Nationalisme et « nationalitarismes »

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Yves CHIRON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mot « nationalisme » date de l’époque révolutionnaire. Le premier à l’employer est, semble-t-il, l’abbé Barruel dans ses fameux Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1798, réédité aux éditions de Chiré). Il désigne ainsi le « patriotisme jacobin » et observe que « le nationalisme prit la place de l’amour général ». Nationalisme serait ainsi mépris des étrangers. Pourtant le sens du mot était loin d’être fixé. Au XIXe siècle on a utilisé le mot pour désigner le sentiment et les aspirations à l’indépendance des « nationalités opprimées » dans les grands empires. Le mot n’était pas d’usage courant. Le Dictionnaire de la Langue française (1863-1872) de Littré tout comme La Grande Encyclopédie, en 32 volumes, réalisée au tournant du siècle sous la direction de Marcelin Berthelot, ignorent encore le mot.

 

IL Y A CENT ANS, MAURICE BARRÈS

 

Il faut attendre Maurice Barrès, dans un article du 4 juillet 1892 dans Le Figaro, pour voir le mot désigner une attitude non de rejet mais un choix préférentiel. Encore, dans cet article, « La querelle des nationalistes et des cosmopolites », Barrès n’applique-t-il le mot qu’au seul domaine littéraire, et non sans quelque raillerie. Lui-même bien vite, et Charles Maurras à sa suite, donneront au mot un sens éminemment politique et le vulgariseront. Le nationalisme ainsi considéré est moins exaltation d’un sentiment, le sentiment national, que la défense des valeurs nationales et des intérêts de la nation.

Maurras définissait le nationalisme de Barrès en trois mots : « Tradition, protection, décentralisation ». Les deux premiers indiquent bien que le nationalisme français est la défense d’un héritage contre tout ce qui peut lui nuire ou le mettre en péril. La nation française est, selon la formule de Renan dans sa célèbre conférence Qu’est-ce qu’une Nation ? (1882), « une unité réalisée par une dynastie », la dynastie capétienne. Renan notait aussi qu’en France c’est le lien dynastique qui a créé l’unité nationale, et non des considérations linguistiques ou raciales. Dans sa conférence, Renan y insistait : « La considération ethnographique n’a été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L’Allemagne est germanique, celtique, slave. L’Italie est le pays où l’ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d’autres éléments, s’y croisent dans un indéchiffrable mélange (...) La vérité est qu’il n’y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère 1 ».

En France la nation a préexisté au nationalisme. Ce n’est que peu à peu que les Français ont pris conscience d’appartenir à une même nation, ont éprouvé un sentiment national. Ce sentiment national a été vécu, sous la monarchie, avant d’être « théorisé » depuis la fin du XIXe siècle.

Le nationalisme français a ainsi été non pas une idéologie mais la défense de réalités vivantes et anciennes. « Nationalisme essentiellement humain, nationalisme de conservation et de protection. Exactement, c’est un nationalisme défensif », écrivait Charles Maurras (Action Française, 20.7.1938).

 

NAZISME ET FASCISME

 

Si l’on considère le fascisme et le national-socialisme, on ne peut que constater que le nationalisme y a un tout autre sens. C’est qu’en Italie comme en Allemagne l’unité nationale, l’unification a été très tardive par rapport à la France. L’unité allemande et italienne ne datent que de la fin du XIXe siècle. On doit constater aussi que le nationalisme allemand a existé avant que n’apparaisse un État allemand unitaire tandis qu’un État italien unitaire s’est mis en place sans qu’un fort sentiment national italien n’existe. En Italie comme en Allemagne il y a eu décalage entre le nationalisme et la nation proprement dite.

