ABRÉGÉ
DES OUVRAGES
D’EM. SWEDENBORG,
CONTENANT
La doctrine de la nouvelle JÉRUSALEM-CÉLESTE, précédé d’un discours où l’on examine la vie de l’auteur, le genre de ses écrits, et leur rapport au temps présent.
À STOCKHOLM,
Et se vend
À Strasbourg, chez J. G. TREUTTEL, Libraire.
1788.
DISCOURS
PRÉLIMINAIRE,
OU LETTRE DU RÉDACTEUR
À MR. N***,
Touchant la vie d’EMMAN. SWEDENBORG, ses écrits, et leur rapport au temps présent.
Terram miseriae et tenebrarum, ubi umbra mortis, et nullus ordo, sed sempiternus horror inhabitat.
Job 10 : 22.
COMME vous, monsieur, j’habite cette terre désolée ; mais les maux qui l’affligent n’ont pas ébranlé ma foi, et j’espère que l’inexprimable misère du genre humain ne me rendra jamais ni athée, ni manichéen. Au torrent de la corruption publique je voudrais opposer la religion et les mœurs ; le mal est venu de la terre ; c’est dans les cieux qu’il faut chercher le remède. Depuis que les hommes ont violé l’antique alliance de la politique et de la morale, le bonheur et la vertu se sont éloignés d’eux. En cessant d’aimer Dieu, et leur prochain, ils sont devenus malheureux et méchants. Les mœurs et les sciences corrompues, l’orgueil des rangs, le mépris des lois, l’amour de la guerre, l’égoïsme et l’avarice, voilà nos ennemis ; je puis bien les compter, mais Dieu seul peut les vaincre.
La corruption des mœurs a commencé par ce sexe, aujourd’hui dangereux, que l’auteur de la nature embellit pour nous, et qu’il avait spécialement chargé de notre bonheur. Les liens qu’il nous fait désirer devraient être la source de tout bien ; le mariage est la base de la société ; quand les familles sont vertueuses et paisibles, l’Empire, qui n’est lui-même qu’une grande famille, se maintient dans la prospérité. La vie la plus douce et la plus innocente, est la vie domestique, parce qu’elle nourrit la simplicité, mère des grandes pensées et des bonnes actions ; quand elle est méprisée, détestée, cette vie domestique, les hommes s’élancent dans le monde, comme les bêtes féroces dans l’arène, pour se déchirer ; entre les lois et les arts, dont ils sont si fiers, ces hommes vivent comme des loups, et leurs cités brillantes, leurs tribunaux, leurs théâtres et leurs palais fastueux sont des tanières. Pourquoi ? parce qu’avec l’amour conjugal s’est éteint l’amour paternel, filial, fraternel, principe et aliment de la charité universelle. À ces pieux sentiments on a préféré la débauche, qui dégrade le corps et l’âme, la légèreté mondaine, qui donne à la folie l’autorité de la raison ; on a préféré le luxe, qui rend l’homme cruel et stupide, puisqu’il le porte à mépriser ou à estimer ses semblables d’après leurs vêtements.
Ces maux ne sont pas réparés par les sciences humaines, que j’appelle corrompues, parce qu’elles se sont écartées de leur véritable objet. L’étude de la nature, qui doit ramener à son auteur, en a éloigné nos prétendus sages. Placés entre le ciel et la terre, au lieu d’élever leurs regards, ils les ont abaissés jusqu’au-dessous d’eux-mêmes. C’est uniquement par les sens qu’ils ont jugé le rapport des sens ; rétrécis, bornés à cette science des yeux et des doigts, ils ont pris pour la lumière de leur intelligence le rapport de ces sens grossiers, qu’il fallait déférer à un tribunal supérieur, car la lumière vient du ciel. J’ai reconnu, dit Salomon, que Dieu seul pouvait me rendre sage ; et c’était déjà avoir la sagesse que d’en connaître la source. Sap. 8 : 21.
La religion, proscrite par les savants, et par les libertins, ne pouvait pas être accueillie chez les grands, transgresseurs nés de son premier précepte, le précepte de la charité. Quand les mortels ont voulu être nobles, les mortels ont été superbes et offensants : l’orgueil des rangs produit l’inhumanité, et même la férocité ; aux yeux de tant de nobles, celui qui n’est qu’un homme n’est rien.
De ce mépris pour une partie des humains naquit, il y a longtemps, le mépris de la loi, qui devait les gouverner tous : c’est l’expression de la volonté générale, c’est une émanation de la raison suprême, de la sagesse divine, qui jadis elle-même donna des lois ; mais pour les observer il faut d’avance avoir la justice dans son cœur ; pour faire le bien, il faut l’aimer. Sans les mœurs qu’est-ce que les lois, disait un des plus beaux génies du siècle d’Auguste : les bonnes mœurs en effet dérivent de l’humanité, de l’amour mutuel, seul gardien des lois, qui ne sont qu’un lien de bienveillance.
