Introduction au système d’Origène

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

René CADIOU

 

Agrégé de l’Université

Maître de Conférences à l’institut Catholique de Paris

 

 

 

 

 

1932

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS

 

 

C’EST seulement au terme d’une première étude qu’on aperçoit les exigences qui s’imposent à qui veut connaître Origène, sans complaisance ni impatience, pour fortifier la tradition, et pour tirer profit d’une expérience lointaine sans doute, mais la plus complète et la plus riche de l’antiquité chrétienne, si l’on excepte saint Augustin. Aussi les observations qui viennent alors à l’esprit sont-elles plutôt un programme à réaliser qu’une manière de justifier l’œuvre déjà faite.

Une première difficulté vient de l’état très imparfait de la tradition manuscrite. La parole abondante et variée d’Origène, sa phrase compliquée, chargée d’incises et de mots savants, était faite pour lasser les copistes. Les lacunes ne sont pas rares dans les manuscrits, et les fautes y abondent, encore moins redoutables pourtant que certaines corrections inutiles. Chaque texte doit être critiqué avec le plus grand soin. Les éditions récentes de l’Académie de Berlin marqueront une nouvelle époque dans la connaissance et l’interprétation de l’œuvre.

Mais il y a une autre étude à laquelle la plupart des travaux ne semblent pas accorder la place qu’elle mérite. Connaissons-nous exactement le vocabulaire d’Origène ? On est étonné des libertés que les anciennes traductions se permettaient, quand on se reporte à l’original, et qu’au lieu d’une grisaille uniforme, on voit éclater les vives couleurs d’une parole vivante : mots rares ou mots classiques, profondes formules qui rassemblent tout un mouvement d’éloquence, rappel trois et quatre fois de la parole sacrée qui soutient la méditation et l’entraîne vers les hauteurs. Cette langue, pour exprimer les principes de la théologie ou les nuances presque insaisissables de la vie spirituelle, emprunte de tous côtés : elle se fait platonicienne pour décrire la chute de l’âme, stoïcienne quand il faut analyser ses fonctions, gnostique pour montrer le triomphe de la lumière sur les ténèbres, mais toujours biblique, au point que la parole sacrée devient la trame du discours, même si l’auteur n’en a pas l’intention. Il a aussi pour ses disciples des mots à lui, ou devenus siens, qui rappellent une doctrine chère et qu’il vaut mieux voiler, ou une pensée déjà célèbre d’un ouvrage précédent. L’historien a sans cesse besoin de préciser son lexique à l’aide des index de l’édition de Berlin. Il est regrettable que nous ne possédions pas encore un lexique de Clément d’Alexandrie. Mais on trouvera dans les notes et l’index de Hort, Seventh Book of the Stromateis (Londres, 1902), les antécédents d’un grand nombre de mots employés par Origène. D’autre part le vocabulaire de Plotin, tel que le présente l’index de R. Arnou, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, jettera une vive lumière sur un certain nombre de termes, dont on apercevra l’avenir immédiat dans un système de philosophie quelquefois très proche.

Langue de théologien et de mystique autant que celle de saint Augustin, langue d’humaniste autant que celle d’Érasme, la parole hâtive et sans art d’Origène mérite qu’on la respecte. C’est pour cette raison que nous avons toujours traduit les textes cités, non sans entendre le reproche qui s’exprime dans le vieil adage de la Renaissance, noli vertere. Très différentes sont la besogne de l’éditeur et celle de l’historien. C’est s’obliger à comprendre comment faire passer dans sa langue la pensée étrangère. C’est aussi, dira-t-on, commencer à l’interpréter... Faut-il s’en refuser le droit ? Les références ont pour but de permettre le contrôle. Mais comme une étude n’est pas un simple défilé de citations, et doit viser, sinon réussir, à reproduire la substance de la pensée, c’eût été multiplier indéfiniment les références que de s’imposer, à chaque emprunt, d’en indiquer les origines. La tâche eût été d’autant plus difficile qu’on s’est efforcé d’employer toujours le vocabulaire de l’auteur, même s’il paraît moins précis que celui de la théologie moderne. Sa doctrine doit revivre dans ses mots, ou dans les équivalents qu’on leur donne d’une manière constante. Il arrive pourtant que ce soit impossible : tel le mot διδασϰαλία qui, à l’école d’Alexandrie, désigne à la fois les sciences et la théologie.

Plus discutée sera sans doute la méthode qui consiste à ne pas exposer une doctrine sans en avoir recherché l’origine immédiate, dans les œuvres précédentes de l’auteur ou dans celles de ses contemporains. Pourtant il paraît difficile de procéder autrement, quand on étudie un maître dont toute la pensée s’exprime en discussions et en commentaires. Comment en faire l’histoire si on n’en connaît pas les occasions, ou, comme dirait Origène lui-même, le point de départ ? Cette méthode ne commence à devenir dangereuse que pour qui s’en exagère la portée. On lui fait grand tort en l’appelant la recherche des sources, alors qu’elle est tout simplement la description historique d’une doctrine ou de son expression. On s’en est servi comme du premier instrument d’analyse.

L’ensemble des recherches groupées dans ce mémoire se rapporte au système d’Origène tel qu’il se développe dans le Traité des Principes. Les historiens ont observé depuis longtemps que la théorie de la liberté universelle en est le trait le plus nouveau et le plus personnel. C’est de là qu’est partie notre étude. Origène a enseigné que toutes les âmes qui peuplent le monde sont libres : « Il n’y a aucun être qui ne soit capable de bien ou de mal, sauf Dieu, en qui ont leur source tous les biens, et le Christ. »

Mais de la liberté, il n’a donné qu’une définition morale, empruntée pour la plus grande part aux Stoïciens. C’est pourquoi l’interprétation de cette doctrine a présenté beaucoup de difficultés. Redepenning observait qu’Origène s’était tenu le plus souvent à la liberté de choix, à la « liberté formelle ». Sous l’influence de la philosophie allemande du XIXe siècle, on admit que cette liberté était, selon Origène, l’essence de l’âme et sa réalité la plus profonde. Une brisure infranchissable s’ouvrait entre cette théologie et celles qui suivirent, entre l’âme toujours capable de bien ou de mal, et la grâce telle que la défendra saint Augustin.

L’étude des circonstances qui ont donné lieu au système d’Origène montre qu’il a affirmé la liberté pour combattre l’idée, commune à son époque, d’une vertu humaine qui serait l’émanation nécessaire de la substance divine. Le « consubstantiel » se disait alors du Sage et de Dieu, chez les gnostiques et chez les philosophes. Origène leur oppose une vertu contingente et libre. La liberté est le mode selon lequel les créatures raisonnables s’approprient le bien divin. Elle se présente comme la première condition de la moralité et du salut.

Elle n’est qu’une condition, sans qu’on puisse en faire le « noumène » de l’âme. Ce qui est le plus profond dans un être raisonnable, et constitue sa nature est évidemment la participation à la Raison ou Verbe. On l’aperçoit mieux à l’origine et à la fin des choses. Les âmes étaient alors et redeviendront des esprits unis parfaitement au Verbe. « L’âme peut redevenir ce qu’elle était avant d’être appelée une âme. » Elle est invitée à participer à la Sagesse divine d’une manière qui dépasse ses forces présentes, mais répond cependant à sa vraie constitution.

C’est pourquoi l’étude de l’âme, de sa liberté et de sa faute, ne forme qu’une introduction à la théologie d’Origène. Il faut commencer par là : l’ordre de ses écrits et celui de sa pensée y invitent. Mais c’est au delà qu’on trouvera la véritable théologie, une doctrine du Verbe, à peine esquissée dans le Traité des Principes, amplement développée dans le Commentaire de saint Jean. Au-dessus de l’inquiétude du cœur humain subsiste une Vérité créatrice qui confère aux êtres leur réalité et leur vérité. Elle a déposé en toute créature raisonnable un germe qu’une connaissance plus parfaite, apportée par l’Église, transformera chez certains en un fruit de sagesse éternelle. Tel est l’origénisme que l’on trouve épars dans les commentaires. C’est de celui-là que saint Augustin devait entendre les échos dans les sermons de saint Ambroise.

Tout part de la contemplation, et tout s’y ramène. Le système des origines est déjà rempli par le souci de la vie intérieure et des relations de l’intelligence avec Dieu. La présente étude a pour but de le montrer, et de mener à la théologie du Verbe, à travers l’une des plus grandes aventures intellectuelles qu’ait tentées la pensée antique.

On a toujours préféré, quand on le pouvait, parce que la preuve de la tradition est ainsi plus manifeste, faire juger l’auteur par lui-même, par ses propres corrections, ses doutes, ses silences, plutôt que d’intervenir facilement en des points qui sont depuis longtemps hors de conteste.

Si limité que soit notre travail auprès d’une œuvre très vaste, et dont l’influence est plus grande encore, il eût été impossible sans la direction patiente du R.P.J. Lebreton, jointe aux souvenirs d’un cours qui sait à la fois éveiller la recherche, l’enthousiasme et la modération. C’est aussi par le double enseignement de ses leçons et de ses livres que le R.P.A. d’Alès a inspiré plusieurs passages de ce mémoire. Il doit quelque chose à la plupart des maîtres de la Faculté de Théologie de Paris, au point qu’il faudrait craindre que l’on compare sa valeur à ce qu’il a reçu, s’il n’avait une excuse : c’est d’être, s’il plaît à Dieu, la préparation d’une plus vaste étude. Il exprime le moment où le disciple a voulu puiser lui-même aux documents, parce qu’on les lui avait présentés dans l’esprit commun à Jésus et à ceux à qui il confie les siens, si l’on parle comme Origène, οὺ βουλόμενος ἀεὶ τὸν μαθητὴν φωνῶν ἀϰροατὴν ὑπάρχειν.

 

 

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AVERTISSEMENT

 

LA CHRONOLOGIE DES ŒUVRES

 

 

En se fondant sur la chronologie, la présente étude n’a tenu compte que des données qui sont désormais hors de conteste. Elle innove sur un seul point. Le Commentaire de saint Jean doit être placé avec une entière certitude après le Traité des Principes.

On possède en effet dans le Commentaire une référence à un ouvrage antérieur qu’il faut identifier avec le Traité des Principes. En étudiant les divers noms qui sont donnés au Verbe par l’Écriture, Origène rappelle les titres que l’on trouve dans la première Épître aux Corinthiens, I, 30 et 31. Selon l’Apôtre, le Christ a été fait justice pour nous. Mais il ne faut pas interpréter ce passage comme le font les hérétiques qui opposent le rôle justicier du Christ à la bonté du Père. Cette justice du Sauveur conduit les êtres à leur fin et aux bienfaits de Dieu, par une pédagogie salutaire. « D’ailleurs nous avons démontré la même doctrine dans un autre ouvrage, où nous avons expliqué aussi comment il existe un être plus grand que le démiurge, en considérant que le Christ est le démiurge, et que son Père est à ce titre plus grand que lui 1. »

En cet endroit Preuschen renvoie à un passage du même tome qui appartient à la série des fragments découverts dans les chaînes. Mais ce morceau ne correspond pas aux indications données par la référence. Avant d’étudier les divers noms du Fils, Origène y expliquait comment la fonction de démiurge est impliquée dans la notion du Verbe. On ne trouve dans ce fragment aucune théorie de la bonté et de la justice divines, ni aucune mention de la parole : « Mon Père est plus grand que moi 2. » Il s’y manifeste au contraire une vive réaction contre le rôle trop subordonné que l’on prêtait au Verbe créateur dans quelques théologies précédentes. Il ne faut pas faire de lui un instrument, ni un messager qui serait survenu à l’heure de l’ouvrage. « Il n’a pas amené l’univers à l’être comme s’il avait été un homme envoyé extérieurement par le Père 3. »

Ce n’est donc pas à ce passage que s’applique la référence. D’ailleurs les mots ἐν ἑτέροις veulent toujours dire « dans un autre ouvrage ». Quand il désigne un endroit précédent de la même œuvre, Origène emploie une particule de référence telle que ὡς  προαπεδείξαμεν 4. Mais il est facile de retrouver dans le Traité des Principes la démonstration à laquelle se réfère le tome I du Commentaire. On pourrait hésiter entre deux endroits, le chapitre « du Christ », ou le dernier chapitre, qui récapitule tout l’ouvrage 5. Origène expliquait d’abord que le Père est le principe de la bonté divine, et que le Fils ne la possède pas absolument. En lui, elle procède du Père comme de sa source, si bien qu’on peut appeler le Verbe une image dans tous les attributs que l’on considère 6. Mais cette doctrine ne faisait pas intervenir le rôle créateur du Verbe. C’est seulement dans le second passage, au dernier chapitre du Traité, qu’Origène a commenté la parole. « Le Père qui m’a envoyé est plus grand que moi », en la rapportant à la création. Il cherchait dans la vie intellectuelle la relation qui fait procéder le Fils du Père, et qui fonde la mission créatrice du Verbe 7.

En réalité la référence d’Origène s’applique aux deux passages et à ces deux manières d’exposer la procession du Fils, réunies dans un seul ouvrage, dont on ne peut douter qu’il soit le Traité des Principes. Le dernier chapitre du traité est donc antérieur au 1er tome du Commentaire de saint Jean.

D’ailleurs l’étude de la doctrine montre que le début du Commentaire est le développement de la théologie à peine esquissée précédemment. La théorie de la pensée divine considérée comme la Sagesse subsistante remplit les deux premiers tomes. À ce titre aussi, le Commentaire fait vraiment suite au Traité.

On peut donner le tableau chronologique suivant des œuvres principales citées dans cette étude :

I) Le Commentaire des Psaumes, au moins jusqu’au IIe Ps. inclusivement, est antérieur au Traité des Principes : cf. la citation du Commentaire in Ps., II, 5, dans Princ. II, IV, 4 ; KOETSCHAU, p. 132, 8. Cette exégèse représente un état de la pensée assez différent des doctrines qui ont suivi, et beaucoup plus proche des idées que Clément d’Alexandrie expose dans ses Stromates.

II) Le Commentaire de la Genèse fut commencé avant le Traité : cf. la citation du Commentaire in Gen., I, 1 (tome 1er) dans Princ. II, III, 6 ; KOETSCHAU, p. 123, 13, (Introduction, p. X). Mais une partie importante des tomes composés à Alexandrie est postérieure au Traité, au moins à partir de Gen. I, 26 (Tome IV) : cf. l’indication de Princ. I, II, 6 ; KOETSCHAU, p. 34, 15. Tout ce qui concerne la création de l’homme et la chute originelle a été commenté après l’exposé du système, tel qu’on le trouve dans le Traité. Sur ce point, l’exégèse a pu compléter ou corriger la théorie.

III) Le Commentaire de saint Jean est postérieur au Traité des Principes. À partir du tome VI, il fut composé à Césarée, après la crise qui avait entraîné la condamnation d’Origène et son exil (231). Ces évènements eurent une influence profonde sur son enseignement.

IV) L’Exhortation au martyre est de 235, date de la persécution de Maximin.

V) Le Commentaire de saint Mathieu et le Commentaire de l’Épître aux Romains sont, avec le Contre Celse, des œuvres de la dernière période (244-248). Cf. HARNACK, Die Chronologie der Altchristlichen Literatur, liv. III, ch. V, p. 37 ss.

 

 

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CHAPITRE I

 

LA COSMOLOGIE AU TEMPS D’ORIGÈNE

 

 

Pour comprendre la cosmologie du Traité des Principes, il faut d’abord déterminer quel était le problème essentiel dans la philosophie religieuse de ce temps. La pensée des philosophes, des fondateurs de secte et des mystiques, était alors occupée à méditer sur la valeur du monde et ses rapports avec le principe des choses. L’idée d’une Providence beaucoup plus complète et plus proche des êtres que les philosophes grecs ne l’avaient supposé donnait au problème du mal une acuité nouvelle. On l’aperçoit déjà chez Philon. Quand naît la gnose platonicienne du IIe siècle, c’est autour de cette question qu’elle se concentre, dans la doctrine de Basilide et dans celle de Valentin. Les superstitieux, effrayés par la domination des astres, les conférenciers qui cherchent des théories à succès, les âmes religieuses éprises de perfection, les inventeurs de systèmes théologiques apparentés de près ou de loin à la Bible, tous répètent : « Comment s’évader, comment voir Dieu ? » Connaissances mystérieuses des cercles d’initiés, formules et noms étranges que révèlent à leurs disciples les fondateurs de sectes, tout, depuis les rites jusqu’aux grands systèmes, témoigne de la même inquiétude. On cherche le moyen de remonter au principe, d’échapper à la fatalité qui règne sous le ciel, et de libérer des entraves d’ici-bas l’élément divin et supérieur que l’on possède en soi 8.

Problème cosmique autant qu’individuel. Car l’univers est principalement composé d’âmes, supérieures ou inférieures, les unes animant des corps bas et matériels, en cette terre, tandis que d’autres meuvent les corps célestes, plus parfaits. De ces deux parties du monde, les esprits et la matière, c’est la première qui contient l’explication des choses, et c’est sur elle surtout que se porte l’étude.

Il existe donc un plan commun à la plupart des cosmologies du IIe et du IIIe siècle, et celle d’Origène doit y être d’abord située, comme les autres. Le rapport du monde avec son principe est considéré comme une émanation, au sens le plus large de ce mot. Même si l’on admet avec Origène que Dieu a créé toutes choses, on se représente les origines comme la naissance d’une imperfection à partir d’un principe parfait, et on fait consister le monde dans la diversité et l’inégalité des êtres.

Déjà Philon avait vu dans la multiplicité des pouvoirs divins comme un intermédiaire entre Dieu et le monde, un intermédiaire instable qui s’évanouissait dans l’unité première dès qu’on essayait de le saisir. Mais c’est devenu un lieu commun de professer que l’univers « doit consister en inégalité et diversité 9 ». Or, pour un contemporain d’Origène, le problème du mal n’est pas différent de celui-là. Le péché se confond avec l’imperfection, et la cause de la première faute doit expliquer aussi la hiérarchie des êtres multiples. On ne distingue pas entre ce qui est un moindre bien et ce qui est mauvais. Le monde porte dans l’inégalité foncière des âmes qui le peuplent, et en particulier des races humaines, la marque de son péché initial.

Ainsi l’on aperçoit le caractère principal de ces cosmologies. Elles racontent l’histoire spirituelle des origines, ce qui s’est passé dans le monde immatériel, dans la cité harmonieuse où Dieu et les âmes sont unies. Tout se ramène à savoir comment s’est produite, dans le temps ou hors du temps, la déchéance qui fut l’évènement décisif dans la vie des êtres célestes, et dans les rapports de connaissance qui les rattachent aux principes de l’univers. La contemplation et ses péripéties expliquent la nature et les destinées du monde présent.

Un tel système est tout proche des mythes platoniciens. À vrai dire, il est essentiellement le mythe platonicien de l’âme, réduit à une image unique par une série de commentaires. La cité du IIIe livre de la République s’y confond avec l’Atlantide du Timée, et la vision d’Er, fils d’Armenios, se complète par le récit du Phèdre. Ainsi se forme une théologie imagée et dramatique. On ne se lasse pas de commenter les mythes de la République, du Phèdre, du Timée et des Lois, parce qu’on ne les lit pas comme s’ils étaient des ornements de la pensée, ni même une approximation de la doctrine en des sujets complexes. À travers le voile du récit, se laissent apercevoir des mystères qu’il faut découvrir par l’examen attentif des mots et des évènements sensibles. Platon n’a rien dit sans raison : sous l’image est toujours présente la vérité, qu’il appartient aux initiés de connaître.

Mais le mythe platonicien doit être rapproché d’un autre livre plus ancien et plus autorisé, qui contient toute vérité. Pour Numénius, pour la plupart des gnostiques, tout comme pour Philon qui est leur maître, la Bible reste la première source de la sagesse, et Platon n’est que le Moïse de l’Attique. On se représente le monde à travers le mythe de l’âme, mais surtout à travers l’idée que l’on se fait de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les livres saints sont l’explication des choses, et celles-ci deviennent à leur tour le miroir de la Providence qui s’est révélée dans la Bible. Les mêmes teintes sombres ou claires colorent la cosmologie et l’exégèse. Celui qui partage l’Écriture entre deux dieux divise aussi l’univers et la race humaine en deux empires. S’il méprise le Dieu d’Israël, il reconnaît son œuvre dans les animaux nuisibles ou impurs. Au contraire, quand l’exégète chrétien veut enseigner que la Bible contient dans chacune de ses lettres des vestiges de la sagesse divine, il rappelle d’abord que l’artisan de la nature a daigné prendre soin du corps des moindres animaux. Entre l’histoire de la Providence que raconte l’Écriture, et son œuvre que nous avons sous les yeux, l’accord est parfait. Les livres saints sont le microcosme où se laisse comprendre tout le plan divin. Qu’on lise l’Écriture ou la hiérarchie intelligente des créatures, on voit briller la même lumière du Verbe 10.

Il n’est pas un penseur de ce temps qui ne mette dans sa vue de l’univers le fruit de ses méditations religieuses, son expérience mystique ou ses souvenirs de la Bible. Jamais la vie intérieure ne s’est projetée plus intensément sur le monde qui l’entourait. Composé d’âmes égarées par accident au sein de la matière, il se laissait aisément façonner par le sentiment religieux du philosophe.

Après Numénius et avant Plotin, Origène fut tenté par cette ambition, nouvelle dans une école chrétienne. Ce que son maître Clément n’avait pas fait, il l’essaya une fois dans les deux premiers livres du Traité des Principes, sans se dissimuler ce que sa tentative avait de hasardeux et d’incertain. Elle se développa en une série de dissertations où la pensée, comme il arrive souvent chez lui, se précisa et s’affermit peu à peu.

Exposer le commencement du monde et ses causes, c’est expliquer l’existence des diverses espèces de créatures raisonnables et incorporelles. La première voie qui s’ouvrait à Origène le menait des principes aux êtres multiples qui en dérivent. « Il faut commencer par les dogmes suprêmes et principaux qui ont pour objet ce qui est au-dessus du ciel 11. » Après avoir considéré la nature divine, source de l’être, de la raison et de la sainteté, il importait de savoir de quelle manière les créatures les plus nobles y participent. C’est pourquoi le chapitre de « la diminution et la chute » suit immédiatement la théologie proprement dite. Il expose la condition commune de toutes les natures raisonnables qui composent la hiérarchie de l’univers. On y réfléchit à la grandeur et à la misère de son état présent.

 

 

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CHAPITRE II

 

LA CONTROVERSE GNOSTIQUE

 

 

La cosmologie d’Origène allait être déterminée par l’obligation où il se plaça d’opposer une doctrine des origines à celles que professaient les hétérodoxes. Son souci principal fut de réagir contre l’impiété et le pessimisme où il voyait engagées les diverses sectes qui l’entouraient.

La philosophie religieuse se représentait volontiers l’origine du monde comme une catastrophe. Les gnostiques valentiniens en avaient fait un des thèmes principaux de leurs révélations, au temps d’Origène, comme le montrent les fragments conservés par Clément d’Alexandrie dans ses Excerpta. Le monde est né d’une passion sexuelle et divine. La première place y appartient à la Mère, à la fécondité lourdement charnelle d’une divinité que représentent encore fidèlement certaines statuettes populaires retrouvées à Alexandrie. Reproduite et répandue par l’art hellénique, l’Isis égyptienne déploie une sensualité brutale. Par elle la vie divine s’est propagée en se dégradant. En particulier les êtres qui n’ont pas procédé de la première émanation sont essentiellement corrompus. « Les puissances enfantées d’abord à droite de la Mère ne sont pas altérées par la présence de la Lumière. Mais celles de gauche sont abandonnées pour recevoir leur forme du Lieu », qui est le ciel du monde matériel 12.

Origène connaissait certainement cette école valentinienne, comme le montre sa critique de l’astrologie. Mais sans descendre dans les détails de cette gnose, il en a retenu seulement quelques traits, la division des êtres en natures bonnes et mauvaises, et la condamnation de notre univers atteint d’une déchéance irrémédiable. Il suffisait de combattre les idées communes à tous ceux qui viennent de Marcion, de Basilide ou de Valentin. Le reste ne lui a pas semblé digne d’être rappelé. Ni dans son enseignement, ni dans ses discussions, il ne se heurtait aux formes extrêmes du mythe, qui avaient sans doute moins de prise sur les consciences chrétiennes.

La principale défense des écrivains ecclésiastiques fut toujours d’exposer l’unité du plan divin, et les causes du mal, qui vient de l’usage de la liberté. La Prédication de Pierre, qui est peut-être le document le plus ancien de la controverse gnostique, contient déjà, sous sa forme la plus simple, cette réfutation de la gnose. Le mal ne fait pas essentiellement partie de ce monde. Rien de mauvais n’est sorti des mains de Dieu. Cependant l’existence du mal n’est pas en dehors des desseins divins 13. Les Homélies clémentines ajoutent même que le démon est capable de se sauver 14. Tant était vive dans la littérature chrétienne, au cours de la querelle gnostique, la peur de tomber dans le dualisme et de ne pas soumettre au plan divin la résistance même qu’il rencontre dans le monde ! Le mal ne peut pas limiter l’empire de la Providence, puisqu’il ne vient pas d’une nécessité mauvaise ou d’un ouvrier imparfait, mais d’une volonté libre dont on peut toujours espérer qu’elle changera. Ce qui est sûr, c’est qu’au début, ni le mal, ni ses causes n’existaient. Comme on dira plus tard, il n’est pas une substance.

La cosmologie d’Origène s’inspire exactement du même souci. Si on voulait la réduire à son premier dessein, ou à son image dominante, on s’apercevrait qu’elle raconte sous diverses formes la chute d’un ange. Il fut un temps où le mal n’était pas. Serpens fuit aliquando non serpens 15. Le diable était alors sans reproche, et il le serait resté, s’il avait bien usé de sa liberté. Mais il voulut, à lui seul, tenir tête à Dieu qui le repoussa. Lucifer est ainsi tombé des cieux. Les autres puissances suivirent dans sa défection ce rebelle, ce prince de Tyr jadis aimé de Dieu 16. Origène pensait-il aussi qu’il se convertirait un jour ? Il s’est défendu très vivement d’avoir enseigné cette doctrine, et dans son Traité de la prière, il évita d’y revenir. On ne sait comment Dieu traitera celui qui est vaincu par son péché 17. Cependant il était difficile d’entendre autrement les divers passages où l’on voit que les puissances déchues sont capables d’être rétablies dans leur premier état 18.

Mais il est évident que la philosophie d’Origène dépassait les limites de cette discussion. Il fallait expliquer comment la chute s’était produite, et rendre compte du sort de toutes les âmes qui constituent le monde invisible. Les Alexandrins y apportèrent une psychologie plus savante, plus nuancée et plus vaste. Ils transformèrent la rébellion de Satan en un péché métaphysique. Ce qui s’écarte de Dieu passe de l’unité à la multiplicité. La dispersion est donc la première des fautes ; c’est un péché de l’intelligence contre l’unité divine. Tout relâchement de la contemplation conduit à la déchéance. Les anges se sont dissipés, et ce fut leur malheur. « Certains glissèrent jusqu’au sol par indolence, parce qu’ils n’avaient pas encore réduit à une seule disposition leur tendance naturelle à se partager entre deux objets 19. »

Ainsi Clément philosophait déjà sur la chute des esprits célestes. La raison qu’il en donnait lui venait d’un passage de Numenius, où se trouvait décrite la procession du Fils : « Le second Dieu, disait le pythagoricien de Syrie, en commentant à sa manière l’Évangile de saint Jean, cessant d’être près de l’intelligible (πρὸς τῷ νοητῷ) – il aurait été ainsi près de lui-même – se mit à regarder la matière et, par le soin qu’il en prit, devint étranger à lui-même 20. » Clément protestait contre cette doctrine, si on l’appliquait au Verbe. Mais elle lui paraissait convenable pour expliquer la déchéance de certains anges. Il admettait alors qu’on opposât le multiple à l’unité divine, la dispersion et l’indolence à la tension de la vie contemplative.

