LES

 

ÉVANGILES

 

APOCRYPHES

 

 

TRADUITS

 

 

ET ANNOTÉS D’APRÈS L’ÉDITION DE J. C. THILO

 

 

Par Gustave BRUNET.

 

 

SUIVIS D’UNE NOTICE SUR LES PRINCIPAUX LIVRES

APOCRYPHES DE L’ANCIEN TESTAMENT.

 

 

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PARIS,

 

FRANCK, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

 

RUE DE RICHELIEU, 69.

 

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1848.

 

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS.

 

 

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Nous offrons au public, dans une traduction fidèle, la première réunion complète des Évangiles apocryphes. Monuments des plus curieux, témoins irrécusables du mouvement des esprits à une époque particulièrement digne d’attention, ces récits, ces légendes naïves sont dignes souvent d’être comparés à ce que la poésie de tous les âges offre de plus beau ; ils ne se trouvaient que dans quelques ouvrages grecs ou latins, connus des seuls érudits de profession, difficiles à rencontrer, ou d’un prix inabordable. Le siècle dernier avait traduit, c’est-à-dire défiguré et tronqué certains fragments de cette littérature contemporaine du Christianisme à son berceau ; une intention irréligieuse les avait présentés sous un faux jour. En fait de travaux en langue française sur le sujet qui nous occupe, nous n’avons à indiquer que les leçons de M. Dohaire, insérées dans l’Université Catholique ; plus d’une fois nous avons fait usage des appréciations de ce judicieux critique. Nous le redirons avec lui : les légendes des cycles évangéliques sont de simples traditions trop crédules, souvent trop puériles ; mais à chaque page brillent la candeur et la bonne foi. Dans ces narrations familières, dans ces anecdotes contées au foyer domestique, sous la tente, à l’ombre des palmiers au pied desquels s’arrête la caravane, le tableau des mœurs populaires de l’église primitive se déroule en toute sincérité. L’âme et la vie de la nouvelle société chrétienne sont là, et elles y sont tout entières. Ces récits sont maintes fois dénués de vraisemblance ; nous en convenons ; ils manquent d’exactitude historique ; la chose est certaine quant à de nombreux détails ; mais les usages, les pratiques, les habitudes, les opinions dont ils conservent les traces, voilà ce qui réunit le mérite de l’intérêt à celui de la fidélité.

Ces légendes étaient les poèmes populaires des premiers néophytes du culte nouveau ; la foi et l’imagination les embellissaient sans cesse ; l’on y rencontre encore des lambeaux reconnaissables de compositions en vers, et qui étaient certainement chantées.

Un écrivain instruit l’a déjà remarqué ; des mémoires qui nous révéleraient l’état un peu complexe de la société chrétienne dans les premiers moments de sa naissance, seraient d’un prix inestimable. Ces récits existent ; mais ils avaient été oubliés, perdus de vue ; ce sont les actes des martyrs, les histoires des apôtres et de leurs disciples, les faux Évangiles des premiers siècles. En même temps, ces mémoires sont de petites épopées empreintes d’un caractère de crédulité naïve ; elles ont pour descendants les grands poèmes épiques chrétiens, Dante, Milton et Klopstock.

Si vous cherches la cause de la faveur démesurée dont ces légendes ont été l’objet durant quatorze siècles, si vous demandez le motif de leur multiplicité, interrogez ce besoin de merveilleux dont l’homme a constamment subi l’influence 1, qui s’est à chaque époque manifesté dans l’Orient avec une vivacité toute particulière, et dont la société nouvelle ne pouvait se défendre malgré la sévérité, malgré la gravité de ses croyances immuables. Ces gentils encore imbus des fables de la mythologie, ces juifs convertis, mais la tête pleine des merveilles qu’enfantait l’imagination des rabbins, ces néophytes d’hier, épars à Jérusalem, à Alexandrie, à Éphèse, ne pouvaient si vite vaincre leur penchant pour les fictions. Ce fut toujours le propre des peuples d’Orient d’entremêler le conte, la parabole aux matières les plus graves. Aussi, dans les légendes que nous allons reproduire, retrouve-t-on l’empreinte remarquable et profonde de cette fusion opérée entre les opinions anciennes et les dogmes nouveaux.

Parmi les écrits apocryphes, il importe de distinguer ceux qui ont été l’œuvre de quelques imposteurs, et ceux qu’à la fin du premier siècle, ou au commencement du deuxième, rédigèrent, avec plus de piété que de critique, quelques disciples jaloux de rassembler les traditions qui se rattachaient à l’origine du christianisme ; ils cherchaient ainsi avec zèle à conserver les paroles, les sentiments attribués au Sauveur.

À partir du règne paisible d’Adrien et des Antonins, les bizarreries de la magie, les subtilités de la cabale, les rêveries des théosophes commencent à se mêler aux doctrines philosophiques et religieuses ; les sectes pullulent ; les discussions, les schismes offrent un aliment inépuisable à ce besoin de nouveauté dont l’homme combat difficilement l’attrait. Les écrits apocryphes surgissent de toute part ; il y en a qui sont mis sous le nom d’un des apôtres ; d’autres s’annoncent comme l’œuvre des premiers successeurs des disciples immédiats de Jésus-Christ. Des historiens pseudonymes viennent raconter, chacun à sa manière, les prédications, les voyages, les aventures de leurs prétendus maîtres : on y mêle les anecdotes les plus controuvées, les épisodes les plus dépourvus d’authenticité.

Les écrits dogmatiques, que quelques-uns des hérésiarques primitifs ont voulu faire circuler sous des noms vénérés, afin d’appuyer leurs erreurs, offrent un mélange de subtilités, d’allégories résultant de la combinaison des doctrines orientales et du développement sans contrôle de la pensée grecque dans tout ce que son allure a de plus libre, de plus hardi. N’ayant eu cours que dans le sein de quelques sectes éteintes pour la plupart dès le commencement du quatrième siècle, ces légendes hétérodoxes disparurent promptement ; à peine en est-il demeuré les titres, à peine nous en a-t-il été conservé quelques phrases isolées. On peut déplorer leur perte, car les rêveries gnostiques sont maintenant sans danger, et parmi ces fictions, parmi ces rêves d’une imagination échauffée, il se trouverait maint détail fort utile à une histoire des plus curieuses et des plus dignes d’intérêt : celle de l’esprit humain pendant les premiers siècles de la régénération chrétienne.

Il y a une toute autre importance dans les légendes que l’Église rejeta, et avec raison, comme dénuées d’authenticité, mais qui du moins ne posaient aucun point de doctrine contraire à la foi. Celles-ci, l’église grecque les accueillit en partie ; encore de nos jours les chrétiens de l’Égypte et de l’Asie ne les révoquent nullement en doute. Loin d’être restées stériles, elles ont eu, pendant une longue suite de siècles, l’action la plus puissante et la plus féconde sur le développement de la poésie et des arts ; l’épopée, le drame, la peinture, la sculpture du moyen-âge n’ont fait faute d’y puiser à pleines mains. Laisser de côté l’étude des Évangiles apocryphes, c’est renoncer à découvrir les origines de l’art chrétien. Ils ont été la source où, dès l’extinction du paganisme, les artistes ont puisé toute une vaste symbolique que le moyen-âge amplifia. Diverses circonstances, rapportées dans ces légendes, et consacrées par le pinceau des grands maîtres de l’école italienne, ont donné lieu à des attributs, à des types que reproduisent chaque jour les arts du dessin. Saint Joseph est-il constamment représenté sous les traits d’un vieillard ? C’est d’après l’autorité d’un passage de son histoire écrite en arabe, et où il est dit que lorsque son mariage eut lieu, il avait atteint l’âge de quatre-vingt-dix ans. Dans une foule de toiles, ce même saint tient un rameau verdoyant ; l’explication de cet attribut doit se chercher dans une circonstance que relatent le Protévangile de Jacques et l’Histoire de la nativité de Marie. C’est sur l’indication d’autres passages de ces mômes légendes, que l’on représente les animaux qui sont dans retable et adorant le Sauveur, que l’on donne des habits sacerdotaux à Siméon dans les tableaux de la Présentation au temple 2.

Rédigés dans le style populaire des époques et des lieux qui les ont vus naître, de pareils écrits seront d’une grande naïveté de style. On voit qu’ils ont été tracés par des hommes sans art ; les rhéteurs de la turbulente Alexandrie, de la Grèce dégénérée, n’ont point passé par là. Beaucoup de redites, de répétitions, de simplicités, mais des détails touchants et naïfs, des images gracieuses, des miracles que l’on peut considérer comme des paraboles ingénieuses, parfois des morceaux vraiment grandioses et relevés. Le cantique dans lequel sainte Anne, devenue mère après une longue stérilité, célèbre le bonheur qu’elle éprouve, est sublime d’exaltation et de pieux entraînement

Citons encore la seconde portion de l’évangile de Nicodème comme une excursion des plus remarquables dans les domaines de l’enfer, dans de mystérieuses et inaccessibles régions ; l’auteur du Paradis perdu et celui de la Messiade s’en sont inspirés. Dans cette légende, ainsi que le remarque fort bien M. Douhaire, l’ampleur et l’éclat du récit atteignent à l’épopée, et l’on trouverait difficilement des scènes plus hardies de conception, d’une forme plus dramatique et plus vigoureuse, que cette solennelle confrontation des deux mondes, l’ancien et le nouveau, que cette vérification de la prophétie par les prophètes eux-mêmes, que ce réveil d’une génération de quatre mille ans au bruit de la voix perçante qu’elle avait entendue dans de surnaturelles communications. « Guidé par une imagination ardente, observe M. Hase, l’auteur a imité les couleurs sombres de l’Apocalypse. Se conformant à quelques traditions orientales ou gnostiques, il distingue le mauvais principe personnifié, du prince des enfers, lequel, occupant un rang inférieur, tenait renfermés dans ses vastes cavernes les patriarches, les prophètes, et, en général, tous ceux qui étaient morts avant l’avènement du Christ. En lisant le récit de leur délivrance, de leur entrée dans la loi nouvelle, on ne peut manquer de reconnaître une énergie d’expression, Une vigueur de pensées peu communes. »

Notre traduction a été conçue et exécutée dans un système de fidélité rigoureuse ; nous avons uniquement cherché à rendre le texte original que nous avions sous les yeux, sans l’embellir, sans lui prêter aucun ornement, sans en faire disparaître ce que l’on prendrait aujourd’hui pour des vices de rédaction littéraire.

Quelques notes ont été annexées, lorsque nous avons jugé que certains passages réclamaient des éclaircissements, ou étaient susceptibles de donner lieu à des rapprochements qui pussent offrir de l’intérêt. Plusieurs fois nous nous sommes aidés des travaux des éditeurs nos devanciers, mais nous avons cru devoir élaguer les discussions théologiques, les minuties grammaticales, l’attirail des variantes, enfin tout ce dont les commentaires que nous avons consultés ont été grossis énormément.

Nous avons disposé ces légendes dans l’ordre qui nous a paru le plus logique, dans celui qui nous a semblé devoir présider à leur lecture ; il s’écarte de la classification adoptée par les éditeurs. Fabricius a débuté par l’évangile de la Nativité de Marie, et Thilo par l’Histoire de Joseph. Celle-ci, le savant hambourgeois l’avait placée parmi les légendes de l’Ancien Testament : elle appartient toutefois exclusivement au Nouveau.

Chaque composition sera précédée d’un court avant-propos, dans lequel nous relaterons ce qui la concerne plus spécialement. Du reste, dans tout notre travail de critique et de glossateur, on ne peut voir qu’un précis des plus modestes et des moins prétentieux.

Nous allons maintenant donner sur l’ensemble de la collection quelques détails de bibliographie ; quant à cette portion de nos recherches, nous lui avons donné des soins particuliers, d’abord afin de faciliter les investigations des personnes qui voudraient approfondir ce que nous avons dû nous borner à effleurer, et ensuite parce que la bibliographie, beaucoup trop souvent négligée, est un excellent instrument de travail, une science bien plus difficile qu’on ne croit, et dont l’importance est chaque jour mieux sentie.

Le mérite d’avoir le premier recueilli quelques-unes des légendes apocryphes relatives au Nouveau Testament, revient à Michel Neander, théologien allemand du seizième siècle ; il les joignit à une édition grecque-latine du petit catéchisme de Luther, imprimée à Bâle en 1543, et reproduite en 1547 avec diverses additions. Une partie du travail de Neander reparut à Hambourg en 1594 par les soins de N. Glaser, qui l’accrut de quelques autres fragments. Plusieurs de ces écrits furent également insérés dans différentes collections volumineuses, telles que tes Bibliothèques des Pères, éditées à Paris, à Cologne ou à Lyon, dans les Orthodoxographa de J.-B. Hérold (Bâle, 1555), dans le recueil de J.-J. Grymaeus (Monumenta S. Patrum orthodoxographa, Bâle, 1569), dans l’ouvrage de Laurent de la Barre : Historia christiana veterum patrum. Paris, 1583, in-fo.

Ce fut un des plus infatigables érudits de la laborieuse Allemagne, qui réunit le premier eu corps d’ouvrage tous ces écrits épars dans des livres d’un accès peu facile ; Jean Albert Fabricius, si connu par ses immenses travaux de bibliographie et d’histoire littéraire, fit paraître à Hambourg, en 1703, la première édition de son Codex apocryphus novi Testamenti ; elle fut réimprimée avec quelques additions en 1719-1743, trois parties, 2 vol. in-8o. On pourrait désirer dans ce recueil et dans les préfaces, notes et dissertations dont il est gonflé, plus de méthode et de concision ; depuis un siècle une exégèse infatigable et clairvoyante a découvert de nouvelles pièces, elle a épuré les textes, elle a perfectionné l’œuvre des critiques antérieurs, mais elle a rendu justice au zèle et à l’érudition de ceux qui avaient déblayé le terrain.

Justement recherché, l’ouvrage, dû au savoir et à la patience de Fabricius, est devenu rare ; son prix est élevé. Réuni aux deux volumes du Codex pseudep. Vet. Test., il s’est payé 63 fr. à la vente Langlès, et tout récemment 49 fr. à celle de Daunou.

Peut-être Fabricius n’eût-il pas dû grossir sa collection en y insérant des liturgies attribuées à différents apôtres, et le Livre du Pasteur attribué à saint Hermas 3 ; productions étrangères aux apocryphes proprement dits. Il a écarté l’Histoire de Prochore, déjà publiée plusieurs fois, et les Actes de saint Paul et sainte Thècle ; ces écrits lui ont paru, et non sans raison, ne contenir que des récits privés de toute vraisemblance ; mais était-ce un motif suffisant pour rejeter des légendes qui servent du moins à constater le mouvement de l’esprit humain à une des plus grandes époques de son histoire ?

Un théologien anglais, Jérémie Jones, recueillit à Londres, en 1722, les écrits apocryphes du Nouveau Testament, et cette collection reparut à Oxford en 1798. Elle est à peu près introuvable hors de la Grande-Bretagne ; elle se partage en trois volumes. Le premier est consacré aux écrits dont il ne nous est parvenu que des fragments ; le second contient les légendes que nous possédons dans leur état d’intégrité ; le troisième, étranger aux apocryphes, présente une défense de l’authenticité des écrits canoniques et une réfutation des déistes. Comme éditeur, Jones s’est borné à reproduire les textes grecs ou latins donnés par Fabricius, en y joignant une traduction anglaise ; il n’a point voulu donner de notes nouvelles, il n’a point cherché à perfectionner le travail de son devancier.

Après Fabricius et Jones, les légendes apocryphes demeurèrent longtemps négligées ; les théologiens, les philologues du dix-huitième siècle ne s’en occupèrent pas ; il faut attendre jusqu’à l’an 1804 pour voir surgir deux écrits qui les concernent.

L’un est le Corpus omnium veterum apocryphorum extra biblia que C. G. L. Schmidt édita à Hadémar, petite ville du grand-duché de Nassau. Cet essai, qui n’eut point de suite, ne mérite guère de nous arrêter ; il ne renferme que des textes latins peu corrects des évangiles de la Nativité de Marie, de l’Enfance et de Nicodème.

L’autre écrit est plus important ; c’est l’Auctuarium codicis Apocryphi N. T. Fabriciani, dont l’évêque d’Arhus, André Birch, mit au jour le premier fascicule à Copenhague. Une narration de Joseph d’Arimathie, une apocalypse apocryphe de saint Jean, des rescrits de Tibère à Pilate y furent publiés pour la première fois ; des variantes furent recueillies pour quelques légendes déjà connues. Tout en rendant justice au zèle du prélat danois, nous devons convenir que son travail ne répondit pas tout-à-fait à l’attente des savants ; les morceaux inédits qu’il publia ne sont pas d’un vif intérêt, et ils sont défigurés par un si grand nombre de fautes de toute espèce, qu’il est souvent bien difficile d’en découvrir le sens.

Plusieurs érudits, pénétrés de l’importance des écrits apocryphes, avaient songé à leur consacrer leurs veilles ; le comte Léopardi, cet illustre philologue italien, mort à la fleur de l’âge 4, caressait l’idée de mettre au jour un supplément au recueil de Fabricius : il n’en a rien paru.

En 1832, J. Ch. Thilo, professeur de l’Université de Halle, fit paraître à Leipzig le premier volume du Codex apocryphus Novi Testamenti. C’est un in-8o de CLX et de 896 pages ; les textes arabes et grecs ont été revus avec soin sur un grand nombre de manuscrits ; une foule de variantes sont recueillies et discutées avec une attention scrupuleuse qui ne se dément jamais ; des notes sont jetées au bas de chaque page, et quelques-unes d’entr’elles méritent, grâce à leur étendue, le nom de véritables dissertations ; elles portent sur le choix, sur l’emploi des mots ; elles éclairassent des points obscurs d’histoire ou de géographie. Un juge fort compétent, M. Hase, a rendu dans le Journal des Savants (juin 1833) le compte le plus favorable de cette publication, qu’il proclame une des productions philologiques les plus importantes qui aient paru depuis le commencement de ce siècle. Elle est malheureusement demeurée inachevée ; la mort n’a point permis au laborieux éditeur de mettre au jour le second et le troisième volume qu’il promettait.

Les légendes apocryphes n’ont point été recueillies et traduites en entier dans des ouvrages modernes.

En 1769 il parut, sous la rubrique de Londres, un volume in-8o intitulé : Collection d’anciens évangiles ou monuments du premier siècle du Christianisme, extraits de Fabricius, Grabius et autres savants, par l’abbé B***. Cette compilation fut attribuée à l’abbé Bigex, l’un des secrétaires de Voltaire ; elle fut certainement faite sous la direction de l’auteur de la Henriade et retouchée par lui. (Barbier, Dict. des Anonymes, no 244 ; Quérard, France Littéraire, X, 288.)

Dans cette version infidèle, tronquée, conçue dans une pensée irréligieuse, on ne trouve que cinq des évangiles édités par Fabricius, les lettres et la relation de Pilate, et les actes de saint Pierre et saint Paul rédigés par Marcel. La traduction anglaise de Jones a, de son côté, été imprimée à part à Londres, et un journal allemand nous apprend qu’une version suédoise des légendes apocryphes a vu le jour en 1818 à Stockholm. Nous avons sous les yeux la traduction allemande faite par le docteur C. F. Borberg, et imprimée à Stuttgart en 1840.

Une foule d’écrivains, dont l’énumération serait aussi longue que fastidieuse, Élie du Pin, Ceillier, Tillemont, dom Calmet, Mill, Michaëlis, Eichhorn, etc., etc., se sont occupés, en passant, et dans leurs volumineux ouvrages, des légendes apocryphes du Nouveau Testament ; en fait de publications spéciales, nous mentionnerons la dissertation de Th. Ittig, De pseudepigraphis Christi, Virginis Mariae et Apostolorum, jointe à son travail sur les hérésiarques de l’époque apostolique (Leipzig, 1696), et l’ouvrage de Kleuker, Über die Apokryphen des N. T. (Hambourg, 1798).

Nous signalerons aussi : J. J. Eurenius, De libris N. T. in genere. Lund, 1738, in-4o ; de Burigny, Sur les ouvrages apocryphes supposés dans les premiers siècles de l’Église, mémoire inséré dans l’Histoire de l’Académie des Inscriptions, tom. XXVII, p. 88 ; Is. de Beausobre, Dissert, de N. T. libris apocryphis, Berlin, 1734, in-8o. Nous n’avons pu réussir à consulter l'Essay concerning the books commonly called apocrypha (London, 1740, in-8o). Nous avons déjà fait mention du remarquable travail de M. Douhaire, inséré dans l’Université Catholique 5 ; nous citerons aussi une thèse en deux parties (40 et 22 p. in-4o), imprimée à Konigsberg en 1812 : De Evangeliis quae ante Evangelia canonica in usu Ecclesiae christianae fuisse dicuntur... publice defendet D. F. Schutz, et nous n’omettrons pas une dissertation de F. J. Arens : De Evangeliorum apocryphorum in canonicis usu historico, critico, exegetico. (Gottingae, 1835, 61 p. in-4o).

Tels sont les principaux ouvrages auxquels nous avons dû recourir, afin de servir de base au travail que nous offrons aujourd’hui au public. Nous osons nous flatter qu’il sera accueilli avec quelqu’indulgence. Les Évangiles apocryphes méritent assurément d’être lus, bien qu’ils ne puissent, sous aucun rapport, se comparer à l’admirable et sublime simplicité qui fait des quatre Évangiles canoniques un livre complètement à part.

Nous avons divisé notre travail en trois parties ; la première renferme la traduction, accompagnée de notes, des sept Évangiles que contient le recueil édité par Thilo ; la seconde est relative à divers Évangiles dont il n’est parvenu que de bien courts fragments et à quelques écrits qui touchent aux apôtres ; la troisième enfin, appendice de notre travail, est consacrée à de curieuses compositions qui se classent parmi les livres apocryphes de l’Ancien Testament et qui, éditées en Angleterre et en Allemagne, sont à peine connues de nom en France.

 

 

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LES

 

ÉVANGILES APOCRYPHES.

 

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HISTOIRE DE JOSEPH LE CHARPENTIER.

 

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Cette légende fut publiée pour la première fois à Leipzig en 1722, par un érudit suédois, George Wallin ; il en donna le texte arabe d’après un manuscrit de la bibliothèque du roi à Paris 6, il y joignit une version latine et des notes. Personne après lui ne s’occupa pendant longtemps du texte arabe ; Fabricius se borna à reproduire la traduction latine dans le tome II (p. 309-331) de son Codex pseudepigraphus Vet. Test., mais il supprima les notes de Wallin et il n’en mit point d’autres à leur place. Deux siècles avant l’éditeur Suédois, un dominicain d’Italie qui dédiait son ouvrage au pape Adrien VI, Isidore de Isolanis, avait fait mention dans sa Summa de donis S. Josephi de la légende dont nous nous occupons ; elle était fort répandue parmi les Coptes ; divers auteurs ont parlé d’une version latine qui en fut faite, au milieu du XIVe siècle, sur un texte hébreu et qui paraît perdue.

Thilo a donné le texte arabe d’après une révision soigneuse, et il a fait disparaître bien des erreurs qu’avait laissées subsister son prédécesseur ; il a conservé celles de ses notes qui lui ont paru renfermer le plus d’intérêt. Wallin regardait cette légende comme antérieure au IVe siècle ; son style est d’une grande simplicité ; il ne se ressent point de l’enflure et de la recherche métaphorique dont aucun des écrivains arabes que nous connaissons n’a su se préserver ; il conserve toutefois de l’élévation ; il s’y rencontre des passages fortement empreints de la couleur biblique ; une foi vive, une teinte patriarcale y domine partout.

Par une fiction hardie, l’auteur place son récit dans la bouche du Sauveur lui-même, et parfois aussi il paraît s’énoncer en son nom personnel. Il y règne dans quelques phrases une obscurité qui résulte de lacunes ou d’erreurs de copistes ; nous nous sommes efforcés, sans nous écarter du texte, d’offrir toujours un sens aussi clair que possible, et nous avons profité, pour atteindre ce but, des conseils d’un orientaliste éclairé auquel nous avons soumis notre version. Un examen attentif fait reconnaître dans le texte arabe des locutions appartenant à l’idiome vulgaire, et l’on est fondé à y voir une traduction faite vers le XIIe siècle, sur une relation écrite en copte et restée inédite jusqu’à ce jour.

Une preuve de la haute antiquité à laquelle remonte la rédaction primitive de cette légende, c’est que les erreurs du millénarisme y ont laissé des traces. On sait que cette croyance fut très-répandue dans les deux premiers siècles et que des docteurs vénérables l’adoptèrent ou n’osèrent la condamner. Les millénaristes prétendaient que Jésus-Christ devait régner sur la terre avec ses saints dans une nouvelle Jérusalem, pendant mille ans avant le jour du jugement ; ce que certains d’entre eux racontaient de cet empire céleste ressemblait fort au paradis que se promettent les Musulmans. Cérinthe donna le premier de la vogue à cette opinion ; elle flattait trop les penchants de l’humaine espèce pour ne pas faire de nombreux prosélytes ; Papias l’épura et crut la démontrer par le 20e chapitra de l’Apocalypse. On peut consulter d’ailleurs l’Historia critica Chiliasmi de Gorrodius. Un certain nombre de théologiens anglicans ont embrassé pareilles opinions. Tout récemment, en 1862, le docteur J. Griffiths, s’en est déclaré le champion le plus déterminé dans sa Défense du Millénarisme.

Les évangélistes parlent fort peu de saint Joseph ; ce n’est que dans les premiers chapitres de saint Mathieu et de saint Luc qu’il en est fait mention en peu de mots. Il n’en est plus reparlé après le voyage à Jérusalem avec Jésus et Marie ; il était sans doute déjà mort lorsque Jésus-Christ commença à enseigner.

 

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Au nom de Dieu, un en son essence et triple en ses personnes.

Histoire de la mort de notre père, le saint vieillard Joseph, le charpentier ; que ses bénédictions et ses prières nous protègent tous, ô frères. Ainsi soit-il !

Sa vie fut de cent onze ans 7, et son départ de ce monde arriva le vingtième du mois d’Abih qui répond au mois d’Ab 8. Que sa prière nous protège. Ainsi soit-il !

C’est notre Seigneur Jésus-Christ lui-même qui a raconté cette histoire aux saints ses disciples sur le mont des Oliviers, leur narrant tous les travaux de Joseph et la consommation de ses jours ; les saints apôtres conservèrent ce discours et le laissèrent consigné par écrit dans la bibliothèque à Jérusalem. Que leur prière nous protège ! Ainsi soit-il !

 

CHAPITRE Ier.

 

Il arriva un jour que le Sauveur, notre Dieu, Seigneur et maître, Jésus-Christ, était assis avec ses disciples sur le mont des Oliviers et que tous étaient réunis ensemble, et il leur dit : Ô mes frères et mes amis, enfants du père qui vous a choisis parmi tous les hommes, vous savez que je vous ai souvent annoncé qu’il fallait que je fusse crucifié et que je mourusse à cause du salut d’Adam et de sa postérité, et afin que je ressuscite d’entre les morts. J’ai à vous confier la doctrine du Saint-Évangile qui vous a déjà été annoncée afin que vous la prêchiez dans le monde entier, et je vous couvrirai de la vertu d’en haut, et je vous remplirai de l’Esprit-Saint. Vous annoncerez à toutes les nations la pénitence et la rémission des péchés. Car un seul verre d’eau, si un homme le trouve dans le siècle futur, est plus précieux et plus grand que toutes les richesses de ce monde entier, et l’espace que peut occuper un seul pied dans la maison de mon Père l’emporte en excellence et en valeur sur tous les trésors de la terre. Une seule heure dans l’heureuse habitation des justes donne plus de joie et a plus de prix que mille années parmi les pécheurs ; car leurs gémissements et leurs plaintes ne cesseront point et leurs larmes n’auront point de fin, et ils ne trouveront à aucun moment ni consolation ni repos. Et maintenant, vous qui êtes mes membres honorables, allez, prêchez à toutes les nations, portez-leur la nouvelle loi, et dites-leur : le Seigneur s’informe diligemment de l’héritage auquel il a droit ; il est l’administrateur de la justice. Et les anges châtieront ses ennemis et combattront au jour de la bataille. Et Dieu examinera chaque parole oiseuse et insensée qu’auront dite les hommes et ils en rendront compte, car personne ne sera exempt de la loi de mortalité, et les œuvres de chacun seront mises au grand jour au moment du jugement, soit qu’elles aient été bonnes, soit qu’elles aient été mauvaises. Annoncez cette parole que je vous ai dite aujourd’hui : Que le fort ne tire point vanité de sa force, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui veut être glorifié se glorifie dans le Seigneur.

 

CHAPITRE II.

 

Il fut un homme dont le nom était Joseph qui était originaire de Bethléem, de la ville de Judas et de la cité du roi David 9. Il était instruit et savant dans la doctrine de la loi, et il fut fait prêtre dans le Temple du Seigneur. Il exerça aussi la profession de charpentier en bois, et selon l’usage de tous les hommes, il prit une épouse. Et il engendra d’elle des fils et des filles, savoir : quatre fils et deux filles. Et les noms des fils sont Jude, Juste, Jacques et Simon. Les noms des deux filles étaient Assia et Lydia. L’épouse de Joseph le Juste mourut enfin, après avoir eu la gloire de Dieu pour but dans chacune de ses actions. Et Joseph, cet homme juste, mon père selon la chair, et le fiancé de Marie, ma mère, travaillait avec ses fils, s’occupant de son métier de charpentier.

 

CHAPITRE III.

 

Lorsque Joseph le Juste devint veuf, Marie, ma mère bénie, sainte et pure, avait accompli sa douzième année, ses parents l’avaient offerte dans le temple, lorsqu’elle n’avait que trois ans, et elle passa neuf ans dans le temple du Seigneur. Alors quand les prêtres virent que cette vierge sainte et craignant Dieu entrait dans l’adolescence, ils parlèrent entre eux, disant : « Cherchons un homme juste et pieux auquel nous confierons Marie jusqu’au temps des noces, de crainte que si elle reste dans le temple, il ne lui arrive ce à quoi les femmes sont sujettes et que nous ne péchions en son nom et que Dieu ne s’irrite contre nous. »

 

CHAPITRE IV.

 

Et immédiatement, envoyant des messagers, ils convoquèrent douze vieillards de la tribu de Judas. Et ils écrivirent les noms des douze tribus d’Israël. Et le sort tomba sur un pieux vieillard, Joseph le Juste. Et les prêtres dirent à ma mère bénie : « Va avec Joseph et demeure avec lui jusqu’au temps des noces. » Et Joseph le Juste reçut ma mère et il la conduisit dans sa maison. Et Marie trouva Jacques le mineur, et il était abattu et désolé dans la maison de son père à cause de la perte de sa mère, et elle en prit soin. Et de là vient que Marie a été appelée la mère de Jacques. Ensuite Joseph, la laissant dans sa maison, alla dans l’atelier où il exerçait la profession d’ouvrier charpentier. Et quand la Sainte-Vierge fut restée dans sa maison deux ans, elle accomplit sa quatorzième année.

 

CHAPITRE V.

 

Je l’ai chérie d’un mouvement particulier de la volonté, avec le bon plaisir de mon Père et le conseil de l’Esprit-Saint. Et j’ai été incarné en elle, par un mystère qui surpasse l’intelligence de toute créature. Et trois mois s’étant écoulés après la conception, l’homme juste, Joseph, revint de l’endroit où il exerçait son métier. Et quand il reconnut que la Vierge, ma mère, était enceinte, il fut troublé dans son esprit et il songeait à la renvoyer en secret. Et, dans sa frayeur, sa tristesse et l’angoisse de son cœur, il ne put ni boire, ni manger de ce jour.

 

CHAPITRE VI.

 

Mais vers le milieu du jour, le prince des anges, Gabriel, lui apparut en songe, exécutant l’ordre qu’il avait reçu de mon Père. Et il lui dit : « Joseph, le saint fils de David, ne crains point de recevoir Marie pour ta fiancée. Car elle a conçu de l’Esprit-Saint et elle engendrera un fils qui aura le nom de Jésus. C’est lui qui gouvernera toutes les nations avec un sceptre de fer. » L’ange, ayant ainsi parlé, s’éloigna. Et Joseph, se levant de son sommeil, obéit à ce que lui avait prescrit l’ange du Seigneur. Et Marie resta avec lui.

 

CHAPITRE VII.

 

Et, quelque temps s’étant écoulé, il parut un édit de l’empereur et roi Auguste, afin que chacun sur le monde habitable se fît inscrire dans sa propre ville. Et le juste vieillard, Joseph, se levant, prit avec lui la vierge Marie et ils vinrent à Bethléem ; le moment de sa délivrance approchait. Et Joseph inscrivit son nom sur le registre ; car Joseph, fils de David, dont Marie était la fiancée, fut de la tribu de Judas. Et ma mère Marie m’enfanta dans une caverne, près du sépulcre de Rachel, femme du patriarche Jacob et mère de Joseph et de Benjamin.

 

CHAPITRE VIII.

 

Mais Satan alla et il annonça ces choses à Hérode, le grand-père d’Archelaüs 10. Et cet Hérode était celui qui ordonna de décapiter Jean, mon ami et parent. Il me fit alors chercher avec soin, pensant que mon royaume était de ce monde. Mais le pieux vieillard Joseph en fut averti en songe. Et, se levant, il prit Marie, ma mère et elle m’emporta dans ses bras. Et Salomé se joignit à eux pour les accompagner dans leur voyage. Partant donc de sa maison, il se retira en Égypte. Et il y demeura une année entière, jusqu’à ce que le courroux d’Hérode se fût dissipé.

 

CHAPITRE IX.

 

Hérode mourut d’une façon horrible, portant la peine du sang innocent qu’il avait versé lorsqu’il avait fait périr injustement des enfants dans lesquels il n’y avait point de péché 11. Et cet impie et tyrannique Hérode étant mort, mes parents revinrent dans la terre d’Israël. Et ils habitèrent dans une ville de Galilée que l’on nomme Nazareth. Joseph, reprenant sa profession de charpentier, gagnait sa vie par le travail de ses mains ; car il ne dut jamais sa nourriture au travail d’autrui, ainsi que l’avait prescrit la loi de Moïse.

 

CHAPITRE X.

 

Les années s’écoulaient, le vieillard s’avança grandement en âge. Il n’éprouva cependant aucune infirmité corporelle, la vue ne le quitta point et aucune des dents de sa bouche ne tomba. Et son esprit ne connut jamais un moment de délire. Mais, semblable à un enfant, il portait dans toutes ses occupations la vigueur de la jeunesse. Et il conservait ses membres entiers et exempts de toute douleur. Et sa vieillesse était fort avancée, car il avait atteint l’âge de cent onze ans.

 

CHAPITRE XI.

 

Juste et Simon, fils aînés de Joseph, ayant pris des épouses, allèrent dans leurs familles, et ses deux filles se marièrent aussi et elles se retirèrent dans leurs maisons. Et il restait dans la maison de Joseph, Jude et Jacques le Mineur et la vierge ma mère. Et je demeurais avec eux, comme si j’avais été un de ses fils. J’ai passé toute ma vie sans avoir commis aucune faute. J’appelai Marie ma mère et Joseph mon père, et je leur étais soumis en tout ce qu’ils prescrivaient. Et je ne leur ai jamais désobéi, mais je me conformai à leurs volontés, comme le font les autres hommes qui naissent sur la terre. Et je n’ai jamais provoqué leur colère, ni ne leur ai opposé une parole dure ou une réponse qui montrât de l’irritation. Au contraire, je leur ai témoigné un grand attachement, les chérissant comme la prunelle de l’œil 12.

 

CHAPITRE XII.

 

Il arriva ensuite que l’instant de la mort du pieux vieillard Joseph approcha et que vint le moment où il devait quitter ce monde comme les autres hommes qui sont assujettis à revenir à la terre. Et son corps étant près de sa destruction, l’ange du Seigneur lui annonça que l’heure de sa mort était proche. Alors la crainte s’empara de lui et son esprit tomba dans un trouble extrême. Et, se levant, il alla à Jérusalem. Et, étant entré dans le temple du Seigneur, et répandant des prières devant le sanctuaire, il dit :

 

CHAPITRE XIII.

 

Ô Dieu ! auteur de toute consolation, Dieu de toute miséricorde et Seigneur du genre humain entier, Dieu de mon âme, de mon esprit et de mon corps, je t’adore en suppliant, ô mon Dieu et Seigneur ; si mes jours sont déjà consommés et si le temps arrive où je dois sortir de ce monde, envoie, je te le demande, le grand Michel, le prince de tes anges. Et qu’il demeure avec moi afin que mon âme misérable sorte de ce corps débile sans souffrance, sans crainte et sans impatience, car un grand épouvantement et une violente tristesse s’emparent de tous les corps au jour de leur mort, qu’ils soient mâles ou femelles, bêtes des champs ou des bois, qu’ils rampent sur la terre ou qu’ils volent dans l’air. Toutes les créatures qui sont sous le ciel et dans lesquelles est l’esprit de vie sont frappées d’horreur, d’une grande crainte et d’une répugnance extrême, lorsque leurs âmes sortent de leurs corps. Maintenant, ô mon Dieu et Seigneur, que ton saint ange prête son assistance à mon âme et à mon corps, jusqu’à ce que leur séparation se soit opérée. Et que la face de l’ange désigné pour me garder depuis le jour où j’ai été formé ne se détourne pas de moi. Mais qu’il soit mon compagnon jusqu’à ce qu’il m’ait conduit à toi. Que son visage soit pour moi plein d’allégresse et de bienveillance et qu’il m’accompagne en paix. Ne permets pas que les démons, dont l’esprit est formidable, s’approchent de moi sur le chemin par lequel je dois aller jusqu’à ce que je parvienne heureusement à toi Et ne permets pas que les gardiens du Paradis m’en interdisent l’entrée. Et dévoilant mes fautes, ne m’expose pas à l’opprobre, en face de ton tribunal redoutable. Que les lions ne se précipitent pas sur moi. Et que les flots de la mer de feu que toute âme doit traverser ne submergent pas mon âme avant que je n’aie contemplé la gloire de ta divinité. Ô Dieu, juge très-équitable qui jugera les mortels dans la justice et qui traitera chacun selon ses œuvres, assiste-moi dans ta miséricorde et éclaire ma voie pour que je parvienne à toi. Car tu es la source abondante en tous biens et la gloire pour l’éternité. Ainsi soit-il !

 

CHAPITRE XIV.

 

Il arriva ensuite lorsque Joseph revint chez lui, dans la ville de Nazareth que, saisi par la maladie, il fut retenu au lit. Et le temps était venu où il devait mourir, ainsi que c’est le destin de tous les hommes. Et il éprouvait une vive souffrance de cette maladie, et c’était la première dont il eût été atteint depuis le jour de sa naissance. Et c’est ainsi qu’il avait plu au Christ d’ordonner les choses relatives à Joseph. Il vécut quarante ans avant de contracter mariage. Sa femme passa avec lui quarante-neuf ans, et quand ils furent écoulés, elle mourut. Un an après sa mort, les prêtres confièrent à Joseph, ma mère, la bienheureuse Marie, afin qu’il la gardât jusqu’au temps des noces. Elle resta deux ans dans sa maison et, la troisième année de son séjour chez Joseph, étant âgée de quinze ans, elle m’enfanta sur la terre par un mystère qu’aucune créature ne peut pénétrer ni comprendre, si ce n’est moi, mon Père et l’Esprit-Saint, constituant avec moi une unique essence.

 

CHAPITRE XV.

 

L’âge de mon père, ce vieillard juste, arriva ainsi à cent onze ans, mon père céleste l’ayant voulu. Et le jour auquel son âme se sépara de son corps était le vingt-sixième jour du mois d’Abib. Il commença à perdre un or d’une splendeur éclatante, c’est-à-dire, son intelligence à la science. Il prit du dégoût pour les aliments et la boisson, et il perdit toute son habileté dans l’art de charpentier. Et il arriva le vingt-sixième jour du mois d’Abib que l’âme du vieillard Joseph le Juste fut inquiète pendant qu’il était en son lit. Car il ouvrit sa bouche, poussant des soupirs, et il frappa ses mains l’une contre l’autre. Et il cria d’une voix élevée, parlant de cette manière :

 

CHAPITRE XVI.

 

Malheureux le jour auquel je suis né dans ce monde ! Malheureux le ventre qui m’a porté ! Malheureuses les entrailles qui m’ont reçu ! Malheureuses les mamelles qui m’ont allaité ! Malheureux les pieds sur lesquels je me suis soutenu ! Malheureuses les mains qui m’ont porté et m’ont élevé jusqu’à ce que j’eusse grandi ; car j’ai été conçu dans l’iniquité et ma mère m’a engendré dans le péché. Malheur à ma langue et à mes lèvres, car elles ont parlé et elles ont proféré des paroles de vanité, de reproche, de mensonge, d’ignorance, de dérision, d’instabilité et d’hypocrisie ! Malheur à mes yeux, car ils ont contemplé le scandale ! Malheur à mes oreilles, car elles se délectaient aux discours des calomniateurs ! Malheur à mes mains, car elles ont pris ce qui n’était point leur propriété ! Malheur à mon ventre et à mes intestins, car ils ont voulu une nourriture dont l’usage leur était interdit ! Malheur à mon gosier qui, semblable à de feu, consumait tout ce qu’il trouvait. Malheur à mes pieds qui ont souvent cheminé dans des voies déplaisantes à Dieu ! Malheur à mon corps et malheur à mon âme rebelle à Dieu, son créateur ! Que ferai-je lorsque j’arriverai à l’endroit où je dois paraître devant le juge de toute équité et lorsqu’il me reprochera les œuvres que j’ai accumulées dans ma jeunesse ! Malheur à tout homme qui meurt dans ses péchés ! Cette heure terrible qui a déjà frappé mon père Jacques, lorsque son âme s’envola de son corps, la voici ! Elle est proche. Oh ! qu’aujourd’hui je suis misérable et digne de compassion. Mais Dieu seul est le directeur de mon âme et de mon corps ; qu’il en agisse avec eux selon son bon vouloir.

 

CHAPITRE XVII.

 

Ce furent les paroles que prononça Joseph, ce juste vieillard, et moi, entrant et m’approchant de lui, je trouvai son âme véhémentement troublée, car il était livré à une grande angoisse. Et je lui dis : « Salut, Joseph, mon père, homme juste ; comment est ta santé ? » Et il me répondit : « Je te salue maintes fois, ô mon fils chéri ! La douleur et la crainte de la mort m’ont déjà entouré ; mais, aussitôt que j’ai entendu ta voix, mon âme a connu le repos. Ô Jésus de Nazareth, Jésus mon consolateur, Jésus le libérateur de mon âme, Jésus mon protecteur ! Jésus, ô nom très-doux dans ma bouche et pour ceux qui l’aiment ! Œil qui vois et oreille qui entends, exauce-moi. Moi, ton serviteur, je te vénère aujourd’hui en toute humilité, et je répands mes larmes devant toi. Tu es mon Dieu, tu es mon Seigneur, ainsi que l’ange me l’a annoncé bien souvent, et surtout en ce jour que mon âme flottait agitée en de mauvaises pensées, à cause de la pure et bénie Marie qui avait conçu, et que je songeais à renvoyer en secret. Et tandis que je méditais ce projet, voici que, par un mystère admirable, les anges du Seigneur m’apparurent pendant mon sommeil, me disant : “Ô Joseph, fils de David, ne crains point de prendre Marie pour ta fiancée, et ne t’afflige pas de ce qu’elle a conçu, et ne profère pas à cet égard des paroles répréhensibles, car elle est enceinte par l’opération de l’Esprit-Saint, et elle engendrera un fils qui portera le nom de Jésus, et c’est lui qui rachètera les péchés de son peuple.” Ne me reprends donc pas de ma faute, Seigneur, car j’ignorais les mystères de ta nativité. Je me souviens, Seigneur, du jour lorsqu’un enfant périt de la morsure d’un serpent. Ses parents voulaient te livrer à Hérode, disant que tu l’avais fait mourir. Mais tu le ressuscitas d’entre les morts, et tu le leur rendis. Alors, m’approchant de toi, et te prenant la main, je te dis : “Mon fils, prends garde à toi.” Mais tu me répondis : “N’es-tu pas mon père selon la chair ? Je t’enseignerai qui je suis.” Et maintenant, ô mon Seigneur et mon Dieu, ne t’irrite pas contre moi, et ne me condamne pas à cause de cette heure. Je suis ton esclave et le fils de ta servante. Toi, tu es mon Seigneur, mon Dieu et mon Sauveur, et très-certainement le fils de Dieu. »

 

CHAPITRE XVIII.

 

Lorsque mon père Joseph eut ainsi parlé, il ne put pleurer davantage. Et je vis que la mort le dominait déjà. Et ma mère, la Vierge sans tache, se levant et s’approchant de moi, dit : « Ô mon fils chéri, ce pieux vieillard, Joseph, va trépasser. » Et je lui répondis : « Ma mère bien-aimée, cette même nécessité de mourir a été imposée à toutes les créatures qui naissent en ce monde, car la mort a obtenu son droit assuré sur tout le genre humain. Et toi, ma mère, et tout le reste des êtres humains, vous devez vous attendre à voir se terminer votre vie. Mais ta mort, ainsi que la mort de ce pieux vieillard, n’est point une mort, mais une entrée dans la vie qui est éternelle et qui ne connaît point de fin. Et le corps que j’ai reçu de toi est également sujet à la mort. Mais lève-toi, ma mère, digne de toute vénération, et approche-toi de Joseph, ce vieillard béni, afin que tu voies ce qui arrivera au moment où son âme se séparera de son corps. »

 

CHAPITRE XIX.

 

Et Marie, ma mère sans tache, alla donc, et elle entra dans l’endroit où était Joseph, et j’étais assis à ses pieds, le regardant. Les signes de la mort apparaissaient déjà sur son visage. Et ce bienheureux vieillard, levant la tête, me regarda en fixant sur moi les yeux. Mais il n’avait nullement la force de parler, à cause de la douleur de la mort qui le tenait enveloppé, et il poussait de grands soupirs. Et je tins ses mains durant l’espace d’une heure entière. Et lui, ayant tourné son visage vers moi, me faisait signe de ne point l’abandonner. Ayant ensuite posé ma main sur sa poitrine, je pris son âme, déjà près de sa gorge, et au moment de sortir de sa retraite.

 

CHAPITRE XX.

 

Quand ma mère, toujours vierge, vit que je touchais le corps de Joseph, elle lui toucha les pieds. Et les trouvant déjà privés de vie et refroidis, elle me dit : « Ô mon cher fils, ses pieds commencent déjà à se refroidir, et ils sont froids comme la neige. » Ayant ensuite réuni ses fils et ses filles, elle leur dit : « Venez, tous tant que vous êtes, et approchez de votre père, car il est certainement arrivé à son dernier moment. » Et Assia, fille de Joseph, répondit : « Malheur à moi, ô mes frères, car c’est la même maladie dont est morte notre mère bien-aimée. » Elle pleurait et poussait des cris de douleur, et tous les autres enfants de Joseph répandirent aussi des larmes. Et moi, et Marie, ma mère, nous pleurions avec eux.

 

CHAPITRE XXI.

 

Et me retournant vers le midi, je vis la mort qui s’approchait, et avec elle toutes les puissances de l’abîme, leurs armées et leurs satellites. Et leurs vêtements, leurs bouches et leurs visages jetaient du feu. Quand mon père Joseph les vit venir à lui, ses yeux furent inondés de larmes. Et, en même temps, il gémit d’une manière extraordinaire. Alors, voyant la violence de des soupirs, je repoussai la mort et toute la foule de ses ministres dont elle était accompagnée, et j’invoquai mon père miséricordieux, disant :

 

CHAPITRE XXII.

 

« Ô père de toute clémence, œil qui vois et oreille qui entends ! écoute mes supplications et mes prières pour le vieillard Joseph, et envoie Michel, le prince de tes anges, et Gabriel, le héraut de la lumière, et toute la lumière de tes anges, et que tout leur ordre chemine avec l’âme de mon père Joseph jusqu’à ce qu’ils te l’aient amenée. Voici l’heure où mon père a besoin de miséricorde. » Et je vous dis que tous les saints, bien plus tous les hommes qui naîtront dans ce monde, qu’ils soient justes ou pervers, doivent nécessairement goûter la mort 13.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Michel et Gabriel vinrent donc vers l’âme de mon père Joseph. Et l’ayant prise, ils la plièrent dans un linceul éclatant. Il rendit ainsi l’esprit dans les mains de mon père le miséricordieux, et la paix lui fut accordée, et aucun de ses enfants ne sut qu’il s’était endormi. Mais les anges préservèrent son âme des démons de ténèbres qui étaient sur la route, et ils louèrent Dieu, jusqu’à ce qu’ils l’eurent conduite du lieu qu’habitent les justes.

 

CHAPITRE XXIV.

 

Son corps resta étendu et sans couleur. Car, ayant approché mes mains de ses yeux, je les avais fermés ; j’avais fermé sa bouche, et j’avais dit à la vierge Marie : « Ô ma mère, où est l’art auquel il s’est consacré pendant tout le temps qu’il a vécu en ce monde ? Il a péri avec lui, et il est comme s’il n’avait jamais existé. » Quand les enfants de Joseph entendirent que je parlais avec ma mère, la Vierge sans tache, ils connurent qu’il avait expiré, et, versant des larmes, ils poussèrent des cris de douleur. Et je leur dis : « La mort de votre père n’est pas la mort, mais la vie éternelle. Car, délivré des tribulations de ce siècle, il est entré dans le repos éternel qui ne connaît point de fin. » Et quand ils entendirent ces paroles, ils déchirèrent leurs vêtements en pleurant.

 

CHAPITRE XXV.

 

Et quelques habitants de la ville de Nazareth et des gens de toute la Galilée, sachant leur désolation, vinrent à eux, et ils pleurèrent depuis la troisième jusqu’à la neuvième heure. Et, à la neuvième heure, ils allèrent tous à la chambre de Joseph, et ils emportèrent son corps, après l’avoir frotté de parfums précieux. Moi, j’adressais ma prière à mon père céleste, et cette prière est celle que j’écrivis de ma main avant que je ne fusse dans le sein de la vierge Marie, ma mère. Et dès que je l’eus finie, et que j’eus dit amen, une grande multitude d’anges apparut, et j’ordonnai à deux d’entre eux d’étendre une étoffe éclatante, et d’envelopper le corps de Joseph, le vieillard béni.

 

CHAPITRE XXVI.

 

Et, m’approchant de Joseph, je dis : « L’odeur de la mort et la puanteur ne domineront point en toi, et nul ver ne sortira de ton corps. Aucun de tes membres ne sera brisé, ni aucun cheveu arraché de ta tête, et il ne périra aucune portion de ton corps, mon père Joseph, mais il restera entier et sans corruption jusqu’au festin de mille ans. Et tout mortel qui aura eu soin de faire ses offrandes au jour de ta commémoration, je le bénirai et je le rétribuerai dans l’assemblée des vierges. Et quiconque aura donné de la nourriture aux indigents, aux pauvres, aux veuves et aux orphelins, leur distribuant le fruit du travail de ses mains le jour que l’on célèbre ta mémoire, et en ton nom, il ne sera point dénué de biens durant tous les jours de sa vie. Quiconque aura donné en ton nom à une veuve ou à un orphelin un verre d’eau pour se désaltérer, je lui accorderai que tu partages avec lui le banquet des mille ans. Et tout homme qui aura soin de faire ses offrandes le jour de ta commémoration, je le bénirai et je le lui rendrai dans l’assemblée des vierges 14, et je lui rendrai trente, soixante et cent pour un. Et quiconque retracera l’histoire de ta vie, de tes épreuves et de ta séparation du monde, et ce discours sorti de ma bouche, je le confierai à ta garde, tant qu’il demeurera en cette vie. Lorsque son âme désertera son corps, et qu’il lui faudra quitter ce monde, je brûlerai le livre de ses péchés 15, et je ne le tourmenterai d’aucun supplice au jour du jugement 16 ; mais il traversera la mer de feu, et il la franchira sans douleur et sans obstacle ; tel ne sera point le sort de tout homme avide et dur qui n’accomplira pas ce que j’ai prescrit. Et celui auquel il naîtra un fils, et qui lui donnera le nom de Joseph, n’aura point de part à l’indigence, ni à la mort qui ne finit point. »

 

CHAPITRE XXVII.

 

Les principaux habitants de la ville se réunirent ensuite dans le lieu où était placé le corps du saint vieillard Joseph. Et, apportant avec eux des bandes d’étoffes, ils voulurent l’envelopper selon l’usage répandu parmi les Juifs. Mais ils trouvèrent que son linceul tenait à son corps si fortement que, lorsqu’ils cherchèrent à l’enlever, il resta sans pouvoir être déplacé, et il avait la dureté du fer, et ils ne purent trouver en ce linceul aucune couture qui en indiquât les extrémités ; ce qui les remplit d’un grand étonnement. Enfin, ils le portèrent auprès de la caverne, et ils ouvrirent la porte afin de placer son corps avec ceux de ses pères 17. Alors il me revint à l’esprit le jour où il cheminait avec moi vers l’Égypte, et je songeai à toutes les peines qu’il avait supportées à cause de moi, et je pleurai sa mort beaucoup de temps. Et, me penchant sur son corps, je dis :

 

CHAPITRE XXVIII.

 

« Ô mort qui fais évanouir toute science et qui excites tant de larmes et tant de cris de douleur, certes c’est Dieu, mon père, qui t’a accordé cette puissance. Les hommes périssent à cause de la désobéissance d’Adam et de sa femme Ève, et la mort n’épargne aucun d’eux. Mais nul ne peut être ôté de ce monde sans la permission de mon père. Il y a eu des hommes dont la vie s’est prolongée jusqu’à neuf cents ans : mais ils ne sont plus. Et quelque longue qu’ait été la carrière de certains d’entre eux, tous ont succombé, et aucun d’eux n’a jamais dit : « Je n’ai pas goûté la mort. » Et il a plu à mon père d’infliger cette peine à l’homme, et aussitôt que la mort a vu quel commandement lui venait du ciel, elle a dit : « J’irai contre l’homme, et je ferai autour de lui un grand ébranlement. » Adam ne s’étant point soumis à la volonté de mon père, et ayant transgressé ses ordres, mon père, courroucé contre lui, l’a livré à la mort, et c’est ainsi que la mort est entrée en ce monde. Si Adam avait observé les ordres de mon père, la mort n’aurait jamais eu d’empire sur lui. Pensez-vous que je ne pourrai pas demander à mon père de m’envoyer un char de feu pour recevoir le corps de mon père Joseph, et le transporter dans un séjour de repos où il habite avec les saints ? Mais cette angoisse et cette punition de la mort est descendue sur tout le genre humain à cause de la prévarication d’Adam. Et c’est pour ce motif que je dois mourir selon la chair, non à cause de mes œuvres, mais pour que les hommes que j’ai créés obtiennent la grâce. »

 

CHAPITRE XXIX.

 

Ayant dit ces paroles, j’embrassai le corps de mon père Joseph, et je pleurai sur lui. Les autres ouvrirent la porte du sépulcre, et ils déposèrent son corps à côté du corps de son père Jacques. Et lorsqu’il s’endormit, il avait accompli cent onze ans ; et il n’eut jamais aucune dent qui lui occasionna de la douleur dans la bouche, et ses yeux conservèrent toute leur pénétration ; sa taille ne se courba point, et ses forces ne diminuèrent pas. Mais il s’occupa de sa profession d’ouvrier en bois jusqu’au dernier jour de sa vie. Et ce jour fut le vingt-sixième du mois d’Abib.

 

CHAPITRE XXX.

 

Nous les apôtres, quand nous eûmes entendu notre Sauveur, nous nous levâmes remplis d’allégresse, et lui ayant rendu hommage en nous inclinant profondément, nous dîmes : « Ô notre Sauveur, tu nous as fait une grande grâce, car nous avons entendu des paroles de vie. » Mais nous sommes surpris du sort d’Énoch et d’Élie, car ils n’ont pas été sujets à la mort 18. Ils habitent la demeure des justes jusqu’au jour présent, et leurs corps n’ont point vu la corruption. Et ce vieillard Joseph, le charpentier, était ton père selon la chair. Tu nous as ordonné d’aller dans le monde entier prêcher le saint Évangile, et tu as dit : « Annoncez-leur la mort de mon père Joseph, et célébrez, par une sainte solennité, le jour consacré à sa fête. Quiconque retranchera quelque chose de ce discours, ou y ajoutera quelque chose, il commettra un péché. » Nous sommes aussi dans la surprise de ce que Joseph, depuis le jour que tu es né à Bethléem, t’ait appelé son fils selon la chair. Pourquoi donc ne l’as-tu pas rendu immortel ainsi que le sont Énoch et Élie ? Et tu dis qu’il fut juste et élu. »

 

CHAPITRE XXXI.

 

Notre Sauveur répondit et dit : « La prophétie de mon père s’est accomplie sur Adam à cause de sa désobéissance, et toutes choses s’accomplissent selon la volonté de mon père. Si l’homme transgresse les préceptes de Dieu, et s’il accomplit les œuvres du diable en commettant le péché, son âge s’accomplit ; il est conservé en vie pour qu’il puisse faire pénitence et éviter d’être remis aux mains de la mort. S’il s’est appliqué aux bonnes œuvres, l’espace de sa vie est prolongé, afin que, la renommée de sa vieillesse s’accroissant, les justes imitent son exemple. Lorsque vous voyez un homme dont l’esprit est prompt à se mettre en colère, ses jours seront abrégés, car ce sont ceux qui sont enlevés à la fleur de leur âge. Toute prophétie que mon père a prononcée touchant les fils des hommes doit s’accomplir en chaque chose. Et pour ce qui concerne Énoch et Élie, ils sont encore en vie aujourd’hui, gardant les mêmes corps avec lesquels ils sont nés. Et quant à mon père Joseph, il ne lui a pas été donné, comme à eux, de rester en son corps ; et quand même un homme aurait vécu beaucoup de myriades d’années sur cette terre, il serait pourtant forcé d’échanger la vie contre la mort. Et je vous dis, ô mes frères, qu’il fallait qu’Énoch et Élie revinssent en ce monde à la fin des temps, et qu’ils perdissent la vie dans le jour des épouvantements, de l’angoisse, de l’affliction et de la grande commotion ; car l’Antéchrist 19 tuera quatre corps, et il répandra le sang comme de l’eau, à cause de l’opprobre auquel ils doivent l’exposer, et de l’ignominie dont, vivants, ils le frapperont lorsque son impiété sera découverte. »

 

CHAPITRE XXXII.

 

Et nous dîmes : « Ô Notre Seigneur, Dieu et Sauveur ! quels sont ces quatre que tu as dit que l’Antéchrist devait faire périr, parce qu’ils s’élèveraient contre lui ? » Et le Sauveur répondit : « Ce sont Énoch, Élie, Schila et Tabitha. » Lorsque nous entendîmes les paroles de notre Sauveur, nous nous réjouîmes et nous nous livrâmes à l’allégresse, et nous offrîmes toute gloire et action de grâce à Notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ. C’est à lui que sont dus gloire, honneur, dignité, domination, naissance et louange, ainsi qu’au Père miséricordieux avec lui et au Saint-Esprit, vivifiant maintenant et dans tous les temps et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Nous plaçons ici le fragment traduit par M. Dulaurier et dont nous avons déjà parlé précédemment. « En comparant le récit de l’écrivain arabe avec ceux de l’auteur copte, remarque fort judicieusement le traducteur, on se convaincra que l’ouvrage du premier n’est qu’une traduction abrégée de l’original égyptien. Cette composition se rattache trop évidemment par le fond des idées aux doctrines théosophiques dont l’Égypte fut la patrie, et par son style à ce caractère de simplicité qui est propre à la langue copte pour qu’il soit possible de supposer que l’original n’ait pas été écrit en cet idiome et qu’il ait vu le jour ailleurs que sur les bords du Nil. »

Telle est la vie de Joseph, mon père chéri. Ce ne fut qu’à l’âge de quarante ans qu’il prit une femme ; il vécut avec elle neuf ans. Après qu’il l’eut perdue, il resta deux ans dans la viduité. Ma mère en passa deux avec lui, depuis qu’il l’eut choisie pour sa compagne. Il lui avait été ordonné par les prêtres de la conserver intacte jusqu’à l’époque de la célébration de leur mariage. Ma mère me donna le jour au commencement de la troisième année qu’elle habitait la maison de mon père, et le quinzième de son âge. Elle me mit au monde dans une caverne qu’il est défendu de révéler, et qu’il est impossible de trouver ; il n’est aucun homme au monde qui la connaisse, si ce n’est moi, mon Père et le Saint-Esprit.

Les années de la vie de mon père Joseph, dont la vieillesse fut bénie, sont au nombre de cent onze. Suivant la volonté de mon père, le jour de sa mort arriva le 26 du mois d’Épiphi.

« Joseph 20, malade à Nazareth, est plongé dans la terreur et le chagrin : il déplore ses péchés. Jésus arrive pour le consoler ; Joseph lui adresse ses prières, l’appelle son Seigneur, vrai Roi, Sauveur, Rédempteur, Dieu véritable et parfait, le supplie de lui pardonner la pensée qu’il avait eue un jour de renvoyer sa mère de chez lui, jusqu’à ce qu’un ange lui eût assuré qu’elle avait conçu du Saint-Esprit ; il le prie aussi d’oublier qu’une fois dans son enfance, il l’avait saisi par les oreilles, parce qu’il avait ressuscité un enfant mort de la piqûre d’un céraste et cela pour lui apprendre qu’il devait s’abstenir de toute action propre à lui attirer l’envie. À ces mots, Jésus pleura en pensant à l’amertume de sa mort, au jour où les Juifs doivent l’attacher à la croix pour le salut de tous les hommes. Bientôt après, il appelle sa mère, et ils s’asseyent ensemble, Jésus auprès de la tête de son père, et Marie à ses pieds. Il appelle aussi tous les fils et les filles de Joseph, et dans leur nombre, Lysia leur aînée, ouvrière en pourpre : tous pleurent sur leur père expirant. »

Ayant alors tourné mes regards vers la partie méridionale de la porte, j’aperçus l’Amentès qui était accouru de ce côté, c’est-à-dire le diable instigateur et artificieux de tous les temps. Je vis aussi une multitude de Décans, monstres aux formes variées, revêtus d’une armure de feu, si nombreux, qu’il eût été impossible de les compter, et vomissant du soufre et de la fumée par la bouche. Dès que mon père Joseph eut jeté les yeux sur ces êtres épouvantables, qui étaient venus auprès de lui, il les aperçut terribles comme lorsque la colère et la fureur les animaient contre une âme qui vient de quitter son corps, surtout si c’est celle d’un pécheur dans laquelle ils ont trouvé la marque qui caractérise leur sceau. Mon père, à la vieillesse vénérable, en apercevant ces monstres autour de lui, fut saisi d’épouvante, et ses yeux laissèrent couler des larmes. Son âme voulut se réfugier dans des ténèbres épaisses ; et, cherchant un lieu pour se cacher, elle ne le trouva point. Dès que je vis que le trouble s’était ainsi emparé de l’âme de mon père, et que ses regards ne tombaient que sur des spectres aux formes les plus diverses et d’un aspect hideux, je m’avançai pour gourmander celui qui était l’organe du diable, ainsi que les légions infernales qui étaient accourues avec lui : elles s’enfuirent aussitôt à ma voix dans le plus grand désordre ; mais aucun de ceux qui étaient rassemblés autour de mon père n’eut connaissance de ce qui venait de se passer, non plus que ma mère Marie. Dès que la Mort eut été témoin de la manière sévère dont j’avais traité les puissances des ténèbres qui formaient son cortège ; dès qu’elle eut vu que je les avais mises en fuite, et qu’aucune d’elles n’était restée auprès de mon père Joseph, saisie de crainte à son tour, elle s’enfuit, et alla chercher un asile derrière la porte. J’adressai alors à mon Père bon une prière conçue en ces termes :

« Ô mon père, toi qui es la source de toute bonté, toi l’auteur de toute vérité, l’œil qui voit tout, l’oreille qui entend tout, écoute ton fils unique ; exauce-moi : je t’implore pour une de tes créatures, pour mon père Joseph. Fais descendre vers moi un de tes grands chérubins, accompagné du chœur des anges, de Michel le dispensateur des biens, de Gabriel, celui de tes Éons resplendissants 21, qui est chargé de tes heureux messages ; qu’ils viennent prendre soin de l’âme de mon père, qu’ils la guident vers toi jusqu’à ce qu’elle ait traversé les sept Éons de ténèbres, et qu’elle ait dépassé les voûtes obscures qui inspirent tant d’effroi, et où l’on a le spectacle de châtiments dont la vue inspire l’horreur ; que le fleuve de feu coule semblable à de l’eau, que la mer aux ondes furieuses cesse d’être agitée, que ses flots deviennent tranquilles pour l’âme de mon père Joseph ; car c’est maintenant que la miséricorde lui est nécessaire. » Je vous le dis à vous, qui êtes les saintes parties de moi-même, ô mes apôtres bénis, que tout homme qui est venu dans ce monde a connu le bien et le mal ; et, tant que dure sa vie, quelque grand qu’il soit à ses propres yeux, lorsqu’il est près de sa fin, il a besoin de la compassion de mon Père céleste à l’heure de sa mort, à celle du voyage qui la suit, et au moment où il doit rendre ses comptes devant le tribunal redoutable. Mais je veillai sur les derniers moments de mon père Joseph, aux souvenirs si purs. Lorsque j’eus dit Amen, ma mère le répéta après moi en un langage céleste, et aussitôt Michel et Gabriel, et le chœur des anges, descendirent du ciel, et se tinrent sur le corps de mon père Joseph. On entendit alors retentir sur lui des plaintes et des gémissements, et je connus que sa dernière heure était arrivée. Il éprouva des douleurs semblables à celles d’une femme en mal d’enfant. La souffrance le tourmentait aussi fort qu’un vent violent et qu’un feu ardent qui dévore de nombreux aliments. Quant à la Mort, la crainte ne lui avait pas permis d’entrer pour se placer sur le corps de mon père Joseph, et pour opérer la fatale séparation, parce qu’en dirigeant ses regards dans l’intérieur de la maison, elle m’avait aperçu assis auprès de sa tête et incliné sur ses tempes. Dès que je vis qu’elle hésitait à entrer par suite de la frayeur que je lui inspirais, je franchis le seuil de la porte, et je la trouvai là, seule, et toute tremblante. Alors, m’adressant à elle : « Ô toi, lui dis-je, qui es accourue des parties méridionales, entre promptement, et accomplis les ordres que t’a donnés mon Père. Aie soin surtout de mon père Joseph, comme tu conserverais la lumière qui éclaire tes yeux ; car c’est à lui à qui je dois la vie suivant la chair, et il a eu souvent à supporter des tribulations pour moi pendant mon enfance, fuyant d’un lieu dans un autre pour éviter les embûches d’Hérode ; j’ai reçu de lui des instructions comme tous les enfants en reçoivent de leurs parents pour leur utilité. » En ce moment Abbaton entra, et prenant l’âme de mon père Joseph, il la retira du corps qu’elle avait animé. C’était à l’heure où le soleil est prêt à se montrer sur l’horizon, le 26 du mois Épiphi, en paix. La vie entière de mon père Joseph a été de cent onze ans. Après quoi, Michel saisit les deux bouts d’un tapis de soie d’un grand prix, Gabriel prit les deux autres extrémités, et, embrassant de leurs étreintes l’âme de mon père Joseph, ils la placèrent dans ce tapis. Personne de ceux qui siégeaient auprès du mourant ne s’aperçut qu’il avait cessé de vivre, non plus que ma mère Marie. Je prescrivis alors à Gabriel et à Michel de veiller sur l’âme de mon père Joseph, et de la défendre des monstres ravissants qui allaient se trouver sur son passage. J’ordonnai aussi aux anges incorporels de la précéder en chantant des hymnes, jusqu’au moment où ils l’auraient conduite dans les cieux auprès de mon Père bon.

 

 

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ÉVANGILE DE L’ENFANCE.

 

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Henry Sike donna à Utrecht, en 1697, la première édition du texte arabe de cette légende. Il l’établit, d’après un manuscrit qui se trouva dans la vente faite à Leyde de la bibliothèque du savant Golius. On ignore ce qu’est devenu ce manuscrit 22, peut-être a-t-il passé en Angleterre, car Sike s’était rendu en Hollande avec un anglais nommé Huntington, qui étudiait les langues orientales pour se préparer à un voyage dans le Levant, mais qui, plus tard, renonça à son projet, revint dans sa patrie, fut nommé professeur d’arabe à Oxford, et finit par se pendre de ses propres mains en 1712.

Sike regardait le texte arabe comme la traduction d’un original fort ancien écrit primitivement en grec ou en syriaque. Un auteur arabe, Ahmed-Ibn-Idris, cité par Maracci dans son travail sur le Koran, atteste que l’on croyait que l’Évangile de l’Enfance, regardé comme le cinquième des Évangiles, avait été rédigé par saint Pierre, qui en avait recueilli les matériaux de la bouche de Marie.

Fabricius se contenta de donner la version latine de Sike en y joignant en marge de courtes notes assez insignifiantes ; Thilo a réimprimé le texte arabe soigneusement corrigé, il a revu la traduction et il a conservé celles des notes du premier éditeur qui offraient le plus d’importance.

Nous connaissons quatre traductions allemandes de cet Évangile ; la première vit le jour en 1699, sans indication de lieu et sans nom d’auteur ; la seconde, également anonyme, porte la date de 5738 (1789) à Jérusalem ; la troisième vit le jour en 1804 ; la quatrième fait partie du recueil déjà cité du docteur Borberg (t. I, p. 135 et suiv.).

L’on a cru pouvoir attribuer la rédaction de l’Évangile de l’Enfance tel que nous le possédons à quelque écrivain nestorien ; il est de fait que cette légende a toujours joui chez ces sectaires de la plus grande faveur. On l’a retrouvée chez les chrétiens de Saint-Thomas, fixés sur la côte de Malabar et qui partagent les erreurs anathématisées par le concile œcuménique d’Éphèse. Les Arméniens en ont reproduit dans leurs divers écrits les principales circonstances.

À des époques d’ignorance, l’on ne manqua point d’attribuer cet Évangile à l’un des apôtres ; l’on désigna successivement saint Mathieu ou saint Pierre, saint Thomas ou saint Jacques comme l’ayant composé ; saint Irénée croyait que c’était l’œuvre de quelque marcosien, Origène y voit la main de Basilide, et saint Cyrille celle de quelque sectateur de Manès. Quoi qu’il en soit, ce recueil de traditions, plus ou moins hasardées, se retrouve dans tout l’Orient le même pour le fond des choses.

Il est facile de se rendre compte de la grande popularité dont a joui cet Évangile, en Égypte surtout, lorsque l’on réfléchit que c’est en Égypte même que se passent la plupart des faits qu’il relate. Les Coptes ont possédé un grand nombre d’ouvrages relatifs à ces mêmes évènements ; Assemani mentionne dans sa Bibliothèque orientale (t. II, 517, t. III, P. I, 286 et 641), une histoire de la fuite de la sainte Vierge et de saint Joseph en Égypte, faussement attribuée à Théophile d’Alexandrie.

Un prélat égyptien, Cyriaque, évêque de Tabenne, se distingua par l’empressement qu’il mit à recueillir et à propager ces légendes si propres à charmer des auditeurs peu éclairés, mais de bonne foi ; la bibliothèque du Roi possède de lui deux copies d’une histoire de Pilate et deux sermons (manuscrit arabe, no 143), dont le savant Silvestre de Sacy, dans une lettre adressée à André Birch, et que celui-ci a publiée (Copenhague, 1815), a donné une analyse curieuse ; on ne sera pas fâché de la retrouver ici.

Le premier de ces deux discours a pour objet de célébrer le jour où J. C. enfant accompagné de la sainte Vierge, de Joseph et de Salomé, au moment de sa fuite en Égypte, s’arrêta au lieu nommé, aujourd’hui le monastère de Baisous, situé à l’est de Banhésa. Le jour est le 25 du mois de Paschous. Suivant cette légende, l’enfant Jésus fit en ce lieu un grand nombre de miracles ; entre autres choses, il planta en terre les trois bâtons d’un berger et de ses deux fils, et sur-le-champ, ces bâtons devinrent trois arbres couverts de fleurs et de fruits, qui existaient encore du temps de Cyriaque. Cyriaque prétend avoir appris toutes ces particularités de diverses visions qu’eut un moine nommé Antoine, en conséquence desquelles il fit faire des fouilles en cet endroit ; on y trouva un grand coffre fermé contenant tous les vases sacrés d’une église, avec une inscription, qui apprit que le tout avait été caché au commencement de la persécution de Dioclétien, par le prêtre Thomas, qui desservait cette église, l’ordre lui en ayant été donné dans un songe. Le coffre ouvert, on y trouva les vases sacrés, et un écrit que l’on lut et qui contenait toute l’histoire de l’enfant Jésus, avec ses parents en ce lieu, le 25 du mois de Paschous, et le récit de tous les miracles, par lesquels il y avait manifesté sa divinité. Cette relation était écrite de la main de Joseph, époux de la sainte Vierge. Elle est fort longue. Après l’avoir lue, Cyriaque fit bâtir, en ce lieu, une église, dont la construction fut encore accompagnée de visions, et la desserte confiée au moine Antoine. Cyriaque raconte, en finissant, comment un homme qui avait souillé cette église et y avait commis des dégâts fut tué à peu de distance de là par un monstre envoyé de Dieu. – Le second discours de Cyriaque a pour objet l’arrivée et le séjour de l’enfant Jésus et de ses parents en un lieu de la province de Cous, lieu nommé aujourd’hui le couvent brûlé. Le discours est fait pour être lu le 7 de Barmandi, jour anniversaire de l’arrivée de la sainte famille en ce lieu. Le tissu de cette légende est tout-à-fait semblable à celui de la précédente.

 

Transcrivons aussi un passage des voyages de Thévenot (liv. II, ch. 75), où il est question des récits conservés parmi les chrétiens qui habitent sur les bords du Nil.

« Les Coptes ont plusieurs histoires fabuleuses tirées des livres apocryphes qu’ils ont encore parmi eux. Nous n’avons rien d’écrit de la vie de Notre-Seigneur, durant son bas-âge, mais eux, ils ont bien des particularités, car ils disent que tous les jours il descendait un ange du ciel, qui lui apportait à manger, et qu’il passait le temps à faire avec de la terre de petits oiseaux, puis il soufflait dessus, et les jetait après en l’air, et ils s’envolaient. Ils disent qu’au jour de la cène on servit à Notre-Seigneur un coq rôti, et qu’alors Judas étant sorti pour aller faire le marché de Notre-Seigneur, il commanda au coq rôti de se lever et de suivre Judas ; ce que fit le coq, qui rapporta ensuite à Notre-Seigneur que Judas l’avait vendu, et que pour cela ce coq entrera en paradis. »

Vansleb, qui parcourut l’Égypte au dix-septième siècle, rapporte diverses légendes analogues à celle-ci ; on montre encore, observe-t-il, un olivier que l’on dit être venu d’un bâton que Jésus avait enfoui en terre ; l’on parle d’une fontaine qu’il fit paraître tout d’un coup pour étancher la soif dont souffrait Marie, et tous les malades qui burent de cette eau miraculeuse furent guéris.

Nous montrerons, dans les notes dont nous accompagnerons l’Évangile de l’Enfance, combien les Musulmans y ont ajouté de traditions empreintes de l’imagination orientale ; les écrits des docteurs juifs ont également reproduit quelques-uns des récits de notre légende ; c’est ainsi que le Toldos Jeschu, l’un des ouvrages que les rabbins ont essayé de diriger contre le christianisme 23, mentionne les oiseaux que Jésus formait avec de la boue et qu’il animait de son souffle ; le même ouvrage donne le nom d’Elchanon comme celui du maître qui instruisit le fils de Marie ; d’après un passage un peu obscur, il est vrai, de la Gemare de Babylone 24, il se serait appelé Josué fils de Pérachia.

Parmi les traductions de l’Évangile de l’Enfance en diverses langues, nous ne pouvons omettre celle qui, vers le treizième siècle, eut lieu dans l’idiome du midi de la France ; M. Raynouard en a publié des extraits à la fin du premier volume de son Lexique roman ; nous pensons qu’il ne sera pas pans intérêt de rencontrer ici un de ces extraits d’une composition qui mériterait d’être publiée en entier :

 

El nom de Dieu vuelh comensar,

Que m lays dire et acabar,

Que sia ad honor et a lauzor

De Jhesum Crist Nostre Senhor,

E que vos plassa del auzir

So que ieu vos vuelh contar e dir

Del filh de Dieu cant era enfans,

E non avia que. V. ans.

El fon gentils et amoros,

Bel e cortes e gracios,

E fon humils e fon plazens

E agradans a totas gens...

Fotz sels que l’enfan regardavan,

Paucs e grans, s’en enamoravan.....

Filhs de Jozept, veus bel effan !

Totz l’aneron fort regardan.

Tant gran bontat l’enfan avia

Que a cascun gran gaug fasia.

    Senhors, aras vos vuelh contar

L’enfant Jhesus que anet far…..

Am los Juzieus s’asolassava…..

Ar auzires que anet faire,

L’enfant Jhesuz, franc, de bon aire.

Un bon mati secretamen.....

De Nostra Dona se panet,

À l’escola maior anet,

Ont ac doctors e clerx honratz,

Nobles et rics et apederatz,

Et ancian en teuletgia,

En logica, en gromancia

Et en ganrn d’autra sciencia.

L’enfant Jhesus, senes temensa,

Denamt los maistres s’en venc.....

A els se près a desputar.

L’éffans lur moc grans questios.....

Totz se van fort meravilhar...

Neguns respondre no sabia,

Et ero maistre en theuletgia !

Demantenen lotz s’en aneron,

De gran vergonha qu’els agueron ;

Cant viro que aquel enfant

Era tan jove, e sabia tant.....

Apres aisso pueis s’endevene

L’effan Jhesus demantenent

S’en anet en la tencharia,

So fon entre tercia e mieg dia.

L'effan Jhesus secretamen.....

S’en intret en. I. obrador,

Tot lo plus ric e’1 plus melhor,

Que ac gran re de nobles draps

Que non eron apparellhatz...

E’l maistre de la tencharia

Anet dir a sa companhia :

« Joves homes, hueymais es temps

» Que no’n anem tratotz essems

» Espertamen cascu dinar ;

» Tan tost pessem del retornar,

» Car nos avem gran re a faire

» Per qu’ieu vos prec, non entes gaire.

Totz respondero : « Fag sera ;

« Cant serem disnatz, cascu venra. »

Trastug essem s’en van anar

Vas lur hostal cascu dinnar...

