ANDRÉ TOWIANSKI
TRADUCTION DE L’ITALIEN
TURIN
IMPRIMERIE VINCENT BONA
1897
AU LECTEUR
Pendant les vingt-sept dernières années de la vie d’André Towianski, j’eus avec lui des rapports suivis et, depuis environ cinquante ans, je travaille consciencieusement sur tout ce qu’il a fait.
Par lui j’ai appris à me connaître moi-même, j’ai compris ce que Dieu réclame de l’homme dans l’époque actuelle afin que les douleurs dont sont oppressés les individus, les peuples et les gouvernements, puissent cesser. J’ai senti dans mon âme le souffle céleste des temps nouveaux qui consoleront l’humanité, aussitôt que les hommes, se tournant sincèrement vers Dieu, commenceront à réaliser dans leur vie individuelle et sociale le Verbe, la volonté de Dieu pour l’homme, incarnée, vivante et rendue palpable par Jésus-Christ.
Étant trop éloigné de l’élévation nécessaire pour écrire une vie comme celle de Towianski, j’ai voulu au moins, avant de mourir, rassembler quelques-uns de ses écrits, expression d’autant d’actions, me bornant à indiquer les circonstances qui les ont provoqués et quelques faits qui feront connaître le caractère de sa personnalité.
Autre chose, en vérité, est de lire sa parole écrite, autre chose est de l’avoir entendue de lui-même ; de l’avoir vue vivante dans toute sa manière d’être et d’agir, de l’avoir sentie pénétrer dans l’âme comme un éclair céleste de vigueur et de lumière, en secouer et en émouvoir le fond le plus intime, l’élever au-dessus des nuages terrestres, l’éveiller à la conscience directe du monde supérieur et des devoirs de l’homme dans ces temps. Cependant ceux qui ont faim et soif de la justice, qui, souffrant de la bassesse dans laquelle nous sommes tombés, voudront recevoir cette parole et l’approfondir avec simplicité, avec sincérité de cœur, sans un jugement préconçu, s’apercevront qu’elle ne découle point d’une source humaine ; ils sentiront que (révélation pratique de la Révélation) elle montre, dans son unité et son application, la seule voie sûre pour la direction heureuse de l’homme et des nations. Au milieu des ténèbres et des luttes où nous nous débattons si douloureusement, Dieu lui-même ouvrira leur âme à de nouvelles espérances, la vivifiera par une force nouvelle, y éveillera la joie du combat et la confiance dans la victoire. Ce que j’affirme est le fruit de l’expérience de toute ma vie, et j’en prends sur moi la responsabilité.
TANCRÈDE CANONICO.
Rome, le 4 novembre 1895.
NB. – Le souvenir des choses qu’a faites cet homme se trouve dans les trois volumes intitulés Écrits d’André Towianski, dont j’ai extrait ceux que je rapporte ici, – et dans les Actes et Documents, qui seront, eux aussi, imprimés.
CHAPITRE I.
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Le 27 septembre 1841 André Towianski annonce dans l’église de Notre-Dame, à Paris, le commencement d’une nouvelle époque chrétienne et l’appel de Dieu dans cette époque. – Quelques mots sur les années précédentes de sa vie.
Dans la matinée du 27 septembre 1841, à Paris, une grande partie de l’émigration polonaise, pénétrée d’un sentiment à la fois grave et joyeux, s’était réunie dans l’église Notre-Dame, invitée par une lettre circulaire d’Adam Mickiewicz 1 conçue en ces termes : « Je prie mes honorables frères de vouloir bien assister, le 27 courant à huit heures et demie du matin, à la cérémonie qui aura lieu dans l’église métropolitaine de Paris, dans l’intention d’accepter les grâces que répand le Seigneur et de l’en remercier. »
À l’heure indiquée une messe solennelle fut célébrée à un autel érigé à cet effet au milieu de l’église. Les sons profonds et pénétrants de l’orgue reproduisant la Marche de la Pucelle d’Orléans retentissaient dans les murs de l’antique sanctuaire. Un Polonais, venu depuis peu en France, agenouillé au pied de l’autel, priait avec ferveur à côté de Mickiewicz et recevait avec lui la sainte Communion. La messe terminée, il se releva et adressa à ses compatriotes les paroles suivantes :
FRÈRES COMPATRIOTES,
En me présentant à vous pour la première fois, je dépose d’abord devant Dieu mes humbles actions de grâces pour sa miséricorde qui, malgré de nombreux obstacles, a daigné m’amener auprès de vous, et me permet de commencer aujourd’hui ma vocation au milieu de vous, dans ce sanctuaire, après la sainte communion, qu’il m’a été donné, à moi indigne, de recevoir.
Depuis longtemps, je portais dans mon âme l’ardent désir de m’approcher de vous, chers compatriotes, et de vous transmettre ce que j’ai reçu d’en Haut pour vous, mais ce n’est qu’à présent qu’a sonné pour cela l’heure de Dieu. Que cette expression, d’en Haut, ne vous étonne pas, mes frères, car je ne vous apporte ni la sagesse des choses humaines, ni la science, le savoir, les talents ; vous en possédez plus que moi. Ce que je vous apporte vient d’en Haut, car cela vient de la volonté et de la Grâce de Dieu, cela vient de la source ouverte par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Par la volonté de Dieu, j’ai quitté ma terre natale, et je viens à vous, mes compatriotes, vous apporter la parole de consolation et de joie dont je suis chargé pour vous ; je viens vous annoncer, à vous les premiers, que les temps sont déjà accomplis et que l’heure de la miséricorde de Dieu a sonné ; que le Royaume de Dieu s’est approché et appuiera plus visiblement dans l’homme la parcelle divine pure, cette étincelle du feu de Jésus-Christ, étouffée, opprimée, persécutée durant des siècles ; je viens vous annoncer ce temps du Jubilé du Seigneur, où il est plus facile à l’homme d’obtenir la Grâce de Dieu et, à l’aide de cette Grâce, de se délivrer de l’esclavage, de se régénérer et de vivre chrétiennement ; je viens vous annoncer l’époque chrétienne supérieure qui s’ouvre aujourd’hui dans le monde, et de l’Œuvre de Dieu qui introduit l’homme dans cette époque. Enfin je viens vous exposer notre importante vocation dans cette Œuvre, vous la faciliter, et l’accomplir en union avec vous qu’il a plu à Dieu d’y préparer par une récollection de dix ans sur la terre étrangère, vous, fils d’une nation profondément chrétienne. Cette vocation, je ne vous l’exposerai aujourd’hui que d’une manière générale.
Vous sentez, mes frères, combien est triste l’état actuel du christianisme dans le monde, combien le monde s’est éloigné de la voie du salut, combien les âmes s’abaissent et le progrès terrestre seul s’élève. La vérité, la justice sont foulées aux pieds ; ce qui s’élève dans la voie de Dieu est abaissé, tandis que ce qui s’abaisse dans les voies détournées domine et, dans son triomphe illégitime, opprime les fidèles enfants de Dieu. L’esclavage est devenu général, le mal gouverne le monde, opprime l’homme et les nations, étouffe dans les âmes la semence céleste de Jésus-Christ, dénature l’Œuvre même du salut du monde..... Cependant, tandis que le mal arrive ainsi à son sommet et tend à détruire complètement le christianisme, Dieu, par son inépuisable miséricorde, pour sauver l’homme, lui ouvre dans son Œuvre la source de la lumière et de la force chrétiennes, afin qu’aidé par cette lumière et cette force, l’homme connaisse et accomplisse la réclamation et l’appel de Dieu, qu’il sorte des voies détournées, entre dans la voie chrétienne droite, et que, s’élevant dans cette voie à un degré supérieur du progrès chrétien, il satisfasse ainsi à la justice de Dieu et obtienne sa miséricorde. Et vous, mes frères, défenseurs et martyrs de la liberté, préparés par les souffrances de l’exil et d’une vie errante, vous êtes appelés les premiers à prendre part à cette grande Œuvre de la miséricorde de Dieu, œuvre de la délivrance et du progrès de l’homme !
Je vous ouvre mon âme, mes frères, avec la consolante conviction que, pressentant dans vos âmes le jour de Dieu qui approche et y aspirant, vous croyez non à moi, poussière, mais au sentiment intime qui vit en vous. Tandis qu’aujourd’hui s’ouvre donc pour nous la source de la miséricorde de Dieu, puisons-y sans retard, car nous sommes dans un grand besoin. Cette effusion extraordinaire de la miséricorde de Dieu exige un accueil extraordinaire ; ici les sacrifices terrestres ne suffisent pas, ce n’est que sur le feu de l’amour et du sacrifice de notre esprit et de notre être tout entier que peut descendre d’en Haut ce qui aujourd’hui est destiné pour le salut de l’homme. Qu’ici agissent donc notre esprit même et notre sentiment, notre cœur chrétien et polonais, mais non la tête, l’intelligence. À l’exemple des vierges sages de l’Évangile, sortons au-devant de l’Époux avec nos lampes allumées ; écoutons la voix de la Grâce et de notre conscience ; apprenons, avec l’âme émue et contrite, à connaître la volonté de Dieu qui se manifeste à nous dans l’Œuvre de Dieu, humilions-nous devant cette volonté et accomplissons-la ; en cela seulement est notre salut, et c’est aussi notre devoir essentiel dans l’épreuve décisive à laquelle Dieu, en nous manifestant sa volonté, soumet notre amour et notre sacrifice pour Lui-même, pour le prochain et pour la patrie.
Dans le courant du service que j’ai à vous rendre, vous vous convaincrez, mes compatriotes, que l’Œuvre que je vous annonce est l’Œuvre de Dieu, que c’est la même Œuvre que Notre Seigneur Jésus-Christ a faite, et qu’elle s’élève aujourd’hui sur le fondement posé par Jésus-Christ ; que c’est la même voie que Jésus-Christ a parcourue en entier, afin que, à son exemple, l’homme la parcoure par degrés, et que, dans l’époque actuelle, il est seulement présenté, dans cette voie, un degré supérieur à celui que l’homme a pu connaître et atteindre dans l’époque passée. – Ici rien n’est changé de ce que la Sainte Église transmet et enseigne ; toutes les règles, toutes les formes et les cérémonies sont non seulement respectées, mais vues dans une lumière plus complète, vivifiées par l’esprit d’amour et de sacrifice, vénérées par l’accomplissement, par l’action et, par conséquent, élevées. L’Évangile est mon unique lumière, mon unique loi ; rien de supérieur ne descendra sur la terre ; la lumière céleste de ce livre sera, jusqu’à la fin du monde, l’unique flambeau de l’homme ; elle sera de plus en plus connue et accomplie dans les époques chrétiennes, à mesure du progrès chrétien de l’homme, et toute autre lumière se montrera illusion passagère. Je puise uniquement à la source que Jésus-Christ a ouverte ; je m’appuie uniquement sur le tronc de Jésus-Christ, duquel les époques chrétiennes se développeront comme des branches dans les siècles futurs.
Appelé à servir l’homme dans cette époque supérieure, dans la voie du christianisme vivant, se pratiquant sur tous les champs de la vie de l’homme, je m’efforcerai de présenter le christianisme dans son accomplissement, en action, dans ma vie. En vous servant, je ne désirerai, de vous, rien que votre union fraternelle dans l’amour et l’accomplissement de la volonté de Dieu qui est la même pour nous tous ; car cette union, Notre Seigneur Jésus-Christ nous l’a destinée et y a attaché sa bénédiction. Je vous assure que je ne dépasserai pas ces limites de ma vocation, que je me tiendrai avec persévérance au poste qui m’est assigné par la volonté de Dieu, et que je ne me lasserai pas dans mon dévouement et mon travail. Puisse le fil de mes jours être tranché plutôt que je laisse s’introduire dans ma conduite quoi que ce soit d’impur et de contraire à ce que j’annonce !...
En terminant, je vous promets que ce que je vous ai annoncé aujourd’hui d’une manière très générale, je tâcherai de vous l’éclaircir par la suite, dans les services que je vous offre. J’ajoute seulement, pour votre consolation, frères compatriotes, que dans l’Œuvre de Dieu est contenu tout le grand avenir de la Pologne ; car notre nation qui, pendant des siècles, a fidèlement conservé le christianisme dans son âme, est appelée aujourd’hui, par l’Œuvre de Dieu, à manifester le christianisme dans sa vie privée et dans sa vie publique, à devenir ainsi, dans cette époque supérieure, une nation serviteur de Dieu, présentant au monde le modèle de la vie chrétienne. Cette vocation nous est commune avec d’autres nations ; mais la Pologne, partie éminente de la race slave qui a conservé dans son âme, plus purement et plus ardemment que d’autres, le trésor du feu de Jésus-Christ, le trésor de l’amour, du sentiment, la Pologne est une pierre fondamentale, éminente, pour l’Œuvre de Dieu qui s’élève, œuvre du salut du monde.
Après cela il prononça d’une voix solennelle et élevée les paroles suivantes, dont les murs séculaires du sanctuaire ont répété l’écho :
Et maintenant, en vous conviant à la participation active à laquelle je vous ai appelés par la volonté de Dieu, je déclare, en présence de Dieu de qui j’accomplis la volonté, que l’Œuvre de Dieu et l’Époque chrétienne supérieure sont commencées.
À ce moment il s’est jeté la face contre terre, et au milieu des larmes et de la plus profonde émotion il s’est écrié :
Dieu miséricordieux ! grâces, grâces à Vous pour ce commencement de l’accomplissement de votre volonté ! Bénissez ce commencement, et amenez-nous à la fin destinée, à l’entier accomplissement de votre volonté !
Cet acte impressionna profondément les assistants. Une émotion mêlée de respect, d’étonnement et d’amour se répandit dans tous les cœurs. Beaucoup pleuraient et priaient à haute voix. Tous se retirèrent peu à peu avec une joie intérieure qu’ils n’avaient pas encore éprouvée et une nouvelle espérance au cœur !
L’homme qui avait parlé publiquement dans la première cathédrale de France, d’une façon si inusitée et si solennelle, était André Towianski.
Né en Lituanie dans la nuit du 1er au 2 janvier 1799, à Antoszwincie, terre située à l’est de Wilna et appartenant à ses parents, il manifesta dès sa plus tendre enfance un caractère d’une exquise sensibilité et d’une rare piété, une grande compassion pour toute créature souffrante, une singulière rectitude de jugement, une inexorable indignation contre tout mal, un ardent amour de la vérité, un empressement continuel à se sacrifier pour son triomphe.
À l’âge de douze ans, il se sentit appelé d’une manière extraordinaire à la vie intérieure. Voici de quelle manière il me raconta cette phase de sa vie : « Dieu (me dit-il) ne m’a jamais permis de lire un livre en entier. Je faisais des efforts pour comprendre ce que mes professeurs enseignaient, mais je ne comprenais rien, et j’en étais désolé. Cependant aussitôt que j’élevais mon esprit vers Dieu et le suppliais de m’accorder la grâce de pouvoir connaître et accomplir sa volonté, tout me devenait clair ; je me trouvais savoir tout ce dont j’avais besoin, sans pouvoir me rendre compte comment je l’avais appris. Je sentis alors qu’il y a un moyen d’apprendre bien plus élevé que les moyens terrestres : l’union avec le monde supérieur sur la voie qui nous a été tracée par Jésus-Christ. »
Dès ce moment, la direction de sa vie fut décidée. Par cette unique voie, dont il ne dévia jamais, il arriva peu à peu à une très haute et très profonde connaissance des choses divines et humaines. Un rayon de la lumière divine descendit dans son âme, lui rendit claires beaucoup de choses cachées au commun des hommes, et les jugements de Dieu sur le monde lui furent dévoilés.
Après avoir achevé ses études à Wilna, il y fut nommé d’abord chancelier du Tribunal, puis conseiller à la Cour suprême de Lituanie. Dans ces deux charges, ni fatigues, ni sacrifices ne lui coûtèrent pour combattre le mensonge et faire triompher la vérité. Je citerai, comme exemple, un seul fait qui suffit pour montrer quelle était la trempe de son caractère.
Il s’agissait d’un procès important dans lequel tous les artifices imaginables avaient été employés pour spolier une veuve d’une propriété valant au moins 650.000 florins. Towianski, qui était le rapporteur de l’affaire, dut garder le lit pendant plusieurs jours à cause d’une blessure au pied. On profita de cette circonstance pour fixer les débats à une époque assez rapprochée pour qu’ils pussent avoir lieu avant son rétablissement. Informé de ce fait, Towianski dit au médecin qu’il se rendrait à la Cour au jour fixé, et comme celui-ci s’y opposait de toutes ses forces, assurant que le mal ne ferait qu’empirer : « Je dois coûte que coûte aller à la Cour, dit-il, trouvez un moyen qui me permette d’accomplir mon devoir. Je subirai, s’il le faut, l’opération la plus douloureuse. » – « Il y aurait bien un moyen, répondit le médecin, mais je n’aurais jamais osé vous le proposer parce qu’il est trop douloureux et qu’on peut guérir autrement. » – « Et quel est ce moyen ? » – « Cautériser la plaie au fer rouge. » – « Eh bien ! faites-le de suite. » – L’opération fut faite immédiatement. Towianski ne jeta pas un cri, ne poussa pas une plainte. Au jour fixé, à la surprise de tous, il se présenta à l’audience, montra la fraude avec une telle évidence, qu’il réussit à en rendre l’attestation inévitable, et assurant ainsi le triomphe de la justice, il aida la veuve à recouvrer son avoir 2.
Dans les procès criminels, un de ses premiers soins était de visiter les prévenus dans leur prison, et, souvent, par quelques paroles venant de l’âme, il les amenait à reconnaître les péchés qui les avaient conduits au crime, à prendre ceux-ci en horreur et à considérer l’emprisonnement et la condamnation qui leur serait infligée par les hommes comme la juste punition de Dieu.
Dans la femme, aussi bien d’ailleurs que dans l’homme, il ne recherchait que la valeur réelle de l’esprit. Et Dieu lui donna une épouse digne de lui, le comprenant entièrement, douce, modeste, ardente d’énergie et d’amour chrétiens, infatigable à se sacrifier ; elle fut une compagne inséparable et une aide précieuse pour toute sa vie.
Pendant ses voyages à l’étranger, il noua des relations à Prague avec le général Skrzynecki, chef de la révolution polonaise en 1830. L’élevant à des régions plus hautes, il lui montra que les voies révolutionnaires ne réussiraient plus : à la Pologne, et lui indiqua l’unique voie par laquelle elle pourra se relever d’une manière durable.
À la mort de son père, il se chargea de l’administration de ses biens et, au lieu de commander les paysans, qui étaient alors des serfs, avec la sévérité et la terreur (ainsi que le faisaient généralement les autres seigneurs), il se proposa de devenir leur ami et leur guide chrétien, leur exposant en toute chose la vérité et leur faisant sentir le devoir de s’y conformer. Le succès répondit à ses efforts : non seulement ses terres furent améliorées, mais agissant par conviction et le servant par dévouement, plusieurs de ses paysans connus pour avoir été vicieux, paresseux et voleurs, devinrent probes, honnêtes et laborieux. Il commença ainsi en Pologne l’émancipation des serfs dans la seule voie véritable et efficace, en leur procurant avant tout la liberté intérieure, celle qui délivre de l’esclavage du vice et dont la liberté extérieure n’est plus que la conséquence naturelle. Il s’efforça aussi, autant qu’il le put, d’amener les propriétaires ses voisins à agir de même.
Lorsqu’il se sentit appelé positivement par la voix de Dieu à une action plus large, avant de s’éloigner de son pays natal, il chargea un homme qui possédait sa confiance de la direction morale de ses paysans, et leur laissa par écrit quelques conseils, afin qu’en les pratiquant, ils pussent plus facilement maintenir en eux dans sa pureté l’esprit qui les avait régénérés 3. Le 23 juillet 1840, il les invita à un modeste repas d’adieu, au cours duquel beaucoup d’anciennes fautes furent confessées, des époux vivant depuis longtemps en mésintelligence se réconcilièrent, des ennemis jusqu’alors implacables se pardonnèrent leurs torts et s’embrassèrent.
Après une prière faite en commun à la chapelle, au milieu des pleurs de tous, Towianski prit congé d’eux en prononçant quelques paroles entrecoupées par l’émotion. Il était déjà monté à cheval quand un paysan portant une grande croix sortit précipitamment de l’église et, d’une voix haute et solennelle, s’écria : « Maître, vous ne partirez pas sans que je vous bénisse. Vous aurez beaucoup de contrariétés, mais n’oubliez pas vos paysans ! Si vous nous oubliez, Dieu s’éloignera de vous et vous tomberez. » Et il le bénit avec la croix. – Towianski n’oublia jamais ses paysans. Il en parlait souvent avec un profond sentiment d’amour, et vingt-sept ans plus tard, profitant d’une occasion favorable, il leur envoya avec une lettre touchante un nouvel exemplaire des conseils qu’il leur avait laissés avant de partir.
En passant par Posen, il rendit visite à l’archevêque Dunin, et lui fit connaître le but pour lequel il avait quitté son pays. Monseigneur Dunin sentit en Towianski l’esprit de Dieu, célébra dans l’antique cathédrale des Piast une messe pontificale, le bénit pour l’accomplissement de sa mission et lui fit présent de quelques précieux souvenirs. Towianski, à son tour, offrit à l’archevêque le cheval de selle sur lequel il était venu d’Antoszwincie. Il continua son voyage, visitant sur sa route plusieurs champs de bataille de Napoléon Ier, Eylau, Friedland, Leipzig, Bautzen, Dresde, etc.
Arrivé à Paris le 15 décembre 1840 en même temps qu’y entraient les cendres de Napoléon rapportées de Ste Hélène, il se rendit peu après à Bruxelles, où il revit le général Skrzynecki. Il eut avec lui sur le champ de bataille de Waterloo un entretien important dans lequel, résumant tout ce qu’il lui avait dit auparavant et à plusieurs reprises, il lui ouvrit un horizon très vaste et très élevé, dans lequel il lui présenta la marche progressive de l’Œuvre de la Rédemption à travers les siècles, la Pensée de Dieu dans cette Œuvre pour l’époque présente, et il l’appela à coopérer, un des premiers, à son accomplissement 4. L’esprit des temps nouveaux commença ainsi à se manifester au lieu même où le bras de Dieu avait brisé la puissance de Napoléon, après que le grand homme, qui avait commencé à préparer ces temps, eut dévié de la route de sa vocation.
Après avoir visité l’Angleterre et l’Irlande, Towianski retourna à Paris vers la fin du mois de mai 1841.
Il n’est pas sans intérêt de donner succinctement une idée de l’état dans lequel se trouvait l’émigration polonaise dans cette ville lorsque Towianski y arriva, et de la première impression que sa venue produisit sur elle. Je ne saurais mieux faire que de citer les paroles mêmes d’un de ces émigrés, Stanislas Falkowski, qui fut ensuite un de ses plus fidèles disciples et collaborateurs :
« C’était une bien pénible épreuve de Dieu que notre exil !... Jetés sur une terre étrangère, au milieu du chaos des doctrines et des passions sociales et politiques qui y régnaient, nous sentions, il est vrai, le devoir de tout sacrifier au salut de notre patrie ; mais ce sentiment, naturel au Polonais, était infructueux pour notre patrie, puisque nous n’avions ni les moyens, ni la force nécessaires pour la sauver. Dans cet état, poussés par l’élan patriotique et ne trouvant nulle part d’appui moral, nous nous étions facilement laissés entraîner dans un tourbillon d’éléments étrangers, et à la fin, nous en étions devenus la proie. Nous avions accepté des principes contraires à notre esprit national, nous nous étions morcelés en divers partis, et nous cherchions la patrie, chacun à sa manière, dans les fausses voies de la diplomatie, des conspirations, des révolutions, etc. En nous agitant ainsi pendant des années, nous avions perdu nos forces, nous nous étions enchaînés dans des doctrines et des raisonnements ; notre trésor national, l’amour, le sentiment, s’éteignait par degrés en nous ; nous ne pouvions nous accorder en quoi que ce fût : la discorde, les accusations et les condamnations que nous nous lancions les uns contre les autres, et cela au nom du bien général, étaient devenues un fléau qui nous opprimait nous-mêmes et portait un dommage moral à notre patrie. Enfin, après avoir épuisé tous les motifs d’illusion, car tout nous avait trompés, nous nous trouvions abattus et épuisés, dans un vide et une sécheresse intérieure d’autant plus tristes, que peu d’entre nous voulaient reconnaître cet état déplorable.
« Une grande douleur accablait les patriotes qui portaient en eux un sentiment plus profond. Reconnaissant la triste réalité, non seulement ils ne voyaient aucun moyen d’y remédier, mais en outre ils sentaient la foi et la force intérieure diminuer de plus en plus dans leurs propres âmes. Dans cet état, plus d’une âme droite recourait instinctivement à Dieu, mais à aucun des patriotes, même les plus croyants, il ne venait l’idée que dans notre siècle civilisé, la religion pût décider du sort de la patrie, pût donner la force de la sauver ; au contraire, parmi nous, on craignait généralement que la tendance religieuse ne brisât notre tendance terrestre, révolutionnaire, qui était considérée comme seule efficace pour la patrie, et ne finît par nous amener à une résignation passive.
« Cependant quelques-uns, élevant plus haut leur esprit, pressentaient la vocation chrétienne de la Pologne ; ils pressentaient l’idée chrétienne qui nous est destinée, qui doit nous régénérer et nous amener à une patrie meilleure ; mais ceux-là mêmes – qui, dans les moments où la Grâce les touchait, sentaient, voyaient et prophétisaient, – après ces lueurs passagères, retombaient dans les ténèbres et la faiblesse. Semblables au voyageur égaré dans une forêt, qui, après avoir entendu au loin une voix amie, s’élance du côté d’où cette voix est venue, et qui un instant après, n’entendant plus rien, s’affaisse et désespère de nouveau, car il ne peut ni avancer ni rester où il est, – ces âmes, ne pouvant ni agir en aveugles, ni rester inactives, tombaient dans le doute, l’impuissance et le désespoir. – Rien de terrestre ne pouvait plus les soulager ni remédier à leur détresse ; ces âmes, par des tourments de martyrs, se préparaient à leur insu au grand moment de la miséricorde de Dieu.
« Dans cet état pénible, l’Occident civilisé ne pouvait nous donner aucun renfort, aucune consolation, car le matérialisme qui s’y étendait glaçait tout sentiment et toute tendance supérieure. Il est vrai que, dans ce temps, beaucoup de faits surnaturels préparaient le monde à l’époque chrétienne supérieure : l’apparition de la Mère de Dieu, à Paris, avait annoncé une effusion extraordinaire de la miséricorde de Dieu sur le monde ; la médaille qui s’était répandue en vertu de cette apparition appuyait cette annonce par de nombreux miracles ; des prophètes s’élevaient, prédisant la manifestation prochaine et visible des jugements et de la miséricorde de Dieu. Mais tout ce mouvement se produisait uniquement dans la sphère de la religion ; il n’avait pas d’influence sur la vie sociale et encore moins sur la vie politique, car la liaison de la religion avec la vie et avec les problèmes sociaux et politiques des temps actuels était encore cachée à l’homme.
« Le premier rayon d’une espérance venant d’en Haut nous vint par Adam Mickiewicz. Dès sa jeunesse, souffrant et luttant dans son âme, il dégageait son esprit de l’esclavage et des ténèbres, il aspirait à la lumière et à la liberté, et traçait des voies nouvelles à l’esprit de notre nation. Après que la révolution de 1830 eut été vaincue, souffrant des maux de la patrie, il soutenait en lui-même une pénible lutte en cherchant la solution de cette question, la plus importante pour le Polonais : – Faut-il chercher la force terrestre, païenne, et, avec cette force, secourir la patrie ; ou bien faut-il se soumettre humblement à Dieu, ne servir que Lui seul, et s’en remettre à Sa volonté quant à la patrie et à tout ce qui est le plus cher au Polonais ?... – Au milieu de cette lutte, un rayon de la Grâce de Dieu toucha Mickiewicz et il lui fut donné de voir dans son esprit et de prédire à la Pologne l’Homme envoyé de Dieu pour le salut de la Pologne et du monde. Quel Polonais ne connaît pas les paroles prophétiques des Dziady 5 ?...
« Mickiewicz eut foi en ce mystère d’un avenir heureux pour la Pologne et pour le monde, et, par ce sentiment de foi, dont il ne pouvait encore se rendre compte à lui-même, il éleva et vivifia pendant des années son esprit et celui de ses compatriotes. Enfin, frappé douloureusement par l’état de sa femme, devenue folle, il fut pour nous, au milieu de ses souffrances, l’organe d’une révélation positive. Pendant un banquet public donné pour lui, en décembre 1840, par nos compatriotes les plus éminents, il s’éleva en esprit, eut une vision et, dans une improvisation inspirée, déclara avec une certitude surhumaine, que le temps est proche où le Serviteur de Dieu paraîtra au milieu de nous, qu’il le voit venir, que par lui Jésus-Christ triomphera sur la terre, que de lui sortira la patrie servante de Jésus-Christ, et qu’un ordre nouveau, divin, s’établira dans le monde, car les paroles et les actions de cet homme seront pour le monde un modèle et une loi... Cette prophétie, par son caractère surnaturel, émut vivement les assistants, se répandit dans toute l’émigration, et Mickiewicz, en révélant ce qui en ce moment lui avait été donné d’en Haut, est devenu pour nous le prophète et le précurseur de l’Œuvre de Dieu.
« C’est dans cet état d’esprit qu’était notre émigration lorsque se répandit parmi nous la nouvelle de l’arrivée à Paris du Serviteur de Dieu. Mickiewicz, ayant à peine échangé quelques paroles avec Towianski, reconnut en lui l’homme qu’il avait prédit ; il fut pénétré d’une foi et d’une confiance si grandes dans sa mission, qu’ayant reçu de lui une parole d’espoir quant à la guérison de sa femme, il en parla immédiatement comme s’il avait vu ce miracle de ses propres yeux. La guérison miraculeuse de la femme de Mickiewicz, le changement extraordinaire opéré en lui-même, régénéré qu’il était par la joie d’avoir connu le vrai but et la vraie voie de la vie, et de plus, les témoignages que rendaient sur l’effusion de la miséricorde de Dieu deux de nos compatriotes, hommes de mérite, Gorecki et Sobanski, qui, les premiers après Mickiewicz, avaient connu Towianski, tout cela émut et vivifia en un instant toute notre émigration : ce fut pour nous un réveil subit, et nous vîmes, comme une chose naturelle et certaine, que Dieu jetait un regard de miséricorde sur la malheureuse Pologne. »
Tel était l’état des âmes dans l’émigration polonaise à Paris quand, sur l’invitation de Mickiewicz, on se rendit à l’église de Notre-Dame, où Towianski parla publiquement le 27 septembre 1841.
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CHAPITRE II.
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Impression produite sur l’émigration polonaise par la parole de Towianski. – Celui-ci place dans l’église de Saint-Séverin une copie de l’image de Notre-Dame d’Ostrobrama, grandement vénérée en Pologne. – Il explique à ceux qui acceptent l’appel transmis par lui quels sont leurs devoirs.
On peut se faire une idée de l’impression que l’acte de Notre-Dame produisit sur l’émigration polonaise par les paroles suivantes du même Falkowski :
« Un instant suffit à plusieurs d’entre nous pour rompre avec leur passé, pour repousser, comme des choses dignes de pitié, les fausses lueurs qui les avaient guidés jusqu’alors, leurs tentatives et leurs agitations. En présence de cette action si visible de la Grâce de Dieu, ceux mêmes qui étaient plus éloignés de la foi et de la confiance en la miséricorde de Dieu, furent réduits au silence. Une sérénité, une joie inconnues se répandaient dans les âmes, comme si, à des voyageurs égarés dans un sombre labyrinthe, se fût présenté un guide expérimenté qui, les prenant par la main, les eût conduits d’un pas assuré à la lumière, à la liberté et à la vie. Quelque chose de bienheureux, de saint, s’était répandu dans l’atmosphère ; pour l’esprit élevé avait disparu la terre sombre, le ciel semblait ouvert, et du ciel semblait prêt à descendre sur la terre un monde nouveau, serein et heureux ; c’était comme si une armée invisible arrivait soudainement au secours de ceux qui, avec leurs dernières forces, soutenaient le combat, et les conduisait à une victoire certaine......... Non seulement à Paris, mais à Rome, à Bruxelles, en Angleterre, etc., il y avait des émigrés qui, au moment même où leur parvint la nouvelle de la miséricorde de Dieu, ressentirent cette miséricorde, et défendirent cette nouvelle céleste comme le plus précieux trésor de leurs âmes. »
La consolation et la joie annoncées à Notre-Dame commencèrent ainsi à pénétrer dans ces âmes, qui, au milieu du chaos qui les entourait, avaient conservé vivante l’aspiration vers un idéal plus élevé.
Il se produisit alors chez un grand nombre un retour sincère vers Dieu ; en eux s’éveilla la conscience de l’action réelle sur la terre d’un monde supérieur, le désir de se régénérer et de mettre au service de la patrie ce souffle puissant et plus large de vie céleste qui s’était fait sentir au fond de leurs âmes découragées.
Avec un amour vigilant, Towianski suivait le développement de cette semence divine, à tout moment il était prêt à recevoir chacun ; et quiconque recourait à lui avec une âme sincère s’en retournait toujours joyeux et fortifié.
Pour alimenter ce réveil intérieur par quelque signe extérieur qui, en rappelant à ses compatriotes la profonde piété de leurs pères, les aidât à établir en eux la base de l’entière pureté intérieure, sur laquelle seulement l’homme peut s’élever et marcher avec l’aide d’en haut dans la voie montrée par le Verbe de Dieu, suivant les indications qu’il avait clairement senties dans son âme avant de quitter la Lituanie, il installa le 8 décembre 1841, dans une chapelle délaissée de l’antique église de Saint-Séverin, une copie à l’huile, faite par Wankowicz, de l’image de Notre-Dame d’Ostrobrama, grandement vénérée à Wilna et dans toute la Pologne. À cette occasion il adressa aux Polonais les paroles suivantes :
FRÈRES COMPATRIOTES,
Le temps rendra manifeste et compréhensible pour tous ce qui est encore caché pour le monde et n’est accessible qu’à ceux dont l’âme languissante, s’élançant au-dessus de l’enveloppe terrestre, pressent la miséricorde de Dieu qui, par une effusion extraordinaire, se répand de nos jours dans l’Œuvre de Dieu et dans l’époque chrétienne supérieure, déjà commencée sur la terre.
C’est à vous, ô frères ! qui aspirez et sentez, que j’adresse aujourd’hui mon appel ; à vous, qui, ne trouvant rien d’étrange dans ce que je vous ai annoncé par la volonté de Dieu, ajoutez foi non à moi poussière, mais au sentiment intime qui vibre dans le fond de vos âmes.
Dieu tout-puissant a ouvert pour nous dans son Œuvre la source de sa miséricorde : humilions-nous devant ses insondables décrets et hâtons-nous de puiser à cette source sainte, car plus que beaucoup d’autres nous en avons besoin.
C’est aussi de cette source que nous vient le don de la miséricorde de Dieu que je vous annonce aujourd’hui :
La très sainte Reine de Pologne a choisi une antique chapelle abandonnée, dans un recoin des plus obscurs de Paris, et là, sous les traits de l’image miraculeuse d’Ostrobrama de Wilna, elle s’empresse de venir à votre secours.
Ô frères, accourons en ce lieu, déposons nos cœurs aux pieds de notre Dame et Souveraine, attisons l’étincelle de foi et d’amour qu’avec l’aide de la Grâce de Dieu nous avons conservée au milieu de la nuit longue et orageuse que nous avons traversée. Là aussi, sous sa très sainte protection, passons en revue notre intérieur, complétons ce que nous aurons découvert d’insuffisant en nous, épanchons nos sentiments comprimés, éveillons en nous le feu céleste de l’amour et du sacrifice, et préparons-nous ainsi pour la grande heure de Dieu, dans laquelle l’Œuvre de Dieu resplendira de son éclat céleste et répandra sur le monde les bienfaits qui lui sont destinés.
Mais avant que cette heure sonne, il faut que les premiers appelés au service de cette œuvre se vouent à l’accomplissement de leur vocation chrétienne ; il faut que devant le Seigneur des seigneurs se présente toute prête, animée d’un même feu, fondue dans un même feu, la Légion du Seigneur que ce Maître suprême fortifiera de sa Grâce et emploiera au service actif dans l’Œuvre de sa miséricorde.
Vous, martyrs de la liberté ! qui aspirez et sentez ; vous, qui souffrez aujourd’hui sous le joug des forces terrestres ; vous, que Dieu juste et miséricordieux a affligés plus que d’autres pour vous rapprocher davantage de Lui, pour vous appeler plus tôt, pour vous occuper plus activement ; vous avez trouvé devant Lui le premier droit à ce grand honneur. – Votre union sainte deviendra la base du colosse de l’Œuvre de Dieu, que la droite du Tout-Puissant commence déjà à élever. Vos voies exceptionnelles vous ont préparé cette destinée exceptionnelle.
Ô âme slave ! dans ta simplicité tu as l’organe pour comprendre la voix de ton Seigneur ; les siècles passés durant lesquels tu as conservé la pureté de ton germe chrétien au milieu de la corruption universelle te rendent ce témoignage ; et le mérite de ta fidélité à Jésus-Christ, Notre Seigneur, te réjouira bientôt.
J’attends avec un ardent désir le moment qui m’est destiné pour commencer un service plus actif envers vous, frères compatriotes, et, en attendant, comme votre serviteur, je vous adresse dans la joie de mon âme ces paroles de consolation.
Depuis lors cette chapelle, restaurée et tenue avec un grand soin, devint pour un très grand nombre de Polonais un lieu de refuge spirituel, où ils accouraient pour faire un retour consciencieux sur eux-mêmes, pour repasser dans leurs cœurs les choses qu’ils avaient entendues, pour s’orienter dans le nouvel horizon qui leur était découvert, et puiser la force d’y conformer leur vie.
On reconnut plus tard que cette chapelle était édifiée sur l’emplacement même où s’élevait, il y a des siècles, l’ermitage de Saint-Séverin, et qu’elle avait été, au commencement du XIVe siècle, le premier sanctuaire dédié, à Paris, à l’Immaculée Conception.
Pour mieux éclaircir ce qui avait été annoncé d’une manière sommaire à Notre-Dame, Towianski se tint à la disposition de ses compatriotes depuis le 27 mars jusqu’au 30 avril 1842, et reçut chaque jour chez Mickiewicz toutes les personnes qui se présentaient. À la clôture de ces réunions, il déclara qu’il recevrait à l’avenir chez lui à Nanterre tous ceux qui, ayant reconnu l’appel de Dieu, sentiraient le devoir de prendre une part réelle et active à l’accomplissement de cet appel.
Voici le résumé de tout ce qu’il a dit de plus essentiel dans cette seconde série de réunions :
CHERS FRÈRES,
Avant d’aborder le but principal de notre réunion, je sens le devoir de vous exposer sommairement ce que Dieu, dans sa miséricorde, m’a permis d’accomplir sur le champ de ma vocation depuis mon arrivée en France.
L’année dernière, en annonçant l’Œuvre de Dieu, j’ai dit que je n’apporte ni la sagesse des choses humaines, ni la science, le savoir, etc. ; que ce que j’apporte vient d’en Haut, de la volonté et de la Grâce de Dieu, de la source ouverte par Jésus-Christ. C’est pourquoi il ne m’est pas permis d’agir sur le champ de ma vocation d’après mes propres vues et mes propres désirs ; comme indigne instrument de la miséricorde de Dieu, je dois obéir uniquement à tout signe de Dieu, par conséquent, je dois chercher, pour chaque moment, la volonté de Dieu, je dois chercher ce que cette volonté me destine de faire, quand et comment le faire.
Accomplissant mon devoir dans cet esprit, outre les services rendus aux individus que Dieu m’a appelé à servir particulièrement, j’ai annoncé publiquement l’Œuvre de Dieu dans l’église métropolitaine de Paris, j’ai installé l’image de la Mère de Dieu, d’Ostrobrama de Wilna, dans l’église de Saint-Séverin, et j’ai commencé, le jour de Pâques, des réunions pour l’émigration polonaise, chez notre frère Adam Mickiewicz. Dans ces réunions, j’ai exposé la réclamation et l’appel que Dieu fait, dans son Œuvre, à l’homme, aux individus et aux nations, aux gouvernants et aux gouvernés. Parlant à des catholiques et à des Polonais, je leur ai exposé, dans la lumière de l’Œuvre de Dieu, la pensée de Dieu qui repose sur l’Église éternelle de Jésus-Christ, et la grande vocation chrétienne de la Pologne : de là, les grands devoirs de l’émigration polonaise, appelée à servir l’Église et la Pologne, afin de les aider à accepter et à accomplir la réclamation et l’appel de Dieu. J’ai exposé quels comptes résulteront pour l’homme et quelles directions se traceront pour lui, suivant qu’il acceptera ou repoussera cette réclamation et cet appel. J’ai répondu, soit en particulier, soit publiquement, à chaque objection qui m’a été faite ; j’ai résolu les questions, dissipé les doutes, levé les difficultés, etc.
Quoique vous n’ayez reçu jusqu’à présent, mes chers frères, qu’une faible parcelle de ce qu’il vous est destiné de recevoir dans l’Œuvre de Dieu – car vous n’avez pu encore ni approfondir, ni vous approprier ce dont nous avons parlé – néanmoins vous l’avez accepté avec vénération par le tressaillement de vos âmes, par ce mouvement de foi, d’adoration et d’amour que l’homme doit à tout ce qui lui vient d’en Haut ; et aujourd’hui, il n’y a plus pour vous, mes frères, aucun doute que cette Œuvre est l’Œuvre de Dieu, la même Œuvre que Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a faite et que l’Église a conservée dans sa doctrine, dans ses saintes formes et cérémonies. Il n’y a plus de doute que c’est dans l’Église, pour son élévation, pour le triomphe de Jésus-Christ, que se fait cette Œuvre : car elle se fait afin que l’homme connaisse plus à fond la loi de Jésus-Christ et la mette en pratique dans sa vie privée et dans sa vie publique. Il n’y a plus de doute que ce n’est que de cette Œuvre, du degré supérieur de la voie chrétienne auquel cette Œuvre élève l’homme, que découleront pour lui les biens chrétiens, éternels et temporels, qui lui sont destinés : ces biens après lesquels l’esprit soupire depuis des siècles, mais que jusqu’à présent l’homme revendiquait en vain, car, ayant abandonné la voie chrétienne et l’Église de Jésus-Christ, il ne cherchait ces biens célestes que dans la voie des réformes terrestres, ou dans celle des révolutions, des guerres meurtrières et païennes. Il n’y a pas non plus de doute pour vous que, dans cette Œuvre, la tâche de l’esprit et celle de l’homme, la religion et la politique, le salut éternel et le bonheur temporel, en un mot, les intérêts du Ciel et de la terre, que l’homme en suivant des voies détournées a jusqu’à présent séparés, s’unissent dans une harmonie destinée par la pensée de Dieu et s’appuient mutuellement ; car, dans cette Œuvre, l’homme élevé à un degré supérieur de la voie chrétienne, voit toutes choses dans la lumière de la loi de Jésus-Christ, et dispose tout d’après cette loi, dans sa vie privée et sa vie publique.
Parmi vous, mes très chers frères, j’en vois qui, restés fidèles à la foi sainte de nos aïeux, se tenaient au degré de la voie chrétienne qu’ils connaissaient, en repoussant constamment, comme une tentation, tout ce qui, au nom du progrès et de la civilisation terrestres, les appelait à s’élever, mais hors de la voie chrétienne et de l’Église de Jésus-Christ, dans les voies terrestres seules. Ne trouvant plus sur cet ancien degré un aliment qui pût suffire à leurs âmes, ni une force qui pût rendre la vie à notre chère patrie, ils passaient leurs jours dans la douleur, aspirant à ce qui est saint dans la tradition de l’Église, à ce qui est chrétien dans le glorieux passé de notre patrie. – Parmi vous, j’en vois aussi que cette force puissante qu’on appelle l’esprit du siècle a arrachés à l’ancien degré de la voie chrétienne et a élevés, mais hors de la voie et de l’Église de Jésus-Christ. Eux aussi, ne trouvant pas là d’aliment pour leurs âmes, ni de force pour ressusciter la patrie, ils se desséchaient dans la douleur causée par des pressentiments trompés, des espérances déçues, des bons désirs et des efforts restés infructueux. Et aujourd’hui que l’Œuvre de Dieu vous a tous unis dans l’Église et vous élève les uns et les autres au degré propre à l’époque chrétienne supérieure, les uns et les autres, mes très chers frères, vous trouvez tout ce que vous avez cherché à atteindre et ce qui est devenu pour vos âmes un besoin indispensable.
Vous sentez que la seule foi dans l’enseignement de l’Église et la pratique seule de ses formes et cérémonies, sans l’accomplissement de l’essence de la loi de Jésus-Christ, ne bâtissent pas, n’élèvent pas l’Église, n’étendent pas le Royaume de Jésus-Christ sur la terre. Vous sentez que dans l’Œuvre de Dieu l’essence de la loi de Jésus-Christ est présentée, éclaircie et appliquée à toutes les voies de la vie de l’homme. Vous sentez que cette Œuvre ressuscite la foi sainte de nos aïeux, l’élève, lui donne la vie chrétienne et l’action sur la terre pour le triomphe de Jésus-Christ et de son Église, ainsi que pour la résurrection de notre patrie chrétienne. Vous sentez qu’il n’y a que la loi de Jésus-Christ vivante, pratiquée par les Polonais, qui puisse ressusciter la Pologne, lui donner l’existence et la direction qui lui sont destinées, tandis que la vie terrestre la plus large et les actions terrestres les plus brillantes non seulement seront infructueuses pour notre patrie, mais attireront sur elle une oppression et des malheurs encore plus grands, jusqu’à ce que la volonté suprême qui appelle l’homme et les nations à la pratique de la loi de Jésus-Christ soit acceptée et accomplie. Vous sentez donc, mes frères, qu’en devenant serviteurs de l’Œuvre de Dieu, vous devenez des fils et des serviteurs de l’Église et de la patrie, plus fidèles et plus actifs. De là vient votre feu chrétien et polonais, cette ardeur qui vous pousse à rejeter les voies et les moyens inférieurs et faux, et à vous consacrer sans réserve à l’accomplissement de votre vocation dans l’Œuvre de Dieu.
Voilà, mes frères, les fruits bénis de ce qui a été fait jusqu’à présent dans l’Œuvre de Dieu. Vous commencez déjà à jouir de ces fruits, vous tous qui, au milieu des ténèbres qui couvraient le monde et vous-mêmes, n’avez pas cessé de soupirer au fond de vos âmes après la lumière du jour de Dieu, et qui, à la nouvelle de la miséricorde divine se répandant dans son Œuvre, avez tressailli de foi, d’espérance et d’amour, et vous êtes appliqués à connaître cette Œuvre.
Et maintenant, pour conclure les services que je vous ai rendus jusqu’à présent, et nous fortifier pour l’accomplissement de nos devoirs, offrons ensemble, comme compagnons d’une même vocation, notre adoration, nos prières et nos vœux à Notre Seigneur Jésus-Christ, sons son étendard qui est celui de l’Œuvre de Dieu, afin que cet acte, accompli par nous en esprit et dans la forme, soit, devant le ciel et devant la terre, un témoignage que notre groupe, quoique bien petit encore, constitue déjà le commencement du cercle des serviteurs de l’Œuvre de Dieu, dont j’ai dit, lors de l’installation de l’image de la Mère de Dieu, d’Ostrobrama, dans l’église de Saint-Séverin : « Il faut avant tout que, devant le Seigneur, se présente la Légion du Seigneur, animée d’un même feu, fondue dans un même feu !..... »
Après avoir prononcé ces paroles, le Serviteur de Dieu s’est approché, avec le plus profond respect, de l’étendard placé devant les assistants, il a enlevé le voile qui le couvrait, et, sur un fond de velours blanc, a paru l’image de Notre Seigneur Jésus-Christ couronné d’épines 6. Les assistants, émus jusqu’au fond de l’âme, sont tombés à genoux et, en versant des larmes, ont remercié Dieu de sa miséricorde qui, après tant d’années, les réunit, eux orphelins, dispersés dans l’exil, sous ce signe sacré, les met sous la conduite de Notre Seigneur Jésus-Christ et leur donne l’aide du Serviteur suscité par Jésus-Christ. En même temps, ils ont fait le vœu d’une fidélité inébranlable à cette Œuvre sainte, de laquelle découle pour eux un bien si grand et si au-dessus de leur attente.
Puis le Serviteur de Dieu a lu, d’une voix émue, l’écrit suivant préparé par lui pour cet acte :
CHERS FRÈRES,
Que Dieu miséricordieux nous bénisse dans ce grave moment, où, rangés sous l’étendard de l’Œuvre de Dieu, nous nous consacrons à l’accomplissement de notre vocation !
Je ne doute pas que vous ne sentiez, mes chers frères, la sainteté de cet étendard, sur lequel figure l’image de Jésus-Christ couronné d’épines. Mais comme pour nous, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, il importe beaucoup de connaître la signification réelle de ce signe sacré de notre service, c’est donc mon devoir de vous dire ce que je sens à cet égard.
Voilà le suprême degré de l’amour et du sacrifice, de la plus sainte élévation de l’esprit, du plus complet repos en Dieu, de la plus entière soumission à Dieu !..... C’est pour la première fois depuis la création du monde que la vie céleste s’est manifestée sur la terre dans une telle pureté et une telle plénitude..... C’est pour la première fois qu’un tel amour et un tel sacrifice, une telle prière et une telle adoration ont été offerts à Dieu dans l’esprit et dans l’action accomplissant la volonté de Dieu..... Cette image représente donc ce qui est et sera éternellement le degré suprême pour le monde, elle représente le dernier but vers lequel la Volonté de Dieu, le Verbe de Dieu appelle l’homme à tendre durant les siècles.
À cause de la résistance de l’homme à accepter la Volonté de Dieu, le Verbe de Dieu, ce degré suprême assigné au monde, n’ayant pu se manifester devant le monde dans les actions qui étaient destinées, il s’est manifesté dans l’action que Dieu a permise par suite de cette résistance, dans la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ et sa mort sur la croix. Et c’est dans cette action, portant sur la terre le caractère du dernier abaissement, que s’est manifesté le ciel destiné à la terre ; qu’a été transmise à l’homme la Volonté de Dieu, le Verbe de Dieu ; qu’a été présenté, pour les siècles, le modèle suprême du progrès chrétien de l’homme ; qu’a été consommée l’Œuvre du salut du monde.
Dans cet amour, ce sentiment, ce ton céleste, avec lequel l’Agneau de Dieu s’est dévoué à la passion et à la mort sur la croix, est descendu sur la terre ce feu d’amour et de sacrifice, dont il a dit lui-même : « Je suis venu pour jeter le feu dans la terre ; et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ? 7 » Dans ce ton se sont manifestées la lumière et la force du ciel destinées à la terre, se sont manifestés la pensée de Dieu pour le monde et le sacrifice qui a accompli cette pensée. Dans ce ton se trouve l’essence de toutes les vérités célestes que l’Agneau de Dieu a accomplies et a transmises pour que l’homme les accomplisse, l’essence de tous les sacrifices qu’Il a faits. Dans ce ton se trouve aussi l’essence de tous les tons, sentiments et grandeurs chrétiennes que l’homme a produits et produira pendant les siècles. Tout ce qui s’est manifesté jusqu’à présent dans le monde de supérieur à la terre, et se manifestera jusqu’à la fin du monde, tout cela est renfermé dans cette suprême unité chrétienne.
L’homme, à cause de son amour excessif de la terre et de son manque d’amour pour le ciel, n’ayant pas voulu accepter la lumière destinée à dissiper les ténèbres du monde, et la force destinée à tirer le monde de sa bassesse, l’Agneau de Dieu a permis que sur lui retombassent les suites de ce péché du monde ; il s’est soumis à la passion et à la mort sur la croix. Et cette soumission la plus sainte à ce que l’Œuvre du salut du monde soit accomplie de cette manière, a provoqué à la lutte les extrêmes les plus éloignés, les sommets et les tons les plus opposés : face à face se sont présentés le ciel et l’enfer, le Verbe de Dieu incarné et le Prince des ténèbres ligué dans cette lutte avec le Prince de ce monde ; le plus grand amour pour élever la bassesse s’est présenté en face de la plus grande résistance à s’élever ; la plus grande élévation destinée au monde, en face du plus profond abaissement du monde ; et ainsi s’est montré à la fois ce qu’était le monde et ce qu’il doit être selon la pensée de Dieu qui repose sur lui. L’homme a vu des yeux de son corps, cette pensée accomplie ; il a vu le Verbe de Dieu vivant, agissant dans le monde, dans toute sa grandeur et sa vérité, dans toute la liberté et le caractère célestes ; il a vu, afin que ce qu’il a vu, il l’accomplisse dans le cours des temps.
Après avoir accompli ainsi l’Œuvre du salut, Notre Seigneur Jésus-Christ est monté au ciel en laissant aux siècles à venir d’accepter et de manifester, dans la vie chrétienne, le ciel qu’il a présenté et que le monde a repoussé. Par suite de cela, l’Agneau de Dieu efface durant les siècles les péchés du monde, dirige l’Œuvre du salut du monde qu’il a accomplie, dirige la grande élaboration qui se fait dans le monde afin qu’il soit purifié par une pénitence qui satisfasse pour ses péchés, et qu’il s’élève à la hauteur montrée par l’Agneau de Dieu. Cette action, l’Agneau de Dieu l’accomplit par la puissance divine de l’amour et du sacrifice, selon la loi de la Grâce pour ceux qui sont soumis au Verbe de Dieu, selon la loi de la force et de la rigueur pour les opiniâtres. Tout ce qui se passe dans le monde, chaque évènement, le plus grand et le plus petit, tout sert à cette grande Œuvre du salut du monde, tout en est l’instrument supérieur ou inférieur ; toutes les forces de ce monde et de l’autre monde appuient depuis des siècles et appuieront durant les siècles les paroles et les actions de l’Agneau de Dieu.
Accomplir une telle Œuvre au milieu des plus grands obstacles que la terre et l’enfer ont opposés pour repousser le ciel descendant sur leurs royaumes, montrer une telle élévation, produire le fruit d’un tel amour et d’un tel sacrifice, et par cela devenir Sauveur, Maître et Juge du monde, le Verbe de Dieu incarné le pouvait seul ; celui-là seulement le pouvait, qui, après avoir vaincu le corps, le monde et Satan, s’est établi au degré suprême de la voie qu’il a présentée et a agi de ce degré, du sommet du Royaume qu’il a fondé, du sommet de l’Église qu’il a bâtie ; celui-là seulement le pouvait, qui est venu dans ce monde, non comme y vient tout homme, pour acquitter ses comptes, pour faire son propre progrès, son propre salut, mais qui, pur de toute souillure, par amour du salut du monde, est descendu dans le monde, afin de présenter le modèle suprême, de montrer la hauteur céleste que Dieu a destinée comme sommet suprême du monde, comme degré final de la tendance et du progrès du monde.
L’étendard sur lequel brille l’image de ce sommet suprême est donc le signe du Verbe de Dieu accompli, de la loi céleste, destinée au monde, accomplie, le signe de l’Église bâtie, du Royaume céleste fondé dans le monde ; c’est aussi le signe de la force chrétienne, céleste, par laquelle tout cela a été accompli par Jésus-Christ, et par laquelle l’homme doit l’accomplir selon le modèle qui lui a été donné. Cet étendard guidera l’homme dans toute l’étendue de la voie chrétienne ; il embrasse toutes les époques chrétiennes que l’homme aura à traverser pour accomplir le Verbe de Dieu ; il embrasse tout le Royaume, toute l’Église de Jésus-Christ, que, dans ce même but, l’homme doit élever dans les époques chrétiennes, depuis la base jusqu’au sommet.
Telle est la signification générale de l’étendard de l’Œuvre de Dieu. Dans la suite de nos communs travaux, ce sera mon devoir de compléter ce que je ne vous expose aujourd’hui, mes frères, que d’une manière générale.
Après la lecture de cet écrit, le Serviteur de Dieu a expliqué la signification de la médaille portant l’image de la Mère de Dieu avec des rayons sortant de ses mains et dirigés vers la terre ; il a dit que ces rayons se répandent aujourd’hui sur la terre, afin que l’Œuvre du salut se continue dans l’époque chrétienne supérieure ; que c’est pour ce motif que cette médaille est destinée à être celle de l’Œuvre de Dieu ; que, par la Grâce de Dieu et le sacrifice des serviteurs de cette Œuvre, elle peut devenir une aide céleste qui fortifie ces serviteurs dans la voie de leur vocation. Enfin, chacun des frères présents a reçu une de ces médailles.
Après cet acte, pendant lequel les mouvements de l’âme, les soupirs, les larmes et les paroles de tous ceux qui y avaient pris part, étaient une commune prière, tous ensemble ont dit à genoux l’invocation : Sub tuum praesidium etc. ; puis ils ont chanté en chœur le psaume : « Dieu est notre refuge et notre force, etc. » – Parmi les assistants, il s’en trouvait qui, ayant appartenu dans l’émigration à des partis opposés, portaient les uns contre les autres un tel esprit de haine et de vengeance que, presque à chaque rencontre, ils en venaient à des provocations ; mais à ce moment à jamais mémorable, l’émotion, les larmes, les embrassements fraternels, le pardon des injures, l’oubli des haines réciproques, les promesses solennelles d’union, d’amour, d’amitié éternelle témoignèrent que cet acte de l’époque chrétienne supérieure, qui a donné naissance au cercle des serviteurs de l’Œuvre de Dieu, a formé en même temps le premier germe de la Pologne régénérée en Jésus-Christ. En voyant ces résultats, Towianski a dit :
Nous sommes dans la patrie, mes frères !... car cet esprit, ces sentiments chrétiens et polonais qui nous animent et nous unissent en ce moment, c’est l’essence de notre patrie. Cette patrie est encore très restreinte sur la terre, mais elle est large et vaste en esprit, car des millions de Polonais, nos pères et nos frères, qui, dans l’autre monde, vivent et servent Jésus-Christ sous le même étendard que nous, s’unissent à nous en ce moment ; ils brûlent du désir de s’unir de même avec tous leurs compatriotes, afin de pouvoir, dans cette union, vivre avec eux et par eux, servir Jésus-Christ, son Église et la patrie !... C’est cet esprit d’amour et de sacrifice que la Pologne tout entière est appelée à accepter et à transmettre au monde dans sa vie, dans ses actions privées et publiques, et d’abord dans celle de ses actions qui, selon les décrets de Dieu, doit précéder toutes les autres : la pénitence nationale et, par cette pénitence, le recouvrement de l’existence nationale indépendante. C’est seulement dans cet esprit que la Pologne peut agir efficacement avec la Russie, peut même lutter avec elle, non, comme jusqu’à présent, par la force de la haine et de la vengeance qui cherche l’humiliation et la perte du prochain qui opprime, mais par la force de l’amour qui, en se dévouant pour le vrai bien de ce prochain, tâche de lui donner un motif chrétien pour que, d’ennemi, il devienne un frère, un ami en Jésus-Christ. Lorsque le Polonais aura déposé devant Dieu, sur l’autel de la patrie, son désir pur que la volonté de Dieu soit accomplie par la Russie, de même que par toutes les autres nations du monde, qu’ainsi la Russie devienne aussi grande et aussi heureuse que cela lui est destiné dans les décrets de Dieu, et lorsque, par suite de ce désir, le Polonais sera prêt à se dévouer pour le bien de la nation qui l’opprime, alors ce fruit de l’amour de Dieu et du prochain, produit par le Polonais sur ce champ le plus difficile pour lui, mettra fin à la rude pénitence de la Pologne, élèvera la nation martyr au poste qui lui est destiné de nation magistrat chrétien pour le monde, et lui méritera l’appui de Dieu pour l’exercice de cette magistrature.
Ces paroles ont éveillé un vif sentiment d’amour de Dieu et du prochain, et les assistants ont chanté en cœur le cantique dont voici la traduction :
« Recevez, Seigneur, nos travaux, nos combats et notre vie dans le sacrifice :
« Que votre amour et votre vérité réjouissent notre vallée !
« Que l’ennemi, se soumettant, reconnaisse vos saintes lois !
« Que, dans l’union fraternelle, il glorifie votre Nom durant les siècles ! »
À la réunion suivante, Towianski exprima aux assistants son désir de s’entretenir avec eux, unis à lui sous l’étendard de l’Œuvre de Dieu, sur les devoirs qui, dans ces temps, reposent sur les serviteurs de l’Œuvre. Voici en résumé ce qu’il a dit à ce sujet :
Par la volonté de Dieu, ayant élevé l’étendard de l’Œuvre de Dieu, et sous cet étendard, m’étant d’abord uni avec vous, mes frères, qui y avez été préparés par dix ans de récollection sur une terre étrangère, je dois maintenant rendre compte devant le Saint-Père, notre souverain chef spirituel, de ce que j’ai fait et de ce qu’il m’est destiné de faire dans l’avenir, et demander en même temps son aide, sa protection et sa bénédiction pour l’accomplissement de ma vocation ; je dois enfin continuer pour vous les services commencés et servir, en union avec vous, ceux qui voudront recevoir notre service. Tel est l’ordre dans lequel il nous est destiné d’accomplir notre vocation, et cet accomplissement dépend de la miséricorde de Dieu sur nous ; il dépend aussi en grande partie de nous-mêmes, de notre amour et de notre sacrifice.
Vous sentez, mes frères, combien est grave mon devoir de présenter au Saint-Père la réclamation et l’appel que Dieu fait à l’homme dans son Œuvre ; vous sentez de quelle importance est l’accueil que cette Œuvre recevra du Saint-Siège : les desseins de la miséricorde de Dieu, qui veut que son Œuvre soit transmise à l’homme et s’étende dans le monde, s’accompliront-ils avec l’union et l’appui des ministres de l’Église ? ou bien Dieu permettra-t-il que, sans cette union et cet appui, l’Œuvre de Dieu porte ses fruits seulement pour ceux qui, s’appuyant sur Dieu seul, sentiront et accepteront d’eux-mêmes sa miséricorde qui se répand dans cette Œuvre ?..... Quoi qu’il arrive, espérons, mes frères, que tôt ou tard viendra le temps où le monde et ceux qui le gouvernent, oppressés par les ténèbres, éveilleront en eux le désir de la lumière, et se tourneront avec la vénération qui lui est due, vers le secours que présente l’Œuvre de Dieu... Vous pouvez sentir facilement avec quelle ardeur je désire remplir au plus tôt mon devoir sacré envers le Siège apostolique et contribuer ainsi, dans la mesure qui m’est destinée, à ce que se trace pour le monde la direction de la Grâce et non celle de la force et de la permission de Dieu !... Mais le moment et la manière de remplir ce devoir de ma vocation ne dépendent pas de moi ; ils dépendent uniquement du signe de Dieu que nous devons attendre dans l’humilité, l’amour et le sacrifice... En attendant, accomplissons, mes très chers frères, ce qu’il nous est destiné d’accomplir maintenant ; c’est sur ce point que j’appelle encore votre attention.
L’année dernière, en annonçant l’Œuvre de Dieu, je vous ai dit d’une manière générale, et cette année, dans nos réunions chez notre frère Adam Mickiewicz, je vous ai expliqué par des éclaircissements détaillés, combien est triste l’état actuel du christianisme dans le monde, et combien cet état menace l’Œuvre même du salut du monde ; enfin je vous ai exposé qu’au milieu de ce malheur extrême, l’Œuvre de Dieu donne à l’homme une aide et un secours efficaces. Dans cette Œuvre sainte, nous sommes appelés à prendre la part qui nous est destinée, à servir le prochain, qui, après avoir erré pendant des siècles dans les ténèbres, est appelé, dans ces jours où commence l’époque chrétienne supérieure, à recevoir une lumière chrétienne plus grande, à entrer dans la voie chrétienne, à y commencer son progrès chrétien supérieur, à se tracer ainsi, pour les siècles de son avenir, une heureuse direction vers son vrai but. Vous accomplirez ce saint devoir, mes frères, lorsque, par la force chrétienne de votre amour et de votre sacrifice, vous accepterez d’abord vous-mêmes cette lumière, vous entrerez dans cette voie, y progresserez et vous y élèverez ; lorsque, étant parvenus à ce que la lumière que vous aurez reçue soit devenue votre propre manière de voir et de sentir, vous la présenterez vivante à votre prochain, tant dans votre esprit que dans vos paroles et vos actions ; lorsque par là vous serez devenus, comme cela vous est destiné, des apôtres de cette époque. Vous sentirez donc facilement, mes frères, que votre principal devoir actuel est de vous efforcer d’atteindre ces conditions indispensables à l’apostolat de cette époque, qui est celle de la vie, de la pratique du Verbe de Dieu. Mon devoir, à moi, est de vous faciliter l’accomplissement du vôtre qui comprend de nombreuses obligations chrétiennes, tant intérieures qu’extérieures. C’est pourquoi, mes frères compagnons, j’offre mes services à chacun de vous en particulier, et dans ce but, je vous engage à profiter de mon séjour parmi vous, qui, peut-être, ne sera plus que de courte durée. Vous pouvez vous adresser à moi à tout moment et dans tous vos besoins, dans toutes les circonstances et toutes les difficultés de votre position ; je vous assure que je ferai tous mes efforts afin d’obtenir l’aide de la Grâce de Dieu, et, avec cette aide, de vous amener au poste qui vous est destiné comme serviteurs appelés à l’Œuvre de Dieu. Unis sous l’étendard de l’Œuvre de Dieu par le vœu d’une commune vocation, profitons de la Grâce qui se répand de nos jours, pour consolider ce commencement de notre union, afin que plus tard, après que j’aurai rempli mon devoir envers le Siège apostolique, nous puissions d’autant plus facilement arriver à une pleine union en Jésus-Christ, union qui nous est destinée pour cette vie et pour les siècles de notre avenir.
La miséricorde de Dieu appuie visiblement nos premiers pas ; dans vos âmes brûle un feu d’amour pour Dieu, le prochain et la patrie, brillent une liberté et une joie en Jésus-Christ, qui vous étaient inconnues jusqu’à présent. Puisse ce commencement si heureux nous raffermir dans la foi que la miséricorde de Dieu ne cessera de nous appuyer jusqu’à la fin ; que si, par notre sacrifice, nous maintenons en nous ce feu d’amour pour Dieu, le prochain et la patrie, nous accomplirons tout ce que, dans les décrets de Dieu, il nous est destiné d’accomplir. Mais ne nous illusionnons pas, mes frères, en croyant que tout nous sera facile. Le monde n’ayant pas d’amour pour la Volonté, le Verbe de Dieu, de grandes contrariétés peuvent tomber sur les serviteurs de l’Œuvre de Dieu, dans laquelle se fait la réclamation pour que cette Volonté, ce Verbe soit accompli. Renonçons donc, mes frères, à nous-mêmes et à tout ce qui est de nous ; soumettons-nous et dévouons-nous à tout. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; et l’envoyé n’est pas plus grand que celui qui l’a envoyé 8..... Vous aurez à souffrir bien des afflictions dans le monde, mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde 9. »
L’effusion extraordinaire de la Grâce qui s’était manifestée dans ces réunions laissa une impression ineffaçable dans l’esprit de tous ceux qui y prirent part.
Beaucoup d’âmes furent guéries : dans toutes, la foi fut fortifiée, de nouvelles espérances éveillées, et une joie inexprimable répandue. Une région supérieure paraissait ouverte pour la terre : une nouvelle direction était tracée : une nouvelle force pénétrait dans les cœurs.
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CHAPITRE III.
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Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour présenter l’appel de Dieu au roi Louis-Philippe et au pape Grégoire XVI, puis il se retire en Suisse.
Tandis qu’André Towianski attendait les signes de la volonté de Dieu pour se rendre auprès du Saint-Père, il sentit le devoir de parler au roi Louis-Philippe. Il devait être reçu le 1er mai 1842, à onze heures du matin ; mais, s’étant rendu avec Mickiewicz aux Tuileries, on lui fit observer qu’il ne pouvait être introduit auprès du roi, parce qu’il n’était pas en habit. Lui, toutefois, ne crut pas devoir quitter la redingote qu’il portait habituellement, et toujours de la même forme. « Avec cet habit, dit-il, je vais à l’église, je me présente devant Dieu ; je puis donc me présenter avec ce même habit devant le roi des Français. »
Pendant ce temps, le gouvernement russe lui confisqua ses biens, sous prétexte que le terme de son passeport étant expiré, il n’était pas rentré au pays après en avoir reçu la sommation, quoiqu’il eût expliqué personnellement au comte Kisielew, alors ambassadeur de Russie à Paris, le motif qui l’avait déterminé à quitter son pays natal et l’empêchait pour le moment d’y retourner. D’autre part, les calomnies et les persécutions s’accumulant contre lui, le gouvernement français, sans se préoccuper de rechercher la vérité, décida son éloignement. Le 18 juillet 1842, Towianski reçut l’ordre de quitter la France ; on lui reprochait entre autres choses d’avoir prédit la mort du Duc d’Orléans ; et cet évènement eut lieu précisément le 13 juillet, le jour même où fut signé le décret d’expulsion 10.
Après avoir quitté Paris, il se rendit à Ostende. En traversant Ham, il aperçut Louis-Napoléon, alors prisonnier dans cette ville, qui se promenait sur la plate-forme de la forteresse, et dit à cette occasion : « Voilà un prisonnier bien dangereux ! Sur le trône, il pourra causer un grand dommage à la France si les Français ne cherchent que la gloire, c’est-à-dire, s’ils cherchent à ressusciter les traditions de Napoléon Ier, non pour la mission que portait son esprit, mais pour continuer son péché. »
Quelques mois après, il quitta Ostende et se rendit à Bruxelles. Là, tout en se préparant à partir pour l’Italie afin de se présenter au Saint-Père Grégoire XVI, il ne cessait d’aider de ses conseils ses amis de Paris, d’encourager, par ses écrits, leurs bonnes dispositions et d’accomplir les devoirs de sa vocation envers tous ceux qui venaient le visiter.
À cette époque il y avait en France un homme du peuple qui, ayant de fréquentes extases, dépeignait sous de vives couleurs l’affaiblissement progressif de la foi dans les cœurs, ainsi que les conséquences terribles qui en résulteraient pour la France et pour le monde. Depuis quelques années il disait : « que des temps nouveaux allaient commencer, où le monde serait poussé à retourner sur la voie de Jésus-Christ et à accomplir plus strictement sa loi ; que l’homme instrument de ce secours devait sortir du fond de la Pologne ». Au mois de décembre 1840, sans avoir jamais entendu parler de Towianski, il ajouta : « que le saint slave, organe des décrets et de la miséricorde de Dieu pour le monde, dépositaire du ton d’action, était déjà sur le sol français, qu’il le voyait se diriger vers Paris, où il aurait à commencer l’accomplissement de sa mission ». Quand plus tard en 1842 il apprit ce que Towianski faisait, il reconnut en lui l’homme qu’il avait vu en esprit.
Ce voyant fut abandonné de la Grâce, parce qu’il ne prit pas la voie chrétienne, à laquelle l’appelaient les dons dont il avait été comblé pour un temps, et au sujet desquels le serviteur de Dieu lui avait fait plusieurs fois des réclamations. Cependant plusieurs Français qui avaient été frappés et réveillés par ses paroles se rendirent à Bruxelles et trouvèrent auprès de Towianski ce que le fond de leur âme cherchait ; ils commencèrent leur régénération chrétienne et devinrent à Paris un point d’appui spirituel pour leurs compatriotes.
Au mois d’août 1843, Towianski partit pour Rome. Il n’y arriva que le 1er octobre, parce qu’il avait coutume de ne jamais précipiter ses voyages, mais de s’arrêter partout où il sentait quelque devoir à remplir. Ainsi, à Francfort, il transmit au chef de la famille Rothschild l’appel de Dieu pour Israël ; à Kiel, il éveilla à un horizon plus élevé et aux devoirs des temps nouveaux la conscience de plusieurs de ses compatriotes, dont un prêtre, et de quelques Français, qui s’étaient rendus exprès dans cette ville pour lui parler. Et après avoir visité à Soleure le tombeau de Kosciuszko, il se rendit pour quelque temps à Lausanne où J. B. Scovazzi, exilé alors en Suisse, le vit, et fut ainsi le premier Italien qui fit sa connaissance.
Pendant qu’à Rome il attendait d’être reçu par le Saint-Père, il passait ses journées dans la solitude et le recueillement. Mais la persécution, qui avait commencé à Paris, le suivit aussi à Rome. Le 21 octobre, il reçut l’ordre du gouvernement pontifical de quitter la ville dans les vingt-quatre heures. Toutes les tentatives qu’il fit pour obtenir une audience du Saint-Père ayant échoué, il partit ; mais ayant fait une halte à Ronciglione, il adressa au pape l’écrit suivant :
Ronciglione, le 25 octobre 1843.
SAINT-PÈRE,
La quatrième année passe depuis que, par l’ordre de Dieu, révélé à moi le plus indigne, j’ai quitté mon pays pour transmettre aux individus et aux nations la volonté de Dieu, l’appel que Dieu fait dans ces jours, afin que sa miséricorde, promise pour les temps actuels, puisse découler de sa source. Et envers Vous, Saint-Père, premier magistrat du Seigneur sur la terre, j’ai reçu le devoir le plus sacré à remplir. Dieu est maître, pour faire sa volonté sur la terre, de se servir, quand il lui plaît, des instruments les plus indignes ; Dieu est maître d’envoyer son dernier serviteur à son premier magistrat.
En quittant mon pays afin d’obéir à Dieu, pour la première fois j’ai désobéi au gouvernement sous lequel Dieu m’a fait naître ; car il est juste d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
En France, m’appuyant sur la grâce promise par le Seigneur à son Œuvre, faible poussière, fortifié par le sacrement de la sainte Eucharistie, j’ai eu le courage d’annoncer, dans l’église archi-cathédrale de Paris, le commencement de l’Œuvre de Dieu et de l’époque chrétienne supérieure ; cet acte a été accompli le 27 septembre 1841.
Après, j’ai transmis la volonté de Dieu à mes frères réfugiés – je les ai appelés à être prêts pour les grands jours qui s’approchent pour le monde ; je leur ai exposé qu’après les souffrances qui devaient les préparer, ils sont, plus particulièrement que d’autres, appelés à servir l’Œuvre de Dieu – je leur ai exposé ce qu’il faut faire pour que le meilleur Père cesse d’affliger notre malheureuse nation, j’ai exposé qu’aucun effort terrestre, révolutionnaire, ne réussira à cette nation.
Dieu a béni ; sa Grâce a germé ; et il en est déjà qui brûlent d’amour pour sa volonté qui leur a été transmise, et du saint désir de se sacrifier pour déposer à Dieu les fruits de cet amour, en faisant triompher l’étendard de Jésus-Christ dans leur vie privée et publique. Ils sont pleins de foi que la même Grâce qui a germé dans un petit nombre germera dans des milliers de cœurs, et que les efforts de l’homme n’arrêteront plus le cours de la volonté de Dieu.
C’étaient mes premiers actes sur le champ de ma mission. Le gouvernement français m’a condamné pour cela sans m’entendre ; il m’a ordonné de quitter la France ; j’ai obéi. Mon compte est devant Dieu, et Vous, ô Père ! premier magistrat de Dieu sur la terre, Vous devez donner votre haute opinion sur ce que je fais ; l’homme l’attend de Vous !
Le temps d’accomplir ma mission auprès du Saint-Siège étant arrivé, je viens à Rome pour adorer en Vous, Saint-Père, la pensée de Dieu, pour vous exposer sa volonté, pour vous rendre compte de mes actions et recevoir votre bénédiction selon la volonté de Dieu.
Instrument trop faible, quand je me prépare dans la retraite, en implorant de Dieu la force nécessaire pour accomplir mon devoir, je reçois de votre gouvernement l’ordre de quitter Rome à l’instant. Séparant votre volonté, Ô mon Père ! de l’ordre de votre gouvernement, je m’empresse de recourir à votre personne ; mais on me refuse dans votre palais la grâce que j’implore, de pouvoir à vos pieds demander votre protection, personnellement ou par écrit. Je sens alors le devoir de m’expliquer devant votre gouvernement ; on me repousse également, on me refuse la parole, on me réitère l’ordre de quitter Rome à l’instant. La volonté de Dieu souffre la persécution, mais tôt ou tard elle triomphe.
J’ai obéi, j’ai quitté Rome ; mais comme l’ordre de votre gouvernement ne m’a pas déchargé du devoir d’accomplir la volonté de Dieu, Dieu qui m’en a chargé étant seul maître de m’en décharger, et comme je crains aussi de laisser sur ma conscience une grande responsabilité, dans le grand intérêt du salut de l’homme, hors de Rome, je fais à cet égard envers Vous, mon Père, autant que, dans une chose si sainte, j’ose le faire par écrit et à la hâte.
Ô Père !
Quand tous les moyens pour exposer la volonté de Dieu au Saint-Siège sont ôtés à l’homme, Dieu met sur votre conscience le fardeau d’accomplir sa volonté, d’accomplir les devoirs qui, par sa volonté, pèsent aujourd’hui sur le Saint-Siège ; et, depuis que cet écrit est à vos pieds, votre compte est devant Dieu. Les temps sont accomplis, la volonté de Dieu sera faite, l’homme qui n’obéit pas à l’amour obéira à la force de Dieu, et le Verbe de Dieu vivra, triomphera sur la terre..... Ô Père ! le pouvoir m’est donné de vous le dire.
« Dieu tout-puissant ! Tu vois que moi, le plus faible et le plus indigne, j’ai tâché d’accomplir ce que Tu m’as ordonné ; ta volonté repose par Toi sur ton magistrat, et dès lors, ô mon Dieu ! Tu feras ce qu’il te plaira. – Que seulement ta miséricorde, pardonnant mes nombreux défauts, daigne m’acquitter de cette partie de ma mission pour le Saint-Siège !
« Dans la prière et l’humilité, j’attendrai tes ordres pour l’avenir, et je ne cesserai d’implorer ta miséricorde pour que je puisse dans le temps, adorant ta pensée dans ton premier magistrat, baiser les pieds de celui que Tu nous as destiné pour nous conduire vers notre salut ; que je puisse, comme Tu me l’as ordonné, accomplir ma mission envers le Saint-Siège, le servir quand le fardeau des devoirs, dans ces grands jours, pèse sur lui plus qu’il n’a pesé jusqu’ici.
« Daigne, ô le meilleur Père ! inspirer à ton premier magistrat cet amour et cette clémence que Notre Seigneur Jésus-Christ ne refusait pas aux pécheurs, pour que cet amour et cette clémence fortifient ma faiblesse, et que je puisse, selon ta volonté, déposer au Saint Siège les fruits de mon amour et de mon dévouement.
« Repousse, ô le meilleur Père ! les efforts du mal, et pardonne à ceux qui, conduits par le mal, entravent ta volonté sur la terre, car ta miséricorde est pour tous et pour tous les siècles... Que cette miséricorde daigne combler notre Père de la Grâce et du bonheur éternel ! »
Dans quelques heures, je serai hors de vos États, mon Père ; ne le pouvant personnellement, je me jette en esprit à vos pieds, j’adore en Vous la pensée de Dieu, et j’implore, si Vous m’en jugez digne, votre bénédiction sur ma route pénible.
Ô Père ! Dieu tient ses regards fixés sur nous et nous juge ; Vous reconnaîtrez ma pureté, si non dans cette vie, j’ose le dire, Vous la reconnaîtrez devant le tribunal de Dieu !
Je dépose ma prière aux pieds de Votre Sainteté par un des Israélites à qui il m’a été donné, en remplissant ma mission pour Israël, de faire connaître ses erreurs, et qui est arrivé de Paris à Rome pour baiser vos pieds et pour implorer votre bénédiction sur le travail qu’il a entrepris pour la conversion de ses frères, afin d’accomplir le vœu de son âme.
ANDRÉ TOWIANSKI, Polonais de Lituanie.
L’Israélite dont parle Towianski était un Polonais nommé Ram, converti par lui 11, lequel, tandis qu’il se trouvait à Marseille, obéissant à une forte impulsion intérieure qui le poussait à partir immédiatement pour Rome, se mit en route, sans savoir que Towianski y était ; il le rencontra au moment où celui-ci quittait Rome et l’accompagna à Ronciglione. De là Ram retourna à Rome, et, après s’être préparé par une retraite de neuf jours dans le jeûne et la prière, il put obtenir d’être admis en présence du Saint-Père. Il se jeta à ses pieds et avec une élévation d’esprit extraordinaire, remit l’écrit de Towianski entre les mains du Pape, qui, profondément ému, le prit d’une main tremblante, releva Ram, le bénit et le congédia avec de bienveillantes paroles.
Towianski, voyant que l’accomplissement personnel de ses devoirs envers le Saint-Siège lui était rendu impossible pour le moment, se retira en Suisse.
Il alla premièrement à Lausanne, puis s’arrêta à Soleure, où Kosciuszko passa les dernières années de sa vie, et où repose une partie de ses cendres. Il fit réparer son monument de Zugwill, et montra à ses compatriotes qui s’y rendaient la mission véritable de ce héros, leur faisant sentir que sa carrière politique fut plus courte et moins éclatante que celle de Napoléon Ier, mais plus élevée et plus pure, parce qu’il ne dévia jamais de la tâche que la Providence lui avait confiée. Kosciuszko se présenta comme soldat militant de Jésus-Christ sur le champ politique, et persévéra dans ce caractère jusqu’à la fin. Quand il vit que Dieu ne permettait pas encore aux Polonais de recouvrer la patrie terrestre, il ne s’obstina pas à la vouloir à tout prix, mais il se soumit à cette disposition divine et se retira de l’arène ; dans la solitude, privé de toute consolation humaine, il porta immaculée dans son cœur magnanime, jusqu’à son dernier soupir, la patrie future, maintenant vivante en lui et dans ses compatriotes, la foi dans un avenir plus heureux de la Pologne, et répandant à chaque pas son amour et sa bienfaisance. – Towianski disait à ce sujet :
En agissant sur le champ public de sa patrie, avec la force d’un profond et puissant sentiment, dans lequel vivaient l’humilité, la simplicité, l’amour de Dieu et de la patrie, de la vérité, de la justice, de la liberté, exempt de toute préoccupation personnelle, de toute haine contre les ennemis, Kosciuszko incarnait l’esprit polonais véritable dans la patrie polonaise. Il porta à son apogée la grandeur de Piast, montra vivante en lui-même la Pologne vraie, en lui montrant, par son propre exemple, sa voie véritable.
En soutenant jusqu’à la fin sur la terre d’exil la vie intérieure, la communion avec le Ciel, en réalisant cet esprit dans toutes ses actions, en vainquant de cette manière l’atmosphère de stagnation et de mort régnant à Soleure, il s’éleva le premier à la hauteur chrétienne à laquelle Dieu appelle aujourd’hui l’homme et les nations. Après avoir montré à la Pologne l’idéal de la grandeur patriotique, il lui fit voir l’idéal de la grandeur chrétienne propre à cette époque, il devint une étoile pour le progrès de la Pologne ; – et, de l’autre monde, il l’appelle maintenant à s’élever à cette hauteur, la précédant sur sa route, comme son chef spirituel.
S’arrêtant tour à tour à Einsiedeln, à Richterswil, à Zurich, à Bâle, Towianski ne cessa jamais de se consacrer entièrement au service de ceux qui recouraient à lui. Il travailla spécialement à cette époque avec Charles Rozycki, chef de l’insurrection de Volhynie en 1831, estimé de toute la Pologne tant pour la noblesse de son caractère que pour son patriotisme et sa valeur militaire.
Il travailla aussi avec plusieurs Français qui venaient souvent près de lui. Il leur répétait fréquemment que Louis-Philippe ne tarderait pas à tomber et que bientôt ressusciterait en France l’idée de Napoléon. Mais il ajoutait que le caractère du gouvernement futur de cette nation dépendrait de la direction que prendraient les Français dans leurs cœurs ; que s’ils s’exaltaient seulement pour la gloire, ils n’auraient que la parodie de Napoléon Ier.
Pendant les premiers actes du pontificat de Pie IX, un souffle vivifiant avait parcouru l’Europe ; les âmes commençaient à respirer plus librement ; une atmosphère plus pure, je ne sais quoi de saint semblait être descendu pour consoler cette pauvre terre.
Le 24 février 1848, Towianski se promenait dans le petit jardin attenant à la maison qu’il habitait. Tout à coup un de ses amis l’entend pousser un grand cri, il se penche à la fenêtre et lui demande ce qu’il y a. « Un évènement grave a eu lieu à Paris », répondit-il. – Et les nouvelles qui vinrent de Paris, apprirent bientôt qu’à ce moment précis la révolution avait éclaté.
Louis-Philippe ayant pris la fuite, la République étant proclamée en France, un nouveau souffle de liberté et de joie ranimait chacun. Tous ceux qui furent témoins de ces évènements peuvent attester quel courant de vie et de sentiments élevés circulait alors dans tous les cœurs. Des hommes divisés par de longues inimitiés se réconcilièrent ; d’autres qui ne s’étaient jamais vus s’embrassaient en pleurant ; pendant quelques mois il ne se commit presque plus de crimes ; le sentiment religieux, inséparable de celui de la patrie, commençait à vibrer de nouveau dans les âmes ; une régénération politique et religieuse des peuples paraissait imminente.
Les amis de Towianski qui étaient à Paris eurent le vif désir qu’il y revînt dans un moment si grave.
Vers la fin du mois de mars, deux d’entr’eux se rendirent auprès de lui pour lui exprimer ce vœu au nom de tous. Il répondit que Dieu avait permis la révolution commencée alors, pour faciliter le salut de l’homme et des nations ; mais que, sans la sincère conversion des âmes à la voie chrétienne, ce mouvement pourrait facilement dévier de son but, et, avec les anciens détours, pourraient revenir la misère, l’esclavage, le triomphe du mal ; que, toutefois, il ne cesserait d’accomplir son devoir envers la France.
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CHAPITRE IV.
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Après la révolution de 1848, il retourne à Paris pour y continuer sa mission envers l’émigration polonaise et la France. – Son emprisonnement. – Sa délivrance.
Les évènements montrèrent bientôt après à Towianski que pour lui le moment était venu de retourner à Paris.
La République avait ouvert à tous les portes de la France : c’était un temps de direction. L’Europe était habituée à recevoir l’impulsion et le mouvement de la nation française, et Towianski, tout en confiant le résultat de ses actions à la Providence, sentait de ne devoir rien négliger afin que l’appel de Dieu fût accepté dans ce centre de la vie politique européenne.
Le 20 mai 1848, il partit pour Mulhouse et se dirigea sur Paris avec sa femme, et avec Ferdinand et Anna Gutt son beau-frère et sa belle-sœur ; Stanislas Falkowski les accompagna aussi. Dans cette circonstance, comme toujours, la Providence le prépara au sort qui l’attendait par des moyens qui pour l’homme paraissent un hasard.
Dans la même diligence que lui, voyageait le directeur des prisons de Besançon, et la conversation étant tombée sur les prisonniers, Towianski put connaître tous les détails de la vie des prisons. Lui qui, en songeant aux conditions de la vie des prisonniers, en avait toujours éprouvé une répugnance instinctive, sentit un changement s’opérer dans son esprit : il vit qu’il lui serait possible de s’y soumettre. Il pressentit ce qui l’attendait et il se soumit à tout. Fort de sa résolution d’accepter complètement ce qui pourrait lui arriver de pis, et par cela même chrétiennement libre, il arriva à Paris le 23 mai.
Il eut bientôt, chez lui, avec les Polonais et les Français qui lui étaient unis, de fréquents entretiens, dans lesquels il leur montra que, prêts à tout, ils devaient se sacrifier avec une complète abnégation pour accomplir envers la France les devoirs qui leur incombaient dans un moment si grave. Malheureusement, il ne reste point de trace écrite de ces entretiens, mais ceux qui y assistèrent me dirent que chaque parole portait comme un coup de foudre.
C’est en ce temps-là que Charles Rozycki, très estimé de toute l’émigration, fut invité par ses compatriotes à se rendre en Italie et de là en Pologne, pour prendre la direction du mouvement insurrectionnel qu’on préparait. Mais dans une réponse imprimée qu’il envoya à tous ses compatriotes demeurant à Paris, il leur exposa quelle était la vocation chrétienne de l’émigration, les assurant que lorsque cette vocation serait acceptée, il ne refuserait pas de marcher à leur tête. Sa parole fut repoussée : et il eut le courage (ce qui n’était pas facile pour un vaillant soldat et pour un patriote ardent tel que lui) de résister à cet appel et d’attendre, dans son vigilant travail intérieur, le moment de Dieu.
Bientôt l’insurrection de juin éclata, on avertit Towianski de son arrestation imminente en le conjurant de partir. Mais lui, voyant ses pressentiments se confirmer et tout en étant certain du sort qui l’attendait, sentit que son devoir était de rester. Ses adversaires l’avaient dénoncé comme un homme dangereux. On l’accusa d’avoir pris part au mouvement insurrectionnel, lui qui, pendant toute sa vie, n’avait jamais participé à aucune agitation politique. On l’accusa d’avoir été sur les barricades, tandis que, pendant les journées de juin, il ne se rendit jamais en ville, ne sortant de son habitation aux Champs-Élysées, N° 108, que pour une promenade quotidienne près de l’Arc de triomphe.
Se levant toujours de très bonne heure, le 11 juillet 1848, à six heures du matin, il travaillait à un écrit adressé à l’Assemblée nationale, pour lui exposer ce que Dieu exige de la France afin d’éloigner les calamités qui commençaient à la frapper, et celles encore plus grandes dont elle était menacée dans l’avenir, lorsqu’il entend frapper fortement à la porte. Trois hommes entrent, se ceignent de leurs écharpes et demandent à lui parler. Deux d’entr’eux, le commissaire de police Hébert et un autre, pénètrent dans sa chambre. Hébert signifie à Towianski le mandat d’arrêt décerné contre lui et contre Gutt, leur enjoignant à tous deux de le suivre. Il procède en attendant à la perquisition et au séquestre des papiers.
Avant de partir, Towianski obtient la permission de prendre du thé ; ensuite, avec Gutt, il descend accompagné par les agents de la police déjà radoucis par son ton simple et sincère 12.
Chemin faisant, il parla avec le commissaire de l’écrit qu’il préparait pour l’Assemblée nationale, de l’état de la France, et il lui dit que seulement le bras de Dieu pourrait la sauver. M. Hébert lui répondit : « Je souhaiterais que la France pût prendre la direction dont vous parlez ; mais je crains que vous ne prêchiez dans le désert. »
Arrivé au bureau de police du quartier, on y lut le procès-verbal de dénonciation, dans lequel Towianski était accusé d’intrigues politiques ; on mit sous scellés les papiers séquestrés ; on fit avancer une voiture et on se rendit chez le préfet de police. Là, un employé se faisait consigner les montres et l’argent de tous ceux qui avaient été arrêtés. Étant venu à Towianski, il commença à l’apostropher brutalement ; mais, frappé par la majesté sereine de son attitude, il recula de trois pas et, changeant de ton, lui dit : « Passez. »
Conduit, avec Gutt, à la Conciergerie, on renferma les deux prisonniers dans une cellule qui n’avait pas plus de cinq pas de long sur quatre de large, et où se trouvaient déjà trois autres prisonniers dans un état d’irritation extrême. L’un d’eux était le général Jorry, qui avait commandé à Navarin pendant la guerre d’indépendance de la Grèce : durant le second empire, il ne voulut jamais servir sous Napoléon III.
Towianski se mit à marcher lentement, autant qu’on pouvait le faire dans ce trou ; et ses compagnons de cellule, en le voyant si calme, commencèrent à devenir plus tranquilles. Il entra en conversation avec eux et les invita à remercier Dieu avec lui pour ce peu d’air qui, dans des jours si chauds, leur venait de la lucarne.
À onze heures du matin on leur apporta un morceau de mauvais pain. L’air embrasé par le soleil de juillet devenait lourd et étouffant dans cette cellule si peuplée.
À trois heures de l’après-midi, on fit passer les cinq détenus dans un vestibule. Après trois quarts d’heure d’attente, appelés par leur nom, ils furent conduits dans une petite cour, sur laquelle donne la chambre où Ravaillac fut torturé ; ensuite, dans une prison destinée aux condamnés à mort, où avait été enfermée Marie-Antoinette et où régnait une puanteur horrible ; pour tout mobilier, un peu de paille. Un gendarme nommé Louis, frappé de l’aspect de Towianski, lui apporta encore un peu de paille et un oreiller de son propre lit. Voici comment Towianski parle de ce premier jour de prison dans un billet à sa femme et à sa belle-sœur :
Nous étions, pendant cinq heures, enfermés dans une toute petite cellule. À présent, grâce à Dieu, nous sommes beaucoup mieux au milieu d’une grande compagnie de prisonniers. Cette prison s’appelle Conciergerie. Il y a une cour spacieuse où nous nous promenons. Vous pouvez nous envoyer des vêtements pour nous préserver du froid pendant la nuit. Vous pouvez aussi nous visiter avec la permission de M. le colonel Bertrand. Nous supportons notre emprisonnement avec patience, en nous confiant en Dieu ; nous sommes gais par la miséricorde de Dieu. – Je vous prie, je vous appelle à être tranquilles ; les efforts humains ne feront rien ; quand mon heure aura sonné, je serai libre.
Ne cherchant que Dieu et sa volonté, dans la prison, comme dans la vie libre, il n’avait qu’un souci : accomplir fidèlement sa vocation.
La prison n’était pour lui qu’un appel à y réaliser la vie chrétienne et à montrer comment doit vivre le prisonnier chrétien. Sa première sollicitude était d’entretenir en lui la vie intérieure, le mouvement d’amour et de sacrifice pour la volonté de Dieu ; de s’intéresser à chacun de ses compagnons, de découvrir en eux la corde sensible, de les tourner, par quelques paroles frappantes, vers la voie chrétienne ; de soutenir, de vive voix et par écrit, le courage et la foi de ceux qui avaient accepté la réclamation du Seigneur ; et de continuer, même sous les verrous, le fil de sa mission sur le champ de la vie publique.
Très sensible à tout ce qui le consolait ou qui l’attristait, il ne s’arrêtait pas à goûter la consolation, et il ne se laissait pas abattre par la tristesse. La consolation était pour lui un motif de témoigner à Dieu sa reconnaissance ; la tristesse, un motif de vaincre dans le prochain l’esprit mauvais d’où venaient les actes qui le contristaient.
Le 12, à six heures du matin, les gardiens entrèrent et firent lever les prisonniers pour les mener dans la cour. Pendant que Towianski attendait d’être interrogé, il écrivit en ces termes à sa femme et par elle à tous ses amis :
12 juillet, 10 h. du matin.
Dieu, qui souvent fait souffrir dans les palais, permet aussi de jouir d’un bonheur intérieur dans la prison ; – tout dépend de nos comptes devant Dieu. Ma santé est bonne : j’ai de l’air, de l’eau et du mouvement. Je n’ai pas encore vu M. le Préfet et je n’ai pas été interrogé. – J’espère qu’en vous reposant en Dieu, qui voit notre innocence et notre pureté envers la France et envers son gouvernement, vous supporterez avec la soumission nécessaire le coup qui nous a frappés.
Depuis 9 heures jusqu’à 6, j’ai bien dormi au milieu de trente prisonniers ; la paille était propre, et la couverture dont m’a pourvu votre sentiment chrétien m’a préservé du froid ; le matin j’ai pu acheter une tasse de bon café noir. Dans la prison, pour pouvoir maintenir en soi la vie intérieure, il faut jeûner, ne pas pousser l’esprit sur le corps, être mort pour la terre. Je considère ma prison comme une grande grâce que la miséricorde de Dieu m’a accordée pour me rendre plus léger le fardeau que je porte et qui pèse davantage s’il repose tout entier sur l’esprit seul. – J’aurais besoin d’argent, pas plus que 5 francs. – Je vous salue tous.
Cette lettre venait à peine d’être expédiée, que les deux prisonniers reçurent des vivres et de l’argent envoyés par leurs épouses.
Le gendarme Louis, qui avait donné à Towianski de la paille fraîche et un coussin, lui apporta encore une couverture.
Mais aussitôt après ces témoignages de sentiment affectueux, une vive douleur vint blesser l’âme du prisonnier. Pendant que plusieurs de ses compagnons de prison chantaient la Marseillaise, l’un d’eux, provoqué peut-être par le ton pieux et recueilli de Towianski, se mit à chanter une vilaine et sale chanson sur l’air d’une prière, comme pour se moquer de Jésus-Christ. Towianski ne dit mot ; mais on voyait dans toute sa personne combien il souffrait, et on sentait la pitié pleine d’amour que lui inspirait ce malheureux.
Alors plusieurs de ceux que cette dérision impie avait fait éclater de rire en éprouvèrent du remords, se sentirent émus, lui demandèrent pardon et s’unirent à son sentiment de douleur.
Madame Towianska ayant reçu la lettre de son mari, répondit :
« Votre lettre du 12 m’arrive ce matin, décachetée. Je tâche d’obtenir la permission de vous voir aujourd’hui. J’ai présenté une pétition au préfet de police afin qu’il fasse accélérer votre interrogatoire, sûre comme je suis de votre innocence. Me confiant en la justice et la protection de Dieu, je vous assure de ma pleine résignation à quelque position qu’il vous destine : car je ne vois dans les hommes que les instruments de ses desseins. Vous qui, dès ma jeunesse, m’avez enseigné à rapporter tout à Dieu et à placer ma confiance en Lui seul, croyez que, si je fais quelque pas pour votre procès, je le fais dans toute la pureté de l’amour pour la vérité qui doit être reconnue en vous, et afin que l’examen profond de votre cause mette en évidence votre mission et votre dévouement à la vérité. »
Oh ! quelle force n’était-ce pas pour Towianski, dans ces tristes circonstances, de trouver une si pleine union dans sa femme et de la voir dans de telles dispositions !
En ayant obtenu la permission, madame Towianska alla, avec sa sœur madame Gutt et le colonel Rozycki, visiter les prisonniers. Le lendemain à cinq heures du matin, arrivèrent d’autres prisonniers nouvellement arrêtés, parmi lesquels deux polonais venus de Posen. À onze heures, Towianski et Gutt subirent leur interrogatoire. Gutt insistait pour qu’on entrât dans la chambre parce qu’on lui avait dit que les prisonniers qui étaient dans la cour seraient transférés dans les forts. Mais Towianski, ayant besoin d’air et de mouvement, préféra rester dans la cour. On les fit passer plus tard dans un grand corridor, où il n’y avait que de la paille.
Théodore Fouqueré, qui accompagna madame Towianska, lorsqu’elle se rendit auprès du préfet de police et de la commission militaire, en répondant aux questions qu’on lui faisait, dit, entr’autres choses, que la cause de l’inimitié de tant de Polonais contre Towianski venait de ce qu’ils ne voulaient pas accepter cette vérité, si souvent présentée par lui : – que les révolutions ne réussiront point aux Polonais ; que Dieu cessera de punir la Pologne seulement lorsque les Polonais détruiront en eux le péché pour lequel la nation est punie. – Et, comme on lui objectait que cet homme fondait une secte religieuse, il répondit : – que cela était si loin de la vérité, que lui-même, ayant été déjà intimement uni à Towianski, se maria selon le rite catholique ; et que, étant tombé gravement malade, ce fut Towianski qui lui envoya un prêtre pour qu’il lui administrât les sacrements.
Le même Fouqueré se rendit, le 19 de ce mois, avec le major Nabielak, chez le général Cavaignac, alors chef du pouvoir exécutif. Les solliciteurs étaient nombreux. Arrivé devant eux, le général dit : « Je n’ai que deux minutes à vous donner. » – « Une seule suffit, répondit Nabielak. Des innocents souffrent à la Conciergerie ; leur santé et leur vie sont en danger. » Cavaignac fit prendre note de leurs noms et dit qu’il enverrait son médecin les visiter ; il leur donna une lettre pour le général Bertrand, président de la commission militaire, qui les assura que le procès serait vite expédié. Ils firent aussi d’autres démarches dans le même sens auprès de M. Parmentier, chargé de l’instruction.
L’interrogatoire avait eu lieu ; mais la permission de visiter son mari ne fut plus accordée à madame Towianska.
Chaque jour arrivaient de nouveaux prisonniers. Afin de soutenir sa vie intérieure, Towianski se promenait sans cesse, toujours calme, toujours serein. Tous les regards se tournaient vers lui ; et plusieurs, étonnés, demandaient à Gutt : « Mais quel est donc cet homme ? »
Parmi ceux qu’on avait arrêtés, était aussi un gendarme, nommé Guéret. Voyant sur son visage une certaine noblesse, Towianski s’approcha de lui et lui parla. Guéret, enthousiaste de Napoléon qu’il avait servi et auquel il disait avoir toujours été fidèle, était indigné de l’esprit qui dominait alors en France. Towianski, avec cet accent qui pénétrait au fond des cœurs, lui fit sentir que, dans les desseins de Dieu, tout ce qui se passait en France n’était qu’un moyen pour l’élaborer et la rendre docile à l’esprit de Napoléon, qui continue de l’autre monde, d’une manière plus pure et plus élevée, ce qu’il a commencé dans ce monde. – « Tu as toujours obéi à Napoléon (lui dit-il) : pourquoi donc ne lui obéirais-tu pas encore ? » Et voilà que Guéret, plein de joie, se tourne vers ses camarades et s’écrie : « Cet homme m’a dit des paroles que personne ne pourra me ravir et que je garderai jusqu’à la mort. »
On peut voir par les deux billets suivants, qu’il écrivit à sa femme, quelles étaient, en prison, les dispositions de Towianski :
14 juillet, 10 h. matin.
Hier, avant midi, nous avons été interrogés par un officier, juge d’instruction, homme doux et calme. – Cette nuit, nous voulions dormir dans la cour, sur le pavé, parce que, dans la chambre, on est trop à l’étroit et on y est enfermé ; mais on nous a donné, pour coucher, un grand corridor où il y a un dépôt de paille ; c’était un palais pour nous. Ici, en prison, c’est un autre monde ; la mesure du bonheur et du malheur y est toute différente ; quand j’ai de l’air, de l’eau et du mouvement, je me sens au comble du bonheur. C’est Dieu seul qui soulage les peines du prisonnier et fait, quand il lui plaît, que la prison devienne un palais ; c’est aussi Lui qui change le palais en un cachot, siège de la misère. Je ne peux assez remercier Dieu pour tout ce qui se passe à présent.
15 juillet, 10 h. matin.
Comme de coutume, je suis toute la journée sur pied ; je mange très peu, je bois beaucoup d’eau. Dans la prison, ceux-là souffrent trop qui ne voient, qui n’aiment que la terre, qui ont rompu le fil de leur communion avec le ciel ; ceux-là, dès que la terre leur est ôtée, n’ont rien. – Je suis tranquille sur votre compte, car je suis sûr que, par votre résignation, vous déposez devant Dieu, en action, les fruits des paroles que vous répétez tous les jours : « Je crois en Dieu tout-puissant, Créateur du Ciel et de la terre, etc. » Ce que l’on dit, il faut le pratiquer, il ne faut pas le renier dans l’action. Puisse Dieu ne pas détourner son regard paternel de la France, de notre patrie et de nous qui désirons leur être utiles. Adieu, à Dieu !
À chaque moment on craignait qu’une grande partie des prisonniers ne fût transférée dans les forts ; mais, le gendarme Louis et le geôlier Michel, très dévoués aux deux amis, veillaient à ce qu’ils ne fussent pas compris dans ce nombre. Ils prévoyaient que, pour diminuer l’agglomération des prisonniers à la Conciergerie, on commencerait à faire passer dans les forts tous ceux qui, par manque de place, dormaient dans la cour ; ils veillaient donc à ce que Towianski et Gutt dormissent dans le corridor ; Towianski demanda au brigadier-geôlier qu’il permît d’y coucher aux deux Polonais et à Guéret, et que ce dernier fût près de lui. Le brigadier le lui accorda. Le pauvre Guéret, qui s’attendait, d’heure en heure, à être envoyé aux forts, ne se possédait plus de joie lorsqu’il se vit conduit dans le corridor et placé près de son consolateur ; il en remerciait Dieu comme du plus grand bien. Towianski lui donna sa robe de chambre et une couverture. La même faveur lui fut aussi accordée pour un autre prisonnier, nommé Margot.
Mais ce petit soulagement ne devait pas durer longtemps. Le 20 juillet on les fit de nouveau passer du corridor dans la cour. Il pleuvait et ventait très fort. Le nombre excessif des prisonniers, le changement soudain de température à plusieurs reprises dans la même journée, la tension continuelle pour soutenir la vie de l’esprit parmi toutes ces difficultés, avaient décidément fait tomber Towianski malade. Malgré cela, il parlait avec tous, surtout avec un brave marin, nommé Georges, à qui il donna quelque secours. Il trouvait toujours quelque chose à dire et à offrir à ses camarades de prison. Tout le monde s’intéressait à lui : les geôliers le traitaient avec une affection respectueuse.
Le colonel Dumoulin, qui était en prison depuis le mois de mai, regardant Towianski par la croisée de sa chambre, s’indignait de le voir si pressé par cette foule, exposé (lui malade) au vent et à la pluie. Il pria le directeur qu’on le traitât plus humainement. Towianski lui-même, à cause de sa santé, demanda qu’on lui accordât une chambre ; mais, comme il n’y en avait pas de libre, le colonel lui offrit de partager la sienne. Towianski accepta avec reconnaissance et y coucha deux nuits.
Cependant les bruits sur la translation des prisonniers dans les forts prenaient de plus en plus de consistance : une crainte pénible opprimait tous les détenus. Les gardiens, devenus plus sévères, redoublaient de vigilance ; ils permirent à peine à Gutt de coucher dans le corridor ; ils ne le permirent plus à Guéret et à Margot, qui cependant y furent admis de nouveau plus tard. Towianski les consolait par des paroles si touchantes, que Margot s’écriait : « Mais ceci est le ciel sur la terre ! »
L’ordre de transférer les prisonniers dans les forts arriva définitivement. Le 22 juillet, au matin, on garrotta tous ceux qui devaient partir ; Guéret et Margot prirent tristement congé de Towianski. Gutt, pour les consoler, leur rappela les paroles par lesquelles celui-ci les avait si profondément émus. Peu après, le gardien dit à Towianski : « Préparez-vous à partir aussi. » Il était déjà habillé et prêt, quoique dans son âme il ne pût croire que cela se ferait. En effet, après quelque temps, le gardien Duberry revient radieux et lui dit : « Tout est fini ; vous resterez. » – Il en fut de même pour Gutt, pour le colonel Dumoulin, et pour monsieur Mombard, dont j’aurai à parler plus loin. En attendant, les autres, deux mille environ, étaient déjà partis ; il en resta à la Conciergerie à peu près deux cents, indignés d’avoir vu emmener des patriotes garrottés comme des malfaiteurs. Towianski était triste d’avoir perdu ses compagnons, quoique ce départ lui eût procuré un peu plus de liberté.
Pendant que tout cela se passait, les journaux avaient annoncé l’arrestation de Towianski ; mais, à cause des bruits contradictoires qui couraient sur son compte, ils débitèrent plus d’une fausseté. Ainsi, par exemple, l’Estafette et la Patrie du 18 juillet disaient que : « Parmi les Russes arrêtés à Paris comme ayant pris part à l’insurrection du 23 juin, se trouve le célèbre apôtre du panslavisme, Towianski, intime ami du poète Mickiewicz. » Mais, le fils aîné de Towianski, Jean, ayant vivement réclamé contre ces mensonges, ces mêmes journaux, deux jours après, imprimèrent ces paroles : « M. Jean Towianski nous prie de rectifier un fait publié dans notre numéro du 18. Son père, André Towianski, est polonais et non pas russe. Il n’est point l’apôtre du panslavisme, ni d’aucune secte, il n’appartient à aucun parti politique, et il n’a pris aucune part dans l’insurrection de juin. »
Sur ces entrefaites, le colonel Rozycki, profondément attristé de voir un tel homme si injustement emprisonné et publiquement calomnié, écrivit au général Bertrand, président de la commission d’instruction, la lettre suivante, publiée par l’Avenir national du 23 juillet, par le Courrier français du 24, par la Démocratie pacifique et le Commerce du 25, par la Patrie du 26, et mentionnée aussi par les Débats du 23 et par la République du 24 du même mois :
« Paris, le 26 juillet 1848.
« Général,
« Soldat au temps de l’empire, j’ai survécu à beaucoup d’espérances de la Pologne, ma patrie, j’ai souffert et je souffre encore avec elle des nombreuses calamités qui la frappent ; mais, jusqu’à présent, rien n’a été aussi douloureux pour moi que l’emprisonnement d’André Towianski.
« Après dix lourdes années d’exil, lorsque en 1842 la source de toute consolation, de toute vie morale tarissait en moi, c’est André Towianski qui réveilla et éleva mon amour pour Dieu, pour mon prochain et ma patrie et qui, en même temps, inspira à mon cœur l’oubli et le pardon complet de toutes les injustices humaines.
« Dès lors, j’abandonnais toutes les voies politiques secrètes que je parcourais jusque-là pour servir la Pologne, car il m’a appris et il m’a convaincu que l’unique, l’infaillible route du salut de l’homme et des nations commence là où l’homme lui-même commence à accomplir, dans la vérité, la volonté de Dieu apportée par Jésus-Christ.
« Cet homme de Dieu, puissant levier du progrès supérieur de l’humanité, se trouve aujourd’hui emprisonné ; et les verrous du cachot français retardent le salut de mon pays.
« Tous ses actes, qu’il ne cache à personne, me sont connus particulièrement, comme à un de ses premiers frères et serviteurs. C’est pourquoi, devant Dieu et devant vous, Général-juge, j’atteste qu’il est innocent, qu’il est le plus pur des hommes, qu’il ne fait que ce que Dieu lui ordonne, et qu’après avoir accompli la volonté de Dieu en présentant à la France la vérité qui doit la sauver, il quittera ce pays pour servir la Pologne.
« Votre serviteur
« CHARLES ROZYCKI,
« Colonel, réfugié polonais. »
Le 17 juillet, une adresse témoignant de l’innocence de Towianski et du vrai caractère de ses actions, signée par quarante-quatre Polonais et Français, fut remise au général Cavaignac ; et une autre dans le même sens au général Bertrand.
Ce que les journaux disaient sur Towianski pénétrait dans la prison, malgré les grilles de fer ; et les impressions changeaient selon les appréciations différentes des feuilles publiques.
Aussitôt qu’on sut que quelques journaux le considéraient comme russe, tous se séparèrent de lui et le regardèrent de mauvais œil ; Guéret et Margot ne suivirent pas le courant, ils lui restèrent toujours fidèles. Lorsqu’on connut les rectifications, la disposition des esprits changea de nouveau. Plusieurs même, attirés encore davantage vers lui, l’interrogèrent sur la position et sur l’avenir de la France et de la Pologne.
Il répondait à tous, les élevant au-dessus des brouillards des partis, leur montrant quelle était la direction tracée à ces deux nations dans la pensée de Dieu et quelle direction elles se traçaient elles-mêmes par leurs fautes.
Il ne cessait aussi de consoler sa famille et ses amis et de leur tenir toujours son âme ouverte par écrit, lorsqu’il ne leur fut plus permis de le visiter. Ce ne sera pas, peut-être, sans intérêt pour le lecteur de connaître dans leur texte quelques-unes de ces lettres intimes ; elles serviront à mieux éclaircir les détails de sa captivité :
18 juillet, 10 h. matin.
La journée d’hier s’est passée dans une certaine anxiété. Chaque mouvement annonçait la translation aux forts : de là, le besoin de se préparer à accepter, dans les dispositions chrétiennes, de se voir lier les mains. Ce retard à nous faire partir n’est pas conforme au cours ordinaire des choses. Cela montre qu’une force supérieure invisible suspend cette mesure pour quelque but.
Nous sommes 850 personnes dans un même local 13. Dans les heures chaudes, tout le monde cherche l’ombre : de là une agglomération très pénible. Je ne mange que lorsque j’en sens un besoin impérieux. C’est la loi que doit observer un prisonnier prudent, pour ne pas perdre sa vie intérieure.
Je vous prie de m’envoyer mon porte-plaids oblong ; car ce serait difficile de marcher les mains liées et de porter le bagage sans qu’il soit bien emballé. On dit que nous irons à Saint-Germain.
Le camarade qui me fit cadeau d’un couteau en os fait par lui m’a dit : « Jusqu’ici, mon sentiment et mes sympathies ne m’ont jamais trompé. J’ai conçu de la sympathie pour vous ; cependant j’ai vu par les journaux que vous ne jouissez pas d’une bonne réputation et que vos compatriotes même vous repoussent : cela m’a troublé. » Il me demanda des éclaircissements à ce sujet, et lorsque je les lui eus donnés, il sentit la vérité et il en fut tout joyeux.
19 juillet, 10 h. matin.
Après sept jours d’un travail extraordinaire, d’un service incessant sous les armes, pour ainsi dire, j’ai éprouvé le 8e et le 9e jour un petit soulagement ; pendant les heures chaudes, je suis resté une heure sans redingote, etc. Les sept premiers jours ont été pour moi une période bien grave. Ils ont été, je peux le dire, ma semaine de passion. Combien n’aurais-je pas souffert (je serais peut-être mort, car les contrariétés auraient épuisé les forces de mon faible corps) si j’avais dévié d’un pas de mon poste et si le Ciel s’était fermé pour moi !....
Le havresac qui devait me servir pour le pèlerinage d’Einsiedeln me sert dans le pèlerinage que je fais entre les portes grillées et les verrous : pèlerinage également saint, mais sur un champ plus pratique et plus public. Je ne désire rien pour moi, sinon que la volonté de Dieu s’accomplisse jusqu’au bout ; que je boive jusqu’au fond le calice qui m’est destiné ; car, pour l’homme et pour moi, son serviteur, c’est un temps de direction pour les siècles.....
21 juillet.
Hier, un grand changement s’est fait pour moi. J’ai écrit au directeur pour lui demander une petite chambre, à cause de ma maladie, empirée par la mauvaise température. Le directeur consentit : mais, comme il n’y avait pas de chambre disponible, le colonel Dumoulin, aide-de-camp de Napoléon pendant les Cent-jours jusqu’à la bataille de Waterloo, me reçut dans la sienne, et c’est là que j’ai passé la nuit. Je me promène dans la cour, et lorsque j’ai besoin de me reposer, j’ai un lit. Mon rhume a empiré, les bronches sont prises. Mais cette nuit j’ai beaucoup transpiré, et cela m’a fait du bien. Le colonel m’a dit que quelques-uns de nos camarades de prison l’avaient prié de s’occuper de moi et de pourvoir à mes besoins. C’est la providence de Dieu, qui se sert des hommes comme d’instruments de sa miséricorde.
Le démenti par lequel on affirme que je ne suis point russe a fait ici une impression vive et salutaire. Combien c’est pénible pour moi de voir l’empire que les journalistes exercent sur les convictions et sur les sentiments du public ! Est-il naturel que mes camarades de prison, qui me voient chaque jour, cherchent dans les journaux à savoir qui je suis et me jugent selon ce qu’écrivent de moi ceux qui ne me connaissent pas ?
Je vous recommande à Dieu.
22 juillet, matin.
Presque tous nos camarades, 976 14, sont partis pour les forts à deux et à quatre heures après minuit. Quant à nous, par la miséricorde de Dieu, nous sommes encore ici. Cette nuit a été terrible : nous l’avons passée dans une crainte continuelle. Pendant que j’étais au lit, en transpiration et avec la fièvre, voilà le gardien qui arrive ; il ouvre la porte et crie que nous devons tout de suite aller aux forts, que tel est l’ordre. Après cela il ferme la porte et s’en va. – Plusieurs heures se passent, et nous n’entendons plus rien. – Enfin, à huit heures du matin la porte s’ouvre de nouveau et on nous dit que nous restons ; qu’on voulait seulement nous effrayer. Entre les deux visites du gardien, Dieu m’a fait sentir que sa volonté est que je reste ici. Notre cour est triste, vide : ils n’y sont plus, les frères avec qui nous avons passé onze jours. Chose singulière ! après la gaîté et les jeux auxquels plusieurs s’étaient livrés hier plus que jamais, l’ordre de départ pour les forts est tombé sur eux inopinément comme un coup de foudre et les a consternés. Oh ! c’est bien dangereux de s’amuser, de se livrer à la joie extérieure en prison, dans ce tombeau !
Ma toux empêche mon compagnon de dormir. Et cependant le sommeil est une chose bien essentielle pour un homme aussi fatigué et aussi épuisé que lui ! Je n’ai pas le droit de l’exposer à un pareil sacrifice. Il faudra nous séparer, mais je ne sais où je coucherai. Cependant tout est plus facile à présent : nous sommes moins nombreux et les autorités ont plus d’égards.
Adieu, à Dieu !
Pour lui faire quitter la chambre que le colonel Dumoulin lui avait offerte, au sentiment délicat exprimé dans cette lettre se joignait aussi la considération que le colonel s’irritait en voyant Towianski prier. Souvent les hommes se réjouissent des actions généreuses, de l’intonation sereine et aimante qui les a consolés, et qui est le fruit d’une force surnaturelle ; mais rarement ils veulent en reconnaître la source supérieure et ils méprisent ceux qui y ont recours. Un autre motif d’irritation pour le colonel Dumoulin était ce que Towianski lui avait dit sur la mission et sur le caractère spirituel de Napoléon. De sorte que, ce jour même, Towianski se décida à quitter sa chambre ; et pour le soir il en obtint une autre qui donnait sur la cour. Voici de quelle manière il raconte cela lui-même :
23 juillet, matin.
Par le départ de nos camarades, notre direction est changée. On a donné à Ferdinand et à moi une chambre petite, mais commode, autant que cela peut être dans une prison ; car, pendant la nuit, on ne ferme pas les verrous de la porte et on peut se promener librement dans le corridor. Ce sont autant de cellules, comme dans un couvent. En prison, c’est un grand bienfait quand on ne ferme pas la porte de la cellule.
Quoique le colonel ne partage pas mes principes religieux, il est cependant un homme droit, loyal, patriote sincère et ardent. Nous restons donc amis, et je ne perds pas l’espoir que nous arriverons à nous unir en Jésus-Christ 15.
Oh mon Dieu ! Quels tristes moments peuvent arriver pour le prisonnier qui n’a pas la force intérieure ! Hier est revenu le geôlier plus sévère. – « Prenez vos bagages » – dit-il ; et il nous fait signe de le suivre. Nos compagnons se réjouirent ; croyant qu’ils seraient délivrés, et déjà ils se saluaient les uns les autres pour les adieux. Cependant je ne me suis pas réjoui, mais je continuais intérieurement le fil de mon travail. Le geôlier nous fit sortir de la cellule et s’en alla. Étant revenu, il nous ordonna d’y rentrer. Ainsi se termina cette scène, qui dura une demi-heure. Il y avait eu confusion de noms.
Aujourd’hui on a amené ici un Polonais. Hier, à dix heures du soir, s’étant approché par curiosité d’un groupe de personnes, il fut cerné par des gardes et arrêté avec elles. Dans le choc de cette foule il eut une main disloquée. Il espère qu’un ministre, qu’il connaît, le fera bientôt délivrer et que ceux qui l’ont enfermé seront punis. Je lui dis que son espoir ne devrait être qu’en Dieu. – « Belle perspective (répondit-il) que de compter sur Dieu ! Dieu, je le respecte : mais celui qui me délivrera, ce n’est pas Dieu : c’est le ministre, avec lequel j’ai dîné cent fois. Je vous en prie, ne me parlez plus de Dieu. » – Ici les jugements de Dieu deviennent évidents : souvent on punit celui qui est innocent selon la loi terrestre, mais coupable devant Dieu.
C’est le Saint-Esprit qui a inspiré à notre frère Charles l’écrit que j’ai lu dans le journal 16. Il produit ici une grande sensation. Puisse mon emprisonnement devenir un levier pour ma mission !...
Towianski ne voyait que son devoir ; et Dieu pourvoyait à ses besoins et à ceux de sa famille, qui se trouvait dans une grande gêne. Mais un jour madame Towianska reçut de Pologne mille francs de monsieur et de madame Noskowski, heureux de témoigner de cette manière leur reconnaissance à leur bienfaiteur. C’étaient eux, qui, lors du départ de Towianski pour la France, avaient recueilli cinq de ses enfants, qu’ils élevaient chez eux avec le plus grand soin. Madame Towianska écrivit à son mari qu’elle s’était permis d’accepter cette offre, parce qu’elle la sentait découler d’un sentiment profond et de l’union sincère des âmes.
Depuis le départ de tant de prisonniers pour les forts, la position de Towianski s’était relativement améliorée. Il ne cessait de s’entretenir avec ses camarades et de les consoler ; en même temps, il commençait à pouvoir écrire et s’occuper de ses travaux. Dans la cellule proche de la sienne était monsieur Mombard, radical, que j’ai mentionné plus haut. Parlant du meurtre de monseigneur Affre sur les barricades, Mombard dit qu’il est mort en martyr. Towianski déplore avec lui ce fait douloureux ; mais il lui fait observer que, au lieu de se faire apôtre de l’autorité et de mourir, en martyr c’est vrai, mais en martyr d’un parti, l’archevêque aurait dû s’élever au-dessus des partis ; que, au milieu des passions des partis, il aurait dû chercher à connaître ce qu’il y avait de vrai d’un côté et de l’autre, l’exposer au gouvernement et élever ainsi, parmi le choc des passions, l’étendard de Jésus-Christ. S’il avait fait cela, peut-être n’aurait-il pas été tué. La source des souffrances de l’homme, conclut-il, vient de ce qu’il n’accepte pas la croix de Jésus-Christ et ne l’applique pas dans chaque circonstance de sa vie, privée et publique.
À ces paroles, Mombard sent son cœur s’élargir ; en lui s’éveillent la vénération et la confiance envers Towianski ; car, après ce qu’il a entendu, il sent qu’il peut accorder sa foi républicaine avec la foi en Jésus-Christ. À ceux qui lui demandaient qui étaient Towianski et Gutt, il répondait : « Ce sont des républicains au plus haut degré : car la base de leur républicanisme est Jésus-Christ. »
Oh ! combien de ceux qui tournent le dos à Jésus-Christ, tout en soupirant dans leurs âmes vers lui sans s’en douter, l’accepteraient avec joie, s’ils pouvaient se convaincre que la route montrée par lui, pourvu qu’elle soit pratiquée sur le champ politique, peut sauver les nations et les rendre heureuses ; de même qu’elle sauve et rend heureux les individus et les familles lorsqu’elle est réellement pratiquée sur le champ personnel et privé !
Pour avoir quelques heures plus libres, Towianski se levait chaque matin à trois heures, pendant que tous dormaient encore, et il travaillait jusqu’à onze heures. Un travail si intense, dans ce milieu, n’était pas facile. L’exiguïté de la cellule et la chaleur caniculaire ne permettaient point de tenir fermée la porte qui donnait sur le corridor ; par conséquent, pendant une grande partie de la matinée, il était forcé de travailler au milieu du vacarme et de la fumée de tabac des autres prisonniers qui se promenaient. Pour pouvoir le supporter, il avait toujours sur la tête un mouchoir trempé d’eau. N’ayant pas de table, il s’arrangeait comme il pouvait pour écrire.
Il lui arrivait souvent d’attendre avec les autres, pendant deux ou trois heures, devant le guichet pour recevoir sa soupe. Fermement établi sur cette base, de faire chaque chose avec le mouvement d’amour pour Dieu, pour l’accomplissement de sa volonté, il attendait son tour avec gravité et sérénité, comme s’il s’agissait de l’action la plus importante ; car tel était son devoir dans ce moment.
Le soir, il se promenait dans le corridor et conversait avec tous, ranimant chacun par sa paix et sa sérénité.
