mais cela peut s’appeler prévenir ou anticiper. Car notre homme, sachant bien dans sa conscience qu’il avait attribué à M. Bourignon des opinions méchantes et criminelles qu’elle ne reconnaîtrait jamais pour siennes, puisqu’elles sont toutes contraires à ses vrais sentiments, il a prévu qu’on pourrait lui rejeter en face toutes ces ordures, soit par paroles, soit par écrits, même par une simple négation et un démentir. Pour empêcher donc sa confusion, il a voulu prévenir ou anticiper le démentir qu’il avait à attendre : il a voulu en avertir les lecteurs afin de le décréditer par anticipation. Et il emploie pour cet effet des longues fusées de paroles pour persuader à ses lecteurs qu’on ne doit point ajouter de foi à ces sortes de défenses, parce, dit-il, que les fanatiques et rêveurs ont cette coutume, que ce qu’ils ont affirmé un peu auparavant, ils le nient hardiment ensuite. Et, par conséquent, on ne doit pas seulement écouter toutes les exceptions que la partie adverse pourrait faire contre les sacrées Annotations de Burcardus, mais il en faut demeurer fixement à tout ce que Burcardus dit sur sa parole avoir tiré des écrits dont il s’agit, par ce bel Art de friperie dont il s’est servi. Sans mentir, j’ai de la peine à croire qu’il se puisse rien dire de plus inique, de plus impudent, et de plus répugnant à tout droit naturel, même barbarique et tartarique ! Quoi donc sera-t-il permis à cet homme d’accabler une personne innocente de calomnies et de crimes les plus horribles du monde, et de rendre ses accusations publiques par l’impression ; et qu’avec cela il ait, comme l’on dit, les deux oreilles de ceux qui doivent en juger, sans que l’on en réserve une pour la partie accusée ? Prendra-t-on son benoît libelle pour un des décrets des Perses et des Mèdes, que sur sa parole irrévocable il faille exposer à la fureur des lions l’innocence d’un Daniel ?
Mais, s’il vous plaît, considérons un peu plus en détail toutes les trois parties de son bel ouvrage. Il a disposé chacune d’elles par propositions et par des citations de passages, qui sont tout autant de particules ensanglantées qu’il a accommodées et agencées d’une manière que l’on peut bien deviner pour peu que l’on ait de connaissance de son Art et de son humeur. Il avancé dans la première partie LXXVI propositions qu’il veut que l’on tienne pour la Doctrine de M. Bourignon. Cependant ce ne sont que des misérables lambeaux de conclusions qu’il a lui-même tirées de ses écrits comme il a voulu, et qu’il propose avec telles paroles qu’il lui plaît de choisir, de changer, d’ajouter, d’ôter, en un mot, d’appareiller : et cela de telle manière, que le lecteur ne doit point douter qu’il ne leur ait donné le nombre, la mesure, la proportion et la forme la plus propre pour les faire paraître le mieux à sa mode.
Entre ces propositions, il y en a dix-huit (ou plutôt trente et une, puisque la vingt-deuxième en contient beaucoup) qui ne sont point déduites des écrits de M. Bourignon, mais seulement des témoignages que ses amis lui rendent. Il ne laisse pas néanmoins de les lui imputer, mais avec autant de droit que j’imputerais à Burcardus qu’il se vante d’être un Très Révérend, très pieux et très docte personnage ; d’être un homme d’une érudition exquise, très célèbre, d’être l’ornement de Holstein, un signalé rempart de l’Église ; que dans ses écrits très forts la science, la clarté et l’exactitude se débattent à qui emportera le prix ; qu’il se rend signalé par les bénéfices qu’il fait, qu’il oblige fortement les personnes par ses vertus ; et même l’Église ; et choses semblables, que ses amis disent de lui dans les lettres ou les témoignages qu’il a fait imprimer à la fin de son livre. Mais ce ne lui est pas assez qu’il ait voulu tirer des écrits d’autrui ces propositions qu’il impute à M. Bourignon ; il y en a quelques-unes auxquelles il a donné une telle forme par les expressions qu’il leur prête, qu’elles sont ambiguës et à double sens : afin que par cette adresse le mauvais sens, qui est le plus apparent, se puisse imbiber par les lecteurs les plus simples ; et que si quelques-uns, qui regardent les choses un peu de plus près, venaient à l’accuser de mauvaise foi, un sens un plus doux, mais qui est plus caché, lui puisse donner quelque couleur. Telles sont les propositions 12. 15. 16. 17. 18. 22. 24. 25. 26. 27. 28. Il y en a d’autres qu’il a remplies de mensonges évidents dans le sens et la manière qu’il les propose, comme sont les 23. 35. Après tout, les choses sur quoi il prétend chicaner n’ont pas été avancées par M. Bourignon, comme j’ai déjà dit, mais par quelques-uns de ses amis : et encore ne l’ont-ils fait que parce qu’ils ont vu qu’on avait tâché de la faire passer par des écrits publics, et publiés même dans les gazettes, pour une créature méchante, Diabolique, sans honneur, sans piété et sans vérité. Cela les a obligés de publier les bonnes pensées qu’ils avaient d’elle pour rembarrer de si infâmes calomnies. Et pour proposer leurs propres et libres pensées touchant elle, ils n’ont point fait de difficulté de se servir des paroles de l’Écriture qui sans contredit se rapportent à Jésus Christ comme à l’Auteur et au Chef de l’Église, mais que l’on peut aussi avec vérité appliquer à tous les vrais fidèles comme étant ses membres et ses instruments : et ils les lui ont appliquées d’une manière particulière et plus excellente et spéciale qu’on ne le peut faire au commun des fidèles, parce qu’ils ont cru qu’elle avait reçu du Chef des dons particuliers et plus excellents, et qu’elle était son instrument d’une manière plus signalée que d’autres simples âmes, qui quoique fidèles et saintes, ne seraient pas douées de tant de grâces, ni si abondamment, quoique néanmoins ces âmes fidèles jouissent toutes de ces prérogatives, chacune selon la mesure déférente de ses dons.
Quant aux propositions que notre homme a tirées ou distillées des propres écrits de M. Bourignon et qu’il a accommodées selon les règles de son bel Art, ii y en a qu’il a revêtues d’une forme sujette à la chicane, comme la 3. 45. 58. D’autres peuvent avoir un sens bon et un mauvais, mais le mauvais est plus ouvert et le bon plus couvert : telles sont les propositions 5. 28. 37. 40. 41. 42. 53. 57. 62. On peut découvrir plus facilement la même fraude dans les propositions 1. 2. 4. 11. 13. 20. 30. 65. 71. 73. 75. où il a manifestement intrus de son propre quantité de mots obscurs. Il a rempli de mensonge la 43. et la 60. Mais surtout il n’a pas épargné les additions, les omissions, les équivoques, les faussetés les plus évidentes, ni les mensonges, dans les propositions 31. 32. 33. 34. 46. 47. 48. 49. 50. 52. 54. 74. Dans lesquelles, pour rapporter les sentiments de M. Bourignon touchant la S. Trinité, la Satisfaction et les Mérites de Jésus Christ, il agit selon son Art, de la même manière que si l’on m’avait commis quelque personne bien faite et que, lui ayant moi-même coupé et retranché tous les membres, je montrasse en public seulement sa tête toute sanglante et défigurée, me plaignant qu’on m’aurait donné cela pour un homme. C’est en effet de la sorte que Burcardus agit ici. On a proposé la négation de l’application des Mérites de Jésus Christ et de sa Satisfaction à l’égard de ceux qui veulent continuer dans leurs péchés ; on a nié une satisfaction qui fût telle que de décharger les hommes du devoir de se sanctifier, de se crucifier et d’imiter Jésus Christ. Mais Burcardus a coupé et retranché toutes ces conditions pour faire voir au public la seule et simple négation des mérites de Jésus Christ (quelle perfidie !) comme si on les avait niés tout à plat et en eux-mêmes. Et au lieu que M. Bourignon combattait une folle imagination par laquelle les hommes se trompent eux-mêmes, en pensant qu’ils seront sauvés par la satisfaction et les mérites de Jésus Christ quoiqu’ils continuent à suivre la corruption de leur nature, et qu’ils suivent leur propre volonté, sans y renoncer et sans imiter Jésus Christ, ce qu’elle avait appelé en divers lieux une Doctrine fausse, erronée, mensongère, Diabolique, horrible, damnable, nuisible, et une frénésie ; cet homme n’a point de honte de ramasser toutes ces choses (dans la page 49. de la 2. édit. de son libelle) pour faire accroire au monde que M. Bourignon les a dites touchant la Satisfaction et les Mérites de Jésus Christ considérés en eux-mêmes. Représentez-vous, s’il vous plaît (pour faire quelques réflexions sur une similitude dont M. Bourignon s’est servie), une personne qui soit malade, et qu’on lui offre une très bonne médecine. Ce malade, voulant se conduire comme l’on fait aujourd’hui presque partout dans les choses spirituelles, croira que cette médecine est bien bonne, mais il viendra à s’imaginer que par cette croyance et cette persuasion où il est de la bonté de cette médecine, il retournera en santé, quoiqu’il ne fasse rien de sa part, ne prenne point ce remède dans soi, n’observe point de régime, de diète, de modération ; pourvu seulement qu’il croie et se mette fermement dans la tête que cette médecine lui profitera, que cela lui suffit. Moi, qui remarquerai cette nouvelle et rare invention de sa cervelle, je l’appellerai une frénésie, une opinion fausse et trompeuse ; je lui dirai hardiment que personne ne peut ainsi être guéri et rendu sain et sauf par le secours d’un autre, quelque mérite et habileté que cet autre ait ; et que de la sorte on n’a point fait assez ou satisfait pour chasser la maladie. Considérez, je vous prie, Monsieur, avec quelle raison l’on pourrait conclure de mon discours que j’aurais appelé les médicaments et l’Art de guérir les hommes, une frénésie, une opinion fausse et trompeuse, et le reste ! que je rejetterais les remèdes ; que j’assurerais que personne ne peut être guéri par le moyen et les médicaments d’un autre ; que je nierais que le Médecin ait satisfait à ce que requerrait sa charge ; enfin que j’accuserais la médecine d’insuffisance à chasser la maladie ! Voyez, donc s’il vous plaît, et avec étonnement, les lâches Artifices de ces Accusateurs. Car voilà toute leur manière de procéder.