E, cant s’en foron totz anatz,

L’effan Jhesus, qu’era remas,

Per l’obrador el s’en anet,

E totz los draps qu’el atrobet

Que devian esser blans e vertz,

Gruexs, ferries o persetz vermelhs,

E trop ganre mais d’autres draps,

Brunetas et escarlatas,

L’effant Jhesus totz los mesclet,

Dedins lo perol los getet...

En l'obrador anet trobar

Grana e roga e brezilh,

Indi et alun atressi,

Pastel et fustet issamen ;

E l’effan Jhesus mantenen

Totas las tencbas a mescladas

Sus los draps el pairol getadas...

Aissi com del obrador issia

Un d’aquels de la tencheria

Que era vengutz de dinnar,

A la porta vay encontrar...

E tan tost lo maistre venc

E totz sos escolas issamen.....

Dis lo maistre ; « Que son fatz

    » Los draps c’avian aissi laissatz ?

Lo massip tencheire vai dir

« A la porta vau encontrar

» Aquel effan, sel de Maria,

» Que d’aquest obrado issia

» Et ieu tan tost vau li sonar.....

» Digas, effan, d’on venes vos ?

» Et anc el no m sonet mot… »

Respon lo maistre tencheire :

    « Per cert, aisso no l’on a creire...

E parlet i. dels escolas :

« Maistre, vos sia certas,

» Aquel effan, vos dic per sert,

» Que fai tot jorn d’aitals esquerns… »

Tota la tencheria serqueron,

Los draps e las tenchas troberon ;

Tot son cremat dins lo pairol...

Els massip tencheires van dir…

    » Per cert, crezem que may valria

    « Que a Jozep nos anessem… »

Davant Jozep s’en van venir…

Jozep al tencheire va dir...

« Ieu vuelh que nos autres anem

» A la tencharia, e veirem

» Aquelas tenchas e los draps.

» Que nostre effant vos a crematz. »

A la tencharia van venir...

Los draps giteron del pairol,

Et meton los en mieg del sol…

E’l tencheire va regardar

Et estet fort miravilhos,

Que vic los draps d’aitals colors

Que re del mon no y sofranhia...

 

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Au nom du Père, et du Fils, et de l’Esprit-Saint, Dieu unique.

Avec le secours et l’assistance du Dieu tout-puissant, nous commençons à écrire le livre des miracles de notre Sauveur, maître et Seigneur Jésus-Christ, lequel s’appelle l’Évangile de l’Enfance, dans la paix du Sauveur. Ainsi soit-il.

 

CHAPITRE Ier.

 

Nous trouvons dans le livre du grand-prêtre Joseph qui vécut du temps de Jésus-Christ (et quelques-uns disent que son nom était Caïphe) que Jésus parla lorsqu’il était au berceau et qu’il dit à sa mère Marie : Moi que tu as enfanté, je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, ainsi que te l’a annoncé l’ange Gabriel, et mon père m’a envoyé pour le salut du monde.

 

CHAPITRE II.

 

L’an trois cent soixante-neuf de l’ère d’Alexandre, Auguste ordonna que chacun se fît enregistrer dans sa ville natale. Joseph se leva donc et, conduisant Marie son épouse, il vint à Jérusalem, et il se rendit à Bethléem pour se faire inscrire avec sa famille dans l’endroit où il était né ; lorsqu’ils furent arrivés tout proche d’une caverne, Marie dit à Joseph que le moment de sa délivrance était venu et qu’elle ne pouvait aller jusqu’à la ville, « mais, » dit-elle, « entrons dans cette caverne ». Le soleil était au moment de se coucher. Joseph se hâta d’aller chercher une femme qui assistât Marie dans l’enfantement, et il rencontra une vieille Israélite qui venait de Jérusalem et, la saluant, il lui dit : « Entre dans cette caverne où tu trouveras une femme au moment d’accoucher 25. »

 

CHAPITRE III.

 

Et après le coucher du soleil, Joseph arriva avec la vieille devant la caverne et ils entrèrent. Et voici que la caverne était toute resplendissante d’une clarté qui surpassait celle d’une infinité de flambeaux et qui brillait plus que le soleil à midi. L’enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche tétait le sein de sa mère Marie. Tous deux restèrent frappés de surprise à l’aspect de cette clarté, et la vieille demanda à Marie : « Est-ce que tu es la mère de cet enfant ? » Et Marie ayant répondu affirmativement, la vieille lui dit : « Tu n’es pas semblable aux filles d’Ève », et Marie repartit : « De même qu’il n’y a parmi les enfants aucun qui soit semblable à mon fils, de même sa mère est sans pareille parmi toutes les femmes. » La vieille dit alors : « Madame et maîtresse, je suis venue pour acquérir une récompense qui dure à jamais », et Marie lui répondit : « Pose tes mains sur l’enfant. » Lorsque la vieille l’eut fait, elle fut purifiée, et quand elle fut sortie, elle disait : « Dès ce moment, je serai la servante de cet enfant, et je serai vouée à son service durant tous les jours de ma vie. »

 

CHAPITRE IV.

 

Ensuite, lorsque les bergers furent arrivés, et qu’ayant allumé le feu, ils se livraient à la joie, les armées célestes leur apparurent, louant et célébrant le Seigneur ; la caverne eut toute ressemblance à un temple auguste, où des rois célestes et terrestres célébraient la gloire et les louanges de Dieu à cause de la nativité du Seigneur-Jésus-Christ. Et cette vieille Israélite, voyant ces miracles éclatants, rendait grâces à Dieu, disant : « Je vous rends grâce, ô Dieu, Dieu d’Israël, parce que mes yeux ont vu la nativité du Sauveur du monde. »

 

CHAPITRE V.

 

Lorsque le temps de la circoncision fui arrivé, c’est-à-dire, le huitième jour, époque à laquelle la loi prescrit que le nouveau-né doit être circoncis, ils le circoncirent dans la caverne, et la vieille Israélite recueillit le prépuce (d’autres disent que ce fut le cordon ombilical qu’elle recueillit) et le mit dans un vase d’albâtre rempli d’huile de vieux nard. Et elle avait un fils qui faisait commerce de parfums, et elle lui donna ce vase, en disant : « Garde-toi de vendre ce vase rempli de parfum de nard, lors même qu’on t’en offrirait trois cents deniers. » C’est ce vase que Marie la pécheresse acheta et qu’elle répandit sur la tête et sur les pieds de Notre Seigneur Jésus-Christ, en les essuyant de ses cheveux. Quand dix jours se furent écoulés, ils portèrent l’enfant à Jérusalem, et à l’expiration de la quarantaine, ils le présentèrent dans le temple au Seigneur, en donnant pour lui les offrandes que prescrit la loi de Moïse où il est dit : « Tout enfant mâle qui sortira du ventre de sa mère sera appelé le saint de Dieu. »

 

CHAPITRE VI.

 

Le vieillard Siméon vit l’enfant Jésus brillant de clarté comme une colonne de lumière, tandis que la Vierge Marie, sa mère, le portait dans ses bras et qu’elle ressentait une extrême joie, et une foule d’anges formaient comme un cercle autour de lui, célébrant ses louanges et l’accompagnant, ainsi que les satellites d’un roi vont à sa suite. Siméon, s’approchant donc avec empressement de Marie et étendant ses mains vers elle, disait au Seigneur Jésus : « Maintenant, Seigneur, votre serviteur peut se retirer en paix suivant votre parole, car mes yeux ont vu votre miséricorde et ce que vous avez préparé pour le salut de toutes les nations, pour la lumière de tous les peuples et la gloire de votre peuple d’Israël. » La prophétesse Anne était aussi présente, et elle rendait grâces à Dieu, et elle vantait le bonheur de Marie.

 

CHAPITRE VII.

 

Et voici ce qu’il arriva, tandis que le Seigneur Jésus était né à Bethléem, ville de Judée, au temps du roi Hérode : des mages vinrent des pays de l’Orient, à Jérusalem, ainsi que l’avait prédit Zoradascht 26, et ils apportaient avec eux des présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe, et ils adorèrent l’enfant, et ils lui firent hommage de leurs présents. Alors Marie prit un des linges dans lesquels l’enfant était enveloppé et le donna aux mages, qui le reçurent comme un don d’une inestimable valeur. Et à cette même heure, il leur apparut un ange sous la forme d’une étoile qui leur avait déjà servi de guide 27, et ils s’en allèrent en suivant sa clarté jusqu’à ce qu’ils fussent de retour dans leur patrie.

 

CHAPITRE VIII.

 

Les rois et les princes s’empressèrent de se réunir autour des mages, leur demandant ce qu’ils avaient vu et ce qu’ils avaient fait, comment ils étaient allés et comment ils étaient revenus et quels compagnons de route ils avaient eus. Les mages leur montrèrent le linge que Marie leur avait donné ; c’est pourquoi ils célébrèrent une fête, ils allumèrent du feu suivant leur usage, et ils l’adorèrent, et ils jetèrent ce linge dans les flammes, et les flammes l’enveloppèrent Le feu étant éteint, ils en retirèrent le linge tout entier et les flammes n’avaient laissé sur lui aucune trace. Ils se mirent alors à le baiser et à le poser sur leurs têtes et sur leurs yeux, disant : « Voici sûrement la vérité ! quel est donc le prix de cet objet que le feu n’a pu ni consumer, ni endommager ? » Et le prenant, ils le déposèrent avec grande vénération dans leurs trésors.

 

CHAPITRE IX.

 

Hérode, voyant que les mages ne retournaient pas vers lui, réunit les prêtres et les docteurs, et il leur dit : « Enseignez-moi où doit naître le Christ. » Et lorsqu’ils lui eurent répondu que c’était à Bethléem, ville de Judée, Hérode commença à méditer en son esprit le meurtre du Seigneur Jésus. Alors un ange apparut à Joseph dans son sommeil, et il lui dit : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et réfugie-toi en Égypte. » Et au chant du coq, Joseph se leva et il partit.

 

CHAPITRE X.

 

Et tandis qu’il songeait quel chemin il devait suivre, le jour survint et la fatigue du voyage avait brisé la courroie de la selle. Il approchait d’une grande ville où il y avait une idole à laquelle les autres idoles et déités de l’Égypte offraient des hommages et des présents, et il y avait un prêtre attaché au service de cette idole, et toutes les fois que Satan parlait par la bouche de l’idole, le prêtre rapportait ce qu’il disait aux habitants de l’Égypte et de ses rivages. Ce prêtre avait un enfant de trois ans qui était possédé d’une grande multitude de démons ; il prophétisait et annonçait beaucoup de choses, et lorsque les démons s’emparaient de lui, il déchirait ses vêtements, et il courait nu dans la ville, jetant des pierres aux hommes. L’hôtellerie de cette ville était dans le voisinage de cette idole ; lorsque Joseph et Marie furent arrivés et qu’ils furent descendus à cette hôtellerie, les habitants furent saisis de consternation, et tous les princes et les prêtres des idoles se réunirent autour de cette idole lui demandant : « D’où vient cette consternation et quelle est la cause de cette terreur qui a envahi notre pays ? » Et l’idole répondit : « Cette épouvante a été apportée par un Dieu ignoré qui est le Dieu véritable, et nul autre que lui n’est digne des honneurs divins, car il est véritablement le Fils de Dieu. À sa venue, cette contrée a tremblé ; elle s’est émue et épouvantée, et nous éprouvons une grande crainte à cause de sa puissance. » Et en ce moment cette idole tomba et se brisa ainsi que les autres idoles qui étaient dans le pays, et leur chute fit accourir tous les habitants de l’Égypte 28.

 

CHAPITRE XI.

 

Mais le fils du prêtre, lorsqu’il fut attaqué du mal auquel il était sujet, entra dans l’hôtellerie et il insultait Joseph et Marie, et tous les autres s’étaient enfuis, et comme Marie lavait les linges du Seigneur-Jésus, et qu’elle les suspendait sur une latte, ce jeune possédé prit un de ces linges et le posa sur sa tête, et aussitôt les démons prirent la fuite, en sortant par sa bouche, et on vit s’éloigner des figures de corbeaux et de serpents. L’enfant fut immédiatement guéri par le pouvoir de Jésus-Christ, et il se mit à chanter les louanges du Seigneur qui l’avait délivré et à lui rendre grâces. Et quand son père vit qu’il avait recouvré la santé, il s’étonna et il dit : « Mon fils, que t’est-il donc arrivé, et comment as-tu été guéri ? » Et le fils répondit : « Lorsque les démons me tourmentaient, je suis entré dans l’hôtellerie, et j’y ai trouvé une femme d’une grande beauté qui était avec un enfant, et elle suspendait sur une latte des linges qu’elle venait de laver ; j’en pris un et je le posai sur ma tête, et les démons s’enfuirent aussitôt et m’abandonnèrent. » Le père fut rempli de joie et s’écria : « Mon fils, il se peut que cet enfant soit le fils du Dieu vivant qui a créé les cieux et la terre, et aussitôt qu’il a passé près de nous, l’idole s’est brisée, et les simulacres de tous nos dieux sont tombés, et une force supérieure à la leur les a détruits. »

 

CHAPITRE XII.

 

Ainsi s’accomplit la prophétie qui dit : « J’ai appelé mon fils de l’Égypte. » Lorsque Joseph et Marie apprirent que cette idole s’était renversée et qu’elle avait péri, ils furent saisis de crainte et de tremblement, et ils se disaient : « Lorsque nous étions dans la terre d’Israël, Hérode voulut faire périr Jésus, et, dans ce but, il ordonna le massacre de tous les enfants de Bethléem et des environs, et il n’y a pas de doute que les Égyptiens ne nous brûlent tout vifs, s’ils apprennent que cette idole est tombée. »

 

CHAPITRE XIII.

 

Ils partirent donc, et ils arrivèrent près de la cachette de voleurs qui dépouillaient de leurs vêtements et de leurs effets les voyageurs qui passaient près d’eux et qui les amenaient garrottés. Ces voleurs entendirent un grand bruit pareil à celui du cortège d’un roi qui sort de sa capitale au son des instruments de musique, escorté d’une grande armée et d’une nombreuse cavalerie ; ils laissèrent tout leur butin et s’empressèrent de fuir. Les captifs, se levant alors, brisèrent les liens l’un de l’autre, et ayant repris leurs effets, ils se retiraient lorsque, voyant Joseph et Marie qui s’approchaient, ils leur demandèrent : « Où est ce roi dont le cortège a, par son bruit, épouvanté les voleurs au point qu’il se sont enfuis et que nous avons été délivrés ? » Et Joseph répondit : « Il vient après nous. »

 

CHAPITRE XIV.

 

Ils vinrent ensuite à une autre ville où il y avait une femme démoniaque, et tandis qu’elle était allée une fois puiser de l’eau durant la nuit, l’esprit rebelle et impur s’emparait d’elle. Elle ne pouvait ni supporter aucun vêtement, ni habiter une maison, et toutes les fois qu’on l’attachait avec des liens ou avec des chaînes, elle les brisait et s’enfuyait nue dans les lieux déserts, elle se tenait sur les routes et près des sépultures, et elle poursuivait à coups de pierre ceux qu’elle trouvait, de sorte qu’elle était pour ses parents un grand sujet de deuil. Marie l’ayant vue, fut touchée de compassion, et aussitôt Satan abandonna cette femme, et il s’enfuit sous la forme d’un jeune homme, en disant : « Malheur à moi, à cause de toi, Marie, et à cause de ton fils ! » Lorsque cette femme fut délivrée de ce qui causait ses tourments, elle regarda autour d’elle, et, rougissant de sa nudité, elle alla vers ses proches, fuyant l’aspect des hommes, et s’étant revêtue de ses habits, elle exposa à son père et à ses parents ce qui lui était arrivé, et ils étaient du nombre des habitants les plus distingués de la ville, et ils hébergèrent chez eux Joseph et Marie, leur témoignant un grand respect.

 

CHAPITRE XV.

 

Le lendemain, Joseph et Marie se mirent en route, et le soir ils arrivèrent à une autre ville où se célébrait une noce, mais, par suite des embûches de l’esprit malin et des enchantements de quelques magiciens, l’épouse avait perdu l’usage de la parole, de sorte qu’elle ne pouvait plus ouvrir la bouche. Lorsque Marie entra dans la ville portant dans ses bras son fils, le Seigneur Jésus, la muette l’aperçut et aussitôt elle étendit ses mains vers Jésus, elle le prit dans ses bras et le serra contre son sein en lui donnant beaucoup de baisers. Aussitôt le lien qui retenait sa langue se brisa et ses oreilles s’ouvrirent et elle commença à glorifier et à remercier Dieu qui l’avait guérie. Et il y eut cette nuit une grande joie parmi les habitants de cette ville, car ils pensaient que Dieu et ses anges étaient descendus parmi eux.

 

CHAPITRE XVI.

 

Joseph et Marie passèrent trois jours en cet endroit où ils furent tenus en grande vénération et traités nec splendeur. Étant munis de provisions pour leur voyage, ils partirent ensuite et ils vinrent dans une autre ville, et comme elle était florissante et ses habitants en grande célébrité, ils désiraient y passer la nuit. Il y avait dans cette ville une femme noble et comme elle était descendue au fleuve pour s’y laver, voici que l’esprit maudit sous la forme d’un serpent s’était jeté sur elle et il s’était enlacé autour de son ventre, et chaque nuit, il s’étendait sur elle. Lorsque cette femme eut vu Marie et le Seigneur Jésus qu’elle portait contre son sein, elle pria Marie de lui permettre de porter et d’embrasser cet enfant. Marie y consentit, et aussitôt que cette femme eut touché l’enfant, Satan l’abandonna et s’enfuit, et depuis cette femme ne le revit plus. Tous les voisins louèrent le Seigneur et cette femme les récompensa avec une grande générosité.

 

CHAPITRE XVII.

 

Le lendemain, cette même femme prit une eau parfumée pour laver l’enfant Jésus, et, quand elle l’eut lavé, elle garda cette eau. Et il y avait là une jeune fille dont le corps était couvert d’une lèpre blanche et elle se lava de cette eau ; elle fut immédiatement guérie. Le peuple disait donc : « Il n’y a pas doute que Joseph et Marie et cet enfant ne soient des dieux, et ils ne paraissent pas de simples mortels. » Lorsqu’ils se préparèrent à partir, cette fille qui avait été guérie de la lèpre s’approcha d’eux et les pria de lui permettre de les accompagner.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Ils y consentirent et elle alla avec eux, et ils arrivèrent à une ville où il y avait le château d’un prince puissant, et ce palais était proche de l’hôtellerie. Ils s’y rendirent, et la jeune fille, s’étant ensuite approchée de l’épouse du prince, la trouva triste et versant des larmes, et elle lui demanda la cause de sa douleur. Et celle-ci lui répondit : « Ne t’étonne pas de me voir livrée à l’affliction ; je suis en proie à une grande calamité que je n’ose raconter à aucun homme. » La jeune fille lui repartit : « Si tu me dis quel est ton mal, tu en trouveras peut-être le remède auprès de moi. » La femme du prince lui dit : « Tu ne révéleras ce secret à personne. J’ai épousé un prince dont la domination, pareille à celle d’un roi, s’étend sur de vastes états, et, après avoir longtemps vécu avec lui, il n’a en de moi nulle postérité. Enfin j’ai conçu, mais j’ai mis au monde un enfant lépreux ; l’ayant vu, il ne l’a pas reconnu comme étant à lui, et il m’a dit : « Fais mourir cet enfant ou donne-le à une nourrice qui l’élève dans un endroit si éloigné que jamais l’on n’en entende parler. Et, reprends ce qui est à toi, car je ne te reverrai jamais. » C’est pourquoi je me livre à la douleur en déplorant la calamité qui m’a frappée et je pleure sur mon mari et sur mon enfant. » La jeune fille lui répondit : « Ne t’ai-je pas dit que j’ai trouvé pour toi un remède que je te promets ? Moi aussi j’ai été atteinte de la lèpre, mais j’ai été guérie par une faveur de Dieu, qui est Jésus le fils de Marie. » La femme lui demandant alors où était ce Dieu dont elle parlait, la jeune fille répondit : « Il est dans cette même maison où nous sommes. » – « Et comment cela peut-il se faire, où est-il ? » repartit la princesse. – La jeune fille répliqua : « Voici Joseph et Marie, l’enfant qui est avec eux est Jésus, et c’est lui qui m’a guérie de mes souffrances. » – « Et comment » dit la femme, « est-ce qu’il t’a guérie ? Est-ce que tu ne me le diras pas ? » – La jeune fille répondit : « J’ai reçu de sa mère de l’eau dans laquelle il avait été lavé, et je l’ai versée sur mon corps et ma lèpre a disparu. » La femme du prince se leva alors et elle reçut chez elle Joseph et Marie, et elle prépara à Joseph un festin splendide dans une grande réunion. Le lendemain, elle prit de l’eau parfumée afin de laver le Seigneur Jésus, et elle lava avec cette même eau son fils qu’elle avait apporté avec elle, et aussitôt son fils fut guéri de sa lèpre. Et elle chantait les louanges de Dieu, en lui rendant grâces et en disant : « Heureuse la mère qui t’a engendré, ô Jésus ! L’eau dont ton corps a été arrosé guérit les hommes qui ont part à la même nature que toi. » Elle offrit de riches présents à Marie et elle la renvoya en la traitant avec grand honneur.

 

CHAPITRE XIX.

 

Ils vinrent ensuite à une autre ville où ils voulaient passer la nuit. Ils allèrent chez un homme qui était marié depuis peu, mais qui, atteint d’un maléfice, ne pouvait jouir de sa femme 29, et quand ils eurent passé la nuit près de lui, son empêchement fut rompu. Lorsque le jour se leva, ils se ceignaient pour se remettre en route, mais l’époux les en empêcha et leur prépara un grand banquet.

 

CHAPITRE XX.

 

Le lendemain, ils partirent et comme ils approchaient d’une autre ville, ils virent trois femmes qui quittaient un tombeau en versant beaucoup de pleurs. Marie, les ayant aperçues, dit à la jeune fille qui les accompagnait : « Demande-leur qui elles sont et quel est le malheur qui leur est arrivé. » Elles ne firent point de réponse à la question que la jeune fille leur fit, mais elles se mirent à l’interroger de leur côté, disant : « Qui êtes-vous, et où allez-vous ? car déjà le jour est tombé et la nuit s’avance. » La jeune fille répondit : « Nous sommes des voyageurs et nous cherchons une hôtellerie afin d’y passer la nuit. » Elles repartirent : « Accompagnez-nous et passez la nuit chez nous. » Ils suivirent donc ces femmes, et ils furent introduits dans une maison nouvelle, ornée et garnie de différents meubles. Or, c’était dans la saison de l’hiver, et la jeune fille, étant entrée dans la chambre de ces femmes, les trouva encore qui pleuraient et qui se lamentaient. À côté d’elles était un mulet, couvert d’une housse de soie, devant lequel était placé du fourrage, et elles lui donnaient à manger et elles l’embrassaient. La jeune fille dit alors : « Ô ma maîtresse, que ce mulet est beau », et elles répondirent en pleurant : « Ce mulet que tu vois est notre frère, il est né de la même mère que nous. Notre père nous laissa à sa mort de grandes richesses et nous n’avions que ce seul frère, et nous cherchions à lui procurer un mariage convenable. Mais des femmes enflammées de l’esprit de la jalousie ont jeté sur lui, à notre insu, des enchantements, et une certaine nuit, un peu avant le point du jour, les portes de notre maison étant fermées, nous avons vu que notre frère avait été changé en mulet et qu’il était tel que tu le vois à présent. Nous nous sommes livrés à la tristesse, car nous n’avions plus notre père pour nous consoler ; nous n’avons oublié aucun sage au monde, aucun magicien, ou enchanteur, nous avons eu recours à tous, mais nous n’en avons retiré nul profit. C’est pourquoi, toutes les fois que nos cœurs sont gonflés de tristesse, nous nous levons et nous allons avec notre mère que voici au tombeau de notre père, et, après avoir pleuré, nous revenons. »

 

CHAPITRE XXI.

 

Lorsque la jeune fille eut entendu ces choses, elle dit : « Prenez courage et cessez de pleurer, car le remède de vos maux est proche, il est même avec vous et au milieu de votre demeure ; j’ai été lépreuse, mais après que j’eus vu cette femme et ce petit enfant qui est avec elle et qui se nomme Jésus, et après avoir versé sur mon corps l’eau avec laquelle sa mère l’avait lavé, j’ai été purifiée. Je sais aussi qu’il peut mettre un terme à vos malheurs ; levez-vous, approchez-vous de Marie et, après l’avoir conduite chez vous, révélez-lui le secret dont vous m’avez fait part, en la suppliant d’avoir compassion de vous. » Lorsque ces femmes eurent entendu ces paroles de la jeune fille, elles s’empressèrent d’aller auprès de Marie et elles l’emmenèrent chez elles et elles lui dirent en pleurant : Ô Marie, notre maîtresse, prends pitié de tes servantes, car notre famille est dépourvue de son chef et nous n’avons pas un père ou un frère qui entre ou qui sorte devant nous. Ce mulet que tu vois est notre frère, et des femmes l’ont, par leurs sortilèges, réduit à cet état. Nous te prions donc d’avoir pitié de nous. » Alors Marie, touchée de compassion, souleva l’enfant Jésus et le plaça sur le dos du mulet, et elle pleurait, ainsi que les femmes, et elle dit : « Hélas ! mon fils, guéris ce mulet par un effet de ta grande puissance et fais que cet homme recouvre la raison dont il a été privé. » À peine ces mots étaient-ils sortis de la bouche de Marie que le mulet reprit aussitôt la forme humaine et se montra sous les traits d’un beau jeune homme, et il ne lui restait nulle difformité. Et lui, et sa mère et ses sœurs adorèrent Marie et, élevant l’enfant au-dessus de leurs têtes, ils l’embrassaient en disant : « Heureuse ta mère, ô Jésus, Sauveur du monde ! Heureux les yeux qui jouissent de la félicité de ton aspect ! »

 

CHAPITRE XXII.

 

Les deux sœurs dirent à leur mère : « Notre frère a repris sa première forme, grâce à l’intervention du Seigneur Jésus et aux bons avis de cette jeune fille qui nous a conseillé de recourir à Marie et à son fils. Et maintenant, puisque notre frère n’est pas marié, nous pensons qu’il est convenable qu’il épouse cette jeune fille. » Lorsqu’elles eurent fait cette demande à Marie et qu’elle y eut consenti, elles firent pour cette noce des préparatifs splendides et la douleur fut changée en joie et les pleurs firent place aux rires, et elles ne firent que se réjouir et chanter dans l’excès de leur contentement, ornées de vêtements magnifiques et de joyaux. En même temps elles célébraient les louanges de Dieu, disant : « Ô Jésus, fils de Dieu qui a changé notre affliction en allégresse et nos lamentations en cris de joie ! » Joseph et Marie demeurèrent dix jours en cet endroit ; ensuite ils partirent comblés des témoignages de vénération de toute cette famille, qui, après leur avoir dit adieu, s’en retourna en pleurant, et la jeune fille surtout répandit des larmes.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Ils arrivèrent ensuite près d’un désert et comme ils apprirent qu’il était infesté de voleurs, ils se préparaient à le traverser pendant la nuit. Et voici que, tout d’un coup, ils aperçurent deux voleurs qui étaient endormis, et près d’eux ils virent une foule d’autres voleurs qui étaient les camarades de ces gens et qui étaient aussi plongés dans le sommeil. Ces deux voleurs se nommaient Titus et Dumachus 30, et le premier dit à l’autre : « Je te prie de laisser ces voyageurs aller en paix, de peur que nos compagnons ne les aperçoivent. » Dumachus s’y refusant, Titus lui dit : « Reçois de moi quarante drachmes et prends ma ceinture pour gage. » Et il la lui présentait en même temps, le priant de ne pas appeler et de ne pas donner l’alarme. Marie, voyant ce voleur si bien disposé à leur rendre service, lui dit : « Que Dieu te soutienne de sa main droite et qu’il t’accorde la rémission de tes péchés. » Et le Seigneur Jésus dit à Marie : « Dans trente ans, ô ma mère, les Juifs me crucifieront à Jérusalem, et ces deux voleurs seront mis en croix à mes côtés, Titus à ma droite et Dumachus à ma gauche et, ce jour-là, Titus me précédera dans le Paradis. » Et lorsqu’il eut ainsi parlé, sa mère lui répondit: « Que Dieu détourne de toi semblables choses, ô mon fils », et ils allèrent ensuite vers une ville des idoles, et, comme ils en approchaient, elle fut changée en un tas de sable.

 

CHAPITRE XXIV.

 

Ils vinrent ensuite à un sycomore que l’on appelle aujourd’hui Matarea 31, et le Seigneur Jésus fit paraître à cet endroit une fontaine où Marie lava sa tunique. Et le baume que produit ce pays vient de la sueur qui coula des membres de Jésus 32.

 

CHAPITRE XXV.

 

Ils se rendirent alors à Memphis et, ayant vu Pharaon, ils demeurèrent trois ans en Égypte, et le Seigneur Jésus y fit beaucoup de miracles qui ne sont consignés ni dans l’Évangile de l’Enfance, ni dans l’Évangile complet 33.

 

CHAPITRE XXVI.

 

Au bout de trois ans, ils quittèrent l’Égypte et ils retournèrent en Judée, et lorsqu’ils en furent proches, Joseph redouta d’y entrer, car il apprit qu’Hérode était mort et que son fils Archelaüs lui avait succédé, mais l’ange de Dieu lui apparut et lui dit : « Ô Joseph, va dans la ville de Nazareth et fixes-y ta demeure. »

 

CHAPITRE XXVII.

 

Lorsqu’ils arrivèrent à Bethléem, il s’y était déclaré des maladies graves et difficiles à guérir qui attaquaient les yeux des enfants et beaucoup périssaient. Et une femme qui avait un fils près de mourir le mena à Marie et la trouva qui baignait le Seigneur Jésus. Et cette femme dit : « Ô Marie, vois mon fils qui souffre cruellement. » Marie l’entendant lui dit : « Prends un peu de cette eau avec laquelle j’ai lavé mon fils et répands-la sur le tien. » La femme fit comme le lui recommandait Marie, et son fils, après avoir été fort agité, s’était endormi, et lorsqu’il se réveilla, il se trouva complètement guéri. La femme, pleine de joie, revint trouver Marie qui lui dit : « Rends grâce à Dieu de ce qu’il a guéri ton fils. »

 

CHAPITRE XXVIII.

 

Cette femme avait une voisine dont l’enfant était atteint de la même maladie et ses yeux étaient presque fermés, et il criait piteusement nuit et jour. Et celle dont le fils avait été guéri lui dit : « Pourquoi ne portes-tu pas ton fils à Marie comme je lui ai porté le mien lorsqu’il était au moment de la mort et qu’il a été guéri par cette eau dans laquelle Jésus s’était baigné ? » Et cette seconde femme alla aussi prendre de cette eau, et aussitôt qu’elle en eut répandu sur son fils, son mal cessa. Et elle apporta son fils parfaitement guéri à Marie, qui lui recommanda de rendre grâce à Dieu et de ne raconter à personne ce qui lui était arrivé.

 

CHAPITRE XXIX.

 

Il y avait dans la même ville deux femmes mariées au même homme et chacune avait un fils qui était malade. L’une se nommait Marie et son fils avait nom Kaljufe. Cette femme se leva et elle porta son enfant à Marie, la mère de Jésus, et elle lui offrit une très belle nappe, et elle lui dit : « Ô Marie, reçois de moi cette nappe et, en échange, donne-moi un de tes langes. » Marie y consentit et la mère de Kaljufe fit avec ce lange une tunique dont elle revêtit son fils. Et il se trouva guéri et l’enfant de sa rivale mourut le même jour. Il en résulta de grands dissentiments entre ces deux femmes ; elles s’acquittaient, chacune à son tour, une semaine durant, des travaux du ménage et une fois que le tour de Marie, la mère de Kaljufe, était venu, elle s’occupait de faire chauffer le four pour cuire le pain et, allant chercher la farine, elle sortit laissant son enfant près du four. Sa rivale voyant que l’enfant était resté seul, le prit et le jeta dans le four tout embrasé et elle s’enfuit. Marie revint et elle vit son enfant qui était au milieu du four et il riait, car le four s’était soudainement refroidi, comme si jamais il n’y avait été allumé de feu, et elle se douta que sa rivale l’avait jeté là. Elle l’en retira donc et le porta à la vierge Marie et lui raconta ce qui s’était passé. Et Marie lui dit : « Tais-toi, car je crains pour toi si tu divulgues ces choses. » Ensuite la rivale alla au puits puiser de l’eau et, voyant Kaljufe qui jouait auprès et qu’il n’y avait à l’entour nulle créature humaine, elle prit l’enfant et le jeta dans le puits. Des hommes étant venus pour se procurer de l’eau virent l’enfant qui était assis sans aucun mal, sur la surface de l’eau, et ayant descendu des cordes, ils le retirèrent. Et ils furent remplis d’une telle admiration pour cet entant qu’ils lui rendirent les honneurs comme à un dieu. Et sa mère le porta en pleurant à Marie et lui dit : « Ô ma maîtresse, vois ce que ma rivale a fait à mon fils et comme elle l’a fait tomber dans le puits, et il n’y a pas de doute pour moi qu’elle ne cause un jour sa mort. » Marie lui répondit : « Dieu punira le mal qui t’a été fait. » Peu de jours après, la rivale alla puiser de l’eau et ses pieds s’embarrassèrent dans la corde, de sorte qu’elle tomba dans le puits, et lorsque l’on accourut pour lui porter secours, on trouva qu’elle s’était fracassé la tête. Elle mourut donc d’une manière funeste et la parole du sage s’accomplit en elle : « Ils ont creusé un puits et ils ont jeté la terre en haut, mais ils sont tombés dans la fosse qu’ils avaient préparée. »

 

CHAPITRE XXX.

 

Une autre femme de la même ville avait deux enfants, malades tous deux ; l’un mourut et l’autre était près de trépasser ; sa mère le prit dans ses bras et le porta à Marie en versant un torrent de larmes et elle lui dit : « Ô ma maîtresse, viens à mon secours et assiste-moi ; j’avais deux filles et je viens d’en perdre un, et je vois l’autre au moment de périr. Vois comment j’implore la miséricorde du Seigneur. » Et elle se mit à dire : « Seigneur, vous êtes plein de clémence et de compassion ; vous m’aviez donné deux fils, vous avez rappelé l’un d’eux à vous, du moins laissez-moi l’autre. » Marie, témoin de son excessive douleur, eut pitié d’elle et lui dit : « Place ton enfant dans le lit de mon fils et couvre-le de ses vêtements. » Et quand l’enfant eut été placé dans le lit à côté de Jésus, ses yeux appesantis par la mort se rouvrirent et, appelant sa mère à voix haute, il demanda du pain, et quand on lui en eut donné, il le mangea. Alors sa mère dit : « Ô Marie, je connais que la vertu de Dieu habite en toi, au point que ton fils guérit les enfants aussitôt qu’ils l’ont touché. » Et l’enfant qui fut ainsi guéri est ce même Barthélemy dont il est parlé dans l’Évangile.

 

CHAPITRE XXXI.

 

Il y avait au même endroit une femme lépreuse qui alla trouver Marie mère de Jésus et qui lui dit : « Ô ma maîtresse, assiste-moi. » Et Marie lui répondit : « Quel secours demandes-tu ? est-ce de l’or ou de l’argent, ou veux-tu être guérie de ta lèpre ? » Cette femme repartit : « Qu’est-ce que tu peux faire pour moi ? » Et Marie lui dit : « Attends un peu jusqu’à ce que j’aie lavé mon enfant et que je l’aie mis dans son lit. » La femme attendit et Marie, après l’avoir couché, tendit à la femme un vase plein de l’eau avec laquelle elle avait lavé son enfant et lui dit : « Prends un peu de cette eau et répands-la sur ton corps. » Et aussitôt que la malade l’eut fait, elle se trouva guérie ; et elle rendit grâce à Dieu.

 

CHAPITRE XXXII.

 

Elle s’en alla ensuite, après être restée trois jours auprès de Marie, et elle vint dans une ville où résidait un prince qui avait épousé la fille d’un autre prince, mais lorsqu’il vit sa femme, il aperçut entre ses yeux la marque de la lèpre, ayant la forme d’une étoile, et leur mariage avait été déclaré nul et non-valide. Et cette femme, voyant la princesse qui se livrait au désespoir, lui demanda la cause de ses larmes, et la princesse lai répondit : « Ne t’informe pas de ma situation ; mon malheur est tel que je ne puis le révéler à personne. » La femme insistait pour le savoir, disant qu’elle connaîtrait peut-être quelque remède à y apporter. Elle vit alors les traces de la lèpre qui paraissaient entre les yeux de la princesse. « Moi aussi », dit-elle, « j’ai été atteinte de cette même maladie et je m’étais rendue pour affaires à Bethléem. Là, j’entrai dus une caverne où je vis une femme nommée Marie et elle avait un enfant qui s’appelait Jésus. Me voyant atteinte de la lèpre, elle eut pitié de moi, et elle me donna l’eau dans laquelle elle avait lavé le corps de son fils. Je versai cette eau sur mon corps et je fus aussitôt guérie. » La princesse lui dit alors : « Lève-toi et viens avec moi et fais-moi voir Marie. » Elle s’y rendit apportant de riches présents. Et quand Marie la vit, elle dit : « Que la miséricorde du Seigneur Jésus soit sur toi. » Et elle lui donna un peu de cette eau dans laquelle elle avait lavé son enfant. Aussitôt que la princesse en eut répandu sur elle, elle se trouva guérie et elle rendit grâces au Seigneur, ainsi que tous les assistants. Le prince, apprenant que sa femme avait été guérie, la reçut chez lui et, célébrant de secondes noces, il rendit grâce à Dieu.

 

CHAPITRE XXXIII.

 

Il y avait au même endroit une jeune fille que Satan tourmentait ; l’esprit maudit lui apparaissait sous la forme d’un grand dragon qui voulait la dévorer et il avait sucé tout son sang de sorte qu’elle ressemblait à un cadavre. Et toutes les fois qu’il se jetait sur elle, elle criait, en joignant les mains au-dessus de sa tête, et elle disait : « Malheur, malheur à moi, car il n’y a personne qui puisse me délivrer de cet affreux dragon. » Son père et sa mère et tous ceux qui l’entouraient et qui la voyaient se livraient à l’affliction et répandaient des larmes, surtout lorsqu’elle pleurait et disait : « Ô mes frères et mes amis, n’y a-t-il donc personne qui me délivre de ce meurtrier ? » La fille du prince qui avait été guérie de la lèpre, entendant la voix de cette malheureuse, monta sur le toit de son château et elle la vit, les mains jointes au-dessus de la tête, versant des larmes abondantes, et tous ceux qui l’entouraient pleuraient aussi. Et elle demanda si la mère de cette possédée vivait encore. Et quand on lui eut répondu que son père et sa mère étaient tous deux en vie, elle dit : « Faites venir sa mère auprès de moi. » Et quand elle fut venue, elle lui demanda : « Est-ce ta fille qui est ainsi possédée ? » Et la mère ayant répondu que oui, en versant des larmes, la fille du prince dit : « Ne révèle pas ce que je vais te confier ; j’ai été lépreuse, mais Marie, la mère de Jésus-Christ m’a guérie. Si tu veux que ta fille obtienne sa délivrance, conduis-la à Bethléem et implore avec foi l’assistance de Marie et je crois que tu reviendras pleine de joie ramenant ta fille guérie. » Aussitôt, la mère se leva et elle partit et elle alla trouver Marie, et elle lui exposa l’état dans lequel était sa fille Marie l’ayant écoutée lui donna un peu de l’eau dans laquelle elle avait lavé son fils Jésus et lui dit de la répandre sur le corps de la possédée. Elle lui donna ensuite un morceau des langes de l’enfant Jésus, et elle lui dit : « Prends ceci et montre-le à ton ennemi, toutes les fois que tu le verras », et elle la renvoya ensuite en paix.

 

CHAPITRE XXXIV.

 

Lorsqu’après avoir quitté Marie, elles furent revenues dans leur ville et lorsque vint le temps où Satan avait coutume de la tourmenter, il lui apparut sous la forme d’un grand dragon et, à son aspect, la jeune fille fut saisie d’effroi. Et sa mère lui dit : « Ne crains rien, ma fille, laisse-le s’approcher davantage de toi et montre-lui ce linge que nous a donné Marie, et nous verrons ce qu’il pourra faire. » Et quand le malin esprit qui avait revêtu la forme de ce dragon fut tout proche, la malade, toute tremblante de frayeur, mit sur sa tête et déploya le linge, et il en sortit des flammes qui s’élançaient vers la tête et vers les yeux du dragon, et on entendit crier à haute voix : « Qu’y a-t-il entre toi et moi, ô Jésus, fils de Marie ? Où trouverai-je un asile contre toi ? » Et Satan prit la fuite avec épouvante, abandonnant cette jeune fille, et depuis il ne lui apparut jamais. Et elle se trouva ainsi délivrée, et elle rendit dans sa reconnaissance des actions de grâce à Dieu, ainsi que tous ceux qui avaient été présents à ce miracle.

 

CHAPITRE XXXV.

 

Il y avait dans cette même ville une autre femme dont le fils était tourmenté par Satan. Il se nommait Judas, et toutes les fois que le malin esprit s’emparait de lui, il cherchait à mordre ceux qui étaient près de lui, et, s’il était seul, il mordait ses propres mains et ses membres. La mère de ce malheureux, entendant parler de Marie et de son fils Jésus, se leva, et tenant son fils dans ses bras, elle le porta à Marie. Sur ces entrefaites, Jacques et Joseph avaient conduit dehors l’enfant Jésus pour qu’il jouât avec les autres enfants, et ils s’étaient assis hors de la maison et Jésus avec eux. Judas s’approcha et s’assit à la droite de Jésus, et quand Satan commença à l’agiter comme d’ordinaire, il cherchait à mordre Jésus, et comme il ne pouvait l’atteindre, il lui donnait des coups dans le côté droit, de sorte que Jésus se mit à pleurer. Et, en ce moment, Satan sortit de cet enfant, sous la forme d’un chien enragé. Et cet enfant fut Judas Iscariote, qui trahit Jésus 34, et le côté qu’il avait frappé fut celui que les Juifs percèrent d’un coup de lance.

 

CHAPITRE XXXVI.

 

Lorsque le Seigneur Jésus eut accompli sa septième année, il jouait un jour avec d’autres enfants de son âge et, en s’amusant, ils faisaient avec de la terre détrempée diverses images d’animaux, de loups, d’ânes, d’oiseaux, et chacun, vantant son ouvrage, s’efforçait de l’élever au-dessus de celui de ses camarades. Alors le Seigneur Jésus dit aux enfants : « J’ordonnerai aux figures que j’ai faites de se mettre à marcher. » Et les enfants lui demandant s’il était le fils du Créateur, le Seigneur Jésus ordonnait aux images de marcher et elles avançaient aussitôt. Quand il leur commandait de revenir, elles revenaient. Il avait fait des images d’oiseaux et de passereaux qui volaient lorsqu’il leur enjoignait de voler et qui s’arrêtaient quand il leur disait de s’arrêter, et quand il leur présentait de la boisson et de la nourriture, elles mangeaient et buvaient. Quand les enfants se furent retirés et qu’ils eurent raconté à leurs parents ce qu’ils avaient vu, ceux-ci leur dirent : « Évitez à l’avenir d’être avec lui, car c’est un enchanteur ; fuyez-le donc dorénavant, et ne jouez plus avec lui 35. »

 

CHAPITRE XXXVII.

 

Un certain jour, le Seigneur Jésus, jouant et courant avec les autres enfants, passa devant la boutique d’un teinturier qui se nommait Salem ; il y avait dans cette boutique des étoffes appartenant à grand nombre d’habitants de la ville et que Salem se préparait à teindre de diverses couleurs ; Jésus, étant entré dans cette boutique, prit toutes ces étoffes et les jeta dans la chaudière. Salem, se retournant et voyant les étoffes perdues, se mit à pousser de grands cris et à réprimander Jésus, disant : « Qu’as-tu fait, ô fils de Marie ? Tu as fait tort à moi et à mes concitoyens ; chacun demandait la couleur qui lui convenait, et toi tu es survenu, et tu as tout perdu. » Le Seigneur Jésus répondit : « De quelque pièce d’étoffe que tu veuilles changer la couleur, je la changerai. » Et aussitôt il se mit à retirer les étoffes de la chaudière et chacune était teinte de la couleur que désirait le teinturier 36. Et les Juifs témoins de ce miracle célébrèrent la puissance de Dieu.

 

CHAPITRE XXXVIII.

 

Joseph parcourait toute la ville, menant avec lui le Seigneur Jésus et on l’appelait pour confectionner des portes ou des cribles, ou des coffres, et le Seigneur Jésus était avec lui partout où il allait. Et toutes les fois que l’ouvrage que faisait Joseph devait être plus long ou plus court, plus large ou plus étroit, le Seigneur Jésus étendait la main, et la chose se trouvait aussitôt telle que l’avait désiré Joseph, de sorte qu’il n’avait point besoin de rien achever de sa propre main, car il n’était pas fort habile dans le métier de menuisier.

 

CHAPITRE XXXIX.

 

Un jour, le roi de Jérusalem le fit appeler et lui dit : « Je veux, Joseph, que tu me fasses un trône d’après la dimension de l’endroit où j’ai coutume de m’asseoir. » Joseph obéit, et aussitôt mettant la main à l’œuvre, il passa deux ans dans le palais jusqu’à ce qu’il eût achevé de fabriquer ce trône. Et lorsqu’il fut placé à l’endroit où il devait être, l’on vit que de chaque côté il manquait deux spithames à la mesure fixée 37. Alors le roi se mit en colère contre Joseph, et Joseph, redoutant le courroux du monarque, ne put manger et se coucha à jeun. Alors le Seigneur Jésus lui demandant quel était le motif de sa crainte, il répondit : « C’est que l’ouvrage auquel j’ai travaillé deux ans entiers est gâté. » Et le Seigneur Jésus lui répondit : « Reviens de ta frayeur et ne perds pas courage ; prends ce côté de trône et moi l’autre, pour que nous l’amenions à une mesure exacte. » Et Joseph ayant fait ce que prescrivait le Seigneur Jésus et chacun tirant fortement de son côté, le trône obéit et eut exactement la dimension que l’on désirait. Les assistants, voyant ce miracle, furent frappés de stupeur et bénirent Dieu. Ce trône était fabriqué avec un bois qui existait dès le temps de Salomon, fils de David, et qui était remarquable par ses diverses formes et figures.

 

CHAPITRE XL.

 

Un autre jour, le Seigneur Jésus alla sur la place et, voyant les enfants qui s’étaient réunis pour jouer, il se mêla à eux ; l’ayant aperçu, ils se cachèrent et le Seigneur Jésus alla à la porte d’une maison et demanda à des femmes qui se tenaient debout à l’entrée où ces enfants avaient été. Et comme elles répondirent qu’il n’y en avait aucun dans la maison, le Seigneur Jésus dit : « Qu’est-ce que vous voyez sous cette voûte ? » Elles répondirent que c’étaient des béliers âgés de trois ans et le Seigneur Jésus s’écria : « Sortez, béliers, et venez vers votre pasteur. » Et aussitôt les enfants sortirent, ayant forme de béliers, et ils sautaient autour de lui, et ces femmes ayant vu cela furent saisies d’effroi. Et elles adoraient le Seigneur Jésus, disant : « Ô Jésus ! fils de Marie, notre Seigneur, tu es vraiment le bon Pasteur d’Israël, aie pitié de tes servantes qui sont en ta présence et qui ne doutent pas, Seigneur, que tu ne sois venu pour guérir et non pour perdre. » Ensuite, le Seigneur Jésus ayant répondu que les enfants d’Israël étaient parmi les peuples comme des Éthiopiens, les femmes dirent : « Seigneur, tu connais toutes choses et rien ne t’est caché ; nous te demandons et nous espérons de ta miséricorde que tu voudras bien rendre à ces enfants leur ancienne forme. » Et le Seigneur Jésus dit alors : « Venez, enfants, afin que nous allions jouer. » Et aussitôt, en présence de ces femmes, ces béliers reprirent la figure d’enfants.

 

CHAPITRE XLI.

 

Au mois d’Adar 38, Jésus rassembla les enfants et les fit ranger comme étant leur roi ; ils avaient étendu leurs vêtements par terre pour qu’il s’assît dessus, et ils avaient posé sur sa tête une couronne de fleurs, et comme des satellites qui accompagnent un roi, ils s’étaient rangés à sa droite et à sa gauche. Si quelqu’un passait par là, les enfants l’arrêtaient de force et lui disaient : « Viens et adore le roi, afin que tu obtiennes un heureux voyage. »

 

CHAPITRE XLII.

 

Sur ces entrefaites arrivèrent des hommes qui portaient un enfant sur une litière. Cet enfant avait été sur la montagne avec ses camarades pour chercher du bois, et, ayant trouvé un nid de perdrix, il y mit la main pour en retirer les œufs, et un serpent caché au milieu du nid le mordit, et il appela ses compagnons à son secours. Quand ils arrivèrent, ils le trouvèrent étendu sur la terre et comme mort, et des gens de sa famille vinrent et ils l’emportaient à la ville et quand ils furent arrivés à l’endroit où le Seigneur Jésus trônait comme un roi, les autres enfants l’entouraient comme étant de sa cour, et ces enfants allèrent au-devant de ceux qui portaient le moribond et leur dirent : « Venez et saluez le roi. » Comme ils ne voulaient point approcher à cause du chagrin qu’ils éprouvaient, les enfants les amenaient de force. Et quand ils furent devant le Seigneur Jésus, il leur demanda pourquoi ils portaient cet enfant ; ils répondirent qu’un Serpent l’avait mordu, et le Seigneur Jésus dit aux enfants : « Allons ensemble et tuons ce serpent. » Les parents de l’enfant qui était au moment de trépasser priant les autres enfants de les laisser aller, ceux-ci répondirent : « N’avez-vous pas entendu ce que le roi a dit : Allons et tuons le serpent, et ne devez-vous pas vous conformer à ses ordres ? » Et, malgré leur opposition, ils faisaient rebrousser chemin à la litière. Lorsqu’ils furent arrivés auprès du nid, le Seigneur Jésus dit aux enfants : « N’est-ce pas là que se cache le serpent ? » Et eux ayant répondu qu’oui, le serpent appelé par le Seigneur Jésus sortit aussitôt et se soumit à lui. Et le Seigneur lui dit : « Va et suce tout le poison que tu as répandu dans les veines de cet enfant. » Le serpent, rampant, reprit alors tout le poison qu’il avait répandu, et le Seigneur l’ayant maudit, il creva aussitôt après et il mourut. Et le Seigneur Jésus toucha l’enfant de sa main, et il fut guéri. Et comme il se mettait à pleurer, le Seigneur Jésus lui dit : « Cesse tes pleurs, tu seras mon disciple 39. » Et cet enfant fut Simon le Cananéen dont il est fait mention dans l’Évangile.

 

CHAPITRE XLIII.

 

Un autre jour Joseph avait envoyé son fils Jacques pour ramasser du bois, et le Seigneur Jésus s’était joint à lui comme son compagnon, et quand ils furent arrivés à l’endroit où était le bois et lorsque Jacques se fut mis à en ramasser, voici qu’une vipère le mordit, et il commença à crier et à pleurer. Le Seigneur Jésus, le voyant dans cet état, s’approcha de lui et il souffla sur l’endroit où il avait été mordu, et Jacques fut guéri sur-le-champ 40.

 

CHAPITRE XLIV.

 

Un jour, le Seigneur Jésus était avec des enfanta qui jouaient sur un toit, et l’un de ces enfants vint à se laisser tomber et il expira sur le coup. Les autres enfants s’enfuirent et le Seigneur Jésus demeura seul sur le toit, et les parents du mort étant arrivés, ils dirent au Seigneur Jésus : « C’est toi qui as précipité notre fils du haut du toit. » Et comme il le niait, ils répétèrent encore plus fort : « Notre fils est mort et voici celui qui l’a tué. » Et le Seigneur Jésus répondit : « Ne m’accusez pas d’un crime dont vous ne pouvez apporter aucune preuve ; mais demandons à cet enfant lui-même qu’il mette la vérité au grand jour. » Et le Seigneur Jésus descendit et se plaça près de la tête du mort et dit à haute voix : « Zeinon, Zeinon, qui est-ce qui t’a précipité du haut du toit ? » Et le mort répondit : « Seigneur, ce n’est pas toi qui as été la cause de ma chute, mais c’est quelqu’un qui m’a fait tomber. » Et le Seigneur ayant recommandé aux assistants de faire attention à ces paroles, tous ceux qui étaient présents louèrent Dieu de ce miracle 41.

 

CHAPITRE XLV.

 

Marie avait un jour commandé au Seigneur Jésus d’aller lui chercher de l’eau à un puits. Et lorsqu’il se fut acquitté de cette tâche, la cruche déjà pleine qu’il élevait se brisa. Et le Seigneur Jésus, ayant étendu son manteau, porta à sa mère l’eau qu’il y avait recueillie, et elle fut frappée d’admiration, et elle conservait dans son cœur tout ce qu’elle voyait.

 

CHAPITRE XLVI.

 

Un autre jour, le Seigneur Jésus jouait sur le bord de l’eau avec d’autres enfants, et ils avaient creusé des rigoles pour faire couler l’eau, formant ainsi des petits bassins, et le Seigneur Jésus avait fait avec de la terre douze petits oiseaux et les avait placés autour de son bassin, trois de chaque côté. C’était un jour de sabbat, et le fils d’Hanon, le juif, survenant et les voyant ainsi occupés, leur dit : « Comment pouvez-vous un jour de sabbat faire des figures avec de la boue ? » Et il se mit à détruire leurs bassins. Et le Seigneur Jésus ayant étendu les mains sur les oiseaux qu’il avait faits, ils s’envolèrent en gazouillant. Ensuite, lorsque le fils d’Hanon, le juif, s’approcha du bassin qu’avait creusé Jésus, afin de le détruire, l’eau disparut et le Seigneur Jésus lui dit : « Tu vois comme cette eau est séchée ; il en sera de même de ta vie. » Et aussitôt l’enfant se dessécha.

 

CHAPITRE XLVII.

 

Un autre jour, comme le Seigneur Jésus rentrait le soir au bois avec Joseph, un enfant courant au-devant de lui le choqua avec violence, et le Seigneur Jésus fut presque renversé, et il dit à cet enfant : « Ainsi que tu m’as poussé, tombe et ne te relève pas. » Et à l’instant, l’enfant chut et il expira.

 

CHAPITRE XLVIII.

 

Il y avait à Jérusalem un homme, nommé Zachée, qui instruisait la jeunesse. Et il disait à Joseph : « Pourquoi, Joseph, ne m’envoies-tu pas Jésus afin qu’il apprenne les lettres ? » Joseph voulait se conformer à cet avis, et il en convint avec Marie. Ils menèrent donc l’enfant vers le maître, et, aussitôt que celui-ci l’eut vu, il écrivit un alphabet et lui dit de prononcer Aleph. Et quand il l’eut fait, il lui demanda de dire Beth. Le Seigneur Jésus lui dit : « Dis-moi d’abord quelle est la signification de la lettre Aleph, et alors je prononcerai Beth. » Et le mettre se disposait à le frapper, mais le Seigneur Jésus se mit à lui expliquer la signification des lettres Aleph et Beth, quelles sont les lettres dont la forme est droite, celles dont elle est oblique, quelles sont celles qui sont doublées, celles qui sont accompagnées de points et celles qui en manquent, et pourquoi telle lettre en précède une autre et il dit beaucoup de choses que le maître n’avait jamais entendues et qu’il n’avait lues en aucun livre. Et le Seigneur Jésus dit au maître : « Fais attention à ce que je vais te dire. » Et il se mit à réciter clairement et distinctement Aleph, Beth, Gimel, Daleth, jusqu’à la fin de l’alphabet. Le maître en fut dans l’admiration, et il dit : « Je crois que cet enfant est né avant Noé » ; et, se tournant vers Joseph, il ajouta : « Tu m’as conduit pour que je l’instruise, un enfant qui en sait plus que tous les docteurs. ». Et il dit à Marie : « Ton fils n’a nul besoin de notre enseignement. »

 

CHAPITRE XLIX.

 

Ils le conduisirent ensuite à un maître plus savant, et aussitôt qu’il l’eut aperçu : « Dis Aleph », lui demanda-t-il. Et lorsqu’il eut dit Aleph, le maître lui prescrivit de prononcer Beth. Et le Seigneur Jésus lui répondit : « Dis-moi la signification de la lettre Aleph, et alors je prononcerai Beth. » Le maître irrité leva la main pour le frapper, et aussitôt sa main se dessécha et il mourut. Alors Joseph dit à Marie : « Dorénavant il ne faudra plus laisser l’enfant sortir de la maison, car quiconque s’oppose à lui est frappé de mort. »

 

CHAPITRE L.

 

Lorsqu’il eut atteint l’âge de douze ans, ils le conduisirent à Jérusalem à l’époque de la fête, et la fête étant finie, ils s’en retournèrent, mais le Seigneur Jésus resta dans le temple, parmi les docteurs et les vieillards et les savants des fils d’Israël, qu’il interrogeait sur différents points de la science, et, à son tour, il leur répondait, et il leur demanda : « De qui le Messie est-il fils ? » Et ils répondirent : « Il est le fils de David. » Jésus répondit : « Pourquoi donc David, mû par l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur, lorsqu’il dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : “Assois-toi à ma droite pour que je mette tes ennemis sous tes pieds.” » Alors un des chefs des docteurs l’interrogea, disant : « As-tu lu les livres Saints ? » Le Seigneur Jésus répondit : « J’ai lu les livres et ce qu’ils contiennent », et il leur expliquait l’écriture, la loi, les préceptes, les statuts, les mystères qui sont contenus dans les livres des prophéties, chose que l’intelligence de nulle créature ne peut comprendre. Et ce chef des docteurs dit : « Je n’ai jamais vu ni entendu une pareille instruction ; qui pensez-vous que cet enfant puisse être ? »

 

CHAPITRE LI.

 

Ils se trouva là un philosophe savant dans l’astronomie, et il demanda au Seigneur Jésus s’il avait étudié la science des astres. Et Jésus lui répondant exposait le nombre des sphères et des corps célestes, leur nature et leurs oppositions, leur aspect trine, quadrat et sextile, leur progression et leur mouvement rétrograde, le comput et la pronostication, et autres choses que la raison d’aucun homme n’a scrutées.

 

CHAPITRE LII.

 

Il y avait aussi parmi eux un philosophe très savant en médecine et dans les sciences naturelles, et lorsqu’il demanda au Seigneur Jésus s’il avait étudié la médecine, celui-ci lui exposa la physique, la métaphysique, l’hyperphysique et l’hypophysique, les vertus du corps et les humeurs et leurs effets, le nombre des membres et des os, des urines, des artères et des nerfs, les divers tempéraments, chaud et sec, froid et humide, et quels sont leurs résultats ; quelles sont les opérations de l’âme dans le corps, ses sensations et ses vertus, les facultés de la parole, de la colère, du désir, la congrégation et la dispersion, et d’autres choses que l’intelligence d’aucune créature n’a pu saisir. Alors ce philosophe se leva et il adora le Seigneur Jésus en disant : « Seigneur, désormais je serai ton disciple et ton serviteur. »

 

CHAPITRE LIII.

 

Et tandis qu’ils parlaient ainsi, Marie survint avec Joseph, et depuis trois jours elle cherchait Jésus ; le voyant assis parmi les docteurs, les interrogeant et leur répondant alternativement, elle lui dit : « Mon fils, pourquoi en as-tu ainsi agi à notre égard ? Ton père et moi nous t’avons cherché, nous donnant beaucoup de peine. » Il répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il convenait que je demeurasse dans la maison de mon père ? » Mais ils ne comprenaient pas les paroles qu’il leur adressait. Alors les docteurs demandèrent à Marie s’il était son fils, et, elle ayant répondu que oui, ils s’écrièrent : « Ô heureuse Marie, qui as enfanté un tel enfant ! » Il revint avec eux à Nazareth, et il leur était soumis en toutes choses. Et sa mère conservait toutes ces paroles dans son cœur. Et le Seigneur Jésus profitait en taille, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

 

CHAPITRE LIV.

 

Il commença dès ce jour à cacher ses miracles, ses secrets et ses mystères, jusqu’à ce qu’il eut accompli sa trentième année, lorsque son Père révéla publiquement sa mission aux bords du Jourdain, une voix venue du ciel ayant fait entendre ces mots : « C’est mon fils bien-aimé dans lequel j’ai mis toute ma complaisance », et le Saint-Esprit ayant apparu sous la ferme d’une colombe blanche.

 

CHAPITRE LV.

 

C’est lui que nous adorons humblement, car il nous a donné l’existence et la vie, et il nous a fait sortir des entrailles de nos mères ; il a pris pour nous le corps de l’homme, et il nous a rachetés, nous couvrant de sa miséricorde éternelle, et nous accordant sa grâce par son amour pour nous et par sa bonté. À lui la gloire, puissance, louange et domination dans les siècles éternels. Ainsi soit-il.

Fin de l’Évangile de l’Enfance tout entier, avec l’assistance du Dieu suprême, suivant ce que trouvons.

 

 

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PROTÉVANGILE DE JACQUES-LE-MINEUR

 

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Le nom donné à cette composition lui vient de ce qu’elle rend compte des évènements qui précédèrent immédiatement la prédication de la religion chrétienne. Il est fait mention du Protévangile dans les Pères de l’Église les plus anciens, tels qu’Origène, St-Épiphane, St-Grégoire de Nysse ; dès le second siècle, St-Justin et St-Clément d’Alexandrie avaient parlé des fables qu’il renferme. Il nous est parvenu dans une rédaction grecque, œuvre sans doute de quelque écrivain de l’Orient. Le savant et visionnaire Postel 42, l’ayant rencontrée dans le cours de ses voyages, en donna une traduction latine qui fut imprimée à Bâle en 1552, et qui reparut à Strasbourg en 1570. Cette publication suscita une vive controverse. Henry Estienne (Apologie pour Hérodote, chapitre 33), accusa avec chaleur Postel d’être lui-même l’auteur de l’ouvrage qu’il publiait et de l’avoir composé en dérision de la religion chrestienne. Hérold n’en reproduisit pas moins dans ses Orthodoxographa la version de Postel, et Néander, en 1564, en publia pour la première fois le texte grec, sans faire connaître d’où lui venait le manuscrit dont il faisait usage, mais qui était assurément un autre que celui dont le premier traducteur s’était servi, car l’on remarque des différences notables entre la version de Postel et le texte tel que le donne Néander, et tel que l’ont reproduit Grynaeus et Fabricius. Ce dernier ne crut pas devoir réimprimer les notes de Néander et celles dont Bibliander avait accompagné le travail de Postel ; son texte grec est peu correct et Birch en a trop scrupuleusement transcrit les erreurs. Jones s’attacha au contraire au texte de Grynaeus où se rencontrent des leçons préférables à celles de Fabricius.

Il est singulier que jusqu’à Thilo, aucun éditeur n’ait pris la peine de consulter d’antres manuscrits ; ils ne sont point rares ; la Bibliothèque du roi en renferme huit dont le laborieux professeur de Halle a compulsé toutes les variantes. Celles de deux manuscrits du Vatican étaient déjà connues grâces aux soins de Birch. Les bibliothèques de Vienne et d’Oxford possèdent aussi de nombreux manuscrits de cette légende, mais il ne paraît pas qu’il s’en rencontre un seul antérieur au dixième siècle.

L’expression de Protévangile, c’est-à-dire de premier évangile, paraît avoir été forgée par Postel, elle ne se rencontre dans aucun manuscrit. C’est sous le nom de Jacques l’Hébreu que cette légende est désignée dans quelques anciens écrivains, et ce n’est qu’à une époque d’ignorance qu’on l’attribua à l’apôtre saint Jacques. Plusieurs des faits qu’elle relate sont consignés dans de graves écrivains de l’église grecque, tels qu’André de Crète qui vivait au septième siècle, Germain, patriarche de Constantinople, St-Jean Damascène, Georges, archevêque de Nicomédie, Photius et divers autres prédicateurs dont les homélies sont éparses dans le vaste recueil de Combefis. (Nova auct. Bibl. Patrum, Paris 1672, 2 vol. in-folio.) Plusieurs de ces récits sont même demeurés dans les liturgies de l’église grecque, preuve de leur popularité et de la confiance avec laquelle ils étaient reçus.

Il existe au Vatican, à la bibliothèque du roi à Paris et dans d’autres grands dépôts des traductions arabes, syriaques ou coptes de l’évangile de saint Jacques ; elles n’ont point vu le jour.

Cet écrit présente les mœurs du peuple Juif sous un aspect qui ne manque point de vérité ; les plaintes de sainte Anne au sujet de sa stérilité sont remplies de vivacité et de mouvement ; dans le cantique qu’elle chante en présentant sa fille au temple, il faut reconnaître des lambeaux poétiques, fragments tronqués et perdus dont la forme lyrique et l’entraînement tranchent d’une façon si nette sur le fond du récit.

Dans son état actuel, quelques passages de cette légende ont pu faire soupçonner qu’elle avait été retouchée par un de ces gnostiques qui condamnaient le mariage, qui maintenaient que le corps de Jésus-Christ n’avait été qu’un fantôme, une apparence formée d’une substance éthérée et céleste.

 

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CHAPITRE Ier.

 

On lit dans les histoires des douze tribus d’Israël que Joachim était fort riche et il présentait à Dieu de doubles offrandes, disant en son cœur : « Que mes biens soient à tout le peuple, pour la rémission de mes péchés auprès de Dieu, afin que le Seigneur ait pitié de moi. » La grande fête du Seigneur survint et les fils d’Israël apportaient leurs offrandes 43, et Ruben s’éleva contre Joachim, disant : « Il ne t’appartient pas de présenter ton offrande, car tu n’as point eu de progéniture en Israël. » Et Joachim fut saisi d’une grande affliction et il s’approcha des généalogies 44 des douze tribus en disant en lui-même : « Je verrai dans les tribus d’Israël si je suis le seul qui n’ait point eu de progéniture en Israël. » Et en recherchant il vit que tous les justes avaient laissé de la postérité, car il se souvint du patriarche Abraham auquel, dans ses derniers jours, Dieu avait donné pour fils Isaac. Joachim affligé ne voulut pas reparaître devant sa femme ; il alla dans le désert et il y fixa sa tente, et il jeûna quarante jours et quarante nuits, disant dans son cœur : « Je ne prendrai ni nourriture ni boisson, mais ma prière sera ma nourriture. »

 

CHAPITRE II.

 

Sa femme Anne souffrait d’un double chagrin et elle était en proie à une double douleur, disant : « Je déplore mon veuvage et ma stérilité. » La grande fêle de Seigneur survint, et Judith, la servante d’Anne, lui dit : « Jusques à quand affligeras-tu ton âme ? Il ne t’est pas permis de pleurer, car voici le jour de la grande fête 45. Prends donc ce manteau et orne ta tête. Tout aussi sûr que je suis la servante, tu auras l’apparence d’une reine. » Et Anne répondit : « Éloigne-toi de moi ; je n’en ferai rien. Dieu m’a fortement humiliée. Crains que Dieu ne me punisse à cause de ton péché. » La servante Judith répondit : « Que te dirai-je, puisque tu ne veux pas écouter ma voix ? C’est avec raison que Dieu a clos ton ventre afin que tu ne donnes pas un enfant à Israël. » Et Anne fut très-affligée, et elle quitta ses vêtements de deuil ; elle orna sa tête et elle se revêtit d’habits de noces. Et vers la neuvième heure, elle descendit dans le jardin pour se promener, et, voyant un laurier, elle s’assit dessous et elle adressa ses prières au Seigneur, disant : « Dieu de mes pères, bénis-moi et écoute ma prière, ainsi que tu as béni les entrailles de Sara et que tu lui as donné Isaac pour fils. »

 

CHAPITRE III.

 

En regardant vers le ciel, elle vit sur le laurier le nid d’un moineau et elle s’écria avec douleur : « Hélas ! à quoi puis-je être comparée ? à qui dois-je la vie pour être ainsi maudite en présence des fils d’Israël ? Ils me raillent et m’outragent et ils m’ont chassée du temple du Seigneur. Hélas ! à quoi suis-je semblable ? Je ne peux être comparée aux oiseaux du ciel, car les oiseaux sont féconds devant vous, Seigneur. Je ne peux être comparée aux animaux de la terre, car ils sont féconds. Je ne peux être comparée ni à la mer, car elle est peuplée de poissons, ni à la terre, car elle donne des fruits en leur temps et elle bénit le Seigneur 46. »

 

CHAPITRE IV.

 

Et voici que l’ange du Seigneur vola vers elle, lui disant : « Anne, Dieu a entendu ta prière ; tu concevras et tu enfanteras, et ta race sera célèbre dans le monde entier. » Anne dit : « Vive le Seigneur, mon Dieu ; que ce soit un garçon ou une fille que j’engendre, je l’offrirai au Seigneur, et il consacrera toute sa vie au service divin. » Et voici que deux anges vinrent lui disant : « Joachim, ton mari, arrive avec ses troupeaux. » L’ange du Seigneur descendit vers lui, disant : « Joachim, Joachim, Dieu a entendu ta prière, ta femme Anne concevra. » Et Joachim descendit et il appela ses pasteurs, disant : « Apportez-moi dix brebis pures et sans taches, et elles seront au Seigneur mon Dieu. Et conduisez-moi douze veaux sans taches, et ils seront aux prêtres et aux vieillards de la maison d’Israël, et amenez-moi cent boucs et ces cent boucs seront à tout le peuple. » Et voici que Joachim vint avec ses troupeaux, et Anne était à la porte de sa maison et elle aperçut Joachim qui venait avec ses troupeaux, elle courut et se jeta à son cou, disant : « Je connais maintenant que le Seigneur Dieu m’a bénie, car j’étais veuve et je ne le suis plus ; j’étais stérile et j’ai conçu. » Et Joachim reposa le même jour dans sa maison.

 

CHAPITRE V.

 

Le lendemain, il présenta ses offrandes en se disant en son cœur : « Si le Seigneur m’a béni, qu’il y en ait pour moi un signe manifeste sur la lame des ornements du grand-prêtre. » Et Joachim offrit ses dons et il regarda la lame ou bephoil, lorsqu’il fut admis à l’autel de Dieu, et il ne vit pas de péché en lui. Et Joachim dit : « Je sais maintenant que le Seigneur m’a exaucé et qu’il m’a remis tous mes péchés. » Et il descendit justifié de la maison du Seigneur et il vint dans sa maison. Anne conçut et le neuvième mois elle enfanta et elle dit à la sage-femme : « Qu’ai-je enfanté ? » et l’autre répondit : « Une fille. » Et Anne dit : « Mon âme s’est réjouie à cette heure. » Et Anne allaita son enfant et lui donna le nom de Marie.

 

CHAPITRE VI.

 

L’enfant se fortifia de jour en jour. Lorsqu’elle eut six mois, sa mère la posa à terre pour voir si elle se tiendrait debout. Et elle fit sept pas en marchant et elle vint se jeter dans les bras de sa mère. Et Anne dit : « Vive le Seigneur mon Dieu ; tu ne marcheras pas sur la terre jusqu’à ce que je t’aie offerte dans le temple du Seigneur. » Et elle fit la sanctification dans son lit, et tout ce qui était souillé, elle l’éloignait de sa personne, à cause d’elle. Et elle appela des filles juives sans tache et elles soignaient l’enfant. Et quand elle eut accompli sa première année, Joachim donna un grand festin et il convia les princes des prêtres et les scribes et tout le sénat et tout le peuple d’Israël. Et il offrit des présents aux princes des prêtres et ils le bénirent, disant : « Dieu de nos pères, bénis cette enfant et donne-lui un nom qui soit célébré dans toutes les générations. » Et tout le peuple dit : « Amen, ainsi soit-il. » Et les parents de Marie la présentèrent aux prêtres et ils la bénirent, disant : « Dieu de gloire, jette tes regards sur cette enfant et accorde-lui une bénédiction qui ne connaisse aucune interruption. » Et sa mère la prit et lui donna le sein et elle entonna un cantique, disant : « Je chanterai les louanges du Seigneur mon Dieu, car il m’a visitée et il m’a délivrée des outrages de mes ennemis. Et le Seigneur Dieu m’a donné un fruit de justice multiplié en sa présence. Qui annoncera aux enfants de Ruben que Anne a un nourrisson ? Écoutez, vous les douze tribus d’Israël, apprenez que Anne nourrit. » Et elle déposa l’enfant dans le lieu de sa sanctification et elle sortit et elle servit les convives. Quand le festin fut terminé, ils se retirèrent pleins de joie et ils lui donnèrent le nom de Marie, en glorifiant le Dieu d’Israël 47.

 

CHAPITRE VII.

 

Quand Marie eut deux ans, Joachim dit à Anne, son épouse : « Conduisons-la au temple de Dieu, afin d’accomplir le vœu que nous avons formé et de crainte que Dieu ne se courrouce contre nous et qu’il ne nous ôte cette enfant. » Et Anne dit : « Attendons la troisième année, de crainte qu’elle ne redemande son père et sa mère. » Et Joachim dit : « Attendons. » Et l’enfant atteignit l’âge de trois ans et Joachim dit : « Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu’elles prennent des lampes et qu’elles les allument, et que l’enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s’éloigne pas de la maison de Dieu. » Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres reçut l’enfant et il l’embrassa et il dit : « Marie, le Seigneur a donné de la grandeur à ton nom dans toutes les générations, et, à la fin des jours, le Seigneur manifestera en toi le prix de la rédemption des fils d’Israël. » Et il la plaça sur le troisième degré de l’autel, et le Seigneur Dieu répandit sa grâce sur elle et elle tressaillit de joie en dansant avec ses pieds et toute la maison d’Israël la chérit.

 

CHAPITRE VIII.

 

Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu de ce que l’enfant ne s’était pas retournée vers eux. Marie était élevée comme une colombe dans le temple de Seigneur et elle recevait de la nourriture de la main des anges. Quand elle eut atteint l’âge de douze ans, les prêtres se réunirent dans le temple de Seigneur et ils dirent : « Voici que Marie a passé dix ans dans le temple ; que ferons-nous à son égard, de peur que la sanctification du Seigneur notre Dieu n’éprouve quelque souillure ? » Et les prêtres dirent au prince des prêtres : « Va devant l’autel du Seigneur et prie pour elle, et ce que Dieu t’aura manifesté, nous nous y conformerons. » Le prince des prêtres, ayant pris sa tunique garnie de douze clochettes, entra donc dans le Saint des Saints et il pria pour Marie. Et voici que l’ange du Seigneur se montra à lui et lui dit : « Zacharie, Zacharie, sors et convoque ceux qui sont veufs parmi le peuple et qu’ils apportent chacun une baguette et celui que Dieu désignera par un signe sera l’époux donné à Marie pour la garder. » Des hérauts allèrent donc dans tout le pays de Judée, et la trompette du Seigneur sonna et tous accouraient.

 

CHAPITRE IX.

 

Joseph ayant jeté sa hache, vint avec les autres. Et s’étant réunis, ils allèrent vers le grand-prêtre, après avoir reçu des baguettes. Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite, et il rendit à chacun la baguette qu’il avait apportée, et aucun signe ne s’était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J’ai des enfants et je suis vieux, tandis qu’elle est fort jeune ; je crains d’être un sujet de moquerie pour les fils d’Israël. » Le grand-prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu et rappelle-toi comment Dieu agit à l’égard de Dathan, d’Abiron et de Coreh, comment la terre s’ouvrit et les engloutit, parce qu’ils avaient osé s’opposer aux ordres de Dieu. Crains donc, Joseph, qu’il n’en arrive autant à ta maison. » Joseph épouvanté reçut Marie et lui dit : « Je te reçois du temple du Seigneur et je te laisserai au logis, et j’irai exercer mon métier de charpentier et je retournerai vers toi. Et que le Seigneur te garde tous les jours. »

 

CHAPITRE X.

 

Et il y eut une réunion des prêtres et ils dirent : « Faisons un voile ou un tapis pour le temple du Seigneur. » Et le prince des prêtres dit : « Appelez vers moi les vierges sans tache de la tribu de David. » Et l’on trouva sept de ces vierges. Le prince des prêtres vit devant lui Marie qui était de la tribu de David et qui était sans tache devant Dieu. Et il dit : « Tirez au sort laquelle filera du fil d’or et d’amiante et de fin lin et de soie et d’hyacinthe et d’écarlate. » Et la vraie pourpre et l’écarlate échurent à Marie par le sort, et les ayant reçus, elle alla en sa maison. Et, dans ce même temps, Zacharie devint muet et Samuel prit sa place. Jusqu’à ce que Zacharie t’adressât de rechef la parole, ô Marie. Et Marie, ayant reçu la pourpre et l’écarlate, se mit à filer.

 

CHAPITRE XI.

 

Et, ayant pris une cruche, elle alla puiser de l’eau, et voici qu’elle entendit une voix qui disait : « Je te salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ; tu es bénie parmi toutes les femmes. » Marie regardait à droite et à gauche afin de savoir d’où venait cette voix. Et, étant effrayée, elle entra dans sa maison, et elle posa la cruche, et ayant pris la pourpre, elle s’assit sur son siège pour travailler. Et voici que l’ange du Seigneur parut en sa présence, disant : « Ne crains rien, Marie ; tu as trouvé grâce auprès du Seigneur. » Et Marie, l’entendant, pensait en elle-même : « Est-ce que je concevrai de Dieu et enfanterai-je comme les autres engendrent ? » Et l’ange du Seigneur lui dit : « Il n’en sera point ainsi, Marie, car la vertu de Dieu te couvrira de son ombre, et le Saint naîtra de toi, et il sera appelé le fils de Dieu. Et tu lui donneras le nom de Jésus ; il rachètera son peuple des péchés qu’il a commis. Et ta cousine Élisabeth a conçu un fils dans sa vieillesse, et celle qu’on appelait stérile est dans son sixième mois, car il n’est rien d’impossible à Dieu. » Et Marie lui dit : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il en soit pour moi selon ta parole. »

 

CHAPITRE XII.