En le voyant travailler si longtemps, toujours serein parmi tant de difficultés, tout le monde s’étonnait, et on se demandait tour à tour : « Qui est donc celui-ci ? » – Le brigadier s’écriait : « Cet homme est bien singulier ! Tout le monde ne fait que s’occuper de lui. » Un prisonnier nommé Ferriol, menuisier, parla longtemps avec Towianski, et après l’entretien il dit, tout joyeux : « Voilà l’homme ! Sa parole et ses conseils viennent vraiment de Dieu. » – Les uns l’appelaient colonel, les autres, général, d’autres le croyaient un évêque polonais.
Un avocat, prisonnier lui aussi, lui adressa quelques questions politiques. Mais ce que Towianski lui dit l’irrita et il ne s’unit pas. Mombard, au contraire, en fut ému et il s’attacha de plus en plus à lui. Towianski partagea avec lui des provisions qu’on lui avait permis de recevoir.
Il travaillait dans ces jours à son écrit pour l’Assemblée nationale : Gutt le copiait. Frappé par sa grandeur, il en parlait en détail avec lui et il tirait de ces entretiens une vigueur et une consolation extraordinaires. Ami dévoué et fidèle, Gutt prenait note, jour par jour, de tout ce que Towianski faisait et de l’impression que produisaient ses actes et ses paroles. Il veillait à ce qu’il fût dérangé le moins possible. Il traduisait en français ce que Towianski écrivait en polonais, il l’expliquait aux prisonniers français et il les priait d’en corriger les fautes.
Les visites aux prisonniers ayant été défendues, Towianski correspondait presque chaque jour par lettre avec sa famille, surtout avec sa femme. Dussé-je prolonger peut-être trop ce chapitre, je rapporterai encore une partie de cette correspondance. Cela vaudra mieux que toute narration :
25 juillet, 9h. matin.
Les nuits deviennent meilleures, car nous nous organisons toujours mieux dans notre nouvelle demeure. J’écris sur une espèce de table, que je me suis arrangée avec une chaise, des coussins et des paniers. Chose singulière, c’est seulement dans notre cellule qu’il n’y a pas de table. Hier je me suis promené jusqu’à minuit ; aujourd’hui, depuis trois heures du matin, je me promène dans le corridor et j’ébauche mon écrit à l’Assemblée nationale. Selon mon sentiment, ma position actuelle me fournit une occasion propice pour lui adresser quelques paroles chrétiennes. Lorsque j’aurai fini cet écrit, je demanderai au directeur la permission de l’envoyer ; car je respecte toutes les lois de la prison.
Depuis le 22 17 dans la prison même une direction nouvelle s’est ouverte pour moi. Je sens que mon devoir envers mes compagnons de captivité est accompli. Maintenant je veux m’occuper de moi : quelques heures de travail le matin et ensuite promenade dans la cour.
Après la semaine de la passion, après s’être soumis aux lois de la terre et de l’enfer, Jésus-Christ a triomphé de la terre et de l’enfer, et il gouverne la terre et l’enfer, jusqu’à la fin du monde. Les serviteurs de Jésus-Christ, après leur semaine de passion (bien moins sainte, il est vrai), doivent aussi s’élever plus haut, par leur esprit et par leur être tout entier, pour réaliser le Verbe de Dieu.
Tenez-vous fermes en esprit ; confiez-vous en Dieu, qui est tout-puissant au ciel, sur la terre et aux enfers.
Il y a deux mois aujourd’hui que je suis arrivé à Paris. Que de choses depuis lors !
À la sœur Anne 18 mes souhaits, et mes soupirs vers Dieu pour le jour de sa fête. Je les lui envoie, quoique de derrière les grilles de la prison : et j’ajoute, pour souvenir, tout ce que j’ai pu trouver ici en fait d’objets d’art (une petite pierre).
27 juillet, 10 h. matin.
Dans mon procès sont renfermées deux causes : celle de mon accusation, et celle de ma mission. Que la volonté de Dieu soit faite ! Que mon emprisonnement se prolonge le plus longtemps possible, pourvu que la cause de ma mission ne soit pas mise de côté ; pourvu que, en cela aussi, on arrive à quelque résultat. Malheur, si on me délivrait contre la volonté de Dieu, en mettant son Œuvre de côté ! Combien de sacrifices ne faudrait-il pas pour réveiller de nouveau cet intérêt que la grâce de Dieu a éveillé aujourd’hui en tant d’âmes ! Oh ! mon Dieu, que tout ce que vous avez destiné puisse se développer jusqu’au bout ! Je sens, je vois, et j’ai la foi que Dieu préservera mon corps autant qu’il sera nécessaire afin que je remplisse ma vocation. De la prison Dieu peut faire le ciel ; il peut donner dans la prison la vie et la liberté céleste. Par contre, dans la liberté terrestre, il peut donner toute l’horreur de l’esclavage et des tourments d’esprit.
Gardez votre vie et votre énergie, comme vous avez fait jusqu’ici...
Les lettres de Towianski se croisaient toujours avec celles de sa famille et de ses amis. – Parmi ces lettres, je n’en citerai qu’une, de sa femme :
« 27 juillet.
« Hier nous avons eu la chance d’arriver jusqu’au Directeur, qui nous a dit qu’il est impossible de vous voir. Aujourd’hui nous sommes revenues, espérant, mais en vain, un adoucissement à cet ordre si sévère. De là, nous sommes allées à l’église de Saint-Séverin. Nous avons tâché, de toutes nos forces, de prendre courage. Dieu nous éprouve terriblement. Depuis que vous manquez, l’obscurité règne à la maison. Nous ne savons pas encore ce que nous ferons pour le logement. Le terme de la location finit demain ; en payant cinq francs par jour, nous pouvons encore rester. Que Dieu daigne nous faire connaître ce que nous devons faire ! Nous ne pouvons pas nous résoudre à abandonner le lieu où vous habitiez ; et souvent il nous manque le courage d’y rester, à cause de la douleur que nous ressentons ici, où tout nous rappelle votre absence.
« Demain Rozycki et Nabielak iront chez le général Bertrand pour lui présenter l’extrait de ce que vous avez dit dans la cathédrale de Paris, afin qu’il voie la pureté de votre conduite envers l’émigration. »
Quoique Towianski ressentit au plus vif de son cœur les angoisses des autres, surtout de sa famille et de sa femme avec laquelle il était si profondément uni, sa parole cependant donnait toujours le ton d’énergie pour se maintenir lui-même et maintenir les autres à la hauteur du devoir. Il écrivait à sa famille le 29 juillet :
Soyez tranquilles et résignées ; ce serait honte et manque de caractère que de ne pas vouloir souffrir et porter la croix que Dieu donne. Pour tant de bienfaits que nous avons reçus de Dieu, nous avons peu souffert. Je vous estimerai autant que je vous verrai soutenir votre caractère jusqu’à la fin. Adieu, à Dieu !
Et le 31 il écrivait :
Je travaille dans ma chambre. Maintenant je ne m’engage avec personne dans des entretiens profonds : deux mots, et cela suffit. Jusqu’à présent la grâce de Dieu me donne la force et l’élévation d’esprit. Ce bienfait, et une promenade quotidienne de plusieurs beures de suite, c’est ce qui soutient ma santé.
Depuis le 28 je n’ai plus travaillé à l’écrit à l’Assemblée. Mon sentiment intérieur m’a dit de le suspendre. Ce matin je me suis levé à trois heures et je me suis occupé d’autre chose.
Attendant tout de Dieu seul, faites votre devoir. Préparez-vous à la vie qui nous est destinée pour l’avenir ; vie où il faudra renoncer plus complètement à la terre, où il faudra un sacrifice plein pour accomplir la vocation de serviteurs de l’Œuvre de Dieu. Pensez-y souvent ; et en conformité de cela faites vos projets, offrez à Dieu le sacrifice de renoncer à tout ce qui est terrestre. Ceci pourra aussi hâter ma délivrance.
Je vous recommande à Dieu.
2 août.
Soyez tranquilles, puisez d’en haut la lumière, la force et la paix de l’âme. Dans des circonstances pareilles à celles dont vous m’écrivez, je vous conseille de ne pas vous appuyer sur les on-dit, sur les opinions, les raisonnements humains, car c’est une source fausse qui ne fait qu’éclipser la lumière intérieure. J’espère que vous le faites, mais je dois vous le rappeler. Le sacrifice continuel, la croix de Jésus-Christ portée sans cesse, le renoncement à la terre diminuent le fardeau des contrariétés ; c’est peu de chose quand la terre est fermée pour l’homme, pourvu que le Ciel lui soit ouvert, c’est-à-dire le sentiment, la force, la vie intérieure. Je vous répète : espérons en Dieu !
Ne nous envoyez pas aussi souvent de vivres ; n’abusez pas de la bonté des autorités de la prison, qui sont surchargées de leurs devoirs. Envoyez seulement ce qui est essentiel : le prisonnier doit se contenter de peu de chose. – Que la miséricorde de Dieu vous fortifie et vous garde sous sa tutelle paternelle !
Pendant ce temps les procès suivaient leur cours. Le 28 juillet, le colonel Rozycki et le major Nabielak, s’étant rendus auprès du général Bertrand, le prièrent d’accélérer l’expédition du procès de Towianski. Ils ajoutèrent que l’amnistie, qu’on disait offerte à l’émigration polonaise par l’empereur Nicolas, serait un coup fatal pour la Pologne ; que Towianski seul pourrait sauver l’émigration et la Pologne de ce piège dangereux.
Le général, tout en témoignant de sa sympathie pour la Pologne, répondit que l’ordre dans lequel les procès étaient classés ne pouvait être changé ; qu’on examinerait celui de chaque détenu à son tour, et que tous seraient clos dans deux mois tout au plus. Il dit qu’il voyait la sincérité de leur affection pour Towianski et il leur conseilla de ne pas cesser d’avoir confiance et d’attendre avec patience. Cependant le lendemain il écrivit à Rozycki le billet suivant :
« Paris, 29 juillet 1848.
« Monsieur le Colonel,
« Le dossier de votre compatriote Towianski André, ayant pu être complété, a été mis sous les yeux de l’une des commissions militaires qui siègent pour les affaires de l’insurrection de Juin et j’ai le regret de vous apprendre que, vu les charges graves qui pesaient sur lui, la dite commission n’a pas jugé à propos de le mettre en liberté. Il recevra en conséquence une destination ultérieure.
« Veuillez agréer, Monsieur le Colonel, mes civilités empressées.
« Le général-Président
BERTRAND. »
Ce qui voulait dire (comme en effet il fut décrété le lendemain) qu’il serait déporté à Cayenne.
Le 1er août, Rozycki se rendit de nouveau chez le général Bertrand. Et ayant insisté pour que, sur sa parole d’honneur, il lui dise sincèrement quelles étaient les imputations graves pour lesquelles Towianski avait été condamné à la déportation, le général Bertrand répondit : « Il a été condamné à la déportation comme un homme très dangereux, parce qu’il devance l’humanité de plusieurs siècles. Voilà le vrai et le seul motif. Mais, parce qu’on ne peut pas baser une sentence sur un tel motif, nous devons l’appuyer sur les dénonciations nombreuses que la police a reçues, pour la plupart, des Polonais eux-mêmes, quoique nous sachions très bien qu’elles sont fausses. »
« Général (dit alors Rozycki), je vous remercie pour votre franchise. J’ai défendu ardemment Towianski ; mais je ne le défendrai point contre le fait dont on l’accuse réellement et qui, le rendant imitateur de l’Agneau sans tache, constitue son plus grand mérite devant Dieu. Désormais, étant sûr que vous savez ce que vous faites, je demande seulement à Dieu qu’Il soit pour vous-même un juge miséricordieux. »
Aussitôt que Towianski eut connaissance de sa condamnation, il dit : « Les hommes ont prononcé ; j’attends la sentence de Dieu. » Il était pleinement soumis, préparé à tout, et par conséquent libre ; mais la voix de son âme lui disait que cet arrêt n’aurait pas son exécution. Voici ce qu’il écrivit à ce sujet à sa famille :
3 août.
Le décret de déportation à Cayenne et les motifs qui l’ont déterminé montrent que ma mission a été prise à fond : et j’en remercie Dieu tout-puissant. Ce ne sont plus les hommes, c’est l’enfer lui-même qui a produit son fruit ; et c’est un grand bien que cela soit arrivé si tôt. Maintenant nous n’avons que l’appel à Dieu, juge de tous les juges. Dans la pureté et la soumission, attendons ce que Dieu aura décidé : jusqu’à quel point Il permettra à l’enfer de produire ses fruits, Lui, qui gouverne aussi l’enfer. Il ne permettra pas, j’en ai la conviction, que ma mission soit rendue impossible. Il ne permettra pas que tant de grâces et tant de sacrifices du royaume de Dieu restent stériles. Il ne permettra pas que mes forces soient brisées et que, pendant des siècles, l’enfer puisse, pour son triomphe, en tirer une preuve que ce que j’ai fait, et ce que je dois faire encore, peut vivre seulement dans l’esprit, mais ne peut être réalisé sur la terre. Cette foi est pour nous le devoir le plus sacré.
Je me réjouis de ce que vous ne vous laissez pas ébranler dans cette foi et je vous en remercie. Je ne pourrais pas vous estimer comme je vous estime si vous étiez seulement fortes sans la croix et indolentes sous la croix. Combien ma mission n’a-t-elle pas gagné pendant mon emprisonnement ! Jamais, même pendant ce temps de captivité, mes moments n’ont été employés en vain ; et, à l’avenir aussi, Dieu ne permettra pas que ma vie se dessèche sans fruit. Mes forces et mes moments sont comptés et destinés au service de Dieu !......
Je ne puis croire que Dieu permette l’exécution de ce décret ; cependant, pour être purs, nous devons, dans l’humilité et la crainte de Dieu, nous préparer au pis : et, conformément à cela, faire nos projets. Par exemple : dire à M. Bertrand que la femme veut suivre son mari ; tâcher de savoir le moment précis auquel la déportation aura lieu ; voir où placer les enfants ; où trouver de l’argent, etc. – Mais Dieu est notre espoir. En faisant tout cela, attendons la décision de Dieu. Après avoir produit son fruit, le mal devient plus faible.
Mon Dieu ! Que de choses se sont passées dans ces vingt-quatre jours ! Et tout cela d’une manière si rapide et si inattendue ! C’est au milieu de telles adversités que se manifeste toute la force de la foi ; foi, que Dieu regarde ; foi que rien n’arrive sans sa volonté ou sans sa permission ; foi que l’homme, lorsqu’il n’a pas la terre mais qu’il a l’union avec le Ciel, n’est pas seul. Oh ! quel échange heureux !
4 août, 10 h. soir.
Ce que vous vous proposez de faire encore peut être utile à l’Œuvre de Dieu. Faites donc ce que vous sentez devoir faire ; tâchez seulement de le faire dans l’esprit et le ton chrétien. Dites la vérité entière et nue ; mais présentez-la dans l’épanchement, dans le sentiment et dans l’amour, même envers les ennemis. De la terre, je n’ai rien ; mais le Ciel m’est propice : donc je suis bien. Ici on ne parle point de départ pour les forts. J’ai l’espoir en Dieu que je n’irai pas là-bas. Je crois fermement que Dieu m’en préservera. J’ai la conviction que la puissance du mal n’augmente plus, et que, peut-être même, elle diminue. Il est possible que, par le décret de déportation, elle ait atteint son apogée. Je recommande à Dieu vous tous et moi-même.
La nouvelle du décret de déportation s’était répandue dans le public ; annoncée par les journaux, elle fut accueillie par plusieurs d’entre eux avec des paroles d’indignation.
La Démocratie pacifique du 8 août écrivait : « C’est une horrible responsabilité qu’entraîne une pareille dictature, supprimant le droit et les codes ! Nous souffririons cruellement, quant à nous, si notre conscience nous disait : – Parmi ces hommes que vos décrets ou vos arrêts jettent en exil, il y a peut-être des victimes, des innocents ; et tous ceux que le wagon emporte peuvent s’écrier : – nous n’avons pas été jugés ; car nous n’avons eu ni le débat contradictoire, ni la publicité, ni la défense ! »
Et le Représentant du peuple, dans son numéro du 15 août, disait : « Il est impossible que Towianski ait pris part à l’insurrection, à moins que ce ne fût pour flétrir les bourreaux et défendre les victimes, à quelque parti qu’ils appartinssent. »
L’opinion publique se soulevait indignée contre le despotisme dictatorial, qui confondait dans la même punition les innocents et les coupables. Et Towianski, sous le poids d’une condamnation terrible, continuait dans sa prison, tranquille et confiant, les travaux de sa vocation pour le bien de la France, dont le gouvernement le traitait d’une manière si injuste. Cela seul suffirait pour montrer combien était élevée et supérieure aux partis, aux passions humaines, la région où vivait son esprit.
Si ses proches faisaient quelques pas auprès des autorités pour montrer son innocence, ce n’était ni par crainte de l’avenir qui l’attendait, ni pour obtenir à tout prix sa délivrance, mais seulement afin que la vérité pût se faire jour et que le cours de sa mission ne fût point entravé.
Le 9 août, Towianski écrivait à sa femme :
Aujourd’hui j’ai fini mon écrit à l’Assemblée nationale et ensuite j’ai écrit une lettre au général Bertrand. C’est Dieu qui m’a inspiré de l’écrire. Dieu seul, avec ses armées, me couvrira de sa protection. Cette confiance ne m’abandonne pas. La sérénité règne dans mon esprit, quoique sur la terre tout soit sombre. Je fais ce que je dois ; je ne perds pas un instant ; et la miséricorde de Dieu peut m’envoyer un secours. Quelle que soit sa volonté, je m’y soumets.
Ah ! attendons la décision de Dieu.
La lettre au général Bertrand était ainsi conçue :
GÉNÉRAL,
Vous êtes mon juge ; je ne dois rien entreprendre sans vous le faire savoir.
Ayant senti le devoir d’écrire à l’Assemblée nationale, de m’épancher devant elle en toute vérité, je vous demande que cet écrit d’un prisonnier puisse lui être remis.
Je vous demande en même temps la faveur de pouvoir m’expliquer, m’épancher devant vous, mon juge, et aussi mon frère devant Dieu. Ma cause est toute de sentiment, et elle ne peut être jugée que par le sentiment ; je ne l’ai que trop éprouvé pendant ma vie. J’ai la confiance que la miséricorde de Dieu vous récompensera pour ces quelques minutes que vous voudrez bien me donner.
Dans mes papiers, qui sont entre les mains de la commission militaire, mes pensées, mes idées ne sont expliquées qu’à demi, elles ne sont en grande partie compréhensibles que pour moi seul. Je vous demande de me permettre de les expliquer devant mes juges.
Général, en mettant ma cause sur votre conscience, je lui donne une base inébranlable. Je crois que vous comprendrez ma pensée et que je recevrai justice.
Le même jour, Towianski recevait de sa femme la lettre suivante :
« Le colonel Rozycki a vu le général Bertrand. Votre procès ayant été clos le 31 juillet, la chose n’appartient plus à lui. Il était étonné que vous soyez encore à Paris. Il ne peut rien faire pour vous. La lettre que vous lui avez écrite aujourd’hui restera certainement sans réponse. Nous la publierons dans les journaux, après en avoir donné connaissance au général Cavaignac. L’écrit, que vous vous proposez de faire parvenir à l’Assemblée nationale par le général Bertrand, devra être fait en double exemplaire et adressé, l’un au général Cavaignac, et l’autre au président de l’Assemblée.
« Espérons que vous ne serez pas dérangé cette nuit.
« Plusieurs ont fait des instances auprès du Chef du pouvoir exécutif afin qu’il suspendît votre départ. Il y a six députés qui s’en sont chargés. Le résultat est entre les mains de Dieu. Chacun de ces députés s’est indigné en apprenant que vous êtes condamné avec les insurgés, que vous n’avez été interrogé qu’une fois, que l’interrogatoire prouve votre innocence, et que néanmoins vous êtes sur la liste des condamnés à la déportation. Nous supposons que c’est à votre mission qu’on fait la guerre ; mais il ne manquera pas de preuves pour en montrer la sainteté.
« M. Mickiewicz, le colonel Rozycki et le major Nabielak espèrent obtenir une audience du général Cavaignac. Je vous envoie la lettre et l’ukase qu’on publiera demain dans les journaux, pour prouver devant vos calomniateurs que vous n’êtes pas russe.
« Adresses : – Au général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, Rue de Varennes, 23, – À M. Marrast, président de l’Assemblée nationale, palais de la présidence. »
Pour comprendre ce que c’est que l’ukase mentionné dans cette lettre, il faut savoir que la Réforme du 13 juillet 1848 qui, en donnant la nouvelle de l’arrestation de Towianski et de Gutt, les avait représentés comme des hommes « assez célèbres parmi leurs compatriotes », – disait d’eux, deux jours après, sous l’inspiration de polonais hostiles, que : « non seulement ils n’étaient point des émigrés célèbres, mais que la société démocratique les répudiait, et pour cause ».
Lorsque Rozycki lut cela, s’étant procuré un exemplaire authentique du document que l’on vient d’indiquer, il écrivit au rédacteur en chef du Courrier français la lettre suivante, que ce journal publia dans son numéro du 12 août 1848 :
« La Réforme du 15 juillet dernier a publié un article au nom de la Société démocratique polonaise, déclarant qu’elle répudie Towianski et pour cause. En réponse à cette insinuation, dont la malveillance a profité, je déclare, dans l’intérêt de la justice et dans celui du peuple polonais, dont je suis l’enfant, qu’André Towianski est le Polonais le plus fidèle à son pays, et que le labeur et les sacrifices de toute sa vie tendent à la reconstitution de notre patrie, telle que Dieu la destine dans sa pensée.
« Je joins ici la traduction fidèle de l’ukase russe qui frappe André Towianski dans sa personne et dans ses biens, et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien l’insérer dans votre plus prochain numéro, ainsi que la présente lettre 19.
« Agréez, Monsieur le rédacteur, mes salutations fraternelles.
« Paris, 10 août 1848.
« CHARLES ROZYCKI, colonel. »
Cette lettre et ce document ont été le même jour publiés en entier aussi par la Réforme, qui ajouta que sa note du 15 juillet « n’impliquait nullement une accusation politique contre le citoyen Towianski ; telle n’était pas non plus l’intention de la Société démocratique. Il s’agissait seulement d’opinions religieuses, et d’une rectification de faits à propos de l’émigration ».
Ils ont été aussi reproduits par le Démocrate polonais, qui avait inspiré la note de la Réforme ; par les Débats du 13 août, avec une lettre de Rozycki et de Nabielak ; par la Démocratie pacifique dans son numéro du même jour ; et par la Liberté du jour suivant, qui en firent suivre la publication de considérations sensées et impartiales, dont il ne sera pas inutile de rapporter ici quelques fragments.
La Démocratie pacifique, tout en regardant Towianski comme un mystique, déplore son arrestation comme étrange et injustifiable. Elle reconnaît en lui : « un homme extraordinaire, d’une puissance individuelle incontestable, et qui compte parmi ses disciples des hommes très distingués : entr’autres, le savant poète Mickiewicz ».
Et elle ajoute : « Nous n’affectons pas de dédaigner ces personnages étranges qui s’attribuent des missions religieuses ; et nous croyons que l’humanité est encore fort peu éclairée sur les voies diverses du gouvernement providentiel. Nous n’avons pas l’honneur de connaître Monsieur Towianski et nous n’avons pas à le défendre quant au caractère supérieur que plusieurs reconnaissent en lui. Mais nous avons rencontré de ses disciples, et il nous est démontré que, à quelque titre que parle M. Towianski, il enseigne les doc trines les plus hautes de paix et d’amour, et que le plus pur esprit de l’Évangile inspire sa parole. Nous devons donc supposer que cet apôtre de la charité et de l’unité pacifique est victime de l’erreur et de la calomnie ; et nous appelons sur les actes de M. Towianski l’attention impartiale particulière de ce tribunal, qui juge d’une façon si expéditive et si triste, mais qui peut réviser ses jugements.
« Monsieur Towianski a du malheur. Prêcheur de la concorde et de la paix, il est accusé d’avoir concouru à une insurrection sanglante ; prêcheur de la vérité, il est accusé de déloyauté et de trahison. »
La Liberté, après avoir parlé des rectifications faites par le colonel Rozycki sur les faits imputés à Towianski, écrivait : « Nous nous demandons à quel titre la Réforme répudie si hautement les victimes de l’autocratie impériale. Le passé des hommes comme Towianski, leur lutte courageuse et les douleurs de leur patriotisme sont des garants sûrs de leur présent et de leur avenir. La cause des hommes qui ont tant souffert pour leur pays opprimé doit être sacrée à nos yeux ; et nous nous associons pleinement à la protestation énergique du colonel Rozycki en faveur de son illustre compatriote. »
Dans le même sens s’exprimait le Représentant du peuple du 15 août.
Pendant que la vérité se rétablissait ainsi peu à peu devant l’opinion publique, on continuait les démarches auprès du chef du pouvoir exécutif, afin que, reconnaissant, lui aussi, la fausseté des accusations et la réalité des choses, il empêchât pour Towianski l’exécution d’un décret si évidemment injuste.
Le 12 août Mickiewicz écrivit au général Cavaignac la lettre qui suit :
« Général,
« André Towianski a été arrêté à son domicile (Avenue des Champs-Élysées, 108) le 11 juillet. Il était à Paris seulement depuis le 28 mai.
« Non seulement, pendant les journées de juin, il n’a pas quitté son domicile, mais même durant son séjour, il n’est pas descendu une seule fois dans la ville ; une promenade aux environs de l’Arc de Triomphe a toujours été sa seule sortie.
« Depuis son arrivée il n’a fait de visite à qui que ce soit, ni Polonais, ni Français. Seulement il a reçu chez lui les Polonais ses amis qu’il connaissait antérieurement, et quelques Français, également ses amis.
« Aucun Français ni Polonais de ceux qui l’aient visité n’a été impliqué dans les évènements de juin. Et lui n’a jamais connu, n’a jamais été connu d’aucun insurgé.
« Il n’a pris, ni de fait, ni indirectement, la moindre part à aucun des évènements qui agitent si cruellement la France.
« Cependant, non seulement il a été arrêté et enfermé à la Conciergerie, où il est encore jusqu’à ce jour, mais son nom figure sur la première liste des transportés.
« André Towianski, juge à la Cour suprême de Lituanie, quitta de son propre mouvement la Pologne en 1840 et vint apporter à l’émigration des paroles de paix et de consolation ; il chercha à inspirer à ses frères émigrés cette foi : – que la Pologne ne pourra être reconstituée que par des actions dont la base serait le christianisme le plus pur, et que, sans cela, les moyens terrestres, même les plus puissants, ne réussiraient point. – Pour ces faits, le gouvernement russe, par un ukase en date du 31 juillet 1842, le déclara exilé et ordonna la confiscation de ses biens.
« L’autorité morale avec laquelle André Towianski rappelait aux Polonais leurs devoirs en élevant leur esprit au-dessus des intérêts de partis, excita contre lui la haine de certains partis politiques.
« Cette haine l’a poursuivi à Paris en 1842 ; à Rome, en 1843 ; en Suisse, en 1847 ; et, aujourd’hui encore, profitant du malheur des temps, elle vient surprendre la bonne foi des autorités de la République, en les trompant sur le caractère et les intentions d’André Towianski.
« Je me déclare garant de l’exactitude des faits et des assertions contenus dans cette lettre. »
Le même jour fut aussi adressé au général Cavaignac un autre écrit dans le même sens, signé par trente-six personnes, tant Polonais que Français.
Peut-être que tant dc témoignages uniformes d’hommes respectés et à l’abri de toute suspicion firent une certaine impression sur l’esprit de Cavaignac ; mais le fait est que la Providence veillait sur son serviteur fidèle, et le chef du pouvoir exécutif suspendit l’exécution du décret de déportation quant à Towianski, tout en maintenant l’emprisonnement jusqu’à nouvel ordre.
En recevant cette nouvelle, et pressentant qu’il ne serait pas déporté, Towianski écrivit à sa femme :
13 août 1848.
Condamné à la mort, c’est-à-dire à la perte de ma mission – et par l’œuvre du mal déposé déjà, pour ainsi dire, dans le tombeau – mais relevé du tombeau par la miséricorde de Dieu, je vous écris pour la première fois dans ma vie nouvelle.
Ils sont passés, ces jours terribles de la puissance et de la domination de l’enfer, pendant lesquels je tremblais, non pas en pensant à ce qui pourrait m’arriver (car je ne voyais devant moi qu’une mort lente), mais en me demandant si je serai tel que Dieu veut que je sois après que ces jours seraient passés.
Au milieu des ténèbres les plus grandes que j’ai rencontrées dans ma vie, une grande lumière rayonnait en moi et je gémissais vers la miséricorde de Dieu pour pouvoir soutenir en moi cette clarté, qui est mon étendard. Dieu a dissipé les ténèbres, et mon étendard se déploie. Jusqu’ici chaque moment de mon emprisonnement a été grave et indispensable. Si j’avais été délivré avant que Dieu en eût ainsi disposé, cela aurait été pour moi un dommage irréparable.
Hier, le colonel Dumoulin, jusqu’alors si contraire à mes idées, a été tout à coup converti. Il m’encouragea, avec une grande ardeur, à persévérer et à ne céder en rien sur ce que je sens, affirmant que tout cela est la vérité. – « Dites (ce sont ses paroles), dites ce que vous sentez, quoique les Français ne vous croient pas. Un temps viendra où ils vous croiront ; ils croiront qu’une parcelle du feu divin peut vivre dans l’homme. » Je répondis : « C’est maintenant que je vois devant moi un vrai colonel de l’Empereur. – Viens, que je t’embrasse, soldat de Napoléon ! » Et nous nous embrassâmes cordialement. Quelques heures après, le colonel a été mis en liberté.
Ah ! les fortes impressions font des miracles dans l’homme ! Elles émeuvent, enflamment et tournent l’esprit vers Dieu.
Hier aussi l’inspecteur de la prison me fit appeler. Il me parla avec beaucoup de sentiment et il me promit qu’il s’occuperait de moi. Il est convaincu de mon innocence. Il parla longtemps de moi avec le directeur, qui me dit ensuite que j’ai dans l’inspecteur un grand avocat. On m’a dit que, avant de me faire appeler, l’inspecteur m’avait observé pendant longtemps lorsque j’étais dans la cour.
Voici déjà le trente-troisième jour que je suis en prison. Je ne sais comment la volonté de Dieu disposera de moi ; mais je sens que, lorsque j’aurai accompli ici ce qui m’est destiné, Dieu, qui m’a préservé de la déportation, me fera sortir aussi de la maison de servitude.
Le lendemain, Towianski dit à Gutt : « Mon cher, nous allons nous séparer. » Et en effet dans la journée on appela Gutt et on lui dit de se préparer pour aller aux forts ; Gutt ne cacha pas son émotion ; mais bien moins à cause du sort qui l’attendait que pour les manquements qu’il se reprochait et dans lesquels il voyait la cause du châtiment de devoir se séparer de son ami, de son bienfaiteur vénéré.
Le 15, à quatre heures et demie du matin, on le conduisit dans la cour, où il causa avec M. Délambre, représentant du peuple, prisonnier lui aussi.
Towianski accompagna Gutt jusqu’à la grille, le consola par des conseils pratiques, et lui présenta, vivant en lui-même, le ton qu’il devait soutenir. À six heures, on transféra Gutt au fort de l’Est avec plusieurs autres prisonniers. M. Délambre fut tellement frappé par ses paroles et par sa contenance, que, ce même jour, il écrivit sur ce départ une lettre, dont le Représentant du peuple du 18 août publia l’extrait qui suit :
« Parmi ceux qui partent aujourd’hui, se trouve un jeune docteur polonais, disciple dévoué de Towianski, d’une douceur et d’une résignation admirables. Il arriva à Paris le 28 mai, où il ne connaissait que son maître bien-aimé. Il n’est pas sorti des quatre jours, m’a-t-il dit : et comment l’eût-il fait, inconnu de tous et ne connaissant pas encore Paris ? On le transporte. – Dieu permet que la force s’appesantisse sur moi, qui ne suis qu’un être vulgaire et chétif, me dit-il en partant ; ma consolation est que mon maître reste. Il est fort et puissant, lui, et la divine providence ne permettra certainement pas qu’une telle intelligence, aussi utile à l’humanité que celle de Towianski, aille s’éteindre misérablement dans les tortures de la transportation. »
Cette lettre produisit une grande impression dans le public, et même dans la prison. M. Délambre, en parlant de Gutt, disait : « Il se communique peu, mais il a toujours des paroles de consolation. »
Privé de son ami et compagnon fidèle, encore incertain sur son propre avenir, affaibli dans sa santé, Towianski se tenait au-dessus de tout cela, poursuivant sa marche avec une confiance humble et active, ainsi qu’on peut voir par ce billet qu’il écrivit le lendemain du départ de Gutt :
16 août.
Le temps étant mauvais, je ne sors point dans la cour, et je travaille avec patience, comme prisonnier, reconnaissant envers Dieu d’avoir de quoi m’occuper. Aujourd’hui je me suis levé à quatre heures, je m’efforce de rester inébranlable à mon poste, et, quant à ma destinée, elle est dans vos mains, ô Dieu de miséricorde !
Gutt, après deux jours de détention au fort de l’Est, devait partir pour Cayenne. Ses amis obtinrent de le visiter et tentèrent un dernier effort pour empêcher son départ. Voici ce qu’écrivait madame Towianska à son mari le 17 août :
« Nous revenons maintenant du fort de l’Est. Aujourd’hui Ferdinand doit partir avec les autres. Nous l’avons vu, il est résigné. Il demande, par nous, votre bénédiction. Au jourd’hui même le secrétaire Bertrand a remis les témoignages et les preuves de son innocence au général Cavaignac. Nous n’avons qu’un très faible espoir. C’est trop tard ! On est encore allé chez le Préfet de police, afin que, si cela est en son pouvoir, il réclame Ferdinand pour le faire ramener à la Conciergerie. Le secrétaire nous a assuré que le général Cavaignac connaîtra, aujourd’hui même, l’erreur qu’on a commise en séparant Ferdinand de vous.
« J’écris cette lettre des Batignolles ; il est trop tard pour rentrer à la maison et vous envoyer ce qu’il vous faut. Demain nous irons vous voir de bonne heure ; nous en avons la permission. Nous sommes bien fatiguées. Malgré la permission que nous avions de voir Ferdinand, nous avons dû attendre quelques heures avant que le capitaine nous laissât entrer. C’est toute autre chose qu’à la Conciergerie. »
Malgré l’ardeur de l’esprit et la continuité de la lutte intérieure pour se soutenir à la hauteur de son poste – la vie de la prison, la chaleur étouffante de la saison, tant de coups répétés blessant chaque jour le cœur très sensible de Towianski, menaçaient gravement sa santé. Le général Cavaignac, cédant aux instances qu’on lui faisait de tous côtés, envoya deux médecins le visiter. Voici comment Towianski raconte lui-même cette visite dans la lettre suivante :
24 août, matin.
Deux médecins envoyés par le général Cavaignac viennent de me visiter. Ils étaient animés de la meilleure volonté. Ils ont reconnu mon état extérieur et ma disposition intérieure ; ils ont été étonnés du décret de déportation et ils répétaient : – Soyez sûr que vous ne serez point déporté. – C’est Dieu qui a fait qu’ils m’ont connu si bien. Ils ont écrit en ma présence un certificat, où il est dit qu’en prison je perds ma santé et que j’ai besoin d’une cure impossible à faire dans la prison. Ils m’ont promis de m’obtenir la permission de me transférer dans une maison de santé. – Chose singulière ! Hier et aujourd’hui j’ai commencé à sentir l’influence pernicieuse de la prison sur ma santé. Et tandis que, guidé par l’instinct intérieur, je notais dans la cour quelques paroles d’adieu à mes camarades, voilà qu’on m’appelle pour aller devant ces deux médecins. – Je ne leur ai rien demandé, je ne les ai contredits en rien ; je m’en suis remis entièrement à eux, comme pour une chose qui regarde leur devoir ; car je sentais que telle était la volonté de Dieu. Et maintenant j’attends un changement de direction ; car, en vérité, depuis hier je me sens toujours comme si j’allais m’évanouir.
Ce jour-là, il eut la joie de revoir Ferdinand Gutt, qui, n’étant pas parti avec les autres condamnés, fut ramené à la Conciergerie. Au bout de quelques jours, Towianski obtint la permission de passer dans une maison de santé ; mais toujours comme prisonnier.
Le 1er septembre, on faisait l’appel d’une autre escouade de prisonniers qui devaient être déportés. Ému en songeant au sort qui les attendait, Towianski aurait voulu les consoler un à un ; mais il ne put parler individuellement à plus de dix. S’adressant ensuite à tous, il leur dit ces paroles :
C’est le cinquante-troisième jour que je suis avec vous, frères, compagnons d’infortune. Dieu me soulage ; je change de prison. Je vous remercie de la fraternité que plusieurs de vous m’ont accordée. Je tâcherai d’en être toujours digne.
En me séparant de vous, je fais des vœux pour que Dieu veille sur la France, ainsi que sur ceux qui la conduisent et qui la conduiront à l’avenir ; que Dieu veille aussi sur vous, que vous puissiez profiter de ces jours de retraite, en entrant dans les profondeurs de vos âmes, que vous puissiez revenir au plus tôt dans vos foyers, revenir au sein de votre patrie et la servir avec un amour et un dévouement vrais, chrétiens. – Recevez, frères camarades, ces vœux d’un Polonais, qui aime la France à l’égal de sa patrie.
Je vous donne ma main, et je vous demande la vôtre ; que ce soit l’expression de notre fraternité qui doit être chrétienne et éternelle, selon la volonté de Dieu qui repose sur l’homme et principalement sur nous, Français et Polonais.
Ces paroles furent accueillies par des larmes d’émotion. Tous se précipitèrent vers lui pour lui serrer la main et l’embrasser.
Pendant que ces malheureux partaient pour être déportés, Towianski était transféré à la maison de santé qu’on lui avait assignée à Chaillot, rue des Batailles. Dès qu’il eut quitté la Conciergerie, les prisonniers qui y étaient restés, habitués à le voir chaque jour et à en recevoir fréquemment des paroles de consolation, se sentaient tristes et abattus. L’un d’eux s’écria : « Le soleil a disparu pour nous ! »
Quant à la détention de Towianski dans sa nouvelle demeure, je n’ai pu recueillir de détails, car là n’était plus avec lui son fidèle Ferdinand, qui à la Conciergerie prenait note chaque jour de ses actes et de tout ce qui lui arrivait. D’ailleurs le soin de sa santé le forçait à quelque repos.
La déportation était suspendue pour lui ; mais l’arrêt qui l’y condamnait n’avait pas été révoqué et il aurait pu être exécuté d’un moment à l’autre.
Il est vrai que, après la première période de rigueur, où tout avait été fait précipitamment, sur des réclamations persistantes, plusieurs procès avaient été révisés ; et la Patrie du 5 septembre annonçait que « à la suite de ces révisions, plusieurs des insurgés de juin, qui étaient dans les premiers convois de transportés, seraient probablement ramenés à Paris et rendus à leurs familles ». Mais le sort de Towianski était encore en suspens. Pour faire pencher la balance en sa faveur, Dieu se servit d’une femme, pleine de courage et de foi.
Madame Céline Mickiewicz (qui, après sa guérison miraculeuse, obtenue par Towianski, et d’autres bienfaits spirituels, lui gardait une reconnaissance profonde et un dévouement sans bornes) était en rapport avec madame Cavaignac, mère du général, qui habitait avec lui. Ce fut grâce à cette excellente dame qu’elle put entrer un jour dans la chambre du chef du pouvoir exécutif au moment où celui-ci s’apprêtait pour monter à cheval. Je ne sais exactement ce que madame Mickiewicz lui dit. Le fait est qu’elle lui parla de Towianski avec une telle conviction que Cavaignac en fut frappé et s’écria : « Je verrai cet homme ! » – Sur cela, madame Mickiewicz repartit : « Vous, voir cet homme ! Préparez-vous d’abord. » Et elle insista pour sa délivrance avec une telle chaleur et une telle force, que le général finit par se rendre et il lui donna sa parole d’honneur que Towianski serait libre. Cependant il resta encore dans la maison de santé une quinzaine de jours, non plus comme prisonnier, mais comme malade ; il pouvait sortir à son gré chaque fois que ses forces le lui permettaient. La première fois qu’il sortit, ce fut le 27 septembre, le septième anniversaire du jour où il avait parlé publiquement à Notre-Dame, et ce fut pour se rendre à St-Séverin, où il se confessa et reçut pendant la messe la Sainte Communion.
Cependant, plus tard, Cavaignac dit publiquement que, parmi tous les prisonniers, Towianski était le plus dangereux pour la France. Et à Mickiewicz, qui le remerciait de l’avoir délivré, il répondit sèchement : « Je ne connaissais pas quelle influence cet homme a exercée sur la France. Un tel homme n’aurait pas dû être remis en liberté. » – À ce sujet Mickiewicz écrivit quelques mois après à Towianski : « Le général Cavaignac a parlé plusieurs fois de vous dans les salons, ajoutant qu’il eut tort de vous délivrer ; que vous auriez dû être envoyé sur les pontons ; que ce fut madame Mickiewicz qui lui força la main, en le poussant de telle façon, qu’il aurait pu délivrer même Raspail, Blanqui, etc. »
On peut donc dire que ce n’est pas la volonté de l’homme, mais la puissance de Dieu qui a délivré Towianski.
Il s’était rendu sur le champ de l’action pour épurer le mouvement français, l’élever et y imprimer la direction voulue de Dieu. Mis en prison par la mauvaise volonté, il présenta en lui-même le modèle du prisonnier chrétien, continuant, même dans la captivité, autant qu’il le pouvait, l’accomplissement de sa mission. Et Dieu le délivra d’une manière inattendue.
Gutt resta encore à la Conciergerie pendant presque deux mois ; mais il en sortit enfin le 14 novembre 1848.
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CHAPITRE V.
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Pendant qu’il se prépare à Avignon à se rendre près de S. S. Pie IX, la révolution éclate à Rome. – Il retourne en Suisse où il demeure jusqu’à sa mort.
Après être resté encore quelques jours dans la maison de santé pour recouvrer entièrement ses forces, Towianski en sortit définitivement le 6 octobre 1848, ainsi qu’il a été dit dans le chapitre précédent. Le lendemain il se rendit à la Conciergerie pour y faire ses adieux à Gutt et à ses autres compagnons de prison, et quitta Paris le même jour. Il s’arrêta d’abord à Fontainebleau, puis à Montereau ; là il s’entretint principalement avec Rozycki et Mickiewicz, auxquels il confia le soin de cultiver ce que la grâce avait semé dans les cœurs de tant d’amis chers, desquels il était contraint de s’éloigner. À ceux-ci il envoya par écrit ses adieux et ses conseils, les exhortant à ne pas entrer dans des luttes stériles, mais à s’élever à la hauteur d’où seulement on peut, avec la force du Ciel, lutter et servir efficacement la cause de Dieu sur la terre.
De là il passa à Bourbonne-les-Bains, et ensuite à Avignon, afin de s’y préparer, dans le recueillement et la prière, à accomplir personnellement envers le nouveau pontife Pie IX ce qu’il ne lui avait pas été permis d’accomplir envers son prédécesseur. Néanmoins il n’interrompit pas son service, de vive voix et par écrit, envers tous ceux qui cherchaient auprès de lui l’aide et l’appui pour leur propre régénération et celle de leur patrie.
Pendant les sept mois et plus qu’il resta à Avignon (où Gutt, aussitôt libéré de prison, le rejoignit), plusieurs personnes vinrent le visiter, parmi lesquelles Charles Rozycki et un pasteur protestant allemand, Auguste Christfreund. Celui-ci, converti par Towianski, fit quelques années plus tard dans sa propre paroisse une abjuration solennelle du protestantisme, à la grande émotion de tous les assistants 20.
L’Abbé Édouard Dunski, auquel Towianski s’était confessé à Saint-Séverin peu de jours avant de quitter Paris, vint aussi le voir.
L’Abbé Dunski, dans sa jeunesse, s’était enrôlé dans l’armée nationale dès qu’éclata la révolution polonaise de 1830, pendant qu’il faisait son droit à Varsovie. Après avoir servi sa patrie avec zèle, il se joignit en 1835 à Bogdan Janski, qui, le premier dans l’émigration, avait donné l’impulsion au retour vers la foi religieuse, en rassemblant autour de lui un groupe chrétien de polonais, qui devint plus tard la congrégation des résurrectionnistes ; et il se consacra avec une ferveur sincère au ministère sacerdotal. Lorsque, en 1841, lui parvint à Rome la nouvelle du rayon de miséricorde qui s’était manifesté à Paris au sein de l’émigration polonaise, il sentit s’éveiller en lui la foi que Dieu peut agir par le moyen de quelque homme qu’il lui plaise de choisir pour son instrument, car il sentait bien que la position de toute la chrétienté, et de la Pologne en particulier, était si difficile que, sans le secours immédiat du ciel, il serait impossible d’en sortir avec les forces et les moyens humains seuls. Étant retourné à Paris en 1842, au milieu des opinions contradictoires qu’il entendait courir sur le compte de Towianski, il resta quelque temps perplexe ; et, dans la droiture de sa conscience, il se sentit poussé toujours plus fortement à résoudre devant Dieu, dans la pleine sincérité de son âme, ce problème-ci : les bruits qui couraient sur Towianski étaient-ils vrais et s’agissait-il d’un visionnaire que le devoir du prêtre serait de combattre ? – ou bien s’agissait-il, au contraire, d’une opération de la miséricorde divine qui s’accomplissait par le moyen de cet homme et qui imposait, surtout au prêtre, le devoir de s’y unir et d’y coopérer ?
Déjà quelques paroles qui lui avaient été dites par Towianski, quand celui-ci alla se confesser à lui après sa sortie de prison, l’avaient profondément touché. Quelques signes qu’il avait reçus depuis lors dans la prière, et surtout la voix de son âme le poussèrent à se rendre à Avignon pour connaître à fond ce que Towianski annonçait, et qui était devenu pour lui une question de conscience.
Convaincu non pas tant par la connaissance admirable des choses divines qui s’exhalait de la parole de cet homme, que par son ton chrétien militant, qui reproduisait plus parfaitement que tout ce qu’il avait vu jusqu’alors le ton de Jésus-Christ conservé dans l’Évangile, il sentit directement dans son âme l’appel de Dieu, le devoir de l’accomplir lui-même, et d’en faciliter aux autres la connaissance et l’accomplissement.
De retour à Montpellier, où il demeurait alors, son premier soin fut de rendre compte à l’autorité ecclésiastique de ce qui l’avait si profondément impressionné. Voici de quelle manière il s’exprimait dans sa lettre du 5 juillet 1849 au vicaire-général de l’archevêché de Paris :
« Je n’ai jamais rencontré un homme parlant de la manière et dans le ton que parle cet homme. Quel amour de Dieu, de Jésus-Christ et de toutes vérités ! Toute sa lumière, qui est immense, repose dans cette unité : accomplir la volonté de Dieu par les sacrifices de Notre Seigneur Jésus Christ. Tout ce qu’il dit y conduit directement. C’est l’homme le plus libre des hommes, qui, rendant à chacun ce qui lui est dû, conserve la vraie dignité du chrétien. C’est l’homme qui frappe par son savoir des choses de Dieu, déposées dans le trésor inépuisable de l’Église, qui étonne par ses sacrifices continuels, en conservant toujours et par tout son ton, sa dignité chrétienne.
« C’est le religieux le plus parfait, vivant au milieu de la famille et de la société, prêchant partout par ses actes et ses paroles l’amour de Dieu et du prochain. Il réunit tant de caractères de la vérité en lui, il porte une telle empreinte de l’esprit de Dieu en lui, qu’on y sent, qu’on y voit les desseins particuliers de la miséricorde de Dieu. Je crois qu’il est l’homme unique (et j’en porte dans ma personne le témoignage) qui peut donner une idée claire, pratique, vivante à chaque homme, à chaque état, à chaque condition de l’homme, à chaque nation même. Après chaque conférence, je sortais de chez lui avec un nouveau désir de me rendre meilleur, de rentrer dans le sentiment de mes devoirs comme chrétien, comme prêtre. C’est un résultat principal de mes conférences avec lui. Le Seigneur miséricordieux fera voir le reste avec le temps. Et c’est pourquoi j’ose désirer ardemment, dans mon âme et ma conscience, que cet homme extraordinaire obtienne la bénédiction du Saint-Siège qu’il cherche depuis longtemps. »
Plusieurs fois l’abbé Dunski retourna auprès de Towianski, y faisant de longs séjours, et rendant compte chaque fois à son Autorité ecclésiastique immédiate du but de son voyage et du fruit qu’il en avait retiré. Et à Paris, où il demeurait habituellement, il ne cessa jamais d’accomplir avec un zèle toujours croissant ses devoirs sacerdotaux, en premier lieu dans la paroisse de St-Roch, puis dans celle de St-Philippe-du-Roule, et enfin dans celle de St-Merri ; il défendit constamment contre les attaques de la mauvaise volonté l’opération divine qui l’avait remué si profondément, il aidait les personnes de bonne volonté à connaître la chose dans la vérité et à en profiter, pour leur propre bien et pour celui du prochain. Il mourut à Paris le 3 avril 1857 21.
Tandis que le serviteur de Dieu se préparait à partir pour Rome, la révolution éclata dans cette ville et Pie IX s’enfuit à Gaëte.
Voyant ainsi une seconde fois que la voie lui était coupée pour parvenir au Saint-Père et lui parler, Towianski quitta Avignon le 21 juin 1849, et retourna en Suisse ; il s’arrêta pendant quelques mois à Biningen, près de Bâle, puis aux alentours de Zurich, où il demeura jusqu’à sa mort.
Avant de lui accorder la permission d’y séjourner, le gouvernement de Zurich prit des informations auprès du gouvernement cantonal de Bâle. Après quoi, sous la caution que donnèrent pour lui Messieurs Kerez et Steiner, il lui permit d’habiter dans n’importe quelle localité du Canton, et l’inscrivit au nombre des contribuables, se réservant toutefois la faculté de lui retirer, au besoin, l’autorisation donnée.
Chacun peut juger par cette mesure comment, dans ce temps d’agitation politique, les allées et venues chez Towianski de tant de personnes appartenant à des nationalités diverses, et parmi lesquelles un grand nombre d’émigrés polonais, pouvaient facilement fournir un prétexte à son éloignement. Ce gouvernement, droit et libéral, le défendit toujours contre les dénonciations calomnieuses qui, de temps en temps, venaient de Paris, et de Zurich même ; mais cependant Towianski se tenait toujours prêt à partir d’un moment à l’autre ; et lorsqu’il prenait une habitation, il avait soin de se réserver le droit de résilier le bail quand il le voudrait.
C’est dans ces conditions précaires, avec des moyens d’existence incertains pour lui et sa famille, qu’il continua jusqu’à la mort à accomplir sa vocation. Libre de toute volonté propre, soumis en toutes choses aux signes de la volonté de Dieu, quand il se vit empêché d’agir publiquement, il continua sur ce petit coin de terre à veiller et à travailler avec un amour patient et infatigable, afin de servir les desseins de la miséricorde de Dieu. Et, bien qu’il fût privé d’un vaste champ d’action extérieur, il put néanmoins tracer une direction salutaire à un grand nombre de personnes, soit pour le renouvellement de leur vie individuelle et privée, soit pour le renouvellement de la vie des nations et de l’Église, comme on le verra dans les chapitres suivants.
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CHAPITRE VI.
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Son action sur les individus.
Si je voulais donner une idée exacte du bien que Towianski a fait à tous ceux qui s’approchaient de lui avec un amour sincère de la vérité, des volumes ne suffiraient pas. D’ailleurs, celui qui voudrait avoir plus d’éclaircissements n’aurait qu’à lire ce qui reste de ses écrits, qui sont les résumés d’autant de services spirituels qu’il a rendus à un très grand nombre de personnes. Je me bornerai à indiquer sur quelle base et dans quel esprit il agissait avec chacun.
Towianski puisait exclusivement sa force à ce foyer de vie supérieure que Jésus-Christ a porté incarné sur la terre, et que, à son exemple, il entretenait sans cesse en lui-même. De ce foyer il tirait toute sa vie extérieure, montrant par ses paroles et par ses actions que, dans le sacrifice incessant pour s’élever à cette hauteur, réside le secret de l’énergie et de la sagesse véritables ; que là seulement se trouve la force céleste, la seule efficace pour vaincre toutes les difficultés qui s’opposent à l’accomplissement de la volonté de Dieu sur la terre, et pour faire triompher la vérité et la justice. Pour faire voir de quelle manière il expliquait lui-même en quoi consiste ce travail intérieur, base et aliment de tous les autres, je citerai ici textuellement la réponse qu’il fit à un de ses fils qui lui avait demandé ce que c’est que le sacrifice chrétien :
Tu me demandes ce que c’est que le sacrifice chrétien ? Afin que tu puisses le connaître plus facilement, je te dirai d’abord ce qu’est l’amour chrétien. La première chose, c’est d’aimer Dieu ; l’amour de Dieu est la base de la loi de Jésus-Christ. Lorsque tu aimes quelqu’un, tu veux naturellement te rapprocher de lui et vivre avec lui : tu fais des efforts dans ce but, tu es prêt à t’exposer à des peines, à des travaux, à des fatigues, etc. ; il n’y a qu’un tel amour de ta part qui soit vrai. De là tu sentiras facilement que le véritable amour de Dieu, c’est le désir de s’élever dans le progrès et de s’unir dans la communion à l’objet le plus saint de l’amour ; et ce labeur, ce travail pour s’élever et s’unir, c’est le sacrifice chrétien, c’est la croix que Jésus-Christ a présentée à l’homme ; c’est pourquoi nous disons que dans le sacrifice, dans la croix de Jésus-Christ sont le progrès et le salut de l’homme. Le sacrifice vient donc de l’amour ; il est le fruit de l’amour ; l’amour et le sacrifice constituent l’essence du christianisme, car l’amour est le mobile du progrès, et le sacrifice est la force par laquelle on fait le progrès et on arrive au salut, but du christianisme. Si celui que tu aimes, étant sur une montagne, t’appelait à lui, certes tu chercherais à gravir cette montagne. Or, c’est précisément à quoi Dieu appelle l’homme par son Verbe ; et le but de notre vie est que, à l’exemple de Jésus-Christ qui est monté au sommet de la grande montagne chrétienne, c’est-à-dire au sommet de son Église, nous montions une partie de cette grande montagne, partie qu’il nous est destiné de monter dans cette vie. Il nous faut donc gravir sans cesse ; il faut sans cesse nous efforcer, combattre et vaincre : c’est notre but, c’est la source de notre salut éternel et même de notre bonheur temporel, car toutes les souffrances de l’homme sont pour la plupart des éveils de Dieu à gravir ainsi, à faire ce progrès que le Verbe de Dieu a destiné. Pour progresser, pour gravir, il faut renouveler en soi sans cesse le mobile pour ce labeur, c’est-à-dire éveiller en soi l’amour chrétien, il faut de plus prendre sans cesse la force nécessaire pour ce saint voyage ; et cette force c’est le sacrifice chrétien. L’amour et le sacrifice ne sont point la propriété de l’homme, mais un don de la Grâce de Dieu ; ils s’acquièrent par la prière, par le travail intérieur, par la vigilance intérieure ; et ce travail chrétien, tu peux le maintenir plus ou moins dans chaque situation, au milieu de tes occupations terrestres, de tes études, de tes divertissements mêmes, et cela en veillant dans ton âme, en tournant de temps en temps ta pensée et tes soupirs vers Dieu. Jésus-Christ a dit : « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation 22. » C’est une chose de la plus grande importance pour l’homme ; ce n’est qu’ainsi qu’il peut maintenir son union avec le Ciel, tenir ce fil par lequel Jésus-Christ a uni le ciel à la terre : c’est par ce moyen seulement qu’il éloigne le mal qui ne peut s’emparer de l’homme uni au Ciel par le fil de Jésus-Christ.
L’homme, c’est l’esprit qui, par la volonté de Dieu, a été emprisonné dans le corps, dans la matière, c’est-à-dire dans la terre, afin qu’il vainque les obstacles qui l’entravent et qu’il vive libre sur la terre, afin que l’esprit, c’est-à-dire ce qui est supérieur, vive dans ce qui est inférieur, en liberté, suivant sa loi supérieure. L’amour et la sagesse infinie de Dieu ont de grands buts dans cet emprisonnement, qui est pour l’esprit un état non naturel, exceptionnel. C’est, par exemple, comme si l’on enfonçait un cheval arabe dans la boue, pour que, par la force de l’énergie propre à sa race, il se tire de cette boue et vive suivant la loi des chevaux aux champs et dans les prairies, et non suivant la loi des reptiles, qui vivent dans la boue conformément à leur nature inférieure. L’esprit de l’homme s’efforce de se dégager, de se délivrer de l’élément inférieur où il a été placé, car il sent que cette existence n’est pas pour lui une existence naturelle, que ce monde n’est pas sa patrie.
Cet effort de l’esprit pour se délivrer du corps, ce combat pour vaincre le corps et d’autres obstacles qui enchaînent l’esprit, ce travail élève l’esprit, élève en même temps le corps, rapproche ainsi le corps de la hauteur de l’esprit, ce qui est le principal devoir du chrétien. Ainsi l’esprit et le corps se prêtent une aide mutuelle, et cette aide est universelle dans l’opération de l’immensité de Dieu où, selon l’organisation suprême, toute créature ne peut s’élever qu’autant qu’elle élève d’autres créatures rapprochées d’elle.
Jésus-Christ a donné à l’homme le modèle de ce travail, de ce sacrifice pour se délivrer, vaincre et s’élever. Il n’élevait pas son esprit, car il est descendu sur la terre de la hauteur suprême, de la droite du Père ; mais par son travail intérieur, par son sacrifice, il a délivré son esprit, et a vaincu le corps, l’a élevé à la hauteur de l’esprit, de manière que le corps de Jésus-Christ est devenu esprit, ce qui, dans l’Église, se renouvelle durant des siècles dans la sainte messe, pour l’accomplissement des paroles de Jésus-Christ : « Faites ceci en mémoire de moi 23. »
Ainsi donc, le premier devoir de l’homme est de s’efforcer, de travailler, de se sacrifier en esprit, afin de se délivrer et de s’élever au-dessus de ce qui est inférieur. Celui qui ne le fait pas, celui-là se renie lui-même ; renie son esprit, son caractère, sa liberté, celui-là se soumet volontairement à l’esclavage, se satisfait et se plaît dans cette boue, dans cette bassesse où il a été placé, non pas afin d’y vivre tranquillement, mais afin de s’en tirer par son labeur, par son sacrifice. Dès que l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, par conséquent l’homme céleste, reniant son origine et son caractère, ne se délivre pas de sa bassesse par le sacrifice chrétien, – il s’abaisse, il devient homme terrestre ; portant en lui l’étincelle du feu de Jésus-Christ, il l’éteint, il devient païen. Mais Dieu, qui ne laisse pas périr son étincelle qui est dans l’homme, éveille l’homme par les malheurs, les pressions, les souffrances, afin d’interrompre son amour illégitime, cette paix illégitime et mortelle, et de le stimuler à son devoir le plus important, c’est-à-dire à la résurrection et à la vie chrétienne, à la vie par le Verbe de Dieu.....
..... Jésus-Christ, en transmettant à l’homme la pensée de Dieu dans sa plénitude, a enseigné par ses paroles et par son exemple comment dégager et en même temps élever l’esprit par la force du sacrifice : comment, en unissant au corps l’esprit élevé, vaincre et élever le corps : comment enfin, dans cette élévation commune de l’esprit et du corps, vivre par l’esprit dans le corps, et cela afin que l’esprit, le corps et la vie, toute action de l’homme, tout son être s’élève de plus en plus à la hauteur que Dieu a assignée par son Verbe, que Jésus-Christ, le Verbe incarné, a montrée à l’homme. De là il s’ensuit naturellement que le sacrifice chrétien est triple, c’est-à-dire que ce travail, cet éveil, cet effort doit se faire d’abord dans l’esprit, ensuite dans le corps, et enfin dans toute la vie, dans tous les actes de l’homme.
Nous parlerons d’abord du sacrifice d’esprit, puisque tout doit commencer par l’esprit, qui est comme une source naturelle, puis, de l’esprit, passer dans le corps, et enfin dans la vie, dans les actions de l’homme. Toute action de l’homme qui ne vient pas de son esprit n’est pas son action propre, n’est que mensonge. Qu’est-ce donc que vivre dans le sacrifice d’esprit ? Voici, par exemple, qu’en te levant le matin, tu te sens dissipé, distrait, sec, porté à l’aigreur, sans amour, sans sentiment, etc. ; travaille, efforce-toi donc en toi-même, concentre-toi, accorde ton esprit, élève-toi au ton que Jésus-Christ a montré dans toute sa vie, et qu’il a transmis à l’homme, afin que l’homme s’accorde, s’élève à ce ton pendant des siècles ; dans ce travail, humilie-toi, éveille en toi la contrition devant Dieu, l’amour, le sentiment, l’attendrissement ; émeus-toi, vivifie-toi, enflamme-toi intérieurement, crée en toi la patience, la paix intérieure, etc. Or, un tel travail de ta part sera le sacrifice de ton esprit : et lorsque, avec l’aide de la Grâce de Dieu, tu auras accompli ce sacrifice, lorsque tu auras vaincu toi-même tes difficultés, alors compare ton premier état intérieur à ton état présent, et tu sentiras de quelle grande importance est le sacrifice d’esprit qui t’a régénéré, changé en un homme nouveau. Répète ce travail dans le courant de la journée, de temps en temps, ne fût-ce qu’un moment, et travaille plus souvent et plus longtemps quand tu te sens faible, et quand des difficultés visibles et invisibles t’attaquent. Lorsque, te trouvant dans le monde au milieu des tons contraires, tu sens que tu dois y agir et que tu n’as pas la force nécessaire, éloigne-toi quelques instants de ce champ, rentre en toi-même, travaille dans ton esprit, ravive-toi, renouvelle-toi et fais tout cela doucement, paisiblement. Souvent un seul mouvement de l’esprit vers Dieu, un seul soupir sont suffisants ; dans le ton de Jésus-Christ, point de violence, d’impétuosité ; c’est un bon cheval que celui qui ne se cabre pas, ne s’élance pas, mais tire également et paisiblement. Satan ne craint pas les mouvements subits, forcés, ces éclairs qui, n’ayant pas de foyer dans l’âme de l’homme, passent sans fruit comme un feu de paille ; Satan ne craint que la vigilance continuelle, le sacrifice fait continuellement et pas à pas, car cela seul maintient l’homme dans la voie chrétienne, sous l’aile de Dieu.
Lorsque, par ton sacrifice, tu as dégagé ton esprit et que tu l’as accordé au ton destiné, ne t’arrête pas là, comme le font plusieurs qui vivent en esprit seulement, dans la prière seule, dans la contemplation. Souviens-toi que Dieu t’a créé, a uni ton esprit au corps, afin que ton esprit vive dans le corps, afin que par cette vie le Verbe de Dieu, vivant jusqu’à présent dans l’esprit seul, vive sur la terre par toi, comme il a vécu par Notre Seigneur Jésus-Christ. Le Verbe incarné, après la mort de Jésus-Christ, enseveli par la mauvaise volonté de l’homme, attend depuis des siècles une telle résurrection, et cette résurrection ne peut s’accomplir que par le sacrifice plein, indivisible, c’est-à-dire par le sacrifice s’accomplissant dans l’esprit, dans le corps et dans la vie 24. Et ainsi, après avoir prié le matin, après avoir travaillé sincèrement dans l’esprit et y avoir réparé ce qui y était dérangé, passe au sacrifice de corps ; fais rentrer ton esprit dans le corps, pénètre, vivifie le corps par le ton, les sentiments, la vie que tu as réveillés dans ton esprit, et ensuite, dans cette union, dans cette harmonie de l’esprit avec le corps, ayant pénétré le corps par l’esprit, mets-toi à la vie, à tes travaux, à tes occupations ; c’est-à-dire, par ton esprit ainsi préparé et vivant dans le corps, pousse sur le corps, car vivre, c’est pousser par l’esprit sur le corps. Celui qui ne fait pas cela, tout en vivant en esprit, est mort sur la terre, ou, du moins, vit d’une vie qui n’est pas sa propre vie, qui est inférieure à celle de son esprit.....
...... Lorsque, ayant déjà accompli deux parties du sacrifice, tu as dégagé, ému, vivifié ton esprit, et l’as fait passer dans le corps, lorsque tu es devenu un chrétien vivant, continue ton sacrifice, passe à sa troisième partie, au sacrifice d’action : produis sur la terre les fruits du mouvement, de la vie de ton esprit et de ton corps. Ces fruits, tu peux et dois les produire dans chacune de tes occupations, dans toutes les voies de ta vie. Le monde entier, tout état dans le monde, toute condition de l’homme, c’est le champ où doivent être produits les fruits du sacrifice d’esprit et de corps, c’est le champ de la vie chrétienne, de la vie du Verbe de Dieu par l’homme. Il n’y a point d’exceptions ; le sacrifice chrétien peut et doit être appliqué à toutes les actions qui se rattachent à la vie de l’homme ; tout ce qui jusqu’à présent était fait par la force terrestre, païenne, avec l’aide de l’esprit de la terre, du prince de ce monde, tout cela, dans le temps, avec l’accroissement du christianisme, sera fait avec l’aide de Jésus-Christ, par la force céleste, chrétienne, c’est-à-dire par la force de l’amour et du sacrifice chrétien, sacrifice d’esprit passé par le corps et produit comme fruit en action 25.
Fermement établi sur cette base essentielle du sacrifice chrétien qu’il savait, sous mille formes, rendre claire et palpable à tous selon les dispositions personnelles de chacun (base de laquelle il faisait découler tout et à laquelle il ramenait tout), Towianski sentait de suite dans celui qui l’approchait quelle était la direction habituelle de son âme, quels étaient ses défauts, par exemple : les vols de l’imagination et la dispersion de l’esprit ; l’absorption dans le travail intellectuel seul ou dans les pratiques de la religion seules ; l’esclavage de la terre et de l’esprit du monde, la coquetterie, l’orgueil et la dureté, l’inertie et la mort intérieure, le découragement, etc.
Il montrait à chacun combien ces directions étaient fausses et leurs conséquences funestes ; il montrait les moyens pour en sortir et pour entrer dans la voie droite et s’y élever.
De cette base, il résolvait dans une admirable unité toutes les questions relatives à la pratique de la vie privée et publique qui lui étaient présentées. Selon le genre d’occupations, selon la position sociale de ceux qui le consultaient, il montrait, par exemple : comment on doit élever et instruire la jeunesse 26 ; comment arriver à la pleine pureté d’esprit et à la véritable fraternité chrétienne, soit avec tout prochain en général, soit dans les rapports mutuels entre l’homme et la femme 27, soit dans les habitudes journalières de la vie conjugale 28 ; comment cultiver les sciences et les arts, la médecine, le droit, la musique 29 ; comment exercer les charges publiques, l’agriculture, le commerce, l’industrie, agir avec les paysans et les ouvriers ; comment enfin guider les âmes et gouverner les nations. De sorte qu’on peut dire qu’il n’y a pas de détour qui n’ait été combattu par lui, de ton faux qui n’ait été frappé, de problème religieux, social ou politique qu’il n’ait pas résolu dans sa racine, en résolvant le problème fondamental de l’existence humaine dans ses manifestations principales.
Par conséquent le but essentiel de son travail avec les individus était que chacun acceptât le sacrifice chrétien dans son essence, dans sa plénitude, et l’appliquât à toutes les actions de sa vie privée et publique ; qu’on rendit ainsi manifeste que la force supérieure introduite par Jésus-Christ sur la terre est capable de résoudre dans la vérité toutes les questions, d’élever toutes les manifestations de l’activité humaine à une hauteur que le monde ne connaissait pas jusqu’à présent.
Comme des personnes de nationalités diverses venaient à lui, – en aidant chacune d’elles à connaître et à corriger leurs propres défauts, il contribuait à éclaircir et à corriger les défauts de leurs nations respectives. La voie lui ayant été fermée pour résoudre les problèmes de l’époque dans la vie publique et politique des nations, il les résolvait dans les âmes, dans la vie privée et sociale des individus. Parmi ceux-ci, plusieurs se trouvaient en présence de graves devoirs envers leur patrie : et ainsi l’action qu’il exerçait sur les individus avait aussi une influence indirecte sur la vie publique de quelques nations. Dans les circonstances graves il s’adressait lui-même directement aux hommes les plus influents de ces nations. De cette manière, en servant les individus, il servait en même temps la société entière.
L’unité de sa vie était donc de tenir toujours ouvert en lui-même le canal de la communion avec le ciel et d’en manifester la vie céleste sur tous les champs d’action qui se présentaient à lui. D’où il résultait que, parlant avec lui, on se sentait être en présence d’un homme qui, vivant en même temps en rapport avec le monde spirituel et avec le monde terrestre, transmettait à celui-ci ce qu’il recevait de celui-là ; qui, soulevant le voile des temps et du monde sensible, montrait vivante l’action incessante du Verbe de Dieu qui, par des impulsions intérieures et des évènements extérieurs, ne cesse dans toute la suite des siècles de pousser les hommes à le reconnaître et à l’accomplir. On sentait avec une évidence palpable que tous les problèmes de l’humanité se résument en ceci : les hommes et les nations ont dévié de la voie que Dieu leur a tracée, leurs douleurs ne cesseront et les questions qui les agitent ne se résoudront que quand ils rentreront dans cette voie et s’y élèveront dans leur esprit, dans leur corps et dans leurs actions au moyen du sacrifice et de la force supérieure apportés par Jésus-Christ sur la terre.
Sa parole était si simple et si naturelle, si vivante et si évidente, qu’elle remuait le fond des consciences, portait en elle la marque divine de la vérité, la joie, la puissance du commandement, la force pour la pratiquer. Le caractère de sa personne était la simplicité et la dignité, la modestie, l’amour, l’énergie. Toute sa contenance inspirait la confiance et le respect. On sentait en lui un amour sans bornes, mais qui ne transigeait jamais avec le mal. Il fallait être soi-même dans cette disposition pour pouvoir entrer en communion avec un tel homme. Après chaque entretien avec lui, il semblait qu’un nouveau souffle de vie fût entré dans l’âme, qu’une nouvelle noblesse eût pénétré dans toute notre personne. Dans ces moments, toutes les difficultés disparaissaient, tous les problèmes étaient résolus, tous les sacrifices semblaient légers.
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CHAPITRE VII.
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Son action envers la France.
Dans le désir ardent que les desseins de la miséricorde et de la rédemption s’accomplissent pour les nations comme pour les individus, Towianski montrait à chacun la pensée de Dieu sur la nation à laquelle il appartenait : les défauts particuliers à cette nation, qui en arrêtent la réalisation : les devoirs particuliers qui en résultent pour les fils de chaque pays et dont l’accomplissement constitue l’amour véritable de la Patrie, le sacrifice efficace pour sa liberté, son progrès véritables. Il faisait cela avec chacun, sans distinction ; depuis le dernier homme du peuple jusqu’au chef de l’État.
Pour ce qui concerne la France, voici, à titre d’exemple, ce qu’il dit à plusieurs Français sur les conditions spirituelles de cette nation et sur ce que les Français doivent faire pour s’élever à la hauteur de leur vocation :
Malheureusement, le Français a perdu le mouvement d’esprit, le sentiment chrétien : et, au lieu de chercher à recouvrer ce trésor céleste qui seul pourrait devenir la source de sa véritable grandeur, il le remplace par le travail de l’intelligence et le mouvement des nerfs ; il vit comme si le ciel n’eût jamais touché son esprit. C’est pourquoi, tandis que l’esprit français vivant dans l’autre monde, sans le corps, est grand et riche de trésors chrétiens, célestes, l’homme, c’est-à-dire l’esprit vivant ici-bas, dans le corps, est petit, pauvre, misérable. Il faut que l’esprit français recouvre dans son corps sa véritable vie, sa grandeur, sa liberté ; il faut qu’il subjugue le corps et l’élève à la hauteur du ton de l’esprit ; il faut enfin qu’il vive et agisse, dans ce ton, sur tous les champs de sa vie privée et publique. Toute la tâche du Français, l’essence de sa vocation chrétienne se résume en cela ; et pour accomplir cette tâche, il lui faut, avant tout, éveiller en lui la vie intérieure qu’il a perdue, et, par ses mouvements, ses efforts chrétiens, se dégager et se relever de la boue morale dans laquelle il est tombé. Aussitôt qu’il aura éveillé son amour, son sentiment pour Dieu, pour la vérité, pour la justice, tout sentiment étranger et inférieur à cet amour disparaîtra ; cet amour remplira tout l’esprit français, pénétrera et élèvera son être tout entier, et sa vie, ses actions en seront la suite.
Les Polonais possèdent cette vie intérieure, ce sentiment chrétien, et c’est précisément parce que la Pologne porte intérieurement le foyer chrétien qu’elle est la nation la plus chrétienne ; mais il est très difficile aux Polonais de manifester ce foyer au dehors, dans leurs actions, et il leur faut un temps long pour y arriver. Les Français, au contraire, n’ont point de vie intérieure ; mais dès qu’ils la recouvrent, il leur est très facile de la réaliser aussitôt. C’est pourquoi une si grande pensée de Dieu repose sur l’union chrétienne de ces deux nations qui, dans ces jours où commence l’époque chrétienne supérieure, ayant été appelées les premières à faire l’Œuvre de Dieu sur la terre, doivent s’aider réciproquement dans l’accomplissement de leur sainte vocation. Cette pensée de Dieu commence déjà à se réaliser par l’union chrétienne des Français et des Polonais, serviteurs de l’Œuvre de Dieu.
En éveillant en soi le sentiment, l’amour pour Dieu, pour la vérité, pour la justice, le Français recouvrera sa communion avec Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ainsi que son union avec tous les esprits qui, dans l’autre monde et sur la terre, sont unis à Dieu. Sans cette union, l’homme n’est qu’un jouet des esprits inférieurs ; cette union seule le rend libre et fort. C’est pourquoi, lorsque Kléber disait à Napoléon : « Vous êtes grand comme le monde », il exprimait la vérité, car dans ce moment Napoléon était en union avec tout le monde des esprits. Or, cette union avec Dieu et avec les esprits fidèles à Dieu, avec nos pères, nos frères vivant dans l’autre monde, ne peut être recouvrée que par le mouvement d’esprit, car ce n’est qu’à ce mouvement que la Grâce et les bons esprits peuvent s’unir ; ils attendent de nous ce mouvement, pour renouer la fraternité avec nous.
L’homme qui est infidèle à ses liaisons séculaires, à son union avec Dieu et avec le monde supérieur, qui les oublie pour des liaisons inférieures, perd son caractère, n’a pas de caractère. Au contraire, celui qui est fidèle à son union avec le Ciel et avec l’autre monde, avec ses pères, ses frères qu’il a quittés en naissant sur la terre, celui-là recouvre son caractère, a un caractère. C’est à cause de son infidélité à ses liaisons sacrées que le Français ne peut supporter d’être seul, qu’il recherche sans cesse la société, la dissipation, l’activité terrestre. Celui qui n’est pas séparé du Ciel est loin de se satisfaire de la terre et de ses biens, il porte en lui la mélancolie chrétienne, l’aspiration vers le Ciel, il aime la solitude, ou plutôt, il ne se sent jamais seul dans cette grande et sainte société qui l’entoure invisiblement.
Les vieux invalides du temps de Napoléon Ier appartiennent au petit nombre des Français qui ne sont pas satisfaits et ne vivent pas dans la jouissance ; privés de leur élément, de cette grande vie dont ils ont vécu autrefois, ils portent en eux la mélancolie, le regret des temps passés, ils soupirent dans l’attendrissement de leurs âmes, et un mot suffit pour les émouvoir. En France, ce sont encore eux qui sont le plus près du christianisme.....
Depuis des siècles, l’incrédulité soufflée par Satan a germé et s’est développée en France, et de la France dans d’autres nations. L’incrédulité, c’est la folie. Quand, dans chaque moment de notre vie, nous sommes soumis aux lois du monde supérieur, invisible, nier ce monde supérieur, nier Dieu, le Ciel, c’est faire la même chose que si, étant soumis pour toute la règle de votre vie extérieure aux lois du gouvernement français, vous niiez l’existence de ce gouvernement.
Quel malheur que la perte de la foi ! La foi, c’est la base du salut, c’est le premier sentiment, le premier mouvement, par lequel seulement l’esprit peut se dégager de la boue du matérialisme dans laquelle il est tombé. Quand l’accomplissement de la pensée de Dieu, quand le progrès et le salut de l’homme dépendent uniquement de ce que l’esprit enchaîné dans le corps, dans la matière, fasse des mouvements chrétiens vers ce qui est supérieur, le Ciel, que, par ces mouvements, il se dégage de ses liens inférieurs, terrestres, et s’élève, en union avec le corps, à la hauteur que Dieu lui a destinée, quelle est donc l’importance de ce premier sentiment, la foi !..... Quand Dieu exige de l’homme l’amour, y aura-t-il l’amour sans la foi ?..... Quel est donc le malheur des Français, quel est le malheur de l’homme qui a laissé éteindre en lui la foi !..... C’est le démon qui souffle l’incrédulité ; les écrivains qui la propagent sont touchés, inspirés, gouvernés par les esprits de l’enfer. Qu’est-ce donc que d’oser analyser et juger ce qui vient de l’Esprit de Dieu, d’oser le soumettre à la basse, étroite et froide raison de l’homme !..... Après la mort, l’esprit d’un tel homme reste chargé de tout le mal que son exemple, ses paroles, ses écrits, contraires à la pensée de Dieu et au salut du prochain, ont pu faire durant sa vie et pourront encore faire après sa mort. Combien est donc terrible la responsabilité des incrédules.....
On peut dire que la cause radicale du mal en France, c’est l’oubli complet de Dieu. Nulle part plus qu’en France la notion même de Dieu n’est effacée ou pervertie. À côté de l’impiété déclarée, qui repousse Dieu et toute religion, et qui, au nom de la liberté et de la civilisation, entraîne à la licence, à l’anarchie, à la dissolution de tout ordre social, – à côté de cette impiété – règne la fausse piété qui, se couvrant du formalisme religieux et dénaturant l’esprit du christianisme, arrête le progrès véritable, et au nom de la religion et de l’ordre appuie le despotisme clérical et politique. – De cette racine empoisonnée sont sorties toutes les branches du mal : l’égoïsme, la recherche exclusive du bien-être matériel, l’amour effréné des jouissances, le mépris de tout devoir, et finalement la démoralisation qui, en abaissant les caractères et les consciences, a gangrené tous les membres du corps social. À part quelques âmes d’élite, dans lesquelles une étincelle du vrai christianisme se maintient au milieu des souffrances, âmes isolées et sans appui, voilà ce qu’est devenue la nation très chrétienne, la nation appelée par la volonté de Dieu à marcher en tête de toutes les autres dans la voie du progrès véritable !...... C’est donc, avant tout, contre ce mal, source de tous les maux, qu’il faut résolument ouvrir la campagne ; l’âme de chaque Français doit être le champ de bataille, et celui qui, franchement, sans se ménager, y combattra ce mal, et aidera ses frères dans ce même combat, celui-là aura bien mérité de Dieu et de la patrie.....
Dieu veut que la France cesse de s’appuyer sur les hommes et d’idolâtrer les hommes ; Dieu veut être reconnu comme le seul Maître souverain et infaillible ; Dieu veut que son règne vienne, que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Sous cette souveraineté suprême, immuable et éternelle, se constituera la France régénérée, où régneront en réalité, quelle que soit la forme du gouvernement, la liberté, l’égalité et la fraternité, et alors la France marchera dans la voie de sa grande et glorieuse mission !.....
Les Français portent en eux l’étincelle chrétienne, mais cette étincelle ne vit pas et ne se développe pas dans leurs âmes, étouffée qu’elle est par la terre et le mal qui y sont vivants. C’est pourquoi il y a en France de puissants foyers terrestres et infernaux, mais il n’y a pas de foyer chrétien ; le christianisme n’y est représenté que par des rayons dispersés et languissants, sans vie et sans force. Par suite de cela, la France n’a pas d’Église véritable ; car l’Église véritable, c’est le foyer céleste où l’esprit se concentre et vit d’après les lois de ce foyer, de cette Église.
Ce qu’il y a de plus difficile pour le Français, c’est de se concentrer, d’arrêter son esprit, ne fût-ce qu’un moment, de réfléchir sur lui-même. Il supportera toutes les souffrances du corps plutôt que de rentrer en lui-même, de se concentrer. C’est la maladie de toute la France : maladie intérieure qui dure depuis des siècles. Malheureusement, le Français ne connaît pas et ne veut pas connaître sa maladie, et, à cause de cela, il se lance dans de nombreux détours. Par exemple, un Français riche s’abandonne entièrement à la jouissance ; ne pouvant rester seul un moment, car cela l’oppresse, il donne des bals, il court les théâtres, il va à trois spectacles dans la même soirée, car au premier il a déjà vu l’actrice X. – son idole –, ce qui, loin de calmer, n’a fait qu’exciter sa fièvre, sa soif du plaisir ; il court donc à un second théâtre, de là à un troisième, ensuite à un souper splendide, etc. Et quand il sera mort, son esprit sera forcé de rester seul pendant des années et peut-être même pendant des siècles, tandis que, durant sa vie, il n’aura pas pu rester seul pendant cinq minutes.... Dieu dispose tout comme le plus juste Père et comme le meilleur Médecin ; Il trouvera le moyen de faire quitter aux Français leur détour ; mais les jouissances auxquelles ils se livrent actuellement leur préparent de grandes souffrances dans l’avenir ! Ô mes frères, il faut tous les jours, ne fût-ce qu’une demi-heure, rester seul avec Dieu ; cela peut faire éviter des souffrances séculaires !
On peut aimer Jésus-Christ et le servir, et cependant aimer aussi à s’amuser ; mais aimer le plaisir au point de haïr et de fuir tout sacrifice, l’aimer plus qu’on aime Dieu et sa volonté, voilà le crime ! car c’est autre chose d’aimer à jouir, ou de préférer sa jouissance à tout, de conserver en soi, en toute occasion, ce démon de la jouissance. Il est permis de s’amuser, mais Dieu demande que nous mettions sa volonté au-dessus de notre plaisir. Même en nous amusant, émouvons-nous pour le ciel, pour la vérité, et le plaisir deviendra pour nous une aide dans la voie chrétienne. N’avons-nous pas assez de jouissances licites pour nous récréer ? La nature, par exemple, est une source de jouissances pures et innocentes, qui aident à émouvoir l’âme et à l’élever vers Dieu ; mais, malheureusement, les Français ont perdu l’amour de la nature, l’union avec la nature, et ils cherchent dans des sources défendues un plaisir coupable, une jouissance criminelle pour leur esprit. Comment se fait-il qu’un Parisien peut toujours rester enfermé dans la ville sans tomber dans la tristesse ? C’est qu’il n’aime pas la nature ; et s’il sort quelquefois de la ville, ce n’est point pour s’émouvoir, pour attendrir son âme à la vue de la nature, c’est seulement pour prendre son plaisir d’une manière moins coûteuse, ou bien pour faire une diversion à ses jouissances ordinaires. À la campagne, comme en ville, le Parisien est toujours le même : léger, dissipé, évitant tout ce qui peut le faire rentrer en lui-même, il ne fait que badiner et jouir au milieu de ses compagnons de plaisirs....
L’esprit doit toujours être grave, sérieux, mais il peut se manifester sous diverses formes : parler d’une manière grave ou d’une manière légère, ce ne sont que des formes différentes ; mais en employant telle ou telle autre forme, il ne faut s’en servir que comme d’un moyen approprié à la circonstance, sans jamais perdre le caractère de son esprit. Dans la poésie, au théâtre, etc., souvent la vérité est rendue sous une forme légère, et, par cela même, elle est quelquefois plus accessible ; on ne doit donc pas rejeter quand même cette forme légère, mais il faut absolument ne s’en servir que pour produire le bien. – En quoi les Français pèchent-ils si gravement ? C’est que, dans leur légèreté, ils parlent et agissent contrairement à la nature de leur esprit, ils perdent leur vrai caractère. On ne peut exiger des Français qu’ils soient toujours graves ; leur esprit et leur corps étant dissipés, cela leur serait impossible, et si l’on voulait en faire des capucins, ils seraient capables de commettre des crimes ; – mais ce que l’on peut exiger d’eux, c’est qu’ils soient toujours purs, qu’ils ne se servent jamais de bons-mots, de la plaisanterie, de la raillerie, de l’ironie, pour écraser le bien, la vérité. Généralement, en France, la forme légère cache le vide intérieur et ne produit rien, mais souvent aussi elle sert à produire le mal, et le mal le plus terrible. C’est pourquoi, en France, le théâtre, la littérature et tant d’autres ressources destinées à éveiller et à maintenir la vie supérieure sont si souvent employés à un but diamétralement opposé à leur destination.....
Français, votre étoile éclipsée ne vous conduira et vous ne reverrez vos grands jours qu’après avoir déposé devant Dieu votre douleur sur votre passé qui vous a éloignés de Dieu, et votre désir de vous rapprocher de Dieu. Cet effort de votre esprit dégagé de ses liens est indispensable, comme étant le fruit de votre amour pour Dieu, pour votre liberté, pour votre progrès. Par cet effort seulement s’ouvrira pour la France la grande voie de sa destinée, se déploiera complètement sa vie, se manifestera la grandeur de l’homme conforme à la grandeur de son esprit. Cet effort seul ouvrira les grands trésors de l’esprit français amassés dans les siècles écoulés, trésors que le mal a tenus presque constamment fermés, trésors que Napoléon Ier n’avait ouverts qu’en partie, et qui sont destinés à se produire au grand jour et à se répandre en abondance.
Les Français s’exaltent facilement, mais l’exaltation ne leur suffira point pour sortir de leurs détours et rentrer dans la voie chrétienne. On peut s’exalter, et ne pas émouvoir son esprit ; on peut s’exalter, et tenir en soi son point impur ; car il n’y a que le mouvement chrétien, le sentiment vrai, du fond de l’esprit – ce mouvement, ce sentiment que le sacrifice, la croix de Jésus-Christ seule éveille et affermit dans l’homme – qui vainc le mal, qui chasse le démon et mérite la Grâce qui régénère et conduit l’homme dans la voie chrétienne.....
La France a besoin de voir l’exemple, de voir réalisée la vie chrétienne qui lui est destinée. Des millions de Français attendent que l’exemple de cette vie, de cette réalisation leur soit présenté par ceux qui sont appelés à les servir. C’est alors que la France se réveillera, déposera devant Dieu la douleur de ses détours et tressaillera, s’enflammera pour l’idéal vrai ; et comme le Français perce vite son corps et que chez lui l’action suit aussitôt son mouvement d’esprit, la France peut être changée en peu de temps. – Les serviteurs de l’Œuvre doivent faire le commencement, tracer le chemin, présenter l’exemple à la France.
Le Royaume de Dieu – le Ciel et l’autre monde fidèle au Ciel – veut sauver la France ; mais, pour cela, il faut qu’il trouve parmi les Français des organes par lesquels il puisse agir sur la nation. L’esprit de Napoléon, esprit tutélaire de la France, souffre de l’abaissement actuel de la grande nation et désire l’aider à s’en relever, payer par là la dette qu’il a contractée envers l’esprit français et achever de l’autre monde sa mission qui avait été interrompue en ce monde. Combien donc les Français, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, doivent désirer l’union avec l’esprit de Napoléon !.....
Cet esprit d’Israël, âgé, puissant, qui, pendant sa vie sur la terre, n’a pas eu d’égal, est venu, à l’approche de l’époque chrétienne supérieure, avec la mission de préparer le monde à entrer dans cette époque, de l’ébranler et de le purifier de ses anciennes souillures les plus grossières. Il ne vivait pas encore de la vie propre à l’époque supérieure ; une telle vie ne pouvait se manifester que dans l’époque même, et, comme précurseur, il n’y était pas obligé ; mais il a jeté dans le monde des rayons de cette vie, il a éveillé dans les âmes le germe des aspirations et des tendances nouvelles, supérieures, et aujourd’hui l’Œuvre de Dieu les éclaircit, les élève, et fraie la route pour les réaliser. Ce grand esprit, ayant penché vers la terre, transgressa sa mission, la Grâce l’abandonna, sa mission fut interrompue. Aujourd’hui, nous devons le sentir, ayant satisfait à la justice divine, il continue sa mission, il brille pour la terre comme une étoile pure. Serviteur fidèle et bras de Jésus-Christ, ange de la vie, de l’action chrétienne, il conduit à la vie et à l’action. C’est le guide que Dieu a destiné à la France, et ce n’est qu’en s’humiliant devant la pensée suprême qui repose sur lui, en s’unissant à lui, et en suivant ses inspirations, que la France pourra sortir du précipice où elle est tombée et accomplir sa grande destinée chrétienne. Vous voyez donc, mes frères, de quelle importance il est pour nous de mériter l’aide et la protection de l’esprit de Napoléon.
En invoquant l’aide de ce grand et actif serviteur de Jésus-Christ, invoquez aussi l’aide de l’esprit de Kosciuszko, qui, aujourd’hui, lui étant uni en Jésus-Christ, est son compagnon dans le saint service qu’il rend au monde. Par suite de la grande miséricorde de Dieu sur la Pologne et sur la France, l’étoile qui brillait pour la Pologne s’est unie à l’étoile qui brillait pour la France ; les deux esprits serviteurs de Dieu se sont unis, afin qu’à leur exemple et sous leur direction les deux nations s’unissent et s’élèvent, tant dans leur progrès chrétien, selon le modèle présenté par Kosciuszko, que dans leur progrès terrestre, selon le modèle présenté par Napoléon. – J’espère, mes frères, que vous sentirez la gravité d’une telle union de ces deux esprits et que, comme chrétiens et Français, vous en éprouverez une joie pareille à celle que j’ai éprouvée moi-même lorsque la miséricorde de Dieu a daigné me faire sentir cette vérité si importante par son essence, quoiqu’elle n’ait pas encore produit d’effets frappants pour les sens de l’homme. On attribue généralement une grande importance non seulement aux alliances, mais même à chaque rencontre des potentats de ce monde, et on n’en attribue aucune aux alliances de ces vrais potentats qui, accomplissant de l’autre monde la volonté de Dieu, continuant leur vocation, guidant les nations confiées à leur garde, tracent des directions à ce monde-ci et à ses potentats !...
Espérons, mes chers frères, que plus la France est plongée dans la mort et dans les ténèbres, plus son réveil et son éclat peuvent devenir grands et puissants. Un rayon de la Grâce, en touchant le germe français, peut faire sentir à la grande nation toute l’horreur de son abaissement actuel, peut en un moment faire éclore des héros chrétiens en France. C’est ce que nous devons attendre ; l’heure de Dieu sonne pour chacun, elle sonnera pour la France !...
Ces vérités qui résolvent le problème des douleurs et de l’avenir de la France, Towianski, ainsi qu’on peut le voir par ses écrits, les adressait et les appliquait à tous les Français qui venaient lui demander des conseils, soit sur leur position personnelle, soit sur les actions qu’ils se proposaient d’accomplir envers leur pays ; et jamais son aide ne manquait pour appuyer la bonne volonté, pour veiller à ce que chaque action découlant de cette base pure ne déviât pas dans son cours.
Lorsqu’il vit plus tard que, par suite de la direction prise par la France sous le second empire, des temps difficiles s’approchaient pour elle, il s’adressa directement à l’empereur Napoléon III en lui envoyant l’écrit suivant, qui lui fut remis le 31 mars 1866 par Monsieur Piétri, son secrétaire particulier :
Sire,
Il a plu à Dieu de me faire connaître sa volonté à votre égard et de m’appeler à vous la transmettre. C’est pour accomplir cet ordre suprême que je dépose à Votre Majesté le présent écrit ; c’est aussi dans ce but que je commence par me faire connaître à Votre Majesté, par lui faire connaître, au moins en général, quelle est ma mission et quelle a été jusqu’à présent ma conduite et ma position envers les gouvernements de la France.
Dans ces temps qui sont le commencement de l’époque chrétienne supérieure, Dieu m’a appelé à servir son Œuvre, à être l’instrument de sa volonté, le messager de l’appel qu’Il fait à l’homme, aux individus et aux nations, aux gouvernants et aux gouvernés, afin qu’ils sortent de leurs détours et rentrent dans la voie tracée et transmise au monde par Notre Seigneur Jésus-Christ ; afin que le christianisme, jusqu’à présent rejeté, ou accepté seulement dans ses formes, interprété selon la convenance de l’homme, et souvent même conformé à son péché, le christianisme, ainsi dénaturé dans son essence, recouvre sa pureté céleste et soit appliqué à toutes les voies de la vie privée et publique de l’homme.
Dès que se fut manifestée pour moi la volonté de Dieu de commencer en France l’accomplissement publie des devoirs de ma vocation, je quittai ma terre natale et j’arrivai à Paris le 15 décembre 1840 ; j’y annonçai le 27 septembre 1841, dans l’église archi-cathédrale, l’Œuvre de Dieu et le commencement de cette époque chrétienne supérieure, et j’exposai à mes compatriotes exilés ce que Dieu demande d’eux pour mettre un terme à leurs souffrances et leur rendre une patrie chrétienne, libre et heureuse. Quand l’Œuvre sainte eut germé dans le cœur de l’émigration polonaise, où il était destiné qu’elle germât d’abord, je me tournai vers la France, appelée à l’égal de la Pologne à être nation serviteur de Dieu, nation précurseur dans la voie du progrès chrétien ; je m’adressai donc, en 1842, à Sa Majesté le Roi Louis-Philippe ; mais on me refusa de le voir et de lui parler, et bientôt après on m’expulsa de France. En 1843, je me rendis à Rome pour présenter l’Œuvre de Dieu à Sa Sainteté Grégoire XVI, pour lui transmettre l’appel de Dieu, lui rendre compte de ce que j’avais fait jusqu’alors et demander sa bénédiction pour ce qu’il me restait à faire, selon la volonté de Dieu ; mais là je ne fus pas écouté non plus ; le gouvernement pontifical m’ordonna de quitter Rome, et je ne pus accomplir mon devoir envers le Saint-Siège qu’en adressant au Saint-Père une lettre que lui remit un Israélite converti par l’Œuvre de Dieu et devenu ardent chrétien, serviteur et apôtre de cette Œuvre. Les souverains, appelés à profiter les premiers des secours de la miséricorde de Dieu déposés dans son Œuvre, m’ayant ainsi fermé le champ de les servir et de servir par eux les peuples soumis à leur pouvoir, je me retirai en Suisse, en attendant qu’il plaise à Dieu de me rouvrir ce champ ; aussi, je retournai en France en 1848, dès que le gouvernement de la République française permit aux proscrits d’y rentrer. Mais, le 11 juillet de la même année, le jour même où j’allais présenter à l’Assemblée nationale un écrit dans lequel j’exposais ce que Dieu exigeait de la France pour détourner d’elle les calamités qui commençaient à l’affliger, et celles plus grandes encore qui la menaçaient dans l’avenir, je fus arrêté, jeté en prison, et, sans être entendu ni jugé, condamné à être déporté à Cayenne ; tout cela à cause de la mission que j’accomplis par la volonté de Dieu. Mais cette mission n’étant pas encore consommée, il plut à Dieu d’empêcher l’exécution de ma condamnation. Remis en liberté, je me rendis à Avignon. La Grâce de Dieu qui avait accompagné l’avènement de Sa Sainteté Pie IX me fit sentir la mission sublime du nouveau Pontife, celle de régénérer et d’élever l’Église actuelle, de lui rendre ce qu’on lui a ôté : l’Esprit de Jésus-Christ, l’amour, le sacrifice, la croix, cette essence céleste de l’Église ; de rendre aux formes et à l’enseignement de l’Église l’esprit et la vie dont on les a dépouillés. Le sentiment de cette mission, si salutaire pour le monde entier et si conforme à l’appel que Dieu fait dans son Œuvre aux ministres de l’Église et d’abord à son chef, me fit longtemps attendre à Avignon le moment favorable de porter mon service au Saint-Siège ; mais le Saint-Siège ayant pris une direction contraire à la volonté de Dieu, je sentis qu’il ne m’était pas destiné de le servir dans un tel état de choses ; je retournai donc en Suisse, en juin 1849, et depuis lors je n’ai plus quitté ce pays. La résistance de l’homme à la volonté de Dieu m’ayant ainsi ôté de nouveau la possibilité d’accomplir ma vocation sur le champ plus vaste qui m’était destiné, je n’ai cessé de l’accomplir sur le champ restreint qui me restait, en servant tout prochain de quelque religion et de quelque nationalité qu’il fût, qui réclamait mon service. Je dois déclarer à Votre Majesté que, voué uniquement à l’accomplissement des devoirs de ma mission, je n’ai appartenu durant tout ce temps, comme durant toute ma vie, ni à aucune secte religieuse, ni à aucun parti politique ; – Dieu et sa volonté, que je cherche dans chaque action, dans chaque circonstance de ma vie, c’est mon seul guide et ma seule fin en toutes choses. Le Seigneur a béni les faibles efforts de son indigne serviteur ; ainsi qu’au temps de Jésus-Christ, de même de nos jours, l’Œuvre sainte, triomphant du mauvais vouloir des puissants de ce monde, a pris racine dans les cœurs des petits et des humbles ; elle porte déjà ses fruits salutaires, et tôt ou tard elle embrassera et sauvera le monde.
Telle a été, Sire, ma conduite et ma position envers les gouvernements français qui ont précédé celui de Votre Majesté.
Dès que vous parûtes, Sire, sur le sol de la France, je conçus l’espoir que, comme héritier du nom et du sang du grand homme qui a été précurseur de cette époque chrétienne supérieure, vous m’ouvririez, à moi serviteur de cette époque, le champ d’accomplir envers vous, et par vous envers la France, le devoir de ma mission. Vous avez reçu, Sire, une tâche grande et difficile ; la France, appelée, comme nation très chrétienne, à être le flambeau des nations, devait recevoir sous votre règne une direction supérieure, digne de sa haute vocation ; et il vous était destiné, à vous, Sire, d’accepter dans l’Œuvre de Dieu l’aide pour accomplir votre tâche.
Connaître cette Œuvre, connaître et accepter l’appel suprême qui y est fait, c’était votre devoir, Sire ; l’accomplissement de ce devoir aurait rendu votre règne conforme à la Volonté suprême et aurait donné pour les siècles, à la France qui vous a confié ses destinées, la direction qui lui a été tracée dans les desseins de la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi quelques-uns des serviteurs de cette Œuvre s’adressèrent à Votre Majesté, soit personnellement, soit par écrit, en 1851, en 1854, en 1857 et deux fois en 1863 ; de plus, des témoignages sur cette Œuvre ont été déposés, dans diverses occasions, à des personnes qui entourent le trône de Votre Majesté et qui font partie de son gouvernement ; et moi-même je n’attendais qu’un signe de la bonne volonté de Votre Majesté pour lui transmettre ce dont Dieu m’a chargé pour le bonheur et pour le salut de la France.
Sire, il est advenu tout autre chose que ce qui était destiné : votre règne et toute la direction de la France, toute sa vie sous votre règne, ont été contraires à la volonté de Dieu. Vous avez fait reculer la France au siècle de Louis XIV, siècle de la mollesse, des plaisirs, et vous vous êtes servi de cet esprit de mollesse, de plaisirs pour atteindre vos buts personnels ; par cet esprit vous avez abaissé et séparé du Ciel l’esprit national français, afin d’arriver plus facilement à subjuguer et à maîtriser la nation française. Le luxe matériel à côté de l’indigence morale, la grandeur et l’élévation apparentes à côté de la nullité et de l’abaissement réels, c’est le caractère essentiel de votre règne ; et le monde entier a suivi la France dans cette voie funeste, habitué qu’il est à subir en esclave la suprématie qu’exerce la France, tant par le bien que par le mal qui vit en elle et par elle. De là s’en est suivi l’oubli de ce fait si grave dans l’histoire du monde, que, de tout temps, Dieu a sévèrement puni pour ce péché les hommes et les nations ; l’oubli de ce fait si grave aussi dans l’histoire de la France, que c’est ce péché du luxe, de la mollesse et des plaisirs, arrivé à son comble, qui, après avoir complètement renversé la loi de Jésus-Christ en France, a donné naissance à la grande révolution, à cette lutte des principes et des péchés les plus opposés, à cette effusion du sang coupable et du sang innocent, et que ce n’est qu’après une telle expiation que Dieu envoya à la France un libérateur dans la personne de Napoléon Ier. Un des devoirs de sa mission de précurseur de cette époque chrétienne supérieure était de guérir la nation de sa lèpre morale, de la réveiller de sa léthargie, de lui présenter un idéal diamétralement opposé, de préparer ainsi la France, et par elle le monde entier, à entrer dans l’époque chrétienne supérieure, ouverte de nos jours.
Ainsi, au nom de Napoléon Ier, sous le règne de Napoléon III, l’Esprit de Napoléon Ier est parodié. Héritier de son nom et de son sang, vous avez cherché, Sire, par son nom et son sang, à hériter de sa gloire ; mais vous vous êtes détourné de son esprit, et vous en avez détourné la nation française, vous avez détruit son œuvre, en introduisant de nouveau en France le péché dont il l’avait délivrée ; par tout cela, vous avez crucifié l’Esprit de Napoléon !
Mais ce n’est que jusqu’à un certain temps qu’on peut gouverner les Français par les apparences de l’élévation et de la liberté, en les étourdissant par des buts terrestres, en les poussant dans la voie des excès matériels ; tôt ou tard arrive un moment où le Français se relève de sa léthargie morale et de son abaissement.
Tandis que la position de la France est si triste, celle du monde entier ne l’est pas moins. La résistance de l’homme à la Volonté suprême, transmise au monde il y a plus de dix-huit siècles, est arrivée à son comble ; et pour le monde ont commencé des jours sombres et douloureux, jours du jugement et de la punition de Dieu. L’abaissement des souverains et des nations étant devenu général, Dieu exige la pénitence qui seule peut les éclairer et les élever, car dans ces temps, nul ne pourra voir par sa propre lumière, ni rester debout par sa propre force. Les nations souffrent et font pénitence, quoique involontairement, sous la punition de Dieu ; les souverains seuls se maintiennent et échappent encore à la loi générale par les forces et les moyens de la terre, et même de l’enfer ; mais Dieu ne veut plus souffrir l’offense du ciel !...
Et pour vous aussi, Sire, approchent des jours graves et décisifs ; vous le pressentez et c’est avec raison que ces jours vous alarment ; cependant il y a encore pour vous une voie de salut.
Tournez-vous vers Dieu, Sire, faites dans votre âme ce que Dieu réclame de vous : satisfaites à sa justice, vouez désormais votre vie à la réparation du passé et à l’accomplissement de ce qui vous est destiné, et en faisant cette pénitence active que Dieu exige de vous, mettez votre confiance en Dieu seul, appuyez-vous sur Lui, et ne puisez qu’en Lui la force qui vous est nécessaire. Tous les autres moyens, efficaces pour vous dans le passé, seront désormais de moins en moins efficaces, et la persistance à y recourir amènerait des conséquences désastreuses.
Vous combattez et vainquez, Sire, vos adversaires, et vous prenez le dessus sur ceux qui aspirent au triomphe et au règne de la vérité en France ; par vos succès, vous élevez de plus en plus votre édifice ; vos succès font que le mal, en établissant sa puissance dans ce monde, triomphe par le chef de la nation appelée la première à être apôtre du bien, de la vérité, et par là à faire triompher Jésus-Christ. Dans vos succès est le plus grand danger pour Vous, Sire, et pour ceux qui, en s’unissant à vous, à vos principes, à votre système, construisent avec vous votre édifice ; car de tels succès, en élevant cet édifice jusqu’à son sommet, avancent le moment de son écroulement et de la punition de ceux qui le construisent. De tels succès sont pour la France une grande tentation et une grande épreuve, dans laquelle la nation très chrétienne est appelée à manifester devant Dieu et devant le monde combien elle a en elle de christianisme, d’amour de Dieu ; de cet amour qui ne se laisse pas séduire, mais qui distingue le bien du mal, la vérité du faux, et, par conséquent, qui distingue l’édifice conforme à la volonté de Dieu des édifices contraires à cette volonté. Dieu voit et compte les fruits que les Français produisent sur ce champ, et, d’après ce compte, sera tracée la direction de la France pour son avenir ! Quel grand devoir, quel besoin pressant n’avez-vous donc pas, Sire, de ne pas attendre que votre édifice arrive à son sommet et qu’alors le bras de Dieu le renverse, mais d’arrêter volontairement, au milieu des succès même les plus grands, la construction de cet édifice et de commencer au plus tôt à bâtir celui qu’il vous est destiné de bâtir sur la base vraie et avec la force vraie.
Voilà, Sire, ce que par la volonté de Dieu je transmets aujourd’hui à Votre Majesté ; j’accomplis ainsi envers elle mon devoir de serviteur de Dieu et de serviteur de l’homme ; trouvez donc juste, Sire, que dans cette action j’agisse en dehors des règles et des convenances du monde, car, parlant au nom de Dieu à votre âme, à votre conscience, je ne puis agir qu’en me tenant en la présence de Dieu qui nous regarde et qui juge, et celui qui doit transmettre sa volonté, et celui qui doit l’accepter et l’accomplir.
Quel que soit le jugement que vous portiez aujourd’hui, Sire, sur l’action que j’accomplis envers vous, vous reconnaîtrez tôt ou tard que l’unique mobile de cette action, c’est mon obéissance à Dieu, mon amour du bien véritable de la France et du vôtre, et mon dévouement afin de contribuer à ce bien, autant que cela me sera permis ; vous reconnaîtrez, Sire, que pour vous servir dans l’intérêt de votre vrai bien temporel et de votre salut éternel, je n’ai pas hésité à vous dire la vérité telle qu’elle est, à m’exposer ainsi à ce que vous soyez contre moi peut-être pour cette vie entière, convaincu que, dans votre vie future, vous sentirez la vérité, Sire, et que vous vous unirez à celui qui vous l’a présentée. En tous cas, je rends grâces à Dieu de m’avoir donné de vous servir, Sire, dans cette vie, et de ce qu’ainsi je serai pur devant votre Esprit quand nous paraîtrons devant le tribunal de Dieu.
Que Dieu miséricordieux garde la France sous sa très sainte protection !..... Que l’Esprit de Napoléon, purifié par la pénitence qu’il a faite en ce monde et en l’autre monde, et appelé à guider la France, reprenne la place qui lui est due dans les cœurs des Français qui, plongés dans le matérialisme et dans la jouissance, se sont détournés de lui, l’ont oublié, l’ont rendu inactif, l’ont condamné à l’isolement, à un gouvernement Napoléonien !... Ô ! lève-toi de ce tombeau, Esprit Serviteur de Dieu, Esprit tutélaire de la France, Ange de la vie, de l’action et de l’énergie chrétienne, et commence la vie qui t’est destinée ; consomme de l’autre monde ce que tu as commencé en ce monde ; continue à réveiller l’esprit de l’homme de son apathie, de sa mort, ainsi que tu l’as fait de ton vivant ; par là fais vivre le christianisme, mort dans le monde et surtout dans les nations civilisées qui, s’étant vouées exclusivement à la terre, ont négligé le ciel et le christianisme qui en est la route ; satisfais ainsi à Dieu et à l’humanité pour les fautes de ta vie sur la terre, satisfais à la nation confiée à ta tutelle, et retrouve enfin cette paix éternelle dont te privent encore le mal et les hommes unis au mal !... Que la terre, en dépit de ses lois ennemies du ciel, connaisse au plus tôt ta mission chrétienne et te reconnaisse tel que tu es devant le ciel !... Que la grande nation qui t’a suivi pendant ta vie sur la terre suive au plus tôt ton Esprit, tes saintes inspirations, que par là elle détourne d’elle le juste courroux du ciel, qui la menace !...
C’est l’objet de la prière que, dans mon indignité, j’élève depuis des années vers la Miséricorde Suprême, comme serviteur, organe de ce grand Esprit, comme serviteur de la France et de ceux qui la gouvernent.
Puissiez-vous, Sire, vous unir à cette prière et contribuer à ce qu’elle se réalise en France et, par la France, dans le monde entier ; et le premier pas vers une telle union et une telle réalisation, en vous faisant entrer dans la voie qui vous est destinée, sera le commencement de votre salut présent et éternel ; vous vous soumettrez à Notre Seigneur Jésus-Christ qui gouverne le monde jusqu’à la fin du monde, vous vous unirez à l’Esprit de Napoléon ; pour vous s’ouvrira la source de la force supérieure si indispensable à ceux qui gouvernent la France, et, avec cette force, vous vous élèverez vous-même et vous élèverez la France à la hauteur qui vous est destinée, à vous et à la France.
Je ne cesserai de vous assister, Sire, par ma prière, comme votre serviteur en Jésus-Christ, d’autant plus zélé que votre position est de plus en plus grave et difficile devant Dieu et devant les hommes.
Sire, j’ai senti le devoir de faire tout mon possible pour que cet écrit, contenant ce qui est entre Dieu et votre conscience, ne soit connu ni dans votre ambassade en Suisse, ni dans votre cabinet à Paris. Sachant de plus que l’accès auprès de la personne de Votre Majesté est difficile et souvent même impossible, j’envoie cette lettre par un homme digne de confiance que je charge de trouver une personne qui remette mon écrit entre les propres mains de Votre Majesté ; et seulement dans le cas où il serait impossible de trouver une telle personne, de le remettre à celles qui sont chargées de recevoir les lettres adressées à Votre Majesté.
Quels obstacles visibles et invisibles ne doit pas surmonter la vérité avant de parvenir jusqu’aux cœurs des souverains !... Je fais ce que je peux pour être pur devant Votre Majesté, et j’ai la confiance que Dieu, de qui j’accomplis la volonté, fera le reste.
Je suis, Sire,
de Votre Majesté Impériale
le fidèle serviteur en N. S. Jésus-Christ
ANDRÉ TOWIANSKI.
Zurich, le 28 mars 1866.
Deux années environ s’écoulèrent ; et ne voyant pas la condition de la France s’améliorer, la voyant même toujours empirer, Towianski écrivit à l’impératrice Eugénie une lettre qui lui fut remise personnellement le 28 février 1868 par Monsieur Damas-Hinard, secrétaire de Sa Majesté. La voici :
Madame,
Obéissant à la volonté de Dieu, j’ai exposé à Sa Majesté l’Empereur, il y a bientôt deux ans, la situation de la France et les devoirs de Sa Majesté envers Dieu, envers la nation qu’Elle gouverne, et envers Napoléon, esprit tutélaire de cette nation. Aujourd’hui je m’adresse à Votre Majesté pour le même motif et dans le même but, avec la confiance qu’en vraie catholique, ayant dans l’âme l’amour et la crainte de Dieu, Votre Majesté portera son attention sur ce qui lui est transmis dans le présent écrit, et qu’Elle trouvera juste que, comme serviteur en Jésus-Christ, n’ayant égard qu’au salut de ceux qu’il sert, je lui transmette la chose de Dieu telle qu’elle est.
Depuis qu’a été exposé à Sa Majesté l’Empereur ce que Dieu exige de lui, rien n’a changé en mieux quant à l’esprit de la nation française ; au contraire, le mal a sensiblement empiré. La nation si chrétienne par la nature de son esprit, appelée à être pour le monde le flambeau, le précurseur du progrès chrétien, ne se réveille pas de sa léthargie, mais s’éloigne de plus en plus de l’accomplissement de ce que Dieu exige d’elle ; de plus en plus elle s’abaisse, se souille en esprit, et répand le scandale dans le monde... En France, Mammon et le péché sont glorifiés ; sur le champ de la religion, sur les champs de la vie privée et de la vie publique règne l’impiété... La France perd de plus en plus son vrai caractère, elle perd toutes ses qualités chrétiennes ; l’esprit du christianisme en est banni, et même ce commandement que Dieu a donné par Moïse : Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face 30, y est aboli, l’idolâtrie s’y étend de plus en plus, Jésus-Christ y est crucifié !... Il faut craindre que les conséquences de ce crime, consommé au dix-neuvième siècle chrétien, ne retombent bientôt de tout leur poids sur ceux qui le commettent !...
L’état si déplorable du christianisme en France se manifeste de la manière la plus désastreuse dans les rapports entre l’homme et la femme. Sur ce champ, les torts mutuels et l’offense à Dieu sont grands dans le monde entier et surtout en France : ce champ est dans le monde comme un vaste royaume du mal, dont la France est la capitale !.... Tandis que la destinée de la femme, plutôt spirituelle que terrestre, ne peut être accomplie que par la force puisée à la source ouverte par Jésus-Christ, la femme, en abandonnant cette source, a perdu la force d’accomplir sa destinée ; et dès lors, en puisant une force illicite à des sources illicites, elle s’est abaissée encore plus que l’homme, elle s’est éloignée plus que lui de sa destinée, elle a dénaturé la pensée de Dieu qui repose sur elle !..... Grande est la part de l’homme dans cette œuvre du mal ; loin de donner à la femme l’aide et l’appui qu’il lui doit, l’homme ne lui présente que des obstacles et des tentations ; il n’apprécie dans la femme que sa valeur extérieure, ses grâces, ses attraits charnels et tout ce qui en augmente la puissance, il apprécie en elle jusqu’au péché même ; tant que la femme est riche de cette valeur si funeste, l’homme l’idolâtre ; dès qu’elle la perd, il la méprise ; en agissant ainsi, il tente la femme à dédaigner la vertu, la valeur intérieure, et à ne faire cas que de la valeur extérieure..... Dans ses rapports avec la femme, l’homme met toute vérité à l’écart, il perd tout caractère, non seulement le caractère chrétien, mais même le caractère terrestre ; les hommes d’une droiture irréprochable sur d’autres champs de la vie deviennent sur ce champ flatteurs, menteurs, trompeurs, et en même temps esclaves. Et la femme, appelée à être l’étoile lumineuse de l’homme, devient pour lui une étoile sombre qui l’entraîne dans les détours, et l’y abaisse. Ainsi, ce champ destiné à être pour l’homme et pour la femme la source d’une aide chrétienne mutuelle et d’un vrai bonheur est devenu la source d’un empêchement mutuel au salut et d’un malheur toujours plus grand ; il est devenu le tombeau de la vérité, de la liberté et de la tendance chrétienne !.... Le malheur qui vient de cette source est plus grand dans la France que dans d’autres nations, parce que, la France s’étant éloignée davantage de la voie chrétienne, l’abaissement intérieur de la femme y est plus grand ; et il y est d’autant plus dangereux qu’il est accompagné de l’éclat de la civilisation extérieure poussée si loin, et que souvent même il est couvert des formes de la religion. Cet abaissement de la femme exerce une influence funeste sur l’esprit national ; car, bien que l’homme n’admette pas la femme à la fraternité et ne la reconnaisse pas son égale, que, par conséquent, il lui refuse le droit de participer à ses déterminations et à ses actions, néanmoins il subit l’influence puissante que la femme exerce sur son esprit, sur cette source de sa vie, de ses actions, sur cette source de ses comptes devant Dieu et des directions heureuses ou malheureuses qui se tracent pour lui d’après ces comptes. Et l’expérience de tous les temps prouve combien cette influence de la femme sur le monde dépend de l’exemple qu’elle reçoit des femmes qui sont placées dans les rangs supérieurs de la société afin d’y être des luminaires pour les autres.
Ce n’est pas la loi terrestre, la loi générale du monde, mais c’est Dieu qui vous a élevée si haut, Madame, pour que la pensée qu’Il a fait reposer sur vous soit accomplie. Cette exception à la loi de ce monde est destinée à être pour vous, Madame, un stimulant de plus à accomplir cette pensée de Dieu, en vous soumettant à la loi céleste de Jésus-Christ, en vous appuyant uniquement sur la vérité que Jésus-Christ a apportée et transmise au monde par ses sacrifices, ses paroles, ses actions..... Élevée au trône de France, vous êtes, Madame, parmi les Français, la première après l’Empereur, la première parmi les femmes en général, et même parmi celles qui sont à la même hauteur sociale que vous ; vous êtes élevée à ce poste d’une si haute importance afin de donner l’exemple chrétien aux femmes du monde entier, et surtout à celles qui appartiennent aux classes supérieures de la société et qui malheureusement suivent et donnent l’exemple funeste présenté sous le règne de Louis XIV ; vous êtes élevée à ce poste afin d’aider les femmes à se tourner vers l’idéal suprême qui leur a été présenté par la Mère de Dieu, idéal dont elles se sont tant éloignées !....
De cette grande destinée résulte pour vous, Madame, une grande responsabilité devant Dieu, devant le monde présent, et même devant les générations futures, car dans ces jours se tracent les directions futures du monde. C’est pourquoi, Madame, vous avez un intérêt d’autant plus grand à connaître et à accomplir les devoirs attachés à votre grande destinée ; et puisque la volonté de Dieu m’appelle à vous servir aujourd’hui, je vous présente ces devoirs.
Cherchez à connaître et accomplissez la réclamation et l’appel que, dans ce temps où commence l’époque chrétienne supérieure, Dieu fait à l’homme dans l’Œuvre de sa miséricorde, dont il a été témoigné en diverses circonstances devant les autorités spirituelles et temporelles de la France ; acceptez le christianisme vrai, vivant, dont l’essence est le travail intérieur, le sacrifice, la croix transmise par Jésus-Christ ; par la force de ce sacrifice, de cette croix, élevez-vous d’abord vous-même à la hauteur que, comme femme chrétienne placée sur un trône si important, vous êtes appelée à présenter aux femmes du monde entier ; accomplissez le devoir d’épouse, sœur en Jésus-Christ, soyez une étoile pour celui à qui vous êtes unie par le lien du mariage ; prenez la part qui vous est destinée dans les actions de Sa Majesté l’Empereur, veillez surtout afin que ses actions viennent d’un esprit vrai, pur, car tout autre esprit, fût-il même revêtu des formes et des apparences de la vérité, de la pureté, ne peut qu’être de plus en plus funeste à la France et à ceux qui la gouvernent : que tout ce qui se rapporte à ce champ soit l’objet de votre sollicitude, de votre sacrifice : invoquez en cela l’aide de Dieu, contribuez ainsi à ce que la réclamation de Dieu, présentée à Sa Majesté, soit accomplie. Comme chrétienne libre, soumise avant tout à Dieu, à sa Volonté suprême, présentez partout le caractère chrétien, déclarez la vérité, faites opposition au faux par vos paroles et vos actions ; par cela élevez l’étendard de Jésus-Christ sur tous les champs que Dieu vous a ouverts et vous ouvrira à l’avenir ; par cela donnez à Jésus-Christ le triomphe qu’Il attend aujourd’hui de l’homme en général, et d’abord de ceux qu’Il appelle à gouverner, et par conséquent à aider, à servir l’homme.
Afin d’accomplir ces devoirs, profitez, Madame, des aides, profitez de la lumière chrétienne plus grande que la miséricorde de Dieu donne dans ces jours au monde. En appelant l’homme à l’époque supérieure, à un degré plus élevé de la voie chrétienne, Dieu éclaire ce degré d’une lumière plus grande, lève en partie le voile des mystères évangéliques ; ce que Jésus-Christ a laissé sous le voile, lorsqu’Il a donné la lumière et a tracé la voie pour toutes les époques, devient, pour ce qui est destiné à l’époque actuelle, clair et compréhensible, afin que l’homme puisse plus facilement l’accomplir. Profitant de cette lumière plus grande, cherchez, Madame, à connaître ce qu’est réellement le christianisme, et à le distinguer des formes chrétiennes qui le manifestent aux sens de l’homme, mais qui, étant prises pour le christianisme même, éloignent du christianisme ; cherchez à connaître ce qu’est aujourd’hui la femme, et ce qu’elle doit être selon la pensée de Dieu qui repose sur elle ; cherchez à connaître ce que Dieu exige de la France et de celui qui la gouverne ; et faites tout ce qui dépend de vous pour que la volonté de Dieu soit accomplie sur tous les points du champ où vous êtes appelée à servir Dieu et le prochain.
Tels sont, Madame, les principaux devoirs attachés à votre destinée. En accomplissant ces devoirs, en portant la croix que Dieu a mise sur vous, vous mériterez sa bénédiction, et vous serez aidée et appuyée par l’esprit de Napoléon, aujourd’hui fidèle serviteur de Dieu et sans l’aide de qui ceux qui gouvernent la France ne peuvent rien faire pour son bien réel. En portant cette croix, vous distinguerez la vraie Église de Jésus-Christ de l’Église actuelle, où règne un esprit contraire à Jésus-Christ, vous entrerez dans l’Église vraie et elle répandra sur vous ses bienfaits célestes : vous y trouverez pour votre âme un asile salutaire au milieu des orages du monde, où vous vivez : vous y trouverez le vrai bonheur en cette vie, et la voie d’une éternité heureuse vous sera ouverte, comme à une fille fidèle de l’Église. En portant cette croix, vous acquitterez la dette que, ne remplissant pas les devoirs de la position élevée où Dieu vous a placée, vous avez contractée envers l’esprit de la nation française, et qui vous a liée avec cette nation par les mêmes comptes devant Dieu ; vous vous dégagerez de ces comptes, de ces liens qui pèsent invisiblement sur votre esprit, et alors vous dissiperez, autant que cela vous sera donné, les nuages du mal qui entourent aujourd’hui le trône de France ; vous serez préservée des dangers qui menacent l’homme et surtout les souverains qui règnent dans ce temps si grave du passage à l’époque chrétienne supérieure, temps de direction, de la réclamation et de la punition de Dieu ; vous contribuerez enfin à ce que soit adoucie la punition de Dieu suspendue sur la France qui, ne s’arrêtant pas dans ses détours, comble la mesure de ses péchés.
Ce but sublime de votre destinée, vous pourrez, Madame, l’atteindre facilement ; grande est la miséricorde de Dieu qui se répand dans ces jours, et par l’effet de cette miséricorde, le moindre effort, le moindre sacrifice fait par l’homme produit de grands fruits ; une parole dite avec cet effort, dans ce sacrifice, pour défendre la vérité, fait descendre la Grâce, les forces célestes invisibles qui donnent le triomphe à la vérité prononcée. Et lors même que ce sacrifice est rejeté par ceux qui en sont l’objet, il n’est point perdu pour celui qui l’a fait ; Dieu le compte comme une action, comme un devoir accompli, et ce sacrifice, mis dans la balance de la justice de Dieu, acquitte les comptes de l’homme devant Dieu, et efface ses péchés. Ce sacrifice n’est même pas perdu pour ceux qui l’ont rejeté, car il les stimule jusqu’à ce que soit accompli ce qui leur a été présenté dans ce sacrifice. C’est ainsi que le sacrifice suprême consommé par Jésus-Christ, quoiqu’il ait été rejeté par le monde, stimule le monde et le stimulera durant les siècles, jusqu’à l’accomplissement de l’immuable volonté de Dieu, du Verbe de Dieu.
En terminant le service qu’il m’a été destiné de vous rendre, Madame, au commencement du carême, de ce temps qui rappelle plus particulièrement à l’homme le sacrifice que Jésus-Christ a accompli, la croix qu’Il a portée, je supplie dans mon indigne prière la miséricorde de Dieu qu’elle daigne vous aider à accepter et à porter la croix que Dieu a mise sur vous, à accomplir par la force de cette croix la pensée qu’Il a fait reposer sur vous, et à mériter ainsi sa bénédiction pour vous, pour la France et pour celui à qui la France a confié ses destinées.
Que la Grâce et la paix de Notre Seigneur Jésus-Christ soient avec vous dans cette vie et dans l’éternité.
Je suis avec un profond respect,
Madame, de Votre Majesté
le fidèle Serviteur en Jésus-Christ
ANDRÉ TOWIANSKI.
Zurich, le 24 février 1868.
Deux autres années s’écoulèrent encore. Au commencement de 1870, les premiers actes du ministère Olivier donnèrent un instant quelque espérance d’une meilleure direction pour la France, et Towianski chercha à continuer avec le ministre ce qu’il avait commencé avec l’empereur 31. Enfin, aussitôt que Napoléon eut entrepris la guerre malheureuse qui devait avoir de si funestes conséquences, dans son zèle pour le salut de l’empereur et de la nation, il lui écrivit encore le 6 août la lettre suivante :
Sire,
Au nom du salut de la France, je supplie Votre Majesté de tourner un moment son attention sur les quelques paroles que je lui adresse comme son fidèle serviteur en Jésus-Christ.
