Pierre-Henri Simon

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Maurice CHAVARDÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre-Henri Simon a gardé, de la Saintonge où il est né, de cette terre modérément vallonnée et ouverte sur l’Océan, le goût du rêve et de la mesure. De son enfance, il a conservé ce style de bourgeoisie libérale qui sera celui des personnages de ses romans. Mais avant d’être romancier, il a fait carrière, dans l’Université et publié des essais moraux et politiques : en 1934, L’École et la Nation ; l’année suivante, Destins de la personne (qui coïncide avec son activité aux côtés d’Emmanuel Mounier dans la revue « Esprit », organe d’expression « personnaliste »). Au moment du Front populaire, et à partir de son contexte, il publie Les Catholiques, la Politique et l’Argent, puis un Discours sur la guerre possible.

Certains de ses ouvrages ont un ton polémique ; ils provoquent des remous. L’auteur n’a pourtant rien d’un révolutionnaire. Il ne prend pas à son compte les aveux de Denis l’un des héros de son troisième roman : Les Raisins verts qui explique son inclination vers le communisme en ces termes : « Ils ne s’embarrassent pas de momies ; ils ne sont pas les angoissés de l’An mil, et la parousie qu’ils attendent les exalte de confiance et de joie... Je refuse la politique des pompes funèbres comme l’esthétique du Dies irae. »

Un certain souci de la justice, par fidélité évangélique peut-être, par lucidité philosophique aussi, pousse cependant Pierre-Henri Simon à s’engager parmi ceux qui veulent réformer la société. Après l’avoir fait, pour commencer, uniquement dans des essais, il aborde, avec le genre romanesque, les problèmes de la conscience individuelle face aux impératifs du monde contemporain. Si l’on met à part un premier roman de jeunesse, Les Valentin, c’est avec L’Affût que le romancier s’affirme, analysant la naissance d’un amour qui ne s’épanouira pas parce que ce n’aurait pu être que de façon injuste et déloyale. Situation cornélienne sur fond de tendresse et de délicatesse, que l’on retrouvera dans Celle qui est née un dimanche, petit chef-d’œuvre de passion pudique dans un cadre de naturisme païen.

En 1950, Les Raisins verts confirmeront l’analyste et le styliste s’exerçant sur le thème du malentendu entre les générations. Si l’affrontement va jusqu’à l’hostilité, un point apparaît cependant où les parallèles finissent tout de même par se rejoindre : c’est la sincérité et l’authenticité des âmes. On devine que les oppositions sur la conception du monde dépassent les individus. La justice lutte contre la possession, la faim contre le rassasiement, la race des satisfaits contre la race des inquiets. Parce qu’il connaît la complexité des cœurs, le romancier se garde de distribuer jamais en « justes » et « injustes » ses personnages.

Un guerrier loyal, qui a montré de l’héroïsme et aime le métier des armes, s’interroge sur le sens de ses actes. Ils ne lui apparaissent plus justifiés par un idéal d’humanité : les moyens sont devenus tout à coup impurs. Alors, il brise sa carrière : il sera agriculteur plutôt que soldat aveugle. Telle est l’histoire de Larsan, le héros de Portrait d’un officier. À l’ami qu’il a choisi pour confident, Larsan dira : « Ce qu’on apprend, à partir d’un certain niveau d’expérience et de réflexion, c’est qu’il n’y a presque jamais, ni en bien ni en mal, de situations pures. » Avec Portrait d’un officier, publié en 1958, Pierre-Henri Simon illustrait par le roman les réflexions qui, un an plus tôt, avaient fait naître Contre la torture, un essai auquel la guerre coloniale conférait une actualité cruelle et dont la publication n’alla pas sans grincement de dents. Le moraliste s’y montrait modéré et intraitable tout à la fois.

