Saint Marcel

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Raymond CHRISTOFLOUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par la porte entrebâillée, un jour de l’an 309 du Seigneur, à Rome, un vieillard est poussé par des mains brutales à l’intérieur des étables de l’empereur. Couvert de haillons abjects, défiguré par la fatigue et par les coups, plus chétif que le ver de terre, plus méprisé que la poussière des chemins, cet homme est Marcel, successeur de Pierre sur le Saint-Siège apostolique, gardien des clefs du Paradis, arbitre souverain des églises d’Europe, d’Afrique et d’Asie, devenu, par la vengeance du tyran, esclave et valet d’écurie. Ainsi passe la gloire du monde.

Maxence, longtemps occupé au dehors par sa lutte contre Constantin, a permis d’abord à Rome une paix précaire et mal assurée. Les chrétiens, sur qui pèse le souvenir des persécutions de Dioclétien, ont laissé vide durant quatre ans le siège pontifical avant d’y placer le saint pape Marcel. Dès son retour, Maxence, par flatterie et par outrage, par les séductions et par le fouet, a tenté en vain d’en faire un renégat et un complice de ses exactions. Il rit maintenant de l’ignominie du pontife à qui il a donné pour sceptre un balai et pour trône le baquet de l’âne.

Conduire avec l’aiguillon les bœufs blancs, liés sous le joug, creuser le sillon avec l’araire, surveiller à l’ombre d’un pin les troupeaux au pâturage, ce sont là besognes trop relevées pour le vieil homme marqué d’infamie. L’intendant effronté devenu son maître se plaît à l’obliger aux corvées les plus humiliantes, à le voir plier sous la charge et la honte ; il guette avec avidité la prière ou la plainte, que l’excès de misère fera sortir de cette bouche vénérable.

Ses compagnons eux-mêmes, le sachant grand, le traitent avec une ironie méprisante, à la table commune où le coquin le plus vil a licence de l’injurier et de cracher dans son écuelle.

 

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... Lorsqu’on apprenait leur qualité de prêtres, on leur faisait, le plus souvent, la vie très dure. Ce n’était pas seulement la SS, mais aussi les détenus... Pendant un certain temps ils bénéficièrent d’un certain nombre d’adoucissements, à la suite, dit-on, de multiples interventions du pape. De hauts dignitaires ecclésiastiques allemands n’ont jamais été envoyés dans les camps par la Gestapo. Lorsque, un jour, le chanoine du chapitre d’Olmutz, qui se trouvait à Buchenwald, fut élu évêque suffragant, la SS le fit libérer immédiatement. Mais les nationaux-socialistes se conduisirent autrement à l’égard des prélats français et belges...

... Le père franciscain fut aussi appelé. Lorsqu’il s’avança, Weissenborn le frappa dans les côtes et lui donna l’ordre d’aller l’attendre devant le bureau des chefs de block, à l’entrée du camp. Au bout d’une heure, Weissenborn arriva en compagnie de deux chefs de block. « Misérable saligaud ! hurla-t-il, charognard puant ! Tu voudrais bien faire du lard pour ta panse de curé dans notre cuisine ? Qu’on lui pende son joujou autour du cou et qu’il prie pendant trois jours sur son calvaire ! » On mit alors un triple chapelet de pommes de terre autour du cou du moine. Cela lui pendait jusqu’aux genoux. Ils placèrent sur ses épaules une pierre longue et pesante, qu’il devait tenir des deux mains. Puis il fut obligé à faire le va-et-vient sur toute la distance qui séparait le block ! de la place d’appel... galoches... boue... empierrements... Il fit cela pendant trois jours, de l’appel du matin à l’appel du soir, sans manger et sans boire. Les SS...

(Eugen KOGON, Le système des camps de concentration,

pp. 40, 83. Éd. la Jeune Parque.)

 

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Marcel a pris en main, en des temps mauvais, le destin de l’Église universelle et il l’a sagement gouvernée. Il a réglé avec justice la vieille querelle des lapsi : ces chrétiens que la violence des tourments a fait un instant fléchir, qui n’ont pas osé confesser leur foi dans la terreur des persécutions, qui, par crainte de la geôle et de la torture, ont offert quelques grains d’encens à la statue de l’empereur, ou même ont participé aux repas sacrés, bu le vin de la libation, mangé la viande offerte aux idoles, et qui, maintenant repentis, demandent avec larmes à réintégrer les rangs des fidèles.