C’est de là que devait sortir le système d’Origène, et cette quintessence du Traité des Principes qu’on appela plus tard l’origénisme. De cette courte pensée, il fit un vaste univers où chacune des intelligences eut sa place selon son mérite et son degré de sagesse. La chute des esprits devint l’origine du monde. Leur hiérarchie fut l’ordre même des choses. La disposition de l’univers trouva son sens dans les plus hautes réalités spirituelles, la contemplation, la liberté, le relâchement et le progrès. À vrai dire, ce n’était pas une philosophie. Origène composait ainsi son mythe platonicien de l’âme autour de quelques idées très claires, inspirées par des considérations chrétiennes. Mais ce mythe platonicien, il le nourrit et l’anima de son expérience religieuse la plus haute, de sa connaissance de la vie contemplative, qu’il lui était facile de déployer en une telle vision du monde. De cette cosmologie, beaucoup de parties devaient être abandonnées aussitôt, ou faiblement défendues par l’auteur lui-même, parce qu’elles étaient trop peu conformes à la foi et aux dogmes. Mais certaines autres, telles que la théorie du mal, devaient rester parmi les éléments les plus durables de l’ancienne philosophie chrétienne.

 

 

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CHAPITRE III

 

LE MYTHE PLATONICIEN

 

 

Exposer l’origine du monde, c’est raconter comment les esprits, créés par Dieu égaux et libres, sont venus de l’unité à la diversité, de l’égalité à l’inégalité par une sorte de déchéance. Tout degré d’imperfection est un degré de chute ; tout défaut devient en quelque manière une faute. Ce ne peut être l’œuvre de Dieu. Si Origène avait mis l’artisan divin devant la tâche de créer un univers, son système eût été fort différent. La sagesse divine serait la cause de la distinction des choses, et par conséquent de leur diversité. « Dans l’organisation du monde l’inégalité des parties ne provient pas d’une inégalité précédente, ni de mérites inégaux, ni d’une disposition naturelle de la matière. Elle a pour fin la perfection de l’ensemble, comme on le voit dans les œuvres d’art 21. »

Mais voici Dieu en présence d’une république d’esprits qui exigent l’égalité des droits, en vertu de la justice et de la bonté du Créateur lui-même. Il faut bien la leur accorder, et s’ils la perdent, les en rendre responsables. Dès lors, comme le sort de cette cité céleste détermine l’histoire d’ici-bas, la cosmologie ne dépend plus de l’acte créateur. Elle repose sur une sorte de procession, due à l’initiative des créatures spirituelles, contrôlée par la Providence divine. C’est pourquoi une telle doctrine n’est qu’une ébauche de philosophie chrétienne ; elle est construite à partir de l’idée de création, et non pas avec elle.

Toutes les âmes sont par nature égales et semblables, puisque la pensée divine, dont elles dérivent immédiatement, ne comporte aucune inégalité ni aucun changement 22. En elle toutes les personnes ont même valeur, à moins qu’elles ne se dégradent par leur propre initiative. Pour expliquer la diversité du monde, il est nécessaire d’introduire une histoire de l’âme. C’est ainsi que fut restauré le mythe du Phèdre 23, pour montrer comment a disparu une égalité originelle à laquelle Platon n’avait jamais pensé.

Cet aspect du platonisme n’avait pas encore attiré la pensée chrétienne. Clément n’y était pas sensible, parce qu’il ne croyait pas à la préexistence. Il citait le Phèdre, non pour montrer comment l’âme a perdu ses ailes, mais pour lui en donner de nouvelles. Il s’aidait de ce dialogue quand il décrivait l’ascension du spirituel à travers les demeures bienheureuses jusqu’au festin éternel 24. Mais d’autres maîtres avaient préparé les mythes de l’âme à devenir une histoire du monde. Ils avaient assemblé dans la cité céleste toutes les âmes à l’état séparé, même les forces végétatives 25. Ils avaient interrogé Platon sur l’origine des choses, alors que beaucoup s’étaient bornés à consulter sa théologie. Il y avait plus d’une manière d’être disciple, et chacune était une création, une philosophie personnelle, chrétienne ou hellénique, biblique ou profane. Les uns demandaient : où l’âme va-t-elle ? et d’autres : d’où vient-elle ? Origène est de ceux-ci. L’influence du Phèdre est manifeste en maint passage, jusque dans l’emploi des mots. Si l’on doit restituer au Traité des Principes la doctrine que saint Grégoire de Nysse attribue à quelques auteurs « qui ont étudié les origines 26 », l’imitation irait jusqu’à la paraphrase. « Certaines races d’âmes sont mises à part dans une sorte de cité d’un caractère propre. Elles y vivent en attendant de peupler les corps, dans la légèreté et la mobilité de leur nature, entraînées par la rotation de l’univers 27. » Quand elles inclinent vers le mal, elles tombent et perdent leurs ailes. Ainsi tend à revivre, avec la théorie de la préexistence, tout le récit de Platon. Ne faut-il pas conserver avec soin les images, lorsqu’elles recouvrent la vérité, et n’est-il pas vrai que les mots qui enseignent d’une manière voilée sont plus puissants sur l’esprit de ceux qui savent 28 ?

Mais il y a un trait que tous les prédécesseurs d’Origène avaient négligé. Dans le récit de la République où l’on voit les âmes venir à la naissance, les Platoniciens du IIe siècle apercevaient surtout l’influence du destin. Du choix par lequel l’âme reçoit son sort, ils ne tenaient pas compte, s’attachant au sort lui-même et à sa nécessité. « Les Moires et la Nécessité leur mère, disaient-ils, en faisant tourner le fuseau, filent le destin de chaque être à sa naissance ; par elles naissent les êtres engendrés 29. » Les moindres circonstances d’une vie sont ainsi déterminées dès son début. C’était coudre aux mythes de Platon les fables des faiseurs d’horoscopes. Tout autre est l’interprétation d’Origène. Il pouvait lire dans Platon que « la responsabilité incombe à celui qui a choisi son destin 30 ». La liberté devint dans ce nouveau platonisme le ressort de tout le mythe. Deux modèles se présentaient aux âmes. Elles se sont détournées du bien par un acte libre.

Puisque Dieu est juste et bon, on doit admettre aussi avec Platon que la vertu et le vice obtiennent la place qu’ils méritent, et que la situation que tout être occupe dans l’ordre du monde est déterminée par ses actes précédents. Certaines âmes qui n’ont pas faibli, ou fort peu, ont constitué la hiérarchie céleste, selon leur mérite, d’autres ont animé les astres, d’autres ont reçu un corps plus grossier. Toute la différence qui existe entre les anges, les âmes, et les démons est constituée par la distance qui sépare de Dieu chacune de ces familles spirituelles 31.

Ainsi est né, au 1er livre du traité des Principes, « l’espèce de poème cosmogonique 32 » qui fut la principale source des condamnations portées par les Anciens contre Origène, et qui reste un objet de scandale pour la plupart des historiens. Le meilleur moyen d’y pénétrer est de suivre la voie des commentaires platoniciens du Ier et du IIe siècle, de Philon jusqu’à Numenius, bien qu’une étape manque, l’enseignement d’Ammonius, qu’on ne peut reconstituer que par conjecture. Se dissimuler ce platonisme serait faire œuvre vaine. Il n’est pas un fragment ni une analyse de cette partie du traité qui ne contiennent une réminiscence au moins verbale du Phèdre ou de la République. Platon et ses commentateurs entraînent Origène dans la discussion de doctrines aussi opposées à son éducation première que l’était la métempsychose. Il reste vraiment leur disciple en essayant d’exposer une philosophie chrétienne.

Cette cosmologie, comme les deux premiers livres du Traité des Principes, représente un moment rapide dans l’histoire. Elle témoigne aussi chez Origène, dans la vie la plus mobile à la fois et la plus fidèle à toutes les impressions, d’un état d’esprit qui achève de disparaître, en lui laissant quelques-unes de ses idées les plus durables. Il devient un maître dont la pensée se constitue en système, et pourtant il n’a pas cessé d’être un élève du Platonisme alexandrin. Il essaie d’organiser sa théologie, l’esprit encore tout plein des mythes helléniques. À la même époque, il compose ses Stromates, « en rapprochant les opinions des chrétiens et celles des philosophes 33 ». Il admire Numénius, fort estimé des Grecs pour sa science et sa pensée, de n’avoir pas méprisé Moïse et les prophètes, mais « de les avoir interprétés en maint endroit au sens spirituel, non sans vraisemblance », de manière à rejoindre le platonisme 34. Il suit son exemple, et, quand il veut décrire la hiérarchie des anges, la vision de la cité harmonieuse, qui est encore toute vive, s’y superpose invinciblement.

Ce fut la tentation ou la surprise d’un instant. La traduction de Rufin elle-même laisse voir que sa pensée s’affermit peu à peu, en s’éloignant du mythe pour se rapprocher de la théologie chrétienne. Car le Traité des Principes ne prétend pas être, comme les Stromates, une œuvre de conciliation, mais un système de doctrine. « Nous avons cessé, annonce l’auteur, de chercher la vérité chez les philosophes, où elle se mêle à de fausses opinions, puisque nous croyons que le Christ est le Fils de Dieu, et que nous devons la recevoir de lui 35. » Tant il y a de distance entre une œuvre et l’idée que s’en fait l’auteur, ou l’intention première qui l’inspirait ! Quand il se promettait de conformer sa recherche à « ce qu’on trouve dans l’Écriture, et ce qu’on peut en déduire correctement 36 », il ne connaissait pas encore les hasards de l’entreprise.

L’illusion s’explique plus aisément, dès qu’on se souvient qu’il était familier avec une Bible hellénisée et déjà accommodée au Platonisme. Si l’on admet comme Philon que l’échelle de Jacob signifie la montée et la descente des esprits, se croit-on platonicien quand on la reconnaît dans le Phèdre 37 ? La rencontre était inévitable pour l’exégète à qui la méthode allégorique avait déjà fait parcourir plus de la moitié du chemin. Certains apocryphes juifs qui trouvaient alors crédit à Alexandrie le menaient encore plus loin.

C’est pourquoi il pouvait croire qu’il ne quittait pas la Bible. Toujours le texte sacré posait la question, et jusque dans les digressions les plus aventureuses, c’était toujours une difficulté d’exégèse qu’il fallait résoudre. Le but faisait oublier les détours de la route. Origène était préoccupé d’un problème nouveau, que les relations nouvelles de l’homme avec Dieu lui imposaient. Quand il quittait la théologie pour la cosmologie, il rencontrait d’abord l’existence du mal, ou des « puissances contraires ». Tout chrétien s’en préoccupe, parce qu’il se sent dans l’alternative du salut ou de la perdition, mais Origène plus qu’aucun autre de ce temps. La préexistence n’avait pas d’autre but que de permettre l’exercice de la liberté, et celle-ci à son tour devait fournir un motif d’élection ou de réprobation à la justice divine. Ainsi « les forces vives » de la doctrine 38, pour reprendre l’expression de J. Denis, restaient chrétiennes.

Quand Origène doit plaider pour ce qu’il appelle « la théorie générale, selon laquelle l’âme n’est pas ensemencée avec le corps, mais existe avant lui et revêt pour diverses raisons la chair et le sang 39 », l’idée ne lui vient pas d’invoquer l’autorité du Phèdre. Il fait valoir que la préexistence « apporte une solution à la fameuse question de Jacob et Ésaü », qui venait de saint Paul. Cette croyance est toujours liée dans sa pensée à l’interprétation de quelques passages de l’Écriture. Elle s’est formée au souvenir de Platon, mais à la lecture de la parole divine. S’il faut citer un texte qui invite à penser que les âmes d’élite sont des anges envoyés par Dieu, il a recours à un apocryphe répandu parmi les Hébreux, et « qui n’est pas négligeable », la Prière de Joseph, où on lit que Jacob est l’archange « qui servait le premier devant la face de Dieu 40 ». Mais en méditant sur l’élection du patriarche, même s’il se sert des apocryphes du Judaïsme, c’est sur sa propre élection que le chrétien médite, puisqu’il fait partie de l’Israël véritable, et que l’Église est la postérité spirituelle du peuple élu. Savoir comment Dieu choisit ceux qu’il sauve, y a-t-il une question qui le touche davantage ?

Pour la même raison, l’éloignement de Dieu est le vrai mal, et c’est l’état que décrit l’histoire des âmes. Il faut appliquer à l’imperfection du monde, toutes proportions gardées, ce qui convient au péché de Satan. « En tant qu’il est le diable, il n’est pas l’œuvre de l’artisan divin ; en tant qu’il l’est devenu accidentellement, parce qu’il était un être produit (γευτὸς ὤν), comme il n’y a pas d’autre créateur que notre Dieu, il est créature de Dieu 41. » Quand Origène raconte comment les âmes se sont détournées de leur principe, les unes davantage, les autres moins, il n’entend pas dire autre chose. Le mal ni l’imperfection ne sauraient être attribués à l’auteur de l’univers. Bien qu’ils existent en un sujet créé par Dieu, dans le libre choix de la raison, ils interrompent la suite du don divin. Si, partant de là, cette philosophie a heurté ensuite les croyances chrétiennes, il n’en faut pas chercher la raison dans l’esprit qui l’anime, mais dans ses matériaux, et surtout dans sa notion du monde. Le règne de la liberté est aussi étendu que le domaine des âmes, dont l’univers est rempli. Elle est donc universelle et perpétuelle. C’était le point le plus nouveau de la cosmologie d’Origène, par où il se distinguait non plus seulement des gnostiques, mais de tous ceux qui l’avaient précédé.

 

 

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CHAPITRE IV

 

IMMUTABILITÉ ET LIBERTÉ

 

 

Puisque l’acte qui conduit de l’égalité originelle à l’ordre présent du monde est une libre décision des êtres spirituels, la liberté devient la loi la plus générale de l’univers. Elle exprime dans la vie de l’âme la contingence de toute la nature. La possibilité de s’unir à Dieu ou de s’éloigner de lui distingue essentiellement du principe les créatures issues de lui, comme l’immuable est séparé de ce qui est livré à un devenir et à un changement perpétuels. « Il n’y a aucune nature qui ne soit capable de bien ou de mal, sauf celle de Dieu, en qui ont leur source tous les biens, et du Christ. » On ne peut faire d’autre exception, même en faveur des âmes supérieures, des anges ou des astres 42.

Ce n’était pas l’opinion la plus répandue, et le Traité des Principes pouvait sur ce point aussi paraître le manifeste d’un chef d’école. Il dut briser des résistances pour démontrer l’unité spirituelle du monde. Si l’on a reconnu que la liberté est essentielle à la créature, « peut-on sans inconséquence accepter l’opinion de plusieurs des nôtres, qui tiennent les astres pour immuables et incapables de choisir entre les contraires 43 ? » Les auteurs chrétiens qui traitaient incidemment de la cosmologie acceptaient l’opinion la plus commune, en distinguant les âmes d’ici-bas, soumises au changement, et les êtres célestes dont les mouvements sont toujours ordonnés. « Observez, disait Bardesane, le soleil, la lune, le firmament, et les autres créatures qui sont plus grandes que nous en quelque chose : elles n’ont pas reçu la liberté, et toutes sont fixées de telle manière qu’elles accomplissent seulement les commandements, et ne peuvent jamais s’en écarter 44. » Clément lui-même écrivait dans ses Esquisses sur les Épîtres de saint Jean que les anges premiers créés, ou protoctistes, sont immobiles, ce qui veut dire dépourvus de liberté (ἀϰίνητοι) 45, et que le démon persévère immuablement (ἀτρέπτως) dans le péché.

On ne disait pas que cet état fût la conséquence d’un premier acte de charité ou de rébellion. C’est pourquoi Origène rapprocha cette opinion de celle des hétérodoxes, et l’interpréta comme si elle leur concédait qu’il existe une certaine diversité naturelle des âmes. S’il composa un petit traité des astres 46, et s’attarda à la psychologie des étoiles, en leur prêtant une âme comme la nôtre en un corps moins grossier, ce ne fut point par simple rêverie. Il croyait reconnaître chez ses devanciers l’écho atténué de certaines inventions gnostiques, où le ciel était divisé en puissances de droite et de gauche, vouées par nature, les unes à connaître Dieu et le bien, et les autres à ignorer le nom de Jésus 47. Il lui semblait sans doute qu’on laissait ainsi une porte ouverte au plus grand danger de cette époque, à l’astrologie. Au contraire, les puissances bonnes ou mauvaises ne pouvaient exercer aucun empire sur une partie ni sur l’ensemble des êtres terrestres, si elles étaient elles-mêmes sujettes au changement, et capables de s’élever ou de déchoir en se transformant. Dans le ciel, à qui ses devanciers paraissaient conférer on ne sait quel attribut divin d’immutabilité, Origène introduisit la seule vie spirituelle qui, selon lui, pût appartenir à une créature, la mobilité d’une volonté libre en quête de son bien.

Autour d’Origène, la mystique et l’image que l’on se faisait du monde étaient étroitement liées. De tout temps, l’homme religieux s’est refusé à vivre uniquement en lui-même. Il a voulu connaître sa place dans l’univers, lever les yeux vers le ciel, ou demander l’aide de ses sœurs les créatures. Jamais il ne le fit plus qu’en cette période alexandrine, où un monde limité invitait l’âme au voyage. Tant qu’on opposait aux changements d’ici-bas les cieux immuables, l’homme spirituel pouvait désirer un progrès qui l’amènerait parmi les êtres célestes, et lui ferait gravir peu à peu les degrés de perfection qui les disposent les uns au-dessus des autres. La doctrine des étapes mystiques, très répandue à Alexandrie, décrivait les transformations des âmes purifiées 48.

Elle consistait, sous sa forme la plus matérielle, à imaginer que la restauration des âmes justes, ou apocatastase, devait s’opérer par une série d’ascensions. Monter l’échelle du Paradis, c’est aussi explorer la structure et le mystère du monde. Les fidèles brilleraient d’abord dans le soleil, avec les anges qui l’accompagnent, et présideraient eux aussi aux jours 49. Puis, montant les uns à la suite des autres par un progrès périodique, ils atteindraient la « première demeure 50 ». La restauration des âmes est présentée parfois sous la forme moins matérielle d’une initiation que les justes recevront des anges. À chaque degré de la hiérarchie céleste se trouve une science plus intime du mystère divin. Pendant mille ans les anges instruisent les hommes au ciel. Puis, ayant achevé leur tâche, ils les laissent initier les nouveaux venus, et ils passent eux-mêmes au rang des archanges 51. Telle est l’entrée du « grand prêtre » dans la plénitude, lorsqu’il se dépouille de tout le moi extérieur qui n’est pas sa vraie vie spirituelle. Au terme se trouve la science parfaite, qui associe les initiés aux anges supérieurs ou protoctistes 52.

Les impatients n’attendaient pas la vie future. Ce fut le plus vieux rêve de la gnose que d’atteindre la lumière immuable. Clément, qui avait été sans doute initié aux mystères, n’y pouvait rester insensible. Selon lui, dès qu’ils sont purifiés, les meilleurs jouissent de la contemplation continuelle, dans la société des puissances célestes. Cet état permet de franchir les degrés de l’initiation (τὰς προϰοπὰς τὰς μυςτιϰάς), jusqu’au moment où s’accomplit la restauration parfaite. Peut-être devient-on dès ici-bas l’égal des anges. « En tout cas, celui qui a conquis l’autorité parfaite sur la chair, progressant toujours dans le devoir, se hâte vers la demeure paternelle, jusqu’au vrai séjour du Seigneur à travers la sainte Hebdomade, pour devenir, si j’ose le dire, lumière qui subsiste et qui dure éternellement, dans une immutabilité absolue et complète 53. »

Les renoncements intellectuels n’étaient pas fréquents chez les Alexandrins. Clément savait pourtant prononcer l’exclusive contre une opinion qui lui paraissait contredire la doctrine chrétienne. Il ne voulait pas qu’on dît que le Verbe déchoit en veillant sur le monde, ni que le sage est en substance semblable à Dieu. Mais en dehors de ces grands conflits, on croyait facilement, quand on venait du Didascalée, qu’il suffisait de tempérer d’esprit chrétien un enthousiasme ou une curiosité pour en faire disparaître les dangers. Clément modérait d’un « peut-être » les auditeurs trop gourmands de science supérieure ou d’amour divin, qui voulaient mener dès ici-bas la vie des anges. À vrai dire, il n’était pas loin de penser comme eux, quand il décrivait l’état parfait du chrétien. Pour le reste, non content de croire ce que lui suggérait la conscience chrétienne au sujet du feu purificateur et des expiations futures, il ajouta pour les saints l’innocente rêverie des demeures célestes et les nombres fameux de Pythagore. Malgré le jugement de certains historiens plus sensibles à l’identité des mots qu’aux nuances de la pensée, il en faudrait davantage pour supprimer les frontières qui séparaient la gnose de la théologie alexandrine 54.

Cependant le danger était réel, et Origène le vit, puisqu’il transforma profondément cette mystique et l’image du monde qui y répondait. Le progrès de l’initié était inconciliable avec la préexistence de l’âme. S’il atteint par degrés le « séjour des saints 55 », et s’y fixe dans l’amour divin, il ne peut connaître l’épreuve de vies successives, où le sort de son âme resterait incertain. Un même passage, dans les notes de Clément appelées Extraits des prophètes, enseigne le progrès mystique et nie la préexistence. Chaque pas est présenté comme décisif. Dieu, qui nous a tirés du néant, dispense à chacun le salut au cours d’une seule vie. « Nous n’existions pas avant que Dieu nous ait faits. Car il faudrait savoir où nous étions, si l’on admet notre préexistence, et comment et pourquoi nous sommes venus ici-bas 56. » Clément est en ce point comme en beaucoup d’autres, du même avis que l’auteur dont il cite les extraits 57. Il eût certainement dissuadé son disciple d’écrire les premières dissertations du Traité des Principes. Mais les difficultés que l’on pouvait opposer aux partisans de la préexistence pour les décourager étaient les plus propres à tenter Origène.

Il était persuadé que le fondement de la morale et de la religion disparaissait si l’âme était élevée sans effort ni combat jusqu’au sanctuaire de la divinité. La manière dont la Providence conduit le progrès des êtres spirituels ne change pas dans la vie future. C’est une tâche lente, et souvent à recommencer, que de soigner les blessures du péché. Il faut, pour réformer un esprit immortel, plus de temps que les cinquante années de la vie d’ici-bas 58. Conversion, rechute, dégoût, repentir plus ferme et relèvement, l’âme n’a pas d’autre histoire. Dieu la dirige, préparant la voie, et choisissant son heure, jusqu’à la consommation des temps 59. Alors seulement, si l’on veut prendre parti en ces doctrines incertaines, et si l’on veut parler encore « du progrès des Saints jusqu’à l’héritage du royaume céleste », on peut imaginer que les élus entreront dans le siècle qu’on ne voit pas, plus haut que les astres mobiles et que la sphère des fixes 60. Mais on ne peut rien enseigner sûrement au sujet des changements mystérieux qui se passent dans la Jérusalem céleste 61.

Les sept cieux de l’ogdoade, relégués à la fin des siècles, tombèrent peu à peu dans l’oubli. C’est aux ascètes, en ce monde, que convient le mot de progrès mystique 62. Il finit par désigner tout autre chose que l’impassibilité désormais condamnée. Il s’applique à une religion plus parfaite, que nous appellerions aujourd’hui la voie illuminative, à une vie cachée où Dieu instruit de ses secrets les âmes adonnées à la contemplation. Si l’on dit qu’elles sont élevées au-dessus de la condition humaine, il ne faut pas oublier qu’il dépend de l’homme de se mettre au-dessus du nom d’homme et d’entrer dans le saint des saints. Le progrès mystique repose non sur la possession d’un germe divin, mais sur le choix d’un genre de vie 63. « Il n’y a aucune nature qui ne soit capable de bien ou de mal, sauf celle de Dieu. »

Le terme du combat spirituel n’est pas à la fin d’une vie, mais il vient après plusieurs périodes d’épreuve. Il se confond avec le rétablissement final. Les âmes doivent attendre la Jérusalem spirituelle et le siècle prochain pour être délivrées de la captivité et devenir les pierres vivantes du temple éternel. En ce monde se prépare le retour des exilés, que l’épreuve aura rendus impatients de courir vers le Père, et qui se souviendront de la peine que leur a coûtée leur délivrance. Le corps du Christ s’édifie peu à peu 64.

Sans doute il est difficile d’admettre que le bien de la sainteté une fois donné puisse passer et se perdre. Les adversaires diront qu’il y a une perfection dont on ne déchoit pas. Origène a aperçu plus tard la portée de cette objection qui ruinait son système. Mais devait-il, « pour respecter l’immutabilité des saints », renoncer à retrouver dans la Bible l’histoire invisible des âmes ? Si l’on reste fidèle au sens spirituel, elle est racontée dans les faits illustres d’Israël. Nous sommes le temple qui se construit, à travers mille péripéties 65.

Origène crut qu’il pourrait sauver en partie, comme les hypothèses les plus commodes pour interpréter l’Écriture, des doctrines qui lui avaient été dictées par le désir d’opposer à ses devanciers une gnose plus raisonnable et plus chrétienne.

 

 

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CHAPITRE V

 

UNE CRISE DE L’HUMANISME ALEXANDRIN

 

 

Une telle doctrine de l’univers et de l’homme repose donc tout entière sur la liberté. Pourtant on chercherait vainement chez Origène une philosophie du libre arbitre. Cette idée survient chaque fois comme une brève réponse, qui n’est pas celle d’un dialogue où les deux adversaires se guident l’un l’autre dans une œuvre commune de vérité, mais une réplique faite pour clore un débat contradictoire. « À force de combattre le dualisme gnostique qui établissait deux catégories d’intelligences, les unes essentiellement bonnes et incapables de tout mal, les autres essentiellement mauvaises et incapables de tout bien, il en était venu à penser qu’il n’existait à l’origine entre les intelligences créées ni disparité ni diversité 66. » Cette doctrine a pour but de se placer à l’opposé de la gnose. Elle semble faite tantôt pour écarter une mauvaise interprétation de la Bible, tantôt pour corriger quelques-unes de ces opinions étrangères dont les alexandrins voulaient garder le meilleur, le plus souvent pour confondre un interrupteur et parler ensuite plus sûrement de Dieu, de sa bienfaisance et de sa sagesse. Le système du monde mène à la science de l’âme.

Plus qu’en toute autre philosophie, le sens ou la direction de l’origénisme doit être cherché en s’aidant de points de repère, qui seront d’autant plus précis qu’on les prendra plus proches. Alors seulement apparaît le caractère de la tentative. Car il serait facile de s’y méprendre. Cette doctrine eut le sort qui advient à toute œuvre de polémique quand on veut l’ériger en système. Elle paraît porter les couleurs de ses adversaires. Rien ne se ressemble autant que les contradictoires, pour l’historien des idées qui se borne à une description. Sous ce jour l’antignose d’Origène est encore une gnose. Pour réfuter autrui il faut s’attacher à ses pas, et l’on ne s’aperçoit point qu’on fait route avec lui. Il en fut ainsi de notre auteur. « Sans Valentin comment expliquerait-on sa doctrine de la chute 67 ? » Pour qu’il n’y eût aucune diversité naturelle, il enseignait l’égalité primitive des âmes, sans voir qu’il ne faisait que retarder leur déchéance, et conservait à la naissance le caractère d’un châtiment. Aux simples qui attribuaient leur baptême à une bonne étoile et leurs passions à l’influence du ciel, aux savants qui protestaient contre les lois du démiurge, Origène répondait que chacun a en cette vie le sort qu’il a mérité, avant de naître. Il ne s’apercevait pas que la préexistence bouleversait autant les conditions du salut, et qu’elle livrait l’âme humaine aux pires aventures de la métempsychose, en l’exposant à passer dans un corps d’animal, ce qu’il considérait lui-même comme une « fable inepte et impie 68 ». Plutôt que de conférer au sage l’immutabilité des cieux, il préféra livrer les puissances célestes, les âmes et les démons à des fluctuations indéfinies, sans prévoir qu’il accorderait ainsi le salut au chef des démons, « ce qu’on ne pourrait soutenir sans être fou et avoir manifestement perdu l’esprit 69 ». Tel est le danger de se laisser conduire dans une continuelle réfutation, au lieu de dépasser ses adversaires selon sa forme propre de pensée.