Or, sa morale est un humanisme. L’action ne se justifie pour lui qu’en incarnant les objets de la méditation. Ainsi qu’il l’écrit en opposant Péguy à Camus, dans L’Homme en procès : « L’honneur de l’épée est de servir la croix. » On ne se bat pas pour se battre. On ne s’agite pas pour faire du vent. Le monde n’est pas si absurde qu’on le prétend. Ou s’il l’est, l’homme peut toujours lui donner un sens. Le penseur aura donc le pas sur le révolutionnaire et devra sans cesse équilibrer le neuf par l’ancien, sans rien répudier de la civilisation qui le fait autant qu’il la fait. Pour Pierre-Henri Simon, le bonheur des individus et de la société, le salut de la culture et la survie même de l’espèce ont pour condition le primat de l’esprit.

Mais qu’entend-il par esprit ? C’est l’élan de l’être total vers la conscience et l’amour ; c’est l’adhésion de l’intelligence à un ordre de valeurs sans quoi les faits ne seraient rien. Un tel ordre relève d’une éthique difficile, devant laquelle s’inclinent finalement tous les personnages romanesques créés par Pierre-Henri Simon. Ce sera le cas, par exemple, de Laurent, celui que l’écrivain appelle Le Somnambule dans le premier volume de la suite intitulée Figures à Cordouan.

Le deuxième volume, Histoire d’un bonheur, publié en 1965, est encore plus révélateur de l’idée que se fait de la vie Pierre-Henri Simon. Le héros en est un bourgeois à qui rien ne manque : il est intelligent et cultivé ; il a du cœur ; sa femme répond à ce qu’il attend d’elle ; sa fortune est plus que solide. Cet homme comblé déclare : « Je ne puis vivre hors d’un certain cadre d’ordre, de civilisation, de politesse. » Voilà pour le libéral. Mais, tout aussitôt, l’idéaliste précise : « Je ne puis souffrir de voir l’individu broyé par la machinerie sociale, et le pauvre, le faible, livré aux poings gantés des puissants. »

Tout Pierre-Henri Simon est là ; et sous la fiction, Histoire d’un bonheur est peut-être, de tous ses romans, celui qui se rapproche le plus de la confidence autobiographique. La grandeur est dans l’affirmation de ce qui dépasse l’individu et qui conduira Noël Dussert jusqu’à l’héroïsme sans mot ni ruban : arrêté durant l’occupation allemande, le bourgeois se sacrifie pour une petite gouape qui fait partie, comme lui, mais pour de toutes autres raisons, du convoi vers un camp de concentration. Il meurt pour un être qui est tout le contraire de lui et, en quelque sorte, l’envers de son idéal. Apparemment absurde, son sacrifice justifie pourtant sa qualité.

La forme classique de l’ouvrage, la netteté des idées, l’aisance des phrases se retrouvent dans Ce que je crois, où Pierre-Henri Simon s’interroge sur ce qu’il a vu et fait depuis l’École normale et à travers sa vie de professeur, de conférencier, de journaliste et d’écrivain. Jugeant le cours des choses et le mouvement des idées, il porte sur l’un et l’autre un jugement qui, pour être serein, n’en est pas moins passionné et par endroits percutant.

Dès les premiers élans de sa conscience, dit-il, il a adhéré aux choses, sympathisé avec les êtres, collé à la création et à la civilisation. De là vient qu’il ne pouvait incliner vers la révolte ou l’anarchie, le mysticisme ou le blasphème, pas plus qu’en littérature il ne risquait de devenir « un explorateur du surréel ni un perturbateur du langage ».

Appelé par sa fonction de critique littéraire du Monde à lire énormément et à peser les mérites d’autrui au trébuchet de sa culture et de son tempérament, Pierre-Henri Simon avoue, dans Ce que je crois, que ce « dur métier lui est généralement pénible ». Constatant que la littérature d’aujourd’hui, et notamment le genre romanesque, réduit l’homme à des conditionnements obscurs, l’avilit dans ses sentiments et ses mœurs, lui ôte toute raison d’être, il s’élève contre l’antihumanisme contemporain. Témoin de l’homme éternel, il récuse tout ce qui ôte à la culture et à son expression « la valeur d’universalité, le sens transindividuel et transhistorique ». Personnaliste, il veut un humanisme de défense de l’homme. Il l’avait déjà dit dans un essai critique intitulé Le Jardin et la Ville. Il le répète, sans se lasser, de feuilleton littéraire en feuilleton littéraire. Il le met enfin en pratique dans ses propres romans. En ce sens, on peut dire que Pierre-Henri Simon est le dernier classique du XXe siècle.