La guerre que vous avez entreprise, Sire, fait entrer la France dans le cercle de la punition de Dieu, elle commence pour la France une longue suite de souffrances et de calamités, annoncée par les prophètes de nos temps et par les avertissements surnaturels que la France, plus que d’autres nations, a reçus du ciel.
Menacée du châtiment de Dieu, ce n’est pas dans la force et les moyens terrestres que la France peut trouver son salut ; Dieu seul peut détourner le châtiment, éloigner les calamités, et ce qui est impossible à l’homme, le rendre possible. Je jure par moi-même, dit le Seigneur Dieu, que je ne veux point la mort de l’impie, mais que l’impie se convertisse, qu’il quitte sa mauvaise voie, et qu’il vive 32. Hâtez-vous donc, Sire, d’entrer dans le secret de votre âme, et prenez la résolution de servir Dieu et de gouverner conformément à sa volonté, de le faire en renonçant à tout ce qui dans vos désirs et vos projets pourrait être personnel, incompatible avec votre haute vocation, qui n’admet rien que la volonté de Dieu et le bien de la nation ; prenez la résolution de compter uniquement sur la force chrétienne, céleste, que Jésus-Christ a apportée dans le monde, et de n’employer la force et les moyens terrestres que comme instruments de cette force céleste ; et, soutenant en vous cette résolution, mettez toute votre confiance en Dieu. – Cette action accomplie dans votre esprit, et pour laquelle quelques instants peuvent suffire, influera d’une manière invisible, mais puissante, sur l’esprit de la nation ; par cette action vous mériterez la miséricorde de Dieu qui éloignera les fléaux prêts à frapper la France ; sous la protection de Dieu vous terminerez heureusement la guerre, et vous commencerez à conduire la nation confiée à votre direction vers l’accomplissement de sa destinée ; vous reprendrez le fil de la mission de Napoléon Ier interrompue depuis Waterloo ; – à ce moment la situation de la France et de son chef était la même que celle d’aujourd’hui, et des mêmes conditions dépendaient la victoire, le salut.
Sire, c’est mon devoir de vous affirmer qu’en vous adressant ces paroles, j’accomplis l’ordre de Dieu, et cette affirmation, si grave et si hardie dans la bouche d’un homme pécheur, je la prends sur ma conscience et ma responsabilité devant le tribunal de Dieu.
Ce que je vous expose aujourd’hui, Sire, d’une manière générale, peut être complété par mes lettres et par d’autres écrits sur l’Œuvre de Dieu déposés devant Votre Majesté.
Que Dieu vous donne la force de faire ce qu’il a destiné pour le bien de la France et pour le vôtre ! C’est l’objet de la prière que j’adresse à Dieu, avec ceux qui, partageant mes sentiments, sont prêts à tous les sacrifices pour que la nation appelée à être précurseur dans la voie chrétienne ne se perde pas dans les détours où elle s’égare.
Je suis avec un profond respect, Sire, de Votre Majesté,
le fidèle serviteur en Jésus-Christ
ANDRÉ TOWIANSKI.
Cette lettre fut confiée par Towianski à l’impératrice avec le billet suivant :
Madame,
Dieu m’ayant imposé le devoir de faire connaître à S. M. l’Empereur ce qu’il faut faire dans ces moments si graves pour mériter la miséricorde de Dieu pour la France, je recours à vous, Madame, plein de confiance que vous voudrez bien intervenir auprès de S. M. l’Empereur afin qu’il tourne son attention sur les quelques paroles que je lui adresse et que j’ose me permettre de confier aux soins bienveillants de Votre Majesté ; – plus que personne vous êtes intéressée, Madame, à ce que l’Empereur en prenne connaissance au plus tôt.
Béni soit Dieu qui, dans la situation si difficile de la France, ne cesse de veiller sur elle et sur celui qui la gouverne !
Ces deux lettres (que la légation française à Berne et le nouveau secrétaire de l’impératrice qui avait succédé à Monsieur Damas-Hinard ne voulurent pas accepter) furent remises entre les mains de l’impératrice par Madame Cornu, sa dame d’honneur, à laquelle le général Edmond Rozycki, fils du colonel Charles Rozycki, les avait confiées.
Les Français et les Polonais qui avaient senti combien étaient profondes et importantes pour la direction de la France les vérités que Towianski ne cessait de lui présenter, tâchaient de les réaliser dans l’accomplissement des devoirs de leur position, et d’arrêter sur elles l’attention du gouvernement et du peuple français.
Dès l’année 1844, Adam Mickiewicz, dans son cours de littérature slave au Collège de France (auquel accourait tout ce qu’il y avait de plus distingué à Paris par l’esprit, par la noblesse des sentiments et des aspirations), après avoir élevé par une parole inspirée son nombreux auditoire à une hauteur qui remplissait tous les cœurs d’étonnement et de joie, avait annoncé l’homme de Dieu, interprète vivant des temps actuels, des besoins de l’âme humaine dans cette époque, et de la voie sur laquelle seulement ces besoins pourront trouver leur satisfaction. Puis, s’étant adressé à ceux qui, parmi les assistants, connaissaient cet homme, pour qu’ils déclarent publiquement si c’était la vérité ou non, tous ceux à qui cette invitation était adressée levèrent la main et, debout, répondirent : « Oui, c’est la vérité ! »
Madame Gibey d’Affréville, femme d’un sentiment large et élevé, directrice à Paris d’une maison d’éducation pour les jeunes filles, avait appris dans ses entretiens avec Towianski, – auprès duquel elle avait l’habitude de se rendre pendant les vacances, – à pénétrer dans les cœurs de ses élèves, à en cultiver les qualités plus élevées, à coordonner leurs études de manière à ne pas affaiblir mais à alimenter la vie de l’esprit ; à leur faire sentir que l’unique guide, pour elles comme pour leurs supérieurs, devait être la vérité ; à leur faire connaître le monde tel qu’il est, afin qu’elles pussent y entrer exemptes des illusions ordinaires de la jeunesse, en éviter les périls et y introduire la vie chrétienne. Cette direction, prise et introduite dans son institution par cette excellente dame et les personnes qui l’aidaient, la transformèrent peu à peu en un centre de vie pure, conforme à l’esprit chrétien et à la vocation de la France.
Le colonel Charles Rozycki, chaque fois que s’offrait à lui l’occasion de manifester aux autorités politiques de la France ses propres opinions, n’a jamais manqué de leur exposer, avec sa franchise de soldat, ce qui l’avait régénéré lui-même et qui, seul, pourrait regénérer la France de même que la Pologne.
Mademoiselle Marie Letronne, fille du célèbre académicien, était en relation avec monsieur Damas-Hinard, secrétaire des commandements de l’impératrice, de qui il a déjà été question plus haut, et elle lui avait plusieurs fois parlé d’André Towianski, du bien qu’il faisait et de celui qu’il pourrait encore faire à la France. Monsieur Damas-Hinard, ayant exprimé le désir d’avoir des détails plus précis par Mickiewicz, qu’il savait être connu de mademoiselle Letronne, celui-ci lui donna un important mémoire écrit en 1853 et destiné à l’empereur.
Très important aussi est le témoignage présenté en 1854 par le major Louis Nabielak au ministre de l’intérieur, dans lequel sont résumés admirablement l’état de l’émigration polonaise, la condition de la France et sa vocation, l’action d’André Towianski, sa ligne de conduite et le motif des persécutions dirigées contre lui.
Edmond Mainard, Édouard Bournier, Jacques Malvesin, l’officier de marine Léon Dequillebecq, le général Edmond Rozycki et d’autres s’adressèrent, à diverses occasions, tantôt à des personnages influents, tantôt directement au peuple français, cherchant à le rappeler à la conscience de lui-même et de sa propre vocation, et cela, afin de faire éviter à la France les désastres qui la menaçaient, ou de l’aider à se relever de ceux qui, bientôt après, la frappèrent réellement 33.
À part de rares exceptions, personne ne tourna son esprit vers ces réclamations ; et, sur la pauvre France, se répandirent les malheurs que depuis nombre d’années Towianski montrait comme imminents, lorsqu’il disait dans la douleur de son âme : « Ou la France fera la volonté de Dieu et sera libre, ou elle ne la fera pas et les nations étrangères pourront l’envahir et la démembrer. »
Que Dieu daigne hâter pour l’esprit de la grande et noble nation française le moment de sa résurrection ; afin qu’elle puisse occuper au plus tôt le poste qui lui est destiné et duquel les autres nations attendent de la voir agir et marcher à l’avant-garde du progrès chrétien du monde !
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CHAPITRE VIII.
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Son action envers la Pologne et la Russie.
Brûlant du désir de voir s’accomplir les desseins de la miséricorde de Dieu chez les nations appelées à s’élever les premières à l’époque supérieure, André Towianski se sacrifiait également pour toutes. Mais comme le nombre de ceux qui acceptèrent avec ardeur l’appel à prendre l’esprit chrétien véritable et à le faire vivre dans la vie privée et publique fut plus considérable parmi les Polonais que parmi les fils d’autres nations, il eut, pour agir envers la Pologne et par elle envers la Russie, une sphère d’action beaucoup plus large. C’est pourquoi ce chapitre est le plus étendu de ce livre.
J’ai appris à connaître ce qu’est la Pologne véritable dans l’âme de Towianski : car chacun de ses sentiments, chacun de ses actes étaient conformes à ce qu’elle doit être, selon la pensée de Dieu, et tendait à l’élever à cette hauteur. Il portait la Pologne vivante en lui-même. Tout vrai Polonais trouvait en lui sa patrie.
Ses écrits relatent ce qu’il fit envers ses compatriotes individuellement : je n’en parlerai donc pas, me bornant à faire connaître la partie de son action plus spécialement dirigée à leur faciliter l’accomplissement des devoirs de leur vocation envers leur pays.
§ 1. – Guerre de Crimée et amnistie d’Alexandre II.
Dès que la rupture qui provoqua la guerre de Crimée parut imminente entre la France et la Russie, Towianski, présentant à ses amis ce mouvement au point de vue chrétien, leur fit sentir que, si, sur la ligne terrestre, l’action en Crimée serait un devoir envers la patrie, pour eux, au contraire, ce serait le rejet du sacrifice supérieur, auquel ils ont été appelés, – savoir, de montrer, au milieu du chaos actuel, le but voulu de Dieu, la voie pour y arriver, le devoir de marcher dans cette voie et de préparer ainsi à la Pologne une direction heureuse pour les siècles de son avenir. – Il les mit en garde contre ceux qui, parmi leurs compatriotes mêmes, les poussant aux sacrifices terrestres seuls pour la patrie, les tenteraient à déserter cette vocation élevée.
Puis, amenant peu à peu leur âme à sentir dans la vérité leur position et leurs devoirs envers la Pologne et envers le gouvernement russe, il résuma dans les paroles qui suivent l’essence de cette position et de ces devoirs, dont l’accomplissement peut seul devenir la base du salut pour cette grande et malheureuse nation :
Dieu, par son Verbe, appelant l’homme à un progrès ultérieur, a destiné un sacrifice supérieur à tous les sacrifices que, pendant des siècles, l’homme avait déposés devant Dieu, afin que, par la force du sacrifice supérieur, le progrès supérieur de l’homme se fasse. Ce sacrifice supérieur, le Fils de Dieu, le Verbe incarné, Notre Seigneur Jésus-Christ, l’a transmis à l’homme ; a transmis la croix, le joug, le fardeau supérieurs, que, pour donner l’exemple, Il a portés lui-même. Lorsque le Polonais, dans sa liberté passée, vivait sans ce sacrifice, sans cette croix, sans ce joug, Dieu l’a exposé aux sacrifices inférieurs et plus lourds, a mis sur lui les croix inférieures des souffrances et des douleurs, l’a soumis au joug inférieur qu’Il n’a pas destiné par son Verbe, mais qu’Il a permis comme pénitence pour le non-accomplissement de son Verbe. Ayant permis la pénitence, Il a permis en même temps des instruments pour conduire sur la voie de cette pénitence. Le Médecin suprême, au milieu des innombrables remèdes qu’il emploie, a reconnu dans sa Sagesse ce remède comme le plus propre à guérir la maladie du Polonais : le manque d’amour pour le sacrifice, pour la croix, pour le joug de Jésus-Christ, manque qui se manifestait dans la vie et les actions du Polonais, tandis que, dans l’esprit polonais, l’amour et la fidélité pour Notre Seigneur Jésus-Christ se conservaient plus constamment que dans beaucoup de nations chrétiennes. Cette maladie, qui arrête l’accomplissement du Verbe de Dieu, est grave pour tous, et beaucoup plus grave pour cette nation qui, à cause de cet amour et de cette fidélité, à cause de cette étincelle chrétienne conservée dans son germe et vivant au milieu de la froideur et de l’indifférence du monde, est appelée à produire dans sa vie, dans ses actions, ce qu’elle porte dans son germe, à manifester la pratique du christianisme, la vie du Verbe de Dieu sur la terre, – qui, à cause de ce mérite et de cette vocation, souffre plus que d’autres nations, parce qu’elle est poussée davantage à son devoir principal : de prendre la part qui lui est destinée dans l’élévation et l’extension du christianisme sur la terre, de devenir par là la Nation-Serviteur de Dieu, d’occuper la place qui lui est propre entre les nations appelées dans cette époque au même service pour Dieu et le prochain. – Ainsi l’injustice humaine, dont les fruits sont tombés sur la Pologne, est devenue pour le Polonais l’instrument de la Justice suprême de Dieu. Le monde entier dépose sans cesse les fruits de sa justice et de son injustice ; tout ce qui se fait dans le monde est ce fruit ; et ce fruit du monde qui, sous la direction de Dieu, tombe sur le monde, accomplit les jugements de Dieu, est l’instrument de la grâce, de la récompense, ou de la force et de la punition. De là, quiconque, par le fruit de son injustice, opprime son prochain, n’est coupable que devant Dieu pour avoir porté en lui l’injustice ; il n’est pas coupable devant le prochain, parce qu’il n’est pas la cause de l’oppression du prochain. Cette cause est dans le prochain opprimé lui-même, dans ses injustices passées, dans son compte passé, par suite duquel ce fruit est tombé aujourd’hui, non ailleurs, mais précisément sur lui ; et si cet injuste n’était pas devenu instrument de cette justice de Dieu, un autre instrument aurait accompli les jugements irrévocables de Dieu. L’injustice humaine, Dieu seul la voit et la juge ; et tout homme opprimé par cette injustice doit voir seulement la justice de Dieu, s’humilier devant elle, et lui satisfaire.
Dieu, ayant destiné au Polonais la pénitence et les instruments conduisant sur la voie de la pénitence, a destiné les devoirs, les relations et toute la conduite du Polonais envers ces instruments, comme le champ sur lequel il doit déposer les fruits du christianisme qu’il portait jusqu’alors dans son esprit seulement. De là, les devoirs attachés à ce champ sont devenus les devoirs essentiels du Polonais pénitent, sa première action chrétienne, la condition de son existence, de sa liberté et de son salut. Ce devoir ne peut pas être accompli selon la loi de la terre seule, par l’action extérieure seule, par la soumission à la force, par l’obéissance servile, ce que sont obligées de faire les créatures même les plus basses ; ce devoir peut être accompli seulement selon la loi et dans l’esprit de Jésus-Christ, dans le sentiment d’amour et de sacrifice qui se dévoue pour le bien véritable de tout prochain, et par conséquent aussi pour le bien du prochain, instrument de pénitence ; dans le sentiment de la soumission et de la fidélité chrétienne à cet instrument ; dans le sentiment du respect et de l’humilité chrétienne dus à la pensée de Dieu qui repose sur toute Autorité, soit que cette Autorité vienne de la Grâce ou de la Permission de Dieu, soit que cette Pensée s’accomplisse ou ne s’accomplisse pas. Ce devoir ne peut être accompli que dans le caractère chrétien qui, portant ces sentiments, présente toujours à toute Autorité la vérité, la sincérité et la pureté intérieure, – qui, à ces sentiments, unit toujours ceux de la soumission à Dieu, de la dépendance de Dieu seul, et par suite, de la liberté et de l’énergie chrétiennes. Ces sentiments opposés entre eux et qu’il est impossible de réaliser selon la loi terrestre, – selon la loi de Jésus-Christ s’accordent, et se réalisent facilement, formant un seul sentiment supérieur, un seul caractère chrétien. Notre Seigneur Jésus-Christ en est l’Idéal pour l’homme, et le Polonais, à cause de ses comptes devant Dieu, est appelé, par la force chrétienne augmentée dans la pénitence, à suivre cet Idéal de plus près que beaucoup d’autres, à concilier ses devoirs envers Dieu avec ses devoirs envers l’Autorité, à accomplir dans toute leur étendue ces paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 34 ». –Aucune loi et coutume du monde, aucune situation de l’homme ne justifie devant Dieu la violation de la loi de Jésus-Christ, car cette loi est donnée pour être accomplie dans chaque position où Dieu, à cause des comptes de l’homme, place l’homme ; aucune position ne justifie le faux, le mensonge, la flatterie et la trahison, car la conduite chrétienne ne cesse jamais d’être un devoir que l’homme doit remplir envers chaque prochain et d’autant plus envers son prochain-magistrat. La vérité, le caractère chrétien sont sous la protection de Dieu, et ont par eux-mêmes assez de force pour amener le Polonais au but qui lui est destiné ; et le germe russe, dès qu’il est dans sa simplicité et sa pureté primitives, a besoin de la vérité, du caractère, et les apprécie : ce qui est pur, vrai, chrétien, ce qui vient du fond de l’âme, pénètre dans l’âme du vrai Russe ; et s’il arrive que le Russe accepte les fruits du faux et de la bassesse pour en profiter, l’esprit russe a constamment le faux et la bassesse en horreur.
Ainsi le Polonais qui, ne manifestant pas dans sa vie, dans ses actions, le christianisme porté dans son esprit, n’était pas chrétien selon son germe sur son champ ancien, naturel et facile, a été appelé à ce que, en accomplissant comme pénitent, sur ce champ nouveau et anormal, ses devoirs plus difficiles, en y déposant ses actions chrétiennes supérieures, il devienne un chrétien supérieur, et satisfasse par là pour son passé non chrétien. Dieu, en assignant ce champ au Polonais, a mis sur sa route comme une forteresse à prendre par les armes chrétiennes, par la force du sacrifice, de la croix et du joug augmentés dans la pénitence. Ce n’est qu’après la prise de cette forteresse que se rouvrira pour le Polonais sa marche arrêtée, que se déploiera la vie propre à son germe, qui a été interrompue : vie dans laquelle le Polonais accomplira sa mission chrétienne, cette mission que pendant des siècles il pressentait dans son esprit toujours fidèle à Jésus-Christ, à laquelle aspirant constamment, il ne pouvait se satisfaire par rien d’inférieur, pour laquelle il luttait par de si grands sacrifices, mais sans succès, parce qu’il luttait pour le bien chrétien par des sacrifices non chrétiens. Cette mission peut être accomplie seulement dans la patrie vraie, que le Polonais obtiendra, non par une force terrestre quelconque, mais par la force chrétienne seule, après avoir accompli sa pénitence sur le champ destiné. La puissance de Dieu se manifestera sur la nation qui, purifiée par la pénitence, aura passé sous la loi de nation-serviteur de Dieu, sous la loi de l’amour et de la grâce. Dieu qui, à cause des comptes de cette nation, lui a ôté la patrie, après les comptes acquittés, rendra ce qu’Il a ôté ; Il délivrera des croix et du joug terrestres aussitôt que la croix et le joug supérieurs de Jésus-Christ seront acceptés, et que le fruit en sera déposé sur le champ destiné ; Il tirera de l’esclavage extérieur, de cette position non naturelle, exceptionnelle, aussitôt que la liberté intérieure, chrétienne, sera recouvrée, aussitôt que le joug du mal qui opprime l’esprit sera brisé par la force de la croix et du joug de Jésus-Christ ; le Médecin suprême ôtera le remède aussitôt que la maladie sera guérie, ôtera le remède qui n’a pas été un aliment naturel, donnant la vie vraie, mais qui a été un moyen temporaire seulement, arrêtant et purifiant la vie fausse. Et tout cela s’accomplira, si tels sont les décrets de Dieu, sans la participation des Polonais ; la puissance de Dieu se déclarera par d’autres instruments qui accompliront les décrets de Dieu ; et les instruments de la colère, de la punition, touchés par cette puissance, pourront devenir alors les instruments de la grâce et de la miséricorde de Dieu. – Tout cela s’accomplira, si tels sont les décrets de Dieu, par les Polonais eux-mêmes, dont les sacrifices pour la patrie, le caractère, l’héroïsme, seront alors appuyés par la puissance de Dieu ; car ces sacrifices, ce caractère, cet héroïsme seront chrétiens, seront l’instrument accomplissant les décrets de Dieu, défendront ce bien qui devant Dieu sera déjà devenu la propriété des Polonais, défendront la patrie vraie destinée, pour que là, par la vie et les actions chrétiennes des Polonais, se déploie le christianisme accepté sans patrie, dans leur esclavage passé.
Ces vérités, si essentielles et si fécondes, prirent racine et germèrent dans plusieurs de ceux qui les avaient entendues ; elles devinrent leur manière de voir et d’agir envers la patrie et le gouvernement. Et lorsque, à la mort de l’empereur Nicolas, Alexandre II, à son avènement au trône, accorda une amnistie aux émigrés polonais, ils adressèrent au nouvel empereur un écrit en date du 8 janvier 1857, dans lequel ils lui communiquèrent les paroles du Serviteur de Dieu rapportées plus haut, qui étaient devenues la règle de leur conduite. Ils lui manifestèrent leur regret de s’être fait jusqu’alors, de la haine contre le gouvernement russe, un devoir patriotique ; ils lui expliquèrent le changement qui s’était opéré en eux, et leur devoir d’accomplir sur la terre d’exil la vocation à laquelle ils avaient été appelés, afin d’avoir le droit de retourner au pays natal. Pénétrés néanmoins de reconnaissance pour le décret souverain qui leur ouvrait les portes de la patrie, ils déclarèrent que pour ces motifs leur conscience ne les autorisait pas encore à en profiter 35.
§ 2. – Mouvement de Février 1861.
L’écrit dont il est parlé plus haut, imprimé et répandu, suscita une véritable tempête dans la plus grande partie de l’émigration, qui le jugeait comme étant absolument contraire au caractère polonais.
Cependant, quand le mouvement sublime qui jaillissait du plus profond des entrailles de la nation produisit quelques années plus tard les évènements mémorables de février 1861, l’esprit des vérités et des sentiments exprimés dans cet écrit si critiqué se manifesta dans toute sa plénitude. Après tant d’années, qui peut, aujourd’hui encore, retenir ses larmes au souvenir d’une population tout entière qui, voulant, sans provocation, rendre pieusement visite à ses morts et prier pour eux, s’est vue refoulée par les cavaliers sabre au poing, jusque sous le porche des églises, recevant héroïquement les coups de fusils, et, sans se disperser, sans tenter aucune résistance, continuer à genoux et profondément recueillie sa prière ?..... Les soldats, touchés d’une telle attitude, résistèrent par deux fois au commandement de tirer, deux officiers brisèrent leur épée, et l’un d’eux préféra être fusillé plutôt que de commander le massacre d’une foule inoffensive et désarmée.
Vivifiés par le souffle d’amour qui avait éveillé dans tous une vie nouvelle, des ennemis jurés se jetaient dans les bras l’un de l’autre ; les patrons tendaient la main aux ouvriers ; entre paysans, nobles, bourgeois, toute barrière avait disparu ; les catholiques, les protestants, les israélites, réunis dans le même sentiment d’amour de Dieu et de la patrie, allaient ensemble, visitaient leurs temples respectifs, se faisaient des dons réciproques. La vraie Pologne, telle que Dieu la veut, apparaissait en ces jours dans sa splendeur céleste devant les peuples émerveillés. Cet esprit, manifesté d’une manière aussi inattendue et aussi touchante, émut toute l’Europe et fit trembler un instant la Russie elle-même. Tant il est vrai qu’une direction droite, suivie sincèrement même par un petit nombre seulement d’individus, peut influer sur celle de tout un peuple.
La conviction que tout ce qui arrivait était le fruit de la direction imprimée par Towianski dans l’esprit polonais était si répandue dans les âmes plus éveillées et plus attentives, qu’elle pénétra même jusque dans les sphères élevées du gouvernement russe. Aux premières nouvelles venues de Varsovie, un très haut personnage et parent de l’empereur, le comte Strogonoff, qui pesait de tout son pouvoir sur la direction de la politique russe, apostropha ainsi Michel Kulwiec, alors capitaine d’artillerie dans la garde impériale, dont il connaissait les relations avec le Serviteur de Dieu : « C’est Towianski qui a fait tout cela ; c’est lui sans aucun doute ! Vite, dites-moi quand il est venu en Pologne et où il se trouve en ce moment. » Et pourtant Towianski n’avait pas quitté Zurich !
En ces jours extraordinaires qui brillaient comme une étoile d’espérance pour l’avenir de la nation polonaise, les âmes subitement élevées et ennoblies par le réveil d’un sentiment si profond et si général, par l’émotion intime qui fondait tous les cœurs en un seul, se tournèrent instinctivement vers ceux dont la vie sans tache et la noblesse de caractère répondaient le mieux aux aspirations communes. Parmi ceux-ci était Félix Niemojewski, Il fut acclamé membre correspondant de la Société d’agronomie de Varsovie, qui, par sa noble attitude, avait donné un grand appui au mouvement de ces journées inoubliables.
Niemojewski, sentant la gravité de ces moments pour la direction de sa patrie, écrivit à Towianski, auquel il devait d’avoir pu renaître à une vie nouvelle, le priant de lui montrer dans la lumière chrétienne les évènements de Varsovie et ses propres devoirs en présence de ces évènements. Towianski lui répondit par trois longues lettres, dans lesquelles il développa et appliqua à la situation du moment les vérités fondamentales déjà rapportées et qu’il avait présentées aux Polonais comme la base de leur conduite ; lettres que, malgré leur longueur, je crois opportun de reproduire intégralement parce qu’elles tracent à la Pologne, pour son entier et durable relèvement, une direction complète.
Zurich, 20 mars 1861.
Vous désirez que je vous fasse part de mon sentiment sur cette question : « Comment faut-il voir dans la lumière de l’Œuvre de Dieu l’évènement actuel de Varsovie, ce que nos compatriotes doivent faire dans ces circonstances et ce que nous devons faire aussi comme Polonais et serviteurs de l’Œuvre de Dieu ? » Ayant pris à cœur votre désir, j’ai prié Dieu de pouvoir vous transmettre la vérité même ; et ce que Dieu m’a permis de voir et de sentir, je vous en fais part aujourd’hui au plus vite, d’une manière générale, comme le commencement de ma réponse à votre question, commencement que j’ai l’espoir de compléter bientôt dans mes lettres ultérieures.
D’abord je vous exprime mon sentiment que l’action de nos compatriotes, en février, est un des évènements extraordinaires par lesquels Dieu, au commencement de l’époque chrétienne supérieure, appuie l’appel et la réclamation qu’il fait à l’homme dans son Œuvre, afin qu’il passe du royaume terrestre où il a reposé par son esprit et vécu pendant des siècles, au Royaume, à l’Église de Jésus-Christ, et que, ainsi régénéré, il commence sa vie chrétienne, privée et publique, qui seule lui donnera le progrès, le salut et le bonheur destinés.
Tandis que jusqu’à présent l’homme, à cause de son manque d’amour, avait été stimulé le plus souvent sous la loi de la force et de la punition, par les pressions et les souffrances, aujourd’hui, au commencement de cette époque de la liberté et de la vie de l’esprit, Dieu stimule et éveille davantage l’homme et toutes les nations sous la loi de l’amour et de la grâce, afin qu’ils acceptent volontairement et accomplissent la réclamation et l’appel suprêmes. C’est à de tels éveils qu’appartiennent sur le champ public le commencement du pontificat du pape Pie IX, le commencement de la révolution française de 1848 et la commotion universelle qui en a été la suite, le commencement du récent affranchissement de plusieurs millions de paysans, de serfs slaves par le tsar Alexandre II, les évènements d’Italie commencés en 1859, etc. À ces mêmes éveils appartient à un haut degré l’action de nos compatriotes en février, qui, sur le champ public de la vie des nations, est une des manifestations les plus remarquables de l’époque chrétienne supérieure, commencée il y a vingt ans.
De même que la puissance de Dieu se manifestait visiblement en Israël il y a des siècles, de même, elle se manifeste visiblement aujourd’hui en Pologne et, par cette puissance, la force terrestre a été ébranlée. La vocation identique de ces deux nations – c’est-à-dire d’Israël, dans l’ancienne loi, appelé à devenir la nation-magistrat sur la voie de Dieu, et de la Pologne aujourd’hui, appelée à devenir la nation magistrat sur la voie chrétienne, qui est cette même voie de Dieu, mais une partie plus élevée de cette voie, – a amené sur ces deux nations des vicissitudes semblables. Dans l’évènement actuel, le Polonais a été mis par la puissance de Dieu sur la voie de sa vocation, et cette vocation lui a été montrée dans la plénitude de son éclat ; il lui a été montré ce qu’est son esprit et ce qu’il pourra faire, lorsque, s’étant converti à Dieu, il agira selon la pensée et avec la bénédiction de Dieu.
Dans l’action de février, le sacrifice pur pour la patrie a été accompli, et ce sacrifice a été produit dans le mouvement de l’âme et dans la forme chrétienne parfaite. Le Polonais, dans son amour de la patrie, souffrant de son infortune, a oublié un moment ses oppresseurs, a gémi vers Dieu pour implorer son aide et a déposé devant Lui son empressement à se dévouer pour la patrie..... Toutefois ce n’était qu’un éclair venant de la hauteur de l’esprit polonais, éclair que la grâce de Dieu a appuyé et auquel le Polonais s’était livré dans ce moment, mais ce n’était pas la propre action du Polonais, de tout son être, ce n’était pas le fruit de l’élaboration, du progrès atteint par le Polonais sur la voie chrétienne et manifesté dans sa vie publique. Par de longues souffrances l’esprit polonais a acquitté ses comptes devant Dieu à tel point qu’il a attiré la bénédiction sur cette action chrétienne publique ; et, touché par la grâce de Dieu, il l’a accomplie selon sa nature, selon sa valeur et sa hauteur réelles.
Il est des moments dans la vie de l’homme et des nations où Dieu leur permet de briller par la nature de leur esprit ; dans ces moments l’homme ou la nation, souvent à leur insu et malgré leur volonté, font dans l’éclair, dans l’exaltation de leur esprit ce qui devient ensuite un modèle pour eux. Dans ces moments, l’esprit de l’homme ou de la nation, touché par la grâce, enseigne à l’homme ou à la nation ce qu’ils doivent devenir. Dans sa jeunesse, ordinairement, l’homme a de temps en temps de ces moments et reçoit de tels modèles ; mais ordinairement aussi, pour son malheur, il les renie dans son âge mûr lorsque, succombant à la tentation du mal, il se fixe dans la terre et considère comme des rêves de la jeunesse ce qui lui avait été montré comme son modèle, comme l’étoile de sa vie. Les nations commettent ce même péché en se détournant des modèles qui leur ont été donnés dans des moments de grâce, et leurs misères découlent principalement de cette source. La Pologne a eu de tels moments dans son passé et c’est à eux qu’elle est redevable de sa grandeur passée ; elle a aujourd’hui pour sa grandeur future un tel moment, mais plus élevé et plus pur, dans la mesure de son âge.
Nos compatriotes n’ont pas accepté l’appel que Dieu fait dans ces jours à l’homme et aux nations dans son Œuvre, et malgré cela le fruit de cet appel a été produit : ceux qui avaient rejeté l’Œuvre de Dieu ont fait cette Œuvre, ceux qui avaient condamné l’écrit Powody ont montré à l’égard du gouvernement l’esprit chrétien qui est manifesté dans cet écrit. Ainsi, l’esprit du Polonais a accompli ce que le Polonais avait condamné et rejeté, et par là a été montré ce qu’est le Polonais et ce qu’est son esprit, affranchi, quoique momentanément, des obstacles et des péchés de l’homme.
Nous étant affligés jusqu’à présent du rejet de l’Œuvre de Dieu par la généralité de nos compatriotes, nous pouvons aujourd’hui nous réjouir en voyant que ce rejet ne venait pas de leur esprit, mais seulement de leur homme, des obstacles et des contrariétés de l’homme. Oh ! combien il est plus facile de vaincre les obstacles de l’homme que les obstacles de l’esprit ! combien il est plus facile de déterrer l’étincelle chrétienne quand la terre, Mammon, ne l’a étouffée qu’à la surface, que de la rallumer quand l’enfer l’a éteinte complètement !
Cependant nous devons nous affliger de ce que, pour plusieurs de nos compatriotes, le temps est déjà passé où ils auraient pu acquérir le mérite plus grand qui leur était destiné si, suivant la voix de leur esprit, par le seul amour de Dieu, ils avaient senti la volonté de Dieu qui leur a été transmise depuis tant d’années déjà dans l’Œuvre de Dieu. Le mérite que donne la connaissance de la volonté de Dieu diminue à proportion que Dieu, écartant les ténèbres, manifeste de plus en plus expressément au monde, sa Volonté, son Œuvre, sa Puissance ; et le temps viendra où le plus grand matérialiste, qui ne vit que dans la terre et pour la terre, qui ne voit rien au-dessus de la bassesse terrestre, croira à ce qui est céleste lorsque ce ciel sera revêtu de la terre et se présentera devant lui comme une réalité qu’il pourra voir et toucher.
Quelles que soient les conséquences qu’amènera l’action de nos compatriotes, elles n’enlèveront ni n’ajouteront rien à l’importance de cette action ; dans tous les cas elle restera ce qu’elle est, produira tôt ou tard ses fruits et finira par être appréciée et honorée dans le monde selon la justice ; et pour nous, Polonais, elle brille déjà et brillera durant les siècles comme un modèle, comme notre étoile, comme un gage de la miséricorde de Dieu pour nous, comme l’aurore d’un avenir plus heureux destiné à notre patrie dans les siècles de cette époque. Par cette action la Pologne a pris la direction vers le but qui lui est assigné comme à la nation-magistrat chrétien ; afin que le prince de ce monde qui, selon les paroles de Jésus-Christ : « est déjà jugé 36 », soit vaincu dans la patrie chrétienne du Polonais ; que la force terrestre y soit soumise à la force céleste, et devienne seulement un instrument de cette force ; que le royaume de ce monde soit soumis au Royaume de Jésus-Christ ; qu’ainsi soit accompli ce que nous demandons chaque jour : « Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive 37. »
Si cette direction commencée par la puissance de Dieu se maintient dans sa sainteté et s’étend dans le monde par la force chrétienne, – l’impuissance, cachée jusqu’à présent devant le monde, de quelques gouvernements puissants non par la pensée et la grâce de Dieu, mais par la force terrestre seule, qui leur est laissée pour un temps comme à des instruments de la permission et de la punition de Dieu par suite des péchés de l’homme, – se découvrira alors.
À mesure que cette nouvelle force chrétienne de l’esprit se manifestera, la force ancienne, terrestre, perdra de plus en plus la prépondérance qu’elle avait jusqu’à présent dans le monde ; l’homme, en général, et d’abord ses magistrats, seront obligés de recourir à la force chrétienne, à cette force suprême de l’esprit qui triomphe autant de la force de la terre que de la force non-chrétienne de l’esprit. Et l’homme trouvera cette force suprême dans le vrai christianisme, qui au commencement de cette époque est éclairci davantage dans l’Œuvre de Dieu et appliqué à la vie, afin que par la pratique de ce christianisme le Royaume de Jésus-Christ descende sur la terre et que son Église s’élève dans son éclat et sa puissance célestes.
Mais tandis que, dans la miséricorde de Dieu, il est destiné que cette action de nos compatriotes produise un si grand bien, – un danger non moins grand menacerait la Pologne si ce mouvement, éveillé par la grâce dans les cœurs des Polonais, n’était pas maintenu dans sa pureté primitive et employé dans la voie destinée ; si, d’autre part, il se trouvait parmi nos compatriotes des individus qui, ne croyant pas en la force céleste qui s’est manifestée dans ce mouvement, ne voudraient pas s’y unir mais, confiant dans la force et les moyens terrestres, chercheraient, comme par le passé, à recouvrer la patrie, soit par la force matérielle seule, soit par le développement du progrès terrestre seul, de la science, de l’industrie, du bien-être, etc., sans penser que compter sur les forces et les moyens terrestres en rejetant la force chrétienne, c’est tout ce qu’il y a de plus contraire à la pensée de Dieu qui repose sur la Pologne et que, par conséquent, en agissant ainsi aujourd’hui, le Polonais commettrait le péché du reniement de Jésus-Christ et de la trahison envers la patrie.
Puisque Dieu, après nous avoir enlevé la patrie, nous a tracé la route par laquelle nous pouvons la recouvrer, et que cette voie nous est éclaircie aujourd’hui par la lumière de l’époque chrétienne supérieure ; puisqu’enfin, après les souffrances qui nous ont préparé à cette voie, nous y avons été introduits par l’évènement actuel – ceux donc qui n’emploieraient pas sur la route destinée ce mouvement éveillé par la grâce de Dieu, de même que ceux qui rejetteraient ce mouvement, s’éloigneraient également de la patrie destinée, et se rendraient gravement coupables devant Dieu et devant la patrie. Le mal qui nous guette aujourd’hui plus que jamais – car c’est le temps d’une direction décisive pour nous – ne manquera pas de nous tenter à entrer dans l’un ou dans l’autre de ces détours, afin qu’ayant perdu la force céleste (que nous ne pouvons maintenir en nous que dans la voie destinée), nous tombions, impuissants, sous la domination de la terre et de l’enfer, qui prolongerait pour nous l’ancienne permission, l’ancienne punition de Dieu.
Dans chaque nouvelle direction qui s’ouvre pour l’homme, se présente devant lui la voie droite que lui trace le ciel, se présentent aussi les voies fausses que lui tracent la terre et l’enfer ; de l’homme dépend le choix de la voie et par conséquent aussi du guide qui conduit dans cette voie : et ce choix – où l’homme produit le fruit de son amour ou de son manque d’amour – décide de son compte devant Dieu et de sa direction ultérieure. La liberté nous est donnée de nous tracer la direction par le choix que nous faisons de la voie droite ou des voies fausses ; mais nous n’avons pas le pouvoir de détourner de nous les conséquences d’une direction fausse une fois que nous avons rejeté la voie droite et que nous sommes entrés dans une voie fausse.
Dans la voie droite, nous pourrons obtenir de la miséricorde de Dieu la patrie chrétienne qui nous est destinée, afin que le Royaume céleste, cette patrie céleste, s’y étende ; mais en prenant les voies fausses nous tomberons sous le pouvoir du mal, et – ou bien nous resterons sans patrie, – ou bien nous recevrons une patrie venant de la permission de Dieu, une patrie où s’étendront les royaumes faux, où, sous les formes polonaises, régnera un esprit non polonais, un esprit peut-être même inférieur à celui qui, durant des années, a tenu la Pologne sous le joug de l’esclavage extérieur. Dans une telle patrie, tout Polonais chrétien, fidèle à son germe et à sa vocation, se sentirait étranger, exilé, et plus d’un qui eût été fidèle à l’esprit polonais tant que le mal se serait manifesté dans la forme qui lui est propre, renierait l’esprit polonais lorsque le mal s’y manifesterait sous la forme polonaise. Au milieu d’une prospérité illusoire, il perdrait l’aspiration à la patrie véritable, aux biens chrétiens, célestes, qui donnent cette patrie ; il perdrait la douleur, le souci, la tendance patriotique chrétienne, et il s’unirait avec la patrie qui lui vient de la permission de Dieu, avec ses biens terrestres ; il trahirait alors Dieu et la patrie. Ainsi la Pologne, qui était jusqu’à présent le champ de la pénitence, convertissant à Dieu et rapprochant de la patrie chrétienne, deviendrait le champ du péché, éloignant de Dieu et de la patrie et attirant de nouveau une pénitence encore plus sévère.
Puisque Dieu nous ouvre aujourd’hui lui-même la porte de la prison que nous nous étions en vain efforcés d’ouvrir jusqu’à présent et nous met dans la voie droite qui tire de la prison, gardons-nous, comme du plus grand danger, des voies fausses sur lesquelles le mal ne manquera pas de nous pousser, afin de nous retenir dans notre prison ou de nous en laisser sortir seulement pour un moment, afin qu’ensuite, nous étant rendus plus coupables devant Dieu, il puisse de nouveau nous jeter en prison et nous opprimer plus durement.
Ce qui nous est destiné dans les décrets de Dieu, et que nous recevons déjà en partie, n’est pas assuré et immuable ; nous pouvons le perdre à chaque instant, car à chaque instant notre compte se fait devant Dieu, non seulement d’après nos actions, mais encore d’après les secrets de nos cœurs, et à chaque instant notre direction se trace suivant ce compte. Une seule pensée dans laquelle nous inclinons vers les suggestions du mal peut éloigner de nous la grâce de Dieu qui nous est destinée pour notre salut et celui de notre patrie, et enfin nous soumettre à un pouvoir du mal encore plus grand.
Ainsi que l’enseigne une triste expérience, Dieu permet ce malheur, suite du gaspillage de sa grâce, afin que l’homme et les nations apprennent à apprécier les trésors qui descendent du ciel pour eux, à les maintenir au moyen de la force chrétienne et à les employer dans la voie destinée. Le gaspillage de la grâce est la source principale de la misère et de l’esclavage dans le monde ; l’homme considère les trésors célestes comme sa propriété, il s’en sert pour s’élever lui-même et pour atteindre ses buts terrestres ; et ensuite ce pèlerin en cette vallée de larmes, privé, comme punition, de ce qui devait le nourrir dans son voyage, se donne de la peine, se tourmente infructueusement au milieu des difficultés de la vallée, dans les afflictions de l’esprit et les souffrances de l’homme, jusqu’à ce que sonne l’heure de la pitié de Dieu et d’une nouvelle visite de la grâce de Dieu, qu’il faut qu’il attende souvent pendant des années et même des siècles.
Que ce qu’Israël éprouve pendant tout le cours des siècles chrétiens, pour avoir rejeté la grâce qui s’était répandue sur lui au commencement du christianisme, soit un avertissement pour la Pologne (qui porte en elle une vocation semblable) de ce qu’elle pourrait éprouver aussi si elle commettait le même péché contre la grâce, contre le Saint-Esprit, d’autant plus que ce péché, au dix-neuvième siècle chrétien, est plus grave pour chacun, et particulièrement pour le Polonais qui est dans l’obligation d’accomplir sa vocation chrétienne sur le degré supérieur de la voie chrétienne.
Il est facile de sentir par ce que je viens de dire que tout consiste aujourd’hui pour nous à nous maintenir et à marcher plus en avant dans la voie où la grâce de Dieu nous a introduits. Rendons donc grâces à Dieu qu’il ait montré sa puissance à la nation qui a tant éprouvé la puissance du mal ; humilions-nous devant cette œuvre de Dieu, acceptons cette miséricorde de Dieu avec l’amour et le sentiment, avec l’âme et le cœur émus, avec cet organe chrétien et polonais. Faisons le sacrifice nécessaire pour maintenir en nous cette force céleste qui agit si miraculeusement sur la terre, car elle agit sans la terre, et soumettons à cette force suprême toutes nos forces spirituelles et humaines. Gardons-nous comme d’un sacrilège de nous gouverner sur ce champ sacré pour nous par la force terrestre seule de la raison, ou par la force non-chrétienne de l’exaltation dénuée de sacrifice, laquelle, ainsi que la raison, ne puise – même aux sources suprêmes – que la commodité terrestre ou une animation momentanée, une jouissance de l’esprit !
En portant un souci continuel et en faisant tout ce qui nous est possible pour ne pas succomber au mal au milieu de la tentation plus grande qu’il nous présente, poursuivons la direction que la grâce de Dieu a commencée pour nous dans cette action que nous avons accomplie avec son aide ; et, de cette action devenue notre modèle et notre base, faisons découler nos actions ultérieures ; élevons-nous ainsi, par la force chrétienne de l’amour et du sacrifice, à la hauteur que l’Œuvre de Dieu nous a appelés à atteindre et à manifester dans notre vie chrétienne privée et publique.
Accepter cette action par l’organe chrétien et ensuite la continuer avec la force chrétienne et nous élever à la hauteur chrétienne qui nous est destinée, tel est le résumé de nos devoirs actuels, et ce doit être le but de tous nos sacrifices et de toutes nos tendances. Tout homme et toute nation a une tendance propre qui lui est destinée pour son progrès et une hauteur particulière à atteindre : c’est la pensée de Dieu qui repose sur l’homme et sur les nations, et de l’accomplissement de cette pensée dépendent leur compte et leur direction. Cette tendance et cette hauteur destinées aujourd’hui à la Pologne ont été montrées dans l’écrit Powody, dans cette action des émigrés polonais, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, de laquelle l’action de nos compatriotes au mois de février était, pour ainsi dire, l’écho et la reproduction. Cette hauteur chrétienne, qui n’a pas été atteinte jusqu’à présent par l’homme dans sa vie publique à cause des grandes difficultés qui en défendent l’accès, il nous est destiné de l’atteindre : c’est la conséquence de notre vocation chrétienne. Pour l’atteindre, il faut que, privés de la patrie terrestre, nous vivions par notre esprit dans la patrie chrétienne et méritions qu’elle descende sur la terre ; il faut qu’au milieu de l’esclavage même où nous sommes par la permission de Dieu, nous devenions libres et produisions les fruits de notre liberté dans notre fidèle soumission chrétienne à la force qui nous subjugue. Il faut donc que nous produisions les fruits du christianisme plein dans la position la plus irritante, la plus âpre, savoir, dans nos rapports avec le gouvernement dont le Polonais a tant souffert que la haine contre ce gouvernement est devenue pour lui une seconde nature.
Accomplir cette tâche au milieu de si grandes contrariétés, c’est accomplir les paroles de Jésus-Christ : « Le Royaume de Dieu est au dedans de vous 38..... cherchez d’abord le Royaume de Dieu 39 » ; c’est imiter Jésus-Christ et s’élever bien haut sur sa voie ; c’est pratiquer sa loi dans la vie publique, pratiquer la vraie piété, l’amour et le sacrifice chrétiens.
Il en est bien peu dans le monde qui soient aussi capables que nos compatriotes d’atteindre cette hauteur chrétienne. Des millions d’hommes parmi le peuple polonais vivent par leur esprit à cette hauteur et implorent Dieu par leurs soupirs, afin que cette patrie de leur esprit descende sur la terre ; ils portent en eux l’image de cette patrie, la reconnaissent et sont prêts à tous les sacrifices pour elle. Ils n’en veulent aucune autre, à aucune autre ils ne peuvent donner leur âme. Et même dans les classes de notre nation qui se sont le plus abaissées – soit par le faux dégagement de l’esprit, soit par l’absorption de l’esprit dans la terre, dans Mammon –, il y a un grand nombre d’individus qui ne se sont pas unis au mal qui règne dans le monde, et n’ont pas éteint complètement en eux l’aspiration vers les biens célestes, chrétiens, vers la vérité, la justice, la liberté. Cette aspiration prouve que l’étincelle sacrée n’est pas encore morte au fond de ces âmes, que le fil chrétien et polonais n’y est pas brisé. Cette aspiration vers ce qui est supérieur, quoique mélangée à des buts terrestres, est le plus souvent la base de l’amour du Polonais pour la patrie, amour si général et si ardent dans notre pays !
Plus d’un Polonais que la paresse d’esprit avait empêché de travailler intérieurement et de travailler son esprit, lorsqu’il est dans la souffrance ou sous la force des circonstances, s’affranchit et s’élève en esprit, atteint par son esprit la hauteur qui lui est destinée, et là, trouvant sa patrie ne fût-ce que pour un moment, il en reçoit une nouvelle force, car il y voit et il y sent sa destinée dans la lumière de l’époque supérieure.
Depuis le réveil actuel de l’esprit polonais, nous voyons avec quelle rapidité les vérités de cette époque se propagent dans notre pays, souvent même parmi ceux qui auparavant n’en ont jamais entendu parler ; nous voyons comment ces vérités passent dans l’opinion publique, dans le bon sens de la nation ; – or, tout cela montre quelle est la hauteur de l’esprit polonais et combien le Polonais est capable d’accomplir sa vocation.
Il s’agit donc aujourd’hui que le Polonais, surmontant par amour de Dieu et de la patrie sa paresse pour le service de Dieu, repose et demeure par le sacrifice de son esprit à la hauteur à laquelle – tantôt stimulé par le malheur, tantôt touché par la grâce – il s’élevait momentanément par le vol de son esprit comme un hôte passager ; qu’il prenne ainsi sa direction pour s’élever à cette hauteur avec son être tout entier, pour y demeurer par son homme et sa vie, et, enfin, pour suivre désormais sciemment et volontairement la direction de son salut temporel et éternel, commencée pour la nation par la puissance de Dieu.
La pensée de Dieu qui repose sur la Pologne sera accomplie, suivant l’amour ou le manque d’amour du Polonais, plus tôt ou plus tard, avec plus de facilité ou plus de difficulté, dans la joie, dans la voie de la grâce, ou, après avoir éprouvé des souffrances, dans la voie de la force de Dieu ; mais heureux celui qui aura employé tout son sacrifice pour l’accomplir dans l’amour, qui aura contribué ainsi à faire accepter à la nation la direction destinée ! Dieu et la patrie lui compteront ce verre d’eau de l’Évangile, verre d’eau puisé à la source de vie et donné à la patrie dans un temps décisif.
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Zurich, 25 mars 1861.
Accomplissant la promesse que je vous ai faite dans ma lettre du 20 courant, je vous rappelle les principaux devoirs que le Polonais chrétien doit accomplir plus strictement aujourd’hui que jamais dans sa prière et dans ses rapports avec le gouvernement. Et puisque c’est un sujet dont nous nous sommes entretenus pendant des années dans notre douleur sur l’infortune de notre patrie, j’espère que ce que je vous rappelle aujourd’hui en général seulement, comme à un ancien et zélé serviteur de l’Œuvre de Dieu, vous le compléterez et l’appliquerez vous-même aux détails de la position actuelle et des besoins de nos compatriotes.
Devoirs du Polonais dans la prière. – Considérant la prière comme la source de la lumière et de la force, par conséquent comme la source de la vie et le commencement de toute action, éveillons dans notre prière l’amour de Dieu, du prochain, de la patrie et de tous nos devoirs ; dans cet amour cherchons à connaître la volonté de Dieu, nos devoirs et mettons-nous à les accomplir. Recourons le plus souvent possible à une telle prière afin de vivre dans notre âme sans interruption de la vie chrétienne et de produire les fruits de cette vie à l’égard de Dieu, du prochain et de la patrie dans chacune de nos pensées, de nos paroles et de nos actions privées et publiques.
En priant ainsi, gardons-nous surtout des prières fausses, de ce péché défendu déjà dans la loi de Moïse : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur, ton Dieu 40. » Que notre prière ne soit pas seulement une forme ou seulement le dégagement et l’élévation de l’esprit sans égard aux devoirs que nous devons accomplir dans notre vie pratique, mais qu’elle soit le sacrifice plein déposé à Dieu dans notre esprit, dans notre homme et dans toute notre vie, sacrifice déposé dans l’accomplissement des devoirs de l’état, de la position sur la terre où Dieu nous a placés pour notre salut.
Que cette prière vivante, active, s’accomplisse dans notre esprit dans le ton que Jésus-Christ a transmis, dans le sentiment, l’humilité, la contrition, et, accomplie ainsi dans l’esprit, qu’elle s’accomplisse dans ces mêmes caractères dans l’homme, dans notre corps, et se manifeste dans nos actions privées et publiques.
Plus d’un qui se livre à la prière en négligeant les devoirs de sa vocation, souffre pendant des années dans la sécheresse et la mort intérieure, puisqu’il n’a pas l’intention d’employer la grâce qu’il demande, pour l’accomplissement des devoirs que Dieu lui destine, par conséquent pour la gloire de Dieu, le triomphe de Jésus-Christ sur la terre.
Dans notre prière, cherchons la vérité dans toutes les circonstances de notre vie et tenons-nous prêts à l’accepter sans avoir égard si la grâce nous présente ce bien directement dans nos pensées et nos sentiments, ou si elle nous le présente par l’intermédiaire de qui que ce soit. De quelque manière que nous recevions la vérité, adorons en elle la volonté de Dieu que nous devons accomplir, et ensuite implorons la force pour accomplir cette vérité et acceptons-en l’action dans notre âme, acceptons ce feu de l’amour et du sacrifice avec lequel il est si facile de manifester ce que l’âme a accepté. Ainsi notre connaissance de la vérité et notre force intérieure porteront leur fruit et ne nous conduiront pas à la jouissance sacrilège de l’esprit, puisée si souvent dans les dons célestes. Ainsi en voyant notre but et notre voie et en profitant de l’éveil de Dieu plus grand pour nous, nous marcherons plus rapidement dans notre voie, vers notre but.
Examinons dans notre prière toutes les actions qui se présentent devant nous et scrutons si elles nous sont destinées ou non, si elles sont conformes ou non à la volonté de Dieu : car de là dépend si ce sera la grâce de Dieu, cette puissance céleste, qui nous conduira dans nos actions, ou bien les forces inférieures et encore plus basses. Rien n’arrive dans le monde sans cette conduite supérieure, inférieure ou encore plus basse, rien n’arrive sans l’aide du ciel, de la terre ou de l’enfer. L’homme abandonné à lui-même, à sa propre force, n’est capable de rien, et le mérite ou la faute de l’homme dépendent du choix qu’il fait dans son âme, avant l’action, entre le ciel, la terre et l’enfer, du choix du guide auquel il obéira.
Ordinairement lorsque la grâce de Dieu éveille l’homme à accomplir des actions destinées, le mal, lorsqu’il ne peut le tenter à accomplir une action mauvaise, le tente à accomplir des actions bonnes en elles-mêmes mais non destinées ; le tente à se décharger, même par des actions vertueuses, de l’accomplissement de la volonté de Dieu, cette première vertu de l’homme. Par suite de cette tentation, la liberté et la vie fausses s’étendent dans cette époque de liberté et de vie de l’esprit : et plus d’un, pour ne pas faire ce qu’il lui est destiné de faire en lui-même et pour lui-même, se dévoue pour les autres, pour le bien général même, et, ébloui par les vertus qu’il pratique, ne voit pas sa résistance à la volonté de Dieu et ne comprend pas la réclamation que Dieu lui fait à cause de ce péché.
Dans l’époque passée, les gens pieux étaient menacés du danger de prier en négligeant l’action ; dans cette époque, au contraire, où l’homme est stimulé davantage à l’action, il est menacé du danger de faire ce qui ne lui est pas destiné, d’agir sur des champs éloignés, extérieurs, et de négliger son premier champ, son champ intérieur, le champ de son âme, de négliger son progrès chrétien, en aggravant ainsi son compte devant Dieu.
Dans notre prière, en nous tournant d’abord vers nous-mêmes, tâchons de voir dans la vérité nos péchés et nos fautes qui ont attiré sur nous la punition de Dieu, qui ont soumis une nation chrétienne supérieure à la force d’instruments inférieurs, instruments de la punition de Dieu ; par conséquent, tâchons de voir ce que nous devons détruire en nous, et ce que nous devons vivifier et élever. En maintenant dans notre âme ce sentiment que notre esclavage, selon l’expression de l’écrit Powody, n’est qu’un remède pour la maladie de notre âme, remède que le Médecin Suprême écartera lorsque la maladie sera guérie, éloignons de notre âme, au moyen de ce sentiment, la haine contre les instruments de ce traitement pénible, éloignons tout désir de les abaisser, de les dominer et de les contraindre par la force de la prière à faire ce que nous désirons ; acceptons le souci de porter à leur égard des sentiments chrétiens et d’agir chrétiennement avec eux. Cette prière véritable calmera les souffrances et les tempêtes de nos âmes, nous donnera la paix de Jésus-Christ, nous donnera la force de nous gouverner et de nous diriger conformément à la volonté de Dieu.
En nous mettant à prier pour la patrie, tâchons avant tout de créer en nous l’intention pure ; scrutons donc dans les replis de nos cœurs quelle patrie nous aimons, quelle patrie nous désirons et pourquoi nous la désirons. Ensuite élevons-nous à une pureté et une liberté si grandes, que l’amour de la patrie découle en nous du seul amour de Dieu comme de la source de tous les sentiments chrétiens, afin que le premier mouvement de nos âmes, notre premier soupir soit pour Dieu, pour la patrie éternelle qui est dans les cieux et ensuite pour la patrie chrétienne sur la terre, afin que nous nous présentions devant Dieu d’abord comme chrétiens, fils du Royaume, de l’Église de Jésus-Christ, et ensuite comme Polonais, fils de la patrie chrétienne.
Il est parmi nous de zélés patriotes qui, n’élevant pas leur cœur vers Dieu, le donnent à la patrie terrestre seulement, et, consacrant à cette patrie tous les mouvements de leur âme, ne veulent pas consacrer à Dieu un seul mouvement, ni un seul soupir purs. Un tel amour de la patrie et les sacrifices qui en découlent sont dans les limites du royaume terrestre et souvent même sur les degrés inférieurs de ce royaume, car l’agitation du sang ou de la bile suffit souvent à elle seule pour produire de tels sentiments et de tels sacrifices. Non seulement les nations païennes et les peuples sauvages, mais même les animaux, en défendant, par le sacrifice de leur sang, leurs repaires et leur liberté, manifestent un semblable amour de la patrie et de la liberté !
Éveillons donc d’abord en nous l’amour de Dieu, et dans cet amour prions Dieu de vous donner la patrie véritable, chrétienne, dans laquelle vit et s’étend la patrie céleste, dans laquelle l’homme reçoit une aide pour atteindre son bien suprême, pour accomplir le Verbe de Dieu, la Volonté, la Pensée de Dieu qui repose sur lui ; patrie dans laquelle, par conséquent, le Polonais recevra une aide pour faire vivre le christianisme (qu’il portait jusqu’à présent dans son esprit) sur le champ de la vie privée et publique, car tel est aujourd’hui le devoir principal de la nation destinée à devenir, dans cette époque chrétienne supérieure, nation-serviteur de Dieu et magistrat chrétien pour le monde, nation présentant dans ses œuvres privées et publiques le modèle de la pratique du vrai christianisme.
C’est dans cette patrie chrétienne – où régneront l’amour, la vérité, la justice – que le Polonais, faisant l’opération chrétienne propre à son germe et à sa vocation, méritera le plus facilement la patrie qui est dans les cieux. Une telle patrie, destinée au Polonais, existe sur le degré supérieur de la voie chrétienne, dans les limites de l’époque chrétienne supérieure, et il faut que le Polonais s’élève à cette hauteur pour la recevoir des mains de Dieu. Mais si le Polonais s’abaisse, Dieu ne lui donnera pas la patrie, ou pourra permettre que le mal lui donne une patrie fausse dans laquelle le Polonais sera soumis de nouveau à l’opération sous la force, à cette punition de Dieu pour son abaissement, fruit du péché mortel de la paresse pour le service de Dieu.
S’élever à cette hauteur chrétienne, en éveillant dans son cœur l’amour de la patrie venant de l’amour de Dieu, et prier Dieu qu’Il accorde cette patrie, ce sera la prière véritable pour la patrie ; prière qui percera les cieux et arrivera au trône du Très-Haut. Ce n’est que sur cette prière véritable, sur ce patriotisme chrétien que se hâtera de descendre, pour venir au secours de la Pologne, le Royaume céleste, ainsi que la Pologne vivant dans l’autre monde, qui, ne pouvant s’abaisser aux détours de nos compatriotes, n’appuie pas leur patriotisme non chrétien, leurs efforts et leurs sacrifices non chrétiens accomplis pour une patrie non chrétienne.
En priant ainsi pour la patrie, éveillons aussi dans nos âmes la soumission à toute volonté de Dieu, à cette volonté suprême qui découle de la sagesse suprême, d’un amour et d’un sacrifice infinis pour nous, et qui exige de nous la soumission, uniquement pour notre bien. En nous conduisant au salut, au milieu des ténèbres, la volonté de Dieu nous destine ce qui est le plus utile pour nous dans toute la suite de la vie éternelle de notre esprit et que nous ne pouvons voir, ne voyant que cette vie temporelle. La soumission à la volonté de Dieu, c’est le premier et le plus indispensable sentiment, sans lequel tous les autres sentiments envers Dieu perdent leur pureté et leur importance et n’atteignent pas leur but. Sans ce sentiment, nous devenons esclaves des forces visibles et invisibles auxquelles, bon gré mal gré, nous nous soumettons lorsque nous ne nous soumettons pas à Dieu.
Remettons donc entre les mains de Dieu nos désirs même les plus purs de recouvrer la patrie, et laissons à la volonté de Dieu le temps de nous la rendre : « Donnez-nous, ô Seigneur ! la patrie que nous sentons nous être destinée dans Vos desseins, mais donnez-nous-la dans le temps où, selon nos comptes, Vous avez destiné de nous la donner, et par conséquent, donnez-nous avant tout d’acquitter nos comptes et d’augmenter notre mérite ; qu’en tout cela votre sainte Volonté soit faite, et non la nôtre. »
Voilà la pureté devant Dieu, voilà le patriotisme chrétien qu’il nous est destiné d’accepter et de montrer au monde comme un modèle que doit lui offrir la nation appelée à être nation-magistrat chrétien. Qui ne sait combien l’amour du Polonais pour sa patrie est ardent et plein de dévouement ? ! – Le monde entier lui rend ce témoignage ; – mais aujourd’hui nous devons mériter devant le ciel et la terre le témoignage que notre amour de la volonté de Dieu surpasse notre amour de la patrie. C’est un haut degré chrétien que Dieu exige de la nation qui a une si haute destinée chrétienne : se soumettre entièrement à Dieu et ne se rien réserver ; – c’est ce qui se fait éternellement dans les cieux et devra se faire sur la terre : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel 41 » ; – c’est ce qui, selon les décrets de Dieu, doit commencer à se faire aujourd’hui par les nations qui, à cause de leur âge plus avancé dans la vie d’esprit et de leur vocation chrétienne, doivent occuper les premières ce degré chrétien plus élevé. Le Père céleste demande davantage de ses enfants plus âgés, afin de les doter suivant leur âge ; et en cas de résistance, il punit davantage ces enfants plus âgés, dans lesquels la résistance à la volonté du Père devient un péché plus grave.
Kosciuszko nous a donné le modèle d’une telle soumission à la volonté suprême. Il sentit que, dans les décrets de Dieu, le moment de la délivrance de la Pologne était encore éloigné, et, quoiqu’il portât en lui la vie future de la Pologne, quoique sa foi en la résurrection de la Pologne ne fût pas ébranlée, même pour un instant, il accepta néanmoins avec la soumission chrétienne la mort temporaire de la Pologne et, pleurant jusqu’à la fin de sa vie douloureuse sur le tombeau de la patrie, il repoussa constamment les promesses des potentats qui gouvernaient le monde et leurs appels à agir pour la Pologne, quoique ces promesses et ces appels dans ce temps de si grands bouleversements dans le monde eussent une si grande force de séduction et séduisissent en effet un si grand nombre de patriotes.
Demander à Dieu ce qui ne peut être accordé qu’après l’accomplissement du devoir destiné, et ne pas accomplir ce devoir – prier pour obtenir l’effet sans donner la cause –, c’est opposer dans la prière même sa volonté à celle de Dieu, en ne reconnaissant à Dieu que le pouvoir de donner à l’homme ce que celui-ci désire. Si l’enfant de celui qui prie Dieu d’une manière si absolue se comportait de même à son égard, s’il lui demandait par exemple, avec une grande insistance, de lui permettre d’aller en récréation tout en ne remplissant pas la condition marquée pour cela – en n’étudiant pas sa leçon –, le père écouterait-il cette prière si contraire à ses desseins et au bien de l’enfant ? Cette vérité si connue et pratiquée par chacun sur le champ terrestre n’est pas vue d’une manière naturelle et réelle sur le champ chrétien, et c’est pourquoi sur ce champ un faux si frappant et une offense à Dieu si visible sont pris pour la vérité et l’adoration rendue à Dieu.
Prier sans se soumettre à Dieu et sans abandonner à sa miséricorde le choix du moment et de la manière dont il lui plairait de soulager le pécheur, prier sans tenir compte de la volonté de Dieu et de cette vérité que le gouvernement oppresseur, malgré toute l’apparence de sa puissance, ne peut faire en faveur du subordonné rien de ce qui soit contraire à la volonté de Dieu, qui gouverne et dirige le magistrat suivant son propre compte et celui du subordonné – c’est faire non seulement au Ciel, mais même à la terre, une violence qui grandit à mesure de la ferveur avec laquelle on prie ainsi....
En ne se soumettant pas à Dieu et en rejetant le joug que Dieu permet à cause de ses péchés, le subordonné commet un péché pendant le temps qui lui est destiné à satisfaire pour ses péchés ; par conséquent il est loin de la justice où, à l’exemple de Jésus-Christ, il doit être afin que l’injustice du magistrat tombe sur sa justice pleine, comme le noir sur le blanc, et que Dieu prenne la défense du parti offensé et juste. Dans cette lutte de l’injustice avec l’injustice, la grâce de Dieu s’éloigne et les forces inférieures se fortifient et agissent suivant les comptes du magistrat et du subordonné. Et le monde païen, en voyant la prière et ne voyant pas l’offense de Dieu qui y est commise, se scandalise de ce que Dieu ne défende pas les chrétiens qui prient avec ferveur, s’affermit par là d’autant plus fortement dans sa confiance en la force et les moyens terrestres et rejette d’autant plus hardiment le christianisme, dont il ne distingue pas l’essence céleste d’avec les formes célestes desquelles l’homme abuse par le péché.
Après nous être soumis à Dieu, reconnaissons et adorons sa miséricorde suprême en ce que, nous stimulant à nous élever à la hauteur de notre vocation, Il laboure le champ de notre intérieur plus profondément que dans d’autres nations ; et ne nous attristons pas de ce que le monde ne se presse pas de venir à notre secours, de ce qu’il ne roule pas (si je puis m’exprimer ainsi) notre champ labouré avant les semailles du grain de Dieu. Si la Pologne pouvait vivre et s’élever dans le royaume terrestre, si elle n’avait pas de vocation chrétienne, les serviteurs du royaume terrestre se hâteraient de venir à son secours. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Si mon Royaume était de ce monde, j’aurais des serviteurs qui combattraient pour m’empêcher de tomber entre les mains des Juifs 42. » Fortifiant notre foi par ce sentiment que Dieu achèvera ce qu’Il a destiné et déjà commencé pour nous, désirons seulement et tâchons d’accepter au plus tôt dans le champ labouré de notre intérieur la semence de Dieu, cet appel que Dieu, au commencement de l’époque, fait à l’homme dans son Œuvre, et en particulier à nous Polonais. Le champ qui n’est pas ensemencé produit de nouveau de mauvaises herbes, et il faut qu’il soit de nouveau labouré ; tandis que Dieu protège le champ ensemencé afin que le Royaume céleste se développe de cette semence de Dieu, comme l’arbre de l’Évangile du grain de sénevé.
En priant pour la liberté de notre patrie, éveillons en nous un ardent amour de la liberté de l’esprit, de la liberté intérieure, cette liberté vraie, chrétienne, et sacrifions tout pour l’obtenir et la défendre contre les attaques du mal ; car celui-là ne peut combattre pour la liberté extérieure avec la bénédiction de Dieu, qui, aimant le joug intérieur, est devenu dans son esprit esclave volontaire de la terre, de Mammon, ou du mal, de l’enfer ; qui, par là, donne aux instruments du mal, oppresseurs du monde, le droit de le subjuguer extérieurement. Dans cet esclavage intérieur, l’homme, perdant sa vie propre, vit de la vie que le mal lui impose : et ses pensées, ses sentiments, ses paroles et ses actions ne sont pas les siennes. Il aime et attire à lui ce qu’il repousse au fond de son âme, tandis qu’il méprise et repousse ce qui a de l’attrait pour son âme. Il éteint ainsi en lui l’étincelle du feu de Jésus-Christ, il efface l’image et la ressemblance de Dieu, et devient, non tel que Dieu l’a créé, mais tel que le mal l’a transformé. Un tel esclave volontaire n’est pas un chrétien, fils de l’Église, lors même qu’il accomplirait le plus strictement toutes les formes chrétiennes : « On ne peut servir deux maîtres 43 », a dit Jésus-Christ ; et celui qui se soumet dans l’esprit à un royaume faux ne peut appartenir au Royaume, à l’Église de Jésus-Christ.
La liberté extérieure jointe à l’esclavage intérieur est une contradiction et un mensonge, car c’est le désaccord entre l’esprit esclave et son corps libre ; c’est pourquoi plusieurs nations ont perdu leur liberté extérieure, et dès lors, ce qui était mensonge et désaccord devint pour elles une vérité et une réalité bien tristes, parce que le mal, qui subjuguait premièrement l’esprit seul, a aussi subjugué le corps, de sorte que l’esprit et le corps également subjugués sont arrivés à l’accord et à l’unité dans l’esclavage que Dieu a permis.
Ces nations combattent infructueusement pour la liberté extérieure, ou, après l’avoir atteinte, la perdent bientôt : parce que Dieu, qui aujourd’hui appelle l’homme, et d’abord ses enfants plus âgés, à la liberté entière, ne donne pas la liberté extérieure sans la liberté intérieure, ne donne pas l’effet sans la cause ; il permet l’esclavage extérieur visible, afin que ceux qui sont ainsi subjugués en esprit reconnaissent leur péché, leur esclavage intérieur, et soient stimulés à détruire en eux ce péché et à recouvrer la liberté intérieure qu’ils avaient perdue.
Mais nous voyons que même au sein des nations libres extérieurement, où l’on est garanti contre toute oppression qui ailleurs tombe sur l’homme par l’intermédiaire du gouvernement, on est souvent oppressé bien plus qu’on ne pourrait l’être par le gouvernement le plus despotique ; comme, par exemple, lorsqu’on est frappé par ces terribles maladies, ces épidémies, ces malheurs de toute sorte, ces fléaux et calamités extraordinaires qui fondent sur l’homme sans la participation de son prochain ; car il faut que chacun porte, ou bien la croix de Jésus-Christ, ou bien les croix, les pressions terrestres permises pour le rejet de cette croix destinée. Celui donc qui rejette la croix destinée se prémunit en vain contre les croix permises : elles tomberont sur lui, si ce n’est par l’intermédiaire du prochain, par quelque autre voie, afin que les décrets immuables de Dieu soient accomplis.
Le mal, qui est l’instrument de ces croix et de ces pressions permises, voulant aveugler l’homme sur son esclavage intérieur, lui cache qu’il est l’auteur non seulement des tourments invisibles qu’il inflige à son esprit, mais encore de toutes ces pressions et souffrances qui tombent visiblement sur lui, et il les présente à l’homme comme les effets des causes terrestres seules, comme des évènements ordinaires, résultant de l’ordre naturel des choses et n’ayant aucun rapport avec son état intérieur et son compte devant Dieu. Et ce qui aide le mal à aveugler ainsi l’homme, c’est la civilisation terrestre, élevée au détriment de la civilisation chrétienne qui est négligée, ce sont les forces, les facultés, les organes terrestres, développés au détriment des forces, des facultés, des organes chrétiens qui sont négligés : d’où résulte l’extension de la lumière terrestre seule qui, en faisant voir seulement les causes dernières, terrestres, ne permet pas à l’homme de voir les causes premières, réelles, non terrestres.
Nous Polonais, appelés avant plusieurs autres nations à la liberté vraie et entière, voyons en toute circonstance notre compte devant Dieu, cette source d’où vient toute direction pour nous, toutes les croix et les pressions terrestres qui nous frappent, d’où viennent les gouvernements qui nous oppriment, les malheurs, les maladies, les calamités, les évènements épouvantables, etc. – Par suite de cela, gardons-nous uniquement d’avoir un mauvais compte devant Dieu : gardons-nous de négliger nos devoirs chrétiens, de rejeter l’amour, le sacrifice, la croix présentée par Jésus-Christ, de quitter son Royaume, son Église et de servir le prince de ce monde ou le prince des ténèbres. – En nous gardant de cela, tâchons uniquement d’avoir un bon compte, cette cause qui dépend de nous ; que ce soit l’unique but de nos soucis, de nos pensées et de nos prières ; tout le reste, c’est-à-dire tout ce qui nous regarde non seulement dans l’éternité, mais même dans cette vie temporelle et par conséquent aussi la patrie et sa liberté, remettons-le à la miséricorde de Dieu comme étant l’œuvre de Dieu lui-même.
C’est en de tels travaux faits dans la prière, par suite de l’appel de Dieu à un progrès ultérieur, que consistera notre action intérieure qui doit précéder toutes les actions extérieures qu’il nous est destiné d’accomplir sur le champ de nos sacrifices pour la patrie. Il est dit dans l’écrit Powody 44 : « Puissions-nous, au milieu du chaos actuel du monde, accomplir ce que Dieu nous a destiné ; puissions-nous l’accomplir en agissant dans l’ordre destiné ; d’abord comme chrétiens, devant Dieu, dans le secret de nos cœurs, et ensuite comme chrétiens et Polonais, en agissant avec la bénédiction de Dieu pour notre patrie, pour obtenir le bien qui nous est destiné : bien pour lequel, ne gardant pas cette loi, nous avons lutté sans succès jusqu’à présent, par de si grandes peines, de si grands sacrifices. »
Toute action extérieure pour la patrie, accomplie par nous avant cette action intérieure, constituera un péché contre Dieu et la patrie et – ou bien ne nous donnera aucun fruit, ou bien nous donnera un fruit nuisible ; – tandis qu’après l’action intérieure, nos actions extérieures se produiront facilement, tant pour recouvrer la patrie et l’organiser conformément à la Pensée de Dieu que pour y manifester la vie chrétienne, pour accomplir ainsi notre vocation chrétienne.
L’action intérieure dépend de l’homme lui-même, elle s’accomplit devant Dieu, avec l’aide de la Grâce de Dieu ; l’action extérieure est entre les mains de Dieu, elle est le fruit de l’accomplissement de l’action intérieure, et elle dépend de l’homme moins qu’il ne le pense, car, en ce cas, Dieu agit lui-même par l’homme, comme par son instrument humble et docile, qui a déposé devant Lui son amour et sa soumission.
Et maintenant examinons quels sont les fruits de la prière, que nous devons produire sur le champ de nos rapports avec le gouvernement.
Devoirs du Polonais dans ses rapports avec le gouvernement. – Puisque dans les décrets de Dieu les directions se tracent aujourd’hui pour nous, il faut que nous purifiions nos comptes devant Dieu, que nous nous tenions dans la pureté sur tous les champs de notre vie et d’autant plus sur notre champ principal : dans nos rapports avec le gouvernement, qui est pour nous l’instrument de la punition de Dieu. Il est dit dans l’écrit Powody : « Dieu, ayant destiné au Polonais la pénitence et les instruments conduisant sur la voie de la pénitence, a destiné les devoirs, les relations et toute la conduite du Polonais envers ces instruments, comme le champ sur lequel il doit déposer les fruits du christianisme, qu’il portait jusqu’alors dans son esprit seulement. De là les devoirs attachés à ce champ sont devenus le devoir essentiel du Polonais pénitent, sa première action chrétienne, la condition de son existence, de sa liberté et de son salut. » La base de notre pureté sur ce champ consiste dans ce sentiment accepté dans notre âme : que notre esclavage avec toutes ses conséquences est une punition de Dieu pour nos péchés, et que le gouvernement qui nous opprime, étant uniquement l’exécuteur de cette punition, n’est pas coupable envers nous qui avons offensé Dieu, mais coupable seulement devant Dieu, parce qu’il s’est abaissé et, par suite, est devenu un instrument de la permission, de la punition de Dieu pour nous ; que, par conséquent, nous devons satisfaire à Dieu pour nos péchés, tandis que celui qui est devenu un instrument de la permission de Dieu pour nous devra lui-même tôt ou tard répondre devant Dieu de son abaissement.
Tout ce qui arrive dans le monde arrive par la volonté ou par la permission de Dieu ; en tout, les décrets de Dieu s’accomplissent, et non seulement le ciel mais aussi la terre et même l’enfer en sont les instruments. Il est dit dans l’écrit Powody : « Quiconque, par le fruit de son injustice, opprime son prochain, n’est coupable que devant Dieu pour avoir porté en lui l’injustice ; il n’est pas coupable devant le prochain, parce qu’il n’est pas la cause de l’oppression du prochain : cette cause est dans le prochain opprimé lui-même, dans ses injustices passées, dans son compte passé, par suite duquel ce fruit est tombé aujourd’hui, non ailleurs, mais précisément sur lui ; et si cet injuste n’était pas devenu instrument de cette justice de Dieu, un autre instrument aurait accompli les jugements irrévocables de Dieu. L’injustice humaine, Dieu seul la voit et la juge, et tout homme opprimé par cette injustice doit voir seulement la justice de Dieu, s’humilier devant elle et lui satisfaire. » Lorsque nous aurons accepté cette vérité, il nous sera facile d’abandonner au jugement de Dieu la conduite du gouvernement et de tourner contre notre mal, cause de la punition de Dieu, le ressentiment que nous portons contre le gouvernement, instrument de cette punition ; alors nous nous soumettrons facilement à la punition de Dieu et dans cette soumission nous commencerons à accepter tout bien, tout allégement venant des instruments de la punition, non comme une parcelle insuffisante de ce qui nous est dû, mais comme un effet de la miséricorde de Dieu envers nous, et par conséquent dans l’humilité et la reconnaissance envers Dieu.
Dans ce même sentiment d’humilité, nous nous dirons que, selon la loi de la force à laquelle Dieu nous a soumis, des conséquences bien plus terribles devraient tomber sur nous de la part du gouvernement pour l’action actuelle de nos compatriotes ; pour cette obéissance de leur part à l’inspiration de Dieu, que le gouvernement considère comme une désobéissance à son égard et par conséquent comme une offense. Maintenant en nous ce sentiment, nous craindrons devant Dieu d’éprouver le sort de ce débiteur orgueilleux qui, devant une forte somme et ayant eu, par la bonté de son créancier, une partie de sa dette remise, s’indignait encore malgré cela, et fut contraint de payer sa dette jusqu’à la dernière obole.
Dieu change la position de l’homme et des nations, élève ce qui a été abaissé, abaisse ce qui a été élevé ; mais dans chaque position, qui est en même temps l’épreuve de l’amour de l’homme, il compte ses pensées, ses paroles et ses actions, et lui trace ses directions ultérieures suivant ses comptes : car, dans chaque position, le chrétien doit être chrétien, suivre le modèle donné par Jésus-Christ, qui a soutenu son caractère chrétien, céleste, dans la position la plus difficile, a vaincu ainsi la terre et l’enfer conjurés contre lui, et occupé le sommet de son Église. Il est dit dans l’écrit Powody : « Aucune loi et coutume du monde, aucune situation de l’homme ne justifie devant Dieu la violation de la loi de Jésus-Christ, car cette loi est donnée pour être accomplie dans chaque position où Dieu, à cause des comptes de l’homme, place l’homme. »
Puisque nous sommes appelés aujourd’hui définitivement à produire le fruit de notre christianisme sur le champ de nos rapports avec le gouvernement, le mal nous tentera d’autant plus à mépriser et à rejeter les bons sentiments du gouvernement, sa bonne volonté, sa bonne intention à notre égard, montrée quoique momentanément et dans des choses minimes : par conséquent à mépriser et à rejeter l’étincelle chrétienne, qui est la source de ces sentiments. Le mal sait que le tort fait au sentiment, à l’étincelle chrétienne qui vit en qui que ce fût, est compté au tribunal de Dieu comme un tort et une offense faite à notre Seigneur Jésus-Christ lui-même ; que, par conséquent, après avoir induit le Polonais à commettre ce péché le plus contraire à son esprit et à sa vocation chrétienne, il continuera et établira par là plus facilement sa domination sur la Pologne.
Ces jours-ci, un Polonais témoigna ici, à Zurich, son mépris à un Russe qui manifestait sa sympathie pour la cause polonaise ; réprimandé pour cette injustice par un de nos compatriotes, il répondit : « Pouvais-je agir autrement avec un Moscovite qui ose parler de son amour pour la Pologne ? » Jésus-Christ, dans la parabole du bon Samaritain, du prêtre sans cœur et du lévite, demanda : « Lequel de ces trois vous semble-t-il avoir été le prochain de celui qui tomba entre les mains des voleurs ? 45 » Nous pouvons demander aussi : Dans le fait que nous venons de rapporter, lequel des deux était chrétien et Polonais ; est-ce le Polonais ou le Russe ?
Puisque le Polonais est entré aujourd’hui sur le champ des manifestations publiques, sur ce champ qui présente de si grandes difficultés pour soutenir le caractère chrétien, notre devoir est de réfléchir plus profondément sur cette matière.
La manifestation qui se fait dans les conditions chrétiennes est une action chrétienne importante ; car il faut un grand amour, un grand sacrifice et une grande liberté, pour manifester sur la terre – à l’exemple de Jésus-Christ, au milieu des forces contraires de la terre et de l’enfer – les vérités célestes dans leur pureté primitive ; pour ne pas renier mais confesser Jésus-Christ devant les hommes, élever son étendard, étendard de l’amour, de la vérité et de la liberté.
Manifester les vérités chrétiennes en donnant la vie à ces vérités, c’est faire opposition au faux qui vit sur la terre, c’est vaincre le faux, car la vie des vérités du Verbe de Dieu fait vivre sur la terre le Verbe lui-même, fait descendre le Royaume céleste sur la terre, et, devant les puissances de ce Royaume, tout faux, tout mal, toute oppression, toute injustice disparaissent ; ce n’est qu’ainsi que la prière quotidienne de l’homme pourra être accomplie : « Que votre nom soit sanctifié, que votre Règne arrive, que votre volonté soit faite 46..... » Sans la manifestation, le Royaume céleste, ne vivant que dans l’esprit des chrétiens, est mort pour ce monde et ne le défend pas du pouvoir des royaumes faux qui, en vivant et s’étendant, oppriment le monde. Notre Seigneur, durant toute sa vie, a manifesté dans ses paroles et dans ses actions le ciel qu’il a apporté sur la terre et n’a pas interrompu cette manifestation suprême au milieu de l’enfer même qui, pendant sa passion et sa mort sur la croix, a déployé toute sa puissance contre le ciel qui se manifestait sur la terre par le Sauveur. Notre Seigneur Jésus-Christ, par cette manifestation, a vaincu le corps, le monde et Satan, et, vainqueur, il gouverne le monde jusqu’à la fin du monde, jusqu’à l’accomplissement de ce qu’il a manifesté au monde.
La manifestation de la vérité portée intérieurement appartient aux devoirs les plus importants de l’homme envers Dieu et le prochain : celui qui n’accomplit pas ce devoir pèche gravement contre l’amour dû à Dieu, car il ne se sacrifie pas pour que la vérité, qui est une parcelle de Dieu, vive par lui et triomphe dans le monde. Il pèche gravement aussi contre l’amour dû au prochain : car il ne se sacrifie pas pour que ce qui lui donne à lui-même la joie, la paix et le salut de l’âme, donne ce même bien au prochain. Manifester devant le prochain ce que l’on porte en soi est un devoir qui, accompli dans chaque position d’une manière appropriée aux circonstances où l’on se trouve, apporte à l’homme un grand profit intérieur, augmente la vie et la liberté de son esprit, éloigne de lui beaucoup de souffrances et de contrariétés. Les simples, sots pour Jésus-Christ, sentent instinctivement le besoin d’une telle manifestation et, en y satisfaisant par suite du mouvement naturel de leur âme, ils facilitent beaucoup leurs rapports avec le prochain : car celui qui manifeste, qui ouvre son âme, en aidant le prochain à le connaître dans la lumière véritable, lai impose le devoir de se conduire à son égard selon la vérité. Au contraire, celui qui ne manifeste pas, qui se renferme en lui-même, en donnant au prochain le motif d’avoir une fausse opinion de lui et, par conséquent, de se conduire d’une manière fausse à son égard, peut par sa propre faute devenir la victime du faux. – Il arrive souvent que celui qui manifeste d’avance avec liberté et assurance sa position et ce qu’il a dessein de faire dans cette position, devient par cela même déjà plus fort pour accomplir ce qu’il a manifesté. Il arrive souvent aussi que celui qui, se renfermant intérieurement, ne manifeste au prochain, dans l’épanchement chrétien, rien de ce qu’il porte en lui, en arrive au point qu’il est forcé de manifester contre son gré beaucoup plus qu’il ne le faudrait, et qu’alors, dans une explosion non chrétienne, il découvre tout le mal qui s’était établi en lui pendant qu’il était renfermé en lui-même. C’est pourquoi dans les révolutions, par exemple, plus d’un, qui était timide, qui n’osait auparavant prononcer une parole contre le gouvernement, devient tout d’un coup hardi, parle et agit publiquement. Plus d’un, auparavant paisible, modeste, doux, devient tout d’un coup véhément, audacieux et souvent même cruel ! Ceux-là, bon gré, mal gré, sont obligés de manifester et d’éprouver les conséquences de leur manifestation non chrétienne : car des forces puissantes, invisibles, les y poussent par la permission de Dieu, en punition de ce qu’ils n’ont pas manifesté ce qu’il fallait dans le temps destiné et dans les conditions chrétiennes. Leur manifestation devient pour eux une source de souffrances ; mais leur faute, ce n’est pas d’avoir manifesté – car c’est un devoir de manifester toujours –, leur faute, c’est de ne pas avoir manifesté en son temps, ou d’avoir manifesté d’une manière non chrétienne.
De là, il est facile de conclure quelles sont les conséquences que peuvent amener pour la nation les manifestations chrétiennes faites envers le gouvernement, lorsque la nation, mise par lui dans la nécessité de manifester, manifeste dans l’épanchement chrétien ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait – lorsque, pour accomplir la volonté de Dieu, ses devoirs envers Dieu et envers la patrie, elle expose au gouvernement les points sur lesquels elle ne peut et ne doit céder, même au prix des souffrances de longues années et même au prix de la vie – lorsqu’enfin, réduisant le grand cercle des désirs et des exigences humaines au cercle essentiel qui est sous la protection de Dieu et qui renferme seulement ce qui est la condition de sa fidélité et de son obéissance à Dieu, à sa volonté – ce qui, par conséquent, est la condition du progrès, du salut de la nation – elle présente au gouvernement sa constitution chrétienne, fondée sur la volonté de Dieu, et accomplit cette constitution lors même que celle-ci est violée par le parti opposé.
Une telle action chrétienne possède la force chrétienne, céleste, qui triomphe des obstacles que la terre et l’enfer opposent à toute action chrétienne. Après une telle action, Dieu contraint le parti opiniâtre à se soumettre à sa volonté, à accomplir cette constitution, consacrée par la sanction suprême et manifestée et accomplie par le parti docile à la volonté de Dieu. Ou bien, si l’heure de Dieu n’a pas encore sonné pour le parti opiniâtre, Dieu éloigne de ceux qui lui sont fidèles les fruits d’une telle opiniâtreté. Il m’est arrivé plus d’une fois de voir que quelques paroles d’une telle constitution, prononcées dans les conditions chrétiennes par celui qui était opprimé, ont ôté la force à celui qui opprimait, l’ont désarmé et ont mis dès lors les deux partis dans une position toute différente.
Les manifestations chrétiennes sont peu connues jusqu’à présent sur le champ de la vie privée et encore moins sur le champ de la vie publique. Mais les temps sont déjà accomplis : et l’époque chrétienne, dans laquelle l’esprit de l’homme doit vivre dans la liberté, par les actions chrétiennes, a déjà commencé. L’heure de Dieu a déjà sonné pour la manifestation du christianisme, pour la vie du Verbe de Dieu : et le Polonais, pour avoir maintenu en lui son germe chrétien et en même temps pour accomplir la Pensée de Dieu qui repose sur lui, est appelé avant plusieurs autres nations à manifester le christianisme qu’il porte dans son âme – par conséquent à accomplir les actions, les manifestations chrétiennes sur tous les champs de sa vie et particulièrement sur le champ le plus difficile aujourd’hui, celui de ses rapports avec le gouvernement. Voilà ce qui, dans l’œuvre du salut de la Pologne, donne une importance si grande à l’action de nos compatriotes en février, à cette manifestation publique qui s’est faite par la puissance de Dieu, afin que le Polonais, continuant par la force de son amour et de son sacrifice cette même action dans ses manifestations chrétiennes ultérieures, suive la voie qui mène à la patrie. Or, qui ne sent que, parmi beaucoup d’autres nations, le Polonais est le plus capable de telles actions qui sont la manifestation, l’expansion de l’âme ?
Sainte, céleste, est la source des manifestations chrétiennes, mais nombreuses sont les sources des manifestations fausses qui se font par des motifs et pour des buts terrestres et même inférieurs à la terre : par exemple, pour s’élever soi-même, pour l’opinion du monde, pour satisfaire sa passion, pour opprimer son ennemi, se venger de lui, etc. – Le mal, qui est opposé à l’œuvre du salut de la Pologne, s’efforce de fermer dans les cœurs polonais la source salutaire des manifestations vraies, chrétiennes, et d’ouvrir ces sources nombreuses et pernicieuses des manifestations fausses. Et aujourd’hui qu’il nous est impossible de combattre le gouvernement par les armes terrestres, le mal nous tente à le combattre par les armes de l’esprit, dans les prières et les deuils publics, dans les démonstrations de notre mécontentement, en réclamant auprès du gouvernement jusqu’au dernier iota de la justice que nous voulons obtenir de lui, n’étant pas nous-mêmes devant Dieu dans la justice qui nous est destinée, etc.
En faisant de telles manifestations, nous nous servirions du mouvement éveillé par la grâce pour forcer le gouvernement à retirer de nous la punition qui n’a pas encore été retirée dans les décrets de Dieu : nous nous servirions donc d’une manière sacrilège des choses célestes pour l’accomplissement de notre propre volonté, contraire à la volonté suprême : nous nous éloignerions de notre devoir essentiel, en vilipendant dans l’action extérieure et sous les formes de la religion et du patriotisme ce que nous aurions dû accepter dans l’esprit et employer d’abord pour l’action intérieure qui nous est destinée, pour l’action qui doit nous tracer une direction plus heureuse dans notre avenir.
Par de telles manifestations, nous tranquilliserions seulement notre conscience, en nous imaginant que puisque dans ces manifestations nous faisons le sacrifice de notre vie et nous nous exposons à la persécution du gouvernement, nous accomplissons donc déjà, par cela même, notre devoir envers la patrie ; tandis qu’en réalité ce sacrifice, quoique grand et brillant, ne serait nullement le sacrifice chrétien qui nous est destiné pour connaître, aimer et accomplir ce que Dieu exige de nous, comme une condition indispensable pour nous rendre notre patrie. Aussi Dieu permet aux instruments de la punition d’arrêter le Polonais dans les manifestations et les sacrifices, même saints, qu’il fait, afin de le stimuler au sacrifice essentiel qui lui est destiné, au travail intérieur, à faire en lui ce qu’il peut pour satisfaire à Dieu, se concilier sa miséricorde, éloigner la punition, attirer la grâce de Dieu, et, avec son aide, remporter la victoire chrétienne sur l’instrument de la punition.
Une telle action chrétienne, qui s’accomplit dans l’âme de l’homme, étant en dehors des limites de toute autorité et de toute force terrestres, aucun gouvernement ne peut la défendre à ses subordonnés ; aussi notre gouvernement, même dans les temps de la plus grande oppression, lorsque toute loi chrétienne et terrestre était violée à notre égard, n’a pu nous la défendre ; le mal seul nous l’a défendue et nous la défend, ne cessant de nous tenter, afin que nous accomplissions le sacrifice terrestre extérieur et que nous n’accomplissions pas le sacrifice chrétien intérieur, qui nous est destiné pour la délivrance de notre patrie.
Tout dépend de l’esprit dans lequel l’homme agit. Ce qui est fait dans l’esprit voulu devient un mérite ; la même chose faite dans un esprit contraire devient un détour et une faute. C’est pourquoi nos manifestations, saintes selon la forme, mais faites dans un esprit contraire, peuvent offenser Dieu, irriter le gouvernement et le provoquer à produire les fruits les plus bas, qui pourront tomber sur nous, comme punition de Dieu pour avoir agi dans un esprit contraire. C’est pourquoi aussi, cette même action qui, accomplie auparavant avec la bénédiction de Dieu, nous avait apporté un si grand bien, répétée dans un esprit contraire, pourrait éloigner de nous la bénédiction de Dieu et augmenter notre esclavage et notre infortune.
Toute action à l’égard du prochain qui se fait dans l’esprit seul doit être accomplie avec un redoublement de crainte chrétienne. Quoi que l’homme fasse intérieurement à l’égard du prochain, ce qu’il pense, ce qu’il sent, ce qu’il juge, tout porte en soi une force qui agit invisiblement sur le prochain ; chacun éprouve cette action d’autrui dans sa vie quotidienne, et la force de cette action est si grande que l’action contre le prochain accomplie dans l’esprit seul peut le provoquer et l’opprimer plus que cette même action accomplie ouvertement, plus que l’explosion des passions les plus violentes : car le prochain, qui est opprimé par l’action de l’esprit seul, ne pouvant sans des preuves visibles réclamer pour le tort qui lui est fait, souvent même ne pouvant se rendre compte de l’oppression qu’il éprouve, souffre et se tourmente infructueusement dans ses ténèbres. Il éloignerait de lui cette oppression si, voyant dans la vérité le tort qui lui est fait et l’offrant à Dieu, il exposait au prochain la vérité tout entière et s’unissait à lui dans cette vérité, ou se séparait de lui à cause du faux qu’il soutient, si, après avoir fait cela, il remettait au jugement de Dieu toute cette action, terminée déjà entre l’homme et l’homme. – Mais il en est peu qui arrivent à une telle action, pour laquelle il faut une lumière plus vaste et une force chrétienne plus grande ; c’est à cause de cela que, quoique tant d’injustices et de souffrances découlent de cette source dans le monde, le monde, jusqu’à présent, ne connaît pas cette source et n’y oppose aucune barrière.
Dans les actions de l’esprit, la terre disparaît, tout moyen terme disparaît, et il n’y a que le ciel ou l’enfer qui agissent, suivant la disposition intérieure, suivant l’intention des instruments qui agissent : c’est pourquoi les péchés de l’esprit, dans lesquels agissent seulement l’esprit de l’homme et l’enfer, sont plus graves que les péchés terrestres, dans lesquels l’homme et la terre, le sang, la bile, etc., agissent. C’est pourquoi aussi de telles actions contre le prochain, accomplies dans l’esprit concentré, fermé, dans le silence, irritent, provoquent et oppriment davantage le prochain, car cette pierre de l’esprit, appuyée par l’enfer, blesse davantage l’esprit du prochain, et dans de telles actions se manifestent au plus haut degré le mépris du prochain, le désir de l’abaisser et de s’élever au-dessus de lui. Malheureusement, ces actions sont habituelles chez plusieurs, elles constituent même leur caractère, leur donnent la supériorité et le triomphe dans le monde.
C’est de cette source que sont venues dans les révolutions, ces terribles explosions du ressentiment que les classes inférieures de la société ont déjà depuis longtemps porté contre les classes supérieures, infectées plus que les autres par les péchés d’esprit. Sur le champ privé aussi, plus d’un mari est arrivé à la plus triste extrémité à l’égard de sa femme qui, en agissant par son esprit contraire à son mari, mais concentré et fermé, gardait tranquillement le silence, en observant strictement les formes chrétiennes et même en priant. De même, plus d’une femme est arrivée à une extrémité pareille par suite d’une action analogue – muette et tranquille – de son mari. Les faits épouvantables relatés dans les annales judiciaires et dont il n’a pas été possible de pénétrer la cause ont pour la plupart leur source dans l’action de l’esprit seul. Depuis des siècles, ces péchés invisibles de l’esprit sont portés devant le tribunal de Dieu, tandis que les tribunaux des hommes n’en jugent et n’en punissent que les conséquences, les péchés terrestres, visibles.
Dans les actions accomplies collectivement, il arrive souvent que plusieurs, n’ayant pas le courage de manifester leur conviction, cèdent à ceux qui, étant plus sûrs et plus forts qu’eux en esprit, leur font opposition et prennent l’initiative avec assurance. On peut voir cela même dans les sociétés privées, où, d’habitude, un seul dirige et les autres suivent. Mais ceux qui sont plus forts, qui donnent ainsi la direction, peuvent être dirigés par la grâce de Dieu ou bien par le mal, suivant leur compte et celui du groupe tout entier. Par conséquent, c’est un devoir important pour chacun de discerner l’action de la grâce de celle des tentations ; et ensuite, en veillant dans son âme, de se soumettre avec amour à la grâce, de faire opposition à toute tentation et de s’en séparer, sans avoir égard par qui et sous quelle forme elle se manifeste. Lors même que le mal se manifesterait à nous par les magistrats les plus autorisés et sous les formes les plus saintes de la religion, du patriotisme, de la liberté, etc., il ne cesserait d’être ce qu’il est en réalité : et la soumission à ce mal constituerait le grand péché de l’esclavage accepté volontairement, lequel attirerait de graves conséquences sur nous. Dans ces circonstances, qui sont une épreuve de son amour, l’homme ordinairement ne recourt pas à Dieu pour obtenir la lumière et la force, mais, sous la pression de l’urgence, il suit volontiers chaque lueur et se laisse entraîner par chaque force, en reniant son propre sentiment, sa conviction et en ne faisant pas attention aux avertissements que la grâce de Dieu donne souvent à l’homme dans les moments de direction pour lui. C’est ainsi qu’a été accomplie plus d’une action qui a tracé une douloureuse direction pour la nation, quoiqu’elle n’ait pas été l’action de la nation, car la nation ne l’avait ni voulue ni projetée, mais seulement elle y avait été poussée par la force d’un petit nombre d’individus plus forts et plus sûrs en esprit ; et après une telle action, la nation a fait pénitence pour cet esclavage accepté volontairement.
Plusieurs de ceux qui sont jaloux de leur liberté extérieure acceptent facilement, hélas, un tel esclavage intérieur, oubliant que cet esclavage volontaire, où l’homme commet le péché, est pire que l’esclavage extérieur, imposé par le gouvernement qui opprime, et où l’homme satisfait pour ses péchés. Le peuple polonais pieux, et, à cause de sa piété, timide et flexible en esprit, prompt à se soumettre de bonne foi à chaque force, peut facilement devenir la proie du manque de sacrifice de ses guides, plus sûrs et plus forts que lui en esprit. Par conséquent, une lourde responsabilité devant Dieu et devant la patrie attend ceux que Dieu a doués davantage afin qu’ils servent leurs frères moins doués. C’est pour eux un devoir important d’accepter aujourd’hui la lumière de cette époque, de connaître la pensée, la volonté de Dieu pour la Pologne, de connaître la direction, la voie qui lui est destinée dans les décrets de Dieu, car c’est seulement après avoir connu tout cela qu’ils pourront servir la patrie par la force de la croix de Jésus-Christ : or, accepter et porter cette croix, c’est aujourd’hui le fruit essentiel et la preuve de l’amour véritable du Polonais pour la patrie.
Manifestons notre tendance devant le gouvernement dans la sincérité et l’épanchement chrétien autant que l’occasion se présentera pour nous de le faire : manifestons ce que nous avons fait et ce que nous avons dessein de faire pour accomplir nos devoirs envers Dieu, envers la patrie et envers le gouvernement lui-même. Par une telle conduite, franche et sincère, nous montrerons que nous ne renions pas devant les hommes Dieu et sa très sainte volonté, cet appel que Dieu a fait en ces jours, tant à nous qu’à notre gouvernement. Toute crainte de notre part sous ce rapport serait une marque que nous attribuons non à Dieu, mais aux forces terrestres, le pouvoir et l’empire sur nous, quoique nous sachions qu’il n’arrive à l’homme que ce que Dieu lui destine ou permet à son égard par suite de ses comptes. Les bons gouvernements accomplissent la volonté de Dieu comme instruments de la grâce, les mauvais agissent par la permission de Dieu, comme instruments de la force et de la punition. C’est donc toujours Dieu qui dirige et gouverne tout, et il ne se sert des gouvernements que comme d’instruments, supérieurs ou inférieurs. Celui qui ne croit pas et ne sent pas cela, celui-là ne croit pas en Dieu tout-puissant, Créateur du Ciel et de la terre, celui-là n’est pas fils de notre patrie chrétienne.
Quoique le gouvernement soit devenu pour nous un instrument inférieur de la punition de Dieu, néanmoins il n’a pas effacé en lui le caractère commun à toute notre race, il n’a pas renié Jésus-Christ dans le fond de son âme ; c’est pourquoi il s’humiliera tôt ou tard devant ce qui est chrétien et que nous lui présenterons dans notre parole sincère et notre action persévérante. En suivant cette ligne de conduite à l’égard de ceux qui nous gouvernent, nous accomplirons non seulement nous-mêmes notre devoir chrétien, mais nous contribuerons encore – et ce serait un grand bien chrétien – à ce que ces frères vivent selon le germe de leur esprit et non selon leur péché ; nous contribuerons à ce qu’ils s’unissent au parti du bien, opprimé jusqu’à présent sur la terre, et l’appuient dans la lutte qu’il a déjà entreprise pour le triomphe de la liberté, de la vérité, de la justice, afin que, comme cela est destiné, le Règne de Dieu arrive sur la terre. Et n’étouffons pas en nous cette espérance ni nos sentiments chrétiens par l’idée qu’il n’est pas possible qu’un pareil changement s’opère dans le prochain, en qui nous voyons une tendance contraire si forte. Rappelons-nous les nombreux exemples de conversion qui nous sont connus par l’histoire des pécheurs publics, persécuteurs de la liberté, de la vérité, de la justice, et ne jugeons pas le prochain dont les comptes devant Dieu nous sont cachés, mais servons-le autant que l’occasion de le servir se présentera pour nous. Il est dit : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés 47... » Il est dit encore : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu 48. »
Il est destiné que le Polonais accomplisse le premier la loi de Jésus-Christ sur le champ de ses rapports avec le gouvernement, afin que, de la hauteur chrétienne atteinte par lui, sorte le premier rayon du jour de Dieu, qui percera les nuages et dissipera les ténèbres qui couvrent ce champ de l’esclavage, de l’oppression et du faux réciproques ; qu’ainsi l’étendard de Jésus-Christ, étendard de la liberté et de la vérité, soit élevé là où jusqu’à présent les forces inférieures seules gouvernaient et luttaient entre elles. Il est destiné que le Polonais, plus avancé dans l’âge de l’esprit, fasse le commencement de ce grand changement chrétien, afin que par là les frères cadets, qui avaient été jusqu’à présent des instruments de la punition de Dieu, reçoivent de leur frère aîné l’exemple, l’impulsion et l’aide dans la régénération, le progrès, et le salut qui leur sont destinés. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Que celui qui est le plus grand parmi vous, soit comme le moindre, et celui qui a la préséance, comme celui qui sert 49. » Une telle action a déjà été accomplie avec la bénédiction de Dieu par plus d’un Polonais sur son champ privé ; et puisque le champ privé est celui qui se cultive plus facilement, c’est donc là que l’homme doit prendre modèle pour son champ public, qui se cultive plus tard et plus difficilement. La vie des personnes de notre connaissance vous rappellera, mon cher frère, plus d’un exemple qui montre que là où il n’y avait autrefois que la lutte des forces inférieures, aujourd’hui la loi de Jésus-Christ s’accomplit : le soleil de l’amour, de la vérité et de la fraternité resplendit. Or, ce changement chrétien a toujours été initié par un seul, qui, appelé à faire ce commencement, a – le premier – percé les nuages et dissipé les ténèbres, tandis que les autres, en suivant l’exemple donné, ont achevé l’œuvre commencée.
Agissant sincèrement et franchement à l’égard de notre gouvernement, ne nous inquiétons pas de la manière dont il acceptera notre sincérité et notre franchise : car ce n’est pas notre affaire, mais celle du gouvernement qui, lui-même, rendra compte devant Dieu de ce qu’il aura fait par rapport à notre pureté à son égard ; il nous appartient seulement d’être purs devant Dieu et devant chacun de nos semblables. Tant que ceux qui sont opprimés, qui éprouvent des torts de la part du gouvernement, ne se tiennent pas dans la pureté devant le gouvernement, il n’y a qu’une lutte réciproque entre eux : et dans cette lutte le gouvernement triomphe d’ordinaire, car la force lui est donnée pour accomplir la permission de Dieu. Mais lorsque le tort fait aux opprimés tombera sur leur pureté, comme le noir sur le blanc, Dieu prendra leur défense, et en un moment, leur compte et celui du gouvernement, amenés à la plénitude par cette pureté et ce tort fait à la pureté, tracera une autre direction tant pour eux que pour le gouvernement, et au même moment cette direction commencera à s’accomplir pour eux. Il est dit : « Que celui qui commet l’injustice, la commette encore... et que celui qui est juste se justifie encore 50... Bienheureux ceux qui ont le cœur pur 51... Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 52... » Il est dit encore : « Ceux qui prendront l’épée périront par l’épée 53... » Notre Seigneur Jésus-Christ a donné le modèle suprême de la pureté et de la puissance de cette pureté : le mal que portait le monde est tombé, il y a des siècles, comme le noir sur le blanc, sur l’Agneau de Dieu, doux et humble ; et l’Agneau de Dieu a consommé sur la croix l’Œuvre du salut du monde, il a mis le monde en compte, lui a tracé sa direction et, pour l’accomplissement de cette direction, il gouverne le monde jusqu’à la fin du monde !
Une telle sincérité et un tel épanchement obligatoires pour le Polonais, je les ai manifestés au gouvernement par l’intermédiaire de l’ambassade de Russie à Paris en 1842, et je ne cesse dans ma position d’émigré de maintenir dans mon âme la sincérité et tous les sentiments chrétiens dus de la part d’un subordonné au gouvernement auquel Dieu l’a soumis. Appelé à présenter à mes compatriotes leur devoir envers le gouvernement, je dois, le premier, accomplir ce devoir : car le savoir et la théorie seule, étant une chose terrestre, n’a pas en elle de force chrétienne et ne produit pas de fruit chrétien ; elle ne touche que la tête, la raison, et non l’âme, le cœur. – Mes frères, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, Chodzko en 1844, Baykowski en 1848, Rozycki au nom des serviteurs de l’Œuvre de Dieu en 1857, ont manifesté cette sincérité dans leur épanchement. – Ce sont les fruits de notre union dans cette vérité : que notre éloignement du sol natal ne nous a pas délivrés de l’esclavage qui y règne par la permission de Dieu, et, par conséquent, ne nous dispense pas du devoir d’être de fidèles sujets chrétiens. La pensée de Dieu, qui repose sur l’esprit, ne se retire pas de l’esprit tant qu’elle n’est pas accomplie. L’esclavage, l’oppression, qui sont permis pour l’homme à cause de ses comptes devant Dieu, accompagnent l’homme pendant cette vie sans le quitter un moment, malgré son éloignement du lieu de l’esclavage et de l’oppression ; ils l’accompagnent même après sa mort jusqu’à ce qu’il ait acquitté complètement son compte d’où viennent cet esclavage et cette oppression ; ils accompagnent aussi bien l’homme que l’esprit, quoique sous une autre forme et par d’autres instruments qui accomplissent les décrets immuables de Dieu. – Lorsque, ayant quitté le sol natal, je suis arrivé auprès de mes frères pour leur transmettre l’appel de Dieu, j’ai vu au milieu d’eux des esclaves, subjugués sur un sol libre à un degré auquel n’atteint pas l’esclavage sur le sol polonais ; j’ai vu un plus haut degré d’esclavage volontaire, intérieur et même extérieur, où, tandis que l’esprit était opprimé par les forces invisibles, l’homme, sous la forme de la liberté, était opprimé par les hommes, instruments de ces forces. Car le mal s’efforce particulièrement d’induire en tentation ceux qui ont reçu, dans les décrets de Dieu, la vocation d’accepter les premiers l’appel de Dieu et de servir conformément à cet appel leur patrie dans un temps de direction pour elle.
Émigrés, nous n’avons pas, il est vrai, de champ extérieur pour accomplir nos devoirs envers le gouvernement, ainsi que l’ont nos compatriotes qui sont dans notre pays ; mais il nous reste le champ intérieur, et Dieu compte et juge ce que nous faisons sur ce champ, quelle est notre disposition intérieure, quels sont nos pensées et nos sentiments envers le gouvernement ; car le devoir imposé à notre nation toute entière afin qu’elle atteigne la hauteur chrétienne qui lui est destinée et en produise le fruit dans sa position difficile sur le champ de ses rapports avec le gouvernement, existe dans la voie du progrès aussi bien pour nous émigrés que pour tous nos compatriotes. Il faut que nous montions ce degré de la voie chrétienne pour pouvoir progresser sur les degrés de plus en plus élevés de cette voie et arriver à notre salut. Celui d’entre nous qui n’accomplira pas ce devoir aujourd’hui, lorsque cet accomplissement est si facilité par la miséricorde de Dieu, sera obligé de l’accomplir dans un temps plus reculé, dans une position de plus en plus pénible, au milieu de difficultés de plus en plus grandes, en passant, – après avoir perdu la grâce, – sous la loi de la force de Dieu toujours plus grande, qui opprimera ce débiteur du Seigneur sous une autre forme et par d’autres instruments, jusqu’à ce qu’il ait acquitté entièrement sa dette.
Celui qui, se rapportant à Dieu, attribue à Dieu seul, à sa volonté ou à sa permission, tout ce qui arrive dans le monde, celui-là rapporte son esclavage aux jugements de Dieu et non au prochain qui accomplit ces jugements ; par conséquent, en ne voyant en ce prochain qu’un instrument de Dieu, incapable de rien faire par lui-même, il entre dans sa position, et n’exige pas de lui plus qu’il ne peut faire, c’est-à-dire plus qu’il ne lui est permis de faire dans les décrets de Dieu, car cela dépend des comptes de celui qui est soumis à la punition de Dieu, et ce n’est que selon ces comptes que le devoir d’alléger la punition et la possibilité de le faire sont assignés à l’instrument de la punition. Mais ordinairement l’homme exige des instruments de la punition plus que Dieu ne leur permet de faire pour lui ; c’est contraindre le trésorier à faire des paiements non autorisés par le propriétaire du trésor. Jusqu’à présent ceux même qui, dans leurs prières, se recommandaient à Dieu et se confiaient en Lui, n’étendaient pas cette confiance sur le champ de leur vie et de leurs actions ; par conséquent, voyant tout sur ce champ d’après les apparences terrestres seules, ils attribuaient une plus grande importance à la force terrestre visible qu’à l’invisible puissance de Dieu. Voir, penser et agir selon cette apparence que le gouvernement peut faire quelque chose par lui-même pour nous, que de lui dépend notre direction, c’est attribuer aux hommes, et non à Dieu, le pouvoir et l’empire sur nous. Notre Seigneur Jésus-Christ, répondant aux paroles de Pilate qui lui disait : « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te faire crucifier et le pouvoir de te délivrer ? » a dit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne l’avait été donné d’en haut 54. » Attribuer à l’homme lui-même quelque pouvoir et quelque autorité, c’est l’idolâtrie, défendue déjà dans la loi de Moïse. C’est un grand péché pour l’homme, appelé dans ce temps à l’époque chrétienne supérieure – mais c’est un péché encore plus grand pour la nation, appelée à être la nation-magistrat chrétien dans cette époque ; et c’est ce péché qui, dans le cours de tant d’années de notre esclavage, ternissait notre caractère chrétien et polonais. Il est dit dans l’écrit Powody : « En atteignant, dans notre passé, par de grands sacrifices, un haut degré de caractère terrestre, nous avons été sans caractère chrétien : car en ne rapportant pas à Dieu nos directions, en ne les attribuant qu’aux hommes et en n’agissant qu’avec les hommes, par la seule force terrestre, nous n’avons pas accompli même cette loi de Dieu que l’homme a été appelé à accomplir plusieurs siècles avant Jésus-Christ ; ayant par le péché perdu la Patrie, par le péché nous avons cherché à la recouvrer, semblables à ces enfants qui, pour se délivrer de la punition, cherchent dans leur résistance à briser la verge dont le Père se sert comme d’instrument de punition. »
Obéissons au gouvernement et à toute force terrestre prédominante à laquelle Dieu nous a soumis, autant que ce n’est pas contraire à l’obéissance que nous devons à Dieu, autant que ce n’est pas contraire à notre caractère chrétien et polonais ; obéissons en tout ce qui ne porte pas atteinte au point principal de nos devoirs de chrétiens ; obéissons lorsqu’il s’agit de soumettre notre corps et non notre âme ; lorsqu’il s’agit de concession dans la chose terrestre, de l’accomplissement de la loi terrestre, juste ou même injuste, à laquelle nous avons été soumis par punition. Une telle soumission, la loi céleste de Jésus-Christ nous la recommande, la loi terrestre aussi, et même le bon sens. – Lorsque des brigands nous attaquent avec une force prédominante et nous enlèvent nos biens, et que toute résistance serait inutile, nous devons nous soumettre à la force prédominante, faire le sacrifice de nos biens terrestres, temporels, pour conserver notre vie, ce don précieux qui nous est donné pour accomplir la pensée de Dieu qui repose sur nous, pour notre progrès, pour le salut de notre âme. – Le chrétien, quoiqu’il ne vive pas sur la terre pour la terre, doit accomplir les lois terrestres afin de ne pas se rendre plus difficile l’accomplissement de la loi céleste de Jésus-Christ ; il doit, selon les paroles de Jésus-Christ, rendre à César ce qui est à César, pour ne pas se rendre plus difficile le devoir de rendre à Dieu ce qui est à Dieu 55. Mais là où, pour obéir aux hommes, il pourrait nous arriver de désobéir à Dieu, de soumettre notre âme au joug de l’homme, qui si souvent est le joug du mal, faisons au nom de Dieu la révolution chrétienne dans nos âmes et manifestons cette révolution dans notre action. Combattons, résistons, désobéissons : car il ne s’agit plus de notre corps, de la chose temporelle qui passe, mais de la gloire de Dieu, du triomphe de Notre Seigneur Jésus-Christ, par conséquent de notre caractère chrétien et polonais, de notre âme, de notre salut. Mais accomplissons cette révolution, cette résistance, cette désobéissance chrétienne, selon la loi et dans l’esprit de Jésus-Christ, dans l’amour de Dieu et du prochain, dans la crainte de Dieu, dans le sacrifice, le sentiment, l’humilité........ En outre, limitons cette désobéissance au champ essentiel seulement, sur lequel nous devons l’opposer et qui seul est sous la protection de Dieu ; car celui qui désobéit partout, qui ne veut faire de concession en rien, celui-là, en se rendant plus difficile la lutte contre les obstacles qui se multiplient par sa désobéissance non chrétienne, n’aura pas assez de force pour opposer dans le temps voulu la désobéissance chrétienne, la désobéissance sur son champ essentiel. – Nous en voyons de nombreux exemples dans la vie privée et publique de l’homme ; car le mal s’efforce de tourner le feu de l’amour et de l’énergie – nourri dans l’âme de l’homme pour la défense de la vérité et de la liberté – sur un champ moins important qui ne décide pas de la victoire, afin de pouvoir vaincre ensuite d’autant plus facilement dans la bataille décisive ceux qui ont été fatigués par des escarmouches accessoires. – C’est dans cet esprit que nous devons obéir au gouvernement : et, à cause de cela, ne nous assemblons pas sans un motif important et pur devant Dieu ; ne prions pas publiquement dans le but de provoquer et d’opprimer le gouvernement ; ne portons pas non plus le deuil comme un reproche contre le gouvernement pour le tort qui nous est fait. Dans ces circonstances, faisons des concessions, obéissons : car, par une telle obéissance, nous ne porterons pas préjudice à l’obéissance que nous devons à Dieu ; au contraire, par cet accomplissement de la loi terrestre, nous rendrons, selon les paroles de Jésus-Christ, à César ce qui est à César. – Mais en pratiquant cette obéissance envers le gouvernement, efforçons-nous d’obéir à Dieu et accomplissons l’essence de nos devoirs ; prions sans cesse dans nos âmes, seuls ou dans le cercle de ceux qui nous sont unis en Jésus-Christ ; portons le deuil et faisons pénitence intérieurement. Par ce deuil et cette pénitence, régénérons-nous, purifions-nous, et élevons-nous dans notre intérieur. – Par une telle obéissance envers Dieu – qu’il nous sera facile de garder sur notre champ intérieur – nous satisferons à Dieu et mériterons l’aide de la Grâce afin de garder cette même obéissance sur notre champ extérieur, bien plus difficile, où nous pouvons être obligés d’opposer au gouvernement notre désobéissance chrétienne pour accomplir la volonté de Dieu. Ainsi, en ne faisant rien en apparence et dans la forme, nous ferons beaucoup en réalité ; ne nous assemblant pas extérieurement, nous nous assemblerons et nous nous unirons intérieurement, nous deviendrons comme un seul homme en Jésus-Christ, dans la puissance de l’union chrétienne, à laquelle aucune force terrestre ne peut résister ; nous opposerons une résistance efficace sur le champ essentiel de notre désobéissance et nous défendrons des attaques du mal la propriété la plus précieuse de notre nation.
Mais qu’est-ce que la propriété la plus précieuse de notre nation ? Quel est ce bien que, comme chrétiens et Polonais, nous devons défendre avant tout et sans réserve, en désobéissant à toute autorité, en résistant même à la force la plus grande qui attaque ce bien ? Cette propriété, ce bien, c’est notre idée polonaise, cette pensée de Dieu qui repose sur la Pologne, ce fil sacré destiné à unir durant les siècles la Pologne avec le Ciel, cette âme de notre nationalité, cette force vitale de notre patrie. Donc, lorsqu’il s’agit pour nous de défendre cette sainte propriété de notre nation, tout égard à nous-mêmes, à la loi terrestre et à la terre doit disparaître. Car de graves conséquences tombent sur les nations qui ne gardent pas le trésor sacré que Dieu leur a confié. Chaque nation a un trésor qui lui est confié, a son idée, a la voie et la direction qui lui sont destinées selon ses comptes ; et elle ne peut être forte que par son idée accomplie dans l’esprit, et pratiquée sur son sol. L’idée de la Pologne, comme nation où le premier grain du Verbe de Dieu est tombé au fond de l’âme qui sent et qui aime, comme nation qui a accepté le christianisme avec amour, avec sentiment, est une idée pleinement chrétienne. Elle provient du Verbe de Dieu, elle est une parcelle du Verbe : de cette idée suprême, de cette pensée de Dieu transmise au monde par Jésus-Christ. Et ce n’est qu’en accomplissant cette idée, en lui donnant la vie dans son cœur et sur son sol, que la Pologne pourra vivre dans la force et la prospérité qui lui sont destinées. Par la vie de l’idée polonaise, le Verbe de Dieu vivra en Pologne, car la vie d’une parcelle du Verbe donnera la vie à tout le Verbe, qui, selon la loi céleste, s’unit à sa parcelle vivant sur la terre. Et ce tout céleste, ce Royaume, cette Église de Jésus-Christ, en vivant en Pologne, la fortifiera par sa puissance, la conduira sur la voie qui lui est destinée, comme à la nation-serviteur du Verbe de Dieu, à la nation-magistrat chrétien.
Gardons donc et défendons comme la source de notre vie éternelle ce trésor céleste qui a été donné à la Pologne au moment de sa naissance et dont la garde est confiée à toutes les générations de la Pologne, et plus encore aux générations actuelles qu’aux générations futures ; car nous vivons au commencement de l’Époque – dans ce temps où se tracent pour l’homme et pour les nations les directions pour les siècles de l’Époque – où, par conséquent, l’avenir heureux de la Pologne dépend de ce que l’idée polonaise commence à vivre sur toutes les routes privées et publiques du Polonais, malgré les plus grands efforts faits par le mal pour effacer l’idée polonaise dans les âmes polonaises, afin de tracer ainsi à la Pologne une direction contraire.
Gardons et défendons notre trésor céleste et éternel qui renferme notre avenir et celui de notre patrie ; et le reste, c’est-à-dire ce qui est notre bien terrestre et temporel, soumettons-le sans murmurer à la force à laquelle Dieu permet que nous soyons assujettis à cause de nos péchés.
Que les magistrats d’entre la nation, reconnus ou non comme tels, mais qui en exercent la charge, reconnaissent qu’ils sont destinés à être les gardiens de ce trésor national ; qu’ils aiment et maintiennent ce trésor dans leurs âmes et, par conséquent, qu’ils exposent à la nation cette pensée de Dieu sur elle, cette idée, et qu’ils l’appliquent dans chaque circonstance et dans chaque besoin. Et nous tous, nous unissant en cela avec nos magistrats, soumettons-nous à cette idée et accomplissons-la comme la volonté de Dieu pour nous. Ce n’est qu’ainsi que nous accomplirons notre devoir de vrais patriotes, fils de notre patrie chrétienne, que nous accomplirons l’appel que Dieu nous a fait en ces jours. Nous commencerons ainsi à vivre de notre idée sur tous nos champs, et par cette vie nous introduirons le christianisme sur notre champ public dans nos rapports avec le gouvernement, ce qui est devenu aujourd’hui notre premier devoir.
Gardons et défendons ce trésor par notre force chrétienne, car ce n’est que par cette force que les trésors célestes peuvent être gardés et défendus : et augmentons en nous cette force en proportion des efforts du mal, qui augmentent de plus en plus pour nous ravir notre trésor.
Gardons aussi et défendons, autant qu’il est en notre pouvoir, tout ce qui, dans les siècles passés, a été établi sur notre sol conformément à cette idée : gardons et défendons tout ce que cette idée, conservée par nos ancêtres, a produit en manifestant sa vie. Par cela, j’entends parler des signes et des formes de notre nationalité, de certaines cérémonies, de certains exercices de piété qui nous sont particuliers, des lois, des coutumes, de la langue, des vêtements, des chants, des traditions, des proverbes et autres souvenirs de la Pologne des temps anciens, temps éloignés encore de l’époque chrétienne supérieure ; – et j’en parle parce que, à l’approche de cette époque, l’éveil de Dieu étant arrivé pour la Pologne afin qu’elle s’élève dans son progrès ultérieur de la base sur laquelle elle avait reposé et brillé avec la bénédiction de Dieu pendant des siècles, en même temps est arrivée aussi la tentation du mal de renier cette ancienne base chrétienne, simple et pure, et de s’élever d’une base nouvelle, terrestre et fausse, à une hauteur qui en réalité est un abaissement. De là, une nouvelle Pologne a été créée, non selon l’idée polonaise, une Pologne différente de celle qui est dans la pensée de Dieu, plus civilisée et plus élevée en apparence, mais moins simple et moins pure, moins chrétienne et, par conséquent, moins polonaise.
De même que l’époque supérieure ne renverse pas l’époque passée, mais s’y élève de la base que Jésus-Christ a établie pour toutes les époques, de même la Pologne nouvelle, telle qu’elle nous est destinée pour notre progrès ultérieur, ne renverse pas l’ancienne Pologne, mais s’y élève de la base chrétienne simple et pure ; elle s’élève comme le degré supérieur sur le degré inférieur. Ce qui a été fait dans le monde conformément à la pensée de Dieu ne peut être renversé ; quoique obscurci et entravé dans son développement par le mal, cela dure et durera sous la protection de Dieu en se développant et en s’élevant de sa base.