Tout emprunt est mauvais dans une œuvre qui n’a pas la force d’imposer son ordre, « comme un vivant transcendant et indépendant 70 ». C’est pourquoi la critique de cette doctrine tourna facilement au procès du platonisme alexandrin. On prit l’habitude d’accuser les Grecs de tout le mal, parce que plusieurs des opinions condamnées chez Origène étaient les leurs. Les uns voulurent séparer de ce qui appartient au dogme les erreurs qui viendraient de la sagesse profane, pour retrouver une tradition dont ils étaient tentés de méconnaître les expériences au cours de la vie chrétienne. Les péripéties de la pensée religieuse ne pouvaient manifester que les intrusions du monde dans la théologie. Puis on regarda l’hellénisme et le christianisme comme les deux éléments d’une synthèse heureuse ou malheureuse, qui avait fini par le triomphe de la raison sur la religion. On s’indignait qu’Origène eût attendu l’âge de soixante ans avant de prononcer spontanément un sermon 71. Ceux qui déploraient ce prétendu mélange de l’esprit profane avec l’inspiration primitive recherchèrent ardemment, à travers ce qu’ils appelaient une sécularisation progressive, comme on veut retrouver un filet d’eau plusieurs fois perdu dans les sables, un pur christianisme qui n’était qu’un rêve de réforme ou une abstraction. Les derniers venus, ne l’apercevant nulle part, se mirent, chaque fois qu’ils croyaient découvrir quelque rapport avec les autres religions, à douter de l’existence de la pensée chrétienne elle-même.

La doctrine de la liberté met en lumière précisément l’aspect le moins favorable, et pour ainsi dire, le point critique du platonisme alexandrin. Elle montre ainsi quelles sont les conditions de l’humanisme chrétien, et ce qui lui manquait alors. L’influence fâcheuse de certaines idées pythagoriciennes ou platoniciennes révèle seulement les faiblesses d’Origène. Les étrangetés de son hellénisme mesurent la déficience de sa philosophie. Elle ne pouvait les éviter tant qu’elle restait au niveau des dogmes helléniques. Le mythe du Phèdre a pris place dans un plan déjà prêt, dans une vaste histoire de la cité céleste, dont le premier épisode est l’égalité originelle des âmes. Peut-être Origène s’est-il imaginé que tel était le « sens profond » de la République, quand Platon y décrivait la classe des gardiens 72. Mais cette opinion, une des premières condamnées, où la théologie classique vit le fondement du système 73, est précisément celle où Origène était le plus infidèle à l’esprit de l’ancien Platonisme. Quant aux autres emprunts, ils ne sont pas plus nombreux chez lui que chez certains Pères de plus grande autorité.

Il est évident que la question ne saurait être résolue par un savant dosage de tendances, comme si la pensée chrétienne devait avoir pour idéal un équilibre entre des forces de même nature. C’est à l’auteur lui-même qu’il faut demander l’aveu de ses incertitudes. Car il dut bientôt rendre compte de son hellénisme. Le procès était déjà commencé, et il ne manquait pas de gens autour de lui pour accuser la philosophie grecque d’être la mère de toutes les hérésies. Depuis le début du siècle, il existait contre elle, chez quelques écrivains et dans le peuple, une hostilité violente, que la persécution de Septime Sévère, de caractère plus doctrinal que les précédentes, n’était pas faite pour apaiser. « La foule, disait Clément après 202, comme font les enfants pour les masques, a peur de la philosophie des Grecs ; on craint d’être enlevé 74. » Origène dut réfléchir sur ce point mieux qu’il ne l’avait fait dans la fièvre de ses études philosophiques. S’était-il toujours conformé à ce qu’il avait proclamé au début du Traité des Principes, la plus critiquée de ses œuvres ? « La science qui convertit les hommes à bien vivre ne vient que des paroles du Christ et de sa doctrine... Nous avons cessé de demander la vérité aux Grecs et aux Barbares 75. » Sa théorie de l’âme n’avait-elle pas besoin d’être reprise « avec plus de soin » ? Il ne faut pas se hâter d’inférer une théorie complète « de quelques passages épars de l’Écriture ». Car « le sujet est vaste et difficile 76 ». Il s’aperçut ainsi que les conjectures personnelles 77 par lesquelles il croyait résoudre plus facilement les difficultés d’exégèse s’inspiraient souvent d’une trop grande confiance dans la philosophie. Il ne renonça pas à ses opinions, mais il crut que l’Écriture et la mystique suffiraient à les appuyer, sans recourir à la science hellénique.

Sans doute, quand on lui reproche d’avoir porté pendant quelque temps le manteau court et d’avoir été compagnon à l’école du maître des études philosophiques, il peut se rendre le témoignage de l’avoir fait pour mieux répondre aux Grecs et aux hérétiques qui venaient le trouver en grand nombre au Didascalée 78. Mais il a trop aimé les doctrines humaines, et il leur a trop demandé. Elles sont décevantes et fugitives. Quand il relit les textes qui l’inspiraient, il n’y retrouve point les sens cachés qu’il y avait découverts dans le feu de la première lecture. Rien de cette éternité de la parole divine dont on a toujours soif, parce qu’elle emporte celui qui cherche jusqu’à la vie éternelle. Où sont maintenant les interprétations savantes qu’il donnait des mythes platoniciens quand il y voyait « des énigmes », un voile que l’initié seul pouvait soulever 79 ?

« Celui qui s’attache à la profondeur des doctrines, lui dit Jésus, même s’il n’y passe que peu de temps, reçoit comme vérité très profonde les idées qu’il y puise et qu’il croit découvrir. S’il s’y arrête de nouveau plus tard, il retrouve des difficultés partout où il revient... Il ne peut plus exposer ces profondeurs qu’il avait aperçues. Voilà pourquoi, même si on s’est laissé captiver, si on a acquiescé à la vraisemblance d’une théorie, on finit un jour par découvrir que l’on a dans l’esprit les mêmes difficultés qu’avant de l’apprendre. Mais moi, je possède une parole qui fait sourdre un breuvage de vie en celui qui a reçu mon enseignement 80. » Seuls les chercheurs et les amis de la science savent faire ces sortes d’aveux. Une telle page, venue de souvenirs tout intérieurs et d’un regard sur l’œuvre passée, en dit plus long que les déclamations contre l’étude, à qui veut juger de l’ardeur de connaître et de ses limites continuelles chez les premiers théologiens. Mais elle y parvient sans ingratitude ni bassesse, parce qu’elle diminue beaucoup moins les maîtres dont elle limite l’autorité que le disciple et ses folles ambitions. Il se souvient de sa fièvre de découverte, et de ses impressions, si vives qu’il se laissa entraîner. Origène a lu trop vite, et il a écrit trop vite, en exposant aussitôt ce qu’il n’était pas encore sûr de pouvoir enseigner. « Il est manifeste qu’il se souvenait encore des dogmes de Platon et de son étude des principes, quand il rédigea son ouvrage sur le même sujet 81. » Il le fit trop tôt dans sa propre histoire, bien que ce ne fût pas son premier ouvrage, et trop tôt dans l’histoire de l’Église. Il lui manqua souvent la notion de ce qu’il voulait expliquer ou démontrer, la familiarité avec le Verbe dont il pensait retrouver l’image en toute âme éclairée 82.

Plus tard il se reprocha d’avoir méconnu la plénitude de la vérité qu’on ne trouve que dans le Christ : « Toutes les paroles qu’on me disait et que j’écoutais quand j’étais dans mon pays, celles des docteurs du siècle et des philosophes, ce n’était pas vrai. Ce Verbe seul est vrai, qui est en toi 83 ! »

On serait tenté de juger que ces aveux sont d’une conscience trop sévère, et qu’Origène, comme la plupart des mystiques en avançant dans la vie religieuse, s’est exagéré les illusions de son passé. Devait-il opposer la parole divine à ses enthousiasmes d’autrefois, et n’a-t-il pas été trahi par l’état imparfait où se trouvaient alors les dogmes, plutôt qu’il ne leur fut infidèle ? Il ne proposa d’opinion personnelle qu’en des points où il lui semblait qu’il n’existait pas de tradition manifeste. Mais il vit bientôt que ces questions étaient moins libres qu’il ne l’avait pensé. Par les résistances qu’il rencontra, et par ses propres doutes, il s’aperçut que la conscience chrétienne pouvait ignorer l’essence de l’âme ou son origine, et savoir clairement ce qu’elle ne devait pas croire en ces sujets 84. La foi populaire et le symbole de foi devançaient, comme il arriva souvent, le progrès de la méditation savante, parce que les contours de la zone obscure étaient, à vrai dire, aussi nettement tracés que ceux des croyances pleinement formulées. Origène lui-même, quand il a mieux dominé la curiosité de son imagination, et qu’il s’est tenu plus près de son expérience, de sa foi et de l’Écriture, a enrichi d’une vie nouvelle la doctrine de la liberté. Il avait été égaré par son goût des mythes beaucoup plus que par l’imprécision de ses croyances. Sa foi devait lui suffire quand il sut mieux ce qu’il avait à lui demander.

 

 

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CHAPITRE VI

 

LA PREMIÈRE FAUTE ET L’ORIGINE DU MAL

 

 

Déjà le système d’Origène, si proche qu’il fût de toutes les cosmologies contemporaines, l’amenait à méditer un problème qu’il ne pouvait résoudre qu’en chrétien. La déchéance des âmes, en même temps qu’elle explique l’ordre présent du monde, est aussi la première faute, celle qui a produit les imperfections et les misères de notre vie. Aucune question n’est plus discutée, et en aucune le secours de la sagesse divine n’est plus nécessaire. Il semble que les lumières de la raison n’y peuvent suffire, quand on voit que tous les savants et les sages du monde s’écartent de nous en ce point. « Je prétends, dira plus tard Origène, que ce n’est pas facile, même pour un philosophe, de connaître l’origine du mal. Il faut peut-être penser que, sans une inspiration surnaturelle de Dieu, c’est impossible d’en avoir une idée claire, de comprendre complètement quels sont les maux, d’apercevoir ce qui les fait subsister, et de saisir par la pensée le mode de leur disparition 85. » Seul le christianisme enseigne comment une âme peut s’éloigner de la charité, ce qui est le premier et le plus grand de tous les maux.

Il ne suffit pas de montrer que le principe du mal n’est point en Dieu, mais dans la détermination personnelle des créatures. Si les termes qui sollicitent le choix sont deux substances commensurables, on devra remonter au premier être pour rendre compte de l’un et de l’autre. L’on retombera ainsi dans les plus vieux errements des hérétiques, qui s’efforçaient en vain de ne pas imputer au Dieu suprême l’échec du démiurge ou de l’ange imparfait dont ce monde était l’œuvre. Ce n’est pas ainsi que le mal s’oppose à Dieu. Sans doute, en décrivant l’acte humain, on parle d’ordinaire du bien et du mal, de la sagesse et du désordre comme de deux termes qui sollicitent également la libre décision. Mais l’on sait aussi que celui qui se laisse convertir échappe à l’attrait du plaisir, et que l’on peut tendre au bien ou « se détourner » vers le mal 86. Le langage et l’analyse conduisent ainsi à penser que le but inférieur et mauvais n’a pas la même consistance que le bon, puisqu’on en parle toujours comme de sa négation ou de son contraire. Par delà les descriptions classiques, auxquelles il demande seulement la définition la plus générale, Origène cherche confusément dans le mythe de l’âme cette notion nouvelle de la liberté.

Pour dépeindre la faute survenue dans la contemplation bienheureuse, divers exemples se présentaient. Tous convenaient à une défaillance qui fait glisser peu à peu l’âme à un état inférieur 87. Le mythe du Phèdre apprenait à un platonicien que l’oubli avait été la première conséquence de la chute. La perte d’une science, si elle n’est pas due à une faiblesse ni à une lésion de l’intelligence, est une simple « diminution » de l’âme. Il suffit d’une faible inattention, quand elle se prolonge, pour perdre l’objet que l’on contemple. « Selon l’exemple que nous avons proposé, un géomètre ou un médecin, tant qu’il s’exerce à méditer son art et ses principes, conserve la science de son métier ; mais s’il s’abstient de le pratiquer et en néglige la théorie, peu à peu, par le simple effet de négligence, il laisse d’abord échapper quelques notions, puis davantage, et ainsi après une longue période, tout tombe dans l’oubli, tout s’efface complètement de la mémoire... Transportons cet exemple à ceux qui se sont donnés à la science de Dieu et à sa sagesse, dont les maximes et l’art dépassent sans commune mesure tous les autres savoirs 88. » En renonçant à la science des mystères, l’âme s’est peu à peu « bestialisée », et elle a pris un corps avec les vices d’une vie raisonnable 89.

Cette comparaison qui réduisait la faute originelle à un oubli ne pouvait suffire. Perdre Dieu, c’est perdre autre chose que la contemplation des secrets célestes. Pour croire que le mal est une privation, et une privation librement consentie, il fallait voir dans la vie religieuse plus qu’une gnose. Car cette première image montrait mieux la déchéance que le péché, et l’on pouvait douter que l’âme fût vraiment responsable de n’avoir pas conservé une science qui lui était supérieure. On pouvait être tenté de chercher ailleurs le principe de sa négligence, et il n’était pas besoin d’atténuer beaucoup son initiative pour que cette « diminution » de l’intelligence convînt aussi bien à une philosophie de l’émanation telle que le plotinisme.

Il importait à Plotin comme à Origène de ne pas placer le mal parmi les premiers êtres. Il se représentait de la même manière sa venue dans les âmes. « Les vivants qui possèdent la faculté de se mouvoir spontanément inclinent tantôt vers le bien, tantôt vers le mal. Sans doute il ne faut pas dire que le penchant au mal vient de ce qu’ils recherchent le mal ; au début ce pendant est très faible. » Soucieux d’atténuer la première faute, lui aussi, il la décrit comme une « oisiveté », ou une faiblesse. « On leur avait enseigné des exercices ; à cause de leur vie molle et détendue, ils n’en ont pas tenu compte 90. » Chacun a donc été placé selon ses mérites.

Cette doctrine fait partie du patrimoine commun qui fut développé tour à tour par Origène et par Plotin. Elle vient d’une époque où le platonisme n’était pas encore divisé en deux écoles rivales. Moment rapide que l’on a oublié ou renié plus tard, de part et d’autre, parce qu’il n’avait pas laissé d’écrits, et parce qu’on ne pouvait plus le comprendre. La cosmologie du Traité des Principes, à défaut des Stromates, en est le témoignage immédiat. Chaque disciple prenait son bien dans une philosophie indécise où la pensée nouvelle se dissimulait sous le mythe platonicien. Entre les interprétations divergentes qui se sont produites pendant la période suivante, de multiples ressemblances ont subsisté, comme en gardent malgré eux les élèves d’un même maître, quand ils sont devenus des rivaux. La similitude des mots et des leçons se manifeste d’autant mieux qu’ils y mettent des idées différentes.

Car il y a diverses manières d’interpréter cette négligence des âmes. On peut hésiter à leur attribuer l’initiative qui les fait passer de la pureté primitive à la déchéance. La cause dernière de leur faiblesse est alors une force extérieure qui les dépasse 91. « Le mal existe avant nous et il nous possède 92. » Il constitue un sujet, la matière, ce qui permet de dire qu’il a subsistance, sinon substance, en dehors de l’âme. On le trouve en lui-même, comme défaut total de bien, au terme ultime de la dégradation des choses. La faute est donc l’intrusion de cet élément mauvais dans l’âme, le trouble qui naît d’influences inférieures et désordonnées, l’invasion d’une obscurité dont on peut dire qu’elle est seule coupable 93.

Ou bien la liberté donne à la créature le pouvoir de choisir. Alors le mal n’est pas étranger à l’âme. Il est en nous. Il réside en un sujet, non comme une influence mêlée à d’autres, mais comme une négligence voulue de voir et d’aimer Dieu. On peut l’appeler le non-être, le néant au sens strict, puisqu’il consiste dans l’âme en une simple privation du bien.

Cette privation est un accident qui est rendu possible par la condition de l’être créé (γευντός), soumis au changement, et divin seulement dans la mesure où Dieu lui est présent, ce qui signifie qu’il ne possède pas le Bien, même dans le meilleur de lui-même, dans son âme, mais quelque bien. Il ne faut pas regarder comme un mal que la créature reçoive la perfection à titre de participation, au lieu d’en avoir la substance. Car la vertu du sage ne peut pas être la vertu de Dieu. C’est le point où le chrétien s’oppose à la morale traditionnelle. La Trinité seule, Père, Christ et Saint-Esprit, a en elle le bien substantiel. Les natures raisonnables ne possèdent pas en propre et éternellement ce qu’elles sont. Elles l’ont reçu par le bienfait de la création. Dieu leur donne le salut après leur avoir donné l’être, et les deux viennent de lui comme de leur source, puisque l’Écriture appelle Dieu tantôt « celui qui est », tantôt « le seul bon ». La bonté ainsi donnée peut aussi nous être enlevée si nous ne la recevons pas comme il faut 94.

La liberté est le moyen par lequel une âme doit s’approprier la vertu et la bonté qui sont Dieu même 95. Le mal véritable est de ne point user de ce pouvoir comme il faut. Alors la volonté devient un premier principe de malice, mais seulement par déficience, de même qu’elle ne peut devenir principe de bien qu’en participation et « avec le concours de l’inspiration divine 96 ». Ce qu’elle reçoit a Dieu pour auteur. Le mal seul vient d’elle, mais c’est un néant. « Tous ceux qui participent à l’être (et les saints eux-mêmes sont de ce nombre), on a le droit de dire qu’ils sont. Ceux qui éloignent d’eux la participation de l’être, en ce qu’ils se privent de l’être, deviennent ceux qui ne sont pas 97. » La liberté sainement exercée avait pour but de maintenir le rapport qui unit la créature raisonnable au Créateur. Mais ce lien se relâche, « quand l’âme ne conduit pas ses impulsions selon la droite raison 98 ».

Si l’on considère ainsi la nature de la vie morale, on ne craint pas de « priver la raison de faire le bien, pour lui enlever la responsabilité du mal 99 ». Car ce ne sont point deux termes équivalents. En se tournant du côté de Dieu, « il est nécessaire de penser que dans leurs belles actions et dans la pratique des vertus, les bienheureux agissent par le Verbe 100 ». Quant au mal, il est soustrait à la causalité divine parce qu’il est le non-être, si l’on a soin, comme on le faisait alors dans l’école d’Aristote 101, d’observer que la privation ne subsiste jamais en elle-même, mais toujours en un sujet. C’est un manque de vie divine et de connaissance. On lit dans l’Écriture que Dieu ignore les pécheurs, parce qu’il les écarte de sa mémoire 102. Comme Philon l’avait déjà reconnu, ils ne sont nulle part. « Ne livre pas ton sceptre, Seigneur, à ceux qui n’existent pas 103. » Le mal, en tant qu’il est une privation, ne constitue qu’en apparence un sujet subsistant, et il ne saurait être produit par l’auteur de l’être. En tant qu’il est un accident survenant à une essence, il dépend des conditions où Dieu a placé les essences raisonnables, et il est soumis au plan divin, au gouvernement du Verbe. L’action de la Providence ne se trouve pas limitée par l’initiative des créatures, si on connaît un autre mode de production que l’émanation nécessaire du premier principe, et si l’on croît que Dieu ne répand pas sa bonté comme le soleil sa chaleur.

Il fait part de ses biens, comme l’avait montré Clément d’Alexandrie, par une série de libres dons, qui engagent envers lui l’être créé dans la totalité de sa substance, et dont les plus élevés répondent à l’adhésion libre de celui qui reçoit 104. C’est pourquoi Origène refuse d’admettre le moindre enchaînement nécessaire dans l’histoire des âmes. Le mal n’entre même pas dans le plan divin comme une conséquence indirecte et inévitable parce que la matière le produirait 105, ou parce que l’existence de la Loi entraînerait des transgressions, quand elle régit des volontés libres et faibles. C’étaient les explications que donnaient quelques chrétiens contemporains d’Origène, en se bornant à montrer que Dieu n’a pas voulu le mal. « Il n’y aurait pas de faute, disait l’un d’eux, si le Verbe n’existait pas », et n’avait pas commandé à la volonté. Il vaut mieux ne pas parler ainsi, et s’arrêter à la condition immédiate, au verbe et à la liberté qui existent « en chacun de nous 106 ». En prenant conscience de ce qu’il est, en reconnaissant que sa raison ne peut que participer à la raison véritable, l’homme découvrira le sens du péché et de la vertu. Parce qu’il lui faut acquérir le bien, il peut aussi en manquer.

Le plus grand péché est de méconnaître les conditions même de la morale. Il ne rend pas seulement étranger à Dieu, mais il fait du coupable son adversaire, l’ennemi du plan divin. Ce fut la faute de Satan. Non que le mal se trouvât déjà en lui, et voulût s’égaler au bien. Au commencement il était innocent. Mais comme les autres créatures, il avait tout reçu. Au lieu d’en rendre grâce à Dieu, « il se rendit grâces à lui-même de ses avantages 107 », « s’attribua le principe de sa bonté, sans rendre la gloire qui est due à celui qui lui a donné d’acquérir la vertu et d’y demeurer 108 ». À ce degré le mal est extrême et sans doute irréductible. Loin de participer à Dieu, Satan lui fait la guerre et le contredit. Il est mensonge encore plus que malice, et plus faux qu’aucune autre créature, parce qu’il est l’auteur de son illusion 109.

En tout péché il y a quelque chose de semblable 110. On se convertit dans la mesure où disparaît la recherche de soi-même. Le pécheur doit s’humilier et prendre conscience de sa dépendance. Volontiers Origène ramène le repentir au sentiment des mystiques à qui Dieu enseigne qu’ils le connaîtront lui-même en eux. Contemplatif dès sa jeunesse, il se représente la contrition comme une adoration et une action de grâces, et sans s’attarder dans les larmes, s’il était pénitent, il préférerait confesser la douceur incomparable des bienfaits divins. Il faut que le pécheur comprenne, à force d’épreuves, qu’en abandonnant la vertu et « en insultant des biens d’un si grand prix 111 », il est l’auteur de ses propres maux. Telle est la lente éducation que Dieu impose aux méchants. « Ils ne reconnaîtraient pas la bienfaisance divine, s’ils ne reconnaissaient pas ce qu’ils sont. Chacun en a besoin pour prendre conscience de sa propre nature et de la grâce de Dieu. Celui qui ne s’aperçoit pas de sa faiblesse à lui, et de la grâce de Dieu, celui qui ne profite pas des bienfaits qu’il reçoit pour faire l’expérience de lui-même et se connaître, s’appropriera ses belles actions, alors que les moyens de les accomplir lui viennent en surcroît de la grâce céleste. Cette pensée, gonflant le cœur d’une vaine illusion, sera cause de sa chute 112. » Faute d’une réforme intellectuelle et d’un regard nouveau pour sentir en soi le néant de la créature privée du don divin, la vie de charité et d’union est impossible.

Mais il n’est point nécessaire de concevoir le péché extrême et la privation totale de bien pour avoir l’intuition du mal. La morale chrétienne s’attarde peu à décrire l’état du réprouvé et, pour se représenter la faute, elle préfère se porter vers l’autre terme. Elle a toujours sous les yeux son idéal, quand elle veut mesurer la malice de ce qui l’offense. Elle discerne la cause des plus grandes chutes dans la négligence et les imperfections presque insensibles où elles commencent. Origène le fit d’autant plus volontiers qu’il devait montrer l’origine du mal sans introduire dans l’âme aucun principe de faiblesse ou d’obscurité. La première imperfection consista seulement en une diminution de la vie divine. L’illusion de Satan et des siens représente le cas extrême du péché. Mais la déchéance la plus fréquente est venue d’un défaut de charité.

Telle fut la dernière forme que prit le mythe de l’âme. La méditation et l’expérience d’Origène y remplacent peu à peu les souvenirs d’école. Il transpose en une histoire des origines les épisodes les plus délicats de la vie spirituelle. En lisant la Bible, et surtout en commentant les Psaumes, où les Alexandrins cherchaient le secret de la perfection, il a déjà réfléchi sur l’état habituel d’oraison. Il s’est demandé comment on pouvait faire de sa vie une prière continuelle 113. Il sait que le chrétien, quand il aspire à l’union divine, doit imiter la charité parfaite qui remplit l’âme du Christ, où l’iniquité n’a pas de prise, parce qu’elle est unie substantiellement à Dieu. Il connaît la tiédeur et ses conséquences, l’état instable de l’âme, capable de recevoir les inspirations divines, mais aussi de se laisser distraire et refroidir. Maintenant qu’il doit raconter les origines, ces impressions deviennent une histoire. Avant son union physique avec le Verbe, l’âme du Christ a mérité l’onction divine par la perfection de son amour, et les autres n’ont pu se maintenir dans la contemplation. Dès qu’il rêve de dépasser les limites du dogme, la pensée d’Origène lui devient infidèle. Le traité de l’amour de Dieu se déforme en un mythe qui est donné comme une vérité plus complète que la simple croyance. Mais la vie spirituelle y reste chrétienne. En s’imaginant qu’il découvre la science supérieure de ce qui a précédé et de ce qui suivra le monde, trompé par le long détour qu’il a fait, Origène retrouve simplement, pour sa sauvegarde, ses souvenirs des livres saints et les impressions les plus profondes que la prière de l’Église lui a laissées.

L’âme du Christ offre l’exemple de l’union parfaite avec le Verbe qui est lumière et amour. Elle a choisi d’aimer la justice avec tant de fermeté et de ferveur qu’elle s’est détachée des impressions d’où naît l’inconstance. Un long exercice a produit en elle une nouvelle nature. Le métal plongé dans la fournaise devient feu lui-même, et il a les effets du feu. Comme elle demeurait « toujours dans le Verbe, toujours dans la Sagesse, toujours en Dieu », le feu divin s’est reposé substantiellement en cette âme qui est immuable.

C’est d’elle que les saints reçoivent la ferveur dont ils participent. Car ils n’ont pas atteint ce degré d’amour qui unit naturellement l’âme du Christ à son auteur. C’est pourquoi il leur arrive de perdre la charité. « Un vase qui contient la substance du baume ne peut jamais avoir mauvaise odeur. » C’était une comparaison familière aux auditeurs. Origène voyait volontiers dans le balsamaire, répandu à Alexandrie, le symbole de l’onction sainte, de la charité et de la joie. « Mais les vases qu’il parfume dans son voisinage, s’ils sont placés plus loin de lui, peuvent recevoir la mauvaise odeur, s’il s’en trouve 114. »

« C’est par le dégoût et la lassitude de conserver le bien que commence l’éloignement 115. » Les intelligences ont eu la satiété d’aimer Dieu et de le contempler. Telle fut la première faute : une distraction dans l’oraison, ou encore une somnolence 116, ce qui n’est pas tout à fait une impuissance et pas encore une opposition au bien. Saint Jérôme, en résumant ces traits l’appelle « une sorte de péché 117 ». Origène parlait d’abord d’omission et de négligence. « Se retirer du Bien et s’établir dans le mal, c’est la même chose 118. » Si l’on se souvient de ce qu’est une faute à ses origines, on s’aperçoit qu’elle a pour principe une moindre charité.