 

Et ayant terminé la pourpre et l’écarlate, elle les porta au grand-prêtre. Et il la bénit, et il dit : « Marie, ton nom est glorifié et tu seras bénie dans toute la terre. » Et Marie, ayant conçu une grande allégresse, alla vers Élisabeth, sa cousine, et elle frappa à sa porte. Élisabeth, l’entendant, courut à sa porte et elle aperçut Marie, et elle dit : « D’où me vient que la mère de mon Seigneur se transporte près de moi ? Ce qui est en moi s’est élancé et t’a bénie. » Et les mystères que l’archange Gabriel avait annoncés à Marie étaient cachés pour elle. Et regardant au ciel, elle dit : « Que suis-je donc pour que toutes les générations m’appellent ainsi heureuse ? » De jour en jour, son ventre s’enflait, et Marie, saisie de crainte, se retira dans sa maison et se cacha aux regards des enfants d’Israël. Et elle avait seize ans, lorsque cela se passait.

 

CHAPITRE XIII.

 

Le sixième mois de sa grossesse étant venu, voici que Joseph revint de son travail de charpentier, et, entrant dans sa maison, il vit que Marie était enceinte, et, baissant la tête, il se jeta par terre, et il se livra à une grande désolation, disant : « Comment me justifierai-je devant Dieu ? Comment prierai-je pour cette femme ? Je l’ai reçue vierge du temple du Seigneur Dieu, et je ne l’ai pas gardée. Quel est celui qui a fait cette mauvaise action dans ma maison et qui a corrompu cette vierge ? L’histoire d’Adam ne s’est-elle pas reproduite pour moi ? Car dans l’heure de sa gloire, le serpent entra, et il trouva Ève seule, et il l’a trompée ; et vraiment il m’en est arrivé de même. » Et Joseph se releva de dessus le sac sur lequel il s’était jeté, et il dit à Marie : « Ô toi qui étais d’un tel prix aux yeux du Seigneur, pourquoi as-tu agi de la sorte, et pourquoi as-tu oublié le Seigneur ton Dieu, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints ? Toi qui recevais la nourriture de la main des anges, pourquoi as-tu ainsi manqué à tes devoirs ? » Marie pleurait très-amèrement, et elle répondit : « Je suis pure, et je n’ai point connu d’homme. » Et Joseph lui dit : « Et d’où vient donc que tu as conçu ? » Et Marie répondit : « Vive le Seigneur mon Dieu ; je le prends à témoin que je ne sais point comment il en est ainsi. »

 

CHAPITRE XIV.

 

Et Joseph, frappé de stupeur, pensait en lui-même : « Qu’est-ce que je ferai d’elle ? » Et il dit : « Si je cache son péché, je serai trouvé coupable selon la loi du Seigneur ; si je l’accuse et si je la traduis devant les fils d’Israël, je crains que ce ne soit point juste et que je ne livre le sang innocent à la condamnation de la mort. Qu’est-ce donc que je ferai d’elle ? Je la quitterai en secret. » Et il se livrait à ses pensées durant la nuit. Voici que l’ange du Seigneur lui apparut pendant son sommeil, et lui dit : « Ne crains pas de garder cette femme ; celui qui naîtra d’elle est l’œuvre du Saint-Esprit, et tu lui donneras le nom de Jésus ; il rachètera les péchés de son peuple. » Et Joseph se leva et il glorifia le Dieu d’Israël.

 

CHAPITRE XV.

 

Le scribe Anne vint à Joseph et lui dit : « Pourquoi ne t’es-tu pas rendu à l’assemblée ? » Et Joseph lui répondit : « J’étais fatigué du chemin que je venais de faire, et j’ai voulu prendre du repos le premier jour. » Et le scribe, s’étant retourné, vit que Marie était enceinte, et il s’en alla en courant vers le grand-prêtre, et il lui dit : « Joseph, auquel tu ajoutes foi, a gravement péché. » Et le grand-prêtre dit : « Qu’y a-t-il ? » Et le scribe répondit : « Il a souillé la vierge qu’il avait reçue du temple du Seigneur, et il a fraudé la loi du mariage, et il s’est caché devant les enfants d’Israël. » Et le prince des prêtres répondit : « Est-ce que Joseph a fait cela ? » Et le scribe Anne dit : « Envoie des ministres, et ils verront que Marie est enceinte. » Et les ministres allèrent, et ils trouvèrent que le scribe avait dit vrai. Et ils conduisirent Marie et Joseph pour être jugés, et le grand-prêtre dit : « Marie, comment as-tu agi ainsi, et pourquoi as-tu perdu ton âme, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints, qui as reçu la nourriture de la main des anges, qui as entendu les mystères du Seigneur et qui t’es réjouie en sa présence ? » Elle pleurait très-amèrement, et elle répondit : « Vive le Seigneur mon Dieu ; je suis pure en présence du Seigneur, et je ne connais point d’homme. » Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Pourquoi as-tu agi ainsi ? » Et Joseph dit : « Vive le Seigneur Dieu et vive son Christ ; je les prends à témoin que je suis pur de tout commerce avec elle. » Et le grand-prêtre répondit : « Ne rends point un faux témoignage, mais dis la vérité ; tu as dérobé ses noces et tu l’as caché aux fils d’Israël, et tu n’as pas courbé la tête sous la main du Tout-Puissant, afin que ta race fût bénie. »

 

CHAPITRE XVI.

 

Et le grand-prêtre dit encore : « Rends cette vierge que tu as reçue du temple du Seigneur. » Et Joseph répandait beaucoup de larmes, et le grand-prêtre dit : « Je vous ferai boire l’eau de la conviction de Seigneur, et notre péché se manifestera à vos yeux 48. » Et ayant pris l’eau, le grand-prêtre en fit boire à Joseph, et l’envoya sur les lieux hauts, et Joseph en revint en pleine santé. Marie en but aussi, et elle alla dans les montagnes, et elle revint sans avoir éprouvé aucun mal. Et tout le peuple fut frappé de surprise de ce qu’il ne s’était point manifesté en eux de péché. Et le grand-prêtre dit : « Dieu n’a point manifesté votre péché et je ne vous condamnerai pas. » Et il les renvoya absous. Et Joseph prit Marie, et il la ramena chez lui, plein de joie et glorifiant le Dieu d’Israël.

 

CHAPITRE XVII.

 

L’empereur Auguste rendit un édit pour que tous ceux qui étaient à Bethléem eussent à se faire enregistrer. Et Joseph dit : « Je ferai enregistrer mes fils, mais que ferai-je à l’égard de cette femme ? Comment la ferai-je inscrire ? La ferai-je inscrire comme mon épouse ? Elle n’est pas mon épouse, et je l’ai reçue en dépôt du temple du Seigneur. Dirai-je qu’elle est ma fille ? Mais tous les enfants d’Israël savent qu’elle n’est pas ma fille. Que ferai-je donc à son égard ? » Et Joseph sella une ânesse, et il fit monter Marie sur cette ânesse. Joseph et Simon suivaient à trois milles. Et Joseph, s’étant retourné, vit que Marie était triste, et il dit : « Peut-être ce qui est en elle l’afflige. » Et s’étant retourné de nouveau, il vit qu’elle riait, et il lui dit : « Ô Marie, d’où vient donc que ta figure est tantôt triste et tantôt gaie ? » Et Marie dit à Joseph : « C’est parce que je vois deux peuples de mes yeux, l’un pleure et gémit, l’autre rit et se livre à la joie. » Et étant arrivée au milieu du chemin, Marie lui dit : « Fais-moi descendre de mon ânesse, parce que ce qui est en moi me presse extrêmement » ; et Joseph la fit descendre de dessus l’ânesse et il lui dit : « Où est-ce que je t’amènerai, car ce lieu est désert ? »

 

CHAPITRE XVIII.

 

Et trouvant en cet endroit une caverne, il y fit entrer Marie, et il laissa son fils pour la garder, et il s’en alla à Bethléem chercher une sage-femme. Et lorsqu’il était en marche, il vit le pôle ou le ciel arrêté, et l’air était obscurci, et les oiseaux s’arrêtaient au milieu de leur vol. Et regardant à terre, il vit une marmite pleine de viande préparée, et des ouvriers qui étaient couchés et dont les mains étaient dans les marmites. Et, au moment de manger, ils ne mangeaient pas, et ceux qui étendaient la main ne prenaient rien, et ceux qui voulaient porter quelque chose à leur bouche n’y portaient rien, et tous tenaient leurs regards élevés en haut. Et les brebis étaient dispersées, elles ne marchaient point, mais elles demeuraient immobiles. Et le pasteur, élevant la main pour les frapper de son bâton, sa main restait sans s’abaisser. Et regardant du côté d’un fleuve, il vit des boucs dont la bouche touchait l’eau, mais qui ne buvaient pas, car toutes choses étaient en ce moment détournées de leur cours.

 

CHAPITRE XIX.

 

Et voici qu’une femme descendant des montagnes lui dit : « Je te demande où tu vas. » Et Joseph répondit : « Je cherche une sage-femme de la race des Hébreux. » Et elle lui dit : « Es-tu de la race d’Israël ? » Et il répliqua que oui. Elle dit alors : « Et quelle est cette femme qui enfante dans cette caverne ? » Et il répondit : « C’est celle qui m’est fiancée. » Et elle dit : « Elle n’est pas ton épouse ? » Et Joseph dit : « Ce n’est pas mon épouse, mais c’est Marie qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et qui a conçu du Saint-Esprit. » Et la sage-femme lui dit : « Est-ce que c’est véritable ? » Et il dit : « Viens le voir. » Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s’arrêta quand elle fut devant la caverne. Et voici qu’une nuée lumineuse couvrait cette caverne. Et la sage-femme dit : « Mon âme a été glorifiée aujourd’hui, car mes yeux ont vu des merveilles. » Et tout d’un coup la caverne fut remplie d’une clarté si vive que l’œil ne pouvait la contempler, et quand cette lumière se fut peu à peu dissipée, l’on vit l’enfant. Sa mère Marie lui donnait le sein. Et la sage-femme s’écria : « Ce jour est grand pour moi, car j’ai vu un grand spectacle. » Et elle sortit de la caverne, et Salomé fut au-devant d’elle. Et la sage-femme dit à Salomé : « J’ai de grandes merveilles à te raconter ; une vierge a engendré, et elle reste vierge. » Et Salomé dit : « Vive le Seigneur mon Dieu ; si je ne m’en assure pas moi-même, je ne croirai pas. »

 

CHAPITRE XX.

 

Et la sage-femme, rentrant dans la caverne, dit à Marie : « Couche-toi, car un grand combat t’est réservé. » Salomé, l’ayant touchée, sortit en disant : « Malheur à moi, perfide et impie, car j’ai tenté le Dieu vivant Et ma main bridée d’un feu dévorant tombe et se sépare de mon bras. » Et elle fléchit les genoux devant Dieu, et elle dit : « Dieu de nos pères, souviens-toi de moi, car je suis de la race d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et ne me confonds pas devant les enfants d’Israël, mais rends-moi à mes parents. Tu tais, Seigneur, qu’en ton nom j’accomplissais toutes mes cures et guérisons, et c’est de toi que je recevais une récompense. » Et l’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Salomé, Salomé, le Seigneur t’a entendue ; tends la main à l’enfant, et porte-le ; il sera pour toi le salut et la joie. » Et Salomé s’approcha de l’enfant et elle le porta dans ses bras, en disant : « Je t’adorerai, car un grand roi est né en Israël. » Et elle fut aussitôt guérie, et elle sortit de la caverne justifiée. Et une voix se fit entendre près d’elle, et lui dit : « N’annonce pas les merveilles que tu as vues, jusqu’à ce que l’enfant soit entré à Jérusalem 49. »

 

CHAPITRE XXI.

 

Et voici que Joseph se prépara à aller en Judée. Et il s’éleva un grand tumulte à Bethléem, parce que les mages vinrent, disant : « Où est celui qui est né le roi des Juifs ? Nous avons vu son étoile dans l’Orient, et nous sommes venus pour l’adorer 50. » Et Hérode, entendant cela, fut troublé, et il envoya des émissaires auprès des mages. Et il convoqua les princes des prêtres, et il les interrogea, disant : « Qu’y a-t-il d’écrit au sujet du Christ ? Où doit-il naître ? » Et ils dirent : « À Bethléem en Judée, car c’est écrit. » Hérode les renvoya, et il questionna les mages, disant : « Apprenez-moi où tous avez vu le signe qui indique le roi nouveau-né ? » Et les mages dirent : « Son étoile s’est levée brillante, et elle a tellement surpassé en clarté les autres étoiles du ciel que l’on ne les voyait plus. Et nous avons ainsi connu qu’un grand roi était né en Israël, et nous sommes venus l’adorer. » Hérode leur dit : « Allez, et informez-vous de lui, et si vous le trouvez, venez m’en informer afin que j’aille l’adorer. » Et les mages s’en allèrent, et voici que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les conduisit jusqu’à ce qu’elle entra dans la caverne, et elle s’arrêta au-dessus de l’entrée de la caverne 51. Et les mages virent un enfant avec Marie sa mère, et ils l’adorèrent. Et tirant des offrandes de leurs bourses, ils lui présentèrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Et l’ange les ayant informés qu’ils ne devaient pas retourner vers Hérode, ils prirent un autre chemin pour revenir dans leur pays.

 

CHAPITRE XXII.

 

Hérode, voyant que les mages l’avaient trompé, fut saisi de fureur, et il envoya des meurtriers mettre à mort tous les enfants qui étaient à Bethléem, âgés de deux ans et au-dessous. Et Marie, apprenant que l’on massacrait les enfants, fut remplie de crainte ; elle prit l’enfant, et l’ayant enveloppé de langes, elle le coucha dans la crèche des bœufs. Élisabeth, informée que l’on cherchait Jean, s’enfuit dans les montagnes, et elle regardait autour d’elle pour voir où elle le cacherait, et elle ne trouvait aucun endroit favorable. Et elle dit à voix haute et en gémissant : « Ô montagne de Dieu, reçois la mère avec le fils. » Et aussitôt la montagne qu’elle ne pouvait gravir s’ouvrit et les reçut. Une lumière miraculeuse les éclairait, et l’ange du Seigneur était avec eux et les gardait.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Hérode, pendant ce temps, faisait chercher Jean. Et il envoya quelques-uns de ses officiers à son père Zacharie disant : « Où as-tu caché ton Fils ? » Et il répondit : « Je suis le prêtre employé au service de Dieu, et je donne mon assistance dans le temple du Seigneur, je ne sais pas où est mon fils. » Et les envoyés se retirèrent et rapportèrent cela à Hérode. Il dit avec colère : « C’est son fils qui doit régner sur Israël. » Et il envoya de rechef vers Zacharie disant : « Parle avec franchise ; où est ton fils ? Ne sais-tu pas que ton sang est sous ma main ? » Et lorsque les envoyés eurent rapporté à Zacharie les paroles du roi, il dit : « Dieu est témoin que j’ignore où est mon fils. Répands mon sang, si tu le veux. Dieu recevra mon esprit, car tu auras versé le sang innocent. » Zacharie a été tué dans le vestibule du temple du Seigneur, auprès de la balustrade de l’autel.

 

CHAPITRE XXIV.

 

Et les prêtres allèrent au temple à l’heure de la salutation. Et Zacharie ne fut pas au-devant d’eux pour leur donner la bénédiction, suivant l’usage. Ne le voyant pas paraître, ils craignaient d’entrer. L’un d’eux, plus hardi que les autres, entra, et il revint annoncer aux prêtres que Zacharie avait été tué. Ils entrèrent alors, et ils virent ce qui avait été commis, et les lambris du temple poussaient des hurlements, et ils étaient fendus depuis le haut jusqu’en bas. Son corps ne fut pas trouvé, mais son sang formait, dans le vestibule du temple, une masse semblable à une pierre. Et ils sortirent épouvantés, et ils annoncèrent au peuple que Zacharie avait été tué. Et les tribus du peuple le pleurèrent trois jours et trois nuits. Après ces trois jours, les prêtres se réunirent pour désigner quelqu’un qui le remplaçât. Et le sort tomba sur Siméon. Et il lui avait été annoncé par l’Esprit-Saint qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ

 

CHAPITRE XXV.

 

Moi, Jacques, qui ai écrit cette histoire, je me retirai dans le désert, lors d’une sédition que suscita à Jérusalem un certain Hérode, et je ne revins que lorsque le tumulte fut apaisé. Je glorifie Dieu qui m’a donné la charge d’écrire cette histoire. Que la grâce soit avec ceux qui craignent Notre Seigneur Jésus-Christ, auquel gloire et puissance avec le Père éternel et le Saint-Esprit vivifiant, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

 

 

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ÉVANGILE DE THOMAS L’ISRAÉLITE.

 

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C’est le seul écrit que nous possédions en grec de ceux, en assez grand nombre, qu’avaient composés, au sujet des parents de Jésus et de sa nativité, des chrétiens mal dégagés des doctrines du judaïsme ou imbus des erreurs répandues dès les premiers siècles de l’Église. Une portion de texte grec fut publiée pour la première fois et avec une exactitude scrupuleuse par Cotelier dans ses notes sur les Constitutions apostoliques ; il l’avait trouvée dans un manuscrit du quinzième siècle, à la bibliothèque du roi. Déjà Richard Simon en avait dit quelque chose 52. Fabricius reproduisit le texte et la version de Cotelier, en y joignant quelques notes. Mingarelli a donné plus tard le travail entier de Fabricius, et il s’est attaché à le compléter. Voir le douzième volume d’une Raccolta d’opuscoli scientifici e filologici, imprimée à Venise en 1764.

La bibliothèque impériale de Vienne possède un autre manuscrit de l’Évangile de Thomas ; d’après le début tel que le rapporte Lambécius dans ses Comment. de Bibl. Caesar. Vindob., livre VII, il présente, avec le manuscrit parisien, des différences sensibles.

Se servant d’un manuscrit conservé à Bologne, et qu’avait fait connaître Mingarelli, profitant d’un autre manuscrit du seizième siècle que renferme la bibliothèque de Dresde, Thilo a donné un texte bien supérieur à celui de ses devanciers ; il avoue cependant qu’il n’a pu bien établir certains passages qu’en recourant à la voie toujours un peu arbitraire des conjectures, et il regrette de n’avoir point découvert l’existence de quelque autre manuscrit qu’il aurait pu consulter avec profit.

L’Évangile de Thomas porte les traces d’une rédaction manichéenne. Origène, dans sa première homélie sur saint Luc, cite comme ayant une certaine autorité un Évangile secundum Thomam et juxta Mathiam ; ce passage a fort occupé les critiques, mais l’on s’accorde en général à y reconnaître un autre écrit que celui dont le texte nous est parvenu, et dont l’auteur est entièrement inconnu, texte où se rencontrent des formes de style qui ne permettent pas de le faire remonter au-delà du cinquième siècle.

 

 

Livre de Thomas l’Israélite, philosophe,

sur les choses qu’a faites le Seigneur, encore enfant.

 

 

CHAPITRE Ier

 

Moi, Thomas, Israélite, je m’adresse à vous tous qui avez été convertis des erreurs des païens à la foi chrétienne, afin que vous sachiez les merveilles de l’enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ, et ce qu’il fit après qu’il fut né dans notre pays. Et ceci est le commencement :

 

CHAPITRE II.

 

L’enfant Jésus, étant âgé de cinq ans 53, jouait sur le bord d’une rivière, et il recueillit dans de petites fosses les eaux qui coulaient, et aussitôt elles devinrent pures et elles obéissaient à sa voix. Ayant fait de la boue, il s’en servit pour façonner douze oiseaux, et c’était un jour de sabbat. Et beaucoup d’autres enfants étaient là et jouaient avec lui. Un certain juif ayant vu ce que faisait Jésus, et qu’il jouait le jour du sabbat, alla aussitôt, et dit à son père Joseph : « Voici que ton fils est au bord de la rivière, et il a façonné douze oiseaux avec de la boue, et il a profané le sabbat. » Et Joseph vint à cet endroit, et ayant vu ce que Jésus avait fait, il s’écria : « Pourquoi as-tu fait, le jour du sabbat, ce qu’il est défendu de faire ? » Jésus frappa des mains et dit aux oiseaux : « Allez. » Et ils s’envolèrent en poussant des cris. Les Juifs furent saisis d’admiration à la vue de ce miracle, et ils allèrent raconter ce qu’ils avaient vu faire à Jésus.

 

CHAPITRE III.

 

Le fils d’Anne le scribe était venu avec Joseph et, prenant une branche de saule, il fit écouler les eaux que Jésus avait ramassées. Jésus, voyant cela, fut irrité et lui dit : « Homme injuste, impie et insensé, quel tort te faisait cette eau ? Tu vas être comme un arbre frappé de sécheresse et privé de racines, qui ne produit ni feuilles, ni fruit. » Et aussitôt il se dessécha tout entier. Jésus s’en alla ensuite au logis de Joseph. Les parents de l’enfant qui s’était desséché le prirent dans leurs bras en déplorant le malheur qui le frappait dans un âge aussi tendre et ils le portèrent à Joseph, contre lequel ils s’élevaient vivement de ce qu’il avait un fils qui faisait de semblables choses.

 

CHAPITRE IV.

 

Jésus traversait une autre fois le village, et un enfant, en courant, lui choqua l’épaule. Et Jésus irrité lui dit : « Tu n’achèveras pas ton chemin. » Et aussitôt l’enfant tomba et mourut. Des gens, voyant ce qui s’était passé, dirent : « D’où est né cet enfant ? Chacune de ses paroles se réalise aussitôt. » Et les parents de l’enfant qui était mort s’approchèrent de Joseph et lui dirent : « Tu as un enfant tel que tu ne peux habiter le même village que nous, ou bien apprends-lui à bénir et non à maudire, car il fait périr nos enfants. »

 

CHAPITRE V.

 

Et Joseph, appelant à lui l’enfant, l’admonestait, disant : « Pourquoi fais-tu ces choses-là ? On prend de la haine contre nous et nous serons persécutés. » Jésus répondit : « Je sais que les paroles que tu viens de prononcer ne sont pas de toi, mais de moi ; je me tairai cependant à cause de toi, mais eux, ils subiront leur châtiment. » Et aussitôt ses accusateurs devinrent aveugles, et ceux qui virent cela furent fort épouvantés, et ils hésitaient, et ils disaient : « Chacune de ses paroles est suivie d’effet, soit pour le bien, soit pour le mal, et amène des miracles. » Et lorsqu’ils eurent vu que Jésus faisait semblables choses, Joseph, se levant, le prit par l’oreille et la tira avec force 54. L’enfant fut courroucé et lui dit : « Qu’il te suffise de chercher et de ne pas trouver ; tu as agi en insensé ; ne sais-tu pas que je suis à toi ? Car je suis à toi pour que tu ne me molestes nullement. »

 

CHAPITRE VI.

 

Un maître d’école, nommé Zacchée, qui était près d’eux, entendit Jésus parler ainsi à son père, et il s’étonna fort de ce qu’un enfant s’exprimât ainsi. Et peu de jours après il alla vers Joseph et il lui dit : « Ton enfant est doué de beaucoup d’intelligence ; confie-le-moi afin qu’il apprenne les lettres, et je lui donnerai en même temps tout genre d’instructions, lui enseignant surtout à respecter la vieillesse et à aimer les gens de son âge. » Et il lui enseigna toutes les lettres depuis l’alpha jusqu’à l’oméga, expliquant nettement et soigneusement la valeur et la signification de chacune. Et Jésus, regardant le maître Zacchée, lui dit : « Toi qui ignores la nature de la lettre Alpha, comment enseignes-tu aux autres ce que c’est que le Bêta. Hypocrite, enseigne-nous d’abord, si tu le sais, ce que c’est que la lettre Alpha, et alors nous te croirons quand tu parleras de la lettre Bêta. » Et il se mit alors à presser le maître de questions sur la première lettre de l’alphabet et Zacchée ne put donner de réponses satisfaisantes. Et, en présence de beaucoup d’assistants, l’enfant dit à Zacchée : « Écoute, maître, quelle est la position du premier caractère, et observe de combien de traits il se compose, et combien il en renferme d’intérieurs, d’aigus, d’écartés, de rejoints, d’élevés, de constants, d’homogènes, d’inégale mesure. » Et il lui expliqua les règles de la lettre A 55.

 

CHAPITRE VII.

 

Lorsque Zacchée entendit l’enfant exposer tant de choses, il resta confondu de sa science et il dit aux assistants : « Hélas ! malheureux que je suis, je me suis donné un sujet de regret et j’ai attiré sur moi du déshonneur en attirant cet enfant chez moi ; reprends-le, je t’en prie, mon frère Joseph ; je ne peux soutenir la rigueur de ses raisonnements, et je ne saurais m’élever jusqu’à ses discours. Cet enfant n’est pas né sur la terre ; il peut avoir de l’empire sur le feu ; il a peut-être été engendré avant que le monde n’existât ; j’ignore quel est le ventre qui l’a porté et quel est le sein qui l’a nourri ; je suis tombé dans une grande erreur ; j’ai voulu avoir un disciple et j’ai trouvé que j’avais un maître ; je vois, mes amis, quelle est mon humiliation, car moi, qui suis un vieillard, j’ai été vaincu par un enfant, et mon âme sera abattue, et je mourrai à cause de lui, et dès ce moment je ne puis plus le regarder en face. Et quand la voix publique dira que j’ai été vaincu par un enfant, qu’aurai-je à répondre et comment parlerai-je des règles et des éléments du premier caractère après tout ce qu’il en a dit ? Je ne connais ni le commencement, ni la fin de cet enfant. Je t’en conjure donc, mon frère Joseph, ramène-le chez toi : il est quelque chose de grand, ou un Dieu, ou un ange, je ne sais. »

 

CHAPITRE VIII.

 

Et comme les Juifs donnaient des conseils à Zacchée, l’enfant se mit à rire et il dit : « Maintenant, que les choses portent leurs fruits et que les aveugles de cœur voient ! Je suis venu d’en haut pour les maudire et pour les appeler à des objets plus élevés, ainsi que m’en a donné l’ordre celui qui m’a envoyé à cause de vous. » Et lorsqu’il eut fini de parler, aussitôt tous ceux qui avaient été frappés de sa malédiction furent guéris. Et, depuis ce temps, personne n’osait provoquer sa colère de peur d’être maudit de lui et frappé de quelque mal.

 

CHAPITRE IX.

 

Peu de jours après, Jésus jouait sur une terrasse, au sommet d’une maison, et l’un des enfants qui jouaient avec lui tomba du haut du toit et mourut ; les autres enfants, voyant cela, s’enfuirent, et Jésus descendit seul. Et lorsque les parents de l’enfant qui était mort furent venus, ils accusaient Jésus de l’avoir poussé du haut du toit, et ils le chargeaient d’outrages. Et Jésus descendit du toit et il s’approcha du cadavre de l’enfant, et il éleva la voix, il dit : « Zénin, (c’était le nom de l’enfant), lève-toi et dis-moi si c’est moi qui t’ai fait tomber. » Et l’enfant, se levant aussitôt, répondit : « Non, Seigneur, tu n’as point causé ma chute, et, bien au contraire, tu m’as ressuscité. » Et tous les spectateurs furent stupéfaits. Les parents de l’enfant glorifièrent Dieu à cause du miracle qui s’était opéré et ils adorèrent Jésus.

 

CHAPITRE X.

 

Quelques jours après, un jeune homme était occupé à fendre du bois, et sa hache lui échappa des mains, et elle lui fit au pied une profonde blessure, et il mourut ayant perdu tout son sang. Et comme l’on accourait vers lui et qu’il y avait une grande rumeur, Jésus alla avec les autres et, se faisant faire place, il traversa la foule, et il mit les mains sur le pied du jeune homme, et aussitôt il fut guéri. Et il dit au jeune homme : « Lève-toi, fends du bois et souviens-toi de moi. » Et quand la foule eut vu ce qui s’était passé, tous adorèrent Jésus, en disant : « Vraiment, l’esprit de Dieu réside en cet enfant. »

 

CHAPITRE XI.

 

Lorsqu’il eut l’âge de dix ans, sa mère, lui donnant une cruche, l’envoya pour puiser de l’eau et pour la rapporter à la maison, et dans la foule, la cruche s’étant choquée, elle se brisa. Et Jésus étendit le manteau dont il était revêtu, il le remplit d’eau et le porta à sa mère. Et sa mère, voyant le miracle qu’il venait de faire, l’embrassa, et elle conservait dans son cœur le souvenir des merveilles qu’elle le voyait accomplir.

 

CHAPITRE XII.

 

Le temps des semences étant venu, l’enfant Jésus alla avec son père pour semer du blé dans leur pays, et tandis que Joseph semait, l’enfant prit un grain de froment et le mit en terre, et ce grain seul produisit cent choros de blé. Et, ayant réuni tous les indigents du village, il leur distribua du blé, et Joseph emporta ce qui resta. Et Jésus avait huit ans lorsqu’il fit ce miracle.

 

CHAPITRE XIII.

 

Son père était charpentier et il fabriquait alors des jougs et des charrues. Et un homme riche lui commanda de lui faire un lit. Et comme la règle dont se servait Joseph pour mesurer le bois ne pouvait lui servir en cette circonstance, l’enfant lui dit : « Place par terre deux pièces de bois et fends-les égales à partir du milieu. » Joseph fit ce que lui avait recommandé l’enfant, et Jésus, se tenant de l’autre côté, joignit le bois et il tira vers lui la pièce qui était la plus courte et, s’allongeant sous sa main, elle devint égale à l’autre. Et son père Joseph, voyant cela, fut dans l’admiration, et il dit, en embrassant l’enfant : « Je suis heureux que le Seigneur m’ait donné un tel enfant. »

 

CHAPITRE XIV.

 

Joseph, voyant que l’enfant croissait en âge, voulut qu’il apprît les lettres, et il le conduisit à un autre maître. Et ce maître dit à Joseph : « Je lui enseignerai d’abord les lettres grecques et ensuite les lettres hébraïques. » Le maître connaissait toute l’habileté de l’enfant et il le redoutait ; il écrivit cependant l’alphabet, et quand il voulut interroger Jésus, Jésus lui dit : « Si tu es vraiment un maître, et si tu as la connaissance exacte des lettres, dis-moi quelle est la force de la lettre alpha, et je te dirai quelle est la force de la lettre bêta. » Le maître irrité le poussa et le frappa à la tête. L’enfant, courroucé de ce traitement, le maudit et aussitôt le maître tomba sans vie sur son visage. Et l’enfant revint au logis de Joseph. Joseph fut très-affligé et il dit à la mère de Jésus : « Ne le laisse pas franchir la porte de la maison, car tous ceux qui provoquent son courroux sont frappés de mort. »

 

CHAPITRE XV.

 

Et, quelque temps après, un autre maître, qui était parent et ami de Joseph, lui dit : « Conduis cet enfant à mon école ; peut-être je réussirai à lui enseigner les lettres, en usant à son égard de bons traitements. » Et Joseph lui dit : « Prends-le avec toi, frère, si tu l’oses. » Et il le prit avec lui avec crainte et regret ; l’enfant allait avec allégresse. Et entrant avec assurance dans l’école, il trouva un livre qui était par terre et, le prenant, il ne lisait pas ce qui était écrit ; mais ouvrant la bouche, il parlait d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint, et il enseignait la loi aux assistants. Et une grande foule l’entourait, et tous étaient dans l’admiration de sa science et de ce qu’un enfant s’exprimait de cette façon. Joseph, apprenant cela, fut effrayé, et il courut à l’école, craignant que le maître ne fût sans instruction. Et le maître dit à Joseph : « Tu vois, mon frère, que j’avais pris cet enfant pour disciple, mais il est plein de grâce et d’une extrême sagesse ; je t’en prie, mon frère, ramène-le dans ta maison. » Quand l’enfant l’entendit, il sourit, et dit : « Parce que tu as bien parlé, et comme tu as rendu bon témoignage, celui qui a été frappé sera guéri à cause de toi. » Et aussitôt l’autre maître fut guéri. Et Joseph prit l’enfant et il alla dans sa maison.

 

CHAPITRE XVI.

 

Joseph envoya son fils Jacques pour lier du bois et pour le porter à la maison, et l’enfant Jésus le suivit. Et lorsque Jacques ramassait des branches d’arbre, une vipère le mordit à la main. Et lorsqu’il était au moment de périr, Jésus s’approcha, et il souffla sur la morsure, et aussitôt la douleur cessa, et le reptile creva, et Jacques demeura complètement guéri.

 

CHAPITRE XVII.

 

Par la suite, il advint que l’enfant d’un des ouvriers de Joseph tomba malade, et il mourut, et sa mère pleurait beaucoup. Jésus entendit le bruit des sanglots et du deuil, et il se hâta d’accourir, et lorsqu’il eut trouvé l’enfant mort, il lui toucha la poitrine, et il dit : « Je te commande, enfant, de ne point mourir ; vis et reste avec ta mère. » Et aussitôt l’enfant se releva et rit. Et Jésus dit à la mère : « Prends-le et donne-lui du lait, et souviens-toi de moi. » Et quand le peuple qui était là eut vu ce miracle, il disait : « Cet enfant est vraiment un Dieu ou l’ange de Dieu, car tout ce qu’il prescrit s’exécute aussitôt. » Et Jésus s’en alla jouer avec les autres enfants.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Quelque temps après, comme l’on construisait un édifice, il s’éleva un grand tumulte, et Jésus alla à cet endroit, et voyant un homme qui gisait sans vie, il lui prit la main et lui dit : « Je te le dis, homme, lève-toi, et reprends ton ouvrage. » Et aussitôt le mort se leva et l’adora. Et la foule fut frappée de stupeur, et elle disait : « Vraiment, cet enfant vient du ciel, et il a préservé bien des âmes de la mort et il les préservera tout le temps de sa vie. »

 

CHAPITRE XIX.

 

Lorsque Jésus eut l’âge de douze ans, ses parents allèrent, suivant l’usage, à Jérusalem pour la fête de Pâques, en compagnie d’autres personnes, et après la fête ils s’en retournèrent chez eux. Et tandis qu’ils cheminaient, l’enfant Jésus retourna à Jérusalem, et ses parents croyaient qu’il était avec ceux qui les accompagnaient. Et après avoir fait une journée de route, ils le cherchèrent parmi leurs parents et ne le trouvèrent pas ; alors ils revinrent à la ville pour le chercher, et le troisième jour ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, et les écoutant, et les interrogeant, et expliquant la loi. Et tous étaient attentifs et s’étonnaient de ce qu’un enfant embarrassât et pressât de questions les anciens et les maîtres du peuple, dissertant sur les points de la loi et sur les paraboles des prophètes. Et sa mère Marie, s’approchant de lui, lui dit : « Pourquoi as-tu agi ainsi, mon fils ? Nous étions dans l’affliction et nous te cherchions. » Et Jésus lui dit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne savez-vous pas qu’il faut que je sois avec ceux qui sont à mon père ? » Alors les Scribes et les Pharisiens dirent à Marie : « Es-tu la mère de cet enfant ? » Elle répondit : « Je le suis. » Et ils lui dirent : « Tu es heureuse parmi toutes les femmes, car Dieu a béni le fruit de ton ventre ; nous n’avons jamais vu ni entendu tant de gloire, tant de sagesse et tant de vertu. » Et Jésus, se levant, suivit sa mère, et il était soumis à ses parents. Et sa mère conservait dans son cœur le souvenir de tout ce qui se passait Et Jésus croissait en sagesse, en grâce et en âge. À lui gloire dans tous les siècles. Amen.

 

 

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ÉVANGILE DE LA NATIVITÉ DE SAINTE MARIE.

 

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Durant plusieurs siècles, cette légende jouit, en Orient, de la plus grande célébrité ; elle fut d’abord accueillie avec un peu plus de froideur en Occident. Une tradition, que l’on ne discutait point alors, l’attribuait à saint Mathieu, et voulait qu’elle eût été écrite en hébreu ; la traduction, qui s’en répandit vers le sixième siècle, fut donnée comme l’œuvre de saint Jérôme ; et les éditeurs des œuvres complètes de ce Père ont cru pouvoir l’admettre dans leurs éditions, tout en s’inscrivant en faux contre une assertion qui n’est plus susceptible d’avoir un seul partisan.

Cet Évangile est l’un des moins chargés de circonstances fabuleuses et de miracles supposés ; quelques-uns des récits qu’il renferme sont mentionnés et signalés comme dénués de fondement dans les écrits de divers Pères de l’Église, tels que saint Augustin et saint Jérôme. Tel qu’il nous est parvenu, nous penchons à le regarder comme rédigé au sixième siècle, et il fut en possession durant tout le moyen-âge d’une célébrité soutenue. Au neuvième siècle, la célèbre religieuse de Gandesheim, Hroswitha 56, en reproduisit les principaux traits dans un poème latin en vers hexamètres que nous rencontrons dans ses œuvres (Historia nativatis laudabilisque ccmversationis intactae Dei genitricis, p. 73 de l’édit de 1707). Ils passèrent dans la Légende dorée ; ils figurèrent dans la Vie de Jésus-Christ que composa Ludolphe le Saxon, prieur des Chartreux de Strasbourg, ouvrage dont la vogue fut extrême au quatorzième et au quinzième siècle 57. Les poètes les intercalèrent dans leurs vers, les artistes en multiplièrent les images.

L’Évangile de la nativité de Marie ne nous est parvenu qu’en latin ; plusieurs fois réimprimé dans des collections étendues, inséré dans les recueils spéciaux de Fabricius, de Jones, de Schmid et de Thilo, il présente partout un texte uniforme, et il ne paraît point qu’il en existe de manuscrits où se rencontrent des variantes dignes d’attention.

Nous pourrions ici, à l’exemple du docteur Borberg, placer en tête de la traduction de cet Évangile la correspondance échangée entre saint Jérôme et les évêques Chromatien et Héliodore ; ces lettres se trouvent dans un grand nombre de manuscrits joints à la composition qu’elles concernent ; elles sont incontestablement sinon supposées, du moins défigurées par des interpolations, mais elles remontent à une époque éloignée (probablement au sixième siècle) ; elles ont longtemps passé pour authentiques, et, bien qu’on n’en connaisse pas le véritable auteur, on doit les regarder comme retraçant des opinions qui exercèrent un empire étendu et prolongé.

 

CHAPITRE Ier.

 

La bienheureuse et glorieuse Marie toujours vierge, de la race royale et de la famille de David, naquit dans la ville de Nazareth, et fut élevée à Jérusalem, dans le temple du Seigneur. Son père se nommait Joachim et sa mère Anne. La famille de son père était de Galilée et de la ville de Nazareth, celle de sa mère était de Bethléem. Leur vie était simple et juste devant le Seigneur, pieuse et irréprochable devant les hommes : car, ayant partagé tout leur revenu en trois parts, ils dépensaient la première pour le temple et pour les ministres du temple ; la seconde, ils la distribuaient aux pèlerins et aux pauvres, et ils réservaient la troisième pour leurs besoins et pour ceux de leur famille. Ainsi chéris de Dieu et des hommes, il y avait près de vingt ans qu’ils vivaient chez eux dans un chaste mariage sans avoir des enfants 58. Ils firent vœu, si Dieu leur en accordait un, de le consacrer au service du Seigneur, et c’était dans ce dessein qu’à chaque fête de l’aimée ils avaient coutume d’aller au temple du Seigneur.

 

CHAPITRE II.

 

Or, il arriva que, comme la fête de la Dédicace approchait, Joachim monta à Jérusalem avec quelques-uns de sa tribu. C’était alors Isaschar qui était grand-prêtre. Lorsqu’il aperçut Joachim parmi les autres avec son offrande, il le rebuta et méprisa ses dons, en lui demandant comment riant stérile, il avait la hardiesse de paraître parmi ceux qui ne l’étaient pas, et disant que, puisque Dieu l’avait jugé indigne d’avoir des enfants, ses dons n’étaient nullement dignes de Dieu ; l’Écriture portant : « Maudit celui qui n’a point engendré de mâle en Israël 59 » ; et il dit que Joachim n’avait qu’à commencer d’abord par se laver de la tache de cette malédiction en ayant un enfant, et qu’ensuite il pourrait paraître devant le Seigneur avec ses offrandes. Joachim, rempli de confusion de ce reproche outrageant, se retira auprès des bergers qui étaient avec ses troupeaux dans ses pâturages : car il ne voulut pas revenir en sa maison de peur que ceux de sa tribu qui étaient avec lui ne lui fissent le même reproche humiliant qu’ils avaient entendu de la bouche du prêtre 60.

 

CHAPITRE III.

 

Or, quand il y eut passé quelque temps, un jour qu’il était seul, l’Ange du Seigneur lui apparut avec une immense lumière 61. Cette vision l’ayant troublé, l’Ange calma sa crainte, lui disant : « Ne crains point, Joachim, et ne te trouble pas à mon aspect ; car je suis l’Ange du Seigneur ; il m’a envoyé vers toi pour t’annoncer que tes prières sont exaucées, et que tes aumônes sont montées jusqu’en en sa présence. Car il a vu ta honte, et il a entendu le reproche de stérilité qui t’a été adressé injustement. Or, Dieu punit le péché et non la nature ; c’est pourquoi lorsqu’il rend quelqu’un stérile, ce n’est que pour faire ensuite éclater ses merveilles et montrer que l’enfant qui naît est un don de Dieu, et non pas le fruit d’une passion désordonnée. Car Sara, la première mère de votre nation, ne fut-elle pas stérile jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans ? Et cependant au dernier âge de la vieillesse, elle engendra Isaac, auquel la bénédiction de toutes les nations était promise. De même Rachel, si agréable au Seigneur et si fort aimée du saint homme Jacob, fut longtemps stérile, et cependant elle engendra Joseph, qui devint le maître de l’Égypte et le libérateur de plusieurs nations prêtes à mourir de faim. Lequel de vos chefs a été plus fort que Samson, ou plus saint que Samuel ? Et cependant ils eurent tous les deux des mères stériles. Si donc la raison ne te persuade pas par mes paroles, crois à la force des exemples qui montrent que les conceptions longtemps différées et les accouchements stériles n’en sont d’ordinaire que plus merveilleux. Ainsi ta femme Anne enfantera une fille et tu la nommeras Marie, elle sera consacrée au Seigneur dès son enfance, comme vous en avez fait le vœu, et elle sera remplie du Saint-Esprit, même dès le sein de sa mère. Elle ne mangera ni ne boira rien d’impur ; elle n’aura aucune société avec la foule du peuple au dehors, mais sa demeure sera dans le temple du Seigneur, de peur qu’on ne puisse soupçonner ou dire quelque chose de désavantageux sur elle. C’est pourquoi en avançant en âge, comme elle-même doit naître d’une mère stérile, de même cette Vierge incomparable engendrera le Fils du Très-Haut, qui sera appelé Jésus, et sera le Sauveur de toutes les nations selon l’étymologie de ce nom. Et voici le signe que tu auras des choses que je t’annonce. Lorsque tu arriveras à la porte d’or qui est à Jérusalem 62, tu y trouveras Anne ton épouse, Anne qui viendra au-devant de toi, laquelle aura autant de joie de te voir qu’elle avait eu d’inquiétude du délai de ton retour. » Après ces paroles, l’Ange s’éloigna de lui.

 

CHAPITRE IV.

 

Ensuite il apparut à Anne, l’épouse de Joachim, disant : « Ne crains point, Anne, et ne pense pas que ce que tu vois soit un fantôme. Car je suis ce même Ange qui ai porté en présence de Dieu vos prières et vos aumônes 63, et maintenant je suis envoyé vers vous pour annoncer qu’il vous naîtra une fille, laquelle sera appelée Marie, et qui sera bénie sur toutes les femmes. Elle sera remplie de la grâce du Seigneur aussitôt après sa naissance ; elle restera trois ans dans la maison paternelle pour être sevrée, après quoi elle ne sortira point du temple, où elle sera engagée au service du Seigneur jusqu’à l’âge de raison, servant Dieu nuit et jour par des jeûnes et des oraisons ; elle s’abstiendra de tout ce qui est impur, ne connaîtra jamais d’homme, mais seule sans exemple, sans tache, sans corruption, cette Vierge, sans mélange d’homme, engendrera un fils, cette servante enfantera le Seigneur, le Sauveur du monde par sa grâce, par son nom et par son œuvre. Lève-toi donc, va à Jérusalem, et lorsque tu seras arrivée à la porte d’or, ainsi nommée parce qu’elle est dorée, tu auras pour signe au-devant toi ton mari dont l’état de la santé le rend inquiète. Lors donc que ces choses seront arrivées, sache que les choses que je t’annonce s’accompliront indubitablement. »

 

CHAPITRE V.

 

Se conformant donc au commandement de l’Ange, l’un et l’autre, partant du lieu où ils étaient, montèrent à Jérusalem, et, lorsqu’ils furent arrivés au lieu désigné par la prédiction de l’Ange, ils s’y trouvèrent l’un au-devant de l’autre. Alors, joyeux de se revoir mutuellement et rassurés par la certitude de la race promise, ils rendirent grâce comme ils le devaient au Seigneur qui élève les humbles. C’est pourquoi, ayant adoré le Seigneur, ils retournèrent à leur maison, où ils attendaient avec assurance et avec joie la promesse divine. Anne conçut donc, et elle mit au monde une fille, et suivant le commandement de l’Ange, ses parents l’appelèrent du nom de Marie.

 

CHAPITRE VI.

 

Et lorsque le terme de trois ans fut révolu et que le temps de la sevrer fut accompli, ils amenèrent au temple du Seigneur cette Vierge avec des offrandes. Or, il y avait autour du temple quinze degrés à monter 64, selon les quinze Psaumes des degrés. Car, parce que le temple était bâti sur une montagne, il fallait monter des degrés pour aller à l’autel de l’holocauste qui était par dehors. Les parents placèrent donc la petite bienheureuse Vierge Marie sur le premier degré. Et comme ils quittaient les habits qu’ils avaient eus en chemin, et qu’ils en mettaient de plus beaux et de plus propres selon l’usage, la Vierge du Seigneur monta tous les degrés un à un sans qu’on lui donnât la main pour la conduire ou la soutenir, de manière qu’en cela seul on eut pensé qu’elle était déjà d’un âge parfait. Car le Seigneur, dès l’enfance de la Vierge, opérait déjà quelque chose de grand et faisait voir d’avance par ce miracle quelle serait la sublimité des merveilles futures. Ayant donc célébré le sacrifice selon la coutume de la loi, et accompli leur vœu, ils l’envoyèrent dans l’enclos du temple pour y être élevée avec les autres Vierges, et ils retournèrent à leur maison.

 

CHAPITRE VII.

 

Or, la Vierge du Seigneur, en avançant en âge, profitait en vertus 65, et suivant l’expression du Palmiste, « son père et sa mère l’avaient délaissée, mais le Seigneur prit soin d’elle ». Car tous les jours elle était fréquentée par les Anges, tous les jours elle jouissait de la vision divine qui la préservait de tous les maux et qui la comblait de tous les biens. C’est pourquoi elle parvint à l’âge de quatorze ans sans que non seulement les méchants pussent rien découvrir de répréhensible en elle, mais tous les bons qui la connaissaient trouvaient sa vie et sa manière d’agir dignes d’admiration. Alors le grand-prêtre annonçait publiquement que les Vierges que l’on élevait soigneusement dans le temple et qui avaient cet âge accompli s’en retournassent chez elles pour se marier selon la coutume de la nation et la maturité de l’âge. Les autres ayant obéi à cet ordre avec empressement, la Vierge du Seigneur, Marie, fut la seule qui répondit qu’elle ne pouvait agir ainsi, et elle dit : « Que non-seulement ses parents l’avaient engagée au service de Seigneur, mais encore qu’elle avait voué au Seigneur sa virginité qu’elle ne voulait jamais violer en habitant avec un homme. » Le grand-prêtre fut dans une grande incertitude, car il ne pensait pas qu’il fallût enfreindre son vœu (ce qui serait contre l’Écriture, qui dit : « Vouez et rendez »), ni qu’il fallût se hasarder à introduire une coutume inusitée chez la nation ; il ordonna que tous les principaux de Jérusalem et des lieux voisins se trouvassent à la solennité qui approchait, afin qu’il pût savoir par leur conseil ce qu’il y avait à faire dans une chose si douteuse. Ce qui ayant été fait, l’avis de tous fut qu’il fallait consulter le Seigneur sur cela. Et tout le monde étant en oraison, le grand-prêtre selon l’usage se présenta pour consulter Dieu. Et sur-le-champ tous entendirent une voix qui sortit de l’oracle et du lieu de propitiation, qu’il fallait, suivant la prophétie d’Isaïe, chercher quelqu’un à qui cette Vierge devait être recommandée et donnée eu mariage. Car on sait qu’Isaïe dit : « Il sortira une Vierge de la racine de Jessé, et de cette racine il s’élèvera une fleur sur laquelle se reposera l’esprit du Seigneur, l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de conseil et de force, l’esprit de science et de piété, et elle sera remplie de l’esprit de la crainte du Seigneur. » Le grand-prêtre ordonna donc, d’après cette prophétie, que tous ceux de la maison et de la famille de David qui seraient nubiles et non mariés vinssent apporter chacun une baguette sur l’autel, car l’on devait recommander et donner la Vierge en mariage à celui dont la baguette, après avoir été apportée, produirait une fleur, et au sommet de laquelle l’esprit du Seigneur se reposerait sous la forme d’une colombe.

 

CHAPITRE VIII.

 

Il y avait parmi les autres de la maison et de la famille de David, Joseph, homme fort âgé, et tous portant leurs baguettes selon l’ordre donné, lui seul cacha la sienne. C’est pourquoi, rien n’ayant apparu de conforme à la voix divine, le grand-prêtre pensa qu’il fallait de rechef consulter Dieu, et le Seigneur répondit que celui qui devait épouser la Vierge était le seul de tous ceux qui avaient été désignés qui n’eût pas apporté sa baguette. Ainsi Joseph fut découvert. Car lorsqu’il eut apporté sa baguette, et qu’une colombe, venant du ciel, se fut reposée sur le sommet, il fut manifeste pour tous que la Vierge devait lui être donnée en mariage. Ayant donc célébré les fiançailles selon l’usage accoutumé 66, il se retira dans la ville de Bethléem, pour arranger sa maison et pourvoir aux choses nécessaires pour les noces. Mais la Vierge du Seigneur, Marie, avec sept autres Vierges de son âge et sevrées avec elle, qu’elle avait reçues du prêtre, s’en retourna en Galilée dans la maison de ses parents.

 

CHAPITRE IX.

 

Or, en ces jours-là, c’est-à-dire au premier temps de son arrivée en Galilée, l’Ange Gabriel lui fut envoyé de Dieu pour lui raconter qu’elle concevrait le Seigneur et lui exposer la manière et l’ordre de la conception. Étant entré vers elle, il remplit la chambre où elle demeurait d’une grande lumière, et, la saluant avec une très-grande vénération, il lui dit : « Je te salue, Marie, Vierge du Seigneur, très-agréable à Dieu, pleine de grâce ; le Seigneur est avec toi ; tu es bénie par-dessus toutes les femmes, tu es bénie par-dessus tous les hommes nés jusqu’à présent. » Et la Vierge, qui connaissait déjà bien les visages des Anges, et qui était accoutumée à la lumière céleste, ne fut point effrayée de voir un Ange, ni étonnée de la grandeur de la lumière, mais son seul discours la troubla, et elle commença à penser quelle pouvait être cette salutation si extraordinaire, ce qu’elle présageait ou quelle fin elle devait avoir. L’Ange, divinement inspiré, allant au-devant de cette pensée : « Ne crains point, dit-il, Marie, comme si je cachais par cette salutation quelque chose de contraire à ta chasteté. C’est pourquoi, étant Vierge, tu concevras sans péché et tu enfanteras un fils. Celui-là sera grand, parce qu’il dominera depuis la mer jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre. Et il sera appelé le Fils du Très-Haut, parce qu’en naissant humble sur la terre, il règne élevé dans le Ciel. Et le Seigneur Dieu lui donnera le siège de David son père, et il régnera à jamais dans la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin. Il est lui-même le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, et son trône subsistera dans le siècle du siècle. » La Vierge crut à ces paroles de l’Ange, mais, voulant savoir la manière, elle répondit : « Comment cela pourra-t-il se faire ? Car, puisque, suivant mon vœu, je ne connais point d’homme, comment pourrai-je enfanter sans cesser d’être vierge ? » À cela l’Ange lui dit : « Ne pense pas, Marie, que tu doives concevoir d’une manière humaine. Car, sans avoir de rapport avec nul homme, tu concevras en restant vierge ; vierge, tu enfanteras ; vierge, tu nourriras. Car le Saint-Esprit surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de Son ombre contre toutes les ardeurs de l’impureté. Car tu as trouvé grâce devant le Seigneur, parce que tu as choisi la chasteté. C’est pourquoi ce qui naîtra de toi sera Saint, parce que seul conçu et né sans péché, Il sera appelé le Fils de Dieu. » Alors Marie, étendant les mains et levant les yeux, dit : « Voici la servante du Seigneur (car je ne suis pas digne du nom de maîtresse) ; qu’il me soit fait suivant ta parole. » (Il serait trop long et même ennuyeux de rapporter ici tout ce qui a précédé ou suivi la naissance du Seigneur. C’est pourquoi, passant ce qui se trouve plus au long dans l’Évangile, finissons par ce qui n’y est pas si détaillé 67.)

 

CHAPITRE X.

 

Joseph donc venant de la Judée dans la Galilée avait intention de prendre pour femme la Vierge avec laquelle il était fiancé. Car trois mois s’étaient déjà écoulés, et le quatrième approchait depuis le temps que les fiançailles avaient eu lieu. Cependant le ventre de la fiancée grossissant peu à peu, il commença à se manifester qu’elle était enceinte, et cela ne put pas être caché à Joseph. Car entrant auprès de la Vierge plus librement comme étant son époux, et parlant plus familièrement avec elle, il s’aperçut qu’elle était enceinte. C’est pourquoi il commença à avoir l’esprit agité et incertain ; parce qu’il ignorait ce qu’il avait à faire de mieux. Car il ne voulut point la dénoncer, parce qu’il était juste, ni la diffamer par le soupçon de fornication, parce qu’il était pieux. C’est pourquoi il pensait à rompre son mariage secrètement et à la renvoyer en cachette. Comme il avait ces pensées, voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe, disant : « Joseph, fils de David, n’aie aucune crainte, et ne conserve aucun soupçon de fornication contre la Vierge, et ne pense rien de désavantageux à son sujet et ne redoute point de la prendre pour femme. Car ce qui est né en elle, et qui tourmente actuellement ton esprit, est l’œuvre, non d’un homme, mais du Saint-Esprit Car, seule entre toutes les Vierges, elle enfantera le Fils de Dieu, et tu l’appelleras du nom de Jésus, c’est-à-dire Sauveur, car c’est lui qui sauvera son peuple de leurs péchés. » Joseph, se conformant au précepte de l’Ange, prit donc la vierge pour femme ; cependant il ne la connut pas, mais en ayant soin chastement, il la garda. Et déjà le neuvième mois depuis la conception approchait, lorsque Joseph, ayant pris sa femme et les autres choses qui lui étaient nécessaires, s’en alla à la ville de Bethléem d’où il était. Or, il arriva, lorsqu’ils y furent, que le terme étant accompli, elle enfanta son fils premier-né, comme l’ont enseigné les Saints Évangélistes, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, étant Dieu avec le Père, le Fils et l’Esprit-Saint vit et règne pendant tous les siècles des siècles.

 

 

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HISTOIRE DE LA NATIVITÉ DE MARIE ET DE L’ENFANCE DU SAUVEUR.

 

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Cette légende, œuvre dans laquelle se reconnaît la main de quelque gnostique, fut attribuée par des copistes ignorants à saint Mathieu ; elle n’a point été inconnue à divers critiques, tels que Sixte de Sienne et Cotelier (Remarques sur les Constitutions apostoliques, VI, 17) ; les récits étranges qu’elle renferme détournèrent d’elle les érudits, et ce fut Thilo qui la publia le premier.

Le savant professeur de Halle pense qu’elle doit s’accorder, quant au fond du récit, avec un opuscule trois fois mis sous presse au quinzième siècle sous le titre d’Infantia Salvatoris, éditions d’une insigne rareté, sorties des presses de quelques typographes allemands, et qu’il n’a pu consulter ; elles ont échappé à toutes ses investigations.

Le texte, mis au jour en 1832, est tel que le donne un manuscrit sur vélin du quatorzième siècle, conservé à la bibliothèque du roi, à Paris (no 5559 A). Thilo transcrivit aussi une légende des miracles de l’enfance du Seigneur Jésus-Christ (manuscrit sur vélin du quinzième siècle, no 4313), attribuée également à Jacques, fils de Joseph ; mais il n’a pas cru devoir la publier, car elle se borne en grande partie à répéter le récit du no 5559 A, en y ajoutant quelques détails ridicules ou absurdes, et elle offre un texte tellement défiguré, qu’il est souvent fort difficile d’y découvrir un sens tant soit peu raisonnable. Nous croyons toutefois devoir rapporter les intitulés des quarante-huit chapitres qui forment cette relation des Miracles de l’enfance. Le lecteur se fera une idée assez juste des fables qu’accueillait une piété peu éclairée, et comme ces chapitres ont du moins le mérite d’être fort courts, nous en traduirons deux.

 

Chap. Ier. Du père et de la mère de la Sainte-Vierge Marie.

Chap. II. De la séparation de Joachim d’avec Anne.

Chap. III. Du retour de Joachim auprès d’Anne.

Chap. IV. De la naissance de la bienheureuse Marie.

Chap. V. De l’action de grâces d’Anne.

Chap. VI. De la recommandation de la bienheureuse Marie.

Chap. VII. Du vœu de virginité de la bienheureuse Marie.

Chap. VIIL Comment la bienheureuse Marie fut remise à Joseph.

Chap. IX. De l’annonciation du Seigneur.

Chap. X. Du trouble de Joseph quand il s’aperçut de la grossesse de Marie.

Chap. XI. De la consolation qu’un ange apporte à Joseph.

Chap. XII. Des calomnies répandues par les Juifs contre Joseph et la bienheureuse Marie.

Chap. XIII. Du temps de la naissance du Christ et des deux sages-femmes, des pasteurs et de l’étoile.

Chap. XIV. De la sortie de la bienheureuse Marie hors de la caverne, et de sa venue à la crèche.

Chap. XV. De la circoncision du Seigneur el de la venue des Mages à Jérusalem.

Chap. XVI. De l’épiphanie du Seigneur.

Chap. XVII. Du massacre des enfants et de la fuite de Joseph en Égypte.

Chap. XVIIL Comment Jésus dompta les dragons.

Chap. XIX. Comment les lions et les léopards suivirent Jésus.

Chap. XX. Du palmier qui s’inclina à la voix de Jésus.

Chap. XXI. De la bénédiction du palmier et de la translation de son rameau.

Chap. XXII. Du chemin que raccourcit Jésus.

Chap. XXIII. Comment, à l’arrivée de Jésus en Égypte, les idoles tombèrent.

Chap. XXIV. De l’honneur qu’Afrosidisius rendit à Jésus.

Chap. XXV. Du poisson desséché rendu à la vie.

Chap. XXVI. Du rire de Jésus à cause des passereaux qui se battaient entre eux.

Chap. XXVII. De la sortie de Marie et de Jésus hors de l’Égypte.

Chap. XXVIII. De l’eau de pluie clarifiée, et des dix oiseaux faits avec de la boue un jour de sabbat.

Chap. XXIX Du Pharisien mort à la voix de Jésus.

Chap. XXX. De l’enfant qui frappa Jésus livré à la mort, et de quelques personnes punies d’aveuglement.

Chap. XXXI. Comment Jésus avertit Joseph de ne pas le toucher dans un moment de colère.

Chap. XXXII. De Zacchée, maître de Jésus et de ses paroles.

Chap. XXXIII. Comment Jésus ressuscita un enfant qui jouait avec lui.

Chap. XXXIV. Comment, d’une seule parole, Jésus guérit le pied d’un homme qui l’invoquait avec confiance.

Chap. XXXV. Comment Jésus porta à la bienheureuse Marie de l’eau dans son manteau.

Chap. XXXVI. Du froment multiplié par Jésus.

Chap. XXXVII. Du bois étendu par Jésus.

Chap. XXXVIII. D’un certain maître de Jésus privé de la vie.

Chap. XXXIX. D’un autre maître de Jésus dont la charité fut cause que Jésus ressuscita le maître qui était mort.

Chap. XL. Comment Jésus guérit Joseph du venin d’une vipère.

Chap. XLI. Des sept lacs et des douze oiseaux, et des douze enfants que Jésus frappa de mort.

Chap. XLII. Du fils d’une certaine femme rendu à la vie par Jésus.

Chap. XLI1I. Comment Jésus entra dans la caverne de la lionne.

Chap. XLIV. Comment l’eau du Jourdain s’ouvrit devant eux.

Chap. XLV. Comment un mort fut ressuscité par le suaire de Joseph.

Chap. XLVI. Comment Zacchée pria Joseph et Marie de confier Jésus à un maître nommé Lévi.

Chap. XLVIL Comment Jésus sanctifiait et bénissait les convives.

Chap. XLVIII. Glorification de Jésus et de Marie sa mère.

 

Voici maintenant les deux chapitres que nous avons promis ; ce sont les XXVe et XXVIe.

 

« Et Jésus accomplit sa troisième année. Et comme il vit des enfants qui jouaient, il se mit à jouer avec eux ; et ayant pris un poisson desséché qui était imprégné de sel, il le posa dans un bassin plein d’eau, et il lui ordonna de palpiter, et le poisson commença à palpiter. Et Jésus, adressant de rechef la parole au poisson, lui dit : « Rejette le sel que tu as en toi, et remue-toi dans l’eau. » Et cela se fit ainsi. Les voisins, voyant ce qui se passait, l’annoncèrent à la veuve dans la maison de laquelle habitait Marie. Et quand elle apprit ces choses, elle les renvoya avec précipitation de chez elle. Et Jésus, passant avec Marie sa mère dans la place de la ville, vit un maître qui enseignait ses élèves. Et voici que sept passereaux, se battant entre eux, tombèrent du haut d’un mur dans le sein du maître qui instruisait les enfants. Quand Jésus vit cela, il se mit à rire. Le maître, s’en apercevant, fut rempli de colère, et il dit à ses disciples : « Allez, et amenez-le-moi. » Lorsqu’ils le lui eurent conduit, il le saisit par son manteau, et il lui dit : « Qu’as-tu vu qui ait provoqué ton rire ? » Et Jésus dit : « Maître, voici ta main pleine de froment ; les passereaux se disputaient pour le partage de ce froment. »

Donnons aussi le dernier chapitre ; une inspiration plus noble s’y fait sentir.

« Les Scribes et les Pharisiens dirent à la bienheureuse Marie : “Es-tu la mère de cet enfant ?” Et elle répondit : “Vraiment je le suis.” Et ils lui dirent : ”Tu es bénie entre toutes les femmes, et Dieu a béni le fruit de ton ventre en te donnant un enfant si plein de gloire. Nous n’avons jamais vu ni entendu dans un autre une sagesse égale à la sienne.” Mais Marie conservait dans son cœur le souvenir de tout ce que faisait Jésus parmi le peuple des Juifs, car il opérait de grands miracles, guérissant les malades, ressuscitant les morts, et faisant beaucoup d’œuvres merveilleuses. Et Jésus croissait en taille et en don de sagesse. Tous ceux qui le connaissaient glorifiaient donc Dieu le père tout-puissant, qui est béni dans les siècles des siècles. Amen. »

 

Un autre manuscrit de la bibliothèque du roi, no 5560, contient à peu de chose près les mêmes récits ; celui-ci s’annonce comme étant l’œuvre d’Onésime et de Jean l’Évangéliste.

Nous pourrions indiquer encore une copie moderne que possède la bibliothèque publique de Cambridge (F. f. 6, 54), et qui renferme une légende également partagée en quarante-huit chapitres, et presque identiquement la même que celle que nous venons d’analyser ; nous pourrions mentionner divers autres manuscrits que renferment des bibliothèques d’Angleterre ou d’Italie ; mais ces détails minutieux offriraient fort peu d’intérêt. Nous nous bornerons à dire deux mots d’un manuscrit du quinzième siècle que possède la bibliothèque médicéenne à Florence, et que Bandini a décrit (Catal. Cod. lat. Bibl. Medic., I, 523). Il renferme divers opuscules de saint Jérôme, et l’on y trouve, pages 248-255, une Épître de saint Jérôme ou préface au livre de L’Enfance du Sauveur. Cet opuscule, dont la supposition est évidente, commence en ces termes : « Un jour l’ange du Seigneur avertit en songe Joseph », et il finit ainsi : « Que Jésus, qui le guérit, nous guérisse de nos péchés, et qu’il soit béni dans tous les siècles des siècles. » Comme ce fragment ne se trouve ni dans les éditions de saint Jérôme, ni dans le Codex de Fabricius, ni dans le volume de Thilo, nous avons jugé à propos d’en signaler l’existence.

Nous conviendrons que l’Histoire de la Nativité de Marie et de l’Enfance du Sauveur, telle que nous la faisons passer pour la première fois en un langage moderne, est une composition parfois puérile dont nous n’exagérons pas la valeur. Des deux parties dont elle se compose, et qui ne paraissent pas venir de la même source, la seconde, consacrée au récit des premières années de Jésus-Christ, est un tissu de contes que ne rachètent pas toujours quelques traits touchants, quelques passages naïfs ; il y a bien plus de simplicité, bien plus de grâce dans la première partie consacrée à l’histoire de la Sainte-Vierge, et qui comprend les chapitres 1 à 17, en suivant, pour les traits principaux, le Protévangile de saint Jacques.

L’ouvrage se termine brusquement, et paraît dépourvu de conclusion ; il est à croire que ce que nous possédons ne forme qu’un fragment emprunté a une composition plus étendue.

 

 

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PROLOGUE.

 

 

Moi Jacques 68, fils de Joseph, marchant dans la crainte de Dieu, j’ai écrit tout ce que j’avais vu de mes yeux survenir dans le temps de la nativité de la bienheureuse Marie et du Sauveur, rendant grâces à Dieu qui m’a donné la connaissance des histoires de son avènement, et montrant l’accomplissement des prophéties aux douze tribus d’Israël.

 

CHAPITRE Ier.

 

Il y avait en Israël un homme nommé Joachim, de la tribu de Juda, et il gardait ses brebis, craignant Dieu dans la simplicité et la droiture de son cœur, et il n’avait nul souci, si ce n’est celui de ses troupeaux, dont il employait les produits à nourrir ceux qui craignaient Dieu, présentant de doubles offrandes dans la crainte du Seigneur, et secourant les indigents. Il faisait trois parts de ses agneaux, de ses biens et de toutes les choses qui étaient en sa possession ; il donnait une de ces parts aux veuves, aux orphelins, aux étrangers et aux pauvres ; une autre à ceux qui étaient voués au service de Dieu, et il réservait la troisième pour lui et pour toute sa maison. Dieu multiplia son troupeau au point qu’il n’y en avait aucun qui lui fût semblable dans tout le pays d’Israël. Il commença à faire ces choses dès la quinzième année de son âge. Lorsqu’il eut l’âge de vingt ans, il prit pour femme Anne, fille d’Achar 69, qui était de la même tribu que lui, de la tribu de Juda, de la race de David ; et après qu’il eut demeuré vingt ans avec elle, il n’en avait pas eu d’enfants 70.

 

CHAPITRE II.

 

Il arriva qu’aux jours de fête, parmi ceux qui apportaient des offrandes au Seigneur, Joachim vint, offrant ses dons en présence du Seigneur. Et un scribe du Temple, nommé Ruben, approchant de lui, lui dit : « Il ne t’appartient pas de te mêler aux sacrifices que l’on offre à Dieu, car Dieu ne t’a pas béni, puisqu’il ne t’a pas accordé de rejeton en Israël. » Couvert de honte en présence du peuple, Joachim se retira du Temple en pleurant, et ne retourna pas à sa maison ; mais il s’en alla vers ses troupeaux, et il conduisit avec lui les pasteurs dans les montagnes, dans un pays éloigné ; et pendant cinq mois, Anne, sa femme, n’en eut aucune nouvelle. Elle pleurait dans ses prières, et elle disait : « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, pourquoi ne m’avez-vous pas donné d’enfants, et pourquoi m’avez-vous ôté mon mari ? J’ignore s’il est mort, et je ne sais comment faire pour lui donner la sépulture. » Et pleurant amèrement, elle se retira dans l’intérieur de sa maison, et se prosterna pour prier, adressant ses supplications an Seigneur. Et se levant ensuite, élevant les yeux à Dieu, elle vit un nid de passereaux sur une branche de laurier, et elle éleva la voix vers Dieu en gémissant, et elle dit : « Seigneur Dieu tout-puissant, toi qui as donné de la postérité à toutes les créatures, aux bêtes, et aux serpents, et aux poissons, et aux oiseaux, et qui fais qu’elles se réjouissent de leurs petits, je te rends grâces, puisque tu as ordonné que moi seule je fusse exclue des faveurs de ta bonté ; car tu connais, Seigneur, le secret de mon cœur, et j’avais fait vœu, dès le commencement de mon voyage, que si tu m’avais donné un fils ou une fille, je te l’aurais consacré dans ton saint temple. » Et quand elle eut dit cela, soudain l’ange du Seigneur apparut devant sa face, lui disant : « Ne crains point, Anne, car ton rejeton est dans le conseil de Dieu, et ce qui naîtra de toi sera en admiration à tous les siècles, jusqu’à leur consommation. » Et lorsqu’il eut dit cela, il disparut de devant ses yeux. Elle, tremblante et épouvantée de ce qu’elle avait vu une pareille vision, et de ce qu’elle avait entendu un semblable discours, entra dans sa chambre, et se jeta sur son lit comme morte, et durant tout le jour et toute la nuit, elle demeura en prières et dans une grande frayeur. Ensuite elle appela à elle sa servante, et lui dit : « Tu m’as vue frappée de viduité et placée dans la douleur, et tu n’as pas voulu venir vers moi. » Et la servante répondit en murmurant : « Si Dieu t’a frappée de stérilité, et s’il a éloigné de toi ton mari, qu’est-ce que je dois faire pour toi ? » Et, en entendant cela, Anne élevait la voix, et elle pleurait avec clameur.

 

CHAPITRE III.

 

Dans ce temps, un jeune homme apparut parmi les montagnes où Joachim faisait paître son troupeau, et lui dit : « Pourquoi ne retournes-tu pas auprès de ton épouse ? » Et Joachim dit : « Je l’ai eue durant vingt ans ; mais maintenant, comme Dieu n’a pas voulu que j’eusse d’elle des fils, j’ai été chassé du Temple avec ignominie : pourquoi retournerai-je auprès d’elle ? Mais je distribuerai par les mains de mes serviteurs aux pauvres, aux veuves, aux orphelins et aux ministres de Dieu les biens qui lui reviennent. » Et, lorsqu’il eut dit cela, le jeune homme lui répondit : « Je suis l’ange de Dieu, et j’ai apparu à ton épouse qui pleurait et qui priait, et je l’ai consolée ; car tu l’as abandonnée accablée d’une tristesse extrême. Sache, au sujet de ta femme, qu’elle concevra une fille qui sera dans le temple de Dieu, et l’Esprit saint reposera en elle, et sa bénédiction sera sur toutes les femmes saintes ; de sorte que nul ne pourra dire qu’il y eut auparavant une autre comme elle, et qu’il n’y aura dans la suite des siècles nulle autre semblable à elle, et son rejeton sera béni, et elle-même sera bénie, et elle sera établie la mère de la bénédiction éternelle. Descends donc de la montagne, et retourne à ton épouse, et rendez grâces tous deux au Dieu tout-puissant » Et Joachim, l’adorant, dit : « Si j’ai trouvé grâce devant toi, repose-toi un peu dans mon tabernacle, bénis-moi, moi qui suis ton serviteur. » Et l’ange lui dit : « Ne dis pas que je suis ton serviteur, mais que je suis ton compagnon ; nous sommes les serviteurs d’un seul Seigneur ; car ma nourriture est invisible, et ma boisson ne peut être vue par les hommes mortels. Ainsi, tu ne dois pas me demander que j’entre dans ton tabernacle ; mais, ce que tu voulais me donner, offre-le en holocauste à Dieu. » Alors Joachim prit un agneau sans tache, et dit à l’ange : « Je n’aurais pas osé offrir un holocauste si ton ordre ne me donnait le droit d’exercer le saint ministère. » Et l’ange lui dit : « Je ne t’aurais pas invité à sacrifier, si je n’avais pas connu la volonté de Dieu. » Il se fit que lorsque Joachim offrit à Dieu le sacrifice, l’ange du Seigneur remonta aux cieux avec l’odeur et la fumée du sacrifice. Alors Joachim tomba sur sa face, et il y resta depuis la sixième heure jusqu’au soir. Ses serviteurs et les gens à ses gages, venant et ne sachant quelle était la cause de ce qu’ils voyaient, s’effrayèrent, et croyant qu’il voulait se laisser mourir, ils s’approchèrent de lui, et le relevèrent de terre avec peine. Lorsqu’il leur eut raconté ce qu’il avait vu, ils furent saisis d’une extrême stupeur et d’admiration, et ils l’exhortèrent à accomplir sans différer ce que l’ange lui avait prescrit, et à retourner promptement auprès de sa femme. Et lorsque Joachim discutait dans son esprit s’il devait revenir ou non, il se fit qu’il fut surpris par le sommeil. Et voici que l’ange du Seigneur, qui lui avait apparu durant la veille, lui apparut pendant qu’il dormait, disant : « Je suis l’ange que Dieu t’a donné pour gardien ; descends sans crainte, et retourne auprès d’Anne, car les œuvres de miséricorde que tu as accomplies, ainsi que ta femme, ont été portées en présence du Très-Haut, et il vous a été donné un rejeton tel que jamais, ni les prophètes, ni les saints, n’en ont eu depuis le commencement, et tel qu’ils n’en auront jamais. » Et lorsque Joachim se fut éveillé de son sommeil, il appela à lui les gardiens de ses troupeaux, et il leur raconta son songe. Et ils adorèrent le Seigneur, et ils lui dirent : « Vois à ne pas résister davantage à l’ange de Dieu, mais lève-toi, partons, et allons d’une marche lente en faisant paître les troupeaux. » Lorsqu’ils eurent cheminé trente jours, l’ange du Seigneur apparut à Anne qui était en oraison, et lui dit : « Va à la porte que l’on appelle dorée, et rends-toi au-devant de ton mari, car il viendra à toi aujourd’hui. » Elle, se levant promptement, se mit en chemin avec ses servantes, et elle se tint près de cette porte en pleurant ; et lorsqu’elle eut attendu longtemps, et qu’elle était près de tomber en défaillance de cette longue attente, en élevant les yeux, elle vit Joachim qui venait avec ses troupeaux. Anne courut et se jeta à son cou, rendant grâces à Dieu, et disant : « J’étais veuve, et voici que je ne serai plus stérile, et voici que je concevrai. » Et il y eut grande joie parmi tous les parents et ceux qui les connaissaient, et la terre entière d’Israël fut dans l’allégresse de cette nouvelle.

 

CHAPITRE IV.

 

Ensuite, Anne conçut 71, et neuf mois étant accomplis, elle enfanta une fille et elle lui donna le nom de Marie. Lorsqu’elle l’eut sevrée, la troisième année 72, ils allèrent ensemble, Joachim et sa femme Anne, au temple du Seigneur, et, présentant des offrandes, ils remirent leur fille Marie, afin qu’elle fût admise parmi les vierges qui demeuraient le jour et la nuit dans la louange du Seigneur. Et lorsqu’elle fut placée devant le Temple du Seigneur, elle monta en courant les quinze degrés, sans regarder en arrière et sans demander ses parents, ainsi que les enfante le font d’ordinaire. Et tous furent remplis de surprise à cette vue, et les prêtres du Temple étaient saisis d’étonnement

 

CHAPITRE V.

 

Alors Anne, remplie de l’Esprit saint, dit en présence de tous : « Le Seigneur, le Dieu des armées, s’est souvenu de sa parole, et il a visité son peuple dans sa visite sainte, afin qu’il humilie les nations qui s’élevaient contre nous, et qu’il convertisse leurs cœurs à lui. Il a ouvert ses oreilles à nos prières, et il a éloigné de nous les insultes de nos ennemis. La femme stérile est devenue mère, et elle a engendré pour la joie et l’allégresse d’Israël. Voici que je pourrai présenter mes offrandes au Seigneur » et mes ennemis voulaient m’en empêcher. Le Seigneur les t abattus de devant moi, et il m’a donné une joie éternelle. »

 

CHAPITRE VI.

 

Marie était un objet d’admiration pour tout le peuple, car, lorsqu’elle avait trois ans, elle marchait avec gravité, et elle s’adonnait si parfaitement à la louange du Seigneur, que tous étaient saisis d’admiration et de surprise ; elle ne semblait pas une enfant, mais elle paraissait déjà grande et pleine d’années, tant elle vaquait à la prière avec application et persévérance. Sa figure resplendissait comme la neige, de sorte que l’on pouvait à peine contempler son visage. Elle s’appliquait au travail des ouvrages en laine, et tout ce que des femmes âgées ne pouvaient faire, elle l’expliquait, étant encore dans un âge aussi tendre. Elle s’était fixé pour règle de s’appliquer à l’oraison depuis le matin jusqu’à la troisième heure et de se livrer au travail manuel depuis la troisième heure jusqu’à la neuvième. Et depuis la neuvième heure, elle ne discontinuait pas de prier jusqu’à ce que l’Ange du Seigneur lui eût apparu, et elle recevait sa nourriture de sa main, afin de profiter de mieux en mieux dans l’amour de Dieu. De toutes les autres vierges plus âgées qu’elle et avec lesquelles elle était instruite dans la louange de Dieu, il ne s’en trouvait point qui fût plus exacte aux veilles, plus instruite dans la sagesse de la loi de Dieu, plus remplie d’humilité, plus habile à chanter les cantiques de David, plus gracieuse de charité, plus pure de chasteté, plus parfaite en toute vertu. Car elle était constante, immuable, persévérante, et, chaque jour, elle profitait en dons de toute espèce. Nul ne l’entendit jamais dire du mal, nul ne la vit jamais se mettre en colère. Tous ses discours étaient pleins de grâce et la vérité se manifestait dans sa bouche. Elle était toujours occupée à prier ou à méditer la loi de Dieu. Et elle étendait sa sollicitude sur ses compagnes, craignant que quelqu’une d’elles ne péchât en paroles, ou n’élevât sa voix en riant, ou ne fût gonflée d’orgueil, ou n’eût de mauvais procédés à l’égard de son père et de sa mère. Elle bénissait Dieu sans relâche, et pour que ceux qui la saluaient ne pussent la détourner de la louange de Dieu, elle répondait à ceux qui la saluaient : « Grâces soient rendues à Dieu ! » Et c’est d’elle que vint l’usage adopté par les hommes pieux de répondre à ceux qui les saluent : « Grâces soient rendues à Dieu ! » Elle prenait chaque jour pour se substanter la nourriture qu’elle recevait de la main de l’Ange 73, et elle distribuait aux pauvres les aliments que lui remettaient les prêtres du Temple. On voyait très-souvent les Anges s’entretenir avec elle, et ils lui obéissaient avec la plus grande déférence. Et si une personne atteinte de quelqu’infirmité la touchait, elle s’en retournait aussitôt guérie.