Avec la disparition de l’idée polonaise dans la nouvelle et fausse Pologne, les signes et les formes représentant cette idée ont pour la plupart aussi disparu ; les traces que cette idée, en vivant dans les âmes, avait imprimées sur le sol polonais et laissées pour aider les générations suivantes, ont été effacées. Ces signes et ces formes de notre nationalité sont saints, toute âme chrétienne et polonaise le sent : car ils sont sanctifiés par la vie que leur a donnée cette idée, cette parcelle du Verbe de Dieu qui y a vécu ; par cela ils sont unis aux formes chrétiennes du tout, aux formes du Verbe de Dieu. Étant les images de l’idée polonaise, ils rappellent au Polonais son idée et l’éveillent à aimer cette idée et le tout auquel elle appartient : le Verbe de Dieu. Ils l’aident ainsi à rester fidèle à Dieu, à sa volonté, à son Verbe et à la patrie que cette volonté, ce Verbe lui a destinée ; ils facilitent donc au Polonais son progrès chrétien et, par conséquent, son salut. Plus d’une âme polonaise ne maintient en elle l’idée chrétienne, le fil de la piété qui l’unit au Ciel, que grâce aux sentiments que les signes et les formes de notre nationalité éveillent en elle pour l’idée nationale et pour le tout auquel cette idée appartient : le Verbe de Dieu.
À cause des péchés de la nation, pour avoir renié et rejeté volontairement son idée et s’être attachée seulement aux signes et aux formes de cette idée, pour s’être servie de ces signes et de ces formes, non dans l’esprit de l’idée, non afin de lui donner la vie destinée dans le cœur et sur le sol de la patrie, mais seulement afin de jouir d’une exaltation momentanée et de faux plaisirs patriotiques, – par conséquent, pour avoir préféré la convenance personnelle au sacrifice que la patrie réclame de ses enfants, – à cause de ce sacrilège, dis-je, Dieu permet que les signes et les formes de notre nationalité soient enlevés par la force qui opprime, afin que ce malheur stimule à maintenir dans les âmes l’essence même, et cela, par une force chrétienne plus grande, sans cette aide que donnent à l’homme les signes et les formes de la nationalité. Mais, quoique par la permission de Dieu le mal puisse enlever à la nation, malgré sa volonté, les signes et les formes de son idée – cette terre sanctifiée, cette aide pour maintenir l’essence –, il n’y a réellement que le péché qui puisse enlever à la nation son idée, cette sainteté qui doit vivre dans l’âme de la nation : le mal ne peut que tenter la nation à renier et à rejeter volontairement son trésor séculaire.
Il est facile de sentir, par ce que nous venons de dire, que notre idée ne peut déployer sa vie que dans notre patrie chrétienne ; et qu’une telle patrie, nous pouvons la retrouver uniquement dans la vraie Église, comme la partie dans le tout ; que, par conséquent, le christianisme et le patriotisme sont des sentiments qui constituent pour nous notre unité chrétienne, tellement indivisible, qu’il n’est pas possible d’être vrai Polonais sans être vrai chrétien dans l’âme. Il est facile aussi de sentir par là ce qu’est pour le Polonais la patrie terrestre seule, que rêvent ceux qui – séparant le Ciel de la terre, l’âme du corps, l’essence de la forme – considèrent la terre seule, le corps et la forme, comme étant tout. Il est facile de sentir ce que c’est que de combattre pour la patrie par la force et les moyens terrestres, avec l’âme enfouie dans la terre et vivant pour la terre, avec l’âme où n’a pas encore été établi le sanctuaire pour accepter et adorer dignement cette idée, cette sainteté, cette vie destinée à la patrie qui a une si grande mission chrétienne. Il est facile aussi de sentir par là que le Polonais qui renonce à sa nationalité et en prend une autre, non seulement cesse d’être Polonais, fils de la patrie, mais cesse encore d’être chrétien, fils de l’Église de Jésus-Christ, lors même qu’il accomplirait le plus strictement les formes chrétiennes qui, ne remplaçant pas l’essence chrétienne, n’effacent pas le péché du rejet de cette essence, péché du reniement de Jésus-Christ, du reniement de la pensée de Dieu qui repose sur le Polonais. C’est pourquoi un tel pécheur provoque dans une âme vraiment chrétienne et polonaise la douleur et le mépris, comme en témoignent nos expressions de Polonais dénationalisés, francisés, russifiés, germanisés, etc. Et, dans cette époque chrétienne supérieure, des sentiments semblables s’éveilleront aussi à l’égard de ceux qui, aimant les signes et les formes de notre nationalité et n’aimant pas l’idée que ces signes et ces formes représentent, ne se sacrifieront pas pour nourrir dans leurs âmes et leurs actions l’idée de la nation.
Au nombre de nos devoirs chrétiens sur le champ de nos rapports avec le gouvernement appartient celui d’être prêts – après avoir fait la révolution chrétienne dans notre esprit – à la faire aussi dans l’action. Une telle révolution se fait par la nation opprimée lorsque, par suite de l’expiation de ses péchés, qui ont amené l’oppression, il lui est destiné dans les décrets de Dieu, non seulement d’être délivrée du joug, mais encore de devenir elle-même l’instrument de sa délivrance. Dans ce cas, Dieu contraint par sa force le gouvernement qui opprime à se soumettre à ses jugements suprêmes, en se servant de la nation opprimée comme instrument pour cela ; dans ce cas, la révolution, pourvu qu’elle soit faite dans les conditions chrétiennes et dans le moment destiné, devient une action chrétienne dans laquelle s’accomplissent les jugements de Dieu avec la bénédiction de Dieu ; ils s’accomplissent malgré la résistance et même malgré la plus grande force matérielle du gouvernement ; car, dans ce cas, le gouvernement cesse, dans les décrets de Dieu, d’être l’instrument de la punition de Dieu, et ne peut plus être appuyé par le mal qui l’appuyait tant qu’il accomplissait la permission, la punition de Dieu pour la nation qui, par ses péchés, était sortie de la voie de la volonté et de la grâce de Dieu.
Toute nation opprimée, ne connaissant pas les décrets de Dieu, ne connaissant pas le jour et l’heure de sa délivrance, doit être prête chaque jour et à chaque heure à accomplir les décrets de Dieu qui lui rendent sa liberté, à accomplir tout sacrifice qui peut lui être destiné dans ce but. Elle doit être prête à faire cela sans avoir égard à la force prédominante du gouvernement et même malgré toutes les apparences d’une impossibilité évidente ; car il n’y a rien d’impossible à Dieu, et le manque de confiance en la puissance de Dieu, joint à la confiance dans les forces de la terre et de l’enfer, constitue un grand péché, défendu déjà par la loi de Moïse : « Je suis le Seigneur, ton Dieu...... ; tu n’auras point d’autres dieux devant ma face 56. »
L’empressement de l’homme à tout sacrifice intérieur ou extérieur qui peut lui être destiné attire sur lui la bénédiction de Dieu dans l’accomplissement du sacrifice destiné. Porter en soi un tel empressement est un devoir extrêmement important pour la nation qui est appelée, après s’être affranchie de tout joug et avoir recouvré sa liberté intérieure et extérieure, à devenir nation-serviteur de Dieu, nation-magistrat chrétien. Pour maintenir cet empressement dans l’âme, il faut, par la vigilance et le sacrifice continuels, vaincre les obstacles que le corps, le monde et Satan opposent à chacun dans toute action chrétienne, et de plus ceux qu’opposent à plusieurs, dans l’action dont nous venons de parler, tantôt la jeunesse qui pousse aux mouvements faux, aux révolutions non chrétiennes, tantôt la vieillesse qui, sous l’action du mal, fixe si souvent l’homme dans le royaume terrestre et, non seulement l’éloigne du mouvement, mais de plus le porte à condamner tout mouvement, toute révolution, l’incline à cette fausse paix qui en réalité est la mort et quelquefois l’endurcissement de l’esprit, faisant opposition à la vie du Verbe de Dieu sur la terre.
Aujourd’hui, autant qu’il nous est permis de sentir quels sont les décrets de Dieu pour nous, ce n’est pas encore notre devoir de faire la révolution dans l’action extérieure, d’employer la force terrestre contre le gouvernement. Jugeant de l’avenir par le passé, par quelques actions de l’Empereur, nous devons espérer qu’il ne sera pas contraire à la volonté de Dieu lorsque cette volonté l’appellera à nous rendre la liberté et la patrie, à cesser d’être pour nous un instrument de la punition et à devenir un instrument de la grâce et de la miséricorde de Dieu. Espérons qu’alors il s’humiliera devant la pensée de Dieu qui repose sur la Russie et sur la Pologne ; il sentira que, les unir par force, c’est une chose très contraire à cette pensée, c’est une lourde permission de Dieu et une grande difficulté pour les deux nations, parce que, portant chacune une pensée particulière de Dieu, ayant chacune une idée particulière, elles ne peuvent marcher ensemble dans la voie de Dieu, et ce n’est qu’en suivant cette voie séparément, dans l’indépendance mutuelle, qu’elles peuvent accomplir la pensée de Dieu et leurs idées respectives ; elles peuvent s’unir en Jésus-Christ et s’appuyer réciproquement comme chrétiens et, plus encore, comme chrétiens de la même race.
Mais si notre confiance dans le christianisme du monarque allait nous tromper, il n’en sera point de même de cette autre confiance qui doit nous faire croire fermement que le moment viendra où nous accomplirons nous-mêmes avec la bénédiction de Dieu l’action de la révolution qui nous est destinée dans les décrets de Dieu – action à laquelle nous nous serions préparés d’avance, en la portant dans nos âmes, et en attendant dans l’humilité le signe de Dieu pour l’accomplir sur la terre.
Il est dit dans l’écrit Powody au sujet de notre devoir relatif à la révolution chrétienne dans l’action : « Dieu qui, à cause des comptes de cette nation, lui a ôté la patrie, après les comptes acquittés, rendra ce qu’Il a ôté : Il délivrera des croix et du joug terrestres aussitôt que la croix et le joug supérieur de Jésus-Christ seront acceptés, et que le fruit en sera déposé sur le champ destiné ; Il tirera de l’esclavage extérieur, de cette position non naturelle, exceptionnelle, aussitôt que la liberté intérieure, chrétienne, sera recouvrée..... Et tout cela s’accomplira, si tels sont les décrets de Dieu, sans la participation des Polonais ; – la puissance de Dieu se déclarera par d’autres instruments qui accompliront les décrets de Dieu ; – et les instruments de la colère, de la punition, touchés par cette puissance, pourront devenir alors les instruments de la grâce et de la miséricorde de Dieu. – Tout cela s’accomplira, si tels sont les décrets de Dieu, par les Polonais eux-mêmes, dont les sacrifices pour la patrie, le caractère, l’héroïsme, seront alors appuyés par la puissance de Dieu ; car ces sacrifices, ce caractère, cet héroïsme, seront chrétiens, seront l’instrument accomplissant les décrets de Dieu, défendront ce bien qui devant Dieu sera déjà devenu la propriété des Polonais, défendront la patrie vraie destinée pour que là, par la vie et les actions chrétiennes des Polonais, se déploie le christianisme accepté sans patrie dans leur esclavage passé. »
Tels sont, cher Félix, nos principaux devoirs chrétiens sur le champ de nos rapports avec le gouvernement. L’accomplissement de ces devoirs nous rapprochera de la hauteur chrétienne qu’il nous est destiné d’atteindre, et fera disparaître la différence si grande qui existe aujourd’hui entre notre esprit et notre homme, ce péché principal de la nation, péché qui – malgré notre fidélité à Jésus-Christ maintenue continuellement dans notre esprit – a été engendré par notre résistance à vivre selon la loi de Jésus-Christ, à manifester par la force du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ, notre germe chrétien dans toutes nos actions privées et publiques.
Ainsi, sur le champ de nos rapports avec le gouvernement, nous déposerons notre soumission à Dieu, nous lui offrirons notre esprit attendri et humilié selon le modèle qui nous a été donné par l’Agneau de Dieu, humble et patient, nous manifesterons notre caractère chrétien et polonais. Ce sera le fruit de notre prière véritable et active, fruit de notre progrès dans le royaume de Jésus-Christ, où s’attendrit et s’élève tout ce qui, sortant du royaume terrestre, porte le caractère propre à ce royaume, le caractère de la dureté et de l’inflexibilité ; ce sera le sacrifice qui nous est destiné envers Dieu et envers la patrie, sacrifice le plus difficile pour nous et le plus salutaire pour la patrie : sacrifice de notre dureté d’esprit et de notre caractère terrestre, si contraire au vrai christianisme et, par conséquent, à la vocation chrétienne de notre patrie ; caractère qui, en excitant contre nous les instruments de la punition de Dieu, a attiré sur nous de graves conséquences, a augmenté et prolongé notre punition au-delà du terme fixé dans les décrets de Dieu.
Dieu nous a soumis à un gouvernement plus fort par la force extérieure afin que, pour notre salut, nous recourions à la force intérieure chrétienne qui ne peut être créée que dans une âme soumise et humiliée devant Dieu, dans une âme attendrie et vivant dans le caractère chrétien soutenu devant Dieu et devant le prochain. Et dès que, par suite de l’acceptation des qualités chrétiennes que je viens de mentionner, le christianisme maintenu fidèlement dans l’âme du Polonais, mais ne vivant pas et ne fructifiant pas jusqu’à présent dans le Polonais lui-même, aura commencé à vivre dans les âmes polonaises et à fructifier dans les actions des Polonais, – dès que le Polonais se sera approché ainsi de la hauteur qui lui est destinée, – il arrivera pour lui ce qui est dit dans l’écrit Powody : « Le Polonais, à cause de ses comptes devant Dieu, est appelé, par la force chrétienne augmentée dans la pénitence, à suivre cet idéal de plus près que beaucoup d’autres, à concilier ses devoirs envers Dieu avec ses devoirs envers l’autorité, à accomplir dans toute leur étendue ces paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 57..... » En assignant ce champ au Polonais, Dieu a mis sur sa route comme une forteresse à prendre par les armes chrétiennes, par la force du sacrifice, de la croix et du joug augmentés dans la pénitence. Ce n’est qu’après la prise de cette forteresse que se rouvrira pour le Polonais sa marche arrêtée, que se déploiera la vie propre à son germe, qui a été interrompue : vie dans laquelle le Polonais accomplira sa mission chrétienne, cette mission que pendant des siècles il pressentait dans son esprit toujours fidèle à Jésus-Christ, à laquelle aspirant constamment, il ne pouvait se satisfaire par rien d’inférieur : pour laquelle il luttait par de si grands sacrifices, mais sans succès, parce qu’il luttait pour le bien chrétien par des sacrifices non chrétiens. Cette mission peut être accomplie seulement dans la patrie vraie que le Polonais obtiendra, non par une force terrestre quelconque, mais par la force chrétienne seule, après avoir accompli sa pénitence sur le champ destiné. La puissance de Dieu se manifestera sur la nation qui, purifiée par la pénitence, aura passé sous la loi de nation-serviteur de Dieu, sous la loi de l’amour et de la grâce. »
Comme ancien serviteur de l’Œuvre, vous développerez, cher frère, selon vos besoins, les vérités que je viens de vous rappeler et vous les appliquerez aux circonstances actuelles : vous arriverez ainsi à voir clairement toute la voie dans laquelle le Polonais est appelé à accomplir dans sa position extraordinaire ses devoirs envers Dieu, envers la patrie et envers le gouvernement instrument de la punition de Dieu. En indiquant cette voie à nos frères compatriotes, vous leur éclaircirez ce qui, par la miséricorde de Dieu, est déjà pour vous une chose claire et évidente, savoir, qu’il n’y a que l’acceptation de cette voie qui mettra un terme à nos souffrances et à ces sacrifices de martyrs qu’ont déjà déposés tant de nos compatriotes : sacrifices qui, loin de nous conduire au but qui nous est destiné, nous forçaient seulement d’abandonner les voies et les buts non destinés. Vous leur éclaircirez aussi qu’il n’y a que cette voie qui pourra nous mener à la hauteur chrétienne qui nous est destinée, et par conséquent à la vraie prospérité en cette vie et au salut de notre âme dans l’éternité.
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Zurich, 4 avril 1861.
Mes lettres des 20 et 25 du mois dernier vous sont sans doute déjà parvenues. Par ces lettres, je n’ai pas seulement répondu à vos questions, mon cher frère, mais de plus, je vous ai éclairci la voie dans laquelle vous devez servir nos compatriotes : et cela fait reposer sur vous un fardeau qui, porté avec l’amour de Dieu et de la patrie, sera, je l’espère, un fardeau léger pour vous et profitable pour la patrie. Désirant vous aider à porter ce fardeau, je vous adresse aujourd’hui quelques observations touchant le service que vous devez rendre à nos compatriotes.
Autant que, par leur amour, nos compatriotes vous ouvriront le champ de les servir, annoncez-leur l’Œuvre de Dieu, qui a été déjà annoncée, en 1841, à nos compatriotes réfugiés en France : parlez-leur de ce temps extraordinaire, le plus grave, on peut dire, depuis le temps de Jésus-Christ ; parlez-leur de la réclamation et de l’appel que Dieu fait dans le temps actuel ; parlez-leur de l’époque chrétienne supérieure qui déjà est ouverte pour l’homme. Dites-leur que ce sont des jours où, de nouveau, selon les paroles de Jésus-Christ : « Le Royaume céleste s’est approché de nous 58 », jours bénis du Jubilé du Seigneur ; jours d’une effusion extraordinaire de la Miséricorde divine qui se répand sur le monde avec le commencement de cette époque chrétienne ; jours dans lesquels il est plus facile à l’homme de recevoir et de garder la grâce divine et, avec l’assistance de la grâce, d’entrer dans la voie destinée et de recevoir dans cette voie la miséricorde destinée. Dites-leur que ce sont des jours où Dieu allège les comptes de l’homme, devenus si lourds : où Il donne au monde sa suprême rémission, afin de faciliter au monde la régénération et la vie en Jésus-Christ. Dites-leur que, parmi les nations, l’Italie et la Pologne ont été touchées davantage dans ces derniers temps par la grâce divine, afin que, par ces deux nations, commencent la régénération du monde et sa vie chrétienne, privée et publique.
Par la vertu de cette miséricorde divine, beaucoup d’hommes sentent en eux une force qui leur était inconnue jusqu’à ce moment, qui les éveille, les fortifie, et les remplit d’espérances nouvelles. L’homme de mauvaise volonté, indifférent à ce qui descend du ciel sur la terre, est le seul qui ne ressente pas ces bienfaits divins, car le feu chrétien, le feu céleste, le feu de l’amour, du sacrifice, du sentiment s’est éteint en lui : en lui s’est détruit l’organe chrétien. Un tel homme, ne concevant point la miséricorde divine, méditant et raisonnant seulement d’une manière froide sur les bienfaits célestes comme si c’étaient des évènements terrestres et naturels, mesure tout à son ancienne mesure terrestre et ne quitte point son ancienne route terrestre.
Dites à nos compatriotes qu’il est aujourd’hui du devoir de tout chrétien, et à plus forte raison de tout Polonais ayant une vocation chrétienne si élevée, de déposer la mesure nécessaire de sacrifice pour connaître l’Œuvre de Dieu et l’appel que Dieu fait à l’homme dans cette Œuvre. Et lorsque la grâce divine, en vertu du sacrifice déposé, leur aura fait reconnaître que cette Œuvre et cet appel viennent de Dieu, ce sera pour eux un devoir d’écouter la voix de la grâce et de sa propre conscience, de s’humilier devant la volonté divine et de l’accomplir, sans attendre que la Magistrature suprême, instituée sur la terre par Jésus-Christ, confirme cette volonté, et bénisse l’homme pour l’accomplissement sur la terre de ce qui s’accomplit éternellement dans les cieux.
Nous devons espérer que la confirmation de l’Œuvre de Dieu et la bénédiction pour l’accomplir seront données par le Saint-Siège
Apostolique, car l’accomplissement de la volonté divine ne peut être différé dans le monde que temporairement ; mais si, par la permission de Dieu, à cause des péchés du monde, cette confirmation et cette bénédiction venaient à tarder, il n’est pas permis à l’homme de repousser la miséricorde divine par le motif que la suprême Magistrature divine sur la terre ne donne pas la permission de l’accepter, d’autant plus que Dieu, qui par sa grâce fait appel à la conscience de l’homme, punit déjà visiblement ceux qui rejettent sa miséricorde.
Lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ fit, par la volonté du Père Éternel, l’Œuvre du salut de l’homme, lorsqu’il fonda son Église sur la terre afin que l’homme, selon le modèle donné, fît la même Œuvre, édifiât cette même Église, non seulement il n’y eut point pour cela de permission de la part de la suprême Magistrature divine d’alors, mais au contraire il y eut la plus forte des oppositions, et malgré cela, il s’est trouvé des hommes fidèles à Dieu, qui, par amour de Dieu, de sa volonté, ont suivi la voix de la grâce divine et de leur propre conscience, ont reconnu et accepté la volonté divine présentée par le Fils de Dieu. C’est par la fidélité de ces premiers saints serviteurs de Dieu que l’Œuvre de Dieu a commencé alors à s’étendre dans le monde et n’a cessé de s’y étendre à travers les siècles. C’est cette fidélité que Dieu exige aujourd’hui de l’homme, auquel, par la volonté de Dieu, cette même Œuvre est rappelée de nouveau, éclaircie davantage et appliquée à la vie, afin qu’il fasse son progrès ultérieur, qu’il s’approche davantage du modèle donné par Jésus-Christ ; c’est dans ce but qu’un degré supérieur de la voie chrétienne lui est montré, une époque chrétienne supérieure lui est ouverte.
Puisque Dieu répand aujourd’hui sur nous sa miséricorde avec plus d’abondance et que ce n’est que par notre amour et notre sacrifice que nous pouvons la reconnaître, la sentir et l’accepter, éveillons donc dans nos cœurs l’amour et le sacrifice, et acceptons ce don suprême, céleste, sans nous inquiéter si une loi ou une ordonnance quelconque de l’homme nous permet de le faire. Acceptons ce don sans analyser et sans juger ce qui doit être indubitablement l’objet de notre amour et de notre vénération. En accomplissant la volonté du Père Éternel, malgré les lois et les constitutions humaines, contraires à ce qu’il faisait, Jésus-Christ introduisit sur la terre tout le Ciel que le Verbe de Dieu avait destiné à la terre, tout son Royaume céleste, Il introduisit sur la terre son Église et l’y fonda ; ce Ciel, ce Royaume, cette Église, Il les révéla à l’homme par ses paroles et ses actions, et par là Il présenta au monde un modèle pour tous les siècles jusqu’à la fin du monde : par là Il accomplit l’Œuvre du salut du monde. – Dans les royaumes terrestres, lorsque les rois octroient leurs grâces, les sujets les reçoivent sans tourner les yeux vers qui que ce soit et sans consulter personne : et les magistrats des rois ne regardent point cela comme une atteinte à leur honneur, comme une désobéissance. Lors donc que Dieu fait descendre sur nous sa miséricorde, que ce soient l’esprit seul, la conscience seule, notre sentiment et notre cœur qui agissent, et non la tête, notre raison, qui, étant un organe terrestre, ne peut nous guider dans cette action chrétienne, céleste.
Par l’acceptation du christianisme avec l’amour, le sentiment, le cœur, la Pologne s’est tracée pour les siècles une direction chrétienne, céleste ; c’est pour cela qu’elle est appelée aujourd’hui à devenir une nation modèle et magistrat chrétien. N’interrompons donc point cette direction si heureuse pour nous ; n’échangeons point notre amour, notre sentiment, notre cœur, contre la réflexion et la doctrine froides ; n’échangeons point le christianisme, ce ciel sur la terre, contre la terre seule ; ne soumettons point au mal cette citadelle de notre for intérieur, restée encore intacte et contre laquelle le mal dirige aujourd’hui tous ses efforts, afin qu’après avoir conquis ce point chrétien capital dans le monde, il puisse régner tranquillement sur le monde. – Lorsqu’un bon enfant aperçoit sa mère dont il a été longtemps séparé, les lois et les règlements de ses professeurs et supérieurs ne sont plus rien pour lui ; il oublie tout dans ce moment si grand pour son amour ; par l’amour il reconnaît sa mère, se précipite dans ses bras et s’unit à elle ; et si l’enfant n’agissait pas ainsi, sa mère, pénétrée de douleur, dirait : « Mon enfant peut avoir beaucoup de qualités ; mais il ne possède pas la première qualité de l’enfant, il n’a pas l’amour pour sa mère : et l’enfant qui n’aime pas n’est point mon enfant. » C’est sous cette épreuve de l’amour que nous sommes aujourd’hui, nous Polonais, qui portons la vocation chrétienne, dans ce temps du commencement de l’époque chrétienne supérieure où se trace notre direction pour les siècles de cette époque.
En parlant de cela à nos compatriotes, parlez particulièrement aux Ministres de l’Église, à nos prêtres, de leur croix plus grande dans cette époque, par conséquent de leur mérite et de leur honneur plus grands. Dites-leur qu’ils sont appelés, dans ces temps extraordinaires, à guider la nation polonaise, par la force d’une croix plus grande, de leur sacrifice plus grand, sur la voie où, d’après la Volonté de Dieu, les derniers évènements l’ont appelée ; par conséquent, que c’est pour eux un devoir sacré de s’unir au mouvement éveillé par la grâce divine, de porter secours dans les dangers qui menacent la patrie et dont nous avons parlé précédemment ; d’aider ceux qui ont accepté le mouvement éveillé par la puissance divine à le conserver pur et à s’en servir dans la direction et sur la voie de la volonté de Dieu ; et, vis-à-vis de ceux qui repousseraient ce mouvement, n’ayant pas foi en la force céleste, et ne se confiant qu’en la force et les moyens terrestres, c’est leur devoir aussi de les aider à reconnaître leur grand péché et à se convertir à Dieu ; car cette voie, à laquelle les derniers évènements ont appelé la nation polonaise, est la voie chrétienne, voie unique pour une nation qui a la vocation chrétienne. Les fils de l’Église peuvent seuls marcher dans cette voie, puisant la force chrétienne dans l’Église, sanctuaire de l’amour, du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ. Sur cette voie seulement peut être accompli l’appel que Dieu fait au commencement de cette époque pour que le Verbe de Dieu soit ressuscité et vive par l’homme ; pour que la loi de Jésus-Christ, notre très sainte religion, soit appliquée à la politique, à la vie publique des nations ; pour que le christianisme soit pratiqué dans ce monde, qu’il cesse d’être seulement une sainte exaltation de l’esprit et devienne par l’homme une réalité vivante.
Parlez à nos prêtres des efforts que quelques prêtres, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, ont faits pour accomplir l’appel de Dieu ; citez-leur l’exemple édifiant donné par un prêtre italien, le frère Louis de Carmagnola, qui, persécuté longtemps pour la foi qu’il avait en l’Œuvre de Dieu, a enfin confirmé sa foi par une mort de martyr. Parlez-leur de notre compatriote, feu le père Dunski, et dites-leur que, dans les témoignages qu’il a déposés sur l’Œuvre de Dieu et que Charles Rozycki a publiés et envoyés aux ministres de l’Église, ils trouveront des éclaircissements sur l’Œuvre de Dieu, et aussi le modèle du prêtre de cette époque chrétienne supérieure. Tout en accomplissant ses devoirs de prêtre, appropriés au temps présent, le père Dunski s’est sacrifié pour connaître l’Œuvre de Dieu et l’appel que Dieu fait à l’homme dans cette Œuvre ; il a uni l’Église avec l’Œuvre, dont le but principal est l’élévation de l’Église ; il a concilié les devoirs plus étendus du prêtre de l’époque supérieure aves ses anciens devoirs ; et ces devoirs plus grands, il les a accomplis par la force de l’amour et du sacrifice plus grands, d’une plus grande croix qu’il avait acceptée. Par ce moyen, il continua sa magistrature de prêtre dans l’époque supérieure, sur un champ plus vaste : il servait de guide à ses compatriotes dans leur vie publique, il les conduisait sur la voie à laquelle la Pologne est appelée maintenant par la puissance divine, et les détournait des routes terrestres chaque fois qu’ils étaient tentés d’y entrer. Par ce moyen, il a étendu et animé le champ de la magistrature du prêtre, il a élevé la dignité de cette magistrature à la hauteur de la pensée de Dieu qui repose sur elle ; il a fait preuve de caractère chrétien au milieu des obstacles et des persécutions ; il a présenté le modèle du chrétien et du prêtre de cette époque chrétienne supérieure. Et Jésus-Christ bénissait visiblement ses travaux. Beaucoup de personnes qui traitaient avec mépris la magistrature de l’Église, en la voyant s’élever et vivre par l’amour et le sacrifice, se sont humiliées devant elle, devant la pensée de Dieu qui repose sur elle. Désirant l’union en Jésus-Christ avec tout prochain et élevant en lui tout bien qui pourrait l’approcher de Jésus-Christ et de son Église, le prêtre Dunski a converti des personnes de nationalités et de cultes divers, de sorte que ceux qui repoussaient l’essence du christianisme et en accomplissaient seulement les formes, ainsi que ceux qui en repoussaient l’essence et les formes, ont embrassé le christianisme dans son essence et dans ses formes, et sont devenus des fils fidèles de l’Église.
En accomplissant la volonté du Père Éternel, Jésus-Christ a présenté le plus haut modèle de l’accomplissement de la pensée divine qui repose sur l’homme, et durant les siècles. Il appelle ses élus à présenter au prochain des modèles partiels, se rapprochant de ce modèle le plus élevé. Celui qui, ayant vu le modèle de son devoir accompli, ne suit pas ce modèle, tombe dans un compte plus lourd devant Dieu. C’est pour cela que ceux qui résistent à Jésus-Christ et aux devoirs chrétiens, parce qu’ils pressentent dans leur esprit ce compte plus lourd et cette responsabilité plus grande devant Dieu, tournent leur tourment et leur haine contre ceux de qui ils reçoivent le modèle. De là est venue la haine d’Israël contre Celui qui lui avait présenté le modèle suprême de la pensée de Dieu accomplie ; de là aussi provient aujourd’hui la répugnance de beaucoup de personnes contre l’Œuvre de Dieu et les deux écrits de l’Œuvre publiés sous les titres Dunski et Powody.
Voilà sommairement ce que vous pourrez exposer à nos prêtres chaque fois que Dieu vous en donnera l’occasion. Connaissant votre amour et votre respect pour la magistrature de l’Église, je suis plein de l’espoir que vous remplirez votre devoir dans un esprit d’amour et d’humilité, et que par là vous aiderez nos prêtres dans la difficulté qu’ils éprouvent lorsqu’il s’agit pour eux d’accepter les vérités chrétiennes présentées par une personne laïque. J’espère aussi que, dans le même esprit, vous les appellerez à l’accomplissement de ce qu’ils nous doivent aujourd’hui, à nous Polonais, c’est-à-dire de marcher à la tête de la nation sur la voie chrétienne privée et publique, voie où le christianisme et l’Église, fidèlement conservés jusqu’à ce moment dans l’âme polonaise, doivent désormais non seulement vivre dans l’âme, mais aussi vivre et s’élever sur la terre par les actions chrétiennes privées et publiques du Polonais.
Parlez aux Puissants de la Pologne, à ceux de nos compatriotes qui sont plus puissants que leurs frères, non seulement par les richesses, mais par tout autre bien terrestre, par la science, les talents, par leur rang, leur position sociale, leurs emplois, par la gloire, l’influence, etc. Parlez-leur des devoirs plus grands qui reposent sur eux à cause de ces dons de Dieu. Dites-leur qu’il leur est destiné d’être les magistrats chrétiens de leurs frères qui n’ont pas cette puissance ; qu’ils sont plus libres des nombreuses croix terrestres, de la pauvreté, de la misère, des travaux pénibles, etc., afin de porter la croix céleste plus grande, présentée par Jésus-Christ, et, par la force de cette croix, par la force d’un plus grand amour et d’un plus grand sacrifice éveillés dans leur cœur, de servir davantage leur prochain et la patrie. Dites-leur que le rejet de toute croix terrestre et céleste, de tout sacrifice, de tout labeur, ce que l’on considère dans le monde comme le privilège et le bonheur des puissants, n’est en réalité qu’un arrêt dans le progrès et, par conséquent, le renversement de la Pensée divine qui repose sur l’homme ; que ce rejet attire sur l’homme des conséquences d’autant plus graves qu’il a reçu de Dieu des dons plus grands et que le champ de sa vocation est plus vaste. Parlez aux puissants de leur devoir en ce temps où une nouvelle direction est tracée pour la Pologne ; dites-leur qu’il leur est destiné d’entretenir dans leur âme le mouvement éveillé par la grâce au mois de février et de faire des efforts, des sacrifices, afin que ce mouvement se maintienne dans la nation dans sa pureté primitive et qu’il soit employé dans la direction et sur la voie indiquées, afin d’empêcher l’extension de ce péché si terrible aujourd’hui pour le Polonais, qui consiste à ne pas croire à la force céleste de ce mouvement, à le tolérer seulement pour un certain temps, par des égards humains, et à conserver au fond de son âme la confiance que les anciennes forces et les anciens moyens terrestres suffisent pour le salut de la patrie.
Veiller sur ce point, et détourner de la Pologne ce grand danger qui la menace, c’est, avant tout, le devoir des prêtres et, ensuite, celui des puissants. Or, le mal s’efforce habituellement d’entraîner tout magistrat précisément dans le détour dont il est appelé à écarter le prochain, et cela afin que, au lieu de l’union chrétienne destinée entre les magistrats et les subordonnés, se fasse entre eux l’union dans le mal commun, pour que les subordonnés, cédant au mal qui les gouverne et gouverne leurs magistrats, se justifient devant leur conscience de leur péché et le parent devant le monde de la vertu de l’obéissance due aux magistrats. C’est en cela que consiste en grande partie la victoire et le triomphe du mal dans le monde : c’est de cette source que découle abondamment l’esclavage tant intérieur qu’extérieur de l’homme.
Que les puissants remplissent du fond du cœur et de l’âme leurs devoirs envers leurs frères qui n’ont pas la puissance, en leur donnant la fraternité, la sincérité, l’épanchement chrétien ; ils paieront ainsi la dette qu’ils ont accumulée depuis des siècles en se séparant d’eux, en en détournant leur âme, en rabaissant ces frères qui sont leurs égaux et souvent même plus grands devant Dieu. Tous les biens terrestres et toutes les grandeurs qui en résultent ne sont que la terre, qui n’élève point la valeur de l’esprit et qui, ne servant qu’à un usage temporaire, ne peut influer en rien sur les liens éternels entre les esprits. Et, dans cette époque de liberté et de vie de l’esprit, cette terre doit être soumise à la loi de Jésus-Christ, à la loi de l’amour, de la fraternité, de l’égalité.
Exposez donc, cher frère, qu’il ne s’agit point aujourd’hui de restituer à nos frères pauvres les biens terrestres seuls, de leur payer seulement la dette extérieure, – qu’il ne s’agit point de leur donner seulement ce dont l’homme, le corps a besoin, c’est-à-dire la liberté et la propriété terrestre, – mais qu’il s’agit surtout de leur restituer le bien intérieur, de payer cette dette qui pèse beaucoup plus qu’une dette terrestre sur la conscience des débiteurs ; qu’il s’agit de donner aux frères pauvres la liberté et la paix intérieures, en renonçant à les dominer, en tournant vers eux leur âme qui a été détournée d’eux pendant des siècles, en éveillant pour eux le sentiment de l’égalité devant Jésus-Christ et en s’unissant à eux en Jésus-Christ, en les admettant à la fraternité et à l’union chrétienne ; car la conduite tenue envers eux jusqu’à présent, conduite qui les indignait et les affligeait, qui étouffait en eux les sentiments chrétiens envers leurs frères puissants et par là les privait de la liberté et de la paix intérieures, une telle conduite anti-chrétienne, avec ses suites, opprimait l’âme de nos frères déshérités plus que l’esclavage extérieur, avec toutes ses suites, n’opprimait en eux l’homme, le corps.
Dans ces jours d’une direction nouvelle pour l’homme et les nations, Dieu appelle la Pologne à une action chrétienne très importante pour elle, et facilite cette action par sa miséricorde. Dieu nous appelle tous, puissants et non puissants, à ce que, après avoir acquitté mutuellement nos dettes extérieures et intérieures, nous nous mettions dans une position nette les uns envers les autres ; à ce que, après une séparation qui a duré des siècles, nous nous unissions comme des frères en Jésus-Christ, d’abord pour secourir avec nos forces unies notre commune patrie, puis pour accomplir, dans cette patrie, notre vocation chrétienne. Ce qui, dans les décrets de Dieu, est destiné à nos frères pauvres comme paiement de ce qui leur est dû, comme satisfaction pour les torts qui leur ont été faits, ne dépend point de la volonté des débiteurs, de leur consentement ou de leur refus sur ce point ; car en cas de résistance de la part des débiteurs les créanciers recevront, jusqu’à la dernière obole, ce qui leur est dû, de la main de Dieu, par la seule puissance de Dieu ; mais cet acquittement de la dette, se faisant sous la loi de la force et de la punition divine, sans que les débiteurs y participent, ne leur portera aucun mérite, et n’effacera point le péché commis par eux contre l’amour du prochain. Après avoir perdu le temps propice et la facilité qui leur ont été donnés par la miséricorde divine, ils seront obligés quand même de satisfaire à Dieu, d’effacer leur péché dans l’éternité, où cette action sera devenue pour eux beaucoup plus difficile.
Ce devoir chrétien, assigné aux puissants, ne peut être rempli par les forces et les moyens terrestres que leur civilisation terrestre plus élevée leur suggère aujourd’hui et qui ne sont qu’une tentation du mal. Il faut pour cette action la force chrétienne que la civilisation chrétienne seule peut donner ; car cette action ne peut sortir de la tête, de la raison, mais seulement de l’âme humiliée devant Jésus-Christ et soumise à sa loi. Par cette force chrétienne que la grâce divine appuie, peut s’accomplir dans un seul moment et avec facilité ce que sont incapables de faire les plus grands efforts terrestres seuls ; car ils sont devenus un péché pour le Polonais, et, comme péché, la grâce divine ne les appuie pas. Bien plus, dans la position actuelle de la Pologne, ils peuvent attirer des souffrances et des malheurs, comme punition de Dieu pour ce grand péché : de rechercher les forces et les moyens dans le royaume terrestre, et de rejeter la force chrétienne. Sur ce champ d’action des puissants, tout dépend donc pour eux d’accepter la force chrétienne, et cette acceptation constitue précisément l’action intérieure qu’aujourd’hui Dieu exige avant tout du Polonais, comme condition pour le bénir dans ses actions extérieures, dans sa vie privée et publique.
Comme serviteur appelé à servir la Pologne, je présente en toute occasion à mes compatriotes ce principal devoir chrétien : avant toute action extérieure accomplir d’abord l’action intérieure. C’est à cette action que se rapportent ces paroles de l’écrit Powody, que je vous répète ici, mon frère, pour la seconde fois : « ..... Puissions-nous accomplir ce que Dieu nous a destiné, l’accomplir selon l’ordre destiné ! D’abord comme chrétiens, agissant devant Dieu, dans le secret de nos cœurs, et ensuite comme chrétiens et Polonais, agissant avec la bénédiction de Dieu, afin d’obtenir ce bien qui nous est destiné..... » Nous avons déjà beaucoup parlé, cher frère, sur cette matière dont dépend si grandement l’avenir de la Pologne. Vous pratiquez déjà ces vérités avec l’aide de Dieu envers les hommes du peuple que Dieu a confiés à votre tutelle, et vous jouissez déjà des fruits bénis de votre union chrétienne avec ces frères ; c’est pourquoi j’ai une grande confiance que la grâce divine vous aidera à présenter à vos compatriotes les vérités qui vivent déjà par vous et portent leurs fruits pour la gloire de Dieu, pour votre salut et celui de la Pologne.
Quelques-uns de ces puissants sont obligés aujourd’hui de présenter à la patrie les fruits de l’Œuvre de Dieu qu’ils auraient dû connaître et accepter puisqu’ils ont eu, dans le passé, des facilités pour y arriver, par leurs voyages à l’étranger, par les écrits éclaircissant l’Œuvre de Dieu, et par d’autres moyens qui leur ont été fournis par la Volonté de Dieu. Que celui donc de nos compatriotes qui, en n’accomplissant pas ce devoir, s’est rendu coupable envers Dieu et envers la patrie, se hâte de satisfaire à Dieu et à la patrie ; qu’il s’empresse de connaître l’Œuvre de Dieu ; qu’il accepte lui-même et qu’il montre à ses compatriotes la voie éclaircie dans cette Œuvre, voie sur laquelle le mouvement actuel peut être employé pour la gloire de Dieu et le salut de la patrie. Mais avant tout, que nos compatriotes plus puissants acceptent la direction chrétienne, pour remplacer leur confiance dans la terre, dans les forces et les moyens terrestres, par leur confiance en Dieu, dans les forces et les moyens célestes, chrétiens, et pour employer ensuite les forces et les moyens terrestres seulement comme instruments des forces et des moyens chrétiens. Que leur travail, qui jusqu’à présent a été terrestre, extérieur, pour le progrès et la civilisation terrestres de l’homme seul, se change en travail chrétien, intérieur, en sacrifice de l’esprit pour le progrès chrétien, pour la civilisation chrétienne de l’esprit et de l’homme. Ce travail, ce sacrifice chrétien deviendra leur force pour l’accomplissement de leur vocation chrétienne ; car, en introduisant dans leur vie les trésors de leur esprit, ceux qui sont puissants dans le royaume terrestre deviendront puissants dans le Royaume de Jésus-Christ, et ainsi sera accomplie par eux la Pensée de Dieu qui leur a destiné une vie dans la position de puissants, et de là des devoirs plus grands et un champ de mérite plus grand devant Dieu et devant la patrie.
En parlant au Peuple polonais, à ces frères qui sont habitués à répondre à l’amour et au sentiment par l’amour et le sentiment, dites-leur qu’ils gardent aussi, dans la liberté qui descend pour eux par la miséricorde divine, ce trésor chrétien qu’ils ont conservé durant leur long esclavage. Dites-leur qu’ils emploient cette liberté et la vie plus vaste qui s’ouvre pour eux à accomplir plus facilement l’appel que Dieu fait aujourd’hui, à manifester, dans leur vie libre, les trésors chrétiens conservés fidèlement dans leur âme, et par une telle vie, à faire descendre sur la Pologne le Royaume de Jésus-Christ, dans lequel, comme dans leur patrie chrétienne, les torts séculaires leur seront payés, leurs douleurs séculaires seront calmées. – Dites à ces frères qu’il est aujourd’hui d’une grande importance pour eux d’accomplir le devoir qui leur est assigné envers leurs frères puissants, appelés à être leurs magistrats chrétiens ; que ce devoir est sur la route de leur salut temporel et éternel, comme le devoir de la Pologne entière envers le gouvernement est sur la route du salut de la Pologne.
Appliquez donc, selon le besoin, à ces frères sans puissance tout ce dont nous avons parlé au sujet des devoirs de la nation polonaise dans ses rapports avec le gouvernement ; et surtout qu’ils prennent envers leurs frères puissants cet esprit et cette tendance chrétienne qui sont présentés dans l’écrit Powody ; – qu’ils rapportent à Dieu seul, à ses jugements, à leurs péchés passés, à leurs comptes devant Dieu, les torts qui leur ont été faits, leur esclavage, leur oppression ; – qu’ils ne voient dans le prochain qui les opprime et leur fait tort, que l’instrument de Dieu, qui, appelé à être un instrument de la grâce, est devenu pour eux, en raison de leurs fautes et de leurs comptes, un instrument inférieur de punition et de permission divine ; – que, par la crainte de Dieu, par l’amour de Dieu et du prochain, ils vainquent le ressentiment de l’esprit contre cet instrument ; – que, dans une complète soumission à la volonté de Dieu, ils attendent de Lui seul l’heureux changement de leur direction, et qu’ils acceptent dans l’humilité et avec reconnaissance la moindre parcelle de ce changement comme un effet de sa miséricorde. Et éveillant en eux ces sentiments chrétiens au milieu des nombreuses tentations du mal, et en accomplissant ainsi leur action intérieure chrétienne, puissent-ils mériter qu’avec la bénédiction de Dieu soit complétée pour eux l’heureuse direction déjà commencée, qui leur ouvre le champ des actions extérieures, le champ d’une vie libre et, par cette vie, leur facilite leur progrès et leur salut.
Lorsque, après des siècles d’un esclavage dans lequel les routes de la vie sur la terre leur étaient fermées, Dieu les appelle aujourd’hui à faire son Œuvre, c’est-à-dire à manifester dans leur vie le christianisme qu’ils ont fidèlement conservé dans leur esprit, à s’unir dans la voie chrétienne avec leurs frères puissants, et à accomplir dans cette union la vocation chrétienne qui repose également sur tous les Polonais ; – lorsque, pour cette pensée, Dieu leur ouvre les voies de la vie par les instruments de sa grâce, et qu’Il les délivre de l’esclavage, de l’oppression, – le mal, de son côté, ne manquera pas de les tenter, pour qu’ils fassent, non cette Œuvre de Dieu, mais l’œuvre du mal, c’est-à-dire, pour que, dans leur vie libre, ils rejettent le christianisme fidèlement conservé pendant leur esclavage, pour que, abusant de la liberté et de la vie, ils deviennent l’instrument du mal pour leurs frères puissants, que par là ils s’éloignent eux-mêmes de l’union qui leur est destinée avec ces frères, et qu’enfin ils attentent à la Pensée même de Dieu qui repose sur leur commune patrie.
Que ces frères se défendent donc, avec la croix de Jésus-Christ portée dans leurs âmes, de toute attaque du mal, et qu’ils regardent comme instrument du mal quiconque, abusant de leurs sentiments d’amertume, de douleur, de désespoir, et en même temps de leur bonne foi et de leur ignorance, fomenterait en eux, même sous les formes de la religion et de la liberté, la haine, la dureté, la vengeance ; quiconque susciterait par là en eux une force antichrétienne de l’esprit, ou la seule force brutale du sang, de la bile, de la passion, etc. ; en un mot, quiconque éveillerait et nourrirait en eux ce dont il leur est précisément destiné de faire le sacrifice pour Dieu, pour la patrie, et pour leur propre salut.
Si (ce dont Dieu les préserve) cette force antichrétienne de l’esprit et cette force brutale de l’homme, n’étant pas contenues par la crainte et l’amour chrétiens, étaient lancées par ces frères sur un champ où ils sont appelés à déposer le fruit de leur christianisme, en ce cas le mal, s’attaquant à la Pensée de Dieu qui repose sur la Pologne, après les avoir envahis, les éloignerait de la voie que la miséricorde de Dieu a marquée pour eux dans ces temps d’une nouvelle direction ; ce détour aggraverait grandement leurs comptes devant Dieu, d’où pourrait s’ensuivre pour eux, non plus une direction de vie, de liberté, de paix, mais l’ancienne direction de mort, d’esclavage, de souffrances, de croix terrestres, comme une punition que Dieu permettrait, pour avoir abusé de la miséricorde divine, pour s’être éloignés de la Pensée divine et de la voie indiquée.
Après avoir appelé votre intérêt chrétien, frère Félix, sur ce point principal de votre devoir envers nos frères dénués de puissance, je ne développerai pas davantage cette matière, car les péchés d’esprit sont peu manifestés par ces frères : l’esclavage, l’indigence, le travail, l’ignorance, les voies de la vie fermées pour eux sur la terre, et d’autres croix et misères terrestres, les retiennent dans les limites terrestres restreintes et, par ces limites, sont restreints aussi leurs péchés qui sont habituellement terrestres, véniels ; et contre ces péchés, la lumière de l’Époque passée est suffisante.
En parlant à Israël, à ces frères qui sont en Pologne un plus véritable Israël que chez d’autres nations, et qui ordinairement reçoivent avec ardeur ce qui découle pour eux d’une âme ardente, dites-leur que Dieu a abaissé son regard de miséricorde sur ses enfants aînés dont Il a dit, il y a des siècles : « Mon fils premier-né Israël 59 », et que l’étoile d’Israël, qui n’a pas brillé pendant des siècles, se lève déjà pour lui.
Qu’Israël reconnaisse donc son temps et qu’il s’élève au-dessus de la terre qu’il a trop aimée dans le passé ; qu’il s’élève à la hauteur de l’esprit d’Israël, et il comprendra facilement l’appel, que, dans ces jours de miséricorde, Dieu fait à Israël ; il comprendra facilement la voie que Dieu lui a destinée, et, dans cette voie, il s’unira à ses frères, aujourd’hui ses compatriotes, au milieu desquels il a trouvé jadis l’hospitalité ; et dans cette union, par les qualités d’Israël, par la foi en Dieu, l’amour de Dieu et le feu de l’esprit, il aidera ses frères compatriotes pour le bien de la commune patrie.
Que ceux qui ont été si fidèles à la volonté de Dieu transmise par Moïse deviennent aussi fidèles à la volonté de Dieu transmise par Celui qui est bien plus grand que Moïse ; qui, par amour du salut de l’homme, est descendu de la suprême hauteur céleste à l’extrême abaissement de la terre, s’est soumis à ses lois, et a supporté avec patience ses iniquités ; qui a montré à l’homme sa route entière jusqu’à la fin du monde, a montré toute la pensée de Dieu reposant sur l’homme, toute sa destinée ; qui a montré aussi à Israël, pour son progrès ultérieur, ce degré de la voie de Dieu qui est le christianisme, degré supérieur à celui qu’a atteint Israël par Moïse et où il s’est arrêté jusqu’à ce jour, résistant pendant des siècles au progrès dans la voie de Dieu. Quiconque, ayant accepté un certain degré de cette voie, veut y rester éternellement, oppose la résistance à la volonté de Dieu, à la pensée de Dieu qui repose sur lui et rejette son salut ; celui-là, après que son temps sera accompli, passera de la loi de l’amour sous la loi de la force et de la punition de Dieu, afin que la volonté immuable de Dieu, le salut que Dieu a destiné s’accomplisse pour chacun.
Après qu’Israël eut rejeté la volonté de Dieu, le Verbe de Dieu, et qu’il eut crucifié le Verbe incarné ; après cette faute horrible qui depuis dix-neuf siècles a tracé à Israël une direction de pénitence, l’obstination avec laquelle il résistait pendant ces siècles de pénitence à la volonté de Dieu, au Verbe de Dieu, a été un grand péché. Mais ce péché n’a pas encore atteint sa plénitude, car jusqu’à présent le christianisme n’a pas été présenté à Israël dans toute son essence et sa lumière ; c’est plutôt par la force que par l’amour des chrétiens qu’Israël a été poussé à accepter, non le christianisme, mais la forme chrétienne seule et, en acceptant la forme chrétienne seule, Israël renonçait à l’ancienne essence, à l’ancien bien d’Israël, et ne remplaçait pas ce bien par un bien beaucoup plus élevé, le bien chrétien. – Aujourd’hui Dieu appelle de nouveau Israël à accepter sa volonté, son Verbe ; à accepter le progrès qu’il a destiné à l’homme par son Verbe ; à accepter la loi de la grâce, l’amour et son fruit, le sacrifice chrétien : sacrifice supérieur à tous ceux qu’Israël offrait à Dieu pendant des siècles. En appelant Israël à ce degré plus élevé de sa voie, Dieu lui éclaire ce degré par une lumière plus grande, qui a été présentée par Jésus-Christ et qui, dans ce temps où commence l’époque chrétienne supérieure, devient par la grâce de Dieu plus compréhensible à l’homme, et est appliquée davantage à sa vie privée et publique. Par suite de cette lumière plus grande, ce qui jusqu’à ce jour était seulement un objet de foi, de sentiment, d’exaltation, devient désormais une réalité sur la terre, devient une chose que l’homme peut connaître même par ses propres sens, et après l’avoir connue, la glorifier davantage et l’accomplir plus facilement. Or si, après une telle effusion de la miséricorde divine, après que la connaissance de la volonté de Dieu, du Verbe de Dieu, lui aura été facilitée, Israël ne voulait pas connaître cette volonté ; ou si, l’ayant connue, il la rejetait, alors le péché d’Israël devant Dieu deviendrait complet ; le fruit complet de sa résistance à la volonté de Dieu serait déposé, et la plus fervente prière d’Israël n’effacerait pas ce péché, ne compenserait pas son devoir principal, qui est de suivre la route que Dieu a destiné par son Verbe à l’homme, et d’abord à Israël, son fils premier-né. Un tel compte devant Dieu tracerait à Israël une direction douloureuse pour une longue suite de siècles, et la génération actuelle, après avoir rejeté la miséricorde divine et préparé par cela de nouveaux obstacles aux générations futures d’Israël, éprouverait d’affreux tourments d’esprit, étant forcée de voir de l’autre monde les souffrances de ses frères.
Qu’Israël cesse donc de juger le christianisme d’après les chrétiens dans lesquels il n’a point vu de christianisme, mais seulement les formes chrétiennes, et de la part desquels il a éprouvé pendant des siècles les effets de leur manque de christianisme. Qu’Israël regarde aujourd’hui comme son premier devoir de connaître le christianisme qui lui est présenté dans une vérité plus complète et dans un éclat céleste plus complet ; et après en avoir pris connaissance, qu’il n’écoute point ce que ses ancêtres, hommes instruits, mais nullement éclairés par la lumière céleste, et n’ayant point vu l’étoile d’Israël, ont dit de Jésus-Christ et du christianisme ; qu’il n’écoute point les hommes, mais qu’il écoute et accomplisse sans retard l’appel que fait aujourd’hui à Israël son Seigneur et son Dieu qui l’a tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude, et qui aujourd’hui, par la même miséricorde, veut le tirer de la servitude et des ténèbres où son esprit reste captif depuis des siècles.
Je me suis étendu sur cette matière, frère Félix, car elle est profondément et douloureusement gravée dans mon âme. Dieu m’a appelé à servir ces frères dans leur grand besoin, dans ce temps de direction pour eux, et jusqu’à présent ces frères m’ont bien peu donné l’occasion de les servir, et je les ai servis bien peu depuis plus de vingt ans que je sers le prochain par le devoir de ma vocation. Vous savez, car vous-même vous avez ressenti de la douleur en le voyant, comment plusieurs d’entre les fils d’Israël, après avoir accepté dans le feu de l’esprit l’appel de Dieu, l’ont ensuite rejeté, et ont aussi rejeté le devoir qu’ils avaient accepté, de présenter cet appel à leurs frères ; ils se sont rejetés dans les anciennes routes terrestres, en continuant l’ancien péché d’Israël : l’amour de la terre, de Mammon. Il en est même, parmi eux, qui ont fait le pèlerinage de Jérusalem et y ont annoncé l’Œuvre et l’appel de Dieu à Israël, et qui ensuite ont renié ces sentiments que Dieu avait éveillés en eux par la grâce, pour le salut d’Israël. Je confie ce service à votre amour, car je sais quels sentiments vous portez dans votre âme pour ces frères qui, malgré leur résistance à la volonté de Dieu, n’ont cependant pas éteint en eux le feu de la foi et de l’amour de Dieu, n’ont pas renié le germe, l’élévation, l’âge de l’esprit d’Israël : « Voici ce que dit le Seigneur : Mon fils premier-né, Israël 60. »
Que dans sa miséricorde, Dieu n’induise pas en tentation ces frères, mais les délivre du mal et leur facilite l’accomplissement de leurs devoirs dont la substance est : de connaître la volonté de Dieu et de commencer à l’accomplir ; d’accepter la direction qui leur est destinée et de marcher durant les siècles dans cette direction, en suivant l’étoile que Dieu, dans sa miséricorde, montre aujourd’hui à Israël ! – Que ce soit l’objet de nos désirs, de nos prières, de notre sacrifice, à quelque degré que ce sacrifice puisse être nécessaire, car notre indifférence à cet égard serait un péché contre l’amour du prochain, souillerait d’une tache ignominieuse notre caractère chrétien et polonais, et arrêterait pour longtemps, et cela par notre faute, la fraternité qui nous est destinée avec ces compatriotes.
Il est facile de sentir de quelle grande importance pour l’avenir de la Pologne est l’union, d’après la pensée divine, de ces deux parties de la Pologne si rapprochées par leur germe et par la sympathie d’esprit qui en découle et qui se manifeste principalement dans le peuple polonais, malgré la différence si grande de leurs routes et de leurs positions respectives sur la terre ; il est facile aussi de sentir quelle grave responsabilité assumerait sur lui dans l’éternité celui qui le premier mettrait obstacle à cette union. – Que notre amour pour ces frères, jadis nos hôtes et aujourd’hui nos compatriotes, destinés (à cause de la communauté de l’esprit et de la vocation) à devenir une partie homogène de la Pologne, se manifeste donc par un tel désir et un tel sacrifice de notre part ; et qu’ainsi soit acquittée par nous, envers le trésor de l’amour de Dieu et du prochain, la dette que nous avons contractée dans le passé, comme chrétiens envers ces prochains, et comme habitants du pays envers nos hôtes que Dieu, en leur désignant notre terre comme leur principale demeure, a confiés à notre amour et à nos soins.
Dites aux Femmes polonaises, à quelque condition et à quelque religion qu’elles appartiennent, que tout ce que nous disons, comme serviteurs de l’Œuvre de Dieu, à nos frères compatriotes, nous le disons de même à nos sœurs compatriotes. Exposez-leur, dans la lumière plus abondante de cette époque, toute la vérité sur la position de la femme dans le monde ; exposez-leur les torts qui sont faits à l’esprit de la femme, torts qu’elle pressent, mais que jusqu’à présent elle ne voit, ni ne sent, et contre lesquels elle ne réclame pas au nom de Jésus-Christ. Exposez-leur, par exemple, comment l’homme écarte la femme de l’union d’esprit, de la fraternité ; comment il lui refuse l’amitié, la bienveillance pure, désintéressée ; comment il exclut de ses rapports avec elle le naturel, la simplicité, la sincérité, qui sont habituels dans les rapports d’homme å homme. Exposez-leur quel grand tort on fait à la femme en n’appréciant en elle que la valeur extérieure, terrestre, par suite de quoi la femme ne devient que l’instrument d’une satisfaction, d’une animation, d’un plaisir passagers ; quel grand tort on lui fait en faisant si peu de cas de ce qui est sa vraie valeur, de son germe, de son sentiment, de sa pureté intérieure, de ses peines, de ses sacrifices et de ses autres qualités chrétiennes peu apparentes.
Avec la plus grande valeur intérieure, qu’est-ce que la femme dans le monde, et surtout dans le monde civilisé, si elle n’a pas de valeur extérieure, et surtout si elle n’a pas l’esprit de coquetterie, cette force qui attire, tente l’homme et se couvre des formes subtiles de la civilisation et même de la sainteté ? Dès que la femme n’exerce pas une telle attraction sur l’homme, le champ de l’union intérieure, de l’amitié, de la sincérité, de l’épanchement a beau leur être ouvert, l’homme ne cherche que bien peu à entrer sur ce champ ; la femme chrétienne ne l’occupe que bien peu ; ses rapports avec une telle femme sont ordinairement indifférents, sans vie.
Vous vous rappellerez sans doute, mon cher frère, – car nous en avons souvent parlé, – comment quelques femmes de notre connaissance, tant qu’elles suivaient les fausses voies du monde, recevaient de nombreux hommages, étaient entourées d’admirateurs etc. ; et comment, dès qu’elles sont devenues chrétiennes dans leur vie, dans leurs actions, elles ont perdu, en se dépouillant de leur péché, tout ce qu’elles recevaient pour ce péché ; – mais, en revanche, elles ont trouvé dans le Royaume de Jésus-Christ, où elles sont rentrées, ce qui est destiné à la femme dans ce Royaume ; délaissées par plusieurs, elles ont trouvé l’union fraternelle d’un petit nombre, et, dans cette union, l’amour, la sincérité, l’amitié chrétienne ; il en est qui y ont trouvé aussi l’union fraternelle, chrétienne et conjugale, et, dans cette union, l’appui et l’aide pour vivre selon la tendance chrétienne acceptée après leur conversion. Pour elles se sont réalisées ces paroles saintes : « Quitte tout, et tu trouveras tout. »
Par l’adoration si générale de sa seule valeur extérieure, la femme est entraînée à ce grand péché de ne rechercher que cette valeur fausse et de négliger en elle la vraie valeur qui n’est pas appréciée dans le monde. La femme est ainsi tentée de renier Jésus-Christ, de rejeter l’essence chrétienne, et par suite de s’éloigner de sa vocation, de la pensée de Dieu qui repose sur elle. À cause de cet obstacle, plus d’une femme chrétienne a abandonné le champ de la vie, de l’action, des devoirs qui lui étaient destinés dans le monde, et s’étant par là éloignée de la vie naturelle, qui lui était propre, a accepté le détour de la fausse piété, elle est devenue une dévote, ce qui est une offense à Dieu, et un dommage pour la patrie.
Pour élever dans la femme la valeur extérieure, que d’efforts sont faits, que de biens terrestres sont prodigués ! Les arts, les manufactures, l’industrie, le commerce sont en grande partie employés à ce but. Il n’y a pas de champ sur lequel l’homme se soit autant écarté de la pensée de Dieu, et ait autant assoupi sa conscience que sur celui des rapports entre homme et femme. Ce renversement de la loi de Jésus-Christ, cette déviation de la voie chrétienne est devenue la vie et les délices de la société, et on le considère comme le résultat naturel du progrès de la civilisation, de la bonne éducation, du bon ton, etc. Par les péchés qui se commettent sur ce champ, le mal s’insinue dans un grand nombre d’âmes chrétiennes et polonaises qu’il ne pourrait pas directement corrompre, pervertir et employer comme instruments pour ses propres buts, mais qu’il trouble, étourdit et affaiblit sur ce champ, en les éloignant ainsi du champ de leurs devoirs envers Dieu et envers la patrie.
Il faut ajouter que ce péché a son siège principal parmi les puissants qui, ayant reçu de Dieu des dons plus abondants afin de pouvoir remplir plus facilement les devoirs de leur vocation, ne se servent de ces dons que pour les plaisirs de la vie. Pour le malheur du monde, Dieu ne punit les péchés des magistrats qu’en faible partie dans cette vie ; toute la punition s’accomplit ordinairement pour eux après la mort ; c’est pourquoi elle n’effraie pas, elle ne réveille pas le pécheur de son étourdissement, de sa léthargie. C’est ainsi que la loi de Jésus-Christ est exclue de ce champ qui est si important parce qu’il influe sur l’âme d’une manière plus immédiate et plus directe que d’autres champs de la vie. Les détours sur ce champ sont funestes, parce que s’occuper exclusivement de la créature, lui abandonner son âme, s’exalter pour elle dans son âme, par là l’idolâtrer, c’est étourdir, troubler et fausser l’âme, c’est la priver de sa pureté devant Dieu, de ce trésor dont la perte ne peut être nullement compensée par la pureté du corps gardée par quelques-uns ; c’est priver l’âme de sa liberté, de son pouvoir sur elle-même. Mais ces détours sont surtout funestes pour la nation qui a une si haute destinée chrétienne et pour laquelle la vie dans la vérité et la liberté sur le champ privé est une condition indispensable pour que la miséricorde de Dieu lui ouvre la vie dans la vérité et la liberté sur le champ public.
Le faux sur le champ des rapports de l’homme avec la femme se maintenait plus facilement dans le monde tant que la loi et la force terrestre prédominaient sur la loi et la force chrétienne. Désormais, dans cette Époque chrétienne supérieure, la force terrestre perdant sa prépondérance exclusive, et Dieu appelant l’homme à la pratique du christianisme, il faut espérer que cet état de choses non chrétien changera, et dans le cas contraire, il faut redouter que, de cette source qui jusqu’à présent n’attirait pas l’attention de l’homme, ne découlent pour lui des conséquences funestes dans l’avenir.
Dans ces jours qui commencent l’époque chrétienne supérieure, l’homme est appelé à donner à la femme l’union d’esprit, la fraternité en Jésus-Christ ; il est aussi appelé à donner ce qui est la conséquence de la fraternité : l’amitié, la bienveillance chrétienne, à devenir dans sa conduite envers la femme, expansif, sincère, naturel, simple, vrai, à porter intérêt à son vrai bien. Il est appelé à remplacer, par ces sentiments chrétiens dus au prochain quel qu’il soit, l’ancien culte idolâtre qu’il rendait à la terre, au corps, aux attraits de la femme, à remplacer par ces sentiments les hommages, les flatteries, les galanteries qui tendaient à subjuguer l’esprit de la femme, à posséder exclusivement ce qui est dû au Créateur seul. Ainsi seront rétablis la vérité et l’ordre chrétiens destinés à régner dans les rapports de l’homme avec la femme ; ainsi sera aboli le joug imposé si généralement dans le monde à l’esprit de la femme, cette illégitime domination d’esprit à laquelle on assujettit la femme, quoiqu’on le fît sous la forme de culte, d’hommages, et même d’esclavage envers elle.
Quel que soit le sexe, ce vêtement terrestre, et quelle que soit la situation terrestre où l’esprit vit sur la terre, cela ne change en rien la destinée et le devoir de l’esprit ; il porte également la pensée de Dieu, il est également appelé à accomplir la loi de Jésus-Christ, et par conséquent, à vivre de la vie chrétienne sur le champ destiné, et il est également obligé de rendre compte à Dieu de l’accomplissement ou du non-accomplissement du devoir qui lui est destiné envers Dieu, le prochain et la patrie.
L’Œuvre du salut du monde a été accomplie dans la très sainte union céleste de Jésus-Christ avec sa Mère ; cette même Œuvre que l’homme est appelé à faire pour son salut, d’après le modèle donné, ne peut être faite dans la désunion de l’homme avec son prochain et encore moins avec le prochain auquel il lui est destiné de s’unir plus complètement en Jésus-Christ, par le lien du Sacrement de mariage : l’œuvre de la liberté ne peut être faite dans l’esclavage, dans la domination réciproque de l’homme par l’homme.
L’homme est appelé aujourd’hui à devenir chrétien sur ce champ où il s’est tant éloigné du christianisme ; il est appelé à vaincre par la force chrétienne acceptée cette force terrestre qui, gouvernant sur ce champ, le détournait de ses devoirs chrétiens et le plaçait, quant à ses rapports avec la femme, non plus dans le royaume terrestre, mais si souvent dans un royaume inférieur à celui de la terre. Sous l’influence de cette force terrestre, des hommes libres, sincères, vrais sur tous les autres champs de la vie, perdaient leur caractère sur ce seul champ de leurs rapports avec la femme : l’esclavage, la gêne, le manque de naturel, la dissimulation de la vérité, de son opinion, de son sentiment, et des faussetés prodiguées sous forme de politesse et de compliments, devenaient la base des rapports avec la femme, de la part de ces hommes pleins de droiture sur tous les autres champs de leur vie. Et un rapport si faux est considéré dans le monde comme l’unique but, comme le seul plaisir, le seul moyen de s’animer dans la société entre hommes et femmes.
Dites aux femmes que, dans cette époque de liberté et de vie d’esprit, la pensée de Dieu qui repose sur la femme s’éclaircit et se développe, afin de porter son fruit pour le salut de la femme ; – qu’aujourd’hui le champ d’une vie plus vaste, d’un progrès plus rapide, d’un sacrifice, d’un mérite plus grands, et, en même temps, d’une responsabilité plus grande devant Dieu et devant la patrie s’ouvre pour elle ; – qu’elle est appelée à éveiller en elle l’amour de la liberté et à se soumettre à Dieu seul, à sa volonté et à sa vérité ; et, ayant éveillé en elle l’énergie chrétienne, à se délivrer des faussetés légitimées par des siècles d’existence et qui tendent à subjuguer son esprit ; à se délivrer de l’esclavage des adorateurs, des flatteurs, des tributaires ; à se délivrer de l’idée qu’elle est incapable de vivre d’une vie chrétienne libre, indépendante, d’avoir son opinion, sa conviction propre, et de se gouverner d’après sa conviction.
Après avoir recouvré sa liberté de servante de Dieu, soumise à Dieu, à la vérité, la femme est appelée à garder désormais fidèlement et à défendre sa liberté, les droits de son esprit ; dans cette liberté, à accomplir sur le champ plus vaste de sa vie, ses devoirs chrétiens plus étendus, à devenir membre de la société, à y occuper le poste qui lui est destiné, et à accomplir la Pensée de Dieu qui repose sur elle ; à l’accomplir en silence, dans l’humilité, d’après le modèle présenté par la Femme très sainte, la Mère de Dieu, qui, dans ce ton chrétien, a accompli la pensée de Dieu pour le salut du monde.
Mais en appelant nos sœurs compatriotes à la liberté chrétienne, exposez-leur aussi quel grand péché est pour elles l’abus de la liberté ; que c’est un péché contre Dieu, contre la patrie, et contre cette Femme très sainte, qui a présenté aux femmes le modèle pour tous les siècles, afin de les élever à la hauteur de la pensée de Dieu qui repose sur elles. L’abus de la liberté de la part de la femme – ce rejet des attributs et du caractère assignés à la femme ; cet envahissement du champ de l’homme par la femme, avec le renversement des lois, non seulement chrétiennes, mais même terrestres – c’est la licence de l’esprit et de l’homme, qui est une faute plus grave pour la femme que pour l’homme, une tache plus grande pour le caractère de la femme que pour celui de l’homme, et qui, par conséquent, choque, révolte davantage, et éveille une plus grande aversion dans l’âme de tout vrai chrétien et Polonais. – Puisque le non-accomplissement de la loi de Jésus-Christ est puni dans la justice de Dieu comme un péché grave, combien plus doit être puni le renversement, l’outrage et le mépris de cette loi, cette falsification, cette parodie de ce qui doit être le plus saint, comme : la vie, la liberté, l’énergie, ces caractères essentiels du germe polonais, qui, dans cette falsification, dans cette parodie, deviennent : licence, audace, dérèglement ! – C’est avec douleur et étonnement que j’entends parler de ces femmes-hommes qui présentent sur la terre polonaise l’extrémité contraire à la pensée de Dieu, à la vocation de la femme, et qui sont si éloignées de ces femmes respectables, de ces anciennes dames polonaises qui sont restées comme un modèle chrétien pour les générations futures de la Pologne, et dont les humbles sacrifices, accomplis au foyer domestique, alimentèrent pendant des siècles sur notre sol, l’étincelle chrétienne et polonaise, « la piété (suivant notre expression nationale) sucée avec le lait de la mère ».
Parlez aux femmes polonaises de leur devoir, dans ce temps de direction et dans les besoins actuels de la Pologne – de prendre une part active dans l’Œuvre de Dieu qui se fait aujourd’hui et avec laquelle l’avenir de la Pologne est si fortement uni ; de faire, dans le sacrifice et dans la liberté, la distinction entre la vérité et les calomnies répandues contre l’Œuvre de Dieu ; de connaître une chose si importante pour elles et pour la patrie, et de se former une conviction solide sur cette chose ; de s’unir en toute circonstance à la vérité et de la défendre, et, au contraire, de se séparer du faux et, sans égard aux personnes par lesquelles passe le faux, de lutter au nom de Jésus-Christ contre le faux en femmes chrétiennes et polonaises libres ; – car celui qui devra rendre compte pour lui-même devant Dieu et devant la patrie doit agir par lui-même dans la liberté de son esprit, sur le champ d’après lequel ce compte s’établira pour lui. – La faiblesse du sexe ne sera pas un obstacle à cette tendance chrétienne de la femme, car ici il s’agit de l’action que la femme doit accomplir dans son esprit, par la force que donne la vraie piété, l’amour, le sacrifice, le sentiment éveillés, et dès que cette action aura été accomplie dans l’âme de la femme, il lui sera ensuite plus facile, avec l’aide de la grâce de Dieu, de faire passer cette action sur la terre, même par le corps le plus faible, car la puissance céleste n’a besoin que d’une minime aide terrestre pour se manifester sur la terre. – L’histoire témoigne de ce qu’ont fait les femmes qui ont accepté dans leur âme la grâce de Dieu et qui ont manifesté sur la terre cette puissance céleste.
C’est ainsi que la femme, par les actions accomplies dans son âme avec la force de la vraie piété, occupera le poste qui lui est destiné, et vivra heureuse dans la liberté et la vérité. Alors loin d’elle s’enfuiront ces maux qui si souvent consument son esprit, devenu mort dans un esclavage visible et invisible, qui aussi consument son corps tombé dans la mort, n’étant par vivifié par l’esprit, vivant et libre. Au contraire, son esprit libre et vivant dans l’humilité chrétienne portera les fruits propres à son élévation, fruits si longtemps arrêtés dans le temps de son esclavage et de sa mort intérieure. Par ces fruits, la femme – conformément à sa vocation – brillera comme une étoile lumineuse pour la patrie et pour le prochain à qui Dieu aura destiné cette aide chrétienne de sa part. – Alors la femme deviendra servante du Seigneur, membre de la société, fille de la patrie, et, suivant notre expression, « la couronne d’or du mari ». Unie avec lui intérieurement, elle recevra de lui, plus fort qu’elle sur la terre, l’appui et la protection extérieure dans ses tendances, dans sa vie ; et, marchant dans cette voie, elle se rapprochera du modèle présenté à la femme par la Mère de Dieu. Dieu la récompensera de ce sacrifice, car Dieu ne laisse aucune bonne action sans récompense, et la patrie chrétienne, ressuscitée et vivant pendant des siècles avec la coopération de la femme, lui paiera pendant des siècles son sacrifice par sa reconnaissance et son union, ce qui facilitera à la femme son pèlerinage durant la vie éternelle de son esprit.
Voilà, cher frère, ce dont vous devez parler aux femmes, nos compatriotes. Quoique, au milieu des difficultés venant du corps, des nerfs non vivifiés par l’esprit libre et vivant, la femme ait peu distingué jusqu’à présent le sacrifice d’esprit, le sentiment chrétien qu’on lui donnait, des mouvements du corps, des nerfs, donnés sans aucun sacrifice, vous pouvez cependant être sûr que si vous agissez avec persévérance dans le ton chrétien, désirant uniquement le bien véritable de la femme et vous sacrifiant pour ce bien, la femme tôt ou tard distinguera votre manière chrétienne d’agir avec elle de la manière païenne des autres, elle distinguera l’or du clinquant, et le préférera. La femme a beaucoup souffert d’avoir pris (en le sachant et sans le savoir) le clinquant pour l’or ; d’avoir pris l’adoration, les hommages qui lui étaient rendus (cette fourberie qui lésait son esprit), pour l’amour, le sentiment, la sincérité : d’avoir pris le joug couvert de la forme de la liberté pour la liberté elle-même. L’assurance et les succès avec lesquels le clinquant passait pour de l’or ont été jusqu’à présent la source d’une grande infortune pour la femme ; car ce clinquant faussait son âme, détruisait en elle les dons du Saint-Esprit, l’amour de Dieu, de la vérité, détruisait en elle l’organe propre à distinguer le vrai du faux ; et, pour cela, Dieu la punissait, et souvent même ceux qui l’adoraient et la tentaient autrefois la méprisaient ensuite.
Il est facile de sentir d’après cela quel grand besoin ont les femmes d’accepter la voie chrétienne, la voie de la vérité, de la liberté et de la vie, la voie unique dans laquelle elles peuvent accomplir la vocation que Dieu leur a assignée, et par là mériter leur bonheur temporel et leur salut éternel. – Nous voyons déjà, parmi les serviteurs de l’Œuvre, des femmes qui sont dans ces conditions envers la patrie et le prochain. Et combien de femmes aptes à ce service compte notre patrie ! C’est Dieu qui a créé dans les siècles ces trésors de l’esprit chrétien et polonais, et aujourd’hui il ne faut que l’impulsion de la grâce de Dieu et l’aide de la lumière de l’époque supérieure pour que ces trésors commencent à vivre et à produire leurs fruits pour la gloire de Dieu et le triomphe de Jésus-Christ sur la terre, pour l’élévation de notre patrie chrétienne, et ensuite pour le salut de la femme elle-même.
Serviteur appelé à servir la Pologne, servez donc dans cet esprit toutes les classes dont nous venons de parler, et en les servant conservez dans votre pensée, mon cher frère, cette vérité : que Dieu pèse à chaque instant les comptes de toutes les parties d’une nation, et selon ces comptes Il en trace la direction ; que par conséquent le non-accomplissement par une partie quelconque de la Pologne des devoirs auxquels Dieu l’appelle (par exemple un certain point impur, un certain mal aimé et conservé dans l’âme même d’une seule personne) peut contribuer, dans la position actuelle, au malheur de la Pologne. L’heure de Dieu a déjà sonné pour notre purification plus complète ; il nous faut, d’après les paroles de Jésus-Christ, mettre la cognée à la racine 61. Jésus-Christ a comparé le Royaume céleste à un grain de sénevé qui, étant la plus petite de toutes les semences, croît jusqu’à devenir un grand arbre, de sorte que les oiseaux du ciel se reposent sur ses branches. Si un bon grain reçu dans l’âme peut causer tant de bien, la même somme de mal peut être causée par un mauvais grain ; et ce grain, c’est tout péché aimé, tout point impur que l’homme a conservé et sur lequel il a porté son arrière-pensée, s’étant dit au fond de l’âme : « Je ferai tout le reste, mais sur tel ou tel point je me satisferai. » En appliquant ces vérités à notre position actuelle, brisons d’abord les trois points impurs conservés dans nos âmes, qui se manifestent chez nous dans les rapports de la nation avec le gouvernement, de l’homme avec la femme, et des puissants avec le peuple ; introduisons sans retard le christianisme sur ces trois champs, restés païens ; et par ce moyen, le mauvais grain qui, dans le passé, avait été accepté par l’âme polonaise, sera extirpé et le mal aimé jusqu’à présent en sera rejeté. Par ce moyen seront conquises ces trois forteresses principales, qui nous barrent la route conduisant à notre patrie chrétienne.
Plus d’un de nos compatriotes, tout en aimant la patrie et en se sacrifiant pour elle, a aimé ce mal, a conservé dans son âme ces trois points impurs : – qu’attribuant son esclavage au gouvernement seul, il haïra le gouvernement oppresseur, et il vivra dans cette haine ; – qu’il sera maître absolu dans son ménage ; – et maître absolu envers les hommes du peuple confiés à sa tutelle chrétienne. – Il acceptera la vérité sur tout autre sujet, mais il ne l’acceptera pas sur ces trois sujets ; car sur ces trois points qu’il a gardés volontairement en lui, il est enchaîné comme punition, il est sous le pouvoir du mal, et le mal manifeste sa domination sur lui en se déchaînant dès qu’il est attaqué par une vérité chrétienne. J’ai éprouvé cela de la part de plusieurs de mes compatriotes ; je l’ai éprouvé aussi de la part de plusieurs propriétaires de plantations en Amérique, qu’il m’est arrivé de rencontrer dans mes voyages, et qui, s’unissant avec moi sur un grand nombre de points, m’ont ouvert le champ de leur parler de l’affranchissement des nègres ; mais ils m’ont puni avec toute la force de leur fiel et de leur indignation, pour cette sincérité de ma part sur ce point, et enfin ont rompu l’union formée auparavant.
En terminant, je vous félicite, mon frère, d’après notre ancienne coutume, d’avoir atteint les fêtes de Pâques, et suivant notre coutume nouvelle, je vous souhaite, à vous et à toute la Pologne, que le Verbe de Dieu, mort jusqu’à présent sur la terre, ressuscite et commence à vivre le plus tôt possible dans notre patrie, dans nos âmes, dans nos pensées, dans nos paroles et dans nos actions privées et publiques ; que nous puissions, en célébrant la résurrection de Notre Seigneur, célébrer en même temps dès aujourd’hui notre résurrection en esprit, célébrer notre passage des détours sur la voie qui nous est montrée par Jésus-Christ, célébrer notre entière soumission à Dieu, à sa sainte vérité et à sa justice, et qu’ainsi nous puissions mériter de célébrer en même temps l’époque de la résurrection, de la renaissance et de la vie de la Pologne.
Faites-le, ô Dieu miséricordieux, Un dans la Sainte Trinité ! Que ce souhait, conforme à l’appel suprême que Vous nous faites, s’accomplisse au plus tôt pour nous !
Je vous envoie mon salut et mon embrassement cordial, polonais, cher Félix, mon frère et compatriote.
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Pour compléter les trois lettres qu’on vient de lire, Towianski adressa encore à Félix Niemojewski les lignes suivantes :
Dans une des dernières lettres que je vous ai écrites, j’ai fait mention de Kosciuszko, ce nom si saint à l’âme, si cher au cœur polonais. – Mais puisque servant la Pologne dans ce temps où il est destiné qu’elle ressuscite et qu’elle commence à vivre, il vous arrivera quelquefois de parler à nos compatriotes de ce grand homme, qui aux jours de l’agonie de la Pologne a accompli son sacrifice plein pour la vie de la Pologne ; – de plus, puisque le souvenir des mérites que Kosciuszko s’est amassés devant Dieu et devant la patrie, le souvenir des vertus chrétiennes qu’il a pratiquées sur le champ public, éveille dans le cœur du Polonais la vénération et l’amour pour ces vertus, rapproche ainsi le Polonais du sacrifice pour Dieu et pour la patrie qui lui est destiné, et est par conséquent sa prière véritable et fructueuse, – pour ce motif et dans le désir de vous faciliter sur ce point si important votre service envers nos compatriotes, je vous envoie ce que j’ai noté lorsque j’habitais Soleure, il y a dix-neuf ans, et à quoi j’ai ajouté mes sentiments présents, touchant la position actuelle de notre patrie.
Kosciuszko, sur le champ de ses actions, a accompli le sacrifice pour Dieu et pour la patrie ; par ce sacrifice il a manifesté le christianisme qu’il portait dans son âme. L’amour de Dieu et de la patrie, l’amour de la vérité, de la justice et de la liberté, le sentiment, l’humilité, la simplicité, la pureté exempte de tout intérêt personnel et de la haine des ennemis, tous ces caractères réunis dans un seul sentiment chrétien et vivant par lui sur le champ public ont produit comme fruit ce sacrifice pour Dieu et pour la patrie. – Par ce sacrifice Kosciuszko a conservé et élevé la nationalité polonaise, il a conservé et développé le fil chrétien unissant la Pologne avec le ciel, fil que la Pologne avait rompu dans ces derniers siècles ; par ce sacrifice il a uni la vie chrétienne de l’esprit à la vie chrétienne de l’homme, il a uni ce qui marchait séparément pendant des siècles, le grand esprit polonais avec la grande vie terrestre polonaise ; Kosciuszko a accompli ainsi la pensée de Dieu reposant sur la Pologne et cette pensée, cette parcelle du Verbe de Dieu destinée à la Pologne, il l’a fait vivre par sa vie, par ses actions ; il a montré ainsi à la Pologne sa voie, sa vérité, son caractère chrétien, et est devenu un modèle pour elle. Au déclin de l’ancienne Pologne, au commencement même de la pénitence, il a montré au Polonais ce qu’il doit être, afin que sa pénitence se change promptement en marche salutaire sous la grâce de Dieu.
Jusqu’à présent personne d’entre les Polonais n’a élevé aussi haut l’étendard de Jésus-Christ. L’étendard élevé par Kosciuszko pour la défense de la patrie, de sa vérité et de sa liberté était au sommet de l’époque chrétienne passée de même que l’étendard élevé par Notre Seigneur Jésus-Christ était au sommet de toutes les époques et embrassait toute la période du Verbe de Dieu, depuis le commencement jusqu’à la fin, jusqu’à l’accomplissement du Verbe de Dieu dans le monde. On peut dire que, nouveau Piast 62, Kosciuszko a élevé dans la direction la plus droite sa vie terrestre pure à une hauteur chrétienne, céleste, que personne n’avait encore atteinte sur le champ public. Toutes les illustrations nationales, d’abord terrestres et puis chrétiennes qui, dans les siècles passés, se sont manifestées en Pologne, étaient entre ces deux points extrêmes, Piast et Kosciuszko ; et c’est aujourd’hui seulement, au commencement de l’époque supérieure, que s’ouvre pour la Pologne son progrès chrétien ultérieur, sur la base établie déjà en Pologne et caractérisée par la hauteur terrestre de Piast élevée à la hauteur chrétienne de Kosciuszko.
Une grande vénération est due à la ligne de progrès comprise entre ces deux points, ligne qui n’a été jusqu’à ce degré l’apanage que de la Pologne seule. Les caractères saillants de cette ligne sont : le naturel, la simplicité du cœur, la droiture et la pureté du sentiment, la tendresse, la réalité, la vie simple naturelle et libre, et tout cela uni à l’amour de ce qui est bien. Ces caractères de la race slave, plus frappants en Pologne, élevés et renforcés par le christianisme, constituent pour le Polonais la voile et le pilote infaillibles au milieu des difficultés et des dangers de la navigation chrétienne. C’est à ces caractères qu’il faut attribuer que le christianisme ne se soit pas effacé jusqu’à présent en Pologne, que, quoique ne vivant pas et n’étant pas pratiqué, il se maintient encore dans la sainteté au fond des âmes polonaises.
Il faut donc en conclure que l’avenir heureux de la Pologne dépend de ce qu’en gardant ces caractères sacrés de sa race, elle s’élève de la base de Piast à la hauteur de Kosciuszko, et continue à suivre cette sainte ligne en s’élevant de plus en plus dans la voie droite ; qu’elle manifeste cette élévation progressive dans sa vie privée et publique, et occupe ainsi dans sa race le poste qui lui est assigné et qui est propre à la nature et à l’âge de son esprit.
Jusqu’à présent le Polonais ne vénérait que les sacrifices et les actions de Kosciuszko qu’il a vues ou a pu connaître ; aujourd’hui il est appelé à vénérer aussi les sacrifices et les actions de Kosciuszko que Dieu seul a vues et que nul d’entre les hommes de son temps ne connaissait ni ne pouvait apprécier.
Pour terminer sa vie douloureuse, Kosciuszko quitta les lieux où il y avait de la vie, pour s’établir à Soleure, dans un lieu de silence, presque sépulcral, et là quoiqu’il ne fît rien en apparence, il a fait beaucoup pour son propre salut et celui de la patrie. Tandis que sur le champ de ses actions passées pour la patrie il avait été aidé par la Pologne de ce monde et de l’autre monde, ici, dans ce tombeau, abandonné à lui-même, sans aucune aide humaine, par le seul effort de son esprit, par ce sacrifice que lui facilitait la douleur sur l’état de sa patrie bien-aimée, il a vaincu la mort qui régnait autour de lui, et non seulement il a entretenu en lui son ancienne vie chrétienne et polonaise, mais il l’a encore élevée.
Tandis que sur le champ de ses actions passées Kosciuszko avait accompli l’époque passée, sa loi et ses vertus, et était arrivé ainsi au sommet de cette époque, – ici, à Soleure, par les derniers sacrifices qu’il a déposés devant Dieu, il est entré dans l’époque chrétienne supérieure, dans laquelle sont destinés la résurrection, la régénération, la vie chrétienne libre et tout l’avenir de la Pologne. – Le premier parmi les Polonais, Kosciuszko a occupé cette hauteur chrétienne ; le premier il est entré dans les limites de l’époque supérieure, qu’auparavant l’esprit seul du Polonais, et non le Polonais, avait franchies ; le premier il a vécu de la vie supérieure destinée à la Pologne dans son avenir, vie qui, jusqu’alors, ne se réalisait que dans l’autre monde, car l’appel de Dieu à cette vie propre à l’époque chrétienne supérieure était réservé au temps actuel, où cette époque s’ouvre et où l’Œuvre de Dieu se fait sur la terre.
Par son entrée et sa vie dans l’époque supérieure, Kosciuszko a accompli la mesure du sacrifice qui lui était destinée pour Dieu et pour la patrie, et dès lors, comme précurseur et modèle du progrès de la Pologne pour ses siècles ultérieurs, il brille pour la Pologne comme son étoile conductrice, il brille comme l’aurore du jour de Dieu qui s’approche pour elle. Peu d’hommes ont conservé jusqu’au bout cet honneur chrétien d’être précurseurs du progrès ; les fautes de la vie terrestre ont arrêté pour plusieurs leur mission sainte, exceptionnelle. Notre Seigneur Jésus-Christ, cet initiateur du progrès du monde jusqu’à la fin du monde, est comme un modèle suprême à la tête de tous ces hommes, ses serviteurs plus proches : et l’homme de la Pologne occupe un poste élevé parmi eux.
C’est en brillant d’une telle lumière que Kosciuszko appelle aujourd’hui la Pologne, dont les temps sont accomplis, à entrer dans l’époque supérieure qui lui est ouverte, dans cette patrie véritable, dans cette demeure où il a habité déjà de son vivant sur la terre, et où seulement la Pologne notre patrie peut trouver l’existence, la liberté, le salut temporel et éternel. Et non seulement il appelle la Pologne à cette hauteur, mais en récompense de son amour et de ses sacrifices, il guide la Pologne, comme le chef qui lui est destiné, dans sa marche vers cette hauteur. Il la guide dans l’œuvre de sa résurrection, de sa régénération et de la vie chrétienne supérieure qui lui est destinée, vie dans laquelle la Pologne accomplira sa haute mission comme nation apostolique, vie devant laquelle tomberont les puissances de la terre et de l’enfer qui attaquent la Pologne plus que d’autres nations, à cause de la grandeur de sa vocation. Dans cette vie vibrera pour la Pologne, la fortifiant pour son existence séculaire, la note sainte de la ligne vénérable de Piast et de Kosciuszko, note qui fait partie de cette très sainte harmonie dans laquelle vivent les cieux, note qu’entend seulement celui qui la porte dans son cœur, et dont la civilisation et la grandeur terrestre la plus haute ne donnent pas la moindre perception. C’est pourquoi le paysan polonais entend cette note et jouit des bienfaits de cette très sainte harmonie ; tandis que tant de grands et de sages de ce monde ne l’entendent pas : « Je vous rends grâces, mon Père... de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et que vous les avez révélées aux petits 63. »
C’est ainsi que Kosciuszko, après avoir accompli pendant sa vie la pensée de Dieu reposant sur la Pologne, continue aujourd’hui par la volonté de Dieu, comme protecteur et gardien de la nation confiée à sa tutelle, son service pour la Pologne, en lui donnant, après les années de sa pénitence, la direction salutaire qui lui est destinée dans la miséricorde de Dieu. Son esprit achève l’œuvre du salut de la patrie, qu’il avait commencée de son vivant avec un si grand amour et un si grand sacrifice, et les paroles de Jésus-Christ s’accomplissent pour lui : « Ô bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup 64. » Le sacrifice véritable n’est jamais perdu, tôt ou tard il porte son fruit, à l’exemple du sacrifice suprême de l’Agneau de Dieu, qui, quoique rejeté et condamné, élève le monde durant les siècles et l’élèvera jusqu’à la fin du monde, jusqu’à l’accomplissement du Verbe de Dieu, qui a été présenté au monde par ce sacrifice.
Le sacrifice de Kosciuszko n’a pas porté de fruit pour la Pologne au milieu des ténèbres qui la couvraient dans les jours de sa pénitence ; mais dans ces jours de la miséricorde de Dieu, il dépend des Polonais eux-mêmes de puiser l’aide et la force à cette source, qui est ouverte pour eux. Cette aide et ce service de l’autre monde, n’étant accessibles qu’à l’âme, et non aux sens, l’homme terrestre ne les comprend pas ; mais le chrétien dont l’âme demeure dans le Royaume de Jésus-Christ sent et éprouve que : – de même que Jésus-Christ, ayant accompli la pensée du Père Éternel, gouverne le monde jusqu’à ce que cette pensée soit accomplie, jusqu’à la fin du monde, – de même les serviteurs de Jésus-Christ, dans cette même œuvre du salut, protègent l’homme et les nations, et leur apportent des secours, autant ceux qui facilitent la marche dans une seule époque que ceux, plus importants, qui aident à passer dans l’époque supérieure et à prendre la direction destinée pour les siècles futurs.
C’est par suite de l’aide et du service apportés par Kosciusko que les sentiments d’un amour et d’une vénération extraordinaires se maintiennent pour lui dans tous les cœurs polonais. – Et non seulement la Pologne, mais aussi le monde entier sent en Kosciusko une puissance morale, sent en lui quelque chose d’extraordinaire qui vivifie et élève l’âme. S’entretenir de Kosciuszko réchauffe l’âme et le cœur de chacun. C’est la conséquence de l’influence bienfaisante de son esprit, qui continue sa mission sur la terre. En effet, pendant sa vie Kosciuszko a toujours montré un caractère accessible et indulgent ; s’intéressant à tout, il s’unissait à tout ce qui était simple et pur, à tout ce qui était sur la ligne de Dieu ; par son influence salutaire, il vivifiait et élevait tout ; – et c’est ce qu’il fait aussi après sa mort.
De là vient l’accord si unanime dans l’appréciation qui est faite de cet homme ; quiconque écrit de ce que Kosciuszko a fait ou en parle seulement, sent involontairement l’influence de son esprit, accepte, quoiqu’en partie et pour un moment, ses principes, par là lui rend hommage et, en lui, il le rend à la vénérable ligne polonaise ; il rend hommage ainsi à la pensée de Dieu qui repose sur la Pologne, par conséquent, à Dieu lui-même. C’est pourquoi aussi le Polonais ne peut oublier Kosciuszko, car celui-là ne peut être oublié qui se rappelle continuellement à notre souvenir par sa présence, et encore plus par son amour actif et son sacrifice.
En unissant ces sacrifices et ces vertus en un seul sentiment chrétien, en les manifestant sur le champ de la vie, et en entrant dans l’époque supérieure, dans un temps où elle était encore fermée pour le monde, Kosciuszko a occupé une hauteur chrétienne qu’aucun Polonais n’avait atteinte jusque-là ; il devint ainsi le plus éminent Polonais chrétien, un grand Saint polonais. Aucune autorité dans le monde n’a proclamé cette sainteté, mais la voix de l’esprit de millions de vivants et de morts la proclame depuis des années. Et aujourd’hui que nous sommes déjà dans l’époque de la liberté et de la vie de l’esprit, par conséquent, dans l’époque de la manifestation de ce que l’esprit porte en lui, nous devons manifester le sentiment vivant en nous de la sainteté de cet homme, de ce chef de la Pologne.
L’esprit reconnaît plus facilement que l’homme les décrets de Dieu ; la voix de l’esprit est plus vraie que la voix de l’homme. Celui-là est saint qui a accompli la pensée de Dieu qui a reposé sur lui, qui s’est ainsi purifié, élevé, sanctifié ; et Kosciuszko, en accomplissant, sur le champ de sa vie et de ses actions, la pensée de Dieu reposant sur lui et sur la Pologne, s’est sanctifié non seulement dans l’esprit, mais aussi dans l’homme et dans sa vie, dans ses actions privées et publiques. En servant la patrie, il a imité Jésus-Christ modèle suprême du sacrifice complet, et, comme son serviteur fidèle, vivant, actif, il a fait pour la patrie, dans la mesure qui lui était destinée, ce que Jésus-Christ a fait pour le monde dans la plénitude.
La Pologne a eu dans le passé des hommes saints, qui ont surpassé Kosciuszko par leur piété intérieure, par leur prière ; elle a eu aussi des héros, grands par leur amour de la patrie et par leur dévouement pour elle, qui l’ont surpassé par des actions brillantes et fécondes, accomplies dans le feu de l’esprit et du corps pour des buts également purs. Mais aucun d’eux n’a égalé Kosciuszko dans l’accomplissement de l’essence chrétienne, dans la manifestation du christianisme sur le champ public ; aucun n’a nourri en soi avec un tel renoncement de soi-même et une telle continuité le feu chrétien, céleste, et ne l’a manifesté dans ses actions pour Dieu et pour la patrie chrétienne aussi saintement que Kosciuszko et avec autant de persévérance au milieu de circonstances difficiles. – Une telle grandeur – vraie, chrétienne, – ne peut être acquise par l’élévation, les transports et l’exaltation de l’esprit seul, fussent-ils même les plus purs. Pour l’acquérir il faut nécessairement s’établir fermement à la hauteur chrétienne, avec l’esprit, le corps et l’action privée et publique ; aussi n’y arrive-t-on que par le sacrifice chrétien complet de l’être humain tout entier, par cette violence qui emporte le royaume céleste. Une grande distance sépare cette élévation durable, perpétuelle, de l’être humain tout entier – de l’élévation que l’esprit seul atteint temporairement ; et, pour franchir cet espace, il faut souvent des siècles d’opérations, de peines et de sacrifices.
C’est une grande miséricorde de Dieu pour la Pologne qu’elle ait un tel homme et un tel chef et, en lui, un tel modèle du christianisme véritable et vivant ! Tandis que d’autres nations doivent aujourd’hui compléter par un plus grand sacrifice d’esprit les modèles de l’amour et du sacrifice pour la patrie que leurs compatriotes leur ont laissés et qui ne sont que partiels, incomplets, la Pologne a un modèle chrétien complet pour un long avenir, modèle qui ne diffère de celui que Notre Seigneur Jésus-Christ a donné au monde pour tous les siècles que par le degré inférieur qu’il occupe relativement à ce modèle suprême. – La Pologne a mérité ce bien pour avoir accepté, il y a des siècles, le christianisme par amour, par sentiment et par un motif pur, non terrestre ; elle l’a mérité aussi pour avoir conservé fidèlement ses caractères primitifs. Par la force de l’esprit soumis au Verbe de Dieu, la Pologne a établi pour les siècles futurs la base de sa vie chrétienne, et c’est de là qu’est venue cette ligne vénérable du progrès polonais et cette mission chrétienne de la Pologne, dont nous avons parlé. À cause de cela aussi a été donné à la Pologne un homme qui est arrivé au sommet de cette ligne et qui, de l’autre monde, conduit aujourd’hui la Pologne dans la voie de sa vocation.
La Pologne ne peut atteindre ce qui lui est destiné pour son salut dans cette époque chrétienne sans l’aide de la Pologne de l’autre monde, où veillent sur notre patrie nos saints, nos rois, nos prêtres, nos chefs et à leur tête Kosciuszko, qui, comme chef chrétien, veille sur notre patrie et la sert. Ce n’est qu’en union avec la Pologne de l’autre monde que nos rois, nos prêtres, nos chefs futurs transmettront à la Pologne de ce monde-ci la puissance que Dieu a donnée à ce connétable de la nation-magistrat chrétien et conduiront avec la bénédiction de Dieu leurs frères dans la voie destinée, à la vie, aux actions destinées.
Dans cette époque où l’homme doit faire vivre le Verbe de Dieu sur la terre, ce n’est plus la prière seule, le sacrifice de l’esprit seul qui unira les morts avec les vivants, mais le sacrifice plein, accompli dans l’esprit, dans l’homme et dans ses actions ; et les vivants, par la force de ce sacrifice, marcheront en union avec les morts dans la même voie, vers le même but, vivront de la même vie privée et publique. C’est une telle union active avec nous que nos compatriotes défunts désirent aujourd’hui plus vivement que jamais pour pouvoir acquitter plus facilement dans ces jours de miséricorde leurs comptes passés envers Dieu et envers la patrie, et pour se tracer à eux-mêmes et à la patrie une direction plus heureuse dans les siècles futurs. C’est pourquoi ils ressentent une profonde affliction lorsque nous, vivants, nous nous éloignons de la voie du sacrifice et de la vie qui est destinée également à eux et à nous ; mais une peine encore plus profonde afflige celui qui a fait des sacrifices si grands et si purs pour la patrie et à qui il est destiné dans la miséricorde de Dieu d’amener ses compatriotes, unis avec lui, à accepter les fruits de ses sacrifices, arrivés déjà à leur maturité. Comme magistrat de Dieu destiné à la Pologne, il désire vivre en Pologne, et en y vivant la servir ; mais il ne peut vivre que par ceux d’entre nous qui, s’étant régénérés, vivent de la vie supérieure chrétienne qu’il a commencée sur la terre et qu’il continue dans les régions supérieures. Si nous n’acceptions pas cette vie, tout en étant près de nous, il serait séparé de nous et passerait de tristes et douloureux moments, ne pouvant sauver la Pologne qu’il a tant aimée de son vivant.
Lorsqu’après l’annonce de l’Œuvre de Dieu et de l’appel à entrer dans l’époque supérieure, ceux de nos compatriotes qui portaient dans leur âme l’amour plus ardent de Dieu et de la patrie ont commencé à s’élever à cette époque et à vivre de la vie qui lui est propre, Kosciuszko a aussi commencé à vivre en Pologne et pour la Pologne, et Dieu lui a permis d’en manifester sa joie à ces frères plus rapprochés de lui, en récompense de leur amour et de leur sacrifice. De même, pendant les évènements actuels, la vie chrétienne de la nation, éveillée et élevée par la puissance de Dieu au moment de l’apparition de cette aurore du jour de Dieu, a introduit Kosciuszko comme chef de la Pologne, dans sa capitale ; et dès ce moment, se tenant sous son étendard, il élève ou abaisse son bâton de connétable, puissant par le bras de Dieu qui appuie la pensée de Dieu reposant sur la Pologne et sur son chef : il l’élève ou l’abaisse, selon que les Polonais élèvent ou abaissent leur vie éveillée et élevée par la puissance de Dieu. Les fils fidèles à l’œuvre de la patrie sentent et éprouvent cette sainte influence de l’esprit qui gouverne ; il en est même qui voient cela par les yeux du corps.
Kosciuszko appelle la nation bien-aimée sous son étendard. C’est la première fois qu’un tel étendard est donné à la nation pour sa vie supérieure dans l’époque chrétienne supérieure. Toutes les grandeurs passées des nations n’atteignent pas la hauteur qui est destinée à la nation de Dieu dans l’époque chrétienne supérieure. – Cette hauteur ne peut être que la production de cette ligne vénérable du progrès chrétien, sur laquelle se trouvent le naturel et la simplicité qui lui est propre, le cœur pur, le sentiment simple, pur, la sensibilité, la tendresse. Et puisque l’amour seul n’a pas éveillé la nation élue à accepter cette hauteur, les pressions et les souffrances qu’elle a subies et qu’elle subit sont devenues nécessaires dans les décrets de Dieu, afin que sous cet éveil elle recoure à l’aide de Dieu, et après avoir accepté la force chrétienne, elle éloigne par cette force les contrariétés et s’élève à la hauteur destinée.
Kosciuszko appelle sous son étendard la Pologne tout entière. Toute la Pologne, sans distinction de sexe ni d’âge, est appelée à prendre part à ce saint combat dans l’intérêt de Dieu, du prochain et de la patrie ; à combattre avec la force chrétienne, avec cette puissance céleste qui sous la direction de Kosciuszko doit agir par la Pologne sur la terre. L’esprit polonais, puissant par son progrès de tant de siècles, lors même qu’il serait revêtu d’une faible enveloppe terrestre, est capable de devenir un instrument de la puissance céleste, d’accomplir les devoirs de soldat de Jésus-Christ sous le commandement de Kosciuszko – est capable de vaincre les ennemis conjurés pour l’anéantissement tant du christianisme, de ce ciel que Jésus-Christ a fait passer sur la terre, que de la Pologne, nation-magistrat-chrétien ; – ennemis, dont le siège même est dans l’autre monde et qui agissent sur la terre par leurs organes autant que cela leur est permis selon les comptes de l’homme. – Et lorsque la victoire sur ces ennemis aura été remportée par la Pologne tout entière dans l’esprit, c’est-à-dire dans le royaume, dans le siège même de l’ennemi, alors la volonté de Dieu déclarera – si cette victoire essentielle, remportée en esprit sur toute l’armée ennemie, doit être manifestée sur la terre par les Polonais eux-mêmes, dans leur victoire sur une petite portion de cette armée, – (petite, lors même qu’elle compterait plusieurs centaines de mille hommes) – ou bien si Dieu, par un signe de sa volonté, fera cela par d’autres instruments.
L’action accomplie dans l’esprit décide de la direction de l’homme et des nations, et la manifestation dans la forme terrestre, ordinaire, de ce qui a été accompli dans l’esprit, est nécessaire, parce que l’homme, ne voyant pas la source essentielle de ses directions, et ne supportant pas à cause de sa faiblesse le ciel dépouillé de la terre, a besoin que ce qui lui arrive, arrive selon les lois terrestres qu’il conçoit ; a besoin que la puissance et la miséricorde de Dieu soient revêtues de la terre et suivent la voie terrestre. C’est pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ, qui faisait tout par la puissance divine, a revêtu de terre cette puissance ; par exemple, en guérissant l’aveugle, « Il fit de la boue avec sa salive et frotta de cette boue les yeux de l’aveugle 65. »
Rendons grâces à Dieu, qui, dans sa miséricorde, nous a donné un tel chef, et implorons la bénédiction de Dieu pour ce chef, pour son étendard, pour son commandement immortel, et pour nous tous, ses soldats appelés à défendre les lois de Jésus-Christ, les lois de l’homme et du Polonais que le monde a renversées. – Tâchons que le sentiment de la sainteté de notre chef et notre foi en cette sainteté portent leur fruit, et cela par l’imitation du sacrifice complet qui est devenu la source des vertus et de la sainteté de notre chef.
Profondément ému des vérités contenues dans ces lettres, et qui, approfondies, suffisent à alimenter la Pologne pendant des siècles, Niemojewski en pénétra son âme de chrétien et de patriote ; il agit dans cette direction avec plusieurs de ses compatriotes, et publia dans son pays un appel invitant chacun à accepter ces vérités, à placer en Dieu seul sa confiance pour le salut de la Pologne. Beaucoup se sentirent remués jusqu’au fond du cœur, éveillés à un idéal nouveau, enflammés d’ardeur pour mener une vie plus pure et plus élevée ; animés envers leur patrie d’un amour plus saint et plus efficace.
Malheureusement, ainsi que Towianski l’avait prévu, le souffle céleste qui avait en février 1861 électrisé si admirablement la Pologne ne fut pas maintenu dans sa pureté primitive. Un autre esprit s’insinua peu à peu sous les formes mêmes du patriotisme chrétien, et la Pologne, abandonnée à ses propres forces, retomba dans ses anciennes erreurs.
§ 3. – Insurrection de 1863.
Lorsque éclata l’insurrection en 1863, plusieurs de ceux qui étaient entrés dans la voie indiquée par Towianski sentirent le devoir de rejoindre en Pologne leurs frères qui combattaient pour la liberté, mais de se présenter et d’agir dans le caractère de leur vocation. Malgré son grand âge, Charles Rozycki, le vénérable héros de la Volhynie, était avec eux. Avant leur départ, Towianski, appliquant à l’action qu’ils se proposaient d’accomplir la vérité essentielle pour la Pologne, qu’il leur avait présentée dès le commencement et développée depuis dans les lettres à Niemojewski, les appela à se pénétrer de leurs devoirs envers leurs compatriotes et leur indiqua la manière de les accomplir. Il résuma ses conseils dans un écrit que je rapporterai aussi intégralement, eu égard à son importance :
Frères qui partez pour la Pologne !
M’appuyant sur la protection de Dieu qui veille sur nous, j’espère que vous agissez conformément à la volonté de Dieu, lorsque, après des années d’exil, vous vous rendez sur le champ des sacrifices sanglants de nos compatriotes, en devançant le temps où nous devrons tous servir la Pologne sur la terre polonaise. Dans cette espérance, en recevant vos adieux, je souhaite ardemment que vous fassiez un heureux pèlerinage et que vous en recueilliez au plus tôt le fruit. En même temps vous pouvez compter sur mon union à votre dévouement et sur la prière que j’adresse à Dieu, quelque indigne qu’elle soit, pour qu’il daigne vous accorder sa bénédiction, afin que vous accomplissiez ce qu’il vous est destiné d’accomplir. Cette aide d’esprit est la seule que je puisse vous offrir tant qu’il plaira à Dieu de me retenir loin de vous à mon poste actuel. Aujourd’hui, désirant contribuer, autant que je le puis, à votre sacrifice, je vous expose brièvement votre futur devoir : l’objet de votre service à nos compatriotes, et la manière dont vous devez les servir ; ce sera vous rappeler les vérités chrétiennes que vous connaissez déjà et qui s’appliquent à votre situation actuelle ainsi qu’à celle de nos compatriotes : car la vérité est le pain quotidien céleste que nous devons prendre souvent pour fortifier notre âme, comme nous prenons le pain terrestre pour fortifier notre corps.
Et d’abord, quel est l’objet de notre service à nos compatriotes ?
Exposez-leur tout ce qu’ils doivent savoir et accomplir pour devenir de vrais chrétiens, de vrais fils et défenseurs de la patrie. Dites-leur ce qu’est le christianisme véritable, vivant, ce qu’est l’Église de Jésus-Christ véritable, vivante, et ce qu’est l’Œuvre de Dieu qui a été annoncée, il y a vingt-deux ans, aux exilés polonais ; dites-leur quelle est l’importance de ces choses du ciel pour la Pologne, qui ne peut ressusciter, vivre et s’élever que par la force chrétienne et seulement dans l’Église de Jésus-Christ, à l’aide de la lumière que Jésus-Christ a apportée, et qui, dans l’Œuvre de Dieu, pour le progrès supérieur de l’homme, se manifeste plus clairement et plus complètement, et est appliquée à toutes les circonstances de la vie privée et publique.
Parlez-leur de l’époque supérieure qui s’est déjà ouverte pour le monde, et dont le monde et surtout la Pologne éprouve de plus en plus les effets ; dites-leur que ce sont les jours du grand jubilé de la grâce, d’une effusion extraordinaire de la miséricorde de Dieu sur le monde ; mais que ce sont en même temps les jours des comptes, du jugement et de la réclamation de Dieu, réclamation que Dieu fait plus fortement que dans les temps ordinaires, afin que le sacrifice de Jésus-Christ porte son fruit, que le Verbe de Dieu soit accompli, que le vrai christianisme soit réalisé dans son essence et dans sa forme, et non plus dans sa forme seule, comme il l’a été jusqu’à présent. Dites-leur qu’appelée à servir Dieu dans cette époque, comme Israël le fut il y a des siècles, la Pologne a attiré sur elle la sévérité de Dieu, encourue par Israël pour sa désobéissance à Dieu, et que Dieu l’a soumise à un éveil extraordinaire pour qu’elle accepte le devoir chrétien, afin que, satisfaisant au plus tôt à la réclamation de Dieu, elle avance rapidement dans la voie du progrès où elle est en retard ; qu’elle a été soumise à un douloureux labour de son intérieur, rebelle à la volonté de Dieu, au Verbe de Dieu. Dites-leur que la Pologne a été soumise à cette épreuve de Dieu, afin qu’elle puisse recevoir les nouvelles semailles de Jésus-Christ, qui sont déjà proches, pour en produire les fruits dans l’avenir, pour vivre de la vie chrétienne qui lui est destinée dans la nouvelle époque supérieure, dans ce nouveau jour de Dieu qui s’élève déjà pour la Pologne et qui doit briller pour elle pendant les siècles de sa grande existence.
Aujourd’hui Dieu stimule plus fortement le Polonais, afin que, s’humiliant devant la volonté de Dieu, devant le Verbe de Dieu, il devienne un vrai chrétien, qu’il sorte du royaume terrestre où son esprit a établi sa demeure, et qu’il entre dans le Royaume, dans l’Église de Jésus-Christ, cette demeure, cette patrie de l’esprit polonais ; afin que, reposant dans cette patrie, il recouvre, pour s’y maintenir, la mélancolie chrétienne qu’il a perdue ; cette haute vertu qui consiste à aspirer à la vie supérieure, à ne pas se satisfaire de la vie inférieure ni de rien de ce qui est inférieur, de la terre, de Mammon ; afin qu’ainsi il devienne digne de la patrie chrétienne dans laquelle s’étend le Royaume de Jésus-Christ, s’élève l’Église de Jésus-Christ, afin qu’il reçoive cette patrie des mains de Dieu, pour y accomplir sa vocation chrétienne.
Exposez aussi à nos compatriotes ce qui est la conséquence naturelle des vérités ci-dessus : que le but principal des mouvements actuels et de tout ce qui se passe dans notre pays est, avant tout, d’éveiller la Pologne à accepter le vrai christianisme, à faire un progrès plus rapide, et que le recouvrement de la patrie ne sera plus qu’une conséquence de l’accomplissement de ces desseins de Dieu. Exposez-leur que la voie pénible par laquelle ils passent ne leur est pas destinée, mais que Dieu l’a permise comme châtiment du rejet de la voie supérieure, du sacrifice et de la force supérieure ; de là, que cette voie pénible, – en apparence, la seule, qui conduise aujourd’hui à la patrie, – n’amène pas à la patrie, mais ne fait que préparer à mériter la patrie chrétienne et à l’obtenir de la grâce de Dieu. Exposez-leur qu’autre chose est de recouvrer la patrie avec la bénédiction de Dieu, en accomplissant la volonté de Dieu dans cette action, et autre chose de faire pénitence en croyant ne combattre que pour recouvrer la patrie, de n’accomplir en cela que ce qui résulte de la permission de Dieu, et de se préparer ainsi à recouvrer la patrie ; que, par conséquent, sans l’accomplissement de ce que Dieu lui a destiné d’accomplir, la Pologne ne pourra être délivrée de cette lourde pénitence ni par la vaillance, ni même par les plus grands et les plus purs sacrifices terrestres, faits pour la patrie. Et cependant l’insurrection actuelle est pour le monde un évènement grave, un évènement décisif pour sa direction : car, dès que la Pologne, purifiée par la pénitence, entrera dans la voie de la pensée et de la volonté de Dieu, alors se manifestera en Pologne, et ensuite dans le monde entier, l’époque chrétienne supérieure avec tous ses bienfaits, avec la lumière et la force supérieures, avec la vie et la liberté vraies de l’esprit et de l’homme.....
Exposez-leur enfin que celui qui ne sent pas cette vérité que, sans notre faute, nous ne serions pas dans une situation si pénible et nous ne souffririons pas des fruits que le mal dépose aujourd’hui sur la terre polonaise, celui-là commet un péché grave contre la toute-puissance, l’amour et la justice du Père universel ; celui-là attribue au mal seul le pouvoir de gouverner la Pologne ; celui-là, par conséquent, quoiqu’il s’indigne et se révolte contre le mal, en réalité l’idolâtre.
Parlez des jours bénis de février ; dites comment alors, par un miracle de Dieu, nos compatriotes ont fait l’Œuvre de Dieu et en ont éprouvé les bienfaits ; comment ensuite ils ont perdu la miséricorde de Dieu, en gaspillant la grâce, en éloignant l’esprit de Dieu par lequel ils avaient agi, en négligeant l’essence des actions de février et en n’en reproduisant que les formes saintes dans les manifestations, dans les prières publiques faites sans l’esprit de la prière, dans le deuil porté sans l’esprit de deuil, et dans d’autres démonstrations faites, pour la plupart, d’une manière sacrilège, dans un esprit de mépris et de vengeance contre le gouvernement, en négligeant les devoirs essentiels du Polonais, au détriment de la patrie chrétienne. Dites combien a été non chrétienne, à l’égard du gouvernement, la conduite de nos compatriotes après leur chute en esprit, quelle offense a été faite à Dieu par la Pologne, ainsi que par le gouvernement russe, et quelles en ont été les suites.
Pour vous aider en cela, je vous rappellerai, mes frères, ce qui s’est passé dans ces dernières années.
La grâce de Dieu, qui, pour l’accomplissement des jugements de Dieu, agit même par ceux qui n’en sont pas dignes, a inspiré aux serviteurs de l’Œuvre la pensée de manifester l’esprit de l’Œuvre dans l’écrit Powody adressé à l’empereur de Russie, d’exposer dans cet écrit la volonté de Dieu et les principaux devoirs de l’homme ; par là, la grâce de Dieu a ouvert aux deux nations le champ d’un grand mérite devant Dieu, d’un mérite décisif pour leurs directions ; de plus, elle leur a montré les voies et les moyens d’acquitter leurs comptes envers Dieu, de régler leurs comptes réciproques pour le passé, et, par suite, de se réconcilier, de s’unir fraternellement en esprit, et de se séparer quant à la terre. Et pour que cette miséricorde de Dieu fût connue de tous, la même grâce vous a fait sentir, mes frères, le devoir que vous avez accompli de publier cet écrit et de l’envoyer à un grand nombre de personnes, et principalement à des magistrats ecclésiastiques et civils. Après des années d’une pénitence sévère subie par la Pologne dans son esclavage, et pendant lesquelles le gouvernement russe s’endettait devant Dieu, Dieu a ouvert aux deux nations un avenir plus heureux, et dans cet avenir la direction suivante s’est présentée pour elles : Toi, Pologne, accepte le vrai christianisme, et recouvre la patrie par la force chrétienne ; toi, Russie, sors des ténèbres, purifie-toi et prends ta destinée supérieure, et toi, gouvernement russe, reconnais la vérité, la justice de Dieu, et accomplis cette vérité, cette justice à l’égard des peuples soumis à ta direction !
Et la grâce de Dieu, dans les journées de février, a fait entrer sur ce champ d’abord la Pologne, afin que cette direction commençât à se réaliser. La Pologne y avait été préparée : la vie et la tendance terrestres, éveillées en elle, l’avaient disposée à accepter la vie et la tendance supérieures chrétiennes ; car de la mort intérieure il faut passer d’abord à la vie terrestre, pour passer ensuite à la vie chrétienne ; il faut monter un degré inférieur pour arriver à un degré supérieur. Ce qui est terrestre, matériel en Pologne, se vivifiait, s’élaborait, tandis que l’Œuvre de Dieu, comme cela était destiné, devait préparer l’esprit de la Pologne, afin qu’ainsi l’esprit préparé, s’unissant conformément à la loi de Jésus-Christ, à la terre préparée, produisît, comme fruit, la vie chrétienne destinée à la Pologne. Et dès que, dans les journées de février, cette destinée supérieure s’est ouverte, a été interrompue en Pologne l’action des instruments qui, poussant à la vie terrestre, dans un but inférieur, servaient pour un certain temps, malgré eux, le but supérieur de la Pologne ; a été interrompue cette action qui n’avait d’autre tendance que le bien-être terrestre de la Pologne, que sa prospérité matérielle, sans égard à l’esprit dans lequel ces résultats arriveraient : si ce serait Jésus-Christ, ou le mal, par lui-même et par ses instruments, qui gouvernerait en Pologne, et qui, par suite, gouvernerait la Pologne elle-même.
Dans le même temps, la Russie, sortant de l’engourdissement mortel dans lequel la tenait le despotisme qui pesait sur elle depuis si longtemps, commençait à se reconnaître et à entrer dans une vie plus conforme à son germe. Par la disposition de Dieu, c’était pour ces deux nations un prélude et un acheminement vers la nouvelle direction que Dieu leur a destinée. Mais ensuite, aussi bien la Pologne que le gouvernement russe, y compris tous ceux qui portent en eux le même esprit que ce gouvernement et forment avec lui un tout agissant en esprit, n’acceptèrent pas la direction de Dieu, et suivirent bientôt une voie toute opposée ; et la Russie fut arrêtée par son gouvernement dans la marche que la miséricorde de Dieu lui avait destinée.
Ainsi, le champ ouvert à ces deux nations pour pratiquer dans leur vie publique les vérités chrétiennes présentées par la grâce de Dieu dans l’écrit Powody, est devenu pour la Pologne le champ d’un martyre qui comble la mesure de sa pénitence, et pour le gouvernement russe le champ des fruits qui comblent la mesure de ses péchés. Le sang polonais coule au milieu des tourments, et, dans ce sang, le Polonais se purifie, s’élève et se rapproche de la patrie chrétienne ; tandis que le gouvernement russe se souille, s’abaisse, aggrave ainsi de plus en plus son compte devant Dieu, et entre dans le cercle de la punition de Dieu. – Tels sont les résultats produits par une cause si minime en apparence, mais si grave en réalité, car dans l’écrit Powody, par la volonté de Dieu et avec la grâce de Dieu, ont été touchées les questions essentielles concernant les deux nations, ainsi que leurs devoirs essentiels.
À cette occasion, il vous faudra parler des péchés de la Pologne, et principalement de ces deux péchés capitaux, le premier et le septième, l’orgueil et la paresse pour le service de Dieu ; et de plus, du péché contre le premier commandement de Dieu : « Tu n’auras pas de dieux étrangers devant ma face 66 », et des fruits que ces trois péchés ont engendrés dans les âmes polonaises : de la dureté intérieure, de la résistance à accepter le sacrifice, la croix de Jésus-Christ, cette essence du christianisme ; du manque de recours à Dieu, de la confiance en soi-même, de la tendance à s’appuyer sur la terre, à compter sur les forces et les moyens terrestres et sur les siens propres ; de la tendance à s’attribuer à soi ce qui vient de Dieu et à s’en enorgueillir, à agir en vue de soi-même et de la terre seule, et non en vue de Dieu, en vue de l’accomplissement de la volonté de Dieu et de son propre salut.
C’est par suite de ces péchés qu’une violence si puissante et des sacrifices si grands sont employés en Pologne pour conquérir la terre, le royaume et la patrie terrestres, tandis que le ciel, ce Royaume de Jésus-Christ, ne s’y conquiert pas ; et cependant le Polonais est appelé à étendre ce Royaume dans sa patrie, afin que ce même Royaume s’étende plus facilement dans le monde entier ; en Pologne ne se conquiert pas non plus la patrie chrétienne destinée aux Polonais dans le Royaume de Jésus-Christ ; et ces paroles très saintes ne s’y réalisent pas : « Le Royaume des cieux se prend par la violence, et ce sont les violents qui l’emportent 67....... Cherchez premièrement le royaume de Dieu..... et toutes ces choses vous seront données par surcroît 68. » Tandis que nos compatriotes offrent avec un si grand dévouement leurs biens et leur vie à la patrie terrestre, ils n’offrent pas leur esprit à Dieu et à la patrie chrétienne ; ils ne veulent pas, par exemple, attendrir et fléchir leurs âmes pour se soumettre à la vérité présentée ; ils ne veulent pas s’humilier et renoncer au faux accepté et soutenu, lors même que le bien de la patrie exigerait d’eux ce sacrifice d’esprit, témoin tant de tristes exemples dans notre passé et dans notre présent. Par suite de ces péchés, le Polonais n’est grand que là où suffit le sacrifice de la terre, du corps, du sang, où le sacrifice d’esprit n’est pas nécessaire ; et, dans le dix-neuvième siècle chrétien, le Polonais est un grand héros romain, mais il n’est qu’un faible chrétien.
Sentant que Dieu lui a destiné la patrie et lui a ouvert la voie pour la recouvrer, rendu fort et hardi par ce sentiment, le Polonais court avec ardeur dans la voie ouverte ; mais, en courant, il ne sent pas ce que Dieu lui a destiné d’accepter comme condition pour obtenir la patrie qui lui est destinée ; et cette condition, c’est le vrai christianisme, c’est le travail et l’action dans l’âme, le sacrifice intérieur, cette croix rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et comme le Polonais ne travaille pas, n’agit pas, ne se sacrifie pas dans son âme par amour, il est contraint de le faire dans son corps sous la force de Dieu, en cherchant à recouvrer la patrie par un grand labeur, avec de grands efforts, en versant son sang et en livrant sa vie au martyre. Et ceux mêmes qui sont innocents, purs, et qui prient avec ferveur et de toute leur âme, – chose singulière ! ceux-là même, pour la plupart, ne font pas dans leurs âmes ce qu’ils devraient faire ; car, même dans ce temps d’un éveil extraordinaire venant de Dieu, ils n’acceptent pas le sacrifice, la croix de Jésus-Christ ; ils n’émeuvent pas leur âme jusqu’au fond, ils n’y travaillent pas, ils ne s’y sacrifient pas. De là les uns et les autres ne produisent pas devant Dieu les fruits conformes au germe de l’esprit polonais, ne vivent pas de la vie chrétienne et polonaise. C’est pourquoi ils ne se tournent pas exclusivement vers Dieu, comme vers l’unique sauveur et l’unique puissance qui aujourd’hui agit d’une manière si visible envers sa créature ; mais ils cèdent à tout souffle, pour peu qu’il ait quelque force, ils se soumettent à toutes les forces quelles qu’elles soient ; et, par conséquent, quoiqu’ils soient innocents, purs, et qu’ils prient, ils se soumettent à ceux qui sont coupables, impurs, et qui ne prient pas ; et par cet esclavage, ils offensent Dieu. À cause de cela, les uns et les autres souffrent, stimulés par le sang répandu à ce que Dieu exige aujourd’hui du Polonais d’une manière décisive : au vrai christianisme, au sacrifice, à la croix, au travail, à l’action dans l’âme, au caractère et à l’énergie chrétienne qui est le fruit du sacrifice et de la croix.