Cet amoindrissement est devenu l’état ordinaire de l’âme. Comme quelques écrivains l’avaient déjà pensé d’après l’étymologie communément acceptée 119, son nom vient de là. Âme veut dire froideur. « Ceux qui se sont laissé tomber loin de l’amour de Dieu, ont perdu évidemment la chaleur de la charité, et on peut dire qu’ils sont devenus froids », parce que la froideur s’oppose à celui qui « est un feu consumant 120 ». Notre nature spirituelle est à peine une nature, mais plutôt une substance instable qui n’a pas toujours été ce qu’elle est, et qui cesse de porter son nom pour devenir esprit, quand elle est sauvée. La doctrine de la liberté et l’histoire de l’âme ne donnent que le préambule d’une psychologie du salut et de l’oraison.

 

 

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CHAPITRE VII

 

DE LA COSMOLOGIE À LA MYSTIQUE

 

 

1. Les corrections de la doctrine

 

Cette étude eût mérité d’appartenir à un traité « de la tiédeur et du péché ». Les moines origénistes de Palestine en auraient fait impunément le sujet de leurs méditations. Mais c’était une explication du monde, et Origène, qui ne connaissait bien que la vie spirituelle, prétendait y découvrir les causes de ce qu’il voyait dans le ciel et sur la terre. C’est par suite de leur déchéance que les intelligences ont été attachées à un corps où elles sont venues du dehors, comme dans un exil et un lieu d’épreuve. Les substances matérielles sont créées pour les esprits et logiquement après eux 121. L’univers est un vaste purgatoire où Dieu fait peu à peu l’éducation des créatures raisonnables qui ont revêtu la chair et le sang. Si atténuée que soit la faute originelle, le monde présent a pour cause un péché. « Selon ce système, dit saint Thomas, toutes les créatures corporelles n’ont d’autre fin que de servir de châtiment au péché, et elles n’ont pas été faites pour participer à la bonté du Dieu 122. »

I. Origène s’efforça toujours d’éviter ces conséquences extrêmes de sa doctrine. Il dut interpréter après les Valentiniens et contre eux la parole de saint Paul : « La création a été asservie à la vanité, non de son gré, mais par la volonté de celui qui l’y a soumise, avec l’espoir qu’elle aussi sera affranchie 123. » Ce texte paraissait un des plus solides refuges de la gnose. « L’œuvre du démiurge, disaient au temps d’Origène les disciples d’Héracléon, a été asservie à la vanité, parce qu’il n’a pas connu la Sagesse qui agissait par son intermédiaire, et qu’il a attribué son œuvre à sa propre puissance. » Le fondateur de la secte, dans son Commentaire de saint Jean, avait été plus violent : « Le monde, écrivait-il, est un désert où n’habitent que des bêtes sauvages. » L’âme est égarée dans cette création que les païens adorent. Souillée par son union impure avec la malice de la matière, elle reconnaît sa déchéance, mais elle ignore où est son véritable époux 124.

Par son éducation chrétienne, Origène était hostile à ce « roman à thèse 125 », où l’innocence et la faute se confondaient habilement, et où le sentiment du péché se réduisait à un aveu confus et impur. Il s’était rappelé en commentant la Genèse qu’il n’y a point nécessairement de malice dans la matière, qu’il ne faut rien mépriser dans le monde, et que les créatures les plus viles, comme les puissances du ciel, montrent des « vestiges » de la sagesse divine 126. Être asservi à la vanité de la vie corporelle, ce n’est pas être en état de péché. Diverses sont les causes pour lesquelles une âme peut être unie à un corps. La défaillance de la vie spirituelle, le désir passionné des choses visibles ne suffisent pas à expliquer l’existence du monde, où les créatures supérieures remplissent un office splendide 127. Quelques-unes d’entre elles décident ou acceptent de se soumettre à la vanité de cette vie pour aider les autres et compatir à leurs peines. Émules et imitateurs du Christ, ces esprits plus parfaits sont contents de le servir en menant la vie du corps dont ils ne veulent pas pour elle-même. Car ils aimeraient mieux être avec le Christ. Mais ils espèrent ainsi s’approcher de l’objet de leurs espérances, eux-mêmes et ceux qu’ils secourent 128. Tel est le sens qu’il faut donner à la parole de l’Apôtre. « Il a voulu montrer que c’est malgré lui, autant qu’il en a conscience, qu’il s’est soumis à la corruption et à la vanité, à cause de celui qui en a décidé ainsi, et pour que nous soyons sauvés 129. »

Origène échappe aux conséquences de son système par sa familiarité avec la tradition. Malgré la doctrine qu’il a exposée dans le Traité des Principes, il n’affirme pas avec certitude que les corps soient les tuniques de peaux dont les âmes ont été revêtues pour expier leurs fautes. Cette interprétation du récit biblique, qui venait de Philon, avait été repoussée ou ignorée par l’ensemble des théologiens 130. Il faut avouer que « sa vérité n’est pas évidente 131 ». Bien qu’Origène la préfère à l’interprétation selon laquelle la condition mortelle est un châtiment survenu plus tard au corps, il n’ose pas l’enseigner au peuple chrétien, ni la présenter comme la doctrine manifeste de l’Église. Dans une homélie sur le Lévitique, il s’en tient à la pensée commune, sous sa forme la plus générale. « Ces vêtements signifiaient la condition mortelle que l’homme avait reçue par sa faute, et la fragilité qui venait de la corruption de la chair. Si on s’en lave et si on s’en purifie par la loi de Dieu, on reçoit de Moïse le vêtement incorruptible 132. »

Quant aux disciples, même s’ils ont approfondi cette doctrine, et s’ils croient que les âmes étaient incorporelles au Paradis, où elles cultivaient l’arbre de la science, ils ne rougiront pas d’avoir un corps. Ils sauront qu’il est une cause d’insécurité, par les excitations qui en viennent et par les images qui sollicitent la partie inconstante de notre âme. Les désirs matériels d’un corps grossier comme le nôtre affaiblissent ses jugements et, à cause de notre extrême mobilité, la détournent des choses spirituelles, si elle ne s’attache pas fermement au Verbe 133. On doit habiter le corps sans être dans la chair, ce qui est possible, puisqu’il n’y a pas d’autre principe de péché que notre liberté.

II. C’est dans la lutte contre soi-même et l’œuvre du salut qu’il faut chercher le fondement de la morale. Il semblait d’abord à Origène qu’il se faisait une idée plus haute du Verbe quand il l’appelait la lumière du monde plutôt que la lumière des hommes. Il se demandait si ce n’était pas accorder trop d’honneur à une créature inférieure aux anges, que de penser qu’elle est l’unique objet du plan rédempteur 134. Il suivait parfois les Valentiniens qui parlaient plus volontiers des puissances célestes et de leurs séjours que de la vie présente, et s’affligeaient des malheurs de la création plutôt que des péchés de l’homme. Mais l’interprétation allégorique de l’Écriture éloignait peu à peu Origène de l’image qui lui représentait une hiérarchie matérielle du monde. La venue du Sauveur dans les âmes, avec le cortège des anges et des Saints, occupe le centre de l’œuvre divine. Jérusalem tient lieu désormais de l’univers. S’il se souvient d’avoir donné d’autres définitions du monde, Origène n’oublie pas que ce mot peut aussi désigner l’Église 135. Elle est le monde que le Christ illumine ; et celui qui ne l’a point connu, ce n’est pas « le système composé du ciel, de la terre et des êtres qui s’y trouvent », comme on l’a pensé quelquefois, mais « une partie de ce lieu terrestre, les hommes qui l’habitent avec nous et pour qui l’Église est une étrangère 136 ».

Il n’est rien de plus précieux au ciel et sur la terre que le salut d’une âme. Si l’Écriture n’y avait suffi, la persécution aurait dissipé les rêves et placé brutalement le théologien devant l’enjeu de la liberté humaine. Jadis Origène avait prêté peu d’attention à la parole de l’Apôtre : « Nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes 137. » Clément l’avait illustrée d’une image olympique, en montrant le grand stade qu’est ce bel univers, où le véritable athlète, vainqueur de ses passions, a pour spectateurs les anges 138. Son disciple s’en souvint au cours de la persécution de Maximin, quand il dut exhorter au martyre son ami Ambroise. Toute la création s’intéresse à nos luttes.

« C’est un grand théâtre qui applaudit à votre combat, quand vous êtes appelés au martyre. On voit quelque chose de semblable à ces paradoxes où l’on appelle “combattants” les milliers de témoins que le spectacle mêle pour ainsi dire à la lutte. Et vous pourrez dire aussi bien que saint Paul, quand vous combattrez : “Nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes.” Ainsi donc le monde entier, tous les anges placés soit à la droite, soit à la gauche de Dieu, tous les hommes, aussi bien ceux qui sont la part de Dieu que les autres, entendront proclamer votre combat pour le christianisme, et les esprits célestes partageront la joie de votre victoire 139. » Le chrétien avait le droit de se croire l’objet des desseins particuliers de la Providence. Tandis que la philosophie hellénique se dirigeait dans un tout autre sens, Origène n’hésitait plus à voir dans le salut des âmes la fin de la création, et à placer l’homme au centre de l’univers.

 

 

2. Les silences.

 

Inspiré par la vie chrétienne, même quand il avait paru suivre d’autres pensées, il se laissa davantage gagner par elle, quand le souci d’exposer la parole divine et de commenter le message de la foi chrétienne l’emporta chez lui sur toute autre ambition. Les résistances que certaines de ses idées n’avaient pas tardé à rencontrer l’amenèrent à suivre de plus près le texte, sinon la lettre, de l’Écriture. Puis son exil et sa condamnation en 231, véritable tempête que déchaînèrent ses imprudences et celles de ses partisans, tandis qu’il poursuivait la lente méditation de cet Évangile qu’on ne peut comprendre si l’on ne s’est penché sur la poitrine de Jésus, son désir d’une vie mystique toujours plus élevée, la persécution de 235, qui après vingt ans de paix où le martyre n’était plus qu’un souvenir, en fit de nouveau une réalité, comprise dans les engagements du chrétien, tous ces évènements l’éloignèrent presque à son insu des recherches qui avaient donné naissance au Traité des Principes.

Ce n’est pas qu’on trouve chez lui les désaveux que d’autres penseurs voulurent s’imposer 140. Il garda la plupart de ses opinions, et dans les termes où il les avait conçues, si bien qu’on a pu dire, non sans paradoxe, qu’il serait « illusoire de chercher dans ses livres l’histoire de sa pensée 141 ». Il continua de croire à la préexistence des âmes, que l’on voit timidement rappelée jusque dans la traduction latine de l’un de ses derniers commentaires 142. La chute originelle resta dans sa doctrine le péché commun des hommes, de certains anges et de toutes les créatures raisonnables qui se sont éloignées de leur principe 143. Il fut toujours vrai pour lui que nous sommes des âmes qui se servent de corps, et il ne cessa pas de penser que la Providence corrige le pécheur par l’épreuve de plusieurs vies 144. En ce sens on ne peut nier que le Traité des Principes soit une véritable somme de l’origénisme. Il arriva que son auteur s’en fît l’apologiste. Plus souvent il lui réserva ses secrètes préférences, comme à un cher domaine qu’il ne se résignait pas à abandonner tout à fait, bien qu’il ne pût le revoir que de loin et en passant.

L’idée ne lui venait pas qu’il pût se rétracter. Il avait fait œuvre nécessaire, en opposant aux hétérodoxes « un haut retranchement, occupé par les concordances de la doctrine commune à ce qu’on appelle l’Ancien et le Nouveau Testaments ». Quant au reste de sa théologie, « il n’avait jamais professé comme la vérité ce qui s’en écarte, fût-ce en un seul de ses ouvrages 145 ». Il avait traité mainte question touchant la vie future et la nature de l’âme à la manière de problèmes soumis à la discussion 146. N’avait-il pas le droit de continuer à les proposer comme des conjectures ou des opinions personnelles, ainsi qu’il convient à un esprit exercé et ami de la sagesse, supérieur à la foule par les dons de l’Esprit 147 ? Il eût admis avec peine ce qui semblait naturel à saint Irénée, que le message de l’Église, en même temps qu’il définissait les points fondamentaux de la foi commune, traçât aussi le programme des savants et les limites qu’ils ne devaient pas franchir 148.

Pourtant, lorsqu’il parlait ainsi, il défendait un parti, ceux qui « savent enseigner et écrire », plutôt que sa doctrine. Quand il quittait les points brûlants, ou quand revenait la tranquillité d’esprit, il était moins sûr de lui-même et de la science dont il s’était cru pourvu. Son talent de théologien, dont il s’autorisait, lui paraissait chose incertaine et trop inférieure au mystère divin. « Peut-être avait-il été présomptueux de se consacrer à l’exégèse 149. » L’exemple d’illustres contemporains lui montrait « qu’une âme sublime, pénétrante et habile à discerner les idées » n’est pas à l’abri de toute chute. « Il peut arriver même à Jérusalem d’être dans le péché. Car les hommes de génie peuvent pécher, et, s’ils ne se convertissent pas assez vite après leur faute, perdre leur génie et devenir non seulement les hôtes, mais les citoyens d’une des villes étrangères de la Judée 150. » Comme l’étude des livres saints a ses tentations non moins dangereuses que les autres, il faut attendre « de celui qui exauce quiconque demande et fait effort pour pénétrer l’Écriture, qu’il veuille bien donner la clef des sens cachés 151 ». Origène croit « qu’il manque de la sagesse extraordinaire de l’Esprit » qui serait nécessaire pour « connaître et enseigner » certains mystères plus difficiles, qui concernent les transformations des Saints ou le corps spirituel du Christ 152. Il y a des sujets que l’on ne peut pas traiter sans une inspiration divine.

L’histoire de la chute originelle est l’un de ces mystères où le théologien, au lieu de comprendre et d’enseigner, rappelle seulement quelle est « son opinion », dont il montre la vraisemblance. « Peut-être n’est-il pas absolument vrai de dire que la créature raisonnable était imparfaite au premier moment où Dieu l’a placée dans le Paradis 153. » Mais la doctrine abondamment développée dans le Traité des Principes se réduit désormais à quelques affirmations tirées de la Bible, et très modestes auprès de cette science des origines que le maître du Didascalée avait cru d’abord instaurer. Tout ce qui venait du mythe platonicien sans être appelé par la théologie s’estompe et disparaît. Pourtant Origène reprend une fois encore l’image du Phèdre, et il redit avec Platon que les ailes perdues peuvent repousser pour soulever l’âme de nouveau 154. Mais il le fait dans une œuvre où il se tient pour ainsi dire à la périphérie de sa pensée, aux points où elle rencontre l’hellénisme pour y chercher une défense ou pour le dépasser. Une apologie ne saurait se dispenser de ces rapprochements qui n’engagent pas le fond de la doctrine. « Non seulement les chrétiens et les juifs, mais beaucoup d’autres, Grecs ou Barbares, croient que l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation du corps 155. » Mais la théorie nouvelle est « plus élevée », parce qu’elle n’enseigne pas que l’âme s’incarne plusieurs fois en des corps différents. Le récit biblique « contient un sens ineffable et un mystère bien supérieur à ce que Platon dit de l’âme qui, ayant perdu ses ailes, tombe ici-bas jusqu’à ce qu’elle rencontre un corps solide où elle puisse s’arrêter 156 ».

Ainsi se forme une théologie qui s’inspire plus fidèlement du commentaire de la Genèse. La destinée de l’homme et la venue du Sauveur y tiennent la première place. Il a été envoyé pour rendre à l’œuvre de Dieu sa perfection première qu’elle avait perdue par la « désobéissance » ou la « transgression » originelle. Il faut ajouter qu’il n’est pas seulement le Sauveur des hommes, mais de toutes les créatures raisonnables. Quelques textes de l’Écriture suffisent à le rappeler 157. Peut-être une seule âme, celle de Jésus, était-elle dès l’origine plus étroitement associée à Dieu, à cause de sa perfection 158. Dans la suite de son œuvre, Origène en dit moins long encore. Il préfère laisser dans l’ombre la faute du démon et la chute des esprits célestes. « Que l’on examine par soi-même d’où venait le péché quand il est entré dans le monde, et où il se trouvait auparavant. Existait-il nécessairement, est-il antérieur à celui auquel est dite la parole : J’ai trouvé des iniquités en toi et c’est pourquoi je t’ai jeté à terre 159 ? » Ces mots suffisaient au disciple, qui se souvenait que le Traité des Principes avait appliqué à Satan ce que le prophète Ézéchiel disait au prince de Tyr. Origène reprenait volontiers en une liste de « problèmes » les points les plus controversés de sa doctrine, pour l’éclaircir en y introduisant quelques distinctions, et aussi pour montrer qu’il ne l’avait jamais donnée comme une certitude 160. Il respectait ainsi le mystère, sans cesser d’éveiller chez les disciples le goût de la recherche, qui était nécessaire, selon les Alexandrins, pour atteindre à la vie parfaite. « À mesure que la foi avance, disait Clément, le désir s’accroît, quand la recherche l’accompagne et s’y mêle 161. »

Quant au maître, il renonce à enseigner les idées qui lui sont venues sur ce point, comme si son autorité grandissante l’obligeait à sacrifier au commentaire de la pensée traditionnelle son ardeur à scruter les mystères de la religion, et comme s’il devait couper court désormais aux digressions où l’entraînaient autrefois ses conjectures les plus hardies. « Pour nous, ce ne serait pas sûr de nous étendre sur ce sujet, puisque nous voyons que l’Apôtre l’a résumé en quelques mots 162. » Même s’il faut choisir entre la transmission de la faute originelle ou la chute individuelle des âmes, il laisse au disciple le soin de décider. « Tous nous avons été mis dans ce lieu d’humiliation et dans cette vallée de larmes ; soit que tous ceux qui naissent d’Adam aient existé dans sa chair, soit que chacun, d’une manière mystérieuse et connue de Dieu seul, ait été chassé du Paradis et ait reçu sa condamnation 163. » L’Apôtre n’a pas voulu s’exprimer plus clairement. « Celui qui est instruit dans la loi de Dieu sait comprendre un langage obscur, les paroles des sages et les énigmes 164. »

L’histoire de l’âme se réduisit ainsi au dogme du péché originel, conformément à la tradition. Ce fut par un lent changement de perspectives plutôt que par des corrections où Origène aurait cru renier inutilement ce qu’il n’avait pas enseigné. La manière dont il procède quand il rappelle en quelques mots une doctrine précédente est celle d’un chercheur pour qui la vérité se conquiert dans la vie de l’âme nourrie par la méditation. Il se révèle mieux alors par ce qu’il ajoute ou par ce qu’il tait qu’il ne le faisait par ses premières formules, improvisées dans la polémique ou dans l’enthousiasme.

Cependant l’historien éprouve un certain malaise à juger cette méthode. Pourquoi tant d’habiletés et de complications, alors que les préférences de l’auteur ne sont pas douteuses ? On se défendra mal contre l’impression qu’il dérobe aux regards par prudence une doctrine personnelle à laquelle il renvoie ses disciples. Le goût alexandrin de l’ésotérisme permet de le croire.

Quand il observe que les âmes disposent de ressources inégales pour pratiquer le bien, il rappelle à ses disciples que les semences de vertu et de vérité peuvent dépendre d’une vie antérieure. La doctrine qui semblait oubliée reparaît au XXe livre du Commentaire de saint Jean, à un moment d’audace ou de regret. Origène a cru, en lisant l’Épître aux Éphésiens, y découvrir des allusions à la préexistence de l’âme, que l’Apôtre aurait apprise en des révélations ineffables, et qu’il enseignerait d’une manière voilée 165. « La cause des inégalités naturelles se trouve dans les jugements divins, qui sont difficiles à interpréter. Ceux qui ont reçu l’esprit du Christ les ont contemplés, pour savoir quelles grâces Dieu leur a faites. Quelques-uns après eux sont capables de s’en former une idée 166, ceux qui ont étudié avec plus de soin ce qui existe avant et dans la venue d’une âme en ce monde. Comme de telles opinions peuvent troubler celui qui les a rassemblées sans les examiner,... il est peu sûr de les déployer au grand jour, même si elles sont vraies, peu sûr parce qu’il faut que le dispensateur des mystères divins choisisse l’occasion d’amener de telles pensées, sans faire de mal à l’auditeur, et d’observer avec une juste mesure le défaut ou l’excès qui l’éloigneraient d’une saine doctrine. Même si on a reconnu le moment favorable, il faut examiner avec plus de soin si ceux à qui on confie de telles doctrines sont esclaves du même Maître, ou bien obéissent à un autre seigneur que le Maître de ceux qui ont la puissance 167. » Fallait-il donc se défier aussi des disciples, après avoir passé outre aux répugnances des simples ? Suffirait-il d’une pédagogie plus habile pour annexer à la tradition ce que manifestement elle ne voulait pas accepter ?

La plupart des théologiens ont tendu au contraire à confondre leur doctrine avec tout le catholicisme, parce que les formes les plus élevées de la méditation chrétienne ne peuvent cesser d’être la pensée commune.

Dans l’œuvre d’Origène il arrive parfois que l’école, avec ses coutumes, son secret pythagoricien, et son initiation, cache tout à fait l’Église. Il renouvelle alors la théorie du mythe bienfaisant, ou des fictions utiles, qu’il avait découverte jadis dans la République, au temps où il écrivait ses Stromates 168. C’est la dernière ressource des heures où il ressent de l’amertume contre l’auditeur qui « a rassemblé ses opinions, mais ne les a pas examinées », et où, contre le pouvoir établi, il s’autorise, comme tant d’autres, de celui qui commande à toutes les puissances. Il n’y avait pas de plus grand danger pour la tradition, si ces regrets d’un instant étaient devenus habituels. Ce n’est pas sans raison que l’origénisme des disciples survécut à l’origénisme du maître lui-même, et se perpétua parmi certains ascètes de Palestine, dont les polémiques contre la hiérarchie ont laissé quelque trace dans l’article consacré par saint Épiphane à leur hérésie 169. Origène, qui fut souvent le prisonnier de ses amitiés, resta, malgré son sentiment chrétien, un homme de parti en même temps qu’un homme d’Église.

C’est pourtant l’Église qui disait toujours le dernier mot. La conscience qu’il avait d’être en présence du mystère, son soin de ne point blesser la croyance commune retinrent ces impatiences d’une âme mobile et chimérique plutôt que révoltée. On se tromperait si l’on voyait dans ses réticences l’indice d’un esprit partagé entre une science religieuse issue de recherches personnelles, et le souci de ne point heurter l’orthodoxie. Ce sont les hérétiques qui ont besoin de comparer les deux eaux, celle de la sagesse qui ne compte que sur l’étude, et celle de la vie éternelle 170. Ils boivent du puits de Jacob comme puisait la Samaritaine avant d’avoir la foi 171. Il ne serait pas venu à l’esprit d’Origène que la croyance reçue au baptême pût être gênante pour sa théologie et qu’il dût les confronter 172. Il souffrit plutôt d’un excès de confiance dans le pouvoir de la raison éclairée par le message divin. Il crut d’abord que les découvertes qu’il ferait dans l’Écriture et les conséquences qu’il en pourrait tirer offriraient un objet illimité à son besoin de connaître. Il changea d’avis peu à peu, comme on renonce par expérience à de trop vastes ambitions.

C’est pourquoi on n’observe pas qu’au milieu des plus rudes épreuves, quand il fut banni d’Alexandrie, sa fidélité ait subi de crise, comme en d’autres difficultés celle de Tertullien ou d’Hippolyte. Sa théologie était attaquée sur plusieurs points ; les corrections et les atténuations qu’il y apporta ne permettent pas d’en douter. On lui disait que « ses plaidoyers ne convainquaient personne 173 ». La chute des âmes et le salut des mauvais anges n’étaient pas des doctrines que le commun des chrétiens, les autres écoles et l’autorité hiérarchique pouvaient laisser enseigner sans résistance. Mais comment aurait-il consenti, pour les défendre, à sacrifier la moindre partie de la foi chrétienne, qui était le seul fondement, et pour tout dire, la substance même de la science religieuse ? « Une croyance ferme ne doit être ébranlée par aucun malheur 174. » Aussi sa pensée fut-elle ramenée doucement dans le sens de la tradition, comme par la force des choses. Pour qui se fait l’historien de la pensée commune, les amendements, les silences et les atténuations d’Origène sont un indice aussi sûr que l’aurait été un conflit plus violent, ou un renoncement plus accusé. C’est le spectacle d’un lent triomphe, non sans lutte ni retards, remporté par le sens chrétien dont un critique des plus autorisés a vanté chez Origène la « réelle plénitude 175 ». Il fut maintenu dans la fidélité par le texte de l’Écriture qu’il aimait par-dessus tout, quelquefois par la lecture de ses devanciers, et toujours par le respect de la croyance reçue au baptême.

Plutôt qu’un conflit de la religion et de la philosophie, on trouverait chez lui le dernier essai d’une gnose chrétienne. Il a senti que la foi limitait la liberté de la recherche théologique, et il a essayé de surmonter cette difficulté en conviant ses disciples à une connaissance supérieure qu’ils ne devaient divulguer qu’à bon escient. Pourtant, cette doctrine plus élevée devait achever la foi sans la contredire, de même que le sens anagogique complète les autres interprétations. On peut d’ailleurs se demander si c’était vraiment une doctrine. En l’appelant ineffable et mystique, Origène sans doute voulait dire d’abord qu’il n’était pas permis de la publier 176. Mais, si l’on en cherche la raison, n’est-ce pas que la vérité prise en elle-même dépasse le langage humain 177 ? Ces mystères au sens antique sont aussi des mystères à un autre titre, parce qu’ils contiennent une vérité trop profonde pour qu’elle ne soit pas difficile ou même impossible à expliquer.

Quand il en appelle aux révélations des Saints, c’est souvent à une connaissance intuitive et d’un autre ordre qu’il invite ses disciples 178. Il l’appelle la vision de Dieu ou la manifestation de sa gloire 179. En lisant l’Évangile de saint Jean et celui de saint Mathieu, il se laisse parfois gagner par le désir de la science parfaite, celle qui connaît les raisons des choses dans le Verbe divin « plein de grâce et de vérité ». Il lui semble alors que « les Écritures sont une introduction très brève et restreinte, comparées à cette source de la vie 180 ». Auprès d’elle, ce n’est pas seulement la sagesse humaine, mais tout enseignement qui est dépassé. Alors l’âme imite la Samaritaine au puits de Jacob. « Elle porte un vase rempli d’une eau fière de sa profondeur, avec l’air solennel de la science. Mais ce qui était son souci lui paraît alors chose de peu de valeur, et elle le dépose auprès de celui qui vaut mieux que l’urne, pour puiser elle-même une eau qui devient déjà une source jaillissant pour la vie éternelle 181. » On peut aussi considérer les découvertes de l’esprit comme les aliments que les apôtres apportent au Christ, « pour qu’il reste davantage auprès d’eux, et les nourrisse à son tour 182 ». La théologie doit tendre à la vision bienheureuse. Qu’elle se produise en cette vie ou plus tard, il faut s’y efforcer. Origène confond volontiers les promesses avec l’achèvement. Il voit dans l’expérience mystique les débuts de la connaissance parfaite. Et s’il en a besoin, il anticipe sur la contemplation future afin d’autoriser quelques opinions pour lesquelles il ne trouve pas d’autre appui.

 

 

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CHAPITRE VIII

 

ÂME ET LIBERTÉ

 

 

1. Les rudiments de la philosophie.

 

La tentative d’Origène devait lui laisser autre chose que le souvenir amer de son dénouement, et quelques désirs de s’évader avec ses disciples dans la science ineffable des mystères divins. Ce qu’il avait mis de lui-même dans le Traité des Principes, et en particulier dans l’histoire de l’âme, était aussi ce qui allait survivre à l’échec du système dans les œuvres postérieures. Il avait désormais sa psychologie religieuse, dont il laisserait apercevoir quelques traits de-ci de-là, au gré du commentaire, sa manière de se représenter l’union à Dieu, le péché, la vie spirituelle, la chute et le relèvement de l’âme.