 

CHAPITRE VII.

 

Alors le prêtre Abiathar offrit des cadeaux considérables aux pontifes, afin que Marie fût donnée en mariage à son fils. Marie s’y opposait, disant : « Il ne peut pas être que je connaisse un homme ou qu’un homme me connaisse. » Les prêtres et tous ses parents lui disaient : « Dieu est honoré par les enfants comme il a toujours été dans le peuple d’Israël. » Marie répondit : « Dieu est d’abord honoré par la chasteté. Car, avant Abel, il n’y eut aucun juste parmi les hommes, et il fut agréable à Dieu pour son offrande, et il fut tué méchamment par celui qui avait déplu à Dieu. Il reçut toutefois deux couronnes, celle du sacrifice et celle de la virginité, car sa chair demeura exempte de souillure. Et, par la suite, Élie, lorsqu’il était en ce monde, fut enlevé, car il avait conservé sa chair dans la virginité. J’ai appris dans le temple du Seigneur depuis mon enfance qu’une vierge peut être agréable à Dieu. Et j’ai donc pris dans mon cœur la résolution de ne point connaître d’homme. »

 

CHAPITRE VIII.

 

Il arriva que Marie atteignit la quatorzième année de son âge, et ce fut l’occasion que les Pharisiens dirent que, selon l’usage, une femme ne pouvait plus Rester à prier dans le Temple. Et l’on se résolut à envoyer un héraut à toutes les tribus d’Israël, afin que tous se réunissent le troisième jour. Lorsque tout le peuple fut réuni, Abiathar, le grand-prêtre, se leva, et il monta sur les degrés les plus élevés, afin qu’il pût être vu et entendu du peuple entier. Et, un grand silence s’étant établi, il dit : « Écoutez-moi, enfants d’Israël, et que vos oreilles reçoivent mes paroles. Depuis que ce Temple a été élevé par Salomon, il a contenu un grand nombre De vierges admirables, filles de rois, de prophètes et de pontifes ; enfin, arrivant à l’âge convenable, elles ont pris des maris, et elles ont plu à Dieu en suivant la coutume de celles qui les avaient précédées. Mais, maintenant, il s’est introduit, avec Marie, une nouvelle manière de plaire au Seigneur, car elle a fait à Dieu la promesse de persévérer dans la virginité, et il me paraît que, d’après nos demandes et les réponses de Dieu, nous pourrons connaître à qui elle doit être confiée à garder. » Ce discours plut à la synagogue, et les prêtres tirèrent au sort les noms des douze tribus d’Israël, et le sort tomba sur la tribu de Judas, et le grand-prêtre dit le lendemain : « Que quiconque est sans épouse vienne et qu’il porte une baguette dans sa main. » Et il se fit que Joseph vint avec les jeunes gens et qu’il apporta sa baguette. Et lorsqu’ils eurent tous remis au grand-prêtre les baguettes dont ils s’étaient munis, il offrit un sacrifice à Dieu, et il interrogea le Seigneur, et le Seigneur lui dit : « Apportez toutes les baguettes dans le Saint des Saints, et qu’elles y demeurent, et ordonne à tous ceux qui les auront apportées de revenir les chercher le lendemain matin, afin que tu les leur rendes. Et il sortira de l’extrémité d’une de ces baguettes une colombe qui s’envolera vers le ciel 74, et c’est à celui dont ce signe distinguera la baguette que Marie devra être remise à garder. » Le lendemain, ils vinrent tous, et le grand-prêtre, ayant fait l’offrande de l’encens, entra dans le Saint des Saints et apporta les baguettes. Et lorsqu’il les eut distribuées toutes, au nombre de trois mille et que d’aucune d’elles il n’était sorti de colombe, le grand-prêtre Abiathar se revêtit de l’habit sacerdotal et des douze clochettes, et, entrant dans le Saint des Saints, il offrit le sacrifice. Et, tandis qu’il était en prières, l’Ange lui apparut, disant : « Voici cette baguette très-petite que tu as regardée comme néant ; lorsque tu l’auras prise et donnée, c’est en elle que se manifestera le signe que je t’ai indiqué. » Cette baguette était celle de Joseph, et il était vieux et d’un aspect misérable, et il n’avait pas voulu réclamer sa baguette, dans la crainte d’être obligé à prendre Marie. Et tandis qu’il se tenait humblement le dernier de tous, le grand-prêtre Abiathar lui cria d’une voix haute : « Viens, et reçois ta baguette, car tu es attendu. » Et Joseph s’approcha épouvanté, car le grand-prêtre l’avait appelé en élevant beaucoup la voix. Et lorsqu’il étendit la main pour recevoir sa baguette, il sortit aussitôt de l’extrémité de cette baguette une colombe plus blanche que la neige et d’une beauté extraordinaire, et, après avoir longtemps volé sous les voûtes du Temple, elle se dirigea vers les cieux. Alors tout le peuple félicita le vieillard, en disant : « Tu es devenu heureux dans ton grand âge, et Dieu t’a choisi et désigné pour que Marie te fût confiée. » Et les prêtres lui dirent : « Reçois-la, car c’est sur toi que le choix de Dieu s’est manifesté. » Joseph, leur témoignant le plus grand respect, leur dit avec confusion : « Je suis vieux 75 et j’ai des fils 76 ; pourquoi m’avez-vous remis cette jeune fille ? » Alors le grand-prêtre Abiathar lui dit : « Souviens-toi, Joseph, comment ont péri Dathan et Abiron, parce qu’ils avaient méprisé la volonté de Dieu ; il t’en arrivera de même si tu te révoltes contre ce que Dieu te prescrit. » Joseph répondit : « Je ne résiste pas à la volonté de Dieu, je voudrais savoir lequel de mes fils doit l’avoir pour épouse. Qu’on lui donne quelques-unes des vierges, ses compagnes, avec lesquelles elle demeure en attendant. » Le grand-prêtre Abiathar dit alors : « On lui accordera la compagnie de quelques vierges pour lui servir de consolation, jusqu’à ce qu’arrive le jour marqué pour que tu la reçoives 77. Car elle ne pourra pas être unie en mariage à un autre. » Alors Joseph prit Marie avec cinq autres vierges, afin qu’elles fussent dans sa maison avec Marie. Ces vierges se nommaient Rebecca, Saphora, Suzanne, Abigée et Zahel, et les prêtres leur donnèrent de la soie, et du lin, et de la pourpre. Elles tirèrent entre elles au sort quelle serait la besogne réservée à chacune d’elles. Et il arriva que le sort désigna Marie pour tisser la pourpre, afin de faire le voile du Temple du Seigneur, et les autres vierges lui dirent : « Comment, puisque tu es plus jeune que les autres, as-tu mérité de recevoir la pourpre ? » Et disant cela, elles se mirent, comme par ironie, à l’appeler la reine des vierges. Et lorsqu’elles parlaient ainsi entre elles, l’Ange du Seigneur apparut au milieu d’elles et dit : « Ce que vous dites ne sera pas une dérision, mais se vérifiera très-exactement. » Elles furent épouvantées de la présence de l’Ange et de ses paroles, et elles se mirent à supplier Marie de leur pardonner et de prier pour elles.

 

CHAPITRE IX.

 

Un autre jour, comme Marie était debout auprès d’une fontaine 78, l’Ange du Seigneur lui apparut, disant : « Tu es bien heureuse, Marie, car le Seigneur s’est préparé une demeure en ton esprit. Voici que la lumière viendra du ciel pour qu’elle habite en toi et pour que, par toi, elle resplendisse dans le monde entier. » Et le troisième jour qu’elle tissait la pourpre de ses doigts, il vint à elle un jeune homme dont la beauté ne peut se décrire. En le voyant, Marie fut saisie d’effroi et se mit à trembler, et il lui dit : « Ne crains rien, Marie ; tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras et que tu enfanteras un Roi dont l’empire s’étendra non-seulement sur toute la terre, mais aussi dans les cieux, et qui régnera dans les siècles des siècles. Amen. »

 

CHAPITRE X.

 

Pendant que cela se passait, Joseph était à Capharnaüm, occupé de travaux de son métier, car il était charpentier, et il y demeura neuf mois. Revenu dans sa maison, il trouva que Marie était enceinte, et il trembla de tous ses membres, et, rempli d’inquiétude, il s’écria et il dit : « Seigneur, Seigneur, reçois mon esprit, car il est mieux pour moi de mourir que de vivre. » Et les vierges qui étaient avec Marie lui dirent : « Nous savons que nul homme ne l’a touchée, nous savons qu’elle est demeurée sans tache dans la pureté et dans la virginité, car elle a été gardée de Dieu et elle est toujours restée dans l’oraison. L’Ange du Seigneur s’entretient chaque jour avec elle, Chaque jour elle reçoit sa nourriture de l’Ange du Seigneur. Comment se pourrait-il faire qu’il y eût en elle quelque péché ? Car si tu veux que nous te révélions notre soupçon, nul ne l’a rendue enceinte, si ce n’est l’Ange du Seigneur. » Joseph dit : « Pourquoi voulez-vous me tromper et me faire croire que l’Ange du Seigneur l’ait rendue enceinte ? Il se peut que quelqu’un ait feint qu’il était l’Ange du Seigneur, dans le but de la tromper. » Et, disant cela, il pleurait et disait : « De quel front irai-je au temple de Dieu ? Comment oserai-je regarder les prêtres de Dieu ? Qu’est-ce que je ferai ? » Et il songeait à se cacher et à renvoyer Marie.

 

CHAPITRE XI.

 

Et lorsqu’il avait résolu de s’enfuir durant la nuit, afin d’aller se cacher dans des lieux écartés, voici que, cette même nuit, l’Ange du Seigneur lui apparut durant son sommeil et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains point de prendre Marie pour ton épouse, car ce qu’elle porte dans son sein est l’œuvre de l’Esprit saint. Elle enfantera un fils qui sera nommé Jésus, il sauvera son peuple et il rachètera ses péchés. » Joseph, se levant, rendit grâces à Dieu, et il parla à Marie et aux vierges qui étaient avec elle, et il raconta sa vision, et il mit sa consolation en Marie, disant : « J’ai péché, car j’avais entretenu quelque soupçon contre toi. »

 

CHAPITRE XII.

 

Il advint ensuite que le bruit se répandit que Marie était enceinte. Et Joseph fut saisi par les ministres du Temple et conduit au grand-prêtre, qui commença, avec les prêtres, à le charger de reproches, disant : « Pourquoi as-tu fraudé les noces d’une Vierge si admirable que les Anges de Dieu avaient nourrie comme une colombe dans le temple de Dieu, qui n’a jamais voulu voir un homme et qui était si merveilleusement instruite dans la loi de Dieu ? Si tu ne lui avais pas fait violence, elle serait demeurée vierge jusqu’à présent. » Et Joseph faisait serment qu’il ne l’avait jamais touchée. Le grand-prêtre Abiathar lui dit : « Vive le Seigneur ! nous allons te faire boire l’eau de l’épreuve du Seigneur 79, et ton péché se manifestera aussitôt. » Alors tout le peuple d’Israël se réunit, et sa multitude était innombrable. Et Marie fut conduite au Temple du Seigneur. Les prêtres et ses proches et ses parents pleuraient et disaient : « Confesse aux prêtres ton péché, toi qui étais comme une colombe dans le temple de Dieu et qui recevais ta nourriture de la main des Anges. »

Joseph fut appelé pour monter auprès de l’autel, et on lui donna à boire l’eau de l’épreuve du Seigneur ; lorsqu’un homme coupable l’avait bue, après qu’il avait fait sept fois le tour de l’autel du Seigneur, il se manifestait quelque signe sur sa face. Lorsque Joseph eut bu avec sécurité et qu’il eut fait le tour de l’autel, aucune trace de péché n’apparut sur son visage. Alors tous les prêtres et les ministres du Temple et tous les assistants le justifièrent, disant : « Tu es heureux, car tu n’as point été trouvé coupable. » Et, appelant Marie, ils lui dirent : « Toi, quelle excuse peux-tu donner ou quel signe plus grand peut-il apparaître en toi, puisque la conception de ton ventre a révélé ta faute ? Puisque Joseph est purifié, nous te demandons que tu avoues quel est celui qui t’a trompée. Car il vaut mieux que ta confession t’assure la vie que si la colère de Dieu se manifestait par quelque signe sur ton visage et rendait ta honte notoire. » Alors Marie répondit sans s’effrayer : « S’il y a eu en moi quelque souillure ou s’il y a eu en moi quelque concupiscence d’impudicité, que Dieu me punisse en présence de tout le peuple, afin que je serve d’exemple de châtiment du mensonge. » Et elle approcha avec confiance de l’autel du Seigneur, et elle but l’eau d’épreuve, et elle fit sept fois le tour de l’autel, et il ne se trouva en elle aucune tache. Et comme tout le peuple était frappé de stupeur et de surprise en voyant sa grossesse et qu’aucun signe ne se manifestait sur son visage, divers discours commencèrent à se répandre parmi le peuple. Les uns vantaient sa sainteté, d’autres l’accusaient et se montraient mal disposés pour elle. Alors Marie, voyant que les soupçons du peuple n’étaient pas entièrement dissipés, dit à voix haute et que tous entendirent : « Vive le Seigneur Dieu des armées, en présence duquel je me tiens ! Je l’atteste que je n’ai jamais connu ni ne dois connaître d’homme, car, dès mon enfance, j’ai pris dans mon âme la ferme résolution et j’ai fait à mon Dieu le vœu de consacrer ma virginité à celui qui m’a créée, et je mets en lui ma confiance pour ne vivre que pour lui et pour qu’il me préserve de toute souillure, tant que je vivrai. » Alors tous l’embrassèrent, en la priant de leur pardonner leurs mauvais soupçons. Et tout le peuple, et les prêtres et les vierges la reconduisirent chez elle, en se livrant à l’allégresse et en poussant des cris, et en lui disant : « Que le nom du Seigneur soit béni, car il a manifesté ta sainteté à tout le peuple d’Israël. »

 

CHAPITRE XIII.

 

Il arriva, peu de temps après, qu’il y eut un édit de César-Auguste, enjoignant à chacun de retourner dans sa patrie. Et ce fut le préfet de la Syrie, Cyrinus, qui publia le premier cet édit. Il fut donc nécessaire que Joseph avec Marie se rendît à Bethléem, car ils en étaient originaires, et Marie était de la tribu de Judas et de la maison et de la patrie de David. Et lorsque Joseph et Marie étaient sur le chemin qui mène à Bethléem, Marie dit à Joseph : « Je vois deux peuples devant moi, l’un qui pleure et l’autre qui se livre à la joie. » Et Joseph lui répondit : « Reste assise et tiens-toi sur ta monture et ne profère pas des paroles superflues. » Alors un bel enfant, couvert de vêtements magnifiques, apparut devant eux et dit à Joseph : « Pourquoi as-tu traité de paroles superflues ce que Marie te disait de ces deux peuples ? Car elle a vu le peuple juif qui pleurait, parce qu’il s’est éloigné de son Dieu, et le peuple des Gentils qui se réjouissait, parce qu’il s’est approché du Seigneur, suivant ce qui a été promis à nos pères, Abraham, Isaac et Jacob. Car le temps est arrivé pour que la bénédiction dans la race d’Abraham s’étende à toutes les nations. » Et lorsque l’Ange eut dit cela, il ordonna à Joseph d’arrêter la bête de somme sur laquelle était montée Marie, car le temps de l’enfantement était venu. Et il dit à Marie de descendre de sa monture et d’entrer dans une caverne souterraine où la lumière n’avait jamais pénétré et où il n’y avait jamais eu de jour, car les ténèbres y avaient constamment demeuré. À l’entrée de Marie, toute la caverne resplendit d’une splendeur aussi brillante que si le soleil y était, et c’était la sixième heure du jour, et tant que Marie resta dans cette caverne, elle fut, la nuit comme le jour et sans interruption, éclairée de cette lumière divine. Et Marie mit au monde un fils que les Anges entourèrent dès sa naissance et qu’ils adorèrent, disant : « Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » Joseph était allé pour chercher une sage-femme, et lorsqu’il revint à la caverne, Marie avait déjà été délivrée de son enfant. Et Joseph dit à Marie : « Je t’ai amené deux sages-femmes, Zélémi et Salomé, qui attendent à l’entrée de la caverne et qui ne peuvent entrer à cause de cette lumière trop vive. » Marie, entendant cela, sourit. Et Joseph lui dit : « Ne souris pas, mais sois sur tes gardes, de crainte que tu n’aies besoin de quelques remèdes. » Et il donna l’ordre à l’une des sages-femmes d’entrer. Et lorsque Zélémi se fut approchée de Marie, elle lui dit : « Souffre que je touche. » Et lorsque Marie le lui eut permis, la sage-femme s’écria à voix haute : « Seigneur, Seigneur, aie pitié de moi, je n’avais jamais soupçonné ni entendu chose semblable ; ses mamelles sont pleines de lait et elle a un enfant mâle, quoiqu’elle soit vierge. Nulle souillure n’a existé à la naissance et nulle douleur lors de l’enfantement. Vierge elle a conçu, vierge elle a enfanté, et vierge elle demeure. » L’autre sage-femme nommée Salomé, entendant les paroles de Zélémi, dit : « Ce que j’entends, je ne le croirai point, si je ne m’en assure. » Et Salomé, s’approchant de Marie, lui dit : « Permets-moi de te toucher et d’éprouver si Zélémi a dit vrai. » Et Marie lui ayant permis, Salomé la toucha, et aussitôt sa main se dessécha. Et, ressentant une grande douleur, elle se mit à pleurer très-amèrement et à crier, et à dire : « Seigneur, tu sais que je t’ai toujours craint, et que j’ai toujours soigné les pauvres, sans acception de rétribution ; je n’ai rien reçu de la veuve et de l’orphelin, et je n’ai jamais renvoyé loin de moi l’indigent sans le secourir. Et voici que je suis devenue misérable à cause de mon incrédulité, parce que j’ai osé douter de ta vierge. » Lorsqu’elle parlait ainsi, un jeune homme d’une grande beauté apparut près d’elle, et lui dit : « Approche de l’enfant, et adore-le, et touche-le de ta main, et il te guérira, car il est le Sauveur du monde et de tous ceux qui espèrent en lui. » Et aussitôt Salomé s’approcha de l’enfant, et l’adorant, elle toucha le bord des langes dans lesquels il était enveloppé, et aussitôt sa main fut guérie. Et, sortant dehors, elle se mit à crier et à raconter les merveilles qu’elle avait vues et ce qu’elle avait souffert, et comment elle avait été guérie ; et beaucoup crurent à sa prédication 80, car les pasteurs des brebis affirmaient qu’au milieu de la nuit ils avaient vu des anges qui chantaient un hymne : « Louez le Dieu du ciel et bénissez-le, parce que le Sauveur de tous est né, le Christ qui rétablira le royaume d’Israël. » Et une grande étoile brilla sur la caverne depuis le soir jusqu’au matin, et jamais on n’en avait vu de pareille grandeur depuis l’origine du monde. Et les prophètes, qui étaient en Jérusalem, disaient que cette étoile indiquait la nativité du Christ qui devait accomplir le salut promis, non-seulement à Israël, mais encore à toutes les nations.

 

CHAPITRE XIV.

 

Le troisième jour de la naissance du Seigneur, la bienheureuse Marie sortit de la caverne 81, et elle entra dans une étable, et elle mit l’enfant dans la crèche, et le bœuf et l’âne l’adoraient 82. Alors fut accompli ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « Le bœuf connaît son maître, et l’âne la crèche de son Seigneur. » Ces deux animaux, l’ayant au milieu d’eux, l’adoraient sans cesse. Alors fut accompli également ce qu’avait dit le prophète Kabame : « Tu seras connu au milieu de deux animaux. » Et Joseph et Marie demeurèrent trois jours dans cet endroit avec l’enfant.

 

CHAPITRE XV.

 

Le sixième jour, la bienheureuse Marie entra à Bethléem avec Joseph, et trente-trois jours étant accomplis, elle apporta l’enfant au Temple du Seigneur, et ils offrirent pour lui une paire de tourtereaux et deux petits de colombes. Et il y avait dans le Temple un homme juste et parfait, nommé Siméon, et il était âgé de cent treize ans 83. Il avait eu du Seigneur la promesse qu’il ne goûterait pas la mort 84 jusqu’à ce qu’il eût vu le Christ, fils de Dieu, revêtu de chair. Lorsqu’il eut vu l’enfant, il s’écria à haute voix, disant : « Dieu a visité son peuple, et le Seigneur a accompli sa promesse. » Et il s’empressa de vivre, et il adora l’enfant, et, le prenant dans son manteau, il l’adora de nouveau, et il baisait les plantes de ses pieds, disant : « Seigneur : renvoie maintenant ton serviteur en paix, suivant ta parole, car mes yeux ont vu le Sauveur que tu as préparé dans la présence de tous les peuples, la lumière pour la révélation aux nations, et la gloire de ton peuple d’Israël. » Il y avait aussi dans le Temple du Seigneur une femme, nommée Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Asser, qui avait vécu sept ans avec son mari, et qui était veuve depuis quatre-vingt-quatre années ; et elle ne s’était jamais écartée du Temple de Dieu, s’adonnant sans relâche au jeûne et à l’oraison. Et s’approchant, elle adorait l’enfant, disant : « C’est en lui qu’est la rédemption du siècle. »

 

CHAPITRE XVI.

 

Deux jours s’étant passés, des mages vinrent de l’Orient à Jérusalem 85, apportant de grandes offrandes, et ils interrogeaient avec empressement les Juifs, demandant : « Où est le roi qui nous est né ? car nous avons vu son étoile dans l’Orient, et nous sommes venus pour l’adorer. » Cette nouvelle effraya tout le peuple, et Hérode envoya consulter les Scribes, les Pharisiens et les docteurs pour s’informer d’eux où le prophète avait annoncé que le Christ devait naître. Et ils répondirent : « À Bethléem, car il a été écrit : Et toi, Bethléem, terre de Judas, tu n’es pas la moindre dans les principautés de Judas, car c’est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d’Israël. » Alors le roi Hérode appela les mages, et s’informa d’eux quand l’étoile leur avait apparu, et il les envoya à Bethléem, disant : « Allez, et informez-vous avec soin de cet enfant, et, lorsque vous l’aurez trouvé, venez me le dire, afin que j’aille l’adorer. » Les mages étant en chemin, l’étoile leur apparut, et, comme leur servant de guide, elle les précéda jusqu’à ce qu’ils arrivèrent à l’endroit où était l’enfant. Les mages, voyant l’étoile, furent remplis d’une grande joie. Et, entrant dans la maison, ils trouvèrent l’enfant Jésus couché dans les bras de Marie. Alors ils ouvrirent leurs trésors, et ils offrirent de riches présents à Marie et à Joseph. Et chacun d’eux présenta à l’enfant des offrandes particulières. L’un offrit de l’or, l’autre de l’encens, et l’autre de la myrrhe. Lorsqu’ils voulaient retourner auprès du roi Hérode, ils furent avertis en songe de ne pas revenir vers lui. Et ils adorèrent l’enfant avec une joie extrême, et ils revinrent dans leur pays par un autre chemin.

 

CHAPITRE XVII.

 

Lorsque le roi Hérode vit que les mages l’avaient trompé, son cœur s’enflamma de colère, et il envoya sur tous les chemins ; voulant les prendre et les faire périr, et comme il ne put les rencontrer, il envoya à Bethléem, et il fit tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous, suivant le temps dont il s’était informé auprès des mages. Et un jour avant que cela n’arrivât, Joseph fut averti par l’Ange du Seigneur, qui lui dit : « Prends Marie et l’enfant et mets-toi en route à travers le désert et va en Égypte. » Et Joseph fit ce que l’Ange lui prescrivait.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Lorsqu’ils furent arrivés auprès d’une caverne et qu’ils voulurent s’y reposer, Marie descendit de dessus sa monture et elle portait Jésus dans ses bras. Et il y avait avec Joseph trois jeunes garçons, avec Marie une jeune fille qui suivaient le même chemin. Et voici que subitement il sortit de la caverne un grand nombre de dragons, et, en les voyant, les jeunes garçons poussèrent de grands cris. Alors Jésus, descendant des bras de sa mère, se tint debout devant les dragons ; ils l’adorèrent, et quand ils l’eurent adoré, ils se retirèrent. Et ce que le prophète avait dit fut accompli : « Louez le Seigneur, vous qui êtes sur la terre, dragons. » Et l’enfant marchait devant eux, et il leur commanda de ne faire aucun mal aux hommes. Mais Marie et Joseph étaient dans une grande frayeur, redoutant que les dragons ne fissent du mal à l’enfant. Et Jésus leur dit : « Ne me regardez pas comme n’étant qu’un enfant, je suis un homme parfait, et il est nécessaire que toutes les bêtes des forêts s’apprivoisent devant moi. »

 

CHAPITRE XIX.

 

De même les lions et les léopards l’adoraient, et il en était accompagné dans le désert. Partout où Marie et Joseph allaient, ils les précédaient, leur montrant le chemin, et, baissant leurs têtes, ils adoraient Jésus 86. La première fois que Marie vit les lions et les bêtes sauvages qui venaient à elle, elle eut grand peur, et Jésus, la regardant d’un air joyeux, lui dit : « Ne crains rien, ma mère, car ce n’est pas pour t’effrayer, mais pour te rendre hommage qu’ils viennent vers toi. » Et disant cela, il dissipa toute crainte de leur cœur. Les lions marchaient avec eux et avec les bœufs, les ânes et les bêtes de somme qui leur étaient nécessaires, et ils ne faisaient aucun mal, et ils restaient également, pleins de douceur, au milieu des brebis et des béliers que Joseph et Marie avaient amenés avec eux de la Judée. Ils marchaient au milieu des loups, et ils ne ressentaient nulle frayeur, et nul n’éprouvait aucun mal. Alors fut accompli ce qu’avait dit le prophète : « Les loups seront dans les mêmes pâturages que les agneaux ; le lion et le bœuf partageront le même repas. » Et ils avaient deux bœufs et un chariot dans lequel les objets nécessaires étaient portés.

 

CHAPITRE XX.

 

Il arriva que le troisième jour de la route, Marie fut fatiguée dans le désert par la trop grande ardeur du soleil. Et, voyant un arbre, elle dit à Joseph : « Reposons-nous un peu sous son ombre. » Joseph s’empressa de la conduire auprès de l’arbre, et il la fit descendre de sa monture. Et Marie, s’étant assise, jeta les yeux sur la cime du palmier, et la voyant couverte de fruits, elle dit à Joseph : « Mon désir serait, si cela était possible, d’avoir un de ces fruits. » Et Joseph lui dit : « Je m’étonne que tu parles ainsi, lorsque tu vois combien sont élevés les rameaux de ce palmier. Moi, je suis fort inquiet à cause de l’eau, car il n’y en a plus dans nos outres, et nous n’avons pas les moyens de les remplir de nouveau et de nous désaltérer. » Alors l’enfant Jésus, qui était dans les bras de la vierge Marie, sa mère, dit au palmier : « Arbre, incline tes rameaux et nourris ma mère de tes fruits. » Aussitôt, à sa voix, le palmier inclina sa cime jusqu’aux pieds de Marie 87, et, recueillant les fruits qu’il portait, tous s’en nourrirent. Et le palmier restait incliné, attendant, pour se relever, l’ordre de celui à la voix duquel il s’était abaissé. Alors Jésus lui dit : « Relève-toi, palmier, et sois le compagnon de mes arbres qui sont dans le paradis de mon père. Et que de tes racines il surgisse une source qui est cachée en terre et qu’elle nous fournisse l’eau pour étancher notre soif. » Et aussitôt le palmier se releva, et il commença à surgir d’entre ses racines des sources d’eau très-limpide et très-fraîche et d’une douceur extrême 88. Et tous, voyant ces sources, furent remplis de joie, et ils se désaltérèrent en rendant grâces à Dieu, et les bêtes apaisèrent aussi leur soif.

 

CHAPITRE XXI.

 

Le lendemain, ils partirent, et au moment où ils se remirent en route, Jésus se tourna vers le palmier, dit : « Je te dis, palmier, et j’ordonne qu’une de tes branches soit transportée par mes Anges et soit plantée dans le paradis de mon père. Et je t’accorde en signe de bénédiction qu’il sera dit à tous ceux qui auront vaincu dans le combat pour la foi : “Vous avez atteint la palme de la victoire.” » Comme il parlait ainsi, voici que l’Ange du Seigneur apparut, se tenant sur le palmier, et il prit une des branches, et il s’envola par le milieu du ciel, tenant cette branche à la main. Et les assistants, ayant vu cela, restèrent comme morts. Alors Jésus leur parla, disant : « Pourquoi votre cœur s’abandonne-t-il à la crainte ? Ne savez-vous pas que cette palme que j’ai fait transporter dans le paradis sera pour tous les saints dans un lieu de délices, comme celui qui vous a été préparé dans ce désert ? »

 

CHAPITRE XXII.

 

Et, comme ils cheminaient, Joseph lui dit : « Seigneur, nous avons à souffrir d’une extrême chaleur ; s’il te plaît, nous prendrons la route de la mer afin de pouvoir nous reposer en traversant les villes qui sont sur la côte. » Et Jésus lui dit : « Ne crains rien, Joseph ; j’abrégerai le chemin, de sorte que ce qu’il faudrait trente jours pour l’accomplir, vous l’achèverez en un jour. » Et tandis qu’il parlait encore, ils aperçurent les montagnes et les villes de l’Égypte, et, remplis de joie, ils entrèrent dans une ville qui s’appelait Sotine. Et comme ils n’y connaissaient personne auprès de qui ils pussent réclamer l’hospitalité, ils entrèrent dans un Temple que les habitants de cette ville appelaient le Capitole, et où, chaque jour, il était offert des sacrifices en l’honneur des idoles.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Et il advint que lorsque la bienheureuse Marie avec son enfant entra dans le Temple, toutes les idoles tombèrent par terre sur leur face, et elles restèrent détruites et brisées 89. Ainsi fut accompli ce qu’avait dit le prophète Isaïe : « Voici que le Seigneur vient sur une nuée, et tous les ouvrages de la main des Égyptiens trembleront à son aspect. »

 

CHAPITRE XXIV.

 

Et lorsque le gouverneur de cette ville, Afrodisius apprit cela, il vint au temple avec toutes ses troupes et tous ses officiers. Lorsque les prêtres du Temple virent Afrodisius s’approchant avec toutes ses troupes, ils pensèrent qu’il venait exercer sa vengeance contre eux, parce que les images des dieux s’étaient renversées. Et lorsqu’il entra dans le Temple et qu’il vit toutes les statues renversées sur leur face et brisées, il s’approcha de Marie et il adora l’enfant qu’elle portait dans ses bras. Et quand il l’eut adoré, il adressa la parole à tous ses soldats et à ses compagnons, et il dit : « Si cet enfant n’était pas un dieu, nos dieux ne seraient pas tombés sur leur face à son aspect, et ils ne se seraient pas prosternés en sa présence ; ils le reconnaissent ainsi pour leur Seigneur. Et si nous ne faisons ce que nous avons vu faire à nos dieux, nous courrons le risque d’encourir son indignation et sa colère, et nous tomberons tous en péril de mort, comme il arriva au roi Pharaon qui méprisa les avertissements du Seigneur. » Peu de temps après, l’ange dit à Joseph : « Retourne dans le pays de Judas, car ceux qui cherchaient l’enfant pour le faire périr sont morts. »

 

 

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ÉVANGILE DE NICODÈME.

 

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PRÉFACE.

 

Les Actes de Pilate ont joui dans les premiers temps de l’Église d’une grande autorité ; St-Justin, Tertullien, Eusèbe et bien d’autres écrivains ecclésiastiques s’appuient de leur témoignage. Ce que ces divers auteurs rapportent comme se trouvant dans ces Actes se rencontre aussi dans la composition connue sous le nom d’Évangile de Nicodème, et qui se compose de deux parties bien distinctes ; la première s’étend jusqu’au seizième chapitre ; elle donne le récit de la condamnation, de la passion, de la sépulture et de la résurrection de Jésus-Christ, récit compilé d’après les Évangélistes, d’après les Actes de Pilate et grossi de quelques fables ; la seconde partie, chapitre 17 à 27, renferme le récit si remarquable des fils de Siméon, Carinus et Leucius, rappelés à la vie et racontant la descente de Jésus-Christ aux enfers et ce qui se passa alors entre les puissances de l’abîme, les patriarches et le Sauveur.

Cette légende est sans nul doute l’œuvre d’un écrivain de race juive qui voulait opposer à l’incrédulité des sectateurs de Moïse, le témoignage des contemporains de Jésus-Christ ; il est probable qu’il vivait au cinquième siècle, mais à cet égard, comme à celui de la langue dont il fit usage, on en est réduit à des conjectures plus ou moins hasardées. À l’exception d’an compilateur obscur que cite Léon Allatius (De libris eccles. Graec., p. 235), les auteurs grecs ne font nulle part mention de l’Évangile de Nicodème ; par contre, nous le voyons de bonne heure goûté et répandu dans tout l’occident. Grégoire de Tours est le premier qui en ait fait usage ; dans son Histoire des Francs, liv. 1, ch. 21 et 24, il l’analyse en détail ; Vincent de Beauvais, Jacques de Voragine et une foule d’autres écrivains du moyen-âge, ont maintes et maintes fois recouru à cet écrit dont l’autorité n’est jamais suspecte à leurs yeux.

Remarquons aussi que la légende, telle que la donne la seconde partie de l’Évangile en question, a été connue d’un grand nombre de docteurs de l’une et de l’autre église. Un auteur grec, Eusèbe d’Alexandrie, dans un discours publié pour la première fois par Augusti, la paraphrase avec énergie ; elle ne renferme guère une seule phrase que l’on ne pût mettre en regard de citations multipliées prises chez maint écrivain des premiers siècles. Thilo a discuté tous ces rapprochements dans un commentaire étendu que nous avons dû laisser de côté, notre intention étant d’écarter de notre travail tout ce qui ressemblerait à une discussion théologique.

Nous mentionnerons comme offrant des recherches de philologie assez étendues les travaux de W. H. Brunn, Disquisitio hist. crit. de indole, aetate et usu libri apocr. vulgo inscrip. Evang. Nicod. (Berlin, 1784, 8o), et ceux de Staudlin (Gotting. Bihl. der neuest. theol. liter., l. 762, et Nürnberg litt. Zeit., 1794, no 94, p. 745). Ces divers ouvrages se rencontrent assez difficilement en France, mais on peut y suppléer en recourant à celui que nous allons indiquer.

Un écrivain dont les travaux déjà assez nombreux 90 témoignent d’une érudition solide et d’un goût bien rare pour des recherches sérieuses, M. Alfred Maury, a récemment inséré dans la Revue de philologie, de littérature et d’histoire ancienne, tom. II, no 5, p. 428 à 442, une dissertation sur la date de l’Évangile de Nicodème et sur les circonstances auxquelles on peut attribuer la rédaction de cet ouvrage. Indiquons succinctement à quelles conséquences l’examen des textes amène M. Maury.

Le nom d’Amanias ou plutôt d’Emmaïas que l’auteur se donne paraît être le nom grécisé de Heneb. Cet auteur prétend avoir travaillé d’après un original hébreu, mais ce qui montre qu’il a suivi des écrits latins, c’est qu’il a intercalé, dans sa version grecque, des mots latins qu’il a seulement transcrits en caractères helléniques. Parmi les noms donnés aux prosélytes qui s’annoncent comme Juifs de nation, on trouve des noms latins que jamais n’ont portés des Israélites. En somme, la rédaction de la première partie de l’Évangile de Nicodème ne semble pas remonter bien au-delà du cinquième siècle. L’auteur se présente comme un Juif converti ; s’il dit vrai, il était peu instruit dans sa langue, et, loin d’avoir travaillé d’après un texte hébreu, il n’a fait qu’une compilation où des détails empruntés à un apocryphe latin ou du moins à des légendes latines plus anciennes sont mêlés à des faits racontés dans les Évangiles canoniques.

La seconde partie ne paraît point, comme l’ont pensé quelques critiques, une œuvre distincte de la première, avec laquelle une main plus moderne l’aurait raccordée. La ressemblance du style, la liaison des idées, indique un seul et même auteur.

« Quant au fond du récit de la descente de Jésus-Christ aux enfers, il est évidemment puisé chez les auteurs chrétiens des troisième et quatrième siècles. En parcourant les ouvrages des Pères de cette époque, on retrouve le même langage, les mêmes figures oratoires ; seulement, dans le pseudo-évangile, le tableau s’est agrandi ; il a pris des proportions plus fortes, et le côté allégorique a fait place à l’interprétation littérale. » À l’appui de cette assertion, M. Maury met à côté de divers passages de l’écrit qui nous occupe, de nombreuses citations empruntées aux écrits de saint Cyrille de Jérusalem, de saint Jean Chrysostome, de Firmicus Maternus, d’Origène, de saint Hippolyte, etc. Il montre que l’idée de presque tous les faits présentés dans la relation des prétendus fils de Siméon sont puisés chez les auteurs ecclésiastiques des troisième, quatrième et cinquième siècles, circonstance qui montre que cette composition est l’œuvre d’un Juif converti, ou du moins d’un chrétien imbu de croyances judaïques qui vivait à peu près de l’an 405 à 410 et qui s’est proposé de combattre indirectement l’opinion d’Apollinaire ; cet évêque de Laodicée, à la fin du quatrième siècle, rejeta le dogme de la descente aux enfers, dogme qui contrariait la doctrine qu’Apollinaire exposait au sujet de l’incarnation ; il fut le chef d’une secte qui ne tarda pas à s’éteindre.

M. Maury remarque que les monuments figurés montrent que l’art chrétien emprunta ses sujets à l’Évangile de Nicodème. Il cite des diptyques publiés par Gori (Thesaurus veter. diptych., tom. I, pl. 14, 30 et 51), qui représentent le Christ se penchant vers le fond de l’enfer représenté par un antre et en tirant par la main un des Saints qui s’élancent vers lui, ou bien foulant aux pieds le démon et allant délivrer les justes. Ailleurs, il marche sur les portes de l’enfer et délivre divers personnages dans lesquels on peut reconnaître Adam, Ève et le bon larron. Des sujets analogues se retrouvent dans l’Histoire de l’art par Seroux d’Agincourt (peinture, pl. 52 et 69).

Ce serait une longue tâche que de vouloir entreprendre l’histoire littéraire d’une composition aussi célèbre durant des siècles, aussi répandue que l’Évangile de Nicodème. Bornons-nous à en offrir une esquisse.

Le texte grec se trouve, très-défiguré par l’impéritie des copistes, dans quatre manuscrits conservés à la bibliothèque du Roi ; Thilo les a collationnés avec un soin scrupuleux et il s’est aidé des diverses leçons qu’ils présentent pour arriver à présenter le sens le plus naturel. Il s’est également servi de deux manuscrits grecs de la bibliothèque de Munich, l’un et l’autre incomplets, mais qui lui ont fourni de bonnes variantes, d’un manuscrit du Vatican, déjà publié par Birch (Auctuar., p. 109 et 151), et d’un manuscrit de Venise où nous apprenons qu’à des époques peu éloignées, l’Évangile de Nicodème se lisait dans les églises grecques, non comme faisant partie de l’Écriture-Sainte, mais comme légende édifiante et digne de foi, comme l’œuvre d’un auteur respectable.

Quant au texte latin, Thilo a donné celui d’un manuscrit fort ancien de la bibliothèque du couvent d’Einseidlin, manuscrit qui paraît antérieur au dixième siècle et dont il a confronté les leçons nouvelles avec un grand nombre de manuscrits dispersés à Halle, à Rome, à Copenhague, à Paris ; la bibliothèque royale en contient dix-huit 91 ; le savant allemand en a collationné six en entier ; aucun ne lui a fourni un texte préférable à celui que donne le Codex Einsidlensis. Une multitude d’autres copies sont éparses dans toutes les grandes bibliothèques ; l’ancien catalogue de la Bodleyenne à Oxford en indique treize, mais aucun d’eux n’offre rien de nouveau.

C’est à l’Évangile de Nicodème qu’est due l’introduction dans les traditions armoricaines et dans les romans de la Table-Ronde du mythe célèbre du St-Graal, de ce vase sacré dans lequel Joseph d’Arimathie avait recueilli le sang précieux de son maître.

Le roman de l’enchanteur Merlin semble de son côté s’annoncer comme une suite de la seconde portion de l’Évangile dont nous parlons. Voici le début en prose de cette composition si populaire au moyen-âge.

« Molt fu iriés li anemis quant nostres sires ot estet en infer, et il en ot gité Ève et Adam et des autres tant com lui plot, et quant li deables virent ce, si en orent mult grant paour, et mult lor vint à grant merveille, si s’assamblèrent luit et disent : Qui est cil hons qui ci nous a esforchiés, etc. »

Dès son début l’imprimerie se hâta de répandre une légende qui avait donné tant d’ouvrage aux copistes. Les bibliographes en ont enregistré trois éditions latines exécutées en Allemagne avant 1500 ; il en existe d’autres de Leipzig, 1516 ; Venise, 1522 ; Anvers, 1528 ; Paris, 1545. Le texte de ces diverses éditions présente des différences qu’il serait fort inutile de discuter ; nous dirons seulement que le plus mauvais de tous les textes est celui de l’édition de Fabricius ; il n’a été revu sur aucun manuscrit ; il paraît avoir été formé un peu à la hâte, d’après la confrontation de deux ou trois des anciennes éditions, sans que rien n’indique celles que l’éditeur a eues sous les yeux. Birch et Schmid ont donné, sans rien y changer, le texte de Fabricius ; Jones a fait usage de celui que présente le recueil de Grynœus (Monumenta S. S. Patrum, 1569), en y introduisant quelques corrections. Il n’est plus permis dorénavant de citer un autre texte que celui de l’édition de Thilo.

Les diverses nations de l’Europe s’empressèrent de s’approprier un ouvrage qui répondait si bien aux croyances de l’époque. Les versions de l’Évangile de Nicodème se multiplièrent rapidement et c’est un fait qu’il ne sera pas permis de négliger lorsque l’on voudra écrire l’histoire de la traduction au moyen-âge, travail curieux et bien propre à faire connaître le mouvement intellectuel du monde civilisé pendant quatre siècles.

Cette légende paraît surtout avoir joui d’une grande faveur en Angleterre ; de nombreuses traductions restées manuscrites sont répandues dans les bibliothèques des Trois-Royaumes ; l’hérésiarque Wiclef fut du nombre de ces translateurs. De 1507 à 1532, l’on en connaît sept éditions imprimées à Londres chez Julien Notary, chez Winkin de Worde, chez J. Scott, et il existe aussi deux éditions sans date, dont l’une fut exécutée à Rouen, chez J. Cousturier ; ce n’est pas le seul ouvrage publié alors en Normandie pour l’usage des lecteurs britanniques 92.

En 1767, une ancienne traduction anglaise parut à Londres, chez Joseph Wilsond, qui rajeunit l’orthographe, mais qui ne s’expliqua point sur l’origine de la légende qu’il publiait. Elle offre un récit qui s’écarte en maint endroit du texte latin tel que le donne Thilo ; elle renferme des traits fabuleux et des détails singuliers qui paraissent avoir été ajoutés après coup. Nous en rapporterons le prologue :

« Il arriva dans la dix-neuvième année du règne de Tibère César, empereur de Rome, et sous le règne d’Hérode qui était roi de Galilée, la quatrième année du fils de Velom qui était conseiller de Rome comme Olympias l’avait été deux cent deux ans auparavant. Alors Joseph et Anne étaient élevés en seigneurie au-dessus des juges, des magistrats, des mages et de tous les Juifs. Nicodème, qui était un digne prince, écrivit cette histoire en hébreu, et Théodose, l’empereur, la fit traduire de l’hébreu en latin, et l’évêque Turpin la traduisit du latin en français, et s’ensuit cette bienheureuse histoire appelée l’Évangile de Nicodème. »

Dans aucun des manuscrits latins, il n’est, à ce que nous voyons, fait mention de Turpin, devenu si fameux au moyen-âge, comme le fidèle compagnon de Charlemagne et comme son historiographe.

Dans un recueil d’ouvrages anglo-saxons que Ed. Thwaites mit au jour à Oxford en 1698, l’on trouve une version de l’Évangile de Nicodème, faite sur un texte latin tel que le présentent, avec peu de différences, tant de manuscrits.

Une traduction française d’une portion de cette légende se rencontre dans un roman de chevalerie, où l’on n’irait pas la chercher, dans l’Histoire du roi Perceforest, publiée à Paris, en 1528, en 3 volumes in-folio, réimprimée dans la même ville en 1531-1532. C’est au 66e chapitre du 6e livre (feuillet 121 du 6e volume de la 1re édition ; feuillet 107 du tome 3 de la 2e), que se trouve l’extrait en question. Ce chapitre est intitulé : Comment le roy Arfaran sen alla en lysle de vie, publier la foy catholicque et racompter au long la passions résurrection de Jésus-Christ au roy Gadiffer Descosse et au roy Perceforest Dangleterre, à la sage royne et aux autres, et du contenu des lettres que Pylate escrypuit à Claudius empereur de Romme. Le prêtre Nataël, qui a eu pour maître Joseph d’Arimathie et qui accompagne le roi Arfaran, lit devant une réunion choisie, où se distinguent plusieurs têtes couronnées, la benoyste passion tout ainsi que Nicomedus la fist escrypre mot à mot, laquelle passion, ajouta-t-il, jay sur moy escrypte de ma propre main, mal volontiers yrois sans lavoir.

Il sortit en 1497, des presses de J. Trepperel, un écrit intitulé : Passion de N.-S.-Jésus-Christ, faicte et traitée par le bon maistre Gamaliel et Nicodemus son neveu, et le bon chevalier Joseph Dabrimatie translatée du latin en françois. Ce volume est orné de figures en bois, assez jolies.

C’est un in-4o de 58 feuillets non chiffrés et dont le dernier, signé L iii, est suivi de trois feuillets non signés. Le titre du livre est ainsi conçu : « À loneur de Nostre-Seigneur-Ihesucrist a este translatée de latin en françoys la benoiste passion et résurrection par le bon maistre Gamaliel et Nichodemus son nepueu et le bon cheualier Ioseph Dabarimathie disciples de Ihesucrist laquelle sensuyt. »

On lit au verso du premier feuillet :

« Cy commence la mort et passion de Ihesucrist laquelle fuct faicte et traitée par le bon maistre Gamaliel et Nicodemus son nepueu et le bon cheualier Ioseph Dabrimathie, disciples secrets de Notre-Seigneur.

» En celluy temps que Ihesucrist prit mort et passion en la cite de Hierusalem soubz la main de Ponce-Pylate qui estoit senechal de Hierusalem pour Iulius César, empereur de Romme, et auoit son lieu en Hierusalem et en Cesarie partout icelluy règne, et auoit Pylate auec soy ung gentilhomme cheualier (2e feuillet recto) qui auoit nom Nicodemus, lequel auoit cent cheualiers soubz soy qui estoient aux gages de l’empereur pour garder la cité d’Ihlz, pour conseiller et ay-der à Pylate ; aussi estoit ung maistre à Hierusalem  qui lisoit les loys de Moyse qui auoit nom Gamaliel, qui estoit moult sage et Pylate et les outres Iuifs croioient fort son conseil et estoit oncle de Nicodemus et aussi auoit là ung prudhomme qui auoit nom Ioseph Dabarimatie qui estoit né naturellement à Barimathie, et estoit Iuif et disciple de Ihesucrist secrètement, car il ne osoit faire semblant pour doubte des Iuifz. Mais segretement il escoutoit les paroles de Ihesucrist et estoit à ses sermons, uoulentiers aloit là où il sçauoit les amys de Ihesucrist et quant Pilate auoit riens afaires, il mandoit Gamaliel, Nichodemus et Ioseph et tout ce qu’ilz lui conseilloit, il faisoit. »

Rapportons une circonstance relatée au feuillet E ii :

« Comme après que Ihesucrist fut trespasse Annas et Cayphas allèrent autour de la croix veoir si estoit mort. Et tantost Annas et Cayphas et plusieurs aultres des Iuifz allèrent enuiron la croix pour veoir si Ihesucrist estoit mort et les aultres non, et Cayphas dist à Centurion quil lui faillit percer le costé dune lance, et Centurion dist que riens nen feroit pour tout le monde, car il auoit veu les plus grands merueilles que onques ne vit ne ouyt dire pour mort de nul homme, et tantost ung Iuif qui auoit nom Longis et estoit aueugle et si estoit un gentilhomme de Romme qui le prit par la main et luy dist : Veulx-tu recouruer la veue ; oui, dist-il, sil se peult faire, et le Iuifz print une longue lance et fist toucher le fer de la lance au coste de Ihesucrist et lui dist quil boutast fort, et tantost en yssit sang et eaue meslee et descendit du long de la lance iusques aux mains de ce Longis et il en toucha ses yeulx, or tantost après quil eut touché à ses yeulx, il vit clèrement et tous ceulx qui uirent le miracle cheurent par terre et disoient que mal leur estoit pris, car ils auoient liure à mort Ihesucrist, et Joseph Dabrimatbie prist ung vaisseau là où il retint le sang de Ihesucrist et retint la lance et la mist en la cite de Hierusalem. »

L’extrême rareté de ce livre nous fera pardonner les détails dans lesquels nous sommes entrés à son égard.

N’oublions pas un autre ouvrage du même genre :

La vie de Jesu-Crist. – La mort et passion de Iesucrist, laquelle fut composée par les bons et expers-maîtres, Nicodemus et Joseph d’Arimathie. – La destruction de Hierusalem et vengeance de nostre Saulveur et Rédempteur Jésus-Christ, faicte par Vespasien et Titus son fils. Lyon. J. de Chandeney, 1510. 4o. La première des trois parties dont se compose ce volume, est mêlée de vers et de prose ; elle se compose de 37 feuillets ; la seconde partie a 32 feuillets et la troisième 16.

En Italien, indépendamment de l’extrait qu’en donna d’après le français et de seconde main la dilettevole historia del valorossissimo Parsaforesto Re della gran Bretagna (Venise, 1558, 6 vol. 8o), l’Évangile de Nicodème trouva divers traducteurs dont les travaux sont demeurés inédits. Lami indique comme se trouvant à la bibliothèque Riccardiana un Evangelio di Nicodemo Catal., 1756 (p. 181) et Nicodeme, Narrazione della resurrezione di Christo. D’après Lami qui en parle dans son savant ouvrage De Cruditione Apostolorum (Florent. 1738, p. 181), le premier de ces manuscrits est une paraphrase plutôt qu’une traduction fidèle. Un manuscrit du Vatican (5420) contient une histoire de la passion de Jésus-Christ écrite en Italien par un Juif converti, du nom d’Isaac, et des emprunts considérables faits à la légende de Nicodème s’y font remarquer.

Nous ne connaissons pas de version espagnole, mais en allemand il en existe de nombreuses, restées inédites et toutes plus ou moins chargées d’interpolations. L’on connaît six éditions imprimées séparément ; deux sont sans date, elles appartiennent au quinzième siècle ; les autres virent le jour en 1555, 1616, 1676 et 1684. Aucune n’offre de particularités dignes de remarque. Un livret en langue hollandaise sorti en 1671 des presses de Rotterdam est intitulé : T’Wonderlyck Evangelium van Nicodemus.

On n’a trouvé encore aucune traduction complète de l’Évangile de Nicodème dans quelques-unes des langues de l’Orient, mais la trace des récits qu’il renferme se rencontre dans divers auteurs syriens ou coptes ; Assemani dans sa Bibliotheca Orientalis (Rome, 1719-28, 4 vol. fo) et Zoëga dans un ouvrage que nous allons avoir occasion de citer en ont fait mention ; des légendes puisées à la même source se montrent aussi dans divers manuscrits arméniens et arabes de la bibliothèque du Roi et de celle du Vatican. Nous donnerons ici la traduction du début d’une de ces relations arabes telle que l’illustre Silvestre de Sacy la fait passer en latin ; c’est celle du manuscrit no 160 de la bibliothèque du Roi.

Au nom du Père, et du Fils et de Saint-Esprit, un seul Dieu ; le martyre de Pilate ; sermon qu’a composé notre Père saint, digne de toute vénération, l’abbé Hériaque, évêque de Balmessa, sur la résurrection de Notre-Seigneur Jésus- Christ d’entre les morts et sur les tourments qu’il a soufferts dans la ville de Jérusalem, lorsqu’il fut crucifié, sous Ponce-Pilate. Lorsque Notre-Seigneur, Dieu et Sauveur, eut été crucifié, les vénérables princes Joseph et Nicodème le descendirent de la croix et le placèrent dans un sépulcre neuf. La vierge Marie pleurait et désirait aller au sépulcre de son fils ; mais elle ne pouvait le faire à cause de la peur qu’inspiraient les Juifs ; c’était le jour du Sabbat qui vient après la sixième fête et, ce jour-là, personne ne pouvait sortir ni se livrer à quelqu’occupation que ce fût. Le matin de la première fête, la vierge Marie prit avec elle d’autres femmes et elle emporta des parfums pour oindre le sépulcre. Marie devança les autres femmes et elle vint au sépulcre avant que les ténèbres de la nuit fussent dissipées, et elle vit que la pierre qui fermait la porte du tombeau avait été ôtée. Et lorsqu’elle était frappée d’étonnement, elle vit deux Anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête, l’autre aux pieds de l’endroit où avait été posé le corps de Jésus, et ils lui dirent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle répondit : « Parce qu’ils ont enlevé le corps de mon Seigneur et je ne sais où ils l’ont mis. » Et, se retournant, elle vit Jésus qui lui dit : « Femme, quel est le motif qui te fait verser des larmes et pourquoi pleures-tu ? etc. »

Dans la suite de son discours, l’écrivain oriental dit que tout ce qu’il raconte a été écrit par Gamaliel et Anne (Ananie), hommes pieux et doctes qui étaient avec Joseph et Nicodème et qui furent témoins de la passion ; il ajoute que Pilate obtint la palme du martyre, car il embrassa la foi de celui qu’il avait condamné, et Hérode, l’ayant envoyé à Rome, il y eut la tête tranchée.

M. Dulaurier, dans un écrit que nous avons déjà cité, a traduit un fragment des Actes de saint André et de saint Paul, inséré par Zoëga dans son Catalogus codicum copticorum qui in museo Bargiano adservantur (Romae, 1810, folio).

Saint Paul raconte qu’ayant pénétré dans le sein de l’abîme, il a vu le lieu où résident les âmes.

« Le Sauveur est descendu dans l’Amentès ; il en a retiré toutes les âmes qui s’y trouvaient, il l’a rendu désert ; les gardiens de l’Amentès pleurèrent sur le Diable en ces termes : Tu te glorifiais d’être Roi ; tu disais : c’est moi seul qui le suis. Nous voyons bien maintenant que c’est faux, car celui qui est ton Roi est venu ici et en a ramené toutes les âmes qui étaient soumises à ton pouvoir. – Alors le Diable, s’adressant aux légions infernales : Ô vous, puissances de mon empire, leur dit-il, qui pensez qu’un autre l’emporte sur nous, parce qu’il est descendu en ces lieux, ne nous reste-t-il pas une âme qu’il n’a pu délivrer ?.... Écoute-moi (ô mon frère André), je te dirai que j’ai vu les rues de l’Amentès désertes, personne ne les habitait et les portes que le Seigneur avait brisées étaient en morceaux. Tu vois ce fragment de bois qui est dans mes mains et que j’ai rapporté avec moi ; il fermait le seuil des portes que le Seigneur a détruites.

 

 

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Moi, Émée, Hébreu, qui étais docteur de la Loi chez les Hébreux, étudiant les Divines Écritures ; m’appliquant dans la Foi, aux grandeurs des Écritures de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, revêtu de la dignité du saint Baptême, et recherchant les choses qui se sont passées et qu’ont faites les Juifs sous le gouvernement de Ponce-Pilate ; trouvant le récit de ces faits écrits en lettres hébraïques par Nicodème, je l’ai interprété en lettres grecques, pour le porter à la connaissance de tous ceux qui adorent le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et je l’ai fait sous l’empire de Flavius Théodose, la dix-huitième année, et sous Valentinien Auguste. Vous tous qui lisez ces choses dans les livres grecs ou latins, je vous prie de daigner intercéder pour moi, pauvre pécheur, afin que Dieu me soit propice et qu’il me remette tous les péchés que j’ai commis. Que la paix soit aux lecteurs, le salut à ceux qui entendront. C’est la fin de la préface.

Ceci arriva dans la dix-huitième année de l’empire de Tibère, César, empereur des Romains, et d’Hérode, fils d’Hérode, empereur de Galilée, l’an dix-huitième de sa domination, le huit des calendes d’avril, qui est le vingt-cinquième jour du mois de mars sous le consulat de Ruffin et de Rubelliou ; la quatrième année de la deux-cent-deuxième olympiade, lorsque Joseph et Caïphe étaient grands-prêtres des Juifs ; et Nicodème écrivit alors en lettres hébraïques le récit de tout ce qui s’était passé lors du Crucifiement du Seigneur et après sa Passion 93.

 

CHAPITRE Ier.

 

Anne, Caïphe, Summus, Dathan et Gamaliel, Judas » Lévi, Nephtali, Alexandre, Syrus et les autres princes des Juifs, vinrent à Pilate contre Jésus, l’accusant de beaucoup d’actions mauvaises et disant : « Nous le connaissons pour le fils de Joseph le charpentier, et pour être né de Marie ; et il dit qu’il est Roi et Fils de Dieu ; non-seulement cela, mais il viole le Sabbat, il veut détruire la loi de nos pères. » Pilate dit : « Quelles sont les mauvaises actions qu’il commet ? » Les Juifs répondirent : « Nous avons pour loi de ne guérir personne le jour du Sabbat ; celui-ci a malicieusement guéri, le jour du Sabbat, des boiteux et des sourds, des impotents et des paralytiques, des aveugles, des lépreux et des démoniaques. » Pilate leur dit : « Comment l’a-t-il fait malicieusement ? » Et les Juifs lui répondirent : « C’est un magicien 94 ; et c’est au nom de Béezébub, prince des démons, qu’il chasse les démons et que toutes choses lui sont soumises. » Pilate dit : « Ce n’est pas l’effet d’un esprit immonde, mais celui de la puissance de Dieu, de chasser les démons. » Les Juifs dirent à Pilate : « Nous prions ta Grandeur d’ordonner qu’il comparaisse devant un tribunal, afin que tu l’entendes. » Pilate, appelant un messager, lui dit : « Que Jésus soit amené ici et traité avec douceur. » Le messager s’en alla, et trouvant Jésus, il l’adora, et étendit par terre le manteau qu’il portait, disant : « Seigneur, entre en marchant là-dessus, car le gouverneur t’appelle ! » Les Juifs, voyant ce qu’avait fait le messager, dirent à Pilate avec de grandes clameurs : « Pourquoi ne lui as-tu pas fait donner, par la voix d’un héraut, l’ordre d’entrer au lieu de lui envoyer un messager. Car le messager, le voyant, l’a adoré et il a étendu par terre devant lui le manteau qu’il portait à la main 95 et il lui a dit : Seigneur, le gouverneur te mande. » Pilate, appelant à lui le messager, lui dit : « Pourquoi as-tu agi ainsi ? » Le messager dit : « Lorsque tu m’as envoyé de Jérusalem auprès d’Alexandre, j’ai vu Jésus assis sur un âne, et les enfants des Hébreux, tenant des rameaux dans leurs mains, criaient : Salut, fils de David ; d’autres étendaient leurs vêtements sur son chemin, en disant : Salut à celui qui est dans les Cieux ; béni celui qui vient au nom du Seigneur ! » Les Juifs répondirent au messager en criant : « Ces enfants des Hébreux s’exprimaient en hébreu ; comment, toi qui es grec, as-tu compris des paroles dites en hébreu ? » Le messager répondit : « J’ai interrogé un des Juifs et lui ai dit : Qu’est-ce qu’ils crient en hébreu ? Et il me l’a expliqué. » Pilate dit alors : « Quelle est l’exclamation qu’ils prononcent en hébreu ? » Et les Juifs répondirent : « Hosanna. » Et Pilate dit : « Quelle en est la signification ? » Et les Juifs répondirent : « Elle signifie : Seigneur, salut ! » Et Pilate dit : « Vous-mêmes, vous confirmez que les enfants s’exprimaient ainsi ; en quoi le messager est-il donc coupable ? » Et les Juifs se turent. Le gouverneur dit au messager : « Sors, et introduis-le. » Et le messager alla vers Jésus et lui dit : « Seigneur, entre, car le gouverneur t’appelle. » Jésus étant entré, les images que les porte-drapeaux portaient au-dessus de leurs enseignes s’inclinèrent d’elles-mêmes et elles adorèrent Jésus 96. Les Juifs, voyant que les images s’étaient inclinées d’elles-mêmes pour adorer Jésus, crièrent fortement contre les porte-drapeaux. Alors Pilate dit aux Juifs : « Vous ne rendez pas hommage à Jésus, devant lequel les images se sont inclinées pour le saluer, mais vous criez contre les porte-enseignes, comme s’ils avaient eux-mêmes incliné leurs drapeaux et adoré Jésus. » Et les Juifs dirent : « Nous les avons vus agir de la sorte. » Le gouverneur, appelant à lui les porte-drapeaux, leur demanda : « Pourquoi avez-vous fait cela ? » Ils répondirent à Pilate : « Nous sommes des Payens et les esclaves des Temples ; comment aurions-nous voulu l’adorer ? Les enseignes que nous tenions se sont courbées d’elles-mêmes pour l’adorer. » Pilate dit aux chefs de la Synagogue et aux anciens du peuple : « Choisissez vous-mêmes des hommes forts et robustes et ils tiendront les enseignes, et nous verrons si elles se courberont d’elles-mêmes. » Les anciens des Juifs prirent douze hommes très-robustes et leur mirent les enseignes dans les mains, et les rangèrent en présence du gouverneur. Pilate dit au messager : « Conduis Jésus hors du Prétoire et introduis-le ensuite. » Et Jésus sortit du Prétoire avec le messager. Et Pilate, s’adressant à ceux qui tenaient les enseignes, leur dit en faisant serment par le salut de César : « Si les enseignes s’inclinent quand il entrera, je vous ferai couper la tête ! » Et le gouverneur ordonna de faire entrer Jésus une seconde fois. Et le messager pria de rechef Jésus d’entrer, en passant sur le manteau qu’il avait étendu par terre. Jésus le fit, et lorsqu’il entra, les enseignes s’inclinèrent et l’adorèrent.

 

CHAPITRE II.

 

Pilate, voyant cela, la frayeur s’empara de lui et il commença à se lever de dessus son siège. Et comme il songeait à se lever de dessus son siège, la femme de Pilate, nommée Procule 97, envoya vers lui pour lui dire : « Ne fais rien contre ce juste, car j’ai beaucoup souffert cette nuit à cause de lui. » Pilate, entendant cela, dit à tous les Juifs : « Vous savez que mon épouse est payenne et qu’elle a construit pour vous de nombreuses Synagogues ; elle m’a fait dire que Jésus était un homme juste, et qu’elle avait beaucoup souffert cette nuit à cause de lui. » Les Juifs répondirent à Pilate : « Est-ce que nous ne t’avions pas dit que c’était un enchanteur ? Voici qu’il a envoyé un songe à ton épouse 98. » Pilate, appelant Jésus, lui dit : « N’entends-tu pas ce qu’ils disent contre toi ? Et tu ne réponds rien. » Jésus répondit : « S’ils n’avaient point le pouvoir de parler, ils ne parleraient point ; mais ils verront que chacun a la disposition de sa bouche, la faculté de dire des choses bonnes ou mauvaises. » Les anciens des Juifs dirent à Jésus : « Que voyons-nous ? D’abord que tu es né de la fornication ; secondement, que Bethléem a été le lieu de ta naissance, et qu’à cause de toi les enfants ont été massacrés ; troisièmement, que ton père et ta mère Marie se sont enfuis en Égypte, parce qu’ils n’avaient pas confiance dans le peuple. » Quelques-uns des Juifs qui se trouvaient là, et qui étaient moins méchants que les autres, disaient : « Nous ne disons pas qu’il est issu de la fornication, car nous savons que Marie a été fiancée à Joseph, et il n’est pas né de la fornication. » Pilate dit aux Juifs qui disaient que Jésus était issu de la fornication : « Ce discours est mensonger, car il y a eu fiançailles, ainsi que l’attestent des personnes d’entre vous. » Anne et Caïphe dirent à Pilate : « Toute la multitude crie qu’il est né de la fornication, et qu’il est un enchanteur. Ceux-ci sont ses prosélytes et ses disciples. » Pilate, appelant Anne et Caïphe, leur dit : « Qu’est-ce que des prosélytes ? » Ils répondirent : « Ce sont des fils de Payens, et maintenant ils sont devenus Juifs. » Lazare et Astère, et Antoine et Jacques, Zarus et Samuel, Isaac et Phinée, Crispus et Agrippa, Amenius et Judas dirent alors : « Nous ne sommes point des prosélytes, mais nous sommes enfants de Juifs et nous disons la vérité ; nous avons assisté aux fiançailles de Marie. » Pilate, s’adressant aux douze hommes qui avaient ainsi parlé, leur dit : « Je vous adjure, par le salut de César, de déclarer si vous dites la vérité, et s’il n’est pas né de la fornication. » Ils dirent à Pilate : « Nous avons pour loi de ne point jurer, car c’est un péché ; ordonne à ceux-ci de jurer pour le salut de César que ce que nous disons est faux, et nous serons passibles de mort. » Anne et Caïphe dirent à Pilate : « Croirait-on à ces douze hommes qui disent qu’il n’est pas né de la fornication, tandis que l’on ne nous croirait pas à nous tous qui disons qu’il est un enchanteur, et qu’il se dit Roi et Fils de Dieu ? » Pilate ordonna à tout le peuple de sortir et de s’éloigner des douze hommes qui avaient dit que Jésus n’était pas né de la fornication, et il fit mettre Jésus à part et il leur dit : « Pour quel motif les Juifs veulent-ils faire périr Jésus ? » Et ils lui répondirent : « Ils sont irrités parce qu’il opère des guérisons le jour du Sabbat. » Pilate dit : « Ils veulent donc le faire périr pour une bonne œuvre. » Et ils répondirent : « Oui, Seigneur. »

 

CHAPITRE III.

 

Pilate, rempli de colère, sortit du Prétoire et dit aux Juifs : « Je prends le soleil à témoin que je n’ai trouvé aucune faute à reprendre à cet homme. » Les Juifs répondirent au gouverneur : « Si ce n’était pas un enchanteur, nous ne te l’aurions pas livré. » Pilate leur dit : « Prenez-le et jugez-le suivant votre loi. » Les Juifs dirent à Pilate : « Il ne nous est pas permis de faire périr qui que ce soit. » Pilate dit aux Juifs : « C’est à vous et non à moi que Dieu a dit : Tu ne tueras point. » Rentré au Prétoire, Pilate appela Jésus seul et lui dit : « Es-tu le Roi des Juifs ! » Et Jésus répondant à Pilate, dit : « Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? » Pilate répondit à Jésus : « Est-ce que je suis Juif ? Ta nation et les princes des prêtres t’ont livré à moi, qu’as-tu fait ? » Jésus répondit : « Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient résisté, et je n’aurais pas été livré aux Juifs ; mais mon royaume n’est pas ici. » Pilate dit : « Tu es donc Roi ? » Jésus répondit : « Tu le dis, car je suis Roi. Je suis né et je suis venu pour rendre témoignage à la vérité, et tous ceux qui prendront part à la vérité entendront ma voix. » Pilate dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » Et Jésus répondit : « La vérité vient du Ciel. » Pilate dit : « Il n’y a donc pas de vérité sur la terre ? » Et Jésus dit à Pilate : « Vois comme ceux qui disent la vérité sur la terre sont jugés par ceux qui ont le pouvoir sur la terre. »

 

CHAPITRE IV.

 

Pilate, laissant Jésus dans l’intérieur du Prétoire, sortit et alla aux Juifs et leur dit : « Je ne trouve en lui aucune faute. » Les Juifs répondirent : « Il a dit : Je puis détruire le Temple et le relever en trois jours. » Pilate leur dit : « Quel temple ? » Les Juifs répondirent : « Celui que Salomon a mis quarante-six ans à bâtir ; et il a dit qu’il pourrait le renverser et le relever en trois jours. » Et Pilate leur dit de rechef : « Je suis innocent du sang de cet homme, voyez pour vous. » Les Juifs dirent : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » Pilate, appelant alors les anciens et les prêtres et les lévites, leur dit en secret : « N’agissez pas ainsi ; malgré vos accusations, je n’ai rien trouvé en lui digne de mort, dans ce que vous lui reprochez d’avoir violé le Sabbat. » Les prêtres, et les lévites et les anciens dirent à Pilate : « Celui qui a blasphémé contre César est digne de mort. Lui, il a blasphémé contre Dieu. » Le gouverneur ordonna alors aux Juifs de sortir du Prétoire, et, appelant Jésus, il lui dit : « Qu’est-ce que je ferai à ton égard ? » Jésus dit à Pilate : « Agis comme il t’a été donné. » Pilate dit aux Juifs : « Comment m’a-t-il été donné ? » Jésus répondit : « Moïse et les prophètes ont prédit cette Passion et ma Résurrection. » Les Juifs, l’entendant, dirent à Pilate : « Veux-tu écouter plus longtemps ses blasphèmes ? Notre loi porte que si un homme pèche contre son prochain, il recevra quarante coups moins un 99, et que le blasphémateur sera puni de mort. » Pilate leur dit : « Si son discours est blasphématoire, prenez-le et conduisez-le dans votre Synagogue, et jugez-le suivant votre loi. » Les Juifs dirent à Pilate : « Nous voulons qu’il soit crucifié. » Pilate leur dit : « Ce n’est pas juste. » Et, regardant rassemblée, il vit des Juifs qui pleuraient et il dit : « La foule ne veut pas toute entière qu’il meure. » Les anciens dirent à Pilate : « Nous sommes venus avec toute la foule pour qu’il meure. » Et Pilate dit aux Juifs : « Qu’a-t-il fait pour encourir la mort ? » Et ils répondirent : « Il a dit qu’il était Roi et le Fils de Dieu. »

 

CHAPITRE V.

 

Alors un Juif, du nom de Nicodème, se tint devant le gouverneur et dit : « Je te prie de me permettre, dans ta miséricorde, de dire quelques paroles. » Et Pilate lui dit : « Parle. » Et Nicodème dit : « J’ai dit aux anciens des Juifs, et aux Scribes, et aux prêtres, et aux lévites, et à toute la multitude des Juifs dans la Synagogue : Quelle plainte portez-vous contre cet homme ? Il faisait de nombreux et d’éclatants miracles, tels que personne n’en fait ni n’en a fait. Renvoyez-le et ne lui faites aucun mal ; si ces miracles viennent de Dieu, ils seront stables ; s’ils viennent des hommes, ils se détruiront. Moïse, que Dieu avait envoyé en Égypte, fit les miracles que Dieu lui avait ordonné d’opérer en présence de Pharaon, le roi d’Égypte. Et il y avait là des magiciens, Jamnès et Mambrès, et ils voulurent faire les mêmes miracles que Moïse, mais ils ne purent les accomplir tous, et les Égyptiens les regardèrent comme des Dieux. Mais, comme les miracles qu’ils avaient opérés ne provenaient pas de Dieu, ils périrent, eux et ceux qui avaient cru en eux. Et maintenant, renvoyez cet homme, car il ne mérite point la mort. » Les Juifs dirent à Nicodème : « Tu es devenu son disciple, et tu élèves la voix pour lui. » Nicodème leur dit : « Est-ce que le gouverneur qui parle aussi en sa faveur est son disciple ? Est-ce que César ne l’a pas élevé en dignité pour rendre justice ? » Les Juifs frémissaient de colère et ils grinçaient des dents contre Nicodème et ils lui dirent : « Accueille sa vérité et que ta part soit avec lui. » Et Nicodème dit : « Amen ; que j’aie part avec lui, ainsi que vous le dites 100. »

 

CHAPITRE VI.

 

Un autre des Juifs s’avança et demanda au gouverneur la permission de parler, et Pilate dit : « Ce que tu veux dire, dis-le. » Et ce Juif parla ainsi : « Depuis trente-huit ans, je gisais dans mon lit et j’étais constamment en proie à de grandes souffrances et en danger de perdre la vie. Jésus étant venu, beaucoup de démoniaques et de gens affligés de diverses infirmités furent guéris par lui. Et quelques jeunes gens m’apportèrent dans mon lit et me menèrent à lui. Et Jésus, me voyant, fut touché de compassion, et il me dit : Lève-toi, prends ton lit et marche. Et aussitôt je fus complètement guéri ; je pris mon lit et je marchai. » Les Juifs dirent à Pilate : « Demande-lui quel jour il fut guéri. » Et il répondit : « Le jour du Sabbat. » Et les Juifs dirent : « Ne disions-nous pas qu’il guérissait les malades et qu’il chassait les démons le jour du Sabbat ? » Et un autre Juif s’avança et dit : « J’étais aveugle de naissance ; j’entendais parler et je ne voyais personne. Et Jésus ayant passé, je m’adressai à lui en criant à haute voix : Fils de David, prends pitié de moi ! Et il eut pitié de moi, et il posa sa main sur mes yeux, et aussitôt je recouvrai la vue. » Et un autre s’avança et dit : « J’étais courbé et il m’a redressé d’un mot. » Et un autre s’avança aussi et dit : « J’étais lépreux et il m’a guéri d’un mot. »

 

CHAPITRE VII.

 

Et une femme nommée Véronique dit : « Depuis douze ans j’étais affligée d’un flux de sang, et je touchai le bord de son vêtement 101 et aussitôt mon flux de sang s’arrêta. » Les Juifs dirent : « D’après notre loi, une femme ne peut venir déposer en témoignage 102. »

 

CHAPITRE VIII.

 

Et quelques autres de la foule des Juifs, hommes et femmes, se mirent à crier : « Cet homme est un prophète, les démons lui sont assujettis ! » Pilate leur dit : « Pourquoi les démons ne sont-ils pas assujettis à vos docteurs ? » Et ils répondirent : « Nous ne savons. » D’autres dirent à Pilate : « Il a ressuscité Lazare, qui était mort depuis quatre jours, et il l’a fait sortir du sépulcre. » Le gouverneur, entendant cela, fut effrayé et il dit aux Juifs : « Que nous servira-t-il de répandre le sang innocent ? »

 

CHAPITRE IX.

 

Et Pilate, appelant Nicodème à lui et les douze hommes qui disaient que Jésus n’était point né de la fornication, leur parla ainsi : « Que ferai-je, car une sédition éclate parmi le peuple ? » Et ils répondirent : « Nous ne savons ; qu’ils voient eux-mêmes. » Et Pilate, convoquant de rechef la multitude, dit aux Juifs : « Vous savez que, suivant la coutume, le jour des azymes, je vous remets un prisonnier 103. J’ai en prison un fameux meurtrier, qui s’appelle Barrabas ; je ne trouve en Jésus rien qui mérite la mort. Lequel voulez-vous que je vous remette ? » Tous répondirent en criant : « Remets-nous Barrabas ! » Pilate dit : « Que ferai-je donc de Jésus, qui est surnommé le Christ ? » Ils dirent tous : « Qu’il soit crucifié ! » Et les Juifs dirent aussi : « Tu n’es pas l’ami de César si tu remets en liberté celui qui se dit Roi et Fils de Dieu ; et tu veux peut-être que ce soit lui qui soit Roi au lieu de César. » Alors Pilate, ému de fureur, leur dit : « Vous avez toujours été une race séditieuse, et vous vous êtes opposés à ceux qui étaient pour vous. » Et les Juifs dirent : « Quels sont ceux qui étaient pour nous ? » Et Pilate répondit : « Votre Dieu, qui vous a délivrés de la dure servitude des Égyptiens, et qui vous a conduits à travers la mer comme à pied sec, et qui vous a donné dans le désert la manne et la chair des cailles pour votre nourriture, et qui a fait sortir de l’eau d’un rocher pour vous désaltérer, et, malgré tant de faveurs, vous n’avez cessé de vous révolter contre votre Dieu, et il a voulu vous faire périr. Et Moïse à prié pour vous, afin que vous ne périssiez pas. Et vous dites maintenant que je hais le Roi. » Et se levant de son tribunal, il voulut sortir. Mais tous les Juifs crièrent : « Nous savons que c’est César qui est Roi et non Jésus. Car les mages lui ont offert des présents comme à un Roi. Et Hérode, apprenant des mages qu’un Roi était né, voulut le faire périr. Son père, Joseph, l’ayant su, l’amena, ainsi que sa mère, et ils s’enfuirent en Égypte. Et Hérode fit mourir les enfants des Juifs qui étaient nés à Bethléem. » Pilate, entendant ces paroles, fut effrayé ; et lorsque le calme fut rétabli parmi le peuple qui criait, il dit : « C’est donc lui qui est ici présent que cherchait Hérode ? » Ils répondirent : « C’est lui. » Et Pilate, prenant de l’eau, lava ses mains devant le peuple en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme juste ; songez à ce que vous faites. » Et les Juifs répondirent : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors Pilate ordonna d’amener Jésus devant le tribunal sur lequel il siégeait, et il poursuivit en ces termes, en rendant sentence contre Jésus : « Ta race t’a renié pour Roi. J’ordonne donc que tu sois d’abord flagellé, suivant les statuts des anciens princes. » Il ordonna ensuite qu’il fût crucifié dans le lieu où il avait été arrêté, avec deux malfaiteurs, dont les noms sont Dismas et Gestas.

 

CHAPITRE X.