Pour ce qui est des passages que Burcardus cite des écrits de M. Bourignon afin de prouver les conclusions qu’il lui impute dans ses propositions, ils sont si déchirés, si démembrés, si renversés, si mutilés, qu’ils doivent faire pitié à tous ceux qui voudront voir leur vigueur et leur force dans le plein discours de cette Demoiselle. Ce n’est pas qu’on veuille donner occasion à ce Citateur et faiseur de ramas de se plaindre comme si l’on exigeait de lui que pour une citation il décrivît tout le livre. Mais on soutient que c’est à lui une iniquité inexcusable que d’omettre ou de passer sous silence dans ses citations les choses qui sont jointes, qui précèdent ou qui suivent, lorsque ces choses sont essentielles à l’opinion qu’il rapporte, et que ce sont des conditions qui disent que cette opinion est véritable à telles conditions, mais que sans elles ou avec d’autres conditions elle serait fausse : pendant que cet homme veut faire croire par les citations tronquées que l’on tient absolument et simplement ces choses pour fausses. Cette manière d’agir n’est pas sans crime dans la vie civile lorsque par ce moyen l’on intente des accusations atroces, et que l’on impure des crimes à son prochain. Et dans les écoles, les enfants, qu’on y enseigne plutôt à faire vivre des disputes qu’à faire mourir leurs passions, pourraient bien avertir Maître George Burcardus, Docteur des sept arts libéraux, qu’il n’agit que par des sophismes que sa Dialectique appelle tantôt de division et de composition, tantôt de prendre dans un sens simple ce qui n’est dit qu’à certain égard ; et je crois que qui voudrait le remarquer un peu de près trouverait bien dans l’ouvrage de notre Épitomateur presque toutes les espèces de sophisteries de son oracle le grand Aristote.
Il y a quelques propositions entre les LXXVI de Burcardus que l’on n’a pas marquées ici, parce qu’elles sont ou de peu de conséquence, ou qu’il y a laissé un peu plus de vérité. Les principales sont celles qui traitent du rétablissement de la connaissance et de l’amour de Dieu dans le monde ; Que ces sortes de grâces s’étendront à plusieurs ; Qu’il faut reconnaître et fuir le misérable état du présent siècle ; De quels moyens il se faut servir pour cet effet ; Que le temps est tout proche. Tout cela déplaît à cet homme. Mais quant à toutes les propositions que j’ai marquées comme étant corrompues par lui, je puis bien assurer avec certitude que ce que je viens d’en dire est très véritable, et promettre de le montrer à tous ceux qui ne pourraient pas découvrir d’abord les fraudes qu’il y a cachées, ou qui voudraient par curiosité qu’on les leur fît voir à l’égard de quelques propositions, telles qu’il leur plaira de choisir. En fasse l’épreuve qui voudra. On ne veut pas perdre le temps à les examiner ici toutes en particulier. Je veux bien néanmoins, pour en donner quelque exemple, le faire voir, et sans choix, dans toutes les premières qui s’offrent selon ses chiffres. M. Bourignon tient que Jésus Christ a promis le S. Esprit à son Église en parlant aux Apôtres : mais que comme les Apôtres n’étaient pas toute l’Église, mais bien les prémices, cette promesse les regardait aussi comme les prémices de l’Église, c’est pourquoi elle a été accomplie en eux par le don des prémices de l’esprit qu’ils ont reçues, comme ils parlent eux-mêmes (Rom. 8. v. 22) et ainsi l’Esprit leur a été donné en la manière qu’ils étaient eux-mêmes compris dans la promesse, dont l’accomplissement regardant toute l’Église ne se fera voir que dans les derniers temps, qui sont bien près. Mais notre homme, tout au commencement, dans la première proposition de son livre, voulant rapporter le sentiment de M. Bourignon, le fait en de tels termes et si détachés, qu’il est facile au Lecteur d’en avoir une idée toute fausse ; car il dit que M. Bourignon tient que cette effusion du S. Esprit que les Prophètes ont prédite, et que Jésus Christ a promise aux Apôtres, n’a pas encore été accomplie. Ce qui étant ainsi proposé nuement et tout seul, peut faire croire à ses lecteurs que M. Bourignon aurait enseigné que Jésus Christ n’a pas tenu aux Apôtres ce qu’il leur avait promis ; mais qu’il leur avait manqué de foi dans les choses qui les regardaient en particulier dans sa promesse. Il avance sa seconde Proposition en ces termes : que cette promesse doit s’accomplir maintenant pour le premier, particulièrement dans A. B. et par elle. Ce qui n’est pas seulement ambigu, comme je l’ai marqué ci-dessus : mais de plus il est faux, et donne à son lecteur un sens faux, comme si l’on avait nié les prémices de cette effusion de l’Esprit, et que l’on eût assuré qu’elle regardât en particulier la personne de M. Bourignon ; et enfin comme s’il avait été avancé que cela se dût faire par cette personne comme par manière de cause et par sa force et sa dispensation. Il en est de même de toutes les propositions que j’ai marquées ci-dessus, sans en excepter une seule. Ce serait un travail inutile que de les examiner chacune à part pour faire voir la candeur de Burcardus, lequel doit être bien aise que l’on passe ces choses à la légère, sans que l’on s’arrête à découvrir plus amplement son ignominie. Car il a mêlé partout la fraude avec la fausseté, et quelquefois si finement, que la simplicité et la sincérité de ses Lecteurs ne le pourraient, je ne dis pas découvrir, mais même suspecter. Mais il n’est pas mauvais que cet homme soit averti, aussi bien que tous ceux à qui il prendra envie de donner des chefs-d’œuvre pareils au sien, qu’il y a encore dans le monde des personnes qui ont assez bonne vue pour découvrir et démêler toutes leurs sophisteries scolastiques, et pour exposer toutes leurs fraudes et leurs artifices à la vue même du commun peuple, afin que l’on touche au doigt l’absurdité et l’iniquité de ces artifices si honteux.
Mais en voilà assez pour donner la connaissance de la belle manière dont cet Ouvrier a travaillé dans la Première Partie de son livre, et cela nous doit épargner aucunement la peine de rechercher avec trop de soin quelle est son adresse dans la Seconde et la Troisième Partie. Il nous avertit lui-même que ce n’est que cette même matière, qu’il a ainsi travaillé, laquelle il reprend dans la suite. On peut donc bien juger de la suite par les choses que nous venons de voir, sans qu’il soit besoin d’aller plus avant. Cependant il y a cela de plus dans la suite. C’est que dans la seconde Partie de son livre il exerce sur les mêmes choses la seconde partie de son Art ; et que dans la troisième partie du même libelle il met pareillement en œuvre la troisième partie du même Art. Remarquez cependant que quoiqu’il présuppose d’avoir prouvé dans la I. partie de son écrit la vérité du fait touchant les doctrines qu’il veut combattre dans les deux parties qu’il fait suivre, il ne laisse pas néanmoins de rapporter dans ces deux dernières parties tout autrement et avec d’autres termes les doctrines qu’il impute, et qu’il croit avoir suffisamment montrées dans la première partie. Même il est si libéral, qu’il y ajoute encore de son invention des propositions tout autres et toutes nouvelles, et qui de plus sont ou ambiguës ou toutes fausses. Enfin, lorsqu’il daigne de citer quelques passages des écrits de M. Bourignon pour persuader qu’elles y sont, il se contente de marquer par chiffres les écrits qu’il cite, sans en rapporter les paroles, s’imaginant sans doute que l’on se contentera de cela sans exiger davantage. Car après tout, qui est-ce qui oserait douter en quoi que ce soit de la candeur et de la bonne foi d’un tel homme, surtout lorsqu’il fait profession expresse dans la page 206 de son livre, de faire des épitomés et des ramas par l’illumination de Dieu ?
Il perfectionne tout cela dans la Troisième partie, par une nouvelle manière d’opérations ; et par beaucoup de parallélismes qu’il avance, il met tout son travail au rang des fanatiques et des hérétiques et plus qu’hérétiques. J’estime qu’il est inutile de montrer que lorsqu’il s’agit de savoir la vérité même de quelque chose, il n’est rien de plus absurde que de recourir aux parallélismes. Car cela peut-il ajouter ou ôter quelque chose à la vérité ou à la fausseté d’une doctrine, de dire que quelques gens de bien ou quelques méchants ont dit auparavant de choses semblables ? Les Turcs croient qu’il n’y a qu’un Dieu, et que Jésus Christ est né d’une Vierge. Le Diable a dit à Jésus Christ : Tu es le Fils du Dieu vivant. BURCARDUS reconnaît cela pour véritable. D’où vient que le parallélisme ne l’en détourne point ? Mais puisque cet homme a corrompu (comme nous l’avons vu ci-dessus) presque toutes les choses qu’il allègue de M. Bourignon lesquelles il veut maintenant accomparer à des Doctrines de quelques autres, ne pourrait-il pas avoir traité de même selon son art les Doctrines de ces autres personnes, au moins de quelques-unes qu’il raconte, pour ajuster ses comparaisons ? Certes, du côté de notre homme, il ne faut pas douter de son habileté et de sa capacité pour un tel effet. Mais je ne puis avancer de certitude du côté des Auteurs qu’il cite, car je n’en ai eu ni lu jamais aucun, jusqu’à présent. Je ne veux pas approuver les erreurs qu’ils pourraient avoir. Je crois même que quelques-uns de ces auteurs ont été, ou sont encore vraiment des rêveurs et dans des erreurs qui ont du rapport à ce que notre historiographe en raconte. Mais de décider si entre ceux qu’il cite il n’y en a point à qui il fasse tort, aussi bien que d’autres avec lui ; et de dire quels ils sont, c’est ce que je ne puis faire, n’en ayant point de connaissance particulière. C’est pourquoi je laisse cela au jugement de Dieu.