Mais ce n’est pas dans la définition de la liberté en elle-même qu’il faut chercher le résultat de ses méditations. Il l’a trouvée toute faite dans ses cahiers d’école. Lui qui enrichit sans cesse d’un mot nouveau ou d’une formule plus profonde ses idées préférées, il la donne en employant presque les mêmes termes dans des œuvres séparées par un intervalle de plusieurs années, au Traité des Principes et dans son étude de La Prière. La nature humaine possède les diverses sortes de mouvement que l’on trouve chez les êtres inférieurs, et en outre la faculté de se déterminer elle-même ou, comme on disait alors à l’école d’Aristote, « par ses propres moyens », en discernant parmi les représentations celles qui correspondent à des tendances dirigées vers le bien 183. C’est la fonction de la raison. Clément en avait donné une définition presque identique dans les Stromates, et les traits qui la complètent se trouvent pour la plupart chez Philon 184. C’est à peine si d’un mot qui lui appartient davantage, Origène décrit cette raison innée comme « un point de départ » qui permet de s’élever à la science du bien. Plus tard seulement il expliquera par sa doctrine de la préexistence les germes de justice que contient toute âme dès sa naissance, en nombre plus ou moins grand 185. Assurément il ne pense pas que l’affirmation de la liberté le mène au delà du seuil de la vie spirituelle. C’est pourquoi il n’a point scrupule, même dans une œuvre théologique, de l’emprunter sans changement à la sagesse humaine, à une philosophie devenue classique depuis Chrysippe. Plutôt que de se tenir toujours en défiance contre ce qu’on appelle les fausses doctrines des hommes, ne vaut-il pas mieux y reconnaître « les tout premiers éléments de la vérité », qui vont seulement jusqu’au niveau de la simple nature humaine 186. Il faut compter parmi eux la croyance à la responsabilité qui est une évidence morale « où la vérité nous fait violence », analogue à la nécessité intellectuelle de nier ou d’affirmer, dont ne triompheront jamais les arguties du scepticisme 187.

 

 

2. Chute et restauration.

 

Mais cette évidence ne mène pas plus loin qu’à fonder la responsabilité et le mérite sur la contingence de l’acte humain. Si l’on veut analyser vraiment la fonction de la liberté, il faut considérer plus profondément la vie de l’âme, ses rapports avec Dieu et avec le monde, comment la doctrine la fixe dans le bien ou réussit presque à l’y fixer. C’est précisément cette psychologie religieuse qui s’est développée dans l’œuvre d’Origène, selon les besoins de l’exégèse, en particulier dans le Commentaire de saint Jean où abonde l’histoire de la vie spirituelle, et dans le Commentaire du cantique des cantiques. On y reconnaît toujours la marque du système, bien que l’étude de l’âme, qui dépendait d’abord de la cosmologie, ait fini par prendre toute la place, et par se libérer de ses origines.

Alors apparaissent plus clairement les principes qui l’inspiraient. Le mal est un accident qui survient à un sujet doué de bonté à l’origine, par la faute d’une cause seconde, comme une privation ou une déperdition volontaire. De là découle toute la psychologie d’Origène : le péché consiste en une chute ou un éloignement, la vie présente est un état diminué, transitoire et instable, le salut est une restauration, au moins individuelle, de la perfection primitive. Pour la première fois dans l’histoire de la théologie est défini le rapport qui existe entre l’innocence originelle et la rédemption, ce qui est devenu de plus en plus une des questions vitales de la pensée chrétienne. Au milieu de beaucoup d’étrangetés et de mythes, il s’exprimait déjà dans le Traité des Principes. « Ce qui a été perdu existait évidemment avant de se perdre, sous je ne sais quel mode autre que la perdition. On peut de même en affirmer l’existence, quand ce n’est plus perdu 188. »

La psychologue d’Origène correspond fidèlement à cette formule. « L’âme, dont on dit qu’elle a péri, a existé évidemment sous un autre mode, au temps où elle n’avait pas encore péri ni reçu par conséquent son nom d’âme. Au contraire, libérée de la perdition, elle peut redevenir ce qu’elle était avant d’être appelée une âme 189. » Il faut donc affirmer la permanence du sujet sous les modes divers de privation et de restitution. Le plan divin respecte les substances qu’il a posées. Parmi beaucoup de points plus obscurs, il semble bien « qu’un être puisse recouvrer ce qu’il avait perdu, mais non pas se voir attribuer ce que le Créateur ne lui avait pas donné à l’origine 190 ». L’âme peut devenir un esprit parce qu’elle a possédé la vie spirituelle et divine avant sa chute.

Lorsqu’il passe de ces principes aux questions particulières, ce qui manque à Origène, ce n’est certes ni la cohérence, ni la finesse de l’analyse, mais une vision plus concrète de la Bible et de l’homme, de ce qui lui est dû en vertu de sa nature et de ce qui lui est octroyé par grâce. Il accepte assez facilement l’égalité de la vie spirituelle et de la vie angélique, à condition que l’on respecte le principe de la restauration, en admettant que l’homme a déjà été un ange avant de pécher, et reçoit seulement ce qu’il avait perdu 191. Adonné à l’exégèse allégorique, qui efface les traits du récit biblique, il ne connaît que des intelligences, toutes de la même substance et de la même origine. La chute fait passer un être d’un ordre à l’autre, de même que la consommation des choses peut transformer en une puissance céleste la créature la plus dégradée. Dès ce monde, le spirituel « obtient par ses dispositions d’être l’égal des anges 192 ».

 

 

3. La privation du Bien et l’aveuglement de l’esprit.

 

Mais si on considère l’homme lui-même, une telle psychologie excelle à dépeindre comment on perd l’amitié divine, et comment on peut au contraire se transformer en elle. Ce sont les aspects qui se dessinent spontanément, lorsqu’il faut rassembler en quelques mots l’histoire des âmes : « Celui qui a quitté l’amitié de Jésus par le péché, et qui est devenu mort pour Dieu, grâce à la puissance divine revient en courant à la vie 193. » La miséricorde répare le mal fait par l’infidélité.

Le péché sera toujours défini par rapport au bien, au don du créateur, à l’amour du Christ qui lui sont antérieurs, et dont il dépend non seulement comme le contraire de son contraire, mais comme un non-être relatif est subordonné à l’être. Telle est l’opposition de la mort et de la vie, de la lumière et des ténèbres. Elle survient seulement quand la créature se sert de son imperfection comme d’un moyen de résistance à la bonté suprême. « Les pécheurs, s’ils ne tombaient pas de la main divine, en s’éloignant eux-mêmes, ne seraient pas enlevés : personne ne les enlève de la main du Père 194. » L’état mauvais vient à la suite de cette première déficience : c’est l’effet immédiat de la négligence et de la froideur qui affaiblissent et font mourir l’amitié de Jésus. « Il est impossible que l’obscurité se produise pour celui qui garde la lumière. Mais si on la perd, la conséquence de cette perte, c’est que l’on voit aussitôt l’obscurité 195. »

Comme tout péché est d’abord une faute contre la connaissance de Dieu, contre les relations spirituelles de l’intelligence avec le Verbe, on en comprend mieux la nature et les résultats si on y voit une infirmité volontaire de l’esprit. Ce n’est pas que toutes les fautes, comme l’ont cru la plupart des philosophes, proviennent de mauvais jugements. Mais le péché initial est une ignorance des leçons divines 196, une inattention qui ouvre l’âme aux ténèbres et aux influences des puissances mauvaises, une contemplation détournée de son véritable objet. De même que l’intuition des vérités divines suffit à transformer celui qui les contemple, regarder la mort, c’est se rendre semblable à elle. « Tant que l’on est fidèle au Verbe, la mort ne se montre pas à celui qui le garde sous ses yeux. Si on laisse languir l’attention et l’observation de cette raison divine, ou si l’on s’abandonne à une distraction, c’en est fait, on ne veille plus, on a regardé la mort, non chez un autre, mais en soi-même... À force de contempler les ténèbres, on s’obscurcit le regard ; ainsi la mort, considérée par celui qui n’a pas gardé le Verbe, le fait mourir, cause la perte de sa vue, et l’aveugle, de sorte qu’il a besoin pour se retrouver de celui qui ouvre les yeux des aveugles 197. » C’est pourquoi le grand danger de l’âme est de se négliger, et d’oublier cette science intime d’elle-même qui ne se sépare jamais de l’étude des choses divines 198.

 

 

4. L’inquiétude de l’âme.

 

Tout se passe en nous et par nous, la participation à la sagesse éternelle, comme un don primitif et essentiel, la tentation et la faute, comme des accidents qui affectent une créature changeante. Il arrive que le temple devienne une caverne de voleurs, et que l’âme bien douée par le Verbe de sa raison innée s’en détourne. Quelques mots de commentaire reflètent toute la philosophie d’Origène, quand il explique comment les vendeurs se sont installés dans le parvis où Christ les trouve. Il rappelle l’origine du mal, son inconsistance d’où lui vient précisément sa malice, et l’absence de réalité par où il s’oppose à l’œuvre du Créateur. « Ce n’est pas que la maison du Père cède la place pour laisser venir à l’existence une caverne de voleurs. Mais elle est envahie à tel point par les pécheurs qu’elle devient, sans cesser d’être elle-même, une maison de trafic. Ceci seulement se produit : une maison de prière, qui n’est pas nécessairement et absolument la maison du Père, si elle se néglige, recevra en outre des voleurs. Elle ne deviendra pas leur maison, mais une caverne, chose qui n’est pas fabriquée par l’habileté de l’architecte et la raison 199. » Aucune substance étrangère ne s’ajoute à l’âme qui est en faute, mais en elle la demeure divine se dégrade et se perd. L’unité première se dissout au gré des impressions multiples qui sont le signe d’une vie inférieure.

Il n’est pas difficile d’apercevoir que cette, manière de se représenter les conflits moraux annonce une école nouvelle, et mène plus loin que la psychologie ordinaire de la liberté. Ce n’est pas suffisant de dire, comme Origène le faisait lui-même dans son premier ouvrage, que « les passions et les diverses propriétés du vice ajoutent à l’âme un élément terrestre et matériel 200 », et qu’on doit rentrer en soi-même pour s’en abstraire et s’en purifier. On simplifie à l’excès la vie intérieure si on y voit seulement le triomphe de la partie dirigeante sur les images déraisonnables, qu’elles viennent du corps ou d’une âme inférieure. Car on pourra se demander si le vice du corps n’est pas seulement une excitation ou une occasion, et d’où lui vient sa malice.

Déjà Clément avait cherché dans une tendance à l’instabilité et à la « duplicité » la cause de la première déchéance. Décrire l’inquiétude d’une âme qui ne sait pas se fixer au Bien, tel est l’objet principal de la psychologie d’Origène. Il oppose parfois les mouvements déraisonnables et terrestres, « la passion en folie » à l’ordre du monde intelligible 201. Mais plus volontiers il se place dans les conditions de la vie contemplative et en présence des obstacles qu’elle rencontre. Il connaît deux états, celui où l’on s’abandonne à la mobilité de l’imagination, source d’illusion et d’égarement, et celui où l’on reste occupé des choses célestes et uni à l’esprit de Dieu. Il décrit le bien et le mal à la manière d’un mystique plutôt que d’un moraliste. On respecte ses mots et sa pensée habituelle quand on lui applique ce que Plotin disait de certains prédécesseurs pour qui « le vice, c’est la faiblesse de l’âme ; l’âme mauvaise est l’âme passionnée, mobile (εὐϰίνητος), entraînée de vice en vice, portée aux passions à cause de cette mobilité, sensible à l’excitation de la colère, précipitée dans son assentiment, et cédant sans difficulté aux images obscures 202 ».

L’inconstance, la précipitation 203, la séduction des souvenirs sont les dangers propres à l’état présent de l’âme, qui est en progrès avant de devenir un esprit. Il semble donc qu’être capable de vouloir l’un ou l’autre des contraires ne soit pas l’essentiel de la liberté. Elle subsiste chez ceux qu’une longue habitude a fixés dans le bien, ou pour ainsi dire « naturalisés » dans le vice 204. Mais la contrariété ne s’y manifeste plus, tandis que « la résolution de ceux qui sont encore en progrès est changeante, et capable de vouloir le contraire de ce qu’elle avait d’abord décidé 205 ». C’est précisément par ce caractère que se définit l’âme : « Partout dans l’Écriture, j’ai observé la différence de l’âme et de l’esprit, et j’ai vu que l’âme était quelque chose d’intermédiaire entre l’esprit et la chair, et capable de vice et de vertu 206 ». Du Traité des Principes aux derniers ouvrages, la pensée d’Origène n’a jamais varié sur ce point. Il s’y étend quand il prêche, et il la répète dans ses commentaires. Notre condition est telle « qu’il nous appartient de nous mettre au-dessus du nom d’homme, ou de rester dans une vie humaine 207 ». Il faut ou déchoir, ou se joindre à Dieu pour ne faire qu’un esprit avec lui 208.

 

 

5. Le salut et l’illumination.

 

Suffit-il pour y atteindre de se recueillir dans le meilleur de soi-même ? On l’eût cru en lisant les premières descriptions que donnèrent les Alexandrins de la prière et des exercices spirituels. Il semblait parfois qu’un bon usage de la raison pût produire une vertu immuable et agréger le chrétien au chœur des anges. Dès le début Origène fut beaucoup plus modéré. Pourtant, sous l’influence de Clément, il lui arrivait d’exalter la partie dirigeante de l’âme, capable de recevoir les rayons de la lumière divine 209. Pour qu’il en sorte une pensée pure et limpide qui remonte à Dieu, il faut « se recueillir, pénétrer dans la chambre haute que l’on a en soi, fermer la porte des sens 210 », et diriger l’attention loin d’eux. L’école pouvait enseigner une méthode sûre d’arriver à Dieu.

Mais cette faculté qui commande à l’imagination est soumise, elle aussi, aux conditions de l’âme, dont elle fait partie. Les yeux de l’esprit sommeillent quand ils ne sont pas éclairés par Dieu, et ils peuvent même devenir aveugles 211. À mesure qu’il observe la vie spirituelle en lui, chez ses disciples, chez les incroyants qui l’entourent, Origène a moins de confiance en cette faculté maîtresse, qui lui paraissait d’abord toute proche de la perfection. Le jugement est agitation et mobilité, quand l’attention se penche en avant sur certaines images, au point qu’il est capable d’y condescendre et de s’y associer 212. Non qu’il perde son pouvoir de discerner les choses divines et que nous soyons jamais privés du germe de la raison. Mais on peut avoir le Verbe dans son cœur et l’ignorer 213. « Car notre partie dirigeante n’est pas limpide, ni nos yeux comme devraient l’être les yeux de la belle épouse du Christ, dont l’époux dit “Tes yeux sont des colombes”, pour désigner peut-être la faculté qui a l’intuition des choses spirituelles, parce que l’Esprit-Saint est venu comme une colombe sur le Seigneur, et sur le Seigneur qui est en chacun... Et pourtant, malgré notre état, nous n’hésiterons pas à recueillir dans nos mains les paroles qui s’appellent des paroles de vie, pour essayer de recevoir la puissance qui s’écoule en celui qui les touche avec foi 214. » Désormais on n’entend plus parler le sage, mais l’homme de misère. Intellectualiste comme il l’était, Origène devait d’abord apprendre à reconnaître sa faiblesse dans la vie contemplative 215. C’est du côté de l’intelligence qu’il faut chercher dans l’école alexandrine le point d’attache d’une future théologie de la grâce.

Étrange destin de cette psychologie stoïcienne dont les notions, profondément transformées, servent à dépeindre l’inquiétude et la faiblesse du cœur humain, et à exprimer les analyses morales les plus chères au christianisme. On parle encore d’une partie dirigeante, mais on la reconnaît incapable de diriger ; d’un choix à faire parmi les images, mais on se défie de l’imagination comme d’une maîtresse d’erreur et d’illusion ; d’une liberté, mais la seule liberté désirable est celle d’une âme qui ne peut plus connaître et aimer que Dieu. Sa psychologie appartient à Origène, comme sa notion du monde, et pour la même raison. Elle s’est définie, elle aussi, en quelques chapitres du Traité des Principes, et elle ne ressemble ni à celle du Portique, ni à la méthode par laquelle Plotin ramènera l’âme à l’esprit. Un lien intime, plus facile à apercevoir qu’à montrer, en rattache tous les thèmes aux solutions d’ensemble. Tenir avec fermeté la vie divine, c’est le bien de la créature raisonnable. Le péché est d’abord une infidélité de l’intelligence. Il ne subsiste pas en un sujet distinct, et n’a pas d’autre cause que la malice volontaire de celui qui néglige le Bien. Il jette l’âme dans l’obscurité et l’inconstance, dont elle ne peut se délivrer qu’en s’attachant de nouveau à la vérité.

Le salut consiste donc à être éclairé par le Verbe. La psychologie d’Origène tout entière exige une doctrine de l’illumination. C’est à la lumière qu’il donne le nom de grâce, et c’est de la vérité qu’il attend la force. Quand il se met à considérer l’action divine exercée sur les âmes, il ne suit pas la voie devenue habituelle aux théologiens qui analysent les influences surnaturelles dans la volonté humaine. Par ce chemin, Origène ne dépasse jamais les notions du mérite, de la responsabilité et du concours divin. Mais au-dessus des actes libres et par eux, un plan beaucoup plus vaste se déroule : la lutte des ténèbres et de la lumière. C’est là qu’on aperçoit en quoi consiste l’alternative du bien et du mal, ce que vaut et ce que signifie pour le chrétien chacun de ces deux termes de la vie morale.

Si les ténèbres subsistaient par elles-mêmes, et devenaient une cause positive de mal, on pourrait dire qu’elles absorbent la lumière. Selon Basilide, elles en retiennent au moins un reflet matériel, venu d’un miroir. Elles en gardent prisonnière la couleur ou l’apparence. C’est le bien dérobé, voué au changement, et tout imparfait que l’on voit dans la créature 216. Origène ne combat pas seulement cette gnose dramatique où l’on met aux prises deux principes dont on ne connaît pas l’origine. Même si ce drame faisait place à une loi éternelle et nécessaire d’émanation, il n’accepterait pas davantage que la lumière puisse se dégrader. Le système de Plotin lui semblerait à peine différent de celui de Basilide, puisque « la matière vole le rayon qu’elle a reçu et le rend mauvais, jusqu’à ce qu’il puisse remonter à sa source 217 ». Dès que l’on constitue le mal en un sujet, il cesse d’être une simple privation, et il ne peut coexister avec le Dieu et Père de toutes choses.

En un passage du Commentaire de saint Jean où il reprend et transforme la célèbre doctrine de Basilide, d’un seul mouvement, Origène rejoint l’un à l’autre les deux aspects de sa théorie du monde. Il met, lui aussi, en présence le péché et la lumière, comme pouvait le faire un chrétien en ce temps de conquête, où l’on voyait la doctrine rayonner au delà de l’Église, quand Origène lui-même était appelé auprès des infidèles comme le représentant de la science divine. Il y a peu de pages où sa pensée se déploie davantage, et où la théologie antique ait été plus sûre d’elle-même.

« La lumière qui est en Dieu dissipe l’ombre, l’ignorance, le péché, et leur fait céder la place. C’est pourquoi, lorsqu’elle paraît dans une si grande obscurité, elle ne se laisse pas prendre par elle. Cette lumière, c’est la Sagesse et la Justice divines. Comme Sagesse, elle dissipe l’ignorance de l’intelligence, comme Justice, elle redresse les écarts de l’âme. Ainsi elle peut briller dans l’ombre en répandant sans obstacle des rayons qui sont vraiment les siens, jusqu’à celui qu’elle illumine. Voilà pourquoi les ténèbres ne la saisissent pas : elles se dissipent, elles disparaissent, par sa seule présence. Il ne faut pas croire qu’elles s’efforcent en vain, comme une substance active, de s’emparer de la lumière. Non, elles se dissipent alors, elles ne sont plus. Paul ignorait le Christ quand il le persécutait ; il se précipitait, égaré par l’ignorance qui se trouvait en lui, et qui est la même chose que l’obscurité. Mais quand la lumière qu’il poursuivait se mit à briller, de son rayon direct, l’obscurité a disparu, sans pouvoir saisir la lumière qu’elle poursuivait. Le brigand qui se repentait sur la croix, lui aussi, était un estropié dans cette obscurité de l’ignorance. Elle se dissipe, et elle ne peut plus saisir la lumière. Pour rendre ma pensée plus claire, la lumière, c’est la vérité. Quand le mensonge et l’imposture sous toutes ses formes poursuivent la lumière, c’est alors qu’ils disparaissent, au moment de l’atteindre. Ne suffit-il pas à la vérité de paraître pour que se dissipent le mensonge et l’imposture ? Si étrange que cela semble, il faut que les ténèbres soient loin pour essayer d’atteindre la lumière. Dès qu’elles s’en approchent pour la saisir, elles s’évanouissent. On peut dire que le mensonge n’a de force et d’action en nous qu’autant qu’il se tient éloigné de la vérité. Alors il veut la chasser de l’intelligence. Chaque fois qu’il est tout près, il montre son néant. Voilà pourquoi il faut bien que le péché existe. Dieu l’a permis, alors qu’il aurait pu l’empêcher, pour laisser voir la grandeur de la vertu 218. »

Tel est le rapport du mal avec le Bien. Le salut n’est point de découvrir une parcelle divine, un meilleur moi, et de s’y réfugier, en secouant à la frontière la poussière de ses sandales. Le philosophe chrétien attend d’ailleurs sa lumière et sa vertu, et il croit que sa misère présente augmente encore la distance. Le Verbe viendra à lui pour diriger une libre restauration de tout l’être humain. En passant au royaume de Dieu, le néo-platonicien, qu’il s’affirme, comme Plotin, ou s’ignore, comme le gnostique, se concentre et s’identifie à son vrai moi. Le chrétien, lui, aspire à se transformer tout entier, et à transformer le monde des âmes, pour l’avènement du royaume qui est venu jusqu’à lui.

 

 

 

CONCLUSION

 

LA SAGESSE QUI EST AU-DESSUS DE L’HOMME

 

 

En se souvenant de l’histoire de l’âme, il est facile de comprendre ce qu’Origène a pensé de la tentation, de la prière, des grâces d’oraison et de la médiation du Verbe. Il est resté fidèle à ce qu’il avait mis de plus profond dans ses premiers écrits. Chacun de ses ouvrages éclaire les précédents. Malgré les retours inattendus et quelques évasions au royaume de la chimère, sa doctrine devient toujours plus large, plus nuancée, plus religieuse à la fois et plus humaine.

Il fallait partir de la seule alternative qui se posait alors : ou la nature au sens antique, une force dont le développement serait nécessaire comme celui d’un germe qui contient toutes choses, ou bien la Providence au sens chrétien, s’exerçant sur des êtres contingents. La gnose hésitait. Elle voulait bien accepter la Providence, à condition qu’on la représentât comme une nature supérieure. Parce qu’il se faisait une autre idée de la Providence, Origène enseignait que la volonté est libre.

On discutait déjà sur les textes et avec quelques-uns des mots qui servirent plus tard à la controverse pélagienne 219. Origène semble du parti de ceux qui limitent l’action de la grâce, et l’on est tenté quelquefois de mettre Augustin, l’ancien manichéen, à la suite des gnostiques combattus par les Alexandrins 220. Ce serait s’arrêter à une ressemblance toute matérielle, et confondre les extrêmes. La disposition naturelle à laquelle Héracléon attribuait l’élection des spirituels, ou la préexistence d’âmes masculines ou féminines avant leur venue dans le corps, comme l’enseignait Apelle 221, étaient le contraire de la grâce au sens chrétien. Elles dispensaient complètement la vie religieuse du recours à Dieu, au point de rendre inutile la prière ou de la réduire à une incantation. Origène défendit contre eux les conditions générales du salut, et la possibilité même d’une action divine, telle que le christianisme la présentait. Il se tenait alors aux frontières de la théologie, sans trancher le débat qui devait s’élever au sujet de l’action providentielle elle-même. Si le christianisme avait cédé à la doctrine d’Héracléon ou à celle d’Apelle, ni le pélagianisme, ni même l’augustinisme n’auraient jamais existé. Car la grâce implique toujours d’une certaine manière la liberté. En cherchant dans l’influence divine la cause dernière de tout acte méritoire, la théologie ne l’a jamais confondue avec une production naturelle du bien : l’exhortation 222, la conversion, la prière, la persévérance, toute la spontanéité de la vie religieuse gardaient leur place et leur valeur. En un mot, la grâce n’est pas un déterminisme analogue à la nature des Anciens, ou un mécanisme des Modernes.

Comme tout prédicateur qui veut convertir ou réformer les auditeurs, Origène revendiquait le droit de faire appel à la volonté humaine en même temps qu’au secours divin. Mais il était aussi un exégète, et il n’évita pas toujours le danger d’aborder des questions plus théologiques, telles que la prédestination, sur ce plan de la conscience chrétienne spontanée, où l’on se contente d’affirmer la collaboration de Dieu avec l’homme sans en définir les conditions. Il enseigna alors une doctrine de la prescience et du concours divin qui devait lui attirer les censures de saint Jérôme 223.

Il existe une représentation plus complète et plus profonde de la vie spirituelle. Elle appartient déjà à l’Écriture et à la plus ancienne tradition : « Dieu opère en nous le vouloir et le faire », disait saint Paul 224. À l’égard de la maxime plus fréquente : « Aide-toi et le ciel t’aidera », elle peut revendiquer la supériorité de la conscience réfléchie sur l’expression spontanée des états intérieurs. Au lieu de décrire seulement la collaboration de la volonté et de l’influence divine, elle remonte des actes à la cause dernière qui rend possible cette collaboration elle-même. Tout chrétien le fait à quelque degré. Mais cette notion de la grâce se développe davantage chez un converti qui réfléchit sur les états où il a passé, ou chez un contemplatif habitué à appliquer à sa vie chrétienne les paroles de l’Écriture. C’est par cette dernière voie qu’Origène s’est élevé jusqu’au système dont cette étude donne les principes. Alors la grâce se présente à lui, et elle lui apparaît telle qu’un intellectualiste devait d’abord l’apercevoir, sous la forme d’une sagesse qui est au-dessus de l’homme.

Quand il décrit la vie intérieure qui dépend tout entière de la lumière du Verbe, il aime à en montrer les conquêtes. Comme il vit en un temps de mission, et pendant une des périodes où le christianisme a connu la plus rapide expansion, il est plus sensible aux rapprochements qu’aux obstacles. Il rappelle souvent que la foi vient éclairer une raison qui est commune à tous les hommes, et que toutes les opinions qui ont quelque vérité sont des manières de participer inégalement à un Verbe unique. D’avance les intelligences s’y rejoignent, les unes par le don qu’elles reçoivent, les autres par celui qu’elles attendent. Quand l’une d’elles a accepté la vérité, le cœur humain aussi se trouve restauré, et affranchi de l’inconstance où le péché l’avait condamné. Le corps lui-même reçoit sa lumière, si bien que de proche en proche tout l’être humain est transformé : l’âme redevient intelligence, elle se réchauffe et s’éclaire, la raison redevient sagesse et contemplation.

On a retrouvé dans les plus vieux sanctuaires chrétiens de l’Égypte des lampes dont quelques-unes appartiennent peut-être à l’époque d’Origène 225. Ce sont de petits vaisseaux de terre ou de bronze dont le couvercle est percé pour recevoir la mèche. Il en est au-dessus desquelles une coquille servait à réfléchir la lumière. Quelques-unes sont posées sur de hauts candélabres à trois pieds ciselés : elles sont comme le Verbe de Dieu qui brille quand il est mis en évidence par le message de l’Église 226. Mais elles ressemblent aussi à notre intelligence qui s’allume aux rayons de la sagesse, parce qu’elle a été formée et préparée pour cela par le Créateur. La mèche qui fait reposer le feu dans la poterie, cet intermédiaire entre la lueur insaisissable et la matière, c’est l’âme, qui fait porter par le corps l’étincelle divine 227. « Car toute la vie est illuminée par l’intelligence, dont l’influence s’étend jusqu’au corps 228. » Et ceux qui entrent dans la maison voient briller la flamme, et ils y viennent allumer leur lampe.