En Allemagne, c’est de la conquête napoléonienne que date le réveil du nationalisme. Ce nationalisme ne pouvait être la défense d’une réalité, d’une nation, puisqu’il n’existait plus d’unité allemande depuis le Moyen Âge. Divisée en royaumes, principautés, duchés, villes libres multiples, l’Allemagne n’existait pas comme entité nationale. Tout au long du XIXe siècle, le nationalisme allemand sera donc l’exaltation d’une Allemagne imaginaire, une Allemagne perdue et à retrouver, à restaurer. Sur quelle base ? Non celle de l’unité autour d’un souverain mais avant tout sur l’exaltation du génie allemand, de la race allemande, de la supériorité allemande. Ce sera tout l’objet des quatorze fameux « Discours » de Fichte prononcés à Berlin pendant l’hiver 1807-1808, alors que la Prusse vient d’être vaincue par Napoléon. Ces Discours sont comme la matrice de tout le nationalisme allemand jusqu’à Hitler. En conclusion, Fichte ne fixait à l’Allemagne rien moins qu’une mission providentielle et voyait dans cette mission même la condition du relèvement de l’Allemagne et de la reconstitution de son unité nationale. Il rêvait d’un empire allemand « régi par le droit, la raison et la vérité ». Quelles seraient les limites de cet Empire ? Fichte, en philosophe, ne s’arrêtait point à ce détail, en revanche il affirmait que la constitution d’un tel empire incombait à la nation allemande et à elle seule. Il interpellait ainsi ses compatriotes : « vous qui, parmi tous les peuples modernes, conservez le germe de la perfectibilité humaine et qui êtes chargés de veiller au développement de l’humanité » ; l’Allemagne, écrivait-il encore, est « la nation-mère du monde actuel 2 ».

Hitler, en exaltant la race aryenne comme race supérieure, en estimant, dans Mein Kampf, que seul un « état raciste » pouvait permettre « la formation d’une civilisation humaine de valeur supérieure », était dans l’exact prolongement de Fichte. De l’un à l’autre c’était la même exaltation du « germanisme ». Le nationalisme allemand du XIXe siècle et le national socialisme au XXe siècle ne peuvent donc se comparer au nationalisme français. Ils sont projection, un « songe » disait Maurras, le rêve d’une grande Allemagne.

Le fascisme italien ne saurait se comparer au national-socialisme allemand. Par ses origines historiques – le socialisme et la guerre – il est avant tout réaction devant la décadence d’un pays. Le fascisme sera donc tout autant une doctrine qu’une méthode d’action. Lors de la création du Parti National Fasciste, en 1921, un rôle déterminant est fixé à l’État : il doit être « le gardien jaloux, le défenseur et le propagateur de la tradition nationale, du sentiment national, de la volonté nationale... » On voit d’emblée comment le fascisme italien fut d’abord une doctrine de l’État plus qu’un nationalisme proprement dit. Si Mussolini accordait une telle place à l’État, c’est que seule, à ses yeux, une institution pouvait assurer l’unité du pays. La création du royaume d’Italie et d’une dynastie nationale était trop proche (1861-1871) pour servir réellement de ciment national.

La conception fasciste de la nation était néanmoins plus proche de celle d’un Barrès, d’un Maurras que de celle d’Hitler. La nation, toujours dans le même programme de fondation de 1921, était définie comme une réalité à préserver (« la nation n’est pas la simple somme des individus vivants ni l’instrument des fins des partis, mais un organisme comprenant la série indéfinie des générations dont les individus sont des éléments passagers »).

Pie XI, en condamnant, dans l’encyclique Non abbiamo bisogno (1931), la « statolâtrie païenne » du fascisme, précisait : « Nous n’avons pas voulu condamner le parti et le régime comme tels. » Il ne condamnait que les prétentions de l’État fasciste à contrôler et diriger seul l’éducation de la jeunesse. Avec l’encyclique Mit brennender Sorge (1937), il condamnera en revanche le national-socialisme comme doctrine, une doctrine qui faisait du nationalisme l’exaltation d’une race prétendument supérieure.

 

 

Yves CHIRON.

 

Paru dans Fideliter en juillet-août 1992.

 

 

 

 

 

 



1 Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ? Pierre Bordas, 1991, p. 37.

2 Fichte, Discours à la nation allemande, Aubier-Montaigne, 1975, pp. 275-276.

 

 

 

 

 

 

 

 

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