La procession du Saint Sacrement

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Auguste-Jean BOYER D’AGEN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lorsque les bras en croix sont las et que, les prières s’alanguissant, le miracle imploré tarde à se produire ; alors la foule des fidèles, constante en ses espoirs divins, a recours en un suprême effort. Elle implore les prêtres de prendre Dieu lui-même à son tabernacle, de l’élever sur l’ostensoir aux yeux de l’assistance et d’obtenir que la divine Hostie se fasse la propre avocate du miracle qu’elle ne refusera pas plus longtemps à ses élus reconnaissants. Comme pour une sortie triomphale précédant la victoire, les bannières se déploient devant le dais, qui agite en plein air ses blancs panaches et ses draps d’or ; et la procession s’avance, au chant des hymnes, au son des cloches, à la clarté du soleil et des cierges. Par dix mille voix toutes chantantes, où cette foule va-t-elle, en sa sainte folie, tenter Dieu qui ne lui a pas accordé encore le miracle du jour ? Elle laisse la Grotte bénie à sa solitude et la fontaine miraculeuse à ses eaux vives, qui n’ont pas voulu aujourd’hui désaltérer la mort. Elle passe, sans s’y arrêter encore, devant les piscines désertes d’où les agonisants inexaucés ont replié leurs linceuls et fait transporter ailleurs leurs civières. Elle longe les rampes des sanctuaires, dont les arceaux géants s’ouvrent dans l’infini de l’horizon, comme les portes solennelles du mystérieux au-delà. Sera-ce la mort ou la vie qu’atteindront, à bout de souffle, ces audacieux moribonds, portés sur leurs brancards, vers l’Esplanade du Rosaire ? La procession y déborde et s’y partage en deux vagues immenses de mer humaine, laissant vide le milieu de la place, pareille à une plage couverte de grabats gémissants et de lamentables débris de ce naufrage humain, par où le Dieu de tous ces malheureux va se livrer passage. Et, dès que l’ostensoir apparaît, c’est, comme aux jours où Jésus s’avançait sur les sables des lacs galiléens, plein de pitié pour la foule lamentable, la même foule accablée des mêmes maux recommençants, qui répète à son même Sauveur les mêmes prières suppliantes :

– Jésus, fils de David, ayez pitié de moi !... Jésus, fils de Marie, écoutez-moi, exaucez-moi, guérissez-moi !... Notre-Dame de Lourdes !... Notre-Dame de Lourdes !... Notre-Dame de Lourdes !... priez pour moi, priez pour moi !

En cet instant suprême, où le ciel touche terre, où l’irréel est la réalité même et où l’on sent le passage de la divinité parmi les hommes pour le miracle qui se prépare, les cœurs étreints d’une angoisse invincible cessent de battre dans les poitrines. Les yeux ouverts ne sont pleins que de larmes. Les lèvres palpitantes répètent convulsivement les saintes imprécations. Et voici que, dans cet accord unanime de la foule croyante ou incroyante à supplier le même Dieu de pitié, voici que, pour exaucer la prière des saints qui l’invoquent, et celle des impies qui se surprennent à l’implorer aussi, la céleste Toute-Puissance se laisse enfin fléchir ; et le prodige s’opère, aux cris soudains de l’assistance délirante :

– Miracle !... Miracle !... Magnificat !...

 

 

 

Auguste-Jean BOYER D’AGEN,

Lourdes, p. 14

 

Recueilli dans

Anthologie des meilleurs écrivains de Lourdes,

par Louis de Bonnières, 1922.

 

 

 

 

 

 

 

 

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