 

 

 

NOTE I

 

LE MARCIONISME AU TEMPS D’ORIGÈNE

 

 

Parmi les mouvements qui se séparèrent de la Grande Église au second siècle, le Marcionisme se distinguait par son inspiration religieuse, par son attachement à une partie des Écritures, et par son souci de rester une Église. Les gnoses n’étaient souvent que des écoles ou des cercles d’initiés. Il voulait être une religion, et une religion chrétienne, libérée de tout le passé d’Israël.

Il était encore très vivant au IIIe siècle. Une partie de l’œuvre de Tertullien fut destinée à le combattre, et les principes d’exégèse adoptés par Origène furent souvent inspirés par le désir de lui opposer une interprétation générale de l’Écriture. Reconstituer la doctrine marcionite dans l’état où elle se trouvait à son époque est un moyen de le mieux comprendre. Il reproduit lui-même avec précision la pensée de ses adversaires, ce qui donne quelques documents pour l’histoire de cette Église, qu’il combattit dans sa doctrine de l’Écriture et de l’âme. On peut ainsi montrer les variations que subit, sous l’influence du catholicisme, le plus important des mouvements hétérodoxes qui se produisirent avant l’arianisme.

 

 

1. LES CONTROVERSES

 

Le Marcionisme fut le premier adversaire que rencontra Origène quand il se mit à commenter la Bible. Peut-être avait-il lu dès cette époque l’œuvre de Marcion ou celle de ses disciples. Ce qui est certain, c’est qu’il avait à discuter au Didascalée les objections que lui présentaient ces hérétiques, « en se faisant fort de résoudre les difficultés de la Bible », par une doctrine qui opposait au Dieu supérieur le créateur du monde, « ouvrier du devenir ». Ils ne le peuvent, disait Origène, qu’au prix d’une impiété et d’une apostasie. Encore sont-ils incapables de répondre aux objections qu’on leur présente 229.

Dans les œuvres suivantes, les allusions deviennent plus précises, et l’on reconnaît qu’il combat le plus souvent cette hérésie telle qu’elle se présente dans l’œuvre d’Apelle, un des principaux successeurs de Marcion. On trouve plusieurs fois ce nom dans les écrits d’Origène. Il connaissait certainement l’ouvrage de cet exégète, intitulé « Syllogismes », quand il composa à Césarée ses Homélies sur la Genèse, son Commentaire de l’Épître aux Romains et la Réfutation de Celse, qui contient une citation d’Apelle 230.

C’était un marcionite illustre, fondateur d’une école qui portait son nom, celle des Apelliaques ou Appelléiens. Un témoignage dont la source est l’Apologie d’Origène, œuvre de Pamphile, rapporte qu’il entreprit un long voyage pour combattre cette hérésie dans les villes d’Orient 231. Il est très vraisemblable que ce fut une des affaires ecclésiastiques pressantes qui décidèrent Origène à s’embarquer pour l’Asie et pour la Grèce en 230 232. Il se plaignit dans l’une de ses lettres qu’on eût falsifié la discussion qu’il avait soutenue à son avantage contre un Marcionite. On lui annonça ce faux pendant son séjour à Athènes 233.

Les Églises de Marcion paraissent avoir été plus puissantes en Syrie qu’en Égypte. Loin de s’apaiser, la polémique d’Origène devint plus vive et plus personnelle quand il résida à Césarée. Il dénonça parfois des assemblées d’hérétiques, qui se donnaient le nom d’Église, diffamaient les vrais chrétiens, et se livraient à des violences contre les ministres du culte 234. L’un de ses derniers commentaires, celui de l’Épître aux Romains, fut surtout dirigé contre les Marcionites.

Des prédicateurs exercés à la théologie pouvaient se trouver eux-mêmes fort embarrassés par les sophismes de ces adversaires. Quelques-uns se laissaient gagner. Le marcionisme restait séduisant, parce qu’il avait évolué au cours de la polémique. Il était devenu plus habile en dialectique, plus savant et plus subtil que les antithèses trop simples du fondateur. Le principal auteur de ce renouvellement avait été Apelle.

 

 

2. APELLE

 

Il était mort vers la fin du IIe siècle 235 ; mais il restait célèbre, et son enseignement avait laissé des disciples nombreux en Grèce, en Syrie et en Palestine. Il avait le talent le plus capable de séduire les païens instruits, et même les demi-chrétiens. D’une ingéniosité inépuisable quand il fallait résoudre les difficultés scripturaires qu’on lui opposait, il passait à l’attaque, où il maniait toutes les armes de la logique d’Aristote, que l’on venait de remettre en honneur 236. Le syllogisme, le sorite, le dilemme n’avaient pas de secrets pour lui. Il semble avoir possédé une connaissance étendue, sinon profonde, des livres les plus divers de l’Écriture, surtout de la Genèse, de l’Exode et de certains prophètes. Il apportait dans l’exégèse, comme son contemporain le valentinien Ptolémée, l’esprit de nuance et de finesse qui avait fait défaut jusque-là dans les sectes. Mais il ne renonça pas aux violences d’où le Marcionisme tirait son succès, ni à l’habitude de citer les plus vives formules de saint Paul écourtées, et prises le plus souvent dans l’Épître aux Romains. Car Apelle était encore plus paulinien que son ancien maître. Il se séparait de lui par le soin qu’il avait de respecter le monothéisme, cette monarchie divine à laquelle les populations touchées par le judaïsme et le christianisme étaient passionnément attachées. Il ne voulait pas qu’on donnât le nom de Dieu au démiurge ni aux puissances inférieures. « Marcion se trompe, disait-il, quand il parle de plusieurs principes 237. » D’ailleurs il se faisait une idée trop élevée de l’essence divine, il était trop soucieux de raison et de métaphysique pour admettre les éons ou les dieux multiples et disgraciés des autres gnostiques. Mais, comme eux, il avait à cœur la prédestination, ce choix que Dieu prépare d’avance en produisant les natures supérieures, où sa puissance se manifeste par des révélations et des prodiges. Il se reposait lui-même de la critique en s’abandonnant au merveilleux qui oblige à croire : il passa des sécheresses de la logique aux « manifestations » divines de la vierge Philomène, en qui il reconnut l’Esprit 238.

 

 

3. LES SYLLOGISMES

 

Il était l’auteur d’un ouvrage appelé Syllogismes, recueil d’objections scripturaires qui contenait au moins trente-huit tomes. Une série de fragments est citée, avec le nom d’Apelle, dans le traité de saint Ambroise « Du Paradis », V, 28. « Beaucoup de gens, à la suite d’Apelle, au tome 38 de son ouvrage, proposent ces difficultés 239. » La première concerne la Genèse, II, 15 : « Yahweh Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. » Ce texte est compris au sens allégorique des progrès de l’âme, et prête à l’objection suivante : « Si Dieu n’a pas créé l’homme parfait, et si chacun atteint la vertu parfaite par son propre effort, est-ce que l’homme ne paraîtra pas se procurer à lui-même plus que Dieu ne lui a conféré 240 ? » Des difficultés semblables sont apportées au sujet de Gen., II, 16, 17 : « Et Yahweh Dieu donna à l’homme cet ordre : tu peux manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras tu mourras certainement. » La principale objection porte sur la prescience divine, à laquelle le mal futur ne pouvait échapper. « Dieu, disent-ils, savait-il que l’homme pécherait, lui qui l’a créé, et a imprimé en lui les idées du bien et du mal, ou l’ignorait-il ? Si l’on répond qu’il ne le savait pas, on a une opinion incompatible avec la majesté divine. Mais si l’on répond que Dieu, tout en sachant que l’homme pécherait, a pourtant mis en lui les notions du bien et du mal pour que la corruption du mal lui fît perdre l’immortalité, cette fois on semble affirmer que Dieu n’est pas bon 241. »

Ces textes permettent de reconstituer la méthode et le style des Syllogismes d’Apelle. L’ouvrage suit certains passages de la Genèse, II, 15, 17, puis XI, 7, le récit de la confusion des langues, critiqué dans de Parad., VIII, 41. Chaque verset, et parfois chaque groupe de mot est l’objet d’une argumentation. La série devait être très longue. Eusèbe parle des « milliers d’impiétés écrites par Apelle contre la loi de Moïse 242 ». La méthode en est toujours la même. La majeure est fournie par un texte scripturaire généralement introduit par si. La démonstration a la forme d’un syllogisme ou d’un sorite. Très souvent elle est présentée en dilemme. La conclusion est brève et incisive. Celle qu’on lit dans le de Parad., VIII, 38 « ergo non est Scriptura a Deo » est citée par Origène comme la formule ordinaire d’Apelle : « Le récit est mensonger ; donc cette Écriture n’est pas de Dieu 243. »

Origène n’emploie pas spontanément cette méthode d’exposition. On la rencontre rarement quand il ne cite pas les objections d’adversaires. Son platonisme ne le préparait pas à la logique formelle, et les abus qu’en faisaient les hérétiques ne pouvaient que l’en éloigner davantage. C’est à eux que profita d’abord cette renaissance de l’Aristotélisme. Entre leurs mains la dialectique devint une arme d’attaque, et c’est contre l’autorité de l’Écriture que furent dirigés les premiers modèles d’une argumentation scripturaire « en forme ». Une réfutation d’Artémon (ou d’Artémas), conservée en partie par Eusèbe et que l’on peut ranger avec une forte probabilité parmi les œuvres d’Hippolyte, décrit cette nouvelle mode des hérétiques : « Ils n’ont pas craint de corrompre les divines Écritures, et ils ont rejeté la règle de l’ancienne foi ; d’autre part, ils méconnaissent le Christ et ne cherchent pas ce que disent les saintes Écritures, mais ils s’exercent laborieusement à trouver un mode de syllogisme propre à établir leur athéisme. Si on leur objecte une parole des Livres sacrés, ils recherchent si l’on peut en tirer un syllogisme conjonctif ou disjonctif... Euclide géométrise donc activement parmi certains d’entre eux, Aristote et Théophraste font leur admiration et Galien est même par quelques-uns presque adoré 244. »

 

 

4. L’INSPIRATION BIBLIQUE

 

Cette méthode était redoutable dans les discussions publiques, parce qu’elle dispensait d’interpréter les textes. Elle y cherchait des contradictions. Ce n’est pas qu’elle rejetât entièrement l’autorité de la Bible. Pour en sauver quelque chose, elle y distinguait plusieurs morales et plusieurs théologies. Mais elle ruinait un dogme qui s’exprimait clairement dès cette époque : « L’Écriture vient de l’inspiration de l’Esprit 245. » Le lecteur se troublait et hésitait. Se trouvait-il devant la parole divine, devant un malin génie d’illusion et de mensonge, ou devant une pensée simplement humaine, qui parfois sommeille ? On restait en défiance, « l’esprit était partagé 246 ». Comme le monde où nous vivons, la Bible était mêlée de bien et de mal.

Il fallait devenir « habile changeur 247 » pour reconnaître la monnaie de bon aloi. C’était l’œuvre d’Apelle. Son maître Marcion avait fait des coupes sombres dans l’Écriture. Il se contentait de « déplacer les bornes de l’inspiration 248 », et d’en diminuer le domaine. Quant au reste, il l’appréciait diversement. « Si on est incapable de recueillir la parole du Verbe, disait Origène, parce qu’on a pris une corbeille trop petite, on veut briser sa vaste unité, pour pouvoir en emporter la poussière et les débris 249. »

Le canon des Écritures adopté par Apelle semble avoir été le même que celui de Marcion. Sa principale autorité était saint Paul, qu’il lisait surtout dans l’Épître aux Romains. Pour le Marcionisme, la critique s’arrêtait là, et l’on ne cherchait pas de contradictions dans l’Apôtre 250. Mais « on rassemblait quelques paroles de cette Épître pour ruiner le sens de toute la Bible 251 ». Comme on y trouvait cité l’Ancien Testament, Apelle se gardait de nier absolument la valeur de la loi et des prophètes, dont il disait pourtant qu’ils n’avaient pas connu Dieu le Père, ni annoncé la venue du Christ 252.

Origène cite sur ce point une opinion qui ressemble tout à fait par la méthode et le style aux fragments reconnus d’Apelle. « Certains des hétérodoxes disent que le Fils de Dieu n’avait pas besoin de témoins, puisque ses titres de créance consistaient dans la parole de salut qu’il proclamait, pleine d’efficacité divine, et dans ses actions miraculeuses, qui pouvaient frapper de stupeur à l’instant même n’importe qui. Voici leur argument : puisqu’il est écrit que Moïse fut cru pour sa parole et pour ses miracles, sans avoir besoin de se faire précéder par des témoins qui l’eussent annoncé, et puisque chacun des prophètes fut accepté par le peuple comme l’envoyé de Dieu, à plus forte raison, celui qui dépassait Moïse et les prophètes put-il réussir dans ses desseins et secourir le genre humain, sans l’aide de témoins prophétiques. Ils ajoutent que cette preuve ne pourrait être retenue que par des gens qui voudraient empêcher les fidèles d’admettre la nouveauté de la divinité 253. » Apelle et ses disciples étaient devenus amateurs de merveilleux. Les prodiges irrésistibles rendaient inutiles les prophéties 254. À cause de cette polémique, Origène ira quelquefois vers l’autre extrême. Il estimera que l’argument du miracle est destiné aux chrétiens imparfaits et matériels. Mais il vengera avec prédilection les Saints d’Israël. « Ceux qui, tout en respectant le monothéisme, vident les prophéties de leur sens, n’ont pas eu soif de l’Esprit-Saint qui est dans les prophètes 255. »

Pour justifier l’exégèse plus subtile d’Apelle, la théologie de Marcion devait se renouveler. Le Dieu d’Israël et le Dieu de Jésus ne suffisaient pas. La divinité, selon le nouveau Marcionisme, restait inconnaissable : c’était le Dieu des philosophes, que le Seigneur a prêché et « qui n’a jamais été vu en lui-même par personne 256 ». Mais plusieurs puissances étaient venues de lui. La moindre de toutes, un ange de feu, a parlé à Moïse dans le buisson. Le démiurge est aussi une sorte d’ange : il représente la justice divine, qu’il faut distinguer de la bonté, pour une raison de logique, parce que le juste et le bon n’ont pas le même contraire 257. Le Christ est venu de la vertu divine supérieure, et il a emprunté un corps à la matière éthérée des astres.

En donnant le nom d’anges aux puissances inférieures qui se manifestent dans la Bible, Apelle voulait sauver le monothéisme 258. Rhodon, dans la réfutation qu’il fit de cette doctrine, raconte qu’il eut un entretien avec Apelle et lui demanda : « Comment peux-tu dire qu’il n’y a qu’un principe ? Explique-le-moi. » Il répondit « qu’il ne le savait pas, mais qu’il le croyait d’instinct 259 ». Ce mot, où l’on a vu parfois un agnosticisme tout moderne, témoigne seulement de l’embarras où se trouvait le marcionisme pour rester une religion monothéiste en ruinant l’unité de la Bible. Le vieillard avait-il prononcé, comme l’a pensé Harnack, la parole la plus profonde de l’antiquité chrétienne ? Il faut se souvenir qu’il y a deux sortes de mystère, celui que l’on accepte dès le début de la recherche, et celui qui sert de refuge à la critique fatiguée 260. Ce n’était point la nature divine, mais ses propres raisonnements que ce fondateur de secte, fier de son grand âge et de sa vie austère, recouvrait d’un voile, pour se retirer en paix.

 

 

5. LA PRÉDESTINATION NATURELLE

 

Le christianisme ne fut pas le plus fort dans le développement de la secte. Le Marcionite croyait, au temps d’Origène, tout comme le disciple de Valentin, qu’il existe plusieurs races d’âmes, que la nature a faites inégales pour toujours. Il recourait aux descriptions classiques pour montrer les mœurs diverses des Éthiopiens, des Scythes et des habitants de la Tauride. Si on ne les expliquait pas en reconnaissant qu’il y a des âmes perdues ou sauvées par nature, il ne restait d’autre recours « que d’attribuer ces inégalités à la fortune ou au hasard 261 ». Il vaut mieux croire que la Providence prépare nécessairement des hommes spirituels et des hommes charnels.

La prédestination divine se présente donc comme une loi de nature, identique à la Providence. Le sexe des âmes est déterminé avant leur venue dans le corps 262. Les unes sont destinées à naître chez les peuples civilisés, les autres parmi les barbares. Saint Paul est un privilégié que Dieu « a mis à part dès le sein maternel ». Un recueil de textes pris dans l’Épître aux Romains démontre la diversité naturelle des hommes, et le salut nécessaire de ceux que Dieu a disposés d’avance, comme l’Apôtre, à la vie spirituelle 263.

Une telle doctrine, malgré quelques ressemblances verbales avec la théologie ultérieure, ne menait pas à la prière et à la grâce. Elle glissa vers l’astrologie. En Afrique, beaucoup de Marcionites devinrent des faiseurs d’horoscopes, « sans rougir, dit Tertullien, de gagner leur vie grâce aux étoiles du Créateur 264 », qu’ils reniaient.

Origène a résumé dans le Commentaire de la Genèse une de ses controverses avec les fatalistes. La croyance au pouvoir des astres avait fini par trouver un abri commode dans la théologie marcionite. Il n’y a pas un mot de cette astrologie alexandrine qui ne lui soit emprunté.

« Dieu est-il donc mauvais, lui qui a fait ce monde où il y a des gens infâmes, des homicides et des pirates, dont la nature a été fixée d’avance ? – (Ils se font alors les avocats de Dieu). Dieu n’est pas mauvais. Laissons ce monde au dieu juste, au démiurge. Il y a un autre Dieu, qui est bon. Il n’est le principe d’aucune des misères d’ici-bas. – Il est difficile d’appeler juste celui qui est le père d’un tel monde. Mais nous, sommes-nous soumis au cours des astres, ou sommes-nous libérés au point d’échapper, dès cette vie, à toute influence céleste ? – Oui, grâce au Dieu supérieur, dont le Verbe est souverain, nous échappons dans une partie de nous-mêmes aux lois du démiurge imposées aux astres. – Mais sur quoi repose la distinction que vous affirmez entre deux intelligences, l’une soumise à la génération ainsi qu’au destin, et l’autre libre de ces servitudes ? Il est clair pour ceux qui connaissent ces gens-là que, si on leur demande de justifier cette distinction, ils en seront incapables 265. »

Malgré son souci d’éviter les mythes païens, la secte finissait par se confondre avec toutes les autres, dans le culte d’une élite naturelle et dans le mépris de toutes choses. Tel fut le destin de ce Marcionisme où un historien illustre de l’antiquité chrétienne crut découvrir, au terme de ses travaux et de sa vie, le pur christianisme qu’il avait rêvé, dépouillé du passé biblique, et capable de mener à un Dieu inconnu. Si l’on a le droit de juger le caractère d’une doctrine par ses fruits immédiats, la conclusion sera très différente. Sur ses frontières, le Marcionisme n’a cessé de céder du terrain à la grande Église : il cédait sur l’inspiration de l’Écriture, sur l’humanité du Christ, sur l’unité divine. C’était la rude bataille gagnée par saint Irénée. Mais, chose inattendue, à mesure que se multipliaient les concessions partielles, au contraire les tendances profondes, en s’isolant, manifestaient leur résistance. « Le démiurge est avec la foule, mais du côté de la seule élite se trouve le Sauveur 266. » Marcion, aussi bien que les gnostiques, avait appris aux siens à se regarder comme des étrangers dans le genre humain. Ses disciples se libérèrent du démiurge en surprenant ses secrets dans les astres, et en lui laissant comme esclaves tous ceux qu’ils croyaient faits pour la misère de ce monde.

 

 

 

NOTE II

 

VOCABULAIRE GREC ET LATIN

 

 

En décrivant l’histoire de l’âme, Origène reste fidèle à un vocabulaire très précis qu’il n’est pas impossible de reconstituer, au moins partiellement. Il importe de pousser cette étude aussi loin que le permettent les documents, parce que sa langue lui appartient et que certains mots y évoquent, comme il arrive souvent chez les philosophes et les spirituels, tout un cortège d’idées et d’émotions. Une comparaison des mots grecs et de leurs équivalents latins donnerait le moyen de juger plus sûre ment de l’exactitude de Rufin, et serait un bon critère pour reconnaître l’authenticité des fragments anciens ou nouveaux. Mais l’examen du style est surtout nécessaire à celui qui veut reconstruire le développement de la doctrine. Comme la plupart des maîtres qui enseignent de vive voix, et dont la pensée est familière à leurs disciples, Origène rappelle souvent d’un mot un passage connu d’une œuvre précédente qu’il ne veut pas répéter. De telles allusions risquent de passer inaperçues, si l’on se borne à résumer une traduction, quelle qu’elle soit. On trouvera ci-dessous quelques mots très importants de la psychologie d’Origène, que l’on pourra joindre à la liste donnée par G. Bardy, contenant les mots grecs techniques insérés dans la traduction de Rufin (Recherches sur l’histoire du texte et des versions latines du « de Principiis » d’Origène, p. 121 et 122).

L’étude du vocabulaire grec devrait se fonder sur les premiers livres du Commentaire de saint Jean, qui sont postérieurs au Traité des Principes, mais de la même période et de la même inspiration. Les fragments grecs empruntés à l’histoire de l’Origénisme ne peuvent en général fournir qu’une confirmation. Toutefois l’étude des passages communs à la Philocalie et à la traduction de Rufin donne le sens d’un certain nombre de mots latins employés aussi en des endroits où le texte original est perdu.

 

aversio : De Princ., II, IX, 2 ; K. p. 165, l. 28 = παρατροπή. MAXIME le Confesseur, De ecclesiastica hierarchia, c. VI, 6, P. G. IV, 172, cf. Anathématisme de 553 (MANSI, IX, 396). Acte de l’âme qui s’est relâchée dans la contemplation. Il la constitue en état de péché. – ou ὲϰτροπή. Com in. Joh., XX, 20 ; P. G., XIV, 621 ; PREUSCHEN, p. 355, l. 27.

 

decedere, decessus : De Princ., v. g. II, VIII, 4, K. p. 162, l. 1 = ὲϰπιπτειν, ἔϰπτωσις. De Princ., III, I, 23 ; K. p. 241, l. 7 : ὲϰπεσοῦνται τοῦ γένους (RUFIN, l. 23 : ab omni familiæ suæ generositate deciderunt). De Princ., IV, II, 7 ; K. p. 319, l. 11 et 12 : ϰαὶ τῶν αιτίων τῆς τούτων ὲϰπτώσεως. Cf. Com. in Joh. XIII, 37, P. G., XIV, 464 : οὐ μόνος δὲ ἄνθρωπος ὲξέπεσεν ὲϰ τελείον. – Chute de l’âme.

Origène emploie aussi μετάπτώσις. Com. in Joh., X, 26, P. G. XIV, 388. Cf. De Princ. I, VI, 2 ; K. p. 81, l. 1 (frag. II, Ep. ad Mennam, MANSI IX, 528), et De Princ. I, VIII, 4 ; K. p. 104, l. 7 (GREGOR. NYSS. De hom. opif., 28), mot platonicien qui signifie le passage d’une forme à une autre dans le devenir sensible. Ces diverses expressions s’appliquent à la déchéance de l’âme, qui reçoit une place dans la hiérarchie du monde, et perd les biens célestes.

 

desidia et laboris tædiumn : De Princ., II, IX, 2 ; K. p. 165, 1. 27. On peut en rapprocher les mots ὰργία, PLOTIN, Ennéades, III, II, 8 ; E. BRÉHIER, p. 35, l. 5, et ῥᾳθυμία, CLÉMENT d’Alexandrie, Strom., VII, 46 ; HORT, p. 80, l. 15 – Oisiveté et indolence, état de l’âme qui ne se recueille pas dans l’acte de charité et de contemplation.

 

devenire : De Princ. II, IX, 2 ; K. p. 166, l. 2 sq. = τραπῆαι, cf. Anath. de 543 (MANSI, IX, 533) et Anath. de 553 (MANSI, IX, 396). – Se tourner vers le mal, préférer à Dieu un moindre bien, se mettre en état de péché.

 

devolvi, devolutio : De Princ. II, VIII, 4 ; K. p. 162, l. 1, et II, IX, 2 ; K. p. 166, l. 3 (ce dernier passage est omis dans l’index de KOETSCHAU) = ῥοπή. De Princ., III, I, 4 ; K. p. 198, l. 15, cf. Anath. de 553 (MANSI, IX, 396). – Mot platonicien employé pour décrire le mouvement du cheval vicieux, symbole de la passion, qui rompt l’équilibre de l’attelage en s’inclinant vers la terre : ὲπὶ τὴν γῆν ρέπων, Phèdre, 247 B – désigne chez les Valentiniens le degré occupé par une puissance dans le monde, Excerpta Theodoti, STAEHLIN, p. 129, l. 18. – Chez Origène, ce mot signifie le degré d’inclination vers le mal qui détermine la place d’une âme ; le consentement de la volonté à la tentation ; plus rarement, l’inclination naissante vers le bien (Com. in Joh., I, 29 ; P. G., XIV, 76) ; cf. PLOTIN, Ennéades, III, 2 ; E. BRÉHIER, p. 30, l. 5 ; Enn., III, 3 ; p. 54, l. 47.

La fonction correspondante est appelée τὸ ῥεπτιϰόν, De oratione, VII ; K. 2, p. 316, l. 14.

On peut comparer K. p. 166, l. 3 : Ex quo accidit ut in quanta mensura quis devolveretur a bono, in tantam mensuram malitiæ deveniret, avec le texte de l’Anath. de 553 (MANSI, IX, 396), placé par KOETSCHAU dans le chapitre précédent et qui correspond exactement à ce passage : ϰαι πρὸς τὸ χεῖρον τραπῆναι ϰατὰ τὴν έϰάστου ἀναλογίαν τῆς ἐπὶ τοῦτο ρὁπῆς.

 

inconvertibilis : De Princ., I, II, 4. ; K. p. 31, 19 : aliqui ex his, qui creati sunt,... non valentes inconvertibiles et immutabiles permanere. Ibid., I, VII, 2 ; K. p. 87, 7 : quidam de sole et luna opinantur, ut inconvertibiles sint et contrarii incapaces = ἄτρεπτος. Com. in Joh., X, 26 ; P. G., XIV, 388. βουλόμενοι  ἄτρεπτα τηρεῖν τὰ ἄπαξ δοθέντα τοῖς ἁγίοις ὰγαθά. – Immutabilité ou fixité du vouloir. Ce mot exprime chez Clément et chez Origène le privilège d’une nature qui ne peut être détournée de son ordre par les impressions multiples de la vie inférieure.

 

inserere : De Princ., I, VII, 4. ; K. p. 89, l. 17 : an non cum ipsis corporibus, sed extrinsecus factis iam corporibus inseruerit (deus) spiritum, pervidendum est = εὶσϰρίνεσθαι. PHOTIUS, Biblioth., cod. 117, P. G., CIII, 393 (cf. G. BARDY, Recherches sur l’histoire du texte, p. 26) : τὰς λογιϰὰς φύσεις εὶς ἀλόγων εὶσϰρίνεσθαι σώπατα. Com. in Joh., II, 24 ; P. G., XIV, 165, et VI, 7 ; P. G., XIV, 225 : ἐπὶ πλεῖον τὸν λόγον ἐρευντέον περὶ τῆς οὐσίας τῆς ψυχῆς ... ϰαὶ τῆς εἰς τὸ γήϊνον σῶμα εἰσρίσεως αὐτῆς – Introduction de l’âme dans le corps matériel, – s’oppose à ex corporali semine simul cum corpore seminari (De Princ., III, 4, 2 ; K. p. 264, l. 24 et 25). Cf. Com. in Joh., II, 24 ; P. G., XIV, 165 : οὐ συνεσπαρμένης τῷ σώματι.