Ces liens salutaires, que l’orgueil méprise, sont brisés par l’habitude et l’amour de la guerre. Juste ciel ! la guerre entre des créatures aimantes et raisonnables ! la guerre entre les hommes, qui n’ont qu’un moment à passer sur cette terre où leur bonheur présent, comme leur bonheur futur, dépend de leur amour mutuel ! Mais il faut se battre, dit-on dans toute l’Europe. La trompette guerrière publie les démêlés des princes ; le signal du meurtre est donné, et des milliers d’hommes vont se déchirer sans savoir pourquoi, sans avoir rien à perdre ou à gagner par la défaite ou la victoire. Cependant les provinces, inondées par ces torrents destructeurs, perdent leurs habitants, leurs troupeaux et leurs productions. Le glaive, l’artillerie, les vivres, la désertion, la débauche et l’intempérie de l’air, achèvent les ravages ; des armées de cent mille hommes se fondent comme l’eau ; on pourrait les recruter. Il y aurait bien encore un peu de sang à répandre, mais il n’y a plus d’or ; c’est alors que l’on commence à s’entendre, et que l’on traite à l’amiable un différend qui, terminé plutôt, n’aurait pas dévasté la terre et irrité les cieux. Voilà pourtant toute l’histoire des peuples modernes ; voilà ce qui dévore leur propriété et les fruits de leurs travaux ; voilà ce qui empêche les gouvernements de réformer l’administration intérieure et les mœurs publiques. Jadis au moins ce fléau n’était pas permanent ; après les combats on licenciait l’armée ; aujourd’hui la guerre subsiste au sein de la paix ; c’est en vain que le philosophe Genevois a dit : Dans une société bien constituée tout citoyen est soldat par devoir, nul ne l’est par état. On a laissé dire, ou penser, les sages de toutes les nations, et la guerre a continué d’être un métier, comme le commerce et la jurisprudence. Cedant arma togae. Hommes cruels et insensés ! vos associations meurtrières sont funestes aux mœurs, à l’agriculture, à la population, aux arts ; rentrez dans vos murs.... Mais qu’y feraient-ils ? l’intérêt personnel, implacable ennemi du bonheur, les poursuivra dans ces enceintes où l’on ne s’aime plus. Vous savez, Monsieur, jusqu’où l’attachement aux choses de la terre conduit les malheureux mortels ; ils sont arrivés nus, et ils croient partir avec leur or ; ils oublient que la vertu est l’unique richesse, et qu’au dernier jour on élève en vain au ciel des mains souillées du bien d’autrui. Faut-il vous montrer tous les maux produits par l’avarice, et par le souffle empoisonné d’un égoïsme infernal ? Vous dirai-je les ravages de ce monstre, dont je ne sais pas le nom, qui pille d’une main, pour dissiper de l’autre ? Non ; en annonçant aux hommes des consolations et des remèdes, je crains de les attrister, ou de les irriter par des peintures affligeantes. Le mal est assez connu ; j’ai cru seulement devoir vous en indiquer les sources, et vous prouver qu’il est immense, qu’il est au comble. Les choses ne peuvent donc subsister longtemps comme elles sont ; il faut que la face de la terre soit changée ; ce mal, qui nous dévore, étant de ce monde, ne peut être infini ; arrivé à son terme, il sera bientôt anéanti ; et il ne peut l’être que par la charité, par la régénération du cœur humain. Or pour opérer ce grand œuvre, la politique la plus sublime est impuissante ; revenons donc à celui qui seul peut donner quelque force aux moyens humains. Les temps prédestinés par sa sagesse sont-ils arrivés ? Il l’aura fait connaître à quelqu’un de ses élus. Si de nos jours un de nos semblables, se disant l’envoyé de Dieu, a osé parler en son nom, voyons ce qu’il a dit, voyons quel est cet homme.
Des peuples plus anciens que les Israélites avaient un culte presque semblable à celui d’Israël, un culte qui après avoir été divin était devenu idolâtre, puisqu’il est ordonné aux Israélites de renverser les autels de ces nations, de briser leurs statues, d’abattre leurs bois sacrés. Il y avait un culte religieux avant Abraham ; Melchisédech, qui était prêtre et roi, lui donna les décimes ; et en le bénissant il lui offrit le pain et le vin, qui sont les choses les plus saintes du culte et de l’Église. Par plusieurs passages du livre des Nombres, des livres de Josué, et de Samuel, il est prouvé qu’avant la révélation faite aux Israélites par le ministère de Moïse, le Seigneur s’était manifesté à un peuple plus ancien et qu’il l’avait fait dépositaire de sa parole. Avant ce temps encore il avait conduit les hommes du premier âge par sa seule inspiration, qu’ils suivaient fidèlement ; souvent même ils l’entendaient ou ils le voyaient sous une forme humaine ; dans cette Église, vraiment céleste, dont les premiers chapitres de la Genèse sont l’histoire allégorique, la révélation fut immédiate ; mais ces hommes, devenus plus méchants, ou moins bons, cessèrent d’être en commerce direct avec le ciel ; alors le Seigneur les secourut, eux et leurs descendants, par la communication de sa parole, qui purifia la terre pendant longtemps 1. Quand son effet s’affaiblit dans les cœurs, la miséricorde divine soutint encore la nature humaine par la révélation de la vérité, par une seconde parole donnée à Moïse, pour les Israélites. Lorsque l’Église judaïque, touchant à sa fin, menaçait d’entraîner avec elle la perte de toute le genre humain, le Seigneur jugea qu’il ne fallait pas moins que sa présence pour prévenir ce désastre ; et il se manifesta aux hommes, sous leur propre forme, pour couper le mal dans sa racine. Ce mal a repullulé ; malgré le bienfait de la rédemption, et la lumière de l’évangile, l’homme est incrédule et méchant, l’Église du Seigneur est presqu’anéantie ; elle a eu son aurore, son midi, son soir, sa nuit ; elle a passé par l’enfance, l’adolescence, la virilité, la vieillesse ; et elle va finir, comme finissent les hommes et les jours, comme finissent les choses de la terre, où tout est successif, où rien n’est fixe et permanent.