 

Et Jésus sortit du Prétoire et les deux larrons avec lui. Et lorsqu’il fut arrivé à l’endroit qui s’appelle Golgotha, les soldats le dépouillèrent de ses vêtements et le ceignirent d’un linge, et ils mirent sur sa tête une couronne d’épines, et ils placèrent un roseau dans ses mains. Et ils crucifièrent également les deux larrons à ses côtés, Dismas à sa droite et Gestas à sa gauche. Et Jésus dit : « Mon père, pardonnez-leur et épargnez-les, car ils ne savent ce qu’ils font. » Et ils partagèrent entre eux ses vêtements. Et le peuple était présent et les princes, les anciens et les juges tournaient Jésus en dérision, en disant : « Il a sauvé les autres, qu’il se sauve lui-même ; s’il est le fils de Dieu, qu’il descende de la croix. » Les soldats se moquaient de lui et ils lui offraient pour boisson du vinaigre avec du fiel, en disant : « Si tu es le Roi des Juifs, délivre-toi toi-même. » Un soldat nommé Longin, prenant une lance, lui perça le côté et il en sortit du sang et de l’eau 104. Le gouverneur ordonna que l’on inscrivît sur un écriteau, suivant l’accusation des Juifs, en lettres hébraïques grecques et latines : « Celui-ci est le Roi des Juifs. » Un des larrons qui étaient crucifiés, nommé Gestas, lui dit : « Si tu es le Christ, délivre-toi ainsi que nous. » Dismas, lui répondant, le réprimanda, disant : « N’as-tu point crainte de Dieu, toi qui es de ceux contre lesquels condamnation a été rendue ? Nous recevons le juste châtiment de ce que nous avons commis, mais lui, il n’a rien fait de mal. » Et lorsqu’il eut repris son compagnon, il dit à Jésus : « Souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton royaume. » Et Jésus lui répondit : « En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi en Paradis 105. »

 

CHAPITRE XI.

 

C’était vers la sixième heure du jour, et des ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Le soleil s’obscurcissant, voici que le voile du Temple se fendit du haut en bas en deux parties. Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria à haute voix : « Hely, Hely, lama zabathami », ce qui signifie : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Et ensuite Jésus dit : « Mon père, je remets mon esprit entre tes mains. » Et, disant cela, il rendit l’esprit. Le centurion, voyant ce qui s’était passé, glorifia Dieu, disant : « Cet homme était juste. » Et tous les assistants, troublés de ce qu’ils avaient vu, s’en retournèrent en frappant leurs poitrines. Et le centurion rapporta au gouverneur ce qui s’était passé ; le gouverneur, l’entendant, fut saisi d’une extrême affliction, et ils ne mangèrent ni ne burent ce jour-là. Et Pilate, convoquant les Juifs, leur dit : « Avez-vous ce qui s’est passé ? » Et ils répondirent au gouverneur : « Le soleil s’est éclipsé de la manière habituelle. » Et tous ceux qui étaient attachés à Jésus se tenaient au loin, ainsi que les femmes qui l’avaient suivi de Galilée. Et voici qu’un homme nommé Joseph, homme juste et bon, et qui n’avait point eu part aux accusations et aux méchancetés des Juifs, et qui était d’Arimathie, ville de Judée, et qui attendait le royaume de Dieu, demanda à Pilate le corps de Jésus. Et l’ôtant de la croix, il le plia dans un linceul bien net, et il le déposa dans un tombeau tout neuf qu’il avait fait construire pour lui-même, et où nul n’avait été enseveli.

 

CHAPITRE XII.

 

Les Juifs, apprenant que Joseph avait demandé le corps de Jésus, le cherchaient ainsi que les douze hommes qui avaient déclaré que Jésus n’était pas né de la fornication, et Nicodème et les autres qui avaient paru devant Pilate, et qui avaient rendu témoignage des bonnes œuvres de Jésus. Tous se cachant, Nicodème seul se montra à eux, car il était prince des Juifs, et il leur dit : « Comment êtes-vous entrés dans la Synagogue ? » Et ils lui répondirent : « Et toi, comment es-tu entré dans la Synagogue lorsque tu étais attaché au Christ ? Puisses-tu avoir part avec lui dans les siècles à venir. » Et Nicodème répondit : « Amen, amen, amen. » Joseph se montra également, et leur dit : « Pourquoi êtes-vous irrités contre moi de ce que j’ai demandé à Pilate le corps de Jésus ? Voici que je l’ai déposé dans mon propre tombeau, et je l’ai enveloppé d’un linceul bien net, et j’ai placé une grande pierre à l’entrée de la grotte. Vous avez mal agi contre le juste que vous avez crucifié et percé à coups de lance. » Les Juifs, entendant cela, se saisirent de Joseph et ils ordonnèrent qu’il fût retenu jusqu’à ce que la fête du Sabbat fût passée. Et ils lui dirent : « En ce moment, nous ne pouvons rien faire contre toi, car le jour du Sabbat a lui. Nous savons que tu n’es pas digne de sépulture, mais nous abandonnerons ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. » Joseph répondit : « Ces paroles sont semblables à celles de Goliath le Superbe, qui s’éleva contre le Dieu vivant et que frappa David. Dieu a dit par la voix du prophète : “Je me réserverai la vengeance.” Et Pilate, endurci de cœur, a lavé ses mains en plein soleil, en criant : “Je suis pur du sang de ce juste.” Et vous ayez répondu : “Que son sang soit sur nous et sur nos enfants.” Et je crains maintenant que la colère de Dieu ne s’appesantisse sur vous et sur vos enfants, comme vous l’avez dit. » Les Juifs, entendant Joseph parler ainsi, furent outrés de rage et, se saisissant de lui, ils l’enfermèrent dans un cachot où il n’y avait pas de fenêtre. Anne et Caïphe placèrent des gardes à la porte et posèrent leur sceau sur la clé. Et ils tinrent conseil avec les prêtres et les lévites pour qu’ils se rassemblassent tous après le jour du Sabbat, et ils songèrent quel genre de mort ils infligeraient à Joseph. Et quand ils se furent réunis, Anne et Caïphe ordonnèrent que l’on amenât Joseph et, ôtant le sceau, ils ouvrirent la porte et ils ne trouvèrent pas Joseph dans le cachot où ils l’avaient enfermé. Et toute l’assemblée fut frappée de stupeur, car l’on avait trouvé la porte scellée. Et Anne et Caïphe se retirèrent 106.

 

CHAPITRE XIII.

 

Tous étant remplis de surprise, un des soldats qui avait été mis pour garder le sépulcre entra dans la Synagogue et dit : « Tandis que nous veillions sur le tombeau de Jésus, la terre a tremblé et nous avons vu l’Ange de Dieu qui a ôté la pierre du sépulcre et qui s’est assis sur elle. Et son visage brillait comme la foudre, ses vêtements étaient blancs comme la neige. Et nous sommes restés comme morts de frayeur. Et nous avons entendu l’Ange qui disait aux femmes venues au sépulcre de Jésus : Ne craignez point, je sais que vous cherchez Jésus le crucifié ; il est ressuscité, ainsi qu’il l’avait prédit. Venez, et voyez l’endroit où il avait été placé, et empressez-vous d’aller dire à ses disciples qu’il est ressuscité d’entre les morts, et qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. » Et les Juifs, convoquant tous les soldats qui avaient été préposés à la garde du tombeau de Jésus, leur dirent : « Quelles sont ces femmes auxquelles l’Ange a parlé ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas saisis d’elles ? » Les soldats répondirent : « Nous ne savons quelles étaient ces femmes, et nous sommes restés comme morts tant l’Ange nous inspirait de crainte ; comment aurions-nous pu nous saisir de ces femmes ? » Les Juifs dirent : « Vive le Seigneur ! nous ne vous croyons point. » Les soldats répondirent aux Juifs : « Vous avez vu Jésus qui faisait tant de miracles et vous n’y avez pas cru, comment croiriez-vous à nous ? Vous avez eu raison de dire : Vive le Seigneur ! car il vit, le Seigneur que vous avez enfermé. Nous avons appris que vous avez emprisonné en un cachot, dont vous avez scellé la porte, ce Joseph qui a enseveli le corps de Jésus, et lorsque vous êtes venus pour le chercher, vous ne l’avez plus trouvé. Remettez-nous Joseph que vous avez enfermé, et nous vous remettrons Jésus que nous gardions dans le sépulcre. » Les Juifs répondirent : « Nous vous remettrons Joseph, remettez-nous Jésus ; car Joseph est dans la ville d’Arimathie. » Les soldats répondirent : « Comme Joseph est à Arimathie, Jésus est en Galilée, ainsi que nous avons entendu l’Ange l’annoncer aux femmes. » Les Juifs, entendant cela, craignirent, et ils se disaient entre eux : « Lorsque le peuple entendra ces discours, tous croiront en Jésus. » Et réunissant une grosse somme d’argent, ils la donnèrent aux soldats, en disant : « Dites que tandis que vous dormiez, les disciples de Jésus sont venus pendant la nuit, et qu’ils ont dérobé son corps. Et si le gouverneur Pilate apprend cela, nous l’apaiserons à votre égard, et vous ne serez point inquiétés. » Les soldats, prenant l’argent, dirent ce que les Juifs leur avaient recommandé.

 

CHAPITRE XIV.

 

Un prêtre nommé Phinée, et Addas qui était maître d’école, et un lévite nommé Aggée, vinrent tous trois de la Galilée à Jérusalem, et ils dirent aux princes des prêtres et à tous ceux qui étaient dans la Synagogue : « Jésus que vous avez crucifié, nous l’avons vu qui parlait avec onze de ses disciples, assis au milieu d’eux sur le mont des Olives 107, et leur disant : « Allez dans le monde entier, prêchez à toutes les nations, baptisez les Gentils au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Et celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé. Et quand il eut dit ces choses à ses disciples, nous l’avons vu monter au Ciel. » En entendant cela, les princes des prêtres, et les anciens, et les lévites dirent à ces trois hommes : « Rendez gloire au Dieu d’Israël et prenez-le à témoin que ce que vous avez vu et entendu est véritable. » Et ils répondirent : « Vive le Seigneur de nos pères, le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ; nous avons entendu Jésus parler avec ses disciples, et nous l’avons vu monter au Ciel ; nous disons la vérité. Si nous taisons que nous avons entendu Jésus tenir ces discours à ses disciples, et que nous l’avons vu monter au ciel, nous commettrons un péché. » Les princes des prêtres, se levant aussitôt, leur dirent : « Ne répétez à personne ce que vous nous avez dit au sujet de Jésus. » Et ils leur donnèrent une grosse somme d’argent. Et ils renvoyèrent trois hommes avec eux pour qu’ils fussent ramenés dans leur pays et qu’ils ne fissent aucun séjour à Jérusalem. Et tous les Juifs, s’étant réunis, se livrèrent entre eux à de grandes méditations, disant : « Quelle est cette merveille qui est survenue en Israël ? » Anne et Caïphe, les consolant, leur dirent : « Devons-nous croire aux soldats qui gardaient le monument de Jésus, et qui nous dirent qu’un Ange a ôté la pierre de la porte du monument ? Peut-être ses disciples le leur ont dit et leur ont donné beaucoup d’argent pour les amener à s’exprimer ainsi et à laisser enlever le corps de Jésus. Sachez qu’il ne faut ajouter nulle foi aux paroles de ces étrangers, car ils ont reçu de nous une forte somme, et ils ont dit partout ce que nous leur avions recommandé de dire. Et ils peuvent bien être infidèles aux disciples de Jésus tout comme à nous. »

 

CHAPITRE XV.

 

Nicodème, se levant, dit : « Vous parlez dans la droiture, enfants d’Israël. Vous avez entendu tout ce qu’ont dit ces trois hommes qui juraient sur la loi du Seigneur. Ils ont dit : “Nous avons vu Jésus qui parlait avec ses disciples sur le mont des Olives, et nous l’avons vu monter au Ciel.” Et l’Écriture nous enseigne que le bienheureux Élie a été enlevé au Ciel, et Élisée, interrogé par les fils des prophètes qui lui demandaient : “Où est notre frère Élie ?” leur dit qu’il avait été enlevé. Et les fils des prophètes lui dirent : “Peut-être l’esprit l’a enlevé et l’a déposé sur les montagnes d’Israël. Mais choisissons des hommes qui iront avec nous et parcourons les montagnes d’Israël, nous le trouverons peut-être.” Et ils prirent Élisée, et il marcha avec eux trois jours, et ils ne trouvèrent point Élie 108. Et maintenant, écoutez-moi, enfants d’Israël, et envoyons des hommes dans les montagnes d’Israël, car peut-être l’Esprit a enlevé Jésus, et peut-être le trouverons-nous, et nous ferons pénitence. » Et l’avis de Nicodème fut du goût de tout le peuple, et ils envoyèrent des hommes, et ceux-ci cherchèrent Jésus sans le trouver, et, étant de retour, ils dirent : « Nous n’avons point rencontré Jésus dans les lieux que nous avons parcourus, mais nous avons trouvé Joseph dans la ville d’Arimathie. » Les princes et tout le peuple, entendant cela, se réjouirent et ils glorifièrent le Dieu d’Israël de ce qu’on avait trouvé Joseph qu’ils avaient enfermé dans un cachot, et qu’ils n’avaient pas retrouvé. Et réunissant une grande assemblée, les princes des prêtres dirent : « Comment pouvons-nous amener Joseph à nous et lui parler ? » Et prenant du papier, ils écrivirent à Joseph, disant : « La paix soit avec toi et avec tous ceux qui sont avec toi. Nous savons que nous avons péché contre Dieu et contre toi. Daigne donc venir vers tes pères et tes fils, car ton enlèvement nous a remplis de surprise. Nous savons que nous avons entretenu contre toi un mauvais dessein, et le Seigneur t’a protégé, et il t’a délivré de nos mauvaises intentions. Que la paix soit avec toi, Seigneur Joseph, homme honorable parmi tout le peuple. » Et ils choisirent sept hommes amis de Joseph, et ils leur dirent : « Lorsque vous serez arrivés auprès de Joseph, donnez-lui le salut de paix et remettez-lui la lettre. » Et les hommes, arrivant auprès de Joseph, le saluèrent, et lui remirent la lettre. Et après que Joseph en eut fait lecture, il dit : « Béni soit le Seigneur Dieu qui a préservé Israël de l’effusion de mon sang. Sois béni, mon Dieu, qui m’as protégé de tes ailes. » Et Joseph embrassa les messagers et les reçut dans sa maison. Le lendemain, Joseph, montant sur son âne, se mit en route avec eux, et ils arrivèrent à Jérusalem. Et quand les Juifs apprirent sa venue, ils accoururent tous au-devant de lui, criant et disant : « La paix soit à ton arrivée, père Joseph ! » Et il leur répondit : « Que la paix du Seigneur soit avec tout le peuple. » Et tous l’embrassèrent. Et Nicodème les reçut dans sa maison, les accueillant avec grand honneur et empressement. Le lendemain qui était le jour de la préparation, Anne et Caïphe et Nicodème dirent à Joseph : « Rends hommage au Dieu d’Israël, et réponds à tout ce que nous te demanderons. Nous étions irrités contre toi, parce que tu avais enseveli le corps du Seigneur-Jésus, et nous t’avons enfermé dans un cachot où nous ne t’avons pas retrouvé, ce qui nous a remplis de surprise et nous a pénétrés de frayeur jusqu’à ce que nous t’ayons revu. Raconte-nous donc, en présence de Dieu, ce qui s’est passé. » Joseph répondit : « Lorsque vous m’avez enfermé le jour de Pâques au soir, tandis que j’étais en oraison au milieu de la nuit, la maison fut comme enlevée dans les airs. Et j’ai vu Jésus resplendissant comme un éclair, et, saisi de crainte, je suis tombé par terre. Et Jésus, me prenant par la main, m’a élevé au-dessus de terre et la rosée me couvrait. Et essuyant mon visage, il m’a embrassé et il m’a dit : « Ne crains rien, Joseph ; regarde-moi, et vois, car c’est moi. » Et je regardai et je m’écriai : « Ô maître Élie ! » Et il me dit : « Je ne suis point Élie, mais je suis Jésus de Nazareth dont tu as enseveli le corps. » Je lui ai répondu : « Montre-moi le monument où je t’ai déposé. » Et Jésus, me tenant par la main, m’a conduit à l’endroit où je l’avais enseveli. Et il m’a montré le linceul et le drap dans lequel j’avais enveloppé sa tête. Alors j’ai reconnu que c’était Jésus 109 et je l’ai adoré, et j’ai dit : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur. » Jésus, me tenant par la main, m’a conduit à Arimathie dans ma maison, et m’a dit : « La paix soit avec toi, et de quarante jours, ne sors pas de ta maison, et je vais retourner vers mes disciples. »

 

CHAPITRE XVI.

 

Lorsque les princes des prêtres et les autres prêtres et les lévites eurent entendu ces choses, ils furent frappés de stupeur, et ils tombèrent par terre sur leurs visages comme morts, et, revenus à eux, ils s’écriaient : « Quelle est cette merveille qui s’est manifestée à Jérusalem ? car nous connaissons le père et la mère de Jésus. » Un certain lévite dit : « Je sais que son père et sa mère étaient des personnes craignant Dieu et qu’ils étaient toujours en prières dans le Temple, offrant des hosties et des holocaustes au Dieu d’Israël. » Et lorsque le grand-prêtre Siméon le reçut, il dit, le tenant dans ses mains : « Maintenant, Seigneur, renvoie ton serviteur en paix suivant ta parole, car mes yeux ont vu le Sauveur que tu as préparé en présence de tous les peuples, la lumière qui doit servir à la révélation faite aux nations et à la gloire de ta race d’Israël. » Et ce même Siméon bénit aussi Marie, la mère de Jésus, et il lui dit : « Je t’annonce au sujet de cet enfant qu’il est né pour la ruine et la résurrection de beaucoup et en signe de contradiction. Et le glaive traversera ton âme jusqu’à ce que les pensées des cœurs de beaucoup soient connues. » Alors les Juifs dirent : « Envoyons vers ces trois hommes qui disent qu’ils l’ont vu avec ses disciples sur le mont des Olives. » Quand ce fut fait et que ces trois hommes furent venus et qu’ils furent interrogés, ils répondirent d’une voix unanime : « Vive le Seigneur, Dieu d’Israël, car nous avons manifestement vu Jésus avec ses disciples sur le mont des Olives et lorsqu’il montait au ciel. » Alors Anne et Caïphe les prirent chacun à part et les questionnèrent séparément. Et confessant unanimement la vérité, ils dirent qu’ils avaient vu Jésus. Alors Anne et Caïphe dirent : « Notre loi porte : Dans la bouche de deux ou trois témoins, toute parole est valide. Mais ne savons-nous pas que le bienheureux Énoch plut à Dieu et qu’il fut transporté par la parole de Dieu, et la tombe du bienheureux Moïse ne se trouve pas et la mort du prophète Élie n’est pas connue. Jésus au contraire a été livré à Pilate, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, frappé d’une lance et crucifié ; il est mort sur la croix et il a été enseveli et l’honorable père Joseph a enseveli son corps dans un sépulcre neuf, et il atteste l’avoir vu vivant. Et ces trois hommes certifient qu’ils l’ont vu avec ses disciples sur le mont des Olives et monter au ciel. »

 

CHAPITRE XVII.

 

Et Joseph, se levant, dit à Anne et Caïphe : « Vous êtes justement dans l’admiration, parce que vous apprenez que Jésus a été vu ressuscité et montant au ciel. Il faut encore plus s’étonner de ce que non-seulement il est ressuscité, mais qu’il a rappelé du sépulcre beaucoup d’autres morts, et qu’un grand nombre de personnes les ont vus à Jérusalem. Et écoutez-moi maintenant, car nous savons tous que le bienheureux grand-prêtre Siméon a reçu, de ses mains, Jésus enfant dans le Temple. Et ce Siméon eut deux fils, frères de père et de mère, et nous avons tous été présents lorsqu’ils se sont endormis 110, et nous avons assisté à leur ensevelissement. Allez donc et voyez leurs tombeaux, car ils se sont ouverts, et les fils de Siméon sont dans la ville d’Arimathie, vivant dans l’oraison. Quelquefois on entend leurs cris, mais ils ne parlent à personne et ils sont silencieux comme des morts. Venez, allons vers eux et emmenons-les devant nous avec les plus grands égards. Et si nous leur demandons avec instance, Ils nous parleront peut-être du mystère de leur résurrection. » Tous, entendant cela, se réjouirent, et Anne et Caïphe, Nicodème et Joseph et Gamaliel allant aux sépulcres, n’y trouvèrent point les morts, mais, se rendant dans la ville d’Arimathie, ils les y trouvèrent agenouillés. Et les embrassant avec le plus grand respect et dans la crainte de Dieu, ils les conduisirent à Jérusalem dans la Synagogue. Et après que les portes furent fermées, prenant le livre de la loi, ils le posèrent dans leurs mains, les conjurant par le Dieu Adonaï et le Dieu d’Israël 111 qui a parlé par la loi et par les prophètes, disant : « Si vous savez que c’est lui qui vous a ressuscités d’entre les morts, dites-nous comment vous êtes ressuscités. » Carinus et Leucius, entendant cette adjuration, tremblèrent de tous leurs corps, et, tout émus, ils gémirent du fond de leur cœur. Et, regardant au ciel, ils firent avec leur doigt le signe de la croix sur leur langue. Et aussitôt ils parlèrent, disant : « Donnez-nous des tomes de papier afin que nous écrivions ce que nous avons vu et entendu. » Et on les leur donna. Et, s’asseyant, chacun d’eux écrivit, disant :

 

CHAPITRE XVIII.

 

Jésus-Christ, Seigneur Dieu, résurrection des morts et vie, permets-nous d’énoncer les mystères par la mort de ta croix, parce que nous avons été conjurés par toi. Tu as ordonné de ne rapporter à personne les secrets de ta majesté divine tels que tu les a manifestés dans les enfers. Lorsque nous étions avec tous nos pères, placés au fond des ténèbres, nous avons soudain été enveloppés d’une splendeur dorée comme celle du soleil et une lueur royale nous a illuminés. Et, aussitôt, Adam, le père de tout le genre humain, a tressailli de joie ainsi que tous les patriarches et les prophètes, et ils ont dit : « Cette lumière, c’est l’auteur de la lumière éternelle qui nous a promis de nous transmettre une lumière qui n’aura pas de terme. »

 

CHAPITRE XIX.

 

Et le prophète Isaïe s’est écrié, et a dit : « C’est la lumière du Père, le Fils de Dieu, comme j’ai prédit, lorsque j’étais sur les terres des vivants : la terre de Zabulon et la terre de Nephtalim. Au-delà du Jourdain, le peuple qui est assis dans les ténèbres verra une grande lumière ; et ceux qui sont dans la région de la mort, la lumière brillera sur eux. Et maintenant, elle est arrivée, et a brillé pour nous qui étions assis dans la mort. » Et comme nous tressaillions tous de joie dans la lumière qui a brillé sur nous, il survint à nous Siméon, notre père, et, en tressaillant de joie, il a dit à tous : « Glorifiez le Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, car je l’ai reçu nouveau-né dans mes mains dans le Temple, et, inspiré par l’Esprit saint, je l’ai glorifié et j’ai dit : “Mes yeux ont vu maintenant le salut que tu as préparé en présence de tous les peuples, la lumière pour la révélation des nations et la gloire de ton peuple d’Israël.” » Toute la multitude des Saints, entendant ces choses, se réjouit davantage. Et, ensuite, il survint un homme qui semblait ermite, et, tous l’interrogeant : « Qui es-tu ? » Il leur répondit, et il dit : « Je suis Jean 112, la voix et le prophète du Très-Haut, celui qui précède la face de son avènement afin de préparer ses voies, afin de donner la science du salut à son peuple pour la rémission des péchés. Et le voyant venir à moi, j’ai été poussé par l’Esprit saint, et j’ai dit : “Voilà l’Agneau de Dieu ; voilà celui qui ôte les péchés du monde.” Et je l’ai baptisé dans le fleuve du Jourdain, et j’ai vu l’Esprit saint descendre sur lui sous la forme d’une colombe. Et j’ai entendu une voix des Cieux qui disait : “Celui-ci est mon fils bien-aimé, dans lequel j’ai mis toute ma complaisance, écoutez-le.” Et maintenant, j’ai précédé sa face, je suis descendu vous annoncer que dans peu de temps le Fils de Dieu lui-même, se levant d’en haut, nous visitera en venant à nous qui sommes assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort 113.

 

CHAPITRE XX.

 

Et lorsque le père Adam, premier formé, entendit ces choses, que Jésus a été baptisé dans le Jourdain, il s’écria, parlant à son fils Seth 114 : « Raconte à tes fils, les patriarches et les prophètes, toutes les choses que tu as entendues de Michel l’Archange, quand je t’ai envoyé aux portes du Paradis, afin de supplier le Seigneur de te transmettre son Ange pour qu’il te donnât de l’huile de l’arbre de miséricorde 115, et que tu oignis mon corps lorsque j’étais malade. » Alors Seth, s’approchant des saints patriarches et des prophètes, dit : « Moi, Seth, comme j’étais en oraison devant le Seigneur aux portes du Paradis, voilà que l’Ange du Seigneur, Michel 116, m’apparut, disant : “J’ai été envoyé vers toi par le Seigneur, je suis établi sur le corps humain. Je te le dis, Seth, ne prie point dans les larmes, et ne demande pas l’huile de l’arbre de miséricorde, afin d’oindre ton père Adam à cause des souffrances de son corps, car, d’aucune manière tu ne pourras en recevoir, si ce n’est dans les derniers jours et si ce n’est lorsque cinq mille et cinq cents ans auront été accomplis ; alors le Fils de Dieu rempli d’amour viendra sur la terre, et il ressuscitera le corps d’Adam, et ressuscitera en même temps les corps des morts. Et, à sa venue, il sera baptisé dans le Jourdain. Lorsqu’il sera sorti de l’eau du Jourdain, alors il oindra de l’huile de sa miséricorde tous ceux qui croient en lui et l’huile de sa miséricorde sera pour la génération de ceux qui doivent naître de l’eau et de l’Esprit saint pour la vie éternelle 117. Alors Jésus-Christ, le Fils de Dieu, plein d’amour, descendant sur la terre, introduira notre père Adam dans le Paradis auprès de l’arbre de miséricorde. » Tous les patriarches et les prophètes, entendant ces choses que disait Seth, tressaillirent de grande joie.

 

CHAPITRE XXI.

 

Et lorsque tous les Saints tressaillaient d’allégresse, voilà que Satan, le prince et le chef de la mort, dit au prince des enfers 118 : « Apprête-toi toi-même à prendre Jésus qui se glorifie d’être le Christ, Fils de Dieu, et qui est un homme craignant la mort, et disant : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Car il s’est opposé à moi en maintes choses, et beaucoup d’hommes que j’avais rendus aveugles, boiteux, sourds, lépreux, et que j’avais tourmentés par différents démons, il les a guéris d’une parole. Et ceux que je t’avais amenés morts, il te les a enlevés. » Et le prince du Tartare 119, répondant à Satan, dit : « Quel est ce prince si puissant, puisqu’il est un homme craignant la mort ? Car tous les puissants de la terre sont tenus assujettis par ma puissance lorsque tu les a amenés soumis par ton pouvoir. Si donc tu es puissant, quel est ce Jésus qui, craignant la mort, s’oppose à toi ? S’il est tellement puissant dans son humanité, je te le dis en vérité, il est tout-puissant dans sa divinité, et personne ne peut résister à son pouvoir. Et lorsqu’il dit qu’il craint la mort, il veut te tromper, et malheur sera pour toi dans les siècles éternels. » Satan, le prince de la mort, répondit et dit : « Pourquoi as-tu hésité et redouté de prendre ce Jésus ton adversaire et le mien ? Car je l’ai tenté et j’ai excité contre lui mon ancien peuple juif, l’animant de haine et de colère ; j’ai aiguisé la lance de persécution, j’ai mêlé du fiel et du vinaigre, et je lui ai fait donner à boire, et j’ai fait préparer le bois pour le crucifier et des clous pour percer ses mains et ses pieds, et sa mort est proche, et je te l’amènerai assujetti à toi et à moi. » Et le prince de l’enfer répondit et dit : « Tu m’as dit que c’est lui qui m’a arraché les morts. Beaucoup sont ici que je retiens, et pendant qu’ils vivaient sur la terre, ils m’ont enlevé des morts, non par leur propre pouvoir, mais par les prières divines, et leur Dieu tout-puissant me les a arrachés. Quel est donc ce Jésus qui, par sa parole, m’a arraché des morts ? C’est peut-être lui qui a rendu à la vie, par la parole de son commandement, Lazare, qui était mort depuis quatre jours, plein de puanteur et en dissolution, et que je détenais mort. » Satan, le prince de la mort, répondit et dit : « C’est ce même Jésus. » Le prince des enfers, entendant cela, lui dit : « Je te conjure par ta puissance et la mienne, ne l’amène pas vers moi. Car lorsque j’ai entendu la force de sa parole, j’ai tremblé, saisi de crainte, et en même temps tous mes ministres impies ont été troublés avec moi. Nous n’avons pu retenir ce Lazare 120 ; mais, nous échappant avec toute l’agilité et la vitesse de l’aigle, il est sorti d’entre nous, et cette même terre qui tenait le corps privé de vie de Lazare l’a aussitôt rendu vivant. Je sais ainsi maintenant que cet homme qui a pu accomplir ces choses est le Dieu fort dans son empire, et puissant dans l’humanité, et il est le sauveur du genre humain, et si tu l’amènes vers moi, tous ceux que je retiens ici renfermés dans la rigueur de la prison, et enchaînés par les liens non rompus de leurs péchés, il les dégagera et il les conduira par sa divinité à la vie qui doit durer autant que l’éternité. »

 

CHAPITRE XXII.

 

Et comme ils parlaient ainsi alternativement, Satan et le prince de l’enfer, il se fit une voix comme celle des tonnerres et le bruit de l’ouragan : « Princes, enlevez vos portes, et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. » Le prince de l’enfer entendant cela, il dit à Satan : « Éloigne-toi de moi et sors de mes demeures ; si tu es un puissant combattant, combats contre le Roi de gloire. Mais qu’y a-t-il de toi à lui ? » Et le prince de l’enfer jeta Satan hors de ses demeures. Et le prince de l’enfer dit à ses ministres impies : « Fermez les cruelles portes d’airain et poussez les verrous de fer, et résistez vaillamment de peur que nous ne soyons réduits en captivité, nous qui gardons les captifs. » Mais en entendant cela, toute la multitude des Saints dit au prince de l’enfer d’une voix de reproche : « Ouvre tes portes, afin que le Roi de gloire entre. » Et David, ce divin prophète, s’écria en disant : « Est-ce que, lorsque j’étais sur les terres des vivants, je ne vous ai pas prédit que les miséricordes du Seigneur lui rendront témoignage, et que ses merveilles l’annonceront aux fils des hommes, parce qu’il a brisé les portes d’airain et rompu les verrous de fer ? Il les a retirés de la voie de leur iniquité. » Et ensuite, un autre prophète, Isaïe, dit pareillement à tous les Saints : « Est-ce que, lorsque j’étais sur les terres des vivants, je ne vous ai pas prédit : Les morts s’éveilleront et ceux qui sont dans le tombeau se relèveront, et ceux qui sont dans la terre tressailleront de joie, parce que la rosée qui vient du Seigneur est leur guérison ? Et j’ai dit encore : Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? » Tous les Saints, entendant ces paroles d’Isaïe, dirent au prince des enfers : « Ouvre tes portes, maintenant, vaincu et terrassé, tu es sans puissance. » Et il se fit une voix comme celle des tonnerres, disant : « Princes, enlevez vos portes, et élevez-vous, portes infernales, et le Roi de gloire entrera. » Le prince de l’enfer, voyant que deux fois ce cri s’était fait entendre, dit comme s’il était dans l’ignorance : « Quel est ce Roi de gloire ? » David, répondant au prince de l’enfer, dit : « Je connais les paroles de cette clameur, car ce sont les mêmes que j’ai prophétisées par l’inspiration de son esprit. Et maintenant, ce que j’ai déjà dit, je te le répète : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat, c’est lui qui est le Roi de gloire, et le Seigneur a regardé du ciel sur les terres, afin d’entendre le gémissement de ceux qui sont dans les fers, et afin de délivrer les fils de ceux qui ont été mis à mort Et maintenant, immonde et horrible prince de l’enfer, ouvre tes portes, afin que le Roi de gloire entre. » David, disant ces paroles au prince de l’enfer, le Seigneur de majesté survint sous la forme d’un homme, et il éclaira les ténèbres éternelles, et il rompit les liens qui n’étaient point brisés, et le secours d’une vertu invincible nous visita, nous qui étions assis dans les profondeurs des ténèbres des fautes, et dans l’ombre de la mort des péchés.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Le prince de l’enfer et la mort et leurs officiers impies, voyant cela, furent saisis d’épouvante avec leurs cruels ministres, dans leurs propres royaumes, lorsqu’ils virent l’éblouissante clarté d’une si vive lumière, et le Christ établi tout d’un coup dans leurs demeures, et ils s’écrièrent en disant : « Tu nous a vaincus. Qui es-tu, toi que le Seigneur envoie pour notre confusion ? Qui es-tu, toi, qui sans atteinte de corruption, par l’effet irrésistible de ta majesté, as pu renverser notre puissance ? Qui es-tu, toi, si grand et si petit, si humble et si élevé, soldat et général, combattant admirable sous la forme d’un esclave ? Roi de gloire mort et vivant que la croix a porté mis à mort. Toi qui es demeuré mort étendu dans le sépulcre et qui es descendu vivant vers nous ? Et toute créature a tremblé en ta mort, et tous les astres ont été ébranlés, et maintenant tu es devenu libre entre les morts, et tu troubles nos légions. Qui es-tu, toi, qui délies les captifs et qui inondes d’une lumière éclatante ceux qui sont aveuglés par les ténèbres des péchés ? » Pareillement, toutes les légions des démons, frappées d’une semblable frayeur, crièrent avec une soumission craintive et d’une voix unanime disant : « D’où es-tu, Jésus, homme si puissant et splendide en majesté, si éclatant, sans tache et pur de crime ? Car ce monde terrestre qui nous a toujours été assujetti jusqu’à présent, qui nous payait des tributs pour nos sombres usages, ne nous a jamais envoyé un mort tel que celui-ci, et n’a jamais destiné de pareils présents aux enfers ? Qui es-tu donc, toi qui as ainsi franchi sans crainte les frontières de nos domaines, et non-seulement tu ne redoutes point nos supplices, mais de plus tu tentes de délivrer tous ceux que nous tenons dans nos fers ? Peut-être es-tu ce Jésus duquel Satan, notre prince, disait que par ta mort sur la croix, tu recevrais une puissance sans bornes sur le monde entier. » Alors le Roi de gloire, écrasant dans sa majesté la mort sous ses pieds et saisissant Satan, priva l’enfer de toute sa puissance et amena Adam à la clarté de sa lumière.

 

CHAPITRE XXIV.

 

Alors le prince de l’enfer, gourmandant Satan avec de violents reproches, lui dit 121 : « Ô Beelzebuth 122, prince de perdition et chef de destruction, dérision des Anges de Dieu, ordure des justes, qu’as-tu voulu faire ? Tu as voulu crucifier le Roi de gloire, dans la ruine et la mort duquel tu nous avais promis de si grandes dépouilles ? Ignores-tu comment tu as agi dans ta folie ? Car voici que ce Jésus dissipe par l’éclat de sa divinité toutes les ténèbres de la mort ; il a brisé les profondeurs des plus solides prisons, et il délivre les captifs et il relâche ceux qui sont dans les fers ; voici que tous ceux qui gémissaient sous nos tourments nous insultent et nous sommes accablés de leurs imprécations. Nos empires et nos royaumes sont vaincus, et la race humaine, nous ne lui inspirons plus d’effroi.

« Au contraire, ils nous menacent et nous insultent, ceux qui, morts, n’avaient jamais pu montrer de superbe devant nous et qui n’avaient jamais pu éprouver un moment d’allégresse pendant leur captivité.

« Ô Satan, prince de tous les maux, père des impies et des rebelles, qu’as-tu voulu faire ? Ceux qui depuis le commencement jusqu’à présent avaient désespéré du salut et de la vie, maintenant aucun de leurs gémissements ne se fait entendre, aucune de leurs plaintes ne résonne, et on ne trouve aucun vestige de larmes sur la face d’aucun d’eux. Ô prince Satan, possesseur des clés des enfers, tu as maintenant perdu par le bois de la croix ces richesses que tu avais acquises par le bois de la prévarication et la perte du Paradis, et toute ton allégresse a péri lorsque tu as attaché à la croix ce Christ, Jésus le Roi de gloire ; tu as agi contre toi et contre moi. Sache désormais combien de tourments éternels et de supplices infinis tu dois souffrir sous ma garde qui ne connaît pas de terme. Ô Satan, prince de tous les méchants, auteur de la mort et source d’orgueil, tu aurais dû premièrement chercher un juste reproche à faire à ce Jésus, et comme tu n’as trouvé en lui aucune faute, pourquoi sans raison as-tu osé le crucifier injustement et amener dans notre région l’innocent et le juste ? Et tu as perdu les mauvais, les impies et les injustes du monde entier. » Et comme le prince de l’enfer parlait ainsi à Satan, alors le Roi de gloire dit au prince de l’enfer : « Le prince Satan sera sous votre puissance dans la perpétuité des siècles au lieu d’Adam et de ses fils qui sont mes justes 123. »

 

CHAPITRE XXV.

 

Et le Seigneur, étendant sa main, dit : « Venez à moi, tous mes Saints, qui avez mon image et ma ressemblance. Vous qui avez été condamnés par le bois, le diable et la mort, vous verrez que le diable et la mort sont condamnés par le bois. » Et aussitôt tous les Saints furent réunis sous la main du Seigneur. Et le Seigneur, tenant la main droite d’Adam, lui dit : « Paix à toi avec tous tes fils, mes justes. » Adam, se prosternant aux genoux du Seigneur, le supplia en versant des larmes, disant d’une voix haute : « Seigneur, je te glorifierai, car tu m’as accueilli et tu n’as pas fait triompher mes ennemis au-dessus de moi. Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers toi, et tu m’as guéri, Seigneur. Tu as retiré mon âme des enfers, tu m’as sauvé en ne me laissant pas avec ceux qui descendent dans l’abîme. Chantez les louanges du Seigneur, vous tous qui êtes ses Saints, et confessez à la mémoire de sa sainteté. Car la colère est dans son indignation, et la vie dans sa volonté. » Et pareillement tous les Saints de Dieu, se prosternant aux genoux du Seigneur, dirent d’une voix unanime : « Tu es arrivé, Rédempteur du monde, et tu as accompli ce que tu avais prédit par la loi et par tes prophètes. Tu as racheté les vivants par ta croix, et, par la mort de la croix, tu es descendu vers nous pour nous arracher des enfers et de la mort, par ta majesté. Seigneur, ainsi que tu as placé le titre de ta gloire dans le ciel, et que tu as élevé le titre de la rédemption, ta croix sur la terre ; de même, Seigneur, place dans l’enfer le signe de la victoire de ta croix, afin que la mort ne domine plus. » Et le Seigneur, étendant sa main, fit un signe de croix sur Adam et sur tous ses Saints, et, tenant la main droite d’Adam, il s’éleva des enfers. Et tous les Saints le suivirent. Alors le prophète David s’écria avec force : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, car il a fait des choses admirables. Sa droite et son bras nous ont sauvés. Le Seigneur a fait connaître son salut ; il a révélé sa justice en présence des nations. » Et toute la multitude des Saints répondit, en disant : « Cette gloire est à tous les Saints. Ainsi soit-il. Louez Dieu. » Et alors le prophète Babacuc s’écria, disant : « Tu es sorti pour le salut de ton peuple, pour la délivrance de tes élus. » Et tous les Saints répondirent, disant : « Béni qui vient au nom du Seigneur, le Seigneur Dieu, et qui nous éclaire. » Pareillement, le prophète Michée s’écria, disant : « Quel Dieu y a-t-il comme toi, Seigneur, ôtant les iniquités et effaçant les péchés ? Et maintenant tu contiens le témoignage de ta colère, car tu inclines davantage à la miséricorde. Tu as eu pitié de nous et tu nous as absous de nos péchés et tu as plongé toutes nos iniquités dans l’abîme de la mort, ainsi que tu l’avais juré à nos pères dans les jours anciens. » Et tous les Saints répondirent, disant : « Il est notre Dieu à jamais et pour les siècles des siècles, il nous régira dans tous les siècles. Ainsi soit-il. Louez Dieu. » Et de même tous les prophètes récitant des passages de leurs anciens chants consacrés à la louange du Seigneur, et tous les Saints.

 

CHAPITRE XXVI.

 

Et le Seigneur, tenant Adam par la main, le remit à Michel Archange, et tous les Saints suivirent Michel. Il les introduisit tous dans la grâce glorieuse du Paradis 124, et deux hommes, anciens des jours, vinrent au-devant d’eux. Les Saints les interrogèrent, disant : « Qui êtes-vous, vous qui n’avez pas encore été avec nous dans les enfers et qui avez été placés corporellement dans le Paradis ? » Un d’eux répondit : « Je suis Énoch 125 qui ai été transporté ici par la parole du Seigneur. Et celui qui est avec moi est Élie le Thesbite, qui a été enlevé par un char de feu. Jusqu’à présent nous n’avons point goûté la mort, mais nous sommes réservés pour l’avènement de l’Antéchrist, armés de signes divins et de prodiges pour combattre avec lui, pour être mis à mort dans Jérusalem, et, après trois jours et demi, pour être de rechef enlevés vivants dans les nuées.

 

CHAPITRE XXVII.

 

Et tandis qu’Énoch et Élie parlaient ainsi aux Saints, voici qu’il survint un autre homme très-misérable portant sur ses épaules le signe de la croix. Et lorsque tous les Saints le virent, ils lui dirent : « Qui es-tu ? ton aspect est celui d’un larron, et d’où vient que tu portes le signe de la croix sur tes épaules ? » Et, leur répondant, il dit : « Vous avez dit vrai, car j’ai été un larron commettant tous les crimes sur la terre. Et les Juifs me crucifièrent avec Jésus, et je vis les merveilles qui s’accomplirent par la croix de Jésus le crucifié, et je crus qu’il est le Créateur de toutes les créatures et le Roi tout-puissant, et je le priai, disant : Souviens-toi de moi, Seigneur, lorsque tu seras venu dans ton royaume. Aussitôt, exauçant ma prière, il me dit : En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le Paradis. Et il me donna ce signe de la croix, disant : Entre dans le Paradis en portant cela, et si l’Ange gardien du Paradis ne veut pas te laisser entrer, montre-lui le signe de la croix et dis-lui : C’est Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui est maintenant crucifié, qui m’a envoyé. Lorsque j’eus fait cela, je dis toutes ces choses à l’Ange gardien du Paradis. Et lorsqu’il me les entendit dire, ouvrant aussitôt, il me fit entrer et me plaça à la droite du Paradis, disant : Attends un peu de temps, et le père de tout le genre humain, Adam, entrera avec tous ses fils, les Saints et les justes du Christ, le Seigneur crucifié. » Lorsqu’ils eurent entendu toutes ces paroles du larron, tous les patriarches, d’une voix unanime, dirent : « Béni le Seigneur tout-puissant, Père des biens éternels et père des miséricordes, toi qui as donné une telle grâce à des pécheurs et qui les as introduits dans la grâce du Paradis, dans tes gras pâturages où réside la véritable vie spirituelle. Ainsi soit-il. »

 

CHAPITRE XXVIII.

 

Ce sont là les mystères divins et sacrés que nous vîmes et entendîmes, moi Carinus et moi Leucius ; il ne nous est pas permis de poursuivre et de raconter les autres mystères de Dieu, comme Michel l’Archange, le déclarant hautement, nous dit : « Allez avec vos frères à Jérusalem ; vous serez en oraison criant et glorifiant la résurrection du Seigneur Jésus-Christ, vous qu’il a ressuscités avec lui d’entre les morts. Et vous ne parlerez avec aucun des hommes, et vous resterez, assis comme des muets, jusqu’à ce que l’heure arrive que le Seigneur vous permette de rapporter les mystères de sa divinité. » Michel l’Archange nous ordonna d’aller au-delà du Jourdain, dans un lieu très-fertile et abondant où sont plusieurs qui sont ressuscités avec nous, en témoignage de la résurrection du Christ, parce que c’est seulement pour trois jours qu’il nous est permis, à nous qui sommes ressuscités d’entre les morts, de célébrer à Jérusalem la Pâque du Seigneur avec nos parents, en témoignage de la résurrection du Seigneur Christ, et nous avons été baptisés dans le saint fleuve du Jourdain, recevant tous des robes blanches. Et, après les trois jours de la célébration de la Pâque, tous ceux qui étaient ressuscités avec nous ont été enlevés par des nuées et ils ont été conduits au-delà du Jourdain, et ils n’ont été vus de personne. Ce sont les choses que le Seigneur nous a ordonné de vous rapporter ; et donnez-lui louange et confession, et faites pénitence, afin qu’il ait pitié de vous. Paix à vous dans le Seigneur Dieu Jésus-Christ et Sauveur de tous les hommes. Ainsi soit-il ! Ainsi soit-il ! Ainsi soit-il ! » Et après qu’ils eurent achevé d’écrire toutes ces choses sur des tomes séparés de papier, ils se levèrent Et Carinus remit ce qu’il avait écrit dans les mains d’Anne et de Caïphe et de Gamaliel. Et pareillement Leucius ce qu’il avait écrit sur le tome de papier, il le donna dans les mains de Nicodème et de Joseph. Et tout d’un coup ils furent transfigurés, et ils parurent couverts de vêtements d’une blancheur éblouissante, et on ne les vit plus. Et leurs écrits se trouvèrent égaux, n’étant ni plus ni moins grands et sans qu’il y eût même une lettre de différence. Toute la Synagogue des Juifs, entendant ces discours admirables de Carinus et de Leucius, fut dans la surprise, et les Juifs se disaient l’un à l’autre : « Véritablement, c’est Dieu qui a fait toutes ces choses, et béni soit le Seigneur Jésus dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. » Et ils sortirent tous avec une grande inquiétude, avec crainte et tremblement, et ils frappèrent leur poitrine, et chacun se retira chez soi. Toutes ces choses que les Juifs dirent dans leur Synagogue, Joseph et Nicodème les annoncèrent aussitôt au gouverneur, et Pilate écrivit tout ce que les Juifs avaient dit touchant Jésus, et mit toutes ces paroles dans les registres publics de son prétoire.

 

CHAPITRE XXIX 126.

 

Après cela Pilate, étant entré dans le Temple des Juifs, assembla tous les princes des prêtres et les scribes et les docteurs de la loi, et il entra avec eux dans le sanctuaire du Temple, et ordonna que toutes les portes fussent fermées, et il leur dit : « Nous avons appris que vous possédez dans ce Temple une grande collection de livres ; je vous demande de me les montrer. » Et lorsque quatre des ministres du Temple eurent apporté ces livres, ornés d’or et de pierres précieuses, Pilate dit à tous : « Je vous conjure par le Dieu votre Père, qui a fait et ordonné que ce Temple fût bâti, de ne point taire la vérité. Vous savez tout ce qui est écrit dans ces livres ; mais dites-moi maintenant si vous trouvez dans les Écritures que ce Jésus que vous avez crucifié est le Fils de Dieu qui doit venir pour le salut du genre humain, et expliquez-moi combien d’années devaient s’écouler avant sa venue. » Étant ainsi pressés, Anne et Caïphe firent sortir du sanctuaire tous les autres qui étaient avec eux, et ils fermèrent eux-mêmes toutes les portes du Temple et du sanctuaire, et ils dirent à Pilate : « Tu nous demandes, par l’édification de ce Temple, de te manifester la vérité et de te rendre raison des mystères. Après que nous eûmes crucifié Jésus, ignorant qu’il était le Fils de Dieu, et pensant qu’il accomplissait ses miracles par quelqu’enchantement, nous tînmes une grande assemblée dans ce Temple. Et, conférant entre nous sur les merveilles qu’avait accomplies Jésus, nous avons trouvé beaucoup de témoins de notre race qui ont dit qu’ils l’avaient vu vivant après la passion de sa mort, et nous avons vu deux témoins dont Jésus a ressuscité les corps d’entre les morts. Ils nous ont annoncé de grandes merveilles que Jésus a accomplies parmi les morts, et nous avons entre nos mains leur récit par écrit. Et c’est notre coutume que chaque année, ouvrant ces livres sacrés devant notre Synagogue, nous cherchons le témoignage de Dieu. Et nous trouvons, dans le premier livre des Septante 127, où Michel Archange parle au troisième fils d’Adam le premier homme, mention des cinq mille cinq cents ans après lesquels doit descendre du ciel le Christ, le Fils bien-aimé de Dieu, et nous avons considéré que le Dieu d’Israël a dit à Moïse : « Faites-vous une arche d’Alliance de la longueur de deux coudées et demie, de la hauteur d’une coudée et demie, de la largeur d’une coudée et demie. Dans ces cinq coudées et demie, nous avons compris et nous avons connu, dans la fabrique de l’arche du vieux Testament, que dans cinq milliers et demi d’années Jésus-Christ devait venir dans l’arche de son corps, et, ainsi que nos Écritures l’attestent, qu’il est le Fils de Dieu, et le Seigneur Roi d’Israël. Car, après sa passion, nous, princes des prêtres, saisis d’étonnement à l’aspect des miracles qui s’opéraient à cause de lui, nous avons ouvert ces livres, examinant toutes les générations jusqu’à la génération de Joseph et de Marie, mère de Jésus ; pensant qu’il était de la race de David, nous avons trouvé ce qu’a accompli le Seigneur ; et quand il eut fait le ciel et la terre et Adam le premier homme jusqu’au déluge, il s’écoula deux mille deux cent douze ans. Et depuis le déluge jusqu’à Abraham, neuf cent douze ans. Et depuis Abraham jusqu’à Moïse, quatre cent trente ans. Et depuis Moïse jusqu’au roi David, cinq cent dix ans. Et depuis David jusqu’à la transmigration de Babylone, cinq cents ans. Et depuis la transmigration de Babylone jusqu’à l’incarnation de Jésus-Christ, quatre cents ans. Et ils font ensemble cinq milliers et demi d’années 128, et ainsi il apparaît que Jésus que nous avons crucifié est Jésus-Christ, Fils de Dieu, vrai Dieu et tout-puissant. Ainsi soit-il. »

 

 

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AUTRES ÉVANGILES ET ÉCRITS APOCRYPHES.

 

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L’érudition moderne, en fouillant avec un soin scrupuleux dans les auteurs des premiers siècles du christianisme, a reconnu l’existence d’une cinquantaine d’Évangiles apocryphes ; Fabricius (Cod. apocryph. N. Test., t. I, p. 335-386) a pris la peine d’en indiquer les titres, d’en réunir les fragments, dont l’importance est d’ailleurs bien peu de chose. Des érudits allemands, Simler, Stroth, Weber, Emmerich et d’autres encore, ont appliqué à ces écrits perdus l’extrême patience qui caractérise les philologues d’outre Rhin. Ainsi que l’a fort bien avancé un ingénieux académicien, c’est lorsqu’il s’agit de ces bribes, de ces fragments d’auteurs dont le bagage entier a péri dans le naufrage des temps, que se déploie l’esprit de précision et d’analyse des laborieux professeurs des Universités germaniques ; les auteurs dont tout paraissait anéanti, fors le nom, retrouvent des investigateurs et presque des sauveurs. On rassemble les moindres vestiges, on rapproche, on discute les plus légers témoignages. Celles de ces monographies, très-méritoires, et même utiles d’ailleurs, qui se rattachent au sujet qui nous occupe, ne sauraient être que très-succinctement indiquées ici.

Le plus remarquable des Évangiles apocryphes aujourd’hui détruits paraît avoir été l’Évangile des Hébreux, c’est-à-dire des chrétiens judaïsants, compilation rédigée en Palestine et dont les Évangiles authentiques formaient la base, mais qui en différait dans les détails ; plusieurs Pères, saint Jérôme, saint Épiphane, Eusèbe, en ont parlé ; elle fut adoptée par diverses sectes gnostiques, telles que les Ébionites et les Nazaréens. Justin, martyr (ainsi que le remarque M. Matter, dans son Histoire du Gnosticisme, III, 15, 1843), semble n’avoir connu d’autre Évangile que celui des Hébreux ; il en a conservé dans ses écrits un assez grand nombre de fragments qu’a recueillis Stroth dans un Mémoire qui fait partie du Répertoire (en allemand) de littérature biblique, d’Eichhorn, tom. I, p. 1-59.

L’Évangile de saint Philippe, tout-à-fait perdu pour nous, semble devoir être rangé parmi les documents les plus curieux des théories des carpocratiens gnostiques. « Il professait le panthéisme le plus prononcé, et il attestait une sollicitude singulière pour le recueillement et la concentration de toutes les semences de lumière répandues, éparpillées dans le monde. Il montre les rapports intimes de cette école avec celle des Ophites et quelques autres. » (Matter, t II, p. 206.)

L’Évangile de Marcion 129 est l’objet de détails étendus dans l’ouvrage de M. Matter que nous venons de citer (tom. II, p. 239). Cette composition a été l’objet d’un grand nombre d’écrits publiés en Allemagne. Elle offrait, quant au fond, le même texte que l’Évangile de saint Luc, mais plus concis et plus simple, par suite des mutilations arbitraires que Marcion avait fait subir aux paroles du saint. D’après Tertullien, il n’attribuait son Évangile à aucun auteur spécial, il n’était sans doute pas fâché de laisser croire qu’il remontait bien plus haut que les évangélistes ; ses successeurs enseignèrent que cet écrit avait été dicté par Jésus-Christ lui-même, et qu’après la Passion, il avait été rédigé par saint Paul. Nous ne saurions nous étendre ici sur les mutilations, sur les interpolations qu’offrait l’Évangile de Marcion ; les deux premiers chapitres de saint Luc étaient rejetés, ainsi que la majeure partie du troisième, les neuf premiers versets du treizième, la parabole de l’Enfant prodigue, etc. : Arneth (Ueber das Évang. von Marcion, Linz, 1809), Gratz (Ueber Marcionis Évang., Tubingen, 1808), Hahn (Das Evang. Marcions, Kœnigsberg, 1823), M. Matter, etc., ont signalé, chapitre par chapitre, verset par verset, la manière dont Marcion avait émondé l’Évangile de saint Luc.

Eusèbe (Hist. ecclés., l. I, ch. 13) raconte qu’Abgare, roi de l’Osrhoënne, se trouvant atteint d’une maladie grave, écrivit à Jésus-Christ pour lui demander de le guérir, et en reçut une réponse. Cet historien rapporte cette correspondance qu’il dit avoir tirée des archives de la ville d’Édesse. Elle a été citée par saint Éphrem, saint Grégoire, Théodore Studite et quelques autres anciens écrivains ecclésiastiques. Il serait fort inutile d’insister sur la supposition de ces lettres dont nous allons donner le texte.

Abgare, roi d’Édesse, à Jésus Sauveur, qui est apparu à Jérusalem. « J’ai appris les guérisons que vous faites sans les secours des herbes ni des remèdes, que vous rendez la vue aux aveugles, que vous faites marcher les boiteux, que vous guérissez la lèpre, que vous chassez les démons et les esprits immondes, que vous délivrez des maladies les plus invétérées, et que vous ressuscitez les morts. Ayant appris toutes ces choses, je me suis persuadé que vous étiez Dieu, ou le fils de Dieu qui étiez descendu sur la terre pour y opérer ces merveilles. C’est pourquoi je vous écris pour vous supplier de me faire l’honneur de venir chez moi et de me guérir de la maladie dont je suis tourmenté. J’ai ouï dire que les Juifs murmurent contre vous et qu’ils vous tendent des pièges. J’ai une ville qui, bien que fort petite, ne laisse pas d’être assez propre, et qui suffira pour nous deux. »

« Vous êtes heureux, Abgare, d’avoir cru en moi sans m’avoir vu ; car il est écrit de moi que ceux qui m’auront vu ne croiront pas, afin que ceux qui ne m’auront pas vu croient et soient sauvés. À l’égard de ce que vous me priez de vous aller trouver, il faut que j’accomplisse ce pourquoi j’ai été envoyé, et qu’après cela je retourne vers celui qui m’a envoyé. Lorsque j’y serai retourné, j’enverrai un de mes disciples qui vous guérira et qui vous donnera la vie à vous et à tous les vôtres. »

Quelques hérétiques des premiers siècles fabriquèrent divers ouvrages qu’ils n’hésitèrent pas à donner comme étant de Jésus-Christ lui-même, et qui furent rejetés immédiatement comme apocryphes. Les Priscillianistes citaient un hymne qu’ils avaient en haute estime ; saint Augustin (Épist. 237) montre que cette pièce ne méritait aucune attention. Le même Père parle aussi d’une prétendue lettre de Jésus-Christ dont s’autorisaient les Manichéens, et de livres de magie que de hardis faussaires affirmaient avoir été adressés à saint Pierre et à saint Paul.

On trouvera, sur un sujet que nous nous bornons à indiquer, des détails étendus dans les dissertations spéciales de B. Gumaelius (Lund., 1732) et de J. Semler (Halle, 1759), ainsi que dans la notice en allemand de W. F. Rinck, insérée dans le Morgenblatt, 1819, no 110. Amaducci a donné place dans ses Anecdota litteraria (Rome, 1773, in-8o) à une prétendue lettre de Jésus-Christ à saint Pierre. Nous signalerons encore comme pouvant être consultés à cet égard les travaux de A. Wesslenius, De Scriptis Christo serv. de magia tributis dissert. duae (Lund., 1724-26), de J.-C. Michaelis, Exercitatio theol. crit. de eo, num Christus dominus aliquid scripserit (dans les Symbol. litter. Bremens.), de C.-F. Sartorius, Causarum cur Christus scripti nihil reliquerit, disquisitio (Lipsiae, 1815).

On n’a point oublié d’attribuer également quelques écrits apocryphes à la mère de Jésus. Une prétendue lettre, adressée aux habitants de Messine, a joui d’une assez grande célébrité, et au dix-septième siècle même, plusieurs écrivains en ont soutenu l’authenticité. Le jésuite Inchofer chercha à la démontrer dans un gros volume in-folio (Épist. B. Mariae ad Messan. veritas vindicata, Messanae, 1629), lequel fut réimprimé avec quelques changements à Viterbe en 1631, et que le pape Alexandre VII mit à l’index. Un autre moine, P. Belli, soutint la même thèse dans un autre in-folio. (Gloria Messanensis, sive de epist. deiparae virginis ad Messan. diss., Messanae, 1647.)

« Marie vierge, fille de Joachim, très-humble servante de Dieu, mère de Jésus-Christ le crucifié, de la tribu de Judas, de la race de David, à tous les habitants de Messine, salut, et la bénédiction de Dieu le père tout-puissant.

» Vous tous inspirés par une foi vive, vous nous avez adressé des envoyés, ainsi que l’atteste un document public. Vous reconnaissez notre Fils pour le Fils de Dieu et pour Dieu-homme ; vous confessez qu’il est monté au ciel après sa résurrection, et vous suivez la voie de vérité que vous ont enseignée les prédications de l’apôtre Paul. C’est pourquoi nous vous bénissons, ainsi que votre ville, dont nous voulons être la protectrice éternelle. L’année de notre Fils 42, le trois des nones de juillet, à Jérusalem. »

Une prétendue lettre de la Vierge, adressée aux Florentins, a du moins le mérite d’être fort courte. « Florence, ville chérie de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ et de moi, conserve la foi, applique-toi à l’oraison, fortifie-toi dans la patience : c’est ainsi que tu obtiendras le salut éternel auprès de Dieu. »

Fabricius a donné place dans son recueil des apocryphes à une lettre de Marie à saint Ignace ; mais nous nous reprocherions de nous arrêter à des écrits aussi peu dignes d’attention.

Eusèbe parle d’actes qui portaient le nom de saint Paul ; les Manichéens avaient une composition du même genre mise sous le nom de saint Pierre et de saint Paul ; les actes de saint André, de saint Thomas, de saint Jean, l’écrit intitulé Mémoire des apôtres, sont cités par divers anciens auteurs ecclésiastiques, mais ils n’ont jamais eu la moindre autorité, et aujourd’hui ils sont perdus. On trouve dans la bibliothèque des Pères, tome I, pag. 206, deux livres sous le nom de saint Lin touchant la passion de saint Pierre et de saint Paul, et une vie de saint Jean attribuée à Prochore, l’un des sept premiers diacres. La vaste collection des Acta sanctorum, réunis par le jésuite Bollandus et ses continuateurs 130, renferme des actes du martyre de saint Mathias, qui sont annoncés comme traduits de l’hébreu (tom. III de février, p. 442) ; le même recueil contient, sous la date du 25 avril et sous celle du 1er mai, des actes de saint Marc et de saint Barnabé. Il serait sans intérêt de donner ici les titres d’autres actes du même genre et les épîtres faussement attribuées à divers apôtres ; nous n’avons, sur la plupart de ces écrits, que des indications assez vagues (voir Ceillier, Tillemont, Dupin, etc., etc.). Les actes de saint Paul et de sainte Thècle, publiés dans le Spicilegium Patrum primi seculi qu’a édité Grabe (Oxford, 1698), présentent un mérite réel qu’a fort bien fait ressortir un ingénieux académicien. (Voir une notice de M. Saint-Marc Girardin, insérée dans la Revue de Paris en 1829, et reproduite dans les Essais de littérature et de morale, 1845, t. II, p 86. À des récits de scènes d’intérieur et de ménage pleines de naïveté, succèdent des récits empreints du double caractère de merveilleux, d’une part, et de vérité de mœurs, de l’autre. Le rôle tout nouveau que jouaient les femmes, dans la société qui se substituait à celle qu’avait faite le paganisme, y est retracé d’une manière saisissante et pleine d’intérêt.)

Une épître, attribuée à saint Barnabé, nous est parvenue en entier ; sa supposition n’est pas douteuse ; les critiques les plus éclairés sont unanimes à cet égard, mais toutefois elle mérite qu’on s’y arrête un instant.

Le texte grec n’est pas complet, mais une version fort ancienne y supplée. H. Menard la publia le premier en grec et en latin, et il y joignit un commentaire étendu (Paris, 1645, in-4o) ; Vossius la reproduisit avec de nouvelles notes à la suite de son édition des Lettres de saint Ignace (Amst., 1646 ; Lyon, 1680) ; J. J. Mader en donna une nouvelle édition. (Helmstadt, 1655, in-4o). On la retrouve dans le recueil de Cotelier (Patres Apostolici), dans les Varia sacra d’Ét. Lemoine, dans la Bibliotheca Patrum de Galland (t. I, p. 3), à la suite de l’édition du Pasteur d’Hermas donnée par J. Fell (Oxford, 1685), etc. Elle a été l’objet de divers travaux spéciaux, notamment de la part d’Ullmann (Abhandlung über den Brief des Barnabas dans ses Theol. Stud. und Krit., t. I), de J.-C. Roerdam, Comm. de authentia epist. Barnabae (Hafniae, 1828), de B. Henke, Comm. de epist. quae Barnabae tribuitur (Jenae, 1827). On peut consulter aussi les ouvrages relatifs aux anciens auteurs ecclésiastiques, tels que ceux d’Oudin, de Le Nourry, de Cave, de Dupin, etc., etc.

Cette épître peut se partager en deux parties. La première commence par quelques paroles pleines de charité et de tendresse à l’égard de ceux auxquels l’écrivain s’adresse ; il montre ensuite, par l’autorité des prophètes, que Dieu a rejeté les sacrifices de la loi ancienne pour faire place à l’oblation humaine de la loi nouvelle, c’est-à-dire aux sacrifices d’un cœur contrit et humilié. Il fait voir par les mêmes autorités que les jeûnes ne sont point agréables à Dieu sans la pratique des autres bonnes œuvres ; que les derniers temps prédits par Daniel sont venus ; que le sceau de l’alliance des Juifs avec le Seigneur est rompu ; que Jésus-Christ est véritablement fils de Dieu ; que sa venue et sa mort avaient été annoncées longtemps auparavant ; que c’est par la croix que Jésus-Christ a triomphé, et que celui qui met en elle son espérance vivra éternellement. Il prouve ensuite que la vraie circoncision est celle des oreilles et du cœur qui rend dociles et obéissants. Il parle des animaux défendus par les lois, et il en tire des allégories morales. Il relève le mystère de l’eau qui, en plusieurs endroits des prophètes, représente l’eau du baptême. Il applique de même au mystère de la croix plusieurs passages des prophètes, entre autres celui où il est parlé du serpent d’airain. Le pseudo-apôtre enseigne que les six jours de la création signifient autant de milliers d’années 131, et que Dieu terminera tout en six mille ans. Ensuite viendra le septième jour auquel le Fils de Dieu viendra juger les impies. À l’occasion du temple de Jérusalem qui vient, dit-il, d’être ruiné, il montre que Dieu a un autre temple, c’est-à-dire notre cœur qui devient le temple de Dieu lorsque sa grâce commence à habiter en nous.

La seconde partie renferme les préceptes d’une morale très-pure. L’écrivain distingue d’abord deux voies très-différentes entre elles, celle de la lumière et celle des ténèbres. À l’une président les anges de Dieu, à l’autre les anges de Satan. Voici quelle est la voie de lumière et les moyens qu’il faut prendre pour arriver à la vie : Vous aimerez celui qui vous a créé, et vous glorifierez celui qui vous a racheté de la mort ; vous détesterez tout ce qui est désagréable aux yeux de Dieu ; vous haïrez toute hypocrisie ; vous ne violerez point les commandements de Dieu ; vous ne vous élèverez point, mais vous serez humble ; vous ne vous attribuerez point de gloire ; vous ne formerez point de mauvais desseins contre votre prochain ; vous ne commettrez ni fornication, ni adultère, ni aucune autre impudicité ; vous ne vous servirez point de la parole que Dieu vous a donnée pour exprimer quelque impureté que ce soit ; vous serez paisible et doux ; vous pardonnerez à votre frère ; vous aimerez votre prochain plus que votre propre vie ; vous ne ferez point périr un enfant, ni avant, ni après sa naissance ; vous instruirez vos enfants, dès leurs plus tendres années, dans la crainte du Seigneur ; vous ne serez point avare, et votre cœur ne sera point attaché aux grands, mais vous rechercherez la compagnie des humbles et des justes ; vous recevrez comme des biens les accidents qui vous arriveront ; vous vous préserverez de la duplicité du cœur et de langue, car elle conduit à la mort ; vous serez soumis au Seigneur et aux princes comme à l’image de Dieu,  c’est-à-dire comme à ceux qui le représentent sur la terre, et vous aurez pour eux de la crainte et du respect ; vous ne commanderez point avec aigreur à vos esclaves qui ont en Dieu la même espérance que vous, de peur que vous ne perdiez la crainte de Dieu, notre maître commun, qui, sans avoir égard au mérite de personne, est venu chercher ceux dont son esprit avait préparé les cœurs ; vous ferez part à votre prochain de tous les biens que vous possédez, sans vous imaginer que rien vous appartient en propre, car si vous êtes en société pour des choses incorruptibles, ne devez-vous pas y être bien plus pour des objets corruptibles ? Vous ne serez point trop prompts à parler, car la langue est un piège de mort ; évitez d’ouvrir les mains pour recevoir, et de les fermer pour ne point donner ; vous chérirez comme la prunelle de vos yeux tous ceux qui vous annoncent, jour et nuit, la parole du Seigneur ; vous chercherez à voir les fidèles, et vous vous appliquerez à les consoler par vos discours et par vos écrits, mettant tous vos soins à contribuer au salut des âmes ; vous travaillerez de vos mains pour racheter vos péchés ; donnez sans hésitation ou murmure à quiconque vous demandera, et vous verrez que Dieu saura bien vous récompenser ; vous ne mettrez point la division parmi vos frères, mais vous procurerez la paix entre ceux qui sont en contestation ; vous confesserez vos péchés, et vous ne vous présenterez point devant Dieu pour lui adresser vos prières avec une conscience impure et souillée. Voilà la voie de lumière.

Mais la voie de ténèbres est oblique et pleine de malédictions, car c’est le chemin qui conduit à la mort éternelle et au supplice. Là sont les maux qui perdent les âmes, l’idolâtrie, l’audace, l’esprit d’élévation, l’hypocrisie, la duplicité de cœur, l’adultère, l’orgueil, le meurtre, l’apostasie, la tromperie, la malice, l’impudence, l’avarice, le mépris de Dieu. Ceux qui marchent dans cette voie persécutent les bons ; ils haïssent la vérité, ils aiment le mensonge, ils ne connaissent point la récompense de la vertu, ils ne s’attachent point à faire le bien, ils ne rendent point la justice à la veuve et à l’orphelin, ils veillent, non pour marcher dans la crainte de Dieu, mais pour faire le mal. Loin d’eux la douceur et la patience ; ils chérissent les choses vaines, ils aiment l’intérêt, ils sont sans pitié pour le pauvre, et ne se mettent point en peine de celui qui souffre, ils sont toujours prêts à médire, ils corrompent et défigurent l’ouvrage de Dieu, ils sont les défenseurs des riches, les juges iniques des pauvres, et ils se livrent eux-mêmes à toutes sortes de crimes.

L’auteur conclut en exhortant les fidèles à la pratique des préceptes qu’il leur donne, et il finit par ces paroles : Je vous salue, vous qui êtes des enfants de charité et de paix ; que le Seigneur de la gloire et de toute grâce soit avec vous.

Une prétendue correspondance de saint Paul avec Sénèque a longtemps été admise sans contestation comme chose authentique. Elle a trouvé place dans les anciennes éditions du philosophe romain, notamment dans celle de Naples, 1484 ; Venise, 1492, etc., etc. Érasme l’a admise dans l’édition de 1529, mais en la signalant comme controuvée. Fabricius indique quelques écrivains qui s’en sont occupés, et il l’a placée dans son Codex apocryphus (t. I, p. 892-904). Ces lettres sont au nombre de treize ; huit émanent de Sénèque ; elles sont fort courtes ; l’apôtre donne des conseils de morale, et fait ressortir les erreurs du paganisme. C. W. Loescher a écrit une dissertation spéciale : De Pauli ad Senecam epistolis, Witemberg, 1694, in-4o 132.

Pour ne rien omettre, nous signalerons encore la prétendue lettre de saint Paul aux habitants de Laodicée, une seconde épître aux Éphésiens, et une troisième épître aux Corinthiens, dont le texte a été conservé en arménien. Publiée par Wilkins à Amsterdam, en 1715, cette dernière se retrouve plus complète dans la Grammaire anglaise et arménienne de C. Aucher (Venise, 1819, p. 117). Ces divers écrits ont d’ailleurs été publiés dans le recueil de Fabricius, où une lettre de saint Pierre à saint Jacques a de même obtenu quelques pages. Cotelier l’avait déjà insérée dans ses Patres apostolici. En explorant minutieusement les anciens auteurs ecclésiastiques, on découvre de fugitives indications relatives à d’autres épîtres attribuées à quelques apôtres ; mais ces renseignements bien vagues, ces traces d’écrits sans importance et complètement perdus, ne doivent pas sortir du cercle des dissertations spéciales.

Nous ne devons point passer sous silence, en traitant des écrits qui racontent l’histoire légendaire des apôtres, une composition d’une longue étendue, divisée en dix livres et intitulée Histoire du combat apostolique ; elle a été mise au jour sous le nom d’Abdyas, évêque de Babylone, ordonné, à ce qu’il raconte lui-même, par saint Simon et saint Jude. L’auteur de cette composition supposée est resté inconnu ; une version latine nous en est parvenue, et le traducteur porte le nom imaginaire de Jules l’Africain. Il prétend qu’il a travaillé sur une traduction grecque, qu’Eutrope, disciple d’Abdyas, avait faite d’un texte écrit primitivement en hébreu, mais de fréquents latinismes et l’insertion littérale d’un passage de la traduction faite par Ruffin de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, établissent évidemment que cette Histoire du combat apostolique a été écrite dans la langue de Rome. Elle parut pour la première fois dans le recueil de W. Lazius. Collect. rar. Monum. (Basileae, 1551, fol., Paris, 1566, 8o) ; Fabricius l’a reproduite dans le tom. II de son Codex apocryphus où elle n’occupe pas moins de 340 pages. Dans cette foule de fables et de miracles controuvés, que l’Église a rejetés comme indignes de foi, on retrouve sans peine l’indice des idées qui circulaient parmi les chrétiens des premiers siècles. Ces récits de martyres et de prodiges, se répétant de bouche en bouche, s’enrichissant à mesure qu’ils se répandaient, étaient les poèmes populaires des néophytes de la foi nouvelle. Afin de montrer tout le charme que ce merveilleux naïf avait alors, nous traduirons, en l’abrégeant, la narration que fait Abdyas du combat, c’est-à-dire du martyre d’un des évangélistes.

« Mathieu surnommé Lévi et fils d’Alphée fut au rang des publicains, et fut appelé par Notre Seigneur Jésus-Christ qui le mit au nombre de ses disciples ; il arriva ensuite au sommet de l’apostolat, et avant l’ascension au ciel du Seigneur, il n’accomplit rien de particulier en outre des fonctions des autres apôtres, mais après qu’il eut été éclairé du Saint-Esprit et qu’il eut reçu l’ordre d’aller prêcher l’Évangile sur la terre, il prit pour sa part l’Éthiopie, et s’y étant transporté, il résidait dans une grande ville qui s’appelle Nadaver, où régnait le roi Æglippus ; il advint que deux magiciens, nommés Zaroës et Aphaxat, en imposaient tellement au monarque par les merveilles qu’ils accomplissaient, qu’il les regardait comme étant des Dieux, Et le roi avait en eux une confiance sans bornes, et non-seulement les habitants de la ville, mais encore ceux des provinces les plus éloignées de l’Éthiopie venaient pour les adorer. Car ils faisaient que les hommes étaient subitement hors d’état de se mouvoir, et qu’ils restaient comme paralysés aussi longtemps que le voulaient ces magiciens. Ils privaient aussi de la vue et de l’ouïe ceux qu’il leur plaisait de traiter de la sorte. Ils ordonnaient aux serpents de mordre, chose que savent aussi accomplir les Marses 133, et au moyen de leurs enchantements, ils guérissaient beaucoup de maladies. Et ils étaient l’objet d’une grande vénération de la part des Éthiopiens, parce que, comme dit le vulgaire, la peur inspire plus de respect pour les méchants que l’amour n’en fait concevoir pour les bons.

Mais Dieu, ayant pitié des hommes, envoya contre eux son apôtre Mathieu ; étant entré dans la ville, il commença à découvrir leurs sortilèges. Il guérissait, au nom de Jésus-Christ, tous ceux qu’ils frappaient de paralysie ; il rendait la vue à ceux qu’ils avaient aveuglés et à ceux qu’ils en avaient privés. Il plongeait dans le sommeil les serpents qu’ils excitaient à nuire aux hommes et, en faisant le signe du Seigneur, il guérissait ceux qui avaient été mordus. Un eunuque éthiopien, nommé Candace, qui avait été baptisé par l’apôtre Philippe, ayant vu ces choses, tomba à ses pieds et dit en l’adorant : Dieu a jeté ses regards sur cette ville afin de la délivrer de la main de deux magiciens que des insensés croient être des Dieux. Il reçut l’apôtre dans sa maison, et tous ceux qui étaient les amis de l’eunuque Candace y venaient et, écoutant la parole de vie, ils croyaient au Seigneur Jésus-Christ. Et chaque jour un grand nombre de personnes, voyant que le disciple de Dieu guérissait tous les maux que faisaient les magiciens, recevaient le baptême. Car ces magiciens frappaient les hommes afin de les guérir ensuite et de se faire ainsi vénérer, mais Mathieu, l’apôtre de Jésus-Christ, guérissait non-seulement ceux qui avaient été victimes de la malice de Zaroës et d’Aphaxat, mais encore tous ceux qu’on apportait devant lui, quelles que fussent les maladies dont ils étaient affligés. Et il prêchait au peuple la vérité de Dieu de telle manière que tous admiraient son éloquence.

L’eunuque Candace, qui l’avait accueilli avec la plus grande affection, l’interrogea, disant : Je te prie de me dire comment, étant libre de naissance, tu sais les langues grecque, égyptienne et éthiopienne, si bien que ceux qui sont nés dans ces contrées ne partent pas aussi bien que toi. L’apôtre répondit : Tous les hommes n’avaient eu d’abord qu’un même langage, mais leur présomption fut si grande qu’ils voulurent élever une tour d’une hauteur telle qu’elle parvint au sommet du ciel. Le Seigneur tout-puissant confondit leur présomption en faisant qu’ils ne se comprenaient plus l’un l’autre lorsqu’ils se parlaient. Car il survint une diversité de langages, et l’accord qui régnait entre eux et qu’avait fourni l’uniformité de langage se rompit. Le Fils de Dieu tout-puissant voulut montrer quel genre d’édifice il fallait élever pour parvenir au ciel, et il nous a envoyé, à nous les douze disciples, l’Esprit-Saint, et lorsque nous étions réunis dans une même salle, l’Esprit-Saint est venu sur nous, et nous avons été enflammés comme l’est le fer au contact du feu. Et lorsque cette splendeur eut cessé et que nous sommes revenus de notre effroi, nous avons commencé à parler aux gentils en diverses langues et à annoncer les merveilles de la naissance du Christ qui est le Fils de Dieu, et dont personne ne connaît l’origine avant les siècles. Nous avons dit comment il était né du sein de la Vierge Marie, et comment il avait été nourri et élevé, comment il avait été tenté, comment il avait souffert, avait subi la mort, avait été enseveli, et comment il était ressuscité le troisième jour. Et il est monté au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu, le Tout-Puissant, et il viendra juger tous les hommes. Nous autres, les disciples de Jésus le crucifié, nous savons en perfection, non-seulement les quatre langues que tu indiques, mais encore toutes celles en usage parmi les gentils. Et quelle que soit la nation chez laquelle nous nous rendons, nous possédons complètement sa langue. Ce n’est pas avec des pierres, mais avec les vertus du Christ que s’élève la tour où sont admis tous ceux qui sont baptisés au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et par le moyen de laquelle ils peuvent arriver au ciel.