 

natura, naturalis intemperies, naturæ : v. g. De Princ. III, I, 18 ; K. p. 229, l. 28 = ϰατασϰευή. Ibid. : οὐϰ έϰ τοῦ ἐφ᾽ ἡμῖν τὸ σώζεσθαι ἀλλ᾽ ἐϰ ϰατασϰευῆς (RUFIN : aut enim natura nostra talis est, ut vel salvari possimus vel non salvari). Cf. De Princ., III, I, 5 ; K. p. 200, l. 5 et 23 Com. in Rom. I, 1 ; P. G., XIV, 841, note 9 : τοὐς ἐϰ ϰατασϰευῆς ϰαι φύσεως σωζομένοὐς. (RUFIN : ob hoc quod in eo naturæ bonitas inerat) – Ce mot désignait chez Héracléon les dispositions divines par lesquelles certains hommes sont naturellement appelés au salut. Com. in Joh., XIII, 44 ; P. G., XIV, 477 : ϰατὰ μὲν τὸν Ἡραϰλέωνα διὰ τὴν ϰατασϰευὴν αὐτῶν – Disposition naturelle. RUFIN a toujours traduit ce mot avec imprécision (cf. Camille VERFAILLIE, La doctrine de la justification dans Origène, p. 15), parce qu’il appartenait au vocabulaire gnostique, inconnu de lui.

 

negligentia : De Princ., v. g. II, IX, 2 ; K., p. 165, l. 28, negligentia meliorum = ἀμέλεια. Com. in Joh., X, 17 ; P. G., XIV, 357 : τῆς προσευχῆς ὁ οἶϰος... ἀμεληθεὶς ϰαὶ ληστὰς παραδέξεται. Cf. De Princ., III, I, 14 ; K. p. 219, l. 3. ἀνθρωπίνη ψυχὴ διἂ τὴν ἀμέλειαν σϰληυνθεῖσα – Négligence, la première faute de l’âme, cause de son éloignement et de ses péchés.

 

occasio : De Princ., IV, II, 6, (13) ; K. p. 316, l. 23, occasionem nobis præstat intelligentiæ = ὰφορμή. Ibid., l. 8, ἀφορμὰς δίδωσι (ὁαὐτὸς Ἂπόστολος) – Ailleurs ce mot est traduit différemment : De Princ., III, I, 3 (2) ; K. p. 197, l. 12, ἐπεὶ ἐν τῇ φύσει τοῦ λόγου εἰσὶν ἀφορμαὶ τοῦ θεωρῆσαι τὸ ϰαλὸν ϰαὶ αἰσχρόν (RUFIN : habet in se vim dinoscendi boni vel mali). – Moyens de connaître directement le bien et le mal. Ce sont les ressources innées, les semences de l’âme, dont aucune créature raisonnable n’est complètement dépourvue. L’Écriture joue le même rôle par rapport à la Sagesse divine. Elle ne donne parfois qu’un point de départ. – Ce mot se dit aussi des occasions de pécher, plus nombreuses dans la vie corporelle que dans toute autre : De Princ., I, VIII, 4 ; K. p. 103, l. 21.

 

proficere : v. g. De Princ., II, III, 2 ; K. p. 116, l. 26 : nunc enim etiamsi valde proficiamus, tamen... nondum corruptum hoc induit incorruptionem = προϰόπτειν, προϰοπή. De Princ., III, I, 23 ; K. p. 242, l. 1 : εἰς ϰρείττονα προϰόπτειν (RUFIN : ad meliora proficere) – mot qui désigne parfois chez les Valentiniens l’entrée de l’âme du Christ dans le plérôme : Selecta in Psalmos, I ; P. G., XII, 1089, ou le progrès périodique qui amène les saints jusqu’à la première demeure, Eclogæ propheticæ, STAEHLIN, p. 153, l. 19, fg. 56, 6. – Chez Origène, progrès de la vie contemplative, obtenu par la lutte contre les tentations, par la pureté et par l’exercice de la puissance intuitive qui perçoit les choses spirituelles.

 

rationabilia, rationabiles creaturæ : v. g. De Princ., I, III, 8 ; K. p. 61, l. 1 : participatio vero Christi secundum id, quod Verbum (vel ratio) est, facit ea esse rationabilia = τάλογιϰά – De Princ., IV, II, 7 ; K. p. 319, l. 10 : περὶ συγγενῶν ϰαι τῶν ἄλλων λογιϰῶν (RUFIN : de creaturis rationabilibus). Com. in Joh., I, 22 ; P. G., XIV, 56 : ϰατὰ τὰ λογιϰὰ ϰοινωνίαν τῶν τεθεωρημένων, τοῦ Λόγου λαμϐανομἔνον. Com. in Joh., II, 9 ; P. G., XIV, 140 : ὁ ἐνυμάρχων τῇ φύσει τῶν λογιϰῶν λόγος – Les créatures capables de participer au Verbe, célestes ou terrestres, puissances, âmes des astres, anges, hommes, diable et puissances contraires. Tous les êtres raisonnables sont déchus, mais leur état originel est l’égalité. Ils sont de même essence, parce que la raison, dans ses opérations propres, ne change pas. « En tout être fait pour obéir à la raison, l’essence qui a pour fonction de s’y conformer est identique, soit qu’elle accepte cette conformité, soit qu’elle la refuse ». Com. in Joh., XX, 20 ; P. G., XIV, 625. Origène a employé d’abord l’expression : περὶ λογιϰῶν φύσεων, qu’on ne retrouve pas dans la suite. De Princ., I, V, 1 ; K. p. 68, l. 16. Ibid., I, VII, 1 ; K. p. 86, l. 1.

 

satietas : De Princ., I, III, 8 ; K. p. 62, l. 17 : ita perdurare debemus, ut nulla unquam nos boni illius satietas capiat = ϰόρον αὺτὰς λαϐεῖν. Anath. 2 de 553 (MANSI, IX, 396 D), inexactement dans l’Édit à Ménas 492 B, et dans l’Anath. 1 de 543 (MANSI, IX, 533) : ψυχὰς ϰόρον λαϐούσας. Cf. G. BARDY, Recherches sur l’Histoire du texte, p. 67 et 77. – Dégoût des choses spirituelles, impression de l’âme qui ne s’est pas attachée assez ardemment à la bonté parfaite.

Origène donnait une grande importance à l’étude de la sémantique. Il tenait compte des glossaires non moins que de la grammaire. C’est ainsi qu’il leur emprunte le sens des mots : τέχυη, Com. in John. ; PREUSCHEN, frag. I, p. 483, l. 3, définition qui tire son origine d’un index de Pindare, cf. Olymp., VII, 53 – ὀργή : ὄρεξις ἀντιτιωρή σεως, Selecta in Psalmos, II ; P. G., XII, 1105 – βούλησης : εὔλογος ὄρεξις, Com. in Joh., XX, 20 ; P. G., XIV, 621, etc.

Pour l’étude de la Sainte Écriture, il dispose manifestement d’un lexique de la Bible, qui lui permet de rassembler (συνάγειν) les passages où se trouve employé un même mot. Il constate que le mot « matière » se rencontre deux fois dans l’Écriture, De Princ., IV, IV, 6 ; K. p. 356, l. 23 sq. Il n’a pas ce lexique sous la main au moment où il dicte son XXe livre du commentaire de saint Jean, Com. in Joh., XX, 20 ; P. G., XIV, 628.

 

 

 

NOTE III

 

 

 

 

Ce tableau est seulement destiné à donner des points de repère. On consultera avec profit l’étude de R. JOLIVET, Essai sur les rapports entre la pensée grecque et la pensée chrétienne, p. 102 et sq. Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie, Paris, 1931.

 

 

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TABLE DES MATIÈRES

 

 

AVANT-PROPOS

AVERTISSEMENT. – La chronologie des œuvres citées

CHAPITRE I. – La cosmologie au temps d’Origène

CHAPITRE II. – La controverse gnostique

CHAPITRE III. – Le mythe platonicien

CHAPITRE IV. – Immutabilité et liberté

CHAPITRE V. – Une crise de l’humanisme alexandrin

CHAPITRE VI. – La première faute et l’origine du mal

CHAPITRE VII. – De la cosmologie à la mystique

         1. Les corrections de la doctrine

         2. Les silences

CHAPITRE VIII. – Âme et liberté

         1. Les rudiments de la philosophie

         2. Chute et restauration

         3. La privation du Bien et l’aveuglement de l’esprit

         4. L’inquiétude de l’âme

         5. Le salut et l’illumination

CONCLUSION. – La sagesse qui est au-dessus de l’homme

NOTE I. – Le Marcionisme au temps d’Origène

         1. Les controverses

         2. Apelle

         3. Les Syllogismes

         4. L’inspiration biblique

         5. La prédestination naturelle

NOTE II. – Vocabulaire grec et latin

NOTE III. – Le mal d’après les gnostiques, Origène, Plotin

 

 

 

 

 

 



1 Com. in Joh. P. G., XIV, 93 ; PREUSCHEN, p. 45, l. 11 sq.

2 Joh., XIV, 28.

3 PREUSCHEN, p. 485, 1. 2 sq.

4 Com. in Joh. P. G., XIV, 24 : PREUSCHEN, p. 4, l. 30.

5 Le chapitre intitulé De justo et bono correspond aussi à la première partie de la référence. Il se termine par une explication de la parole évangélique qui fait difficulté aussi dans le Commentaire : « Personne n’est bon, sinon le Père » (cf. Mt., XIX, 16). Les hérétiques croient ce verset fait exprès pour leur servir de bouclier, quand ils voient dans la bonté l’attribut exclusif du Dieu supérieur (ce ne sont évidemment ni des marcionites ni des disciples d’Héracléon, puisqu’ils confondent le Christ avec le démiurge), De Principiis, II, 5, 4 ; KOETSCHAU, p. 138, l. 10.

6 KOETSCHAU, p. 46, l. 11 sq.

7 KOETSCHAU, P. 360, l. 1 sq.

8 Cf. J. LEBRETON, Origines du dogme de la Trinité, t. II, p. 61 sq.

9 Recognitiones P. G., I, 1402.

10 Selecta in Psalmos, I, P. G., XII, 1081 – Com. in Joh., XIII, 42 ; P. G., XIV, 476 ; PREUSCHEN, p. 269, l. 2.

11 Com. in. Joh., X, 12 ; P. G., XIV, 337 ; PREUSCHEN, p. 189, l. 4.

12 Excerpta Theodoti ; éd. STAEHLIN, t. 3, p. 118, l. 4.

13 Recognitiones, III, 52 ; P. G., I, 1305.

14 Homiliæ, XX, 3 ; P. G., II, 449.

15 Hom. in Ezechiel, I, 3 ; P. G., XIII, 671.

16 De Principiis, KOETCHAU, 5, p. 73, l. 16, sq.

17 De oratione, KOETCHAU, 2, p. 374, l. 15, sq.

18 De Principiis, KOETCHAU, 5, p. 77, l. 19 sq.

19 CLÉMENT, Stromates VII, 46 ; HORT, p. 80, 1. 15 sq.

20 NUMENIUS, éd. THEDINGA, p. 59, frag. XXVI.

21 SAINT THOMAS, Ia, q XLVII, art. II.

22 De Principiis, ed. KOETCHAU, p. 169, l. 25, sq.

23 Phèdre, 246 A-249 D.

24 Stromates, VII, 13 : HORT, p. 21, l. 15 ; cf. Phèdre, 245 sq.

25 NUMENIUS, THEDINGA, p. 71, frag. LVI.

26 GRÉGOIRE DE NYSSE, De homine opifice, 28, P. G., XLIV, 229 B.

27 De anima et resurrectione, P. G., XLVI, 112C.-113D. Koetschau insère ce fragment à la fin du 1. I, chap. VIII, de la traduction de Rufin, De Angelis. G. Bardy se demande si saint Grégoire cite exactement les formules d’Origène, et il juge « prudent de ne pas chercher à combler une lacune qui reste plus ou moins hypothétique ». Recherches sur l’histoire du texte et des versions latines du De Principiis d’Origène (Paris, 1923), p. 34. Les fragments dont l’authenticité est certaine suffisent à manifester la vive impression qu’Origène a gardée de la lecture du Phèdre, ou du moins de ses commentaires néo-platoniciens.

28 CLÉMENT, Stromates, VII, chap. XVIII ; HORT, p. 194, l. 27, sq.

29 PLOTIN, Ennéades, II, 3, ch. IX. Ed. BRÉHIER, p. 35, et ch. XV, p. 41.

30 PLATON, Rep., 617 E.

31 Les divers témoignages concordent sur ce point. Cf. KOETSCHAU, p. 64, l. 9 sq. et p. 103, l. 17, sq. Pousser davantage l’exposé de cette théorie, ce serait accorder « une confiance trop grande à des auteurs qui, pour la plupart, ne prétendent pas apporter des citations textuelles », et transforment aisément des « discussions » en dogmes origénistes. Cf. G. BARDY, Recherches sur l’histoire du texte, p. 140.

32 J. DENIS, De la philosophie d’Origène, p. 163.

33 SAINT JÉRÔME, Ép. 704 ; P.L., XXII, 667.

34 Contra Celsum, IV, 4 ; KOETCHAU, I, p. 324, l. 18. THEDINGA, p. 57, frag. XXIV.

35 De Principiis, KOETCHAU, p. 8, l. 20, sq.

36 Ibid., p. 16, l. 9, sq.

37 In Genesim, d’après SAINT JÉRÔME, Contra Joh. Jer., P.L., XXIII, 370. Cf., PHILON, De somniis, I, 22.

38 DENIS, La philosophie d’Origène, p. 59.

39 Com. in Joh. P. G., XIV, 165.

40 Ibid., 169. Le même apocryphe est cité dans le Commentaire de la Genèse, Cf. SCHÜRER, Geschichte des Jüdischen Volkes, 4e  éd., III, p. 359-360.

La doctrine de la préexistence est liée à cette difficulté d’exégèse dans le De Principiis, KOETCHAU, p. 238, l. 9, sq., dans le Com. in Joh. P. G., XIV, 168-169, et dans le Com. in Rom. 9, 13, P. G., XIV, 1149, où l’on reconnaît cette explication à travers les réticences de la traduction de Rufin. L’ensemble du passage ne laisse aucun doute : « Anima ejus emundaverat semetipsam... et videns Deus puritatem ejus... Jacob quidem qui emundaverat semetipsum, fecit vas ad honorem ; Esaü vero cujus animam non ita puram nec ita simplicem vidit, ex eadem massa fecit vas ad contumeliam. » L’âme de Jacob habitait la « demeure » dans la simplicité première. C’est pourquoi l’Apôtre dit que Dieu l’a aimée avant qu’elle naquît.

D’ailleurs Origène renvoie à ses œuvres précédentes, P. G., XIV, 1143. « Il ne change pas volontiers d’opinion », G. BARDY, Recherches sur le texte, p. 140.

La même opinion est liée aussi au commentaire de Joh., I, 6, et à la mission du Précurseur. Cf. DENIS, De la philosophie d’Origène, p. 56.

41 Comm. in Joh., P. G., XIV, 136.

42 De Principiis, I, VIII : KOETCHAU, p. 100, l, 11.

43 De Principiis, I, VII, 2 : KOETCHAU, p. 87, l. 8.

44 BARDESANE, Patrologia orientalis, Ed. NAU, Liber legum regionum, p. 545.

45 CLÉMENT d’Alexandrie, Adumbrationes, STAEHLIN, 3, p. 211, l. 15 sq. « Hæ namque primitivae virtutes ac primo creatæ, immobiles, exsistentes secundum substantiam... diversas operationes efficiunt. »

46 On trouve un traité de l’animation des astres dans le De Principiis, I, VII, KOETSCHAU, p. 85, sq. Origène y réfute d’abord la thèse de certains chrétiens, qui croient les astres immuables. Puis il divise la question en trois problèmes : animation des astres – création simultanée ou antérieure de l’âme – sort des corps célestes à la restauration finale (5). Il laisse de côté le problème de la souveraineté du soleil, qu’il a traité longuement dans le Com. in Gen. III, P. G., XII, 88. Ici, il se contente d’en faire mention, si l’on se fonde sur la traduction de Rufin.

47 Excerpta Theodoti, STAEHLIN, p. 120, l. 8, fr. 43, I. Cf. J. LEBRETON, Origines du dogme de la Trinité, II, p. 12.

48 COLLOMP, Revue de philologie, Paris, 1913, Une source de Clément d’Alexandrie et des Homélies pseudo-Clémentines.

49 On plaçait parfois les apôtres dans les douze dignes du zodiaque. Excerpta, 25, 2 ; STAEHLIN, p. 115, l. 11 sq. La source de ces doctrines est le Timée, 42, B. Origène les connaissait, et il les a traitées de fables et d’inventions. Selecta in Psalmos., P. G., XII, 1243. « Hujusmodi fabulas et figmenta componunt ». Cf. HARNACK, Marcion. p. 418*.

50 Eclogæ propheticæ, St., 153, 19, fr. 56, 6.

51 Eclogæ, 153, 25, sq, fr. 57, 1, sq.

52 Excerpta, 115, 22, sq, fr. 27, 1, sq.

53 Stromates, VII, 57 ; HORT, p. 100, l. 14 ; Cf. p. L, ch. III, Clément and the mysteries.

54 BOUSSET, Jüdisch-Christlicher Schulbetrieb in Alexandria und Rom, p. 270, conclut de ces rapprochements qu’une gnose sans frontières s’infiltrait au Didascalée d’Alexandrie. « Entre Pantène d’un côté, Valentin et Basilide de l’autre, il serait difficile de trouver une frontière dans les idées fondamentales. » C’est tirer une conclusion d’ensemble de quelques rapprochements partiels.

55 Strom., V, 14, P. G., IX, 161 ; Cf. PLATON, Rep., X, 616 B. STAEHLIN, p. 397, l. 9, sq.

56 Eclogæ Propheticæ, STAEHLIN, p. 141, l. 19 sq., fr. 17. C’est donc à tort que Bousset isole cette note, en pensant que Clément l’a insérée parmi des extraits de Pantène, pour corriger la doctrine de son maître. Ce texte ne peut être dissocié des notes suivantes où se trouve rappelée la théorie du progrès mystique.

57 Strom., III, 3 ; STAEHLIN, p. 201, l. 16, sq. Les disciples de Marcion font descendre l’âme de ce monde comme en un lieu de châtiment : ϰατγουςι γρ νταθα τν ψυχν θείαν οσαν ϰαθπερ είς ϰολαστριον τν ϰσμον, dogme impie qu’ils ont appris des philosophes. Cf. Strom., III, 13 ; STAEHLIN, 2, p. 239, l. 5, sq.

58 De Principiis, III, I, 13 ; KOETSCHAU, p. 218, l. 9, sq.

59 Ibid., III, I, 12 et 16 ; KOETSCHAU, p. 215, sq. et p. 223, sq. On retrouve cette opinion dans le traité de Oratione, XXIX, 14 ; KOETSCHAU, tome 2, p. 389. Si les âmes sont reprises par la funeste passion de la vie corporelle, il faut qu’elles se repentent ensuite, en se souvenant de la peine que leur a coûtée leur délivrance.

60 De Principiis, I, VI, 1 ; KOETSCHAU, p. 76, l. 16. Cf. II, 7 ; K., p. 126, l. 1.

61 Com. in Joh., X, 18 ; P. G., XIV, p. 361.

62 Le mot προϰοπ conserve le sens d’ascension céleste dans un passage de la première œuvre d’Origène, Selecta in Psalmos I ; P. G., XII, 1089, où il répète le commentaire d’un prédécesseur, et dans le Traité des Principes, II, XI, 6 ; KOETSCHAU, p. 190, l. 10 (velocius proficiens), où il décrit de nouveau l’éducation céleste qui aura lieu pour les saints « peu de temps après leur sortie de cette vie ». Mais le progrès y dépend encore de l’attention et de la pureté.

63 In Lev. Hom., IX, XI ; P. G., XII, 524.

64 Com. in Joh., X, 20, P. G., XIV, 373. Ibid., X, 26, P. G., XIV, 392 : πανελεύσονται νοιϰοδομηθησμενοι. De Oratione, XXIX, 14, KOETSCHAU, p. 389.

65 Com. in Joh., X, 26, P. G., XIV, 388, 389 : δυσϰνως μετπτωσιν τν τηλιϰούτων γατων παραδξονται ο ϰούοντες.

66 F. PRAT, Origène, p. XXIX, cf. p. XXXIII.

67 E. de FAYE, Origène, tome III, p. 109.

68 Com. in Rom., V, 1. P. G., XIV, 1015.

69 Epist. ad amicos, ap., RUFIN, De adulteratione lib. Orig., P. G., XVII, 624 Cf. Com. in Rom., VIII, 9, P. G., XIV, 1185 B.

70 Jacques MARITAIN, Religion et Culture, Paris, Desclée, 1930, p. 53.

71 HATCH, Influence of Greek ideas on the Christian Church, p. 109, cf. HORT, Clement of Alexandria, p. XXII, note 1.

72 PLATON, Rep. II et III, 374 D et 412 B.

73 SAINT THOMAS, Ia, Q. XLVII, art. II.

74 CLÉMENT, Strom., VI, 10 ; STAEHLIN, p. 472, l. 1 sq.

75 De Principiis, Praef., I, 1 et 2 ; KOETSCHAU, p. 7 et 8.

76 Com. in Joh., VI, 7 ; P. G., XIV, 227. Ce passage contient le plan d’un traité de l’âme, où serait montrée la différence entre « l’incorporation » et la « métensomatose ». C’est évidemment aussi un plan de défense pour Origène, qui a besoin d’éclaircir et de justifier sa pensée, cf. Com. in. Joh., XX, 17 ; P. G., XIV, 616 : ατον δ τν τπον ϰα ες τν περ λγον.

77 Com. in Joh., II, 25 ; P. G., XIV, 168. Origène dit “ πνοιαν  μετραν ν περ υτο χομεν, προσθσομεν ”. Le ton est beaucoup moins dogmatique que dans la théorie de l’âme exposée au Traité des Principes. À certains cette doctrine avait paru plus ingénieuse que vraisemblable. Cf. ibid., 24 ; P. G., XIV, 164 : ρε γάρ νιστάμενος τ βαθυτρ μφαινομν πονοἰᾳ. Cf. Com. in. Joh., XIX, 3 ; P. G., XIV, 552 : δι τ περ τλους μν πονοούμενα.

78 EUSÈBE, Hist. eccles., l. VI, chap. XIX, 12.

79 ORIGÈNE, Stromates, dans SAINT JÉRÔME, P. L., XXIII, p. 412‑413.

80 Com. in. Joh., XIII, 3, P. G., XIV, 404 ; PREUSCHEN, p. 228, l. 19. La traduction laisse de côté un passage lacuneux et quelques mots dont la reconstitution est incertaine. Cf. J. DENIS, La Philosophie d’Origène, p. 21, et Hom. X, 2, in Genes. ; P. G., XII, 216.

l. 19. μανεπαύσατο...  (lacune de 5 ou 6 lettres) ταρανν ϰα ϰτυπον, Codex Monacensis, CXCI. La correction ϰα τραν ϰαινν ϰτυτν remplirait exactement la lacune (4 lettres et un intervalle), expliquerait l’origine de la faute (ϰα ... ϰαινν) et rendrait compte de chacune des lettres. La correction de BROOKE, p. 249, 25 « πε » τρανν ϰα ϰτυπον n’est pas satisfaisante.

Il faudrait traduire : « Il retrouve des difficultés partout où il revient. Se formant une notion différente et nouvelle de ce qu’il recherche, il ne peut plus exposer ces profondeurs qu’il avait aperçues. »

81 MARCEL d’Ancyre, ap. EUSÈBE, Cont. Marcel, I, 4 ; éd. KLOSTERMANN, p. 22, l. 29, sq. Cf. G. BARDY, Recherches sur l’histoire du texte, p. 8.

82 ORIGÈNE, In Gen. hom., XIII, 3 ; BAEHRENS, t. 6, p. 116, 15 et sq.

83 In Cant. ; BAEHRENS, t. 8, p. 120, l. 23 sq.

84 Origène craint en ces questions de blesser la conscience de ses auditeurs. Au sujet de l’animation des corps inférieurs, du royaume des cieux et du rétablissement final, de l’état du corps spirituel, il ne propose que des hypothèses. La série des dissertations qui composent le traité montre qu’il corrige et complète lui-même sa doctrine, par souci de l’auditoire. De Principiis, III, vi, 1 ; KOETSCHAU, p. 279, l. 23.

85 Contra Celsum, IV, 65 : ἐὰν μ θεο πιπνοίᾳ ; KOETSCHAU, p. 335, l. 27 sq.

86 Com. in Gen., III, 7 ; P. G., XII. 68. De oratione. KOETSCHAU, p. 311, l. 22 et p. 312, l. 14.

87 De Principiis, I, chap. III, 8 ; KOETSCHAU, p. 63, l. 2 sq.

88 De Principiis, I, chap. IV ; 1. KOETSCHAU, p. 63, l. 10 sq.

89 Sur la décadence de l’âme, on peut comparer la citation textuelle de SAINT JÉRÔME, c. Joh. Hieros, ad vitia veniens irrationabilium jumentorum avec le texte grec : ποϰτηνοται ϰα π τς πονηρας ποθηιοται ; KOETSCHAU, p. 104, l. 10, qui est peut-être un extrait du Traité des Principes.

90 PLOTIN, Ennéades III, II, 7 et 8 ; éd. BRÉHIER, p. 34 et 35. π ργας ϰα το ξν μαλαϰς ϰα νειμένως.

91 Un mot correspond chez Plotin à l’indolence décrite par Clément et à la négligence qui fut selon Origène la première faute. Il y a dans l’âme une faiblesse (σθενεα). Ennéades, I, VIII, 14 ; BRÉHIER, p. 128. Elle se manifeste comme une impuissance de contempler, ou comme le désir de posséder des biens partiels, faute de saisir le bien total.

92 Ennéades, I, VIII, 5, 26-30 ; BRÉHIER, p. 120. Les rapports des deux doctrines ont été bien analysés par SCHÜLER. Die Vorstellungen von der Seele bei Plotin und Origenes, Zeitschrift für Theologie und Kirche, Tübingen, 1900.

93 Ennéades, I, VIII. La plupart des discussions de ce traité s’éclairent si on les rapproche de l’origénisme.

94 De Principiis, I, chap. II, 4 ; KOETSCHAU, p. 31, l. 17 sq ; Ibid. I, chap. V, 3 ; KOETSCHAU, p. 72, l. 19 sq.

95 De Principiis, II, chap. IX, 2 ; KOETSCHAU, p. 165, l. 17 sq.

96 Com. in. Psalm. Selecta, IV ; P. G., XII, 1161.

97 Com. in Joh., II, VII ; P. G., XIV, p. 136 ; PREUSCHEN, p. 69, l. 25.

98 De Principiis ; II, 2 ; KOETSCHAU, p. 165, l. 24.

99 PLOTIN. Ennéades, III, II, 19 ; BRÉHIER, III, p. 49.

100 Com. in. Joh., II, VII ; P. G., XIV, 133.

101 ALEXANDRE d’APHRODISIAS, in Metaphys., p. 795, 29. “ δύνατον ον τ ναντα ξ λλλων γνεσθαι μ ντος ποϰειμένου τινός ο γρ ψυχρότης θεομαται λλ τ ν τ ψυχρότητι μοϰεμενον. » Cf. E. BRÉHIER, Ennéades, I, VIII, 11, p. 126, note 1.