Novat à Carthage s’est prononcé pour la rémission de tous les apostats. Novatien à Rome, au contraire, a refusé tout pardon. Marcel, souverain juge, a tranché le nœud du problème par la sagesse. Il n’a renoncé ni à la discipline ni à la miséricorde. Il a censuré les coupables et les a frappés de pénitences selon la gravité de leurs fautes. Il n’a fermé à aucun ses bras paternels.

Il a divisé la Ville Sainte en vingt-cinq paroisses. Il a mis à leur tête vingt-cinq prêtres choisis, embryon du Sacré Collège, et leur a donné le nom de cardinaux. Et ces prêtres, durant son absence, célèbrent le Saint Sacrifice, et tout un peuple prie pour sa délivrance.

 

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... « Et je me disais qu’il n’y avait plus qu’un seul recours, la prière. »

Sans souci des sévices qu’il pouvait s’attirer – dehors les rondes de pelotons de S. A. continuaient – Mgr Bernhard Lichtenberg ajouta ce jour-là (8 novembre 1938), pour la première fois, à la prière du soir qu’il présidait régulièrement à la cathédrale Sainte-Hedwige de Berlin, cette demande : « Prions pour les chrétiens « non aryens » qui sont persécutés et pour les Juifs. » Puis il poursuivit de sa voix forte et claire : « Ce qui s’est passé hier, nous le savons ; ce que sera demain, nous l’ignorons ; mais ce qui s’est passé aujourd’hui, nous en avons été les témoins : Le Temple d’Israël brûle dehors : c’était pourtant une maison de Dieu... »

Le 27 août 1941, comme chaque soir depuis des années, le prélat pria publiquement pour tous les malheureux et les opprimés, pour les soldats blessés, les morts et les prisonniers de tous les pays, pour la paix, pour l’esprit de paix ; puis, comme d’habitude, il poursuivit : « Prions pour les Juifs, pour les pauvres détenus des camps de concentration, et spécialement pour mes confrères... »

Le 23 octobre 1941, la Gestapo l’arrêta.

« Comme Dieu voudra, dit-il, je me tiens satisfait. »

Reconnu « dangereux pour la sûreté publique », et se reconnaissant « prisonnier dans le Seigneur », il disparut le 5 novembre 1943.

(Alfons ERB, Documents.)

 

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Après neuf mois de ce vil exercice, le saint homme Marcel, trompant la surveillance de ses gardes, a pu s’échapper de sa servitude. Il part vers son troupeau qui l’attend. Hâve et courbé, et grelottant sous ses guenilles, une pieuse femme l’a cependant reconnu. C’est Lucine, celle-là même qui recueillit le corps du martyr saint Sébastien (cf. 20 janvier). En hâte elle le conduit dans sa maison, elle le soigne et le réconforte. Bientôt le bon pape partage le pain de la communion, enseigne et baptise les catéchumènes. Autour de lui les fidèles se rassemblent en secret et le logis qui l’abrite, consacré par l’encens et par les prières, devient une nouvelle église romaine.

Hélas ! Maxence le furieux a découvert les traces du fugitif. Il médite un épouvantable forfait. Sur son ordre des bourreaux esclaves ont forcé la porte du pieux asile, poussant devant eux à grands coups et à grands cris les bœufs, les chevaux et les ânes qu’ils amènent des écuries. Ils ont chassé et maltraité les fidèles ; ils ont posé l’auge à la place du tabernacle et ils obligent par le fouet Marcel à servir à nouveau les bêtes jusque dans le lieu saint.

Marcel est mort dans les tourments et les larmes, Marcel, pape et serviteur des animaux, que les palefreniers prendront un jour pour patron.

 

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 « Vous savez que je m’attendais depuis deux mois à ce qui m’arrive ce matin. Aussi ai-je eu le temps de m’y préparer, mais comme je n’ai pas de religion, je n’ai pas sombré dans la méditation de la mort ; je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau.

« La qualité du terreau, dépendra de celle des feuilles. Je veux parler de la jeunesse française, en qui je mets tout mon espoir.

« Il faut me pardonner de vous faire ce chagrin. Mon seul souci, depuis trois mois, a été votre inquiétude. En ce moment c’est de vous laisser sans votre fils qui vous a causé plus de peines que de joies. Voyez-vous, il est content tout de même de la vie qu’il a vécue qui a été bien belle. »

(Lettre d’adieu de Jacques Decour à

ses parents. Fusillé le 30 mai 1943).

 

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Saint Marcel, qui savez ce que c’est, priez pour nous tous.

 

 

 

Raymond CHRISTOFLOUR,

dans Les saints de tous les jours de janvier,

Le Club du livre chrétien.

 

 

 

 

 

 

 

 

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