Mais quant à M. A. Bourignon, ses écrits étant assez publics et communs, je puis bien dire que ce n’est pas sans un grand bien pour mon âme que je les ai lus, feuilletés, admirés et retenus en disant adieu aux badineries des écoles ; et que j’ai vu qu’ils n’ont pour unique but que l’abnégation de la nature corrompue, l’Amour de Dieu, et l’entière résignation de nous-mêmes à sa Divine volonté. Et je proteste que quant aux Articles que Burcardus rapporte dans les 204 et 205 pages de son libelle, voulant faire un abrégé des principaux points et des plus évidents de la Doctrine de M. Bourignon, savoir : (1) Qu’elle nie la Rédemption de Jésus Christ ; (2) Sa réconciliation et sa Satisfaction ; (3) Qu’elle nie sa Divinité, (4) Qu’elle nie son humanité, aussi bien que celle des autres hommes ; (5) Qu’elle nie la S. Trinité ; (6) Qu’elle nie l’effusion du S. Esprit sur les Apôtres ; (7) Qu’elle nie l’Église et la présence du S. Esprit en elle ; (8) Qu’elle se préfère elle-même à Moïse, aux Prophètes, aux Apôtres et à Jésus Christ même ; (9) Qu’elle rejette la Parole et les Sacrements ; (10) Qu’elle hait tous les États et souhaite leur ruine. Je proteste, dis-je, que non seulement je n’ai rien vu de tout cela, ni de semblable dans les Divins écrits de M. Bourignon ; mais que j’y vois plutôt que Burcardus a mérité pour le moins par l’imputation et la publication de crimes si horribles (dont le seul dernier sans contredit mérite la mort), que M. Bourignon lui dise, sans se soucier de son artifice d’anticipation, qu’il a menti très impudemment et publiquement, sans crainte de Dieu ni des hommes ; et que c’est à lui une effronterie horrible que dans la dédicace de son livre à son Altesse S. de Holstein il ait osé étaler en la présence de ladite Altesse ces mêmes abominables mensonges pour les lui persuader, et porter par là ce Prince à agir conformément à ces détestables accusations contre une personne très juste et très innocente, et à la traiter selon l’exigence des crimes que Burcardus a faussement inventés.
Car au contraire, sans rien dire de tout le reste, et pour ne parler que de ces seuls derniers articles, j’ai vu, et chacun peut voir dans les divins écrits de cette Demoiselle, des choses qui y sont directement opposées.
(1) L’on y voit que Jésus Christ est le véritable et le seul Rédempteur du monde, sans lequel nul n’a jamais été et ne sera jamais sauvé ; et que ce Dieu de paix ayant commencé à briser Satan, achèvera à l’écraser tout à fait sous nos pieds, de quelque instrument qu’il plaise à sa puissance de se servir pour cet effet.
(2) L’on y apprend en substance qu’il a pris sur soi la charge de nous réconcilier à Dieu, et qu’il a accompli tout ce qui était nécessaire pour jouir du droit, de la fonction et de l’exercice de cette charge ; qu’il a mérité, qu’il a satisfait à tout ce qui était requis pour être un plein et parfait Réconciliateur. Non pas toutefois qu’il ait par la déchargé les hommes de leur devoir, qui est de croire en lui d’une telle manière qu’ils fassent les œuvres que lui-même a faites (Jean 14. v. 12.), savoir, de se renoncer eux-mêmes, de porter leur croix et le suivre. Car autrement ce serait se tromper malheureusement que de croire que Jésus Christ eût satisfait afin de dispenser les hommes de satisfaire au devoir que Dieu leur a imposé justement, ou selon sa justice, pour qu’ils jouissent de sa grâce qu’il leur présente gratuitement, plusieurs tremblent, ce me semble, à l’ombre de ce mot de Satisfaction des hommes. Mais a-t-on la tête si dure que de ne pouvoir comprendre qu’il faut satisfaire au devoir de la pénitence et de la foi vivante, et à la fonction des rachetés de Dieu ? Il n’est pas question de satisfaire pour mériter la réconciliation, mais de satisfaire à l’accomplissement des conditions que Dieu nous impose pour en jouir lorsqu’il nous la présente, afin de ne pas fouler aux pieds le sang de l’alliance, et de ne pas outrager par nos péchés l’Esprit de grâce.
(3) L’on y apprend que Jésus Christ est le Dieu Véritable et Éternel qui a créé l’homme, le ciel, la terre et toutes choses.
(4) L’on y apprend qu’il est aussi Vrai Homme, puisqu’il a pris à soi la nature humaine et les états de cette nature, tant celui de gloire que celui d’inanition et de mortalité : quoique ce dernier soit si bas et si méprisable, que l’homme depuis qu’il y est tombé par sa faute ne mérite pas tant le nom d’homme que celui de Ver, à comparaison de sa première excellence.
(5) L’on y apprend qu’il y a en Dieu une Sainte Trinité (voyez, par exemple, les Conférences XI et XXIV de la Lum : du monde) dont les personnes et le Mystère ne peuvent être compris par nous : Que personne ne peut comprendre comment le Père engendre le Fils : Que tout ce que nous pouvons dire et concevoir de ce mystère exténue sa gloire, vu qu’il n’y a rien de comparable à lui, quoique cependant on le puisse aucunement déclarer par quelques comparaisons selon la grossièreté de notre conception, aussi bien que par des manières qui aient quelques rapports aux opérations extérieures ; comme si, par exemple, on conçoit le Père comme ne prenant aucun corps ; le Fils comme apparaissant dans l’assomption d’un corps glorieux ; et le S. Esprit comme présent et opérant dans la conception et dans toute la vie de la nature mortelle que le Fils a prise. Que l’on peut même désigner ce mystère par quelques attributs Divins, et cela plus utilement que par les mots de trois personnes, vu que ce mot de pluralité de personnes donne ordinairement au peuple une impression de plusieurs individus, comme dans les créatures : ce qui n’est pas ainsi en Dieu : mais par ces attributs, comme de Bonté, de Justice et de Vérité, que l’on emploie pour marquer la S. et incompréhensible Trinité, nous pouvons remarquer pour notre édification et afin que ce ne soient pas des spéculations sans fruit, que la manière d’agir de Dieu avec Bonté, avec Justice, et avec Vérité est aussi indissoluble que lui-même l’est dans sa S. Trinité incompréhensible, laquelle on peut bien marquer par ces attributs sans déplaire aux gens d’école, puisqu’ils enseignent eux-mêmes que les attributs Divins sont quelquefois pris personnellement (comme ils parlent) dans les écritures, et que quelques-uns se rapportent particulièrement à une personne, et d’autres à une autre.
(6) L’on apprend dans ces mêmes livres, que Jésus Christ a commencé de répandre son Esprit sur ses Apôtres, mais qu’il achèvera et accomplira cette effusion dans les derniers jours, lesquels sont bien près de nous.
(7) L’on y apprend qu’il y a une vraie Église, et le S. Esprit en elle, là où il y a communion des Ss, mais que les péchés des hommes l’ont déchassée de la terre. Et quoiqu’il y ait encore plusieurs personnes de bonne volonté, et des commençantes, que néanmoins elles ne sont pas encore parvenues à l’état d’un Christianisme solide, tel qu’il était dans l’Église primitive.
(8) L’on y apprend que quant à la Personne de M. Bourignon, elle reconnaît qu’elle n’a rien de soi-même que le péché, et que tous les dons qu’elle possède, elle les a reçus de Dieu seul, qui peut les lui ôter quand il lui plaira. C’est pourquoi, encore que les dons d’une personne soient préférables aux dons d’une autre, néanmoins quant à la personne même, et en particulier celle de M. Bourignon, elle ne la préfère à aucune autre, bien loin de la préférer à Jésus Christ même, comme Burcardus l’assure très impudemment.
(9) L’on y apprend partout qu’il ne faut recevoir pour vérité que ce qui est conforme à la S. Écriture ; Qu’elle désire que tout soit examiné selon elle ; Qu’il n’y a rien de plus utile ni de plus plaisant que d’être occupé dans sa Lecture avec humilité ; Qu’elle renferme toutes les œuvres de Dieu passées ou à venir, et que l’un des principaux fruits que l’effusion du S. Esprit produira dans nous sera une explication claire et ouverte de toutes les choses qui sont en elle, jusques aux plus petites. Et pour ce qui concerne les Sacrements, l’on y voit que lorsque l’occasion et l’utilité de la personne l’exigent, l’on ne doit pas refuser de témoigner publiquement, par l’usage de ces symboles extérieurs et corporels, que l’on ne s’est pas seulement consacré à Dieu quant à l’Esprit, mais aussi quant au corps. Et en général touchant toutes fortes de cérémonies et de moyens extérieurs, Que personne ne doit s’y arrêter et y subsister comme si elles étaient la fin ; Que personne ne doit être contraint à se servir de celles-ci plutôt que de celles-là ; Que nul ne doit condamner son prochain ni se moquer de lui à cause que celles dont il se sert sont différentes des siennes ; Mais qu’il faut laisser à chacun les siennes, telles qu’il les trouve les meilleures pour l’exciter à penser à Dieu et lui donner occasion de se recueillir en lui : sans que néanmoins l’on doive approuver les abus qui pourraient s’y commettre, lesquels on doit laisser à ceux qui les font et au jugement de Dieu, sans pour ce sujet troubler personne, afin que sans égards aux diversités des Sectes, et à la creuse marchandise des disputes d’école, nous tendions tous unanimement à l’unique Amour de Dieu en détachant nos affections de tout ce qui est corruptible ; et que nous nous aidions fraternellement les uns les autres à avancer vers ce but suprême.
(10) Enfin cette Dlle a écrit un traité entier contre les Trembleurs, pour apprendre à honorer les Puissances de tous les États de dignités qui sont entre les hommes, et qu’il leur faut obéir selon Dieu et à cause de lui. Si on la peut soupçonner d’y désapprouver quelque chose, ce n’est que le seul mal qui peut s’y être mêlé, et qu’il serait à souhaiter de périr seul, les états et les personnes demeurant dans leur intégrité et leurs dignités.
Et toutes ces choses se trouvent dans ses écrits si clairement, et si souvent, que je m’abstiens de citer les lieux, aimant mieux que le Lecteur s’en informe par la pleine Lecture des livres mêmes, afin qu’il ne passe pas son temps dans des choses de pure Théorie, comme cela se pourrait faire ici, mais qu’avec elles son âme puisse être salutairement éclairée touchant les choses qu’il faut faire et laisser en pratique par une divine lumière qui est répandue dans ses écrits. Cependant s’il était jugé nécessaire de prouver par des citations de passages particuliers qu’elle avance ces vérités contraires aux calomnies de Burcardus, aussi bien qu’une infinité d’autres, cela pourrait s’effectuer facilement, et l’on ferait sans peine un abrégé de sa Doctrine en meilleure forme et de meilleur embonpoint, que n’est ce faux, cet horrible, ce monstrueux squelette de notre Rhapsodiste : on y verrait tout le contraire de ses conclusions, et de ces dix Articles abominables par lesquels cet homme couronne son bel ouvrage, et qu’il appelle des fondements clairs et indubitables de la Doctrine d’A. Bourignon : quoiqu’en vérité ce ne soit que des preuves claires et indubitables de la mauvaise foi de Burcardus.