102 Com. in Psalm., I, 6 ; P. G., XII, 1100 ; cf. Leg. Alleg., III, 17 ; éd. BRÉHIER, p. 182.

103 Com. in Joh., II, 7 ; P. G., XIV, 135. Citation du livre d’Esther IV, 17.

104 CLÉMENT, Stromates, VII, 42 ; HORT, p. 72, l. 18.

105 TERTULLIEN, Adv. Hermogenem, XV ; P. L., II, 210.

106 ORIGÈNE, Com. in Joh., II, 9 ; P. G., XIV, 141. On trouve une doctrine analogue à celle qu’Origène juge en ce passage « non méprisable », mais « un peu forcée », dans les Philosophoumena, chap. X ; P. G.. XVI, 3.450. Le péché originel, selon Hippolyte, consiste surtout en une désobéissance. Cf. A. d’ALÈS, Théologie de saint Hippolyte, p. 180 et 181.

107 De Principiis, III, I, 12 ; KOETSCHAU, p. 216, l. 8 sq.

108 Selecta in Psalmos, IV ; P. G., XII, 1160.

109 Com. in Joh., XX, 22 ; P. G., XIV, 637.

110 Contra Celsum, VI, 44 ; KOETSCHAU, p. 115, l. 10 sq.

111 De Principiis, III, I ; KOETSCHAU, pp. 226 et 227.

112 De Principiis, III, I ; KOETSCHAU, p. 216.

113 Selecta in Psalmos, I ; P. G., XII, 1088 ; Ibid., XVII ; P. G., XII, 1225 ; De Principiis, II, VI, 3 ; KOETSCHAU, p. 142, l. 9.

114 De Principiis, II, VI ; KOETSCHAU, p. 143-146.

115 De Principiis, II, IX, 2 ; KOETSCHAU, p. 165, l. 27 et 28 : sed desidia et laboris tædium in servando bono et aversio ac negligentia meliorum initium dedit recedendi a bono. Une formule très voisine est donnée dans l’édit à Ménas, ϰόρον λαϐοσας τς θεας θεωρας. On la retrouve dans l’anathématisme de 543 et dans celui de 553, qui le complète d’une manière indépendante. G. Bardy a noté la correspondance des textes justiniens, mais il reste incertain au sujet de l’exactitude littérale. Il est difficile de discerner la citation de son contexte. Recherches sur l’histoire du texte et des versions latines du « de Principiis » d’Origène. Champion, 1923, p. 81. Cf. E. de FAYE, Origène, III, p. 98.

116 De Principiis, I, VI, 2. KOETSCHAU, p. 80, 15 sq. (d’après la lettre à Ménas, MANSI, IX, 528). Cf. Com. in Rom., IX, 32 ; P. G. XIV, 1232. Est ergo animæ somnus quidam.

117 De Principiis, I, VII, 4 ; KOETSCHAU, p. 91, l. 1. Ce fragment est extrait de l’Épître à Avitus, 4 ; P. L., XXII, 1062. Sa place est certaine. Cf. G. BARDY, op. cit., p. 194.

118 De Principiis, II, IX, 2 ; KOETSCHAU, p. 165, l. 28.

119 PLATON, Cratyle, 399 E., et ARISTOTE, De Anima, I, 2, 405, B, 24.

120 De Principiis, II, VIII, 3 ; KOETSCHAU, p. 156, 16.

121 De Principiis, II, II ; KOETSCHAU, p. 112, l. 18.

122 SAINT THOMAS, Ia, Q. XLVII, art. II.

123 Epist. ad Rom., VIII, 20.

124 Excerpta, STAEHLIN, p. 123, 5, fr. 49, 1 et 2.

125 Com. in. Joh., XIII, 16 ; P. G., XIV, 421. ν φαντασα γνωστιϰν λόγων.

126 Selecta in Psalmos., I ; P. G., XII, 1081. Cf. De Principiis, IV, I, 7 ; KOETSCHAU, p. 302, I. 11, sq.

127 De Principiis, I, VII ; KOETSCHAU, p. 93, l. 4 sq. Cf. Ibid., IV, II, 7 ; KOETSCHAU, p. 319, l. 10 sq.

128 Com. in Joh., I, 17 ; P. G., XIV, 52 et 53. Ibid., II, 25 ; P. G., XIV, p. 168 et 169.

129 Com. in Rom., VII, 4 ; P. G., XIV, 1111.

130 PHILON, Questions sur la Genèse, I, 53. Ce pessimisme, répandu parmi les gnostiques, fut combattu par SAINT IRÉNÉE, Hær., I, I ; CLÉMENT, Strom., III, XIV, STAEHLIN, p. 239, l. 26 ; TERTULLIEN, De Resurr. carnis, VII, cf. A. d’ALÈS, La théologie de Tertullien, p. 108 et 130 ; par HIPPOLYTE, selon qui le corps de l’homme n’était pas mortel par nature, Commentaire de Daniel ; BONWETSCH, 2, 28, p. 94, l. 2, et Traité de la Résurrection ; ACHELIS, p. 252, l. 27, sq. Cf. A. d’ALÈS, La théologie de saint Hippolyte, p. 180.

131 Frag. in Gen. ; P. G. XII, 101.

132 In Lev. Hom., VI, 2 ; P. G., XII, 469.

133 De Principiis, III, IV, 4 ; KOETSCHAU, p. 269, l. 19 sq. – Com. in Joh., I, 24 ; P. G., XIV, 69. De Oratione, VI ; KOETSCHAU, 2, p. 316, l. 10 sq. Com. in Joh., XX, 21 ; P. G., XIV, 632 et 633. – Ibid., XX, 22 ; P. G., XIV, 636 ; cf. Paul MEHLHORN, Die Lehre von der menschlichen Freiheit nach Origenes περ ρχν, Zeitschrift für Kirchengeschichte. Gotha, 1877, p. 243.

134 Com. in Joh., I, 24 ; P. G., XIV, 69 et 72.

135 Com. in Joh., VI, 38 ; P. G., XIV, 301.

136 In Matt., XIII, 20 ; P. G., XIII, 1149.

137 Com. in Joh., I, 24 ; P. G. XIV, 69.

138 Strom., VII, III, 20 ; P. G., IX, 424 ; STAEHLIN, 3, p. 14, l. 23 sq.

139 Exhort. ad mart. XVIII ; KOETSCHAU, I, p. 16, l. 24 sq. À la ligne 25, il ne paraît pas nécessaire de modifier le texte, comme l’ont pensé Delarue et Kœtschau : le mot συναγωνιζομένων se justifie par le témoignage des manuscrits, et son sens ne fait aucune difficulté.

140 C’est à tort que Denis a considéré comme une rétractation la formule de Com. in Rom., VIII, 9 ; P. G., XIV, 1185, istius autem qui cælo cecidisse dicitur (le diable ou Lucifer), nec in fine sæculi ulla erit conversio. Cf. G. BARDY, Recherches sur l’histoire du texte, p. 17. Aucun texte ne permet de dire qu’Origène ait jamais enseigné formellement le contraire. Cf. Com. in Joh., XIX, 3 ; P. G., XIV, 552. « On pourrait interpréter nos conjectures “sur la fin des choses” comme si tous devaient être sauvés dans le siècle futur. Mais j’en connais certains qui sont les vaincus de leur propre faute, maintenant et à jamais. » On trouve la même expression, au sujet « du plus grand des pécheurs », c’est-à-dire, de Satan, dans le Traité de la Prière, KOETSCHAU, II, p. 374, l. 15 sq.

141 E. DE FAYE, Origène, sa vie, son œuvre, sa pensée, t. I, p. 25.

142 Cf. Camille VERFAILLIE, La doctrine de la justification dans Origène, p. 26, et p. 26 note 4 ; p. 29 : « sa théorie de la préexistence est un fait dont on ne peut faire abstraction, et les allusions qu’on en trouve dans le commentaire de l’Épître aux Romains montrent qu’ici encore l’auteur ne la perd pas de vue ».

143 Com. in Joh., XIII, 37 ; P. G., XIV, 464.

144 Cf. supra, chap. IV, p. 37, note 4, et p. 39, note 1.

145 Com. in Joh., V. Préface ; P. G., XIV, 99 ; PREUSCHEN, par. VIII, p. 105, l. 2 : ἐἀν τι παρ τν λθειαν ς λθειαν ϰθμαι (ϰτιθημ veut dire « professer »).

146 Cf. G. BARDY, Recherches sur le texte, p. 11 et 12.

147 De Principiis, I, I, 3 ; KOETSCHAU, p. 9, l. 5 : qui spiritus dona excellentia merenentur.

148 SAINT IRÉNÉE, Hær., I, 10, 2-3 ; Cf. J. LEBRETON, La foi populaire et la théologie savante, Revue d’Histoire Ecclésiastique, t. XIX, f. 4, p. 484, Louvain, 1923.

149 In Joh., V, Préface ; P. G., XIV, 99 ; PREUSCHEN, par. VIII, p. 105, l. 23 et 24.

150 Com. in Joh., X, 16 ; P. G., XIV, 348.

151 Ibid., 340 ; cf. Traité de la Prière, 29, 10 ; KOETSCHAU, p. 385, l. 30 sq. et Lettre à Grégoire, P. G., XI, 92.

152 Ibid., X, 23 ; P. G., XIV, 381.

153 Ibid., XIII, 37 ; P. G., XIV, 464: γομαι δ ν τοϊς τόποις βαθύτερόν τι ναποϰεϊσθαι μυστριον.

154 Contra Celsum, VI, 43.

155 Ibid., VII, 5.

156 Ibid., IV, 40. Traduction de DENIS, La philosophie d’Origène, p. 19 ; KOETSCHAU, p. 313, l. 25.

157 Com. in Joh., XIII, 37 ; P. G., XIV, 464.

158 Com. in Joh., XX, 17 ; P. G., XIV, 616.

159 Com. in Rom., V, 1 ; P. G., XIV, 1011 ; cf. G. BARDY, Dict. de Théol. cath., art. ORIGÈNE, p. 1539.

160 Cf. Com. in Joh., VI, 7 ; P. G., XIV, 225 : plan d’un traité de l’âme ; Com. in Cant., II ; BAEHRENS, t. VIII, p. 146 et 147 ; Com. in Rom., V, I ; P. G., XIV, 1011 : origine du mal.

161 CLÉMENT, Strom., XI, 60 ; HORT, p. 104, l. 12.

162 Com. in Rom., V. 1 ; P. G., XIV, 1011.

163 Com. in Rom., V. 4 ; P. G., XIV, 1029.

164 Ibid., 1025.

165 Cf. J. LEBRETON, Les degrés de la connaissance religieuse d’après Origène, Recherches de science religieuse, nos 5-6, 1922, p. 280 et 281.

166 ϰαταλαμϐνειν. C’est une sorte de commerce (μιλεν) avec la vérité parfaite, en attendant de l’atteindre et de lui être uni (συνεναι).

167 Com. in Joh., XX, 2 ; P. G., XIV, 576.

168 République, III, 377 A-G ; cf. FRUTIGER, Les mythes de Platon, p. 155 et 181. Origène avait commenté cette doctrine dans ses Stromates, cf. SAINT JÉRÔME, Ad Pamm. et Ocean, 84, 3 ; P.L., XXII (1), 746. Cf. CLÉMENT d’Alexandrie, Strom., VII, 9, 52 ; HORT, p. 92, l. 20.

169 ÉPIPHANE, Hær., 63 ; P. G., XLI, p. 1062 sq.

170 Com. in Joh., XIII, 1 ; P. G., XIV, 401.

171 Com. in Joh., XIII, 6 ; P. G., XIV, 408.

172 Cf. les remarques de A. d’ALÈS, Recherches de science religieuse XX., juin-août 1930, p. 265 et 268, et E. AMANN, Chronique d’ancienne littérature chrétienne, Revue des sciences religieuses (Strasbourg), janvier 1931, p. 97.

173 Com. in. Joh., XXXII, 14 ; P. G., XIV, 805.

174 Com in Joh., XX, 22 ; P. G., XIV, 636.

175 A. d’ALÈS, Dictionnaire d’Apologétique, art. Origénisme, p. 1255.

176 Tel est le sens des mots πόρρητός, φατος, μυστιϰός, qu’Origène emploie au sujet de certaines théories. Rufin traduit le mot μυστρια tantôt par sacramenta : de Princ., IV, II, 2 ; p. 309, l. 26, tantôt par mystica : de Princ., IV, III, 1 (16) ; K. p. 324, 23.

177 Com. in Joh., XIII, 5 ; P. G. XIV, 405.

178 Ibid., τ τερογενς τς τν ατ τ ληθεα όμιλησντων ϰα συνεσμνων φλιας  Cf. la note de BIGG sur les trois sens du mot mystère au temps d’Origène : 1) les rites de culte, 2) la théologie, 3) les révélations extraordinaires. The Christian Platonists of Alexandria (Oxford, 1913), p. 178. n. 1.

179 Com. in Matth., XII, 19-20 ; P. G., XIII, 1028, et Ibid., XIII, 30 ; P. G., XIII, 1049.

180 Com. in Joh., XIII, 6 ; P. G., XIV, 408.

181 Com. in Joh., XIII, 29 ; P. G., XIV, 449.

182 Com. in Joh., XIII, 31 ; P. G., XIV, 456.

183 De Principiis, III, 1, 2 et 3 ; KOETSCHAU, p. 196, 197 et 198. – De Oratione, KOETSCHAU, p. 311, l. 22 et sq.

184 Stromates, III, XX ; P. G., VIII, 1056 ; STAEHLIN, 2, 173, 17. – PHILON, Quod Deus sit immutabilis, éd. WENDLAND, 11, 1897, p. 62, 63, 7, 8, 9, plus proche du texte de Clément et de celui d’Origène que le passage indiqué par Staehlin, Strom., II, p. 173, qui renvoie à Leg. alleg., II, 22 sq., 3. Les exemples par lesquels Origène prouve l’existence d’un instinct plus parfait chez certains animaux proviennent du traité de Chrysippe « Le beau et le plaisir », ARNIM, Stoicorum veterum fragmenta, II, p. 207, n. 729, 730, 731. Ils avaient déjà été reproduits par Philon, De animalibus adv. Alex., trad. AUCHER, p. 162.

185 Com. in Joh., XX, 2 et sq. ; P. G., XIV, 573, 576, 580, 584.

186 Com. in Joh., XIII, 6 ; P. G., XIV, 408.

187 De Oratione, VI, 2 ; KOETSCHAU, II, 312. Cf. DENIS, La philosophie d’Origène, p, 250 ; F. PRAT, Origène, p. 79.

188 De Principiis, III, VIII, 3 ; KOETSCHAU, p. 156, 1.7 et sq.

189 Ibid., I. 9, sq.

190 Com. in Cant. Cant. II ; BAEHRENS, p. 148, l. 2.

191 Ibid., p. 146, 147.

192 Com. in Joh., XIII, 16 ; P. G., XIV, 424.

193 Com. in Joh., XXVIII, 5 ; P. G., XIV, p. 693.

194 Ibid. XIX, I ; P. G., XIV, 532. Cf. Ibid., XX, 33 ; P. G., XIV, 676. Ibid., XXXII, 11 ; P. G., XIV, 792 : ν θεότητι τυγχνων. Ibid. XXXII, 14 ; P. G., XIV, 804 : Judas a renoncé au bien qui lui était immanent, avant de recevoir Satan dans son cœur.

195 Com. in Joh., XX, 31 ; P. G., XIV, 668.

196 Com. in Joh., XXII, 12 ; P. G., XIV, 797.

197 Com. in Joh., XX, 32 ; P. G., XIV, 668.

198 Com. in Cant. Cant. II ; BAEHRENS, p. 138, l. 7 et p. 150, l. 15.

199 Com. in Joh., X, 17 ; P. G., XIV, 357.

200 Selecta in Psalmos, II ; P. G., XII, 1109. τ γεδες ϰαι λιϰν π τν παθν ϰα τν τς ϰαϰας διωμτων προσγενόμενον τ ψυχ.

201 Com. in Joh., X, 17 ; P. G., XIV, 364. Ibid., X, 16 ; P. G., XIV, 349.

202 PLOTIN, Ennéades, I, 8, 14 ; E. BRÉHIER, p. 128.

203 Sur les dangers de la précipitation, Cf. De Principiis, IV, II, 2 ; KOETSCHAU, p. 310, l. 3.

204 De Principiis, I, VI, 3 ; KOETSCHAU, p. 84, l. 1 sq. Com in Joh., XX, 19 ; P. G., XIV, 617. να ϰαινς νομσω, πεφυσιωμενον. – Cf. PRAT, Origène, p. 102 et 103.

205 Com. in Joh., XXXII, 12 ; P. G., XIV, 796.

206 Com. in Joh., XXXII, 11 ; P. G., XIV, 789.

207 In Lev., XVI, 9, Homélie, IX, II ; P. G., XII, 524.

208 Com. in Rom., VI, I ; P. G., XIV, 1057.

209 Selecta in Psalmos, IV ; P. G., XII, 1165.

210 Ibid., P. G., XII, 1141 ; Cf. Selecta in Psalmos, I ; P. G., XII, 1088.

211 De Principiis, III, II, 2 ; KOETSCHAU, p. 248, 6. Com. in Joh., frag. LXXIX ; PREUSCHEN, p. 545, l. 18 sq., Com. in Cant. Cant. ; BAEHRENS, p. 105, l. 22.

212 Com. in Joh., XX, 5 ; P. G., XIV, 584. – Ibid., XIII, 42 P. G., XIV, 473, (συγϰπτος).

213 Com. in Joh., VI, 22 ; P. G., XIV, 265.

214 Com. in Joh., X, 18 ; P. G., XIV, 357.

215 Cf. SAINT AUGUSTIN, Confessions, VII, XXI. Il a fait la même expérience, connu le même chemin, avec les mêmes illusions. Et cæpi et inueni, quidquid illac uerum legeram, hac cum commendatione gratiæ tuæ dici, ut qui uidet non sic glorietur, quasi non acceperit non solum id quod uidet, « sed etiam ut uideat » – quid enim habet quod non accepit ? – et ut te, qui es semper idem, non solum admoneatur ut videat, sed etiam sanetur ut teneat. »

216 Acta Archelai, 67 ; Cf. J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, II, p. 96 et 97.

217 PLOTIN, Ennéades, I, 8, 14 ; E. BRÉHIER, p. 129.

218 Com. in Joh., Frag. III ; PREUSCHEN, p. 486 et 487.

219 A. S. SMITH, The commentary of Pelagius on Roman compared with that of Origenes-Rufinus, Journal of theological studies, 1919, XX, p. 127-177, et WESTCOTT, Origenes, Dict. of christian Biography, p. 96-156.

220 Ch. BIGG, The Christian Platonists of Alexandria, p. 339 « Son système d’Augustin est à vrai dire celui des gnostiques, ancêtres des Manichéens. »

221 TERTULIEN, De anima, 36 : Apelles ante corpora constituens animas viriles ac muliebres. Cf. HARNACK, Marcion, p. 408*.

222 SAINT AUGUSTIN, De correptione et gratia, 4 et 5. Cf. Ch. BOYER, Le système de Saint Augustin sur la grâce. Recherches de science religieuse, XX, décembre 1930, p. 481 sq.

223 SAINT JÉRÔME, Epistola ad Ctosiphontem, Ep. CXXXIII. P. L., XXII, 1152 : doctrina tua Origenis ramusculus est. Cf. HUET, Origeniana ; P. G., XVII, 919. Saint Augustin n’a cependant jamais regardé Origène comme un adversaire dans la doctrine de la grâce. Cf. BIGG, The Christian Platonists, p. 342.

224 Philipp., II, 13.

225 Musée du Louvre, Le salle de Baouit, Antiquités égyptiennes. Cf. Bulletin des Musées de France, 1929.

226 Hom. in Luc, M. RAUER, 1930, p. 238, frag. XIII, l. 4 sq.

227 Ibid., p. 237, frag. XI et XII. l. 21 sq.

228 Ibid., p. 259, frag. LIII, l. 1 sq.

229 Selecta in Psalm. I ; P. G., XII. 1081 : « Qu’ils résolvent les difficultés que je leur propose ». Cf. EUSÈBE, H.E. VI, XIX, 12. Ed. GRAPIN, p. 211 : « Il venait à moi tantôt des hérétiques, tantôt des gens versés dans les sciences grecques. » Il est peu vraisemblable de supposer, comme le fait HARNACK, Marcion, p. 179, note 5, qu’Origène ne connaissait pas encore Apelle quand il écrivit le Traité des Principes.

230 Contre Celse, V, 54 ; KOETSCHAU, p. 58, l. 2.

231 Liber Prædestinati, XXII ; P. L., LIII, 594. Quod ita esse sanctus Pamphilus martyr apologetico declaravit. C’est au IIe livre qu’Eusèbe emprunte le récit de cette période.

232 EUSÈBE, Hist. Eccl., VI, XXIII, 1-4. La Philocalie mentionne un Dialogue d’Origène contre les Marcionites (Philocalie, 25). Cf. HARNACK, Altchrist. Lit., p. 378.

233 Liber Prædestinati, XXII, P. L., LIII, 594. Cf. RUFIN, De adulterat. lib. Orig. ; P. G., XVII, 625 BC, et G. BARDY, Recherches sur l’histoire du texte, p. 18, et p. 92 sq.

234 HARNACK, Texte und Untersuchungen, 42,4, 1919, p. 60-65, et Marcion, p. 157.

235 Il semble qu’on doive placer sa période de production un peu plus tard que les historiens ne l’ont fait généralement. Clément ne le cite pas. Rhodon, contemporain de l’évêque Narcisse, l’avait connu vieillard.

Il est certainement pour Hippolyte et Origène un prédécesseur immédiat. Ses concessions et sa critique nuancée de l’Écriture obligent à le situer dans l’histoire des dogmes au dernier quart du, IIe siècle, entre Irénée et Origène.

236 C’est à ce moment que se place la renaissance aristotélicienne dont ALEXANDRE d’Aphrodisias fut un des artisans. Il commenta les premiers Analytiques et les Topiques, Cf. E. BRÉHIER, Histoire de la philosophie, I, II, p. 444.

237 ANTHIMUS, Cod. Ambros., 257 ; Cf. HARNACK, Marcion, p. 419*.

238 HARNACK, Marcion, p. 194. « La doctrine d’Apelle est une conciliation du Marcionisme et du Gnosticisme, aux dépens du premier. »

239 AMBROSIUS, De Parad., V, 28 ; HARNACK, op. cit., 413. Les 37 tomes précédents concernaient sans doute les premiers versets de la Genèse.

240 AMBROS., ibid. ; HARNACK, 413* et 414*.

241 De Parad., VIII, 40 ; HARNACK, p. 416*. On trouve dans le Traité de la prière, K., 310, 23, une objection analogue : « Pourquoi Josias souffre-t-il et se soucie-t-il de savoir s’il sera exaucé ou non, lui qui depuis de nombreuses générations a été appelé par son nom et dont les actions ont été, non seulement connues d’avance de Dieu, mais annoncées à l’oreille d’un grand nombre ? »

242 Hist. Eccl., V, 13 ; GRAPIN, p. 83 ; HARNACK, op. cit., p. 415. L’expression διà πλειόνων συνγγραμμτων n’indique pas nécessairement plusieurs œuvres, mais un traité composé de plusieurs livres. Cf. Com. in Joh, V, 4, P. G., XIV, 196 ; PREUSCHEN, p. 105 : πολυϐϐλους συντξεις.

243 Hom. II in Gen. ; P. G., XII, 164, 165.

244 EUSÈBE, H.E., V, XVIII, 13 ; GRAPIN, p. 114.

245 Selecta in Psalmos, I ; P. G., XII, 1081 : ξ πιπνοας το γου πνεματος.

246 De Principiis, KOETSCHAU, p. 302, l. 13, (διψυχα).

247 ÉPIPHANE, Hær. 44, 12. ; Cf. HARNACK, Marcion, p. 192.

248 TERTULLIEN, De Præscriptione, XXXVII, 3, Éd. P. de LABRIOLLE, p. 80 : qua potestate, Apelles, limites meos commoves ?

249 Com. in Joh., XX ; P. G., XIV, 585.

250 De Principiis, III, I, 21 (20) ; KOETSCHAU, p. 236, l. 5.

251 Com. in Rom., Præf ; P. G., XIV, 833.

252 ORIGÈNE, Com. in Ep. ad Titum ; HARNACK, Marcion, p. 417* ; HIPPOLYTE, Philosophoumena, X, 20.

253 Com. in. Joh., II ; P. G., XIV, 173. (τν ϰαινότητα τς θετητος.)

254 TERTULLIEN, De Prescriptione, VI, 6 ; Signis et præstigiis Apelles novam hæresim induxit.

255 ORIGÈNE, Hom. in Jerem, XVIII, 9. KLOSTERMANN, p. 163, 1. 15.

256 De Principiis, II, iv, 3 ; KOETSCHAU, p. 130, (penitus) ; Cf. HARNACK, Marcion, p. 410*.

257 De Principiis, II, V, 3 ; KOETSCHAU, p. 136 sq. Ce sont « de vaines subtilités ».

258 Marcion appelait Dieu le Seigneur d’Israël, mais Apelle et ses disciples refusaient de reconnaître aucun Dieu, ni supérieur, ni inférieur, dans l’Ancien Testament. C’est par inexactitude que les exposés nous parlent de quatre dieux. En réalité il ne voulait pas qu’on appelât le démiurge « dieu ». HIPPOLYTE corrige lui-même son expression en disant qu’Apelle donnait le nom d’« anges » aux dieux inférieurs, Philosop., VII, 38 ; TERTULLIEN dit aussi, De præscript., XXXIV, 4 : Apelles creatorem angelum nescio quem gloriosum superioris Dei fecit ; mais le démiurge était nommé plus volontiers vertu divine (virtus dei). FILASTR., 47 ; Cf. HARNACK, Marcion, p. 410*.

259 EUSÈBE, Hist. Eccles., V, 13, 6.

260 ORIGÈNE, Selecta in Psalmos, I ; P. G., XII, 1081. « Quand ils ne peuvent résoudre les difficultés qu’on leur présente, que du moins dans leur propre conscience ils se persuadent de cesser leur impiété », conformément à leurs principes d’agnosticisme.

261 BARDESANE écrivit à cette époque son traité : Des lois des nations. Cf. De Principiis, II, IX, 5 ; KOETSCHAU, p. 169 sq.

262 TERTULLIEN, De anima, XXXVI : Apelles ante corpora constituens animas viriles ac muliebres.

263 Épître aux Romains, I, 3 ; VIII, 29, 30 ; IX, 13 ; IX, 18-21. Cf. De Princ., III, I, 21 (20) ; KOETSCHAU, p. 235, l. 16 sq. De oratione ; KOETSCHAU, p. 309, l. 25 sq. Com. in Rom., I, III ; P. G., XIV, 842 sq., etc. Le De oratione ajoute Rom. IX, 11, et Éphés. I, 3-6. Le groupement presque identique des textes est un indice suffisant pour établir l’existence d’une discussion plus ancienne. Cf. Com. in Rom., VII, 15, 16, 17 ; P. G., XIV, 1142-1146.

264 TERTULLIEN, Adversus Marcionem, I, 18 : et mathematici plurimum marcionitæ, nec hoc erubescentes, de ipsis etiam stellis vivere creatoris ; P. L., II, 266.

265 P. G., XII, 53, 56. La plupart des termes appartiennent au vocabulaire de Marcion. Le démiurge est appelé Père. Cf. TERTULLIEN, Adv. Marc., III, 15. On lui donne aussi le nom de principe (οδενòς τοτων χοντα τν ρχήν) et de dieu juste, ce qui est conforme à l’usage de Marcion. L’autre Dieu est désigné comme le dieu supérieur (μερ το νωτέρω θεο) ; c’est le terme donné par IRÉNÉE, Contra hæreses, III, VII, 1, et par TERTULLIEN, Adv. Marc., V, 18, Deus superior. La fatalité est présentée comme la législation du démiurge, (ξω τν νόμων το δημιουργο). En présence d’une telle exactitude, peut-on, avec E. de FAYE, Origène, livre III, p. 180, reprocher à Origène de faire au Gnosticisme un procès de tendance ?

266 CLÉMENT, Stromates, III, 10 : P. G., VIII, 1169 ; STAEHLIN, p. 227, l. 3 et 4.

 

 

 

 

 

 

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