Un seul retour véritable de l’âme vers ce devoir arrêtera l’effusion meurtrière du sang, car avec l’accomplissement de la volonté de Dieu s’arrêtera la punition de Dieu. Et dès que le Polonais se présentera devant Dieu, comme il le doit, avec la croix de Jésus-Christ dans l’âme et avec l’action chrétienne, le sang et le meurtre, ce noir des oppresseurs, tombera sur la croix, sur le sacrifice actif, ce blanc des opprimés, et au même moment disparaîtra de la Pologne le mal qui gouverne aujourd’hui en Pologne, le mal qui craint la croix à l’égal du ciel même que la croix attire ; l’esprit mongol disparaîtra, et l’esprit russe se troublera, comme devant une chose sainte, devant cette grandeur chrétienne du Polonais manifestant son germe, manifestant la nature de son esprit et la vocation de la Pologne ; et alors reviendront pour la Pologne les mémorables journées de février, jours de la grâce de Dieu. Telle est la loi éternelle, que tout ce qui est inférieur se soumet à ce qui est supérieur, autant que ce qui est supérieur s’élève au poste qui lui est propre, et se présente dans son caractère, dans sa vie et dans son action propre. Et tant que le Polonais ne tourne pas son âme vers ce devoir, il est forcé d’acquitter par le sang son compte envers la justice de Dieu, car il a deux routes pour s’en acquitter : par l’esprit, dans l’amour et le sacrifice ; ou par le corps, sous la force de Dieu.
En exposant à nos compatriotes les péchés dont nous venons de parler, exposez-leur que ces péchés, cause du terrible châtiment qui se manifeste par les fruits de l’enfer déposés sur la terre polonaise, se couvrent ordinairement du nom et de la forme des vertus chrétiennes et polonaises ; que ces péchés arrêtent l’aide du ciel, et attirent les nuages du mal qui vit et agit en Pologne selon sa nature ; qu’enfin, pour comble de malheur, ces péchés se multiplient même au milieu de la punition de Dieu et prolongent cette punition au-delà du terme marqué dans les décrets de Dieu. Exposez-leur aussi que celui qui aime la Pologne d’un amour chrétien connaît la maladie intérieure de la Pologne, causée par ces péchés ; connaît les dangers dont cette maladie menace ; et connaît enfin que ce n’est que dans le vrai christianisme et dans la vraie Église de Jésus-Christ que la Pologne peut trouver le secours, une existence bénie dans la patrie que Dieu lui destine, et, dans cette existence, son salut éternel et sa vraie prospérité temporelle.
Elle est décisive et menaçante la réclamation que Dieu fait au Polonais pour qu’il accomplisse ce que Dieu a destiné par son Verbe, ce que Notre Seigneur Jésus-Christ, le Verbe incarné, a transmis, ce que l’Œuvre de Dieu éclaircit, applique à la vie, à l’action, et ce dont elle facilite l’accomplissement. À cause de cela, tout ce que le Polonais fait pour la patrie, même dans son patriotisme le plus pur et le plus dévoué, mais sans accepter dans son âme cette réclamation de Dieu, tout cela n’amènera pas le Polonais à son but ; c’est pourquoi les sacrifices sanglants et les souffrances de martyrs, éprouvées jusqu’à présent, ne diminuent pas la sévérité de cette réclamation, et les victoires remportées au moyen de ces sacrifices ne procurent rien de réel à la patrie. Mais, dès que le Polonais aura accepté dans son âme ce que Dieu lui a destiné d’accepter, la base destinée pour l’existence future et pour la vocation de la Pologne sera posée et, sur cette base, par la puissance de Dieu, s’élèvera le salut de la patrie ; alors tous les sacrifices sanglants, toutes les souffrances deviendront efficaces, parce que ces sacrifices seront, à l’exemple du sacrifice sanglant de Jésus-Christ, le fruit et le témoignage du sacrifice d’esprit accepté et accompli par le Polonais.
La Pologne sans le vrai christianisme, par conséquent portant un esprit non polonais, ne peut avoir d’existence politique, elle ne peut avoir de place dans la société des nations ; car elle ne peut descendre assez bas pour puiser sa vie aux sources basses qui suffisent à beaucoup de nations et pour s’unir à ces nations dans leurs bas-fonds, tandis qu’elle ne s’élève pas assez haut pour se montrer telle qu’elle est et pour occuper parmi les nations la place que Dieu lui a destinée, place conforme à son existence et à sa vocation chrétienne. Par conséquent, ou la Pologne, en satisfaisant à la réclamation de Dieu dont nous avons parlé, s’élèvera, occupera sa place et vivra de la vie qui lui est destinée, ou bien elle continuera à s’y préparer dans l’esclavage que Dieu a permis, au milieu des efforts infructueux faits pour recouvrer la liberté.
Dans ces jours de direction, il faut que le Polonais prenne une direction définitive, afin que, dans les siècles de l’époque, il marche suivant cette direction, ou par amour, ou sous la force de Dieu, conduit par le ciel, la grâce de Dieu, ou par l’enfer ; dans la liberté et dans la patrie chrétienne, ou sous le joug du mal qui, par ses instruments, opprime ceux qui résistent à la volonté de Dieu, accomplissant ainsi sur eux ce que Dieu permet. Il n’y a plus pour le Polonais de voies intermédiaires ; ou la loi de Jésus-Christ accomplie strictement comme c’est destiné pour cette époque, ou les pressions qui stimulent à ce devoir le plus saint. Car pour la Pologne a déjà commencé l’époque chrétienne supérieure dans laquelle il lui est destiné de vivre de la vie chrétienne, sur tous les champs de la vie privée et publique, et, par cette vie, par toutes ses actions chrétiennes, d’étendre le royaume de Jésus-Christ, de bâtir son Église vivante ; afin que, après ce commencement fait par la Pologne, à son exemple et par son impulsion, commence à se réaliser dans le monde entier ce que nous demandons à Dieu dans notre prière quotidienne : « Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel 69 » ; afin qu’ainsi, forte de son mérite devant Dieu, forte de la force chrétienne, céleste, et des fruits de cette force, de sa vie, de ses actions et de ses vertus chrétiennes, la Pologne apparaisse aux yeux du monde et accomplisse sa vocation pour le monde, comme une nation-serviteur de Dieu, nation magistrat-chrétien, modèle de la vie privée et publique, ainsi que c’est destiné dans les décrets de Dieu.
La pensée de Dieu qui repose sur la Pologne et la volonté de Dieu pour la Pologne, par conséquent le salut et l’existence de la Pologne, sont immuables et s’accompliront tôt ou tard, facilement ou difficilement. Le Polonais, jusqu’à présent rebelle à cette pensée et à cette volonté suprêmes, s’humiliera et se soumettra à Dieu, et, par la croix de Jésus-Christ, croix céleste, qu’il aura acceptée, il éloignera de lui toutes les croix terrestres. Dans le cas contraire, ce nouvel Israël éprouvera la colère de Dieu, qu’a éprouvée l’ancien Israël pour la résistance à la volonté de Dieu, au Verbe de Dieu. Tous les autres moyens d’éloigner les croix terrestres deviendront, dans cette époque, de moins en moins efficaces pour tous, et entièrement inefficaces pour le Polonais. Tant que le parti du bien, opprimé sur la terre, ne se mettra pas dans les conditions de la pensée et de la volonté de Dieu, le parti du mal, qui opprime, acquerra une force de plus en plus grande, afin que, comme un instrument de la permission et de la punition de Dieu, il force le parti du bien à se mettre dans les conditions de cette pensée et de cette volonté. Le parti du mal est encore debout et peut continuer à l’être, soutenu qu’il est par les péchés du parti du bien.
Pour aider nos compatriotes dans la position si extraordinaire où ils sont, exposez-leur quels sont aujourd’hui leurs principaux devoirs chrétiens ;
qu’ils connaissent l’appel que Dieu fait dans ces temps-ci aux Polonais ;
que, de toute leur âme, ils s’embrasent d’amour pour la volonté de Dieu transmise dans cet appel, et se tournent vers son accomplissement ;
que dans le fond de leur âme, travaillant devant Dieu et pour Dieu, ils s’émeuvent, ils éveillent la contrition, le repentir de pénitents pour leurs péchés, comme l’unique sentiment, le ton unique qui convienne aujourd’hui à l’âme polonaise ; que, par ce travail de l’âme, par ce sacrifice, ils vainquent la paresse pour le service de Dieu et effacent par degrés ce péché devant Dieu ; que, par cette force chrétienne, ils amollissent leur dureté, ils détruisent leur orgueil, et éveillent en eux l’humilité, ce sentiment de leur néant, de leur propre impuissance, et de la grandeur, de la puissance infinies de Dieu ;
qu’ils se soumettent à Dieu en toutes choses, par conséquent aussi dans les souffrances venant du joug que Dieu a permis, dans tous leurs désirs, dans tous leurs projets de secouer le joug, de recouvrer la patrie ; que, remettant entre les mains du Père tout-puissant et infiniment bon même le désir de la patrie qui leur est destinée, ils placent dans leur cœur l’amour de la volonté de Dieu avant l’amour de la patrie ;
qu’ils prennent comme étoile de leur vie la recherche de la volonté de Dieu, la soumission à cette volonté et l’accomplissement de cette volonté ;
qu’ils éveillent en eux la sollicitude pour ce bien suprême, sans lequel tous les autres biens ne sont rien, la sollicitude pour que Dieu soit avec la Pologne et bénisse sa vie et sa tendance ; que, de toutes leurs forces, ils recherchent ce bien, cette unique condition du vrai succès dans toute action vraie de l’homme ;
que, par suite de cela, ils rejettent l’idéal païen qu’ils ont aimé et poursuivi jusqu’à présent : cette inflexibilité du caractère terrestre, et même plus bas que terrestre, cette persistance obstinée dans leurs propres idées ; et de là, la ténacité dans le faux une fois accepté, et le renversement de la vérité contraire à ce faux ; dont il vient que, sous le nom et sous la forme du caractère, le Polonais renie souvent son caractère : qu’en persistant dans sa propre idée, il renie ce qui lui est vraiment propre, il se renie lui-même, c’est-à-dire son âme, sa liberté et sa vie, et, par ce reniement, il devient l’esclave du mal, et, dans cet esclavage, il vit d’une vie inférieure et la plus inférieure ;
qu’ils distinguent et séparent le germe polonais, cette parcelle divine qui est dans le Polonais, du mal que le Polonais a accepté ; qu’ils séparent notre sainte nationalité du faux principe qui, par l’action du mal, s’y est mêlé, l’a corrompue et a été réputé vertu, caractère polonais ; qu’ enfin, en accomplissant tout cela, ils accomplissent ce qui en est l’essence : le devoir de se changer promptement, de se transformer intérieurement, de se régénérer en Jésus-Christ, et d’accepter une autre direction, une autre tendance.
Exposez à nos compatriotes les conséquences bénies de l’accomplissement de ces devoirs.
Dès que ces devoirs seront en voie d’accomplissement, l’esprit polonais percera les nuages du mal qui envahissent de plus en plus la Pologne, et, après s’être élevé au-dessus de ces nuages, il commencera à manifester ce qu’il est, ce qu’il porte en lui, il commencera à vivre de la vie chrétienne qui lui est destinée ; et cette vie sera l’accomplissement de la pensée de Dieu qui repose sur la Pologne, ce sera l’Œuvre de Dieu, l’Œuvre du progrès et du salut du monde se faisant en Pologne. Par cette vie, Jésus-Christ, enseveli par les péchés de la Pologne, ressuscitera et commencera à vivre en Pologne ; et, en conséquence, la punition actuelle sera changée en miséricorde de Dieu ; le poussement exercé par les forces inférieures dans la voie pénible que Dieu a permise sera remplacé par la direction de Jésus-Christ et de sa grâce, et le frottement, dans une lutte infructueuse, des forces inférieures de la Pologne contre les forces les plus inférieures du gouvernement oppresseur sera remplacé par l’action chrétienne de la Pologne, action dans laquelle il y aura la lutte du bien seul contre le mal seul, du ciel contre l’enfer, et Dieu bénira cette lutte. Alors la Pologne, ainsi que cela lui est destiné, sera sauvée par un miracle ; les jugements et la puissance de Dieu se manifesteront sur elle pour l’enseignement et l’exemple du monde entier ; alors la patrie chrétienne, donnée de Dieu, trouvera dans ses fils et défenseurs des fils de Dieu libres, des fils de l’Église vivante de Jésus-Christ ; et dans cette patrie, devenue la république de Jésus-Christ, qui doit exister sous toutes les formes de gouvernement, régnera l’esprit de Dieu, l’esprit d’amour, de liberté, d’égalité et de fraternité chrétienne.
Ainsi ce qui a été commencé dans l’amertume de la douleur, par le sang et la bile, par les passions soulevées pour la défense de la patrie terrestre, sera terminé par l’âme émue pour Dieu et pour la patrie chrétienne ; ce qui a été commencé pour la punition, comme pénitence, sera terminé avec la bénédiction de Dieu et avec mérite pour le Polonais ; ainsi, l’insurrection actuelle, la lutte terrestre, deviendra chrétienne, deviendra une grande action à laquelle toutes les actions terrestres et infernales ne sauraient résister. Ainsi la Pologne, nation-magistrat chrétien, fera connaître au monde que le christianisme embrasse tout, qu’il peut être accompli dans toutes les actions de l’homme, même dans celles qui ont été considérées jusqu’à présent comme ne pouvant jamais être chrétiennes ; elle fera connaître que si les forces de la terre et des enfers ont pu agir jusqu’à présent sur tous les champs de la vie de l’homme, à plus forte raison la force chrétienne, céleste, peut agir sur tous ces champs, ainsi que cela est destiné par le Verbe de Dieu.
Il n’est pas difficile au Polonais d’atteindre un avenir si heureux ; car il porte dans son esprit des trésors chrétiens, acquis dans les siècles. Il faut seulement qu’il déterre ces trésors, qu’il les dégage du pouvoir du mal, et qu’il les vivifie par son sacrifice, avec l’aide de la grâce de Dieu, qui descend sur le sacrifice de l’homme ; et il est facile de le faire dans ce jubilé de l’époque, ce jubilé de la grâce, en profitant de la miséricorde de Dieu qui facilite aujourd’hui à l’homme son pèlerinage sur la terre, rendu si difficile par ses péchés. Que seulement chacun de nos compatriotes accomplisse cet appel de sa mère, appel si simple mais si grand : que le matin il fasse attentivement sa prière, et que, pendant toute la journée, il n’oublie pas sa prière ; que chacun, au milieu des contrariétés, s’attache ne fût-ce qu’à un seul mot de sa prière, et qu’il dirige d’après ce mot ses pensées, ses paroles et ses actions ; et ce seul mot, honoré ainsi par l’accomplissement, par l’action, deviendra pour plus d’un d’entre eux une ancre de salut, au milieu de la tempête actuelle qui agite et dissipe l’esprit polonais à un tel point qu’il est de plus en plus difficile au Polonais de fixer et de concentrer son esprit, pour voir sa situation dans la vérité et pour agir d’après la vérité dans cette situation. Un seul mot de la prière, honoré d’une telle manière, sera, pour plus d’un, un bouclier au milieu des dangers de la lutte, car Dieu les préservera, afin qu’en vivant ils produisent les fruits de la vérité contenue dans ce mot. Par suite du changement opéré dans l’âme de l’homme, la justice de Dieu peut se changer en miséricorde, la direction vers la mort, tracée déjà dans les jugements de Dieu, peut être changée en direction vers une vie bénie de Dieu.
Maintenant je vous dirai, mes chers frères, comment vous devez servir vos compatriotes.
Servez-les avec le sacrifice que vous leur devez comme compatriotes, serviteurs appelés de l’Œuvre de Dieu et apôtres de la Pologne. Dans le besoin si grand où ils se trouvent, offrez-leur toute l’aide, toutes les facilités qui sont en votre pouvoir ; fortifiez-les par les vérités et les consolations, par les espérances que vous portez en vous, grâce à la miséricorde de Dieu ; montrez-leur, par vos paroles et par chacune de vos actions, comment on peut accomplir le plus facilement et le plus promptement ce que Dieu exige aujourd’hui du Polonais, pour son salut et pour celui de la patrie. Faites à leur égard tous les sacrifices, mais ne faites aucune concession touchant votre vocation, votre conscience, votre caractère, concession qui leur serait aussi funeste qu’à vous-mêmes. Ne quittez pas votre champ pour entrer sur le champ terrestre seul, pour y appuyer seulement les projets et les tendances terrestres de nos compatriotes ; Jésus-Christ, en accomplissant sur le champ suprême, céleste, au milieu des obstacles les plus grands, l’Œuvre du salut du monde, a présenté en cela le modèle pour ses serviteurs qu’il a appelés et qu’il appellera dans l’avenir.
En accomplissant tous les sacrifices, aussi bien le sacrifice chrétien dans l’âme, dans le corps et dans l’action, que le sacrifice terrestre, celui des travaux, des fatigues du corps, celui de la douleur, du sang et de la vie, souvenez-vous que le sacrifice terrestre n’est pas votre unique tâche, mais qu’il n’est qu’un supplément nécessaire pour compléter votre sacrifice pour la patrie, ainsi que je vous l’ai exposé plus amplement dans mon dernier écrit. Souvenez-vous que augmenter, pour la défense de la patrie, seulement la force matérielle de la Pologne, ce n’est pas ce qui est destiné à ceux qui sont appelés à aider leurs compatriotes pour qu’ils acceptent la force d’esprit, la force chrétienne, céleste, qui sont appelés à les aider pour qu’ils méritent ce bien suprême, que Dieu soit avec eux et bénisse leurs projets. Offrez donc à Dieu votre ardeur terrestre, cet élan si naturel dans l’homme, qui le porte à se dévouer terrestrement à un but qu’il aime ; offrez aussi à Dieu le dommage que vous pourrez éprouver dans l’opinion de ceux de nos compatriotes qui vous jugeraient selon la loi terrestre seule. Par conséquent, dès que vous serez arrivés sur le sol de la patrie, déclarez de prime abord à nos compatriotes ce que vous êtes et pourquoi vous arrivez ; présentez-vous devant eux d’abord comme apôtres, et ensuite comme soldats, compagnons d’armes, et manifestez ce caractère par vos paroles et par toutes vos actions. Votre avenir, l’accomplissement ultérieur de vos devoirs dépendent de votre première action, qui consiste à percer dès le commencement les nuages du mal et à occuper le poste qui vous est destiné ; et ces nuages, comme l’expérience de tous les jours nous l’enseigne, vous envelopperont dès le premier moment et s’opposeront à ce que vous montriez votre caractère ; et la force de ces nuages peut être si grande qu’à plus d’un d’entre vous il sera plus facile de présenter leur poitrine à la mitraille que d’opposer leur esprit au mal pour combattre et vaincre le mal, par là, soutenir le caractère, accomplir le devoir de serviteurs de Jésus-Christ, élever l’étendard de Jésus-Christ, élever toute vérité, abaisser tout ce qui est faux.
Servez tous nos compatriotes, sans avoir égard aux différences de convictions, d’opinions, en portant le désir de vous unir à tous en Jésus-Christ, et en vous dévouant pour ce but, afin que la Pologne devienne un seul grand tout en Jésus-Christ. En servant tous nos compatriotes, servez en particulier les prêtres, les puissants, le peuple, Israël, et les femmes de toutes les conditions. Servez Israël comme votre compatriote, vous souvenant qu’en Pologne, Israël est un plus véritable Israël que dans d’autres nations, et que, à cause de la communauté d’esprit et de vocation, il doit devenir une partie homogène de la Pologne. Puisez l’aide pour ces services dans mes trois lettres de 1861 sur la Pologne qui vous sont connues 70. Servez et dévouez-vous de toute votre âme, non seulement pour nos compatriotes, mais aussi pour les étrangers, et même pour les ennemis que Dieu peut placer sur le champ de votre service. S’il vous arrivait d’être en contact avec le gouvernement russe (l’humilité devant les jugements insondables de Dieu, ainsi que votre position de soldats luttant contre ce gouvernement, vous obligent à vous y préparer), il sera de votre devoir d’accomplir la loi que vous avez appris à connaître plus à fond, la loi de l’amour, de la sincérité et de l’énergie chrétienne ; de présenter à ce gouvernement la vérité et le caractère, et de demeurer inébranlables dans la foi que Dieu seul gouverne l’homme et que toutes les forces de l’immensité ne sont que les instruments de son gouvernement. Ne limitez pas, mes frères, par les lois et les égards terrestres, votre amour pour Dieu et pour le prochain, car vous interrompriez la communication avec le ciel et vous n’obtiendriez pas l’aide du ciel.
Servez, avec le sentiment et le zèle que vous lui devez, le gouvernement national qui, par un miracle de la Providence de Dieu, sauvegardé au milieu des difficultés et des dangers, avec et sans connaissance de cause, avec et sans son mérite, tient et suit le fil de l’action actuelle de la Pologne et des évènements actuels. Et quoique cette action et ces évènements ne soient pas destinés, qu’ils ne soient que permis dans les jugements de Dieu pour la pénitence de la nation, néanmoins ils sont permis pour un grand but chrétien, et ce but, c’est que l’Époque supérieure s’ouvre pour le monde ; ils sont donc importants pour le progrès, pour le salut, non seulement de la Pologne, mais aussi du monde entier.
Par conséquent, un instrument de Dieu, tel que le gouvernement national l’est aujourd’hui pour la Pologne, a droit à votre amour, et, dans ce sentiment, à votre dévouement et à votre service zélé. Ceux qui y sont comme de vrais chrétiens, appartenant au royaume de Jésus-Christ (et Dieu veuille qu’ils le soient tous !), accepteront ce qui vient du royaume de Jésus-Christ ; ils accepteront l’Œuvre de Dieu comme la chose de Dieu, et ils s’uniront à ceux dont le but est de faire tous les sacrifices pour que Dieu soit avec la Pologne, afin qu’ainsi la force terrestre de la nation, incapable par elle-même d’achever l’œuvre commencée, soit appuyée par la puissance de Dieu. Et vous le reconnaîtrez facilement si, en agissant avec ces compatriotes dans les conditions chrétiennes, vous êtes purs devant Dieu et devant eux ; car il est facile à celui qui est pur de reconnaître toute impureté, de même qu’il est facile de reconnaître le noir lorsqu’il tombe sur le blanc. Comme chrétiens libres, tenez-vous strictement à cette loi : ne pas regarder les formes et les apparences, mais tourner le regard de l’âme vers l’essence même ; distinguer si c’est du ciel, de la terre ou de l’enfer que vient ce que le prochain présente, et agir en conséquence : adorer le ciel, s’humilier devant lui et s’y soumettre ; respecter et appuyer la terre autant qu’elle est pure, autant que, ne fût-ce que sur les degrés inférieurs de la voie de Dieu, elle accomplit la pensée de Dieu qui repose sur elle ; et lutter contre l’enfer, contre tout mal, contre tout ce qui est faux.
Que telle soit la base de toutes vos relations avec ce gouvernement, la base de votre union avec lui et de votre soumission à lui dans votre âme et dans votre cœur, de cette soumission dont l’homme est rigoureusement comptable devant Dieu. Sur cette base, en vous soumettant aux hommes, vous ne cesserez pas d’être soumis à Dieu, vous n’offenserez pas Dieu et vous ne trahirez pas la patrie. Cette base, constamment maintenue, constituera le trait distinctif de votre caractère chrétien. Hors de cette base, en ne distinguant pas le ciel de l’enfer, la grâce de Dieu, cette force suprême, des forces inférieures et les plus inférieures, vous succomberiez bientôt ; car le ciel, offensé par ce fruit de votre manque d’amour, vous abandonnerait, tandis que la terre et l’enfer n’abriteraient pas, même pour un peu de temps, ceux qui, étant appelés, comme serviteurs du ciel, à étendre le royaume céleste sur la terre, à élever la terre et à vaincre l’enfer, apportent un éveil, un appel qui inquiète la terre, qui opprime et tourmente l’enfer.
En servant tous nos compatriotes, épanchez-vous sur votre position actuelle : dites-leur pourquoi ont été retardées l’aide de l’Œuvre de Dieu destinée à la Pologne, et la participation de ses serviteurs dans la tendance actuelle de la Pologne ; pourquoi, aujourd’hui encore, vous n’arrivez pas tous pour servir la Pologne. Éclaircissez aussi comment la part que vous prenez à l’insurrection, comment votre lutte contre le gouvernement russe, c’est l’accomplissement du devoir que vous avez exposé à l’empereur, il y a six ans, en lui éclaircissant les motifs pour lesquels vous n’avez pu accepter l’amnistie. En effet vous avez dit dans votre écrit :
..... « La Pologne souffre plus que d’autres nations, parce qu’elle est poussée davantage à son devoir principal : de prendre la part qui lui est destinée dans l’élévation et l’extension du christianisme sur la terre, de devenir par là nation-serviteur de Dieu... Cette mission peut être accomplie seulement dans la patrie vraie que le Polonais obtiendra, non par une force terrestre quelconque, mais par la force chrétienne seule, après avoir accompli sa pénitence. La puissance de Dieu se manifestera sur la nation qui, purifiée par la pénitence, aura passé sous la loi de nation-serviteur de Dieu, sous la loi de l’amour et de la grâce. Dieu qui, à cause des comptes de cette nation, lui a ôté la patrie, après les comptes acquittés, rendra ce qu’Il a ôté ; Il délivrera des croix et du joug terrestres aussitôt que la croix et le joug supérieur seront acceptés et que le fruit en sera déposé ; Il tirera de l’esclavage, de cette position non naturelle, aussitôt que la liberté intérieure, chrétienne, sera recouvrée, aussitôt que le joug du mal qui opprime l’esprit sera brisé par la force de la croix ; le Médecin suprême ôtera le remède aussitôt que la maladie sera guérie, ôtera le remède qui n’a pas été un aliment naturel, donnant la vie, mais qui a été un moyen temporaire seulement, arrêtant et purifiant la vie fausse. Et tout cela s’accomplira si tels sont les décrets de Dieu, sans la participation des Polonais ; la puissance de Dieu se déclarera par d’autres instruments qui accompliront les décrets de Dieu ; – et les instruments de la punition, touchés par cette puissance, pourront devenir alors les instruments de la grâce et de la miséricorde de Dieu. – Tout cela s’accomplira si tels sont les décrets de Dieu, par les Polonais eux-mêmes, dont les sacrifices pour la patrie, le caractère, l’héroïsme, seront alors appuyés par la puissance de Dieu ; car ces sacrifices seront chrétiens, seront l’instrument accomplissant les décrets de Dieu, défendront ce bien qui devant Dieu sera déjà devenu la propriété des Polonais, défendront la patrie vraie destinée, pour que là, par la vie et les actions chrétiennes, se déploie le christianisme accepté sans patrie, dans l’esclavage passé..... »
Voilà les vérités sur lesquelles vous avez basé jusqu’à présent, mes frères, votre soumission au gouvernement russe ; c’est en vous appuyant sur ces mêmes vérités que vous vous disposez aujourd’hui à prendre part à la lutte contre ce gouvernement. Éclaircissez donc à nos compatriotes comment vous êtes dans le dernier des deux cas que nous venons de citer ; et ce qui a contribué à cette direction pour la Pologne, c’est le gouvernement russe lui-même, en acceptant dans son âme le mal, cet esprit le plus inférieur qui le gouverne par une permission extraordinaire de Dieu ; ce sont les fruits du péché que, par ce même esprit, le gouvernement russe dépose sur la Pologne, en reniant le germe et le caractère russe, en reniant Jésus-Christ et sa loi céleste, en accomplissant en Pologne non plus la loi terrestre, mais la loi inférieure à celle de la terre. Et, en effet, le gouvernement russe accomplit en Pologne la loi inférieure à celle de la terre ; car il considère le bien d’autrui, qui ne lui a été soumis que pour un temps, comme son bien propre, et, ne voyant que lui-même, c’est pour lui-même qu’il fait couler le sang de ses frères ; car dans cette effusion du sang, il commet une violence sur l’esprit polonais, en punissant si cruellement les Polonais non pour leur mal qu’il ne connaît pas, mais pour le bien, pour l’amour et le dévouement envers la patrie, pour les vertus que, dans l’histoire de sa propre nation, il élève lui-même et dont il se glorifie, par exemple, lorsqu’il voue une mémoire et un culte éternels à ceux qui sauvèrent la Russie du joug des Tartares ; car, enfin, il commet cette violence sur l’esprit polonais, en punissant les Polonais avec la vengeance et la rage de son esprit se livrant sans frein aux excès auxquels le pousse ce mal, cet esprit le plus inférieur. Par ce renversement des lois divines et humaines, commis au dix-neuvième siècle chrétien, la mesure de la permission de Dieu sur la Pologne arrive déjà à son comble, et les limites que Dieu a marquées à la pénitence de la Pologne sont atteintes ; de là, les comptes devant Dieu changent pour les deux partis qui sont en lutte, car l’un de ces partis acquitte son compte, tandis que l’autre l’aggrave ; aussi la balance penche-t-elle pour la Pologne, et, par suite de cela, la lutte pour la liberté et pour la patrie chrétienne, lutte par les armes terrestres, mais dans l’esprit chrétien, est devenue conforme à la volonté de Dieu. Tels sont les motifs pour lesquels a changé notre position, comme serviteurs de l’Œuvre de Dieu et de la Pologne, et en même temps comme sujets du gouvernement russe, tant que nous le serons par la permission de Dieu ; et c’est devenu pour nous un devoir de croire et d’espérer que le sacrifice chrétien pour conquérir la patrie chrétienne sera appuyé par le bras de Dieu, car ce sacrifice conquerra le bien qui, devant Dieu, est déjà devenu la propriété des Polonais.
En outre, exposez à nos compatriotes qu’en luttant dans cet esprit vous ne dérogez pas à la voie exposée à l’empereur, car le sujet chrétien, sentant que le joug qu’il supporte vient de son compte devant Dieu, porte l’amour, même pour le prochain qui l’opprime ; par suite de cet amour, il désire le vrai bien de ce prochain, et il est prêt, autant qu’il en a l’occasion, à se dévouer pour ce bien ; par conséquent le sujet chrétien, en luttant dans ce sentiment contre le mal du gouvernement oppresseur, est fidèle à ce gouvernement, d’après la loi de Jésus-Christ. Le désir du vrai bien de tout prochain, le désir de son salut et l’empressement à se sacrifier dans ce but, c’est le fruit de l’amour de Dieu et du prochain, cette base du christianisme, ce fondement de l’Église de Jésus-Christ ; c’est donc le devoir de tout chrétien, fils de l’Église, et ce devoir est plus obligatoire pour le Polonais, et encore plus pour les serviteurs de l’Œuvre de Dieu, serviteurs de la Pologne. Cette soumission chrétienne à la force supérieure, à laquelle Dieu nous a soumis, cette liberté de l’esprit, grâce à Dieu, nous la portons, mes frères, dans nos âmes ; une telle soumission et une telle liberté, quoiqu’elles ne soient pas appréciées dans le monde, sont devant Dieu une vertu chrétienne qui a du poids dans la balance des jugements de Dieu. C’est pourquoi c’est devenu pour nous un devoir d’exposer à l’empereur de Russie les motifs de ce changement dans notre position, de lui exposer les motifs pour lesquels, serviteurs de l’Œuvre, nous entrons en lutte contre le gouvernement ; nous accomplirons ainsi, mes frères, la loi de l’amour et de la sincérité chrétienne qui sont dus de la part des subordonnés à tout gouvernement, que ce soit un gouvernement venant de la grâce de Dieu, ou venant de la permission de Dieu, comme instrument de punition.
Vos devoirs ultérieurs, attachés à votre service, sont les suivants. Profitant de la disposition intérieure plus élevée dans laquelle nos frères qui combattent sont maintenus par les dangers qui les menacent à tout moment, présentez-leur la vérité telle qu’elle est, sans aucune concession et sans aucune modification ; et en vous conformant à leur état fiévreux, parlez-leur spontanément, librement, avec énergie, simplement et brièvement ; parlez-leur sincèrement et du fond de l’âme ; présentez-leur le caractère chrétien, votre confiance en Dieu, et, ce qui en est la suite, la fermeté et le calme chrétien. À ce devoir se lie celui d’appeler chaque chose par son nom ; ce nom est souvent contraire à la civilisation terrestre qui, sans faire attention à l’âme, ménage les nerfs, la susceptibilité de l’homme ; mais comment le prochain connaîtra-t-il le fait, et surtout un fait qui montre sa faute, si celui qui voit ce fait par la grâce de Dieu lui donne le nom d’une autre chose ? Et sur qui retombera la responsabilité de ce tort fait au prochain, par le gaspillage de la grâce qui a fait voir ce fait pour le bien et souvent pour le salut du prochain ? C’est pourquoi une dénomination propre est un devoir important pour tout chrétien, et d’autant plus important pour le serviteur de l’Œuvre de Dieu, apôtre de l’Époque chrétienne.
En servant nos compatriotes dans cet esprit, présentez-leur chaque chose, autant que possible, d’une manière accessible et dans son application ; servez-les avec un esprit prompt au sacrifice et incarné, car au milieu d’une si grande vie terrestre, ils ne supporteraient pas la vie de l’esprit seul, ils ne supporteraient pas les vérités abstraites qui ne seraient pas appliquées à leur situation et à leurs besoins ; en appréciant leur sacrifice, n’oubliez pas combien il est difficile, à ceux qui s’efforcent dans des sacrifices et des actions extérieures, de se sacrifier et d’agir dans leur intérieur, de faire en même temps un double travail : le travail terrestre dans le corps, et le travail chrétien dans l’âme. Même à l’égard de ceux qui seraient les plus opiniâtres à la vérité présentée par vous, n’arrêtez pas et ne fermez pas votre âme, et, à plus forte raison, ne la détournez pas : car, si vous montrez au Polonais la plus grande indignation, si vous l’accablez de reproches, mais du fond de l’âme ouverte, il le supportera plus facilement que si vous fermez votre âme devant lui et si vous la détournez de lui, quand même vous le feriez dans les formes les plus douces de la civilisation terrestre. Servez et sacrifiez-vous autant que votre service et votre sacrifice sont acceptés ; n’attentez à la liberté de personne, n’imposez pas la chose de Dieu à ceux qui, à cause de leur manque d’amour et de bonne volonté, n’ont pas, selon les paroles de Jésus-Christ, « d’oreilles pour entendre », c’est-à-dire, non pas d’organe pour accepter cette chose.
Conservez dans votre âme la simplicité, l’humilité, la pauvreté, le renoncement de la terre et de vous-mêmes ; dans cette disposition intérieure, en vous mettant au service terrestre, occupez les places les plus inférieures, car c’est là que votre pureté intérieure sera reconnue, et votre service accepté plus facilement ; et, si quelqu’un de vous se trouve dans la nécessité d’accepter un poste supérieur quelconque, qu’il accepte en même temps la croix chrétienne beaucoup plus lourde qui dans ce cas lui sera imposée.
Soyez libres, ne dépendant que de la volonté, de la disposition de Dieu ; par conséquent ne vous attachez pas absolument à une seule troupe de combattants ; là où vous ne trouveriez pas l’esprit de Dieu, mais seulement la domination du mal, et où votre travail dans le sacrifice pour délivrer vos compatriotes de cet esclavage se montrerait infructueux, témoignez que vous êtes obligés de vous éloigner, et que vous allez ailleurs chercher de vrais Polonais, à qui vous puissiez rendre des services plus efficaces.
En conservant ce même esprit de liberté, ne vous groupez pas dans un même endroit pour votre convenance personnelle, ni même pour trouver un secours et une facilité dans l’union fraternelle, mais, autant que possible, dispersez-vous dans diverses troupes. Dans cet esprit de liberté, il peut arriver à l’un de vous de passer par toutes les troupes, à un autre de se fixer dans une seule et d’y rester, à un troisième de parcourir la Pologne en annonçant la parole de vérité, de salut et de consolation. Tout cela doit être l’objet de votre sollicitude et de votre travail dans le sacrifice. Les décrets de Dieu sont insondables, de même que les voies tracées à l’homme dans ces décrets ; et tout ce que vous aurez fait conformément à la volonté de Dieu sera profitable à la patrie. Dieu seul dirige tout et dispose tout, mais c’est notre devoir de veiller et de nous intéresser à tout.
Afin que vous puissiez remplir ces devoirs, conservez, mes frères, par votre sacrifice, l’esprit apostolique, ce ton, ce diapason intérieur propre à votre vocation. Cet esprit, conservé dans vos cœurs, vous unira à Jésus-Christ, et, dans cette communion, vous aurez la lumière et la force au milieu des ténèbres et du chaos actuel du monde, au milieu des adversités et des dangers de votre service. Et il ne vous sera pas facile de conserver cet esprit, ce ton, dans le contact continuel et dans l’action commune avec tant de tons divers, de même qu’il n’est pas facile de conserver au milieu de l’orage une lumière allumée. Dans le cours de votre longue retraite d’exilés, vous parveniez à conquérir cet esprit, ce ton, par les travaux, les soucis, les aspirations de vos âmes ; et combien il vous est facile aujourd’hui de perdre ce bien céleste, d’éteindre cette lumière de votre vocation ! Vous avez vécu jusqu’à présent comme dans les murs d’un cloître, et vous vainquiez plutôt le mal vivant sans le corps, dans l’esprit seul ; désormais vous serez attaqués par un mal plus terrible, parce qu’il est incarné, vivant dans plusieurs, et agissant par plusieurs. Et nous voyons avec quelle puissance agit un tel mal, comment, en vivant dans plusieurs, il devient dans le monde une idole ; comment plusieurs rejettent, non seulement la loi chrétienne, mais aussi la loi terrestre, sacrifiant l’opinion du monde pour mériter les faveurs de ceux qui, forts de la puissance de ce mal qui vit en eux, gouvernent tous ceux qui ne se soumettent pas à Jésus-Christ et ne s’appuient pas sur Jésus-Christ, tous ceux qui, ne pouvant vivre sans une soumission et un appui quelconque, se soumettent au mal qui leur donne cet appui, par là, satisfont d’une manière facile, mais funeste, à ce besoin de leur âme. J’ai senti devoir tourner votre attention, mes chers frères, sur les dangers auxquels sera exposé votre ton, cette lumière de votre vocation, dangers d’autant plus menaçants qu’ils ne se présentent pas sous la forme de dangers, mais qu’ils sont considérés dans le monde comme une chose ordinaire, naturelle, et même indispensable selon les lois du monde. L’homme tenté de cette manière ne voit pas que Dieu rapproche de lui de tels hommes, portant le mal, uniquement pour éprouver son amour : sera-ce le ciel ou l’enfer qui prévaudra dans son cœur ?
Voilà vos principaux devoirs, mes chers frères. Accomplissez-les, faites tout ce qui est en votre pouvoir, et laissez à Dieu le résultat de vos sacrifices, en vous confiant dans son inépuisable miséricorde, en vous confiant aussi dans le germe chrétien de nos compatriotes, en espérant que l’éveil actuel si pénible qui vient de Dieu produira le fruit destiné, et que le compte de la Pologne, amélioré devant Dieu, lui tracera une direction heureuse pour un long avenir.
Pour donner une base aux observations qui précèdent, j’ai choisi dans les saints Évangiles des passages qui s’appliquent à votre situation et à vos devoirs actuels ; ce sont pour la plupart les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ adressées aux apôtres qui s’en allaient étendre son royaume. Portez, mes frères, ces paroles gravées dans vos âmes, comme votre appui et votre secours dans chacun de vos besoins ; car l’Œuvre de Dieu qui se fait aujourd’hui, c’est la même Œuvre du salut du monde que Jésus-Christ fait jusqu’à la fin du monde.
Je vous prie aussi, mes chers frères, en arrivant sur la terre polonaise, de transmettre aux cœurs de nos compatriotes les paroles ci-jointes que je leur adresse, et de leur rendre témoignage de ce que vous sentez sur mon but et ma tendance.
Faites, mes frères, le dernier effort afin que, en prenant en vous l’esprit apostolique, vous occupiez la hauteur chrétienne qui est propre à votre vocation et qu’il vous est destiné d’occuper, hauteur qui est le degré supérieur de la voie chrétienne, appartenant à l’époque supérieure. Que la patrie chrétienne qui ressuscite au milieu de si grandes douleurs, en vous voyant sur cette hauteur, vous salue comme des serviteurs de Jésus-Christ, dans cette époque de la vie et des actions chrétiennes, comme des serviteurs fidèles, se sacrifiant et agissant. Un tel accueil sera une preuve de l’accomplissement de votre devoir apostolique ; un tel accueil réjouira dans toute l’immensité de Dieu tous ceux qui sont soumis à la volonté de Dieu, et il épouvantera tous ceux qui sont rebelles à cette volonté ; et ce sera, pour les siècles futurs, un témoignage que Jésus-Christ, au commencement de cette époque, a eu en Pologne de vrais serviteurs, et que l’Église de Jésus-Christ et la patrie chrétienne ont eu de vrais fils. Que cela se fasse pour vous par la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, par l’intercession de notre Reine 71, notre protectrice, notre médiatrice, et sous la direction de Kosciuszko, notre chef, qui par la volonté de Dieu, continuant pour la patrie, après sa mort, ce qu’il avait commencé pendant sa vie, élève son immortel bâton de connétable et en menace tous les ennemis de la pensée de Dieu qui repose sur la Pologne, autant que la Pologne se tourne vers cette pensée.
Adieu, mes chers frères, compagnons de mon service et de mon exil ! Adieu, par ces paroles du pieux peuple polonais : « Que Jésus-Christ soit loué ! » Et qu’il soit loué par chacune de nos pensées, de nos paroles et de nos actions, dirigées selon sa très sainte volonté. En vous faisant ces adieux, je forme pour moi-même le vœu de vous revoir bientôt, sur la terre polonaise et dans des temps meilleurs pour la Pologne, pourvu que ce soit conforme à votre volonté, ô Seigneur !
Voici les passages choisis des Évangiles, dont Towianski parle dans les dernières pages de l’écrit que je viens de rapporter :
Des temps actuels « ..... Vous savez si bien reconnaître ce que présagent les diverses apparences du ciel et de la terre ; comment donc ne reconnaissez-vous point ce temps-ci ? 72....... Levez vos yeux, considérez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à moissonner 73..... Le jour du Seigneur doit venir comme un voleur de nuit 74..... car lorsqu’ils diront : Nous voici en paix et en sûreté, ils se trouveront surpris tout d’un coup par une ruine imprévue 75..... La cognée est déjà mise à la racine des arbres, tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu 76..... Toute vallée sera remplie et toute montagne et toute colline sera abaissée ; les chemins tortus deviendront droits, et les raboteux unis 77..... Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu 78..... »
De la vocation apostolique « .....Ils doivent tous être salés par le feu, comme toute victime doit être salée par le sel 79...... Ayez du sel en vous, et conservez la paix entre vous 80..... Vous êtes le sel de la terre 81..... Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée : et on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau ; mais on la met sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 82..... Prêchez, en disant que le royaume des cieux est proche 83..... On redemandera beaucoup à celui à qui on aura beaucoup donné ; et on fera rendre un plus grand compte à celui à qui on aura confié plus de choses 84..... »
Des devoirs des Apôtres « ..... Quiconque donc me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi moi-même devant mon Père qui est dans les cieux ; et quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi moi-même devant mon Père qui est dans les cieux 85..... Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et où je serai, là sera aussi mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera 86..... Demeurez en moi, et moi en vous. Comme la branche ne saurait porter le fruit d’elle-même, et si elle ne demeure attachée au cep de la vigne, il en est ainsi de vous autres, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep de la vigne, et vous en êtes les branches. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits ; car vous ne pouvez rien faire sans moi 87..... »
« Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes 88..... Nul ne peut servir deux maîtres..... Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses 89..... Le royaume de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans les effets 90..... Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement 91..... Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous, et le serviteur de tous..... Car le Fils de l’homme même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs 92..... Étant libre à l’égard de tous, je me suis rendu serviteur de tous, pour gagner à Dieu plus de personnes 93..... Dites donc aussi, lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous est commandé : Nous sommes des serviteurs inutiles : nous n’avons fait que ce que nous étions obligés de faire 94. »
Comment il faut agir dans les tribulations « ..... Ne craignez point, petit troupeau 95..... Celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin 96..... Cependant il ne se perdra pas un cheveu de votre tête. C’est par votre patience que vous posséderez vos âmes 97..... Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme 98..... Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, pour pouvoir vous défendre des embûches et des artifices du diable 99.....
« Lorsque quelqu’un ne voudra point vous recevoir, ni écouter vos paroles, secouez, en sortant de cette maison ou de cette ville, la poussière de vos pieds 100..... Lors donc qu’ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre 101..... Celui qui ne reçoit point mes paroles a pour juge la parole même que j’ai annoncée ; ce sera elle qui le jugera au dernier jour : car je n’ai point parlé de moi-même 102..... Si je n’étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point le péché qu’ils ont ; mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché 103..... Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque appartient à la vérité, écoute ma voix 104..... »
Paroles de consolation aux apôtres « .....Vous aurez à souffrir bien des afflictions dans le monde ; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde 105..... Vous pleurerez et vous gémirez, et le monde se réjouira ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie 106..... Vous êtes heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, et qu’ils vous persécuteront, et qu’ils diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous alors, et tressaillez de joie, parce qu’une grande récompense vous est réservée dans les cieux 107..... »
À ces passages du nouveau Testament Towianski ajouta les paroles suivantes par lesquelles saint François d’Assise congédia ses frères qui se dispersaient pour prêcher la doctrine du salut :
« Considérons, mes frères, quelle est notre vocation ; ce n’est pas seulement pour notre salut que Dieu nous a appelés par sa miséricorde ; c’est encore pour le salut de beaucoup d’autres ; c’est afin que nous allions exhorter tout le monde, plus par l’exemple que par la parole, à faire pénitence et à garder les divins préceptes. Nous paraissons méprisables et insensés, mais ne craignez point, prenez courage et ayez cette confiance que notre Sauveur, qui a vaincu le monde, parlera en vous d’une manière efficace. Gardons-nous bien, après avoir tout quitté, de perdre le royaume des cieux pour un léger intérêt. Allez donc annoncer la pénitence pour la rémission des péchés et la paix ; vous trouverez des hommes fidèles, doux et pleins de charité, qui recevront avec joie vous et vos paroles ; d’autres, infidèles, orgueilleux et impies, qui vous blâmeront et se déclareront contre vous. Mettez-vous bien dans l’esprit de supporter tout avec une humble patience ; ne craignez pas : dans peu de temps, beaucoup de sages et de nobles viendront se joindre à vous pour prêcher aux rois, aux princes et aux peuples. Soyez donc patients dans la tribulation, fervents dans la prière, courageux dans le travail, et le royaume de Dieu, qui est éternel, sera votre récompense. Prenez courage, réjouissez-vous devant le Seigneur : que votre petit nombre ne vous attriste point ; car Dieu m’a montré clairement que, par sa bénédiction, il répandra dans toutes les parties du monde cette famille dont il est le père..... »
Voici maintenant les paroles que Towianski chargea ses amis, qui partaient, de transmettre de sa part à ses compatriotes en Pologne :
Je vous parle, compatriotes, par l’organe de nos frères, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, qui se rendent auprès de vous, pour offrir, dans la mesure de leurs forces, leur sacrifice à la patrie et à vous-mêmes. Je me présente à vous comme votre compatriote et comme votre serviteur destiné par la volonté suprême. Ma conscience me témoigne que je vous ai servi fidèlement malgré les obstacles que beaucoup d’entre vous m’ont suscités en rejetant et souvent même en persécutant la Chose de Dieu, ainsi que tout ce qui se produisait dans l’Œuvre de Dieu pour vous aider. Mais tout cela est déjà devant Dieu, et il se peut que ceux-là même qui ont agi ainsi aient déjà senti leur offense à Dieu et aient satisfait pour cette offense. Quant à moi, je suis toujours, comme je l’ai été, votre fidèle frère, ami et serviteur en Jésus-Christ ; je sers toujours, comme j’ai servi, tous ceux d’entre vous qui ont la volonté d’accepter mon service.
Je vous parle aujourd’hui comme un vieillard qui déjà approche de la tombe, et qui ne compte pas que Dieu lui permette de revoir la patrie ; par conséquent, je vous parle, libre de toute personnalité, ne désirant de vous rien de terrestre ; mais je vous parle du fond d’une âme qui, avec une ardeur juvénile, aime Dieu, la patrie et vous, compatriotes, qui désire autant le triomphe de Jésus-Christ dans notre patrie que votre propre salut. C’est pourquoi je vous prie, au nom de cette patrie et de ce salut, d’accepter avec un cœur polonais ce que j’ai imploré et obtenu de Dieu pour le salut de la Pologne, ce que j’ai médité pendant des années, ce qui m’a travaillé, ce que j’ai élaboré dans mon âme et que je vous offre aujourd’hui par nos frères qui, ne pouvant avoir avec eux les écrits de l’Œuvre de Dieu, vous transmettront de vive voix ce qu’ils ont reçu de la miséricorde de Dieu. Ils vous portent non une froide théorie, non une lumière et une loi mortes, mais l’âme, le cœur et l’action chrétienne ; par eux vous connaîtrez ce que Dieu nous a destiné et ce qu’Il exige de nous pour nous le donner, pour nous amener au but où nous attend le bien temporel et éternel qui nous est destiné. Et Dieu exige aujourd’hui très peu de la Pologne, car il exige seulement qu’elle connaisse sa volonté et qu’elle commence à l’accomplir ; afin que ce commencement, fait aujourd’hui par la Pologne, puisse se développer dans les siècles de son avenir.
Quoique, comme exilé, je sois éloigné de vous, compatriotes, cependant je ne cesse d’être avec vous par mon âme, de partager vos joies, de partager aussi vos douleurs, et d’autant plus vivement que j’en vois la source, que je vois les moyens de les détourner, que je vois aussi comment ces moyens sont constamment rejetés. Quelque part qu’il me soit destiné de mourir, loin ou près de vous, je ne cesserai de désirer votre bien ainsi que le bien principal qui nous est destiné : une patrie chrétienne dans laquelle tout sera pour nous plus facile. Je ne cesserai de désirer que notre nation, après de si grands sacrifices de martyrs, paraisse dans tout l’éclat de sa valeur intérieure, et qu’elle rayonne de cet éclat sur le monde durant des siècles, comme nation accomplissant sa vocation chrétienne dans cette époque. Je ne cesserai d’implorer la miséricorde de Dieu pour que cette destinée de notre nation soit, le plus facilement possible, connue, acceptée et accomplie par elle ; je ne cesserai de m’efforcer d’être toujours votre fidèle serviteur.
Chers compatriotes, pendant des siècles, ce qui venait du fond de l’âme arrivait à l’âme polonaise. C’est là ce qui me fait espérer que les paroles venant de l’âme, vous les accepterez dans votre âme ; que vous reconnaîtrez, comme votre frère et serviteur, celui qui ne peut rien vous offrir des dons terrestres que vous possédez, mais qui vous donne ce que Dieu, dans sa miséricorde, lui donne pour vous être rendu ; qui, dans ce but, implore de la miséricorde de Dieu le bien céleste, ce pain quotidien, et, autant qu’il le reçoit, désire le partager avec vous, désire vous offrir ainsi son sacrifice, suivant ses faibles forces. Je persévère dans ces sentiments, durant tout le cours de ma vie, depuis que pour moi s’est manifestée la volonté de Dieu que, comme serviteur appelé de Jésus-Christ, je serve, au commencement de cette époque, mon prochain et ma patrie ; je persévère aussi dans l’espoir de m’unir avec vous, compatriotes, dans la Chose de Dieu que je présente par la volonté de Dieu, de m’unir avec vous en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ces paroles furent remises par Towianski à ses amis à Soleure, sur le tombeau de Kosciuszko. Et après leur avoir rappelé ce qu’il leur avait dit auparavant sur le caractère et sur la mission de ce héros chrétien, il ajouta :
Aux armes donc, frères, serviteurs de Jésus-Christ et soldats de Kosciuszko ! Au nom de Dieu et au nom de la patrie que Dieu nous destine ! aux armes, chrétiennes d’abord, dont votre esprit doit se servir avant que les armes terrestres vous soient données par surcroît ! Et si ces armes chrétiennes, cette croix que vous êtes appelés à porter vous-mêmes et à mettre sur le prochain, vous attire les obstacles qu’attire ordinairement la croix sur ses fidèles serviteurs, dans ce cas, ayez confiance, mes frères, que cette même croix peut aussi vous attirer l’aide de Dieu, qui vous défendra et vous fortifiera au milieu de ces obstacles. Ayez confiance, mes frères, dans la miséricorde de Dieu ; ayez confiance dans la protection de la Reine de la Pologne et de la Lituanie, qui, à Czenstochowa et à Ostro-brama, visiblement et invisiblement, continue durant des siècles sa très sainte protection et son intercession pour nous. Ayez aussi confiance dans l’amour et le sacrifice actifs de notre chef qui regarde dans ce moment nos sentiments et s’unit avec nous, et s’unira toujours autant que, fidèles à ces sentiments, nous les manifesterons par notre parole et par notre action. Ce serait commettre un péché que de douter que ce chef de la Pologne s’approche et s’unit à tous ceux qui éveillent dans leurs âmes l’amour et le sacrifice actifs pour le salut de la Pologne. La miséricorde de Dieu nous a donné, non seulement de sentir cette vérité, mais aussi de l’éprouver !
Fortifiés par de telles consolations, séparons-nous, mes frères, dans la joie de nos âmes ! Unis dans la même tendance, demeurant par notre esprit sur le même champ de service, nous serons ensemble, mes frères, dans ce temps de notre séparation. Et si, dans ce temps, il plaisait à Dieu d’appeler quelqu’un de nous à la vie éternelle, que cela n’interrompe pas notre union et notre service ; que notre esprit, sur lequel a reposé le devoir de servir Dieu et la patrie, accomplisse également son devoir, qu’il soit sous cette enveloppe terrestre ou sans cette enveloppe. Mais ne permettez pas, ô Dieu de miséricorde ! que nos fautes puissent jamais et nulle part interrompre, dans ce monde ou dans l’autre monde, l’accomplissement de notre devoir. Me confiant pour ceci dans l’inépuisable miséricorde de Dieu, j’ose dire avec certitude : au revoir, mes frères, au revoir sous cette enveloppe terrestre ou sans cette enveloppe, comme hommes ou comme esprits ; mais toujours sur le champ de notre service, toujours dans un esprit voyant et sentant de même, ayant le même désir et tendant vers le même but !
Et maintenant je m’adresse à vous, ô Protecteur, Gardien et Chef de la Pologne, et j’élève vers vous ma prière dans une si grande détresse de la Pologne ! Conduisez ces serviteurs de Jésus-Christ et vos soldats à l’accomplissement du saint devoir, conduisez-les au combat, d’abord pour conquérir la patrie chrétienne dans nos compatriotes mêmes, sur le mal qui subjugue leur esprit polonais, et ensuite pour conquérir cette même patrie sur les instruments visibles du mal, qui subjuguent la Pologne ; aidez ces serviteurs et soldats à observer cet ordre destiné par la volonté suprême, ce plan de la lutte pour le salut de la nation confiée à votre protection et à votre garde. Vous qui, dans la vraie lumière, voyez les liens qui enchaînent l’esprit polonais et qui l’empêchent de devenir libre et polonais, vous qui voyez aussi la voie la plus courte pour arriver aux cœurs polonais, transmettez à ces cœurs, transmettez vous-même et par la bouche de ces serviteurs et soldats, la volonté de Dieu pour la Pologne, ces vérités chrétiennes dans lesquelles sont renfermés le salut, la liberté et l’existence destinée à la Pologne. Ô notre protecteur, notre Gardien et notre Chef ! priez devant le trône du Père céleste pour nous, vos compatriotes, qui sommes aujourd’hui dans une détresse si grande, afin que nous effacions promptement le péché de notre esclavage intérieur, accepté par nous volontairement, et que nous obtenions la miséricorde de Dieu, qui mette un terme à la punition de martyrs permise, et accepte le martyre subi, comme satisfaction à la Justice suprême, qui nous conduise ensuite, libres en esprit, dans les sentiers de notre vie, et nous amène à recouvrer notre patrie. Amen.
Ayant pris congé du serviteur de Dieu sur cette tombe sacrée pour tout Polonais, ces patriotes (dont quelques-uns avaient été éprouvés sur les champs de bataille et tous mûris dans les douleurs d’un long exil), régénérés pour une vie nouvelle et élevés dans ces moments solennels au poste de leur haute vocation, s’acheminèrent vers la patrie pour y accomplir leurs devoirs avec un profond sentiment de joie, uni à celui de leur grande responsabilité.
Lorsqu’ils furent partis, Towianski, fidèle à son caractère de pleine sincérité envers tous et, par conséquent, aussi envers le gouvernement russe (soucieux en même temps dans son amour inépuisable de faciliter la tâche de ses frères compatriotes qui se rendaient en Pologne), adressa à Alexandre II la lettre qui suit :
SIRE,
Moi, André Towianski, Polonais, sujet russe, ancien propriétaire dans le gouvernement de Wilna, magistrat judiciaire de 1818 à 1831, demeurant à l’étranger depuis 1840, je dépose au pied du trône de Votre Majesté le présent écrit, par lequel je viens remplir envers Elle mon devoir de fidèle sujet.
Vous connaissez, Sire, par l’adresse que Charles Rozycki, ancien colonel de l’armée polonaise, déposa devant Votre Majesté en 1856, pour quel motif et dans quel caractère je quittai mon pays, me rendis en France, et me présentai à l’émigration polonaise ; vous connaissez aussi les principes et la tendance des émigrés polonais qui sont en union avec moi. Aujourd’hui c’est mon devoir de faire connaître à Votre Majesté que notre position à son égard et à l’égard de son gouvernement est actuellement modifiée : nous avons senti que c’est la volonté de Dieu que quelques-uns d’entre nous prennent part à l’insurrection actuelle de la Pologne, dans le but d’accomplir le devoir essentiel de notre vocation, le devoir d’exposer à la Pologne ses péchés devant Dieu, cette véritable cause de tous ses malheurs, et de lui montrer, comme unique remède à tous ses maux, la voie où, en accomplissant ce que Dieu exige d’elle, elle peut satisfaire à la justice de Dieu et mériter sa miséricorde.
En exposant à ceux de mes compatriotes qui dans ce but se rendent en Pologne, la vérité sur la Pologne, je leur ai fait connaître en même temps la vérité sur le gouvernement de Votre Majesté. Comme serviteur de Dieu, c’était mon devoir d’implorer de Dieu cette vérité, et, après l’avoir obtenue de sa miséricorde, c’était aussi mon devoir de l’exposer à la Pologne que je suis appelé à servir aujourd’hui sur le champ public : c’était mon devoir de montrer et d’éclaircir l’offense faite à Dieu, tant par la Pologne, dans sa conduite à l’égard du gouvernement de Votre Majesté, que par le gouvernement de Votre Majesté, dans sa conduite à l’égard de la Pologne.
C’est pour la seconde fois que, afin d’accomplir la volonté de Dieu, j’agis contre la volonté du gouvernement sous lequel je suis né. Je dus agir ainsi lorsque, après avoir quitté mon pays en 1840, je restai en France sans la permission du gouvernement russe, afin d’y accomplir ce dont Dieu m’a chargé ; j’agis de même aujourd’hui, en servant mes compatriotes, sujets de Votre Majesté, sans la permission de Votre Majesté. Mais en agissant ainsi, je n’ai pas cessé de me considérer comme sujet du gouvernement russe : la première fois, je déposai mes sentiments de soumission et de fidélité à Sa Majesté l’Empereur Nicolas Ier, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Paris ; et aujourd’hui, je dépose devant Vous, Sire, les mêmes sentiments, en vous adressant le présent écrit.
Que Votre Majesté me permette de lui exposer, au moins d’une manière générale, ma conduite envers son gouvernement :
Pendant tout le cours de ma vie, obéissant à la volonté suprême qui m’a soumis au gouvernement russe, je me suis efforcé de concilier ma soumission à Dieu et mon devoir de soumission envers ce gouvernement ; je me suis efforcé de lui être fidèle, d’accomplir envers lui mes devoirs de sujet, selon la loi de Jésus-Christ ; aussi n’ai-je jamais pris part à aucune action contre lui. Comme citoyen et magistrat, je me suis efforcé de concilier les lois des hommes et la loi de Dieu, ce qui me fit gagner la bienveillance et la confiance des autorités supérieures ; elles m’accordèrent la permission de me rendre à l’étranger en 1834, d’y rester jusqu’en 1837, et d’y aller encore en 1840.
Ces sentiments que je portais dans mon âme comme sujet du gouvernement russe, et que je manifestais sur le champ de mes devoirs de citoyen et de magistrat, je les ai aussi portés et manifestés sur le champ de mes devoirs de serviteur de Dieu. – Ainsi, je me rendis en 1832 à Saint-Pétersbourg, et j’y fis tout ce que je pus pour accomplir mon devoir chrétien. Plus tard, en 1844, Alexandre Chodzko, consul impérial de Russie en Perse, après être devenu serviteur de l’Œuvre de Dieu, déposa devant Sa Majesté l’Empereur Nicolas Ier un exposé sur cette Œuvre sainte, sur l’appel que, dans ces jours, Dieu fait à l’homme, sur l’époque chrétienne supérieure... ; et en 1856, un exposé semblable fut présenté à Votre Majesté par Charles Rozycki. – Ces deux écrits ont satisfait pendant un certain temps ma sollicitude pour l’accomplissement des devoirs de ma vocation envers Votre Majesté et son gouvernement ; mais à l’approche des évènements actuels, si graves pour la Pologne et pour votre gouvernement, Sire, cette sollicitude s’est réveillée en moi plus vive, car j’ai eu des motifs de croire que Votre Majesté n’a pas pris en considération ce qui lui a été présenté.
Ému par cette sollicitude, je m’adressai, le 20 novembre de l’année dernière, à une personne généralement connue par son caractère droit, son patriotisme et son attachement au trône, qui possède la confiance de Votre Majesté, et que j’ai connue en 1833 à Saint-Pétersbourg. Le but de cette démarche était de vous porter, Sire, à vouloir connaître en quoi consiste l’Œuvre, l’appel et l’époque qui vous ont été annoncés par les écrits mentionnés ci-dessus, de vous porter à puiser à cette source de la miséricorde divine, afin que vous y trouviez une aide pour porter la croix dont Dieu vous a chargé, en vous mettant, dans des moments si graves pour l’humanité, à la tête d’un si vaste empire ; afin que vous y trouviez une aide pour amener les peuples soumis à votre pouvoir au bonheur qui leur est destiné. Je désirais aussi vous exposer, Sire, qu’il existe une voie qui peut vous rendre facile le gouvernement de la Pologne, de cette nation qui, se trouvant sous le coup de la punition de Dieu, ne se rapporte pas à Celui qui envoie la punition, et ne fait pas ce qu’elle doit faire pour mériter son pardon, mais attribue ses souffrances au gouvernement seul, et exige de lui qu’il lève la punition dont il n’est que l’instrument et, par conséquent, place le gouvernement dans une situation difficile, d’où peut le faire sortir, non une force terrestre quelle qu’elle soit, mais seulement la force et la lumière venant d’en Haut.
Tandis que, animé de ces sentiments, je nourrissais dans mon âme l’espoir que l’intervention de la personne en qui je m’étais confié faciliterait mon service à Votre Majesté, l’Œuvre sainte a été rejetée, et moi, à cause de mon zèle pour l’accomplissement de mon devoir envers le gouvernement et la nation russes, j’ai été jugé l’ennemi de ce gouvernement et de cette nation.
Dieu voit, et ma conscience me témoigne, que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour que, étant appelé à être le serviteur de Dieu, je sois le serviteur chrétien de Votre Majesté et des nations qui lui sont soumises, et que, étant né sous votre sceptre, Sire, je sois votre sujet chrétien ; Dieu voit que j’ai fait tout cela sans aucun intérêt personnel, et seulement en vue de sa sainte volonté, du vrai bien de Votre Majesté et de celui des millions de ses sujets.
Ce qui me portait encore à agir comme je viens de vous l’exposer, Sire, c’est la conscience de cette vérité qu’il est impossible de se gouverner soi-même, et à plus forte raison de gouverner des millions de ses semblables, conformément à la volonté de Dieu, sans connaître cette volonté, sans connaître la loi supérieure que, dans ces temps, Dieu a donnée à l’homme, et d’après laquelle Il gouverne déjà les gouvernants et les gouvernés, les éveille, les presse, les punit, – comme le prouve la situation difficile où se trouvent actuellement certaines nations et leurs gouvernements. Vous n’ignorez pas, Sire, que le gouverneur d’une province ne peut gouverner cette province au gré de son souverain s’il ne connaît pas les ordres du souverain. – Et, pour chaque époque plus élevée, est donnée à l’homme une loi plus élevée afin qu’il monte de degré en degré jusqu’à ce qu’il accomplisse le Verbe de Dieu, cette loi la plus élevée que Jésus-Christ a accomplie, et que l’homme est appelé à accomplir à son exemple. Le père gouverne son enfant suivant l’âge de l’enfant ; plus l’enfant grandit, plus le père exige de lui ; il exige qu’il change progressivement ses amusements en des occupations, en une vie conforme à son âge, et il blâme dans le jeune homme ce qu’il a approuvé dans l’enfant.
Ne pouvant vous écrire, Sire, aussi amplement que je l’aurais désiré, je me borne à cet épanchement général. Mais si ces quelques paroles sincères, qui viennent du fond de mon âme, arrivent au fond de votre âme, alors s’accomplira ce qui est destiné, et ce que je désire si ardemment comme serviteur de Dieu et comme serviteur de Votre Majesté : Vous chercherez, Sire, à connaître la volonté de Dieu, cet appel qu’Il fait dans ces jours à l’homme, cette loi supérieure qu’Il donne ; selon cette volonté vous gouvernerez les nations qui vous sont confiées ; vous gouvernerez la Pologne, tant que cela est destiné dans les décrets de Dieu, tant que la Pologne n’aura pas achevé sa pénitence : vous la gouvernerez en l’aidant à achever cette pénitence, comme doit le faire le père d’une grande famille. En gouvernant ainsi, vous accomplirez la volonté de Dieu, son appel, sa loi supérieure ; vous commencerez dans votre vaste empire l’époque chrétienne supérieure ; vous rendrez gloire à Dieu, et vous deviendrez un monarque selon le cœur de Dieu, – instrument de sa miséricorde, dans cette époque de la miséricorde ; – vous deviendrez, par conséquent, un monarque grand devant la terre, et grand devant le ciel !
SIRE,
Telle est la pensée de Dieu qui a reposé sur Vous ; telle est la voie de la grandeur chrétienne qui a été ouverte à votre amour. Cette pensée s’accomplissait ; – c’était l’aurore du beau jour destiné à Votre Majesté... – Mais aujourd’hui cette pensée est arrêtée, et chaque moment en éloigne l’accomplissement ; cette voie de la grandeur chrétienne est fermée, et ne peut être rouverte que par une pénitence qui satisfasse à la Justice suprême.....
Plus grande est aujourd’hui la miséricorde de Dieu, en laquelle nous devons nous confier, plus terribles sont aussi les jugements de Dieu, devant lesquels nous devons trembler !
Dans la crainte de ces jugements, voyant le péché de la Pologne devant Dieu, et en même temps, voyant que ce n’est pas ce péché, mais que c’est l’amour de la patrie, considéré comme un péché, qui est puni si sévèrement par Votre Majesté, je vous présente, Sire, comme serviteur de Dieu et comme serviteur de Votre Majesté, la vérité telle qu’elle est devant le Tribunal suprême !
Comme serviteur de Dieu et comme serviteur de Votre Majesté, je ne dois cesser d’implorer la miséricorde de Dieu pour que cette voie de la vraie grandeur s’ouvre au plus tôt pour Vous, et que cette grande action politique-chrétienne que je viens de vous présenter, et qui, sans l’aide de Dieu, est impossible à l’homme, devienne, avec cette aide, possible et facile pour Votre Majesté. Il est écrit : « Tout est possible à Dieu », il est donc possible de vaincre tous les efforts du mal, à un monarque qui, accomplissant la volonté de Dieu, est appuyé par le bras de Dieu !
Puisse cet épanchement sincère que je dépose au pied du trône de Votre Majesté témoigner devant Dieu, le jour où nous paraîtrons devant son Tribunal, que j’ai porté dans mon âme l’amour et la vénération pour la pensée qui a reposé sur Vous, et que je me suis toujours efforcé d’être,
Sire,
de Votre Majesté Impériale,
le fidèle serviteur et le fidèle sujet
en Notre Seigneur Jésus-Christ
ANDRÉ TOWIANSKI.
Les conseils qu’ils avaient reçus de Towianski avant de partir devinrent pour ses amis, qui se rendaient en Pologne, le guide constant de toutes leurs actions. Pleins d’ardeur et de confiance, il leur semblait déjà que la Pologne chrétienne qu’ils avaient senti palpiter dans leur âme en ces moments bénis était prête à descendre sur la terre.
Après trente-deux ans d’exil, en posant le pied sur le sol polonais, Charles Rozycki présenta à ses compatriotes l’écrit rapporté plus haut, que ses compagnons et lui avaient reçu avant de partir, comme l’unique base de leur service pour le pays.
Au gouvernement national qui lui avait offert le grade de général, il se déclara prêt à mettre son bras au service de la patrie si elle venait à accepter la base et la direction qu’il avait présentées à ce gouvernement. Cela donna lieu entre lui et le gouvernement national à une importante correspondance, par laquelle le caractère de Rozycki, mis à l’épreuve sur le point le plus sensible pour un Polonais et un vaillant soldat, se manifesta dans toute sa pureté. Voyant l’impossibilité pour lui d’agir sur le sol de la patrie conformément à sa propre vocation et d’une manière efficace pour la Pologne, le vénérable vieillard retourna de nouveau en exil. Chacun sait quelle fut l’issue de cette insurrection.
Plusieurs autres amis de Towianski, en se joignant aux combattants, cherchaient à les amener à reconnaître et à effacer en eux les péchés de la nation, qui avaient été la cause de la perte de la Pologne, afin que les armes terrestres pussent la reconquérir.
L’un d’entre eux, parcourant les divers campements comme marchand d’images sacrées, exhortait ses compatriotes à la pénitence, à s’élever vers Dieu. Il s’efforçait de leur inspirer le pardon envers les ennemis qu’ils combattaient, d’unir en eux la lutte terrestre pour recouvrer la patrie avec la lutte chrétienne pour le triomphe de Jésus-Christ et de la pensée de Dieu qui repose sur la Pologne. D’autres périrent dans les combats, d’autres furent envoyés en Sibérie et devinrent pour leurs compagnons d’infortune une aide et une consolation. Dieu bénit leurs efforts et, dans cette sombre région de la mort où le gouvernement russe croyait étouffer la Pologne, celle-ci au contraire commença à se relever plus pure et plus sainte dans les âmes régénérées de ses fils 108.
§ 4 – Affranchissement des paysans
et manière d’agir avec eux.
Alexandre II avait aboli le servage avec une noble intention. Cet acte était excellent en lui-même, mais comme il n’avait pas été précédé d’une préparation convenable, il fut l’origine de beaucoup de difficultés dans son application et de beaucoup de conflits entre propriétaires et paysans 109.
Félix Niemojewski, qui avait toujours été pour ses paysans plutôt un père et un ami qu’un maître, souffrait de leur ingratitude qui était telle que, dans certains moments, il se disait à lui-même : « Mais comment peut-on les aimer, comment peut-on avoir si grand soin d’eux quand ils sont malades, tandis qu’ils sont si mauvais ? » Et il s’ouvrit à Towianski à cet égard. Ce fut le sujet de quelques entretiens dont je présente ici le résumé, parce qu’ils éclaircissent cette importante matière, et montrent de quelle manière Towianski avait déjà plusieurs années auparavant résolu pratiquement ces difficultés :
Si un de vos amis était atteint d’une maladie corporelle, vous ne vous irriteriez pas pour cela contre lui, et vous ne détourneriez pas de lui votre esprit ; pourquoi donc le feriez-vous à l’égard de notre peuple qui, à cause de ses difficultés intérieures, plus grandes aujourd’hui, est devenu malade d’esprit ?..... Il faut avoir et manifester l’horreur contre le mal qui a subjugué les paysans, et non contre les paysans eux-mêmes. Celui qui, au lieu d’accomplir le sacrifice pour délivrer le prochain attaqué par le mal, s’irrite contre le prochain, détourne de lui son esprit, s’endurcit et lui ferme son âme, celui-là commet un grave péché contre l’amour de Dieu et du prochain, et mérite que Dieu se détourne de lui, que le ciel se ferme pour lui ; aussi Jésus-Christ a-t-il dit : « On se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres 110. » Plus le prochain est abaissé et souillé par le mal, plus le vrai chrétien, dans ses rapports avec lui, se sacrifie pour éveiller en lui-même l’amour chrétien envers ce prochain, l’amour du bien que ce prochain portait en lui avant que le mal l’eût abaissé et souillé, l’amour de ce qu’il était et de ce qu’il doit être selon la pensée de Dieu qui repose sur lui ; plus cet amour sera grand, plus aussi seront grandes dans l’âme du vrai chrétien la douleur sur l’abaissement actuel du prochain et l’horreur contre le mal qui a réduit le prochain à ce malheur. Il n’y a qu’une telle horreur qui soit chrétienne, car elle est le fruit de l’amour chrétien ; une telle horreur porte en elle une force grande et efficace, car la grâce de Dieu appuie ce fruit supérieur d’amour et de sacrifice, produit par le fidèle imitateur de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Je connais depuis longtemps votre grand amour pour nos paysans, je sais combien de sacrifices chrétiens et terrestres vous avez fait dans le passé pour le bien véritable de ces frères que Dieu a confiés à votre sollicitude et à votre direction ; je sais comment sur ce point vous avez réalisé avec mérite beaucoup de vérités chrétiennes que vous avez connues plus à fond dans l’Œuvre de Dieu. Aujourd’hui donc, au milieu de difficultés et d’obstacles plus nombreux, non seulement ne vous arrêtez pas, cher frère, dans votre amour et votre sacrifice, mais élevez ces vertus chrétiennes au sommet qui vous est destiné ; et pour cela, cherchez à voir, selon l’exacte vérité, la position que vous avez et le grand but pour lequel Dieu vous y a placé.
Niemojewski l’ayant prié de l’éclairer à cet égard, Towianski continua :
Le paysan polonais, au milieu de l’esclavage et de l’oppression sous lesquels il a vécu durant des siècles, vivait chrétiennement et faisait le progrès chrétien, mais seulement en esprit, parce que, comme homme, – dans les conditions où il se trouvait – le champ lui était fermé pour tout progrès sur la terre. L’homme fait son progrès chrétien à mesure que sa vie se développe sur la terre, à mesure que, dans cette vie, il produit les fruits du bien et du mal qu’il a acceptés dans son âme. Or, la loi de force et de rigueur sous laquelle notre paysan a vécu jusqu’à présent, non seulement lui fermait le champ pour produire de tels fruits, mais bien plus, ne laissait pas même approcher de lui les tentations qu’éprouve ordinairement l’homme laissé à sa liberté. Ainsi un prisonnier chargé de chaînes pour les crimes qu’il a commis peut, dans cet état de captivité, être tranquille et doux, mais cela ne prouve pas encore qu’il le soit devenu dans son âme ; car il se peut que ce soient seulement les chaînes qui le mettent dans l’impossibilité de continuer ses vols et ses brigandages ; il se peut aussi que le mal, voyant cette impossibilité, ne réveille plus en lui ses anciennes passions, et ne lui présente pas les tentations auxquelles, s’il était remis en liberté, il succomberait facilement en se livrant aux mêmes crimes. De même, un moine enfermé dans un couvent et soumis à la règle sévère du cloître peut dégager son esprit dans la plus grande pureté, se sanctifier en esprit et n’avoir même aucune idée des tentations auxquelles il pourrait succomber si, tout à coup, il était transporté du couvent sur un vaste champ de vie, au milieu du monde. Et enfin, vous-même, frère Félix, si vous étiez, par exemple, médecin de profession, et par conséquent obligé de soigner tous les malades qui s’adresseraient à vous, vous n’auriez sans doute pas même la tentation de refuser vos soins à un paysan qui se montrerait aujourd’hui plus mauvais qu’auparavant ; la loi terrestre vous en empêcherait ; tandis que, comme simple particulier, n’ayant à cet égard aucune obligation, vous êtes entièrement libre de produire le fruit de votre amour ou de votre dureté envers les paysans malades, et c’est pour cela que vous avez été tenté. Mais par cette tentation vous avez reconnu le mal qui vous tentait, ainsi que votre mauvaise disposition par laquelle vous avez donné accès au mal, vous vous en êtes effrayé, vous avez éveillé en vous la douleur, et enfin vous avez vaincu le mal ; par là vous vous êtes élevé dans votre progrès chrétien. C’est un semblable champ de tentations, de fruits et, par suite, de progrès, que Dieu a ouvert aujourd’hui pour nos paysans, en employant le gouvernement comme instrument pour améliorer leur condition et pour les délivrer de la dépendance où ils étaient à l’égard des seigneurs et qui jusqu’à présent leur fermaient ce champ de progrès. Par conséquent, c’est pour la noblesse et encore plus pour vous, comme serviteur de l’Œuvre de Dieu, un devoir de vous en réjouir et d’accepter avec amour toutes les pertes que vous avez déjà éprouvées et pourrez éprouver encore par suite de la licence et des abus du peuple ; car ce n’est que par les fruits de sa licence que le peuple peut être amené à connaître son mal et à prendre une direction qui l’obligera à détruire son mal, à effacer ses péchés. Comment donc ne pas se réjouir et se sacrifier pour ce qui doit être un si grand bienfait pour tant de millions de nos frères et compatriotes !..... Mais, en portant ces sentiments chrétiens envers le peuple, il faut se garder de se rendre coupable envers lui en le privant de l’appui chrétien qui lui est dû ; il s’agit de n’être ni despote, ni faible, par conséquent, de ne pas fermer le champ de la licence et de ne pas en empêcher les fruits, tant qu’ils se produisent dans les limites marquées dans les décrets de Dieu, et, d’autre part, de ne pas tolérer, de ne pas souffrir que ces limites soient dépassées.
Niemojewski ayant parlé des désagréments qu’il avait éprouvés avec certains paysans, Towianski lui répondit :
Je vois que vous avez passé par de rudes épreuves, mais elles vous étaient nécessaires pour que vous acceptiez sur ce champ le ton de l’amour et de l’horreur chrétienne, et que vous le manifestiez ensuite sur tous les autres champs. Il faut vous rapporter à ce dont nous venons de parler et que je résume encore en quelques mots : jusqu’à présent le paysan était sous l’oppression et il la supportait chrétiennement ; aujourd’hui Dieu lui donne la liberté comme une épreuve qui fera voir s’il maintiendra en lui le christianisme qu’il a acquis dans son esclavage, et s’il en produira les fruits. Vous devez donc voir comment le paysan use de sa liberté, si c’est pour Dieu ou pour Satan, et agir en conséquence avec lui ; car quelle que soit la position de l’administré, le devoir d’un supérieur chrétien est de veiller à son bien véritable et d’employer pour ce bien la loi de l’amour et celle de la force au degré dans lequel Dieu lui en a donné le droit ; c’est la base du libéralisme vrai, chrétien, dont le but est que l’administré, à mesure que le frein terrestre imposé par la force lui est ôté, accepte spontanément dans son âme le frein chrétien.
Ici Niemojewski raconte comment les commissaires chargés d’organiser la nouvelle position des paysans, se conformant aux instructions du gouvernement, s’efforcent d’être patients et bienveillants pour eux ; mais qu’ordinairement poussant cette bienveillance jusqu’aux dernières limites de la partialité et de l’injustice, ils tolèrent tous les abus que commettent les paysans à l’égard des propriétaires de domaines, tandis qu’ils accusent ceux-ci, quelquefois avec raison, mais bien plus souvent à tort – rien que par malveillance et esprit de vexation – de traiter durement le peuple. Et ainsi, dit-il, la noblesse, qui autrefois n’a pas voulu donner de bon gré la fraternité aux paysans, est placée aujourd’hui au-dessous d’eux. Towianski, après avoir entendu cela, s’écria avec une vive émotion :
Ô mon Dieu ! Vous avez jeté un regard de père sur vos enfants malades, et c’est en père que vous les guérissez !... En vérité, c’est un remède amer que celui que la noblesse polonaise reçoit pour la maladie invétérée et si dangereuse de son âme !... c’est une opération douloureuse, car elle se fait sous la force, malgré la volonté et sans le mérite de la noblesse ; mais que faire puisqu’il ne peut en être autrement ?... Il est douloureux de voir le chirurgien amputer au malade une jambe gangrenée, mais lorsqu’il ne reste que ce seul moyen de lui sauver la vie, les amis du malade ne doivent-ils pas s’unir au chirurgien qui emploie ce moyen ?... Celui qui ne sentirait les desseins de la miséricorde de Dieu dans l’opération que subit actuellement la noblesse et ne s’unirait pas à ces desseins, celui-là ne serait vraiment ni chrétien ni polonais. Autrefois, à cause de l’oppression et de la tyrannie que la noblesse exerçait sur le pauvre peuple, il était difficile, à quiconque avait un cœur et une âme, de vivre en Pologne ; aujourd’hui, grâce à Dieu, c’est déjà bien mieux ; car est-il possible de comparer les abus que les paysans émancipés commettent aujourd’hui envers les nobles avec ceux que les nobles commettaient autrefois sur les serfs ? En comparant ce que font aujourd’hui les paysans à ce que faisaient autrefois les seigneurs, on peut dire que c’est comme un orage après une longue et funeste sécheresse ; l’orage passera et la terre durcie et desséchée, arrosée par une pluie abondante, sera ramollie et deviendra capable de vie et de production ; aussi le bon fermier ne s’attristera-t-il pas de cet orage, quoiqu’il sache qu’il brisera plus d’un arbre et qu’il fera pousser non seulement le blé, mais aussi l’ivraie. En nous élevant au-dessus de nos intérêts matériels et égoïstes, il nous sera facile de sentir et de glorifier cette miséricorde de Dieu qui fait que, dans notre nation, l’œuvre de l’émancipation du peuple, sa délivrance du joug de la classe privilégiée, s’accomplit au prix de sacrifices bien moins grands que dans d’autres pays. Qu’est-ce, par exemple, que la licence actuelle de notre peuple, en comparaison de ce débordement effréné de toutes les passions qui a donné un caractère si terrible à la grande révolution française ? Et cependant qui pourrait méconnaître les conséquences bienfaisantes que cette opération, quelque sanglante et terrible qu’elle ait été, a apportées non seulement à la nation française, mais au monde entier ? Et dans la dernière guerre d’Amérique, que de sang versé, que d’intérêts matériels bouleversés sur toute la face du globe, pour apporter quelque soulagement au malheureux sort des nègres ! Eh bien, dans plusieurs parties de notre pays, surtout en Lituanie, la position de nos paysans ne différait nullement de celle des nègres. C’est une chose frappante qu’en Amérique pour les nègres et en Pologne pour les paysans, la même pensée de Dieu s’accomplit en même temps.
Ici Towianski cita à Niemojewski plusieurs faits relatifs à l’oppression des paysans en Lituanie : comment, exposés au froid et sans nourriture, ils étaient forcés de travailler des journées entières, rudement châtiés pour le moindre manquement dans leur travail. Il lui parla de la chemise ensanglantée de Luszczuk, paysan des environs d’Antoszwincie, qu’il avait emportée avec lui en France pour montrer aux émigrés ce qui se passait en Pologne, ce que faisaient certains seigneurs, et ceux-là même qui se croyaient les meilleurs patriotes ou qui, généralement, passaient pour tels. Il lui dit comment, dans un autre village, des demoiselles aristocrates, élevées délicatement, que l’on citait comme des modèles de bonne éducation, de sentiment, de douceur, ne se faisaient aucun scrupule, quand leur tante était enrhumée, de faire aller et venir pour chercher des remèdes à une ville distante de trois milles (21 kilomètres), et par un froid des plus rigoureux, un paysan à peine couvert de quelques haillons, sans lui avoir donné ni un morceau de pain pour sa route, ni de quoi boire un verre d’eau-de-vie ; et lorsqu’on leur eut reproché leur révoltante inhumanité, elles regardèrent celui qui leur parlait comme un original prêchant une morale excentrique et hors de propos.
Ému et indigné de ces faits, Niemojewski s’est écrié : « Toutes ces choses sont si douloureuses que je ne puis voir dans l’humiliation actuelle de la noblesse que la plus grande miséricorde de Dieu et l’unique remède, l’unique secours contre cette terrible dureté d’âme et de cœur. » Towianski reprit :
Oui, mon frère, lorsque j’habitais ma propriété d’Antoszwincie, en Lituanie, il se passait dans des villages voisins des choses que je ne pouvais supporter avec indifférence. Afin d’y remédier, je m’exposais à des désagréments sans nombre, et même à des dangers qui me menaçaient de la part du gouvernement, et je ne cessais de crier vers Dieu : « Ô Seigneur ! Je supporterai volontiers toutes les pertes matérielles, j’accepterai la misère, j’endurerai les humiliations, les persécutions, pourvu qu’arrive enfin l’heureux jour où il sera mis fin à ces terribles iniquités ! » Et aujourd’hui je remercie Dieu du fond de mon âme d’avoir vu arriver ce moment pour la Pologne, d’avoir vu arriver cette opération, douloureuse, il est vrai, mais efficace pour le progrès de tous nos compatriotes : la noblesse, après avoir comblé la mesure des fruits de son mal, est humiliée et, par suite de cela, progresse ; le peuple, délivré de ses entraves, peut produire les fruits de ce qu’il porte en lui, et en les produisant, progresse, se purifie, s’élève.
Dans tout ce que je viens de vous dire, par rapport à vos devoirs envers le peuple polonais, je ne vous ai rien présenté que je n’aie pratiqué moi-même. Lorsque, en 1837, ayant hérité des biens de feu mon père, je vins demeurer à Antoszwincie, je pris pour but de tous mes efforts de remplir, envers les paysans que Dieu avait confiés à ma direction, mon devoir de serviteur, conducteur chrétien. Mes voisins, qui connaissaient déjà mes principes et mon caractère par la manière dont j’avais exercé pendant neuf ans mes fonctions de magistrat à Wilna, étaient sûrs qu’avec les paysans, je ne viendrais à bout de rien par les moyens chrétiens ; car, selon leur opinion, ce n’était que par la crainte et la rigueur qu’on pouvait agir efficacement sur eux. Mais bientôt Dieu me permit de montrer dans la pratique que le principe de la liberté et de la fraternité, que la force de l’amour, du sacrifice et de l’énergie chrétienne produisent, sur ce champ, des fruits plus prompts, plus remarquables et plus abondants que sur d’autres champs. Me dévouant autant que je le pus pour le bien intérieur et extérieur de mes propres paysans et de ceux du voisinage, je trouvais en eux, non seulement de la docilité, de la confiance et de la reconnaissance, mais aussi une pleine union à tout ce que je faisais. Des ivrognes, des voleurs, des coquins de la pire espèce, qu’auparavant les châtiments les plus sévères n’avaient pu corriger, dès que je m’étais adressé fraternellement à leur âme, à leur conscience, et que je leur avais présenté les moyens propres à les aider à se corriger, devenaient de braves et honnêtes gens. C’est là aussi que je me suis convaincu quelle grande force acquiert le sacrifice intérieur quand il est appuyé ne fût-ce que par le moindre sacrifice extérieur. Je disais, par exemple, à plus d’un : « À quoi bon, mon frère, rester toute la journée au cabaret, puisque je veux vous donner assez d’eau-de-vie pour en prendre un petit verre à déjeuner et un autre à dîner, et réparer ainsi suffisamment vos forces ? » Ou bien : « Pourquoi voler et perdre votre âme, lorsque, en vivant honnêtement, vous ne périrez pas ? Car si vous tombez dans la détresse, vous trouverez toujours un secours auprès de moi. » Et ce secours, qu’était-ce en réalité ? Quelques mesures de seigle, c’est-à-dire la valeur de cinq à six francs tout au plus. En Pologne, il ne manquait pas de moyens matériels pour se réconcilier, se lier d’amitié et s’unir avec le peuple qui se contentait de si peu ; ce n’était que l’amour, le sentiment qui manquait. Aussi, lorsque j’eus tourné mon attention sur le sort déplorable des journaliers, hommes et femmes, en condition chez des paysans, que ceux-ci envoyaient ordinairement faire leurs corvées chez les seigneurs ; lorsque j’eus décidé que, les jours de fête, il leur serait accordé, par leurs maîtres et leurs maîtresses, le temps nécessaire pour aller à l’église et se récréer un peu, et que, chaque année, le 8 septembre, à la fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, ils pourraient faire le pèlerinage de Labonary, éloigné de sept lieues ; lorsqu’enfin j’eus destiné à chaque journalier, allant à ce pèlerinage, 40 gros (80 cent.), ce petit sacrifice éleva la position de ces malheureux, éveillant en eux une vie et une tendance. Pendant toute l’année, le pèlerinage de Labonary brillait pour eux comme une étoile consolatrice au milieu de leur vie triste et monotone. D’après ce que je connais de l’Europe, tant par moi-même que par les descriptions, je sens qu’il n’y a pas de pays où l’on puisse, à aussi peu de frais, mais avec amour et sacrifice, faire autant de bien que chez nous en Pologne, et surtout en Lituanie.
La dignité morale des paysans, ainsi relevée, a aidé plusieurs d’entre eux à s’élever d’une manière extraordinaire, je dirai même merveilleuse, non seulement dans leur âme, mais encore par rapport à la civilisation et au développement de l’homme. Par exemple, il y avait dans mon village un paysan nommé Filipczuk, d’abord ivrogne incorrigible, puis voleur, et qui faillit même devenir assassin. Dieu me fit sentir que tous les désordres de cet homme provenaient des besoins de son âme qui aspirait à quelque chose de supérieur et qui, jusqu’alors, n’était pas satisfaite. J’entrai donc dans sa position, je parlai avec lui du fond de mon âme, de frère à frère, d’ami à ami ; il fut profondément ému, me promit solennellement de se corriger, et sur ma demande, il me donna sa parole que chaque fois qu’il voudrait de l’eau-de-vie, il viendrait me trouver ; et moi, de mon côté, je lui promis de lui donner alors un petit verre de vieille eau-de-vie qui me venait de mon père, qu’à cette occasion nous nous entretiendrions fraternellement, et qu’en signe d’union je boirais moi-même avec lui, comme je le fis dans ce moment-là. Depuis lors ce fut un homme régénéré et il me devint très utile dans mes affaires, car partout où il me fallait un homme fidèle et intelligent, personne ne pouvait mieux faire que Filipczuk. Quand je fis construire la chapelle d’Antoszwincie, établir le jardin, placer des statues, il m’aida beaucoup par ses conceptions ingénieuses.
J’agissais dans le même esprit avec les paysans du voisinage. À quelques kilomètres d’Antoszwincie est le village N., dont l’administrateur tyrannisait cruellement les paysans. Je me rappelle que le 24 décembre 1837, un de mes paysans me dit : « Que monsieur aille seulement à N., et il verra de belles choses ! » – Frappé de ces paroles, je n’ai plus de repos, et le lendemain, jour de Noël, je me rends à ce village pour voir de mes yeux ce qui s’y passe. Je visite les chaumières, j’y trouve une pauvreté plus grande que partout ailleurs ; mais ce que je trouve de plus affreux, c’est la misère du paysan Luszczuk ; de ma vie, je n’ai vu rien de pareil : la chaumière délabrée et sans feu, tandis qu’il faisait ce jour-là un froid de 25 degrés Réaumur. Luszczuk, étendu sur son grabat, gémissait, car il avait passé toute la nuit au dwor 111 à fendre du bois pour la distillerie, afin que, pendant un si grand froid, le bétail pût avoir du marc chaud ; et comme il était exténué de faim et transi de froid, car il n’avait pas de kozuch 112, il avait donc fendu peu de bois et, à cause de cela, il avait été cruellement fustigé. Sa femme et sa fille qui étaient couchées sur le poêle, voyant entrer quelqu’un vêtu comme un monsieur, croient d’abord que c’est leur maître ou l’économe, et commencent à crier miséricorde ! Mais elles se rassurent en apprenant qui je suis, et dans quel but je suis venu les voir. Luszczuk et sa femme me montrent leurs dos couverts de plaies. Cette malheureuse famille était obligée de fournir au dwor huit journées de travail par semaine, de passer trois nuits à battre le blé, depuis dix heures du soir jusqu’à sept ou huit heures du matin, et une nuit à fendre du bois pour la distillerie, comme je viens de le dire. Luszczuk me raconta que, pour le travail de nuit, l’administrateur donne à chaque travailleur soixante gerbes de seigle à battre, qu’ensuite il examine les épis battus et punit sévèrement si des grains y sont restés. Tout ce que j’ai entendu et vu m’a donné la conviction douloureuse que la position de Luszczuk était pire que celle des nègres en Amérique ; car le nègre avait pour lui au moins la nuit, courte, mais tranquille, exempte de travail ; il avait aussi une nourriture, misérable, il est vrai, mais assurée, car, ne fût-ce que pour l’employer au travail et en tirer profit, on s’intéressait à lui, et Luszczuk n’avait pas même cela !... Après avoir consolé cette malheureuse famille par des paroles fraternelles, par la promesse de m’occuper d’eux, et après lui avoir donné quelques aliments que J’avais apportés avec moi, j’allai chez le propriétaire. Mes observations furent reçues froidement ; il me répondit que lui aussi, il agit dans le même esprit que moi, mais sur un champ plus large et plus convenable, car il s’occupe de fonder une bibliothèque composée d’œuvres patriotiques, et se propose d’établir un pensionnat pour les demoiselles de naissance noble, afin qu’elles y reçoivent une éducation nationale et soient préparées à devenir de bonnes Polonaises. – Ma visite finit tristement, car elle fut sans résultat ; néanmoins j’étais décidé à faire mon devoir jusqu’au bout, en laissant à la miséricorde de Dieu le fruit de mes efforts. J’allais donc souvent voir les malheureux paysans du village N., et je leur expliquais d’où venait leur pénible position et ce qu’ils devaient faire pour que Dieu eût pitié d’eux. Préparés par de si grandes souffrances, ils prirent mes conseils au fond de leurs âmes ; Luszczuk surtout les accepta avec beaucoup de feu, et, par suite de cela, il éveilla en lui une telle vie, qu’il devint tout-à-coup un homme complètement nouveau. Je reconnus en cela l’action de la miséricorde de Dieu, et c’est ce qui me donna encore plus d’énergie pour continuer le travail commencé. Tandis que je m’occupais de l’âme, Ferdinand 113 prenait soin du corps et venait souvent de Wilna avec des médicaments ; aussi les plaies de Luszczuk et celles d’autres paysans furent bientôt guéries. À mesure que se resserrait entre nous l’union fraternelle, s’augmentait aussi mon devoir de les protéger et de pourvoir à leurs besoins les plus pressants. Les kozuch que Ferdinand avait achetés à des conscrits à Wilna, pour cinq florins la pièce, furent distribués aux paysans de N. et changèrent l’aspect du village tout entier ; je les visitais souvent, eux aussi venaient me voir, et avec l’aide de Dieu, tout s’acheminait pour le mieux. Une fois, des femmes de mon village, travaillant aux champs et causant entr’elles, dirent : « Il faut que notre maître soit sorcier, il n’a fait que causer un peu avec Luszczuk, et voilà que celui-ci est devenu un tout autre homme ; il s’est redressé, il est rajeuni, et même devenu beau, de sorte que c’est un plaisir de le voir. » Lorsque je l’appris par Caroline 114 qui, en visitant les champs, avait entendu cet entretien, je me réjouis extrêmement et je m’écriai : « C’est une grande chose, c’est un signe que Dieu me donne pour que j’accomplisse ma vocation envers le peuple polonais. » Mais voilà que Luszczuk vient lui-même chez moi, et si vous aviez vu ce qu’il était devenu ! J’eus une grande joie de causer avec lui.
Bientôt après, j’exposais ce qui suit à tous les paysans du village N. : « Quoique votre seigneur soit un tyran, votre devoir est d’être pour lui de fidèles sujets, de ne plus vous enivrer, ni voler, mais de travailler de bon cœur pour lui, de lui pardonner dans vos âmes ses torts envers vous, d’être ses amis ; et si après tout cela il vous maltraite encore, Dieu lui-même vous prendra sous sa garde. » Eh bien, mon frère, lorsque, peu de temps après, un changement complet se fut opéré dans le village, et que l’administrateur n’en continuait pas moins ses cruautés, j’allai le voir et je lui dis : « Voisin, quoique j’aie toujours souffert de voir la tyrannie que vous exercez sur les paysans soumis à votre administration, je n’avais cependant pas le droit d’intervenir en leur faveur tant qu’ils étaient mauvais ; mais aujourd’hui qu’ils se sont corrigés, est-il permis que vous les maltraitiez encore ? Si vous tenez à l’argent au point de chercher à tirer profit même du sang humain, ne vaudrait-il pas mieux faire un arrangement entre nous ? Vous savez que je ne suis pas riche, mais je vous donnerai le meilleur cheval de mon écurie et deux cents mesures d’eau-de-vie, à condition que vous cessiez de verser le sang humain. » Le tyran s’irrita contre moi, je le quittai sans rien obtenir de lui, mais je le prévins qu’un moment viendrait où il regretterait d’avoir repoussé une observation et un conseil amical. En effet, Dieu même inspira à ces paysans une action à laquelle je me serais gardé de les pousser moi-même, et comme il arrive ordinairement pour toutes les révolutions, cette révolution vraiment chrétienne commença par une circonstance minime. Un jour que les paysans travaillaient dans le dwor, Luszczuk porta à la cuisine des maîtres sa marmite pour réchauffer sa nourriture qui était gelée. Le tyran, l’ayant aperçu, se mit en colère, saisit le fouet et dit : « Comment, oses-tu, misérable, te familiariser ainsi avec moi ? » – À ces clameurs, tous les travailleurs accourent, tombent à genoux et élèvent leurs mains vers Dieu. Puis ils se lèvent tous, Luszczuk le premier, et ils disent solennellement : « Non, maître, vous ne nous battrez plus ; nous nous sommes corrigés, nous vous sommes fidèles, nous travaillons pour vous, nous ne vous faisons aucun tort, vous ne pouvez donc plus nous maltraiter ! » – Le tyran, devenu encore plus furieux, crie : « Qui vous a enseigné, canaille, à vous révolter contre votre seigneur ? » Les paysans, levant les mains vers le ciel, répondent : « Nous n’avons qu’un seul Seigneur là-haut. » – Et montrant ensuite les cheminées blanches d’Antoszwincie, ils ajoutent : « Et là-bas, nous avons notre frère et notre bienfaiteur. » – Le tyran pâlit, laissa tomber le fouet, partit, et saisi d’une grave maladie, il ne se montra pas pendant quelque temps. Après cela il changea et s’adoucit au point que ces mêmes hommes qu’il martyrisait auparavant, il les priait de faire ce qu’il y avait à faire. Voilà, mon frère, les miracles de l’Œuvre de Dieu ; dès que les opprimés se sont tournés vers Dieu, se sont appuyés sur lui et se sont corrigés, Dieu les a pris sous sa garde, les colonnes du mal qui auparavant appuyaient le tyran se sont enfuies, et c’est pourquoi il a perdu son ancienne force. – Voilà le principe de la révolution chrétienne. Si une telle révolution commençait sur le champ national, ce serait alors mon devoir d’y contribuer, comme je l’ai fait sur ce petit champ, sans m’arrêter à l’idée que je pouvais être dénoncé au gouvernement comme ayant excité les paysans à la révolte, délit qui, dans ces temps-là, était très sévèrement puni. Dieu, dans sa miséricorde, en me préservant d’un si grand danger, a montré qu’Il veille sur ceux qui se sacrifient sans réserve pour accomplir sa volonté. Un écrivain a dit que le poète a besoin de respirer l’air de Ferney, et le guerrier de toucher de son épée le tombeau du grand Turenne ; moi, dès le commencement de mon action à N., j’ai éprouvé qu’il me fallait entretenir mes rapports avec mes frères, les paysans de ce village, pour sortir heureusement des difficultés et des dangers qui ne cessaient pas de s’accumuler autour de moi, à cause de l’hostilité à laquelle j’étais en butte de la part du gouvernement et de mes propres compatriotes. C’était une chose étonnante que chaque fois que je devais me rendre à Wilna, il me venait un visiteur de N., comme si c’eût été convenu entre nous ; et si quelquefois il n’en venait pas, j’allais moi-même à N., pour y chercher mon air de Ferney et mon tombeau de Turenne.
En 1840, avant de partir pour l’étranger, j’eus la grande consolation de voir un changement complet dans l’administrateur du village N. : il est devenu, par conviction, juste et humain envers les paysans. Or, si un pareil tyran a tellement changé envers ses paysans, pourquoi donc nos compatriotes s’indignent-ils tant contre cette vérité exprimée dans l’écrit Powody : que le gouvernement russe, d’instrument de la punition de Dieu, peut devenir pour nous, si nous le méritons, un instrument de la grâce et de la miséricorde de Dieu ?
Le fait que je donnais de l’eau-de-vie aux paysans pendant leur travail a servi à mes adversaires de prétexte pour répandre contre moi l’accusation que j’encourage l’ivrognerie parmi les paysans ; mais dans une réunion où des prêtres et des nobles s’élevaient contre moi à cause de cela, l’abbé Lazewski, vieillard de quatre-vingts ans, un des trois prêtres présents à Antoszwincie au moment de ma naissance, ne pouvant supporter une telle injustice, leur dit, les larmes aux yeux : « Vous faites mal de condamner ce qui est bon et juste. Nous autres, nous avons des habitations confortables et des vêtements chauds, de plus, de la bonne nourriture, de la viande, de l’eau-de-vie, du vin, du café, du thé, du rhum, etc., et ces malheureux, qui travaillent si péniblement pour que nous ayons tout cela, manquent de nourriture et de vêtements tels qu’il leur en faudrait, et encore vous voudriez leur refuser un peu d’eau-de-vie ? » La balance a penché de mon côté, tous ont reconnu que c’était vrai et se sont unis en cela à l’abbé ; cette circonstance a beaucoup contribué à diminuer l’hostilité que j’éprouvais de la part de mes compatriotes.
N’allez pas cependant vous imaginer que cette conduite fraternelle envers les paysans amenât quelque négligence que ce fût dans l’administration de mes biens ; au contraire, tout y marchait avec vigueur et avec l’ordre nécessaire ; car si mon but n’a jamais été de tirer de mon bien le plus grand revenu possible, il m’importait beaucoup que mon bien, ce champ que Dieu m’avait confié, fût organisé selon la vérité chrétienne et terrestre, par conséquent avec la bénédiction de Dieu, avec profit intérieur et extérieur pour mon prochain et sans dommage pour qui que ce fût, même pour le bétail. Mon père, quelque bon et actif administrateur qu’il fût, n’avait pourtant jamais pu vaincre certains abus. Par exemple, dans toute la contrée, l’habitude était que le paysan, eût-il même deux ou trois paires de bœufs et un seul petit cheval, n’employait pour tout ouvrage que ce seul cheval, et les bœufs ne faisaient rien tant que la saison du labourage n’était pas venue. Lorsque je pris la direction, je dis à mes voisins que cette injustice devait cesser chez moi ; ils riaient, persuadés qu’ils étaient que ni eux-mêmes, ni mon père, administrateur renommé, n’avaient rien pu faire sur ce point, à plus forte raison, ce ne serait pas moi qui pourrait opérer cette réforme. Mais moi, j’assemble tous les paysans, je leur expose que c’est une injustice, que c’est faire tort à l’animal qui est une créature de Dieu et que, par conséquent, c’est aussi offenser Dieu. On commence à discuter, je réponds aux objections, je démontre la vérité, j’obtiens l’union de tous, je désigne le jour auquel ils doivent se présenter au travail seulement avec des bœufs, et je termine, comme d’ordinaire, par ces paroles : « Puisque c’est la vérité, c’est donc la volonté de Dieu et, bon gré mal gré, il faut que vous l’accomplissiez, mes frères, car je ne céderai pour rien au monde sur ce qui est la vérité et la volonté de Dieu. » Ayant appris indirectement que la meilleure disposition règne dans tout le village, et que tout le monde est prêt à l’exécuter de bon gré, j’invite à déjeuner, pour le jour convenu, mes voisins qui avaient ri de moi, et après le déjeuner nous allons dans les champs. Là, étonnés de voir des paysans travailler seulement avec des bœufs, et cela par conviction et de bon cœur, ils ont reconnu que l’on peut faire quelque chose avec les paysans par la force de la persuasion et de l’énergie venant de l’amour.
Je vois avec joie, mon cher Félix, que vous prenez au fond de votre âme l’esprit que je vous présente ; aussi je vais vous citer encore un fait remarquable de mes rapports avec les paysans. Vous autres, habitants du Royaume, vous n’avez qu’une faible idée de ce qui se passait de mon temps en Lituanie et en Ruthénie au moment de la remise des recrues. La conscription n’y existait pas, il n’y avait même aucune loi à cet égard. Le propriétaire rural recevait l’ordre de remettre, de ses domaines, un nombre déterminé de recrues, à un jour fixé, et, coûte que coûte, il devait exécuter cet ordre ; la manière dont il devait s’y prendre le regardait seul, personne n’avait à s’en mêler. On gardait donc habituellement sur cet ordre le plus grand secret vis-à-vis des paysans, afin que la peur ne les fît pas se sauver du village ; et le moment fatal étant arrivé, l’économe et des hommes choisis dans ce but tombaient inopinément pendant la nuit dans les chaumières, garrottaient les hommes désignés par le propriétaire, leur mettaient des entraves aux pieds, et les enfermaient dans un lieu ad hoc qu’on entourait de sentinelles, afin d’empêcher l’évasion des prisonniers. Les cris, les pleurs, les lamentations des mères, des femmes, des enfants étaient rigoureusement réprimés ; et ordinairement on prenait de cette manière un nombre double de celui des recrues nécessaires, afin de pouvoir, en cas de réforme des uns, les remplacer immédiatement par d’autres. Lors donc que ce devoir, le plus pénible, mais inévitable, tomba sur moi, je cherchai devant Dieu quelle était en cela sa volonté, et je sentis que c’était un nommé Charles Weryk qui devait partir comme soldat. Dès lors, selon mon habitude dans toutes les circonstances graves, j’assemble les hommes du village, j’expose mon sentiment, et je demande si c’est la vérité. L’un dit que c’est non Charles qui doit partir, mais Lawruczek. Un second en propose un autre, et ainsi de suite. Mais comme j’avais déjà tout examiné devant Dieu, je rappelle que Lawruczek a une sœur qui le pleurera, que tel autre a une vieille mère qui peut payer de sa vie la perte de son fils, etc., tandis que Charles est orphelin, sans famille, que de plus il aime à s’amuser, et que c’est donc à lui que l’état militaire conviendrait le mieux ; il verra du pays, et il aime cela ; puis il deviendra un homme solide, etc. Bref, après les débats, tous tombent d’accord sur Charles ; alors je tends la main à ce garçon et je lui dis : – « Oui, mon ami, sans doute tu sens toi-même que c’est sur toi que retombe ce devoir. Eh bien, console-toi en pensant que celui qui se sacrifie de bonne volonté pour son village imite Jésus-Christ qui s’est sacrifié pour le monde entier en se soumettant à la passion et à la mort sur la croix. Persuadé que tu es capable d’une telle vertu, je ne pense point à te faire mettre des chaînes, car chez nous Dieu seul est Maître et les hommes ne sont point des esclaves, ils font leur devoir de bonne volonté ; donne-moi donc seulement ta main et ta parole que tu ne chercheras pas à t’enfuir, et je suis sûr que tu ne trahiras pas ma confiance. » – Charles, touché par la grâce de Dieu, devint rayonnant, se redressa et, dans la joie d’esprit, parla beaucoup en assurant qu’il sentait lui-même que c’était la vérité et la volonté de Dieu ; enfin il me tendit la main et il me promit d’accomplir volontiers son devoir. Lorsque le moment fut venu, je monte à cheval et me rends à Wilna. Charles y était déjà, et nous nous rendons à la commission militaire. Lui, qui avait déjà fait le sacrifice de sa personne, se présente hardiment, et lorsque la commission, après l’avoir examiné, voulait le réformer parce qu’il lui manquait une dent de devant, il s’approche du gouverneur et dit avec feu : – « Monsieur le gouverneur, vous devez m’accepter, car depuis que mon maître m’a parlé, m’a tendu la main, et m’a appelé son frère, j’ai senti que Dieu Lui-même veut que je sois soldat, et par conséquent, on ne peut pas me réformer. » – Le gouverneur Horn, allemand de naissance, étonné de ce ton, demande ce que cela veut dire ; on m’appelle pour l’expliquer ; je dis donc qu’avec mes paysans je n’emploie pas la contrainte, que je les amène à faire tout par conviction, que je les traite en égaux, qu’un soldat volontaire, comme celui que je présente, vaut mieux que dix soldats par force, etc..... Après avoir consigné au procès-verbal tout ce qu’avait dit Charles, on prononça : Front 115. Je donnai donc un florin au barbier afin qu’il prît garde à ne pas le blesser, car vous savez avec quelle négligence se fait cette opération, après laquelle ces malheureux ont presque toujours la tête couverte de balafres. Lorsque tout fut terminé, j’obtins du gouverneur la permission que Charles vint me voir jusqu’à son départ de Wilna pour le lieu de sa destination. Aussi, pendant deux semaines, il vint presque chaque jour chez nous, et souvent avec quelqu’un de ses camarades, et nous pûmes voir avec joie comment ce garçon, ému, élevé et devenu presque un héros par l’idée du dévouement volontaire pour son village, avait exercé par son exemple une telle influence sur ses compagnons d’infortune, que leur triste sort ne leur semblait plus être un si grand malheur. Au moment des adieux, Caroline lui donna une médaille de la Sainte Vierge, qu’il reçut avec une profonde émotion, puis, en m’embrassant avant de partir, il me dit tout bas et d’une manière significative : « Mon maître et mon frère, vous verrez que je vous amènerai des régiments. » Ce qui s’était passé avec Charles eut un tel retentissement, qu’indépendamment des autres motifs, cela contribua aussi à hâter mon départ pour l’étranger. Cette remise des recrues eut lieu le 27 novembre (9 décembre) 1839, et le 11 (23) juillet 1840, je quittai le pays 116.
Dans l’entretien suivant, Niemojewski dit à Towianski que le gouvernement augmente toujours les impôts des propriétaires ; que les biens des nobles, déjà si sensiblement amoindris par la loi de la dotation des paysans, sont de plus grevés de certaines redevances au profit des paysans ; qu’il en résulte que bon nombre sont ruinés, mais que, malgré cela, les nobles sont encore loin de la vraie douleur et de la consternation. Towianski répondit :
Pour avoir la douleur et être consterné il faudrait d’abord avoir quelque mouvement d’esprit, une vie intérieure quelconque. La pierre, qui est l’apogée du manque de mouvement et de vie, est aussi l’apogée de l’insensibilité et de l’absence de consternation, apogée dont se rapproche plus ou moins une longue suite d’hommes endurcis et morts intérieurement, qui ne sentent pas leur malheur, même le plus grand. Cette indifférence, cette inertie, cette pétrification est une grande misère pour l’esprit vivant en ce monde, et cette misère devient plus grande encore pour l’esprit qui, dans un pareil état, passe dans l’autre monde. Il faut souvent des siècles de tourments douloureux et solitaires pour guérir cette terrible maladie. De pareils individus ont une si grande répugnance à s’émouvoir intérieurement, et sont tellement portés à se tranquilliser et à s’immobiliser, qu’ils préfèrent supporter tranquillement même la position la plus mauvaise, plutôt que de s’émouvoir et d’en chercher une meilleure ; car pour eux, le pire de tout, c’est de tirer d’eux un mouvement, une vie quelconque. C’est précisément à cause de cette mort d’esprit, de cette répugnance au mouvement, à la vie intérieure, que sont devenus indispensables les éveils si prolongés et si terribles auxquels la Pologne est soumise ; il est dit : « Dieu est le Dieu des vivants et non des morts 117. » – Où il n’y a pas de vie, là donc est l’impiété et le règne du mal, et là aussi, nécessairement, doit être l’oppression. Ayant une telle lumière, le serviteur de l’Œuvre de Dieu doit, au milieu de la mort et de l’oppression générales, redoubler d’amour et de sacrifice pour pouvoir servir avec vie et liberté ses compatriotes dans leur position pénible.
En s’épanchant ensuite sur sa position matérielle, Niemojewski dit à Towianski que l’état de sa fortune ayant été très ébranlé par l’ukase de la dotation des paysans, car on lui avait pris les deux tiers de ses terres, tandis que les charges ne cessent d’augmenter, il eut l’idée de vendre son domaine. Towianski lui observa :
Cette pénible position de tout le pays et cette ruine des fortunes sont permises pour le vrai bien des seigneurs et des paysans ; est-il donc juste de s’en laisser oppresser et de fuir le champ de l’opération permise pour un si grand but ? C’est une grave maladie de l’âme dans la noblesse, que de ne voir que soi-même, sa situation matérielle, et de rapporter tout à soi sans avoir égard à la volonté de Dieu et aux conséquences que l’accomplissement de cette volonté amène pour la patrie et pour le monde. Quiconque se dit d’une manière absolue : « J’ai tant de fortune et je ne dois rien en perdre », ne reconnaît pas Dieu pour Maître, car il n’a pas la foi réelle au gouvernement tout-puissant de Dieu, et ne voit rien au-delà de sa propriété ; aussi, pour un tel adorateur et serviteur de la terre, la perte de la fortune est ordinairement la perte de tout, et dès lors la vie même lui devient insupportable. (Ici Towianski cita l’exemple d’un très riche Lituanien, qui s’était dit : « La totalité de ma fortune s’élève à tant de millions, et je n’ai pas le droit de rien en diminuer. » Il se refusait huit sous pour prendre une tasse de café, et que dire s’il s’était agi de toucher au capital ? En ce cas, aurait-il, peut-être, préféré mourir de faim.) Un riche misérable comme celui-là, qui tremble à l’idée de perdre un centime de ses millions, est le plus souvent indifférent à la misère réelle du prochain qui n’a pas même une chemise sur le corps. C’est une grave et dangereuse maladie de l’âme ! Un vrai chrétien, rapportant tout à Dieu et à ses comptes devant Dieu, s’il éprouve une perte matérielle et même s’il perd tout ce qu’il possède, se dira humblement : « Le Seigneur a donné et c’est lui qui a ôté, car il avait donné sans garantir qu’il ne reprendrait pas ; que sa sainte volonté soit donc faite ! C’est lui que je servais étant riche, c’est encore lui que je servirai dans ma pauvreté. » Ne vous affligez donc pas, mon frère, si vos filles reçoivent de vous de moindres dots, car Dieu est maître de le leur compenser de mille autres manières : peut-être que, étant moins riches, n’en seront-elles que meilleures, plus vertueuses, peut-être aussi trouveront-elles de meilleurs maris : ce n’est pas votre affaire de vous en inquiéter aujourd’hui. Comme Polonais, réjouissez-vous de ce que, soumis à l’opération salutaire que subit maintenant la Pologne, vous avez le champ de montrer devant Dieu, devant le prochain et devant la patrie, que vous l’acceptez et la traversez en vrai chrétien. Notre affaire, à nous, c’est de servir Dieu dans quelque position que ce soit, de le servir dans un caractère vraiment chrétien, avec un désintéressement complet et de toute notre âme ; et c’est à Dieu de récompenser ses fidèles serviteurs comme sa justice et sa miséricorde le jugeront le plus utile pour eux.
Ces entretiens firent une telle impression sur Niemojewski que lorsqu’en 1866 on procéda finalement à la donation des terres aux paysans, – ce qui d’ordinaire provoquait des malentendus très désagréables entres les paysans et les propriétaires de domaines, et réveillait en ceux-ci une profonde quoique sourde indignation contre les agents du gouvernement chargés de présider à l’exécution de cet acte, – chez Niemojewski, au contraire, tout cela fut réglé à la satisfaction mutuelle des partis intéressés et avait le caractère d’une véritable fête. Les commissaires du gouvernement ne pouvaient cacher leur surprise et leur émotion en voyant un homme, que cette donation privait des deux tiers de son patrimoine, contenter en tout ses paysans et rayonnant de joie de voir sur la terre slave des millions de serfs élevés à la dignité d’hommes et de citoyens.
La nouvelle lumière dans laquelle Towianski avait présenté la vocation véritable de la Pologne et les devoirs des Polonais – ainsi que la force supérieure qui accompagnait sa parole – avaient introduit un nouvel esprit dans ceux qui l’avaient acceptée, et cet esprit, ils le manifestèrent dans toutes leurs actions envers la patrie.
Il n’y a pas lieu d’entrer ici dans des détails à cet égard ; mais on peut lire dans les Actes et documents les deux correspondances de Charles Rozycki : l’une avec le prince Adam Czartoryski et avec Sadyk Pacha, lorsque, à l’approche de la guerre de Crimée, ils travaillèrent à organiser des forces militaires en Turquie pour combattre la Russie et cherchèrent à attirer ce vaillant soldat dans leur sphère d’action ; l’autre, mentionnée plus haut, avec le gouvernement national pendant l’insurrection – deux actes qui rendent manifeste comment la plénitude du caractère chrétien peut faire triompher sur la terre la loi de Jésus-Christ en face des tentations les plus séduisantes pour le cœur d’un patriote et d’un héros. On peut y lire les entretiens de Michel Kulwiec avec le comte Strogonoff, dans lesquels on voit, face à face, soutenues avec une égale énergie, la force de la terre et celle du ciel. On peut y lire aussi ce que fit Julien Trzaska dans ses rapports avec les commissions militaires devant lesquelles il fut traduit, et avec ses compagnons de déportation en Sibérie, par lesquels se forma, même sur cette terre d’un si dur esclavage, un noyau d’hommes libres et joyeux, parce qu’ils étaient sincèrement soumis à Dieu et confiants dans la manifestation de sa miséricorde et de sa puissance. Beaucoup d’autres actions s’y trouvent rapportées ; et on peut voir quels fruits bénis produisit en Pologne et même en Russie l’Œuvre sainte dont Towianski fut un instrument si puissant.
Il avait remué le fond de l’âme polonaise ; il y avait inoculé l’esprit de l’époque supérieure et, dans le petit groupe de ceux qui l’acceptèrent, la vie politique chrétienne de la Pologne véritable commença à se manifester.
Ô nation sacrée de martyrs, puisse cette semence germer largement dans le cœur de tes fils ! – Après avoir expié tes fautes, ressuscitée à la vie qui t’est propre, puisses-tu te manifester au plus tôt au monde dans la plénitude du caractère de ta sainte vocation ! Les nations qui te sont unies par les liens du même esprit et de la même vocation, purifiées par les douleurs des siècles, se joindront à toi avec la même ardeur. Ce ne sera plus alors l’intérêt terrestre, mais ce sera la cause de Dieu qui formera les alliances des peuples ; les directions politiques se traceront d’une manière conforme aux desseins du Père céleste ; avec la régénération chrétienne des individus, viendra la régénération chrétienne des nations ; et le soleil du jour de Dieu répandra partout sur notre pauvre terre désolée ses divins rayons de joie et de vie.
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CHAPITRE IX.
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Son action envers l’Église et l’Italie.
Je réunis dans un même chapitre ce que Towianski a fait envers l’Église et ce qu’il a fait envers l’Italie ; car, bien que l’Église de Jésus-Christ embrasse par son caractère toutes les nations, cependant, puisque le siège de la suprême autorité ecclésiastique se trouve au sein même de l’Italie, la question de cette nation est donc inséparable de celle de l’Église, et il en résulte que l’action de Towianski envers l’Église touche directement l’essence de la vie et de la vocation de l’Italie.
C’est avec une extrême sollicitude que Towianski cherchait à se maintenir sans cesse à l’état de membre vivant de l’Église de Jésus-Christ, gardant soigneusement en lui ce qui en forme l’essence vitale : l’amour, le sentiment, le mouvement pour Dieu, la vie intérieure, la communion avec le Ciel, le sacrifice et la lutte continuelle pour le triomphe de toute vérité. S’entretenant un jour avec l’abbé Dunski, il lui raconta comment il avait toujours eu, dès ses plus jeunes années, un grand amour et une vénération filiale pour l’Église ; et il poursuivit en ces termes :
..... Avec le temps, je sentis et je connus que l’amour et la vénération pour l’Église, c’est l’amour et la vénération pour le royaume céleste qui, de son germe, de la semence jetée sur la terre par Jésus-Christ, se développe et s’élève dans le cœur des chrétiens, fils de l’Église, jusqu’à ce qu’il devienne le royaume, l’Église triomphante dans les cieux.
Je sentis alors qu’être dans l’Église, c’est l’unique et plus haut bien de l’homme 118 : et que s’exclure de l’Église par le péché (qui seul en exclut) est le plus grand malheur pour l’homme : car l’exclusion de l’Église qui milite sur la terre 119 est en même temps l’exclusion de l’Église qui triomphe dans les cieux, c’est la chute de la hauteur céleste dans les bas-fonds de la terre et même de l’enfer, où le pain quotidien n’alimente plus le pèlerin ; où le rayon de la grâce ne perce plus les ténèbres qui l’enveloppent ; où l’homme, esclave de royaumes étrangers, produit les fruits du péché de s’être exclu de l’Église : péché qu’il devra expier plus tard, ou bien qu’il expie déjà en portant les croix des souffrances, des pressions, pour avoir rejeté la croix de Jésus-Christ, qui seule peut le maintenir dans l’Église.
L’amour éveillé en moi pour l’Église, et le sentiment que l’Église est l’unique port sûr au milieu des tempêtes continuelles du monde, devinrent pour moi le motif de chercher l’Église partout où elle se trouve et quelle que soit la forme sous laquelle elle vit sur la terre 120 : à chercher les fils et les pères de l’Église, à m’unir avec eux et à profiter dans cette union des bienfaits de la communion des saints 121. Par conséquent, Notre Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu qu’il a accompli et transmis à l’homme pour l’accomplir, et enfin l’Église dans laquelle ce Verbe s’accomplit, l’Église dans les cieux et l’Église sur la terre, devinrent pour moi l’unité chrétienne, l’objet de mon amour, de ma vénération et de mes sacrifices. Dès lors, pour tout ce que quiconque me disait dans l’esprit de Jésus-Christ, dans l’amour, le sacrifice, le sentiment chrétien, je déposais mon amour, ma vénération, ma soumission : car tout cela venait de l’Église et était son fruit céleste sur la terre. Obéissant à cette impulsion naturelle de mon âme, je ne passais pas à côté d’un vrai chrétien dans lequel je sentais l’Église vivante et soutenue par la croix de Jésus-Christ 122, sans éveiller dans mon esprit un sentiment de vénération et d’humilité pour cette parcelle du ciel vivant sur la terre. Je faisais pour la valeur et les mérites du royaume de Jésus-Christ ce que l’on fait dans le monde pour la valeur et les mérites du royaume terrestre, où l’honneur est rendu non seulement à la plus haute autorité de ce royaume, mais aussi à chacun qui en porte les signes de mérite, qui est l’objet de sa grâce, de ses égards et de son union.
Notre Seigneur Jésus-Christ dans sa miséricorde, autant que je portais sa croix, me faisait reconnaître son Église partout où elle se trouvait, et me fortifiait de sa grâce pour accomplir mes devoirs envers elle. Faible et indigne pécheur, j’acceptais avec empressement toute aide venant du ciel, quel que fût l’instrument par lequel il plaisait à Jésus-Christ de me l’envoyer. Souvent sous le nom, les vêtements et les formes que le monde méprise, je trouvais ce trésor céleste : et, au contraire, sous le nom et les formes que le monde honore comme étant l’Église, je trouvais le royaume du prince de ce monde ou du prince des ténèbres. Et lorsque, abandonnant la croix, je perdais la faculté de discerner l’Église et donnais mon amour et ma vénération à ce qui ne venait pas de l’Église mais en portait seulement les formes et le nom, j’éprouvais promptement les tristes conséquences de cette idolâtrie ; mais reconnaissant au plus tôt mon détour et rompant avec lui, je revenais à l’Église et tâchais de satisfaire à Jésus-Christ et à son Église.