Mais cette Église ne tombera que pour faire place à une autre, plus sainte et plus salutaire ; Dieu, qui lui-même a toujours relevé ses murailles abattues, Dieu, qui ne peut cesser d’aimer les hommes, les aidera dans ces jours d’affliction ; il nous a promis son secours, comme il le promit à nos pères. Ou peut croire que la première parole, citée par Moïse, annonçait la seconde, la parole donnée aux Israélites ; celle-ci annonce la rédemption. Le Deutéronome prédit Jésus-Christ, qui lui-même, dans son Évangile, annonce en termes clairs son second avènement, c’est-à-dire son règne spirituel, ou l’établissement d’une nouvelle Église, qui aura lieu lorsque l’ancienne sera détruite ; car c’est cette destruction qu’il faut entendre par la consommation du siècle, et par l’abomination de la désolation, dont il est parlé au chapitre 24 de Saint Matthieu. Le mal et le faux, la corruption et l’impiété qui règnent sur la terre, sont l’abomination de la désolation, et marquent évidemment les derniers temps de l’Église actuelle. Jésus-Christ, qui viendra établir la nouvelle Église, par la régénération du cœur humain, par la révélation du sens interne de l’Écriture, par l’inspiration de la foi et de la charité, Jésus-Christ ne viendra pas en personne, ni sur les nuées du ciel, ni avec un grand éclat, comme le dit littéralement l’Évangile selon Saint Matthieu. Tous les termes de ce passage sont figuratifs ; et la preuve qu’il faut les entendre spirituellement, et du règne spirituel, c’est leur correspondance, leur parfaite concordance avec ce qui fut ensuite révélé à Saint Jean, dans l’Apocalypse. Ce livre prophétique, après avoir parlé figurément du mal et de l’erreur, annonce un nouveau ciel, une nouvelle terre, et la nouvelle Jérusalem, qui doit descendre des cieux ; toutes ces choses signifient le bon et le vrai, remplaçant le mal et le faux. La nouvelle Jérusalem est la nouvelle Église, composée de tous ceux qui auront la foi et la charité ; le Seigneur l’a révélé ; le Seigneur a ordonné de publier la révélation de l’Apocalypse, qui est la clef de ce grand évènement, et le complément des Saintes Écritures. Inintelligible à tous les commentateurs, qui n’y voyaient que les divisions des églises et des empires, cette prophétie est devenue le gage de la bonté suprême et la consolation des fidèles. Celui à qui le Seigneur l’a dévoilée, non moins favorisé que Moïse, Ézéchiel, Élie, Jean, et Paul, atteste qu’il a vu, pendant de longues années, les merveilles du ciel et de l’enfer ; mille fois il s’est entretenu avec les anges, comme un homme s’entretient avec son ami. Instruit et inspiré par eux, il a composé un grand nombre d’ouvrages admirables ; il nous atteste avoir écrit, sous la dictée du Seigneur même, l’Apocalypse révélée, et tout ce qui a rapport au sens interne, et caché jusqu’aujourd’hui, des Saintes Écritures. Son nom est Emmanuel Swedenborg ; il naquit à Upsal, en Suède, le 29 Janvier 1688, dans une classe distinguée. Son père, de la communion Luthérienne, était Évêque de Skara. Placé dès sa jeunesse dans un tribunal important, le fils s’y distingua par ses connaissances et par son intégrité ; bientôt des écrits solides et nombreux, sur la minéralogie, la physique, les mathématiques, et l’astronomie, le firent connaître au monde savant 2. Ses voyages dans les plus belles contrées de l’Europe lui procurerait de nouveaux hommages et de nouvelles connaissances.
Estimé et chéri pour sa vertu et son savoir, toujours utile et irréprochable, Swedenborg quitta, vers l’an 1740, les choses temporelles, pour ne s’occuper que des spirituelles ; en 1745 il reçut les premières faveurs, et les premiers ordres du ciel : voici comme il raconte lui-même sa vocation 3.
« Je dînais fort tard, dans mon auberge à Londres, et je mangeais avec grand appétit, lorsqu’à la fin de mon repas je m’aperçus qu’une espèce de brouillard se répandait sur mes yeux, et que le plancher de ma chambre était couvert de reptiles hideux. Ils disparurent ; les ténèbres sc dissipèrent, et je vis clairement, au milieu d’une lumière vive, un homme assis dans le coin de la chambre, qui me dit, d’une voix terrible : Ne mange pas tant. À ce mot ma vue s’obscurcit ; ensuite elle s’éclaircit peu-à-peu, et je me trouvai seul. La nuit suivante, le même homme, rayonnant de lumière, se présenta à moi et me dit : Je suis Dieu, le Seigneur créateur et rédempteur ; je t’ai choisi pour expliquer aux hommes le sens intérieur et spirituel des écritures sacrées ; je te dicterai ce que tu dois écrire. Pour cette fois je ne fus point effrayé ; et la lumière, quoique très-vive, ne fit aucune impression douloureuse sur mes yeux. Le Seigneur était vêtu de pourpre, et la vision dura un quart d’heure. Cette nuit même, les yeux de mon homme intérieur furent ouverts, et disposés pour voir dans le ciel, dans le monde des esprits, et dans les enfers, où je trouvai plusieurs personnes de ma connaissance, les unes mortes depuis longtemps, les autres depuis peu 4. »
Depuis cette époque jusqu’à sa mort, arrivée à Londres le 29 mars 1772 (il était âgé de 85 ans) Swedenborg a publié, sur les choses spirituelles, plusieurs ouvrages, tous écrits en latin, et dont voici les titres : De cultu et amore Dei – Arcana caelestia – De ultimo judicio, et Babylonia destructa – De coelo et inferno – De equo albo, de quo in Apocalypsi – De telluribus in mundo nostro solari – De nova Hierosolyma – Deliciae sapientiae de amore conjugali – Sapientia angelica de divino amore, et divina sapientia – Doctrina nova Hierosolimae de Domino – Doctrina vita pro nova Hierosolyma – Continuatio de ultimo judicio, et de mundo spirituali – Sapientia angelica de providentia divina – Apocalypsis revelata – Summaria expositio doctrina nova ecclesia – De commercio animae et corporis – Vera Christiana Religio, seu universa theologia – Doctrina nova Hierosolyma de Scriptura sacra – Summaria expositio sensus interni – Appendix ad veram Religionem – Sapientia angelica de omnipotestate, omniscientia, omnipresentia, eternitate, et immensitate Dei – De miraculis divinis et magicis. Outre ces traités, qui sont tous in-4o, il existe encore beaucoup de manuscrits de Swedenborg, dont on annonce une édition à Londres, en 2 vol. in-4o, et dont il a paru un volume, sous le titre de Clavis hieroglyphica.