 

Maurice CHAVARDÈS.

 

 

« Pour justifier mes risques, j’ai exigé davantage : une certaine idée de la civilisation, liée à ma patrie...Quand je réfléchis au fond, ce lien même me paraît relatif, impur, accidentel : si je dois donner ma vie à une cause, j’aime mieux que ce soit à une culture qu’à une nation. »

 

Pierre-Henri SIMON, Histoire d’un bonheur.

 

 

 

Œuvres essentielles

 

LES RAISINS VERTS. Une crise historique a remis en question le sens de la vie, les bases de la culture, les traditions de sagesse. Un malentendu naît entre deux générations. Il va jusqu’à l’hostilité. Mais pères et fils sont tous victimes et, finalement, solidaires : ils se retrouvent à la fin dans une commune soif d’absolu.

CONTRE LA TORTURE. – La guerre d’Algérie, quelque justification que lui trouvent certains patriotes, est devenue engrenage et gangrène. Faut-il continuer à fermer les yeux sur ce que l’on murmure ou tait, selon les occasions ? Faut-il passer sous silence la torture ? Le devoir de l’écrivain est de pousser un cri qui réveille les consciences.

HISTOIRE D’UN BONHEUR. – Dans une ville de l’Ouest au climat aimable, des personnalités de choix forment un monde dans lequel se récapitulent l’humanisme, la fortune et la respectabilité. Noël Dussert, qui fait partie de ce monde, mais le domine par le cœur et l’esprit, expose par idéal son bonheur aux coups de la tragédie.

CE QUE JE CROIS. Une sorte d’autoportrait qui révèle ce que fut la jeunesse de l’auteur, comment se sont formées les idées essentielles qu’il a exprimées dans ses divers ouvrages et, au-delà du témoignage personnel, quelle peut être, aujourd’hui, la philosophie éthique et artistique de l’élite intellectuelle et littéraire.

 

 

Études sur Pierre-Henri Simon

 

CLOUARD (Henri), Pierre-Henri Simon, dans Histoire de la littérature française, Paris, Albin Michel.

MADAULE (Jacques), Pierre-Henri Simon critique, Paris, « Livres de France », mars 1966.

PIATIER (Jacqueline), Pierre-Henri Simon, l’homme et le romancier, Paris. « Livres de France », mars 1966

 

 

Biographie

 

1903 Naissance, le 16 janvier, à Saint-Fort-sur-Gironde, en Saintonge, son père était notaire.

1914 Études à domicile sous la direction d’un grand-père pharmacien et humaniste, puis de l’instituteur et du curé.

1920 Entrée à l’École Fénelon, à La Rochelle, il prépare le baccalauréat.

1923 École normale de la rue d’Ulm, à Paris.

1926 Agrégation des lettres.

1927-1928 Agrégé préparateur à l’École normale.

1931 Publication de Les Valentin, roman.

1934 Professeur à l’Université catholique de Lille. Collaborations à « La Vie intellectuelle », à « Esprit » et à l’hebdomadaire « Sept ».

1936 Publication de Les Catholiques, la Politique et l’Argent. Menacé d’exclusion de l’Université catholique à la suite de cette publication.

1938 Professeur à l’École des Hautes Études à Gand. Publie L’Église et la Révolution sociale.

1939 Mobilisé comme officier de réserve.

1940 Fait prisonnier en Bretagne. Quatre ans de captivité, durant lesquels il travaille à la rédaction d’un roman, L’Affût.

1944 Publication de La France à la recherche d’une conscience.

1946 Publication de L’Affût, aux Édit., du Seuil.

1949 Professeur à l’Université de Fribourg.

1950 Publication de Les Raisins verts (Prix du Renouveau français).

1952 Publication à « La Baconnière », en Suisse, de Celle qui est née un dimanche, 1956-1957 Doyen de la faculté des Lettres de Fribourg.