Certes il y a sujet de s’étonner, comment cet homme a trouvé toutes ces choses, puisque ni moi, ni beaucoup de personnes qui ont lu aussi bien que moi les écrits de M. Bourignon, qui y ont médité et les ont compris pour le moins aussi bien que Burcardus, n’y ont rien trouvé de semblable, mais plutôt le contraire. Mais lorsque je pense à cet excellent Art de faire des ramas et des rhapsodies dont il s’est si joliment servi, je ne trouve plus de sujet de m’étonner : au contraire je comprends sans peine que non seulement la chose a été fort facile à ce Magister, mais aussi que quiconque voudra en peut faire autant sans difficulté, et même dans toute sorte de matières.
Car assurément il n’y a pas jusqu’au Diable même qui, s’il voulait, ne pût, par le moyen de cette Méthode, rendre, en tant qu’en lui est, l’Écriture sainte odieuse, et la décrier comme un livre absurde, plein de contradictions, et même contraire aux Articles de Foi que les Chrétiens croient en avoir tirés. Il serait bien aise d’y trouver beaucoup de passages donc il pourrait, avec l’aide d’un art pareil à celui dont Burcardus s’est servi, faire croître le monceau de les accusations absurdes et pleines de calomnies : et entre autres choses il pourrait imputer à l’Écriture Ste dix Articles pareils à ceux que Burcardus impute à M. Bourignon comme si c’était l’abrégé de sa Doctrine, et il en ferait la fin et le couronnement de son œuvre à l’imitation de Burcardus.
(1) Car le Diable pourrait dire que l’Écriture même nie la Rédemption du monde par Jésus Christ, vu qu’elle le fait parler comme s’il ne se souciait pas du monde, en disant : Mon Père, je ne te prie point pour le monde. Jean 17. v. 9.
(2) Secondement, il pourrait assurer que l’Écriture nie la Réconciliation et la Satisfaction de Jésus Christ, comme aussi l’écrasement de la Tête du Serpent : car quant à ce dernier elle dit que même après la mort de Jésus Christ, Satan séduira tous les peuples, et qu’il régnera, et partant, qu’il sera encore robuste et vigoureux. Et quant à la Satisfaction, S. Paul dit que lorsqu’on pèche volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n’y a point d’hostie pour les péchés ; et le Diable, selon l’art d’épitomiser, de faire des abrégés et des raccourcis, pourrait par abréviation citer ces paroles de cette sorte après les avoir maniées, changées, raccourcies et ôté ce qu’il jugerait bon d’en ôter, lorsqu’on pèche, il n’y a nulle hostie pour les péchés. Hebr. 10. v. 26.
(3) Le Diable pourrait dire, en troisième lieu, que l’Écriture nie la Divinité de Jésus Christ, vu qu’elle lui fait dire qu’il est moindre que le Père : Jean 14. v. 28. Et qu’elle le représente qui prouve ce qu’il a dit, d’être le Fils de Dieu, sans qu’il ait recours à sa nature Divine, mais seulement à ce que ceux à qui la parole a été adressée portent bien le nom de Dieux, et qu’il a été sanctifié par le Père et envoyé au monde. Jean 10. v. 34, 35, 36.
(4) Le Diable pourrait accuser les Écritures de nier l’humanité de Jésus Christ, puisqu’elles le font parler de cette sorte : Je suis un ver, et non pas un homme. Ps. 22. v. 7.
(5) Le Diable pourrait hardiment assurer que l’Écriture Ste nie absolument la S. Trinité, vu qu’elle n’en parle le plus souvent que par rapport aux opérations extérieures, et qu’elle ne de sert pas une seule fois du mot de personnes, mais qu’elle nous désigne le Fils par les attributs de Sapience, d’Intelligence, de Prudence, de Justice. Prov. ch. 1. v. 20, et 8. v. 1. Jerem. 23. v. 6, etc., et elle marque le S. Esprit par l’attribut de Vérité. Jean 5. v. 6. Même Satan par son esprit de contradiction pourrait bien prétendre qu’il y a ici des contradictions dans l’Écriture, et qu’au lieu de Trinité elle va jusqu’au nombre de neuf, savoir le Père, le Fils et sept Esprits, de la part desquels S. Jean souhaite la paix aux Églises. Apoc. 1. v. 4.
(6) Que le Diable ne puisse facilement dire en général que l’Écriture nie l’effusion du S. Esprit, c’est ce qui est plus facile à voir qu’à en parler ici particulièrement.
(7) Il pourrait aussi accuser les Écritures de nier l’Église, et la présence du S. Esprit en elle, puisqu’il y est dit, Que lorsque le Fils de s’homme viendra, il ne trouvera plus de foi sur la terre ; et que toute la terre se détournera après la bête. Luc 18. v. 8. Apoc. 13. v. 3.
(8) Le Diable pourrait accuser les écrivains sacrés, comme par exemple S Paul, de se préférer à tous, à Moïse, aux Prophètes, aux Apôtres, et même à Jésus Christ, disant qu’il a plus travaillé que tous. 1. Cor. 15. v. 10, et l’écriture même assurant que ceux qui croiront en J. Christ ferait des œuvres plus grandes que Jésus Christ n’a faites. Joh. 14. v. 12.
(9) Le Diable pourrait dire que l’Écriture rejette la parole de Dieu puisqu’elle se rejette elle-même expressément, en disant que la lettre tue, 2. Cor. 3. v. 6, et il n’est pas besoin qu’aucun vous enseigne. 1. Joh. 2. v. 17. Qu’elle rejette aussi les Sacrements, disant tout crûment de la chair de Christ, qu’elle ne profite de rien. Jean 6. v. 64. Et que la circoncision n’est rien, ni l’incirconsion, mais l’observation des commandements de Dieu. 1. Cor. 7. v. 19. Et que le lavement du corps n’est pas le baptême. 1. Pier. 3. v. 21.
(10) Le Diable pourrait encore accuser l’Écriture d’avoir une haine extrême contre les Puissances et les États du monde, et d’être une Doctrine de destruction pour eux, vu qu’elle déclame si souvent contre eux et les menace presque partout de très grande ruine.
Enfin, le Diable pourrait alléguer plusieurs autres choses, les distribuer en propositions, les diviser en trois parties ou davantage ; amasser, citer, prouver, mutiler, retrancher, ajouter, réfuter, amener des comparaisons et des parallélismes de ces choses entre elles et avec d’autres, et mêler si bien toutes ces fusées, que les plus grands Docteurs du monde auraient bien de la peine à les démêler toute leur vie.
Et il importerait peu à cet Esprit malin si par sa manière d’agir et avec les citations il tirait des écritures des choses que les Lecteurs n’y auraient pas vues et n’y pourraient voir en les lisant en simplicité comme elles sont écrites, ou bien s’il ne rapportait pas les passages dans leur intégrité et si exactement : car cela devrait être imputé à son industrie et à l’adresse avec laquelle il se serait servi de ce bel Art de faire des épitomés et des ramas, qu’il pourrait bien faire passer pour le huitième des Arts libéraux : et comme il sait se transformer en Ange de lumière, il pourrait bien dire qu’il s’en est servi par l’illumination de Dieu pour reconnaître de plus près les profondeurs de Satan, et en avertir raisonnablement les autres.
Et afin que personne ne détruise son ouvrage Satanique, en montrant le vrai sens de l’Écriture sainte par la propre confession de l’Écriture même qui explique par tant d’autres paroles et en tant d’autres passages ce qui pourrait donner la moindre occasion de doute, le Diable pourrait prémunir tout son ouvrage par cet autre artifice d’Anticipation, et dire par avance : Qu’il sait déjà bien que l’Écriture niera hardiment tout ce qu’il a rapporté d’elle selon la vérité ; et qu’elle protestera de n’avoir jamais enseigné ces choses, mais le contraire : Quelle ne nie point la Satisfaction de Jésus Christ, ni la Trinité, ni la Parole de Dieu : que S. Paul dira qu’il est le moindre de tous les Apôtres (1. Cor. 15. v. 8, 9), qu’il n’est rien, et que même il est un avorton ; et choses semblables : mais qu’il ne faut pas prendre garde à toutes ces sortes d’excuses : que c’est la manière d’agir et le propre de tous les fanatiques autant qu’il y en a, lorsque par la grâce de Dieu l’on découvre raisonnablement, et en faisant des épitomés, le venin de leurs erreurs pour en avertir les plus simples, de nier alors impudemment ce qu’ils croient et qu’ils ont proposé de bouche et par écrit ; d’affirmer et de nier incontinent une même chose ; de ne tenir rien de certain. Mais que ces serpents ont beau se tourner d’un et d’autre côté, et crier comme il leur plaira, que néanmoins leurs paroles si souvent alléguées demeurent couchées par écrit, aussi bien que tous les fondements de leur Doctrine que l’on vient de voir. Si bien que quoi qu’ils puissent dire, on peut bien les convaincre que toutes leurs œuvres ne sont qu’un chaos d’absurdités et de confusion. Et choses pareilles que le Diable aurait pu avancer, et que je m’étonne avoir été imitées ou prévenues par Burcardus dans la 199 page de son livre, et dans les suivantes.
Mais, pour ne rien dire davantage, parce que les hommes ne sont pas si stupides que de donner lieu à un tel artifice du Diable, s’il s’en était voulu servir de cette sorte : vu que ceux qui ont quelque esprit et quelque intelligence auraient pu suspecter ces fraudes Sataniques par une lumière que l’Écriture aurait fait lever dans leurs entendements ; et que ceux qui sont de bonne volonté auraient pu faire la découverte de ces artifices ténébreux par les opérations et les effets des Divines Écritures qu’ils auraient sentis dans leurs cœurs, ce qui les aurait portés à se moquer de toutes ces chicaneries Diaboliques : prévoyance qui a retenu le Diable d’agir de la sorte. Aussi n’est-il pas croyable que les hommes d’aujourd’hui seront si dépourvus d’esprit, que ceux d’entre eux qui sont ou intelligents, ou de bonne volonté, ou qui possèdent l’une et l’autre de ces qualités ne découvrent, ne détestent, et ne se moquent de semblables fraudes par lesquelles Burcardus prétend d’obscurcir la vérité qui est si bien remarquable par sa lumière à tous ceux qui la considèrent avec attention, et que l’on voudrait néanmoins pervertir de cette manière, afin qu’étant méconnue, elle soit en horreur à tout le monde.
Nous espérons plutôt que le jour de cette Divine lumière qui s’est levée s’avancera incessamment jusqu’à découvrir si clairement la vérité et le mensonge, le bien et le mal, que personne ne puisse plus être séduit ni damné si ce n’est ceux qui voudront bien périr et être trompés sciemment. Duquel malheur je prie Dieu de nous préserver en nous donnant la force d’embrasser et de pratiquer sa sainte vérité, et que par là nous soyons à la fin rétablis dans l’état d’où nos péchés nous ont fait déchoir. Je suis, etc.