Tandis que l’apôtre les instruisait de la sorte, quelqu’un vint dire que les magiciens arrivaient avec plusieurs dragons 134. Ces dragons étaient couverts d’écailles, et leur souffle émettait une odeur de feu, et ils lançaient par les narines des vapeurs de soufre qui faisaient périr les hommes. Mathieu, ayant appris cela, fit le signe de la croix et marcha avec calme au-devant d’eux. Candace voulut l’arrêter et, faisant fermer les portes, il dit : Adresse la parole par la fenêtre à ces magiciens ; mais l’apôtre répondit : Fais ouvrir les portes, fais-les ouvrir et regarde par la fenêtre l’audace de ces magiciens. Et l’apôtre sortit, et les magiciens venaient vers lui précédés chacun d’un dragon, mais ces deux dragons, à l’aspect de Mathieu, vinrent se coucher à ses pieds et s’endormirent. Et il dit aux magiciens : Où est votre puissance ? Si vous le pouvez, réveillez ces dragons. Si je n’avais pas prié mon Seigneur Jésus-Christ, ils auraient déployé contre vous toute la fureur que vous aviez voulu exciter contre moi. Ils resteront endormis jusqu’à ce que tout le peuple se soit rassemblé, et je leur ordonnerai ensuite de retourner dans leur asyle, sans faire de mal à personne. Zaroës et Aphaxat s’efforcèrent vainement de réveiller les dragons ; ils ne purent ni leur faire ouvrir les yeux ni les amener à se mouvoir. Et le peuple adressait ses prières à l’apôtre, disant : Nous te supplions, Seigneur, de délivrer notre ville de ces animaux. Et l’apôtre répondit : Ne craignez rien ; je leur enjoindrai de se retirer en toute douceur. Et se tournant vers les dragons, il dit : Au nom de Jésus-Christ, mon Seigneur, qui a été conçu de l’Esprit-Saint et qui est né de la Vierge Marie, que Judas a livré aux Pharisiens et qui a été crucifié, qui est ressuscité le troisième jour, et qui, après nous avoir, durant quarante jours, répété les instructions qu’il nous avait données, est monté, en notre présence, au ciel d’où il viendra juger les vivants et les morts, je vous ordonne, dragons, de retourner dans vos asyles sans faire aucun mal à nul homme, à nul quadrupède ou à nul vivant. Et, à sa voix, les dragons, élevant la tête, se mirent à s’éloigner, et ils sortirent de la ville en présence de tout le peuple, et jamais ils ne se montrèrent de rechef.

Ensuite l’apôtre parla au peuple en ces mots : Écoutez, mes frères et mes enfants, et vous tous qui voulez délivrer vos âmes du véritable dragon, c’est-à-dire du diable. Dieu m’a envoyé vers vous pour votre salut afin que, renonçant à la vanité des idoles, vous vous convertissiez à celui qui vous créa. Dieu, ayant fait l’homme, le mit dans un paradis de délices avec son épouse qu’il avait formée d’une de ses côtes. Le paradis est au-dessus de toutes les montagnes et proche du ciel, et il ne s’y trouve rien qui puisse être funeste à l’homme. Les oiseaux ne s’y épouvantent point de l’aspect et du bruit de l’homme ; il n’y vient ni épines, ni ronces ; les roses, les lys et les autres fleurs ne se flétrissent pas ; on n’y est point sujet à la fatigue du travail et nulle infirmité ne vient y détruire la santé ; la tristesse, le deuil et la mort n’y ont aucune place. Les voix des anges s’y font entendre et enchantent les oreilles. Le serpent ne s’y rencontre point, et ni le scorpion, ni les mouches, ni aucun animal fâcheux pour l’homme ne s’y trouve. Les lions, les tigres et les léopards y vivent en parfaite intelligence avec les hommes ; et lorsqu’il donne quelque ordre aux animaux ou aux oiseaux, ils s’empressent de l’exécuter, obéissant avec respect à l’être ami de Dieu. Quatre fleuves y coulent, l’un d’eux se nomme le Géon, le second, le Physon, le troisième, le Tigre, le quatrième, l’Euphrate. Ils abondent en parfum de toute espèce. La face du ciel n’est jamais obscurcie par des nuages.

Tandis que l’apôtre parlait ainsi, on entendit tout-à-coup le bruit d’un grand tumulte ; c’était celui d’une foule de peuple qui pleurait la mort du fils du roi. Les magiciens s’efforcèrent de le ressusciter, mais, ne pouvant y parvenir, ils tentèrent de persuader au roi qu’il avait été enlevé par les Dieux pour être admis dans leur assemblée, et qu’il fallait lui élever une statue et un temple. L’eunuque Candace, ayant appris ces choses, s’approcha de la reine et lui dit : « Ordonne qu’on garde ces magiciens, et je te prie de faire venir Mathieu, l’apôtre de Dieu, et s’il ressuscite ton fils, tu commanderas qu’on brûle vifs ces hommes ; car ils sont cause de tout le mal qui survient en notre ville. » Et quelques officiers du roi furent envoyés auprès de Mathieu, et ils l’introduisirent avec honneur auprès du monarque. Quand Mathieu parut, la reine Euphœnisse se prosterna à ses genoux et dit : « Je te reconnais pour l’apôtre que Dieu a envoyé pour le salut des hommes, et pour le disciple de celui qui ressuscitait les morts et qui guérissait toutes les maladies. Viens et invoque son nom sur mon fils qui est mort, et je crois que si tu le fais il revivra. » L’apôtre lui dit : « Tu n’as pas encore entendu de ma bouche la prédication de mon Seigneur Jésus-Christ, et comment peux-tu dire que tu crois ? Sache que ton fils te sera rendu. » Et étant entré, il éleva les mains au ciel et il dit : Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob qui, pour nous racheter, as envoyé du ciel sur la terre ton Fils unique, chargé de nous convertir de nos erreurs et de nous montrer le Dieu véritable, souviens-toi des paroles de Notre Seigneur Jésus- Christ ton Fils. En vérité, je vous dis que tout ce que vous demanderez en mon nom à mon Père, il vous l’accordera. Afin que les nations connaissent qu’il n’y a que toi de Tout-Puissant et que cette assertion de ma bouche est vraie, que cet enfant se lève. Et, prenant la main du mort, il dit : Au nom de mon Seigneur Jésus-Christ le crucifié, lève-toi, Euphranor. – Et l’enfant se leva aussitôt. Le cœur du roi se troubla à ce spectacle, et il ordonna aussitôt de porter à Mathieu des couronnes et de la pourpre. Et il envoya des hérauts dans la ville et dans les diverses provinces de l’Éthiopie, disant : Venez à la ville et voyez Dieu qui est caché sous l’aspect d’un homme.

Et une grande multitude étant venue avec des torches, des autels et de l’encens, et tout ce qui sert aux sacrifices, Mathieu, l’apôtre de Dieu, parla en ces termes : Je ne suis point un Dieu, mais je suis le serviteur de Jésus-Christ, mon Seigneur, le Fils du Dieu tout-puissant qui m’a envoyé vers vous, afin qu’abandonnant l’erreur de vos idoles, vous vous convertissiez au Dieu véritable. Si vous me regardez comme un Dieu, moi qui ne suis qu’un homme, combien ne devez-vous pas avoir plus de foi en ce Dieu dont j’avoue que je suis le serviteur, et au nom duquel j’ai rendu la vie au fils de votre roi. Ôtez de devant mes yeux cet or, cet argent et ces couronnes et employez-en la valeur à élever au Seigneur un temple où vous vous rassemblerez pour entendre la parole de Dieu. – Et quand il eut parlé, onze mille hommes, se mettant à l’ouvrage, achevèrent en trente jours la construction d’une église consacrée au Seigneur. Et Mathieu lui donna le nom d’Église de la Résurrection, parce qu’une résurrection avait été la cause qui l’avait fait édifier. Mathieu y passa vingt-trois ans, il ordonna des prêtres et des diacres, il plaça des évêques dans les villes de l’Éthiopie et il y fonda de nombreuses églises. Il baptisa le roi Æglippus et la reine Euphœnisse et son fils Euphranor qui avait été ressuscité, et sa fille Iphigénie, qui consacra sa virginité à Jésus-Christ. Les mages, saisis d’effroi, s’étaient enfuis vers la Perse. Il serait long de raconter combien l’apôtre guérit d’aveugles et de paralytiques, combien il délivra de possédés et ressuscita de morts, combien il détruisit d’idoles et de temples érigés en leur honneur.

Le roi Æglippus, accablé de vieillesse, étant allé vers le Seigneur, son frère Hyrtacus devint maître du royaume. Il voulut prendre pour épouse Iphigénie, la fille du roi défunt, qui s’était consacrée à Jésus-Christ et qui avait reçu le saint voile des mains de l’apôtre : elle était déjà à la tête d’une congrégation de plus de deux cents vierges, et le roi espérait que l’apôtre la déciderait à accéder à ses désirs. Il lui dit : Prends la moitié de mon royaume, si Iphigénie consent à m’épouser. – L’apôtre lui répondit : Conformément à la louable pratique de ton prédécesseur, qui se rendait chaque jour de Sabbat à l’assemblée où je prêchais la parole de Dieu, fais réunir toutes les vierges qui sont avec Iphigénie et tu entendras les louanges que, devant le peuple, je donnerai au mariage et comme je dirai qu’une union sainte est agréable à Dieu. Hyrtacus, ayant entendu ces paroles, fut rempli de joie et s’empressa de faire réunir une grande assemblée, pensant que l’apôtre engagerait Iphigénie à l’épouser.

L’apôtre, loin de se rendre aux désirs du monarque, prononce un éloge chaleureux de la virginité ; il émet ainsi une doctrine qu’on retrouve chez les premiers Pères et qui irrita, qui étonna le monde ancien, auquel pareilles idées ne s’étaient jamais offertes.

Hyrtacus se retire exaspéré et il envoie un de ses satellites qui frappe d’un coup d’épée et par derrière l’apôtre, tandis qu’il célébrait la messe. Le peuple furieux veut brûler le palais, mais les prêtres et les diacres calment sa colère. Iphigénie leur remet tout ce qu’elle possède d’or et d’argent, en leur recommandant de le distribuer aux pauvres. Hyrtacus a recours aux magiciens, mais leur pouvoir est sans effet ; il tente de faire mettre le feu au monastère où Iphigénie s’est retirée, mais un grand vent s’élève et pousse les flammes sur le palais du roi ; il est entièrement consumé. Hyrtacus, atteint d’un éléphantiasis, qui couvre son corps d’ulcères, se perce d’une épée, et son fils est livré à un démon terrible.

Nous nous croyons dispensé d’analyser l’histoire des antres apôtres, telle que la raconte. Abdyas, et nous finirons cette portion de notre travail en disant quelques mots des autres ouvrages qui pouvaient se joindre au cycle des pseudo-évangiles.

Divers écrits avaient été composés sous le nom d’Apocalypse, et attribués à quelques apôtres ; ils ont complètement disparu. L’Apocalypse de saint Pierre, jouissait, dans diverses églises, d’une telle estime que, d’après le témoignage de Sozomène (Histoire ecclés., l. VII, ch. 49), on en faisait le vendredi une lecture publique.

Une Apocalypse de saint Paul était en usage parmi les gnostiques, et Lambécius indique, comme se trouvant parmi les manuscrits grecs de la bibliothèque de Vienne, une Apocalypse de saint Jean différente de celle que l’Église a approuvée. L’Apocalypse de saint Thomas n’est connue que par le décret du pape Gélase, qui la met au rang des ouvrages supprimés, avec celle que les sectateurs de Manès avaient forgée sous le nom de saint Étienne.

Il existe des liturgies sous le nom des apôtres ou de leurs disciples. Fabricius les a insérées dans son recueil des apocryphes du N. Test. Renaudot les avait déjà placées dans sa Collectio liturgiarum orientalium, Paris, 1716. Dom Ceillier entre à leur égard, dans son Histoire des auteurs sacrés (t. I, p. 507 et suiv.), dans des détails assez étendus ; il démontre qu’elles ne peuvent remonter au-delà du quatrième siècle. Monsieur Saint-Marc Girardin, dans l’ouvrage que nous avons déjà cité (t. II, p. 66 et suiv.), les a comparées à la liturgie des sacrifices payens, montrant ainsi comment les chrétiens changeaient et épuraient, par l’esprit de la religion nouvelle, les rites du polythéisme.

 

 

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NOTICE SUR LES ÉCRITS APOCRYPHES DE L’ANCIEN TESTAMENT.

 

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Les théologiens appartenant à la communion réformée donnent le nom d’apocryphes aux portions de la Bible qui ne sont pas dans l’hébreu et qui se rencontrent seulement dans la version des Septante ; ce sont celles que l’Église romaine a admises et qu’elle désigne sous le nom de deutéro-canoniques.

Ces livres et portions de livres que les protestants rejettent de leur canon sont :

Livres entiers : Tobie, Judith, la Sagesse, l’Ecclésiastique, Baruch et les Machabées.

Parties séparées : Esther depuis le v. 4 du chapitre X jusqu’au v. 24 du chap. XVI, fin de ce livre ; Daniel, les v. 24 à 90 du chap. III et les chap. XIII et XIV.

Cette dénomination d’apocryphes, telle que l’emploient les réformés, produit une confusion fâcheuse, puisqu’ils la donnent, non-seulement aux deutérocanoniques des catholiques, mais aussi aux livres regardés comme supposés par toutes les communions ; ils en font toutefois la distinction, puisqu’ils admettent fréquemment dans leurs Bibles les deutérocanoniques, tandis qu’on n’y voit jamais figurer les livres supposés et rejetés du canon catholique.

Les deutérocanoniques ont été réunis et commentés dans les éditions spéciales de J.-W. Augusti (Leipzig, 1804, 8o), et de H. E. Apel (ibid., 1836, 8o). Ils ont été l’objet d’une dissertation étendue de F.-C. Movers, insérée dans le Journal (en allemand) de Bonner (1835, cahier 13). On peut aussi consulter à leur égard Eichhorn, Einleitung in die apokryphischen Schriften des alten Testaments (Leipzig, 1795, 8o), G. E. Reuss, Dissertatio polemica de libris V. T. apocryphis perperam plebi negatis quam publico (Argentorati, 1829, 4o).

Ce n’est point de ces écrits que nous nous occuperons ; nous nous en tiendrons à essayer de donner une idée des compositions entièrement supposées.

Nous ne nous arrêterons point aux écrits apocryphes dont les titres seuls nous sont parvenus : l’Évangile d’Ève dont parle saint Épiphane, les Prophéties d’Ève, les divers écrits attribués à Seth et dont parle l’Histoire des auteurs ecclésiastiques, de Dom Ceillier (t. I, p. 467), ceux qu’on a mis sur le compte de son fils Énos, de Noé, de Sem, de Cham et de Cuïnan étaient des suppositions audacieuses ou des folies dont les sciences occultes fournissaient le sujet. Leur perte ne doit exciter aucun regret.

Les Ébionites lisaient sous le nom de Jacob un livre intitulé l’Échelle de Jacob que saint Épiphane dit avoir été rempli de rêveries. Le décret rendu par le pape Gélase réprouve un ouvrage intitulé le Testament de Jacob. Fabricius a publié cinq lettres adressées par Joseph à Pharaon et à ses conseillers, et on a attribué à ce patriarche un livre de magie intitulé : le Miroir de Joseph.

Quelques écrivains des premiers siècles citent parfois les livres d’Heldam et Modal, de Balaam, de Jamnès et Mambrès, de Marie, sœur de Moïse ; ils font mention d’une Explication des noms sacrés attribuée à Phinéès, et d’un écrit de Samuel touchant les droits de la puissance royale. Tout cela a disparu, ainsi que l’Apocalypse d’Élie, que connaissaient Origène et saint Jérôme.

Un prophète aussi célèbre qu’Élie avait dû attirer l’attention des faiseurs d’écrits apocryphes ; on l’avait présenté comme auteur d’une Histoire générale de tous les temps, d’une lettre au roi Joram et de trois autres ouvrages intitulés : le Grand Ordre d’Élie, le Petit Ordre d’Élie, et la Caverne d’Élie.

Nous suivrons l’ordre chronologique des personnages sous le nom desquels on a mis les écrits que nous allons passer en revue.

 

 

 

LIVRES ATTRIBUÉS À ADAM.

 

 

On a prétendu qu’Adam était l’auteur de quelques psaumes. Des rabbins ont voulu lui attribuer le 92e, et d’après J.-E. Nieremberg (De Origine Sanctae Scripturae, Lugduni, 1641), des visionnaires lui ont fait honneur de deux psaumes ou cantiques qu’il aurait composés, l’un après la création d’Ève, l’autre pour exprimer ses sentiments de pénitence après son péché ; Fabricius les a insérés tout au long dans son recueil (t. I, p. 21).

Une composition plus étendue et assez curieuse pour que nous nous y arrêtions un instant, c’est l’ouvrage connu sons le nom du Livre d’Adam ; il est conservé parmi une secte ou tribu qui habite aux environs du golfe Persique, et qu’on désigne sous le nom de Sabéens ou de Chrétiens de saint Jean. Il faut leur laisser la désignation de Mendaïtes qu’ils se donnent eux-mêmes et qui vient du mot de menda, science. Leur doctrine, amas confus de rêveries qu’il est peu facile d’analyser, semble avoir fait de nombreux emprunts aux gnostiques et aux cabbalistes.

La langue des Mendaïtes est un dialecte chaldaïque ou syriaque corrompu, à la connaissance duquel on ne peut espérer d’arriver qu’à l’aide d’une étude approfondie de l’hébreu des Talmudistes. L’alphabet se compose, comme les alphabets hébraïque et syriaque, de 22 lettres ; il a trois voyelles qui prennent place dans le corps de l’écriture, contrairement aux alphabets sémitiques.

C’est à un Suédois dévoué aux recherches sur l’Orient qu’est due la connaissance du Codex Nazaraeus, Liber Adami appelatus. M. Norberg le publia à Lund (Lundini-Gothorum), en 1815, et il y joignit un lexique, divisé en deux parties. Le tout forme quatre volumes in-4o. Un savant illustre, auquel la littérature orientale doit en France et dans l’Europe entière ses derniers progrès et son plus vif éclat, M. Silvestre de Sacy 135, a rendu compte de cette publication importante dans trois articles du Journal des Savants, juin et novembre 1819, mars 1820. Les recherches de cet infatigable érudit nous serviront de guide dans les détails que nous allons consigner ici.

Le Livre d’Adam est formé de deux parties, dont la première se compose de quarante-une pièces séparées et d’une longueur inégale ; elles commencent presque toutes par cette formule ; « Au nom de la Vie grande, merveilleuse, excellente... »

Une singularité assez notable des divers manuscrits du Livre d’Adam, c’est que les deux parties dont ils se composent commencent chacune à une extrémité du volume qu’il faut retourner pour passer de l’une à l’autre, disposition bizarre qu’une figure fera peut-être mieux comprendre que toutes les descriptions :

 

 

Chacune des deux parties commence ainsi avec le premier feuillet du volume suivant le sens dans lequel on le tient, et elles se rencontrent par leur fin dans le corps du volume. La Bibliothèque du Roi possède quatre manuscrits du Livre d’Adam ou Sidra ladam. D’après Kaempfer et autres écrivains, les Mendaïtes estiment que cet ouvrage a été envoyé de Dieu au premier homme par le ministère de l’ange Rasaël, afin qu’il y apprît, ainsi que ses descendants, à bien régler sa vie et à se rendre heureux.

Dans les deux premières pièces de la première partie du Livre d’Adam, il est fait mention de Noé, d’Abraham, de Moïse, de Salomon, de saint Jean-Baptiste, de Jésus-Christ, de la construction et de la ruine de Jérusalem, des chrétiens, des Manichéens et enfin de Mahomet. On trouve dans une autre, quoiqu’avec beaucoup d’altérations, la succession des rois de Perse de la dynastie des Sassanides et la conquête de la Perse par les Arabes. On y lit que les rois arabes succéderont aux rois de Perse et auront le pouvoir durant soixante-onze ans, ce qui reporte cet écrit à la fin du premier siècle de l’hégire, c’est-à-dire au huitième siècle de notre ère. Si l’on a égard à la parfaite identité des idées, de la langue et du style qui se fait remarquer dans tout le recueil, on tiendra pour démontré qu’il ne contient rien qui soit antérieur à l’époque que nous signalons.

M. Silvestre de Sacy pense que cette composition a reçu le nom de Livre d’Adam, parce qu’il y est fréquemment question de la formation d’Adam et de ses rapports avec les bons et les mauvais génies. Treize pièces, dans l’édition de Norberg, commencent par cette formule plus ou moins abrégée : « Au nom de la Vie... Que la santé, la pureté et la rémission des péchés soient accordées à moi, Adam-Zouhron, fils de Scharat ; à mon père Yahia-Bakhtiar, fils d’Anhar-Yasmin ; à ma mère Scharat, fille d’Anhar ; à ma femme Moudalal, fille de Scharat ; à ma seconde femme Samra, fille de Scharat ; à mes enfants, Adam, Behram, Simal-Adam-Zouhron, Sam et Bayan, fils de Moudalal ; à mes frères, Mehatam, fils de Scharat ; Ram, fils d’Anhar, et Adam-Youhanna, fils d’Anhar-Yasmin. » Au premier abord, cette formule si souvent répétée, et par laquelle commence le recueil, peut faire supposer que la désignation de Livre d’Adam vient de ce qu’Adam-Zouhron en est l’auteur ; cette hypothèse se trouve cependant détruite par le motif que ce nom d’Adam-Zoubron ne se rencontre que dans un seul des manuscrits de la Bibliothèque du Roi ; dans les trois autres, on lit des formules semblables à celle que nous avons transcrite, mais avec des noms différents, comme Behram, fils de Simat ; Ram-Bakthiar, fils de Havat, etc.

L’auteur, quel qu’il soit, du Livre d’Adam ne se présente pas comme positivement inspiré ; il ne se donne nulle part le titre de prophète ou d’envoyé de Dieu ; mais il fait souvent parler les génies, il raconte des choses fort élevées au-dessus des connaissances de l’homme et de beaucoup antérieures à la création d’Adam et même à celle du monde ; on ne saurait donc douter qu’il ne se soit attribué l’inspiration divine ou qu’il n’ait du moins supposé qu’il puisait sa doctrine dans des livres révélés.

Dans les pièces qui composent la seconde partie du Livre d’Adam, c’est presque toujours le Mana, c’est-à-dire l’âme ou la substance spirituelle venue par l’ordre de la vie suprême pour vivifier et animer le corps d’Adam, en s’unissant à la matière inerte et inanimée qui porte la parole. Cette partie présente moins de difficultés que la première, mais il faut avouer aussi qu’elle offre moins d’intérêt sous le point de vue de la doctrine et du système religieux des Mendaïtes. Elle n’est pas complète dans l’édition de Norberg, mais elle l’est dans les quatre manuscrits de la Bibliothèque royale.

De nombreuses singularités qui se rencontrent dans l’orthographe du dialecte des Mendaïtes en rendent la lecture et l’intelligence chose très-peu aisée. Diverses lettres sont confondues ; celles qui sont muettes dans la prononciation disparaissent des manuscrits ; l’ordre des lettres radicales s’intervertit dans les mots ; les lettres du même organe le substituent les unes aux autres, etc. Ces difficultés, qu’on peut appeler matérielles, sont toutefois peu de chose encore comparées à celles qui ont leur source dans les choses mêmes dont traite la plus grande partie du Livre d’Adam. C’est un sujet extrêmement obscur qui se compose tout entier d’idées fantastiques, de rêves d’une imagination en délire, d’actes et de raisonnements attribués à une infinité d’êtres d’une nature étrange et qui n’ont aucune réalité ; des détails de la plus absurde cosmogonie, l’histoire enfin d’un monde imaginaire peuplé par des milliers de génies dont les noms mêmes sont autant d’énigmes presque toujours insolubles. La tâche de donner une traduction intelligible et claire d’un semblable ouvrage était des plus épineuses, et il ne faut pas s’étonner si Norberg n’y a point complètement réussi. Il convient d’ailleurs, avec beaucoup de modestie, qu’il est loin d’être assuré d’avoir toujours bien restitué le texte et saisi le vrai sens. M. de Sacy lui reproche d’avoir donné une version qui souvent ne présente que des sens hasardés, des idées décousues et incohérentes, des mots latins substitués à ceux du texte et tout aussi obscurs que ceux de l’original dont l’obscurité est encore aggravée par le style pénible du traducteur.

Il nous reste à donner, d’après cette composition dont la lecture est si rebutante, une idée de la doctrine des Mendaïtes, Elle offre une foule d’emprunts faits aux opinions des Manichéens et des Gnostiques, et cependant ces sectaires sont ennemis déclarés du manichéisme et de toutes les écoles gnostiques.

Afin d’arriver à retracer une esquisse des opinions des Mendaïtes, M. Silvestre de Sacy s’est livré à une analyse d’une des pièces principales du premier livre d’Adam (la cinquième occupant 106 pages dans l’édition de Norberg, tom. I, p. 131-237). Nous allons, d’après lui, en reproduire les traits principaux. Il faut quelque courage pour aborder l’étude de ces rêveries, mais elles occupent une place dans l’histoire de l’esprit humain.

Il existe deux principes de toutes choses ; ils sont éternels, indépendants l’un de l’autre et chacun d’eux ne doit qu’à lui-même son existence. Le premier est nommé Fira, et le second Ayar. La première production du Fira a été le Mana, le Seigneur de gloire, nommé aussi le roi de la lumière, et Youra, le Seigneur de la splendeur et de la lumière. Le Mana a produit d’autres Manas ; le Fira produisit aussi des millions de Fira et des myriades de Schekinta (ce dernier mot est chaldéen ; il signifie la majesté divine, rendue présente et habitant avec les hommes). Chacun de ces Fira de seconde classe a également produit des multitudes d’êtres. Tous se tiennent debout et louent le Mana, le Seigneur de gloire qui fait sa demeure dans l’Ayar, le Seigneur de la vie qui est dans le Jourdain, dans les eaux blanches produites par le Mana. De ce grand Jourdain ont été produits des Jourdains infinis et innombrables ; c’est lui aussi qui a produit la Vie, et de celle-ci sont venues une foule d’autres créatures. Il s’éleva parmi tous ces êtres des rebellions et des combats ; les rebelles furent vaincus et jetés « dans le séjour des ténèbres, dans la demeure des méchants, dans le lieu où résident tous les corrupteurs, dans l’espace habité par les dragons, vers le gril du feu dévorant, vers le gril du brasier dont les flammes s’élèvent jusqu’au firmament ». Le chef des habitants des ténèbres, Our, lutte avec un génie céleste, envoyé du Mana, et portant, parmi beaucoup d’autres noms, celui de Manda-di-haï, la connaissance de la vie. Près de succomber, Our se hâte d’engloutir la terre, mais bientôt vaincu et lié, il est renfermé dans une tour environnée de sept murailles, munie de vingt-quatre tours et gardée avec le plus grand soin. Humilié, il reconnaît enfin la supériorité de l’envoyé céleste, et il sollicite son pardon. Il y a dans toutes ces rêveries un cachet poétique et sombre qui rappelle parfois l’Apocalypse et le chef-d’œuvre de Milton.

Ensuite le Manda-di-haï demande et obtient que Gabriel soit envoyé pour créer un nouveau monde à la place de celui que voulaient avoir pour leur domaine les génies rebelles. Il lui est révélé que la doctrine des sept planètes, celle des douze signes du zodiaque, enfin celle des cinq étoiles se succéderont dans le monde ; après quoi, une nouvelle doctrine, une doctrine de vie, prendra la place de toutes les autres ; son fils chéri viendra qui desséchera l’abîme, formera le monde, l’éclairera, donnera la vie aux corps en les animant d’un souffle. Ces prédictions exaltent Our jusqu’à la fureur ; il s’agite dans sa prison, il ébranle les fondements de la terre. Le Manda-di-haï le frappe d’un coup de massue, lui ouvre le crâne, lui arrache des gémissements et des pleurs ; puis, ayant posé à l’entrée du monde une porte et dressé un trône pour les bons, il retourne au séjour de la vie, qui le récompense par une augmentation de gloire et d’honneur.

Ici commence un nouveau récit, c’est la création du monde que nous habitons. Un génie, nommé Fétahil, un génie du sexe féminin, l’Esprit, mère d’Our, et une foule d’autres créatures fantastiques figurent dans cette étrange cosmogonie, qu’il serait long et fastidieux de vouloir analyser. Ce qu’on parvient, non sans peine, à débrouiller au milieu de ces récits obscurs, c’est que l’empire de la terre et de la mer est resté aux mauvais génies ; ils sont toutefois dans la dépendance et sous les ordres des génies célestes. La durée des années sera déterminée par les douze signes, et depuis la formation d’Adam et du monde jusqu’à la fin des mondes, il y aura quatre cent quatre-vingt mille ans. Les génies rebelles font leur possible pour tromper et perdre Adam, mais le Manda-di-haï n’abandonne point le père du genre humain ; il le console au milieu des attaques que lui livrent ses ennemis, il le fortifie contre leurs attentats et contre le désordre produit par leurs malignes influences dans la nature. Il lui recommande de se garder des sept planètes et de ceux qui les adorent. Il lui révèle que les planètes, s’étant partagé le zodiaque, ont introduit la mort dans le monde ; cependant les âmes des fidèles et des justes monteront habiter le séjour de la lumière, mais celles des sept planètes et de leurs adorateurs demeureront liées et fixées à leur place jusqu’à ce qu’elles s’anéantissent. Chacun des douze signes, en prononçant une parole secrète, a produit dans le monde quelques espèces d’animaux ou de végétaux, ou de phénomènes nuisibles et destructeurs, le tout dans l’intention de causer du dommage à la famille de la Vie, c’est-à-dire, au genre humain, mais, par la disposition du Manda-di-haï, toutes ces productions ont tourné au service et à la nourriture de la famille de la Vie.

Le récit qui occupe le commencement du tome II de l’édition de Norberg (p. 117) est assez singulier pour que nous nous y arrêtions un instant. C’est la narration du voyage d’un génie qui visite tous les lieux où sont détenus les génies rebelles et leurs partisans. Il vient à la prison où sont enfermés les sectateurs du Messie ; ces âmes malheureuses font effort pour boire d’une eau à laquelle leurs lèvres ne peuvent atteindre. Elles se plaignent du sort cruel qu’elles éprouvent, tandis que, durant leur vie, elles ont revêtu ceux qui étaient nus et exercé toute sorte d’œuvres de charité. Il y a dans ce fragment des allusions manifestes à divers passages des Évangiles. Ailleurs (t. I, p. 321), on rencontre des traits qui rappellent les psaumes : « La Vie s’est manifestée à l’univers ; l’éclair et la lumière de la Vie se sont levés ; la mer l’a vu et a retourné en arrière ; le Jourdain a rétrogradé ; les montagnes ont bondi comme des cerfs et des biches dans le désert ; les collines ont parlé comme les filles des nuages ; les montagnes ont ouvert leur bouche, et chanté des hymnes de louanges, et les cèdres du Liban se sont brisés ; la terre, me voyant, a été ébranlée et a tremblé ; le roi de la mer, à mon aspect, a retourné en arrière. Omer, qui as-tu donc vu pour retourner ainsi en arrière ? Jourdain, qu’as-tu donc vu pour rétrograder ainsi dans ta marche ? »

Jérusalem est fréquemment représentée dans le Livre d’Adam comme un séjour d’abomination et d’erreur ; sa fondation est attribuée aux sept planètes qui ont réuni leurs communs efforts pour la produire. Après avoir formé cette cité, elles y ont laissé la débauche et la corruption, et elles ont dit : « Quiconque habitera Jérusalem ne prononcera pas le nom de Dieu. » Il est remarquable que le récit de la destruction de Jérusalem attribue à cette catastrophe pour signe ou pour cause un aigle blanc qui vient se reposer sur cette ville ; cet aigle est sans doute l’emblème des années romaines.

Le célibat inspire une vive horreur aux auteurs du Livre d’Adam ; ils recommandent énergiquement le mariage, et d’ailleurs, dans l’idée comme dans l’expression, ils s’expriment toujours avec toute la crudité orientale. Il est enjoint aux Mendaïtes d’oindre, aux approches de la mort, leurs corps d’une huile pure ; faute de quoi, leurs âmes ne pourront monter au séjour de la lumière et seront retenues en prison, jusqu’à ce qu’elles aient reçu soixante-un coups. Arrivées au signe de la lumière, les âmes verront une multitude de vignes et boiront de la liqueur qu’elles produisent.

Les Mendaïtes doivent prier trois fois par jour ; ils sont tenus de prêcher la doctrine de la Vie et de donner des vêtements aux pauvres. Ils sont astreints de se réunir dans le temple au lever du soleil le premier jour de la semaine, d’y conduire leurs femmes et leurs enfants. Ils répondent des fautes de leurs enfants jusqu’à ce que ceux-ci aient atteint l’âge de quinze ans. Les Mendaïtes justes et pieux ne demeureront pas éternellement sur la terre et ne seront point jugés comme les autres hommes ; ils ne seront point condamnés et précipités dans la grande mer de Souf (la mer Rouge), où seront jetés et où périront l’Esprit (mère de Our), les douze signes et les sept planètes. Quant aux Mendaïtes infidèles, leurs âmes seront exclues du séjour de la lumière ; elles seront privées de tous les avantages qui leur avaient été accordés sur la terre et dont elles n’auront pas profité ; leur baptême remontera au lieu d’où il était descendu ; elles seront précipitées au plus profond des lieux ténébreux.

Nous nous sommes trop arrêtés peut-être sur les doctrines d’une secte bien restreinte et qui est menacée de s’éteindre dans la persécution et l’indigence.

M. Silvestre de Sacy, qui en avait fait l’objet d’une étude patiente, ayant voulu savoir quelle était sa situation, reçut d’assez tristes détails ; ils sont consignés dans une lettre de M. Raymond, vice-consul à Basson, écrite en 1812.

« Réduits au nombre de quatre à cinq mille, opprimés par les Persans et par les Turcs, les Sabéens vivent dans la misère et l’abaissement. Ils ont plusieurs scheiks : un pour marier les filles vierges, un autre pour celles qui ne le sont pas (le premier ne voulant pas se charger de cette cérémonie, y attachant une sorte de déshonneur), et un autre pour marier les veuves. Ils ne parlent, ni n’entendent le syriaque ; la langue qu’ils employent est la langue écrite, celle de leurs livres. Ils n’ont aucune traduction de leur Sidra Adam en arabe, ni en turc, ni en persan. Ils se marient entre eux et ne souffrent pas que leurs filles choisissent des époux hors de leur secte. Ils ne font plus de pèlerinage au Jourdain. Les Musulmans les maltraitent fort, dans le but de leur extorquer quelque argent. »

 

 

 

LIVRE D’ÉNOCH.

 

 

C’est ici le lieu de parler avec quelques détails de l’ouvrage le plus considérable qui figure au nombre des livres apocryphes de l’ancien Testament.

Le livre d’Énoch a joui depuis une époque fort reculée d’une haute célébrité. La citation qu’en a faite l’apôtre saint Jude, dans son épître, a grandement contribué à attirer sur lui l’attention des érudits. Voici les paroles de l’apôtre : « Prophetavit autem de his septimus ab Adam Enoch, dicens : Ecce venit Dominus in sanctis millibus suis, facere judicium contra omnes, et arguere omnes impios de omnibus operibus impietatis eorum quibus impie egerunt, et de omnibus duris quae locuti sunt contra eum pecca-tores impii. – C’est à leur égard qu’a prophétisé Énoch, le septième depuis Adam, disant : Voici la Seigneur qui va venir avec une multitude innombrable de ses saints, pour exercer son jugement sur les hommes et pour convaincre tous les impies de toutes les actions et impiétés qu’ils ont commises et de toutes les paroles injurieuses que ces pécheurs endurcis ont proférées contre lui. » Un auteur grec du VIIIe siècle, George Syncelle, en avait rapporté dans sa Chronographie un long passage ; Grabe, dans son Specilegium Patrum (Oxford, 1714), et Fabricius en avaient recueilli tous les fragments qu’ils avaient pu rencontrer, et d’après eux, Sondmarck et Rezel avaient publié en 1769 une dissertation : De Libro Henochi prophetico et de prophetia Henocki, mais l’ouvrage ne fut bien connu que lorsque le célèbre voyageur Bruce en eut rapporté de l’Abyssinie trois manuscrits ; il céda l’un d’eux à la Bibliothèque du Roi, et un illustre orientaliste, M. Silvestre de Sacy, en fit usage pour une notice qu’il inséra au Magasin Encyclopédique (1800, tom. I, p. 369) ; elle contient une traduction latine de quelques chapitres. Bruce donna les deux autres manuscrits à la bibliothèque Bodleyenne à Oxford. En 1821, un dignitaire de l’Église anglicane, professeur d’hébreu à l’université de cette ville, Richard Laurence, en publia une traduction (in-8o, XLVIII et 214 pages), sous le titre de Mashafa Henve Nubig ; the Book of Enoch the prophet ; l’introduction et les notes que cet érudit a jointes à sa traduction forment la partie la plus intéressante de son travail, dont M. Silvestre de Sacy a rendu compte avec détail dans deux articles du Journal des Savants (septembre et octobre 1822, p, 545-551, et p. 587-595).

Après avoir signalé les travaux dont le Livre d’Énoch a été l’objet, M. Laurence 136 établit que l’outrage retrouvé en Abyssinie dans une version éthiopienne est le même que celui qu’a cité l’apôtre saint Jude, celui qui a été connu des écrivains ecclésiastiques de l’antiquité et dont plusieurs Pères ont invoqué le témoignage. Fabricius a indiqué une vingtaine d’auteurs différents qui en ont fait mention ; on remarque parmi eux Scaliger, Grotius, Cave, et un grand nombre d’érudits allemands.

La citation faite par saint Jude constate que le Livre d’Énoch a été composé avant l’ère chrétienne ; d’un autre côté, il ne saurait avoir été écrit avant la captivité de Babylone ; l’auteur emprunte nombre d’idées et même d’expressions au Livre de Daniel. Le traducteur anglais a cherché de son mieux à déterminer, au moyen d’explications de quelques passages allégoriques et passablement obscurs, que la composition de cet écrit se rapproche du commencement de l’ère chrétienne ; et qu’elle a eu lieu durant les premières années du long règne d’Hérode-le-Grand. Toutefois, ainsi que l’observe fort judicieusement M. de Sacy, il peut rester une difficulté que M. Laurence ne s’est point dissimulée. Si le livre apocryphe mis par un faussaire sous le nom d’Énoch a été écrit à une époque bien peu éloignée de notre ère, comment, un siècle plus tard, au temps de saint Jude, avait-il acquis assez d’autorité pour que cet apôtre le citât sous le nom du prophète Énoch ? On pourrait répondre à cette question d’une façon assez simple, mais tout-à-fait conjecturale ; c’est qu’un livre apocryphe sous le nom d’Énoch pouvait exister depuis deux ou trois siècles ; des passages qui semblent se rapporter à des évènements plus récents y auraient été ajoutés après coup et l’ouvrage aurait continué à porter le même nom. À l’appui de cette conjecture, on est en droit de faire remarquer que cet écrit se compose de plusieurs morceaux qui n’ont point entre eux un rapport bien sensible les uns avec les autres, et afin de remédier à d’évidentes transpositions, M. Laurence a cru devoir déplacer plus d’une fois un ou deux chapitres. Pour résoudre la difficulté que nous signalons, ce savant émet la pensée que l’époque assez récente du Livre d’Énoch pouvait être inconnue aux Juifs de la Palestine, parce que ce livre y avait été apporté d’une contrée éloignée comme un monument vénérable de l’antiquité et qu’il avait été reçu comme tel. C’est encore sur un argument pris du livre lui-même qu’il établit cette supposition. Voici la traduction de ce qu’il avance à ce sujet :

Le Livre d’Énoch est divisé en sections et en chapitres ; la division en chapitres a été faite assez arbitrairement et il n’y a point uniformité à cet égard entre les trois manuscrits.

La division en sections est fondée sur les divisions naturelles et intrinsèques du livre. Donnons-en une idée. La première contient six chapitres et peut se considérer comme une sorte d’introduction. C’est là que se trouve le célèbre passage cité par Saint-Jude.

La seconde et la troisième section (ch. 7-17) renferment l’histoire des anges qui, descendus sur la terre, ont eu commerce avec les femmes, ont donné naissance à une race de géants impies, et ont révélé aux hommes les sciences occultes 137. C’est le passage rapporté par le Syncelle. Le nom d’Énoch ne se rencontre pas une seule fois dans la deuxième section, qui a l’apparence d’un récit et non d’une vision ou d’une prophétie.

On doit voir dans la quatrième section (ch. 17-21), une suite du récit qui l’a précédée ; la cinquième (ch. 22-37) offre une série de visions ; cinq anges expliquent successivement à Énoch les choses qui passent sous ses yeux.

Avec le commencement de la sixième section (ch. 37-45), commence une suite de visions qui ne se termine qu’avec la douzième section ; celle-ci, assez peu étendue, ne renferme que deux chapitres (69 et 70) ; elle a pour objet l’enlèvement d’Énoch au séjour qu’habite la divinité, et sa présentation devant la majesté divine. Cette partie du livre est surchargée de répétitions : elle commence en ces termes :

« La vision qu’il vit, la seconde vision de sagesse que vit Énoch, fils de Jared, fils de Chalaléel, fils de Canan (Cainan), fils d’Énos, fils de Seth, fils d’Adam. C’est ici le commencement de la parole de sagesse que j’ai reçue pour la déclarer et l’enseigner à ceux qui habitent sur la terre. Écoute depuis le commencement et comprends jusqu’à la fin les saintes choses que je profère en présence du Seigneur des esprits. Ceux qui nous ont précédés ont trouvé bon de parler ; nous donc, qui venons après eux, ne cédons point le commencement de la sagesse. Jusqu’à l’époque actuelle, personne n’a été gratifié devant le Seigneur des esprits de ce que j’ai reçu, d’une sagesse proportionnée à la capacité de mon intelligence, et au bon plaisir du Seigneur des esprits ; ce que j’ai reçu en don de lui est une portion de la vie éternelle, étant compris dans cent trois paraboles que j’ai rapportées aux habitants du monde. »

M. Silvestre de Sacy conjecture avec raison que ce nombre de cent trois est l’effet d’une erreur de copiste et qu’il faut lire trois paraboles.

Les sections treize, quatorze et quinze contiennent un traité de la marche du soleil et de la lune, de la division du temps en années, en mois, et en jours, des vents, de la lumière du soleil et de celle de la lune, traité rempli d’absurdités et où s’étale la plus complète ignorance. Il commence en ces termes :

« Le livre des révolutions des luminaires du ciel, suivant leurs diverses classes, leurs pouvoirs respectifs, leurs périodes, leurs noms, les places où ils commencent leurs cours, enfin leurs mois respectifs, toutes choses que m’a expliquées Uriel, le saint ange qui était avec moi, lui qui est chargé de leur conduite ; exposition complète de ce qui les concerne, conformément à chaque année du monde, pour toujours jusqu’à ce que soit effectué un nouvel ouvrage qui sera éternel. »

Nous ne citerons plus de cette partie du livre qu’un passage duquel il résulte que l’auteur fait l’année solaire de trois cent soixante-quatre jours invariablement et l’année lunaire de trois cent cinquante-quatre, et qu’il semble connaître des périodes de trois, de cinq et de huit ans.

« La lune ramène toutes les années exactement, en sorte que leurs stations n’avancent ni ne retardent d’un seul jour, mais que le changement d’années a lieu, avec une exacte précision, en trois cent soixante-quatre jours. En trois ans, il y a mille quatre-vingt-douze jours. Quant à la lune, elle n’a en trois ans que mille soixante-deux jours ; en cinq ans, elle a cinquante jours de moins que le soleil, car en ajoutant aux mille soixante-deux jours (ceux de deux années), cela fait, en cinq ans, dix-sept cent soixante-dix jours ; les jours de la lune montent, en huit ans, à deux mille huit cent trente-deux jours. Car en huit ans, elle a quatre-vingts jours de moins que le soleil, et ces quatre-vingts jours sont la quantité dont (les années de la lune) sont diminuées en huit ans. Alors l’année devient vraiment complète, conformément à la station des lunes et à la station du soleil qui se lève dans les différentes parties (du ciel) qui s’y lève et qui s’y couche pendant trente jours. Ce sont là les conducteurs des chefs de mille, qui président à toutes les choses créées, et toutes les étoiles, avec les quatre jours qui sont ajoutés et ne quittent jamais la place qui leur est assignée, conformément à la supputation complète de l’année. Ces quatre-là sont quatre jours qui ne sont point compris dans la supputation de l’année. »

La section seize (ch. 82-84) s’ouvre par ces mots : « Jusqu’ici, mon fils Mathusalé, je t’ai raconté toutes les visions que j’ai eues avant toi, maintenant je vais te rapporter une autre vision que j’ai eue antérieurement à mon mariage. » Cette vision a pour objet le déluge.

On trouvera dans la dix-septième section (ch. 85-90) le long récit d’un autre songe qu’Énoch a eu également avant son mariage et qu’il raconte à son fils. C’est une histoire emblématique du monde jusqu’à Abraham et du peuple juif ; elle commence à la naissance de Caïn et d’Abel, et se termine au règne d’Hérode-le-Grand.

La dix-huitième section, formée d’un seul chapitre, renferme une exhortation d’Énoch à ses enfants. Dans la dix-neuvième et dernière, le lecteur rencontre d’abord une prédiction abrégée de tout ce qui doit arriver depuis le patriarche jusqu’à la fin du monde, et l’établissement du règne parfait de la justice ; toute la durée des temps y est divisée en semaines, ce qui est incontestablement imité de Daniel. Le déluge arrive dans la seconde semaine, l’élection d’Abraham dans la troisième ; la destruction du temple et la captivité de Babylone appartiennent à la sixième ; la destruction de toute iniquité et le règne de la justice sont les caractères de la neuvième ; le jugement général, suivi de l’apparition d’un ciel nouveau, est fixé au septième jour de la dixième semaine. Il n’est pas facile de reconnaître les évènements attribués par l’auteur à la septième et à la huitième semaine, ce qui toutefois serait important pour fixer l’époque à laquelle a été composé le Livre d’Énoch ou du moins cette portion de l’ouvrage. Transcrivons ce passage dont les expressions semblent déceler une main chrétienne :

« Après cela, dans la septième semaine, il s’élèvera une génération perverse ; ses œuvres seront en grand nombre, et toutes ses œuvres seront perverses. Durant la fin de cette semaine, le juste, choisi de la plante de l’éternelle justice, sera récompensé, et il leur sera donné (aux hommes) une septuple instruction concernant toutes les parties de la création. Ensuite, il y aura une autre semaine, la huitième, semaine de justice à laquelle sera donné le glaive pour exécuter le jugement et la justice contre tous les oppresseurs. Les pécheurs seront livrés entre les mains des justes, qui, pendant la fin de cette semaine, acquerront des habitations par un effet de leur justice, et la maison du grand roi sera construite et élevée pour toujours. » Il est à croire qu’il faut voir ici les Juifs dans cette génération perverse, Jésus-Christ dans élu ; le glaive doit indiquer la destruction de Jérusalem, et la maison du grand roi est le symbole de l’Église chrétienne.

Les chapitres 93 à 104 sont des exhortations aux justes et des menaces aux pécheurs, enfin le chapitre 105 contient le récit du mariage de Lamech, fils de Mathusalé, de la naissance de Noé et des prodiges qui l’accompagnèrent. Énoch, consulté par Mathusalé, explique ces prodiges ; il prédit le déluge et la corruption du genre humain, qui ne fera que s’accroître après cette catastrophe.

M. Silvestre de Sacy, prenant en considération l’antiquité du Livre d’Énoch, l’usage qu’en ont fait des écrivains respectables, l’autorité dont il a joui, les discussions auxquelles il a donné lieu, pensait que ces motifs étaient suffisants pour faire désirer une édition du texte éthiopien et pour amener le public éclairé à accueillir avec faveur une traduction complète de cet écrit qu’un petit nombre de savants de profession seuls connaissent encore.

Quant à la première partie de ce vœu, un célèbre hébraïsant d’outre-Rhin, Gésénius, et le révérend Laurence, avaient promis de publier ce texte original, mais jusqu’à présent, il n’a point vu le jour ; des publications semblables s’adressent à un si petit nombre d’érudits qu’un patronage efficace est indispensable pour décider un éditeur à en courir les risques.

Ce serait chose téméraire que d’entreprendre de faire passer en notre langue la totalité du Livre qui nous occupe, mais du moins pouvons-nous en placer ici le début.

 

« Paroles de bénédiction d’Énoch qui a béni les élus et les justes qui doivent supporter le jour de l’affliction, rejetant les hommes pervers et impies. Énoch, cet homme juste qui était avec Dieu, prit la parole et dit, lorsque ses yeux se furent ouverts et pendant qu’il contemplait la sainte vision dans les deux : Voici ce que les anges m’ont fait voir :

C’est d’eux que j’ai entendu toutes choses, et c’est par leur secours que j’ai compris ce que je voyais, choses qui n’arriveront point dans la génération présente, mais dans une génération qui doit arriver dans un temps éloigné, relativement aux élus.

C’est pour eux que j’ai parlé et discouru avec Celui qui sortira de sa demeure, le Dieu du monde, saint et tout-puissant.

Qui foulera aux pieds la montagne de Sinaï, qui se montrera avec ses armées et se manifestera dans la force de sa puissance céleste.

Tous trembleront et seront saisis d’effroi.

Une grande crainte saisira les hommes jusqu’aux extrémités du monde. Les montagnes les plus élevées se troubleront, et les collines s’abaisseront, fondant comme le miel exposé à la flamme. La terre sera submergée, et tout ce qui est sur elle périra et le jugement viendra sur tous les hommes.

Mais il donnera la paix aux justes, il conservera les élus et il leur montrera la clémence.

Alors tous appartiendront à Dieu ; ils seront heureux et bénis, et la splendeur de la tête divine les illuminera.

Voici qu’il vient avec dix mille de ses saints pour exercer le jugement et pour rejeter les impies et pour réprouver tout ce que les pécheurs et les impies ont fait et commis contre lui.

Tous ceux qui sont dans les cieux ont connu leurs œuvres.

Ils ont su que les luminaires célestes ne changent pas leurs voies, que chacun se lève et se couche en son rang, chacun à son époque déterminée, ne transgressant pas les ordres qu’ils ont reçus.

Ils voient que tout ouvrage de Dieu est immuable, se montrant à l’époque convenable. Ils regardent l’été et l’hiver, observant que toute la terre est pleine d’eau et que les nuages, la rosée et la pluie la fécondent.

Ils voient comment les lacs et les rivières s’acquittent chacun de leurs fonctions.

Mais vous, vous ne supportez point patiemment et n’accomplissez pas les commandements du Seigneur, mais vous transgressez ses ordres, et vous foulez aux pieds sa grandeur, et il y a dans vos bouches souillées des paroles de malédiction contre sa majesté.

Vous, pervers de cœur, il n’y aura nulle paix en vous.

C’est pourquoi vous aurez vous-mêmes vos jours en exécration, et les années de vos vies périront ; des douleurs perpétuelles se multiplieront, et vous n’obtiendrez pas de grâce.

En ces jours vous échangerez votre paix avec les malédictions éternelles de tous les justes, et les pécheurs vous exécreront perpétuellement

Les élus posséderont la lumière, la joie et la paix, et ils entreront, pour héritage, en possession de la terre.

Mais vous, impies, vous serez réprouvés.

Alors la sagesse sera donnée aux élus, qui vivront tous et qui ne retomberont pas dans le péché, cédant à l’orgueil ou à l’impiété, mais ils s’humilieront, possédant la prudence, et ils ne réitéreront pas la transgression.

Ils ne seront point condamnés pour tout le temps de leur vie, et ils ne mourront pas dans les tourments et dans l’indignation, mais la somme de leur vie s’accomplira, et ils vieilliront en paix, tandis que les années de leur félicité se multiplieront avec joie et en paix, pour l’éternité et pour toute l’existence de leur temps...

Il advint, après que les fils des hommes se furent multipliés en ces jours, qu’il leur naquit des filles d’une grande beauté.

Et lorsque les anges, les fils du ciel, les virent, ils furent pris d’amour pour elles, et ils se dirent entre eux : Allons, choisissons-nous des épouses de la race des hommes, et engendrons des enfants.

Alors leur chef Samyaza leur dit : Je crains que vous n’ayez pas le pouvoir d’accomplir ce dessein.

Et que je ne supporte seul le châtiment d’un crime aussi grave.

Mais ils lui répondirent, disant : Nous jurons tous.

Et nous nous obligeons par des serments mutuels que nous ne changerons point ce que nous proposons, mais que nous accomplirons ce que nous entreprendrons.

Et tous jurèrent et s’engagèrent par des serments mutuels.

Leur nombre était de deux cents qui descendirent sur le sommet du mont Armon.

Ce mont se nommait Armon parce qu’ils se lièrent par des serments 138.

Et voilà les noms des chefs : Samyaza, qui était le premier de tous, Urakabarameel, Akibeel, Tamiel, Ramuel, Danel, Azkeel, Sarakuyal, Asael, Armers, Batraal, Anane, Zavebe, Samsaveel, Ertael, Turel, Jomiael, Arazial 139.

Ils prirent des épouses avec lesquelles ils eurent commerce, leur enseignant la magie et les enchantements, et la division des racines et des arbres 140.

Et les femmes conçurent et elles enfantèrent des géants.

Lesquels avaient chacun crois cents coudées de hauteur. Ils dévoraient tout le travail de l’homme jusqu’à ce qu’ils ne pussent se rassasier.

Alors ils se tournaient contre les hommes pour les dévorer.

Et ils commencèrent à donner te mort aux bêtes, aux reptiles, aux poissons, à se nourrir de leur chair, l’un après l’autre, et à boire le sang.

Alors la terre réprouva les injustes.

Azaziel enseigna aux hommes à fabriquer des épées, des boucliers et des cuirasses ; il leur apprit à fabriquer des miroirs, l’usage des parfums, des bracelets, des ornementales pierres précieuses et de toutes les couleurs.

L’impiété augmentait, l’impudicité croissait, et tous transgressaient et corrompaient leurs voies.

Amazarak enseigna tous les enchanteurs, Barkayal les observateurs des astres, Akibeel les signes et Asaradel le mouvement de la lune.

Mais les hommes qui étaient opprimés par les géants crièrent, et leur voix monta au ciel.

Alors Michel et Gabriel, Raphaël, Suryal et Uriel, regardant du haut des deux, aperçurent la multitude du sang répandu sur la terre et toute l’iniquité qui se consommait sur elle, et ils se dirent l’un à l’autre : Voici que la voix des clameurs qu’ils ont poussées est montée jusqu’à nous.

La terre privée de ses enfants crie jusqu’à la porte du ciel.

Et les âmes des hommes se plaignent, disant : Obtenez pour nous justice du Très-Haut Et ils disent à leur Seigneur et Roi : Tu es le Seigneur des Seigneurs, le Dieu des Dieux, le Roi des Rois. Le trône de ta gloire est dans tous les siècles, et ton nom est sanctifié et célébré dans l’éternité. Tu es béni et glorifié.

Tu as créé toutes choses ; tu as pouvoir sur toutes choses, et toutes choses sont ouvertes et dévoilées devant toi. Rien ne peut t’être caché.

Tu as vu ce qu’Azaziel a fait, comment il a enseigné tout genre d’iniquité sur la terre et révélé au monde les secrets du ciel.

La terre entière a été remplie de sang et d’iniquité, et voici que les âmes des morts crient et qu’elles se plaignent jusqu’à la porte du ciel.

Leurs murmures montent, et elles ne peuvent échapper à l’injustice qui se commet sur la terre. Tu as connu toutes choses, avant qu’elles existent.

Tu as connu ces choses et ceux qui les ont accomplies ; cependant tu ne nous as pas parlé.

Que convient-il donc que nous fassions à cause de cela ?

Alors le Très-Haut, Grand et Saint parla.

Et il envoya Arsajulaljurem au fils de Lamech.

Disant : Annonce-lui en mon nom ; expose-lui la fin qui est proche, car toute la terre périra ; les eaux du déluge la couvriront et détruiront tout ce qui est sur elle. Et enseigne-lui comment il peut se soustraire et comment sa race doit s’étendre sur toute la terre.

Et le Seigneur dit à Raphaël : Lie les mains et les pieds d’Azaziel, et jette-le dans les ténèbres et place sur lui des pierres aiguës.

Couvre-le de ténèbres, voile sa face pour qu’il ne voie pas la lumière.

Et au grand jour du jugement ordonne qu’il soit jeté dans le feu.

Restaure la terre que les anges ont corrompue, et annonce-lui la vie, parce que je veux la vivifier de nouveau.

Tous les fils des hommes ne périront pas ; la terre a été corrompue par la doctrine d’Azaziel ; charge-le de tout le crime.

Le Seigneur dit à Gabriel : Va vers les méchants, les réprouvés et les fils de la fornication, et excite-les les uns contre les autres. Fais qu’ils périssent, se tuant mutuellement, car la durée des jours ne sera pas pour eux.

Le Seigneur dit à Michel : Va et annonce à Samyaza et à ceux qui sont avec lui, quel est leur crime, car ils se sont unis aux femmes et se sont souillés de leur impureté. Et quand tous leurs fils auront péri et qu’ils auront vu la perte de ceux qu’ils aiment, enchaîne sur la terre les esprits coupables jusqu’au jour du jugement et de la destruction, jusqu’au jugement qui amènera la consommation de toutes choses.

Alors ils seront jetés au fond de l’abîme de feu, et ils seront enfermés pour l’éternité.

Fais périr tout oppresseur sur la face de la terre et quiconque fait le mal.

La plante de la justice et de la droiture apparaîtra ; elle fleurira dans l’éternité avec allégresse.

Et alors tous les saints rendront grâce et vivront jusqu’à ce qu’ils aient eu mille fils, et tout le temps de leur jeunesse s’accomplira en paix. Et, en ces jours, toute terre sera cultivée dans la justice ; elle sera toute plantée et comblée de bénédiction.

Elle sera plantée de vignes, et les vignes donneront du fruit à satiété ; toute graine qui sera semée donnera mille mesures pour une, et une mesure d’olives donnera dix fois de l’huile.

Purge la terre de toute oppression, de toute injustice, de tout crime, de toute impiété et de toute impureté.

Alors tous les fils des hommes seront justes, et toutes les nations me rendront les honneurs divins ; toutes me béniront et m’adoreront.

La terre sera purgée de tout crime, de toute peine et de toute douleur, et je n’y enverrai plus de déluge.

En ces jours, j’enverrai les trésors de bénédiction qui sont dans le ciel, et je les ferai descendre sur la terre sur tous les ouvrages et travaux des hommes.

La paix et l’équité s’associeront avec les fils des hommes dorant toute leur génération et pendant tous les jours du monde. »

 

Quelques mots encore sur divers passages du Livre d’Énoch et nous avons fini.

Au chapitre 57, il est fait mention des deux animaux gigantesques qui seront distribués aux élus pour leur servir de nourriture ; l’un est mâle, c’est le Béhémoth, il a pour séjour un désert inaccessible ; l’autre est une femelle, le Léviathan ; il habite dans les abîmes de la mer. L’apparition dans le livre d’Énoch de ces deux monstres sur lesquels les rabbins ont débité tant de fables 141 est une circonstance notable.

Le chapitre 68 renferme, ainsi que le fait remarquer M. Silvestre de Sacy, des détails curieux sur les secrets que les anges prévaricateurs ont enseignés aux hommes.

« L’un d’eux, Gadrel, est celui qui séduisit Ève et qui révéla aux fils des hommes les moyens de donner la mort, leur enseignant l’usage de l’épée, de la cuirasse et de tout instrument meurtrier.

» L’ange Penemue révéla aux fils des hommes l’amertume et la douceur.

» Il leur ouvrit tout le secret de la sagesse, il leur enseigna l’écriture et l’usage de l’encre et du papier.

» Aussi ceux qui depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour ont erré se sont multipliés.

» Car les hommes ne sont pas nés pour établir leur foi par l’emploi de l’encre et du papier, mais ils ont été créés pour demeurer justes et purs à l’exemple des anges.

» Kasyade enseigna aux fils des hommes toutes les sciences perverses des esprits et des démons ; les secrets réprouvés pour faire périr les enfants dans le sein de leurs mères et pour livrer les hommes à la morsure des serpents. »

Les idées cosmographiques qu’émet l’auteur du Livre d’Énoch mériteraient peut-être, malgré leur absurdité, d’être l’objet d’une discussion, en ce qu’elles font connaître quelles furent, à cet égard, durant une longue période, les opinions répandues dans la Judée et la Syrie. Cette géographie fantastique, d’après laquelle sept fleuves immenses arrosent la terre formée de sept grandes îles qui sortent du sein de la mer, pourrait donner lieu à de curieux rapprochements. Ce système astronomique devrait être étudié comme trace des phases qu’a traversées la pensée humaine.

« Le soleil a deux noms : Orjares et Timas ; la lune en a quatre : Asonya, Ébla, Benase, Éraë. » Des anges, qu’Énoch désigne avec soin, président aux saisons, aux divisions de l’année, à la marche des étoiles.

Terminons en transcrivant le passage qui achève un écrit auquel on nous pardonnera de nous être arrêtés.

« Je conduirai vers une lumière éclatante ceux qui aiment mon saint nom, et je les placerai tous sur le trône de la gloire, et ils seront honorés pendant tous les temps qui ne connaissent point de fin, car le jugement du Seigneur est équitable.

» Car il se montrera fidèle dans le domicile de la justice à ceux qui ont eu foi en lui. Et ils verront précipiter dans les ténèbres ceux qui sont nés dans les ténèbres. Les pécheurs pousseront des cris à cet aspect, mais les justes vivront dans la splendeur, et ce qui est écrit à leur égard s’accomplira aux jours et aux temps désignés.

« Ici se termine la vision d’Énoch le prophète. Que la bénédiction des prières et la grâce des temps prédestinés soit avec ceux qu’il aime. Ainsi soit-il ! »

 

 

 

LIVRES ATTRIBUÉS À ABRAHAM.

 

 

Il ne nous en est parvenu qu’un seul, le Sepher Iecirah. De nombreux rabbins n’ont pas hésité à l’attribuer à Abraham lui-même, et il a été imprimé plusieurs fois à Mantoue, à Prague, à Venise, à Sabionette, avec de très-amples commentaires hébraïques. Les manuscrits sont loin d’être rares, et ils présentent souvent dans le texte des variantes considérables. Sixte de Sienne et Buxtorf remarquent que divers écrivains ont pensé, non sans quelque vraisemblance, qu’Akiba, mis à mort lors de la révolte des Juifs contre l’empereur Adrien, fut l’auteur de cet écrit. Guillaume Postel, ce visionnaire qui remua tant d’idées, ce penseur bizarre dont nous avons déjà parlé, le publia le premier en latin à Paris, en 1552, en y joignant quelques notes. Le Sepher reparut dans la même langue à Bâle, en 1587, étant compris dans la collection de J. Pistorius, Scriptores cabbalistici, in-fol, ; le texte hébreu vit le jour à Mantoue, en 1562, et parmi les éditions plus récentes, on peut en citer une sortie, en 1642, des presses de Janson d’Amsterdam, Fabricius a réuni, pages 381-390, les témoignages de divers auteurs relatifs à cet écrit. Voulant le faire connaître par une analyse succincte, nous ne saurions mieux faire que d’insérer le jugement qu’un orientaliste éclairé émet sur son compte dans une publication récente (Dictionnaire des Sciences philosophiques, tom. III, p. 384).

« Le Sepher Iecirah est une espèce de monologue placé dans la bouche d’Abraham, et où nous apprenons comment le père des Hébreux a dû comprendre la nature pour se convertir à la croyance du vrai Dieu. Cette bizarre composition ne renferme que quelques pages écrites d’un style énigmatique et sentencieux comme celui des oracles ; mais sous cette obscurité étudiée et à travers le voile de l’allégorie, elle nous laisse apercevoir l’idée mère de la Kabbale. Elle nous montre tous les êtres, tant les esprits que les corps, tant les anges que les éléments bruts de la nature, l’unité sortant par degrés de limite incompréhensible, qui est le commencement et la fin de l’existence. C’est à ces degrés toujours les mêmes, malgré la variété infinie des choses, c’est à ces formes immuables de l’être, que le Sepher Iecirah donne le nom de Séphiroths ; elles sont au nombre de dix. La première, c’est l’esprit du Dieu, vivant en la sagesse éternelle, la sagesse divine identique avec le Verbe ou la parole. La seconde, c’est le souffle qui vient de l’esprit, ou le signe matériel de la pensée et de la parole ; en un mot, l’air dans lequel, selon l’expression figurée du texte, ont été gravées et sculptées les lettres de l’alphabet. La troisième, c’est l’âme, engendrée par l’air, comme l’air est engendré par la voix ou par la parole ; l’âme épaissie et condensée produit la terre, l’argile, les ténèbres et les éléments les plus grossiers de ce monde. La quatrième des Séphiroths, c’est le feu, qui est la partie subtile et transparente de l’âme, comme la terre en est la partie grossière et opaque. Avec le feu, Dieu a construit le trône de sa gloire, les roses célestes, c’est-à-dire, les globes semés dans l’espace, les Séraphins et les anges. Avec tous ces éléments réunis, il a construit son palais en son temple qui n’est autre chose que l’univers. Enfin, les quatre points cardinaux et les deux pôles nous représentent les six dernières Séphiroths. Le monde, selon le Sepher Iecirah, n’est point séparé de son principe, et les derniers degrés de la création forment un seul tout avec les premiers….. La conclusion de ce livre, c’est l’unité élevée au-dessus de tout et regardée à la fin comme la substance et la forme des choses ; c’est Dieu considéré comme la source commune des lettres et des nombres dont les uns nous représentent la nature des lettres, et les autres leur argument, leurs combinaisons et leurs rapports ; c’est enfin le principe de l’incarnation substitué ouvertement à celui de la création. »

D’autres ouvrages maintenant perdus ont été attribués l’Abraham ; on cite entre autres des traités sur la magie, sur l’astrologie et sur l’interprétation des songes, un testament rempli de fables, des prières contre les pies qui mangeaient les semences des terres des Chaldéens, un colloque avec le mauvais riche dont il est parlé dans l’Évangile. Origène fait mention d’un écrit où deux anges, l’un de justice, et l’autre d’iniquité, disputent sur la perte et le salut d’Abraham.

 

 

 

TESTAMENTS DES DOUZE PATRIARCHES.

 

 

Cette composition paraît remonter aux premiers siècles de l’ère chrétienne, elle a trouvé place dans les volumineux recueils connus sous le nom de Bibliothèques des Pères. Ce nom de testament vient de ce que chacun des enfants de Jacob donne à l’approche de sa mort de sages préceptes, ou fait entendre des prophéties, transmettant ainsi à sa postérité un legs précieux. J. B. Grabe inséra ces écrits dans un recueil publié à Oxford en 1698 ; il y joignit une longue préface que Fabricius a reproduite (tom. I, p. 496-517). Il n’est pas douteux que l’auteur de cet ouvrage n’ait été un Juif converti. Origène l’a cité ; nous allons essayer d’en donner une idée.

« Transcription du Testament de Ruben, ce qu’il manda à ses fils avant de mourir dans la cent-vingt-cinquième année de sa vie. Deux ans après la mort de Joseph, comme il était malade, ses enfants et les enfants de ses enfants se réunirent pour aller le voir, et il leur dit : Mes enfants, je meurs et je vais dans la voie de nos Pères. Et voyant Judas, Gad et Asser, ses frères, il leur dit : Soulevez-moi, mes frères, pour que je dise à mes frères et à mes fils ce que j’ai de caché dans mon cœur, car mes forces m’abandonnent. Et il les embrassa, et dit en pleurant : Écoutez, mes frères et mes enfants, prêtez l’oreille aux paroles de Ruben, votre père. J’atteste aujourd’hui le Dieu du ciel, le suppliant que vous ne marchiez pas dans l’ignorance de la jeunesse et dans la fornication à laquelle je me suis livré et j’ai souillé le lit de mon père Jacob. Je vous dis que Dieu m’a frappé d’une grande plaie en mes entrailles durant sept mois, et si mon père Jacob n’avait pas prié pour moi le Seigneur, j’aurais péri. J’étais âgé de trente ans, lorsque je péchais ainsi en présence du Seigneur, et durant sept mois, j’ai été malade jusqu’à la mort, et, dans le choix de mon âme, j’ai fait pénitence pendant sept années en présence du Seigneur. Je n’ai point bu de vin, ni de bière, et il n’est point entré de chair dans ma bouche, et je n’ai goûté à aucune nourriture qui m’eût délecté, car je pleurais à cause de mon péché qui était grand.

Maintenant écoutez-moi, mes fils, afin que je vous révèle ce que, dans ma pénitence, j’ai vu des sept Esprits de l’erreur. Sept esprits ont été donnés contre l’homme par Bélial, et ils sont les chefs des œuvres de la jeunesse, et sept esprits ont été donnés dans la création pour que toute œuvre de l’homme soit en eux. Le premier esprit est celui de la Vie, celui qui constitue l’existence. Le second esprit est la Vue, et c’est de lui que vient le désir. Le troisième esprit est l’Ouïe, d’où résulte l’instruction. Le quatrième esprit est l’Odorat, et c’est celui qui donne le plaisir qui accompagne l’inhalation de l’air et la respiration. Le cinquième est celui de l’Élocution, d’où résulte la connaissance. Le sixième est le Goût, qui amène l’absorption des aliments et des boissons, et qui fortifie les hommes. Le septième esprit est celui de la Génération, et c’est lui qui a amené le péché par suite de la concupiscence du plaisir et qui séduit la jeunesse, dont l’ignorance est grande ; il l’égare comme un aveugle qui tombe dans une fosse et comme une bête de somme qui se laisse choir dans un précipice. »

Le patriarche expose ensuite les opérations de ces Esprits et leur séjour dans diverses parties du corps humain ; il recommande à ses fils de ne point se laisser séduire par les femmes ; il avoue le péché qu’il commit lorsqu’il trouva Balla ivre et endormie. L’ange révéla ce crime à Jacob, et Ruben n’osa ni regarder son père en face jusqu’au moment de sa mort, ni adresser la parole à aucun de ses frères. Il rappelle la tradition des Veillants (vigiles), qui ne résistèrent pas, avant le déluge, aux charmes des filles des hommes, et qui les trompèrent, en se montrant à elles sous les traits de leurs maris.

Siméon confesse qu’il avait voulu faire périr son frère Joseph, dont il était jaloux ; il recommande à ses enfants de se tenir en garde contre les Esprits d’erreur et d’envie.

Le testament de Levi roule sur le sacerdoce et sur l’orgueil ; il y est longuement question des anges et de leurs diverses fonctions 142. On remarque un passage qui a occupé divers savants. « Et l’ange m’ouvrit les portes du ciel, et je vis le Temple saint, et te Très-Haut sur le trône de la gloire. Et il me dit : Lévi, je t’ai donné les bénédictions du sacerdoce jusqu’à ce que je vienne habiter au milieu d’Israël. Alors l’ange me conduisit sur la terre, et il me donna le bouclier et le glaive, et il me dit : Venge dans Sichen ta sœur Dina, et je serai avec toi, car Dieu m’a envoyé. Et j’ai tué en ce temps les fils d’Emmor, comme il est écrit dans les tables des cieux. »

Ces tables des cieux ont été l’objet d’une dissertation spéciale de Dodwell que Fabricius a insérée tout au long dans son Codex pseudep. Vet. Test., t. I, p. 551-559. Il pense que l’auteur du testament de Levi, a voulu parler de la loi mosaïque ; Richard Simon remarque dans sa Bibliothèque critique (t. II, chap. 15) que les tables célestes où est écrit tout ce qui doit arriver dans l’univers sont une invention des gnostiques. Origène et Tertullien ont parlé d’une prière attribuée au patriarche Joseph où se trouvent ces mots mis dans la bouche de Jacob : « J’ai lu dans les tables du ciel tout ce qui vous arrivera à vous et à vos enfants. » Guillaume Postel assure avoir vu dans le ciel écrit en lettres hébraïques tout ce qui est dans l’univers. Mais il est fort permis de regarder Postel comme un fou.

Le Testament de Judas a pour titre : Du courage, de l’avarice et de la fornication ; le patriarche y fait un long récit de ses exploits guerriers contre les habitants de la terre de Chanaan. Au sujet de son aventure avec Thamar, il cite une loi fort étrange en vigueur chez les Amorrhéens 143. En pénitence de son péché, il s’abstint jusqu’à sa vieillesse de vin et de viande ; il recommande l’humilité et il inculque l’horreur de l’ivresse.

Issachar parle à ses enfants du danger de la gourmandise ; il raconte l’histoire apocryphe d’un cadeau de mandragores échangé entre Rachel et Lia. Il insiste sur les avantages du travail et sur l’importance de l’agriculture.

Les exhortations de Zabulon roulent sur la commisération et la miséricorde, vertus dont il a donné l’exemple en s’opposant au meurtre de Joseph ; celles de Dan concernent le mensonge et la colère. Nephtalim recommande à ses enfants la bienfaisance, Gad entretient les siens de la haine du péché et Aser des deux voies opposées : celle de la vertu et celle de la malice. Les récits et préceptes de Benjamin roulent sur la pureté de l’âme. Ces divers Testaments respirent une morale sage et irréprochable ; ils offrent un certain nombre de visions et de songes, cachet des écrits de ce genre.

Le patriarche Joseph était trop célèbre pour qu’on ne lui attribuât point quelques ouvrages de plus qu’à ses frères. On le fit auteur de divers écrits sur la magie et sur l’interprétation des songes, écrits qui subsistent encore parmi les manuscrits grecs que possèdent quelques vastes dépôts, et qui certainement ne trouveront jamais d’éditeur. Son Testament concerne l’affection fraternelle et la charité ; c’est un écrit d’un mérite véritable, et il a attiré l’attention d’un littérateur aussi judicieux qu’instruit. Nous avons déjà eu l’occasion de le citer. M. Saint-Marc Girardin a fait de l’histoire apocryphe de Joseph le sujet d’une notice qui, après avoir paru dans un journal, a trouvé place dans ses Essais de littérature et de morale (1845, t. II, p. 109-141). Nous ne reproduirons point ces pages remarquables ; nous ferons ressortir seulement, d’après elles, quelques-uns des traits les plus frappants de cette autobiographie du patriarche.

« Le soir que je fus vendu par mes frères, les Ismaélites me demandèrent qui j’étais, et moi, pour ne pas accuser ni humilier mes frères, je répondis que j’étais leur esclave. Alors le chef de la troupe me regarde et me dit : Tu n’étais point leur esclave, ton visage le dément. Et il me menaça de mort si je ne disais la vérité. J’étais leur esclave, répondis-je, et je me tus. »

La discrétion et la vertu de Joseph frappent moins ici que la résignation avec laquelle il accepte l’esclavage. L’auteur du Testament n’a pas l’idée qu’il puisse y avoir du mérite en cette soumission. C’est un trait notable des mœurs antiques. Être réduit à l’esclavage, c’était un malheur dont nul ne devait se croire préservé.

La Genèse ne fait point un récit détaillé de la passion que la femme de Putiphar éprouva pour Joseph. Dans l’écrit apocryphe, il en est autrement. Joseph veut exhorter ses fils à la chasteté ; il raconte quelles attaques ont assailli la sienne ; et combien de pièges et d’embûches lui a tendus l’Égyptienne, dont l’amour violent et agité, menace, supplie, passe brusquement d’un sentiment à un autre, et résiste à sept années entières de refus.

« Que de fois elle me menaça de la mort. Puis, à peine avait-elle ordonné de me punir, elle démentait ses ordres, elle me rappelait auprès d’elle pour me menacer encore. Elle me disait : Tu seras mon maître, le maître de tous mes biens, tu seras mon seigneur et mon roi. Mais moi je me souvenais des commandements de mes pères, et rentrant dans ma chambre, je priais le Seigneur et je jeûnais.

» Un jour elle me dit : Tu ne veux pas m’aimer ? eh bien ! je tuerai mon mari, et dors je t’épouserai. –  Quand j’entendis ces paroles, saisi de douleur, je déchirai mes vêtements, et je dis : Femme, respecte le Seigneur, et ne fais point cette méchante action, ne perds pas ton âme. Si tu persistes, je dénoncerai ta pensée impie à tout le monde. Elle me pria en grâce de ne point révéler sa faute, et elle s’éloigna. Puis elle m’envoya, pour m’apaiser, des présents.

» Son mari, la voyant ainsi abattue, lui dit : Pourquoi ton visage est-il désolé ? Elle répondit : Je souffre du cœur, et ma respiration m’étouffe. À peine était-il sorti qu’elle accourut à moi : Si tu ne m’aimes, dit-elle, je m’étrangle, puis je me jette dans un puits, dans un précipice. Je la regardais, l’esprit de Bélial la possédait. Je priai le Seigneur, et je dis à l’Égyptienne : Pourquoi es-tu troublée et hors de toi, tes péchés t’aveuglent. Souviens-toi que si tu te tues, Setho, la concubine de ton mari, frappera tes enfants et détruira ta mémoire dans la maison. – Ah ! répondit-elle, tu m’aimes, puisque tu prends intérêt à ma vie et à mes enfants. »

Voici les réflexions que suggère ce passage à M. Saint-Marc Girardin :

« Ceci me semble sublime ! vos enfants auront une belle-mère ! Cette seule parole renverse toutes les idées de l’amante désespérée. Voilà son cœur changé. Ses enfants frappés par Setho ! Quel discours, quelle éloquence contre le suicide ont valu ce mot-là ? Cette femme qui venait furieuse, possédée par l’esprit d’impureté, un mot l’a attendrie, un mot l’a guérie ; elle se souvient qu’elle est mère, elle ne veut plus mourir, elle se reprend à aimer la vie, elle espère encore, elle espère même que Joseph l’aimera un jour, et pourquoi ? C’est qu’il a pris intérêt à sa vie et à ses enfants. Ce mélange des sentiments divers qui l’agitent est naturel et touchant ; elle est mère, à la fois, et amante.

» L’Égyptienne était belle, c’est Joseph lui-même qui le dit, et cela à son lit de mort, à cent-dix ans, entouré de ses enfants, et les exhortant à la chasteté. Homère n’a fait nulle part un plus grand éloge de la beauté d’Hélène qu’en montrant les vieillards de Troie ravis d’admiration quand ils la voient passer. N’est-ce rien, pour témoigner de la beauté de la femme de Putiphar, que ce souvenir de Joseph mourant à cent-dix ans ? »

Le Talmud parle aussi des épreuves auxquelles fut soumis Joseph ; il raconte que la femme de Putiphar lui offrit mille talents d’argent qui furent repoussés avec indignation.