Par ce que j’ai éprouvé depuis mon enfance et vu dans le monde, je me suis convaincu que l’infortune du monde vient de son éloignement de l’Église, et qu’il n’y a rien au monde au-dessus de l’accomplissement de la volonté de Dieu, par conséquent, rien au-dessus de l’Église dans laquelle il peut accomplir cette volonté : et c’est alors que je fus appelé à présenter à l’homme l’appel de Dieu et à le servir dans le but qu’il reconnaisse ce qu’est pour lui l’Église véritable de Jésus-Christ, qu’il y entre, et, en s’y maintenant, la manifeste dans sa vie et dans ses actions.
Dans l’accomplissement de cette vocation, séparant les actions contraires à l’esprit de l’Église de Jésus-Christ de l’homme qui les commet, séparant dans le ministre de l’Église la faiblesse et le péché de l’homme de son ministère sacré, Towianski portait pour ce ministère la plus grande vénération ; et, tandis qu’il combattait franchement le mal, il n’épargnait aucun sacrifice pour faire pénétrer dans les âmes l’esprit de Jésus-Christ, pour les élever à la hauteur à laquelle Jésus-Christ appelle tous les hommes, et en première ligne les prêtres.
C’est de son vif amour de Dieu et du prochain que venaient sa douleur et son horreur pour le mal, ennemi acharné de l’accomplissement de la volonté de Dieu et du salut de l’homme, son énergie pour le combattre, sa joie dans la liberté et dans la victoire.
Dans l’adoration pour la pensée de Dieu qui repose sur les pasteurs de l’Église, il soumettait à leur jugement sa personne et ses actes avec l’humble assurance de celui qui a la conscience qu’il doit obéir plutôt à Dieu qu’aux hommes ; il manifestait librement aux autorités de l’Église l’appel de Dieu pour ces temps et tenait haut devant elles l’étendard de la vérité, gardant à la mission qui lui avait été confiée une fidélité inébranlable.
Sa vie tout entière est un exemple non interrompu de cette soumission active à la volonté de Dieu, soit qu’elle se manifestât par l’intermédiaire du ministère apostolique des pasteurs de l’Église, soit qu’elle se fit connaître directement dans le fond de son âme. Il unissait ainsi en un seul sentiment profond deux choses impossibles à concilier en dehors de la voie que Jésus-Christ nous a tracée : l’obéissance due à l’autorité que Dieu a établie, et la liberté intérieure d’obéir à l’ordre venant directement de Dieu, la piété et l’énergie chrétienne véritables. C’est pourquoi, ainsi que je l’ai dit plus haut, son soin principal et continuel était de tenir sans cesse vivante en lui l’abnégation complète de soi-même, de tenir vivant dans une entière pureté l’amour de Dieu et le prompt accomplissement de sa volonté, aussitôt que celle-ci lui était manifestée ou directement dans son âme ou par le moyen du prochain. – J’en citerai quelques exemples.
Il avait à peine neuf ans lorsque le feu prit une nuit dans le grenier de la maison. S’en étant aperçu le premier, il se jeta à bas de son lit, avertit son père du danger : et, se voyant dans l’impossibilité de lui prêter d’autre secours, il courut prier dans l’église de Janiszki avec l’espérance que cette perte (comme cela arriva en effet) détruirait chez son père tout attachement aux biens terrestres.
Dans l’église d’un village assez éloigné de sa maison, un vieillard chantait avec un grand sentiment des cantiques sacrés, en s’accompagnant sur l’orgue. Towianski faisait souvent ce long trajet pour aller écouter ces chants, renouveler l’impression émouvante qu’il en recevait et qui l’aidait à nourrir en lui la vie intérieure, l’Église de Jésus-Christ.
Quand il était magistrat à Wilna et qu’il lui fallait bien souvent travailler dix heures par jour pour étudier les causes qui devaient être jugées, il n’était pas rare qu’il se levât à trois heures du matin et se rendît au cimetière afin d’y obtenir, dans la prière et l’union avec l’autre monde, la lumière et la force nécessaires pour découvrir et faire triompher la vérité, si souvent déguisée par les plaideurs dans leur propre intérêt. Et parfois pendant la journée il interrompait son travail pour se rendre à l’église voisine et s’y retremper intérieurement.
Il érigea une croix au milieu de son village d’Antoszwincie afin que ses paysans, y portant de temps en temps leurs regards pendant leurs travaux quotidiens, en tirassent un motif pour élever leur âme et une aide dans leurs fatigues. Il édifia sur une hauteur une chapelle, qui, consacrée ensuite par le missionnaire Bohdanowicz, devint un petit sanctuaire, où plusieurs reçurent des grâces. Plus d’un s’y rendait, comme en pèlerinage, pour consulter Dieu dans les circonstances difficiles ; des conversions sincères et durables s’y produisirent, d’anciennes inimitiés furent effacées, des familles réconciliées.
Pour se faire une idée de la manière dont il aidait ses paysans à se servir des formes de la religion pour se pénétrer de leur essence, il suffira de lire dans la note placée à la fin de ce volume (déjà mentionnée dans les chapitres précédents) les règles de conduite et les conseils qu’il leur laissa avant de se séparer d’eux.
Quand il se rendait à l’église, son recueillement et l’ardeur qui rayonnait de sa personne étaient tels que tout le monde en restait frappé. C’est précisément en voyant avec quelle ferveur il avait reçu la sainte communion à la messe dans l’église catholique de Lausanne que J. B. Scovazzi, un des plus actifs patriotes italiens de 1833, exilé alors dans cette ville, reconnut en lui (sans l’avoir jamais vu) l’homme dont Mickiewicz lui avait parlé avec tant de vénération.
Plusieurs personnes de confessions différentes, après avoir vu cet esprit vivant en lui et avoir compris par son intermédiaire en quoi consiste l’essence de l’Église de Jésus-Christ, se convertirent à la foi catholique. De ce nombre il en est deux dont j’ai déjà fait mention : l’israélite Ram et le pasteur protestant Christfreund ; qui, touché dans le fond de son âme, parla du haut de la chaire avec tant de persuasion à ses paroissiens, que ceux-ci dans la plus profonde émotion se mirent à prier la Sainte Vierge à genoux. Ayant déposé les insignes de pasteur dans le temple, il fut réduit, pour pourvoir à sa subsistance, à se faire organiste dans une petite église catholique du diocèse de Munster. Parmi les personnes converties par Towianski sont aussi à mentionner Mademoiselle Amélie Mansbendel, qui fit une abjuration solennelle du protestantisme dans l’abbaye d’Einsiedeln, et une de ses sœurs, qui, étant tombée gravement malade, rentra, elle aussi, dans le sein de l’Église catholique ; après quoi elle fut promptement guérie.
Portant en lui l’esprit de Jésus-Christ et de son Église, Towianski discernait facilement en chacun, quelles que fussent les conditions de sa vie, quelle que fût sa confession religieuse, ce qui s’approchait de cet esprit et ce qui lui était contraire 123. Il découvrait à chacun le mystère de son âme ; lui présentait vivante, dans la pratique, la seule voie qui conduit à Dieu, à la communion avec le ciel : et chacun se sentait naturellement attiré par la vérité qui répondait à ses aspirations les plus intimes. Se convaincant de sa propre faiblesse, le pèlerin épuisé apprenait à apprécier les secours que Jésus-Christ a déposés dans son Église pour nous soulager dans notre voyage, faciliter notre salut, nous aider enfin à maintenir en nous dans sa pureté la vie intérieure au milieu des difficultés qui s’opposent à cette vie, et à nous la faire recouvrer quand elle est perdue ; il sentait ainsi peu à peu le besoin de profiter de ces aides 124 et de sceller enfin le changement intérieur en faisant aussi son entrée visible dans le giron de l’Église.
La parole de Towianski n’était pas le raisonnement qui fatigue et dessèche : c’était l’esprit qui émeut, réchauffe et vivifie, qui dilate l’âme et l’élève à la hauteur d’où toute chose devient claire, et où on la voit dans son enchaînement logique et sa naturelle harmonie. Au contact de cette chaleur céleste toute difficulté se résolvait ; on recouvrait l’unité de la foi par l’unité de l’esprit ; on comprenait que le dogme des dogmes est le devoir d’aimer et de se sacrifier sans cesse (autant que le permet la faiblesse humaine), comme Jésus-Christ aimait et se sacrifiait, et que sur cette voie on acquiert peu à peu l’esprit, la vie, le sentiment juste des vérités d’un ordre supérieur, que Jésus-Christ à révélées à l’homme pour lui faciliter son salut.
C’est de cette manière que Towianski convertissait les incrédules, et ramenait les dissidents à l’unité ; que dans beaucoup de laïques et de prêtres il ranimait la foi affaiblie, purifiait et élevait leur âme, les préparant à une conception plus profonde et plus large des vérités révélées, et les remplissait de courage et de joie 125.
C’est précisément parce que chaque sentiment, chaque parole, chaque action découlait chez lui de ce pur et ardent foyer intérieur, qu’il était entré dans la vraie liberté des enfants de Dieu. Avec cette sainte liberté, il était à même de manifester et de défendre devant l’autorité de l’Église, dans l’esprit et les conditions chrétiennes, les trésors célestes dont il avait été fait le dépositaire et l’apôtre pour les temps actuels.
On a pu remarquer cette plénitude du caractère chrétien dans ses rapports avec l’autorité de l’Église et dans plusieurs des actes et des écrits précédemment cités. Parmi de nombreux exemples, il est à propos de reproduire ici l’entretien qu’il eut en 1858 avec Mgr Bovieri, alors nonce apostolique auprès de la Confédération helvétique.
Dans le premier chapitre, j’ai parlé d’un admirable résumé de l’Œuvre de la Rédemption à travers les siècles et de son application à l’époque présente, qu’en janvier 1841 Towianski avait fait sur le champ de bataille de Waterloo au général Skrzynecki. Celui-ci, enthousiasmé, le pria de lui confier momentanément, et d’une manière confidentielle, ces notes tracées rapidement pour l’usage personnel de leur auteur, qui n’avait pas même eu le temps de les relire. Soustraites ensuite à Skrzynecki et publiées sans le consentement et contre l’évidente intention de l’auteur sous le titre Biesiada (le banquet), elles fournirent plus tard au prêtre Pierre Semenenko la matière d’un livre intitulé Towianski et sa doctrine. Citant inexactement quelques passages isolés et opposant à chacun les points dogmatiques avec lesquels il trouvait ces passages en contradiction, Semenenko, en même temps qu’il dénaturait le texte, faussait l’esprit dans lequel Towianski l’avait présenté. Ce fut sur une pareille publication que Towianski fut jugé, sans que personne se souciât de l’entendre ni de connaître la question à sa source. Les notes le Banquet furent mises à l’Index, et de même plus tard les lettres et les témoignages de l’Abbé Dunski, publiés après sa mort.
En 1858, le Nonce apostolique auprès de la Confédération helvétique, Mgr Bovieri, reçut de Rome l’ordre de se rendre à Zurich et d’y voir Towianski : ce qu’il s’empressa de faire. La conférence dura une heure et demie ; je rappellerai tout ce qui en fut noté d’après le récit que Towianski en fit lui-même à la prière de ses amis.
Le Nonce commença par lui communiquer la lettre de Rome dans laquelle il lui était enjoint de décider Towianski à se soumettre au décret de la Congrégation de l’Index relatif aux deux brochures : le Banquet et Dunski ; d’engager ceux qui lui étaient unis à en faire autant ; enfin d’en donner l’assurance par écrit au Saint-Siège, lequel (disait-il) pour sauver son honneur n’avait pas mis son nom dans le décret.
Towianski pria le Nonce de vouloir bien remercier le Saint-Siège pour cette condescendance. Le Nonce, avec une satisfaction visible, promit de le faire. Ensuite avec bienveillance et même avec cœur, il l’appela au nom du Pape à obéir à l’Église : il lui dit que Jésus-Christ ne peut pas agir par l’organe d’un laïque ; que tout ce qui est révélé à un laïque vient du mauvais esprit, et lui promit que s’il obéissait à l’Église, dont les décisions sont toutes confirmées par Jésus-Christ, il lui procurerait les moyens de parler au Saint-Père, de lui communiquer ses écrits.
Ce sujet fut la matière d’un long entretien, dans lequel Towianski, sans réfuter ni discuter, montra comment l’amour et la fidélité à l’Église de Jésus-Christ lui imposaient l’amour et la fidélité à tout ce qui élève cette Église : et manifesta en même temps sa douleur de voir que les ministres de l’Église sont souvent hors de cette Église vivante. Il montra les responsabilités qu’ils assument en rejetant la chose de Dieu : les difficultés qui peuvent en résulter pour eux-mêmes, pour leurs subordonnés, pour toute la chrétienté : que tout ce qu’il présente n’est pas contraire aux enseignements de l’Église ; que l’autorité et l’obéissance sont nécessaires ; qu’ici cependant il y a un cas exceptionnel, car il s’agit de la manifestation de ce que Dieu exige actuellement afin que l’Église puisse s’élever et l’humanité progresser ; mais que, malheureusement, les pasteurs de l’Église n’ont recueilli leurs informations que parmi ses ennemis. Il lui ouvrit franchement son âme, lui racontant comment, pour obéir à Dieu, il avait quitté son pays et avait eu le courage d’entreprendre une mission au-dessus de ses forces.
Mais le Nonce, coupant court à ses observations, ramena l’entretien sur les deux publications mises à l’Index.
Quant à l’écrit le Banquet, Towianski lui expliqua le caractère et la destination de ces notes, ce qui devait nécessairement les rendre imparfaites : la façon dont elles avaient été soustraites et publiées contre sa volonté. Il se montra reconnaissant de ce qu’en arrêtant leur diffusion, on eût paralysé l’action des prêtres hostiles aux desseins de la miséricorde de Dieu 126.
En ce qui concernait la brochure Dunski, il répondit :
« – Quoique je ne l’aie pas écrite moi-même, néanmoins, n’y trouvant rien de contraire à la vérité et à l’enseignement de l’Église, je ne puis, en conscience, la condamner. Comment pourrais-je condamner la brochure tout entière, puisque l’autorité de l’Église elle-même n’a trouvé que deux ou trois passages contraires à son enseignement, et cela seulement à cause de la forme de l’expression ? »
Le Nonce admit qu’il en pouvait être ainsi, mais ajouta :
« – Quoique je ne l’aie pas lue, cependant par obéissance je la condamne.
« Connaissant votre vie (poursuivit-il), je vois que vous possédez les vertus catholiques ; que vous aimez la paix, la concorde ; que vous pouvez être l’apôtre de ces vertus. Par amour de Dieu, pour le salut de votre âme et de ceux qui vous suivent, manifestez donc ces vertus par l’action. L’action est d’obéir à l’Église et de condamner les livres que l’Église a condamnés. »
Towianski répondit que le désir et l’effort de toute sa vie était de pouvoir obéir aux pasteurs de l’Église et de donner ainsi l’exemple de l’obéissance ; qu’il éprouve une grande douleur lorsqu’il se trouve dans l’alternative de ne pouvoir leur obéir ; qu’il ne cesse de prier Dieu d’éloigner de lui cette contrariété, afin de pouvoir s’unir à l’autorité ecclésiastique et lui obéir en tout.
« – Je vois (repartit le Nonce) que vous êtes apôtre de l’obéissance ; montrez-la donc en action. »
« – Je le désire, je le demande et ne cesserai de le demander à Dieu. »
« – Que dirai-je donc de vous au Saint-Père ? »
« – J’espère que vous êtes convaincu, mon Père, que tout ce que je vous ai dit vient du fond de mon âme ; car je ne sais parler autrement. Rapportez donc mes paroles au Saint-Père, et faites-lui part de l’opinion que, d’après votre conscience, vous avez conçue de moi. »
« – Je lui assurerai que vous êtes vertueux, pieux, que vous aimez l’Église, que vous en êtes le fils ; mais que dirai-je sur le point principal et unique, l’obéissance à l’Église ? »
Un long silence suivit ces paroles ; le Nonce l’interrompit le premier :
« – Formulez vous-même la réponse que je dois donner. »
Towianski répondit :
« – En ce qui concerne l’obéissance, écrivez, mon Père, que je redoublerai encore mes efforts pour pouvoir obéir aux magistrats de l’Église ; mais que je n’obéirai qu’autant que cela ne me fera pas désobéir à Dieu. La terre et l’enfer n’ont pas la force – je me confie en cela à Dieu – de me contraindre à désobéir à Dieu. »
Le Nonce ayant répété plusieurs fois ces paroles pour pouvoir les transmettre fidèlement, s’écria :
« – Ô mon Dieu ! pourquoi n’ai-je pas l’éloquence des Pères de l’Église ! Je suis pécheur et ne puis vous convaincre, mais je vous assure que dans chacune de mes prières je prierai Dieu pour le salut de votre âme. »
Towianski le remercia de ce qu’en bon père il demandait pour son fils ce qu’il jugeait le meilleur pour lui, et ajouta :
« – Le souvenir de tant de bonté ne s’effacera jamais de mon cœur. Lorsque la vérité que je présente aura été acceptée, ou bien (que Dieu nous en préserve !) lorsque la punition de Dieu arrivera pour le rejet de cette vérité, je vous assure que je ferai tous mes efforts pour vous revoir, mon Père, vous rappeler mes paroles et m’unir avec vous dans la vérité, c’est-à-dire en Jésus-Christ. Et maintenant je vous prie, comme représentant du Saint-Père, de vouloir bien me donner votre bénédiction pour l’accomplissement de mon devoir. »
Le Nonce, après lui avoir dit qu’il lui donnerait même la bénédiction papale, qu’il avait pouvoir de donner, éleva son âme vers Dieu et étendant les mains sur la tête de Towianski, prononça avec une grande solennité les prières à haute voix. Ensuite ils se séparèrent.
L’amour profond pour l’Église de Jésus-Christ, l’ardent désir de voir la magistrature de l’Église, comprenant la hauteur de sa mission, prêter à l’humanité son appui afin que la sève de la vie céleste en vivifie et en dirige toutes les manifestations, éveillait dans l’âme de Towianski un grand amour et une grande sollicitude pour l’Italie ; cette nation qui, ayant dans son sein le siège de la suprême autorité ecclésiastique, a par cela même la mission particulière de montrer le christianisme véritable appliqué à toutes les actions de la vie individuelle et sociale, de donner ainsi au monde l’exemple d’une nation qui se gouverne par le véritable esprit de Jésus-Christ.
Tout ce qu’il nous disait à nous, Italiens, tendait toujours à réveiller et à tenir vivant en nous le sentiment de cette vérité fondamentale : que la lutte entre l’État et l’Église ne pourra cesser en Italie et que celle-ci ne pourra avoir une vie politique vraiment libre et conforme à la nature de son esprit et de sa vocation que lorsque l’esprit de l’Église vraie de Jésus-Christ vivra dans les âmes des Italiens et se manifestera dans leurs actions privées et publiques. Nous n’avons entendu personne expliquer, comme lui, en quoi consiste l’esprit, l’essence de cette Église : personne encore ne nous a fait comprendre d’une manière aussi sensible comment, en vérité, en dehors de cette Église, il n’y a pas de salut ; parce qu’il n’y a de salut que sur la voie qui nous a été transmise par Jésus-Christ, et celui que ne suit pas cette voie n’est pas dans l’Église de Jésus-Christ 127.
Je ne saurais mettre mieux en évidence une vérité aussi importante pour tous, mais spécialement pour nous, Italiens, qu’en rapportant ses propres paroles, recueillies à plusieurs reprises dans divers entretiens sur cette matière, de 1856 à 1860. Les voici :
Aujourd’hui que l’Italie, plus que d’autres nations, est appelée à faire l’Œuvre de Dieu sur le champ public, en défendant l’Église et ses biens célestes contre les ennemis qui l’attaquent soit ouvertement, soit sous la forme de fils et de défenseurs de l’Église, vous devez, mes frères, comme chrétiens et Italiens, vous appliquer plus que jamais à remplir à l’égard de vos compatriotes les devoirs de votre vocation de serviteurs de l’Œuvre de Dieu et de l’Église. Dans ce but, repoussez les attaques du mal, plus grandes aujourd’hui, par une force plus grande d’amour et de sacrifice : seule force par laquelle l’Église puisse combattre et vaincre. Montrez à vos compatriotes, par vos paroles et vos actions, ce que c’est que l’Œuvre de Dieu et l’Église véritable : parlez-leur des temps actuels si extraordinaires, où commence l’époque chrétienne supérieure : parlez-leur de la réclamation et de l’appel que, dans ces temps, Dieu fait à l’homme, afin qu’il prenne la croix de Jésus-Christ, rejetée depuis des siècles ; que, par la force de cette croix, il passe du royaume terrestre où il a établi sa demeure, dans le Royaume, dans l’Église de Jésus-Christ, et y accomplisse la volonté de Dieu, le Verbe de Dieu ; que par là il bâtisse l’Église dans son âme, fasse son progrès, son salut. Parlez du Jubilé de l’époque, de cette effusion extraordinaire de la miséricorde de Dieu qui a lieu de nos jours ; dites que Dieu, pour faciliter l’accomplissement de sa réclamation et de son appel, accorde à l’homme son indulgence suprême, allège les comptes de l’homme, si aggravés ; que, l’appelant à un nouveau progrès chrétien, il lui fait connaître plus à fond les vérités transmises par Jésus-Christ, mais couvertes jusqu’à présent du voile des mystères ; qu’à l’aide de cette lumière plus grande, l’homme verra plus clairement la pensée de Dieu qui repose sur lui, connaîtra mieux son but, le progrès qui lui est destiné, saura pourquoi il souffre et ce qu’il doit faire pour ne pas souffrir ; qu’éclairé de son vivant de cette lumière qui, jusqu’à présent, ne se montrait à lui qu’après sa mort, il satisfera plus facilement à Dieu pour ses péchés, il comprendra plus à fond les vérités auxquelles il croyait seulement ; que, par suite, il en aura un amour plus grand et les accomplira plus facilement ; qu’enfin, à l’aide de cette lumière, il résoudra les questions religieuses, sociales et politiques, dont la solution lui est indispensable pour que, dans ces trois cercles de sa vie, il se délivre du faux et des déviations, et par suite des pressions et des souffrances qu’il y trouve jusqu’à présent.
En présentant à vos compatriotes les vérités qui leur sont nécessaires, aidez-les à atteindre leur poste chrétien, ce degré auquel il leur est destiné de s’élever dans l’Église et qui convient à l’esprit italien, au XIXe siècle chrétien ; car ce n’est que sur ceux qui occupent une telle hauteur que peut descendre l’aide du ciel, nécessaire pour vaincre les ennemis du ciel, les ennemis de l’Église et de ses biens chrétiens, célestes.
Jusqu’à présent les desseins de l’homme et son dévouement pour délivrer le monde du faux, de l’esclavage et de la mort, pour défendre la vérité, la justice, la liberté, la patrie, pour donner l’essor à la vie et au progrès chrétien arrêtés, étaient inefficaces ; car les défenseurs de ces biens célestes de l’Église les cherchaient en dehors de l’Église, dans le royaume terrestre, et uniquement pour des buts terrestres. Et à l’avenir aussi, ces desseins et ce dévouement de l’homme, quoique purs et généreux, n’en resteront pas moins stériles tant que les défenseurs des biens de l’Église ne seront pas entrés eux-mêmes dans l’Église et ne s’y seront pas dévoués pour y accomplir le Verbe de Dieu, pour élever par là l’Église que ce Verbe a destinée comme source unique des biens promis par Jésus-Christ. Le Royaume céleste porterait atteinte à sa sainteté s’il appuyait ceux qui, tout en défendant ses biens contre les attaques des royaumes inférieurs, n’en reposent pas moins par leur esprit dans ces royaumes, car ils aiment la terre et ce qui est inférieur à la terre. Dans ces royaumes, où l’esprit de l’homme s’enfouit de plus en plus, peuvent exister les formes et la doctrine chrétiennes, l’apparence du christianisme et de l’Église, mais le christianisme et l’Église véritables, ce soleil du jour de Dieu, soleil de l’amour, du sacrifice, de la vérité et de la liberté, ne descend pas et ne répand pas ses bienfaits dans ces bas-fonds où règne le mal et où il a le droit d’opprimer l’homme par les ténèbres et le faux, par l’esclavage intérieur et extérieur. Celui qui, vivant dans un caveau souterrain, désire éprouver les bienfaits du soleil, au lieu de s’efforcer en vain d’amener le soleil dans sa prison et de s’y faire une demeure claire et gaie, doit renoncer à son caveau, s’élever sur un lieu éclairé par le soleil et s’y établir ; sans cela, quelques grands sacrifices qu’il fasse dans son caveau, il ne verra pas le soleil, il n’en éprouvera pas les bienfaits.
Le temps est venu où il faut absolument que l’homme s’élève et occupe la hauteur qu’éclaire le soleil levant du jour de Dieu ; car les bas-fonds dans lesquels, mort en esprit, il a vécu en esclave durant des siècles, ce royaume terrestre auquel il a donné tout son amour, et qu’il s’est tant efforcé de perfectionner et de garantir contre toute atteinte afin de s’en faire une demeure agréable et sûre, deviendra pour lui et pour les nations appelées le tombeau de leur esprit, tombeau où cessera toute vie, même la vie telle qu’elle y existe aujourd’hui, et qui est déjà la mort : tombeau où les châtiments de Dieu tomberont de plus en plus, afin d’arrêter l’homme dans son amour illégitime de la terre, de mettre fin à son péché mortel de la paresse pour le service de Dieu, et à la conséquence de ce péché, au rejet du Verbe de Dieu, au rejet de l’Église que ce Verbe a destinée, et du progrès qui doit se faire dans cette Église...
Abandonner les chemins tortueux, les royaumes faux, les Églises fausses, entrer dans la voie droite, chrétienne, dans l’Église vraie, et s’y élever à un degré supérieur, tel est en résumé l’appel que Dieu fait à l’homme dans ces temps où commence l’époque chrétienne supérieure. Or, de même que, dès le commencement, Dieu veillait sur l’accomplissement de sa pensée, de son Verbe ; de même que, depuis des siècles, il veille sur l’Œuvre du progrès, du salut du monde, accomplie par son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ ; de même aussi, il veille aujourd’hui à ce que s’accomplisse l’appel qu’il fait à l’homme pour la continuation de cette même Œuvre ; et dirigeant vers ce but tout ce qui se passe dans le monde, il réclame de plus en plus fortement de l’homme que celui-ci accomplisse ce qui lui a été destiné d’accomplir et qu’il a mis en oubli ou a pris comme l’objet d’une jouissance spirituelle, d’une pieuse exaltation, plutôt que du sacrifice et de l’action chrétienne. Tout consiste donc pour l’homme à satisfaire à l’appel que Dieu fait dans ces jours ; et comme il ne peut le faire que dans l’Église, sanctuaire de la force chrétienne, céleste, indispensable pour ce but, il est donc facile de sentir que ce ne sont point les efforts de l’homme en vue de ses buts terrestres, mais que c’est son sacrifice pour entrer dans l’Église et pour donner la vie à l’Église sur la terre, qui peut le délivrer de l’esclavage, des pressions, et amener pour lui le salut, le bonheur destinés. L’Église étant comme le canal céleste ouvert par Jésus-Christ, ce n’est que de l’Église que peuvent découler pour l’homme, qui maintient ce canal dans son âme, les biens chrétiens, célestes : la vérité, la justice, la liberté, la patrie. Ce n’est que dans l’Église que l’homme peut mériter que ce qui, par l’action du mal, s’est élevé contrairement à la loi de Jésus-Christ, dans les nations comme dans les individus, soit abaissé par la puissance de Dieu, et que soit élevé ce qui a été abaissé contrairement à cette même loi ; que l’ordre établi actuellement dans les royaumes inférieurs et faux fasse place à l’ordre de Jésus-Christ, à sa loi, à la vérité et à la liberté ; qu’ainsi l’homme soit délivré du mal, et que, dans la mesure destinée aujourd’hui, le nom du Père éternel soit sanctifié, que son Règne arrive, que sa volonté soit faite.
Les temps sont déjà accomplis pour l’homme. Si l’homme continue à rejeter l’amour, le sacrifice, la croix de Jésus-Christ et par conséquent l’Église, que cette essence chrétienne ouvre pour lui, il aggravera de plus en plus son compte, et des conséquences toujours plus pénibles tomberont sur lui dans cette vie et dans l’éternité ; ses difficultés ne cesseront de s’augmenter, les voies jusqu’à présent claires et sûres s’obscurciront, les intelligences, les combinaisons, les systèmes seront confondus et les moyens terrestres perdront leurs forces. Ce n’était que pour un temps que l’homme réussissait dans les routes fausses, en dehors de l’Église, sans la grâce de Dieu, à l’aide du mal qui l’appuyait : oppressé par des malheurs privés et publics, il se convaincra, à force d’expériences, que le royaume terrestre seul, fût-il amené au sommet de la perfection par la civilisation terrestre et les formes chrétiennes, ne peut lui suffire ; qu’il ne peut se passer du vrai christianisme, de l’Église véritable ; que son salut n’est que là, et que, en dehors de l’Église, une misère et un esclavage de plus en plus grands ne cesseront de le stimuler à entrer dans l’Église...
Parmi les nations appelées à préparer la régénération du monde dans la voie de la liberté, du progrès et de la vie chrétienne, privée et publique, les Italiens, par la volonté de Dieu, occupent aujourd’hui la première place. Ce sont eux qui, les premiers, dans leur liberté politique plus grande, doivent, non seulement devenir dans leurs âmes des fils libres de l’Église, mais encore continuer cette œuvre de liberté intérieure dans leur vie, dans leurs actions chrétiennes publiques, donner ainsi à l’Église la vie qui lui est destinée pour ces temps et par là tracer la direction pour le monde. À cause de cette grande vocation, les Italiens sont aujourd’hui stimulés plus que d’autres nations à connaître ce qu’est l’Église véritable, à y entrer, et, en fils de l’Église, à faire l’Œuvre de Dieu, l’Œuvre de l’Église sur leurs champs privés et publics, à commencer le progrès chrétien plus complet auquel Jésus-Christ appelle aujourd’hui l’homme, et qui doit se faire, non dans l’esprit seul, comme cela a eu lieu jusqu’à présent, mais aussi dans l’homme et dans toute sa vie, afin qu’ainsi le Verbe de Dieu ressuscite et vive par l’homme, comme il a vécu par Jésus-Christ ; que par là l’Église de Jésus-Christ vive sur la terre, s’y élève et y triomphe.
C’est à cause de cette pensée de Dieu qui repose sur les Italiens que cette nation est unie au Siège Apostolique par la communauté de la patrie ; qu’elle est la première à recevoir les bienfaits de la vocation de ce Siège, autant que cette vocation s’accomplit ; qu’elle est aussi la première à souffrir des obstacles, des pressions qui arrivent, quand cette vocation ne s’accomplit pas ; lorsque le Siège apostolique, destiné à être pour le monde la source de l’aide chrétienne, devient pour lui la source des difficultés si graves que Dieu permet comme le plus grand de ses châtiments pour les péchés du monde. Par cette position envers le Saint-Siège, l’Italie est mise à même d’acquérir un mérite plus grand en distinguant ce qui vient de l’Église de ce qui vient des royaumes contraires à l’Église : mais elle est aussi tentée davantage à prendre l’église des formes chrétiennes pour l’Église de Jésus-Christ, à prendre pour sa mère une femme étrangère portant les vêtements de sa mère, à prendre pour Jésus-Christ un esprit inférieur, et même l’esprit du mal qui, au nom et sous des formes de Jésus-Christ, a déjà maintes fois gouverné l’Église et peut continuer à la gouverner ; elle est tentée à pécher par là contre l’amour chrétien, qui distingue le ciel de la terre et de l’enfer ; et, par suite, à commettre le péché d’idolâtrie, en rendant à la terre et à l’enfer l’adoration qui n’est due qu’au ciel. Dans sa position exceptionnelle, cette nation a, bien plus que d’autres, le besoin et le devoir de recourir à l’Église comme à l’unique port au milieu des dangers, et d’y chercher la force et l’aide contre les obstacles plus grands qui lui viennent du lieu même destiné à être le plus saint sur la terre...
C’est aussi à cause de cette pensée de Dieu qui repose sur les Italiens que Napoléon Ier, précurseur de cette époque de la liberté et de la vie de l’esprit, est issu de la terre italienne et a tant fait en Italie ; et quoique, dans sa déviation, il eût agi par la force terrestre et seulement pour des buts terrestres, néanmoins ses actions approchaient la réalisation de la pensée de Dieu : car elles préparaient les Italiens à recouvrer leur liberté d’esprit, liberté indispensable à tout chrétien pour accepter pleinement la croix de Jésus-Christ, pour entrer avec cette croix dans l’Église et y accomplir sa vocation. Et aujourd’hui que l’époque chrétienne supérieure est déjà commencée, le grand esprit de ce précurseur de l’époque, purifié par la pénitence et continuant pour le monde sa mission chrétienne, conduit les Italiens dans la voie de leur destinée chrétienne. C’est lui qui, par la volonté de Dieu, au moyen d’instruments destinés, a commencé dans ces jours l’œuvre de la liberté des Italiens 128. Il a touché l’esprit français et, en un instant, en a changé la direction. Sous ce toucher, les Français, auparavant si loin du mouvement et de la vie, ont saisi en un moment le fil de leur destinée, se sont enflammés pour la guerre et sont devenus pour l’Italie les instruments de l’Œuvre de Dieu. De là sont venus l’enthousiasme et la vie manifestée en France, la rage et l’anxiété dans les nations contraires à la liberté et au progrès du monde ; on eût dit que les temps du premier empire étaient revenus : ces temps de mouvement, de vie et de direction pour le monde. Et aussitôt que ce grand esprit eut cessé de toucher les Français, l’enthousiasme s’éteignit, la vie s’arrêta, et tout retomba dans l’ancien chaos, dans la mort et les ténèbres.....
Réveillez sans cesse et tenez vivant en vous, mes frères, l’amour pour l’Église : car ce n’est que de cet amour que peuvent venir les sacrifices purs que vous êtes appelés à faire sur ce point. Dans ce but, maintenez dans vos âmes les vérités qui vous ont été éclaircies au sujet de l’Église : souvenez-vous que l’Église, c’est le royaume céleste qui, par la force de l’amour et du sacrifice, par la force de la croix de Jésus-Christ, se développe dans les âmes des vrais chrétiens, fils de l’Église, comme le grain de sénevé ; s’y développe de son germe, qui est la très sainte semence de Jésus-Christ, jusqu’à ce que, dans la suite des siècles, ce germe du Royaume céleste devienne le Royaume céleste même, l’Église triomphante, d’abord sur la terre et ensuite dans les cieux : souvenez-vous que c’est de ce Royaume, de cette Église se bâtissant dans l’âme de l’homme, que Jésus-Christ a dit : « Le Royaume de Dieu est au dedans de vous 129.... Cherchez premièrement le Royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît 130 ; que l’Église est donc le foyer où brûle le feu céleste que Jésus-Christ a apporté : « Je suis venu pour jeter le feu sur la terre ; et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ? 131 » ; souvenez-vous que, de l’étincelle jetée par Jésus-Christ dans l’âme de ses fidèles, ce feu de l’amour et du sacrifice doit se développer à mesure du progrès de l’homme, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à sa plénitude, jusqu’à ce qu’il ait élevé l’Église, selon le modèle présenté par Jésus-Christ, au sommet qui lui est assigné : c’est-à-dire, à cette hauteur céleste que le Verbe de Dieu a destiné à l’homme d’atteindre en esprit et de manifester sur la terre dans toutes ses actions, dans toute sa vie privée et publique ; que, par conséquent, l’Église est le sanctuaire de la force et de la vie célestes, de l’amour, du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ, sanctuaire que les vrais chrétiens, fils de l’Église, maintiennent dans leurs âmes 132. C’est le seul port assuré où l’homme, ballotté par les tempêtes que soulèvent le corps, le monde et Satan, peut trouver un abri et la paix de Jésus-Christ ; c’est sur la terre la patrie céleste, qui seule peut donner à l’homme les biens chrétiens qui lui sont destinés et, parmi ces biens, la patrie terrestre véritable, la patrie chrétienne, où règnent la liberté et la vie de l’esprit et de l’homme, la vérité, la justice, la fraternité : et où, par conséquent, il est plus facile d’obtenir le salut éternel, ainsi que le vrai bonheur temporel, destiné dans la miséricorde de Dieu à être un instrument et une aide pour atteindre le salut éternel.....
L’Église est sainte : car elle vient du ciel et, en sanctifiant, conduit au ciel. L’Église est universelle : car ce monde et l’autre monde sont appelés et stimulés à y entrer et à y accomplir le Verbe de Dieu, par là à se sanctifier et à se sauver. L’Église est apostolique : car, puisant à la source ouverte par Jésus-Christ, elle descend des apôtres qui ont puisé les premiers à cette source et l’ont fait connaître à l’homme. L’Église est une : comme est un le Verbe de Dieu, comme est un le but montré à l’homme par ce Verbe ; comme sont une la voie et la force conduisant à ce but, comme est une la grâce de Dieu qui aide à atteindre ce but. Quiconque marche vers un autre but, dans une autre voie, en employant d’autres forces et en puisant à d’autres sources, n’est donc pas dans l’Église, lors même qu’il accomplirait les formes de l’Église et que, par son corps, il serait dans l’Église.
De même que Jésus-Christ a bâti son Église par la force de l’amour, du sacrifice, de la croix, par la force du feu qu’il a apporté du ciel, ce n’est aussi que par cette force et d’après ce modèle que les fils de l’Église peuvent la bâtir : en luttant, en vainquant, en progressant dans la voie chrétienne, et en produisant les fruits de leur progrès dans leur vie chrétienne, privée et publique. C’est pourquoi l’amour, le sacrifice, la croix de Jésus-Christ, cette vie intérieure chrétienne, ce feu de Jésus-Christ conservé au milieu des obstacles, c’est l’unique arme pour combattre : c’est la base, l’essence, la force et la vie de l’Église militante. C’est pourquoi l’Église sans la croix, étant privée de son essence, n’est pas l’Église de Jésus-Christ, lors même qu’elle en porterait dans le monde la forme et le nom. Ne prendre pour l’Église que sa forme et ce qui est su et enseigné sur elle, c’est, on peut le dire, dépouiller l’Église de l’Église elle-même, car c’est la dépouiller de son essence, de sa vie, de sa force et de son but, qui est le progrès, le salut. Séparer l’âme du corps, c’est détruire l’existence de l’homme ; il en est de même de l’Église, de toute notre sainte religion : séparées du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ, elles ne sont qu’un corps sans âme.
Si l’homme maintient dans son âme l’essence de l’Église, dont nous venons de parler ; s’il porte en lui une parcelle du Royaume céleste et fait croître cette parcelle, cette étincelle, cette semence de Jésus-Christ ; s’il bâtit ainsi l’Église dans son âme, il est dans l’Église militante. Si l’homme perd l’essence de l’Église ; si, par son péché, il éteint en lui l’amour, le sacrifice, le sentiment, ce feu, cette vie du ciel ; si, rejetant de son cœur l’Église, ce Royaume céleste, il y laisse entrer un autre royaume inférieur ou faux, il s’exclut de l’Église. Il n’y a donc que le propre péché de l’homme, et non une volonté étrangère, quelle qu’elle soit, qui puisse exclure l’homme de l’Église ; et au nombre des péchés qui excluent de l’Église se trouve celui de la paresse pour le service de Dieu ; car ce péché capital, mortel, c’est le rejet du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ, qui seule maintient l’homme dans l’Église. – Que gagne l’homme à être considéré comme un fils zélé de l’Église si, en réalité, il s’est exclu de l’Église par son péché et si, par suite de cela, il est gouverné par un esprit inférieur ou par l’esprit du mal ? Et réciproquement, que perd-il à être exclu de l’Église par les hommes si en réalité il ne s’en est point exclu par son péché et si, par suite de cela, Jésus-Christ ne cesse point de le gouverner et de le fortifier par sa grâce ?.....
Dans la grande voie de Dieu, qui du point le plus bas conduit au point le plus élevé, se trouvent d’innombrables degrés inférieurs et supérieurs ; ce sont des royaumes, des églises de plus en plus élevées, ce sont des groupes, des agrégations unies par la conformité de leur degré et de l’opération par laquelle elles passent, et qui, par conséquent, sont soumises à la même loi, aux mêmes forces, aux mêmes influences. Dans ces innombrables royaumes, toute créature est appelée à progresser, à s’élever de plus en plus pendant des siècles, selon la pensée du Créateur, et à arriver enfin au dernier but que le Créateur a destiné à toute créature. L’Église de Jésus-Christ appartient aux Royaumes, aux Églises qui sont aux cieux, et qui s’élèvent de plus en plus jusqu’à leur sommet, à cette Église suprême, dont il est dit dans l’Apocalypse de St Jean : « Ce sont ceux qui sont venus après avoir passé par la grande tribulation, et qui ont lavé et blanchi leur robe dans le sang de l’Agneau...... Ils n’auront plus ni faim ni soif....., parce que l’Agneau sera leur pasteur, et il les conduira aux sources d’eaux vivantes, et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux 133. » – Mais dans les routes fausses qui s’éloignent de la grande voie de Dieu, se trouvent aussi d’innombrables royaumes, d’innombrables églises fausses, qui pendant des siècles s’élèvent dans leurs propres formes et même sous les formes de l’Église de Jésus-Christ. Ces royaumes faux, fruits du péché contraire à la pensée de Dieu, ne s’élèvent que pour tomber et disparaître ; afin que ceux qui les élèvent trouvent leur punition dans la chute de ces royaumes, et que tous y trouvent cet enseignement et cet avertissement : que tout ce qui est fait en dehors de la pensée et de la volonté de Dieu, mais seulement par la permission de Dieu, d’après la volonté et par la force du mal, doit tomber et disparaître : « Toute plante que mon Père n’a point plantée sera arrachée 134 », a dit Jésus-Christ. – L’homme suit la voie que Dieu lui destine, ou bien les déviations où il le laisse errer ; il est dans l’Église de Jésus-Christ, ou dans les royaumes inférieurs et faux, selon que son trésor, et son cœur qui suit son trésor, se trouvent dans l’un des trois royaumes principaux : le ciel, la terre ou l’enfer ; selon qu’il donne son amour, son adoration et son sacrifice à Dieu, à la vérité ; à la terre, à Mammon ; ou, enfin, au mal, au faux...
L’Église de Jésus-Christ et, par conséquent, le Siège apostolique avec tous les ministres de l’Église, étant aujourd’hui pour les Italiens l’objet d’un devoir particulier et peu connu jusqu’à présent, je vous rappelle, mes frères, ce dont nous avons souvent parlé à ce sujet. La sainte mission du Siège apostolique consiste en ce qu’il soit, jusqu’à la fin des siècles, le flambeau céleste pour le monde ; que, brillant à la hauteur céleste qui lui est destinée, il répande sur le monde les rayons de la lumière et du feu de Jésus-Christ, et par ces rayons fasse connaître l’Église qu’il est appelé à présenter au monde ; que, de cette hauteur, il progresse, s’élève durant des siècles, à des degrés de l’Église, à des époques chrétiennes de plus en plus élevées, accomplissant ainsi ces paroles si importantes : Sursum corda ! « Élevons nos âmes ! », paroles par lesquelles le ministre de l’Église, dans le saint sacrifice de la messe, appelle le monde depuis des siècles à la hauteur que le Verbe incarné, Notre Seigneur Jésus-Christ, ayant vaincu le corps, le monde et Satan, a montrée au monde comme le sommet de son Église, comme la consommation du Verbe de Dieu. Bâtissant ainsi l’Église plus promptement et l’élevant plus haut que cela ne se fait dans le reste du monde, le Siège apostolique donnera au monde le modèle de l’édification de l’Église, il précédera le monde dans son progrès chrétien, comme le pasteur précède ses brebis ; et, dans l’accomplissement des temps, il amènera le monde au but de son pèlerinage : but où le troupeau de Jésus-Christ, son Église militante sur la terre, en suivant son Pasteur céleste, obtiendra dans l’Église triomphante la vie éternelle, comme récompense du progrès qu’il aura fait durant les siècles, en vainquant ses obstacles et en élevant à la hauteur destinée son esprit, son corps, son être tout entier.....
D’après cette mission du Siège apostolique, il est facile de sentir que la sainteté et la hauteur céleste destinées à ce Siège – c’est-à-dire cette Église qui doit s’y bâtir plus promptement et s’y élever plus haut que dans le reste du monde – ne peuvent être maintenues sur la terre que par la force céleste d’un amour et d’un sacrifice plus grands, d’une plus grande croix ; que cette parcelle du Royaume céleste qui doit y vivre plus pleinement – pour nous servir des paroles de Jésus-Christ – « souffre la violence » et qu’il n’y a que les violents qui peuvent l’emporter par leur violence plus grande ; qu’enfin l’Église, qui milite sur la terre avec l’arme donnée par Jésus-Christ, doit être plus militante sur le Siège apostolique que dans le reste du monde, et ne peut s’y maintenir que par un combat plus grand ; sans cela, cette Église abandonne le Siège apostolique, ce lieu qui lui est destiné sur la terre, et retourne à l’Église triomphante ; cette parcelle du Royaume céleste, n’étant pas maintenue sur la terre selon sa loi, remonte à son tout, à sa source, en laissant la terre privée du secours céleste qui lui est destiné...
Lorsque le Siège apostolique ne remplit pas les conditions de sa sainte vocation, et qu’à cause de cela l’Église destinée à y briller pour le monde se retire de la terre ; lorsque, sur ce saint lieu, gouverne non Jésus-Christ, mais un esprit contraire à Jésus-Christ, l’homme, dans son malheur, ne trouvant pas ici-bas le Siège apostolique, n’y trouvant pas le vicaire de Jésus-Christ, doit s’adresser à Jésus-Christ lui-même ; ne se satisfaisant pas des formes, des apparences de l’Église, il doit soupirer après l’Église et la chercher où elle est, s’y rapporter et y reposer par son esprit, y chercher l’appui, y puiser les aides que Jésus-Christ a destinées au monde, mais qui lui ont été retirées à cause de ses péchés. C’est ainsi que des enfants bons, après que leur mère a quitté ce monde, dans leur deuil et leur douleur, cherchent leur mère où elle est : c’est là qu’ils se tournent et reposent par leur esprit ; ils ne prennent pour leur mère aucune femme étrangère lors même qu’elle ressemblerait à leur mère, qu’elle en aurait l’apparence et les vêtements, et qu’elle en répéterait les paroles : par là ces enfants prouvent de quel amour vrai et grand ils aimaient leur mère. C’est ainsi que plus d’un enfant, qui en réalité n’ont pas de mère, car celle qu’ils ont est une mauvaise mère, ne trouvant pas en elle l’aide et la consolation, orphelins qu’ils sont, s’adressent à Dieu dans leurs soupirs et leurs prières, et cherchent auprès de Dieu ce qu’ils ne peuvent trouver en ce monde.
Mais ce n’est pas seulement au ciel, c’est aussi sur la terre que l’homme doit chercher l’Église ; il doit la chercher partout où elle est, dans quelque âme, sous quelque forme et sous quelque nom qu’elle vive et se manifeste. Même dans le temps des plus grandes ténèbres et de la plus grande misère du monde, lorsque le mal envahissait les lieux les plus saints, l’Église avait encore des fils et des serviteurs fidèles qui, en secret, soignaient dans leurs âmes ce trésor céleste, quoiqu’ils n’osassent pas le manifester sur la terre. L’Église de Jésus-Christ, soit triomphante au ciel, soit militante sur le Siège apostolique, dans les ministres de l’Église, ou dans l’âme de qui que soit, est toujours sainte, céleste ; car c’est le sanctuaire où le Saint-Esprit, la grâce de Dieu habite et d’où elle produit ses fruits célestes. C’est pourquoi, quelque part qu’elle se trouve, l’Église doit être l’objet de l’amour, de la vénération et de la soumission du chrétien, fils de l’Église : et ces sentiments envers l’Église, c’est l’amour, l’adoration et l’obéissance à Dieu, un dans la très sainte Trinité, à sa volonté, à son Verbe ; c’est la liberté et la vie chrétienne, céleste de l’homme. L’amour qui ne se satisfait pas des formes de l’Église, mais qui partout cherche, reconnaît et vénère l’Église, est le fruit essentiel de l’amour de Dieu ; c’est, on peut le dire, le résumé de toutes les vertus et de tous les devoirs chrétiens. L’homme privé de l’aide qui lui est destinée de la part des ministres de l’Église, en accomplissant ce devoir par la force de son amour plus grand, de sa croix plus grande, satisfait à Dieu pour son passé, dans lequel il manquait d’amour, rejetait la croix, désobéissait à l’Église et s’en excluait : par là il peut mériter que la punition de Dieu se change en miséricorde, que le saint ministère et, avec lui, l’aide destinée à l’homme reviennent sur la terre.....
Lorsque, par la grâce de Jésus-Christ, un vrai chrétien rencontre un de ses semblables qui, par ses paroles et ses actions, manifeste l’Église vivante dans son âme, dans ce cas, il éveille en lui l’amour, la vénération et la soumission pour l’Église et pour ce qu’il reçoit de l’Église par le prochain : il s’y unit et y puise l’aide céleste. Obéissant au sentiment naturel de son âme, il ne passe pas à côté d’un vrai chrétien en qui il sent l’Église maintenue par la croix, sans éveiller dans son esprit les sentiments dont nous venons de parler, sans s’humilier devant cette parcelle du ciel vivant sur la terre. Il fait dans le Royaume de Jésus-Christ ce que, dans les royaumes terrestres, font les sujets de ces royaumes, qui y honorent chaque valeur, chaque mérite, qui honorent non seulement l’autorité souveraine, mais aussi tous ceux qui portent les signes de sa faveur. Le vrai chrétien s’empresse d’accepter toute aide qui lui vient de l’Église, quel que soit l’instrument par lequel il plaise à Jésus-Christ de la lui envoyer. Par là il témoigne sa fidélité à Jésus-Christ et à l’Église : en rendant hommage aux parcelles de l’Église et en s’y soumettant, il rend hommage et se soumet à l’Église même et à Celui qui en est le Chef. S’il ne le faisait pas à l’égard des parcelles de l’Église qu’il peut voir et connaître par leurs fruits, comment pourrait-il le faire à l’égard du tout qu’il ne voit pas, à l’égard de Jésus-Christ et de son Église ? Le vrai chrétien, en vénérant l’Église dans ses parcelles, adore Dieu dans la sainte Trinité : car l’Église, c’est le Verbe de Dieu s’accomplissant, et le Verbe est une parcelle de Dieu ; il est dit : « Et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 135. » Le chrétien, en vénérant l’Église dans ses parcelles, vénère les attributs de Dieu qui se manifestent dans l’Église ; il vénère l’image et la ressemblance de Dieu que l’homme recouvre en bâtissant en lui l’Église et qui, en dehors de l’Église, s’effacent et se perdent. C’est par l’Église qu’Il a bâtie en lui que Jésus-Christ a fait connaître Dieu à l’homme : « Celui qui me voit, voit aussi le Père..... Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Ce que je vous dis, je ne le dis pas de moi-même ; mais le Père qui demeure en moi fait lui-même ces œuvres 136. »
Cet amour, cette vénération et cette soumission à l’égard des parcelles de l’Église unissent le vrai chrétien à l’Église, l’y maintiennent, et lui ouvrent une source abondante d’aides et de consolations. Lorsque, au milieu des adversités de la vie, l’étincelle du feu de Jésus-Christ s’éteint dans le chrétien, lorsque son amour, son sacrifice, cette force qui le maintient dans l’Église faiblit, si, dans ce malheur et dans ce danger d’abandonner l’Église, il rencontre un frère qui maintient l’Église dans son âme, il se sent stimulé par la croix que porte ce frère à reprendre lui-même la croix qu’il a abandonnée : à la chaleur de l’étincelle vivante de ce frère, il ranime sa propre étincelle qui se meurt : il écarte la mort, la sécheresse de son âme, il revient à l’Église et là, en union avec son frère instrument de la miséricorde de Jésus-Christ, il rend hommage à Jésus-Christ et continue à suivre la voie de sa vie !.....
Tout ce que le vrai chrétien éprouve de joie et de bonheur véritable dans sa vie lui vient de l’Église de Jésus-Christ, soit directement par la grâce, soit par l’intermédiaire des hommes qui portent l’Église dans leurs âmes ou qui, dans ce moment, en sont les organes. L’union avec ces frères en Jésus-Christ est donc, après la communion avec le ciel, après la grâce de Dieu, le plus grand bien du chrétien ; c’est pour lui ici-bas la patrie céleste, où il trouve les biens célestes qui lui viennent de Jésus-Christ par l’Église qui vit dans l’âme du prochain. Dans une telle union, les étincelles du feu de Jésus-Christ, attisées dans les âmes de plusieurs, s’unissent entre elles et deviennent la vie chrétienne, céleste, qui – vainquant la froideur, la mort et les ténèbres du monde – triomphe des obstacles qui s’opposent à ceux qui sont unis en Jésus-Christ. Dans ces moments heureux, cette vie et ce feu deviennent pour eux le Royaume céleste dont nous implorons la venue dans notre prière quotidienne, et tout cela stimule encore plus le chrétien à vénérer l’Église et à lui être fidèle, à la chercher partout, quels que soient le vêtement, la forme et le nom sous lesquels se trouve ce trésor céleste.....
Si l’homme maintient fidèlement dans son âme l’amour, le sacrifice, la croix de Jésus-Christ, Jésus-Christ lui fait reconnaître son Église partout où elle se trouve, et l’aide par sa grâce à remplir ses devoirs envers cette Église. C’est un grand devoir pour le chrétien de discerner, par la force de l’amour et de la croix, si c’est l’Église vraie qui vit dans l’âme du prochain, ou si ce sont des églises fausses ; de distinguer la vérité divine d’avec le faux, le mal ; de reconnaître si ce que le prochain présente vient du ciel, du Royaume de Jésus-Christ, de l’inspiration de la grâce de Dieu, ou bien de la terre, ou de l’enfer, du souffle de l’esprit du mal. C’est aussi un grave devoir, après l’avoir reconnu, d’agir en conséquence : d’en sentir le prix et de l’accepter pour l’accomplir, ou bien de le condamner et de le rejeter sans égard à la personne qui le présente. – On apprécie beaucoup un coffre qui contient de l’or, mais il perd cette valeur quand il est vide.....
Dès que l’homme, cessant de veiller et de travailler intérieurement, rejette la croix qui lui est destinée, par ce péché de la paresse pour le service de Dieu, il s’exclut de l’Église, c’est-à-dire, il tombe de la hauteur chrétienne où se trouve l’Église, de même que l’oiseau qui cesse d’agiter ses ailes tombe de la hauteur où il était dans les airs. Si l’homme ne recourt pas alors à l’Église avec une violence chrétienne, il entre forcément par son esprit dans le royaume terrestre ou dans un royaume inférieur à celui de la terre ; car son esprit, ne pouvant vivre en suspens, a besoin d’un point de repos : et le choix de ce point constitue son mérite ou sa faute, et, par suite, décide de sa direction ultérieure. C’est ainsi qu’au lieu de la communion avec Jésus-Christ et avec l’Église, arrive pour l’homme déchu l’union avec le prince de ce monde, ou avec le prince des ténèbres : et celui qui, avant sa chute, lorsqu’il était dans l’Église, était un instrument de la grâce de Dieu, devient après sa chute un instrument de tentation, un instrument de la permission et des châtiments de Dieu. Mais quand celui qui est tombé dans un royaume faux est revêtu du caractère sacerdotal, les conséquences de sa chute sont encore plus funestes ; car alors tout fidèle qui ne distinguerait pas l’Église d’avec les royaumes qui lui sont contraires deviendrait esclave du royaume faux auquel s’est abaissé le ministre de l’Église : et cet esclavage, avec ses conséquences, serait pour lui la punition de ce qu’ayant rejeté l’amour et la croix, il n’a pas reconnu et écouté la voix de l’Église qui lui parlait dans sa conscience, mais que, cédant à des égards terrestres, au prestige, à l’autorité de l’homme, il a obéi à l’église fausse, il s’est appuyé, non sur l’Église, mais sur l’homme qu’il avait pris pour l’Église ; qu’enfin, n’accomplissant pas les paroles de Jésus-Christ : « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation 137 », il n’a pas gardé son âme de tout mal, de tout faux, sous quelque forme qu’il se présente.
L’amour et la croix de Jésus-Christ fidèlement portée reconnaissent ce qui est le fruit de l’amour et de la croix, et le distinguent de ce qui ne l’est pas : ils distinguent facilement la vie d’esprit, chrétienne, céleste, d’avec les apparences de cette vie ; car la vie chrétienne de l’homme forme une union, une harmonie chrétienne avec cette même vie qui est dans le prochain, tandis qu’elle produit une discordance et amène une séparation d’avec toute vie contraire, sous quelque forme qu’elle se manifeste. L’amour et la croix discernent l’Église vraie des églises fausses, l’Église de Jésus-Christ de l’église des formes de Jésus-Christ, de même que chacun discerne un homme vivant d’un cadavre, qui n’est point un homme, quoiqu’il en garde la forme. Bien que cette distinction soit un fait spirituel, inaccessible aux sens, cependant, pour quiconque a l’amour et porte la croix, elle présente une certitude pareille à celle qu’offre aux sens toute réalité terrestre. Jésus-Christ a dit : « Ce n’est pas la chair ni le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux 138. » – La lumière céleste de la grâce de Dieu fait voir les choses intérieures, cachées aux yeux de l’homme, tout aussi clairement que la lumière terrestre fait voir les objets terrestres : et l’on peut tout aussi bien voir si quelqu’un est dans l’Église ou hors de l’Église qu’on peut voir si quelqu’un est dans la chambre ou en est dehors ; on peut tout aussi bien distinguer des frères, concitoyens du Royaume de Jésus-Christ, d’avec les habitants des royaumes étrangers, qu’on peut distinguer les citoyens d’une même nation de ceux des autres nations.....
L’union en Jésus-Christ des fidèles avec les ministres de l’Église et, dans cette union, l’obéissance à ces ministres, qui est l’obéissance à Jésus-Christ et à son Église, est pour l’homme l’aide la plus grande dans la voie de son progrès, de son salut : c’est, on peut le dire, une de ces fleurs odorantes qui remplissent de joie le Royaume, l’Église de Jésus-Christ sur la terre. Au contraire, si le fidèle se trouve dans le devoir de se séparer des ministres de l’Église et de leur désobéir, cette situation est pour lui un des plus grands obstacles dans la voie de son progrès et de son salut......
Tout obstacle que l’homme rencontre dans l’accomplissement de ses devoirs chrétiens vient de la permission de Dieu, comme conséquence des comptes de l’homme. L’homme ne remplissant pas ses devoirs chrétiens dans une position facile, Dieu permet qu’il rencontre un obstacle qui lui en rend l’accomplissement plus difficile : afin que, par une force chrétienne plus grande, il surmonte l’obstacle et remplisse ses devoirs chrétiens comme un fils libre de l’Église, que par là il acquitte ses comptes passés, et satisfasse à Dieu....
D’après les comptes de l’homme, Dieu le délivre du mal et l’assiste par sa grâce, cette force céleste, ou bien permet qu’il rencontre des obstacles et soit tenté par les forces de la terre et de l’enfer. Ces trois forces – du ciel, de la terre et de l’enfer – agissent sur l’homme, soit directement sur son esprit, soit par l’intermédiaire du prochain qui, selon la force à laquelle il obéit, devient un instrument de la grâce ou de la punition de Dieu. Or, parmi ces instruments, au premier rang sont les magistrats de l’homme : magistrats, soit par la grâce, soit par la permission de Dieu, selon qu’ils donnent à leurs subordonnés le bien chrétien, céleste, ou la terre pure ou impure, ou enfin la tentation du mal, l’enfer même.
L’obstacle dans l’accomplissement du devoir chrétien étant permis afin que l’homme le surmonte et qu’ensuite il remplisse son devoir, aucun obstacle ne justifie devant Dieu l’homme qui n’accomplit pas ses devoirs. Nul ne répond devant Dieu pour un autre : ceux qui, en présentant l’obstacle, ont induit le prochain en tentation, répondront seulement pour eux-mêmes de ce que, s’étant abaissés, ils sont devenus des instruments du mal ; mais le prochain induit en tentation répondra lui-même de ce que, ne s’étant pas élevé, il a succombé devant l’obstacle qu’il aurait dû surmonter. Les magistrats qui ont présenté à Israël le plus grand obstacle en le dirigeant dans son péché du rejet de la volonté, du Verbe de Dieu, n’ont pas préservé Israël de la punition de Dieu, et jusqu’à ce jour Israël expie le péché qu’il a commis dans son obéissance à ses magistrats, sous leur direction et en union avec eux....
Puisque c’est à cause du non-accomplissement des devoirs chrétiens que Dieu permet l’obstacle venant des ministres de l’Église, ce n’est donc qu’en remplissant ces devoirs, qu’en remplaçant sa paresse pour le service de Dieu par le zèle dans ce service, que l’homme peut surmonter cet obstacle ; par conséquent, il ne le peut qu’en redoublant d’amour, de sacrifice, en portant davantage la croix de Jésus-Christ. Ce n’est que dans ces conditions que le subordonné peut, en présence d’un pareil obstacle, élever l’étendard de Jésus-Christ, l’étendard de la vérité et de la liberté ; c’est pourquoi lutter ainsi contre cet obstacle, le plus grand de tous, et s’en délivrer, donne à l’homme un grand mérite et a un grand poids dans ses comptes devant Dieu. Toute arme autre que cette arme chrétienne est impuissante dans la lutte avec les ministres de l’Église. Car il s’agit ici de remporter une victoire sur l’esprit même : ici, d’après les paroles de saint Paul, « nous avons à combattre, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde, de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans l’air 139...... ».
Jésus-Christ, pour en donner le modèle à l’homme, a pleinement vaincu cet obstacle : éprouvant de la part des ministres de l’Église de son temps les plus grands empêchements à accomplir la volonté du Père céleste, Il l’a néanmoins accomplie. Il a consommé l’Œuvre du salut du monde. Depuis Jésus-Christ cet obstacle n’a été surmonté que bien rarement et à un bien faible degré ; bien plus, fléchir devant cet obstacle en aliénant sa liberté chrétienne, en étouffant sa conscience, en rejetant le joug de Jésus-Christ pour se soumettre à celui de l’homme, a été glorifié comme la vertu de la soumission à l’Église. La désobéissance aux ministres de l’Église, amenée par l’obéissance à Dieu, a été peu connue et encore moins pratiquée dans le monde ; car, en présence de cet obstacle qui met à une grande épreuve la fidélité de l’homme à Jésus-Christ et à son Église, il faut une élévation et une force chrétiennes plus grandes pour renoncer à l’appui du ministre et prendre son appui en Jésus-Christ et dans son Église, pour vaincre l’obstacle par la force de la croix, et soutenir, avec la bénédiction de Dieu, sa liberté chrétienne. – La désobéissance chrétienne, fruit de la victoire remportée sur l’obstacle, diffère grandement autant de la résistance absolue, païenne, opposée aux ministres de l’Église, que de la soumission et de l’obéissance aveugles, serviles envers ces ministres, jointes à l’insoumission et à la désobéissance envers Jésus-Christ et son Église ; et ces trois manières d’agir amènent des résultats tout différents dans les comptes de l’homme devant Dieu et dans ses directions ultérieures. Le monde est aujourd’hui rempli des actes de la désobéissance païenne : l’homme se plaint généralement de ses magistrats, il se soulève contre eux, et cependant il ne surmonte point cet obstacle et ne cesse de souffrir sous l’esclavage et l’oppression qui viennent de cette source.....
Lorsqu’un ministre de l’Église qui lui-même est réellement dans l’Église dirige dans l’esprit de Jésus-Christ la conscience des fidèles et leur présente la vérité, le chrétien s’humilie devant l’Église se manifestant par ce ministre qui est pour lui un magistrat par la grâce de Dieu : il dépose son amour, sa vénération et sa soumission à l’Église dans la personne du ministre ; il accepte dans son âme les paroles du magistrat, il s’y unit, et dans cette union il obéit avec joie au magistrat : par là, selon les paroles de Jésus-Christ, « il rend à Dieu ce qui est à Dieu », et il n’a pas besoin de rendre à César ce qui est à César ; car, en ce cas, le magistrat ne s’est point séparé de Dieu ; en ce cas, ce qui est à Dieu et ce qui est à César sont sur la même ligne de Dieu.
Au contraire, lorsqu’un ministre de l’Église n’étant pas réellement dans l’Église gouverne la conscience des fidèles dans un esprit contraire à Jésus-Christ, et leur présente le faux, le mal, – le chrétien, rapportant tout à Dieu, s’humilie devant cette punition : il ne cesse de vénérer la pensée de Dieu qui repose sur le magistrat, il ne cesse pas non plus d’aimer le prochain par lequel la punition de Dieu tombe sur lui ; mais, en chrétien libre, il n’aime pas et ne vénère pas le faux, le mal qui se manifeste par le magistrat, il s’en sépare ; et par conséquent il ne soumet pas et ne livre pas son âme au magistrat, mais, à l’exemple de Jésus-Christ, il soumet et livre seulement son corps dans la mesure de la permission de Dieu. Le prestige, l’autorité du magistrat, aucun égard terrestre ne pouvant lui faire renier Jésus-Christ et son Église, il garde et défend son âme, ainsi que l’Église qu’il y maintient avec l’aide de la grâce de Dieu. Par une telle désobéissance, le chrétien rend à Dieu ce qui est à Dieu, il soumet et livre à Dieu son esprit ; et quant au magistrat, il lui rend ce qui est de la terre, ce qui est à César, car en ce cas, le magistrat s’est séparé de Dieu, en ce cas, ce qui est à Dieu et ce qui est à César sont sur deux lignes opposées.....
Tout ce qui entoure l’homme et influe sur lui se trouve sur la ligne de Dieu ou sur celle de César, qui est une ligne terrestre et souvent même inférieure à la terre : et l’homme est appelé à ce que, en vivant au milieu d’influences et de forces contraires à sa tendance chrétienne, il maintienne inébranlablement sa tendance et avance dans la voie chrétienne. C’est pourquoi il doit – ne pas soumettre son esprit à ces forces, mais les combattre et les vaincre pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu ; et ce n’est que dans la mesure nécessaire, c’est-à-dire autant et ainsi qu’il est destiné, qu’il doit céder à ces forces, par là rendre à César ce qui est à César. En effet, si l’homme ne se soumettait pas, dans la mesure nécessaire et destinée, aux forces et aux lois de la terre, si, par exemple, il ne satisfaisait pas aux besoins inhérents à la vie matérielle, individuelle et sociale, il lui serait impossible de conserver son existence sur la terre......
Si l’homme, placé par la permission de Dieu sous un mauvais magistrat, rejette, dans cette position difficile, la croix de Jésus-Christ et ne garde pas son âme, il peut perdre sa liberté chrétienne et commettre le grave péché de prendre pour le bien le mal qui lui vient par ce magistrat, d’aimer ce mal, de s’y soumettre, de pratiquer avec amour et avec joie le faux qui lui est présenté, et, en tout cela, de rendre à César ce qui n’est pas à César, ce qui n’est dû qu’à Dieu. Cette obéissance non chrétienne étant généralement considérée comme l’obéissance à l’Église, le pécheur, par cette fausse idée, étouffe sa conscience qui le stimule à obéir à l’Église dans sa liberté chrétienne, et il jouit d’une fausse paix au milieu de l’esclavage et de la mort d’esprit qu’il a volontairement acceptés en reniant Jésus-Christ et son Église, en reniant la vérité, la liberté et le caractère chrétien.
Accomplir les paroles de Jésus-Christ : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », concilier ces deux extrêmes souvent si opposés, c’est un devoir difficile et peu pratiqué dans le monde qui, jusqu’à présent, pèche généralement, soit par une résistance païenne, soit par une soumission d’esclave. La croix, le sacrifice chrétien est l’unique force qui, en conciliant ces deux extrêmes, remplit ce devoir selon la loi de Jésus-Christ ; et l’homme acquiert un grand mérite et contribue grandement au triomphe de Jésus-Christ quand il accomplit sa loi dans cette position la plus difficile...
La foi et l’amour disent à la conscience du chrétien que la désobéissance aux ministres de l’Église est jugée devant le tribunal de Dieu comme une action très méritoire quand elle résulte de l’obéissance à Jésus-Christ et à son Église : c’est-à-dire, si elle a lieu pour des motifs chrétiens, dans des conditions chrétiennes et par la force chrétienne ; si, dans sa désobéissance, le chrétien recourt à la vérité pour se défendre du faux qui lui est présenté ; s’il se détourne de la voie fausse où on veut l’entraîner, afin de suivre d’autant plus fidèlement la voie chrétienne ; et enfin si, par sa désobéissance, il ne se délivre de l’esclavage, du joug, des croix qui lui sont imposés que pour se soumettre d’autant plus à Jésus-Christ et à son Église, pour prendre, dans une mesure plus grande, le joug et la croix de Jésus-Christ. Devant le tribunal de Dieu, l’homme voit en esprit et en vérité les très saintes paroles de Jésus-Christ sur l’Église et sur l’obéissance due à l’Église, et il est jugé d’après ces paroles ; car là, devant la plénitude de la lumière céleste, disparaîtront comme les brouillards devant le soleil, toutes les faussetés par lesquelles l’homme, aveuglé par le mal, justifie son esclavage et condamne la liberté chrétienne.....
En opposant la désobéissance chrétienne au faux présenté par les ministres de l’Église, le chrétien ne manque pas à la vénération, au respect et à l’obéissance dus à ces ministres. La foi et l’amour disent à la conscience du chrétien que la vénération et l’obéissance envers les ministres de l’Église ne peuvent point être séparées de la vénération et de l’obéissance dues à Jésus-Christ et à son Église ; que le magistrat de l’Église n’est véritablement vénéré par son subordonné qu’autant que celui-ci agit à son égard avec le caractère chrétien dont Jésus-Christ a donné le modèle suprême, c’est-à-dire, autant qu’il agit avec l’amour, le sacrifice, l’humilité et la soumission à Jésus-Christ, et en même temps, selon la vérité et dans la liberté, avec l’âme pure et ouverte ; en un mot, autant qu’il se présente devant son magistrat en soldat de l’Église militante, avec son arme chrétienne, la croix de Jésus-Christ dans le cœur. On ne peut vénérer le ministre de l’Église en reniant Jésus-Christ et son Église, en reniant la vérité et le caractère chrétien ; on ne peut vénérer la pensée de Dieu et la haute dignité du caractère sacerdotal en flattant les désirs, les idées et les convenances personnelles du ministre, que celui-ci condamnera et rejettera lui-même, soit de son vivant, dans un heureux moment de son retour à l’Église, soit après sa mort, lorsque la vérité nue se présentera à lui devant le jugement de Dieu. Dans les royaumes terrestres, les magistrats, sujets fidèles de ces royaumes, rapportent tout à l’autorité souveraine et exigent de leurs subordonnés la fidélité et l’accomplissement des devoirs envers cette autorité ; c’est en cela que ces magistrats trouvent la vénération et la fidélité qui leur sont dues à eux-mêmes ; quiconque remplit son devoir, quiconque est tel qu’il doit être, par là même honore son magistrat. Cette véritable vénération envers les magistrats, pratiquée dans les royaumes terrestres, doit, à plus forte raison, être pratiquée dans le Royaume de Jésus-Christ : et un véritable fils de l’Église, sujet fidèle du Royaume de Jésus-Christ, doit honorer ses magistrats par l’accomplissement de ses devoirs chrétiens, en pratiquant dans le Royaume supérieur, pour un but supérieur et avec la force supérieure, ce qui est pratiqué dans les royaumes inférieurs pour des buts et avec des forces qui leur sont propres. Et de même que les royaumes terrestres sont si puissants par la pratique de leurs lois et de leurs vertus, de même aussi le Royaume, l’Église de Jésus-Christ arrivera à la puissance et à la vie qui lui sont destinées, dès que ses lois et ses vertus commenceront à être pratiquées.....
Tout homme non seulement a le droit, mais c’est pour lui le devoir le plus sacré de maintenir sa liberté chrétienne, la liberté d’accomplir la volonté, le Verbe de Dieu, d’accomplir la loi de Jésus-Christ et de son Église ; par conséquent, il a le droit et le devoir, afin de défendre sa liberté, de combattre avec les armes chrétiennes quiconque attenterait à cet attribut le plus précieux de l’homme et arrêterait ainsi son progrès, son salut. Le Verbe de Dieu est descendu du ciel sur la terre pour tous, afin que tous l’accomplissent : et, devant Dieu, chacun rend et rendra compte pour lui-même de cet accomplissement. C’est pourquoi, dans toute l’immensité de Dieu, il n’est personne, de quelque autorité qu’il soit revêtu, qui ait le droit de priver qui que ce soit de la liberté d’accomplir ce que Dieu, Magistrat des magistrats, lui a destiné d’accomplir. Mais le mal, par la permission de Dieu, s’efforce de priver l’homme de sa liberté, afin de pouvoir le tenir sous son joug pour n’avoir pas accompli la volonté de Dieu ; dans ce but, il se sert des ministres même de l’Église qui, ne se maintenant pas dans l’Église, s’abaissent par leur esprit à un royaume inférieur, et qui souvent, tout en stimulant par leurs paroles à accomplir la loi de Jésus-Christ et de son Église, attirent puissamment par leur esprit vers les royaumes contraires qu’ils habitent. De tels magistrats répondront devant Dieu pour avoir arrêté le progrès, le salut de leurs subordonnés ; mais les subordonnés aussi seront responsables de s’être laissés arrêter, ils seront responsables de ce que, cédant à une tentation présentée sous une forme sainte, ils n’ont pas défendu leur liberté d’accomplir la volonté de Dieu, le Verbe de Dieu, mais ont fléchi devant l’obstacle présenté par de tels magistrats. Cette responsabilité sera encore plus grande pour ceux des subordonnés qui, aimant cet obstacle, s’y seront unis dans leurs âmes et auront couvert leur péché devant leur propre conscience du manteau de l’obéissance commandée par Jésus-Christ envers l’Église.....
Obéir aux ministres de l’Église sans se rapporter à Jésus-Christ, sans reposer en Lui et s’appuyer sur Lui, sans le souci et le sacrifice nécessaires pour connaître et accomplir ce que Jésus-Christ a présenté, cette obéissance aveugle devient un péché encore plus grave lorsque la grâce de Dieu avertit que ce que le ministre de l’Église recommande, dans la forme et au nom de l’Église, vient, non de l’Église, mais d’un royaume contraire. Après un tel avertissement, l’obéissance aveugle, absolue, devient un péché de désobéissance envers Jésus-Christ et son Église, un péché contre le Saint-Esprit qui avertit : elle exclut l’homme de l’Église, comme l’en exclut tout péché d’esprit, péché capital, mortel. Le mal étouffe dans l’homme la crainte du péché, qui seul exclut réellement de l’Église, et lui inspire la crainte des hommes et de cette exclusion apparente qui peut l’atteindre par la volonté des hommes, contrairement à la volonté de Jésus-Christ ; mais le chrétien qui porte dans son âme l’amour de Jésus-Christ et de l’Église et qui s’y appuie, ne craint que le péché, et, hors du péché, il ne craint rien au monde ; car toute autre crainte le rendrait esclave ; et, comme tel, il cesserait d’être chrétien, soumis uniquement à Jésus-Christ et à l’Église.......
Pour celui qui, reniant la vérité que la grâce de Dieu lui a fait voir et sentir, obéit à la volonté des magistrats contraires à cette vérité, arrivera tôt ou tard le moment où ces mêmes magistrats sentiront toute la laideur de son péché et lui reprocheront d’avoir renié Jésus-Christ et son Église, de ne pas avoir agi envers ses magistrats comme il le devait, avec la croix dans le cœur, avec amour, vérité et sincérité, d’avoir mis la volonté, le jugement et le joug de l’homme au-dessus de la volonté, du jugement et du joug de Jésus-Christ ; ils lui reprocheront qu’ayant eu égard seulement aux hommes, il a tenu compte plutôt des dommages et des inconvénients temporels qu’aurait pu lui attirer sa désobéissance chrétienne, que du dommage éternel de la perte de son âme et de celle du prochain, et enfin qu’il a volontairement livré son esprit au joug et à l’esclavage ; car il n’y a que le corps qui puisse être subjugué par la force terrestre, tandis que la liberté de l’esprit, fruit de l’amour de Jésus-Christ et de l’Église, ne peut être perdue que par le péché. Tel est le reproche que, devant le tribunal de Dieu, les magistrats font à ceux de leurs subordonnés qui, reniant la vérité, ont laissé peser sur la conscience de ces magistrats une lourde responsabilité pour le faux qu’ils présentaient au nom de Jésus-Christ et de l’Église, et pour les conséquences funestes qui en ont résulté. Et ce reproche est d’autant plus grave que les ministres de l’Église, ayant à porter une croix plus lourde, un fardeau de devoirs plus grand, ont, plus que d’autres, droit à l’amour, à l’épanchement, à la sincérité.....
Dans les premiers temps du christianisme, l’homme faible dans l’amour et le sacrifice, ne pouvant encore accepter l’essence chrétienne et s’appuyer sur Jésus-Christ et son Église, s’appuyait sur les formes chrétiennes qu’il prenait pour le christianisme, et sur les ministres de l’Église qu’il prenait pour l’Église. La pratique des formes et l’obéissance aveugle aux ministres de l’Église étaient les premiers pas de l’homme dans la voie chrétienne ; ils l’aidaient à faire un progrès, de même qu’ils aident et aideront toujours les enfants et tous ceux qui, sous le rapport du progrès chrétien, sont encore enfants. Mais, à côté de cette aide, un dommage venait aussi de cette source lorsque l’homme-enfant, se satisfaisant des formes chrétiennes et de la soumission aveugle aux ministres de l’Église, ne sortait pas de son état d’enfance et n’acceptait pas, à mesure que cela lui était destiné, l’essence chrétienne et, par suite, l’obéissance à Jésus-Christ et à son Église ; de cette source résultait aussi un dommage pour l’homme qui, sortant de l’enfance et ne pouvant plus suivre la voie chrétienne avec une obéissance aveugle, sans conviction et par suite sans amour, s’affranchissait, mais par une liberté non chrétienne, dans laquelle il rejetait à la fois la forme et l’essence chrétienne, il repoussait les croix terrestres sans prendre la croix de Jésus-Christ. C’est par suite de ce double dommage qu’il y a dans le monde tant d’esclavage et de fausse liberté, et si peu de liberté véritable. Dans les temps actuels où commence une époque supérieure, Dieu, appelant l’homme à un nouveau progrès chrétien, l’appelle à s’appuyer sur Jésus-Christ et sur son Église, conséquemment aussi à l’obéissance et à la désobéissance chrétienne envers les ministres de l’Église. C’est pourquoi ceux qui, n’éveillant pas en eux l’amour et le sacrifice nécessaires pour distinguer Jésus-Christ et son Église d’avec le prince de ce monde et le prince des ténèbres, d’avec leurs églises et leurs royaumes, se laisseront séduire par la forme chrétienne et prendront pour une même chose ce qui est si différent, ceux-là éprouveront les conséquences de ce péché mortel. À mesure que les temps s’accompliront, l’homme sera de plus en plus tenté sous des formes saintes ; et cette épreuve, à laquelle l’amour vrai peut seul résister, deviendra pour l’homme devant Dieu la source d’un mérite ou d’un péché de plus en plus grands et amènera pour le pécheur des conséquences de plus en plus pénibles. Esclave en esprit, s’éloignant toujours plus du but et de la voie chrétienne, le pécheur tombera sous un joug terrestre toujours plus lourd, afin que cette conséquence et cette image de son esclavage intérieur, volontairement accepté, le stimule à recouvrer sa liberté.....
Puisque l’homme, en sortant de l’enfance, sera de moins en moins dans la possibilité de progresser sur la voie chrétienne, sous l’esclavage d’esprit et l’obéissance aveugle aux ministres de l’Église, et que, pour son progrès, il aura toujours plus besoin de la force venant de l’amour, de la conviction, et de la liberté, il sera donc de plus en plus exposé à cette double tentation : accomplir seulement les formes et se soumettre en esclave aux ministres de l’Église, en les confondant avec l’Église, – ou, tombant dans l’extrémité opposée, mépriser et rejeter les formes et les ministres, et, confondant également ces ministres avec l’Église, rejeter en même temps l’Église, par là se soustraire au sacrifice, à la croix de Jésus-Christ.....
La liberté chrétienne, et la désobéissance chrétienne qui en résulte, ne perdront pas de leur valeur lors même que l’homme dénaturerait la liberté, cette vertu à laquelle il est tout particulièrement appelé dans cette époque, comme il a dénaturé et dénature l’humilité, vertu qu’il était particulièrement appelé à acquérir dans l’époque passée.
L’humilité et la liberté chrétienne, ces deux vertus si différentes en apparence, mais qui ont une même source, l’amour et la crainte de Dieu, sont celles que l’on comprend le moins dans leur vrai sens et qu’on dénature le plus en les dépouillant de leur essence. L’orgueil couvert des formes de l’humilité est pris pour l’humilité ; la licence, la satisfaction de sa propre volonté est prise pour la liberté. Il n’y a rien de si saint dont l’homme ne puisse abuser ; car, lorsque la miséricorde de Dieu lui présente la vérité et lui trace la voie droite, au même moment, le mal lui présente le faux qu’il couvre des formes de la vérité, et lui trace une route fausse ; mais, malgré cela, la voie et la vérité divines ne cessent jamais d’être ce qu’elles sont, et seules elles amèneront l’homme au salut.....
La pensée de Dieu qui repose sur l’homme, et qui n’a cessé de se développer depuis le moment où l’homme fut créé, est aujourd’hui menacée d’être effacée complètement sur la terre. Comme au temps de Moïse elle avait été mise en péril par l’esclavage extérieur du peuple de Dieu, de même aujourd’hui elle est en péril à cause de l’esclavage intérieur du peuple de Jésus-Christ, de l’esclavage de l’Église, subjuguée par la terre ou par le mal, agissant sur l’homme directement et par ses semblables, instruments du mal.
Comme autrefois le peuple de Dieu, loin de la terre promise, loin de sa patrie terrestre, ne pouvait, à cause de son esclavage, offrir à Dieu les sacrifices de l’ancienne loi, de même aujourd’hui le peuple de Jésus-Christ, loin de l’Église, sa patrie céleste sur la terre, à cause de son esclavage, n’offre pas à Dieu le sacrifice chrétien supérieur, et subit les graves conséquences de cette interruption du sacrifice. Mais l’esclavage intérieur qui pèse sur le peuple de Jésus-Christ est pire que l’esclavage extérieur qui pesait sur le peuple de Dieu ; car étant volontairement accepté en esprit et par conséquent étant, non une pénitence mais un péché, il amène sur l’homme des suites plus désastreuses. C’est par cet esclavage volontaire et coupable que le chrétien s’est exclu de l’Église, et cela a tracé la direction pour la décadence de l’Église de Jésus-Christ et pour l’élévation de l’église des formes chrétiennes seules, qui n’est point l’Église de Jésus-Christ. L’Église de Jésus-Christ vit dans quelques âmes fidèles à Jésus-Christ, mais elle ne vit pas sur la terre : et, dans sa mort, elle ne répand point ses bienfaits. À cause de l’esclavage de l’esprit, le grain semé par Jésus-Christ ne peut se développer dans l’âme de l’homme et produire ses fruits sur la terre. À cause de cet esclavage, toute élévation et toute sanctification, toute valeur chrétienne reste assoupie dans l’esprit et n’entre pas dans le champ de la vie sur la terre, dans le champ de la lutte et de la victoire, par conséquent n’élève pas et ne sanctifie pas l’homme, sa vie, ses actions. Cet esclavage fait que, dans l’église des formes, est condamné quiconque manifeste le grain de Jésus-Christ, vivant dans son âme, quiconque, portant en lui la vie de l’Église, ne se satisfait point de l’état où elle est actuellement, mais désire qu’elle vive et s’élève, et manifeste ce désir par ses paroles et ses actions privées et publiques.....
Le Saint-Père lui-même 140 a éprouvé cette adversité dans sa vie semée d’épines, lorsque, au commencement de son pontificat, par ses actions publiques, il fit jaillir du Saint-Siège un rayon céleste de vérité, de vie et de liberté ; bien des ministres de l’Église, et avec eux la foule des faux dévots, commencèrent à gémir de cette vie et de cette élévation de l’Église, comme si c’en était la chute ; mais, par contre, combien de protestants et de juifs qui, reconnaissant alors l’Église véritable à sa vie et à ses fruits célestes, commençaient à tourner leurs âmes vers cette Église et à éveiller en eux l’amour pour elle ! C’est ainsi que tout ce qui avait la vie d’esprit ou la vie terrestre, et par suite, était contraire à l’église des formes mortes, commençait à s’humilier devant l’Église vraie, dès que celle-ci eut manifesté sa sainteté sur la terre.....
Dans l’église des formes se multiplient de plus en plus les schismes d’avec l’Église de Jésus-Christ, schismes tantôt déclarés, tantôt cachés sous les formes de l’Église, dont la pratique, en étouffant la conscience des schismatiques, les confirme dans leur péché. La cause de ce malheur n’est pas seulement dans la mauvaise volonté de l’homme ; elle est, en majeure partie, dans la décadence et l’esclavage où se trouve actuellement l’Église ; car l’Église ne vivant pas et ne s’élevant pas dans le monde, l’homme n’a pas devant lui l’idéal auquel il lui est destiné de s’élever et d’après lequel il doit vivre ; il lui faut, par conséquent, une force chrétienne plus grande pour que, vainquant les ténèbres et les obstacles si grands qui viennent de la décadence de l’Église, il puisse connaître, aimer et accepter dans son âme l’Église qui ne se montre pas à lui, et au lieu de laquelle on lui en présente une autre sous le nom et les formes de l’Église de Jésus-Christ.
À cause de cet obstacle, la vie et l’élévation de l’esprit s’arrêtent, et l’homme, s’abaissant à la terre et plus bas que la terre, y concentre les rayons de son esprit ; puis, couvrant cette concentration coupable des formes de l’Église, et même des formes de la très sainte concentration dont N. S. Jésus-Christ a présenté l’idéal suprême, il offre par là en lui-même un point d’appui et de repos à ses semblables qui, faibles en amour, se laissent séduire par la sainteté de la forme. Ainsi est arrêté le progrès chrétien de l’homme, et par conséquent la vie, l’élévation et le triomphe de l’Église, que ce progrès est destiné à produire ; tandis que le paganisme et l’idolâtrie, s’étendant de plus en plus dans le monde par la force du mal qui s’est revêtu des formes de l’Église, menacent d’effacer complètement la pensée de Dieu qui repose sur l’homme, et d’ensevelir sous des ruines le fondement de l’Église de Jésus-Christ.
Cet état d’esclavage et de décadence de l’Église n’est senti que par un petit nombre de vrais chrétiens, fils de l’Église, qui aiment leur mère céleste. La généralité des chrétiens est indifférente à ce malheur, et, ce qui est pire, elle considère cette punition, amenée par ses péchés, comme un bien ; la décadence de l’Église, comme son élévation et son triomphe ; le règne du mal, conséquence de cette décadence, comme le Règne de Jésus-Christ ; enfin cet esclavage de son esprit, cet aveuglement, cette mort et cette indifférence dans un état de choses si douloureux pour un fils de l’Église qui croit et aime, elle les considère comme la vertu d’une foi ferme en l’Église, de l’amour pour l’Église et d’une soumission complète à l’Église. Par un tel aveuglement au milieu de la punition qu’il subit, l’homme oblige, pour ainsi dire, le meilleur Père à augmenter la punition, afin que, par la douleur, l’homme soit amené à satisfaire à ce Père, qu’il éveille en lui l’amour pour l’Église, et que par cet amour, il perce les nuages par lesquels le mal couvre devant lui l’état réel de sa mère céleste. Si un enfant méconnaît la punition qui lui est infligée, son père, pour vaincre sa résistance, augmente la punition ; mais si, voyant son père courroucé, l’enfant pleure et promet de se corriger, le père le dispense de ce remède amer qui n’est plus nécessaire, puisque le malade s’est guéri par amour : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés 141..... »
Comme jadis Dieu a secouru son peuple par Moïse, serviteur de sa pensée, de même aujourd’hui, dans le grand besoin où l’homme se trouve d’être secouru, N. S. Jésus-Christ qui, par la volonté du Père Éternel, gouverne le monde, veut secourir par son Vicaire, son peuple, son Église, son Œuvre du salut du monde ; et le Saint-Père, dépositaire suprême de la pensée de Dieu, aujourd’hui si gravement menacée sur la terre, magistrat suprême de l’Église dont la décadence est de plus en plus grande, mais dans laquelle la pensée de Dieu doit s’accomplir, a reçu de Jésus-Christ comme un don extraordinaire, une mission et une croix exceptionnelles, une couronne d’épines pour son esprit.
Le Saint-Père est appelé à devenir – en portant cette croix plus grande et en suivant de plus près les traces de Jésus-Christ – le Moïse du peuple de Jésus-Christ ; à tirer ce peuple de la maison de la servitude intérieure que, par son abandon de l’Église, il a trouvée dans les royaumes contraires ainsi que dans l’église des formes chrétiennes, dépouillée de la croix de Jésus-Christ, et à faire entrer dans l’Église ceux qui auront été délivrés du joug étranger, afin que, dans cette vraie patrie, où ne peuvent être que des chrétiens libres, soumis à Jésus-Christ, le peuple de Jésus-Christ trouve sa liberté extérieure et les patries chrétiennes qui lui sont destinées sur la terre. « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît 142. »
Le Saint-Père est appelé à tracer à l’Église qu’il gouverne une direction telle que, par l’effet de cette direction, la croix de Jésus-Christ, cette essence, cette force et cette vie de l’Église, soit acceptée dans l’Église ; que, par suite de cela, l’enseignement de l’Église et ses formes, mortes aujourd’hui, soient vivifiées par l’esprit de Jésus-Christ ; qu’ainsi cette vigne du Seigneur soit purifiée des mauvaises herbes, cet édifice du Seigneur, dégagé des décombres que le mal a amoncelés durant des siècles sur ses fondements ; qu’à N. S. Jésus-Christ soit restitué, dans son Église, le pouvoir attribué par l’homme aux ministres de l’Église ; que Jésus-Christ et l’Église soient délivrés des entraves qui leur sont imposées par des principes et des lois que les hommes ont établis dans leur aveuglement selon leurs convenances, et même au gré de leurs passions ; que l’homme cesse de mettre des bornes à la toute-puissance et à la miséricorde de Dieu, qu’il cesse de prescrire des lois et de tracer des voies à l’action de cette toute-puissance et de cette miséricorde ; qu’enfin les paroles de Jésus-Christ et les vérités célestes qui y sont contenues soient comprises par l’organe chrétien dans leur sens réel. Ainsi comprises, ces paroles et ces vérités se montreront d’accord avec la raison naturelle et pure de l’homme : et, de même qu’elles sont vraies pour la foi, l’amour et le sacrifice, elles se montreront vraies pour le bon sens ; elles ne nieront pas la nature des choses, elles ne contrediront pas ce qui est vrai dans le royaume terrestre. C’est ainsi que les idées fausses et absurdes sur les desseins, les jugements et les œuvres de Dieu, ces erreurs qui se maintiennent depuis des siècles dans l’Église, en offensant gravement Dieu et en portant un grand dommage à l’homme, tomberont d’elles-mêmes, et Dieu sera justifié devant l’homme, sera mieux connu, plus glorifié et plus aimé. – La loi de Jésus-Christ, qui est venu élever et non détruire, n’abolit pas l’organe terrestre, mais recommande à l’homme de connaître, d’aimer et d’accomplir la volonté de Dieu, le Verbe de Dieu par son esprit et par son corps, par son être tout entier, par toutes les forces, toutes les facultés et tous les organes que Dieu lui a donnés. La loi de Jésus-Christ, loi du degré supérieur de la grande voie de Dieu, n’est opposée à la loi d’aucun degré de cette voie, elle n’est opposée qu’aux lois des routes fausses de tous les royaumes faux ; le ciel n’est pas opposé à la terre ; il n’est opposé qu’au mal, aux enfers, à la mauvaise volonté, à l’endurcissement opiniâtre contre le ciel.
Le Saint-Père est enfin appelé, comme magistrat suprême de l’Église, à présider à l’élévation de l’Église sur ses fondements purifiés, à montrer à l’homme le degré supérieur de l’Église, l’époque chrétienne supérieure, dans laquelle l’homme est appelé aujourd’hui à entrer, et à lui donner l’aide destinée pour passer d’une époque à une autre : passage d’autant plus difficile qu’il se fait pour la première fois dans les siècles chrétiens ; afin qu’ainsi, dans cette époque de la résurrection et de la vie du Verbe de Dieu, de la liberté et de la vie de l’esprit humain, ce qui est chrétien dans l’homme, ce qui est le fruit de la semence de Jésus-Christ et du progrès fait par l’homme, se produise sur le champ de la vie : s’y produise avec la bénédiction, avec l’aide et d’après l’exemple du Saint-Père qui, lui-même, devançant dans le progrès les fidèles, leur fraierait la route d’un progrès ultérieur, et les conduirait à des degrés de plus en plus élevés de la voie chrétienne, degrés que Jésus-Christ seul a parcourus jusqu’à présent et que, à l’exemple de Jésus-Christ, l’homme doit parcourir durant les époques chrétiennes.
Pourvu que cette direction, ayant pour but de dégager des décombres les très saints fondements de l’Église de Jésus-Christ, de rendre à l’Église son essence et de l’élever à un degré supérieur, soit prise aujourd’hui, ne fût-ce même que par un nombre minime de chrétiens, tout ce qui est destiné quant à présent pour la résurrection, la régénération et la vie de l’Église sera déjà fait : car, une fois cette direction prise, il se trouvera en son temps sur la terre un grain pur du Royaume, de l’Église de Jésus-Christ, lequel, comme le grain de sénevé de l’Évangile, grandira dans l’avenir ; il y aura une base pure sur laquelle s’élèvera l’Église de Jésus-Christ. Lorsque le commencement qu’il appartient à l’homme de faire est fait dans le temps destiné, ce commencement peut déjà être continué facilement ; car la grâce de Dieu appuie ce qui a été commencé sur la terre conformément à la Volonté de Dieu ; témoin l’Œuvre même du salut du monde, accomplie par le Verbe de Dieu incarné N. S. Jésus-Christ, et qui, selon le modèle qu’il en a donné, doit être continuée jusqu’à ce qu’elle soit entièrement accomplie par l’homme.
Tels sont les principaux devoirs attachés à la mission extraordinaire du Saint-Père dans ces temps où des directions se tracent pour l’homme d’après celles que lui-même il trace dans son âme pour l’Église, suivant qu’il tourne ou ne tourne pas son âme vers le but essentiel que le Verbe de Dieu lui a destiné. Le maître de la maison peut, pendant un certain temps, supporter patiemment la négligence de ses serviteurs ; mais dès qu’il exige définitivement que tout soit fait chez lui dans l’ordre et avec l’exactitude nécessaire, le sort de chaque serviteur dépend des efforts qu’il fera pour accomplir la volonté du maître ; c’est ainsi qu’avec cette exigence du maître, commence une nouvelle époque pour les serviteurs.....
Comme chrétiens et fils de l’Église, remplissons les devoirs qui, dans cette situation exceptionnelle du Saint-Père, reposent sur nous, non seulement par rapport à la pensée de Dieu qui est sur lui, mais aussi par rapport à sa personne. Ne pouvant en cela agir personnellement, faisons ce que nous pouvons dans notre esprit. Faisons en esprit le sacrifice nécessaire, afin de connaître la pensée que Jésus-Christ a mise sur le Saint-Père ; afin de connaître sa position extraordinaire et la croix qui y est attachée ; afin de connaître aussi les croix et les obstacles terrestres qui suivent la croix céleste et doivent être vaincus par la force de cette croix. Implorons de Dieu pour le Saint-Père l’aide de la grâce qui lui est nécessaire pour porter sa croix et, par la force de cette croix, pour voir et accomplir la vérité dans chaque circonstance ; pour atteindre ainsi la hauteur propre à sa vocation et, de cette hauteur céleste, vaincre les obstacles, chasser les nuages qui s’amoncellent sur le Siège apostolique ; enfin, pour accomplir les desseins de la miséricorde de Dieu pour le monde et acquérir ainsi devant Dieu, devant le prochain de ce monde et de l’autre monde, le mérite qui lui est destiné. Mettons-nous enfin dans la position du Saint-Père, entrons par notre esprit dans ses difficultés et ses adversités, partageons sa croix, pénétrons-nous de ses soucis et de son labeur, et soyons prêts à tout sacrifice qui pourrait devenir nécessaire pour que la pensée de Dieu qui repose sur lui soit accomplie.
En maintenant dans nos âmes à l’égard de notre Magistrat suprême les sentiments exprimés dans l’écrit déposé aux pieds de feu Grégoire XVI, le 4 novembre 1848, pénétrés du désir d’accomplir les devoirs de notre vocation sous la conduite du Saint-Père, frappons, autant que nous en aurons l’occasion, aux portes du Saint-Père, fermées pour nous, et attendons avec patience et soumission qu’il plaise à Dieu de détourner de l’homme un malheur aussi grand que le retard de l’accomplissement de sa volonté dans son Œuvre. Ne perdons pas non plus l’espoir que le Saint-Père permettra que l’Œuvre de Dieu lui soit présentée, qu’ayant senti l’appel que Jésus-Christ lui fait dans son Œuvre, il l’acceptera, accordera sa bénédiction pour la réalisation de cette Œuvre, et y prendra la direction qui appartient de droit au Vicaire de Jésus-Christ, dont le devoir le plus sacré est de donner son union, sa bénédiction et sa direction à tout ce qui se fait par l’homme dans un but chrétien et dans la voie de Jésus-Christ. Ne perdons pas l’espoir que la volonté de Dieu qui, une pour tous, oblige néanmoins d’abord les ministres de l’Église, unira le chef suprême et tous les ministres de l’Église avec les serviteurs de l’Œuvre de Dieu, qui s’efforcent constamment d’être inscrits dans le livre de Dieu comme fils fidèles de l’Église, soumis à l’Église et à ses ministres....
Accomplissons aussi, dans la mesure destinée, nos devoirs envers tous les ministres de l’Église unis au Saint-Père par la pensée de Dieu et par leur vocation, en nous souvenant que, dans l’Église de Jésus-Christ, l’aide mutuelle doit circuler, comme la sève vitale, parmi tous les membres de ce corps vivant. Celui-là n’est pas un membre de ce corps, un fils de l’Église, qui, rejetant sa croix sur les ministres de l’Église, attend d’eux qu’ils fassent tout pour lui, qu’ils le sauvent sans sa propre coopération, et qui se borne à leur donner ce qui peut être donné sans la croix, l’adoration qui n’est due qu’à Jésus-Christ et à son Église, et l’obéissance aveugle. À l’extrémité opposée, non moins générale aujourd’hui, se trouvent ceux qui, excluant de leur amour les ministres de l’Église, loin de partager leur croix, ont contre eux de l’animosité et même du mépris. Ils exigent d’eux la plénitude des vertus chrétiennes, une perfection absolue, comme si c’était un privilège naturel attaché à la robe, sans tenir compte de ce fait général que les obstacles présentés par le corps, le monde et Satan croissent en proportion de la sainteté de la vocation, afin d’en empêcher l’accomplissement. Portant en eux cette exigence, ils n’apprécient pas les sacrifices pratiqués par les ministres de l’Église dans l’exercice de leur vocation, tels que ceux, par exemple, qui se pratiquent dans les couvents, le renoncement non seulement à toutes les joies, mais même à des besoins essentiels de la vie, cet emprisonnement volontaire dans un cloître, qui est comme un tombeau où l’on s’enferme vivant..... Plus d’un qui ne veulent pas consacrer un seul moment à la prière considèrent comme peu de chose que leurs semblables y consacrent toute leur vie ; et cependant apprécier dans le prochain chaque sacrifice, qui a du prix devant le ciel, est une condition indispensable pour pouvoir obtenir la communion avec le ciel et tous les bienfaits qui en découlent.....
J’élève vers N.-S. Jésus-Christ mon indigne prière, afin qu’il vous bénisse, mes frères, serviteurs de l’Œuvre de Dieu, dans l’accomplissement de vos devoirs envers l’Église et envers votre patrie ; qu’il bénisse aussi sur ce champ tous les Italiens, ces frères qui, par leur passé, ont mérité d’être appelés à former le premier rang des serviteurs, soldats de Jésus-Christ, pour défendre l’Église contre ses ennemis, et pour commencer à réaliser la direction que la miséricorde de Dieu a tracée pour le monde. Régénérez-vous donc en Jésus-Christ, et vous, mes frères, et toi, Nation élue ; et consacrant votre vie à votre grande vocation, méritez la récompense qui vous est destinée dans le ciel ; méritez aussi votre récompense sur la terre en devenant l’objet de l’amour, de l’union et de la reconnaissance de ce monde et plus encore de l’autre monde, qui, voyant plus clairement combien le salut des deux mondes dépend de l’élévation de l’Église de Jésus-Christ sur la terre, désire plus ardemment cette élévation et porte aussi un amour, une union et une reconnaissance plus grande envers les fidèles serviteurs et défenseurs de l’Église, pour les sacrifices qu’ils font sur ce champ. Que ta communion avec le ciel, ô Nation élue ! et ton union fraternelle avec ce monde et l’autre monde deviennent pour toi une aide pour ton salut et pour ton vrai bonheur temporel !
Tout combat entre le bien et le mal se livre et se décide d’abord dans l’esprit seul, dans l’autre monde, et ensuite il se réalise sur la terre par la manifestation des fruits du bien et du mal qui ont été acceptés dans l’esprit. Autant que je le sens, cette lutte entre le bien et le mal, lutte, à proprement parler, entre le ciel et l’enfer, s’est déjà effectuée en esprit et a eu pour résultat la victoire du côté du bien : non à cause des mérites de ceux qui représentent ce côté, mais à cause de la grande miséricorde de Dieu qui se répand dans ce temps sur le monde. Toutefois, cette victoire remportée en esprit ne se réalisera sur la terre qu’autant que ceux qui constituent le bon côté du monde – car par leur esprit ils appartiennent au ciel qui lutte aujourd’hui contre l’enfer, – se rallieront avec amour à l’Église vraie et que, se maintenant dans cette Église à la hauteur qui leur est destinée, ils manifesteront cette hauteur dans toutes leurs actions et, avant tout, dans cette lutte à laquelle le monde tout entier est appelé à prendre part, chacun dans la mesure de son progrès, de sa vocation et de sa force. Il n’y a que l’accomplissement de ce devoir par le côté du bien qui puisse maintenir pour le monde l’effusion de la miséricorde de Dieu au milieu de cette lutte et amener la victoire ; de plus, les souffrances, les pressions que toute lutte amène inévitablement pour le monde ne dépasseront pas, en ce cas, cette mesure minime qui est marquée dans les jugements de Dieu. – Qu’il en soit ainsi pour le salut de l’Italie et du monde entier, avec votre bénédiction, ô Jésus-Christ, notre Seigneur, par l’intercession de votre très sainte Mère, notre Mère de miséricorde, et par celle de tous les Saints ! Qu’il en soit ainsi dans l’union fraternelle destinée à ce monde et à l’autre monde !.....
Oh ! si ces saintes vérités pouvaient prendre racine et vivre dans les âmes et les actions de tous les Italiens ! Combien l’aspect de l’Italie, de l’Église et du monde changerait en peu de temps !
Dans une autre occasion, parlant du désaccord entre l’État et l’Église – question autour de laquelle gravitent les questions les plus essentielles de la vie privée et politique de l’Italie (dont la négligence est cause que l’Italie a dissipé son activité sur des voies diverses qui pourraient la conduire à une destruction complète) –, voici ce que Towianski nous disait en 1860 :
Dans l’époque chrétienne supérieure qui est déjà commencée, il sera de moins en moins permis aux Italiens, moins encore qu’à beaucoup d’autres nations, de ne vivre que d’après la loi terrestre, et de n’agir que par la force terrestre.
En n’agissant que par la force terrestre, les Italiens ne vaincront pas leurs ennemis et n’arriveront pas à leur but, à la liberté et à l’unité nationale vraies et durables, quoique cette victoire et ce but soient conformes à la volonté de Dieu, et leur soient destinés dans ses décrets suprêmes ; car, par la nature de leur esprit, les Italiens sont au nombre des nations supérieures, appelées à donner au monde l’exemple du christianisme vrai, vivant, pratiqué sur tous les champs de leur vie, et, de plus, l’Italie, d’après les signes de Dieu manifestés dans ces derniers temps, est destinée la première à manifester ce christianisme sur le champ public, dans la grande action de sa régénération politique.....
La force des ennemis de l’Italie n’est pas seulement dans la force matérielle, visible ; elle est surtout dans la force spirituelle du mal qui arrête depuis des siècles la liberté et le progrès chrétien du monde, et qui, aujourd’hui, menacé par la vocation chrétienne des Italiens, agit contre eux par ses instruments sur la terre : agit ouvertement, au nom et sous les formes de Jésus-Christ et de son Église..... Contre des ennemis soutenus par la force d’un mal si puissant, la force terrestre des Italiens, fût-elle la plus grande, sera impuissante tant qu’elle ne sera pas l’instrument de la force chrétienne, qui seule est appuyée par le bras de Dieu...
En appelant les individus et les nations à un progrès chrétien ultérieur, Dieu les éveille, dans ces temps plus que jamais, à reconnaître sa puissance, à s’humilier devant Lui, à se confier, à se reposer en Lui ; et Il éveille encore plus à ces sentiments ses enfants aînés, les nations supérieures par la nature de leur esprit, au nombre desquelles sont les Italiens. Ils se trouvent aujourd’hui dans une position extraordinaire, afin qu’ils accomplissent au dix-neuvième siècle chrétien le commandement de Dieu donné par Moïse et si peu accompli jusqu’à présent : « Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face 143 » ; afin qu’ils présentent au monde l’exemple du caractère chrétien.
Afin d’accomplir ce commandement en esprit et en vérité et de mériter par là l’aide et la bénédiction de Dieu, les Italiens doivent faire le sacrifice nécessaire pour connaître la volonté de Dieu, cette pensée suprême, cette vocation chrétienne qui repose sur eux. – Ils peuvent continuer à agir par tous les moyens et toutes les forces terrestres qu’ils ont employés jusqu’à présent, ils peuvent aussi profiter des aides matérielles des autres nations, pourvu que ce soit dans un esprit et un but chrétiens. Autrement, ces mêmes aides, qui peuvent leur être utiles et même nécessaires jusqu’à un certain temps, mais qui sont à la fois une tentation pour eux, une épreuve de leur fidélité à Dieu, ne feront qu’augmenter leurs difficultés et les éloigner de leur but véritable ; surtout si ceux qui leur donnent ces aides le font dans un esprit contraire à la pensée de Dieu qui repose sur l’Italie et, par conséquent, contraire au vrai bien de cette nation. – Rien n’est plus à craindre pour les Italiens et pour ceux qui les gouvernent que de dévier, de s’écarter de la pensée de Dieu qui repose sur l’Italie ; – c’est leur seul danger réel. Toute déviation de ce genre, toute impureté, tout appui pris dans les forces et les aides terrestres au détriment de la vocation chrétienne de l’Italie, toute concession faite sur cette vocation, sur la vérité, la justice, la liberté, ces propriétés nationales les plus chères, brisera le lien de la nation avec le ciel et lui fera perdre l’aide céleste qui lui est destinée ; alors la pensée de Dieu et la route qui conduit à l’accomplissement de cette pensée s’obscurciront pour la nation, son étoile céleste sera éclipsée, et le mal qui, dans cette nation, est encore confondu avec le bien, l’empêchera de s’élever au poste qui lui est destiné, de reconnaître et d’élever son étendard véritable, le seul qui puisse fondre en un même tout les membres si longtemps épars du corps de la nation ; plusieurs de ceux qui s’unissent aujourd’hui au parti du bien seront troublés, déroutés et passeront à l’ennemi, en en augmentant ainsi le nombre et, plus encore, la force..... Plaise à Dieu que cette vérité si claire pour l’esprit soit reconnue par les Italiens avant qu’il soit trop tard, avant que leur temps et leurs forces soient prodigués !.....
Ce qui, dans le passé, pouvait réussir aux Italiens, ne leur réussira plus, car cette vocation chrétienne à laquelle ils étaient préparés pendant les siècles écoulés est déjà entrée dans la phase de l’action et de la vie ; ils sont déjà sous la loi de l’époque chrétienne supérieure, sous la loi de Jésus-Christ, qui, par la miséricorde de Dieu, est aujourd’hui éclaircie plus à fond et appliquée davantage à l’action, à la vie privée et publique de l’homme. Les Italiens ont plus que d’autres le devoir et le besoin de connaître cette loi et de la mettre en pratique.
Malheureusement, ceux qui gouvernent les nations déjà entrées sous la loi supérieure ne veulent point la connaître, et quoique l’accomplissement de cette loi donne une force chrétienne plus grande que toutes les forces terrestres, les hommes d’action et de gouvernement n’y font aucune attention, ils continuent à considérer le christianisme, présenté aujourd’hui dans son essence et dans son application à la vie des individus et des nations, comme une doctrine abstraite et une faiblesse qui les compromettrait s’ils y cherchaient leur appui ; c’est pourquoi, dans ces jours où Dieu appelle l’humanité à l’époque chrétienne supérieure, ils n’ont devant leurs yeux que des idéals anciens, terrestres, païens, et par là ils empêchent l’homme de profiter de la miséricorde divine qui se répand aujourd’hui plus abondamment sur le monde...
Ce qui se fait aujourd’hui en Italie se fait à un degré plus élevé et plus pur que dans d’autres temps et dans d’autres pays, mais c’est encore uniquement d’après la loi terrestre, pour le but et par la force terrestre, comme auraient pu le faire des citoyens probes de l’antique Rome. En Italie, on marche sur les routes terrestres droites : par là l’esprit de la terre, le prince de ce monde y reçoit une adoration plus pure et son royaume s’y élève plus qu’ailleurs ; mais quelle adoration Jésus-Christ y reçoit-il des fils aînés de son Église, et combien par eux s’élève son Royaume, son Église, que, pourtant, ils portent dans leur âme ?..... Les Italiens sont parvenus au sommet de l’élévation terrestre ; cela leur a suffi jusqu’à présent et peut même leur profiter, car la vie et le progrès terrestres de l’homme le préparent à la vie et au progrès supérieurs ; mais, puisqu’il faut marcher toujours en avant (car Dieu ne permet pas de s’arrêter à un point), où iront donc les Italiens, étant déjà au sommet du royaume terrestre ? Où iront-ils quand, sous l’action irrésistible de l’esprit de l’époque supérieure, qui se répandra de plus en plus dans le monde, le royaume terrestre pourra de moins en moins conserver la force, la splendeur, la certitude et la prospérité qu’il avait autrefois ? – Il faut, conformément à l’appel de Dieu, que les Italiens entrent dans les limites du royaume céleste, du royaume de Jésus-Christ ; il faut qu’ils connaissent et acceptent le christianisme dans son essence, qu’ils connaissent ce qu’est la véritable Église et entrent dans cette Église. Où la terre finit, le ciel commence ; il n’y a que le vrai christianisme, la vraie Église, ce ciel sur la terre, qui puisse ouvrir aux Italiens un nouveau progrès et, par conséquent, leur ouvrir la vie qui leur est destinée dans la miséricorde de Dieu, pour les siècles de leur avenir.
Les vœux de tout vrai Italien doivent donc se résumer dans le désir de voir ressusciter et vivre, en même temps, l’esprit de la Nation et l’esprit de la vraie Église de Jésus-Christ, qui sont inséparables dans la vraie patrie italienne. Tout italien a le devoir d’éveiller en lui l’amour pour l’Église vraie et vivante, pour ces sentiments, ces mouvements de l’âme, fruits de la pureté et du sacrifice, qui constituent une telle Église ; il a le devoir d’éveiller aussi l’horreur chrétienne pour ces mouvements faux de l’âme que les pharisiens de nos temps couvrent des formes de Jésus-Christ et de son Église. Tout Italien a le devoir de porter en lui le souci non seulement pour le bien terrestre de sa patrie, mais aussi pour son bien chrétien, céleste, par conséquent, pour l’état où se trouve l’Église dont les Italiens sont appelés à être les premiers fils et les premiers défenseurs ; de porter le souci pour que, selon l’appel de Dieu, l’Église soit purifiée de ce que les hommes y ont introduit de faux, et qu’elle vive et s’élève sur la base qui lui est destinée. Un tel souci et le sacrifice pour le réaliser, ce sera le fruit de l’amour de Dieu, ce sera le caractère des fils fidèles de l’Église et de la patrie chrétienne. Avec un tel souci et un tel sacrifice est la force céleste contre les ennemis de l’Italie, la force du bras de Dieu qui appuie ceux qui font l’Œuvre de Dieu sur la terre.....
Tant que le souci des Italiens ne se porte que vers la terre, l’ennemi, qui est dans l’esprit, ne peut être atteint ni ébranlé de sa base ; mais lorsqu’ils auront déposé devant Dieu sur ce champ leur amour, leur souci et leur action, leur ennemi sera atteint et vaincu. Alors les questions religieuses, sociales et politiques qui s’imposent aujourd’hui aux individus et aux nations trouveront dans la loi de Jésus-Christ leur solution vraie et durable, – et les intérêts terrestres s’arrangeront facilement pour la nation qui se sera dévouée pour l’intérêt de Dieu ; l’effet suivra sa cause.....
Ce souci, qui doit être porté au plus haut degré par les Italiens, se manifeste très peu en Italie. On y trouve beaucoup d’éclairs, d’élans, de rayons purs et supérieurs venant de cet esprit italien qui, grand et riche des trésors chrétiens, célestes, aimant la lumière et la vie, se dégage facilement des chaînes du corps ; mais le souci, le sacrifice chrétien, cette prière de l’esprit et de l’homme, prière véritable, qui donne la lumière et la force nécessaire pour l’accomplissement de la volonté de Dieu, n’est pas encore pratiquée ni même connue par les Italiens. Tout en voyant beaucoup en esprit, en saisissant facilement ce qui est céleste, chrétien, en s’exaltant pour cela, en en parlant avec feu, ils sont loin d’en tirer leur caractère, leurs actions, leur vie. C’est pourquoi leur exaltation pure, loin de les régénérer, ne fait, le plus souvent, que délecter leur esprit et apaiser le souci de leur conscience, – ce qui, à la longue, ne manquerait pas d’amener pour eux la lassitude d’esprit et d’homme, l’indifférence, le dégoût de tout sacrifice, l’abandon de toute tendance supérieure, ces maladies d’esprit si dangereuses, qui sont la source de l’abaissement moral des individus et des nations ; abaissement contre lequel l’intelligence si hautement cultivée et d’autres qualités terrestres dont les Italiens sont si richement doués ne sauraient les garantir ; – et le corps italien qui, le plus souvent, est déjà subtilisé au point qu’il ne peut être renforcé et soutenu que par l’esprit concentré et vivant, s’exténuerait de plus en plus sous l’influence pernicieuse de cet état d’esprit dont nous venons de parler. C’est ainsi que le souci, le sacrifice chrétien, la vie de l’esprit et de l’homme dans l’Église véritable sont les conditions essentielles, tant pour le salut et le bonheur individuel des Italiens que pour l’indépendance, l’unité et la grandeur véritables de l’Italie.....
L’Italie, morcelée pendant des siècles, tend à se grouper de plus en plus en un seul tout 144. Les autres nations s’unissent à cette tendance, car elles pressentent la pensée de Dieu qui repose sur l’Italie et soupirent après le bien que l’accomplissement de cette pensée doit amener pour l’humanité tout entière. Aussi attendent-elles avec angoisse la direction que prendra l’Italie. Et en effet, lorsqu’une nation de vingt-cinq millions d’âmes se présente devant le monde comme un nouveau membre de l’humanité, et que ce membre, tant à cause de la nécessité d’achever l’œuvre de son unité nationale qu’à cause des liens séculaires qui l’unissent si étroitement à l’Église, ne peut se dispenser d’agir sur ce champ le plus important pour la direction du monde, – c’est une question de la plus haute gravité pour l’humanité tout entière de savoir auquel des deux principes, des deux partis qui luttent depuis le commencement du monde, ce membre si important s’unira, s’il agira avec le royaume de Jésus-Christ, ou avec le royaume de la terre, ou enfin avec le royaume inférieur à celui de la terre. Lorsque l’avant-garde, s’occupant de choses secondaires, ne se soucie pas de la victoire à remporter sur l’ennemi, lorsqu’elle s’endort au poste important qu’elle occupe, et bien plus, quand elle passe à l’ennemi, de grands dommages en résultent pour l’armée entière. La responsabilité des Italiens est donc grande devant le ciel et devant la terre, devant les temps présents et les temps à venir, mais plus grande encore est la responsabilité de ceux qui gouvernent cette nation !......
Une autre fois, me parlant de Garibaldi, dans le moment le plus resplendissant de sa vie, lorsque, après la merveilleuse expédition de Marsala, tous les cœurs brûlaient d’enthousiasme pour lui, il me dit entre autres choses :
Un tribut de vénération est dû aux grands mérites de Garibaldi : mais un chrétien, et d’autant plus un Italien, ne doit pas croire que ce que Garibaldi fait vienne de lui seul. Une vénération au-delà de ce qui lui est dû vous priverait de votre liberté chrétienne.....
Celui qui fait peu de cas de la vie, de l’amour, des sacrifices de cet homme, celui-là rend son progrès plus difficile ; il lui sera difficile, et peut-être même impossible, sans passer par ce degré, de s’élever à la vraie Église, la seule où puisse se trouver le salut de l’âme et même la liberté nationale des Italiens.....
Celui qui outrage ce grand homme, en le regardant comme un organe de l’enfer, celui-là crucifie Jésus-Christ, car il persécute une parcelle pure de Jésus-Christ, parcelle qui vit et se manifeste par les sacrifices que fait cet homme pour la liberté du monde, sans laquelle l’Église de Jésus-Christ ne peut vivre dans la vie privée et publique de l’homme. Celui qui refuse de monter les degrés ne veut certainement pas atteindre la hauteur à laquelle conduisent ces degrés, lors même que, dans la forme, il montrerait le plus grand amour pour cette hauteur.
Garibaldi s’est manifesté au milieu du monde corrompu comme un phénomène d’amour, de sacrifice, de renoncement de soi-même pour la liberté et la justice dans ce monde. Les cieux s’unissent à une telle pureté, à une telle tendance, et guident les pas de cet homme ; mais son but ne sera atteint que lorsque lui et les siens s’humilieront devant Jésus-Christ et accepteront l’appel que Jésus-Christ fait dans ces temps à l’homme. Tout ce qu’il fait prépare à ce grand but, mais ne l’atteint pas.....
Pour compléter tout ce qui a été rapporté plus haut, j’ajouterai encore ici ce que, dans une longue lettre, Towianski répondit à la demande d’un de ses amis touchant la liberté. Bien que celui-ci ne fût pas Italien, les choses qui lui ont été dites s’adaptent aussi tellement bien à l’Italie, à laquelle même il est fait une allusion directe à la fin, que je crois devoir la citer :
En réponse à votre désir, je vous communique ce que je sens être nécessaire pour vous, afin que l’amour que vous portez en vous pour la liberté s’augmente comme le talent de l’Évangile, prenne la direction chrétienne et se manifeste dans ses fruits sur le champ de votre vie, privée et publique ; afin que, ayant connu plus à fond ce qui constitue la base et l’essence de la liberté véritable, vous puissiez plus facilement non seulement affermir et élever votre propre liberté, mais encore servir à cet égard notre patrie, qui est appelée à recouvrer sa liberté perdue.
Le chrétien libre, et à plus forte raison le serviteur du christianisme et de la liberté, considère uniquement la vérité, cet unique maître qu’il sert, considère la chose qui est dite, et non qui la dit et comment elle est dite ; il ne repousse pas la vérité à cause des formes repoussantes dont elle est si souvent recouverte, il ne se laisse pas entraîner vers le faux par les formes séduisantes dont le faux se couvre si fréquemment dans le monde, où, selon les paroles d’un de nos poètes :
« Les honneurs embellissent les actions les plus laides. Ce qu’on méprise dans un simple mortel, on l’admire dans un personnage illustre. »
Aussi le chrétien libre, en rendant à Dieu l’adoration en esprit et en vérité, se garde du péché de l’esclavage et de l’idolâtrie qui vient le plus souvent de ce que l’on ne considère pas la chose elle-même, mais la personne qui la présente et comment elle est présentée ; car le mal, profitant de ce manque d’amour de la vérité et de cet amour de la forme, se couvre d’une belle et même d’une sainte forme, récolte des honneurs en vertu de cette forme semblable à la pourriture recouverte d’un sépulcre blanchi, et grâce à ces honneurs idolâtres qui lui sont rendus, s’arroge le droit de subjuguer les esclaves des formes, des apparences, des dehors seuls. De même que le poisson se laisse prendre à la ligne parce que, à cause de l’amorce trompeuse, il ne voit pas la chose elle-même, le fatal hameçon qui y est caché, de même celui qui sacrifie le fond pour une forme quelconque, fût-elle même sainte, qui, à cause de cette forme, prend le faux pour la vérité, ne voit pas les embûches que le mal tend à sa liberté, à son salut, et tombe dans l’esclavage du mal.
Celui qui, veillant sur soi, agissant en soi et pour soi, nettoie son propre champ, celui-là seulement peut accomplir avec mérite ce même devoir sur le champ d’autrui, peut voir le mal où il est en réalité, détester ce mal chrétiennement et le frapper efficacement, car par suite de son travail sur lui-même, le Verbe de Dieu vit en lui dans la parcelle destinée, et la puissance du Verbe vivant dans les cieux s’unit à cette parcelle qui vit et agit sur la terre, et la protège. Mais le mal, qui s’oppose par tous les moyens possibles à la vie du Verbe de Dieu sur la terre, étouffe dans l’homme la vie de son âme, ou, s’il ne peut l’étouffer, il la tourne exclusivement vers des champs étrangers, afin de pouvoir le dominer sur son propre champ laissé en friche.
Plus d’un, succombant à cette tentation, détourne son attention de lui-même, ne nettoie pas son propre champ, mais s’occupe des autres et purifie leurs champs ; ne se stimulant pas lui-même, il stimule son prochain, devient ainsi un instrument ténébreux qui, poussant les autres vers le ciel, tend lui-même vers l’enfer. Il tend vers l’enfer : car il rejette la vérité salutaire, et il pousse les autres vers le ciel : car, par la vérité présentée, il sert non seulement celui qui accepte la vérité et par là se sauve, mais aussi celui qui rejette la vérité, qui par là est mis en compte devant Dieu, et, conséquemment, subit l’opération propre à ce compte. La vérité présentée à l’homme le met en compte, car la vérité doit toujours être acceptée sans égard au mobile, au ton et à la personne de celui qui la présente, fût-ce Satan lui-même. Pour aucune considération la vérité ne cesse d’être la vérité, objet céleste de l’amour, de l’adoration et des sacrifices du chrétien : de même que l’or, quelles que soient les mains par lesquelles il passe, ne cesse d’être de l’or, objet de l’amour, de l’adoration et des sacrifices de l’homme terrestre.
Celui qui voit le mal dans son prochain, le déteste et s’élève contre lui, mais qui reste aveugle et indulgent à l’égard de son propre mal, celui-là pèche gravement devant Dieu : car, ne profitant pas du don de Dieu, de la faculté de voir et d’abhorrer le mal, il ne l’emploie pas à son propre affranchissement du mal, et par conséquent à son salut. C’est à lui que s’appliquent les paroles de Jésus-Christ : « Pourquoi voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, vous qui ne voyez pas une poutre dans le vôtre ?..... Hypocrites, ôtez premièrement la poutre de votre œil, et alors vous verrez comment vous pourrez tirer la paille de l’œil de votre frère 145. »
Si chacun tonnait contre le mal et ne détruisait pas le mal en soi, il s’élèverait dans le monde une immense clameur ; et le mal, malgré ce grand tumulte tourné contre lui, vivrait en tous et triompherait par tous.