P. P. P.
SENTIMENT
touchant
Un second Livre que M. Burcardus a publié
depuis peu pour répliquer à la Pierre de
Touche de Madlle. Bourignon.
IL paraît assez que les défauts que l’on vient de voir dans le livre de Burcardus ne viennent pas de quelque méprise où il soit tombé à l’imprévue, mais d’une disposition qui est habituelle dans lui. De là vous pouvez assez-raisonnablement présumer de quelle trempe doit être le second écrit de cet homme. Néanmoins comme il n’est pas absolument impossible de quitter des mauvaises habitudes et d’en prendre de meilleures selon lesquelles on se conduise ensuite, je ne veux pas tirer du premier ouvrage de Burcardus un préjugé si violent que de condamner son second par cela seul, sans autre information. Peut-être qu’il s’est changé, et qu’il aura voulu vaincre le mal de son premier livre par le bien de son second.
Je l’ai vu et parcouru afin de vous en pouvoir dire avec connaissance le sentiment que vous voulez que je vous en communique. Si vous désirez que j’en juge d’une autre manière que celle que vous venez de voir dans la lettre précédente touchant son premier livre, je vous dirai qu’effectivement ce dernier livre serait bien autre que le premier, et qu’il serait même très excellent si seulement il était retouché en deux ou trois manières ; la première, en ôtant de là quelques choses qui y sont : la seconde, en y ajoutant quelques autres qui n’y sont pas ; et la troisième, en changeant celles qui y resteraient. À cela près, l’on aurait sujet de tenir ce livre de Burcardus pour un bien bon livre. Et néanmoins tout tel qu’il est, il ne laisse pas d’avoir ses utilités envers cinq ou six sortes de personnes.
Il est, en premier lieu, utile à ceux qui y sont attaqués, suivant cette parole de Jésus Christ : Vous serez bienheureux lorsque les hommes (Burcardus, ou qui que ce soit) vous diront des injures, vous persécuteront, et en mentant diront à cause de moi toutes sortes de maux contre vous. Réjouissez-vous alors et soyez dans l’allégresse : car votre récompense sera grande dans les Cieux. (Matth. 5. v. 11, 12.)
Il est utile aux personnes curieuses, qui, lorsqu’elles y verront tant de choses extraordinaires et incroyables qu’il impute à M. Bourignon, désireront de voir les livres mêmes de cette Demoiselle pour savoir le détail de ces choses, si elles sont véritables, et ou non ; par là ils trouveront l’occasion de s’instruire des divines vérités qui sont dans ses salutaires écrits et de les embrasser. Je sais que le premier livre de Burcardus a déjà produit cette sorte d’utilité à plusieurs.
Il est utile aux personnes bonnes et simples, qui n’osant croire que le mal soit caché sous des choses et dans des personnes saintes en apparence, et que des gens d’Église, qui font profession de vérité et de probité, ne pourraient être des menteurs, des fourbes et des iniques, s’en laissent flatter, séduire et tromper, et emporter à des jugements sinistres contre les gens de bien. Le livre et l’exemple de Burcardus, saint, à ce qu’on dit, entre mille, les convaincra infailliblement qu’entre ces saints et Spirituels Ecclésiastiques il y a des âmes désespérément endurcies dans le mensonge et dans la calomnie, des cœurs lâches et cruels, qui ne se donnent point de repos dans la persécution des amis de Dieu, et qui ne se réjouissent et ne se glorifient que dans l’injustice des maux qu’ils leur procurent ; enfin, que l’abomination de la désolation est dans le lieu Saint, même dans le lieu Saint entre mille.
Ce livre est encore utile aux gens de lettres et d’esprit, qui depuis longtemps sont assez en peine de savoir quel animal c’est qu’un Pédant ? afin d’en pouvoir éviter les qualités et aussi les reproches qu’on leur fait, et quelquefois mal-à- propos, d’être de cette Catégorie. Après qu’ils auront un peu considéré ce livre de Burcardus, ils sortiront aisément hors de peine, pouvant par là définir qu’un Pédant est un animal d’un esprit opiniâtre, indocile, présomptueux, et malin, qui sans vouloir comprendre la vérité ni les raisons de sa partie, entasse plusieurs centuries de citations, des rhapsodies d’histoires, des monceaux d’autorités, quantité de mots barbares, des chiffres pour des raisons, du Grec, de l’Allemand, du Gothique, du Latin, du Flamand pêle-mêle, sans discernement ni raison, pour diffamer des vérités fructueuses qu’il n’entend pas, et des gens de bien qui ne l’ont jamais attaqué. Voilà l’idée parfaite d’un Pédant par excellence et au quatrième vœu. Elle a son siège, ou, si vous voulez, son exemple ou son original dans le livre de Burcardus, depuis la première page jusqu’à la dernière.
Ce livre est encore utile, ou du moins soulageant pour les personnes dégoûtées de beaucoup lire : car il semble que Burcardus ait dessein de les décharger de la peine de lire son livre par le seul titre qu’il lui donne de Redite ou RÉPÉTITION DE NARRATION, comme qui dirait, des choux recuits, redites des impertinences de son premier écrit, ou plutôt, ses premières ordures qu’il remue encore une fois. Il est vrai qu’il ajoute que cette répétition est NÉCESSAIRE. Ne soyons pas si incivils que donner le démentir au premier mot de son livre. En effet, cette répétition de narration est aucunement nécessaire pour les utilités que je viens de marquer, qui me font déclarer que mon sentiment est que ce livre de Burcardus est bon et utile à plusieurs choses.
Il ferait même véritablement utile à Burcardus s’il était si heureux que de vouloir s’en servir comme quelques saints se sont servis des registres de leurs maux et des fautes et péchés de leurs vies qu’ils avaient mises par écrit, et même publié, pour exciter leurs cœurs à la componction et à la confusion salutaire devant Dieu et devant les hommes par le ressouvenir de leurs iniquités. Mais comme ce n’est pas à ce dessein que Burcardus a mis par écrit et publié ces mauvaises dispositions de son cœur, il n’y a guère de sujet d’en espérer cette utilité.
Hors de ces considérations, je ne sais à quoi ce livre de Burcardus pourrait être bon et utile ; et encore moins, nécessaire ; et je veux croire que si avant que de l’écrire il eût lu la lettre précédente, qui évente la quintessence de ses subtilités, il aurait vu qu’il n’était pas fort nécessaire de nous déborder ici encore une fois les torrents de sa science.
Mais encore, à quoi les veut-il faire servir ? Pensez-vous qu’il les emploie à justifier son premier écrit et son procédé contre la Réfutation que Mademoiselle Bourignon en a faite ? qu’il se donne la peine d’y montrer qu’il n’a point agi par un esprit et par des voies contraires à celles de la Charité, de la Justice, de la Vérité ? qu’il n’a point falsifié de passages des écrits de cette Demoiselle, point interprété à contre-sens, point imputé de grands crimes visiblement contraires à ses sentiments, point contribué à ses persécutions, point sollicité par voie de fait pour lui faire ravir ses biens et l’exterminer s’il était possible ? Rien de tout cela. Au contraire, cet homme, comme ceux dont S. Paul dit 584 qu’ils font consister leur gloire dans ce qui leur doit être un sujet d’ignominie, raconte au long comme un fait héroïque, et avec joie, comment ils ont fait persécuter à FLENSBOURG un ami de M. B., quelle sentence ils ont extorquée contre lui par leurs cruelles et lâches médisances, et comment ils l’ont mise à effet. Il entremêle parmi ses histoires des contes en l’air à faire dormir debout. Il se met à y déduire au long comment les Frisons et les Suisses, et je ne sais qui, ont rejeté la Philosophie d’un certain Cartesius, laquelle je pense que Burcardus est aussi capable d’entendre que le plus fieffé bouvier de toute la Suisse. En un mot, on ne saurait mieux se représenter son second livre que par la lecture de la lettre que l’on vient de traduire pour donner l’idée de son premier écrit, puisque ce second est toute la même chose : c’est vraiment, comme Burcardus l’intitule lui-même, une Répétition de narration, et il y procède entièrement par les mêmes principes et par une même méthode, n’y ajoutant que quelques nouveaux contes, quelques nouveaux Parallélismes, quelques nouveaux passages déchirés et falsifiés comme les premiers. Il y a assez d’impudence que de nous citer le jugement particulier d’un professeur comme si c’était un décret public de toute une Académie contre les livres de M. Bourignon. Et je lui soutiens que dans toutes ses citations il a commis et réitéré plus de cent fois de compte fait le crimen falsi, le crime de faussaire, citant à faux les passages qu’il rapporte, surtout ceux des écrits de M. Bourignon ; ce qui semble incroyable qu’un homme qui aurait tant soit peu d’égard à son honneur ou à sa réputation voulût ainsi faire publiquement, puisque le plus simple lecteur peut découvrir ces faussetés en confrontant ses citations avec les livres dont il les tire, comme j’ai vu moi-même qu’un qui entreprenait sa cause en fut honteux au premier essai qu’il en voulut faire, car cherchant dans le livre de M. Bourignon un passage que Burcardus avait cité dans le sien, après en avoir fait la lecture, il jeta ce nouveau livre de Burcardus, et dit : Tenez, voilà qu’il lui fait dire tout le contraire du premier passage que je viens de lire. Mais Burcardus a néanmoins cru de pouvoir éviter cette honte par cet Artifice. C’est qu’il a amassé un si prodigieux nombre de passages, tant de citations et de chiffres, que jugeant bien que les Lecteurs les plus patients seraient épouvantés par la seule pensée de les confronter avec leurs sources, il s’est persuadé qu’ils aimeraient mieux supposer que Burcardus cite de bonne foi, que non pas de bourreler leur patience par un exercice si terriblement long et ennuyeux, dont la seule inspection des chiffres les dégoûte, aussi bien que de toute la Lecture du livre même, dans lequel il répète si souvent les mêmes choses (et toujours avec de nouveaux nombres et par de nouveaux Articles comme si c’étaient de nouvelles choses) qu’il paraît qu’ayant prévu que personne n’aurait la patience de lire tout ce livre, il a néanmoins eu dessein par ses répétitions que presque à chaque page que l’on peut ouvrir l’on y voie les crimes qu’il veut persuader à ses lecteurs touchant M. Bourignon. Et que l’on pense en général par le nombre exorbitant de ses articles et de ses chiffres différents qu’elle a grand nombre de crimes et d’erreurs ; et que lui, a grand nombre de raisons.