Fabricius a recueilli une autre légende relative à Joseph et qui raconte son mariage avec la belle Asseneth, fille de Pétéphris, un des satrapes de Pharaon. M. Saint-Marc Girardin a donné une analyse étendue de ce récit plus gracieux et plus riche d’imagination que ne le sont en général les écrits des légendaires. C’est un petit roman chrétien qui débute comme un conte des Mille et une Nuits, par la description des richesses contenues dans une tour où résidait Asseneth. Cette tour était entourée d’une grande tour circulaire, dont les murs, fort élevés, et construits de pierres énormes, livraient passage à quatre portes en fer que gardaient constamment dix-huit jeunes hommes armés. Pétéphris, instruit de l’arrivée de Joseph le propose pour époux à sa fille ; la fière princesse le rejette avec indignation ; elle veut s’unir au fils d’un roi ; mais à peine a-t-elle aperçu celui qu’elle a dédaigné qu’elle sent son cœur se troubler ; ses genoux tremblent et elle se met à gémir. Joseph prie le Seigneur de la bénir, et Asseneth, émue de joie, de douleur, de crainte, retourne dans son appartement, elle déteste les faux dieux qu’elle a adorés et jette toutes ses idoles par une fenêtre. L’amour se mêle ainsi à la conversion religieuse ; on ne saurait démêler ce qui opère le plus dans le cœur d’Asseneth, de la grâce de Dieu ou de la beauté de Joseph ; les deux sentiments se confondent ; ils sont aussi imprévus l’un que l’autre. Joseph s’est absenté, mais un ange visite la princesse, lui ordonne de quitter les vêtements de deuil dont elle s’est revêtue, et lui donne un rayon de miel blanc comme la neige et d’une délicieuse odeur ; ce miel est celui que font les abeilles du paradis avec le suc des roses du ciel ; il sera donné à ceux qui auront renoncé aux idoles. L’ange disparaît ensuite, mais, au même instant, arrive Joseph ; Asseneth se hâte d’aller à sa rencontre, et, l’ayant salué, elle lui dit les paroles de l’envoyé céleste et elle lui lave les pieds. Pharaon s’empressa de consentir au mariage de son ministre favori avec la princesse. La noce dura sept jours entiers avec de grandes fêtes, et, pendant ces sept jours, personne ne travailla en Égypte ; mais tout le monde s’y livra à l’allégresse 144.

 

 

 

 

LIVRES ATTRIBUÉS À SALOMON.

 

 

La grande célébrité de Salomon le désignait tout naturellement comme auteur d’une foule d’écrits apocryphes. Fabricius a inséré dans son recueil, d’après Eusèbe (Préparat. Évang.), deux lettres que ce monarque aurait adressées au roi d’Égypte Vaphra, et au roi de Tyr, de Sidon, de la Phénicie, afin de leur demander des ouvriers qui travailleraient à la construction du Temple de Jérusalem. Chacun de ces souverains annonce, dans sa réponse, qu’il envoie quatre-vingt mille ouvriers. Josèphe raconte que le roi de Tyr adressa à Salomon des questions énigmatiques et que le fils de David résolut, d’une façon aussi profonde qu’ingénieuse, les problèmes sur lesquels son attention était appelée. On lui a attribué des livres de magie et de démonologie, des traités sur l’interprétation des songes, des ouvrages sur les vertus et propriétés des plantes et des pierres précieuses. Un prétendu testament de Salomon, rempli de niaiseries au sujet des diables et des esprits, se trouve dans les manuscrits grecs de la Bibliothèque du Roi ; Ducange l’a cité dans ses notes sur l’historien Zonaras, et Gaulmin dans les remarques qu’il a jointes au traité de Psellus (De Operationibus Daemonum). Des odes, conservées dans quelques manuscrits sous le nom de Salomon, sont évidemment l’œuvre de quelques gnostiques et ont été composées au second et au troisième siècle de notre ère. Elles font l’objet d’une notice de M. Champollion, dans le Magasin Encyclopédique, 1815, tome 2, p. 383.

 

C’est sans doute à la réputation qu’eut Salomon d’être grand devineur d’énigmes qu’est due l’idée mère d’une composition bizarre, fort goûtée au moyen-âge et qui se compose d’une série de questions et de sentences échangé entre le roi d’Israël et un certain Marcolphe ou Marcou, espèce de rustre, de bouffon grossier qui toutefois embarrasse souvent le monarque et en triomphe par moments. Il existe nombre d’éditions latines de cet opuscule exécutées à la fin du quinzième siècle, sous le titre de Collationes ou Dyalogus Salomonis et Marculfi. On en connaît aussi plusieurs éditions françaises ; l’une d’elles, in-8o de 4 feuillets, a été réimprimée à Paris en 1833 à quinze exemplaires seulement ; une autre est de 7 feuillets, et un exemplaire s’est payé 92 francs à la vente Nodier en 1844 (no 570). D’autres textes de cet opuscule se trouvent dans divers manuscrits. M. Crapelet, dans ses Proverbes et dictons populaires (Paris 1832, grand 8o), l’a publié (p. 189-200), d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale en 1830 ; Méon, dans son recueil de Fabliaux (1823, t. I, p. 426), en a publié une autre version en 136 strophes qui se font distinguer par un ton beaucoup plus libre. Les trouvères paraissent s’être donné carrière sur cet écrit ; les uns lui conservent un ton grave et sévère, les autres se laissent aller à une crudité de pensées et à une naïveté d’expressions qui choquent aujourd’hui les oreilles les moins difficiles. Ce cachet de cynisme et de satire violente contre les femmes se rencontre surtout dans une réduction de 160 strophes fort originales et fort vives, mais dont la reproduction est impossible. Voici du moins, d’après le texte qu’a suivi M. Crapelet, quelques exemples qui feront juger de cet échange de reparties où Salomon exprime des sentences morales, des adages fort sages, tandis que Marcolfe riposte dans le même sens par des dictons populaires :

 

Qui saiges hom sera

Ja trop ne parlera,

    Ce dit Salomons.

Qui ja mot ne dira

Grant noise ne fera,

    Marcol li respont.

En yver peliçon

Mais par le grant chaut, non,

    Ce dit Salomons.

Bien doit porter baston.

Qui a voisin felon,

    Marcol li respont.

 

On peut consulter d’ailleurs, pour d’autres détails, l’Analetabiblion, par le marquis D. R. (Du Roure) 1826, t. I, p. 182 ; le Livre des Proverbes français, par M. Leroux de Lincy, 1842, t. I, p. XXXI, la Bibliographie parémiologique de M. G. Duplessis, 1847, p. 112, etc. Quant à de nombreuses éditions allemandes, flamandes ou en langues du Nord, il y a d’amples détails dans l’ouvrage de J. G. Th. Grasse, Lehrbuch einer literargeschichte, 1842, tom. III, p. 466. Ajoutons qu’il existe en anglo-saxon des dialogues entre Saturne et Salomon ; un savant connu par de nombreux travaux, J. Kemble, se prépare depuis longtemps à publier cette production jusqu’à présent inédite, et qui offre un véritable intérêt.

 

 

 

L’ASCENSION D’ISAÏE, LE PROPHÈTE.

 

 

Cet écrit a été publié, d’après un texte éthiopien, par le docteur Laurence (Oxford, 1819, in-8o), avec une traduction anglaise. Il a reparu à Gottingue en 1832, avec une préface et des notes, par les soins de J.-Ch.-L. Gieseler, et Gfroerer lui a fait voir le jour pour la troisième fois en le comprenant dans ses Prophetae veteres pseudepigraphi (Stuttgart, 1840, p. 1-55), et en reproduisant à la suite du texte, partagé en onze chapitres, et occupant 23 pages, les notes de Laurence et une dissertation de ce même savant sur l’époque à laquelle fut composé ce livre et sur l’intérêt qu’il présente. Les Abyssiniens ont pour lui la plus grande estime, et ils le rangent parmi les écrits canoniques. Il offre, de même que le livre d’Énoch, une série de ces visions mystérieuses toujours si goûtées des nations de l’Orient et des peuples du moyen-âge. Il suffira d’en traduire le commencement et d’analyser rapidement le surplus :

« Et il arriva, dans la vingt-sixième année du règne d’Ézéchias, roi de Judas, qu’il appela Manassé son fils unique.

Et il l’appela en présence d’Isaïe, fils d’Amos le prophète, et en présence de Josheb, fils d’Isaïe, afin de lui transmettre les paroles de justice que le roi lui-même avait méditées.

Paroles qui concernent les jugements éternels et les tourments de l’enfer, qui est le territoire éternel, et les anges et les principautés, et les puissances de l’enfer.

Et Isaïe vit ses révélations qu’il raconta à son fils Josheb, et il dit au roi Ézéchias : « Aussi vrai qu’il est vivant, Dieu dont le nom n’est pas transmis au monde, et aussi vrai qu’est vivant l’Esprit qui parle par moi, tous ces préceptes et tous ces conseils seront oubliés de ton fils Manassé, et Berial habitera en lui et il livrera mon corps aux tortures. »

En entendant ces paroles, Ézéchias pleura abondamment, et il déchira ses vêtements, et il répandit de la cendre sur sa tête, et il tomba la face contre terre.

Et il résolut en son âme de faire périr son fils Manassé.

Mais Isaïe lui dit : Le Seigneur ne veut pas que tu accomplisses ton dessein, car je suis appelé pour que ma vocation s’accomplisse, et je posséderai l’héritage de mon bien-aimé.

Et il advint, après la mort d’Ézéchias, que Manassé régna. Il ne garda pas en son souvenir les préceptes de son père, mais il les oublia, et il cessa d’honorer le Dieu de son père, et il honora Satan, ses anges et ses puissances.

Et il tourna son cœur au service de Berial.

Et l’ange d’iniquité, qui est la puissance de ce monde, est Berial, dont le nom est Matabunkus.

Et il mettait sa joie en Jérusalem à cause de Manassé, et il se plaisait à contempler l’iniquité qui s’était répandue sur Jérusalem.

Et l’art de la magie et des enchantements, des augures et de la divination, la fornication et l’adultère, et la persécution des Saints, s’étaient multipliés par la conduite de Manassé et de Belkira, et de Tabias le juge.

Et Isaïe, voyant l’iniquité qui prévalait à Jérusalem, s’éloigna et alla résider à Bethléem en Judée.

Mais, là aussi il régnait une grande injustice, et il se retira dans les montagnes.

Et Michéa le prophète, et Ananias le vieillard, et Joël, et Habbakuk, et Josbeh, son fils, et beaucoup de fidèles et de croyants se retirèrent sur les montagnes.

Tous se courraient d’un cilice, et tous étaient prophètes, ne possédant rien à eux, car ils étaient nus, et ils pleuraient, se livrant à l’affliction à cause de l’erreur d’Israël.

Et ils n’avaient d’autre nourriture que les plantes qu’ils cueillaient sur la montagne, et ils habitèrent deux ans parmi les montagnes et les collines.

Ils allèrent ensuite dans la plaine, et il y avait un Samaritain du nom de Belkira, de la race de Zédéchias, fils de Canaan, prophète menteur dont l’habitation fut à Bethléem.

Et Belkira connut et vit le lieu de la résidence d’Isaïe, des prophètes qui étaient avec lui, car il habitait dans la région de Bethléem, et il adhéra à Manassé.

Et il annonçait des mensonges dans la ville de Jérusalem, et beaucoup d’habitants s’étaient associés à lui.

Et il arriva que Shalmanezer, roi d’Assyrie, vint, et qu’il conquit Samarie, et qu’il emmena les neuf tribus du peuple en captivité, et qu’il les conduisit dans les provinces des Mèdes et sur le grand fleuve de l’Euphrate.

Ce jeune homme vint à Jérusalem du temps d’Ézéchias, roi de Judas, et il ne marcha point dans la voie de son père, le Samaritain, parce qu’il craignait Ézéchias.

Et il se trouva sous le règne d’Ézéchias qu’il proférait à Jérusalem des paroles impies.

Et un serviteur d’Ézéchias l’accusa, mais il se retira en secret dans la région de Bethléem.

Et Belkira accusa Isaïe et les prophètes qui étaient avec lui, disant : « Isaïe et ceux qui sont avec lui prophétisent centre Jérusalem et contre les villes de Judas, afin qu’elles soient saccagées, et contre Benjamin pour qu’il soit réduit en captivité, et contre toi, Seigneur roi, pour que tu sois chargé de chaînes.

» Mais ils prophétisent faussement contre Israël et Judas.

» Et cet homme qu’on appelle Isaïe dit : J’ai vu ce qu’il n’a pas été donné au prophète Moïse de voir.

» Moïse dit : Il n’est personne qui voie Dieu et qui vive.

» Mais Isaïe dit : J’ai vu Dieu et je vis.

» Sache donc, ô roi, que ces prophètes sont des menteurs, et Isaïe a donné à Jérusalem le nom de Sodome, et celui du peuple de Gomorre aux princes de Judas et de Jérusalem. »

Et Belkira accusa souvent Isaïe et les prophètes auprès de Manassé.

Et Berial habita dans le cœur de Manassé et dans le cœur des princes de Judas, et de Benjamin, et des satellites, et des conseillers du roi.

Et le discours de Belkira lui plut beaucoup.

Et il envoya, et il fit arrêter Isaïe.

Car Berial était très-irrité contre Isaïe à cause de la vision et de la révélation qu’il avait manifestée, et parce qu’il avait annoncé l’avènement du Bien-Aimé venant du septième ciel, et sa transformation sous les traits d’un homme, et sa doctrine qu’il fera prêcher par ses douze apôtres, et son rejet par les fils qui le tortureront et l’attacheront à une croix, de compagnie avec des hommes auteurs d’iniquité.

Et, dit Isaïe, ils seront douze qui accepteront avec l’accusation portée contre lui, et il y aura des hommes qui seront constitués gardiens de son sépulcre.

Et l’ange de l’Église chrétienne qui existera dans les cieux aux derniers jours et les anges de l’Esprit-Saint,

Et l’Archange Michel descendront tous pour que son sépulcre s’ouvre le troisième jour.

Et le Bien-Aimé, assis sur les épaules des Séraphins, viendra, et il enverra ses douze disciples.

Et ils enseigneront à tous les peuples et à toutes les nations la résurrection du Bien-Aimé, et ceux qui croiront au crucifiement seront sauvés, et sa résurrection sera dans le septième ciel d’où il viendra.

Et beaucoup qui croiront en lui parleront par l’Esprit-Saint.

Et beaucoup de signes et de miracles s’accompliront dans ces derniers jours.

Et ses disciples conserveront sa foi aimée et pure, et la doctrine de son avènement enseignée par les douze apôtres.

Et il y aura beaucoup de disputes sur son avènement.

Et dans ces jours, il y aura beaucoup d’hommes qui chériront les dignités en manquant de sagesse.

Et il y aura beaucoup de vieillards iniques et de pasteurs oppresseurs de leurs troupeaux ; et ils seront rapaces, et les pasteurs saints ne se livreront pas assidûment à l’accomplissement de leurs devoirs.

Et beaucoup changeront l’habit honorable des Saints pour l’habit des amis de l’or, et il y aura souvent, en ces jours, acception de personne et ils aimeront les honneurs de ce monde.

Et il y aura souvent des calomnies et des calomniateurs, et l’Esprit-Saint s’éloignera d’une foule d’hommes.

Et, en ces jours, il n’y aura pas de nombreux prophètes, et ceux qui annoncent les choses justes et vraies seront persécutés.

À cause de l’esprit de mensonge et de fornication, qui se sera répandu sur la terre, et les hommes avides d’or, et jaloux de dominer, concevront un grand courroux contre la vérité.

Et il y aura au milieu d’eux une grande haine parmi les pasteurs et parmi les vieillards, les uns contre les autres.

Car il y aura une grande jalousie dans les damiers jours.

Et ils négligeront les prédictions des prophètes qui furent avant moi, et ils négligeront mes visions pour se livrer à l’ébullition de leurs cœurs.

Écoutez donc, ô Ézéchias, et Josheb, mon fils ; ce sera l’âge des jours qui seront donnés à ces hommes.

Et, après qu’il sera écoulé, Berial descendra, le grand sage, le roi de ce monde qu’il possède depuis le temps de la première collocation, et il descendra de son firmament, sous les traits d’un homme, d’un roi impie, assassin de sa mère.

Et il arrachera la plante qu’ont plantée les douze apôtres du Bien-Aimé.

Cet ange Berial, ce roi viendra, et toutes les puissances de ce monde viendront avec lui, et elles le serviront en tout ce qu’il voudra

Et, à savoir, le soleil se lèvera durant la nuit, et il fera que la lune paraisse à la sixième heure.

Et il fera tout ce qu’il voudra faire en ce monde, et il opprimera le Bien-Aimé, et il dira : « Je suis Dieu, et nul n’a été avant moi ! »

Et tous les hommes en ce monde croiront en lui.

Et ils lui offriront des sacrifices, et ils le serviront, disant qu’il est Dieu, et qu’il n’y en a point d’autre que lui.

Et beaucoup de s’étaient réunis pour recevoir le Bien-Aimé se convertiront à lui.

Et la puissance de ses prodiges se manifestera en toute ville et en toute région.

Et il érigera sa statue en toute ville, et il dominera trois ans, sept mois et sept jours.

Et, après trois cent trente-trois jours, le Seigneur viendra avec ses anges et avec ses puissances ; il descendra du septième ciel environné de splendeur, et il traînera Berial et ses puissances dans la géhenne.

Et il donnera le repos à ceux qui se trouveront errants en ce monde, aux fidèles adorateurs de Dieu et le soleil rougira.

Et tous ceux qui, ayant eu foi en lui, auront maudit Berial et son royaume seront revêtus des habits qu’ils avaient au septième ciel.

Et la voix du Bien-Aimé réprimandera avec colère ce ciel et cette terre, et les montagnes et les collines, et les villes et les déserts, et le septentrion et l’image du soleil, et la lune et tous les lieux où Berial se sera montré et se sera manifesté en ce monde. Et la résurrection et le jugement s’accomplira parmi eux en ces jours, et le Bien-Aimé fera que le feu s’élève et qu’il consume tous les méchants, et ils seront comme s’ils n’avaient pas été créés.

Et le surplus de la narration de la vision est écrit dans la vision de Babylone.

Et le surplus de ma vision du Seigneur est écrit en paraboles dans mes paroles, dans le livre de mes prophéties publiques.

Et ce qui touche à la descente du Bien-Aimé dans les enfers est écrit dans la section où le Seigneur dit : « Ainsi que mon fils sera doué de sagesse. » Et le tout est écrit dans les psaumes, dans les proverbes de David, fils de Jessé, et dans les proverbes de son fils Salomon, et dans les paroles de Koreh et d’Etan l’Israélite, et dans les paroles d’Asaph et dans les autres psaumes qu’a dictés l’Ange…

Vision que vit Isaïe, fils d’Amos, dans la vingtième année du règne d’Ézéchias, roi de Judas.

Et Isaïe, fils d’Amos, vint de Galilée avec Josheb, son fils, à Jérusalem vers Ézéchias.

Et le roi s’assit sur son lit, et on lui apporta son trône, mais il ne voulut point s’asseoir.

Et lorsqu’Isaïe commença à parler avec le roi Ézéchias de la foi et de la justice, tous les princes d’Israël étaient assis, ainsi que les eunuques et les conseillers du roi, et il y avait trente prophètes, et les fils des prophètes vinrent des extrémités du royaume et des champs, lorsqu’ils apprirent qu’Isaïe était venu de la Galilée vers Ézéchias.

Et ils vinrent pour le saluer et pour entendre ses paroles.

Et, afin que Sa main restât sur eux, et pour qu’ils prophétisassent, et pour qu’il entendît leur prophétie, et tous se tinrent debout en présence d’Isaïe.

Et lorsqu’Isaïe parlait, devant Ézéchias, de la foi et de la justice, tous entendirent la porte qui se referma et la voix de l’Esprit.

Et, lorsqu’ils l’entendirent, tous tombèrent à genoux et s’inclinèrent devant la voix de l’Esprit-Saint, et ils louèrent le Dieu de justice qui réside dans le monde supérieur et qui habite dans le sanctuaire.

Et, tandis qu’Isaïe parlait, inspiré par l’Esprit-Saint, et que tous l’écoutaient en silence, son esprit fut élevé au-dessus de soi, et il ne voyait pas ceux qui étaient devant lui.

Et ses yeux étaient ouverts et sa bouche se taisait, et son âme était élevée au-dessus d’elle-même.

Il respirait cependant, car il vit une vision.

Et l’ange qui avait été envoyé pour la lui montrer ne fut pas de ce firmament ni du nombre des anges glorieux de ce monde, mais il vint du septième ciel.

Et le peuple qui s’était joint à l’assemblée des prophètes crut que le saint Isaïe avait été enlevé.

Et la vision qu’il vit ne fut pas de ce monde, mais du monde qui est celé à tout œil humain.

Et Isaïe, après qu’il eut eu cette vision, l’annonça à Ézéchias et à Joeheb, son fils, et aux autres prophètes qui étaient venus.

Et il advint, dit-il, que tandis que je prophétisais selon le témoignage que tu as entendu, j’ai vu un ange éclatant d’une gloire que je ne pourrais décrire, et sa gloire n’était pas comme celle des anges que j’avais déjà vus.

Et, lorsque je le contemplais, il me prit par la main et me dit : « Qui es-tu et quel est ton nom ? » et la faculté me fut donnée de converser avec lui.

Et il me dit : « Lorsque tu monteras graduellement, je ferai de même, et je te montrerai la vision pour laquelle je suis envoyé ; tu comprendras ainsi qui je suis, mais tu ne sauras pas mon nom ; car il faut que ton âme revienne dans ton corps, et tu verras ce que je ferai quand tu monteras, car c’est pour cela que je suis envoyé. »

Et je me réjouis de ce qu’il me pariait de la sorte.

Et il me dit : « Ne te réjouis-tu pas de ce que je te parle avec douceur ? Et tu verras avec quelle douceur et quelle bonté te parle celui qui m’a envoyé.

Et tu verras son père qui m’élève en puissance, car c’est pour t’éclairer au sujet de ces choses que j’ai été envoyé du septième ciel. »

Et lui et moi nous montâmes au firmament, et je vis là Samaël et les puissances, et il y eut un grand combat avec les forces de Satan, et une lutte entre eux.

Et il en était sur la terre de même que là-haut, parce que la ressemblance de ce qui s’accomplit dans le firmament se montre sur la terre.

Et je demandai à l’ange : « Quelle est cette querelle ? »

Et il me dit : « Il en a été ainsi depuis la création du monde jusqu’à ce temps, et ce combat durera jusqu’à ce que vienne celui que tu verras. »

Et il fit ensuite que je pusse monter au-dessus du firmament, dans le ciel.

Et je vis le trône qui était au milieu, et à droite et à gauche se tenaient les anges.

Et tous les anges qui étaient à droite brillaient d’une gloire extraordinaire, et nul ne pouvait leur être comparé.

Et tous, d’une même voix, louaient le Seigneur. Et ceux qui étaient à gauche faisaient entendre, après eux, leurs louanges ; mais leur éclat n’était pas comme la splendeur des autres anges.

Et j’interrogeai l’ange qui me conduisait, lui disant : « À qui s’adressent ces louanges ? »

Et il me dit : « À la gloire du septième ciel, à celui qui réside dans le sanctuaire et à mon Bien-Aimé qui m’a envoyé. »

Et il m’éleva au deuxième ciel et la hauteur de ce ciel était comme celle qui sépare la terre du firmament.

 

Il serait trop long et peu intéressant de transcrire l’ascension d’Isaïe dans chaque ciel toujours supérieur en éclat à celui qu’il surmonte. Parvenu dans le septième ciel, le prophète se prosterne devant un trône sur lequel est assis le Christ, tout resplendissant d’une gloire ineffable et entouré des patriarches et d’une multitude d’anges et de saints. L’ange lui annonce ensuite les principaux évènements de la vie de Jésus, et les circonstances de la Passion et de la Résurrection.

 

 

 

QUATRIÈME LIVRE D’ESDRAS.

 

 

Une traduction arabe de cet ouvrage gisait parmi les manuscrits de la bibliothèque Bodléienne à Oxford ; l’orientaliste Grégory la signala le premier dans le cours du XVIIe siècle. Ockley, professeur de langue arabe à l’Université de Cambridge, la fit passer en anglais, et sa version parut dans le quatrième volume de l’ouvrage de Whiston : Primitiva Ckristianitas rediviva (Londres, 1711). Ce texte arabe n’a jamais été imprimé. Ludolphe a cité une traduction éthiopienne dans son Lexicon aethiopico-latinum (Francfort, 1699), et cette traduction, dont nul autre critique n’avait parlé, a fini par attirer les regards du docteur Laurence, dont nous avons déjà cité les travaux au sujet du Livre d’Énoch et des visions d’Isaïe. Il publia à Oxford, en 1820, le texte éthiopien, en le faisant suivre d’une double version en latin et en anglais, et d’un commentaire ; il y joignit une introduction où il discute l’antiquité de cet ouvrage. On ne saurait douter qu’il n’ait été composé à une époque reculée, car on le trouve cité dans saint Clément d’Alexandrie (Stromates, livre III). La version éthiopienne ne contient pas les deux premiers et les deux derniers chapitres du livre ; la traduction arabe, faite avec beaucoup de liberté, est plutôt une paraphrase. L’une et l’autre présentent avec le texte latin des différences sur lesquelles il serait de peu d’intérêt d’insister.

Saint-Jérôme n’a point traduit le quatrième livre d’Esdras, et on le rencontre rarement dans les manuscrits latins de l’Écriture. Sur 187 manuscrits conservés à Oxford, et au Musée Britannique, sept seulement l’ont offert aux recherches de Laurence. Les variantes qu’ils présentent entre eux, et que cet érudit développe avec détail, ne sauraient nous arrêter. La traduction latine de Laurence et sa dissertation ont été reproduites dans les Prophetae veteres de Gfroerer, p. 66-168.

Saint Ambroise semble avoir fait une estime particulière du quatrième livre d’Esdras ; dans son traité de la bonne mort, il en cite, à diverses reprises, des expressions, afin de montrer quel est l’état futur des âmes après le trépas. Mais saint Jérôme l’a rejeté comme apocryphe, et le concile de Trente a confirmé cette sentence. Jusqu’alors, il avait trouvé place dans les Bibles qu’avait reproduites l’imprimerie. L’Église d’Abyssinie paraît le regarder comme canonique, et dans un ouvrage qui, selon Bruce, a été composé vers le milieu du XIIIe siècle, elle professe pour lui la plus haute estime. Dans l’Organon Beatae Mariae Virginis, on lit ces mots : « Ouvre ma bouche pour célébrer la virginité de la mère de Dieu, comme tu as ouvert la bouche d’Ezras, lequel, durant quarante jours, n’a point pris de repos, parce qu’il travaillait sans relâche à écrire les paroles de la loi et des prophètes que Nebucadnezar, roi de Babylone, avait fait brûler. » Un peu plus loin, Ezras est placé immédiatement au nombre des prophètes, après Isaïe et Jérémie. Il en est parlé en ces termes : « Ezras, trente ans après que les villes d’Israël eussent été détruites, et que les enfants de Sion eussent été conduits en captivité, commença à pleurer sur Sion. Et lorsqu’il versait des larmes amères en songeant à la destruction de la loi et à la captivité des Lévites, Sion se présenta à lui avec une figure resplendissante comme les rayons du soleil, et les bases des collines furent ébranlées tandis qu’elle parlait. Ezras fut consolé en voyant la splendeur de cette gloire, marte il n’aperçut point, ô Vierge, la véritable clarté de ton visage. Il vit le crépuscule, et non le soleil, il vit une étincelle, et non la lampe dont elle émanait, il ne contempla pas la lumière de la vérité qui est en toi et dont sortit le Fils de la justice dissipant les ténèbres. »

Les opinions des critiques sont loin d’être unanimes au sujet de la religion de l’auteur du livre qui nous occupe. Les uns l’ont regardé comme Juif, d’autres ont pensé que c’était un chrétien qui avait abjuré le Judaïsme, d’autres enfin ont cru qu’il appartenait à la secte des Montanistes. Ceux-ci qui ont pensé qu’il vivait avant notre ère ; ceux-là l’ont reporté au second siècle.

Laurence montre que, d’après les louanges pompeuses que donne l’écrivain au peuple Hébreu, d’après les fables rabbiniques dont on retrouve chez lui la trace, notamment au sujet du Béhémoth et du Léviathan, on ne saurait douter qu’il n’ait appartenu à la religion de Moïse. Rien n’indique qu’il ait été chrétien, si ce n’est un passage où se trouve le nom de Jésus ; mais ce passage se rencontre précisément dans un chapitre que n’offre ni la version arabe, ni la traduction éthiopienne, et qu’il est très-permis de regarder comme une interpolation.

La principale partie du livre d’Esdras se compose de visions fort obscures pour la plupart ; Gfroerer y trouve avec raison, ce nous semble, des allusions faites après coup aux évènements survenus pendant le Ier siècle de notre ère.

D’après le critique allemand, lorsque l’auteur parle d’un aigle ayant douze ailes et trois têtes silencieuses, il faut entendre les neuf premiers des Césars, depuis Jules César jusqu’à Vitellius, les trois prétendants à l’empire, qui se livrèrent, entre le règne de Galba et celui de Vitellius, à des tentatives infructueuses, et les trois empereurs de la famille des Flavius, c’est-à-dire, Vespasien, Titus et Donatien ; les huit petites plumes désignent des souverains de la Judée ou des chefs des Juifs lors de leurs guerres avec les Romains. Laurence est d’avis que ces allusions, bien difficiles à saisir, se rapportent à des circonstances antérieures aux dernières époques de la république romaine.

Quoi qu’il en soit, le quatrième livre d’Esdras est loin d’être indigne d’attention ; il tient place parmi les restes si peu nombreux des travaux de l’esprit humain dans la Palestine à une époque des plus intéressantes ; il fait connaître quelles étaient, parmi les Israélites, les idées relatives au Messie.

Ce n’est point le seul écrit apocryphe qu’on ait mis sur le compte d’Esdras. M. Boissonnade a inséré dans les Notices et Extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi (t. XI, 2e partie, p. 186) un calendologe écrit en grec, rempli de superstitions astrologiques et météorologiques ; l’ignorance la plus noire a seule pu consentir à reconnaître un prophète pour auteur de ces pitoyables rêveries.

Nous allons maintenant traduire le début du quatrième Livre d’Esdras ? Il ne saurait être question de le reproduire ici en entier.

 

« La trentième année de la ruine de notre ville, j’étais à Babylone, moi, Sataël, qui suis appelé Ezras, et je me suis troublé lorsque je reposais sur mon lit ; ma face s’est dévoilée et mes pensées montaient sur mon cœur.

Parce que j’ai vu la dévastation de Sion et la joie de ceux qui habitaient à Babylone.

Et mon esprit se livra à une grande agitation.

Et je commençais à parler au Très-Haut, proférant des paroles pleines de crainte, et je lui dis : « Ô Seigneur, mon Dieu, n’as-tu pas dit le commencement quand tu as créé la terre ?

Et n’as-tu pas commandé à la poussière et produit Adam dans un corps mortel ; et l’œuvre de tes mains s’est accomplie en lui.

Et n’as-tu pas soufflé en lui l’esprit de vie, et n’est-il pas devenu vivant devant toi ?

Et tu l’as placé dans le paradis que ta droite avait planté avant que la terre eût été créée.

Et tu lui as imposé une injonction équitable, et il y a contrevenu.

Et tu as ensuite créé la mort en lui et en ses générations.

Et, de lui, sont nés des peuples et des tribus, et des familles, et des générations dont le nombre est infini.

Et chaque nation a marché dans sa volonté, et ils ont péché devant toi, et ils ont abjuré ta foi.

Tu as donc fait venir le déluge sur la terre et sur les habitants de ce monde, et tu les as détruits, et le supplice est devenu leur part ; tu leur as infligé le déluge comme tu avais infligé la mort à Adam.

Mais, parmi eux, tu as préservé un homme avec sa famille, et, de lui, sont venus tous les justes.

Et après que les hommes qui habitaient sur la terre ont commencé à multiplier et à s’accroître, leurs enfants se sont trouvés fort nombreux et ont formé beaucoup de peuples et de tribus.

Et, de rechef, ils se sont mis à pratiquer l’impiété plus encore que leurs prédécesseurs.

Et après qu’ils eurent accompli l’iniquité en ta présence, tu as choisi l’un d’eux dont le nom était Abraham, et tu l’as chéri, et tu as formé avec lui un pacte éternel, promettant de ne pas abandonner sa race jusqu’à ce qu’elle sortît de l’Égypte.

Et tu as conduit ses descendants sur le mont de Sinaï, et tu as incliné les cieux, et tu as agité la terre, et tu as remué le monde ; tu as fait trembler l’abîme et tu as troublé la mer.....

Lorsque je suis venu ici, j’ai vu des impiétés sans nombre, et mon âme a vu beaucoup d’apostats.

Voici que depuis trente ans mon cœur s’étonne de ce que tu souffres leurs péchés et de ce que tu épargnes ceux qui font les œuvres d’impiété ; tu as rejeté ton peuple et conservé tes ennemis.

Est-ce que Babylone est moins coupable que Sion ?

Est-ce qu’une autre nation t’a connu, si ce n’est Israël ?

J’ai passé à travers les nations, et je les ai trouvées se livrant à l’allégresse, et ne se souvenant pas de ta loi et de tes préceptes.

Pèse dans la balance nos iniquités et celles de ceux qui habitent dans le monde, afin que tu saches chez lesquels se trouve cette parcelle qui fait tourner le plateau.

Et un ange me répondit : il avait été envoyé vers moi, et son nom était Uriel.

Et il me dit : Est-ce que ton cœur ne s’est pas livré à la surprise de ce que tu pouvais comprendre le conseil de la majesté du Très- Haut ?

Et je lui répondis, et lui dis : Oui, Seigneur.

Et il me dit : J’ai été envoyé pour te montrer trois voies, et pour proposer, devant toi, trois comparaisons. »

 

 

 

FIN.

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES.

 

 

Histoire de Joseph le charpentier

Évangile de l’Enfance

Protévangile de Jacques-le-Mineur

Évangile de Thomas l’Israélite

Évangile de la Nativité de sainte Marie

Évangile de la nativité de Marie et de l’enfance du Sauveur

Évangile de Nicodème

Autres évangiles et écrits apocryphes

Notice sur les écrits apocryphes de l’Ancien Testament

Livres attribués à Adam

Livre d’Énoch

Livres attribués à Abraham

Testaments des douze Patriarches

Livres attribués à Salomon

L’ascension d’Isaïe le prophète

Quatrième Livre d’Esdras

 

 

 



1  C’est une chose remarquable de voir le même esprit sous l’influence duquel ont été composés les récits que nous recueil-Ions aujourd’hui, se reproduire à dix-sept siècles de distance, dans l’histoire de la douloureuse passion de Jésus-Christ, par la sœur Catherine Emmerich. L’œuvre de cette extatique allemande, devenue célèbre, a occasionné une vive sensation chez les populations catholiques d’au-delà du Rhin. M. de Cazalès n’a pas jugé ces écrits indignes de l’attention des lecteurs français ; et il en a donné une traduction aussi fidèle qu’élégante. L’analogie dont nous venons de parler nous a paru susceptible d’être signalée aux hommes sérieux.

2  Parmi les ouvrages ou les dissertations que cite le docteur Thilo, nous signalerons les suivants comme dignes d’être consultés par les artistes : Molanus, Historia S. S. Imaginum (Louvain, 1574) ; P. C. Kilscher. Disputatio de erroribus pictorum circa nativitatem Christi ; Ph. Rohr, Dissertatio de pictore errante in historia sacra (Leipzig, 1679) ; Ayala, Pictor christianus erudius (Madrid, 1703).

3  Cet ouvrage remarquable est un véritable petit poème, plein de grâce et de fraîcheur ; le texte grec paraît perdu. Un ange y parle sous la figure d’un pasteur ; de là son titre. Il fut écrit avant la persécution de Domitien. Hermas fut disciple des apôtres, et l’on croit que c’est lui que saint Paul fait saluer de sa part (Épître aux Romains, XVI. 14). Nous renvoyons d’ailleurs à un article plein d’intérêt inséré dans la Revue Européenne, no 32, tom. IX. Nous mentionnerons aussi quelques savantes monographies venues d’outre-Rhin ; Torelli, Dissert. hist. placita quaedam Hermae V. ut habetur Ap. ea hib. (Lond. goth., 1825. 4o) ; Gratz, Disq. in Pastor. Herm. (Borra, 1820, 4o) ; Jachmann, D. Mirte der Hermas, E, Beitrag. Patrist. (Konigsberg ,1835, 8o).

4  La Bibliographie universelle, tom. LXXI, p. 332 a consacré une notice intéressante à cet écrivain enlevé à trente-neuf ans, et qui, comme érudit, comme prosateur et comme poète, s’est placé au premier rang de ses compatriotes et contemporains. M. Sainte-Beuve en a fait l’objet de quelques pages bien finement écrites. Voir la Revue des Deux-Mondes, septembre 1844, et le tome III des Portraits littéraires.

5  T. IV, p. 361-369 ; V, 121-131, 270-279 ; VI, 108-115 ; VII, 275-285 ; VIII, 92-103 ; IX, 354-364 ; X, 255, 349-359.

6  Ce manuscrit est indiqué au Catalogue de 1739, t. I. p. 111, sous le no CIV des manuscrits arabes ; l’on y ajoute qu’il fut transcrit l’an de notre ère 1299, et que Vansleb en fit l’acquisition au Caire. Assemani mentionne un manuscrit de cette même légende comme se trouvant au Vatican, écrit en caractères syriaques et Zoëga a parlé d’un autre manuscrit en langue copte, que renfermait la riche collection du cardinal Borgia. Il s’en rencontre au Vatican d’autres dans ce même dialecte. C’est d’après le manuscrit Borgia, no CXXI, fragment de huit feuillets, allant de la page 65 à 80, que M. Édouard Dulaurier a traduit le récit de la mort de saint Joseph qu’il a inséré dans un opuscule fort intéressant, mis au jour en 1835. (Fragment des Révélations apocryphes de saint Barthélémy et de l’histoire des Communautés religieuses fondées par saint Pakhome, Paris, Impr. Royale, 1885, 8o, 48 pages). Nous reviendrons plus tard sur ce fragment.

7  En rapprochant de ce chiffre le calcul qu’on trouve au chapitre XIV, il en résulte que Joseph mourut dix-huit ans après la naissance de Jésus-Christ, ce qui s’accorde à peu près avec l’assertion de saint Épiphane, qui place l’époque de son décès lorsque Jésus-Christ avait douze ans (tom. II, p. 1042 de l’édition de Petau).

8  Le mois d’Abib chez les anciens Égyptiens a porté depuis le nom d’Épiphi ; les Coptes lui donnent celui de Gupti, et les Musulmans d’Elkupti ; le mois d’Ab, usité chez les Syro-Chaldéens, correspond partie à juillet et partie à août.

9  La Vie de saint Joseph a été écrite en italien, par le capucin A. M. Affaituti. Gerson a composé un long poème intitulé Josephina ; il se trouve au IVe tome des œuvres de ce célèbre chancelier de l’Université parisienne (édit. de Dupin, Anvers, 1706, 5 vol. in-fo). – Voyez d’ailleurs le recueil des Bollandistes, t. III de Mars, p. A-25 et Tillemont. Dans la Cité mystique de la visionnaire Marie d’Agreda, on lit que Joseph avait un siège parmi ceux des apôtres et qu’il devait juger le monde. La liste des ouvrages relatifs à saint Joseph serait fort étendue ; nous laisserons de côté ceux des jésuites Binet, Barry, Dansqueje, Reisset et Biver ; le Josephus du bénédictin Ch. Stengel (Munich 1616) se recommande aux bibliophiles par les estampes qui l’accompagnent et qui sont dues au burin de Sadeler ; on cite aussi le Josephus gemma mundi de Philippe de Vliesberghe (Douay 1621), et les Tabulae eminentium S. Josephi qualitatum de Charles de Saint-Paul (Paris, 1629). Tout ce que l’on possède de plus authentique, au sujet de saint Joseph, a été recueilli avec soin par dom Calmet, dans une dissertation spéciale.

10  Hérode eut d’autres fils, entr’autres Philippe et Antipas, entre lesquels Auguste partagea les états de leur père, mais il n’est fait mention que d’Archélaos, sans doute parce que ce fut lui qui entra, immédiatement après la mort d’Hérode, en possession de la majeure partie du royaume de Judée.

11  Plusieurs historiens racontent qu’Hérode, en proie à une fièvre lente qui lui brûlait les entrailles et couvert d’ulcères qui engendraient une multitude de vers, expira dans des douleurs atroces. Voir Josèphe, Antiquités, XVII, 8, et Guerre des Juifs, t. I, ch. 21 ; Eusèbe, Hist. ecclés., I, 8 ; Prideaux, Hist. des Juifs, 1755, tom. VI, p. 233 ; la Légende dorée, etc.

12  Façon de parler qui se retrouve souvent dans les Écritures : voir le Deutéronome, ch. 32, v. 10 ; Psaume 17, v. 8 ; Zacharie, ch. 11, v. 11.

13  On trouve dans saint Mathieu (ch. XVI. 28) cette même expression énergique : non gustabunt mortem ; il en est fait usage dans une ancienne traduction latine du Coran : omnis anima gustabit mortem.

14  Une légère correction de lettres substituerait dans le texte arabe le mot d’hommes pieux à celui de vierges. Il faut cependant remarquer que dans plusieurs passages de l’Écriture, cette dernière expression désigne les fidèles (Psalm, XIV. 15 ; Math. XXV. 1 ; Apocal. XIV. 4).

15  Ce livre, dans lequel sont écrits les péchés des hommes, est une tradition rabbinique et musulmane. Il sera apporté au jour du jugement et compulsé par l’ange Gabriel, à ce qu’assurent les commentateurs du Coran.

Ce serait une recherche curieuse, mais qui nous entraînerait trop loin, d’examiner quelles ont été les images sous lesquelles l’art chrétien a représenté l’âme. La plupart des Pères l’ont regardée comme une substance complètement incorporelle, et cependant quelques docteurs lui attribuaient volontiers une forme. Le vulgaire lui donna toujours un corps. Dans une foule de bas-reliefs, de peintures, elle est représentée sous l’aspect d’une petite figure humaine, et les hagiographes abondent en récits relatifs à des bienheureux dont on voit l’âme monter au ciel. Parfois elle s’envole sous la forme d’une colombe.

        In figure de colomb volut a ciel,

dit un cantique roman. Voir Prudence, hymne IX, et les passages des Acta sanctorum, qu’indique M. E. du Meril. (Poésies populaires latines du moyen-âge, p. 319.)

Quant aux soins que prend l’archange Michel de l’âme de Joseph, nous remarquerons que l’auteur de l’Évangile que nous traduisons s’est conformé à des traditions répandues de son temps. « Les rabbins (dit M. Alfred Maury, Revue archéologique, t. I, p. 105) admettaient que saint Michel présente à Dieu les âmes des justes. (Voir Targum, in Cantic. IV, 12, et Resbitk Chochmach, c. 3), et les Juifs lisent encore dans la prière pour les morts, appelée Tsiddouk Haddin, c’est-à-dire justification du jugement : L’archange Michel ouvrira les portes du sanctuaire, il offrira ton âme en sacrifice devant Dieu. L’ange libérateur sera de compagnie avec lui jusqu’aux portes de l’empire où est Israël. »

16  Le jour du jugement est aussi appelé par les écrivains arabes le jour de la rémunération, le jour de la discrétion, le jour de la séparation, le jour de la pondération, le jour de la vengeance. Il doit durer mille ans et même cinquante mille, selon quelques traditions musulmanes.

Il existe un ouvrage fort singulier du père Hyacinthe Lefébure, intitulé : Traité du Jugement dernier, ou Procez criminel des réprouvez, accusez, jugés et condamnez de Dieu, selon les formalitez de la justice, contenant l’ordre et la forme de procéder, juger et condamner en matière criminelle, selon les lois divines, canoniques et civiles (Paris, 1671, 6o). M. Alfred Maury, dans ses Recherches sur l’origine des représentations figurées de la psychostasie (Revue archéologique, t. I, p. 248), a donné une idée fort exacte de ce livre étrange dédié au chancelier de France, Pierre Séguier. « L’auteur décrit minutieusement toutes les formes du jugement dernier, tout comme il l’eût fait dans un traité de procédure criminelle. Les différentes phases du jugement sont ponctuellement suivies depuis la dénonciation, l’audition des accusateurs des parties plaignantes, jusqu’à la citation, l’information, la consultation. On y trouve tout, l’emprisonnement des réprouvés, l’interrogatoire, le récolement et la confrontation des témoins, l’extrait du procès criminel fait par les rapporteurs, la liste des juges qui composent le tribunal ; en un mot, le père Hyacinthe Lefébure s’est attaché à nous initier aux plus légers détails de ce jugement terrible. »

17  Les Hébreux plaçaient les corps des défunts dans des cavernes et dans des caveaux taillés dans le roc et que fermaient des portes d’une confection très-soignée. Consultez à cet égard les curieuses planches du savant ouvrage de J. Nicolaï (Leyde, 1706, 4o) De sepulchris Hebraeorum.

18  La question de l’assomption d’Énoch et d’Élie exigerait une trop longue discussion, si nous voulions rapporter les opinions des divers docteurs à cet égard. Quant à Énoch, nous renverrons au Codex pseudepigraphus vet. Test. de Fabricius, t. I, p. 160-223, à une dissertation de dom Calmet, reproduite avec quelques changements dans la Bible de Vence (T. I. p. 366-384, édit. de 1779) et à l’introduction dont M. A. Pichard a fait précéder sa traduction du Livre d’Énoch sur l’Amitié (p. 21-32, Paris, 1838. 8o). Nous en dirons aussi quelques mots dans une de nos notes sur l’Évangile de Nicodème, et nous ajouterons que dans les écrits de quelques alchimistes, on trouve le récit d’un voyage que fait Alexandre-le-Grand à la montagne du Paradis ; il y rencontre un vieillard couché sur un lit d’or massif ; c’est Énoch ; « avant que l’eau du déluge ne couvrît la terre », dit le patriarche au conquérant, « je connaissais tes actions ». Le livre connu sous le nom d’Énoch, et dont le texte éthiopien nous a été conservé, paraît avoir été composé ou retouché par quelque sabéen ; les géants y sont représentés comme ayant une stature de trois cents coudées ; une pierre énorme supporte les quatre coins de la terre et six montagnes formées de pierres précieuses brûlent nuit et jour, au sud du monde que nous habitons. Dans cet amas de rêveries, il règne une poésie obscure, sombre et grandiose ; reflet de celle de l’Apocalypse, elle est un nouveau témoin de cette préoccupation d’une autre vie, de cette foi à l’inconnu, à l’invisible dont la littérature de tous les pays et de tous les peuples porte des traces si remarquables.

19  On formerait une bibliothèque assez considérable en réunissant les divers ouvrages auxquels l’Antéchrist a donné lieu. Citons d’abord l’in-folio du jésuite Malvenda, trois fois réimprimé en 1603, 1621, 1647, et le Traité de l’Antéchrist, par Daneau, Genève, 1577. Grataroli, l’un des plus célèbres médecins du XVIe siècle, a également consacré un long ouvrage à ce personnage mystérieux. Des diverses idées émises sur sa naissance, une des plus singulières est celle d’un rabbin qui le fait naître dans le pays d’Édom du commerce d’un diable avec la statue de marbre d’une vierge.

Les bibliophiles recherchent fort un Traicté de l’advenement de l’Antéchrist, sorti en 1692 des presses d’Ant. Vérard, le plus célèbre des typographes parisiens du XVe siècle. Il existe, parmi les débris du vieux théâtre, une Farce de l’Antéchrist et des trois femmes ; l’ennemi de Dieu n’intervient dans une querelle de halles que pour recevoir des coups de bâton et pour s’enfuir.

De 1676 à 1702, il y eut une vive controverse entre deux théologiens d’alors, Malot et Rondet ; le premier annonça l’apparition de l’Antéchrist pour l’an 1849, l’autre la recula jusqu’à l’année 1860. Ce mésaccord de onze années occasionna un certain nombre de brochures qui n’ont pas aujourd’hui beaucoup de lecteurs.

Parmi les rares monuments de l’art dramatique au milieu de la période la plus obscure de l’histoire des lettres en Europe, parmi ces pieuses compositions latines antérieures aux mystères, il en est une dont l’Antéchrist est le héros. Le titre seul de cette pièce (ludus paschalis) indique qu’elle était destinée à être jouée lors de la fêle de Pâques. Le bénédictin Bernard Pez la trouva dans un manuscrit de l’abbaye de Tegernsée ; il l’a publiée dans son Thesaurus anecdotorum, tome II, part. 2, page 187. Donnons ici une courte analyse de ce drame à peu près inconnu ; il nous apprendra ce qu’était au XIIe siècle une de ces représentations dont se rehaussait la solennité d’une grande fête.

L’action se passe dans le temple du Seigneur ; le roi des Francs, le roi des Grecs, le roi de Babylone prennent place sur leurs sièges ; surviennent successivement la synagogue accompagnée d’un cortège de Juifs, le roi des Romains escorté d’un gros de soldats, le Pape suivi de son clergé, l’Église sous les traits d’une femme d’une stature imposante, ayant à sa droite la Miséricorde tenant un flacon d’huile, à sa gauche, la Justice munie d’une balance et d’une épée. Chacun prend place en chantant. Le roi des Romains envoie des députés à tous les autres monarques, afin qu’ils viennent lui rendre hommage, car, remarque-t-il judicieusement :

        Sicut scripta tradunt historiographorum

        Totus mundus fuerat fiscus Romanorum.

Chaque roi se soumet, excepté celui de Babylone ; il en résulte une grande bataille ; le roi des Romains est vainqueur. Arrive alors l’Antéchrist armé de pied en cap ; l’Hérésie et l’Hypocrisie l’accompagnent. Les hypocrites le reçoivent avec empressement, ils mettent son trône dans le temple, ils battent l’Église et la chassent. Tous les rois viennent s’incliner devant lui, excepté celui d’Allemagne. Pour convaincre celui-ci de son pouvoir, l’Antéchrist guérit un lépreux, un boiteux, il ressuscite un soi-disant mort ; le roi lui rend hommage, ainsi que la synagogue. Arrivent les prophètes ; ils le taxent d’imposteur, la synagogue se repent ; elle s’écrie :

        Nos erroris pœnitet, ad Fidem convertimur

        Quidquid nobis inferet persecutor, patimur.

L’Antéchrist la fait tuer, et, tout bouffi d’orgueil, il réunit autour de lui les rois, il leur dit :

        Haec mea gloria quam diu praedixere

        Que fruentur mecum quicumque meruere.

À ces mots il se fait entendre un grand bruit sur la tête de l’Antéchrist ; il tombe comme foudroyé ; ses sectateurs s’enfuient et l’Église triomphante se met à chanter : « Ecce homo qui non posuit Deum adjutorem suum, Ego autem sicut oliva fructifera in domo Dei. »

Tel est le jeu de adventu et interitu Antechristi ; nous n’ayons pas été fâché de le citer comme un échantillon d’après lequel on peut se former une idée assez juste de ce qu’était l’art dramatique à l’époque qui précéda les croisades, et nous espérons qu’on nous pardonnera cette digression.

20  Notice de Zoog.

21  Les gnostiques donnaient le nom d’Éons aux intelligences émanées de Dieu. Valentin, qui vivait à Alexandrie dans le second siècle de notre ère, en présenta une théorie complète. (Voir Matter, Hist. du gnosticisme, 3e édition, t. II, p. 53.)

22  La bibliothèque du Vatican, celle du Roi à Paris, renferment divers manuscrits de l’Évangile de l’Enfance en arabe ou en syriaque.

23  Ces ouvrages sont peu connus et fort rares, les Juifs les ayant, dans la crainte de s’attirer des persécutions, soustraits avec un soin extrême, aux regards des chrétiens. Le savant orientaliste J.-B. de Rossi a mis au jour à Parme, en 1800, une Bibliotheca judaica anti-christiana, volume in-8o fort curieux. J. G. Wagenseil avait déjà réuni quelques-uns de ces écrits sous le titre de Tela ignea Satanae, Altdorfi, 1681, 2 vol. in-4o ; il a compris dans cette collection le Toldos Jeschu, œuvre dictée par une haine aveugle, et écrit supérieur en importance au Séfîr Toledoch Jescuah, dont nous parlons dans une des notes qui vont suivre.

Voici une légende extraite d’un de ces livres si peu lus aujourd’hui. Jésus, Pierre et Judas, étant dans le désert, s’égarèrent, et ayant trouvé un berger couché sur la terre, ils lui demandèrent quelle route ils devaient suivre. Celui-ci poussa la paresse jusqu’à ne pas se lever ; il se borna à étendre le pied du côté où il fallait se diriger. Peu après, ils rencontrèrent une bergère, et, lui ayant adressé pareilles questions, celle-ci les mena avec empressement jusqu’à un endroit où ils n’avaient plus qu’à suivre la bonne voie. Pierre pria Jésus de récompenser celle qui leur avait ainsi rendu service, et Jésus la bénit, lui dit qu’elle épouserait le berger nonchalant. Pierre ayant alors témoigné de la surprise, le Seigneur dit : « Une femme aussi active sauvera un mari aussi paresseux et qui serait bientôt perdu par sa fainéantise. Car je suis le Dieu compatissant qui règle les mariages d’après les œuvres des hommes. »

24  On lit dans le Coran (ch. XIX, v. 16-17) : « Parle de Marie, elle se retira de sa famille, et alla du côté de l’est. Elle se couvrit d’un voile qui la déroba aux regards. Nous envoyâmes vers elle notre Esprit. Il prit devant elle la forme d’un homme, d’une figure parfaite. »

Un auteur arabe qui s’est fort occupé de recueillir les légendes orientales au sujet des évènements que racontent les Évangiles, Kessaeus, narre en ces termes les circonstances de l’accouchement de Marie : « Lorsque le moment de sa délivrance approcha, elle sortit au milieu de la nuit de la maison de Zacharie, et elle s’achemina hors de Jérusalem. Et elle vit un palmier desséché, et lorsque Marie se fut assise au pied de cet arbre, aussitôt il refleurit et se couvrit de feuilles et de verdure, et il porta une grande abondance de fruits par l’opération de la puissance de Dieu. Et Dieu fit surgir à côté une source d’eau vive, et lorsque les douleurs de l’enfantement tourmentaient Marie, elle serrait étroitement le palmier de ses mains. »

Il existe un travail d’un savant d’outre-Rhin, Schmidt, sur les légendes extraites du Coran, et qui se rapportent au Sauveur : Sagen von Jesu aus der Coran, il est inséré dans la Bibliothèque pour la critique et l’exégèse du Nouveau-Testament et l’ancienne Histoire de l’Église, 1796, t. I, p. 110.

25  Selon Bède, Aymon et quelques autres écrivains, les bergers qui virent le Sauveur dans l’étable étaient au nombre de trois ; ailleurs on lit qu’ils étaient quatre et qu’ils se nommaient Misaël, Achèel, Stéphane et Cyriaque.

26  Zeradascht ou Zoroastre. Des écrivains orientaux représentent ce personnage célèbre comme ayant été le disciple du prophète Élie. On peut consulter à son égard le savant article fort étendu (66 colonnes) que M. Parisot lui a consacré dans le 52e volume de la Biographie universelle, ainsi que la dissertation de Norberg de Zoroastre Bactriano dans ses Opuscula, t. II, p. 579-590.

27  Ce qui se rapporte à l’apparition miraculeuse de l’étoile qui guida les Mages a soulevé parmi les interprètes une foule de difficultés et de discussions que nous nous garderons d’aborder ici. Le savant Münter a publié à Copenhague, en 1827, sur cette question, un traité des plus érudits : Die Stern der Weisen, 4o. Il paraît que des légendes apocryphes, aujourd’hui perdues, racontaient que l’étoile avait la forme d’un petit enfant, ayant au-dessus de lui l’apparence d’une croix, et qu’il avait parlé aux Mages. Beaucoup de circonstances des plus étranges à cet égard se rencontrent dans une Narratio de iis quae Christo nato in Persia accederunt, ouvrage que certains manuscrits attribuent, mais à tort, à Jules l’Africain. Le baron d’Arétin, zélé bibliographe bavarois, a publié cet écrit dans ses Beytrage zur Geschichte und Literatur (IV, 49). Et le docteur anglican Routh l’a reproduit dans ses Reliquiae sacrae (II, 355).

28  La croyance à des maléfices du genre de ceux dont il s’agit dans ce chapitre remonte à une haute antiquité. Nous lisons dans le recueil des arrêts de Robert, 1621, p. 462 : « Hérodote rapporte que le roi Amasis longtemps se monstra ne pouvoir rien faire avec sa femme Laodice, ce qui fut par charmes et sortilège. » Et p. 564 : « Théodorus ayant pris pour femme Hermemberga, ne put jamais la déflorer, estant empesché de ce faire par les charmes et enchantement de ses maîtresses et concubines. » Grégoire de Tours (lib. XX, ch. II), dit qu’Eulalien tira hors du monastère de Lyon une fille, mais ses concubines, d’envie qu’elles eurent pour ses charmes, lui firent perdre tout sentiment. »

Au moyen-âge et jusqu’au XVIIe siècle, les procès pour pareil délit ne sont point rares. Nous indiquerons seulement celui d’Arnaud Hutis, abbé de Vézelay, accusé d’avoir empêché, par magie, le comte de Flandre de connaître son épouse. La comtesse déclara elle-même dans les interrogatoires qu’elle avait consenti au sortilège, à condition que l’empêchement ne durerait pas plus de deux ou trois jours. Elle déposa au greffe criminel un petit drapelet et du fil blanc dans lequel toute la puissance magique était contenue. (Mayer, Galerie philosophique du XVIe siècle, 1783, t. II, p. 234.) Un jurisconsulte fort en renom de son temps, Damhoudère, veut que le coupable soit brûlé vif. « Quiconque tue quelqu’un par sorcerie ou incantation, c’est-à-dire par enchantement, il est à punir par le feu, comme est aussi celui qui, par sorcerie, fait que l’homme et la femme ne font génération, ou empesche que la femme ne fait enfants, et fait sécher le lait de la femme ou nourrice. » (Pratique judiciaire, Paris, 1555, 8o, p. 78.) Nonobstant cette sévérité, il ne manquait pas d’écrivains qui consignaient dans leurs ouvrages les moyens les plus efficaces pour troubler ainsi les ménages. D’après Arnauld de Villeneuve, il faut, pour rendre un mari impuissant, placer sous son lit des testicules de coq ou de lion, tracer sur le lit certains caractères avec du sang de chauve-souris. Cet auteur affirme également que le cœur d’un vautour rend l’homme qui le porte aimable auprès des femmes, gratum mulieribus. (Hœffer, Histoire de la chimie, t. I, p. 392.) Des écrivains, fort judicieux d’ailleurs, n’ont point révoqué en doute la réalité de cet enchantement ; il n’y a qu’à lire, dans le Traité des monstres d’Ambroise Paré, le chap. XXXIV, Des noueurs d’esguillettes, et au chap. XXXII, cet illustre chirurgien s’exprime ainsi : « Il y en a qui rendent par leurs sorcelleries les hommes si mal habiles à sacrifier à madame Vénus, que les pauvres femmes qui en ont bien affaire, pensent qu’ils soient chastrez et plus que chastrez. » Il existe des traités spéciaux : Traité de l’enchantement qu’on appelle vulgairement le nouement de l’esguillette, la Rochelle, 1591 ; Discours pour savoir si on peut nouer l’aguillette, et comme on la peut desnouer, sans date. Consulter pour des détails plus étendus.

Bouchet, cinquième sérée, Joubert, Erreurs populaires, liv. II, chap. 3, Delrio, Controverses et recherches magiques, 1611, p. 414-416, Dulaure, des Divinités génératrices. 1825, p. 288., etc.

29  La croyance à des maléfices du genre de ceux dont il s’agit dans ce chapitre remonte à une haute antiquité. Nous lisons dans le recueil des arrêts de Robert, 1621, p. 462 : « Hérodote rapporte que le roi Amasis longtemps se monstra ne pouvoir rien faire avec sa femme Laodice, ce qui fut par charmes et sortilège. » Et p. 564 : « Théodorus ayant pris pour femme Hermemberga, ne put jamais la déflorer, estant empesché de ce faire par les charmes et enchantement de ses maîtresses et concubines. » Grégoire de Tours (lib. XX, ch. II), dit qu’Eulalien tira hors du monastère de Lyon une fille, mais ses concubines, d’envie qu’elles eurent pour ses charmes, lui firent perdre tout sentiment. »

Au moyen-âge et jusqu’au XVIIe siècle, les procès pour pareil délit ne sont point rares. Nous indiquerons seulement celui d’Arnaud Hutis, abbé de Vézelay, accusé d’avoir empêché, par magie, le comte de Flandre de connaître son épouse. La comtesse déclara elle-même dans les interrogatoires qu’elle avait consenti au sortilège, à condition que l’empêchement ne durerait pas plus de deux ou trois jours. Elle déposa au greffe criminel un petit drapelet et du fil blanc dans lequel toute la puissance magique était contenue. (Mayer, Galerie philosophique du XVIe siècle, 1783, t. II, p. 234.) Un jurisconsulte fort en renom de son temps, Damhoudère, veut que le coupable soit brûlé vif. « Quiconque tue quelqu’un par sorcerie ou incantation, c’est-à-dire par enchantement, il est à punir par le feu, comme est aussi celui qui, par sorcerie, fait que l’homme et la femme ne font génération, ou empesche que la femme ne fait enfants, et fait sécher le lait de la femme ou nourrice. » (Pratique judiciaire, Paris, 1555, 8o, p. 78.) Nonobstant cette sévérité, il ne manquait pas d’écrivains qui consignaient dans leurs ouvrages les moyens les plus efficaces pour troubler ainsi les ménages. D’après Arnauld de Villeneuve, il faut, pour rendre un mari impuissant, placer sous son lit des testicules de coq ou de lion, tracer sur le lit certains caractères avec du sang de chauve-souris. Cet auteur affirme également que le cœur d’un vautour rend l’homme qui le porte aimable auprès des femmes, gratum mulieribus. (Hoeffer, Histoire de la chimie, t. I, p. 392.) Des écrivains, fort judicieux d’ailleurs, n’ont point révoqué en doute la réalité de cet enchantement ; il n’y a qu’à lire, dans le Traité des monstres d’Ambroise Paré, le chap. XXXIV, Des noueurs d’esguillettes, et au chap. XXXII, cet illustre chirurgien s’exprime ainsi : « Il y en a qui rendent par leurs sorcelleries les hommes si mal habiles à sacrifier à madame Vénus, que les pauvres femmes qui en ont bien affaire, pensent qu’ils soient chastrez et plus que chastrez. » Il existe des traités spéciaux : Traité de l’enchantement qu’on appelle vulgairement le nouement de l’esguillette, la Rochelle, 1591 l’épître dédicatoire est signée L. H. H. M. L’E. Un bel exemplaire de ce volume rare a été payé 50 francs à la vente de M. Nodier, en 1844 ; Discours pour savoir si on peut nouer l’aguillette, et comme on la peut desnouer, sans date un exemplaire de cet opuscule devenu introuvable fait partie d’un recueil curieux porté au catalogue de la bibliothèque de M. Leber (no 2503), bibliothèque qui a été acquise en totalité par la ville de Rouen. Consulter pour des détails plus étendus.

Bouchet, cinquième sérée, Joubert, Erreurs populaires, liv. II, chap. 3, Delrio, Controverses et recherches magiques, 1611, p. 414-416, Dulaure, des Divinités génératrices. 1825, p. 288., etc.

30  Ces deux voleurs portent dans l’Évangile de Nicodème les noms de Dimas et de Gestas ; dans les Collectanea vulgairement attribués à Bède, ils s’appellent Matha et Joca ; et dans une histoire de J.-C. que nous avons déjà indiquée, qui a été écrite en persan par le jésuite Jérôme-Xavier, que Louis de Dieu a traduite en l’accompagnant de notes acerbes, et que les Elzévirs ont imprimée en 1639, ils sont désignés sous les noms de Lustin et de Vissimus. Selon les légendaires crédules du moyen-âge, ce fut celui des larrons sur lequel porta l’ombre du corps du Sauveur qui se convertit. Le cardinal Pierre Damien, mort en 1072, attribue sa conversion à une prière de la Vierge, qui reconnut en lui un de ceux entre les mains desquels elle était tombée en allant en Égypte.

31  Rapportons ici un passage du Voyage au Levant de Thévenot (l. II, c. 8, tom. I, p. 265, édit. de 1665) : « Dans un grand jardin, près du Caire, il y a un gros sycomore fort vieux qui porte toutefois du fruit tous les ans ; on dit que la Vierge passant par là avec son Fils Jésus et voyant que des gens la poursuivaient, ce figuier s’ouvrit, et la Vierge étant entrée dedans, il se referma ; puis, ces gens étant passés, il se rouvrit et resta toujours ainsi ouvert jusqu’à l’année 1656, que le morceau qui s’était séparé du tronc fut rompu. » Denon (Voyage en Égypte, t. I, p. 65, édit de 1802) mentionne des portes d’édifices arabes qui peuvent donner la mesure de l’indestructibilité du bois de sycomore ; il est resté dans son entier, tandis que le fer dont ces portes étaient revêtues a cédé au temps et a disparu complètement.

32  Voici ce qu’à cet égard on lit dans l’Histoire en persan que nous venons de mentionner : « Il reste un écrit que, lorsque les habitants de ce pays voulaient accroître ce jardin, ils y plantèrent beaucoup de ces arbres qui donnent le baume, mais ces arbres ne portèrent aucun fruit ; ils eurent alors l’idée que cette stérilité cesserait si ces arbres étaient arrosés dans l’eau dans laquelle Jésus s’était baigné ou qui avait lavé ses vêtements. Ils amenèrent ainsi le ruisseau de ce jardin jusqu’au ruisseau qui s’écoulait de la fontaine de Jésus-Christ, et des deux ruisseaux l’on n’en fit qu’un. Et il advint que toutes les terres qui furent arrosées de ces eaux produisirent le fruit qui donne le baume. »

33  Kessaeus ajoute au récit de la fuite en Égypte des circonstances puériles, mais que l’amour du merveilleux faisait circuler de bouche en bouche dans tout l’Orient

« Ils se mirent à aller de ville en ville. Et Joseph vit sur la route un grand lion qui se tenait à l’embranchement de deux chemins, et, comme ils en avaient peur, Jésus s’adressa au lion et lui dit : “Ce taureau que tu songes à déchirer appartient à un homme pauvre ; vu en un tel endroit et tu y trouveras le cadavre d’un chameau ; dévore-le.” Le lion alla vers le chameau et le dévora. »

« Ils allèrent ensuite à une multitude d’hommes assemblés et Jésus leur dit : “Voulez-vous que je vous dise pourquoi vous êtes ici réunis ? Votre intention est d’entrer dans le palais du roi et de le piller ; mais n’en faites rien, car ce monarque est un homme pieux ; suivez-moi, et je vais vous montrer un trésor dont le propriétaire a accompli hier son dernier jour.” Ils le suivirent, et lorsqu’ils furent arrivés auprès d’un rocher, Jésus leur dit : “Creusez là.” Et lorsqu’ils eurent creusé, ils trouvèrent une grosse somme d’argent et ils la partagèrent entre eux. »

« Jésus, étant parti avec ceux qui étaient avec lui, vint dans une ville où il y avait un roi, et les habitants de cette ville étaient rassemblés devant une idole à laquelle ils adressaient des supplications en versant des larmes. Jésus leur ayant demandé ce qu’ils avaient à agir ainsi, ils répondirent : “La femme du roi est en mal d’enfant et ses couches sont accompagnées de grandes souffrances et de périls.” Jésus répondit : “Allez vers le roi et dites-lui que si je pose la main sur le ventre de sa femme, elle sera aussitôt délivrée.” Quand cela eut été rapporté au roi, il ordonna d’introduire Jésus auprès de lui, et Jésus dit : “Ô roi, si, avant que cette femme n’accouche, je t’annonce ce qu’elle va enfanter, croiras-tu en mon Seigneur qui m’a créé sans que j’aie eu de père ?” Le roi ayant répondu qu’oui, Jésus dit : “Elle va mettre au monde un enfant d’une grande beauté dont une oreille sera plus longue que l’autre, et sur l’une de ses joues il y aura un signe noir et sur son dos un autre de même couleur.” Puis, ayant étendu la main vers le ventre de la femme, il dit : “Sors, embryon, par la volonté de Dieu suprême qui a créé toutes choses et qui fournit à toutes ses créatures une nourriture abondante.” La femme ayant mis au monde un enfant tel que Jésus l’avait annoncé, le roi voulait croire en Dieu, mais ses conseillers l’en détournèrent, en lui disant que tout cela était l’œuvre de la magie. Dieu suscita alors contre eux un grand orage venant du ciel avec un horrible fracas, et ils prirent tous la fuite. »

34  Nous relaterons au sujet de Judas un petit conte qui se trouve dans l’Historia Jeschuae Nazeroni (édit. d’Hulrich, Leyde, 1705, 8o, p. 51), ouvrage d’un écrivain juif.

Jésus, accompagné de Pierre et de Judas, s’arrêta un jour dans une hôtellerie ; l’hôte n’avait qu’une oie à leur offrir. Jésus la prit et lui dit : « Cette oie est trop petite pour que trois personnes puissent la manger, allons dormir, et celui qui aura fait le meilleur rêve la mangera seul. » Ils allèrent se coucher et, au milieu de la nuit, Judas se leva, et il dévora l’oie. Le matin ils se réunirent et Pierre dit : « Je me suis vu en songe au pied du trône de Dieu, le tout-puissant. » Jésus répondit : « Je suis le fils de Dieu tout-puissant, et j’ai rêvé que tu étais assis près de moi. Mon songe a donc été supérieur au tien, et c’est à moi qu’il appartient de manger l’oie. » Judas dit alors : « Et moi j’ai en songe mangé l’oie. » Et Jésus chercha l’oie, mais inutilement, car Judas l’avait dévorée.

On peut consulter à l’égard du livre qui nous fournit cette historiette la curieuse Bibliotheca Judaica anti-christiana de Rossi, no 162. (Parme, 1800, 8o). Cette Historia ou Sephèr Toledoto Jescuah annotzeri est d’ailleurs un livre rare, et son auteur, demeuré inconnu, a vraiment trop peu d’importance pour mériter les épithètes outrageantes qu’entasse sur lui son éditeur ; en voici un échantillon : Certissimum est et sole meridiano clarius vanissimum illum hominem fuisse, bipedum nequissimum, trifurciferum sceleribus coopertissimum, satorem sertoremque scelerum et messorem maximum, mendatissimum inferni expurgamentum, Acherontis gloriam, etc.

Quant aux légendes relatives à Judas Iscariote, un savant dont nous avons déjà cité les remarquables travaux, M. E. du Méril a traité ce sujet dans ses Poésies populaires latines du moyen-âge, p. 324-340. « On a prétendu que Judas était sauvé, l’on est allé jusqu’à rechercher pieusement ses reliques ; voyez Goesius, De cultu Judae proditoris (Lubeck, 1713, 4o).

M. du Méril indique comme présentant certains rapports avec la légende de Judas le poème d’Hertmann van der Aue, Gregorius uf dem Steine. Cette composition de 3752 vers fut publiée pour la première fois par C. Grieth dans son Spicilegium vaticanum (Prauonfeld, 1338, 8o, p. 180-303 ; voir les Wienner Iahrbucher, 1840, t. LXXXIX, p. 61-74) ; M. Carl Luchmann en a donné une édition spéciale (Berlin, 1838, 8o).

35  On lit dans le Koran (chap. III, v. 43) : « Jésus sera l’envoyé de Dieu auprès des enfants d’Israël. Il leur dira : “Je viens vers vous accompagné des signes du Seigneur ; je formerai de boue la figure d’un oiseau, je soufflerai dessus, et par la permission de Dieu l’oiseau sera vivant ; je vous dirai ce que vous aurez mangé et ce que vous aurez caché dans vos maisons.”

« Dieu dira à Jésus, Fils de Marie : “Souviens-toi des bienfaits que j’ai répandus sur toi et sur ta Mère lorsque je t’ai fortifié par l’esprit de sainteté, afin que tu parles aux hommes, enfant au berceau et à l’âge plus avancé. – Je t’ai enseigné l’Écriture, la Sagesse, le Pentateuque et l’Évangile ; tu formais de boue la figure d’un oiseau par ma permission ; ton souffle l’anima par ma permission.” »

Kessaeus s’exprime ainsi de son côté : « Alors le peuple disait : “C’est de la magie ; fais-nous voir un autre signe.” Et Jésus disait : “Que désirez-vous ?” Ils répondaient : “Indique-nous ce que nous avons déposé et ce que nous devons manger dans nos maisons.” Et quand il le leur eut dit, comme ils ne croyaient pas, il s’en alla, et, le lendemain, comme il revint parmi eux, ils disaient : “Voici que ce magicien est de retour.” Jésus, les entendant, en fut courroucé, et il dit : “Ô Dieu, tu sais qu’ils m’accusent de maléfice, ainsi que ma Mère ; punis-les donc ainsi qu’ils le méritent.” Alors Dieu les changea en porcs, et, après qu’ils eurent vécu trois jours, ils moururent. Lorsque cela fut divulgué parmi les Juifs, ils voulurent tuer Jésus, mais ils ne le purent. »

36  Ce miracle est connu des Persans, ainsi que nous l’apprend un passage du Lexicon persicum d’Ange de la Brosse (Amst, 1684, in-fol.), au mot TINCTORIUS ARS : « Il est relaté dans un livre apocryphe des Perses, intitulé L’Enfance de Jésus-Christ, que le Sauveur a exercé le métier de teinturier, et qu’avec une seule teinture, il donnait aux étoffes diverses couleurs. C’est pourquoi, chez les Persans, il est vénéré des teinturiers comme leur patron, et une maison de teinturier s’appelle la boutique du Christ » D’autre part, on lit dans Kessaeus le passage suivant : « Et Marie forma le projet de le remettre aux mains d’un maître qui lui apprendrait le métier qu’il savait exercer. Elle le conduisit donc à un teinturier, et elle lui dit : “Reçois cet enfant et instruis-le dans ta profession.” Le teinturier l’accueillit et lui dit : “Quel est ton nom ?” Et il répondit : “Mon nom est Isa Ibn Marjam (Jésus, Fils de Marie).” Et il lui dit : “Ô Isa, prends une cruche, et, après que tu auras été à la rivière la remplir d’eau, remplis tous ces réservoirs, et prends ces matières colorantes.” Il lui fit ensuite l’énumération des teintures qu’il préparait dans les réservoirs et des couleurs dont il imprégnait les vêtements, et, l’ayant quitté, il se retira dans sa chambre. Jésus, venant aux réservoirs, les remplit d’eau, et il jeta dans un seul toutes les substances colorantes, et il jeta tous les habits dessus, et il s’en retourna auprès de sa mère. Le lendemain, le teinturier était venu, et ayant vu ce qu’avait fait Jésus, il lui donna un soufflet, en lui disant : “Ô Isa, tu m’as perdu et tu as gâté tous ces vêtements.” Isa lui dit : “Que cela ne te trouble point, mais dis-moi quelle est ta religion.” Et le teinturier répondit : “Je suis juif.” Isa répliqua : “Dis : il n’y a point d’autre Dieu que Dieu, et Isa est l’envoyé de Dieu ; étends la main et retire tous ces vêtements et chacun d’eux sera imprégné de la couleur que désirait le propriétaire.” Le teinturier crut en Dieu et en Isa, et il rendit à chacun ses habits teints ainsi qu’il lui avait été prescrit, et il persista dans la foi d’Isa, sur lequel paix et bénédiction. »

37  Il y avait diverses sortes de spithames ; la plus usitée de ces mesures correspondait à la moitié de la coudée grecque.

38  Le mois d’Adar était le douzième de l’année hébraïque ; il correspondait partie au mois de février, partie à celui de mars.

39  Kessaeus rapporte ainsi les noms des douze disciples : Siméon, Luc, Pierre, Thomas, Mathieu, Jean, Jacques, Jonas, Georges, Nannus, Noncin et Paul. Jésus, étant sur le rivage de la mer, vit des hommes qui exerçaient le métier de foulons (le mot arabe correspond à fullones vestium dealbatores) et il leur dit : « Quoi ! vous nettoyez ces vêtements et vous n’en faites pas de même de vos cœurs ? » Donc ils crurent en lui et ils furent les témoins de sa prophétie.

40  Parmi divers récits du même genre qui se rencontrent chez Kessaeus, nous choisirons celui auquel il donne pour titre : Histoire d’un aveugle et d’un boiteux. « Waheb Ibn-El Mamba (auquel Dieu soit propice) dit : “Ceci est aussi un des miracles de Jésus. Un voleur entra dans le logis de Dahcan où demeuraient Marie et Joseph, et il emporta tout ce qui s’y trouvait. Dahcan, très-affligé, dit à Jésus : Apprends-moi quel est celui qui m’a dérobé ma propriété. Jésus répondit : Fais réunir devant moi tous les gens de ta maison. Lorsque cela fut fait, Jésus dit : Où est l’aveugle un tel et où est le boiteux ? Et lorsqu’ils eurent été amenés devant lui, Jésus dit : Voici les deux voleurs qui t’ont dépouillé de tous tes biens. Et le peuple étant frappé de surprise, Jésus dit : Ce boiteux a été aidé des forces de l’aveugle et l’aveugle a été secondé par les yeux du boiteux ; l’un tenait de sa main une corde par la fenêtre, tandis que l’autre allait chercher les objets volés et les lui apportait. » Pococke rapporte un apologue à peu près semblable d’un aveugle et d’un boiteux, apologue que, suivant le livre Kenzi al Asrar, Dieu doit proposer aux hommes au jour du jugement dernier, lorsque le corps et l’âme rejetteront mutuellement l’un sur l’autre le blâme de tous leurs péchés. Empruntons encore à Kessaeus quelques circonstances qui se rattachent au miracle raconté dans le chapitre XXIX de la légende que nous traduisons ; après avoir raconté que Moïse avait marché aussitôt sa naissance, qu’il avait dit à sa mère : « Ma mère, ne sois pas inquiète de moi, car Dieu est avec nous. » Que, cette même nuit, on avait entendu dans le palais de Pharaon une voix qui s’écriait : « Moïse est né et le souverain de l’Égypte a péri. » L’écrivain arabe ajoute que toutes les idoles de l’Égypte, tombant sur la face, se brisèrent aussitôt, et il poursuit en ces termes : « Sa mère, toutes les fois qu’elle sortait de chez elle pour ses occupations, le cachait dans un four dont elle bouchait l’orifice, afin de le dérober à tous les yeux. Un jour qu’elle était sortie après l’avoir mis dans le four, sa sœur, qui avait été chercher de la farine, alluma le feu afin de chauffer le four, car elle ignorait que Moïse s’y trouvait. Quand la mère de Moïse revint, elle fut presque morte de frayeur et elle s’écria : « Mon fils est dans le four ! » Et voyant que le four était tout embrasé, elle se frappa le visage et dit : « La prudence ne peut rien contre la destinée ; vous avez brûlé mon fils ! » Alors Moïse lui crie du milieu du four : « Ma mère, ne crains rien ; Dieu m’a préservé du feu ; étends les mains et retire-moi des flammes ; Dieu ne permettra pas qu’elles te fassent plus de mal qu’à moi. » Et sa mère le fit, et le feu ne la toucha point.