Plus d’un, étant au fond de son esprit et dans ses actions un despote et un ennemi de la liberté, déclame contre le despotisme et répand même son sang pour la liberté, et par cette apparence de la liberté vivante, active, empreinte de dévouement, séduit le monde incapable de distinguer l’or d’avec le clinquant si semblable à l’or ; mais ces sacrifices et ces actions trompeuses en faveur de la liberté attesteront au tribunal de Dieu le péché qu’il aura commis contre la liberté, parce qu’il n’aura pas employé l’arme qui lui avait été donnée pour défendre sa propre liberté contre le mal qui le subjuguait si puissamment. On peut comparer ces défenseurs de la liberté aux amateurs hypocrites de la propreté, qui se plaignent que les rues et les places publiques ne sont pas balayées, tandis qu’ils supportent patiemment que leurs maisons soient pleines d’ordures.
Depuis que je vous connais, mon frère, je vois que l’amour de la liberté est inné en vous, de sorte qu’il semble impossible que le mal vous ravisse ce trésor et vous rende esclave de qui que ce soit ; la seule chose qui m’inquiète en tant que votre serviteur et votre frère en Jésus-Christ, c’est que, pour défendre la vérité, vous ne vous laissiez tenter par le mal à abandonner la voie chrétienne que vous avez acceptée et à retourner sur votre ancienne voie terrestre, païenne, que suivent d’habitude les zélateurs et les défenseurs de la liberté. Sur cette voie il n’y a pas de liberté, mais il y a le joug de l’esprit de la terre, du prince de ce monde, cet éternel ennemi de la liberté d’esprit ; bien plus, cette voie tombe tôt ou tard au pouvoir du prince des ténèbres qui y prend le commandement, y trace la direction et, sous la forme sainte de la liberté, se sert même de défenseurs purs et dévoués de la liberté, en les prenant comme instruments pour affermir sa domination dans le monde.
Le point que je redoute le plus pour vous, mon frère, est donc la tentation que le mal présente ordinairement aux champions de la liberté, pour les amener à séparer leur horreur du joug terrestre et leur susceptibilité à cet égard d’avec l’amour du joug de Jésus-Christ, afin que, en rejetant le joug terrestre, ils rejettent en même temps le joug de Jésus-Christ ; que, par suite de cela, leur horreur du joug, qui est une grande vertu, en restant dans les limites restreintes du royaume terrestre, ne devienne une vertu chrétienne et ne produise le fruit de la vraie liberté ; que, enfin, cette vertu dépouillée de son essence céleste, de son principe vital, apparaisse dans les comptes de l’homme devant Dieu comme un excès, une licence et un dérèglement.
Seul le joug de Jésus-Christ est la liberté véritable, est la joie et la vie du royaume céleste : tandis que le rejet de tout joug est l’excès, la licence et le dérèglement, quand même ces péchés ne se manifesteraient pas dans les actions de l’homme et resteraient cachés dans son esprit. À cause du rejet de tout joug, Dieu permet dans ses décrets un joug pesant du mal, afin que l’homme éveille en lui l’amour du joug de Jésus-Christ.
Chaque fois que ma pensée s’arrête sur ce champ, je ne manque pas d’élever mes soupirs vers la miséricorde divine, pour que les hommes de la liberté, au nombre desquels vous êtes inscrit dans mon âme parmi les premiers, ne soient pas tentés de la sorte, mais qu’ils soient délivrés du mal ; et qu’acceptant le joug de Jésus-Christ, ils se présentent libres devant Jésus-Christ, qui, dans ces jours de direction, appelle à la liberté les individus et les nations, pour que cette œuvre sainte de la liberté se fasse pour le salut du monde sur son propre champ et au moyen de ses propres armes.
L’homme ne prend en considération que la liberté terrestre, extérieure, sans faire aucun cas de la liberté d’esprit, liberté intérieure : et il ignore ce que vaut cette liberté pour son salut, et même pour son bonheur temporel. Tandis que la liberté intérieure consiste dans la soumission à Dieu seul, à sa volonté, à son Verbe, à sa vérité, par conséquent, à la loi, au joug présenté par Jésus-Christ, l’homme dans son esclavage intérieur est soumis, non à cette puissance de Dieu qui élève et sauve, mais aux forces inférieures qui existent dans l’immensité de Dieu, aux forces de la terre et même de l’enfer, qui le tentent, l’abaissent et l’entraînent à sa perte. Sous le gouvernement despotique de ces forces, s’arrêtent dans l’esprit de l’homme ses mouvements, ses sentiments propres, sa Vie intérieure, et une autre vie, inférieure à la sienne, s’empare de lui ; il parle et agit, et même pense et sent, non selon ce qu’il porte au fond de son âme, mais selon ce qui lui est suggéré ; d’où il résulte que dans ses pensées, ses paroles et ses actions il ne se manifeste pas lui-même, mais il manifeste le maître auquel il s’est soumis, cet ennemi si différent de lui et qui lui est si inférieur ; par conséquent, il ne se montre pas devant Dieu et devant le prochain tel que Dieu l’a créé, mais tel que les forces qui le subjuguent l’ont transformé. C’est pourquoi il arrive souvent que l’homme déteste et se sépare de ce qu’il aime en réalité, de ce à quoi il était uni dans le passé et est uni même encore aujourd’hui dans le plus profond de son âme, – tandis qu’il aime et s’unit à ce que en réalité il déteste, à ce dont il a été et est séparé ; de telle sorte que celui qui dans sa liberté d’autrefois servait fidèlement Jésus-Christ, celui-là souvent, dans son esclavage actuel, renie Jésus-Christ, sa voie et sa vérité, rejette ce que Jésus-Christ lui présente pour son vrai bien, et accepte et accomplit ce que les forces étrangères lui imposent pour sa perdition. C’est ainsi que dans cet esclavage d’esprit accepté volontairement, l’homme perd le bien céleste, ce talent de l’Évangile qu’il a reçu et qu’il a fait multiplier dans son progrès séculaire par les sacrifices, les peines, les souffrances de son passé. Dans cet esclavage s’efface l’image et la ressemblance de Dieu d’après lesquelles il a été créé, s’éteint l’étincelle du feu céleste que Jésus-Christ a allumée et attisée durant des siècles dans son esprit ; il finit par s’unir au mal contre Dieu et contre lui-même, et seconde les desseins du mal qui, en gouvernant et en subjuguant le monde, veut le dépouiller de son trésor céleste, et, dans ce but, attente à tout ce qu’il y a de divin, afin que tout soit soumis au pouvoir du mal.
Il est évident qu’un pareil esclave ne peut être un vrai chrétien, un fils de l’Église de Jésus-Christ : car étant soumis dans son esprit au joug du prince de ce monde ou à celui du prince des ténèbres, il ne peut porter le joug de Jésus-Christ. « Nul ne peut servir deux maîtres 146 », a dit Jésus-Christ. – Et non seulement il n’y a pas en lui de soumission à Jésus-Christ, à sa loi, à son joug, mais bien plus, les chaînes qui lient son esprit ne lui permettent pas d’accomplir ce qui uniquement le conduirait à cette soumission, c’est-à-dire d’éveiller en lui l’amour, le sentiment, la vie intérieure chrétienne : – elles permettent seulement à son corps d’accomplir la forme de ce devoir essentiel du chrétien.
Il est facile aussi de sentir qu’en s’excluant de l’Église de Jésus-Christ sur la terre, il se ferme le royaume céleste, dans lequel on ne peut entrer que par l’Église, avec le joug, la croix de Jésus-Christ, la robe nuptiale. C’est pourquoi la liberté et le salut sont unis d’une manière indissoluble et ont en réalité la même signification ; c’est pourquoi aussi celui qui exclut la liberté de l’Église, qui la soumet d’une manière sacrilège aux forces et aux lois de la terre, et à plus forte raison, à celles du mal, de l’enfer, celui-là outrage et renverse l’Église dans son cœur : car il renverse l’amour et le sacrifice, cette essence de l’Église qui ne peut vivre dans le cœur de l’homme que par la liberté véritable. Ce n’est que sous le joug de Jésus-Christ, dans cette véritable liberté, que peut vivre et s’élever l’Église que Jésus-Christ a bâtie dans la liberté parfaite, ayant vaincu les forces de la terre et de l’enfer, le corps, le monde et Satan. C’est tout au plus si, dans l’esclavage de l’esprit, peut se maintenir l’Église des formes seules de Jésus-Christ, dans laquelle l’homme, par l’accomplissement des formes, tantôt se prépare à accepter l’essence de l’Église de Jésus-Christ, tantôt fait pénitence sous la force pour être sorti de cette Église, et afin que, dans sa pénitence, il réveille l’amour pour l’essence chrétienne, pour le joug de Jésus-Christ, pour la liberté véritable.
Tandis que l’homme perd dans cet état d’esclavage la propriété la plus précieuse, l’unique trésor de son esprit, – la liberté de se gouverner soi-même, par conséquent, la liberté de se soumettre au gouvernement de Dieu, – l’homme ne regarde pas cela comme une spoliation et un esclavage, mais il se satisfait de la liberté terrestre seule, extérieure, que le mal, par la permission de Dieu, donne souvent à l’homme afin d’étouffer en lui, par l’apparence de la liberté, le souci pour la liberté véritable, et de pouvoir le tenir le plus longtemps possible sous son joug. L’homme ne voit pas que cette liberté, dont il se contente, est celle d’accomplir les éveils et les suggestions, ces ordres des forces étrangères, liberté dont jouit chaque esclave en accomplissant les ordres de son maître ! Si un prisonnier, chargé de chaînes, se réjouissait de ce qu’il a une petite partie du corps encore libre, un doigt par exemple, et si, prenant cet atome de liberté pour la liberté elle-même, il négligeait tous les moyens et toutes les occasions de recouvrer sa liberté, ce serait un tableau fidèle de ce qui a lieu lorsque l’homme se satisfait de la liberté extérieure, de la liberté du corps, jointe à l’esclavage intérieur, à l’esclavage d’esprit : voilà à quel point la liberté extérieure, la seule que l’homme apprécie et recherche, n’est pour lui qu’une petite parcelle de la liberté ! Si un brigand, après avoir dépouillé un voyageur de tout ce qu’il possède, lui donnait quelque bijou brillant, afin que, se tranquillisant par cette parodie du bien qu’il a perdu, il ne fasse point de tentatives pour rentrer en possession de son bien, ce serait un tableau fidèle de la tactique que le mal emploie pour étouffer dans l’homme, par la liberté extérieure, l’aspiration et le souci pour la liberté véritable !
Tout ce qui se manifeste dans le monde, sur ce champ où l’esclavage intérieur s’étend de plus en plus, – cette grande diversité d’opinions, de principes et conséquemment de détours et de péchés, – tout cela vient de l’action de ces forces d’esprit invisibles et si diverses, de ces maîtres, de ces faux dieux, qui conduisent l’homme par différents détours, et auxquels il se soumet en transgressant le commandement de Dieu donné par Moïse : « Tu n’auras point de dieux étrangers devant ma face 147. »
L’homme, ainsi que je l’ai expliqué plus d’une fois aux frères, non seulement ne peut agir, mais même ne peut penser par lui-même, par sa propre force : car dans chacune de ses pensées, et dans chacune de ses actions, les forces invisibles soit du ciel, soit de la terre ou de l’enfer, s’unissent à lui et le dirigent. Selon la manière dont les forces dominatrices terrestres et infernales influent sur l’homme et agissent en lui, selon qu’elles laissent intactes ou dérangent ses facultés intellectuelles, qu’elles vivifient ou assoupissent ses sentiments et ses penchants, l’action de ces forces se manifeste différemment : – tantôt elle est considérée dans le monde comme une qualité et quelquefois même honorée comme une grandeur, un talent exceptionnel, un attribut du génie, – tantôt elle est regardée comme une maladie du corps seul. Mais, dans les deux cas, cette action est attribuée ordinairement à des causes purement terrestres et non aux forces d’esprit qui agissent sur l’homme.
Selon que ces forces agissent, viennent aussi les différentes dénominations qu’on donne aux effets de cette action, telles que, par exemple : dispersion, dissipation, fougue, élans, bonds, vols, traits d’esprit, lueurs de génie, fantaisies, caprices, spasmes, etc., enfin aliénation mentale, folie : ou bien, lorsque ces forces agissent dans une autre direction : indifférence, apathie, impénétrabilité, ténacité, morosité, attitude morne, contemplation et isolement intérieur, misanthropie, inflexibilité, caractère de fer : enfin mélancolie, spleen, idée fixe. Mais ces autres expressions : être visité par le mauvais esprit, agir par la force du mal, être possédé, ensorcelé, etc., ne sont presque plus employées. Ces expressions, qui représentent l’essence même de l’action de ces forces, expressions qui étaient si usitées dans les premiers siècles du christianisme et le sont encore aujourd’hui parmi le peuple simple, sot pour Jésus-Christ, qui exprime tout par la foi et par le sentiment, sont tombées en désuétude dans les siècles du développement de la civilisation terrestre ; tandis que précisément l’homme, exposé davantage à l’action des forces inférieures, aurait besoin de connaître davantage cette source de sa misère et d’en sentir la gravité.
Si pour l’aveugle c’est un moment important que celui, où, au milieu de la multitude des guides bons et mauvais qui s’offrent à lui, il choisit celui qui devra le conduire, combien plus grave est pour chaque homme le moment où, vraiment aveugle moralement, – car il ne voit pas les forces diverses qui agissent sur lui – il choisit le guide de son esprit, de ses pensées et de ses actions ! Or chaque instant de la vie de l’homme peut être ce moment si grave pour sa direction, car à chaque instant il est en danger de prendre un guide faux, de perdre sa liberté, les trésors de son esprit et enfin son salut. Ce n’est que l’œil intérieur, s’ouvrant par l’amour et le sacrifice éveillés, qui peut distinguer la grâce de Dieu, ce guide véritable et salutaire, de toutes les forces inférieures, ces guides faux qui conduisent à la perdition. De là nous pouvons sentir facilement quel grand trésor c’est pour l’homme que l’amour de la liberté, cette répugnance à subir un joug inférieur et à se soumettre à une force inférieure quelconque. Il nous est facile aussi de sentir la signification et la grande importance de ces saintes paroles : « La vie de l’homme sur la terre est un combat 148..... Je donnerai au victorieux à manger du fruit de l’arbre de vie 149.....Veillez et priez afin que vous ne tombiez pas en tentation 150..... Et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal 151..... ». Ces paroles implorant la liberté véritable, comme bien suprême, Jésus-Christ les a placées dans la prière qu’il a enseignée à l’homme.
La liberté extérieure jointe à l’esclavage intérieur n’est qu’une forme et un mensonge ; c’est le désaccord entre l’esprit esclave et son corps libre. Un tel esclave libre a horreur de toute oppression, de tout joug extérieur qui tombe sur lui par l’homme et reste tout à fait insensible aux pressions et aux jougs intérieurs auxquels il est assujetti par le mal, dans son esclavage intérieur ; il ne supporte pas un brin de paille que lui jette le prochain, et supporte tranquillement la poutre que le mal fait tomber sur lui. Dans cette idée et ce sentiment faux, cet esclave libre étend et perfectionne sa liberté extérieure, se prémunit contre la moindre atteinte à cette liberté, et ne pense nullement à se prémunir contre les traits que le mal dirige contre lui et par lesquels il subjugue son esprit 152. C’est ainsi que, pour le malheur du monde, le corps a plus d’importance que l’esprit, la terre plus que le ciel, le temps présent plus que l’éternité.
C’est une grave offense à Dieu que ce mensonge de l’homme, ce désaccord entre son esprit assoupi dans l’esclavage intérieur et son corps vivant et libre qui accomplit, non la volonté de son maître légitime, son propre esprit, mais la volonté des oppresseurs de son esprit, la volonté des forces étrangères, ces faux dieux, ces faux guides.
Après que la liberté eut été donnée au monde par le Sauveur du monde, l’offense à Dieu venant du péché de l’esclavage intérieur a encore augmenté pendant les siècles chrétiens. Par suite de ce péché, quelques nations filles aînées de la liberté (aînées à cause de l’âge plus avancé de leur esprit, à cause de la supériorité de leur germe) ont perdu leur liberté extérieure et s’efforcent en vain de la recouvrer. Les efforts et les sacrifices qu’elles font pour recouvrer leur liberté extérieure se réduisent à néant en présence des décrets immuables de Dieu, qui ne leur permettent pas d’atteindre l’effet sans qu’elles aient accepté la cause, la liberté intérieure et, par conséquent, la croix, le sacrifice présenté par Jésus-Christ, cette unique force qui soumet l’homme à Dieu, et par suite l’affranchit temporellement et éternellement. Ces filles aînées de la liberté, coupables du péché de l’esclavage volontaire, ont combattu et combattent encore, par la permission de Dieu, non pour obtenir le fruit du combat, mais pour qu’en agissant dans leur esclavage avec une force inefficace, elles reconnaissent cette inefficacité et cet esclavage, et après les avoir reconnus, acceptent la liberté véritable et cette force efficace que Jésus-Christ, par la volonté du Père éternel, a transmise à l’homme, et qu’il exige aujourd’hui de lui et d’abord des enfants aînés de la liberté.
Lorsque ces enfants aînés de la liberté, s’occupant uniquement de la liberté extérieure, cette forme, ce vêtement de leur mère, ont montré qu’ils n’avaient point d’amour pour leur mère – la mère Liberté a quitté ses enfants et est retournée à sa source céleste, en laissant seulement son vêtement, la liberté extérieure sans la liberté ; et le mal, profitant de cela, se couvre du vêtement, des formes, et des ornements de la liberté, éblouit, étourdit et subjugue par là de plus en plus les enfants de la liberté.
Dans les nations qui, par suite de leur esclavage intérieur, ont perdu leur liberté extérieure, l’opposition et le désaccord qui y régnaient autrefois entre l’esprit et l’homme ont été suivis de la triste harmonie de l’un avec l’autre, car l’esclavage de l’esprit subjugué par les forces inférieures invisibles se réalise actuellement dans l’esclavage de l’homme subjugué par les instruments visibles de ces mêmes forces. Aussi, aujourd’hui plus que jamais, voit-on se manifester dans le monde ce phénomène si contraire à l’ordre naturel des choses : que ceux qui sont supérieurs, plus âgés en esprit – par conséquent, appelés les premiers à la liberté – sont subjugués soit par leurs frères cadets, inférieurs, soit par leurs frères égaux quant à leur âge d’esprit et à leur culpabilité (quelquefois même plus coupables qu’eux devant Dieu), mais pour lesquels le temps de la pénitence n’est pas encore venu et qui déposent aujourd’hui, sur leurs frères, les fruits de leurs propres péchés afin de les expier plus tard, pendant le temps de leur pénitence. C’est ainsi que, dans la sagesse du médecin suprême, les maladies de l’âme humaine sont combattues par les fruits que produisent ces maladies et par la lutte des malades entre eux jusqu’à leur complète guérison, après laquelle sera atteint le but suprême de l’homme : l’amour, la concorde, l’union en Jésus-Christ, un seul troupeau et un seul pasteur, la sainte Église universelle, la communion des saints.
Dans ces jours où commence l’époque de la liberté et de la vie d’esprit, les secrets des cœurs se découvrent, toute forme privée de son essence succombe, afin que l’essence revêtue de la forme – son vêtement terrestre – s’élève et triomphe sur la terre. À cause de cela la mère Liberté, se montrant dans son caractère céleste, revendique le droit qui lui est enlevé, réclame la vénération due à sa sainteté et demande à être dignement acceptée, ainsi que cela est destiné dans la miséricorde de Dieu. Espérons en cette miséricorde que les enfants aînés de la liberté, subjugués intérieurement et extérieurement, accepteront et accompliront l’appel de Dieu à se libérer intérieurement, qu’après cette action que l’homme doit accomplir lui-même, descendra sur la terre l’action de Dieu implorée dans les gémissements des nations, qui affranchira l’homme extérieurement, qu’ainsi la liberté véritable et entière s’établira sur la terre, s’étendra et se pratiquera dans la vie privée et publique, et que, par cette vie, s’élèvera l’Église vivante, dans laquelle l’amour, le sacrifice, la croix de Jésus-Christ produiront leurs fruits célestes.
Afin que ces desseins de la miséricorde de Dieu puissent s’accomplir, il faut que cet acte de liberté, qui regarde l’homme lui-même, soit réalisé d’abord par les défenseurs de la liberté qui en portent le saint nom et se dévouent pour elle, – les libéraux, les démocrates, les révolutionnaires, – car si Dieu appelle quelqu’un à défendre la liberté du prochain, c’est que déjà par cela-même il lui a destiné avant tout de devenir libre en lui-même, de délivrer du joug des forces étrangères sa propre conscience, ce sanctuaire d’où la mère liberté peut étendre sa vie dans le monde et y répandre ses bienfaits. Jadis les esclaves étaient privés de l’honneur de porter les armes et de combattre dans les rangs des hommes libres ; comment donc aujourd’hui cet honneur pourrait-il sur le champ chrétien devenir le partage de ceux qui sont volontairement esclaves en esprit, qui aiment leurs chaînes, les prennent pour la liberté et s’en glorifient, et qui, de cette manière, poussent le péché d’esclavage à son sommet et, en donnant aux oppresseurs du monde un triomphe complet, leur donnent en même temps tout le droit de maintenir leur oppression ? C’est ainsi que ceux qui portent le saint nom de la liberté deviendront les instruments de la miséricorde divine qui, de nos jours, appelle le monde subjugué à recouvrer sa liberté vraie et complète. C’est ainsi que la puissance de la liberté se manifestera dans le monde par ces instruments, par leurs actions, fruit de leur sacrifice pour la liberté et, par conséquent, pour le triomphe de Jésus-Christ, qui, ayant été le premier à conquérir sa liberté, fut aussi le premier à montrer au monde la vraie liberté et à l’y convier.
Parmi les nations qui ont été les premières à recevoir l’appel de Dieu, comme enfants aînés de l’Église et de la liberté, les Italiens ont été plus particulièrement appelés à l’honneur chrétien de conquérir leur liberté d’esprit et, par suite, leur indépendance, à montrer par cette action chrétienne, inconnue jusqu’à présent sur le champ public, la voie de l’affranchissement chrétien, voie toujours la plus facile, la plus directe et, en tous cas, la seule qui convienne aujourd’hui à ces nations filles aînées de l’Église et de la liberté. Cet appel de Dieu a déjà commencé à s’accomplir dans les mouvements politiques actuels de l’Italie 153 : nous devons souhaiter que ces mouvements purs et inspirés par le sacrifice, mais terrestres, s’élèvent à la hauteur chrétienne ainsi que cela est destiné ; et que l’amour de la liberté extérieure se complète par l’amour de la liberté intérieure et devienne l’amour chrétien ; car ce sont uniquement un pareil amour, de pareils mouvements, de pareils sacrifices, fruits d’un vrai amour, qui pourront amener ces enfants aînés de l’Église et de la liberté au but qui leur est assigné dans la miséricorde de Dieu !
Pour vous aider sur ce point, mon frère, je joins ici quelques extraits de l’Écriture Sainte, qui confirment ces vérités touchant la liberté :
« L’esprit du Seigneur m’a envoyé..... Pour annoncer aux captifs leur délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour mettre en liberté ceux qui sont brisés sous leurs fers, pour publier l’année favorable du Seigneur et le jour où il se vengera de ses ennemis 154..... Prenez mon joug sur vous... et vous trouverez la paix de vos âmes ; car mon joug est doux 155..... Où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté 156..... Celui qui est appelé étant libre devient esclave de Jésus-Christ..... si le Fils vous délivre, vous serez vraiment libres..... vous connaîtrez la vérité et la vérité vous délivrera 157..... Ayant été affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice 158..... Soyez donc assujettis à Dieu ; résistez au diable et il s’enfuira de vous 159..... Esclaves de la corruption ; parce que quiconque est vaincu est esclave de celui qui l’a vaincu 160..... Celui qui commet le péché est esclave du péché 161..... Nous avons à combattre, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde, de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans l’air 162..... »
C’est sur les vérités fondamentales ressortant des écrits rapportés plus haut que fut basée toute l’action de Towianski envers l’Église et l’Italie.
Ce qu’il a fait concernant Sa Sainteté Grégoire XVI, on l’a déjà vu au chapitre III de ce livre.
Ce qu’il a fait en particulier envers beaucoup d’ecclésiastiques, séculiers et réguliers, on peut le voir dans ce qui est conservé au volume II de ses écrits. Mais je ne puis m’abstenir de rapporter ici ce qu’il a fait à l’égard du Pape Pie IX.
Ayant toujours eu le désir d’accomplir envers ce pontife le devoir de sa vocation et n’ayant jamais pu obtenir la faveur de le faire personnellement, il lui adressa vers la fin de 1868 l’écrit suivant, dans lequel la vérité plus complète sur l’état actuel de l’Église est présentée à son Chef avec une sagesse si profonde, une hardiesse si humble et si sainte, une liberté chrétienne si entière, une force si grande, qu’il serait impossible d’en faire autant à quiconque n’eût pas eu vraiment un pur et ardent amour de Dieu et du prochain, une abnégation complète de soi-même, et une mission d’en Haut.
M’étant rendu à Rome, je fus reçu par Sa Sainteté Pie IX en audience particulière et je remis entre ses mains, le 23 janvier 1869, cet écrit dont voici la teneur :
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
SAINT-PÈRE,
Depuis le commencement du pontificat de Votre Sainteté, j’ai désiré m’approcher de vos pieds, afin d’accomplir envers l’Église et envers son Chef souverain le devoir auquel m’a appelé la volonté de Dieu ; mais dans la position où m’a mis le Saint-Siège, je n’ai pu jusqu’à présent m’acquitter de ce devoir le plus important pour moi, et j’en ai porté dans mon âme une grande douleur. – Dans ces jours, Dieu m’a fait connaître que le temps est venu où je dois servir sur ce champ de ma vocation, y servir la personne seule de Votre Sainteté. Ce service, je l’accomplis envers Vous, Vicaire de Jésus-Christ, dans l’humilité et la crainte, comme si je me présentais devant Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même ; je l’accomplis avec la confiance que vous permettrez, Saint-Père, que votre fils en Jésus-Christ, soumis à Vous, son autorité souveraine, vous parle comme serviteur en Jésus-Christ, transmettant ce qui lui est donné pour être transmis, transmettant la chose de Dieu telle qu’elle est, sans avoir égard à sa propre indignité, ni à la dignité de celui à qui il parle.
Des ténèbres et des contrariétés extraordinaires, visibles et invisibles, oppressent le Saint-Siège et l’Église ; la religion est persécutée, l’Église est délaissée, sa force terrestre lui est ôtée, sa force spirituelle diminue, la confiance et le respect dus à la dignité sacerdotale disparaissent...., et les causes de ces malheurs ainsi que les moyens d’y remédier ne sont pas connus !.... Ces ténèbres et ces contrariétés, n’étant pas combattues par la lumière et la force chrétiennes, augmentent de plus en plus : de là résulte une responsabilité de plus en plus grande pour les ministres de l’Église et surtout pour celui à qui Notre-Seigneur Jésus-Christ a confié la direction de son Église. Dans cette situation, c’est pour Vous, Saint-Père, un devoir urgent de déposer devant Notre-Seigneur Jésus-Christ le sacrifice satisfactoire que Notre-Seigneur réclame de Vous, Chef souverain de l’Église. Ce sacrifice est exposé dans le présent écrit, et cet écrit, cette voix de mon âme, je le dépose aux pieds de Votre Sainteté.
Voyez, Saint-Père, dans quel état est l’Église que vous gouvernez, quel est dans cette Église l’état du christianisme, quel est l’esprit qui y règne, et quels sont les fruits que cet état de l’Église produit dans le monde.
L’Église actuelle perd de plus en plus ce qui constitue l’essence céleste de l’Église, elle perd de plus en plus l’amour, le sacrifice, la croix, cette force avec laquelle Jésus-Christ a bâti son Église, cette arme céleste qui seule milite contre les forces de la terre et des enfers, qui seule rend l’Église, Église militante et l’unit à l’Église triomphante.
Tandis que, dans ces temps de direction pour l’Église, ses ministres reçoivent des éveils de plus en plus pressants à accepter l’essence chrétienne, ces éveils sont tournés à l’élévation du culte extérieur, à l’observation plus scrupuleuse des formes de la religion ; ces formes sont strictement exigées et l’essence céleste qu’elles représentent est négligée, considérée comme accessoire : l’amour, le sacrifice sont remplacés dans l’Église actuelle par l’importance donnée aux formes, qui sont considérées comme le christianisme même et auxquelles est attribué le pouvoir céleste de sauver l’homme.
À cause de cela, on considère comme piété, et même comme sainteté, cette piété morte qui, étant sans amour, sans sacrifice, sans ce feu que Notre-Seigneur Jésus-Christ a apporté sur la terre, peut être acquise par le sacrifice terrestre seul, par la pratique extérieure des actes de la religion, des bonnes œuvres, des vertus passives, sans que l’âme y participe ; cette piété qui, en éloignant de l’âme tout souci chrétien, et en évitant la lutte contre le mal, se renferme dans la tranquillité et l’indifférence qui sont la mort et souvent l’endurcissement de l’âme ; – on considère comme piété et comme sainteté même cette piété sacrilège qui, en rejetant toute croix, tout sacrifice, tant chrétien que terrestre, puise une coupable jouissance d’esprit dans la grâce de Dieu, dans la prière et dans toutes les aides données à l’homme pour son salut, qui par là prend comme instrument de péché, non plus la terre et l’enfer, mais le ciel-même. – À cause d’une telle importance donnée aux formes seules, les péchés mortels de l’esprit, cachés sous des formes et des apparences saintes, passent inaperçus, sont tolérés et même légitimés, tandis que les péchés terrestres, véniels sont seuls condamnés et réprimés ; l’impiété se couvrant des formes de la piété est honorée, et la vraie piété, dès qu’elle manifeste ses trésors chrétiens avec vie et énergie, est réprouvée et persécutée.
Les formes venant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et conservées dans l’Église à travers les siècles, sont saintes et indispensables ; l’homme a besoin des formes afin d’arriver à l’essence qu’elles représentent, à ce ciel inaccessible à ses sens ; il a besoin que la forme, en frappant ses sens, éveille son esprit et le tourne vers le Ciel ; sans les formes, l’esprit de l’homme, dès qu’il serait séparé du Ciel et égaré dans les détours, ne trouverait pas sur la terre où se réfugier et se reposer, ne trouverait aucune aide pour revenir dans la voie chrétienne. – Les formes de Notre-Seigneur sont immuables, éternelles, – la lumière chrétienne s’étendra en éclairant les degrés de plus en plus élevés de la voie chrétienne ; l’homme, à mesure qu’il acceptera l’essence chrétienne, progressera dans cette voie, l’Église s’élèvera sur la terre, mais les formes de Notre-Seigneur resteront les mêmes, car ces formes représentent ce qui est suprême dans le Royaume, dans l’Église de Notre-Seigneur, elles représentent le Verbe de Dieu accompli. Mais quand les formes, à cause du rejet de l’essence, deviennent aujourd’hui la source de si nombreux détours ; quand, tranquillisant la conscience inquiétée par le péché du rejet de l’essence, elles éloignent de plus en plus de la voie chrétienne ; quand, par suite de cela, l’Église de Jésus-Christ est délaissée, et l’Église des formes est élevée, il faut sentir que le mal est arrivé au sommet de son triomphe, car ces moyens que Notre-Seigneur a donnés pour l’extension de son Royaume, pour le triomphe de son Église et pour le salut de l’homme, le mal s’en sert pour la ruine de l’Église et pour la perdition de l’homme ; – il faut sentir le grand dommage qui résulte pour l’homme de ce que l’Autorité de l’Église n’accomplit pas son devoir essentiel, ne rend pas à l’essence et aux formes ce qui leur est dû, ne met pas l’essence sans les formes au-dessus des formes sans l’essence, et, par suite de cela, exclut de son amour et de sa sollicitude ceux qui, malgré leur manque de fidélité aux formes chrétiennes, restent fidèles à Jésus-Christ et à l’essence chrétienne.
De même que l’observation des formes est considérée comme l’accomplissement de l’essence qu’elles représentent, de même la connaissance seule de l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ est considérée comme l’accomplissement de cet enseignement, comme l’acceptation de son esprit céleste. La forme et la connaissance, ces qualités terrestres, sont de plus en plus regardées comme les qualités essentielles de la vocation sacerdotale, et sont appréciées plus que les qualités chrétiennes. – L’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce fruit de son sacrifice, de sa croix, s’acquiert dans l’Église actuelle par le travail des facultés intellectuelles seules ; on le dépouille de son essence, de sa force et de sa vie ; on en fait une science terrestre, qu’on peut acquérir et transmettre par ces mêmes facultés terrestres, sans amour, sans sacrifice, sans s’élever dans la voie chrétienne, et même en s’abaissant et en vivant dans les détours les plus bas. Ainsi, la chose la plus sainte, la chose céleste est soumise à la loi terrestre, est mesurée avec la mesure terrestre : ce trésor du Royaume de Jésus-Christ est employé à enrichir et à élever le royaume de ce monde ; les organes terrestres sont cultivés, l’organe chrétien est négligé ; richesse dans la tête, pauvreté, sécheresse et mort dans l’âme : dans l’abondance de la lumière, profondes ténèbres ! C’est pourquoi les paroles de Notre-Seigneur sont prises dans un esprit terrestre, contraire à ces paroles, on ne les comprend pas, on ne les accomplit pas, et l’Église actuelle, de même qu’un arbre desséché, ne porte pas de fruit, les paroles d’enseignement des ministres de cette Église, mortes dans leur bouche, ne nourrissent pas, ne vivifient pas l’homme, et ce que ces ministres exigent de l’homme est souvent contraire à ce qu’ils enseignent.
Tandis que, dans ces temps, la réclamation de Dieu devient de plus en plus pressante pour que les ministres de l’Église se soumettent à Notre-Seigneur Jésus-Christ et entrent dans son Église, ces ministres se soumettent à l’esprit le plus contraire à Jésus-Christ et à son Église. Cet esprit exclut l’amour et le sacrifice, la vérité, la liberté et la vie ; exclut tout progrès chrétien et terrestre ; répandant autour de lui la mort et l’esclavage, il étouffe toute inquiétude, tout souci chrétien, il étouffe dans le cœur de l’homme les étincelles naissantes du feu de Jésus-Christ, par là il éteint le christianisme à son commencement même. Avec l’assurance et la force que leur donne cet esprit, les ministres de l’Église résistent à la grâce et à la force, aux réclamations et aux châtiments de Dieu ; abusant du pouvoir qui leur est donné, ils se considèrent et se font considérer comme l’Église de Jésus-Christ ; ils exigent envers eux-mêmes la vénération et la soumission dues à cette Église, en épouvantant la conscience humaine par les châtiments dont sont menacés ceux qui désobéissent à l’Église ; – avec cette assurance et cette force, s’appuyant sur les paroles de Jésus-Christ, qu’ils ne prennent pas dans l’esprit de Jésus-Christ, ils imposent cette croyance : que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne peut agir dans le monde que par eux ou avec leur approbation, qu’il est obligé d’approuver et d’appuyer leurs actes et décisions, quand même, à cause de leur infidélité à Jésus-Christ, à sa croix et à leur vocation sacerdotale, ils auraient cessé d’être véritablement ministres de l’Église, serviteurs, organes de Jésus-Christ, et seraient devenus serviteurs et organes de l’esprit contraire à Jésus-Christ, quand même il serait évident que leurs actes et décisions sont contraires à sa sainte volonté ; ainsi les ministres de l’Église se substituent à Notre-Seigneur Jésus-Christ et le dépossèdent de son trône !.... – avec cette assurance et cette force, ils nient et repoussent toute vérité qui met à découvert le faux établi par eux, sur lequel ils ne font aucune concession, par là ils ôtent tout moyen de s’unir avec eux dans la vérité, en Jésus-Christ ; – cette assurance et cette force, ils les considèrent et les font considérer comme le caractère invariable de l’Église, comme sa vérité immuable et son infaillibilité, comme l’accomplissement de ces paroles de Notre Seigneur : « Et portae inferi non praevalebunt adversus eam 163 » ; – par tout cela ils tiennent une grande partie des chrétiens dans un tel esclavage et dans de telles ténèbres que ces chrétiens n’osent voir dans l’Église actuelle l’esprit contraire à Notre-Seigneur, et considèrent le règne de cet esprit comme le règne de Notre-Seigneur, comme l’extension et la prospérité de l’Église, et leur aveuglement à cet égard comme la vertu de la foi ferme et de l’entière soumission à l’Église !.... Et tandis que de tels ministres, organes de l’esprit contraire à Jésus-Christ, jouissent de l’union et de la protection du Saint-Siège, et sont regardés comme les flambeaux et les soutiens de l’Église, les ministres restés fidèles à Notre-Seigneur Jésus-Christ et à son Église sont privés de l’union et de la protection du Saint-Siège. Ces véritables fils de l’Église, méconnus, dépréciés, sans autorité et sans influence, n’osent lutter contre cet esprit contraire à Jésus-Christ, n’osent faire opposition au faux et manifester la vérité qu’ils sentent, ils n’osent le faire même dans leur esprit, dans leur pensée, parce qu’ils sont liés par l’obéissance à l’Église et à son autorité. – Ainsi est défigurée la pensée de Dieu qui repose sur l’Église, et l’esclavage qui, de cette source, s’étend sur les âmes des chrétiens, peuple de Jésus-Christ, menace la pensée de Dieu qui repose sur l’homme, plus que l’esclavage du peuple de Dieu, du temps de Moïse, ne menaçait cette même pensée !....
L’Église actuelle est déjà arrivée à un tel état de décadence qu’elle a cessé d’être l’Église de Jésus-Christ, cet édifice, ce Royaume céleste, et que, n’ayant conservé que les formes et la lettre morte de la loi de Jésus-Christ, elle est devenue un édifice, un royaume terrestre, gouverné par l’esprit contraire à Jésus-Christ. Dans ce royaume, les biens temporels prédominent sur les biens éternels, les intérêts matériels, terrestres, prédominent sur l’intérêt céleste pour lequel Notre-Seigneur Jésus-Christ a bâti son Église ; l’intérêt céleste y est pris seulement comme instrument des intérêts terrestres ; – dans ce royaume, le sacerdoce, cette vocation chrétienne la plus élevée, est abaissée au niveau d’une profession ordinaire, terrestre ; dans ce royaume, il n’y a point de religion, car ce qui relie l’homme au ciel, l’amour, le sacrifice, le sentiment, la vie, la liberté chrétienne, en est banni. Et c’est un tel royaume, une telle Église, où l’Esprit de Notre-Seigneur Jésus-Christ est crucifié et où l’esprit du mal est arrivé au sommet de sa puissance et de son triomphe, qui porte le nom et jouit des droits de la Sainte Église universelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ !....
Un tel état de l’Église est la cause principale pour laquelle se détournent de Jésus-Christ et de son Église tant ceux qui, sous l’apparence de la fidélité à l’Église de Jésus-Christ, sont esclaves de l’Église actuelle, que ceux qui, en se révoltant contre l’Église actuelle, poussent leur fausse liberté jusqu’à rejeter toute Église et à se jeter dans le détour de l’impiété ; aux uns et aux autres, l’Église actuelle ferme la voie du progrès chrétien et du salut, voie qu’elle doit leur frayer et dans laquelle elle doit les guider. – Aussi les pressions et les calamités qui fondent aujourd’hui sur l’Église sont la punition de Dieu pour ce schisme de l’Église actuelle d’avec l’Église de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; elles ne sont point le sacrifice du martyre déposé à Jésus-Christ et à son Église par des innocents. La lutte contre les instruments de cette punition, sans que soit accompli ce que Jésus-Christ réclame en punissant, n’est qu’une lutte de coupables avec des coupables, lutte que Jésus-Christ permet pour les fautes des deux partis, mais dans laquelle Il ne s’unit à aucun parti et n’en appuie aucun. Les ennemis et les persécuteurs de l’Église sont même souvent moins coupables que l’Église, car les péchés terrestres venant des passions de l’homme et aggravés par le rejet des formes chrétiennes sont un mal moins grave que les péchés d’esprit venant des passions de l’esprit et revêtus des formes chrétiennes.
Avant que l’Église arrivât à l’état où elle est aujourd’hui, un secours extraordinaire destiné à la purifier et à la relever a été apporté par l’Œuvre de Dieu qui se fait en ce temps de direction pour l’Église et pour le monde, temps du commencement de l’époque chrétienne supérieure. L’Œuvre de Dieu transmet la réclamation et l’appel que fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que l’homme satisfasse pour le rejet de la foi, de l’amour et du sacrifice, qu’il accepte cette essence du christianisme, entre dans la voie chrétienne et y occupe le degré qui lui est destiné pour cette époque ; l’Œuvre de Dieu présente en même temps à l’homme l’aide destinée à lui faciliter l’accomplissement de cette réclamation et de cet appel suprême ; – mais cette Œuvre et cette aide ont été condamnées et rejetées par le Saint-Siège et par les ministres de l’Église. – On a posé des limites à la puissance et la miséricorde de Dieu, et on considère comme un péché contre l’Église d’accepter la miséricorde et la grâce que Dieu répand en ces jours sur le monde, parce que cette miséricorde et cette grâce descendent contrairement aux lois que l’Église actuelle a établies et par lesquelles elle s’est prémunie contre le ciel descendant sur la terre d’après les lois célestes.
Ceux qui sont devenus serviteurs de l’Œuvre de Dieu. et par cela même des fils plus fidèles de l’Église, ont éprouvé une violente persécution de la part des ministres de l’Église ; on leur a refusé les sacrements, on les a calomniés et anathématisés du haut de la chaire d’une manière indigne de la sainteté du caractère sacerdotal ; – même en Sibérie, des prêtres qui y étaient exilés ont exercé cette même persécution à l’égard de leurs compagnons d’infortune ; ils opprimaient les âmes de leurs frères soumis comme eux, par la permission de Dieu, à une pénible épreuve. – Les témoignages sur l’Œuvre de Dieu, et les suppliques des serviteurs de cette Œuvre, déposés aux pieds de Votre Sainteté, étant restés sans réponse, ont contribué à augmenter la persécution, et cette persécution, ayant plus d’une fois obtenu votre approbation, Saint-Père, s’est couverte de votre autorité et a été exercée en votre nom.
On s’est méfié de l’homme transmettant la volonté de Dieu, au lieu de déposer le sacrifice nécessaire pour connaître cette volonté suprême : on n’a pas eu égard à ce que Dieu est maître de manifester sa volonté par tels instruments qu’il lui plaît, qu’il est maître, pour éprouver l’amour de l’homme, de transmettre sa volonté non seulement par des serviteurs sans éclat et sans autorité terrestre, mais même par les instruments les plus indignes ; et cependant, dans les royaumes terrestres, ceux qui reçoivent des ordres ne s’occupent point des porteurs de ces ordres, ils ne voient que l’autorité qui ordonne et ce qu’elle ordonne. – On ne m’a pas appelé à exposer l’Œuvre de Dieu, on n’a pas cherché à connaître cette Œuvre par mes écrits qui l’éclaircissent ; on s’est emparé d’un brouillon de note, Biesiada (Agape), que j’avais tracé à la hâte pour mon usage personnel et qui était loin d’être un exposé de l’Œuvre de Dieu ; cette note a été publiée à mon insu par un imprimé et un fac-simile, et a été prise comme base de la condamnation et des calomnies jetées contre l’Œuvre de Dieu. – J’ai été sommé au nom du Saint-Siège par le nonce apostolique, je l’ai été aussi par mon évêque et par mes confesseurs, de condamner et de rejeter l’Œuvre que je sers par la volonté de Dieu ; de condamner et de rejeter comme un souffle du mauvais esprit la grâce de Dieu qui m’a fait connaître ma vocation, qui, dans ma faiblesse et mon obscurité, m’a fortifié et conduit pendant des années ; j’ai été appelé à me reconnaître coupable envers l’Église en ce que, accomplissant le devoir de ma vocation, je présente la réclamation et l’appel que Notre-Seigneur Jésus-Christ fait au monde dans ces jours. – On m’a menacé de m’exclure de l’Église, mais Dieu par sa grâce a raffermi dans ma conscience le sentiment de cette vérité, que l’homme n’est coupable envers l’Église de Jésus-Christ et ses ministres qu’autant qu’il est coupable envers Jésus-Christ lui-même, que par conséquent la condamnation à être exclu de l’Église pour avoir accompli la volonté de Jésus-Christ n’exclut pas de l’Église de Jésus-Christ. Ô mon Père ! quand, pour servir l’Œuvre de Dieu, je quittais ma terre natale, faible et sans lumière par moi-même, sans force et sans autorité terrestres, j’avais mis ma confiance en Jésus-Christ et dans les ministres de l’Église ; j’étais sûr que l’amour de la volonté de Dieu, l’obéissance à cette volonté et la joie causée par l’effusion de la miséricorde de Dieu sur le monde, en ces jours du Jubilé de l’époque, uniraient les ministres de l’Église avec leur serviteur et que je recevrais d’eux l’aide et l’appui pour accomplir ma vocation. Sentant ce qui doit être dans l’Église, mais ne sachant pas encore ce qui y est en réalité, j’étais alors loin de penser que je serais tenté par mes magistrats spirituels à renier Jésus-Christ, sa volonté et son Église, et par là de perdre mon âme ; j’étais loin de prévoir cette contrariété la plus grande et la plus douloureuse pour moi !..... Dieu voit que dans cette position pénible je n’ai cessé de faire tout ce qui était en mon pouvoir afin d’accomplir mon devoir envers l’Église et son chef souverain ; Dieu voit que j’étais prêt à tout sacrifice, afin d’être pour Vous, mon Père, comme cela m’était destiné, un serviteur dévoué et actif.
Les contrariétés si grandes que les serviteurs de l’Œuvre de Dieu ont éprouvées de la part de l’autorité de l’Église, les outrages et les souffrances qu’ils ont subis, ils les ont offerts à Notre-Seigneur Jésus-Christ et ils ont supporté la persécution avec humilité ; et ne trouvant pas dans les ministres de l’Église actuelle l’esprit de Jésus-Christ, ne trouvant pas ce qui est l’essence du saint ministère de l’Église, c’est par un sacrifice redoublé qu’ils ont cherché ce ministère, qu’ils ont cherché leur Mère céleste l’Église, là où elle est, dans le ciel !... – Mais parmi ceux qui étaient appelés à servir l’Œuvre de Dieu, il en est qui n’ont pas cherché dans l’Église qui est au ciel l’appui et le repos pour leur âme ; abattus par la persécution dirigée contre l’Œuvre de Dieu, ils se sont détournés de cette Œuvre, et se sont tournés soit vers la vie terrestre, soit vers la fausse piété, vers la pratique des formes seules, par lesquelles ils cherchent à tranquilliser leur conscience troublée par le rejet de la volonté de Dieu.
Les prêtres qui ont senti que cette Œuvre est l’Œuvre de Dieu et que son but est l’élévation de l’Église, qui ont accepté cette Œuvre et se sont dévoués à y servir Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Église, ont eu à subir de sévères punitions de la part de leurs supérieurs, et même il en est qui ont subi le martyre de l’esprit et du corps. Beaucoup de sacrifices déposés sur ce champ, mais repoussés et punis par les autorités de l’Église, ont porté plainte devant le trône de la Majesté de Dieu, et ont aggravé la culpabilité de ces autorités. – Devant Dieu sont comptés les sacrifices qu’a déposés pendant dix ans, comme prêtre et serviteur de l’Œuvre de Dieu, Édouard Dunski, connu et vénéré, à cause de ses vertus, comme patriote et comme prêtre ; il a témoigné de cette Œuvre devant ses supérieurs, en particulier et publiquement, par la parole et par l’action ; il a accompli avec un zèle exemplaire les devoirs du prêtre de l’époque passée et de l’époque actuelle, il a concilié l’obéissance à l’appel que Notre-Seigneur Jésus-Christ fait dans son Œuvre avec l’obéissance à l’Autorité spirituelle qui persécutait cette Œuvre, il a présenté ainsi le modèle du caractère sacerdotal dans l’époque supérieure ; – mais ces sacrifices, fruit de son amour et de sa fidélité pour l’Église, au lieu d’augmenter l’estime qu’avaient pour lui ses supérieurs, lui ont fait perdre leur confiance et lui ont attiré de leur part des punitions et des persécutions bien douloureuses pour son âme. – De même, parmi les ecclésiastiques italiens, un religieux de l’Ordre de saint François, Louis de Carmagnola, persécuté par ses supérieurs pour sa foi en l’Œuvre de Dieu, et appelé ensuite à Rome par le général de son Ordre, s’y rendit, quoiqu’il connût les dangers qui pouvaient l’y attendre ; il se dévoua à tout dans le seul but de déposer devant Vous, Saint-Père, son sentiment et sa conviction sur cette Œuvre qu’il avait reconnue comme l’unique source de l’aide destinée à l’Église ; mais il ne fut pas admis à vos pieds, et il finit sa vie en martyr de son amour pour l’Église et de sa foi en l’Œuvre de Dieu. Comme le sacrifice de ce religieux mérite l’attention particulière de Votre Sainteté, je sens le devoir de citer ici quelques extraits des lettres qu’il a écrites à ce sujet à ses amis.
Il a écrit avant son départ pour Rome :
« ..... Toutes les fois que j’entrais profondément dans mon intérieur, je ne pouvais penser à Rome sans sentir un certain devoir à accomplir, je ne pouvais entendre quelqu’un de nos frères parler de l’amour dû à nos autorités spirituelles sans sentir intérieurement un reproche et une responsabilité pour ne leur avoir pas payé ma dette d’amour en action.....
« Je suis décidé à me rendre à Rome pour déposer au Saint-Père mon amour, ma vénération et ma soumission. Je m’y prépare en acceptant tout ce que le Seigneur peut permettre qu’on fasse avec moi, en acceptant dès aujourd’hui le pire, en offrant en sacrifice ma vie.....
« Je partirai, si le Seigneur le veut, après m’être purifié de tout ce que je sais en moi de terrestre, de personnel, afin que je puisse avoir la confiance en Dieu que quoique faible et sans force par moi-même, je pourrai être l’instrument de sa Grâce et avoir la force nécessaire pour accomplir mon devoir..... »
Il a écrit de Rome :
« ..... Je suis sous l’Inquisition ; j’ai déjà comparu sept ou huit fois devant l’Inquisition et cela continue. Il est impossible de rien exposer de l’Œuvre, parce que, disent-ils, ils savent tout.....
« Déjà je pense que nous ne nous verrons plus ; je tomberai sous le poids de l’Inquisition si le Seigneur, dans sa miséricorde infinie, ne me délivre pas. Ma santé va toujours en s’affaiblissant de plus en plus ; ce qui tient la plume pour vous écrire n’est plus que la peau et les os. Quel que soit le décret de Dieu, je me prépare à l’accepter.....
« J’ai déjà eu plusieurs occasions pour fuir, mais chaque fois il m’est arrivé des signes de la volonté de Dieu que je dois rester jusqu’à la fin. Parmi ces signes, je vous raconterai brièvement un songe que j’ai eu la nuit du 9 juin (1859).....
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« Ici je me suis réveillé avec la résolution de ne plus partir, car notez que le lendemain même je voulais m’enfuir de Rome. Le 10, à 9 heures avant midi, un Dominicain vint me dire que le lundi suivant je devais me présenter au Saint-Office pour continuer les séances.....
« Oh ! mes très chers frères ! Si toujours j’avais besoin de votre appui, combien j’en ai d’autant plus besoin aujourd’hui ! C’est pourquoi je vous prie de prier pour moi, pour que je puisse me soutenir fidèle à la vérité et à la Grâce de Dieu..... »
Après la mort de ce religieux, on a publié officiellement « qu’il avait abjuré ses erreurs » ; une semblable publication avait été faite aussi après la mort du prêtre Dunski, contre quoi quatorze témoins présents à sa mort ont déposé aux pieds de Votre Sainteté leur déclaration sous la foi du serment, en date du 9 octobre 1858. – Ces sacrifices du martyre d’esprit et de corps, accomplis pour la défense de l’Église de Jésus-Christ devant l’Église actuelle, sont déjà unis aux sacrifices de plusieurs fils de l’Église qui, dans le passé, ont attiré sur eux une semblable punition pour un semblable dévouement, et le poids de ces sacrifices mis dans la balance de Dieu contribue à approcher le triomphe de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Église !..... Cependant, depuis la mort de ces deux serviteurs de l’Œuvre de Dieu, le mal a commencé à gouverner d’une manière plus menaçante, et aucun des prêtres bien disposés pour l’Œuvre de Dieu n’a plus élevé la voix pour la défense de cette Œuvre.
Je ne vous présente qu’en partie, mon Père, le tableau de ce qu’un grand nombre de prêtres ont fait à l’égard de l’Œuvre de Dieu, tableau des passions déchaînées et des excès commis sur ce champ ; cette Œuvre est persécutée dans ces temps, comme elle l’a été du temps de Jésus-Christ et dans les premiers siècles après Jésus-Christ, persécutée par ceux que les devoirs de leur ministère appellent à accomplir les premiers la volonté de Dieu, et par là, à servir les premiers l’Œuvre de Dieu.
Par ce rejet et cette persécution de la chose la plus sainte, par cette violation des lois de l’amour chrétien et même de la probité terrestre, les autorités de l’Église ont présenté à l’homme une tentation extraordinaire de repousser la direction salutaire qui lui avait été destinée dans ces jours où commence l’époque chrétienne supérieure. – L’homme pressent dans sa conscience ce que montre l’Œuvre de Dieu et à quoi elle appelle : il pressent que le christianisme réduit à la connaissance de son enseignement acquise par les facultés terrestres, et à la pratique de ses formes, ne donne pas le salut ; que la force terrestre de l’intelligence, de la doctrine, du raisonnement, doit perdre sa domination et s’humilier devant la force céleste de la croix de Jésus-Christ, devant l’amour, le sacrifice, le sentiment chrétien ; que, par suite de cela, l’homme est appelé à vaincre son péché mortel de la paresse pour le service de Dieu, à prendre la croix, et avec la force de la croix, à accomplir ses devoirs chrétiens négligés, – mais dans sa répugnance pour la croix, pour le sacrifice, l’homme a fait ce qui appuyait le plus son péché et tranquillisait sa conscience inquiétée ; il a pris comme condamnation de l’Œuvre de Dieu par Jésus-Christ et son Église l’expulsion de Rome que le serviteur de Dieu, présentant l’Œuvre de Dieu, a subie sous le pontificat de Grégoire XVI, la persécution de cette Œuvre sous le pontificat de Votre Sainteté, et tout ce qui, dans l’Église actuelle, a été dit et fait contre cette Œuvre ; par suite de cela, sans chercher même à la connaître, il s’est empressé de la condamner et de la rejeter ; ce fruit de son péché, il le justifie en s’appuyant sur l’autorité de l’Église, et de plus il le considère comme une vertu, comme le fruit de sa fidélité et de son obéissance à l’Église, par là il s’élève dans son orgueil et tranquillise sa conscience.
C’est ainsi que l’Église actuelle a apposé le scellé sur les dons célestes que Dieu envoie en ces jours du commencement de l’Époque chrétienne supérieure, et quoique vingt-sept ans se soient déjà écoulés depuis que cette époque et l’Œuvre de Dieu ont été annoncées, quoique ceux qui profitent des bienfaits venant de cette source se régénèrent en Jésus-Christ et bâtissent son Église par leur sacrifice, leur travail chrétien, néanmoins le scellé apposé sur les trésors célestes de cette époque n’est pas levé jusqu’à présent et empêche qu’ils se répandent dans le monde ; et l’homme poussé aujourd’hui davantage à accomplir ses devoirs de chrétien et de fils de l’Église éprouve les conséquences les plus funestes par suite de cet obstacle qui ne lui permet pas d’accepter les aides qui lui sont destinées pour l’accomplissement de ses devoirs devenus plus grands. – L’esprit de l’homme, stimulé de plus en plus par les forces visibles et invisibles qui le poussent à progresser, ne pouvant rester immobile, franchit les limites de l’ancienne époque et pénètre dans l’époque supérieure ; mais là, étant empêché de recevoir de l’Œuvre de Dieu l’appui et l’aide qui lui sont destinés pour sa marche dans la voie droite, il se jette dans les détours, de même que les eaux dont le cours naturel est entravé débordent, inondent les champs, et y font des ravages !.... À cause de cela, dans ces jours destinés à l’élévation du christianisme par sa pratique, par sa réalisation sur la terre, se multiplient plus que jamais les déviations et les excès de l’homme, s’élèvent la fausse piété et l’impiété déclarée, s’élèvent le paganisme et l’idolâtrie couverts des formes chrétiennes, et l’homme approche rapidement du dernier degré de l’abaissement de son esprit, abaissement qu’il considère soit comme une preuve de sa foi ferme et de sa fidélité à l’Église, soit comme le sommet de sa civilisation !.....
Cet obstacle posé au progrès et au salut de l’homme arrête aussi le progrès et le salut de l’autre monde, de nos frères défunts qui, aujourd’hui plus que jamais, désirent servir Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Église en union avec l’homme, et par cela satisfaire pour leurs fautes passées, mais ne peuvent le faire à cause de cet obstacle qui leur ferme la voie pour parvenir à l’esprit de l’homme ; – ainsi les deux mondes sont empêchés de profiter de la miséricorde de Dieu qui, en rendant aujourd’hui l’autre monde plus accessible à l’homme, appelle les deux mondes à profiter davantage de cette source d’union et d’aides mutuelles.
Les conséquences de cet obstacle posé à l’homme par l’Église actuelle se manifestent plus sensiblement qu’ailleurs dans les nations appelées les premières à entrer dans l’époque supérieure, et qui, y ayant été préparées par de nombreux éveils de Dieu, sont plus coupables que d’autres d’avoir méconnu ces éveils et repoussé cet appel, d’avoir suivi en cela l’exemple et la direction qui leur ont été donnés par les ministres de l’Église. – Parmi ces nations, la Pologne présente sous ce rapport un exemple des plus frappants. Les autorités spirituelles de cette nation ayant fait tout ce qu’elles ont pu pour la détourner de l’Œuvre de Dieu au moyen des calomnies répandues contre cette Œuvre, la Pologne a succombé à cette tentation, elle a repoussé l’appel suprême qui lui a été présenté et dont l’accomplissement devait la délivrer du joug auquel elle est soumise pour ses péchés ; et cet appel n’ayant pas cessé d’être repoussé par la Pologne, même après que, dans les grands jours de février 1861, il a été appuyé par des miracles extraordinaires de la Grâce de Dieu, les malheurs, les pressions de plus en plus lourdes qui depuis lors tombent sur cette nation et sur ses pasteurs, témoignent de la réclamation de Dieu, de plus en plus sévère, pour ce rejet de la Volonté de Dieu. Quand l’homme, rejetant l’esprit de la religion, s’éloigne de l’Église, et tout au plus cherche à se tranquilliser par la pratique des formes de l’Église, Dieu permet que la religion soit persécutée, que les églises et les formes soient abolies par la force et la violence ; Dieu ôte les moyens considérés comme but, afin que l’homme accepte son but véritable, et se dirige vers ce but ; Dieu ôte la terre, afin que l’homme aspire au Ciel !... C’est ainsi que l’homme, poussé sous la loi de la force à faire ce qu’il n’a pas fait sous la loi de l’amour, s’humiliera tôt ou tard devant l’immuable volonté de Dieu et reconnaîtra qu’il ne peut pas faire son salut s’il s’appuie uniquement sur les ministres de l’Église, et rejette l’appui que Notre-Seigneur Jésus-Christ donne à ceux qui portent sa croix avec amour et fidélité, s’il obéit aveuglément aux ministres de l’Église et n’obéit pas à Jésus-Christ, s’il ne mérite pas par sa croix portée, par son sacrifice, par sa contrition, la grâce d’être en communion avec Jésus-Christ ; – l’homme reconnaîtra que nulle Autorité n’a le pouvoir de le dispenser d’accomplir la volonté suprême ; que nulle Autorité n’a le pouvoir de faire que le faux qu’elle présente soit la vérité, que le détour soit la voie droite, et que la marche dans le détour soit appuyée par la Grâce et conduise au salut ; il reconnaîtra que tant les autorités qui sont devenues les instruments du mal tentateur que ceux qui ont succombé à la tentation présentée par les autorités, sont responsables devant Dieu pour avoir accompli la volonté du mal et s’être éloignés de l’accomplissement de la volonté de Dieu. – Jusqu’à ce jour, Israël expie son péché du rejet de la volonté de Dieu, commis en union avec ses autorités et sous leur direction !....
Cette situation devenant de plus en plus générale, les grands jours du Jubilé du Seigneur dans l’Œuvre du salut du monde n’apportent pas au monde les bienfaits destinés, et la punition de Dieu se manifeste de plus en plus menaçante ; pour le rejet de la volonté de Dieu, pour le rejet de la croix et du joug que cette volonté a destinés, tombent sur le monde des croix et des jougs de plus en plus lourds, permis comme réclamation de Dieu, afin que l’homme connaisse ce qu’il a rejeté, qu’il l’accepte et l’accomplisse.
Telles sont les conséquences de la condamnation et du rejet de l’Œuvre qui se fait dans ces jours et de l’aide qu’elle apporte, car cette Œuvre, c’est la même Œuvre du salut du monde que Notre-Seigneur Jésus-Christ a faite et consommée, dans laquelle il a montré la pensée de Dieu qui repose sur l’homme, la hauteur que l’homme doit atteindre, et la voie qui conduit à cette hauteur ; c’est la même Œuvre qui a commencé dès le premier toucher que la terre a reçu du ciel, quand le premier homme fut créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et qui se fera de plus en plus pleinement et réellement durant cette époque et durant les époques futures, jusqu’à ce que l’homme, à l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, accomplisse la pensée de Dieu, la volonté, le Verbe de Dieu !
Saint-Père, tandis que l’état si triste du christianisme dans l’Église rend votre situation de plus en plus difficile, obéissant à la volonté de Dieu, je vous indique la voie qui, dans cette situation, est destinée à vous amener à votre but, au salut de votre âme. J’accomplis ce devoir, prosterné devant les décrets suprêmes qui, tôt ou tard, dissipant les ténèbres et mettant au jour la vérité, jugent et frappent d’après cette vérité les gouvernants et les gouvernés, les plus grands et les plus petits de ce monde.
Sentez, Saint-Père, votre immense responsabilité comme chef de l’Église dont Notre-Seigneur Jésus-Christ vous a confié la purification et l’élévation, et, avec le sentiment de cette responsabilité, déposez devant Notre-Seigneur la douleur de votre âme sur l’état de l’Église, cause principale du malheur si grand de ce monde et de l’autre monde ; déposez votre douleur sur le rejet de la croix de Jésus-Christ et sur l’abaissement de l’Église dans les cœurs de ses ministres, déposez votre douleur sur le crucifiement de l’esprit de Jésus-Christ, crucifiement plus douloureux que ne l’a été celui de son corps, car ce crucifiement de l’esprit de Jésus-Christ se commet sous des formes saintes, au nom de Jésus-Christ et de son Église, avec le triomphe de ceux qui crucifient et qui, à cause de ce péché, reçoivent des hommages et sont considérés comme les fils les plus fidèles de l’Église ; dans cette douleur, confessez devant Jésus-Christ :
Que, ne maintenant pas la grâce qui vous assistait au commencement de votre pontificat, vous avez renié ce que cette grâce avait fait pour vous, vous avez condamné et repoussé le rayon de l’époque supérieure qui s’était manifesté par vous ; que, par cela, vous avez blessé l’esprit des vivants et des morts qui, par ce rayon, s’étaient unis à vous en Jésus-Christ, et vous vous êtes séparé d’eux ;
Que vous avez rejeté les aides qui vous ont été destinées dans la miséricorde de Dieu, et n’avez partagé ni appuyé ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait pendant les années de votre règne pour relever l’Église déchue, pour faire revivre l’Œuvre du salut du monde ;
Que, Vicaire de Jésus-Christ, vous avez agi par la force de ce monde, vous avez combattu vos adversaires avec les armes de la haine et de la vengeance, vous avez puni les péchés terrestres par la force que donne le péché d’esprit ; que par cela vous êtes descendu aux détours des souverains de la terre, et avez interrompu votre mission céleste qui ne peut être accomplie que par la force du royaume de Jésus-Christ ;
Que, étant appelé à ébranler le mal gouvernant dans l’Église, vous vous êtes soumis à ce mal, vous l’avez appuyé et consolidé par la force de votre autorité, vous avez souffert que l’esprit le plus contraire à Jésus-Christ arrive dans l’Église au comble de sa domination, et que Rome devienne le siège de cet esprit, le siège des péchés d’esprit ; vous avez souffert qu’en ce lieu destiné à être une source d’aides pour le salut de l’homme, Notre-Seigneur Jésus-Christ soit crucifié plus que partout ailleurs dans le monde !....
Portant ces sentiments dans votre âme, réparez, Saint-Père, votre passé ; ce que vous n’avez pas fait dans le temps destiné et avec l’aide destinée, faites-le dans votre position devenue si difficile ; séparez-vous en esprit de l’Église actuelle, occupez dans l’Église de Jésus-Christ le degré qui vous y est destiné, et consacrez-vous à servir cette Église, contribuez, autant que Notre-Seigneur Jésus-Christ l’exige de vous aujourd’hui, à ce que les ministres de l’Église se soumettent à Jésus-Christ, acceptent sa croix et son esprit, acceptent la force et la vie qui en découlent, avec cette force, bâtissent l’Église de Jésus-Christ et aident l’homme à bâtir cette même Église ; qu’ainsi l’Église actuelle régénérée devienne l’Église de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que, selon sa promesse, Notre-Seigneur gouverne dans cette Église jusqu’à la consommation des siècles. Ce but, prenez-le, Saint-Père, pour le reste de vos jours, comme le seul objet de votre souci et de vos efforts, et ayez la confiance que, lorsque l’Église véritable vivra sur la terre, Notre-Seigneur qui veille éternellement sur son Église lui donnera, des biens terrestres, ce qui lui est nécessaire, et cela, aucune force de la terre ni de l’enfer ne le lui ravira. Ainsi vous accomplirez, Saint-Père, pour le salut de votre âme et pour l’édification de l’Église et du monde entier, ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Quaerite primum regnum Dei et justitiam ejus : et haec omnia adjicientur vobis 164. »
Tel est le service que la volonté de Dieu m’a destiné de rendre à Votre Sainteté. – Poussière et pécheur par moi-même, appelé par cette volonté suprême à vous présenter, Saint-Père, la réclamation pour l’offense commise envers Dieu et pour le dommage fait au monde, je n’ai cessé d’implorer Notre-Seigneur Jésus-Christ afin que, en maintenant dans mon âme la douleur qu’un chrétien doit éprouver pour toute offense à Dieu et pour tout dommage au prochain, je maintienne aussi mes sentiments de vénération et de soumission pour la pensée de Dieu qui repose sur vous, Saint-Père, mes sentiments d’amour et de dévouement pour votre esprit, pour votre salut, et que, par suite de cela, je m’expose même à vous offenser, mon Père, par ma fidélité à la vérité et à mon devoir, plutôt que de trahir, par le manque de cette fidélité, ma vocation de serviteur en Jésus-Christ, et de mériter les reproches que votre esprit aurait le droit de me faire lorsque nous paraîtrons devant le tribunal de Dieu !....
Portant en moi ces sentiments, sentant aussi votre croix, Saint-Père, croix telle que, depuis le commencement du christianisme, il n’en a pas reposé de semblable sur le Saint-Siège, sentant que le mal s’efforce de rendre plus lourde encore la croix de celui sur qui repose une vocation chrétienne si élevée et si extraordinaire, j’implore notre Père céleste qu’il ne vous abandonne point à la tentation, mais vous délivre du mal et vous accorde l’aide de sa grâce, afin que vous accomplissiez ce qu’il vous est destiné d’accomplir dans les jours que sa miséricorde suprême vous laisse encore, et que cet accomplissement vous donne la paix et la joie dans l’éternité !
Plein d’espoir que Votre Sainteté trouvera mon désir juste, je dépose à vos pieds, Saint Père, ma très-humble prière de m’accorder votre bénédiction pour l’accomplissement de ma vocation, et de me recommander dans vos prières à la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa très sainte Mère. Servant l’Œuvre que Notre-Seigneur a fondée en communion d’esprit avec sa très sainte Mère, ce n’est que par leur miséricorde que je puis avoir la force d’accomplir le devoir qui m’est destiné, devoir si au-dessus de mes forces qui ne sont rien en présence de celles de la terre et de l’enfer, conjurées depuis les siècles contre tout ce qui se fait pour l’élévation de l’Église, pour l’extension du Royaume de Jésus-Christ sur la terre.
Sentant, Saint-Père, que comme votre fils et serviteur en Jésus-Christ j’ai le droit et le devoir de vous faire parvenir directement ce que, par la volonté de Dieu, je vous transmets, je laisse de côté les voies officielles, et je dépose le présent écrit aux pieds de Votre Sainteté par un des serviteurs de l’Œuvre de Dieu, Tancrède Canonico, professeur à l’Université de Turin.....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Avec un profond sentiment d’amour et de vénération, je baise vos pieds, Saint-Père, comme votre fils soumis et votre fidèle serviteur en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
ANDRÉ TOWIANSKI
Polonais de Lituanie 165.
Le 27 décembre 1868, Zurich.
À cet écrit Pie IX ne fit aucune réponse. L’année suivante avait lieu la chute du pouvoir temporel des papes.
Bientôt après, avec l’installation du gouvernement à Rome en 1870, la question entre l’État et l’Église devint en Italie toujours plus pressante : Towianski écrivit à Victor-Emmanuel la lettre qui suit :
SIRE !
Accomplissant ma vocation dans l’Œuvre de Dieu, qui de nos jours fait revivre le christianisme dans le monde, j’ai fait ce que j’ai pu pour que cette Œuvre soit connue de Votre Majesté, chef d’une des nations appelées à précéder le monde dans la voie du progrès chrétien. Dans ce but, des Italiens, serviteurs de cette Œuvre, se sont adressés à Votre Majesté, personnellement et par écrit, en 1850, 1860, 1864 et 1866 ; de plus, de nombreux témoignages sur cette Œuvre ont été déposés en diverses circonstances aux autorités spirituelles et temporelles de l’Italie, et, entre autres, à l’Archevêché de Turin et à l’Évêché de Coni, en 1855, 1856, 1857 et 1858 ; aux ministres Dabormida, Cavour, Ricasoli et Rattazzi, en 1853, 1861 et 1862 ; au général Garibaldi, en 1860 et 1862. Mais les hommes qui, par leur position sociale ou par leur ascendant moral, exerçaient le plus d’influence en Italie, ne m’ayant pas donné la possibilité de les servir, et par eux de servir la nation italienne, je n’ai cessé d’accomplir envers cette nation les devoirs de ma vocation, en servant ceux des Italiens qui réclamaient mon service. Aujourd’hui que, par la disposition de Dieu, l’occupation de Rome est accomplie, et que dès lors la question romaine se présente devant Votre Majesté comme un champ d’action inévitable, sur lequel l’Italie doit produire les fruits de sa vocation chrétienne, les fruits de sa fidélité active à l’Église vraie de Jésus-Christ, je sens que c’est mon devoir de vous faire connaître, Sire, ce que j’ai déposé aux pieds de Leurs Saintetés Grégoire XVI et Pie IX, en 1843 et 1869. Une seule idée, une seule parole peut être utile à qui agit sur un champ si difficile et si important pour l’Église et pour le monde chrétien. Je dois prévenir Votre Majesté que ces écrits ne sont point connus dans le public et que jusqu’à un certain temps je n’ai pas le droit de les publier.
SIRE,
Au milieu des séductions et des tentations si grandes dont le mal entoure, dans ces jours de direction pour le monde, ceux que Dieu élève au pouvoir, vous n’avez pas perdu l’amour de la simplicité, de la vérité, de la liberté, vous n’avez renié ni votre sentiment religieux ni votre sentiment patriotique, ces trésors de l’âme italienne. Que Dieu dans sa miséricorde vous en tienne compte, et vous aide à agir sur votre champ actuel conformément à sa volonté suprême, afin que votre action envers le Saint-Siège contribue au bien que la miséricorde de Dieu a destiné au monde, qu’elle contribue à ce que l’Église actuelle, purifiée, élevée et devenue l’Église vraie de Jésus-Christ, ouvre au monde la voie du progrès chrétien qu’elle lui fermait jusqu’à présent. Puissiez-vous, Sire, en agissant dans cet esprit, acquérir le plus grand mérite devant Dieu, le prochain et la patrie !
Je suis, avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté
le fidèle serviteur en Jésus-Christ,
ANDRÉ TOWIANSKI.
Tout ce que j’ai rapporté ici, tout ce que nous avons entendu de Towianski et vu dans ses actions, nous fit clairement sentir que chaque question de la vie humaine, qu’elle concerne l’individu, la famille, la patrie, l’Église, l’humanité tout entière, est au fond une question religieuse et trouve sa solution dans l’unité de ce devoir essentiel de l’homme et des nations : abandonner les voies fausses, entrer dans la voie de Jésus-Christ et y faire le progrès destiné. De là vient notre profonde conviction que l’Italie ne pourra conserver longtemps l’unité et l’indépendance si merveilleusement recouvrées, si les Italiens n’acceptent pas en eux l’essence du christianisme et ne le manifestent pas dans leurs actions privées et publiques et avant tout dans leurs rapports avec les ministres de l’Église et son autorité souveraine. Ce n’est qu’avec Jésus-Christ que l’on peut vaincre à Rome. C’est pour accomplir ce devoir essentiel que l’unité et l’indépendance politique nous ont été données ; nous devons trembler de les perdre, si nous n’accomplissons pas ce devoir.
Profondément pénétrés de cette vérité et de cette crainte, – portant vivante en nous la conviction que le meilleur moyen de servir l’Italie est que chaque Italien tâche de faire lui-même ce que tous les Italiens devraient faire, et que personne ne peut gouverner la nation selon la pensée de Dieu, s’il n’est pas arrivé d’abord à se gouverner lui-même selon cette pensée – portant vivant en nous le sentiment de notre néant et de nos fautes, mais aussi le désir et l’ardente résolution de nous corriger, de nous purifier et de nous élever à la hauteur chrétienne, à laquelle ce devoir nous appelle, – nous avons tâché, dans la mesure de nos forces, d’agir dans cette direction chaque fois que l’occasion s’en est présentée.
C’est dans cette direction qu’a agi le frère franciscain Louis de Carmagnola qui après avoir supporté, comme on l’a vu, avec une sérénité touchante les persécutions dont il fut l’objet de la part de ses supérieurs pour son adhésion à l’appel de Dieu présenté par André Towianski, sans cesser à chaque occasion de rendre témoignage à la vérité, mourut à Rome le 15 juillet 1859, martyr de sa foi ; ayant gardé inviolablement jusqu’à la fin sa résolution exprimée par lui en ces termes : « Ne jamais manquer à la foi catholique, et ne jamais mentir à Dieu par crainte des hommes. »
Nous avons tâché d’agir de même vis-à-vis de la Chancellerie de l’Archevêché de Turin en 1855, témoignant de vive voix et par écrit de ce que nous avions vu et éprouvé nous-mêmes dans l’Œuvre de Dieu ; vis-à-vis de l’évêque de Coni en 1858 ; vis-à-vis de plusieurs prêtres et hauts dignitaires ecclésiastiques, en diverses occasions.
C’est encore dans cette direction que nous avons tâché d’agir envers quelques-uns de nos concitoyens, qui, ne trouvant pas dans l’état actuel de l’Église un aliment suffisant aux aspirations de leurs âmes et poussés à le chercher dans le spiritisme, reçurent dans ces mêmes communications spirites l’avertissement que cette voie (sur laquelle ils avaient pu pour quelque temps recevoir un éveil à une préparation spirituelle) ne leur serait plus profitable à l’avenir. Et, en vérité, l’unique voie efficace pour obtenir la lumière et la force du ciel étant la voie tracée par Jésus-Christ, cette lumière et cette force ne peuvent descendre sur l’homme par nulle autre voie.
Nous avons tâché d’agir de même auprès de Garibaldi, que quelques-uns de nous allèrent visiter à Caprera en décembre 1860, après l’expédition de Marsala, visite renouvelée ensuite en Toscane dans l’année 1862, en l’amenant à sentir comment, pour le salut de l’Italie, il ne suffisait pas de détruire les gouvernements qui l’opprimaient, si les péchés méritant cette oppression n’étaient pas détruits dans l’esprit des Italiens, et quelle puissante aide trouveraient en Towianski pour ce besoin les hommes qui directement ou indirectement exerçaient une influence sur la direction du pays.
C’est ce que nous avons essayé de faire comprendre déjà en 1853 au ministre Dabormida, à Cavour en janvier 1861, et enfin à Ricasoli, Rattazzi, au roi Victor-Emmanuel et plus tard au roi Humbert.
Enfin nous avons cherché d’agir dans le même sens envers le public, soit en faisant connaître à nos compatriotes le secours que nous avions trouvé, soit en appliquant, autant qu’il était possible, aux conditions de notre pays les vérités que nous avons senties. C’est ce que prouvent le témoignage que J.-B. Scovazzi publia sur l’Œuvre de Dieu, une conférence publique que je fis à Turin le 20 mars 1866 sur les temps actuels et sur la mission d’André Towianski, et plusieurs opuscules publiés en diverses occasions 166.
Dans mon profond amour pour l’Italie, je conjure ceux de mes compatriotes sous les yeux desquels tomberont ces pages de réfléchir dans le silence intérieur de l’âme (exempte de tout jugement préconçu) sur les vérités présentées par André Towianski que j’ai rapportées ici. Ils y trouveront la seule voie par laquelle notre pauvre patrie peut sortir des difficultés qui l’enserrent de toutes parts et éviter sa ruine : la seule voie dans laquelle l’esprit de la nation et l’esprit véritable de l’Église de Jésus-Christ, unis dans la même vie supérieure, élèveront en même temps la nation et l’Église. Toute lutte ayant alors cessé, la Nation et l’Église se maintenant chacune dans la sphère de ses attributions, marcheront dans un accord spontané vers leur but commun : le triomphe de la vérité, de la justice, du Verbe de Dieu dans la vie intérieure et extérieure de l’homme, dans sa vie individuelle et sociale, dans sa vie privée et publique. C’est sur cette voie que tout ce qu’il y a de juste dans les réclamations contre le présent état social pourra avoir sa légitime satisfaction.
Dans les desseins de la Providence, chaque nation a une tâche spéciale qui constitue son caractère propre et doit être le but constant de ses efforts. Si elle l’accomplit, elle s’élève et progresse ; si au contraire elle la néglige, elle s’abaisse et marche à sa ruine.
Quand Dieu appelle une nation à un degré supérieur de progrès, il en règle les destinées selon la loi correspondante à ce degré. L’Italie est sous cette loi spéciale, sous ce privilège sacré : qu’il ne lui est plus permis de prospérer si elle s’éloigne de la pensée de Dieu qui repose sur elle.
Sur la route de notre reconstitution politique, l’esprit italien a donné à diverses reprises des éclairs sublimes, qui montrent de quels trésors il est doté et qui ont attiré à l’Italie les sympathies de tout le monde civilisé. Mais, malheureusement, elle a dévié bientôt de la voie de sa vocation.
Ne prenant pas l’unique voie sur laquelle l’esprit national pourrait vivre de sa vie propre et se développer selon sa nature, l’Italie (bien qu’indépendante en apparence) est tombée réellement sous la domination d’esprits étrangers ; elle s’est tracée ainsi une voie de douleurs qui, en la menant à travers les déceptions, la préparent lentement à s’élever à la hauteur qui lui est destinée.
Notre indépendance, notre liberté et même notre unité politique ne pourront être durables sans un sincère et profond réveil religieux, sans un décisif et persévérant effort pour nous élever au-dessus des partis, des passions, des cupidités et des ambitions terrestres, au-dessus d’infécondes luttes personnelles, de vains et orgueilleux efforts de la pauvre raison humaine. Mais aussitôt que ce mouvement radical se sera produit dans l’âme d’un certain nombre d’Italiens, la force supérieure, céleste, destinée à cette époque, descendra pour pénétrer, purifier et élever toute la vie italienne ; les questions économiques, politiques, religieuses et sociales trouveront facilement leur solution. Dès que nous serons délivrés du mal qui nous opprime et des nuages qui nous enveloppent, l’esprit élevé qui a rendu si belle l’aurore de notre relèvement national fera de nouveau palpiter nos cœurs et, à cette aurore si vite obscurcie, succédera pour l’Italie le jour de Dieu dans toute sa splendeur.
Towianski disait :
La nation italienne est riche par les trésors d’esprit qu’elle a acquis dans les siècles, mais elle ne fait pas vivre ces trésors, elle ne les réalise pas dans sa vie privée et publique qui est bien inférieure à son esprit. Il faut qu’elle se réveille et commence à vivre selon la nature de son esprit, il faut qu’elle se régénère en Jésus-Christ..... Oui, il faut que les Italiens se réveillent : quand un lion dort, les souris mêmes courent sur lui, tandis que tous les animaux tremblent quand il se réveille. L’Italie dort, et qu’est donc son caractère actuel si on le compare à son caractère vrai, conforme à son esprit ? L’esprit est grand, l’homme est petit, ce qui est le plus contraire à la pensée de Dieu, au Verbe, à la loi de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui élève l’esprit à la hauteur qui lui est assignée, et élève l’homme à la hauteur de son esprit. Mais quand l’Italie se réveillera et se régénérera en Jésus-Christ, quand elle commencera à réaliser ses trésors intérieurs dans sa vie extérieure, ce sera un lion par sa force chrétienne ; cette force aplanira les obstacles intérieurs et extérieurs accumulés pendant les siècles passés ; elle délivrera les Italiens, délivrera l’esprit et l’homme du pouvoir du mal qui ne les opprime que par la permission de Dieu. Les Italiens, à cause du germe de leur esprit, de leurs comptes devant Dieu et des voies fausses par lesquelles ils ont passé, sont sous une loi exceptionnelle et ne peuvent attendre leur bonheur que de la source chrétienne.
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CHAPITRE X.
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Sa vie intime.
Les actions d’André Towianski que j’ai rapportées jusqu’ici suffiraient à montrer quel fut l’homme ; car la vie de l’homme, ce sont ses actions. Mais, précisément pour en compléter la physionomie, il est nécessaire de le voir, non seulement dans ses actions plus apparentes, mais encore dans ses actions moindres de chaque jour, qui le montrent tel qu’il fut réellement, non seulement devant les hommes, mais devant Dieu.
La vie d’André Towianski était identifiée avec sa mission. Son unique sollicitude était de tenir toujours vivant en lui le mouvement pour l’accomplir, de maintenir toujours ouverte dans son âme la communion avec le ciel, de se pénétrer lui-même de cette force supérieure, de la manifester dans toutes ses actions, d’en faire rayonner l’atmosphère bienfaisante et régénératrice dans tout ce qu’il faisait, en tous ceux qui l’entouraient, avec un complet abandon et une pleine confiance en la Providence quant au résultat de ses actions, quant à ses moyens d’existence et à ceux de sa famille. Il faisait converger toutes choses à ce but essentiel : prières, occupations, nourriture, repos. « Ou j’agirai avec la force du ciel, disait-il, ou je n’agirai pas ! »
Sa prière n’était pas seulement une componction, un gémissement et une élévation de son âme vers Dieu. Elle était par-dessus tout une tendance continuelle à chercher tout ce qui pourrait émouvoir son esprit, y réveiller la vie, le pur amour de Dieu et du prochain, l’énergie, l’ardeur pour les servir : à employer sans retard ce mouvement, cette force intérieure, pour voir quelles étaient les actions qu’il devait faire, de quelle manière les faire et pour les faire effectivement dans la mesure et le temps opportun.
J’ai déjà rapporté dans le chapitre précédent quelques exemples montrant comment il se servait de tout ce qui pouvait maintenir et attiser en lui ce royaume céleste, cette Église vivante de Jésus-Christ : Je pourrais ajouter ici un grand nombre d’autres exemples, mais je me contenterai d’en citer quelques-uns.
Il avait toujours dans sa chambre un grand nombre d’images représentant des sujets religieux, de nobles actions, ou des épisodes émouvants. Il en choisissait selon les besoins de son âme et le caractère du travail qui l’occupait, il accordait ses mouvements intérieurs et ses sentiments à ces exemples, à ces tons humbles et élevés ; et ces tons, pénétrant tout son être, devenaient en lui énergie et action.
Pendant ses promenades, l’aspect d’une nature grandiose ou triste, les souffrances d’un pauvre, d’un animal, éveillaient en lui des sentiments de mélancolie, de joie, d’amour, de compassion, qu’il entretenait en lui, et qui, rendus dans ses actions, vivifiaient et émouvaient aussi les autres.
Il tirait de tout un aliment pour attiser ce foyer intérieur, qui était sa base et sa force. Il unissait dans ce foyer les divers mouvements qui s’étaient éveillés en lui et les fondait en un seul et ardent mouvement d’amour de Dieu et du prochain : d’où résultait un sacrifice continuel pour réveiller dans le prochain le même amour, le même sacrifice, afin d’étendre ainsi sur la terre l’Église vivante de Jésus-Christ.
Qui pourrait dire ce qui se passait entre lui et Dieu dans cette élaboration intérieure ? Ce qui est certain, c’est que, lorsqu’on l’approchait au sortir de sa prière solitaire, on sentait, vivante en lui dans sa fraîcheur, la communion avec le monde supérieur, dont la présence, se manifestant dans toute sa personne, vous pénétrait de joie, de vénération, de clairvoyance et d’une énergie surhumaine.
Il aimait beaucoup la musique ; et quand on devait représenter un bon opéra, il allait quelquefois au théâtre, mais toujours dans les places les plus modestes. Sans interrompre son travail intérieur, il l’alimentait par les impressions qu’éveillait en lui la pièce et il en sortait plus fort.
Un soir qu’il se promenait seul dans la campagne à une heure avancée, quelqu’un l’entendit fredonner à mi-voix un chant émouvant, qui lui faisait monter les larmes aux yeux.
Ses paroles, tout en découlant d’une très simple unité, portaient un caractère si universel et si varié qu’il les rendait facilement accessibles aux natures d’esprit les plus diverses.
Il n’avait pas d’heure fixe pour ses repas : il ne prenait de nourriture qu’autant qu’il lui en fallait pour maintenir l’équilibre entre l’âme et le corps. Lorsqu’il s’appliquait à un travail de plus grande importance, il ne mangeait quelquefois que le soir, pour ne pas appesantir son corps et ne pas interrompre l’action de la grâce : c’est pourquoi il ne dînait que rarement en famille. Quelques-uns pourront considérer cela comme une exagération ; mais les choses de l’esprit se jugent mal par l’œil terrestre. Il était sous une loi exceptionnelle. Appelé à commencer l’époque supérieure, il devait se tenir rigoureusement au poste de sa vocation et montrer comment l’homme doit employer chaque chose dans l’unique but d’être prêt à tout moment à faire ce que Dieu exige de lui.
Il faisait de même pour le sommeil : la durée de son sommeil, les heures de son coucher et de son lever, tout cela était subordonné à la nature du travail qui l’occupait, et était dirigé de manière à l’aider à faire ce travail dans le temps et de la manière conforme à la volonté de Dieu. Il se couchait généralement de bonne heure et se levait de bon matin ; mais il n’était pas rare qu’il passât la nuit entière à travailler, ou qu’il se levât au milieu de la nuit pour reprendre son travail toujours prêt à l’action, quelle que fût l’heure à laquelle il sentait devoir la faire. Lorsqu’il revint à Paris en 1848, il dit à tous ceux qui s’étaient adressés à lui qu’il était disposé à les servir jour et nuit ; or, l’un d’eux, voulant le mettre à l’épreuve, se rendit une nuit à deux heures chez Ferdinand Gutt et lui dit que, étant forcé de travailler tout le jour comme ouvrier et n’ayant que la nuit de libre, il priait Towianski de vouloir bien le recevoir, ainsi qu’il l’avait offert. Gutt, après s’être habillé à la hâte, alla réveiller Towianski, qui fit introduire aussitôt le visiteur. Il le reçut avec la plus grande cordialité, lui offrit une tasse de thé, le remercia pour son zèle et répondit à toutes les questions qu’il posa. Après un entretien, qui ne dura pas moins de deux heures, l’ouvrier prit congé et sortit, se tenant la tête dans les mains, et répétant avec une surprise mêlée d’effroi : « Ah ! quel homme, quel homme !..... » Il ne put en dire davantage à ceux qui l’interrogeaient, en lui demandant ce qui l’avait si profondément bouleversé.
Quand Towianski était malade, il cessait toute occupation et restait, quelquefois pendant plusieurs jours, soumis et comme un zéro en la présence de Dieu. Mais, même durant la maladie, s’il se présentait un devoir urgent et inévitable, il faisait avec une grande humilité tout ce qu’il pouvait dans cet état. Et il arrivait alors que, commençant d’abord avec fatigue, peu à peu les forces augmentaient, et enfin, après quelques heures de travail, il se trouvait guéri et fort.
Il faisait chaque chose avec calme, sentiment et énergie, au moment opportun. Il était toujours libre et maître de ses actions, parce qu’il n’avait jamais d’autre but que de faire la volonté de Dieu. Lui ayant demandé une fois de quelle manière nous pouvons connaître quelle est en chaque chose la volonté de Dieu, il me répondit : « Tenons seulement en nous vivants et purs l’amour, le sacrifice, le feu de Jésus-Christ, cette vie intérieure ; le sentiment intérieur et les signes extérieurs nous feront facilement connaître la volonté de Dieu. À quiconque veille et prie Dieu montre toujours les signes de sa volonté. » Et il en était lui-même un exemple vivant. Il faisait toujours attention à chaque avertissement, même s’il lui venait d’une personne évidemment incapable de donner des conseils. Lorsqu’il habitait Bâle-Campagne après son expulsion de France, il allait quelquefois se promener vers la frontière, qu’il avait soin de ne jamais franchir. Un jour, à peu de distance de la limite, il rencontra un ouvrier ivre qui, pouvant à peine se soutenir et lui montrant la frontière, lui dit : « Pas par là, mais par ici », et, lui ayant fait signe de s’en retourner, tomba de tout son long. Towianski, attribuant à Dieu cet avertissement, retourna sur ses pas et rentra chez lui. Il sut plus tard que, à l’heure même où il avait rencontré l’homme ivre, quelques agents de police français étaient embusqués sur la frontière pour l’arrêter s’il l’avait franchie.
Cette fidélité à ne jamais agir contre les signes de la volonté de Dieu était devenue pour lui une loi si rigoureuse, que chaque transgression, même la moindre, qui pour d’autres n’eût pas même été remarquée, influait sur lui jusqu’à altérer sa santé. Je me souviens que, l’ayant rencontré un jour sur la route de Seefeld près de Zurich, il me dit : « Ce matin j’ai manqué. Je travaillais à une action avec beaucoup d’ardeur ; tout d’un coup mes forces diminuèrent et j’éprouvai une grande faiblesse. Ferdinand 167 me tâta le pouls et m’ordonna des poudres. Avant de les prendre, je scrutai devant Dieu quelle était la cause de cet abattement subit, et je reconnus que, pendant le travail, j’avais eu plusieurs signes de le suspendre et d’en commencer un autre. Malgré cela, je m’y appliquai encore pendant un quart d’heure ; et bientôt je me sentis malade. Je m’humiliai devant le Seigneur, j’interrompis ce travail, je me tournai entièrement vers l’action qui m’était indiquée, et les forces me revinrent subitement. Je me sentis guéri. Les poudres du médecin ne furent plus nécessaires. »
Il désirait, autant que possible, agir en union avec le prochain ; mais s’il ne pouvait obtenir cette union, il poursuivait seul sa route, toujours également calme, quelles que fussent les difficultés ; parce que son appui et sa paix étaient, non dans les hommes, mais en Dieu.
Ce travail intérieur incessant, l’énergie et la joie qui en résultaient, se reflétaient sur son visage et dans toute sa personne. Sa tête, de justes proportions, rappelait celle de Napoléon Ier, mais plus spiritualisée. Elle était chauve et assez élevée à la partie supérieure du crâne : seule une petite mèche napoléonienne ombrageait légèrement un front large et serein. À travers les yeux d’un gris bleu, on sentait vibrer une âme limpide et pure, mais dont on ne pouvait sonder la profondeur, de même qu’on ne peut embrasser les limites d’un espace immense. À une expression de grande humilité et de grande tendresse, se joignait celle d’une énergie extraordinaire. Ce qui était admirable, c’est que cette expression, tout en conservant toujours l’unité du caractère, se modifiait avec une extrême facilité selon les choses dont il parlait : parce que chacune de ses paroles était accompagnée du sentiment vivant de ce qu’il disait, et ce sentiment pénétrait tout son être, était lui-même. Son maintien, tous ses mouvements, respiraient un air ineffable de simplicité, d’amour, de paix, et en même temps de liberté, de courage, de majesté naturelle, venant de la force intérieure et de l’élévation habituelle. Son habit toujours de la même coupe, modeste et sévère, avec le collet montant jusqu’au menton, rappelait l’uniforme des maréchaux du premier empire, et contribuait à donner à son aspect quelque chose de militaire 168. Il y avait dans toute sa personne je ne sais quoi de noble et de grave, qui, tout en gagnant la confiance et l’amour, inspirait le respect et la vénération. Chacune de ses paroles allait au fond de l’âme, portait en elle l’empreinte, l’évidence, la vie de la vérité ; imposait un devoir ; remplissait de force et de joie celui qui l’acceptait, d’inquiétude et de tourment celui qui la repoussait. Après l’avoir vu et lui avoir parlé, on était porté à s’écrier : voilà le Napoléon chrétien 169 !
La gravité du caractère n’altérait pas en lui la simplicité et le naturel. Il faisait les moindres choses avec le même intérêt que s’il se fût agi de l’affaire la plus importante. Ne trouvant rien de petit, parce que dans chaque chose, même la moindre, il cherchait toujours quelle était la volonté de Dieu, il était grand dans les choses petites comme dans les grandes. Il mettait la même sollicitude à répondre aux caresses d’un chien ou à parler à un enfant, à un pauvre, à quelque personnage illustre. L’action extérieure était différente : la force avec laquelle il agissait était toujours la même : l’amour et le sacrifice. Affable avec tous, il savait se mettre au niveau de chacun, se faire tout à tous. Il savait trouver en chacun le côté bon, accessible à une parole de salut, et le purifier, l’élever, le fortifier ; découvrir le mal, même sous les formes les plus séduisantes, et le combattre. Quelques exemples vaudront mieux que toutes mes paroles.
Quand il était jeune, son père eût désiré qu’il épousât la princesse de ***. « Soit, dit-il ; si elle s’unit avec moi dans une vérité que je veux lui présenter, je suis prêt à l’épouser. » Il fit donc une visite à cette demoiselle et lui dit : « Je suis allé récemment voir votre tante, qui était légèrement indisposée. Le froid était rigoureux ; un pauvre paysan, que vous envoyez chaque jour prendre de ses nouvelles, vint pendant que j’y étais. Votre tante le fit attendre dehors : le pauvre homme tremblait de froid et de faim. Eh bien, elle le fit partir avec la réponse, sans même lui permettre d’entrer pour se réchauffer 170. Voyant cela, je suis allé avec ce paysan à l’auberge du village et j’ai bu avec lui un verre d’eau-de-vie. Vous conviendrez que votre tante est une femme sans cœur, qu’elle ne reconnaît pas dans le paysan l’âme d’un homme. » Au lieu de s’unir à cette appréciation, la princesse se montra offensée : et Towianski n’y retourna plus.
Une autre fois, encore dans sa jeunesse, se trouvant aux eaux de Carlsbad, il rencontrait souvent à la source une grande dame de Varsovie qui quelquefois l’invitait à l’accompagner dans sa promenade. Un matin il accepta. Mais cette dame était toute parée de fleurs, de plumes, de dentelles : cela lui fit de la peine, parce qu’il ne pouvait supporter ce genre. Cependant, pour cette fois, il ne dit rien. Mais, invité de nouveau quelques jours après, il répondit : « Volontiers, mais à une condition. Il faut premièrement que vous enleviez tous ces colifichets, pour que je puisse me promener avec vous comme un vrai ami et non comme un jeune galant. » Tout ayant été enlevé immédiatement, Towianski ajouta : « Je vous remercie, madame, du bon exemple que vous donnez par là à toute la société qui est ici » ; et l’union si prompte et si vive de cette dame à la vérité présentée devint le commencement d’un rapprochement plus intime entre Towianski, cette dame et son mari.
Quelques années après, étant à Saint-Pétersbourg, il rencontra sur son chemin une de ces malheureuses qu’on appelle ordinairement filles perdues. Avec son regard pénétrant, il reconnut au fond de cette dégradation une âme d’un caractère élevé, qui souffrait profondément. Il s’approcha d’elle, lui dit quelques paroles ; et cette malheureuse, prenant courage, lui raconta les angoisses qui la déchiraient. Towianski lui éclaircit le mystère de sa position si déplorable et si contraire à la nature de son esprit. Il lui dit que Dieu avait permis qu’elle tombât dans cette boue, pour la pousser par cette dure punition à s’élever au-dessus de cette bassesse par une vraie pénitence ; que, si elle persistait dans cette aspiration où il la voyait dans ce moment, le Père céleste ne manquerait pas de la délivrer de cette dure opération sous la force. Cette pauvre fille, attendrie jusqu’aux larmes, se jeta à genoux au milieu de la neige et, élevant les mains et les yeux au ciel, elle s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu, qu’ai-je donc fait pour mériter d’entendre ces paroles de votre miséricorde ? » – Un ami de Towianski haut-placé, l’entendant raconter cela et ne pouvant se persuader que des sentiments si élevés pussent se trouver sur un degré terrestre si bas et si méprisé, voulut s’assurer par lui-même de la réalité du fait. Il fit monter Towianski dans sa voiture, et alla avec lui chez cette fille. Ému par la noblesse inattendue de ses sentiments, il la retira du lieu de sa pénitence et lui procura les moyens de gagner sa vie dans une honnête maison, où elle s’attira bientôt l’estime et l’amitié de toute la famille.
En 1842, lorsque Mickiewicz faisait son cours de littérature slave au Collège de France, Towianski le rencontra dans les rues de Paris ; le voyant un peu contrarié, il lui en demanda la cause. Mickiewicz lui dit qu’il songeait à la leçon qu’il aurait à faire le lendemain et ne trouvait pas ce qu’il devait dire. Il venait de pleuvoir : et la pluie, en tombant, avait formé çà et là, dans les inégalités du trottoir, de petites flaques d’eau. Towianski, au lieu de lui répondre directement, lui parla de cette eau fangeuse, qu’il agitait avec le bout de sa canne ; et, en montrant la relation de ce petit phénomène physique avec les grandes lois régulatrices de l’univers, avec l’admirable sagesse de l’action divine dans le gouvernement du monde et de chaque créature, il éleva tellement l’entretien et dit des choses si profondes, que Mickiewicz oublia tout le reste, l’écoutant avec une surprise mêlée de respect. Au bout d’un certain temps, Towianski tira sa montre et dit : « L’heure est déjà avancée, et peut-être êtes-vous pressé. » – « Que dites-vous ? répondit Mickiewicz, le temps a passé comme un éclair : je ne me lasserais pas de vous écouter. » – « Eh bien, reprit Towianski, voilà que pendant trois quarts d’heure nous n’avons parlé que d’un peu de boue, et pourtant vous y avez pris le plus grand intérêt. Maintenant, comment ne pourriez-vous pas entretenir pendant une heure et électriser votre public, en lui parlant de la mission de la Pologne et de l’avenir que Dieu lui destine !..... » Ces paroles, comme une étincelle ardente, enflammèrent l’âme de Mickiewicz, et le lendemain il fît une leçon admirable.
Towianski s’arrêtait souvent dans ses promenades à regarder les nouvelles constructions, les routes, les jardins et les travaux qui se faisaient aux environs de la ville. Il s’intéressait au travail des ouvriers, et souvent il leur indiquait le meilleur moyen de faire bien et vite. Les ouvriers l’écoutaient volontiers, et demeuraient surpris en entendant une personne étrangère à leur métier leur donner des conseils si justes, si appropriés, et en voyant qu’il leur suggérait des moyens techniques auxquels ils n’avaient jamais songé pendant tant d’années d’exercice. De ces conversations il tirait toujours sujet de leur dire une parole pour leur bien spirituel ; et il la leur disait de manière à l’imprimer profondément dans leur âme afin qu’elle ne s’effaçât plus.
Bien que ses moyens d’existence fussent tout à fait précaires, il ne refusait jamais l’aumône quand il trouvait dans le pauvre la bonne volonté et l’union de l’esprit à la vérité adaptée à sa position, qu’il avait toujours soin de lui présenter : mais, au contraire, il refusait l’aumône quand il trouvait une dureté et une obstination absolues.
Un jour, un ouvrier se plaignait à lui d’être pauvre et surchargé de famille. Il voulut connaître toutes les particularités de sa position, et arrêta ses plaintes par ces seules paroles : « La pauvreté est un remède de Dieu. » Avec ce discernement subtil des esprits qu’il possédait à un si haut degré, il lui montra ses défauts, pour la correction desquels la pauvreté lui était devenue nécessaire : il l’appela à rentrer en lui-même, à faire son devoir, l’assurant que Dieu l’aiderait. Voyant qu’il s’unissait sincèrement à tout ce qu’il lui disait, il le fit venir chez lui, lui donna un secours en argent et l’habilla des pieds à la tête. Le malheureux en fut profondément ému, il n’oublia jamais les conseils qu’il avait reçus ; et chaque fois qu’il voyait Towianski, il le saluait de ces paroles : « La pauvreté est un remède de Dieu. »
Non loin de l’endroit où il habitait, il y avait un mendiant estropié, auquel il avait l’habitude de donner une aumône quand il passait par là. Un jour il ne lui donna pas le secours habituel ; et le mendiant se montra mécontent et irrité, comme quelqu’un qui croirait y avoir droit, sans rien faire de son côté pour le mériter. Voyant cela, Towianski ne lui donna plus rien pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’il s’aperçût qu’il s’était humilié et qu’il avait renoncé à sa prétention. Alors il s’approcha de lui, et après lui avoir dit du fond du cœur quelques paroles d’approbation et d’encouragement, il lui fit une aumône plus abondante que de coutume.
Parlant des bienfaits que l’on peut tirer de l’union avec les pauvres, il disait que plus d’une fois pendant qu’il cherchait en vain la solution pratique d’une question dont il s’occupait, il lui est arrivé de rencontrer un pauvre et, lui ayant donné un secours et s’étant entretenu un moment avec lui et obtenu l’union de son âme, après cela la question se résolvait d’elle-même.
Towianski aimait beaucoup les enfants. Quand il sortait, il y en avait ordinairement plusieurs qui se pressaient autour de lui. À chacun il indiquait en peu de paroles ce qu’il devait faire principalement pour être bon. À ceux qui acceptaient avec un cœur sincère ses conseils, il avait l’habitude de donner des bonbons, qu’il tenait toujours préparés dans sa poche pour l’occasion ; et quand il lui arrivait de les revoir, il répétait à chacun le même conseil, le plus souvent avec les mêmes paroles, pour mieux l’imprimer dans leur âme.
Son amour ne s’arrêtait pas au seul genre humain. Dans tout le merveilleux spectacle de la vie terrestre à travers le voile sensible de l’immense variété des êtres créés, il sentait le souffle divin, l’activité incessante du monde invisible qui, sous la direction du Verbe de Dieu, opère en eux et par eux. Sans s’arrêter à l’enveloppe de l’esprit, il s’intéressait à toute créature, qui, sous quelque enveloppe que ce fût, vivait, se réjouissait ou souffrait. De là son grand intérêt pour les animaux. À l’égal de saint François d’Assise, il s’adressait à eux, entrait en correspondance de sentiment avec eux. Il les appelait nos frères cadets, parce qu’il sentait comme saint Paul que : « Ce monde créé est dans l’attente de la manifestation des enfants de Dieu..... car nous savons que toutes les créatures gémissent et sont dans le travail de l’enfantement jusqu’à cette heure 171..... »
De là la puissance admirable qu’il exerçait non seulement sur l’esprit de l’homme, mais aussi sur celui des animaux. Parmi beaucoup d’exemples que je pourrais citer à ce propos, je ne rappellerai que les suivants.
En 1840, peu avant qu’il quittât son pays natal, il vit un beau cheval, mais tellement vicieux, qu’aucun cavalier n’avait jamais pu parvenir à le dompter. Il s’intéressa à cet animal, et sentit qu’il souffrait. Ensuite il s’approcha de lui tout doucement avec un sentiment de compassion dans son âme et dans sa voix. Peu à peu le cheval se calma, se laissa caresser et finit par lui mettre la tête sur l’épaule. Alors il le sella, le monta ; et ce cheval, qui n’avait jamais voulu souffrir aucun cavalier, devint doux comme un agneau. Ferdinand Gutt l’acheta et lui en fit présent. Ce fut sur ce cheval que Towianski, lorsqu’il vint en France, fit le voyage d’Antoszwincie à Posen. Là, il l’offrit en souvenir à l’archevêque Mgr Dunin, dont il est parlé dans le premier chapitre.
Vingt ans après, à Zurich, Michel Kulwiec, habitué par sa vie militaire à de fréquents exercices corporels, loua pour une promenade un cheval de selle, capricieux et difficile à conduire. Après avoir traversé la ville assez tranquillement, le cheval commença à se cabrer, à se jeter de côté, à chercher tous les moyens de se débarrasser de son cavalier. Celui-ci allait déjà descendre de sa monture à quelques pas de distance, lorsqu’il vit Towianski qui revenait de la promenade. Il sauta à bas du cheval, et ayant passé les rênes autour de son bras, il lui fit part de la difficulté dans laquelle il se trouvait. Towianski jeta sur le cheval ombrageux et inquiet un regard plein d’amour et de compassion ; le flatta de la main, le caressa sur le cou et sur la tête. Le cheval changea bientôt d’attitude ; devint pacifique et tranquille. Maintenant il sera docile, dit Towianski : et pour en donner la preuve, il le monta lui-même et fit une longue course. Le cheval était transformé : doux, obéissant au moindre signe, il semblait fier de porter un tel cavalier. La manière de monter à cheval de Towianski enthousiasma Kulwiec : cheval et cavalier ne faisaient qu’un ; l’expression et les mouvements de celui-ci avaient quelque chose de si majestueux et de si attrayant, que Kulwiec se disait en lui-même : « Si cet homme se montrait ainsi à la tête d’une armée, il l’exciterait aux actes les plus héroïques et ferait des miracles ! »
Quelqu’occupé qu’il fût de choses graves, Towianski ne s’est jamais montré indifférent aux caresses d’un chien qui, en le voyant passer dans la rue, accourait joyeusement vers lui. Une fois, un de ses amis le rencontra à la promenade pendant qu’il pleuvait, et le voyant caresser un gros chien, qui l’éclaboussait horriblement en sautant autour de lui, il lui demanda pourquoi il permettait à ce chien de lui salir ainsi son habit. Towianski répondit : « Ce chien, que je vois pour la première fois, a montré une grande sympathie pour moi et une grande joie de voir que je reconnais et accepte son accueil. Si je le repoussais, je l’affligerais et lui ferais tort. Ce serait une offense à lui et à tous les esprits de l’autre monde qui sont sur la même ligne que lui. Le dommage qu’il me cause en salissant mon habit n’est rien en comparaison du tort que je lui aurais fait si j’étais resté indifférent aux manifestations de son amitié. Aujourd’hui, ajouta-t-il, l’homme doit rendre la condition des animaux moins dure et se faciliter aussi à lui-même, par ce moyen, l’union du monde des esprits, cette source de la force que le sacrifice de Jésus-Christ nous a ouverte et que les péchés de l’homme ont fermée de nouveau. Un jour, continua-t-il, je devais me rendre chez une dame de la haute société pour accomplir un devoir important. Le vif intérêt que j’ai témoigné à un chien très souffrant, qui se trouvait sur ma route, me donna une telle force, que la dame, accoutumée à plaisanter de tout, prit cette fois au sérieux ce que je lui dis sur son état moral, et m’en exprima sa vive reconnaissance. »
Par ces exemples, auxquels je pourrais en ajouter beaucoup d’autres, on peut voir que l’élévation de l’esprit dans laquelle il vivait continuellement n’ôtait rien à sa simplicité et à son naturel. C’est pour cela qu’il recommandait souvent, non seulement de tenir l’esprit toujours tourné vers son but essentiel, mais d’agir en toute chose simplement et naturellement : parce que ce n’est que de cette manière que la vie céleste peut devenir accessible au monde, qui n’est nullement porté à servir Dieu. Et il était lui-même un modèle de cette affabilité, avec laquelle il réussissait souvent à présenter sous une forme facile et agréable les choses les plus sérieuses ; il ne dédaignait pas la plaisanterie innocente, tout en tournant toujours, même par ce moyen, les âmes vers le sentiment de leurs devoirs.
Une telle vie ne pouvait que répandre une atmosphère bienfaisante sur la famille d’André Towianski et sur tous ceux qui l’approchaient avec une âme droite.
On a déjà vu quelle perle Dieu lui avait donné pour femme. Ceux-là seuls qui eurent, comme moi, le bonheur de la voir pendant de nombreuses années dans sa vie quotidienne, ont été à même de sentir à quelle hauteur la femme peut s’élever. Le but de son union avec son mari n’était pas pour elle son propre bonheur, mais l’accomplissement de la pensée de Dieu qui reposait sur lui. Sous les apparences les plus humbles et les plus modestes, elle fut jusqu’à son dernier soupir sa plus fidèle compagne et son aide la plus puissante. À côté d’une sincérité et d’une pureté d’âme qui laissaient pénétrer en un clin d’œil son fond le plus intime, elle possédait un sentiment d’une délicatesse exquise, large et sûr, humble et fort ; en quelque moment, en quelque circonstance que ce fût, on sentait ardente en elle la vie intérieure, le feu pour la vérité et la justice. D’une activité continuelle depuis le matin jusqu’au soir, toujours concentrée et recueillie, uniquement soucieuse de bien faire tout ce qui se présentait à faire, elle passait avec une merveilleuse facilité des plus humbles occupations du ménage aux entretiens et aux actions les plus graves. Dans toute sa personne perçait un mouvement spontané et joyeux d’abnégation continuelle pour procurer à chaque occasion, même dans les choses les plus petites, le triomphe de la cause de Jésus-Christ et le bien spirituel du prochain. Et tout cela n’était pas austère, rigide, solennel : c’était simple, naturel, aimable, doux, affectueux, charitable. C’était seulement lorsqu’elle voyait la vérité outragée que l’agneau devenait lion. Sa parole, bien qu’elle ne fût jamais rude, prenait alors un tel accent de douleur et de force, que personne ne pouvait lui résister. Ceux-là mêmes qui ne cédaient pas dans leur cœur en restaient désarmés ; parce qu’ils ne pouvaient s’empêcher de reconnaître que cette parole était vraie et que sa source était l’amour et la vérité. Mais partout où elle trouvait la sensibilité de l’esprit, la bonne volonté, l’amour du bien, son dévouement pour le prochain n’avait pas de bornes. Elle entrait avec une touchante spontanéité dans la position de chacun : elle savait deviner d’un regard toute la gradation des difficultés et des peines qui vous oppressaient ; avec deux paroles où était toute son âme, elle vous déliait, vous émouvait jusqu’aux larmes, répandait dans votre cœur la joie, ou tout au moins la résignation et l’espérance, vous relevait de l’abattement et vous excitait à la confiance et à la lutte. En parlant avec elle, on sentait que les âmes n’ont pas de sexe. L’amitié de l’esprit qu’il me fut donné de nouer avec cette femme, ma seconde mère, restera ineffaçable et durera, je le sens, dans les siècles de notre vie immortelle.
Sa sœur et le mari de sa sœur, Ferdinand Gutt, vivaient avec eux. Madame Anne Gutt, par la profondeur de son esprit, par la droiture et le sérieux de son caractère, par son abnégation et son dévouement sans bornes à la cause de Dieu, fut pour Towianski, dans l’accomplissement de sa mission, d’un secours non moins grand que sa sœur Caroline, avec laquelle elle partageait la sollicitude pour la personne de Towianski (tout en se mettant toujours en seconde ligne), les soins de la maison, l’intérêt fraternel envers tous ceux qui se rendaient auprès du serviteur de Dieu.
Ferdinand Gutt, médecin très renommé à Wilna, avait connu Towianski dans sa première jeunesse, quand il était son condisciple au collège et à l’Université. Dès lors, profondément frappé de la supériorité de son jeune ami sur tous leurs autres compagnons, il pressentait avec la certitude d’une véritable intuition la mission à laquelle Dieu l’appellerait. Il s’attacha dès lors à lui de toutes les forces de son âme et ne cessa plus de le suivre, le regardant comme son guide spirituel. Après son départ pour l’étranger, il n’hésita pas à quitter, lui aussi, son pays et la brillante position qu’il s’était créée, pour le rejoindre bientôt en France ; il en partagea les persécutions et l’emprisonnement, et resta toujours avec lui jusqu’à la mort. Il veillait sur sa santé avec l’empressement d’un frère et un dévouement vraiment filial. Le peu qu’il gagnait, comme médecin d’une clientèle composée pour la plupart de personnes peu aisées (car il soignait les pauvres gratuitement), il le versait dans la caisse de la famille. Pénétré d’une profonde vénération pour la mission de son ami et beau-frère, il ne voyait que la réclamation et l’appel de Dieu, que la parole de cet homme faisait si vivement sentir, le renouvellement spirituel et politique que l’acceptation de cet appel produirait dans le monde : il brûlait du désir de le voir compris et réalisé par tous, et il dirigeait chacun vers ce but avec un zèle infatigable. Il avait une intuition profonde de la situation politique de chaque nation et du rapport de cette situation avec l’état d’esprit du pays. Sa parole, qui avait quelque chose de prophétique, était toujours serrée, incisive, pénétrante. Il aimait d’un très grand amour l’Italie, dont il sentait mieux que nous-mêmes, Italiens, les qualités et les défauts. Il aurait donné sa vie pour la voir s’élever à la hauteur de sa vocation, dont il gravait le sentiment dans les âmes avec des paroles de feu. Ce fut cet amour qui, en 1860, le poussa à venir en Italie et à Caprera avec nous, affrontant les dangers et les fatigues que ce voyage présentait alors, principalement à cause de la saison orageuse dans laquelle nous le fîmes, et de son âge déjà avancé. On ne pouvait le connaître sans l’aimer.
Les plus jeunes des enfants de Towianski et la fille de Gutt, élevés dans le même esprit, étaient à Zurich avec la famille. Ils étaient nés après que leurs parents eurent quitté la Pologne ; nous les vîmes grandir sous nos yeux, devenir nos amis, et quelques-uns d’entre eux, nos modèles dans l’accomplissement de notre commune vocation. Élisabeth Towianska, morte en 1861 à l’âge de quinze ans ; Anna, sa sœur, femme de Michel Kulwiec, morte en 1877 à l’âge de trente-deux ans ; leur cousine, Caroline Gutt, femme de Joseph Jaworski, morte en 1873, à l’âge de vingt-sept ans, – étaient des âmes d’élite, qui laissèrent en nous un souvenir ineffaçable de leurs hautes vertus chrétiennes.
À ce petit groupe était venu se joindre en 1849 Stanislas Falkowski, que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner. Esprit réfléchi et profond, d’une haute intelligence et de connaissances étendues sous les plus modestes apparences, il avait achevé brillamment son cours de jurisprudence à l’Université de Dorpat ; ayant obtenu une bourse pour se perfectionner à l’étranger, il se rendit en Norvège pour y compléter ses études. Mais poussé par un instinct intérieur vers l’Occident, il se rendit en France, soupirant avec ses compatriotes émigrés après la résurrection de la Pologne, y coopérant par tous les moyens qui lui semblaient alors présenter quelque espoir de réussite : mais il céda, lui aussi, peu à peu au découragement qui, par suite de déceptions continuelles, avait envahi la partie la plus élevée de l’émigration. Ranimé par la foi inspirée de Mickiewicz et ensuite par l’annonce inattendue de l’effusion d’une nouvelle miséricorde de Dieu, il accourut à Notre-Dame le 27 septembre 1841 ; et, ayant entendu la parole de Towianski, il en fut tellement pénétré, qu’il se retira pendant environ un mois à la Trappe de Mortagne, pour se préparer dans la contrition et dans la prière à répondre dignement à l’appel de Dieu. Il assista aux réunions que Towianski tint à Nanterre en avril et en mai 1842, prit la chose au fond et tellement à cœur, qu’il y consacra dès lors toutes ses forces. Il passa ensuite par beaucoup de difficultés, par beaucoup de traverses ; et, au bout de quelques années, il sentit qu’il ne pourrait plus vivre qu’auprès de l’homme qui avait ouvert, régénéré son âme, réveillé en lui la foi dans un avenir plus heureux pour la Pologne et pour le monde, qui lui avait montré la seule voie par laquelle cet avenir peut se réaliser. Seul, pauvre, faible de santé, il se rendit en Suisse et s’offrit comme instituteur des enfants de Towianski. C’est ainsi qu’il entra en rapport plus intime avec lui, et qu’il accepta l’hospitalité dans sa famille. Il consacrait tout le temps qu’il avait de libre à aider Towianski dans ses écrits, ses correspondances, à traduire ses notes, à les mettre en ordre. Il facilitait à ceux qui se rendaient auprès du serviteur de Dieu l’acceptation, l’intelligence et l’application de sa parole. Il ne le quitta plus tant qu’il vécut. Oh ! que de fois la parole de Falkowski, venant d’un fond d’amour, de macération et de prière, éveilla mon âme au sentiment réel d’elle-même, la fortifia dans les moments difficiles !..... Oh ! que de fois, entrant dans son humble petite chambre, où l’on respirait la simplicité et la piété sincère des premiers compagnons de saint François, je sentis mon atmosphère intérieure se transformer, la fougue de ma nature se calmer et un rayon de paix entrer dans mon cœur !..... Oh ! que de fois, dans les promenades et les petites excursions que nous faisions ensemble, m’interprétant le langage de cette belle nature, il me rendait sensible, dans l’univers entier et dans le fond le plus intime de mon âme, la grandeur et l’activité incessante du Verbe de Dieu ! Notre amitié ici-bas dura plus de trente ans. Mais la tombe ne l’a pas brisée, mon bon Stanislas ! Parmi les espérances qui fortifient ma pauvre vie, si proche de son terme, celle de te revoir et de continuer cette amitié active dans la vie meilleure vers laquelle je soupire n’est pas la dernière.
En 1863, Charles Baykowski vint aussi s’établir auprès de Towianski. Homme en qui l’amour de Dieu et de la délivrance de la patrie brûlaient avec une égale ardeur, tourmenté pendant longtemps par ce problème : comment unir dans l’action le sentiment patriotique et le christianisme, qui lui étaient tous deux également chers, – il avait passé aussi par bien des douleurs. Ressuscité à la foi vivante en Jésus-Christ par la parole de Towianski, qui, en lui résolvant le mystère de son désaccord avec lui-même, lui résolut le problème dont il était oppressé, il se sentit régénéré ; plein d’ardeur et de confiance, il se consacra dès lors tout entier à servir l’Œuvre de Dieu. Égal à Falkowski dans le zèle, il partagea avec lui le même travail, avec lui il recueillit le dernier soupir du vénéré et bien-aimé Maître ; et, après sa mort, il coopéra avec Falkowski à coordonner ses écrits et à en diriger l’impression. Il raconta lui-même dans une publication intitulée : Z nad Grobu (Krakow, 1891) quelques phases intéressantes de sa vie, et le changement qui s’était opéré en lui après qu’il eut connu le serviteur de Dieu.
En 1867 vint s’adjoindre à eux, pour les aider dans leurs travaux, Jacques Malvesin. Sa coopération fut spécialement précieuse pour les traductions françaises. Âme droite et candide, il inspirait une sympathie particulière par la simplicité humble et spontanée de ses manières, par la joie, je dirai presqu’enfantine, qui perçait dans son visage, dans son sourire, et qui rendait sa vieillesse si aimable et si chère.
Tel était, pour ainsi dire, le quartier général. Là accouraient continuellement des visiteurs dans toutes les saisons de l’année, surtout en été et en automne. La plupart y restaient quelques semaines ; d’autres y demeuraient plusieurs mois, voire même des années entières, selon le besoin que chacun ressentait, selon le temps et les moyens dont il pouvait disposer. Il en venait de France, d’Italie, mais principalement des diverses provinces de la Pologne.
Après quelques instants d’entretien, le serviteur de Dieu comprenait l’état réel de ses visiteurs beaucoup mieux qu’ils ne le comprenaient eux-mêmes. Il montrait à chacun, dans ses défauts principaux, la vraie cause de ses douleurs et de ses contrariétés ; il indiquait la voie pour les vaincre, pour réveiller sans cesse et soutenir la vie intérieure, pour la manifester sans cesse dans les actions.
Chacun prenait des notes de ces entretiens, repassait dans son cœur les vérités qu’il avait senties, cherchait à y conformer sa vie intérieure et extérieure, faisait part aux autres, dans la joie de son âme, de ce qu’il avait reçu et du changement qui s’était opéré au dedans de lui.
Ainsi le travail de l’un aidait au travail de l’autre et de saintes amitiés se nouaient. Là brûlait continuellement un foyer de vie chrétienne fraternelle, sans aucun autre lien que celui de l’amour de Dieu et du prochain, et celui de la grâce de Dieu qui appuyait les efforts de la bonne volonté.
On participait à ces bienfaits plus ou moins, selon la sincérité et la persévérance plus ou moins grandes avec lesquelles on y correspondait. Ceux qui portaient en eux des dispositions contraires ne pouvaient résister longtemps dans ce milieu, et s’en éloignaient.
La maison de Towianski, ouverte à tous, était le centre de cette vie fraternelle : les personnes de sa famille, sa femme surtout, en étaient l’âme et l’appui.
Nous nous réunissions souvent le soir. L’un racontait ce qui lui était arrivé pendant la journée ; un autre, venu tout récemment de Varsovie ou de Paris, plein de joie de revoir ses meilleurs et ses plus chers amis, nous émouvait par le récit des évènements auxquels il venait d’assister ou même de participer dans son pays ; un autre encore, ayant eu ce jour-là avec le serviteur de Dieu un entretien très important pour sa direction, nous en faisait part, et son émotion émouvait les âmes de tous. Parfois quelqu’un se mettait au piano, et par la musique ou le chant remuait les fibres les plus intimes de notre cœur ; de sorte que toujours nous sortions de ces réunions amicales avec une nouvelle joie et une nouvelle énergie.
Quand le temps était beau, on faisait quelquefois de petites excursions sur le lac, ou des promenades dans les environs ; et, dans les entretiens mutuels, notre amitié se fortifiait et s’élevait. Les épanchements sortaient plus spontanément du cœur ; l’esprit se reposait et prenait une nouvelle vigueur ; les relations devenaient plus intimes, plus simples, plus ouvertes. Oh ! que de chers souvenirs ont laissés dans nos âmes et dans nos cœurs les collines de la Weid, le promontoire de Stefansburg, la hauteur de l’Uetliberg, les rivages de Thalwil, de Richterswil, de Horgen !..... Il nous arrivait souvent de rencontrer en chemin Towianski : il se joignait alors à nous, prenait part à nos entretiens, avec quelques paroles il en élevait le sujet et attirait sur nous un esprit de paix, de vie, de sainte joie qui, en créant autour de nous une atmosphère pure et sereine, faisait qu’au lieu de rentrer fatigués à la maison, nous nous sentions plus reposés et plus forts.
On peut bien dire que le ressort intime de cette vie, si chère aux âmes et si nouvelle dans le monde présent, était le sacrifice non interrompu du Serviteur de Dieu. Il était un canal toujours ouvert, par lequel un souffle du ciel se répandait sans cesse pour vivifier, purifier et élever tout ce qui l’entourait.