Dans tous ces ouvrages, Swedenborg, expliquant la nature, les opérations de l’âme et son union avec le corps, parlant divinement et positivement de Dieu, des anges, du ciel, de l’enfer, Swedenborg, déraillant toutes ces merveilles en témoin oculaire et en homme sensé, ne cherche ses garants que dans les cieux ; il atteste Dieu et les anges de la certitude de sa mission, de la vérité de ses récits ; écoutons-le parler lui-même.
« Dans mes explications de l’Apocalypse, je n’ai rien mis du mien, je n’ai parlé que d’après le Seigneur, qui avait dit, par son ange, à Jean : Tu ne scelleras pas les paroles de cette prophétie, Apocal. 22 : 10, voulant faire entendre que l’éclaircissement de l’Apocalypse aurait lieu dans la suite 5. – La plupart de ceux qui liront mes ouvrages, surtout les descriptions des cieux, croiront que c’est un produit de mon imagination ; mais j’affirme en toute vérité que ces faits se sont passés sous mes yeux, que je n’étais pas alors dans un état de sommeil, mais en pleine veille. Le Seigneur s’est montré à moi et m’a donné ordre et mission pour instruire les hommes sur ce qui concerne sa nouvelle Église, dont Jean a parlé dans l’Apocalypse, sous le nom de la Nouvelle Jérusalem. Le Seigneur a ouvert l’intérieur de mon esprit, et m’a mis dans un état tel que depuis vingt-cinq ans je suis dans le monde spirituel avec les anges et sur la terre avec les hommes. Les apôtres, après la résurrection du Seigneur, Paul, Ézéchiel, Daniel, Zacharie, Élisée, et tant d’autres serviteurs de Dieu, ont vu les choses du monde spirituel, parce que les yeux de leur esprit avaient été ouverts. Est-il étonnant qu’il ait plu au Seigneur de faire encore aujourd’hui la même grâce à un homme pour le mettre en état d’instruire ses semblables au moment du rétablissement de l’Église 6 ? – En décrivant les merveilles des cieux et du dessous des cieux, j’obéis à l’ordre que le Seigneur m’a donné de le faire 7. – Le Seigneur m’a rendu témoin du jugement dernier, exercé dans le monde des esprits, en 1757 ; et j’en rends témoignage certain aux hommes, pour les instruire sur le véritable sens intérieur caché de l’Écriture sainte 8. – J’ai vu les cieux et les anges ; l’homme spirituel voit l’homme spirituel beaucoup mieux que l’homme terrestre ne voit son semblable 9. – Le 19 juin 1770, le Seigneur envoya ses apôtres prêcher, dans tout le monde spirituel, l’Évangile et le règne éternel de Jésus-Christ 10. – On est maître de ne pas me croire ; je ne puis mettre les autres dans l’état où Dieu m’a mis, pour se convaincre par leurs yeux et leurs oreilles de la vérité des faits que j’ai avancés ; il ne dépend pas de moi de les faire converser avec les anges, ni d’opérer des miracles pour disposer leur entendement ; mais lorsqu’on lit avec réflexion mes écrits, pleins de choses ignorées jusqu’à présent, on peut conclure que je n’ai pu en avoir connaissance que par des apparitions réelles, et par plusieurs conversations avec les anges. Je reconnais que Dieu ne m’a pas fait cette grâce uniquement pour moi, mais parce qu’il l’a jugée nécessaire au bonheur et à l’instruction de tous les chrétiens 11. – J’ai reçu du Seigneur l’ordre de publier mes écrits ; et ne pensez pas que sans cet ordre précis je me fusse avisé de publier des choses que je soupçonnais bien qu’on tiendrait pour mensonges, et qui me donneraient un ridicule dans l’esprit de bien des gens. Quand je les assurerai que j’ai reçu cet ordre, ils ne m’en croiront pas ; alors il me restera la satisfaction d’avoir obéi à mon Dieu ; et je leur répondrai, avec Paul aux Corinthiens : Nos stulti propter Chritum ; si insammus, Deo insanimus 12. – Le Seigneur s’est manifesté à moi ; il m’a donné mission et ordre de révéler ce que j’écris ; il a ouvert les yeux de mon esprit, et ainsi m’a introduit dans le monde spirituel, où j’ai vu les cieux et les enfers. J’ai parlé aux anges et aux esprits, comme un homme parle à un homme, et cela pendant plus de vingt-huit ans ; je l’atteste, dit et l’affirme en vérité 13.