1957 Publication de Contre la torture.

1958 Publication de Portrait d’un officier.

1960 Publication du Somnambule.

1961 Titulaire du feuilleton hebdomadaire de critique littéraire au journal Le Monde.

1965 Publication de Histoire d’un bonheur.

1966 Publication de Ce que je crois. Élection à l’Académie française.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Essais.

 

L’École et la Nation, Paris, Le Cerf, 1934.

Destins de la personne, Paris, Bloud et Gay, 1935.

Les Catholiques, la Politique et l’Argent, Paris, Montaigne, 1936.

Discours sur la guerre possible, Paris, Le Cerf, 1957.

L’Église et la Révolution sociale, Paris, Le Cerf, 1938.

Préparer l’après-guerre, Paris, Bloud et Gay, 1940.

La France à la recherche d’une conscience, Paris, Plon, 1944.

La République, essai sur la future constitution de la France, Paris, Plon, 1945.

Les Conditions de la souveraineté populaire, Paris, L’Amitié française, 1946.

Définition pour servir l’amitié française, Paris, Édit. du Temps présent, 1946.

Le Problème du chef de l’État, Paris, L’Amitié française, 1946.

Georges Duhamel, ou le bourgeois sauvé, Paris, Édit. du Temps présent, 1947.

L’Homme en procès : Malraux, Sartre, Camus, Saint-Exupéry, Neufchâtel, La Baconnière, 1950.

Procès du héros. Montherlant, Drieu La Rochelle, Jean Prévost, Paris, Le Seuil, 1950.

Témoins de l’homme : la condition humaine dans la littérature contemporaine, Paris, A. Colin, 1951.

L’Europe a-t-elle une conscience ? Nancy, Centre européen de civilisation, 1953.

Mauriac par lui-même, Paris, Le Seuil, 1953.

L’Esprit et l’Histoire, Paris, A. Colin, 1954.

Histoire de la littérature française au XXe siècle, Paris, A. Colin, 1956.

Contre la torture, Paris, Le Seuil, 1957.

La Littérature du péché et de la grâce, Paris, Fayard, 1957.

La France a la fièvre, Paris, Le Seuil, 1958.

L’École entre l’Église et la République, Paris, Le Seuil, 1959.

Théâtre et Destin, Paris, A. Colin, 1959.

Présence de Camus, Paris, Nizet, 1961.

Le Jardin et la Ville, Paris, Le Seuil, 1962.

Le Domaine héroïque des lettres françaises, Paris, A. Colin, 1963.

Qu’est-ce que la littérature ? Leçon d’adieu..., Fribourg, Dousse, 1963.

Ce que je crois, Paris, Grasset, 1966.

Pour un garçon de vingt ans, Paris, Le Seuil, 1967.

 

Poèmes.

 

Recours au poème, chants du captif, Neuchâtel, La Baconnière, 1943.

Les Regrets et les Jours, Paris, Le Seuil, 1956.

 

Romans, récits, nouvelles.

 

Les Valentin, Paris, Édit. de la Vraie France, 1931.

L’Affût, Paris, Le Seuil, 1946.

Le Roi des brises ou la rançon d’amour, conte, Le Raincy, Édit. claires, 1946.

Les Raisins verts, Paris, Le Seuil, 1950.

Celle qui est née un dimanche, Neuchâtel, La Baconnière, 1952.

Les Hommes ne veulent pas mourir, Paris, Le Seuil, 1953.

Elsinfor, Paris, Le Seuil, 1956.

Portrait d’un officier, Paris, Le Seuil, 1958.

Le Somnambule (Figures à Cordouan, 1), Paris, Le Seuil, 1960.

Histoire d’un bonheur (Figures à Cordouan, 2), Paris, Le Seuil, 1965.

 

Préfaces.

 

Les Vergers du songe, de Jacqueline de Bie, Paris, Édit. des Artistes, 1958.

Pierre Mendès-France ou le métier de Cassandre, de Claude Nicolet, Paris, Julliard, 1959.

Changer le sable en or, de Madeleine Sabine, Paris, Fayard, 1961.

Maximes, pensées et paradoxes, de Rivarol, Paris, Club du Libraire, 1962.

Thérèse Desqueyroux, suivi de La Fin de la nuit, de François Mauriac, Paris, Club des amis du livre, 1963.

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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