Mais ce qui est de plus étonnant, c’est qu’après que M. Bourignon lui a nié et rejeté en face plusieurs fois cette fausse accusation qu’elle niait la Divinité éternelle de Jésus Christ, et qu’elle était avec les Sociniens dans le sentiment qu’il n’était pas vrai Dieu : lui, pour ne pas avouer à sa confusion d’avoir été un calomniateur public en la noircissant publiquement d’une si horrible calomnie ; il continue à soutenir opiniâtrement, malgré toutes les pensées et toutes les protestations de cette Demoiselle, et malgré le jugement de tous les hommes, qu’elle ne tient pas Jésus Christ pour le Dieu véritable et Éternel. N’importe que l’on puisse alléguer plus de mille témoignages de ses écrits qui prouvent invinciblement le contraire ; n’importe qu’elle le dise expressément plusieurs fois dans cette Pierre de Touche ; n’importe qu’elle ait fait l’article quatrième de la Confession publique de sa Foi en ces termes : Je crois que Jésus Christ est VRAI DIEU, et qu’il est aussi VRAI HOMME, et qu’il est le Sauveur et Rédempteur du Monde : Burcardus est bien plus fort en preuves que tout cela. Il n’a qu’à faire venir un de ses Parallélismes, et raisonner de cette sorte. Arius a autrefois fait et présenté publiquement une Confession de sa foi signée de sa main où il reconnaissait la Divinité de Jésus Christ, et cependant il croyait autrement dans son cœur, et ses paroles et protestations étaient mêlées d’équivoques et de réservations mentales. Ergo, A. Bourignon croit et tient que Jésus Christ n’est pas Dieu, quoiqu’elle dise le contraire de bouche, par écrit, et dans la Confession publique de sa Foi. Voilà à quoi revient la plus considérable partie du livre de Burcardus, à quoi aussi il ne manque rien pour bien conclure, si ce n’est de supposer, qu’une personne dit le contraire de ses sentiments à cause qu’Arius en a fait de même. Burcardus fait valoir cette supposition. Mais si ce principe est valable, chacun peut avec même droit que lui conclure que Burcardus est un Juif, ou un Arien. Car on n’aura qu’à supposer, comme il fait touchant M. Bourignon, que nonobstant toutes les protestations qu’il pourrait faire au contraire par ses écrits, il a dans son cœur des autres pensées, qu’il a des détours et des réservations mentales et équivoques, puisqu’Arius, qui était Prêtre, Sophiste, et persécuteur des gens de bien, avait procédé de cette sorte.
Mais qu’y a-t-il à faire avec de si abandonnés et de si endurcis calomniateurs sinon de rejeter par impertinence tous les monceaux de calomnies qu’ils avancent dans leurs libelles ? Ce serait pécher contre Dieu que de perdre son temps à les réfuter en détail, puisque Dieu a défendu les paroles inutiles ; et depuis que ces sortes de personnes ont une fois perdu la crainte de Dieu et la pudeur devant les hommes, ce serait inutilement que l’on voudrait, je ne dis pas les ramener à reconnaître la vérité, mais même leur imposer silence. Il vaut bien mieux les laisser parler tant qu’ils voudront, aussi bien le flux de bouche leur est une maladie trop invétérée. L’esprit de Dieu n’a pas permis que Moïse s’amusât à réfuter toutes les oppositions de Jannes et de Jambres, mais il leur a bien laissé sentir ensuite les effets de ses fléaux. Et Jésus Christ a jugé qu’il était inutile de réfuter en détail les atroces calomnies des Pharisiens contre lui, puisqu’ils avaient rendu leurs Esprits impénétrables et insensibles à la vérité. Tout ce qu’il dit n’est plus que pour tâcher, s’il y a encore quelque reste de sensibilité dans leurs cœurs, de les émouvoir à frayeur par la représentation des terribles jugements de Dieu contre ceux qui persécutent la vérité connue : 585 Je vous dis que tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes ; mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera point pardonné. Et si quelqu’un a parlé contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné : mais qui aura parlé contre le S. Esprit, il ne lui sera pardonné ni en ce siècle-ci, ni en celui qui est à venir. Ou faites l’arbre bon, et son fruit bon : ou faites l’arbre mauvais, et son fruit mauvais : car l’arbre est connu par le fruit. Races de vipères, comment pourriez-vous bien parler en étant des méchants comme vous êtes ? Car de l’abondance du cœur, la bouche parle. L’Homme de bien tire du bon trésor de son cœur des choses bonnes, et le méchant homme tire des choses méchantes de son méchant trésor. Je vous dis que de toute parole inutile que les hommes auront dite, ils en rendront compte au jour du jugement : car vous serez justifiés par vos paroles, et par vos paroles vous serez condamnés. Voilà tout ce qu’il y a à dire à ces sortes de personnes.
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SALOMON en ses Proverbes, chap. XXVI. v. 4, 5.
Ne réponds pas au fou selon la folie, de peur que tu ne te rendes semblable à lui.
Réponds au fou selon sa folie, de peur qu’il ne croie qu’il est un sage et savant homme.
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F I N.
1 Jean 3. v. 19, 20.
2 Jude v. 10.
3 Luc 11. v. 52.
4 1 Cor. 13. v. 16.
5 Psal. 12. v. 5. Jer. 18. v. 18.
6 Luc 9. v. 50.
7 Ps. 58. v. 5. Jac. 3. v. 6, 7, 8.
8 Matth. 28. v. 20.
9 Jean 12. v. 46.
10 Act. 4. v. 12.
11 Matt. 4. v. 10.
12 Matt. 6. v. 13. 1 Pier. 5. v. 8.
13 Ephes. 6. v. 12.
14 Prov. 16. v. 31.
15 Exod. 20. v. 12.
16 Psal. 7. v. 14, 16.
17 Ephes. 4. v. 18.
18 Act. 25. v. 16.
19 Rom. 1. v. 2.
20 Matth.7. v. 13.
21 2 Tim. 3. v. 6, 7, 8.
22 Jean 8. v. 11.
23 Matth. 27. v. 23.
24 Act. 25. v. 11.
25 Matth. 27. v. 23 et 25.
26 Jean 16. v. 2.
27 Mich. 3. v. 5. Jude v. 10.
28 Jer. 36. v. 26. Apoc. 12. v. 6, 14.
29 Matth. 26. v. 66.
30 Act. 8. v. 32.
31 Act. 10. v. 34, 35, 36.
32 Jean 16. v. 2.
33 Matth. 24. v. 15.
34 Jean 12. v. 34, 35.
35 Matth. 13. v. 28, 29, 30. Rom. 14. v. 1. Phil. 3. v. 15.
36 Matth. 5. v. 44.
37 1 Jean 3. v. 15.
38 Matth. 16. v. 22.
39 Act. 10. v. 14 et 15, et chap. 11. v. 2 et 3.
40 Eccles. 8. v. 8.
41 Matth. 24. v. 15.
42 Jean 3. v. 19.
43 Jean 7. v. 48.
44 Jean 15. v. 24.
45 1 Thess. 2. v. 13.
46 Matth. 12. v. 24.
47 Matth. 12. v. 33.
48 Jac. 1. v. 17.
49 1 Thess. 2. v. 15 et 16.
50 2 Pier. 2. v. 3.
51 2 Phil. 2. v. 21.
52 Act. 20. v. 30.
53 Ephes. 4. v. 2-6.
54 Apoc. 21. v. 27. Deut. 32. v. 20. 1 Rois 22, v. 22. Psal. 81. v. 13. Esa. 6. v. 9, 10. 2 Thess. 2. v. 10, 11, 12.
55 Apoc. 17. v. 5.
56 Gen. 11. v. 4.
57 Gen. 11. v. 7, 8, 9.
58 Apoc. 16. v. 19.
59 Matth. 24. v. 10.
60 Matth. 24. v. 23, 24.
61 Matth. 23. v. 15.
62 1 Thess. 5. v. 21.
63 Act. 10. v. 35.
64 Ps. 101. v. 6, et Ps. 119. v. 79.
65 Rom. 2. v. 17, etc.
66 Rom. 8. v. 9.
67 Jean 7. v. 24.
68 Matth. 24. v. 12.
69 2 Tim. v. 2, 3, etc.
70 Matth. 25. v. 35, 36. 1 Thess. 5. v. 14.
71 1 Jean 5. v. 2.
72 Matth. 6. v. 2, 5, 16. 2 Tim. 3. v. 5.
73 1 Cor. 13. v. 1, 2, 3.
74 1 Cor. 13. v. 4, 5, 6, 7, 8.
75 1 Cor. 13. v. 1, etc.
76 Ibid. v. 3.
77 Esa. 11. v. 3.
78 1 Cor. 13. v. 4.
79 Matth. 12. v. 23, 24, 31.
80 Rom. 9. v. 3, et ch. 10. v. 1.
81 Nom. 11. v. 27, 28. 29.
82 Rom. 16. v. 18.
83 Act. 20. v. 30.
84 Psal. 150. v. 6.
85 1 Cor. 13. v. 8.
86 Matth. 16. v. 18.
87 Jac. 3. v. 14, 15, 16.
88 Matth. 5. v. 39.
89 Jean 3. v. 20, 21.
90 Psal. 56. v. 6.
91 1 Cor. 13, v. 4, etc.
92 Jean 15. v. 20, 21.
93 Ps. 62. v. 5.
94 Jean 9. v. 41. Act. 17. v. 18, 19.
95 Jean 12. v. 42, 43.
96 Matth. 13. v. 28, 29, 30.
97 Jean 7. v. 51.
98 Tit. 3. v. 10, 11.
99 1 Cor. 13. v. 6.
100 1 Jean 1. v. 7.
101 v. 6 et 7.
102 ibid. v. 9.
103 1 Jean 1. v. 10.
104 Rom. 3. v. 22.
105 1 Jean 2. v. 1.
106 Prov. 28. v. 13.
107 Jean 2. v. 2.
108 Act. 10. v. 34.
109 1 Jean 2. v. 4, 6, 14, 15.
110 1 Jean 1. v. 6. 7.
111 Jean 17. v. 16.
112 Jean 15. v. 19.
113 1 Jean 20. v. 12. 1 Cor. 11. v. 1.
114 Matth. 6. v. 24. Gal. 1. v. 10.
115 Matth. 11. v. 29.
116 Matth. 16. v. 24.
117 Jean 15. v. 7.
118 Jean 15. v. 14.
119 Jean 12. v. 26.
120 1 Cor. 15. v. 50.