Swedenborg vous dit ensuite, et partout, dans tous ses ouvrages : Voici ce que le Seigneur m’a révélé à ce sujet, voici ce que les anges m’ont dit là-dessus.... J’ai assisté dans les cieux à une conférence tenue dans le temple de la sagesse, dans une école ; j’y ai vu débattre telles et telles opinions, j’y ai vu statuer telle et telle chose. J’ai vu dans le monde spirituel Pythagore, Socrate, Luther, Calvin, Xénophon, Sixte-quint, Louis XIV, Newton, Wolf Hans Loane, etc., ils m’ont dit telle chose... Transporté aux cieux j’y ai vu, dans un bosquet, dans un temple, dans un palais de telle forme, tel évènement, telle fête, telle action. Voilà les expressions de Swedenborg, voilà les formules ordinaires de ses assertions et de ses récits. Dans une de ses lettres, citée en tête du traité intitulé Summaria expositio sensus interni, Swedenborg dit : Un jour que je relisais cet écrit, les anges du ciel, qui étaient présents, se réjouirent avec moi de l’intention où j’étais de le publier, pour le bien commun de la nouvelle Église de notre Seigneur Jésus-Christ. Enfin il termine les chapitres de tous ses traités par une vision céleste (sous le titre de memorabilia) confirmative des dogmes qu’il vient d’établir ; et dans cette vision il raconte, avec autant de détail que d’assurance, ce qu’il a vu et entendu dans les cieux, en présence du Seigneur, et dans la société des anges ; nous avons traduit en entier, et nous joindrons à notre analyse, plusieurs de ces visions.
Est-il croyable qu’un Homme vertueux, qui longtemps éclaira de ses lumières le monde savant, ait osé, pendant vingt-huit ans, et sans être inspiré, tenir un pareil langage, contre le témoignage de sa conscience, au mépris du Dieu qu’il avait toujours servi, de la vérité qu’il avait toujours aimée, et des hommes dont il fut toujours honoré ? Non, cela n’est ni concevable, ni possible ; la droite raison proscrit un pareil sentiment ; ce n’est pas à croire Swedenborg qu’il y a de la folie, c’est à ne le croire pas. Le déiste et l’athée le traitent d’imposteur ; mais nul ne fait le mal pour le mal ; pour s’y déterminer il faut un intérêt ; et quel intérêt Swedenborg avait-il à tromper le monde ? Il mit en pratique les vertus qu’il enseigna ; ayant volontairement quitté le chemin de la fortune, il vécut dans la médiocrité et dans la solitude, pour être tout entier aux choses spirituelles. On attaqua souvent ses écrits, jamais ses mœurs ; il édifia le monde, il l’instruisit, sans rien demander aux puissances qui le gouvernent ; on ne peut donc l’accuser de fourberie, ni lui supposer aucun motif humain. – Il a voulu, dira-t-on, se distinguer, se faire un nom ; – Swedenborg vécut caché. Quand il avait achevé un de ses traités, il s’embarquait pour l’aller faire imprimer à Amsterdam, ou à Londres ; il laissait à la Providence le soin de le faire réussir, et il n’en parlait point à son retour à Stockholm. Ses premières révélations l’ayant engagé dans quelques conférences avec des ecclésiastiques qui rejetèrent ses opinions, il se tut ; et depuis cette époque il ne chercha jamais à faire, indistinctement, des prosélytes ; il ne s’ouvrit jamais qu’avec réserve, à très-peu de personnes, et quand il voyait en elles de la sagesse et de la bonne foi. Il doit donc être jugé favorablement, selon la règle que Dieu lui-même nous a donnée pour distinguer, dans les prophètes, la vérité de l’erreur. Celui qui parle de soi-même cherche sa propre gloire ; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé est vrai, et il n’y à point d’injustice en lui. Jean 7 : 18.
Il en est qui ne doutent point que Swedenborg n’ait eu des révélations célestes ; mais ils ne pensent pas qu’elles aient été continuelles, ni que tous ses écrits soient inspirés. – La croyance sans restriction, l’adhésion absolue à tout Swedenborg est pourtant une base unique sur laquelle on peut raisonnablement s’appuyer ; cette croyance est celle de plusieurs sociétés qui suivent et propagent sa doctrine, avec beaucoup de zèle, de lumières et de prudence. Ces fidèles disciples de Swedenborg conviennent qu’on trouve dans ses écrits des difficultés, des obscurités ; mais ils croient que leur maître n’a pu dans nos langues terrestres exprimer toutes les idées spirituelles dont il était pénétré, que nous ne saisissons pas le vrai sens de toutes ses expressions, enfin que ces obscurités, ou difficultés, qui sont rares, ne subsisteront pas toujours. – Quelques-uns distinguent encore dans Swedenborg ce que le Seigneur lui a dicté, et ce que les anges lui ont dit. Ses premiers écrits pouvant être dans cette dernière classe, c’est-à-dire plus angéliques que divins, ses premiers écrits seraient, sous ce rapport, moins infaillibles que les seconds, qui viennent de Dieu, si ceux-ci ne confirmaient les autres ; mais tous les deux (s’il faut les distinguer) sont parfaitement d’accord ; ainsi, indépendamment de la confiance due aux instructions des anges célestes, les disciples de Swedenborg ont dans leur croyance de grands motifs de sécurité ; leur persuasion soumise vaut mieux qu’un choix, un triage d’opinions, qui dans le fond n’est pas possible. Pouvez-vous admettre une partie de Swedenborg et rejeter l’autre ? Qui vous dira ce qu’il faut élaguer, ce qu’il faut conserver ? De votre aveu, Swedenborg a été souvent inspiré ; pourquoi ne l’aurait-il pas toujours été ? Il vous atteste qu’en effet telle a été envers lui la bonté de Dieu que dans tous ses écrits il n’a rien mis du sien. Puisque ces écrits et la conduite de l’auteur ne vous donnent aucun motif de suspicion, vous ferez bien de vous en rapporter à son témoignage plutôt qu’au vôtre, car il vous dit ce qu’il sait, et vous affirmez contre lui ce que vous ne savez pas. – Mais un très grand motif de suspicion contre Swedenborg, c’est, me direz-vous, le merveilleux dont il est plein. – Quand un homme vertueux, sensé, docte, vient à vous pour vous persuader, le merveilleux de ses discours n’est pas précisément un titre pour les rejeter d’abord ; il faut examiner l’homme, ce qu’il dit, et le ton dont il le dit : poursuivons cet examen.