C’est pourquoi, même sans lui parler, tous recevaient par sa présence un appui d’esprit, une force, une aide invisible.
Là tout semblait facile ; quelques jours après qu’on en était parti, tout changeait d’aspect. Ce n’était qu’au prix d’une plus grande vigilance et d’efforts beaucoup plus grands qu’on pouvait réussir à conserver ailleurs une petite partie de cette clairvoyance, de cette ardeur pour l’action, qui avaient semblé si naturelles dans cette atmosphère bénie.
C’est le spectacle de cette vie fraternelle, pure, élevée, spontanée, qui a fait dire au théologien François Barone (alors professeur d’histoire ecclésiastique à l’Université de Turin), dans une lettre adressée à son frère en 1852, les paroles suivantes :
« ..... J’ai trouvé ici ce que je n’ai jamais trouvé ailleurs. J’ai trouvé une vie vraie : sentiment, foi, christianisme complet, vivant ; non comme dans un cloître, mais comme il pourrait et devrait vivre dans le monde actuel, malgré le grand scepticisme qui nous ronge, la science qui nous étouffe, l’égoïsme qui nous dessèche..... Il me semble que je me trouve dans la Thébaïde, où se réunissaient les âmes fortement chrétiennes ; ou bien dans la demeure d’un de ces premiers chrétiens qui, au milieu des persécutions, conservaient parmi eux le foyer de la foi, la simplicité, la vertu..... Ce que j’ai trouvé et ce qui me touche profondément, c’est cette expression de la vie chrétienne dans l’action vraie, continuelle et ouverte, ce ton militant du soldat de Jésus-Christ, qui aime et respecte tous, mais qui ne se prostitue et ne se trahit jamais ; ou, s’il tombe, avoue sa faute et répare ses manquements, d’abord en lui-même, puis envers la personne offensée, avec une force humble, que je n’ai encore vue nulle part, qui n’existe pas parmi nous, ni dans le monde, ni dans le clergé, ni en moi-même..... »
Après chaque séjour qu’on y avait fait, chacun se sentait relevé dans son âme et devenu meilleur, et en partait avec une force nouvelle ; il continuait au moyen de la correspondance les rapports fraternels ; puis, quand il pouvait y retourner, il reprenait une nouvelle vigueur pour faire un nouveau pas en avant, ou pour rentrer dans la voie, s’il s’en était éloigné.
Mais les jours où le nombre des arrivants était plus grand (jours qui pour nous étaient ceux d’un recueillement intérieur et d’un travail spirituel régénérateur) étaient pour Towianski des jours d’une fatigue excessive. Quelquefois il nous recevait les uns après les autres, presque sans interruption, depuis le matin jusqu’au soir, et même jusqu’à une heure fort avancée de la nuit. Et comme il s’intéressait à toutes les particularités de l’état intérieur de chacun et ne disait et ne faisait rien que du fond de l’âme, on peut se figurer combien il devait prier et travailler, afin d’obtenir de Dieu la lumière et la force nécessaires pour donner à chacun ce qui convenait le mieux aux besoins de son âme, aux circonstances dans lesquelles il devait accomplir les devoirs, quelquefois difficiles, de sa position.
Ces jours-là étaient aussi fréquemment des jours de grande douleur pour lui ; parce que malheureusement nous ne profitions pas toujours comme nous l’aurions dû des sacrifices qu’il faisait pour nous et des grâces que Dieu répandait sur nous par son intermédiaire : ce qui fut une des causes, non la moindre, pour lesquelles les trésors célestes que nous recevions n’ont pas toujours été présentés ni par conséquent compris dans leur véritable esprit, et pour lesquelles ils ont été, souvent, mal jugés.
Cette merveilleuse activité de la vie chrétienne, Towianski la soutenait toujours au même degré, bien que ses moyens d’existence fussent précaires et qu’il se trouvât souvent dans une grande gêne.
Ses biens, comme on l’a vu, ayant été confisqués, il se remit lui-même et remit sa famille avec une pleine confiance entre les mains de la Providence ; et celle-ci pourvoyait à ses besoins par le moyen de l’affection reconnaissante d’amis dévoués ; bien que ceux-ci, malheureusement, ne fussent pas toujours en état de faire ce qu’ils auraient désiré.
Mais, sous ce rapport aussi, inébranlablement fidèle à son caractère chrétien, il agissait toujours selon la plus rigoureuse vérité. S’il voyait l’offre venir de l’union fraternelle réelle sur la voie de Jésus-Christ, il la recevait avec une humble reconnaissance, fût-elle même la plus petite : soucieux seulement qu’elle ne devînt pas trop onéreuse pour celui qui la faisait. Dans ce cas, son amour ingénieux savait toujours trouver quelque moyen pour compenser amplement le donateur, sans l’offenser par un refus, mais en le secourant à son tour dans le moment opportun. Si, au contraire, l’offre lui venait de quelqu’un qui, tout en étant mû par un sentiment d’humanité, repoussait la voie chrétienne ou y était indifférent, il n’aurait jamais accepté le moindre don, quand même il se fût trouvé dans le besoin le plus extrême. Dans des cas semblables (et il y en eut plus d’un), il refusait l’offre et déclarait franchement le motif de son refus.
Il ne pouvait donc compter sur rien de fixe, et il eut souvent des moments difficiles à traverser : sa femme fut même obligée, une fois, de mettre en gage son anneau nuptial pour subvenir à la dépense de la journée.
Mais rien ne pouvait troubler la sérénité, ni ébranler la confiance du Serviteur de Dieu. Reconnaissants envers le Seigneur et le prochain pour tout ce qu’ils recevaient, lui et sa femme veillaient à ce que pas un centime ne fût déboursé en vain, mais que toute dépense fût faite selon la vérité ; et dès lors, ne se souciant plus que de leurs devoirs, ils s’en remettaient pour le reste au Père céleste.
« Se confier dans ce qu’on a, dans les moyens terrestres, disait Towianski, c’est la loi païenne ; et, à cause de cette sollicitude païenne, Dieu ôte quelquefois les biens de la terre. Il faut faire tout ce que l’on doit, et tout ce que l’on peut, et puis se remettre entre les mains de Dieu. Quelquefois ma femme vient me dire qu’il n’y a plus qu’un franc à la maison. Douze personnes à nourrir, et un franc seulement !..... Mais Dieu exige de nous une pleine confiance. Avoir mille francs, en avoir cent mille, avoir un franc, n’avoir rien du tout, pour moi c’est la même chose. Je me confie en Dieu et me préoccupe seulement de sentir quel est mon devoir pour la journée et comment l’accomplir. Et souvent il arrive que ma femme vient me dire qu’une lettre chargée est arrivée, que je n’ai qu’à signer l’avis et envoyer quelqu’un à la poste. »
Voilà de quelle manière ils vivaient. Towianski avait tout quitté pour Dieu, et la Providence ne l’a jamais abandonné. C’était sa loi de n’avoir rien de certain, de n’être jamais assuré du lendemain, et dans ces conditions d’accomplir sa vocation. Il était un exemple vivant des paroles de Jésus-Christ : « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît 172. »
Malgré cela, ainsi qu’on l’a vu, il trouvait toujours moyen de secourir les pauvres. On recevait dans sa maison l’hospitalité la plus cordiale ; et beaucoup de ceux qui en profitaient, réjouis d’un accueil si joyeux, étaient loin de s’imaginer de combien de privations il était le fruit ; privations auxquelles toute la famille se soumettait volontiers pour le bien du prochain, pour faciliter par la sérénité d’une vie naturelle, et d’une franche hospitalité, le réveil et l’activité de l’esprit. Personne ne partait sans avoir reçu un petit souvenir. Si quelqu’un était dans le besoin, on faisait tout ce qu’on pouvait pour le soulager : surtout quand les soucis occasionnés par le dénuement matériel ôtaient à l’âme la liberté de s’occuper de ses besoins spirituels. Je me souviens d’un excellent jeune homme, qui se trouvait auprès de Towianski dans les meilleures dispositions de l’âme, mais qui était continuellement préoccupé et mélancolique. Towianski, qui souffrait de toute douleur d’autrui, vint à savoir qu’il avait une dette de deux cents francs et que l’impossibilité de la payer était l’unique cause qui l’empêchait de se donner entièrement à ce qu’il sentait être pour lui le salut. Il demanda aussitôt à sa femme s’il y avait de l’argent à la maison ; et elle répondit : « Il y a en tout deux cents francs. » – « Eh ! bien, reprit Towianski, il faut les donner à ce brave jeune homme. » Celui-ci, bien qu’il fût loin de s’imaginer que son bienfaiteur se privait de sa dernière ressource, fut tellement ému en recevant ce don, qu’une transformation complète s’opéra soudain en lui et qu’il devint un vrai et zélé chrétien. La sagesse du monde peut ne voir en cela qu’un acte inconsidéré, surtout de la part d’un père de famille ; mais la sagesse du monde ne sait pas ce que c’est que le zèle pour le salut des âmes et la plénitude de la confiance en Dieu ; elle ne sait pas quels miracles ces vertus opèrent quand elles passent dans l’action avec un complet sacrifice.
Des dons spirituels, comme des dons temporels, Towianski et sa famille ne gardaient rien pour eux ; tout était en circulation continuelle, tout vivifiait ceux qui les approchaient. Et Dieu pourvoyait à tout. Là il vous semblait de vivre au milieu des premiers chrétiens : « Un seul cœur et une seule âme 173..... comme tristes, et toujours dans la joie ; comme pauvres, et enrichissant plusieurs ; comme n’ayant rien, et possédant tout 174. »
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CHAPITRE XI.
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Dernières années.
Telle était en Towianski la force de la vie intérieure continuellement soutenue, telle était la pénétration de cette vie dans tout son organisme, que la vie de son corps, presque exclusivement soutenue par celle de l’esprit avec laquelle elle était en parfaite harmonie, présentait, même dans l’âge avancé, l’aspect d’un état vigoureux et florissant. Mais la résistance de l’homme à l’appel de Dieu, le rejet de cet appel par ceux qui sont appelés à diriger les peuples, et les progrès continuels du mal qui envahissait de plus en plus le monde en éloignant le jour de Dieu, dont l’aurore avait à peine été entrevue, l’opprimaient douloureusement et minaient lentement ses forces.
Cette oppression commença à influer plus sensiblement sur sa santé en 1863, après la triste direction prise par la Pologne, malgré la pureté avec laquelle avait commencé le mouvement admirable de 1861. Et cette influence s’accrut encore en 1871, en présence de la direction non moins triste qu’a prise la France après ses désastres, et l’Italie après la conquête si rapide de son unité politique.
De plus en plus recueilli en lui-même, il recourait de moins en moins aux moyens extérieurs de se récréer et de se retremper. Il n’allait plus ni au théâtre ni aux concerts ; il ne faisait plus de longues excursions ; même ses promenades à pied devenaient de plus en plus courtes. Par contre, le travail de l’esprit devenait toujours plus intense. Mais en 1871 il finit par tomber malade. Ses forces diminuaient visiblement ; il ne pouvait plus dormir ni soutenir de longues conversations, même avec ses amis, et les entretiens sur des sujets plus graves cessèrent peu à peu.
Dès qu’il sentit que sa vie approchait de son terme, il se mit à conclure tous ses travaux ; soit en montrant à chacun le devoir de prendre sur sa conscience, en s’appuyant exclusivement sur Dieu, la responsabilité de tout ce qu’il avait reçu et senti, soit en revoyant ceux de ses écrits qui devraient rester après sa mort.
On peut lire les conseils qu’il nous donna comme son testament spirituel, dans les notes émouvantes des dernières réunions qui se tinrent chez lui en 1870, notes qui font partie du recueil de ses écrits 175. Je n’en donnerai ici que quelques passages :
En présentant au prochain la réclamation et l’appel que Dieu fait dans ces temps à l’homme, élevons-nous contre toute offense faite à Dieu, faisons opposition au faux quel qu’il soit, et présentons la vérité contraire à ce faux. Que dans cette action disparaissent pour nous tous les égards terrestres et toutes nos faiblesses humaines, nos sympathies et nos antipathies ; que les formes chrétiennes, auxquelles se plie si facilement le corps humain assoupli par la civilisation, ne nous séduisent ni ne nous troublent ; que rien de ce qui dans le monde exerce une action si puissante n’influe sur nous ; que la vérité et l’amour du prochain et de son salut nous gouvernent seuls ; voyons uniquement notre devoir, et ne regardons ni aux formes dont le mal se couvre, ni aux personnes qui en sont devenues les instruments. – Ne faisons pour personne aucune concession sur la chose de Dieu, sur ce qui est l’essence de la volonté de Dieu et des devoirs chrétiens de l’homme ; mais, ayant égard dans une juste mesure aux difficultés et aux faiblesses du prochain, faisons des concessions sur ce qui n’est pas cette essence. Par conséquent, toute vérité que nous exposons, et tout mal que nous signalons, appelons-les par le nom qui leur est propre, afin que cette vérité et ce mal puissent être connus tels qu’ils sont en réalité. C’est pourquoi aussi, en servant le prochain, n’entrons pas dans des raisonnements, des discussions, ne soumettons pas la chose de Dieu au jugement de la raison et des passions humaines ; car aucun de ceux qui nous tenteraient à commettre ce péché ne nous en justifierait devant le tribunal de Dieu, et au contraire, chacun d’eux réclamerait contre nous si nous n’avions pas fait opposition au faux qui était en lui, et si nous ne lui avions pas présenté la vérité, si nous n’avions pas eu l’amour et l’énergie de manifester ce que nous voyons, si, par conséquent, nous n’avions pas rempli envers lui notre devoir essentiel. – La vérité exposée dans les conditions chrétiennes est l’arme qui triomphe du mal, du faux quel qu’il soit : qui en triomphe, soit promptement et facilement avec l’aide de la grâce de Dieu, soit au moyen d’une longue et pénible opération sous la force et la punition de Dieu, selon la manière dont cette vérité a été acceptée et employée par celui à qui elle a été présentée. Jésus-Christ, dans chaque circonstance de sa vie, a fait opposition au faux et a manifesté la vérité ; par là Il a présenté le modèle suprême du service à rendre au prochain pour son salut.
Appelés à être pour le prochain des frères et des serviteurs en Jésus-Christ, servons-le avec amour, sacrifice, humilité et sentiment. Tout ce que nous faisons à son égard, faisons-le du fond de l’âme, avec le mouvement intérieur, faisons-le sans prévention et sans jugement, et, à plus forte raison, sans rabaisser le prochain et sans nous élever au-dessus de lui à cause de ses péchés. Lors même que le prochain subjugué par le mal produirait, comme instrument du mal, les fruits les plus mauvais, ne le jugeons pas et ne le condamnons pas ; car, bien que nous voyions les mauvaises actions du prochain, nous ne connaissons pas ses comptes devant Dieu ni les difficultés auxquelles il est soumis par suite de ces comptes, et par conséquent nous ne connaissons pas la mesure de sa culpabilité devant Dieu. Dieu seul voit le fond de l’âme, voit les comptes et les difficultés de l’homme, et d’après cela Il le juge ; mais nul homme ne peut, sans péché, se faire le juge de son prochain, et par là s’arroger un pouvoir sur son âme, qui n’appartient qu’à Dieu : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés ; car vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres 176 », a dit Jésus-Christ. – C’est pourquoi aussi, au milieu des attaques dirigées contre notre esprit et des blessures qui lui ont été faites par le faux et la dureté du prochain, n’admettons pas dans notre âme de ressentiment contre le prochain et ne détournons pas de lui notre esprit ; mais, pécheurs nous-mêmes, compatissant à sa misère, entrons dans sa position avec l’indulgence chrétienne, et maintenons en nous l’amour et le dévouement pour son salut.
Ayons l’horreur du mal, du péché qui offense Dieu, séparons-nous-en, et cette horreur, cette séparation, manifestons-les au prochain subjugué par le mal ; mais en le faisant, ayons l’amour pour le prochain et la douleur sur son malheur, et par suite, ne le délaissons pas dans sa position difficile ; portant ces sentiments, il nous arrivera plus d’une fois, même après que le prochain aura rejeté notre service, que nous sentirons devoir lui indiquer en peu de mots la direction qu’il doit prendre, ce qu’il doit faire, par où il doit commencer, afin qu’au milieu des ténèbres et du chaos qui l’entourent, s’attachant à ce rayon de lumière, il puisse sortir des voies fausses et entrer dans la voie droite. Dans ces mêmes sentiments, veillons aussi afin de découvrir, au milieu des souillures du prochain, l’étincelle chrétienne, même la plus faible, qui peut vivre dans son âme, de saisir chaque mouvement pur qui s’y éveille ; apprécions cette étincelle, soignons-la avec amour et attisons-la ; aidons ainsi le prochain à vaincre, par le bien qu’il porte en lui, le mal qui le subjugue ; par là produisons le fruit de notre fidélité à son esprit, fidélité qui, de la douleur sur le malheur du prochain, tire les moyens de lui porter secours. Cette douleur devient pour nous un devoir de plus en plus important ; car ce sentiment chrétien, porté profondément et vivement dans l’âme, donne une grande force à tout ce qui se dit et se fait, tandis que la lumière seule n’a pas de force et ne suffit pas dans le service chrétien ; en blessant le prochain par la lumière présentée sèchement, sans compassion, sans douleur, en devenant ainsi pour lui des instruments de la force, nous ne remplirons pas envers lui notre devoir, nous ne lui donnerons pas l’aide que nous lui devons, pour qu’il se délivre du mal. Jésus-Christ, même en attaquant le mal avec toute la puissance du Verbe de Dieu, en frappant les pharisiens endurcis, en chassant les démons, et enfin en souffrant la passion et la mort sur la croix, portait en Lui la douleur sur l’homme subjugué par le mal, et l’amour, le désir de le délivrer du mal, et tandis qu’Il brisait le fil unissant le pécheur au mal, Il lui présentait aussitôt le fil du salut, qui unit au ciel. Faisons donc, mes frères, tout ce que je vous ai exposé ces jours derniers en vous rappelant vos devoirs de soldats en Jésus-Christ, mais faisons-le avec amour, sacrifice et douleur chrétienne ; ce n’est qu’alors que ces actions seront une vertu et un mérite pour nous et qu’elles produiront le fruit destiné. Il en est qui voient le mal et le frappent, mais qui le font dans un but non chrétien et avec une force non chrétienne, qui le font même dans le plus grand déchaînement des passions ; aussi une telle action ne produit-elle aucun fruit, ni pour ceux qui agissent, ni pour ceux qui sont l’objet d’une telle action.
Il ne nous appartient pas de vaincre le mal qui subjugue le prochain ; notre devoir est seulement de montrer au prochain son mal et de lui indiquer la voie de la lutte et de la victoire ; car celui qui a accepté le mal doit lui-même, avec l’aide de la grâce de Dieu, le vaincre et s’en délivrer. Il ne nous est pas destiné de renverser les faux édifices que l’homme a élevés dans des voies fausses ; il nous appartient seulement de montrer à l’homme combien ces édifices sont faux et malfaisants, et de lui rappeler la lumière et la force que Jésus-Christ a transmises et par lesquelles ces faux édifices doivent être renversés.
Appelés à servir le prochain comme instruments de la grâce, ne le servons pas comme instruments de la force et de la punition de Dieu : ne le servons pas avec la force terrestre, celle du sang, de la bile, des passions, et encore moins avec la force de l’esprit rude et dur. Une telle force est impropre et inefficace sur le champ chrétien où doivent régner l’amour et la liberté ; sous une telle force, il est plus difficile à l’homme d’éveiller en lui la bonne volonté, l’amour, le sacrifice, par conséquent de mériter l’aide de la grâce et de la recevoir. Tandis que l’amour et le sacrifice du serviteur stimulent le prochain à l’amour et au sacrifice, la force, en frappant le prochain, n’émeut pas, mais surexcite son esprit, agite et ruine son corps, sans effet pour son progrès chrétien. Sous la force, la vie chrétienne de l’esprit s’arrête, le grain semé par Jésus-Christ ne germe pas ; de plus, la force de l’esprit libre, mais agissant sans amour, est une oppression et une tentation pour l’esprit subjugué qui, privé de l’aide de la grâce, opprimé et poussé par le mal, et par surcroît provoqué et troublé par la force du prochain, amené ainsi à la dernière extrémité, se jette dans les voies fausses et s’éloigne de plus en plus de la voie chrétienne. La force ne peut agir efficacement que là où il faut briser l’endurcissement de l’esprit ; mais de cette force, dont la terre et l’enfer sont les instruments par la permission de Dieu, nous ne devons pas nous en faire les instruments ; il n’y a que les champs ouverts à l’amour et au sacrifice qui soient ceux de notre vocation, de notre service et de notre victoire.
Quoiqu’il arrive souvent que celui qui est abrité contre le mal et poussé vers le bien par la force du prochain produise de bons fruits, néanmoins ces fruits, n’étant pas les siens propres, ne lui donnent pas de mérite et ne servent pas à son progrès chrétien ; au contraire, ils lui rendent ce progrès plus difficile, car s’il avait produit des fruits mauvais, mais issus de lui-même, il lui eût été plus facile de connaître son mal, de s’humilier, d’avoir la contrition devant Dieu et de rejeter le mal, et ensuite, ayant recouvré la liberté chrétienne, d’accepter dans son âme le bien qui lui est destiné et d’en produire les fruits. – Si Jésus-Christ avait employé la force, le monde se serait soumis à Jésus-Christ, mais la pensée de Dieu aurait été effacée, et le progrès du monde arrêté, tandis que, Jésus-Christ s’étant laissé crucifier, le monde produit les fruits du rejet de la pensée, de la volonté de Dieu, du rejet du progrès chrétien, mais par ces fruits et leurs conséquences, il fait un progrès, il approche de l’accomplissement de la pensée, de la volonté de Dieu, quoique ce soit par une voie longue et pénible, lentement et au milieu de difficultés non destinées. Par son amour et son sacrifice suprême, Jésus-Christ a provoqué les fruits du manque d’amour et de sacrifice : par là, en rendant évidents le mal de l’homme et le bien qu’il lui est destiné d’accepter, il a mis l’homme en compte, et ainsi une opération pénible, mais salutaire, s’est ouverte pour l’homme. Si les serviteurs de Jésus-Christ employaient la force, l’idéal présenté par Jésus-Christ serait effacé ; il en résulterait pour l’homme la position la plus difficile et, dans cette époque chrétienne supérieure, de nouveaux schismes se produiraient au nom de l’amour et de la liberté...
Afin que nous puissions accomplir toutes ces vérités et servir le prochain dans les conditions dont nous venons de parler, soyons dans toutes nos pensées, nos paroles et nos actions, tels que nous devons être. – Libres de tout joug étranger, ne portons que le joug qui nous est destiné, soyons par amour esclaves de la loi et de la vérité de Jésus-Christ, cet esclavage volontaire étant seul la vraie liberté ! En hommes libres, ayons pour nous éveiller et nous animer ce seul mobile véritable, l’intention pure de servir Dieu, d’accomplir sa volonté avec amour et soumission. Maintenant en nous cet esprit d’amour et de sacrifice, ne nous réservons rien, et sacrifions tout pour ce saint service. Lorsque l’homme ne se soumettant pas complètement à Dieu se réserve quoi que ce soit, ce point réservé, étant une parcelle du mal, attire le mal, et devient dans l’âme de l’homme comme une colonie d’où le mal étend son influence sur le monde : de cette manière, cet hôte perfide devient le maître dans l’âme de l’homme et exerce par lui son action funeste. – Celui dont la vocation est d’appeler à la liberté et de la défendre doit d’abord devenir libre lui-même : et en homme libre, élever dans chaque circonstance de sa vie l’étendard de Jésus-Christ qui, le premier sur la terre, a été libre, a montré au monde le modèle de la liberté, et a appelé le monde à la liberté. Jadis les esclaves étaient exclus de l’honneur de défendre la liberté terrestre ; comment donc aujourd’hui pourraient être admis à l’honneur bien plus grand de défendre la liberté d’esprit, la liberté chrétienne, céleste, ceux qui, après avoir connu quel grand bien est cette liberté, seraient devenus des esclaves volontaires du mal, ayant l’amour de leurs chaînes ?.....
Lorsque, par la force chrétienne de l’amour et du sacrifice, de la croix de Jésus-Christ, nous remplirons les devoirs dont nous avons parlé, nous vivrons dans l’Ordre de Jésus-Christ et nous accomplirons la règle de cet Ordre ; car ces devoirs constituent l’essence de la loi de Jésus-Christ, qui, dans cette époque, est éclaircie plus à fond et est appliquée à la pratique, afin que l’homme, en accomplissant cette loi dans toutes les voies de sa vie, vive au milieu du monde en religieux de l’Ordre de Jésus-Christ et par conséquent en vrai chrétien, en fils fidèle de l’Église vivante. – Cet Ordre est le plus élevé, le plus vrai, et il est immuable ; Jésus-Christ en est le fondateur, et aucune force de la terre ni de l’enfer ne peut le renverser. Tous les ordres qui ont existé jusqu’à présent préparaient l’homme à cet Ordre ; – dans l’époque passée, l’homme faisait le progrès, l’opération chrétienne, plutôt dans son corps que dans son esprit ; il le faisait par de grandes et nombreuses croix du corps, avec une croix d’esprit faible et souvent nulle ; mais dans l’époque actuelle il est appelé à faire ce progrès, cette opération, dans son esprit, et seulement par l’esprit dans le corps ; par conséquent il est appelé à se sacrifier plus complètement dans son esprit et dans son corps, à porter plus pleinement la croix de Jésus-Christ et à entrer plus pleinement dans son Ordre. – L’homme ne pourra nullement se soustraire à cette croix ni à cet Ordre ; s’il n’est pas porté par son amour à y recourir, il y sera stimulé par la force de Dieu ; après des souffrances, des pressions qui, hors de cet Ordre, tomberont sur lui comme punition de Dieu pour le rejet de la croix, il devra nécessairement chercher son salut dans cette croix et dans cet Ordre, accepter l’essence chrétienne, accomplir la loi immuable de Notre Seigneur Jésus-Christ : – et les ministres de l’Église, destinés à guider l’homme dans son progrès chrétien, sont appelés à entrer les premiers dans cet Ordre, et, en en accomplissant la règle, à y introduire et à y maintenir ceux qui sont confiés à leur conduite spirituelle.
Cet Ordre est plus rigide que tous ceux qui ont existé sur la terre : car les pensées, les paroles et les actions, tous les mouvements de l’esprit et de l’homme doivent y être conformes à la vérité et à la loi de Jésus-Christ ; par conséquent ils doivent venir, non des rayons dispersés de l’esprit, non des vols d’esprit, de l’exaltation seule, mais du foyer chrétien, que les religieux de cet Ordre doivent entretenir dans leur esprit par la force du sacrifice. Et c’est un grand sacrifice que de concentrer les rayons d’esprit qui se dispersent si facilement au milieu des obstacles qui entourent l’homme, – avec ces rayons de créer et d’entretenir le foyer chrétien, et de tirer de ce foyer toutes les pensées, les paroles et les actions ; c’est un grand sacrifice que de veiller sur la pensée, cette action de l’esprit, qui est la source des actions de l’homme, la source de ses mérites et de ses fautes : par conséquent de ne penser qu’à ce à quoi l’on doit penser, et ensuite, d’accomplir ce que l’esprit a vu dans cette action, ce qu’il a reçu d’en haut. C’est pourquoi vivre dans cet Ordre au milieu des obstacles venant du corps, du monde et de Satan, c’est le labeur des labeurs, l’action des actions, c’est le martyre d’esprit propre à cette époque chrétienne supérieure : et par cela même, propre à notre vocation et indispensable pour que cette vocation puisse être accomplie. C’est pourquoi la croix et l’Ordre dans lequel la croix introduit et maintient, c’est tout pour nous : et l’on peut dire que, depuis Jésus-Christ, pour personne encore cette croix et cet Ordre n’ont été aussi nécessaires qu’ils le sont aujourd’hui pour nous, qui sommes appelés à être serviteurs de Jésus-Christ dans l’Œuvre du salut du monde 177.
Mais ce n’est pas une chose aussi difficile qu’elle le paraît, car cette croix et cet Ordre ne pèsent à l’homme que tant qu’il n’a pas brisé les chaînes auxquelles il a été assujetti en venant en ce monde ; dès qu’il les a brisées, cette croix et cet Ordre lui donnent une vie libre et heureuse qui est en partie celle dont vit le royaume des cieux et qui se rapproche de la plénitude de celle dont l’esprit de l’homme a vécu dans l’autre monde, conformément à son germe, quand il était libre des chaînes de la terre. C’est pourquoi cet Ordre est l’unique port assuré où l’homme, après les orages d’une vie sans croix, sans communion avec le ciel, peut trouver, non seulement la paix de Jésus-Christ et le salut éternel, mais aussi le vrai bonheur temporel ; car la croix céleste de Jésus-Christ, cet amour et ce sacrifice volontaire venant de l’amour, délivrent l’homme des croix terrestres, des sacrifices forcés, des souffrances, des pressions. C’est pourquoi aussi, tant que notre esprit se tiendra strictement dans cet Ordre, comme dans l’enceinte d’un cloître, nous serons libres, heureux et joyeux ; mais dès qu’il franchira cette enceinte, ne fût-ce que d’un pas, nous serons assaillis par le mal. Efforçons-nous donc de vivre sans cesse dans cet Ordre et si quelqu’un de nous sent qu’il en est sorti, qu’il y revienne aussitôt par une force plus grande d’amour et de sacrifice ; que de l’océan agité par les orages de ce monde et de l’autre monde, il rentre au port ; et que celui qui ne peut éveiller en lui l’amour et le sacrifice pour devenir un tel religieux en ait le désir, fasse tout son possible pour atteindre ce but si élevé, et espère qu’aidé par la grâce de Dieu, il obtiendra ce bien véritable, supérieur à tous ceux que l’homme peut obtenir dans le monde.
Dans ces jours où règnent à la fois une si grande lumière et de si grandes ténèbres, plus que jamais nous devons observer cette loi si importante de notre Ordre, de vaincre la propension à acquérir la lumière sans s’inquiéter de la réaliser, à l’acquérir dans le but de vivifier et de calmer par la lumière l’esprit inquiet de ce qu’il n’a pas de mouvement et de vie, de foyer et de repos en Dieu. À quoi sert d’avoir une grande lumière que l’on ne réalise pas, puisque, après la mort, l’homme verra dans la clarté et la plénitude tout ce qui était voilé pour lui, et qu’il ne parvenait à entrevoir que d’une manière partielle et confuse ? Et puisqu’il sera jugé uniquement selon qu’il aura réalisé la lumière qu’il lui était destiné de réaliser, selon qu’il aura parcouru la voie qui lui était éclaircie, selon qu’il aura fait ce qu’il savait devoir faire ? À quoi sert d’avoir une grande lumière, puisque ce n’est que le mouvement d’amour et de sacrifice, cette vie intérieure, cette étincelle brûlante du feu céleste, qui est la force par laquelle l’homme peut, avec l’aide de la grâce, penser, parler et agir selon la loi de Jésus-Christ, accomplir ainsi le Verbe de Dieu, faire ainsi son progrès, son salut ? Toute lumière qui n’éveille pas et n’alimente pas un tel mouvement et une telle vie, qui n’attise pas cette étincelle du feu céleste, est donc superflue et occupe infructueusement le temps précieux de la vie de l’homme. Sans ce mouvement et sans cette vie, l’homme se débat au milieu d’une grande lumière et ne sait ce qu’il doit faire dans ce qui importe le plus à son salut, et ce qu’il fait, il le fait mal, car la grâce n’appuie pas celui qui s’absorbe dans la lumière, sans amour, sans sacrifice, sans sentiment ; tandis qu’une simple et pieuse paysanne, dès qu’elle se trouve dans la peine et le besoin, court à l’église ou sous la croix voisine du village, là elle dépose ses plaintes, pleure devant Dieu, émeut et vivifie son âme et elle sait ce qu’elle doit faire ; et elle le fait bien, car elle est appuyée par la grâce qu’attirent ce mouvement et cette vie pure de son âme. Le tressaillement pour Dieu, pur, venant du fond de l’âme, ce sommet du sacrifice d’esprit où la créature entre en communion avec le Créateur, est facile à l’homme simple, sot pour Jésus-Christ : mais il est difficile, souvent même impossible au sage, riche de la lumière et de la connaissance des choses célestes, enchaîné en esprit par cette richesse, et, par suite de cet esclavage, incapable de se présenter devant Dieu dans la pauvreté intérieure, dans le dénuement, dans la nullité, et par conséquent dans la vraie pureté et la vraie liberté. Sans ce mouvement et cette vie, sans la piété vraie qui éveille et maintient ce mouvement et cette vie, la lumière la plus abondante, et même la plus élevée, ne sert à rien ; au contraire, elle augmente encore plus les difficultés et la responsabilité de l’homme. Lorsque l’homme qui a une grande lumière ne la digère pas par le sacrifice et ne la réalise pas, il n’y a que l’intelligence, cet organe terrestre, qui vive en lui : tandis que l’organe chrétien, l’âme, le cœur, meurent ; l’étincelle du feu de Jésus-Christ s’éteint, la source de l’amour, du sentiment, de la vie intérieure tarit. Aussi celui qui, accumulant la lumière, travaille avec l’organe terrestre seul et néglige le travail chrétien dans son âme, dans son cœur, meurt en esprit : dans cette mort, il ne vivifie pas son corps, et ne l’unit pas à l’esprit, par là il hâte sa mort, cette séparation complète de l’esprit d’avec le corps, et il comparaît devant le tribunal de Dieu comme coupable de suicide. La lumière ne sauve l’homme qu’autant qu’elle est acceptée avec sacrifice, digérée dans l’esprit et réalisée. Lucifer a tant de lumière qu’il tire son nom de la lumière, et néanmoins, comme il est l’ennemi le plus acharné de toute vérité et de tout sacrifice, de tout mouvement et de toute vie chrétienne, il ne cesse d’être prince des ténèbres !
Dans ces jours du commencement de l’époque chrétienne supérieure, Dieu a permis à l’homme d’explorer la lumière supérieure ; les barrières qui séparent ce monde de l’autre monde ont été, en grande partie et par des moyens inconnus jusqu’alors, ouvertes pour l’homme, afin que, frappé par cette lumière nouvelle, l’homme s’élève au-dessus des bas-fonds terrestres, sorte de l’esclavage et de la mort où le matérialisme l’a plongé, et se prépare ainsi à accepter l’époque supérieure. Mais l’homme a abusé de cette miséricorde de Dieu : la lumière nouvelle, non seulement ne l’a pas élevé et ne l’a pas délivré des chaînes du matérialisme, mais lui a ouvert de nouveaux détours inconnus jusqu’alors ; et aujourd’hui l’homme est appelé à limiter et à resserrer l’étendue de sa lumière, à arriver d’une vaste circonférence au centre du cercle, au résumé, à l’essence, à l’unité chrétienne, et à s’y attacher comme à son étoile. Le royaume terrestre gagne beaucoup à concentrer ainsi sa lumière, ses connaissances ; le royaume de Jésus-Christ sur la terre gagnera aussi beaucoup lorsque le chrétien, par son sacrifice, arrivera à l’unité qui donne la force pour les actions, pour la vie chrétienne. Le Verbe de Dieu, la hauteur que Dieu par son Verbe a destinée à l’homme d’atteindre dans son progrès chrétien, est le centre de plusieurs cercles que l’homme a parcourus et qu’il lui reste à parcourir jusqu’à ce qu’il ait atteint cette hauteur, ce sommet. Le Verbe de Dieu est donc le tout de plusieurs parties, le résumé de plusieurs résumés, et l’homme appelé à accomplir le Verbe de Dieu doit accomplir ce devoir de limiter, de concentrer. – De là nous pouvons sentir ce qu’est la répugnance de l’homme à se limiter, à se concentrer, à créer en lui le foyer chrétien, et sa propension à s’étendre, à disperser les rayons de son esprit, à se livrer aux vols d’esprit, à l’exaltation, aux rêveries, etc. ; et comment il faudra que dans l’avenir il expie ce péché par un sacrifice de pénitent, en se limitant, en se concentrant au milieu de contrariétés plus grandes sans la grâce, sous la force de Dieu. – Non moins funeste est la propension de l’homme à faire reposer, à enfouir et à concentrer son esprit dans la terre et plus bas que la terre, à créer en soi le foyer terrestre et le foyer infernal, qui produit l’endurcissement et l’assurance maintenue pendant des siècles par le mal portant le nom de la Bête. La fausse concentration et la dispersion de l’esprit sont les deux extrêmes les plus contraires à la concentration véritable, au foyer chrétien, qui est le caractère essentiel des religieux de l’Ordre de Jésus-Christ.
Ainsi donc, mes frères, que notre but soit, non d’augmenter nos lumières, mais d’employer conformément à la volonté de Dieu la lumière chrétienne que nous avons reçue de la miséricorde de Dieu pour nous aider dans l’accomplissement de notre vocation. Dans ce but, en conservant l’esprit de la prière que Jésus-Christ nous a enseignée : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien 178 », demandons la lumière et la force nécessaires pour accomplir chacune de nos actions, et si, ne fût-ce qu’un moment avant l’action, nous savons ce que nous avons à faire, si nous voyons notre route ne fût-ce que pour un pas, rendons-en à Dieu d’humbles actions de grâce, puis agissons et marchons dans notre voie. Dieu n’éclaire pas toujours jusqu’au bout chaque action de l’homme, chacun des points de la voie qu’Il lui a destiné de parcourir : et l’homme, en ne voyant sa voie que pas à pas, peut, avec ce peu de lumière, en se soumettant à la volonté de Dieu et en se confiant en sa miséricorde, parcourir cette voie avec beaucoup plus de mérite que s’il la voyait tout entière. Jésus-Christ a dit à ses apôtres : « Ne vous mettez point en peine ni comment vous parlerez, ni de ce que vous direz, car ce que vous devez leur dire vous sera donné à l’heure même..... Car ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 179. »
C’est aussi pour nous une loi importante de l’Ordre de Jésus-Christ, d’éveiller dans notre âme l’intérêt et le souci vivant pour ce qui se fait dans l’Œuvre de Dieu : par conséquent, de tâcher de la connaître, d’y prendre part et de l’appuyer par notre union d’esprit. De là viendra le mérite qui attire la grâce sur quiconque aime et se sacrifie. Celui qui voudrait seulement puiser dans l’Œuvre de Dieu et ne lui rien offrir de lui-même, de son âme, celui-là n’atteindrait pas le but que, dans son égoïsme, il se serait proposé. Plusieurs exemples nous ont fait voir comment ont passé du chaos et des souffrances à la vie libre et heureuse ceux qui, sortis d’un cercle étroit, égoïste, où ils n’avaient de souci que pour eux-mêmes, ont commencé à s’intéresser à la prospérité de l’Œuvre de Dieu et à celle de leurs frères, serviteurs de cette Œuvre, puis à la prospérité à venir du prochain, des individus et des nations. – Nous unissant ainsi sur le champ de notre service, dans cet intérêt essentiel pour nous, maintenons en même temps la vie fraternelle, simple et naturelle. Que chacun s’occupe à appliquer et à réaliser sur le champ de ses devoirs la lumière qu’il a reçue : que ce soit l’objet de notre épanchement mutuel et de nos entretiens. Si nous avons fait nous-mêmes le sacrifice pour résoudre ce qui ne nous est pas clair, de tels entretiens seront pour nous une aide mutuelle pour arriver à la solution ; nous en avons, par la miséricorde de Dieu, de fréquents exemples. Ainsi se formera entre nous l’union, non plus seulement en esprit, en éther, dans la lumière, dans les idées seules, mais dans la vie, dans l’action : par conséquent, l’union réelle, vivante, de l’homme avec l’homme, union qui nous réjouira et nous fortifiera dans notre marche ultérieure. La vie simple, naturelle, maintenue entre nous, nous facilitera cette même vie avec le prochain ; – appelés à vivre sur la terre d’après la loi céleste de Jésus-Christ, nous devons forcément différer de ceux qui vivent d’après la loi terrestre seule : mais notre devoir est d’amoindrir cette différence autant que possible, en accomplissant dans notre vie les lois terrestres qui sont justes, en appréciant à sa juste valeur tout ce qui est terrestre, mais pur ; en conservant le naturel, la simplicité et d’autres qualités de la vie terrestre pure, en manifestant notre vie chrétienne dans des formes habituelles qui soient pures.......
Tous ces devoirs dont nous nous entretenons depuis le 23 janvier vous sont connus, mes frères, ils ont été l’objet des services que je vous ai rendus pendant des années ; – je vous ai exposé ces devoirs de vive voix et par écrit, à l’occasion des évènements publics par lesquels, depuis le commencement de cette époque, Dieu éveille l’homme à connaître et à accomplir sa volonté ; je vous les ai exposés surtout dans des circonstances qui vous étaient personnelles, entrant dans votre position, dans vos besoins et vos difficultés, en vous indiquant la voie que vous avez à suivre, et en vous montrant en pratique ce à quoi je vous appelais. – En accomplissant ces devoirs par un sacrifice plus grand, ayons la confiance qu’avec l’aide de la grâce de Dieu, nous donnerons l’exemple de la loi de Jésus-Christ pratiquée dans la vie de l’homme, et que, par les serviteurs de l’Œuvre, quoique peu nombreux, mais fidèles à leur vocation, sera fait ce qui est nécessaire pour le commencement de cette époque. Ayons la confiance qu’en servant ainsi l’Œuvre de Dieu, nous aurons servi Dieu et notre prochain de ce monde et de l’autre monde, nous aurons servi aussi la patrie, et qu’enfin, après avoir accompli notre devoir, nous obtiendrons le mérite destiné. Dieu récompense celui qui porte sa croix, qui cultive son cep dans la vigne de Jésus-Christ ; mais Il le récompense encore plus s’il porte sa croix et celle du prochain, s’il se dévoue dans la vigne du Seigneur pour cultiver son cep et tous les ceps, et le mérite que l’homme acquiert ainsi devant Dieu influe sur les directions qui se tracent pour lui dans cette vie et dans les siècles de son avenir.
Un tel amour de Dieu et de sa volonté, un tel amour pur, libre de tout égard personnel, cette entière soumission à la volonté de Dieu et ce complet sacrifice pour l’accomplir, le royaume de Dieu l’attend de nous, afin de nous appuyer par sa communion : l’autre monde aussi l’attend de nous, afin qu’en union avec nous, il accomplisse sa vocation et nous aide à accomplir la nôtre. – N’ayant pas à subir le martyre par lequel, dans les premiers siècles du christianisme, les serviteurs de l’Œuvre de Dieu rendaient témoignage à cette Œuvre, et n’étant pas chargés des nombreuses croix et pressions qu’impose à l’homme le faux introduit dans l’époque passée, comment témoignerons-nous de l’Œuvre de Dieu et qu’offrirons-nous à Dieu en sacrifice, si nous ne nous dévouons pas pleinement, afin de produire les fruits d’un tel amour, d’une telle soumission et d’un tel sacrifice ; afin d’accepter et de maintenir l’esprit de l’époque supérieure, de l’appliquer à toutes nos pensées, nos paroles et nos actions, et dans cet esprit, d’accomplir de plus en plus strictement les devoirs de notre vocation ?..... – Que la gravité des temps actuels soit présente à notre esprit, mes frères : ce sont les jours du jugement de Dieu ; le courant de Dieu, le courant de la grâce et du châtiment de Dieu parcourt le monde ; le ciel, la terre et l’enfer, agissant sur l’homme plus fortement que jamais, font surgir les évènements actuels dans lesquels, le plus souvent, se fait l’opération par la permission de Dieu, sous la loi de la force et de la punition ; et tout cela prépare le sol endurci de l’intérieur de l’homme à accepter le grain du Verbe de Dieu qui a été rejeté, à accepter la réclamation et l’appel que Dieu fait dans ces temps, afin que l’Œuvre du salut du monde produise ses fruits salutaires pour le monde. Et de la manière dont nous aurons accompli notre devoir, du compte qui en résultera pour nous devant Dieu, dépend laquelle des forces, du ciel, de la terre ou de l’enfer, nous touchera et jusqu’où cette force nous emportera dans cette vie et dans l’éternité. Dieu regarde si, en ces temps de direction, les serviteurs de son Œuvre font vivre en eux le souci et le sacrifice ; si ces serviteurs s’élèvent au poste de leur vocation, et vivent dans le royaume de Jésus-Christ, non plus comme des hôtes passagers, mais en citoyens et serviteurs fidèles de cette patrie céleste. Dieu regarde si ceux qui sont appelés à contribuer à vaincre le mal qui règne dans le monde suivent l’exemple de Jésus-Christ qui a dit : « Le prince de ce monde vient, mais il n’a rien en moi 180. » Dieu regarde tout cela, et d’après cela Il compte avec ses serviteurs et agira à leur égard dans cette vie et dans leur avenir !.....
L’Œuvre de Dieu est déjà entrée dans une période supérieure : et pour vous, mes frères, c’est une nécessité et un devoir urgent de compter de moins en moins sur votre serviteur ; de vous appuyer entièrement sur Dieu seul, et de produire par votre propre sacrifice les fruits de ce que vous avez reçu pendant des années. – Dans l’Œuvre de Dieu, on ne s’appuie point sur l’homme, autrement elle cesserait d’être l’Œuvre de Dieu : de même que l’Église actuelle, où l’on s’appuie sur les hommes et où on leur rend ce qui n’est dû qu’à Dieu, a cessé d’être l’Église de Jésus-Christ. Le serviteur de Dieu n’est point pour le prochain le dispensateur de la grâce de Dieu et du salut ; il ne fait qu’aider le prochain à s’appuyer sur Dieu et à mériter devant Dieu la grâce qui, en s’unissant au sacrifice de l’homme, lui donne le salut ; et pour lui-même, il ne désire de la part du prochain que l’union en Jésus-Christ, union venant de l’acceptation et de l’accomplissement de la volonté de Dieu qu’il a transmise. Dans l’Œuvre de Dieu, l’homme reçoit seulement l’aide pour voir sa voie et pour y marcher ; mais personne ne le conduit comme par la main, ne fait pour lui le sacrifice qu’il doit faire lui-même, et ne lui ôte le mérite qui lui est destiné. Dans l’Œuvre de Dieu, chacun est libre, marche par lui-même, vit de sa propre vie, et s’occupe, non de ce qu’il doit paraître devant les hommes, mais de ce qu’il doit être devant Dieu pour mériter sa miséricorde par l’accomplissement de ses devoirs de chrétien, de fils de l’Église et de serviteur de l’Œuvre de Dieu.
Le moment étant venu où, vous appuyant sur Dieu seul, vous devez par votre propre sacrifice produire les fruits des services que je vous ai rendus pendant des années comme votre serviteur en Jésus-Christ, ce n’est plus qu’en frère et en compagnon du saint service que je puis m’unir avec vous dans les fruits, dans les actions et la vie réalisant la lumière chrétienne qui vous a été présentée. Et il est destiné qu’entre nous existe une telle union dans l’esprit et dans l’homme, l’union en Jésus-Christ active, vivante, propre à cette époque chrétienne supérieure ; et cette union, qui ne peut exister qu’autant que nous aurons occupé notre poste, est pour nous, dans cette période de l’Œuvre de Dieu, un devoir important par rapport à nos comptes et à nos directions devant Dieu.
Puisez donc, mes frères, à la source qui vous est indiquée ; veillez sur vous-mêmes, et libres, avec la croix dans le cœur, marchez dans la voie indiquée ; vivez et croissez ; de rameaux devenez arbres, portez des fruits propres au germe de votre esprit, et par ces fruits, servant Dieu, le prochain et la patrie, accomplissez votre vocation ! – C’est dans cette tendance que nous nous unirons entre nous par l’esprit et par l’homme, tant que la volonté de Dieu me laissera parmi vous : puis, continuant notre union commencée, nous nous unirons par l’esprit seul, afin d’arriver, dans cette union, à l’entier accomplissement de notre vocation, de la pensée de Dieu qui repose sur nous.
Tandis que Towianski tâchait ainsi de conclure peu à peu ses rapports avec les vivants, il revoyait, corrigeait, coordonnait ce qui, de ses écrits, devait rester après sa mort. À l’exception de quelques actes plus importants, ce qu’il y avait d’écrits étaient pour la plupart des notes d’entretiens qu’avaient eus avec lui différentes personnes, et que chacune avait eu soin de rédiger le plus exactement possible. Ce sont ces notes revues et signées par lui qui sont, avec ses propres écrits, les seules choses qu’on doive considérer comme authentiques, et qui forment, ainsi qu’il est dit dans la préface de ce livre, la matière des trois volumes imprimés sous le titre : Écrits d’André Towianski ; auxquels on a joint, comme appendice et complément, quelques-unes de ses lettres et quelques petites notes sur des matières diverses.
Comme chacun peut le voir, ces écrits représentent autant d’actions, sont sa vie. Ceux-là seuls pourront en sentir l’esprit et en éprouver l’efficacité, qui, exempts de toute préoccupation, de tout jugement préconçu, les liront devant Dieu dans le silence de leur âme, avec le seul désir d’en recevoir la lumière et la force pour leur vie et pour leurs actions. C’est la pratique de l’Évangile qui en fait sentir l’esprit, qui maintient vivante la tradition de cet esprit, qui conserve sur la terre l’Église vivante de Jésus-Christ.
Dans les sept dernières années de sa vie, aux douleurs de l’esprit dont il a été parlé plus haut et aux souffrances physiques, vinrent s’ajouter les douleurs du cœur. Il vit tomber l’un après l’autre autour de lui ses proches avec qui il vivait.
Dès le 26 décembre 1871, son beau-frère et plus vieil ami, Ferdinand Gutt, le quitta pour un monde meilleur. Peu de temps après (ainsi qu’il a déjà été mentionné), moururent successivement, à la fleur de l’âge, la fille de Gutt, son mari Joseph Jaworski, et la fille d’André Towianski, Anna Kulwiec : le 12 mars 1878 s’éteignit Anna Gutt, la sœur de sa femme et, comme elle, vrai soldat de Jésus-Christ.
Enfin le 28 avril de la même année, lorsqu’il était déjà lui-même condamné, il eut encore la grande douleur de voir mourir son incomparable compagne : héroïne chrétienne dans la mort, comme elle l’avait été dans la vie 181.
Sa chambre était contiguë à celle de Towianski, auprès duquel Baykowski se rendait chaque matin pour prendre de ses nouvelles et lui faire un peu de lecture. Or, le matin du 13 avril 1878, entendant que son mari, en parlant d’elle, lui avait dit : « Ah ! mon cher, il y a de mauvaises nouvelles, elle est très malade », elle appela Baykowski auprès d’elle et lui dit : « Oui, je suis très malade, et cette fois je ne m’en relèverai plus. De temps en temps, j’éprouve de terribles soubresauts au cœur. » Puis elle le pria d’écrire sans retard (ce qu’il fit immédiatement) à ses enfants Adam et Alexandrine de venir promptement, « parce que, ajouta-t-elle, mon heure ne tardera pas à sonner ; je le sais avec certitude ». Effectivement le médecin déclara bientôt qu’il n’y avait plus d’espoir.
Rentré dans la chambre de Towianski, Baykowski le trouva dans son fauteuil, accablé de douleur, pleurant et priant.
Chaque fois que je considérais cette plénitude d’union, cette merveilleuse conformité de sentiment et de vie qui faisaient de Towianski et de sa femme une seule âme, je me disais en moi-même : « Quel que soit celui des deux qui mourra le premier, l’autre ne tardera pas à le suivre ! » Et, en effet, cette sainte femme, pressentant tout ce qui devait arriver et parlant de son mari (auquel elle ne cessa de rendre les soins les plus affectueux tant qu’elle put se tenir debout), dit un de ces jours-là : « Depuis que je le vois s’approcher de sa fin, j’ai souvent prié Dieu qu’il m’accorde la grâce de ne pas lui survivre ; et Dieu m’a exaucée. Bientôt vous allez m’enterrer, mais je ne le laisserai pas pour longtemps : il me suivra de près. Donc quand vous irez au cimetière retenir une place pour moi, prenez-en deux ; parce que, ayant été unis dans la vie, il est juste que nous ne soyons pas séparés dans la tombe. » Et, avec une admirable sérénité, elle fit connaître ses dispositions sur ce qu’on devait faire avant et après sa mort.
Cette même matinée du 13, vers onze heures, le curé que la malade avait fait demander étant venu, elle reçut les derniers sacrements, humblement recueillie, mais en même temps avec une joie sereine. Towianski, interrogé par ses amis s’il ne voudrait pas en faire autant, répondit : « Oui, je le désire ; mais je ne le puis pas encore aujourd’hui. »
Gravement malade lui aussi, il veillait à ce que la porte de la chambre de sa femme fût toujours ouverte pour entendre tout ce qu’elle disait et tout ce qui se passait autour d’elle. Il demandait souvent de ses nouvelles et lui faisait donner des siennes, mais il n’allait pas la voir. On sentait et on voyait qu’il était en union continuelle d’esprit et de sentiment avec elle, mais qu’il ne se sentait pas la force de supporter la vue de ses souffrances. Effectivement, une fois qu’à grande peine il s’était rendu auprès de sa femme pour lui serrer la main, il fut pris d’un tel serrement de cœur qu’il tourna son regard ailleurs sans comprendre ce qu’elle lui disait ; et ses jambes se mirent à trembler si fortement qu’on ne put que difficilement le reconduire dans sa chambre et le faire asseoir. À partir de ce moment, sa voix subit une forte altération et ne recouvra plus son timbre naturel, jusqu’alors si clair et si sonore.
Pour soigner ces deux malades si gravement atteints et si chers, outre une bonne et vieille servante, il n’y avait que Falkowski et Baykowski ; le premier très faible et très souffrant lui aussi. Avec une vénération et une affection toute filiale, ils se remplaçaient alternativement auprès d’eux, de manière à ne jamais les laisser seuls ni le jour ni la nuit.
Le 25 ou le 26, arriva de Paris Jean, le fils aîné de Towianski ; et le 27 sa fille Alexandrine, de Cracovie. Les parents en furent si consolés, que même leur état en parut un instant amélioré. Cette excellente personne, ménagère et garde-malades experte, se chargea de la direction des affaires domestiques et des soins à donner aux malades ; tous se mirent à sa disposition, et le reste de la journée leur parut comme une fête après tant de jours de douleurs et d’angoisses.
Ce même jour, madame Towianska indiqua à sa fille divers objets à distribuer à plusieurs personnes, puis elle lui dit : « Grâces à Dieu, je me sens entièrement détachée de la terre, plus rien ne me retient ici-bas. Quant à lui (parlant de son mari), il me suivra bientôt. » Et sa fille n’ayant pu s’empêcher de s’écrier : « Oh ! maman, que Dieu daigne vous guérir encore ! » elle ajouta : « Demande seulement à Dieu que sa volonté s’accomplisse ! Je ne lutte pas contre la mort. » Malgré les plus vives instances de sa fille, elle ne permit pas qu’elle la veillât ; et elle lui persuada au contraire d’aller se remettre de la fatigue du voyage en dormant tranquillement dans une pièce voisine, l’assurant que cette nuit-là elle ne mourrait pas encore.
Le lendemain, 28, elle souffrait beaucoup et crachait le sang ; mais, sous l’action de quelques injections, la violence des douleurs se ralentit et vers le soir elle éprouva un peu de calme ; de sorte que Towianski se mit au lit et paraissait dormir tranquillement tandis que les autres personnes se tenaient recueillies auprès de la malade, dont l’aspect était serein et comme animé d’une joyeuse espérance.
À neuf heures et demie elle dit : « Eh ! bien, il est temps de nous séparer. Allez vous reposer et laissez-moi seule. Si j’ai besoin de quelque chose (ajouta-t-elle en se tournant vers Alexandrine), je sonnerai, et alors, mais alors seulement, ma chère fille viendra aider sa maman ! Hors ce cas, ne viens pas et reste tranquille. »
Tous se retirèrent. À dix heures cependant, avant de se mettre au lit, madame Alexandrine, entendant sa mère tousser, approcha tout doucement l’oreille de la porte, et n’entendant plus rien, elle l’entrouvrit légèrement. La malade la vit, et la menaçant doucement du doigt, lui dit avec un sourire : « Ah ! fille d’Ève, pourquoi viens-tu malgré ma défense ? » – Alors sa fille la pria instamment de lui permettre de la veiller cette nuit. La mère, émue, répondit : « Eh ! bien, soit ; donne-moi un baiser. » Et l’ayant embrassée tendrement, elle ajouta : « C’est parce que tu es venue de si loin pour nous consoler ! » Puis tout à coup elle demanda de l’eau chaude. Il y en avait là tout près sur une veilleuse ; mais quand madame Alexandrine s’avança pour lui en présenter, elle trouva sa mère immobile, la tête inclinée sur la poitrine et sans haleine. Au même moment elle entendit son père pousser un profond soupir et dire : « Mon Dieu, mon Dieu ! » Elle alla sur la pointe des pieds dans sa chambre, s’approcha de lui...., il dormait.
Les autres personnes, prévenues aussitôt, accoururent près de la défunte. Ils fermèrent sans bruit la porte de communication avec la chambre de Towianski, et ils cherchèrent le moyen de lui éviter une secousse trop violente le lendemain, quand il s’éveillerait.
Les précautions étaient superflues. Il se leva le matin, selon son habitude, mais il ne demanda plus de nouvelles de sa femme. Il vit la porte fermée ; et ne dit pas un mot. Concentré, profondément recueilli en lui-même, mais tout à fait calme, il paraissait ne pas faire attention à ce qui se passait autour de lui, il laissait chacun aller et venir sans rien demander ; satisfait cependant de la sollicitude que tous avaient de ne jamais le laisser entièrement seul.
Ainsi se passèrent les choses jusqu’à l’enterrement de la défunte. Ce jour-là seulement on lui parla pour la première fois du récent malheur ; et bien qu’on comprît qu’il le connaissait déjà par son pressentiment, il n’en fut pas moins indiciblement affligé. La vie n’était plus pour lui qu’un martyre toujours plus terrible ; et si, malgré son extrême faiblesse, il put encore en supporter le poids (ainsi qu’il s’efforça de le faire jusqu’à son dernier soupir), ce ne fut que par la miséricorde de Dieu, à laquelle il ne cessait de recourir avec une incomparable persévérance dans ses soupirs et ses gémissements toujours humbles et fervents. En effet il disait souvent aux amis qui l’entouraient : « Ô mes frères, implorons la miséricorde de Dieu ! » donnant chaque fois à ces simples paroles une intonation qui les faisait pénétrer jusqu’au fond le plus intime de l’âme.
En attendant, ce petit groupe s’était un peu augmenté par l’arrivée de Casimir (un autre fils de Towianski) et de Joseph Kossowicz, venu pour l’enterrement de madame Towianska. Ces nouveaux venus lui apportèrent, eux aussi, leur part d’affectueuse sollicitude.
Peu à peu Towianski reprit ses lectures favorites ; mais elles ne l’intéressaient plus comme auparavant. Il n’écoutait plus ce qu’on lui lisait ; il était comme absorbé dans un autre monde. Ces lectures n’étaient plus pour lui qu’un moyen de se trouver dans la compagnie de personnes chères, sans que pour cela il sortit de son recueillement intérieur.
Sa santé s’altérait de plus en plus. Il se levait encore tous les jours, mais c’est à grande peine qu’il pouvait gagner son fauteuil. La respiration devenait chaque jour plus gênée, la voix toujours plus rauque, le regard moins vif. Presque chaque jour on remarquait quelque nouveau changement dans l’expression de son visage : cette vie si active et si vigoureuse s’en allait s’éteignant peu à peu.
Mais tandis que la maladie lui enlevait chaque jour davantage la force physique, elle ne faisait que rendre plus sensibles les qualités chrétiennes de son esprit : sa foi inaltérable en Dieu, sa confiance sans bornes en Lui seul, son ardent amour pour sa volonté. Et c’est pourquoi, jusqu’à son dernier jour, il émouvait, édifiait et rattachait à Dieu tous ceux qui l’approchaient.
Le médecin ne comptait plus sa vie que par jours, et tous pressentaient la catastrophe imminente : mais lui, résigné à souffrir tant qu’il plairait à Dieu, paraissait ne pas s’apercevoir de la rapidité avec laquelle il approchait de sa fin, et souvent il répétait encore avec une touchante émotion ces paroles, tant de fois prononcées par lui pendant sa maladie : « Ah ! si je pouvais travailler ! »
Telle était la situation, quand un nouveau coup, aussi terrible qu’inattendu, vint tomber sur ce petit groupe d’affligés. Kossowicz, venu de Paris (ainsi qu’on l’a vu) pour les funérailles de madame Towianska, mourut subitement dans la nuit du 8 au 9 mai. Il fallait remplir toutes les formalités de la loi requises en pareil cas : consignation à la police des objets ayant appartenu au défunt, autopsie, etc. ; il fallait agir vite, et de manière que Towianski ne s’aperçût de rien. Le 10 au soir tout était fini ; le corps mutilé de ce pauvre ami reposait déjà dans le cimetière de Wiedikon, à quelques pas de la tombe d’Anne Gutt.
Au milieu de tout ce deuil, arriva aussi à Zurich une autre fille de Towianski, Valérie. Tombée malade en recevant le télégramme qui annonçait la mort de sa mère, elle n’avait pu accourir plus tôt auprès de son pauvre père. Celui-ci, en la voyant très émue de le trouver si changé, lui dit en l’embrassant : « En partant d’ici l’année dernière, tu ne pensais certainement pas qu’au bout de huit mois tu me reverrais dans un tel accablement !..... C’est la mort de ta mère qui m’a mis dans cet état », ajouta-t-il avec un soupir. Un moment après il lui demanda si elle avait amené avec elle son petit neveu Édouard 182. Ayant dit qu’elle était venue seule et lui ayant demandé s’il eût préféré qu’elle eût amené le petit : « Oh ! non, répondit-il, pour un enfant si jeune, ce sont des émotions trop fortes ! »
Le matin du 10, après qu’elle lui eut lu quelques passages des visions de la sœur Emmerich, il demeura quelques instants silencieux et recueilli, puis il dit : « Prie Dieu, ma chère Valérie, qu’il m’accorde la grâce de pouvoir travailler. » Ce soupir ardent qui ne cessait de sortir de son âme affligée tandis qu’il déclinait déjà à vue d’œil perçait le cœur de tous ; mais en même temps leur faisait sentir plus vivement leur devoir de l’avertir du danger imminent qui menaçait sa vie.
Baykowski, d’accord avec les amis, se décida à lui en parler ; et lorsque Towianski le pria de lui lire quelque chose, il lui proposa, au lieu de cela, de converser un peu ensemble. Alors il jeta sur Baykowski un regard pénétrant ; et sans savoir encore ce qu’il voulait lui dire, mais s’étant aperçu de son émotion, il lui dit comme pour le consoler et soulager son esprit : « Espérons, mon cher Charles, espérons toujours ! Les choses iront mieux. » Baykowski, croyant qu’il voulait faire allusion à sa maladie, chercha d’autant plus à lui faire comprendre qu’à cet égard, malheureusement, il n’y avait plus rien à espérer. Mais Towianski lui ayant répondu avec un reproche : « Vous ne m’avez pas compris ; ce n’est pas à moi ni à ma maladie que je pensais en ce moment », Baykowski s’aperçut de son erreur, et saisissant aussitôt le sens véritable de ces paroles, il s’empressa de l’assurer que relativement à l’amélioration que l’Œuvre de Dieu doit produire dans le monde, il y croit fermement, lui aussi, et ne cessera jamais d’y croire et de l’espérer. – « Ah ! merci ! maintenant vous m’avez vraiment compris », reprit Towianski avec une douce émotion et tout rasséréné. Après cela, Baykowski, ne pouvant reprendre le sujet dont il s’était chargé, pria Falkowski de le remplacer.
Le lendemain, le malade sembla un peu moins oppressé ; il parla tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, se fit lire quelques passages de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, et à midi se fit conduire dans la salle à manger : non pour manger (car il ne prenait qu’à contre-cœur le peu de nourriture préparée spécialement pour lui par sa fille Alexandrine), mais, comme il le disait lui-même, parce qu’il désirait être toujours avec ses amis unis à lui en Jésus-Christ.
Dans l’après-midi, entre quatre et six heures, tandis qu’il était très fatigué, le curé vint : et, après l’avoir salué et s’être informé comment il se sentait, lui demanda s’il ne voudrait pas profiter de sa visite pour recevoir le saint Viatique : « Oh ! oui, répondit-il avec un vif élan, je le désire de toute mon âme. » Puis il eut un moment d’hésitation (un des symptômes caractéristiques de sa maladie) et il demanda au curé s’il ne pourrait pas revenir le lendemain matin, pour avoir le temps de reprendre un peu de forces et de se mieux préparer à recevoir cette grâce, dont il se sentait si indigne. Alors le curé lui expliqua que, à cause de ses fonctions à l’occasion de la fête du lendemain, il lui serait impossible de revenir, et qu’il serait peut-être préférable de ne pas différer plus longtemps. « D’ailleurs (ajouta-t-il avec gravité) je vous connais assez pour souhaiter à tout chrétien, et à moi-même, d’être préparé comme vous à recevoir cette grâce, dont aucun homme ne pourrait jamais se rendre assez digne. »
Voyant que, à ces paroles vraies et persuasives, Towianski se rassurait complètement, les assistants se retirèrent et ne retournèrent plus auprès de lui que quand ils virent le prêtre lui donner l’absolution. Lui, pendant ce temps, dans la plus grande humilité et la plus grande componction, se frappait la poitrine comme s’il eût été le plus misérable des pécheurs. Soutenu sous les bras pendant qu’il se levait et se laissait glisser du fauteuil pour s’agenouiller, ce fut dans cette attitude qu’il reçut le très-saint sacrement. Après cela, ému et recueilli, mais tout à fait à bout de forces, il se remit sur son fauteuil.
Ayant rempli son ministère sacré, le curé se retira : et Towianski qui, ce jour-là, ne proféra plus une parole, se leva de lui-même comme s’il eût été fortifié aussi dans son corps par la nourriture céleste qu’il avait prise, put s’approcher du lit sans être soutenu, et il se coucha plus tôt que de coutume.
Le 12 il se leva encore une fois ; mais on voyait que ses forces l’abandonnaient tout à fait. Il parlait peu ; son visage était pâle et défait ; les plus tristes pressentiments remplissaient l’âme et le cœur de ses amis. À midi, tandis qu’il assistait au dîner, il dit à Baykowski d’une voix éteinte : « Après le dîner, vous resterez avec moi et puis vous me remettrez au lit ; n’est-ce pas ? » – « Bien volontiers, mon père », répondit celui-ci.
Vers les cinq heures de l’après-midi, arriva un autre fils de Towianski, Adam, qu’un concours de circonstances insurmontables avait jusque-là retenu en Pologne. Tandis qu’il embrassait les genoux de son père, celui-ci, qui le reconnut encore, porta sur lui un regard plein d’amour, mais déjà éteint, et il dit : « Ah, Adam !..... » Il lui serra la main et soudain il inclina la tête, qu’il n’eut plus la force de relever. Puis il appela encore par leurs noms tous ceux qui étaient présents, et qui l’un après l’autre s’approchaient de lui et l’embrassaient, tandis qu’il leur serrait la main en disant : « Accomplissons notre devoir ! » La dernière qui vint fut la vieille servante, frau Illy. – Alors il dit à Baykowski : « Et maintenant, au lit. »
Il se coucha vers les six heures. Alexandrine, qui se tint à son chevet jusque vers onze heures, l’entendit plusieurs fois prononcer en gémissant ces paroles : « Ô mère de miséricorde, ayez pitié de moi ! » Et tandis qu’elle humectait avec quelques gouttes de vin ses lèvres desséchées par une respiration toujours plus courte et plus pénible, il ouvrit les yeux, la reconnut et dit : « C’est ma chère Alexandrine ! » Lorsque les autres amis vinrent pour le veiller à leur tour, il tint toujours les yeux fermés ; et, au milieu des faibles gémissements de sa longue et pénible agonie, on l’entendit encore prononcer de temps en temps les noms de ses amis les plus intimes, vivants et morts. Les derniers noms qu’on put entendre furent ceux d’Adam Mickiewicz et de Ferdinand Gutt.
Cette vie sainte, si riche en travaux et en souffrances supportées pour Dieu, allait s’éteignant rapidement ; et bientôt fut terminée. C’était le 13 mai 1878 à onze heures du matin.
On peut bien dire de lui que sa mort a été l’écho de sa vie. Pendant tout le cours de sa longue existence il avait fait toutes ses actions dans la sérénité de l’âme, dans la plénitude de l’amour et du sacrifice : c’est dans ces mêmes conditions qu’il accomplit cette dernière action de quitter la terre pour retourner à Celui qui l’y avait envoyé. Ceux qui le virent après sa mort attestèrent que son visage non seulement a conservé l’expression de celui d’un homme vivant, mais respirait un air ineffable de sainteté, qui, en provoquant des larmes d’émotion, remplissait l’âme d’une consolation céleste.
Outre la famille et les amis les plus intimes, dont plusieurs vinrent de Pologne, de France et d’Italie, beaucoup de Suisses qui le connaissaient et l’estimaient grandement accompagnèrent sa dépouille mortelle jusqu’à sa dernière demeure 183. Avant qu’on la déposât dans le tombeau, le curé prononça quelques paroles émouvantes, par lesquelles il rendait témoignage à la vie sans tache du défunt et à son zèle pour relever le sentiment religieux dans le monde.
Jérôme Bonkowski, vieux patriote polonais et un des premiers qui s’unirent à Towianski, venu lui aussi près du bien-aimé maître dans ces jours de douleur, voulut faire construire dans le cimetière catholique de Zurich un caveau pour lui et pour sa femme, afin que leurs dépouilles mortelles reposassent l’une près de l’autre. « J’ai foi, dit-il, que quand notre patrie sera devenue libre, mes compatriotes viendront prendre ces dépouilles sacrées pour leur donner une plus digne sépulture en Pologne. »
Toutes les fois que je me suis approché de cette tombe, je m’en suis retourné consolé et fortifié, sentant plus clairement ma voie ; comme lorsque, de son vivant, je m’en retournais de ces entretiens qui me dévoilaient le fond de mon âme et me faisaient entrevoir une partie du ciel.
Fidèle à la voix de Dieu jusqu’à son dernier soupir, il accomplit sa mission par la parole, par l’action, par l’exemple vivant de tous les instants, au milieu des difficultés de tous genres, portant une foi sûre que la volonté de Dieu, manifestée et accomplie dans toute sa plénitude par Jésus-Christ, sera tôt ou tard, et par degrés, accomplie aussi par l’homme. Par sa vie, il commença ainsi sur la terre l’époque chrétienne supérieure qu’il avait annoncée. Ayant jeté la semence, il aide maintenant du haut des régions plus sereines à la faire germer.
Un souffle nouveau a pénétré par son intermédiaire dans le torrent de la vie spirituelle de l’humanité. Bien que jusqu’à présent peu visible, il élabore le fond de beaucoup d’âmes ; et, quand les temps seront arrivés à leur maturité, il ne manquera pas de produire ses fruits pour le salut de l’homme, pour la vraie liberté et le vrai progrès des peuples.
« À l’ombre de vos ailes (Seigneur) j’espérerai, jusqu’à ce que l’iniquité soit passée 184. »
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NOTE
À LAQUELLE ON SE RAPPORTE DANS LES CHAPITRES I, VIII, IX.
(PAGES 8, 251, 260.)
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SOUVENIR
offert par Towianski à ses paysans d’Antoszwincie avant de se séparer d’eux.
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En m’éloignant de vous, mes chers frères, je ne sais si la volonté suprême me ramènera au milieu de vous ; recevez donc, au moment de notre séparation, ce que, dans mon dévouement pour vous, j’ai pu faire, afin d’adoucir votre misère, de redresser vos écarts, et de vous faciliter votre bonheur futur. Que ce souvenir me remplace, puisque je ne pourrai plus à l’avenir veiller de près sur vous.
ORGANISATION DE L’OFFICE EN COMMUN.
Mon fils, donne-moi ton cœur 185 ! Telles sont les paroles par lesquelles l’Écriture Sainte nous appelle à donner notre cœur à notre Sauveur Jésus-Christ.
Pour donner son cœur, il faut, comme un bon enfant, épancher ce qu’il y a dans le cœur, épancher ses pensées, ses sentiments, ses joies et ses tristesses. Ce saint appel ne peut donc être accompli que par la prière qui épanche devant notre Seigneur et Sauveur ce qu’il y a dans notre cœur, et par conséquent, par une prière conforme à notre état, à notre position.
C’est une telle prière que je vous offre aujourd’hui, mes frères : car, quoique aux jours de fête vous ayez en cela l’aide qui vous est donnée dans la maison de Dieu par notre digne curé, aide sanctifiée par notre Seigneur Jésus-Christ, néanmoins, à cause de vos travaux et de vos occupations, vous ne pouvez vous rendre tous les jours auprès de votre pasteur, entendre tous les jours ses paroles ; et cependant notre Seigneur nous a recommandé la prière quotidienne par ces paroles du Pater : « Donnez-nous aujourd’hui...... » Il nous a enseigné que la prière quotidienne peut attirer la bénédiction de Dieu, car il a dit : « Demandez et on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira 186. » C’est pourquoi le souvenir que je vous offre pour vous aider dans les jours ordinaires peut vous apporter, mes frères, un profit salutaire, peut contribuer à votre bonheur temporel et éternel.
Ainsi, pénétré du désir de votre bien véritable, frères que Dieu a confiés à ma tutelle, j’accomplis mon devoir envers vous, j’entre dans votre position, je vous conseille et vous prie, les jours de la semaine, avant de commencer vos travaux, de prier chez vous comme je vais vous l’expliquer ici ; je vous le conseille et vous en prie, car en présence du Seigneur des Seigneurs, je n’ai pas le droit de vous commander ; car c’est, non en vertu d’un ordre, mais seulement par suite de votre propre bonne volonté et de vos efforts que peut venir pour vous le salut. Et comme la prière en commun est plus facile et plus efficace, comme Jésus-Christ a dit : « En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles 187 », je vous conseille et vous prie de prier chaque jour en vous réunissant tous par village dans une même chaumière. Pour commencer, j’ai désigné, dans ce but, une chaumière dans chaque village ; mais afin qu’il n’y ait pas de désavantage pour nos autres frères, la chaumière désignée pour l’office sera changée tous les six mois. J’ai déjà placé, dans chacune des chaumières que j’ai choisies pour le commencement, l’image de notre Sauveur crucifié. La propreté et la décence, comme une preuve de la vénération pour cette très sainte image, seront un devoir essentiel pour les habitants de la chaumière choisie. Me confiant dans la piété de Casimir Butkiewicz, je me suis entendu avec lui, afin que, tant que Dieu lui permettra d’être au milieu de vous, il vous aide dans cette action si importante pour votre salut. Au commencement, vous accomplirez donc ce devoir chrétien sous sa direction, et plus tard vous choisirez vous-mêmes parmi vous des frères en qui vous aurez placé votre confiance, afin qu’ils vous dirigent dans l’accomplissement de ce même devoir. Que ces chefs annoncent le moment de la prière en sonnant auprès de la croix que, avec l’aide de Dieu, nous avons déjà élevée dans chaque village ; que chacun de vous, en entendant cet appel, accoure dans la chaumière choisie dans son village. Ne craignez pas, avec cela, mes frères, de perdre le temps si précieux pour vous ; cette perte vous sera compensée au centuple par la bénédiction de Dieu qui peut descendre sur vous.
Mais il se peut que, malgré la meilleure volonté, vous n’ayez pas, mes frères, le temps de faire chaque jour en entier l’office que j’ai arrangé pour vous ; je vous conseille donc de le faire au moins une fois par semaine, le vendredi, comme étant le jour de la passion du Seigneur ; et si, même le vendredi, le temps vous manquait, je vous conseille de vous réunir le dimanche après la sainte messe, et de dire tout l’office : et les autres jours, de faire l’office plus court, tel que vous le trouverez à la fin de cet écrit.
Il pourra aussi se présenter à l’avenir des circonstances telles qu’il vous soit impossible de vous réunir tous dans une même chaumière, même pour faire cet office plus court : en ce cas, que dans chaque chaumière les gospodarze et les gospodynie 188, avant de sortir pour leurs travaux, prient avec leur czeladka 189 et avec leurs enfants ; qu’ils disent avec piété les prières habituelles, qu’ils élèvent du fond de leurs âmes un soupir vers le Père très miséricordieux.
OFFICE.
Préparation.
Que d’abord votre chef, en vous attendant dans la chaumière destinée à l’office, implore à genoux l’aide de la grâce de Dieu, afin de devenir une aide pour vous. Qu’à votre arrivée même, il vous émeuve et vous édifie par son humilité et sa contrition ; espérons que Dieu, dans sa miséricorde, vous donnera de tels frères comme aides, et que vous saurez les respecter et leur obéir.
Dès que vous serez réunis, le chef vous annoncera le commencement de la prière par ces paroles :
– Rappelons-nous, mes frères, que c’est Notre Seigneur et Sauveur qui écoutera en ce moment les prières et les invocations que, de nos poitrines et de nos lèvres pécheresses, nous osons élever vers son Trône !..... Malheur, malheur à celui qui détourne son âme de ce Seigneur des Seigneurs et rejette sa miséricorde !.... –
Ici on tire le rideau derrière lequel est le crucifix ; les sons forts de trois sonnettes appellent les assistants à la concentration et à la contrition ; le chef, pénétré d’un esprit ardent de piété, se jette, ainsi que tous les assistants, la face contre terre, et, à haute voix, il prononce les paroles suivantes, pendant lesquelles les sonnettes se font entendre doucement et par intervalles :
Prosternons-nous, mes frères, la face contre terre devant notre Sauveur crucifié, qui sans cesse a les yeux sur nous et voit quel profit nous tirons de son amour pour nous, de son sacrifice sur la croix, et de son divin enseignement ; qui, par la volonté du Père Éternel, nous gouverne et nous jugera ; qui, dans ce moment, peut nous sauver ou nous perdre !..... Voyez comme ce Sauveur le plus saint étend vers nous ses bras, et ne demande de nous qu’un cœur contrit, afin de nous bénir et de nous perdre !..... Voyez comme ce Sauveur le plus saint étend vers nous ses bras, et ne demande de nous qu’un cœur contrit, afin de nous bénir et de nous assister de sa grâce !..... –
Après une courte pause, les sonnettes cessent, le chef, en relevant la tête, à genoux et les mains levées, avec toute la force d’une piété ardente, prie seul et à haute voix :
– Ô Seigneur Jésus-Christ ! recevez avec miséricorde cet hommage de notre amour et de notre adoration, ne rejetez pas le sacrifice des cœurs de vos enfants.
Ô frères ! commençons nos supplications par la prière que Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même nous a enseignée. –
PRIÈRES.
Le chef, avec tous, dit à haute voix les prières suivantes :
Notre Père.....
Je vous salue, Marie.....
Je crois en Dieu.....
Les commandements de Dieu et de l’Église.
Sub tuum praesidium (Nous recourons à votre protection).....
L’Angélus et le Requiem.....
Ensuite le chef appelle les assistants par ces paroles :
– Et maintenant que notre cœur s’épanche devant Notre Seigneur, de nos sentiments et de nos pensées, de nos joies et de nos tristesses ; unissons-nous tous, mes frères, par un même sentiment dans notre prière !.....
Après cela, le chef, dans une profonde humilité, à genoux, dit lentement, distinctement, la prière suivante que tous, agenouillés et les mains levées, répètent après lui :
– Notre Père et Seigneur ! nous, simples, qui ne connaissons rien, qui n’avons rien, nous nous approchons de vos pieds paternels, et nous Vous supplions de nous ouvrir, à nous pécheurs, les portes de votre miséricorde !..... C’est de Vous, ô notre Père ! que tout nous vient : la joie, le bonheur, la tristesse et la misère. Vous nous éprouvez par la pauvreté, Vous nous affligez souvent par la maladie, par le manque de pain et de sel, et tout cela Vous le faites pour effacer nos péchés et nos iniquités, et ainsi, dans votre amour pour nous, c’est pour notre bien que Vous le faites. En ne nous donnant pas ce qu’on appelle le bonheur dans le monde, et en nous éprouvant par des misères et des croix (oh ! nous Vous en remercions, Seigneur !), Vous nous appelez d’autant plus fortement à votre royaume céleste, et Vous nous consolez par votre Fils bien-aimé avec ces très saintes paroles : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux..... Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés..... Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu 190. » Dans votre amour infini, ô le meilleur Père et Seigneur le plus puissant, Vous regardez avec miséricorde la misère et les larmes de vos enfants, et Vous consolez votre amour paternel par cette pensée que sur ceux qui souffrent et font pénitence Vous répandrez plus tôt votre miséricorde. Les richesses et les jouissances passeront, les larmes, les souffrances et les misères passeront aussi, mais le mérite de nos souffrances et de nos misères supportées avec patience et offertes à Vous, Seigneur, ainsi que toutes nos bonnes actions, même les moindres, resteront pour les siècles dans votre amour, ô Père miséricordieux qui êtes dans les cieux !..... C’est pourquoi nous Vous rendons grâces, ô Seigneur, pour l’état auquel votre bonté nous a appelés ; nous Vous rendons grâce pour nos labeurs, nos souffrances et nos tristesses, et nous désirons les supporter avec patience, afin de mériter votre royaume éternel ; nous désirons Vous aimer, Vous obéir, et Vous servir, Vous seul, ô notre Dieu et notre Seigneur unique ! et ne pas nous incliner devant des dieux étrangers, et par conséquent ne pas pencher nos cœurs vers Mammon, vers les richesses et les jouissances terrestres, car votre saint Évangile nous enseigne qu’on ne peut servir Vous et Mammon. Aussi nous désirons par-dessus tout nous corriger de notre malice, afin que Vous, ô notre Seigneur, Vous nous consoliez, Vous essuyiez nos larmes, Vous nous accordiez le bonheur promis. C’est pourquoi nous Vous supplions, Seigneur, d’éloigner de nous la paresse, l’oisiveté, l’ivrognerie, le gaspillage de vos dons ; éloignez de nous l’hypocrisie, la colère, l’esprit de haine et de vengeance ; éloignez de nous la convoitise du bien d’autrui, et faites dans nos cœurs que nous travaillions avec patience, loyauté et sobriété ; que dans notre travail, nous Vous glorifions ; que dans notre travail, nous Vous servions, Seigneur, et vous offrions tout ce qui est à nous ; que nous respections vos dons ; que nous portions l’amour pour tous, que nous désirions du bien à tous ; que nous n’augmentions pas nos misères par nos vices, que nous sanctifiions notre infortune par nos vertus. Et ces champs nus, quoique arrosés par nos sueurs ; ce bétail chétif et sans force ; cette misère qui pèse sur nous, que tout cela nous rappelle sans cesse nos iniquités, notre malice, que vous guérissez et corrigez par nos infortunes, ô notre Père miséricordieux...... Ô Seigneur, Seigneur ! que la journée d’aujourd’hui ouvre les portes de votre miséricorde pour nous, pauvres paysans. Ainsi soit-il. –
CHANT PIEUX.
Après cela le chef appellera les assistants à continuer l’office en disant :
Et maintenant, ô frères, que nos chants, venant du fond de nos cœurs, rendent gloire au Seigneur, qui, comme un Père plein d’amour, ne ferme pas pour nous son oreille miséricordieuse.
Et ici le chef chante avec tous :
Devant vos yeux, Seigneur, nous déposons nos fautes ; et nous leur comparons la punition que nous en recevons.
Si nous regardons les iniquités que nous avons commises, nous souffrons bien moins que nous ne l’avons mérité.
Plus lourd est ce dont nous nous reconnaissons coupables, plus léger est ce que nous subissons.
Nous sentons vivement la punition de nos péchés ; et cependant nous ne voulons pas cesser de pécher.
Au milieu de vos punitions, faibles, nous sommes tout tremblants ; et cependant aucun changement ne se fait dans notre malice.
L’esprit est cruellement oppressé par la tribulation ; et l’opiniâtreté dans le mal reste inébranlable.
La vie s’éteint presque sous les oppressions ; et cependant les habitudes vicieuses ne cessent pas.
Si, dans votre miséricorde, Vous attendez notre conversion, nous ne nous corrigeons pas ; si, dans votre justice, Vous nous punissez, nous ne pouvons l’endurer.
Pendant la punition, nous confessons en pleurant les fautes que nous avons commises ; après l’épreuve, nous oublions pourquoi nous venons de pleurer.
Tant que Vous tenez votre glaive levé sur nos têtes, nous Vous promettons beaucoup ; dès que Vous le baissez, nous ne voulons plus remplir nos promesses.
Lorsque Vous nous châtiez, nous Vous prions d’avoir pitié de nous ; lorsque Vous cessez, nous Vous forçons de nouveau à ne pas nous ménager.
Nous voici prosternés devant Vous, Dieu Tout-Puissant ; nous savons que si votre miséricorde ne nous pardonne pas, votre justice peut légitimement nous perdre.
Daignez donc accorder ce que nous implorons de Vous, quoique nous ne l’ayons pas mérité ; Vous qui nous avez créé de rien, afin que nous Vous glorifiions. Ainsi soit-il 191.
SUPPLICATIONS.
Dieu saint, Dieu fort, Dieu éternel ! Ayez pitié de nous.
De la peste, de la famine, du feu et de la guerre, Sauvez-nous, Seigneur.
De la mort subite et inattendue, préservez-nous, Seigneur.
Nous, pécheurs, c’est Vous, Dieu, que nous implorons ! Exaucez-nous, Seigneur.
Daignez gouverner et administrer votre sainte Église ! Nous Vous en prions, Seigneur.
Daignez garder dans votre grâce et sous votre protection notre Empereur avec toute sa famille et avec tout le peuple qui lui est soumis ! Nous Vous en prions, Seigneur.
Daignez donner et conserver en bon état les fruits de la terre ! Nous Vous en prions, Seigneur.
Daignez nous amener à la pénitence véritable ! Nous Vous en prions, Seigneur.
Daignez éloigner de nous vos châtiments ! Nous Vous en prions, Seigneur.
Ô Jésus, Jésus, Jésus ! Ayez pitié de nous.
Ô Marie, Marie, Mère de Dieu ! Intercédez pour nous 192.
PSAUME XLV.
Dieu est notre refuge et notre force : Il a été notre secours dans les adversités qui sont venues fondre sur nous.
C’est pourquoi nous ne craignons rien, quand même la terre s’écroulerait sous nos pieds ; quand même les montagnes seraient transportées au milieu de la mer.
Les vagues de la mer se sont élevées avec un bruit horrible ; la violence de ses flots a ébranlé les montagnes.
Mais le fleuve qui coule dans la cité de Dieu l’a remplie de joie : le Très-Haut a sanctifié son tabernacle.
Dieu est au milieu de cette cité sainte ; elle ne sera point ébranlée : Dieu la secourra dès le point du jour.
Les nations ont été dans le trouble, et les royaumes ont été près de leur ruine : Dieu a fait entendre sa voix et la terre a été ébranlée.
Mais le Seigneur des armées est avec nous ; le Dieu de Jacob est notre protecteur.
Venez et considérez les ouvrages du Seigneur ; voyez les prodiges qu’il a opérés sur la terre : Il fait cesser la guerre dans tout l’univers.
Il brise les arcs ; Il rompt les lances ; Il réduit les boucliers en cendres.
Vivez en paix, et reconnaissez que je suis Dieu : je serai glorifié parmi les nations : je serai glorifié dans tout l’univers.
Le Seigneur des armées est avec nous : le Dieu de Jacob est notre protecteur.
V). Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit.
R). Maintenant et toujours, comme dans le commencement et dans les siècles des siècles. – Ainsi soit-il.
EXHORTATION.
Après avoir terminé l’office précédent, tous se lèvent, et le chef, d’une voix élevée, avec force et sentiment fait l’exhortation dans les termes suivants :
Et maintenant, ô frères, fortifiés par la bénédiction de Notre Seigneur et Père très miséricordieux, soyons-lui fidèles au milieu de nos travaux et de nos occupations ; souvenons-nous de ce que, dans notre prière, nous avons promis à Notre Seigneur et Père. Oh ! que notre infidélité, que notre fausseté envers ce Seigneur et Père n’attire pas sur nous le terrible châtiment qui menace ses enfants dénaturés ! Ce Père et Juge équitable, à son jugement terrible, auquel nul de nous n’échappera, réclamera pour l’outrage fait à son amour et à sa miséricorde !..... Tâchons, tâchons, ô frères ! de détourner de nous cet avenir si redoutable ; souvenons-nous que nous répondrons devant Dieu et pour nous-mêmes, et pour tout ce que Dieu nous a confié. Les gospodarze et les gospodynie rendront un compte rigoureux pour leurs enfants, leurs serviteurs, leur bétail..... s’ils n’enseignent pas aux enfants la prière et le catéchisme ; s’ils n’envoient pas les enfants et les serviteurs à l’église ; s’ils ne veillent pas sur leur conduite ; s’ils ne leur donnent pas un bon exemple, et si (que Dieu en préserve !) ils les scandalisent par leur mauvaise vie ; s’ils gaspillent ou trafiquent contre de l’eau-de-vie les dons que Dieu, dans sa Providence, a accordés pour toute la chaumière, et si ensuite ils laissent languir de faim leurs enfants et leurs serviteurs ; s’ils négligent ce bétail et ces autres pauvres bêtes que, pour ménager les forces de l’homme et lui procurer d’autres profits, Dieu a confiés à sa tutelle, sur lesquelles Il veille en Père universel, et en faveur desquels Il réclamera en Juge équitable pour les torts qui leur auront été faits ; s’ils ne soignent pas, s’ils traitent mal, font languir de faim ce bétail et ces pauvres animaux, et gaspillent la nourriture que le Père céleste leur a destinée. Les enfants et les serviteurs rendront un compte rigoureux s’ils ne sont pas obéissants et dévoués à leurs parents et à leurs gospodarze ; s’ils ne soignent pas leur bien et si (que Dieu en préserve !) ils le détournent ou le gaspillent ; s’ils les trompent dans le travail ; s’ils n’ont pas envers eux l’amour et la sincérité ! Oh ! souvenons-nous tous que Dieu regarde chacun de nos pas, et que, pour chaque pas faux, Il nous punira ; Il effacera le mérite de nos sueurs de sang, de notre misère, de notre tristesse, et, de plus, Il repoussera notre sacrifice, notre prière, comme étant impurs, indignes de sa sainteté suprême. Ce Maître juste dira : « Puisque vous avez méprisé et maltraité ce qui vous avait été confié, ces dons que Je vous avais accordés, ces enfants, ces serviteurs, ce bétail, ces animaux qui manifestaient ma bonté et ma providence pour vous, Moi, votre Dieu et Seigneur, j’agirai de même à votre égard ; vous n’avez point montré de miséricorde, et Moi je ne vous en montrerai pas ; ce que tu as fait à l’égard d’une autre créature, je le ferai à ton égard ; de la mesure dont tu te seras servi, Moi, ton Seigneur qui sonde ton cœur, je me servirai à ton égard : c’est ce que nous enseigne le Saint-Évangile. Oh ! quel redoutable avenir pour toi, paysan, qui oses t’opposer à ton Dieu et Seigneur !..... Mais au contraire, oh ! quel joyeux avenir, quelles espérances pour toi, paysan bon, craignant Dieu, et fidèle à ton Dieu !..... Toi, qui, dans la simplicité et l’humilité de ton cœur, sers ton Dieu, et ne l’offenses pas par tes péchés, qui offres à Dieu ta misère, les torts qui te sont faits, et les larmes que tu répands ; toi, qui prends pitié de ton prochain quel qu’il soit, qui aimes toutes les créatures de Dieu, et qui es compatissant pour toute créature, qui dans les champs, dans tous les travaux, pries et gémis vers la miséricorde du Père miséricordieux, console-toi, réjouis-toi, homme heureux !..... un bonheur grand, inconcevable, préparé pour toi par ce Père miséricordieux, t’attend tout près de toi !..... Celui qui pleure sera consolé ; celui qui a le cœur pur verra la face de Dieu 193. C’est par ces paroles que Notre Seigneur te console, ô bon paysan ! C’est pourquoi, plus tes infortunes, ta misère sont grandes à côté de la pureté de ton cœur, de ta fidélité et de ta vertu, plus ton bonheur est grand et proche. Tes haillons, ta rudyna 194 en lambeaux seront bientôt changés, chez ton Père miséricordieux, en la robe nuptiale ; il te fera asseoir à son festin céleste, toi qui manges ton pain plein de paille et de poussière, ta buza 195 et ta ’snitka 196 sans sel ; et au lieu de gémir sans cesse dans ton champ, tu entonneras bientôt un cantique d’allégresse pour rendre grâces à ton Créateur de ta félicité !..... Ainsi, donc, tandis que toi, riche orgueilleux, qui oublies Dieu et fais tort à tes frères, tu verras bientôt finir ton royaume ici-bas, toi, paysan à l’âme simple et innocente, qui traînes tes jours dans la misère et les larmes, tu verras bientôt commencer ton royaume. Chaque jour approche la fin de ton règne, riche orgueilleux ; chaque jour approche le commencement de ton règne, bon pauvre ; les larmes de ton cœur pur t’ouvrent, à chaque moment, de plus en plus, les portes du ciel ; tandis que ton orgueil, tes jouissances et les torts que tu commets, riche pécheur, à chaque moment, te ferment de plus en plus ces portes !.....
Ô mes frères ! que nous sommes heureux quand nous tâchons de devenir de tels paysans ! Mais combien tu es doublement malheureux, paysan, quand tu oublies ton Dieu, même au milieu de ta misère ; quand tu t’abandonnes à la paresse, à l’ivrognerie ; quand tu ne prends aucun soin, quand tu ne te soucies pas du bien de ta chaumière, et des animaux qui te sont confiés ; quand tu ne connais pas le travail consciencieux et que, dans ta fourberie, tu trompes tes maîtres et tes frères ; quand tu portes dans ton cœur la malice et la fraude !..... Oh ! combien tu es doublement malheureux !..... Pour toi, la misère, la famine et la punition ici, sur la terre, et de même après la mort ; tu pleures ici, et là aussi tu ne cesseras de pleurer : car tu as abandonné Dieu, car tu as méprisé son amour et sa miséricorde paternelle, car ta malice a foulé aux pieds tous les dons de ton Père céleste !..... Dieu Juste n’a pas de pitié pour des enfants si dénaturés, et tant que ces enfants ne se seront pas convertis et corrigés, Dieu ferme l’oreille à leurs prières et à leurs gémissements ; or donc, toi qui, vivant comme un animal, as oublié que Dieu qui t’a créé te regarde sans cesse, qu’il sait non seulement ce que tu fais, mais aussi ce que tu penses, ce que tu caches dans ton cœur impur ; toi qui, dans ta malice, rôdes comme un loup, cachant devant tout le monde ton mal, ta fourberie ; réprouvé de Dieu et des hommes, ah ! si parmi nous il y a un tel malheureux, nous t’appelons et nous te conjurons : pour l’amour de Dieu ! réveille-toi, frère malheureux, de ton sommeil de mort, de ton endurcissement ; implore la pitié de notre Père céleste, et dès ce moment, sans quitter ce lieu, commence à faire pénitence et à te corriger ; et encore aujourd’hui tu peux devenir ce paysan heureux, car le Père miséricordieux ne rejette jamais quiconque recourt sincèrement à Lui, et le temps de sa miséricorde n’est pas encore passé pour toi ; ce Père miséricordieux ne demande de toi qu’une larme sincère : et ta cause si grave, si terrible peut devenir la meilleure. Émeus donc ton cœur de pierre, toi, endurci dans ta malice !..... Que ce moment soit la fin de ton malheur et le commencement de ton bonheur éternel. Oh ! quel cœur ne se fondrait pas devant une telle miséricorde et de telles espérances que notre Père céleste nous donne dans sa miséricorde !.....
Ainsi donc, ô mes frères, accomplissons de bon cœur ce que notre Père miséricordieux, Notre Seigneur tout-puissant, nous commande, et Il nous le commande pour notre bien et notre bonheur véritable. Accomplissons ce que la sainte Église notre Mère nous transmet, obéissons aux autorités établies par le gouvernement, et soyons soumis à nos maîtres et à nos supérieurs. Prions Dieu pour le vicaire de Jésus-Christ, notre Saint-Père, et pour toutes les autorités de la sainte Église universelle, afin que sous la protection et avec la grâce du Saint-Esprit, ils gouvernent cette Église et aident le peuple fidèle à obtenir le salut. Prions Dieu qu’il comble de sa sagesse et de sa grâce notre monarque, car les grâces que Dieu lui accorde découlent sur nous ; lorsque la grâce abonde en lui, il peut, par son pouvoir si grand, faire beaucoup de bien, non seulement pour améliorer notre sort sur la terre, mais aussi pour notre salut dans l’éternité. Prions pour nos maîtres et nos supérieurs, afin qu’ils exercent leur autorité sur nous conformément à la volonté de Dieu, pour le bien et le salut de nous et d’eux-mêmes. Aimons et respectons toutes nos autorités, comme venant de la main paternelle du Maître suprême ; souvenons-nous que celui qui s’oppose aux autorités que Dieu à établies s’oppose à Dieu même ; c’est ce que nous enseigne le grand apôtre Saint-Paul, car, par les autorités terrestres, Dieu manifeste sa volonté. Ce Maître suprême, ce Dieu tout-puissant, sans la permission de qui pas un cheveu ne tombe de notre tête, ne nous donnerait-il pas d’un seul signe, s’Il le voulait, d’autres maîtres, un autre gouvernement et d’autres autorités ? Puisqu’Il ne le fait pas, Il nous montre donc expressément que sa volonté paternelle nous soumet aux autorités que nous avons, et que sa Sagesse et son Amour ont choisi pour nous ce qu’ils ont jugé de plus utile pour notre salut. Souvenons-nous que Dieu a confié à ces autorités le salut de nos âmes : et si ces autorités ne punissaient pas et ne corrigeaient pas le mal dans leurs subordonnés, Dieu leur en demanderait un compte rigoureux et les punirait. Souvenons-nous que plus un père aime son enfant, plus il surveille, corrige et, quoiqu’en pleurant, punit cet enfant : car un bon père désire le bien et le bonheur de son enfant. Ainsi donc, mes frères, si le châtiment et la rigueur sont exercés par les autorités avec cet amour paternel, ils sont alors la punition venant de Dieu même, de sa bonté, et de sa grâce pour nous, et, par conséquent, ils sont un don de Dieu. Et si nous souffrons injustement de la part de nos autorités, croyons alors que Dieu juste le permet pour nos autres péchés, et par conséquent, même dans ce cas, baisons la main qui nous châtie, et corrigeons-nous. Et de même qu’aujourd’hui Dieu réclame de nous pour nos péchés, de même aussi Dieu seul, sans nous, choisira le moment, et réclamera de l’autorité pour les torts qu’elle nous fait ; quand ce moment viendra, Dieu écartera l’autorité mauvaise, et l’appellera devant son tribunal pour rendre compte du pouvoir mal exercé ; et nous, pour notre soumission et pour notre patience, nous serons récompensés. Mais il ne nous appartient point, à nous, de nous mêler de ces dispositions de Dieu : c’est au-dessus de notre raison et de notre force. Que Dieu, notre Seigneur et Père, fasse selon sa volonté, et nous, ne regardons que nous-mêmes, afin d’être justes devant Lui ; ne nous mêlons pas des affaires et des comptes d’autrui, il nous suffit de nous occuper de ce qui nous regarde. En vivant ainsi, mes très chers frères, nous serons heureux et tranquilles ici sur la terre, car Dieu sera avec nous : et après la mort, nous mériterons la miséricorde de notre Père céleste. Ainsi soit-il.
Mais il est déjà temps, ô frères !..... Allons à nos travaux, à nos occupations et à nos devoirs, et pensons à ce que nous venons de promettre à notre Dieu. Pendant notre travail, recourons à notre Père miséricordieux ; supportons avec patience ce qui nous arrivera de pénible ; soyons compatissants pour le prochain souffrant et pour l’animal souffrant, aidons, autant que nous le pourrons, celui qui aura besoin d’aide : un verre d’eau donné au prochain ne reste pas sans récompense, vous le savez ; si quelqu’un nous fait du mal aujourd’hui, ayons dans notre cœur de bonnes pensées à son égard, comme à l’égard de quelqu’un qui ne sait ce qu’il fait ; et même faisons-lui quelque bien, et cela pour notre Père céleste ; c’est ainsi qu’Il fait à notre égard, c’est ce qu’Il nous recommande de faire. Que ce Père nous bénisse et nous assiste, que ce Père soit avec nous. Ainsi soit-il.
Après cela, le chef s’agenouille et, ainsi que les assistants, baise la terre et dit :
– Baisons, ô frères ! cette poussière, qui bientôt couvrira et nos jouissances et nos misères : car nous-mêmes, nous sommes poussière et nous retournerons bientôt en poussière !...... Relevez-vous, mes frères, avec piété et en silence, afin de ne pas perdre ce que, par la grâce de Dieu, vous avez accepté dans vos cœurs. Moi, malgré mon indignité, je prierai encore pour notre bonheur.
Tous se lèvent et se retirent en silence ; le chef prie avec ardeur jusqu’à ce que tous soient sortis ; enfin il se lève.
FIN DE L’OFFICE.
(Suivait un abrégé de l’office précédent, pour le cas où il n’y aurait pas le temps de le faire tout entier.)
––––––––––––––––
TABLE DES MATIÈRES
Au Lecteur.
CHAPITRE I. – Le 24 Septembre 1841 André Towianski annonce dans l’église de Notre-Dame à Paris, le commencement d’une nouvelle époque chrétienne et l’appel de Dieu dans cette époque. – Quelques mots sur les années précédentes de sa vie.
CHAPITRE II. – Impression produite sur l’émigration polonaise par la parole de Towianski. – Celui-ci place dans l’église de Saint-Séverin une copie de l’image de Notre-Dame d’Ostrobrama grandement vénérée en Pologne. – Il explique à ceux qui acceptent l’appel transmis par lui quels sont leurs devoirs.
CHAPITRE III. – Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour présenter l’appel de Dieu au roi Louis-Philippe et au pape Grégoire XVI, puis il se retire en Suisse.
CHAPITRE IV. – Après la Révolution de 1848 retourne à Paris pour y continuer sa mission envers l’émigration polonaise et la France. – Son emprisonnement. – Sa délivrance.
CHAPITRE V. – Pendant qu’il se prépare à Avignon à se rendre près de S. S. Pie IX, la révolution éclate à Rome. – Il retourne en Suisse où il demeure jusqu’à sa mort.
CHAPITRE VI. – Son action sar les individus.
CHAPITRE VII. – Son action envers la France.
CHAPITRE VIII. – Son action envers la Pologne et la Russie.
CHAPITRE IX. – Son action envers l’Église et l’Italie.
CHAPITRE X. – Sa vie intime.
CHAPITRE XI. – Dernières années.
Note à laquelle on se rapporte dans les chapitres I, VIII, IX.
1 Le grand poète moderne de la Pologne.
2 J’ai entendu relater ce fait de la bouche même du médecin qui le soigna, Ferdinand Gutt.
3 On peut lire ces conseils dans la note placée à la fin de l’ouvrage.
4 Voir les Écrits d’André Towianski, Vol. I, p. 1.
5 Commémoration des morts en Lituanie et titre d’un poème d’Adam Mickiewicz.
6 Ecce Homo, peint d’après le Guide par Valentin Wankowicz.
7 Luc, XII, 49.
8 Matth., X, 24.
9 Jean, XVI, 88.
10 Tout le monde sait que le Duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, perdit la vie en revenant de Neuilly, après avoir sauté de voiture pendant que les chevaux prenaient le mors aux dents.
11 On peut trouver les particularités de sa conversion dans les Actes et Documents.
12 Je tiens les détails qui suivent, en partie, de Towianski lui-même – et en partie, des notes que Ferdinand Gutt, son camarade de prison, prenait chaque jour, et de la correspondance intime que Towianski eut avec sa famille, dont je rapporte plusieurs pièces dans ce chapitre.
13 Comme on voit, cette lettre est antérieure au départ du premier convoi de prisonniers pour les forts.
14 Towianski ne parle ici que des prisonniers qui étaient avec lui, car, ainsi qu’il a été dit plus haut, le nombre de ceux qui furent transférés aux forts atteignit le chiffre de deux mille.
15 On verra plus loin que cet espoir de Towianski n’a pas été déçu.
16 La lettre au Général Bertrand, rapportée ci-dessus.
17 Jour où partit pour les forts le premier convoi de prisonniers.
18 Sœur de sa femme et femme de Ferdinand Gutt.
19 Voici l’ukase, tel qu’il est mentionné dans l’ordonnance du ministre des biens de la couronne impériale russe, qui autorise, sur la base de cet ukase, la confiscation et la prise de possession des biens de Towianski :
« Saint-Pétersbourg, 31 juillet 1842 (N° 1693).
« M. le Ministre de l’intérieur m’informe que le sieur André Towianski, propriétaire domanial dans le gouvernement de Wilna, ancien conseiller du tribunal suprême (glawnoï soud), ayant obtenu le 28 juin 1840 un passeport pour l’étranger, valable pour un an, pour voyager en Autriche et en Allemagne – n’a point demandé à renouveler son passeport après l’expiration du délai accordé ;
« Que, sans aucune autorisation de notre part, il habite Paris, où, par des appels adressés à l’émigration, il cherche à induire les Polonais à de mauvais desseins ;
« Que, sur l’invitation qui lui a été faite de la part de notre Ambassadeur à Paris de retourner dans sa patrie, il s’y est opposé, en répondant qu’il ne pouvait pas quitter la France avant un an ;
« Tous ces faits, ayant été dûment portés à la connaissance de l’Empereur par l’organe du lieutenant-général comte Bekendorf, Sa Majesté a daigné ordonner le séquestre des biens du sieur Towianski, et de porter son nom sur la liste de ceux qui, contrairement aux injonctions des autorités, ne veulent pas revenir dans leurs foyers et appartiennent conséquemment à la catégorie des exilés, selon la teneur des lois en vigueur ;
« M. le Ministre de l’intérieur nous informe aussi qu’afin de faire communiquer au sieur Towianski le décret impérial qui le concerne et en même temps de procéder à la saisie de ses biens du gouvernement de Wilna, le comte Bekendorf en a déjà donné avis à M. le vice-chancelier et à M. le lieutenant-général Mirkowitsch, gouverneur militaire du gouvernement de Wilna.
« En communiquant la teneur de cette volonté impériale à l’administration civile des domaines de la couronne du gouvernement de Wilna, je l’autorise à procéder à la séquestration des biens du sieur Towianski, après en avoir fait la vérification sur les lieux et à en porter aussitôt le résultat à la connaissance du directeur de la deuxième section du ministère des domaines de la couronne.
N. B. – L’original est revêtu des signatures autographes.
« Le Ministre des domaines de la couronne
(Signé) « Comte KISIELEFF.
« Vice-directeur
(Signé) « Jean CHELEKHOFF. »
20 Voir Actes et Documents.
21 Quelques lettres et témoignages de l’abbé Dunski furent publiés après sa mort sous le titre : Dunski, prêtre zélé et serviteur zélé de l’Œuvre de Dieu. Pour tout ce qui le regarde, voir les Actes et Documents.
22 Matthieu XXVI, 41.
23 Luc XXII, 19.
24 Le lecteur comprendra facilement que tout cela se rapporte, non pas à la résurrection de N. S. Jésus-Christ, après laquelle il est monté au ciel, mais à la résurrection du Verbe de Dieu dans l’homme, par l’accomplissement du Verbe par l’homme.
25 Voir sur le même sujet, dans les Écrits d’André Towianski, celui qui se trouve à page 386 du Ier volume et celui qui se trouve à page 283 du IIe volume.
26 Voir les Écrits d’André Towianski, vol. II, pages 404 à 489.
27 Idem, vol. II, page 303.
28 Idem, vol. II, page 336.
29 Idem, vol. Il, page 460.
30 Exode XX, 3.
31 Voir Actes et Documents.
32 Ézéchiel XXXIII, 11.
33 Ces diverses actions n’entrant qu’indirectement dans la matière qui fait l’objet de ce livre, je me borne seulement à les indiquer. Celui qui le désirerait peut en prendre une connaissance plus détaillée dans les Actes et Documents.
34 Matthieu XXII, 21.
35 Voir dans les Écrits d’André Towianski, vol. III, pag. 7, l’écrit Powody ou Motifs pour lesquels l’amnistie ne peut être acceptée.
36 Jean XVI, 2.
37 Matthieu VI, 10.
38 Luc XVII, 21.
39 Matthieu VI, 33.
40 Exode XX, 7.
41 Matthieu VI, 10.
42 Jean XVIII, 36.
43 Matthieu VI, 24.
44 Préface de Charles Rozycki, adressée à l’émigration dans l’édition de cet écrit publiée à Paris.
45 Luc X, 36.
46 Matthieu VI, 9, 10.
47 Luc VI, 37.
48 Luc XVIII, 27.
49 Matthieu XX, 26, 27.
50 Apocalypse XXII, 11.
51 Matthieu V, 8.
52 Matthieu V, 10.
53 Matthieu XXVI, 52.
54 Jean XIX, 10, 11.
55 Matthieu XXII, 21.
56 Exode XX, 2, 3.
57 Matthieu XXII, 21.
58 Luc X, 9.
59 Exode IV, 22.
60 Exode IV, 22.
61 Matthieu III, 10.
62 Piast, simple charpentier élu duc en 842, tout en donnant une impulsion vigoureuse à la vie de la Pologne, garda toujours sur le trône la simplicité de l’homme du peuple. Sa dynastie régna jusqu’en 1370.
63 Matthieu XI, 25.
64 Matthieu XXV, 21.
65 Jean IX, 6.
66 Exode XX, 8.
67 Matthieu XI, 12.
68 Matthieu VI, 33.
69 Matthieu IV, 9, 10.
70 Les trois lettres à Niemojewski, rapportées plus haut.
71 La Sainte Vierge est considérée par les Polonais comme la Reine de la Pologne.
72 Matthieu XVI, 4.
73 Jean IV, 35.
74 Pierre III, 10.
75 Thessal. V, 3.
76 Matthieu III, 10.
77 Luc III, 5.
78 Luc XVIII, 27.
79 Marc IX, 48
80 Marc IX, 49.
81 Matthieu V, 13.
82 Matthieu V, 14, 15.
83 Luc X, 9.
84 Luc XII, 48.
85 Matthieu X, 32, 33.
86 Jean XII, 26.
87 Jean XV, 4, 5.
88 Actes V, 29.
89 Matthieu VI, 24.
90 I. Corinth. IV, 20.
91 Matthieu X, 8.
92 Matthieu XX, 27, 28.
93 I Corinth. IX, 19.
94 Luc XVII, 10.
95 Luc XII, 32.
96 Matthieu X, 22.
97 Luc XXI, 18, 19.
98 Matthieu X, 28.
99 Éphés. XI, 11.
100 Matthieu X, 14.
101 Matthieu X, 23.
102 Jean XII, 48, 49.
103 Jean XV, 22.
104 Jean XVIII, 37.
105 Jean XVI, 38.
106 Jean XVI, 20.
107 Matthieu V, 11, 12.
108 Au sujet de la correspondance de Charles Rozycki avec le gouvernement national, citée plus haut, et des actions vraiment dignes d’être rappelées, mais qui sont à peine indiquées, voir les Actes et Documents.
109 En Pologne l’abolition du servage avait été proclamée déjà par la constitution du 3 mai 1791 ; mais l’exécution de toutes les mesures salutaires décrétées par cette constitution ayant été empêchées par les démembrements de la Pologne succédés en 1793 et 1795, le servage avec tant d’autres abus invétérés y fut maintenu jusqu’en 1807, lorsque Napoléon Ier, après la paix de Tilsit, forma le Duché de Varsovie et lui donna une constitution qui garantissait au moins la liberté personnelle de tous ses habitants, à quelque classe qu’ils appartinssent. Or, malgré toutes les transformations et toutes les calamités qu’a éprouvées depuis lors ce lambeau de l’ancienne Pologne, le servage n’y revint jamais plus ; et l’abolition de cette odieuse anomalie qui, en Russie, subsistait encore jusqu’à l’avènement d’Alexandre II, ne pouvait pas être la cause des conflits surgis entre propriétaires et paysans de la Pologne après l’insurrection de 1863. Cette cause, c’était l’ukase impérial du 2 mars 1864, qui, dans des buts hostiles à la nationalité polonaise, accordait aux paysans de cette contrée le droit de propriété sur une partie des terres seigneuriales, à des conditions très onéreuses pour leurs anciens possesseurs ; c’était aussi, et surtout, l’arbitraire inouï avec lequel cet ukase était interprété et mis en pratique par les agents du gouvernement russe chargés d’en diriger l’exécution et qui la dirigèrent en effet de manière à humilier et à appauvrir le plus possible les propriétaires nobles et à exciter contre eux l’animosité des paysans dont ces mêmes agents exploitaient la simplicité et flattaient les bas instincts, hélas, si faciles à réveiller dans le pauvre envers le riche. (Note des traducteurs.)
110 Matthieu VII, 2.
111 Prononcez dvour ; habitation des propriétaires et ses dépendances.
112 Prononcez kojouk ; vêtement de paysan, en peau de mouton.
113 Ferdinand Gutt, médecin, beau-frère de Towianski, dont on a parlé plus haut.
114 La femme de Towianski.
115 Au siège de la commission militaire, on rasait le devant de la tête aux hommes déclarés bons pour le service, et le derrière de la tête à ceux qui sont réformés ; c’est pourquoi, après la visite, on criait au barbier : Lob ! (Front) ou Zatylok ! (Occiput).
116 Comme complément de cette matière, voir la note à la fin du volume dont il a été fait mention au chapitre I.
117 Matthieu XXII, 32.
118 Il va de soi que le mot Église est ici employé dans son sens spirituel, comme le confirmeront les lettres de Towianski reproduites plus loin. De fait, il est remarquable que Towianski n’emploie jamais dans ces écrits l’expression « Église catholique », mais toujours « Église » tout court, ainsi qu’il était d’usage dans l’Église primitive. Au premier siècle, en effet, l’assemblée des vrais disciples de Jésus-Christ était tout simplement appelée ecclesia. (Note de Biblisem.)
119 L’« Église qui milite sur la terre » étant évidemment celle qui réunit tous les vrais disciples du Christ présents sur la Terre, puisque Towianski n’emploie jamais le mot Église au sens restreint d’Église « catholique ». (Note de Biblisem.)
120 « Quelle que soit la forme sous laquelle elle vit sur la terre »... Towianski parle donc fondamentalement d’une Église véritable, essentiellement chrétienne et indifférente aux formes du culte et aux institutions qui les prescrivent. (Note de Biblisem.)
121 « Communion des saints », autre nom par lequel une certaine tradition désigne l’« Église spirituelle ». (Note de Biblisem.)
122 « Vrai chrétien dans lequel je sentais l’Église vivante et soutenue par la croix de Jésus-Christ »... Ce sont ces chrétiens-là, précisément, qui forment cette Église intérieure qui est « l’Église vivante soutenue par la croix de Jésus-Christ ». (Note de Biblisem.)
123 Cette remarque de Tancredo Canonico confirme ce que nous avons dit plus haut concernant le sens mystique à donner au mot Église dans le vocabulaire de Towianski. Si Towianski pouvait reconnaître en chacun « ce qui s’approchait de l’esprit de Jésus-Christ », « quelle que fût sa confession religieuse », c’est donc que, dans sa pensée, la confession religieuse n’était pas déterminante pour appartenir à l’esprit de Jésus-Christ. (Note de Biblisem.)
124 Ce « besoin de profiter de ces aides » n’est pas éprouvé par tous. Les ermites et pères du désert qui vécurent à l’écart de tout sacrement et secours rituel ne l’ont jamais éprouvé. La présence directe de Dieu dans leur vie les comblait au-delà de tout. Il en fut de même, évidemment, des nombreux patriarches et prophètes de l’histoire sacrée, qui recevaient directement de l’Éternel toutes les grâces utiles et nécessaires. Le propos de Canonico s’applique donc ici seulement aux âmes qui éprouvent le besoin de ces aides, et qui peuvent donc sentir la nécessité pour eux de se faire catholiques. Il ne concerne donc pas forcément toute âme qui se convertit intimement à Jésus-Christ. (Note de Biblisem.)
125 On peut lire dans les Actes et Documents les détails des conversions que je n’ai fait qu’indiquer ici.
126 Ces notes tracées par Towianski, ainsi qu’il a été dit, pour son usage seulement, et à cause de cela moins compréhensibles pour le public en certaines parties, altérées en outre par plusieurs fautes d’impression, ont été plus tard revues par lui-même et rendues compréhensibles pour tous, en leur conservant toutefois le caractère primitif. On peut les lire dans le vol. I de ses écrits, page l.
127 Il y en a donc beaucoup, parmi les catholiques, qui ne sont pas dans l’Église de Jésus-Christ... Réciproquement, il y en a un certain nombre, parmi les protestants et les orthodoxes, qui sont dans cette véritable Église. (Note de Biblisem.)
128 Ce passage est extrait d’un écrit adressé aux Italiens le 24 décembre 1859, lorsque l’Italie fit la guerre à l’Autriche avec l’aide de l’armée française.
129 Luc XVII, 21.
130 Matthieu VI, 88.
131 Luc XII, 49.
132 S. Paul dit : « Nescitis quia templum Dei estis et Spiritus Dei habitat in vobis ?...... Templum enim Dei sanctum est : quod estis vos (I, Cor. III, 16, 17) – ...... Glorificate et portate Deum in corpore vestro (I, Cor. VI, 20). – Vivo autem, jam non ego : vivit vero in me Christus (Gal. II, 20). – Christus vero tamquam filius in domo sua : quae domus sumus nos, si fiduciam et gloriam spei usque ad finem firmam retineamus (Hébr. III, 6). » (Note du rédacteur.)
133 Apocalypse VII, 14, 16, 17.
134 Matthieu XV, 13.
135 Jean I, 1.
136 Jean XIV, 9, 10.
137 Matthieu XXVI, 41.
138 Matthieu XVI, 17.
139 Éphés. VI, 12.
140 Pie IX.
141 Matthieu V, 5.
142 Matthieu VI, 88.
143 Exode XX, 8.
144 Cela nous a été dit en 1860.
145 Matthieu VII, 3, 5.
146 Matthieu VI, 24.
147 Exode X, 3.
148 Job VII, 1.
149 Apocalypse II, 7.
150 Matthieu XXVI, 41.
151 Matthieu VI, 13.
152 Saint Pierre dit : Libertatem...... promittentes, quum ipsi servi sint corruptionis (2 Pierre II, 19). Et ailleurs il nous stimule à nous tenir quasi liberi et non quasi velamen habentes malitiae libertatem, sed sicut servi Dei (1 Pierre II, 16). (Note du Rédacteur.)
153 Cela se rapporte aux années 1859 et 1860.
154 Luc IV, 18, 19.
155 Matthieu XI, 29, 30.
156 II Cor. III, 17.
157 Jean VIII, 36, 12.
158 Rom. VI, 18.
159 Jacques II, 7.
160 II Pierre IV, 19.
161 Jean VIII, 34.
162 Éphés. VI, 12.
163 Matthieu XVI, 18.
164 Matthieu VI, 33.
165 Cet écrit fut imprimé et communiqué par moi à quarante-quatre cardinaux le jour avant leur entrée en conclave pour l’élection d’un successeur à Pie IX.
166 On peut prendre connaissance de ces actions et d’autres actions semblables faites dans le même esprit dans les Actes et Documents.
167 Gutt.
168 Le portrait de Towianski placé en tête de ce livre et reproduit d’après un beau dessin au crayon de Julien Mackiewicz, quoiqu’assez ressemblant, n’en rend qu’imparfaitement l’expression et le caractère.
169 Je n’ai pu m’empêcher de penser à Towianski quand j’ai lu dans la Vie de Jésus-Christ du Père DIDON les paroles suivantes :
« La vraie marque du génie religieux, celle qui en atteste la vérité et commande la vénération des hommes, c’est la sainteté. La vertu est la pierre de touche de sa mission. On peut être envoyé de Dieu sans faire des miracles : le vrai miracle est dans le rayonnement d’une conscience et d’une vie pures. Les prodiges trompent ; l’héroïsme de la volonté docile à la voix de Dieu ne trompe pas. Les soi-disant visions peuvent n’être qu’illusion : la pratique du bien trahit toujours la présence de l’esprit parfait » (P. DIDON, Jésus-Christ, vol. I, chap. VI, page 102, Paris, Plon, 1891).
170 Tout le monde sait qu’en Pologne (et cette coutume était plus générale autrefois) les seigneurs ou propriétaires fonciers ont l’habitude d’habiter leurs propriétés, qui sont souvent à plusieurs kilomètres de distance l’une de l’autre, et que, en hiver, le thermomètre descend fréquemment à 24 degrés Réaumur au-dessous de zéro.
171 Rom. VIII, 19, 22.
172 Matthieu VI, 33.
173 Act. IV, 32.
174 II Cor. VI, 10.
175 Voir les Écrits d’André Towianski, vol. II, page 186.
176 Matthieu VII, 1, 2.
177 On peut dire en vérité que Towianski faisait revivre et appliquait aux besoins des temps présents l’Ordre universel et éternel de Jésus-Christ : parce qu’il présentait dans l’unité toutes les vertus dont chaque ordre religieux fait plus spécialement profession ; il appelait à puiser (comme il le faisait lui-même) à la seule source ouverte par Jésus-Christ la puissance, la sagesse, l’amour ; et il aidait chacun à agir avec cette seule force divine, pure de tout alliage terrestre, sur tous les champs de la vie privée et publique.
178 Matthieu VI, 11. Luc XI, 3.
179 Matthieu X, 19, 20.
180 Jean XIV, 30.
181 Je tiens les détails qui suivent de Charles Baykowski qui fut présent à toutes ces grandes douleurs.
182 Enfant de Michel et Anna Kulwiec.
183 En Suisse, les hommes du peuple qui le connurent conservent encore maintenant le souvenir de sa grande bonté, qui était le fond naturel de son caractère. Je citerai un seul exemple de l’impression profonde qu’elle y a laissé, surtout dans les âmes simples.
Onze ans après sa mort, un de ses amis – qui s’était rendu à Zurich pour revoir ces lieux pleins de si chers et de si saints souvenirs –, en revenant du tombeau de Towianski, rencontra sur une route voisine une voiture qui allait au trot. Le cocher, en le voyant, arrêta son cheval, sauta à terre, et courut l’embrasser, disant : « Il y a bien longtemps que je ne vous ai plus vu, mais je vous ai tout de suite reconnu. Vous revenez sans doute du cimetière. Oh ! moi aussi je pense souvent à votre saint père ! Combien il était bon et compatissant, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les animaux ! Chaque fois qu’il montait dans ma voiture, il me recommandait de ne pas aller trop vite, pour ne pas trop fatiguer mon cheval : – surtout il me recommandait de ne pas le fouetter ; et si je n’obéissais pas, il me payait tout de même le tarif, mais il n’y avait pas de pourboire pour le méchant cocher. – Vous voyez que je ne l’ai pas oublié : et certainement je ne l’oublierai jamais ! »
184 Psaumes LVI, 2.
185 Prov. XXIII, 26.
186 Matthieu VII, 7.
187 Matthieu XVIII, 20.
188 Les chefs de la maison et leurs femmes.
189 Tous les domestiques, hommes et femmes.
190 Matthieu V, 3, 5, 8.
191 Ce cantique du pape Urbain VIII fait partie des prières quotidiennes des familles en Pologne. Il est aussi chanté en chœur dans les églises de préférence dans le temps du carême.
192 Ce cantique, d’origine polonaise, comme l’on croit, est ordinairement chanté en chœur en Pologne par les prêtres et les fidèles après la Sainte Messe.
193 Matthieu V, 5, 8.
194 Vêtement de paysans Lituaniens.
195 Farine grossière délayée dans de l’eau, employée pour nourrir le bétail et qui est souvent la seule nourriture des paysans pauvres.