121 Ezech. 18. v. 23.
122 1 Jean 1. v. 8.
123 Matth. 9. v. 13.
124 Luc 4. v. 18.
125 Matth. 7. v. 24, 25, 26, 27.
126 Ps. 119.
127 Matth. 9. v. 12.
128 Jerem. 2. v. 13.
129 Mich. 8. v. 2.
130 Act. 4. v. 26.
131 1 Jean 2. v. 1, 2.
132 Jer. 2. v. 13.
133 Jean 4. v. 14.
134 Luc 4. v. 18, 19.
135 Jean 3. v. 16, 17.
136 Matth. 25. v. 33, 34.
137 Act. 10. v. 34.
138 Deut. 32. v. 4.
139 Ezech. v. 33. 11.
140 Jean 5. v. 34 et 40.
141 Jean 14. v. 12.
142 Matth. 16. v. 27.
143 Jac. 2. v. 17, 20 et 26.
144 Matth. 25. v. 34 et 41.
145 Jean 13. v. 15.
146 Jean 14. v. 12.
147 Matth. 16. v. 24.
148 Jean 10. v. 9, et ch. 14. v. 6.
149 1 Jean 2. v. 6, et chap. 4. v. 17.
150 2 Pier. 2. v. 21.
151 Luc 12. v. 47.
152 Jean 14. v. 12.
153 Act. 17. v. 24.
154 Matth. 22. v. 40.
155 Jac. 2. v. 5.
156 1 Cor. 13. v. 1, etc.
157 Prov. 8. v. 31.
158 Psal. 8. v. 6.
159 1 Tim. 1. v. 9.
160 Gen. 3. v. 9, etc.
161 1 Jean 2. v. 16.
162 Phil. 2. v. 5, 6, 7, 8.
163 1 Pier. 5. v. 5.
164 Matth. 16. v. 24.
165 Matth. 14. v. 9.
166 Jean 15. v. 20.
167 Ps. 19. v. 8, 9, 10.
168 1 Jean 5. v. 3.
169 Act. 17. v. 24.
170 Jean 1. v. 8.
171 Ps. 119. v. 93. Prov. 4. v. 22.
172 Luc 4. v. 18, 19, 21.
173 Luc 13. v. 3.
174 Matth. 20. v. 22, 23.
175 Rom. 8. v. 17.
176 Matth. 16. v. 24.
177 2 Tim. 3. v. 1, 2, 3, 4.
178 2 Pier. 2. v. 3.
179 Ezech. 13. v. 18.
180 Luc 13. v. 3.
181 Matth. 7. v. 13.
182 Jean chap. 16. Matth. ch. 5. ch. 10. ch. 24. etc.
183 Matth. 7. v. 13, 14.
184 Jerem. 6. v. 14.
185 1 Thess. 5. v. 3.
186 Matth. 12. v. 24.
187 Jean 7. v. 15.
188 Matth. 13. v. 54, 55, 56.
189 Marc. 6. v. 2, 3.
190 1 Jean 4. v. 1.
191 Luc 14. v. 26, 27. Jean 12. v. 26.
192 Jean 14. v. 15.
193 Phil. 2. v. 12.
194 1 Jean 4. v. 17.
195 Matth. 11. v. 29, 30.
196 Jer. 17. v. 5.
197 Rom. 8. v. 9 et 16.
198 Ps. 49. v. 8, 9.
199 Matth. 25. v. 24-28.
200 Matth. 11. v. 30.
201 Jean 14. v. 3.
202 Matth. 19. v. 28.
203 1 Jean 1. v. 6 et 7, et ch. 2. v. 6.
204 Matth. 25. v. 11, 12.
205 Jean 14. v. 15 et 23.
206 Matth. 7. v. 13, 14.
207 Jean 14. v. 6.
208 Jean 15. v. 4, 5.
209 Matth. 23. v. 6 et 7.
210 Jean 5. v. 44.
211 Deut. 32. v. 4.
212 Sap. 1. v. 13, 14.
213 Rom. 8. v. 20.
214 2 Pier. 3. v. 3.
215 2 Pier. 3. v. 3 et 17. Apoc. 21. v. 8.
216 Gal. 6. v. 7.
217 Apoc. 15. v. 3.
218 Job 36. v. 24, etc.
219 Jude v. 10.
220 Col. 1. v. 15. Apoc. 2. v. 14.
221 Matth. 22. v. 43, 44, 45.
222 Matth. 16. v. 13 et ailleurs.
223 Matth. 1.
224 Jean 8. v. 58.
225 Prov. 8. v. 31.
226 Apoc. 1. v. 8.
227 Gen. 3. v. 8, 9.
228 Jean 1. v. 18.
229 Exod. 33. v. 11.
230 Exod. 33. v. 22, 23.
231 Gen. 3. v. 8. ch. 18. v. 1, etc. Exod. 2. v. 4. Jos. 5. v. 13. Jug. 6. v. 14, etc., ch. 13. v. 18. Esa. 6. v. 1. Ezech. 1 et 8 et 10. Dan. 10. v. 6. Jean 8. v. 56, ch. 12. v. 41.
232 Apoc. 21. v. 3, 4, 22, 23.
233 Esa. 29. v. 21. Luc 20. v. 20.
234 Matth. 13. v. 30.
235 Psal. 49. v. 13 et 21.
236 1 Cor. 15. v. 42, 43.
237 Eccl. 3. v. 14, 15.
238 1 Cor. 13. v. 1, etc.
239 Matth. 22. v. 37.
240 Matth. 7. v. 21.
241 Ps. 6. v. 7, et Ps. 38. v. 4, 5, 6, etc., et Ps. 102. v. 10, 12.
242 Luc 13. v. 3.
243 1 Cor. 9. v. 27.
244 Luc 16. v. 25.
245 Act. 3. v. 19.
246 Ps. 45. v. 5. Ps. 89. v. 15. Ps. 145. v. 17, 18, 19. Tob. 3. v. 2.
247 Genes. 3. v. 19.
248 Luc 1. v. 49.
249 Jean 14. v. 6.
250 Ps. 143. v. 10. Rom. 5. v. 5.
251 Dan. 2. v. 7.
252 Phil. 2. v. 12.
253 Ezech. 33. v. 11.
254 1 Jean 4. v. 9.
255 Matth. 12. v. 24.
256 Jean 8. v. 49.
257 Matth. 12. v. 26.
258 Act. 13. v. 10.
259 Hebr. 4. v. 12.
260 2 Pier. 2. v. 3.
261 Ps. 150. v. 6.
262 Ps. 64. v. 9. 2 Tim. 3. v. 8, 9, 13. 2 Pier. 2. v. 1. Apoc. 12. v. 12.
263 1 Cor. 13. v. 1, etc.
264 Jean 4. v. 20.
265 Isa. 29. v. 10.
266 Isa. 59. v. 14, 15.
267 Matth. 5. v. 3.
268 Matth. 24. v. 12.
269 Jerem. 2. v. 13.
270 Rom. 11. v. 19, 20.
271 Jean 15. v. 16.
272 Cant. 5. v. 1.
273 Rom. 2. v. 17, 20.
274 Matth. 23. v. 3.
275 Psalm. 119. v. 4.
276 Ps. 119. v. 9.
277 Matth. 7. v. 21, et. Ps. 19. v. 12.
278 Ezech. 18. v. 4-20.
279 Rom. 5. v. 15, 18 et 19.
280 Jean 12. v. 43.
281 Matth. 10. v. 6.
282 Ps. 14. v. 2, 3.
283 Luc 18. v. 8.
284 Ps. 119. v. 96.
285 Jean 12. v. 35.
286 Cant. 6. v. 13.
287 Jean 1. v. 18.
288 Rom. 8. v. 3, 4.
289 Rom. 8. v. 3, 4.
290 1 Pier. 2. v. 21, 24.
291 Jean 3. v. 16.
292 Jean 15. v. 22 et 24.
293 Psal. 110. v. 1.
294 Psal. 22. v. 7.
295 1 Jean 2. v. 2.
296 Matth. 15. v. 14.
297 Jean 14. v. 12, 15, 23, 24.
298 1 Jean 2. v. 4.
299 Matth. 19. v. 16, 17.
300 Ibid. v. 20, 21, 22.
301 Matth. 6. v. 21.
302 1 Jean 2. v. 15.
303 Ps. 116. v. 11.
304 Jac. 4. v. 4.
305 Matth. 23. v. 35, 37, 38.
306 Jean 10. v. 32.
307 Jean 3. v. 20.
308 Ps. 34. v. 15.
309 Jean 13. v. 13, 14. Matth. 20. v. 28.
310 Jug. 18. v. 23, 24.
311 Jean 12. v. 26.
312 Matth. 23. v. 13.
313 Jean 12. v. 47.
314 Matth. 9. v. 13.
315 Luc 14. v. 26 et 33.
316 Ps. 45. v. 11, 12.
317 Act. 4. v. 32.
318 Matth. 5. v. 3.
319 Isa. 25. v. 8. Apoc. 21. v. 4.
320 Matth. 24. v. 15, 16.
321 Isa. 29. v. 13.
322 Jerem. 2. v. 13.
323 Matth. 4. v. 17.
324 Matth. 10. v. 38.
325 Matth. 5. v. 10, 11.
326 Matth. 16. v. 24.
327 Matth. 16. v. 27.
328 Gal. 1. v. 8.
329 1 Cor. 2. v. 2.
330 2 Tim. 3. v. 10, 11.
331 1 Cor. 15. v. 10.
332 Act. 20. v. 34.
333 1 Cor. 9. v. 27.
334 1 Pier. 5. v. 8.
335 Luc 18. v. 1.
336 Jean 14. v. 12 et 15.
337 Jac. 2. v. 20.
338 Phil. 2. v. 12.
339 Ps. 119. v. 4.
340 Isa. 49. v. 5. 1 Pier. 3. v. 18.
341 Act. 17. v. 24.
342 Ps. 50. v. 9-14.
343 Phil. 2. v. 5-8, cap. 3. v. 10. Hebr. 12. v. 2-4.
344 Matth. 10. v. 28.
345 Rom. 8. v. 34-38.
346 Phil. 2. v. 5.
347 Isa. 1. v. 5.
348 Rom. 3. v. 12.
349 Lam. Jer. 1. v. 1, etc.
350 Matth. 15. v. 3.
351 Jer. 2. v. 13.
352 Jean 14. v. 6.
353 Jean 10. v. 9.
354 Matth. 3. v. 15, et chap. 5. v. 20.
355 Sap. 12. v. 14.
356 Jean 11. v. 26.
357 Jean 14. v. 12.
358 Luc 14. v. 33.
359 Matth. 16. v. 24.
360 Jean 1. v. 11.
361 1 Cor. 1. v. 13.