Celui de l’homme est déjà fait ; il est prouvé que la vie entière de Swedenborg fut consacrée à la vertu et à la science ; il fut aimé, estimé des hommes ; il les aima, les servit, et ne leur demanda rien ; toutes ses œuvres rendent témoignage à ses écrits, attestent la sainteté de ses discours, et la pureté de ses motifs ; en lui le naturel se joint (nous l’avons fait voir) au surnaturel, pour offrir tous les caractères de vérité que l’Écriture Sainte exige, et qu’elle nous conseille de chercher dans ceux qui se disent prophètes. Voyons donc les écrits.
Qu’est-ce que dit cet homme qui se qualifie d’envoyé de Dieu ? Sa doctrine est-elle mystique, oisive, contemplative ? Non ; c’est la charité active, la morale de l’Évangile ; n’ayant pour base et pour objet que Dieu fait homme, que le Seigneur créateur et rédempteur, Swedenborg prêche aux hommes l’amour de Dieu et du prochain. Croyez, dit-il, et faites le bien ; faites le bien, et vous croirez ; la volonté rectifiée éclaire l’entendement, la charité mène à la foi, l’amour inspire la sagesse, le bon produit le vrai. Swedenborg prêche le respect pour les lois divines et humaines, il explique nos facultés et l’action de Dieu sur elles ; il dévoile le sens interne et caché des Saintes Écritures ; sur la nature de Dieu et de l’âme humaine, sur la création et sur la correspondance entre le ciel et la terre ; il dit des choses merveilleuses et ignorées jusqu’à ce jour ; il enseigne, dans toute la pureté évangélique, la religion de la nouvelle Église de Jésus-Christ, fondée sur le sens interne spirituel de sa parole, et désignée dans les livres sacrés par la Nouvelle Jérusalem. Enfin Swedenborg décrit, dans le plus grand détail, les cieux, les enfers, et tout ce qui s’y passe.
Ces descriptions ont été, pour plusieurs, un sujet de scandale ; ils ont pris pour des fictions les temples, les palais de marbre, brillants d’or et de pierreries, les villes superbes, les jardins enchantés : mais ces descriptions se trouvent également dans la parole du Seigneur ; elles sont dans l’Apocalypse, dans les visions d’Ézéchiel, de Daniel, et de Zacharie. Les mêmes détracteurs ne peuvent croire, comme Swedenborg l’affirme, qu’on trouve dans les cieux tout ce qui est sur la terre, qu’on y voie des anges de forme humaine, des anges qui sont hommes comme nous, qui marchent, boivent, mangent, et dorment, comme nous faisons sur la terre ; ils ne peuvent croire qu’il y ait dans le monde spirituel, comme dans le monde naturel, des montagnes, des plaines, des fleuves, des forêts, des villes, des palais, des maisons, des jardins, des vignes, des moissons, des fruits, des animaux, des meubles, des vêtement, des affaires, des travaux, des emplois, des écritures, des livres, de l’or, de l’argent, des pierreries, des métaux 14. Cependant cela est simple et aisé à croire ; tous ces objets sont dans notre monde ; pourquoi ne seraient-ils pas dans l’autre ? Il y a des siècles qu’on l’a dit, ce monde-ci n’est qu’une image, l’image d’un autre monde, où les mêmes objets existent, mais beaucoup plus parfaits ; car sur la terre ils sont d’une substance terrestre, matérielle ; et dans les cieux ils sont d’une substance céleste, spirituelle, et toujours relatifs à l’état intérieur des anges et des esprits ; ainsi dans les descriptions merveilleuses de Swedenborg, tout est encore ordinaire, et naturel ; ce sont les choses que nous voyons ; seulement elles sont embellies ; un écrivain doué d’un génie rare, un homme tel que Swedenborg eût-il été embarrassé de controuver des choses plus merveilleuses, plus extraordinaires ? Il ne l’a pas fait parce qu’il n’a pas inventé, et ce n’est pas ainsi qu’on invente. Ceux qui ne tiennent pour inspirée qu’une partie de ses écrits, ceux qui disent que Swedenborg, inspiré quelquefois, a cru l’être toujours, et qu’il a continué d’écrire, mêlant ses pensées à ses révélations, ceux-là nous paraissent dans l’erreur, par cette même raison que ce n’est pas ainsi qu’on invente. Si Swedenborg n’avait fait qu’entasser dogmes sur dogmes, raisonnements sur raisonnements, l’objection contre sa véracité serait plus spécieuse ; mais il appuie ses assertions dogmatiques sur des révélations, lesquelles sont des faits, et des faits qu’un homme sensé ne peut inventer, parce qu’un homme sensé n’invente pas, c’est le propre d’un fou. Mais Swedenborg n’est pas un fou. Pour vous en convaincre, lisez une page, ou toutes les pages de ses traités ; vous y trouverez toujours l’amour du bien, la raison, la science, et le ton qui leur convient. Eh ! quel extravagant pourrait dans ses délires imaginer et peindre tant d’objets qui n’ont de commun avec les nôtres que l’extérieur ; des objets dont la richesse, l’élégance, et la beauté, sont la moindre partie ; des objets dont la disposition, la forme, la couleur, ont des significations spirituelles, et sublimes ? Quel romancier, quel homme aurait pu imaginer ce monde spirituel où tout ce qui environne les habitants est à la fois allégorique et réel ; ce monde où toutes choses, correspondantes à l’intérieur, sont créées et embellies par cet intérieur ; ce monde où la plus grande sagesse produit la plus grande beauté, où des milliers d’objets ravissants, dans tous les genres, sont les récompenses et les effets de l’amour de Dieu, qui est le bonheur céleste ?
