Notre Dame et les écrivains

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Louis CHAIGNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’un des thèmes les plus suggestifs de l’art du XIIIe siècle finissant est cette Vierge à l’encrier qu’un peu plus tard, un Botticelli et les Van Eyck représenteront en des œuvres qui sont en beaucoup de mémoires et que nul n’a mieux commenté que dans son livre Théotokos, le grand critique d’art chrétien Edmond Joly. Sous ces peintures pourraient figurer le passage des Psaumes que la liturgie prête à la Femme bénie entre les femmes : « Ma parole est comme le roseau rapide de l’écrivain ; mon œuvre appartient au Roi des cieux. »

Notre époque sévère se tourne beaucoup moins du côté de ces lumineuses perspectives que de celui des créations d’artistes et d’écrivains hantés par le mal et le désespoir. Jamais peut-être la littérature ne se manifesta plus acharnée à détruire en l’homme les traces de son origine divine et à fixer les curiosités du public sur les réalités d’un véritable bagne humain. Les écrivains catholiques eux-mêmes doutent parfois de leur mission, s’appliquent à éloigner de leur conscience les exigences d’une morale qui, parce qu’elle fut souvent interprétée avec une rigueur aveugle et craintive, leur semble appartenir à des temps révolus. Les droits de Dieu s’effacent devant d’illusoires droits de l’homme, sans contrepartie de devoirs.

Et pourtant il n’est pas possible que tels journaux tirés à des centaines de mille d’exemplaires et que des livres propagés par une toute puissante publicité puissent passer sous les yeux de tant et tant de lecteurs sans exercer de graves ravages. C’est un sophisme que de prétendre, comme on l’a fait, que l’esthétique n’a rien à voir avec la morale. Tout observateur tant soit peu attentif constate un affaissement général des caractères. Tandis que les divorces et les avortements se multiplient dans des proportions devenues effrayantes, la vie publique nous offre trop souvent le triste exemple de chefs en qui ne se retrouve plus la solide armature et les disciplines intérieures sans lesquelles il n’est pas de véritable autorité. Qui oserait sérieusement affirmer que la littérature n’est d’aucune façon responsable de cette dégradation ?

On ne combattra pas de tels maux par la propagation d’œuvres mièvres et mensongèrement optimistes. Ce n’est pas la peinture de la vie qui puisse gêner des chrétiens comptant, dans leur héritage, Dante, Racine, Shakespeare, Cervantès, Dostoïevski, Claudel, Sigrid Undset, Chesterton, et dont la mission est de plus en plus d’informer de la vérité vivante un monde qui a perdu son âme. C’est l’absence de toute lumière et de toute santé qu’ils peuvent le plus valablement déplorer.

Surmontant un fâcheux complexe d’infériorité, les écrivains catholiques devraient avoir sans cesse devant les yeux l’idéal de pureté qu’apporta Celle dont les mains adorantes gardent le mystère d’une conception immaculée du monde et de la vie, pour reprendre l’admirable expression de Mgr Calvet. Nous n’avons tous qu’à gagner à nous engager dans la voie royale où nous guide l’altissime poète de la DIVINE COMÉDIE, vers la Reine des lettres et des arts qu’il saluait en ces vers impérissables :

 

            Ô Vierge, mère et fille de ton Fils,

            Humble et haute bien plus que nulle créature,

            Terme assigné d’un éternel dessein,

 

            C’est Toi qui ennoblis notre nature humaine

            À ce point tel que n’a pas dédaigné

            Son Ouvrier de se faire son œuvre ;

 

            C’est en ton sein qu’a repris feu l’Amour,

            À la chaleur de qui, dans la paix éternelle,

            A pu germer cette rose candide...

 

            ... Dame, tu es si grande et puissante que l’homme

            Qui désire une grâce et ne recourt à Toi,

            Prétend que son désir vole sans avoir d’ailes 1.

 

 

Louis CHAIGNE.

 

Paru dans la revue Marie en mai-juin 1952.

 

 

 

 

 



1 DIVINE COMÉDIE, Paradis, chant 33, traduction Henri Longnon.

 

 

 

 

 

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