362 Jean 3. v. 19.
363 1 Pier. 2. v. 21.
364 1 Pier. 3. v. 18.
365 Matth. 16. v. 24.
366 Marc. 6. v. 3.
367 Matth. 5. v. 3, et chap. 11. v. 29.
368 Jean 6. v. 38.
369 Jean 13. v. 34, 35.
370 Matth. 20. v. 28.
371 Luc 2. v. 49.
372 Matth. 12. v. 47-50.
373 Luc 14, v. 26. Matth. 10. v. 37.
374 Jean 15. v. 22 et 24.
375 1 Jean 2. v. 7 et 8.
376 1 Jean 2. v. 6.
377 Matth. 11. v. 30.
378 Isa. 5. v. 20.
379 Prov. 1. v. 24, 25.
380 Job 35. v. 7, 8.
381 Act. 17. v. 24.
382 Matth. 11. v. 12.
383 Prov. 23. v. 26. Cant. 2. v. 4. Matth. 22. v. 37-40.
384 Act. 20. v. 35.
385 Matth. 25. v. 30.
386 Phil. 2. v. 12.
387 Matth. 6. v. 33.
388 Luc 18. v. 11-14.
389 Matth. 22. v. 40.
390 Matth. 18. v. 24, etc.
391 Luc 12. v. 48.
392 Matth. 25. v. 14-30.
393 Eccles. 12. v. 16.
394 Matth. 12. v. 36, 37.
395 Nombr. 14 v. 18, 20, 23-36. 1 Sam. 12. v. 10-14. Job 33. v. 16-29. Ps. 38. v. 4, etc. Prov. 11. v. 31. Isa. 27. v. 9, chap. 40. v. 2, et chap. 51. v. 17-22. Jerem. 30. v. 11. Ezech. 16. v. 59, 60. Dan. 4. v. 27. Mich. 7. v. 9. 2 Maccab. 7. v. 18, 32, 33, 38. Luc 23. v. 41. Coloss. 1. v. 24. Hebr. 12. v. 4-11.
396 1 Jean 1. v. 6, 7, et ch. 2. v. 4.
397 1 Cor. 1. v. 12, 13.
398 Rom. 2. v. 13.
399 1 Pier. 5. v. 5.
400 1 Jean 2. v. 1.
401 Jean 8. v. 1-8.
402 Jean 5. v. 14.
403 Rom. 2. v. 12, 14.
404 Luc 12. v. 47, 48.
405 Isa. 27. v. 10.
406 Isa. 11. v. 9, ch. 30 v. 26, et ch. 60. v. 1, 2, 19. Jer. 31. v. 31-34. Dan. 12. v. 9. Zach. 14. v. 6 et 7.
407 1 Cor. 13. v. 12.
408 Jean 13. v. 15.
409 Jean 14. v. 12.
410 1 Cor. 1. v. 19.
411 Matth. 23. v. 34, 35, 36.
412 Act. 7 et 8 et 12, etc.
413 Matth. 24. v. 9.
414 Jean 13. v. 15.
415 Rom. 13. v. 8, 9, 10.
416 2 Tim. 3. v. 26.
417 Hebr. 13. v. 2.
418 Matth. 24. v. 35.
419 Isa. 5. v. 20.
420 Matth. 22. v. 29-46.
421 Apoc. 18. v. 2.
422 Ps. 14. v. 3.
423 Hebr. 10. v. 26, 27.
424 Esdr. 5. v. 10, 11.
425 Matth. 5. v. 18, 19, 20, et Ps. 15.
426 Apoc. 21. v. 27.
427 Jean 14. v. 12.
428 Hebr. 10. v. 38.
429 Hebr. 10. v. 26.
430 1 Cor. 6. v. 10.
431 Rom. 2. v. 23.
432 Jean 7. v. 16.
433 1 Cor. 13. v. 1-4.
434 Apoc. 21. v. 17.
435 Matth. 17. v. 5.
436 Jean 1. v. 18.
437 Voyez ci-dessus les chapitres XCV à XCIX.
438 Jean 14. v. 6.
439 1 Jean 5. v. 1, 2.
440 Rom. 8. v. 33.
441 Rom. 5. v. 8.
442 1 Pier. 2. v. 21-24.
443 Rom. 8. v. 3, 4.
444 Luc 22. v. 44.
445 Luc 19. v. 41. Jean 11. v. 35. Hebr. 5. v. 7.
446 Matth. 26. v. 39.
447 Matth. 27. v. 46.
448 Jean 19. v. 26.
449 Rom. 8. v. 3, 4.
450 Psal. 19. v. 8, 9.
451 Eph. 2. v. 9.
452 Ps. 6. v. 7.
453 Matth. 12. v. 32.
454 Gal. 6. v. 7.
455 Phil. 2. v. 12.
456 1 Cor. 9. v. 27.
457 Hebr. 6. v. 6.
458 Act. 3. v. 17.
459 Hebr. 10. v. 26, 27.
460 Luc 23. v. 34.
461 Hebr. 6. v. 4-6, et ch. 10. v. 26.
462 Jean 8. v. 32.
463 1 Jean 2. v. 6.
464 Ps. 95. v. 7, 8.
465 Matth. 24. v. 12.
466 Luc 13. v. 3.
467 Jean 9. v. 16.
468 Jean 7. v. 12, et Luc 23. v. 2.
469 Marc. 1. v. 27.
470 Jean 10. v. 33, et chap. 19. v. 7.
471 Isa. 29. v. 10.
472 Matth. 12. v. 24.
473 Jean 9. v. 16.
474 Jean 5. v. 16.
475 Jean 4. v. 9.
476 Matth. 12. v. 2, et chap. 15. v. 2.
477 Luc 10. v. 7.
478 Matth. 15. v. 11.
479 Sap. 1. v. 11.
480 1 Jean 2. v. 18.
481 Galat. 1. v. 8, 9.
482 Hebr. 13. v. 8.
483 Matth. 27. v. 23.
484 Matth. 26. v. 60.
485 Jean 3. v. 20.
486 Matth. 6. v. 33.
487 Dan. 12. v. 10. Apoc. 22. v. 11.
488 Ecclesiastic. 15. v. 14, 15, 16, 17.
489 Matth. 7. v. 8, 13.
490 Hebr. 6. v. 4, 5, 6.
491 1 Jean 1. v. 6.
492 Hebr. 10. v. 26, 27.
493 Rom. 8. v. 7.
494 Isa. 1. v. 19.
495 Act. 10. v. 34.
496 Matth. 23. v. 37.
497 1 Cor. 13. v. 1-4.
498 Jean 14 v. 15.
499 Luc 14. v. 26, 27, 33.
500 Jean 12. v. 26.
501 Jean 14. v. 12.
502 Ezech. 13. v. 18.
503 Zach. 2. v. 8.
504 Matth. 23. v. 37. Luc 19. v. 42, 43.
505 Matth. 5. v. 44.
506 Deut. 32. v. 43.
507 Jean 8. v. 53.
508 Jean 10. v. 33.
509 Jean 19. v. 3, et chap. 18, et Matth. 27.
510 Jean 1. v. 22, 23.
511 Jean 7. v. 7.
512 2 Sam. 16. v. 6-10.
513 Jean 8. v. 49.
514 Eccl. 8. v. 8.
515 Matth. 10. v. 8. Act. 3. v. 6.
516 Luc 6. v. 4.
517 Psal. 119. v. 9.
518 Apoc. 5. v. 1, etc.
519 Jean 3. v. 19.
520 Jean 3. v. 19.
521 Matth. 28. v. 19.
522 Matth. 15. v. 28, et ch. 8. v. 10.
523 1 Cor. 1. v. 26.
524 Ib. v. 27, 28.
525 Jean 16. v. 13.
526 1 Cor. 13. v. 9, 10, 12.
527 Isa. 2. v. 2. Jer. 30. v. 24. Dan. 12. v. 9. 1 Cor. 13. v. 10.
528 Joel. 2. v. 28.
529 Act. 15. v. 39.
530 Jean, 16. v. 13.
531 Matth. 12. v. 33.
532 Rom. 8. v. 9 et 14.
533 Voyez le Tombeau de la Fausse Theol. Lettre 2. Partie 2.
534 Isa. 65. v. 16, 17, 18.
535 Apoc. 21. v. 9, 10.
536 Matth. 23. v. 2, 3.
537 Rom. 2. v. 23.
538 Ps. 105. v. 45.
539 Matth. 26. v. 41.
540 1 Tim. 1. v. 9.
541 Matth. 9. v. 12, 13.
542 Jerem. 17. v. 5.
543 Hebr. 10. v. 29. 1 Pier. 2. v. 7.
544 Exod. chap. 32, 33, et 34.
545 Exod. 32. v. 19.
546 Deut. 6. v. 5-10.
547 Deut. 30. v. 19, 20.
548 Rom. 9. v. 3.
549 Exod. 32. v. 32.
550 Act. 5. v. 29.
551 Matth. 10. v. 28.
552 Psal. 14. v. 1.
553 1 Cor. 13. v. 1-4.
554 Ephes. 2. v. 8, 9.
555 Matth. 23. v. 3.
556 Apoc. 2. v. 23.
557 Matth. 5. v. 6.
558 Rom. 7. v. 24.
559 Phil. 1. v. 23, 24, 25.
560 1 Jean 2. v. 16.
561 Job. 7. v. 1.
562 Matth. 10. v. 36.
563 Tob. 12. v. 15, 19.
564 Gen. 28. v. 12.
565 Matth. 2. v. 19, 20.
566 Jean 8. v. 53.
567 Matth. 26. v. 65.
568 Jean 8. v. 44.
569 Jac. 1. v. 17.
570 2 Tim. 3. v. 8.
571 Luc 23. v. 2.
572 Jean 19. v. 7.
573 Matth. 12. v. 24.
574 Act. 9. v. 4.
575 Luc 23. v. 5.
576 2 Cor. 16. v. 22.
577 Prov. 31. v. 20, etc.
578 Matth. 10. v. 14 et 23.
579 Voyez l’édition Allemande.
580 Act. 3. v. 19 et 26.
581 Matth. 16. v. 24.
582 Marc. 12. v. 6.
583 Gal. 1. v. 8.
584 Philip. 3. v. 19.