Quel que soit ce merveilleux, vous ne pouvez pas, Monsieur, affirmer qu’il est impossible ; lorsqu’un homme de bien et de sens vous dit, et qu’il l’a vu, et qu’il remplit, en vous le racontant, sa mission divine, vous devez l’écouter sans préjugé, et, sinon avec une soumission aveugle, au moins avec confiance. C’est après de longues années, passées dans l’exercice de toutes les vertus, que Swedenborg a été mis en état de vous instruire. Pouvez-vous en un jour comprendre, admettre, ou rejeter ses instructions ? Quoiqu’elles soient accompagnées de beaucoup de merveilleux, Swedenborg en vous le présentant, Swedenborg ne vous engageant à pratiquer que ce qu’il pratique lui-même depuis cinquante ans, vous apporte toutes les lettres de créance qu’il peut vous apporter ; il fait tout ce qu’il lui est ordonné, tout ce qui lui est possible. Celui qui dit qu’un homme sensé ne peut croire à des révélations surnaturelles affirme qu’un homme sensé ne peut croire en Dieu ; car ce Dieu, tout puissant qu’il est, ne peut choisir, pour parler aux hommes, que des moyens humains. Supposons (vous admettrez bien l’hypothèse) que voulant rétablir le règne de la charité et de la foi, le Seigneur ait choisi Swedenborg pour prêcher son second avènement, et la nouvelle Église, qui doit changer la face de la terre ; dans ce cas, l’envoyé, et, j’ose le dire, celui qui l’envoie, ne pouvaient faire que ce qu’ils ont fait. Le Seigneur parla à Moïse, comme un homme parle à son ami ; il a fait la même grâce à Swedenborg, parce qu’il avait encore des vues sur le genre humain ; et depuis ces temps anciens où Dieu se communiquait fréquemment à ses créatures, quel homme, se disant inspiré, réunit, plus que Swedenborg, dans sa personne et dans ses écrits, les probabilités, les vraisemblances, les autorités, et toutes les raisons possibles d’être cru ?
À ces traits, vous, Monsieur, qui avez le cœur pur et l’esprit droit, vous reconnaîtrez aisément dans Swedenborg un véritable voyant, le prophète de ce siècle, l’envoyé de Dieu ; et pour croire en lui vous n’exigerez pas un miracle ; à la première ouverture des livres dont je vous adresse l’analyse, vous n’exigerez pas que l’auteur de la nature en interrompe le cours pour vous prouver que Swedenborg est son envoyé ; un miracle, pour engager à croire, est un moyen coactif qui détruirait la liberté ; cette liberté de l’homme est le plus bel ouvrage et le plus grand bienfait de Dieu, puisque sans elle il n’y aurait pour nous ni vertu, ni récompense ; aussi l’apôtre Suédois affirme que la révolution annoncée par lui et commencée en lui par le miracle de sa vocation et de ses révélations ne s’opérera point par des miracles. Il y en aura sans doute pour quelques justes, mais en petit nombre ; et nous pouvons croire que ce ne sera pas là le grand moyen que Dieu emploiera. Pour engager les hommes à me croire, dit Swedenborg, le Seigneur ne les mettra pas dans l’état où il m’a mis ; mais il touchera le cœur, il éclairera l’esprit des bons ; ceux-là verront que je ne les trompe pas, et que je n’ai pu, sans être inspiré, écrire ce que j’ai écrit 15.