41  Kessaeus rapporte un peu différemment cette fable : Jésus croissait admirablement en âge, et un certain jour, comme il jouait avec des enfants, un de ces enfants sauta sur le dos d’un autre, et s’y tint comme à cheval, et l’ayant fait tomber avec le pied, il le tua. Les parents du mort accoururent et, se saisissant des enfants parmi lesquels était Jésus, ils les menèrent devant le juge. Marie vint aussi, craignant pour son fils. Et le juge demanda : « Qui est-ce qui a tué cet enfant ? » Et ils répondirent : « C’est Jésus qui l’a tué. » Alors le juge dit : « Pourquoi l’as-tu tué ? » Alors Jésus dit : « Ô juge, je vois que tu es un homme insensé ; tu devais d’abord t’enquérir si c’est moi qui l’ai tué ou non. » Le juge dit : « Je vois que tu es accompli de sagesse, mais quel est ton nom ? » Et il répondit : « Je m’appelle Jésus, fils de Marie. » Le juge dit alors : « Pourquoi l’as-tu tué, ô Jésus ? » Jésus répondit : « Ne t’ai-je pas déjà prévenu de ne point parler ainsi ? » Ensuite Jésus, s’approchant du mort, lui dit : « Lève-toi, par la permission de Dieu. » Et lorsqu’il se fut levé, il lui demanda : « Qui est-ce qui t’a fait périr ? » Et le mort répondit : « C’est un tel qui m’a fait périr, mais Jésus n’a rien commis contre moi. » Et le mort retomba sans mouvement, et ils firent mourir à sa place l’enfant qui était cause de son trépas.

Dénouement conforme à la loi du talion, toujours en vigueur dans l’Orient.

42  L’on nous saura gré de rapporter ici au sujet de G. Postel quelques lignes échappées à la plume si savante et si ingénieuse de M. Nodier, lignes perdues au bas des colonnes d’un journal qui n’est plus (le Temps, no du 29 octobre 1835). « Postel eut l’avantage d’être instruit dans tous les idiômes savants de la terre ; il était prodigieusement versé dans l’étude de toutes les choses qu’il est presque bon de savoir et d’une multitude d’autres qu’il aurait été fort heureux d’ignorer. On peut dire à sa louange que sa phrase serait assez nette, si ses idées l’étaient jamais. Deux préoccupations qui n’ont cessé de le dominer, et qui font, pour ainsi dire, l’âme de ses livres les plus célèbres, enlevèrent ce prodigieux esprit à la culture des lettres utiles ; la première était la monarchie universelle sous le règne d’un roi français, rêve ambitieux d’un patriotisme extravagant que nous avons vu cependant tout près de se réaliser ; le second était l’achèvement de la Rédemption imparfaite par l’incarnation de Jésus-Christ dans la femme, et à la mysticité près, nous savons que cette chimère n’a pas été entièrement abandonnée de nos jours. Au dix-neuvième siècle, Postel eût certainement tenu quelque place éminente dans les conseils secrets de l’Empereur et dans le conclave Saint-Simonien, ce qui n’empêche pas qu’il y eut en lui un fou fanatique, un fou fantastique, un fou hyperbolique, un fou proprement, totalement et compétentement fou, comme parle Rabelais, et ce qui prouve peut-être qu’il y en avait deux. »

43  Sur ces offrandes, consultez les Antiquités sacrées de Reland (part. III, ch. 7), ouvrage fort estimé, dont la sixième édition, celle de 1769, est celle qu’il faut préférer.

44  Les Hébreux conservaient leurs généalogies avec un soin tout particulier, dont Perizonius a fait l’objet d’une dissertation spéciale. Chez diverses nations de l’antiquité, l’on retrouve des exemples de ces recueils généalogiques rassemblés avec exactitude et que l’on était admis à consulter. Synésius de Cyrène, dans sa cinquante-septième lettre, nous apprend qu’il y a eu recours pour suivre la filiation de ses ancêtres.

45  Ce grand jour du Seigneur est certainement celui de l’une des grandes fêtes des Juifs, mais il serait malaisé de déterminer s’il s’agit de celle de Pâques, de celle de la Pentecôte ou de celle des Tabernacles. Ajoutons que les premiers chrétiens condamnaient aussi les jeûnes et les signes de deuil aux jours des fêtes solennelles.

46  Les plaintes d’Anne se retrouvent, plus ou moins altérées, chez divers prédicateurs grecs ; une homélie de Germain, patriarche de Constantinople, sur la présentation de Marie (Biblioth. Patr. Auctuar. Nov., t. I, col. 1415), les reproduit presque textuellement.

47  L’usage était chez les Juifs de ne donner un nom aux enfants que quelques jours après leur naissance. Il en était de même chez les Romains. Quant aux coutumes des premiers chrétiens à cet égard, consultez l’ouvrage de Joseph Visconti (De Ritibus baptismi, lib. II, c. 12).

48  L’épreuve des eaux amères est prescrite dans la législation mosaïque (Nombres, ch. V, v. 18 et suiv.) : « Le cohène (prêtre) prendra de l’eau sainte dans un vase de terre, et le cohène prendra de la poussière du pavé de l’habitacle et la mettra dans l’eau, etc. » (Voir la Bible, traduction de M. Cahen, t. IV, p. 27.) Josèphe (Antiq. jud., liv. III, ch. 13) s’exprime ainsi : « Si la femme a manqué à la sagesse, qu’elle meure, la cuisse droite déluxée et le ventre en putréfaction. Mais si le mari n’a agi que par un excès d’amour ou par un penchant à la jalousie, qu’elle ait un enfant mâle dans le dixième mois. » Ni Josèphe, ni aucun autre ne parle de la punition du mari calomniateur ; on reconnaît là l’esprit asiatique. Les Talmudistes disent que dans le cas où la femme serait innocente, si elle est stérile, elle deviendra féconde, si elle enfante d’ordinaire péniblement, ses couches seront désormais faciles, et si elle a eu des enfants noirs, à l’avenir ils seront blancs. Grotius a laborieusement réuni tous les passages des anciens auteurs grecs ou latins où il est fait mention de certaines eaux auxquelles on attribuait la vertu de punir le parjure. Semblable usage existe encore chez divers peuples de la côte occidentale de l’Afrique.

49  On peut rapprocher ce récit de celui que nous trouvons dans un ouvrage italien très-rare et peu connu dont la Bibliothèque royale possède un exemplaire ; il a pour titre : Vita del nostro signore Jesu Cristo e de la sua gloriosa madre virgine madona sancta maria (Bologna, Baldisera de li Azzoaguidi, 1474, in-folio).

« Joseph alla chercher au moment de l’accouchement deux accoucheuses du nom de Gelome et Salomé ; la Vierge demanda qu’il fît entrer Gelome, qui voulait la voir et la toucher suivant l’usage, et elle trouva la vierge Marie, vierge pure et nette ; et elle dit que cela ne s’était jamais vu ni entendu, et que de même qu’elle était née vierge, ainsi elle a conçu vierge, elle a accouché vierge et elle est demeurée vierge. Salomé, qui restait dehors, entendant ces propos, dit que cela n’était pas possible, et elle voulut le vérifier. La vierge Marie la laissa voir et toucher, et ses mains séchèrent, et Salomé se lamentait de ce qu’ait perdait l’usage de ses mains et de sa profession. Mais un ange resplendissant apparut et lui dit d’adorer et de toucher dévotement le fils de Dieu, qui la guérirait de toutes ses infirmités, ce qu’elle fit, et elle fut aussitôt guérie. » (Chap. XXVI.)

Puisque nous avons eu l’occasion de parler de ce rare volume, nous allons donner une idée du contenu de quelques-uns des chapitres.

 

CHAPITRE XIV.

Beauté corporelle de la Vierge Marie.

On peut croire que Dieu l’orna d’une complète et honnête beauté, quand il se résolut à habiter dans ce corps précieux, mais quoique formée de toute perfection, de toute beauté, de science et de vertu, jamais elle ne se glorifia, ne s’enorgueillit, ni n’eut vanité ; elle ne devint point arrogante, comme cela est d’usage, d’où on peut conclure que Dieu la forma de ses mains et qu’il imprima en elle toutes les vertus et les beautés sans aucune tache.

CHAPITRE XV.

Comment la Vierge fut nommée Reine.

La vierge Marie et ses compagnes étaient réunies ; elles étaient toutes fort habiles à tisser et à faire toute sorte de travail grand et noble. Quelques-unes donnèrent l’avis de jeter au sort la nature de leurs travaux afin qu’il décidât celle d’entr’elles qui serait chargée de travailler la pourpre et que celle-là fût appelée Reine ; ce qui fut fait. Ainsi, par la grâce de Dieu, le sort désigna la douce vierge Marie, qui fut ainsi couronnée et nommée Reine, ce qui s’accorde bien en la signification qu’elle devait être Reine du ciel et de la terre, comme dit la Sainte Écriture.

 À l’égard de la beauté de la Vierge, nous pourrions citer ici une pièce de vers du XIIe siècle, dont la singularité est grande et que M. Edelestand du Méril a publiée dans son important recueil des Poésies populaires latines du moyen-âge, d’après l’Essai de M. Croke on the history of rhyming latin verse. Nous nous en tiendrons à rapporter quelques lignes de ce chant où la naïveté va parfois jusqu’à l’indécence.

        Pulcra dorso, paiera palis

            Dentiumque serie !

        Pulcra, pulcram aliorum

        Formam vincia et olorum

            Olorina facie.

        Ave, Pulcra fauce, nare,

            Cujus nemo ouraxare

        Potest formam graphicis...

CHAPITRE XVI.

Comme les prêtres voulaient marier la glorieuse vierge Marie, et comme elle refusa ayant fait à Dieu vœu de virginité.

CHAPITRE XXIII.

Comment Marie étant enceinte, Joseph voulant partir et l’abandonner, un jour un ange lui apparut, lui annonçant comme quoi Marie était enceinte du fils de Dieu.

CHAPITRE XIV.

Comment ayant été publié dans Jérusalem que Marie était enceinte, les prêtres appelèrent Joseph et Marie dans le temple pour savoir d’eux la vérité.

CHAPITRE XXXIV.

Jésus à deux ans ne voulait plus téter, il se sevra tout seul sans souffrir comme font les enfants ; il portait de l’eau et du bois à sa mère, et quand il allait à la fontaine pour puiser de l’eau, jamais il ne cassait les vases.

 

50  Hyde, dans son savant traité De Religione vet. Persar., chap. 31, cherche à établir, par de nombreux arguments, que les mages venaient de la Perse.

51  Circonstance qui ne se trouve que dans la version de Postel ; le texte grec n’en parle point. Grégoire de Tours (De Miraculis, l. I, c. I) et Haymon vont jusqu’à dire que l’étoile était tombée dans un puits à Bethléem et qu’on l’y voyait encore. À une heure de distance de Jérusalem est un puits qu’on appelle le puits de l’Étoile ou des Mages. Il est représenté dans la planche 105 (tome II, page 44) du Journal d’un Voyage en Orient, par M. le comte d’Estourmel (Paris, 1844). Maundrell en a parlé dans son Journey from Aleppo to Jérusalem, relation que le Manuel du Libraire qualifie d’excellente, et qui, après avoir vu le jour pour la première fois à Oxford en 1699, a souvent été réimprimée ; il y en a diverses traductions françaises.

Saint Chrysostome dit que l’étoile s’arrêta sur le faîte de la maison où était l’enfant, puis sur sa tête et qu’ensuite elle disparut.

Quant aux motifs qui pouvaient amener Joseph à répudier Marie, Bartolocci a réuni, dans sa Bibliotheca rabbinica, t IV, p. 560, les opinions des Pères. Voir aussi dom Calmet, Commentaire sur la Bible, 1726, t. VII, p. 113.

52  Ce laborieux et hardi critique s’exprime ainsi dans ses Nouvelles observations sur le texte du Nouv. Test. : « Je mets au nombre de ces faux Évangiles un de ceux attribués à saint Thomas dont j’ai trouvé un assez long fragment à la Bibliothèque du roi ; quoique ce manuscrit ne soit pas vieux, on ne peut douter cependant que cette pièce ne soit ancienne et qu’elle n’ait été fabriquée par quelques gnostiques. Il paraît qu’il avait existé également un Évangile attribué à saint Thomas l’apôtre, mais il n’en est rien parvenu jusqu’à nous. » Ce n’est pas ici le lieu d’examiner sur quels fondements repose la tradition qui fait de cet apôtre le premier missionnaire qui ait prêché la foi dans les Indes. On trouvera de nombreux témoignages recueillis à cet égard dans l’ouvrage de MM. Martin et Cahier sur les vitraux de la cathédrale de Bourges (1841-44, grand in-folio, p. 134).

53  Augustin Giorgi, dans son Alphabetum thibetanum (Rome, 1762, 4o, p. 385), croit qu’il faut lire sept ans ; il se fonde sur ce que cet âge est indiqué au vingt-sixième chapitre de l’Évangile arabe de l’Enfance et sur la similitude de cette légende avec celle de Manès, dont la septième et la douzième année sont signalées par des évènements remarquables. Ce savant regarde l’Évangile de Thomas comme une production manichéenne. Tous les manuscrits portent cinq ans, et nous avons dû conserver cette leçon.

54  Chez les anciens, tirer quelqu’un par l’oreille était une façon de réprimande et d’admonition fort en usage. Virgile a dit dans sa sixième églogue : Cynthius aurem vellit et admonuit. Calphurnius et Ovide emploient des expressions analogues. Voir d’ailleurs Érasme sur le proverbe : Aurem vellere.

55  Il s’agit ici du sens mystique de la lettre A, prise peut-être comme un symbole divin. Les expressions de notre légende se rapportent bien plus à la forme que présente en hébreu, et surtout en arménien, la première lettre de l’alphabet qu’à celle qu’elle présente en grec. Il n’est pas hors de propos de transcrire ici un passage du voyage de Chardin (t. IX, p. 124, de l’édition de 1811) : « Leurs légendes (celles des chrétiens répandus dans la Perse) contiennent tous les contes qu’il y a dans les légendes des chrétiens orientaux et notamment dans une légende arménienne, intitulée l’Évangile-Enfant (de l’enfance ?) qui n’est qu’un tissu de miracles fabuleux : comme entre autres que Jésus-Christ voyant Joseph fort affligé d’avoir scié un ais de cèdre trop court, il lui dit : Pourquoi êtes-vous si affligé ? donnez-moi l’ais par un bout et tirez l’autre ; et l’ais s’allongea. Qu’étant envoyé à l’école pour apprendre l’a b c, le maître lui voulant faire dire a, il s’arrêta et dit au maître : Apprenez-moi, auparavant, pourquoi la première lettre de l’alphabet est ainsi faite ; sur quoi le maître le traitant de petit babillard, il répondit : Je ne dirai point a, que vous me disiez pourquoi la première lettre est ainsi faite. Le maître se mettant en colère, Jésus lui dit : Je vous l’apprendrai donc, moi. La première lettre de l’alphabet est formée de trois lignes perpendiculaires sur une ligne diamétrale (l’A arménien est ainsi fait à peu près comme une M renversée) pour nous apprendre que le commencement de toutes choses est une essence en trois personnes. »

Quant au sens mystérieux que les cabalistes se sont efforcés de trouver à une foule de lettres, de mots de la Bible, ce que nous connaissons de plus lucide à cet égard, c’est l’Exercitatio de cabbala que Theod. Hackspannius a placé à la suite de ses Miscellaneorum sacrorum libri duo, (Altdorphii, 1660, 8o, p. 282 et 519). Pour donner une idée de ces combinaisons puériles, nous ferons remarquer que le serpent d’airain est regardé comme l’emblème du Messie, parce que les lettres des mots narrasch (serpent), et machiach (messie), prises dans leur valeur numérique, donnent le même chiffre, 358. On a remarqué que le mot berith (alliance, pacte) employé dans Jérémie (ch. 33, v. 25) donne la somme de 612, tout comme en hébreu le nom de Jésus et de Marie. On forme des mots avec les lettres majuscules d’une phrase entière, on en forme avec les premières lettres de chaque mot, l’anagramme multiplie ces combinaisons à l’infini, mais cette cabale qui cherche un sens mystique tout autre que le sens littéral, qui se perd dans ces permutations, ces combinaisons et ces calculs sur la valeur numérique des lettres de l’alphabet, est rejetée par les plus éclairés des docteurs hébreux ; ceux-ci entendent par cabale une théosophie mystique, une philosophie spéculative : deux systèmes règnent dans cette cabale ; l’un a pris son origine lors de la captivité de Babylone ; les dogmes de Moïse s’y sont mêlés avec les croyances des Chaldéens et des Perses ; on y trouve la métempsycose, les génies des deux sexes, tenant le milieu entre l’ange et l’homme, etc. ; le second système, plus métaphysique, transaction entre le monothéisme de Moïse et le panthéisme des philosophes grecs, a pris naissance dans l’école d’Alexandrie ; c’est une branche des doctrines gnostiques. On peut consulter d’ailleurs un article curieux de M. Munck, dans le Dictionnaire de la Conversation, et le travail important que M. Frank a publié en 1863. Il avait déjà été inséré en partie dans les Mémoires de l’Institut (Académie des Sciences mor. et polit. – Savants étrangers, t. I, p. 195-348). Nous indiquerons aussi à des lecteurs intrépides : Reuchlin, De Arte cabalistica, Haguenae, 1517, fo ; Gaffarel, Abdita divinae cabalae mysteria, Paris, 1623, 4o : le recueil de Pistorius, Artis cabalisticae scriptores, Bâle, 1587, fo ; les quatre in-quarto qu’a compilés Knorr de Rosenroth, Cabala denudata, 1677-1684 ; de la Nauze, Mémoires sur l’antiquité et sur l’origine de la cabale (Mém. de l’Acad. des inscript., t. IX, p. 37). L’érudition allemande nous offre les écrits de Kleuker (Sur l’origine et la nature de la doctrine de l’émanation chez les cabalistes, Riga, 1786, 8o), de L. Beer (Histoire et doctrines de toutes les sectes du judaïsme et de la cabale, Brünn, 1822, 2 vol. 8o), de A. Tholuck (De Ortu cabalae, Hamburghi, 1836-37, 2 part.,  4o), de Freystadt (Philosophia cabalistica et Pantheismus, Regiomont, 1832, 8o). Voyez aussi Schramm : Introductio in dialect. Cabalaeorum. Helmst., 1732, 8o. On trouve des exemples de cette importance attachée aux lettres à des époques plus récentes que notre ère. – Le musée britannique possède un manuscrit copte, encore inédit ; c’est l’œuvre d’un prêtre nommé Alasius. Cet écrivain donnant un sens mystique à la forme et à l’arrangement des lettres de l’alphabet grec, s’en sert comme d’une base où il appuie ses théories sur Dieu, l’âme humaine, l’origine du bien et du mal. Ajoutons enfin que le Sepher Iecirah (ou Livre de la Création), l’une des productions les plus anciennes et les plus remarquables de la Kabale (voir le Dictionnaire des Sciences Philosophiques, tome III, p. 383, veut montrer dans les éléments de la parole, dans les matériaux indispensables du discours représentés par les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu, les mêmes rapports, les mêmes harmonies, les mêmes contrastes qui marquent le plan de la création. Ces vingt-deux lettres, combinées avec les dix premiers nombres, forment les trente-deux voix merveilleuses de la sagesse par lesquelles Dieu a formé le monde. Regardant la création comme un acte d’amour, une bénédiction, les Kabbalistes nous disent, comme un fait très-significatif, que la lettre par laquelle Moïse a commencé le récit de la Genèse entre la première aussi dans le mot qui en hébreu signifie bénir.

56  Cette dixième muse, nom que lui décerna l’admiration de ses contemporains, ne fut pas seulement une merveille pour la Saxe ; elle est une gloire pour l’Europe entière ; dans la nuit poétique du moyen-âge, on trouverait difficilement une étoile poétique plus éclatante. On nous saura gré d’indiquer à son égard les travaux si remarquables d’un critique aussi judicieux qu’instruit, M. Ch. Magnin ; voyez la Revue des Deux-Mondes, 1839, tom. IV, la Biographie universelle, t. LXVII, (où Hroswitha obtient les honneurs d’un article de 37 colonnes et demi), et l’édition spéciale du Théâtre de cette religieuse, Paris, 1843, 8o. Consultez aussi le Cours de littérature du moyen-âge, de M. Villemain, tom. II, p. 258-264, l’Histoire des langues romanes, par M. Bruce-Whyte, 1840, t. I, p. 305-407, un article de M. Philarète Chasles dans la Revue des Deux-Mondes, 15 août 1845 ; un autre de M. Cyprien Robert dans l’Université Catholique, tom. VI, p. 419. Au sujet du travail de M. Magnin, consultez le Journal des Savants, octobre 1846 (article de M. Patin), et la Revue de Philologie, t. I, p. 466.

57  La première édition paraît avoir été imprimée à Cologne vers 1470 ; c’est un in-folio de 373 feuillets ; Haïn, dans son Repertorium bibliographicum, 1831, no 10288-10296, mentionne huit autres éditions latines antérieures à 1500. Ce livre fut traduit dans toutes les langues de l’Europe, sans oublier le catalan ; l’on en connaît cinq ou six éditions françaises. Il en fut imprimé à Lisbonne en 1495 une version portugaise en quatre vol. in-fol. ; l’auteur florissait vers 1330.

58  Quelques mystiques avaient cru pouvoir donner à sainte Anne le titre de vierge, ainsi que le remarque J. B. Thiers, ce fécond et caustique écrivain, dans son Traité des superstitions (tom. II, p. 302.) Cette idée a trouvé fort peu de partisans. Les Bollandistes ont recueilli avec soin tout ce qui concerne sainte Anne. (Voir les Acta Sanctorum, tom. VI de juillet, p. 233-297.) Quant à la manière dont on peut et doit représenter cette sainte, consulter Molanus, Histor. imaginum sacrarum.

59  On chercherait en vain cette phrase dans les Écritures, mais l’on y trouve, surtout dans les livres de Moïse (Exode, XXIII, 26 ; Deuter., VII, 14), le grand nombre des enfants mentionné comme un effet de la bénédiction céleste.

60  On sait que chez diverses nations des peines étaient infligées aux célibataires. Voir ce qu’ont réuni à ce sujet les Bénédictins dans les notes de leur édition de saint Ambroise, tom. I, p. 1319.

61  L’apparition de l’ange à Joachim pour lui annoncer la naissance de Marie, est également relatée dans saint Épiphane (Haeres., LXXXIX, n. 5).

62  Il paraît que cette porte était à l’orient de la ville et l’on conjecture qu’elle était en bronze de Corinthe. Des exemples de portes désignées sous le nom de portes d’or ou dorées seraient faciles à accumuler. Suivant le rabbin Petachia, qui parcourut l’Europe et l’Asie au douzième siècle, les portes de Babylone, hautes de cent coudées et larges de dix, étaient forgées d’un airain pur dont la splendide réverbération faisait briller cette cité comme une ville d’or. Il fallut les bronzer. Les chevaux, croyant voir marcher devant eux d’innombrables escadrons, reculaient épouvantés.

63  Le Talmud rapporte que les anges portent à Dieu les prières et les bonnes œuvres des hommes, mais que les démons les attaquent en chemin et font leurs efforts pour que ces prières et ces actions méritoires n’arrivent point jusqu’au Seigneur.

64  Le prophète Ézéchiel a fait mention de ces quinze degrés (ch. XL, 6 et 34). Josèphe en parle aussi dans son Histoire de la guerre judaïque (V. 5). Selon le rabbin Judas Léon, ils avaient une demi-coudée de hauteur et de largeur. On trouvera d’ailleurs dans un volumineux commentaire sur le prophète que nous venons de nommer (H. Pradi et J. B. Villalpandi Explanationes in Ezechielem, Romae, 1596-1604, 3 vol. in-fol.) de longs détails sur le nombre de ces degrés, leur hauteur, etc. Les psaumes graduels étaient ainsi appelés parce qu’ils étaient, on le croit du moins, solennellement chantés sur chaque degré, l’un après l’autre ; ce sont les psaumes 124-435. Nous connaissons à cet égard deux dissertations spéciales, celle de Tîlling : De ratione inscriptionis XV Psalmorum qui dicuntur cantica adrensionum, Bremae, 1765, 4e, et celle de F. A. Clarisse : Specimen exegeticum de psalmis quindecim Hammaaloth, Lugd. Bat. 1819. Voici à ce propos un petit conte extrait du Talmud. Lorsque David fit creuser les fondements du Temple, l’on trouva bientôt l’abîme des eaux qui occupent l’intérieur de la terre ; on craignit que le monde ne fût inondé ; Achitophel écrivit le nom ineffable du Très-Haut sur une plaque d’airain, et dès qu’elle eut été posée sur l’eau, l’abîme s’enfonça tout d’un coup à une profondeur de seize mille coudées. Toutefois, comme la terre était alors menacée d’une stérilité complète, David fit chanter les quinze psaumes graduels, et à chaque psaume, l’abîme montait de mille coudées, et c’est aussi de mille coudées qu’il est resté éloigné de la surface de notre planète. – Tout étrange qu’elle puisse paraître, cette historiette est peu de chose à côté d’une foule d’autres que renferment les écrits des rabbins. Il n’est point de livres qui trouvent maintenant moins de lecteurs que les ouvrages de ces vieux docteurs israélites ; il faudrait pour les ouvrir la connaissance d’une langue que bien peu d’érudits sont en état de comprendre, et une patience à toute épreuve, car les sujets que discutent très-prolixement les doctes maîtres de la synagogue n’ont plus aujourd’hui le moindre intérêt. Quelques laborieux investigateurs ont pris la peine de fouiller dans ces mines presqu’inexplorées ; mais personne ne s’en est occupé avec autant de zèle et de persévérance que le dominicain Bartolocci. Sa Bibliotheca rabbinica (Rome, 1675-1693), ne forme pas moins de quatre volumes in-folio, auxquels vient s’adjoindre le volume publié en 1694 par Jos. Imbonati : Bibliotheca latina hebraica, sive de scriptoribus latinis qui contra Judaeos scripsere. Nous avons parcouru ce vaste répertoire ; nous y avons trouvé une foule de contes dignes des Mille et une Nuits, et parfois d’une extrême indécence. Bien plus que le latin, l’hébreu, dans les mots, brave toute honnêteté. Voici du moins deux faits pris à l’ouverture du livre et qu’il est permis de transcrire.

En hora Salomon duxit in uxorem filiam Pharaonis, descendit Gabriel et infixit calamum in mare et ascendit limus et super eam aedificata est marna Arx munita quae Roma est. – Initio creatus est (Adam tantae molis) ut e terra ad caelum neque pertingeret At quando Angeli ministerii illum viderunt, commoti sunt timueruntque ; quid fecerunt ? ascenderunt omnes coram Deo in superiore (habitaculo) et dixerunt : Domine mundi, duae potestates sunt in mondo. Tunc Deus posuit manum suam super caput Adae, illumque ad mille cubitos redegit.

Veut-on quelques autres échantillons de ce qu’affirment les écrivains qu’a analysés Bartolocci : Il y a 60,000 villes dans les montagnes de la Judée, et chacune contient 60,000 habitants. – Il existe un oiseau dont la taille est telle que lorsqu’il vole, ses ailes interceptent la lumière du soleil. – Lorsque le Messie sera venu, Jérusalem acquerra un développement immense ; il y aura 10,000 palais et 10,000 tours. Rabbi Siméon ben Jachia affirme que les boutiques des seuls marchands de parfums seront au nombre de 100,000. Alors chaque grain de raisin donnera trente tonneaux de vin. – Adam avait deux visages et une queue. – D’une épaule à l’autre de Salomon, la distance n’était pas moindre de soixante coudées. – D’un seul coup de hache, David tua huit cents hommes.

65  Plusieurs écrivains, M. Peignot entre autres (Recherches historiques sur la personne et les portraits de Jésus-Christ et de Marie, Paris et Dijon, 1829, 8o), ont recueilli les témoignages épars, et contrôlé les opinions au sujet de la figure, du teint, de la taille de Marie ; selon l’Historia Christi du père Xavier, dont nous parlons ailleurs, elle était fort bien faite et brune ; les yeux grands et tirant sur le bleu, les cheveux blonds. Maria fuit mediocris staturae, triticei coloris, extensa facie ; oculi ejus magni et vergentes ad caeruleum, capillus ejus aureus. Manus et digiti ejus longi, pulchra forma, in omnibus proportionata (p. 30). Voir aussi l’historien Nicéphore, l. II, ch. 23. Il existe un Traité de N. Sacius, imprimé dans ses Opuscula (Aniverpiae, 1620), De pulchritudine B. Mariae virginis disseptatio quodlibetica.

66  L’usage était qu’il s’écoulât un certain temps entre la cérémonie des fiançailles et la célébration des noces. Tout ce qui regarde pareil sujet a été discuté fort savamment et fort longuement dans l’ouvrage du docte Selden, homme d’État du temps de Charles Ier : Uxor hebraea, livre dont nous connaissons trois éditions, Londres, 1646, Francfort, 1673 et 1695. Les œuvres complètes de cet érudit ont été recueillies par les soins de David Wilkins, Londres, 1726, 3 vol. in-folio.

67  Les mots entre parenthèses ont été ajoutés par l’écrivain qui, sous le nom supposé de saint Jérôme, a rédigé la traduction latine.

68  C’est l’apôtre saint Jacques le Mineur, auquel l’on a également attribué le Protévangile. Il fut évêque de Jérusalem ; les Juifs le mirent à mort l’an 61 de notre ère. Voyez Tillemont, t. I, p. 45 ; Ceillier, t. I, p. 422, etc.

69  Ce n’est qu’ici que le père de sainte Anne est nommé Achar. D’après un passage d’un écrivain nommé Hippolyte et que l’on croit Hippolyte de Thèbes, écrivain du dixième siècle, passage que rapporte Nicéphore dans son Histoire ecclésiastique (l. II, c. 3), les parents d’Anne se nommaient Mathan et Marie. Quelques autres auteurs grecs confirment cette assertion ; elle n’en a pas moins été révoquée en doute par de savants critiques. Les Musulmans disent qu’Anne était fille de Nahor. La vie de cette sainte se trouve dans l’immense recueil des Bollandistes, tom. VI de juillet. Le moyen-âge broda sur ce fond si simple une foule d’incidents merveilleux. Une légende d’une Bible du treizième siècle qu’a citée M. Leroux de Lincy (Livre des Légendes, p. 27) raconte que sainte Anne, étant enfant, recevait sa nourriture d’un cerf. L’empereur Fanouel, étant à la chasse, aperçut cet animal et se lança à sa poursuite. Le cerf alla se réfugier à côté de la jeune fille, et Fanouel la reconnut pour son enfant. – On a prétendu que le corps de sainte Anne fut apporté de la Palestine à Jérusalem en 710. – Le nom d’Anne, en hébreu Channah, signifie gracieuse. Saint Épiphane est le premier écrivain dans lequel ce nom se rencontre.

70  Christophe de Vega, dans sa Théologie de Marie, établit de singulières coïncidences entre le début de la Genèse et l’histoire de ces deux époux ; on nous permettra de citer le commencement de ce passage : « In principio creavit Deus coelum et terram (id est : Joachim et Annam, Mariae parentes) Terra autem erat inanis et vacua (Anna sterilis et infoecunda) et tenebrae (adflictio et confusio) erant super faciera abyssi (saper faciem Annae) et spiritus Domini ferebatur super aquas (super aquas lachrymarum Annae ad consolandum eam). Dixit vero Deus : fiat lux (h. e. Maria, virgo benedicta), etc. »

71  En 1677, le pape Innocent XI condamna l’opinion d’un docteur napolitain, nommé Imperiali, lequel maintenait que sainte Anne était restée vierge, après avoir enfanté Marie. Voyez Tillemont, Hist. ecclés., t. I, p. 169, édit. de Bruxelles, et le Dictionnaire de Bayle, aux mots Borri et Joachim. Selon le jésuite J. Xavier, auteur d’une Historia Christi en persan qu’un théologien calviniste, Louis de Dieu, prit la peine de traduire et qui, imprimée chez les Elzévirs en 1639, forme un in-4o de 636 pages, ce fut le 11 du mois de Siaheriarna, c’est-à-dire un vendredi, 11 septembre, que sainte Anne accoucha de Marie.

72  Les circonstances de la présentation de Marie au temple, lorsqu’elle eut trois ans, et de l’éducation qu’elle y reçut, se retrouvent dans une foule d’auteurs grecs, tels que George de Nicomédie, André de Crète, l’empereur Léon, Gedrène, Nicéphore et maint autre historien ou prédicateur. Le jésuite Théophile Raynaud, écrivain satirique et singulier, mais dont les œuvres trop complètes, en vingt volumes in-folio, trouvent aujourd’hui bien peu de lecteurs, a traité en détail tout ce qui se rapporte à la présentation de la Vierge, à ses épousailles et à son enfantement dans ses Dypticha Mariana. (Voir le tom. VII de ses œuvres. Lyon, 1657.)

73  Cedrène, George de Nicomédie, l’auteur du Christus patiens, attribué à tort à saint Grégoire de Nazianze, et divers écrivains grecs, rapportent aussi que Marie recevait ses aliments de la main des Anges.

74  La colombe était chez les Hébreux un symbole de virginité et de pureté ; dans l’un des traités de la Mischna, de ce vaste recueil de traditions juives, cet oiseau est dépeint comme protégeant Israël (Patrona Israëlis) ; il jouait un rôle dans le culte des Samaritains. (Voyez J.-C. Friederich, De Columba dea Samaritanorum (Lipsiae, 1821, 8o) ; Aldovrande, dans le livre XV de son Ornithologia (Bononiae, 1637, t. II, p. 353), a épuisé toutes les fables et tous les détails relatifs à la colombe.

75  Il est peu de traditions plus anciennes et plus répandues que celle qui attribue un âge avancé à Joseph lorsque Marie lui fut remise. Accipit Mariam viduus, aetatem agens circa 80 annorum et amplius, dit saint Épiphane, et il ajoute que Joseph avait quatre-vingt-quatre ans lorsqu’il revint de l’Égypte, et qu’il mourut huit ans plus tard. Il était parvenu à cent onze ans lors de son décès, suivant son historien arabe.

76  Origène est le premier écrivain ecclésiastique qui ait parlé des enfants que saint Joseph avait eus d’une première femme. Saint Épiphane lui en donne six : quatre garçons (Jacques, Joseph, Simon, Jude) et deux filles (Salomé et Marie). Hippolyte de Thèbes conserve aux quatre fils ces mêmes noms, mais il appelle les filles Esther et Thamar. Sophronius en nomme trois, et l’une d’elles s’appelle Salomé, tout comme sa mère ; d’autres écrivains désignent sous le nom d’Escha la femme de saint Joseph. Helvidius donnait à Joseph quatre fils et des filles innombrables, c’est-à-dire dont il était impossible de préciser le nombre, les livres saints étant muets à cet égard. On consultera une note de l’édition de Thilo, p. 362-365, pour d’autres détails que leur longueur exclut de notre travail.

77  On montrait à Pérouse l’anneau des épousailles de Joseph et de Marie. C’était une de ces trop nombreuses reliques qu’avait multipliées une piété crédule.

78  Cette circonstance que Marie se trouvait auprès d’une fontaine, lorsque l’Ange lui apparut, se rencontre aussi chez plusieurs écrivains de l’Église grecque.

79  Combefis, dans ses notes sur George de Nicomédie (Auctuar. nov., t. I, col. 1224 et seq.), discute la solidité de la tradition qui soumet Joseph et Marie à l’épreuve des eaux amères, épreuve dont nous dirons quelques mots plus loin.

80  Ces récits relatifs aux sages-femmes qui assistèrent Marie se retrouvent dans un sermon de saint Zénon, évêque de Vérone, mort en 880 ; un moine grec du douzième siècle, Épiphane, les reproduit dans son livre De la Vie de Marie, dont Mingarelli a donné le texte grec, jusqu’alors inédit, dans les Anecdota litteraria d’Amadacci, t. III, p. 29. Saint Jérôme et divers écrivains du moyen-âge traitent tous ces détails de fables ; leur antiquité se démontre toutefois par des passages de Clément d’Alexandrie (Stromates, lib. VIII) et de Suidas. Il existe une dissertation de G. H. Goez, imprimée à Lubeck, en 1707 : Num Maria, Filium Dei pariens, obstetricis ope fuerit usa ? Le décret du pape Gelase mentionne, parmi les divers ouvrages qu’il frappe de réprobation, un Livre de sainte Marie et de la Sage-Femme.

81  On retrouve dans une foule d’écrits la trace de la croyance que Marie enfanta dans une caverne. Saint Justin et Origène en ont parlé ; Eusèbe, Théodoret, saint Épiphane, saint Jérôme et bien d’autres auteurs ecclésiastiques en ont fait mention. Socrate et Sozomène racontent dans leurs Histoires ecclésiastiques que la mère de Constantin, Hélène, fit ériger un temple auprès de cette caverne. Au moyen-âge et à des époques plus rapprochées de nous, cette même caverne et l’église qui la touche ont été visitées par un grand nombre de voyageurs. Adamannus, qui vivait à la fin du septième siècle, en parle dans son livre sur la Terre-Sainte ; Bède, Brocard (qui parcourut la Palestine en 1232), Radzivil (en 1583), Roger, d’Arvieux, Thévenot et une foule d’écrivains plus modernes les ont décrites.

82  La présence du bœuf et de l’âne a été regardée comme un fait par divers écrivains de l’antiquité, entre autres par saint Jérôme ; Baronius a essayé de l’établir sur des arguments que Casaubon s’est efforcé de détruire. Dès longtemps les artistes se sont conformés à la tradition vulgaire (voir le savant ouvrage de S. R. Münter : Die Sinnbilder und Kunstvorsteltungen der alten Christen ; Part. II, p. 77), tradition qui se rattache à un passage du prophète Isaïe (ch. I, v. 3) : « Le bœuf connaît son acquéreur et l’âne la crèche de son maître. » Les sarcophages chrétiens des catacombes offrent divers exemples de pareilles représentations (voir Arringhi, Roma subterranea, t. I, p. 185, 347, 349). On peut consulter encore Molanus (Historia imaginum sacrarum, Liège, 1771, 4o, p. 396), Trombelli (de Cultu Sanctorum, t. II, pars II, c. 37), Prudence (édition d’Arevalo, p. 211). Parmi de nombreux ouvrages italiens d’une mysticité peu éclairée, nous en indiquerons un du Père L. Novarini : Paradiso di Betelemme, civè la vita di Gesu nel presepio (Verona, 1642, in-12).

83  Eutychius, patriarche d’Alexandrie, mort en 740, et dont il reste, sous le titre de Rang de Pierres précieuses, une Histoire universelle, célèbre en Orient, Eutychius, disons-nous, compte Siméon parmi les Septante interprètes, il le confond avec Simon le Juste dont parle Joseph (Antiq. jud., l. XII, c. 2), et il dit qu’il vécut trois cent cinquante ans. On représente toujours Siméon revêtu d’habits sacerdotaux ; il est toutefois fort douteux qu’il ait été prêtre ; Léon Allatius, dans sa Diatriba de Simeontibus, a traité cette question avec une étendue que son importance ne réclamait pas.

84  Cette expression vive et énergique se rencontre souvent chez les écrivains orientaux ; c’est ainsi que nous lisons dans un passage de l’historien persan Ferischta, traduit par M. J. Mohl (Journal des Savants, 1840, p. 394) : « Le sultan Alaëddin Schah Bahmanni choisit la table des morts de préférence à son trône. »

85  Les détails si peu circonstanciés que donnent les Évangélistes au sujet des Mages ne pouvaient suffire à l’imagination du vulgaire ; la tradition rapporta sur leur compte diverses particularités ; elle en fixa le nombre à trois pour personnifier en eux les habitants des trois parties de l’ancien monde ; elle interpréta leurs offrandes dans un sens figuré ; des écrivains du quatrième et du cinquième siècle leur donnent le titre pompeux de rois, et Tertullien le leur avait déjà octroyé. Toutefois, cette croyance ne s’accrédita pas fort vite, car les anciens sarcophages persistent à les représenter coiffés du bonnet phrygien et ne leur posent point de couronnes sur la tête. On prétendit ensuite que l’un d’eux était jeune, le second venu à l’âge viril et que le troisième était d’une vieillesse avancée. Pierre de Natalibus, écrivain du moyen-âge, va jusqu’à préciser l’âge de chacun d’eux ; vingt, quarante et soixante ans. Raphaël, obéissant à la tradition, a peint au Vatican l’un de ces souverains sous les traits d’un nègre. Il serait difficile d’indiquer à quelle époque on leur assigna les noms de Gaspard, de Balthazar et Melchior, mais ces dénominations se trouvent déjà sur une peinture du onzième siècle publiée dans le vaste recueil de Seroux d’Agincourt (Histoire de l’Art par les Monuments, 1811-23, 6 vol. gr. in-fol.). On leur a donné pour royaumes Tarse, la Nubie et Saba ; selon des légendaires sans autorité, ils subirent le martyre dans l’Inde, après avoir reçu le baptême des mains de saint Thomas. Cologne se vante de posséder leurs reliques. G. H. Goez a écrit une dissertation spéciale : De Reliquiis Magorum ad Christum conversorum (Lubeck, 1714). D’après une autre tradition beaucoup moins répandue, les Mages avaient été au nombre de douze.

86  Les légendes des saints rapportent un grand nombre d’exemples d’animaux obéissant à la voix de pieux personnages ; la vie de saint François offre en ce genre les traits les plus singuliers. Auguste, au rapport de Suétone, ordonna un jour de se taire à des grenouilles qui l’incommodaient de leur bruit, et depuis, elles ont gardé un silence complet.

87  Martin le Polonais, dans sa Chronique, l. III, p. 104 (je me sers de l’édition d’Anvers, 1574), rapporte toutes ces circonstances fabuleuses de la fuite en Égypte ; il dit que les dragons qui sortirent de la caverne étaient au nombre de deux ; il raconte qu’un lion, perdant toute sa férocité, accompagna les fugitifs jusqu’au sein des cités égyptiennes ; il n’oublie pas le miracle de l’arbre incliné. Sozomène le narre aussi en ces termes au Ve livre de son Histoire ecclésiastique : « De arbore quadam Perside dicta et apud Hermopolim Thebaidae constituta, ferunt quod multorum morbos pellet si vel fructus illius, vel folium, vel modica corticis portio aegrotis applicetur. Etenim de Ægyptiis dicitur quod Joseph, cum Herodem fugeret, sumptis ad se Christo et Maria sancta deipara, Hermopolim venerit et mox atque ingrederetur juxta portam, haec arbor Christi adventu attonita, cum maxima esset ad tellurem usque sese demiserit et adoraverit. » Selon une légende qui avait cours en Espagne, le démon s’était emparé de l’arbre pour recevoir les adorations des peuples ; Jésus-Christ s’en étant approché, l’esprit impur fut chassé et précipité dans l’abîme ; l’arbre s’inclina alors pour rendre grâces au Seigneur. Rapportons ici une légende septentrionale que nous trouvons dans les Lettres si pleines d’intérêt de M. X. Marmier sur l’Islande : « Un jour le Christ, environné des nuages de sa gloire, passait par les forêts sacrées des anciens Germains ; tous les arbres s’inclinaient devant lui pour rendre hommage à sa Divinité. Le peuplier seul, dans son superbe orgueil, resta debout, et le Christ lui dit : « Puisque tu n’as pas voulu te courber devant moi, tu te courberas à tout jamais au vent du matin et à la brise du soir ! »

88  Dans la Vie de Iesuchrist avec sa mort et passion (4o, gothique), ouvrage que nous aurons l’occasion de citer plus loin, on retrouve un récit tout semblable, et nous le transcrirons dans son vieux style naïf qui prête du charme à ces légendes : « Et quant ils eurent fort cheminé, la Vierge Marie fut lasse et auoit grand chault pour le soleil et, en passant par ung grand désert, nostre dame veit un arbre de palme beau et grand dessoubz lequel se voulut reposer en l’ombre et, quant ils y furent, Joseph la descendit de dessus l’asne ; quant elle fut descendue, elle regarda en haut et veit l’arbre tout plein de pommes et dist : Ioseph, ie vouldroye bien avoir du fruict de cet arbre car ien mangeroye volontiers, et Ioseph lui dist : Marie, ie mesmerveille comment vous auez désir de manger de ce fruict. Adonc Iesuchrist que se sevit au giron de sa mère, dist à l’arbre de palme qu’il s’inclinast et qu’il laissast manger à sa mère de son fruict à son plaisir. Et tout incontinent que Iesu-christ eust ce dist, le palme s’inclina vers la Vierge Marie, et elle prit des pommes ce qu’il lui pleut et demoura cette palme encore inclinée vers elle et quant Iesuchrist veit qu’il ne se dressoit pas, il dist : dresse toi, palme, et l’arbre se dressa. »

89  La chute des idoles de l’Égypte n’est point une circonstance que l’on rencontre seulement dans les Évangiles apocryphes ; elle est consignée dans divers auteurs anciens, tels que Sozomène, Eusèbe, saint Athanase ; Tillemont et le père Barral, dans son Historia Evangelica, ont réuni force citations à ce sujet.

90  Indépendamment des savants et nombreux articles que M. Maury a donnés à la Revue Archéologique, à l’Encyclopédie Nouvelle publiée par MM. Didot, nous possédons de lui deux ouvrages qui attestent des recherches laborieuses et une érudition solide : Essai sur les légendes pieuses du moyen-âge, 1845, in-8o ; les Fées du moyen-âge, 1843, in-12.

91  Les manuscrits grecs de la bibliothèque du Roi, qui renferment le texte de l’Évangile de Nicodème, portent les numéros 770, 929, 1021 et 808. Thilo les décrit en détail, p. CXX-CXXVII de son Introduction, et il s’étend amplement sur quatre autres manuscrits auxquels il a eu recours (deux de Munich, un de Venise, un du Vatican), ainsi que sur divers manuscrits latins.

92  Les anciennes éditions de la traduction anglaise de l’Évangile de Nicodème sont des livres excessivement rares, et que les bibliophiles britanniques couvrent de guinées ; à la vente de lord Blandford, en 1811, un exemplaire de l’édition de 1511 s’éleva à 22 livres sterling 11 shellings (570 fr.).

93  Dans plusieurs manuscrits, ce préambule présente diverses variantes que Thilo a eu soin de relever (p. 500) ; il se trouve aussi quelques différences dans certains de ces noms propres ; ainsi, au lieu de Summas que donnent les manuscrits latins, des codices grecs portent Siméon, et d’autres Noïmes (abréviation sans doute de Noïménios, nom qui se retrouve au 1er livre des Macchabées, chap. XII, v. 16).

94  L’accusation de magie devait avoir de la gravité aux yeux de Pilate, chargé des pouvoirs de l’empereur. Tibère sévissait contre les enchanteurs, ainsi que l’attestent Suétone (Vie de Tibère, ch. 36), Tacite (Annales, l. II, ch. 32) et Dion Cassius (l. LVII, ch. 15).

95  L’usage d’étendre par terre des vêtements et des manteaux au-devant d’un personnage qu’on voulait honorer se retrouve chez diverses nations. J. Nicolaï en a fait le sujet d’une dissertation spéciale : De substratione vestium (Giessen, 1701) ; voir aussi M. de Ros, Singularia Scripturae, l. II, ch. 7, et les notes des commentateurs sur le verset 8 du ch. XXI de saint Matthieu.

96  Cet hommage rendu par les drapeaux rappelle la légende que nous avons déjà signalée et d’après laquelle des arbres, s’inclinant d’eux-mêmes, avaient salué l’enfant Jésus lors de la fuite en Égypte.

97  Quelques anciens auteurs ont donné à l’épouse de Pilate le nom de Procla ou de Claudia Procula ; ils ont pensé qu’elle avait eu foi en Jésus-Christ. Les Abyssiniens l’appellent Abrocla, ainsi que le remarque Ludolphe (Lexic. Æthiop., p. 541). L’Église grecque l’a mise au rang des saintes et célèbre sa fête le 27 octobre. Voir à cet égard la longue note de Thilo, p. 522. Selon une tradition répandue parmi les Coptes, Pilate s’était converti et avait souffert le martyre. S’il faut s’en rapporter à d’autres légendes, dépossédé de son gouvernement et relégué dans la Gaule, il se serait tué de désespoir à Vienne, en Dauphiné. On trouve en plusieurs endroits de l’Europe des montagnes qui portent le nom de Pilate, et que les habitants du pays rattachent à son histoire (voir Salverte, Essai sur les noms propres, t. II, p. 291). Nous pourrions citer de nombreux écrits relatifs à ces légendes ; nous nous en tiendrons à indiquer les poésies latines et allemandes contenues dans l’Anzeiger de Mone, 1835, col. 421-426.

98  Le songe de la femme de Pilate a été l’objet d’interprétations diverses de la part des Pères et des anciens écrivains ecclésiastiques. Thilo a rassemblé, à cet égard, nombre de passages d’Origène, de saint Ambroise, de saint Hilaire, etc.

99  De ces trente-neuf coups, treize devaient être donnés sur l’épaule droite, treize sur l’épaule gauche, treize au-dessus des épaules. S. A. Othon a réuni dans son Lexicon Rabbinicum, p. 244, nombre de passages relatifs à cette flagellation. Elle fut conservée en vigueur jusqu’à des temps rapprochés de nous, car Uriel Acosta, penseur indépendant et hardi, la subit à Amsterdam, vers le milieu du XVIIe siècle.

100  Nicodème mourut peu de temps après la passion de Jésus-Christ. Gamaliel le fit inhumer à côté de saint Étienne. C’est peut-être ce qui a porté le patriarche de Constantinople Phocius à croire que Nicodème avait été victime de la même persécution. L’église l’honore seulement comme confesseur, le 3 août.

101  St Mathieu (chap. IX, 20) n’a point fait connaître le nom de cette femme. Selon un sermon attribué à tort à saint Ambroise (Serm. 47, in append. edit. Benedict. olim libellus de Salom. c. 5), c’était Marthe, la sœur de Lazare. Eusèbe dit que c’était une femme idolâtre et qu’elle érigea en mémoire du miracle une statue qu’il a vue de ses yeux. Selon Philostorge et Sozomène, l’empereur Julien fit renverser cette statue. Nous renvoyons d’ailleurs à une assez longue note de Thilo, p. 561, à Dom Calmet (Commentaire sur la Bible, 1726, tom. VII, p. 83), et à Fabricius, t. II, p. 445-455 ; ce dernier rapporte, en grec et latin, une prétendue lettre de l’hémorroïsse au roi Hérode, d’après la Chronographie de Jean Malala (Oxford, 1691, p. 305). M. Maury pense que c’est dans l’évangile de Nicodème que Malala a pris le nom de Βερονιχη, Veronica, qui depuis a généralement été donné par les légendaires à l’hémorroïsse.

102  Chez les Juifs, avant qu’un accusé fût livré au supplice, un héraut demandait à haute voix s’il n’y avait pas de témoins qui vinssent déposer en faveur de son innocence. Voir le traité Sanhedrin, dans la Mischna, édition de Surenhusius, tom. IV, p. 233.

103  Cette coutume de délivrer des prisonniers à l’occasion de quelques grandes fêtes existait chez les Romains et chez les Athéniens. Elle fut en vigueur lors des solennités de Pâques, à la cour des premiers empereurs chrétiens. Remarquons en passant qu’il n’y a pas longtemps un jurisconsulte célèbre, M. Dupin aîné, a discuté la légalité et la régularité de la procédure instruite contre le Sauveur (Jésus devant Caïphe et Pitate, Paris, 1828, in-18) ; il a combattu des assertions émises par M. Salvator, et que celui-ci a cherché à soutenir dans une seconde édition (1838) de son ouvrage (Jésus-Christ et sa doctrine, tom. II, note E, p. 520). Indiquons aussi aux bibliophiles le Trésor admirable de la sentence de Pilate contre Jésus-Christ, trouvée miraculeusement, écrite sur parchemin, dans la ville d’Aquila, traduit de l’italien, Paris, 1581, in-8o, opuscule de 24 feuillets, dont il y a une autre édition, Paris, 1621 (de 16 pages), et dont il a été fait, en 1839, à la librairie de Techener, une réimpression fac-simile. Selon l’inventeur de cette pièce, indigne que la critique s’en occupe un instant, on la découvrit dans un vase de marbre, enclos de deux autres vases, l’un de fer et l’autre de pierre.

104  On trouve dans la Chronique de Martin le Polonais, (l. III, p. 113), divers récits fabuleux relatifs à ce Longin. On a prétendu qu’il avait été enseveli dans l’île Barbe, au confluent de la Saône et du Rhône. Des actes nullement authentiques ont été inscrits sous son nom dans le recueil des Bollandistes, au 15 mars. Voyez d’ailleurs Th. Bartholinus, De Latere Christi aperto, cap. VI, et Thilo, p. 586.

105  Les Grecs célébraient la fête du bon larron, le 10 des calendes d’avril, les Latins le 8. Consultez la collection des Bollandistes, au 25 mars. La croix sur laquelle il mourut fut longtemps conservée, dit-on, dans l’île de Chypre. César de Nostradamus, fils du célèbre prophète, a composé un petit poème, intitulé Dymas, ou le Bon Larron, Tholose, 1606.

106  Ces récits relatifs à Joseph d’Arimathie ont passé dans les épopées chevaleresques ; c’est lui qui a été prêcher la foi dans la Grande-Bretagne. Les Grecs célèbrent sa fête le 31 juillet ; il figure au calendrier romain sous la date du 17 mars. Sa vie est tout au long dans le recueil des Bollandistes, t. II, de mars, p. 507 et suiv.

107  Thilo donne, p. 618-622, une note fort étendue au sujet du mont des Olives ; nous croyons qu’il suffira de l’indiquer.

108  Les écrivains rabbiniques abondent en récits d’apparitions fort apocryphes d’Élie. Voir l’ouvrage d’Eisenmenger, Judaïsmum detectum, t. I, p. 11 et suiv., t. II, p. 402-407, Francfort, 1700, 2 vol. in-4o.

109  Dans Grégoire de Tours, où se retrouve la même histoire, ce n’est pas Jésus mais un Ange qui vient délivrer Joseph.

110  Chez les Pères et chez les écrivains du moyen-âge, s’endormir se rencontre mainte et mainte fois comme synonyme de mourir.

111  Gassendi rapporte une ancienne formule de serment selon laquelle les Juifs juraient par le Dieu père, Adonaï, par le Dieu qui apparut à Moïse dans le buisson ardent, et par tonte la loi que Dieu a enseignée à Moïse, son serviteur. – Quant aux noms de Carinus, de Leucius, Beausobre et M. Maury les rapprochent de celui du faussaire Lencius ou Luclus qui vivait à la fin du premier siècle ou au commencement du second. Il est à croire que l’auteur de l’Évangile de Nicodème a pu prendre dans quelque œuvre apocryphe, à laquelle s’attachait le nom de ce faussaire, l’idée d’attribuer à deux personnages de ce nom, sa relation de la descente aux enfers.

112  Origène est, je crois, le premier écrivain ecclésiastique qui ait fait mention de l’allocution que saint Jean-Baptiste adresse, en sa qualité de précurseur du Sauveur, aux âmes détenues dans les prisons de l’enfer. (Voir le t. II, p. 495 de l’édition des Bénédictins, Paris, 1733-59, 4 vol. in-folio). Nous pourrions rapporter ici, ainsi que sur chacune des phrases de l’écrit que nous traduisons, une foule de passages extraits des Pères de l’Église et des écrivains ecclésiastiques, mais ces discussions théologiques ne seraient nullement à leur place. Nous renvoyons ceux qu’elles intéresseraient aux notes hérissées de grec de l’édition de Thilo et au livre de Dietelmayer : Historia dogmatica de descensu Christi ad inferos. Nous signalerons la dissertation de Semler : De vario et impari veterum studio in recolenda historia descensus ad inferos, ainsi qu’à celle d’Ittig : De Evangelio mortuis annuntiato. M. Alfred Maury, dans la dissertation que nous avons déjà citée, a discuté plusieurs de ces passages des Pères. Nous mentionnerons seulement les circonstances de l’apparition de saint Jean-Baptiste sous les traits d’un ermite ; plus tard nous reverrons le bon larron porter les traces de son crucifiement, preuve de l’opinion généralement répandue dans l’antiquité que l’âme, affranchie du corps, en conservait toutefois la forme et les signes distinctifs. N’omettons pas de dire que parmi les manuscrits du musée Britannique, il s’en trouve un en langue copte écrit au septième ou huitième siècle ; il paraît avoir quelque analogie avec l’Évangile de Nicodème, et des érudits le regardent comme une traduction d’un écrit de Valentin, le chef d’une des plus illustres écoles gnostiques de l’Égypte. L’auteur de cet ouvrage dont la forme est dramatique suppose que Jésus-Christ, après sa résurrection, passe douze années avec ses disciples, leur développant, dans une suite d’instructions, une révélation supérieure, et la science du monde des intelligences. – On sait que les bibliothèques de l’Angleterre possèdent des manuscrits coptes d’une haute importance, intitulés : la Fidèle Sagesse, les Mystères du monde invisible, etc. La publication de ces écrits éclairerait la philosophie des premiers siècles du christianisme, et jetterait de la clarté sur les doctrines du gnosticisme, doctrines encore imparfaitement connues, malgré les travaux d’érudits tels que Neander et M. Matter. On trouvera, à l’égard de ces compositions en copte, quelques renseignements malheureusement trop courts, dans une brochure de M. Dulaurier que nous avons déjà citée à propos de l’histoire de Joseph : Fragment des révélations apocryphes de saint Barthélémy (Paris, impr. royale, 1835). Voir aussi la lettre de ce judicieux érudit au ministre de l’instruction publique, du 24 octobre 1838 (Moniteur de la même année, p. 2408).

113  Parmi les diverses opinions relatives à la délivrance des patriarches, il faut citer, à cause de sa singularité, celle des Marcionites. Selon cette secte de gnostiques, Caïn et ceux qui lui ressemblaient, les habitants de Sodome, les Égyptiens et tous ceux enfin qui avaient marché dans les voies de l’iniquité, avaient seuls été sauvés par le Seigneur, lors de sa descente aux enfers, à l’exclusion d’Abel, d’Énoch, de Noé, des imitateurs d’Abraham et des prophètes.

114  Il a circulé nombre de légendes fabuleuses au sujet de ce patriarche ; on m’a attribué divers écrits. Georges Syncelle raconte, d’après la Petite Genèse (livre attribué à Esdras), que Seth fut instruit par les Anges de la venue du Sauveur et de la marche des choses futures, et qu’il en fit part à ses enfants. Des rabbins prétendent qu’Adam envoya Seth aux portes du Paradis demander à l’Ange une branche de l’arbre de vie ; et, de cette branche, enfoncée en terre, il naquit un bel arbre qui fournit successivement la verge d’Aaron, celle de Moïse, la bois que Moïse jeta dans les eaux pour les rendre douces, le support qui soutint le serpent d’airain. Le moyen-âge forgea là-dessus un récit merveilleux, d’après lequel le tronc de cet arbre, après avoir été employé à la construction du Temple de Solomon, donna le bois de la vraie croix, récit qui se trouve, entre autres ouvrages, dans l’Histoire de la pénitence d’Adam, traduit du latin en français par Colard Mansion, typographe de Bruges, au sujet duquel M. Van Praët a publié des Recherches intéressantes. D’autres écrivains, modifiant quelques circonstances de ce récit, racontèrent que l’arbre ne put s’adapter à aucune portion du Temple, et qu’on le plaça sur un fleuve où il servait de pont ; la reine de Saba ne voulut point mettre le pied dessus, parce qu’elle savait que le rédempteur du monde devait souffrir sur ce bois. Les Juifs le jetèrent dans un égout, lequel devint la piscine miraculeuse dont il est question dans l’Évangile (saint Jean, chap. 5). Voir un passage d’Adelphus, cité dans le Thesaurus hymnologicus de Daniel, t II. p. 80, et dans les Poésies populaires latines du moyen-âge, de M. Edelestand du Méril, p. 320.

115  Indiquons ici un passage des Recognitions de saint Clément (l. I, c. 45), ouvrage du premier siècle, où il est donné une explication mystique de cette onction de l’huile, provenant de l’arbre de vie. Dans la cérémonie du baptême, chez les Ophites, hérétiques antérieurs à Origène, le néophyte disait : « Oignez-moi du baume blanc de l’arbre de vie. » Selon les écrivains juifs, l’arbre de vie, ainsi que tout ce qui était dans le Paradis terrestre, a été transporté dans le ciel ; le livre d’Énoch (édit. d’Oxford, 1821) le dit formellement (chap. XXIV. I-II ; XXXI. I-V). On peut recourir aux passages qu’a réunis Schœttgenius dans ses Horae Heb. et Talm., p. 1095. Puisque nous avons parlé de l’arbre de vie, notons, qu’au dire de quelques rabbins, celui qui était au milieu des jardins de l’Éden était si gros qu’il aurait fallu cinq cents ans à un homme tel que nous pour en faire le tour.

116  Les écrits les plus anciens indiquent l’Archange Michel comme le protecteur des Israélites et des chrétiens. Hermas, dans le livre du Pasteur, l’appelle le défenseur et le chef des fidèles ; Sophorinus, archevêque de Jérusalem, dans son discours de l’excellence des Anges (inséré dans la Bibliothèque des Pères, édit. de Lyon, t. XII, p. 210), le qualifie de prince établi sur tout le genre humain, de saint archi-satrape, de conservateur du corps, celui qui éclaire toute créature et qui introduit les âmes au ciel.

117  Quelques sectes des premiers siècles, les Montanistes, entre autres, poussèrent l’idée de la nécessité et de l’efficacité du baptême jusqu’à baptiser les cadavres d’individus morts avant d’avoir pu recevoir ce sacrement. Voyez Vossius, Dissert. de baptismo, Wall, History of paedobatism, Munter, De antiquit. eccles. gnosticorum. Selon un théologien grec, Théodore Abucaras, tous les saints de l’Ancien Testament furent baptisés par le mélange de sang et d’eau qui s’écoula du côté de Jésus-Christ.

118  Cette distinction entre Satan et le prince de l’enfer se retrouve dans quelques ouvrages des anciens auteurs ecclésiastiques et dans divers écrits apocryphes, notamment dans les actes de saint Thomas que Thilo a publiés en 1823, avec un commentaire, d’après un manuscrit, resté inédit, de la bibliothèque du roi.

119  L’expression de Tartare se retrouve dans quelques poètes ecclésiastiques. Fulbert, de Chartres, disait, au dixième siècle, dans son hymne pour la fête de Pâques : « Quam devorarat improbus Praedam refudit Tartarus » ; et nous trouvons dans une pièce de vers attribué à tort, sans doute, à Victorin, de Poitiers : « A sedibus imis Tartorus evomuit proceres. » Si quelque lecteur tenait à connaître tous les passages des Pères, où reparaissent ces descriptions de l’enfer que le vulgaire interprétait à la lettre, renvoyons-le, avec M. Maury, à deux ouvrages de Mamachi, De animabus justorum in sinu Abrahae, ante Christi mortem, Romae, 1766, 2 vol. in-4o, et de T.-L. Kœnig, Die Lehre von Christi, Hœllenfahrt, Francfort, 1842.

120  Il a existé des livres attribués à Lazare, mais ils sont perdus.

121  Beausobre, dans son Histoire du Manichéisme (I, 374) s’exprime ainsi au sujet de ce discours : « C’est le plus bel endroit de la pièce. L’orateur y prête au prince du Tartare toute son éloquence. Il lui prête même des sentiments qui feraient croire qu’il y a encore quelques principes de justice aux enfers. »

122  Après Beelzebuth, quelques manuscrits portent l’épithète de tricapitinus ou tricapitus. Ce qui rappelle un passage du Kidduschin, folio 29. – « Le rabbin Acha passa la nuit dans un cimetière, et bientôt le démon lui apparut, et il avait la forme d’un démon à sept têtes. » Le chien à trois têtes, le Cerbère des Grecs, est chargé de la garde de l’enfer chrétien, dans un des hymnes grecs de Synésius, évoque de Ptolémaïs, mort vers 430 ; on le retrouve comme l’emblème du diable sur une des colonnes de l’église de Saint-Martin à Tarascon.

123  Nous pourrions rapporter ici nombre de passages d’écrivains ecclésiastiques et d’anciens prédicateurs qui s’accordent avec les récits de l’Évangile de Nicodème, non-seulement pour le fond des choses, mais encore pour les mots ; il suffira d’en avoir prévenu une fois.

124  La plupart des docteurs, des 4e, 5e et 6e siècles ont cru qu’il s’agissait ici du Paradis terrestre ; ils le représentaient comme existant encore sur la terre. Quelques écrivains l’ont placé dans l’île de Taprobane ou de Ceylan. Albert-le-Grand rapporte qu’il est aux extrémités de l’Inde, sur une montagne tellement élevée, qu’elle atteint jusqu’à la lune. Il est digne de remarque que c’est en effet dans l’Inde que se trouvent les cimes de l’Himalaya, les pics les plus altiers et les plus inaccessibles sur la surface de notre planète. D’autres, tels que Pierre Lombard, le Maître des sentences, se bornent à placer le jardin d’Éden sur une montagne que les eaux du déluge n’ont pu recouvrir. Il serait long et fastidieux de rechercher les diverses places que l’on a données au Paradis terrestre ; les Musulmans le mettent dans le septième ciel, Hardouin, aux environs de Damas, Heidegger, dans la vallée du Jourdain, Roland, dans l’Arménie, Fregge, sur les bords de la mer Caspienne, Marignola dans les Maldives, Hasse, sur les rives de la Baltique, Rudbeck, en Suède, et Schulz, dans les régions polaires.

125  Nous avons déjà parlé d’Énoch, et nous renvoyons aune longue note de Thilo, p. 755-791, ceux qui seraient curieux de rechercher les diverses opinions émises au sujet de ce patriarche. Nous ajouterons que, selon une tradition fort répandue parmi les Hébreux, Moïse aurait été enlevé vivant au ciel, ainsi qu’Énoch et ainsi qu’Élie, et qu’il a existé un livre apocryphe de l’Assomption de Moïse. On a prétendu également que Jérémie avait été exempt de la loi commune du trépas, et qu’il reviendrait sur la terre avec Élie. (Voir saint Hilaire, conc. 20 in Matthaeum, et Bartolocci, Bibliotheca rabbinica, t. IV, p. 513.)

Quant à Énoch et aux écrits qui lui sont attribués, nous ajouterons les indications suivantes à celles qui sont contenues dans une de nos notes sur l’Histoire de Joseph : G. S. Sandmark, De libro Enochi prophetico, Lund, 1769, 4o ; J. Rezel et Denell, De prophetia Enochi, ibid., 1769, 4o ; Silvestre de Sacy, Notice du livre d’Énoch, traduit de l’Éthiopien en latin, dans le Magasin Encyclopédique, 1800, t. I, p. 369 ; The book of Enoch the prophet, en apocryphal, production discovered at the close of the last century in Abyssinia now first translated from an Ethiopic mss., by R. Laurence, Oxford (1821), 1883, 8o ; R. Murray, Enoch restitutus, Londres, 1883, 8o. A. C. Hoffmann, Das Buch Enoch, Jena 1838, 8o. Nous remarquerons aussi que les Arabes ont donné à Énoch le nom d’Edris : Enoch dictus Edris propter multiplex studium ; dimisit enim ei altissimus triginta volumina (Hottinger, Hist. orient., l. I, c. 3), Abulpharage affirme que d’anciens auteurs grecs (graeci antiquiores) assuraient que ce patriarche était le même qu’Hermès, dit Trismégiste. Plusieurs écrits nous sont parvenus sous le nom de ce dernier personnage dont l’existence est entourée d’épaisses ténèbres. On peut consulter à cet égard J. C. Rœser, Dissert. de Hermete (Viteberg. 1636, 4o), Baumgarten Crusius : De libror. hermetic. indole atque origine (Jenae, 1827, 4o). Quant aux livres qui lui sont attribués, ils sont au nombre de deux (Pimander, de sapientia et potestate Dei ; Asclepius, de voluntate divina) ; le premier fut traduit en latin par Marsile Ficin, et cette traduction, imprimée en 1471, fut souvent reproduite au seizième et au dix-septième siècle. Le texte grec fut publié pour la première fois à Paris, en 1554, chez Adrien Turnèbe. On en connaît deux traductions françaises par G. du Préau, Paris, 1549, et par F. de Foix de Candalle, Bordeaux, 1574, in-8o. Chacune d’elles a obtenu les honneurs de la réimpression. (Au sujet de ces diverses éditions, consulter le Manuel du Libraire, 1843, t. III, p. 363). M. Ravaisson, dans son travail sur la métaphysique d’Aristote, t. II, p. 481, s’exprime ainsi à l’égard de ses écrits : « Ils sont apocryphes, mais ils ne sont pas toutefois aussi récents que quelques auteurs l’ont supposé. Le Pymandre est évidemment l’œuvre d’un chrétien ; la doctrine de l’Asclepius, livre important et peu étudié, présente de singuliers rapports avec celle de Philon et des cabalistes. »

126  Ce chapitre n’existe point en grec et dans une partie des manuscrits latins, il est l’œuvre d’une main plus récente ; l’ignorance de l’auteur se trahit lorsqu’il raconte que Pilate, un païen, put entrer, sans empêchement, dans le sanctuaire du Temple.

127  Il y a lieu de croire que cette expression de Septante se rapporte aux 70 livres que la tradition attribuait à Esdras ; le premier d’entre eux, connu sous le nom de la Petite-Genèse, renfermait les dialogues de l’Archange Michel avec Seth.

128  Remarquons que si l’on additionne ces diverses périodes, l’on trouve 4964 et non 5500 ans. D’autres manuscrits portent des chiffres un peu différents, mais aucun n’a eu l’habileté de tomber juste.

129  Cet hérésiarque célèbre naquit à Sinople ; il paraît avoir d’abord été élevé dans le polythéisme ; il en vint à se persuader que le Dieu de l’Ancien Testament était un autre que celui du Nouveau. De tous les systèmes des écoles gnostiques, le sien fut à la fois le moins hétérodoxe et le plus ascétique. Il ne se borna pas à retoucher l’Évangile de saint Luc, il soumit à une révision analogue les épîtres des apôtres. Ses doctrines, ses travaux ont donné lieu à de longues discussions où nous ne devons point entrer. Voir le Dictionnaire de Bayle, celui des Hérésies de Pluquet, la dissertation de Schelling : De Marcione epistolarum Pauli emendatore, Tubingae, 1795.

130  Commencée en 1643, interrompue en 1794. Ce recueil si précieux pour l’histoire se poursuit de rechef. Le 54e volume (7e d’octobre) a paru à Bruxelles en 1845. On trouve sur les travaux des Bollandistes une intéressante notice dans la Bibliothèque de l’école des Charles, t. II, 6e livraison.

131  L’opinion que le monde devait subsister six mille ans, chacun des jours de la création correspondant à un cycle de dix siècles, est fort ancienne, elle se maintint longtemps et jusque dans le moyen-âge. Peu satisfaits de ce calcul qu’ils ont trouvé trop simple, des esprits inquiets et rêveurs se sont évertués à fixer la date exacte du dernier jour, à pénétrer un mystère qu’assiégeait une curiosité pleine d’alarmes. Les uns assignèrent au monde autant d’années de durée qu’il y a de versets dans le psautier, 2537 environ ; les autres calculèrent que la grande catastrophe devait avoir lieu lorsque l’Annonciation tomberait le vendredi-saint, circonstance qui se produisit en 992 et qui causa une frayeur universelle. Des docteurs plus modernes ont voulu aborder un problème insoluble en cherchant le moment de la venue de l’Antéchrist. Nicolas Cressant l’avait fixée à l’an 1734, Pierre d’Ailly a 1789, Cardan à l’an 1800 ; Pic de la Mirandole l’a reculée jusqu’à 1994. Un ministre protestant qui passa sa vie à méditer sur l’Apocalypse, Brannbom, crut découvrir que le prophète du mensonge, né en l’an 86, était encore plein de vie en 1613 et qu’il devait se manifester vers 1700, et mourir en 1711. Divers auteurs anglais ont successivement fixé la fin du monde à l’an 1836, à l’an 2000, à l’an 3430. Il en a été dit quelque chose dans les Notices et extraite de quelques ouvrages écrits en patois, 1840, p. 158.

132  Citons aussi l’opuscule de F.-G. Gelpeker : Tractatiuncula de familiaritate quae Paulo apostolo, cum Seneca philosopho interfuisse videtur verisimillima. Lips. 1818, 4o. Des détails assez étendus se rencontrent sur le même sujet, dans l’Histoire abrégée de la littérature romaine, par Schell, t. II, p. 445. Les quatorze lettres en question ont été conservées dans le tome IV de l’édition de Sénèque (p. 464-479), qui fait partie de la bibliothèque latine de Lemaire.

133  Peuple du Latium. Il serait facile de rapporter ici des passages d’anciens auteurs au sujet de cette idée populaire.

134  Le dragon reparaît sans cesse dans les légendes, dans les récits poétiques, dans les romans du moyen-âge. On le retrouve dans toutes les circonstances de la vie publique et privée de nos ancêtres et dans les histoires dont se nourrissait une piété crédule. Nous avons entrepris, sur la biographie du dragon, quelques recherches qui compléteront peut-être ce qu’ont déjà exposé Bochart (Hierozoieon, part. H, liv. III, ch. XIV), et L. Bossi : Dei basilischi, dragoni ed altri animali creduti favolosi (Milano, 1771), ainsi que M. F. de Saint-Genois, Des Dragons au moyen-âge (Gand, 1840). Voir dans les Traditions tératologiques de M. Berger de Xiorly (p. 441-455), le chapitre intitulé : La propriété des Dragons, extrait d’un manuscrit de la Bibliothèque du Roi.

135  Consulter, au sujet des travaux si multipliés de M. de Sacy, la Biographie des Hommes vivants, t. V, p. 413, et la notice de M. Daunou, lue à l’Académie des Inscriptions, séance du 10 août 1838.

136  Depuis cet érudit, d’autres écrivains se sont occupés du Livre dont nous parlons ; E. Murray a publié Enoch restitutus (Londres, 1836, 8o) ; et A. G. Hoffmann a mis au jour à Iéna, en 1838, une traduction allemande du Livre d’Énoch avec de très-amples commentaires. L’écrit traduit et annoté par M. Pichard, le Livre d’Énoch sur l’amitié, Paris, 1838, in-8o, est un recueil d’apophtegmes moraux, il n’a aucun rapport avec l’ouvrage découvert par Bruce.

137  Cette tradition remarquable est basée sur un passage célèbre de la Genèse, chap. VI, v. 1. Nous n’avons pas ici à nous occuper de tous les efforts qu’ont tentés les commentateurs et les interprètes, ni des opinions diverses qui se sont produites à cet égard. Nous signalerons seulement une dissertation spéciale de G.-C. Horst (Zauber-Bibliothek, tom. V, p. 1-140), Mayence, 1825). Voir aussi dom Calmet, Commentaire sur la Bible, 1724, tom. I, p. 60 ; J. de La Haye, Biblia maxima, 1660, tom. I, p. 71, et les commentateurs spéciaux de la Genèse, C. Hamer, 1564 ; J. Ferus, 1572 ; Pererius, 1574 ; Fernandicus, 1629, etc.

138  Rarmoz, en hébreu, venant de la ratine Rarma, dont le sens est execrari, dévorere.

139  Il serait facile, en parcourant les écrits des démonographes, de dresser une très-longue liste des noms donnés aux esprits infernaux. En voici quelques-uns que nous prenons au hasard ; Phixareroth, Amileckar, Reymonzorackon, Amaxeroth, Aziel, Aomodel, Barchiel, Orphaniel, Cadmuël, Zadkiel, etc. Ces noms, ainsi que les formules d’invocation, contenues dans les livres de magie, offrent un mélange d’hébreu et d’arabe corrompus, joints à des expressions qui paraissent formées à plaisir, mais dont le fond se retrouve dans les idiomes de l’Orient ; la langue grecque y laisse aussi sa trace. L’examen philologique de ces vocabulaires de l’autre monde pourrait conduire à quelques résultats dignes de l’attention des philologues. Afin de donner à nos lecteurs une idée de cette langue factice, nous empruntons à la Magie Noire, d’Herpentil (ouvrage imprimé au XVIe siècle), une adjuration adressée à l’un des compagnons de Lucifer : « Megasas gelem alip Hecon ô Huram milus Helotim negiras amith Aresatos gemastas Permusai Astor Aluchaz Haeub Salalaga Almetabete alcabel Algir measti Rabol Haguisi Tirchasatus megarton alasaff algir abolilback mirastatos Alinzod medagasi zakorip segirot Rargastaton. »

140  Consulter le traité de G. Wernsdorf, Exerc. hist. crit. de commercio Angelorum cum filiabus hominum ab Judœis et Patribus Platonisantibus credito, Vitih. 1742, à 4o.

141  Voir, au sujet de ces merveilleux animaux, Bochart, Hierozoicon, liv. I, ch. VII. Quelques rabbins donnent au Léviathan une longueur de cinq cents stades ; ce sont les plus modestes. Bochart ajoute : « In tractatu Talmudico Bava Buthra, fol. 73, navis quaedam in dorso celi navigans iter ab una pinna ad alteram tertio die confecit. Taceo nugas de cetorum uno castrato, altero occiso et sale condito in adventum Messiae quem talibus epulis, lauto convivio, suos excepturum sperant. » Des fables semblables avaient cours chez les Grecs ; Athénée mentionne (liv. VIII) un poisson plus grand que l’île de Crète et destiné également à quelque banquet fantastique.

142  Le nombre des ouvrages relatifs aux anges est tel que J.-G.-Th. Grasse a pu remplir, de la simple numération de leurs titres, neuf pages de sa Bibliotheca magica et pneumatica (Leipzig, 1843). Voici l’indication de quelques-uns des principaux ; nous nous garderons bien d’essayer d’en signaler ici le contenu :

Casman, Angelographia, 1597.

Rhyzelius, Angelologia tripartita, 1722.

Engestroem, Angelologia judaica, 1737.

Ode, Comment. de Angelis, 1739.

Molineus, De Hierarchia Angelica, 1646.

Chemnitius, Dissert. de Michaeli Archangeli cum diabolo certamine, 1653.

143  Thamar ornata sponsalibus ornamentis ad portam civitatis sedit. Lex enim Amorrhaeorum est, nuptam praesidere in fornicatione per septem dies juxta portam.

144  On lira avec plaisir, dans la Revue Indépendante, t. VIII, livraisons du 10 et 25 mai 1847, un travail du docteur Perron, intitulé : Joseph, fils de Jacob, légende arabe.

  

 

 

 

 

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