Ainsi, Monsieur, si vous voulez encore en ce point suivre la doctrine de Swedenborg, vous parviendrez par elle à connaître si elle est inspirée ; Jésus-Christ, dont il est le disciple, avait dit avant lui qu’on s’éclairait par ses œuvres. Ma doctrine, dit ce divin rédempteur, n’est pas mienne, elle est de celui qui m’a envoyé ; si quelqu’un veut faire sa volonté, il connaîtra de la doctrine, savoir si elle est de Dieu, ou si je parle de moi-même. Jean 7 : 16, 17. Celui qui fait la vérité vient en la lumière, Idem 3 : 21. Rappelez-vous encore, en lisant l’Évangile, la parabole du semeur, qui vous apprendra que pour recueillir il ne suffit pas de semer, qu’il faut qu’auparavant la terre soit préparée. Le bon produit le vrai, dit Swedenborg : et Pascal était pénétré de cette grande vérité quand il a dit que dans les monuments historiques de rétablissement du christianisme il y avait assez de preuves pour convaincre les esprits sages, et assez de difficultés pour scandaliser les téméraires. Que Dieu exige le sacrifice du cœur et de l’esprit comme le seul qui soit digne de lui, c’est ce qu’il nous a prouvé par la dispensation de ses grâces sur la terre, par les circonstances et les personnes qu’il choisit, durant sa vie mortelle, pour opérer des prodiges ; il dit aux Pharisiens qui lui demandaient un miracle pour croire en lui : Une génération méchante et adultère demande des prodiges, et il ne lui en sera point accordé. Matth. 12 : 39. Le mauvais riche priait Abraham d’envoyer à ses cinq frères un d’entre les morts pour les engager à la pénitence ; ils ont, lui répondit Abraham, Moïse et les prophètes ; qu’ils les écoutent ; s’ils ne les croient pas, ils ne croiraient pas un mort ressuscité. Luc 16 : 29, 31. Le Sauveur fit pourtant des miracles très-éclatants et en grand nombre ; mais ce fut seulement pour ceux qui avaient commencé par croire en lui. Seigneur, lui disait le lépreux, si vous voulez, vous pouvez me guérir. – Je le veux, répondit Jésus-Christ en le touchant, soyez guéri. Matth. 8 : 2, 3. Fils de David, ayez pitié de nous, disaient les deux aveugles. – Croyez-vous, leur dit Jésus-Christ, que je le puisse ? – Oui, Seigneur, répondirent-ils, nous le croyons ; Jésus-Christ les toucha, et il ouvrit leurs yeux, en leur disant : Qu’il vous soit fait selon votre foi. Matth. 9 : 27 ad 30... Jaïre l’implorait pour sa fille, quand on vint lui annoncer qu’elle était morte ; Ne craignez pas, lui dit le Sauveur, croyez seulement. Marc 5 : 36.
Examinons enfin le style, le raisonnement de Swedenborg. Son style fut noble et brillant quand il écrivit sur les sciences humaines ; livré tout entier aux choses spirituelles, il s’éleva jusqu’à son sujet, et dans sa diction il approcha de la sublime simplicité de l’Écriture. Vous ne trouverez jamais en lui l’orgueil d’un écrivain plein de lui-même ; Swedenborg est un secrétaire qui écrit ce que lui dicte son maître. Vous admirerez la modestie, le calme de sa diction, cet éloignement de tout enthousiasme, dans des matières si propres à exalter l’imagination, et qui n’ont pas exalté la science, parce qu’il n’a pas écrit d’après elle : de là vient le saisissement, la joie intérieure qu’on éprouve souvent en le lisant, et qui annonce la plénitude de la vérité, l’évidence de la lumière céleste.
La marche de Swedenborg est, comme son style, uniforme et méthodique ; ses raisonnements sont clairs et solides ; on ne peut assez vanter cette merveilleuse simplicité de raisonnement avec laquelle il dénoue les plus grandes difficultés sur les opérations de l’âme, sur son union avec le corps, sur les parties correspondantes des deux hommes, l’homme intérieur et l’homme extérieur, qui sur la terre n’en font qu’un, enfin sur tous ces grands sujets qui ont fait balbutier, déraisonner, ou blasphémer, les philosophes de tous les temps. J’ai dit les parties correspondantes des deux hommes, car ce terme exprime une idée spirituelle dans Swedenborg, qui s’éloigne du matérialisme, et le confond, en matérialisant, pour ainsi dire, les choses spirituelles, en spiritualisant les matérielles. Parlant de l’esprit, il ne parle pas d’une idée, d’un souffle, d’un être de raison, de rien, mais d’une substance réelle, qu’il vous démontre. Ses explications sont palpables ; et voilà pourquoi elles sont sublimes. Le grand caractère de Swedenborg est d’être à la fois intellectuel et sensible. Souvent il éclaircit encore ses documents par une comparaison naturelle et frappante, par un exemple pris dans ce que nous voyons et faisons tous les jours ; ce trait simple, placé à la suite d’un raisonnement solide, produit en vous une conviction intime qui a quelque chose de la réminiscence ; il vous semble retrouver votre opinion ; ou bien vous croyez que si vous aviez plutôt appliqué votre pensée à ces grands objets, vous les auriez conçus et expliqués comme Swedenborg. C’est encore avec la même simplicité lumineuse que ce maître bienfaisant vous fait concevoir et adopter ses principes, en vous rappelant certaines locutions qui vous sont communes, ainsi qu’à tous les hommes, et qui expriment une idée sublime, influée du ciel, mais oubliée et perdue dans ce monde dépravé qui a retenu, sans les comprendre, des termes traditionnels auxquels un grand sens était jadis attaché ; car il y a un grand nombre de vérités répandues et inconnues sur la terre. En les développant, Swedenborg nous rappelle les connaissances de nos pères. Faut-il s’étonner du nombre de ses disciples, qui s’accroît tous les jours, et dans la classe la plus instruite ? Plus on a étudié, plus on a de science et de goût, plus on est pénétré, attaché en lisant Swedenborg, plus on le trouve au-dessus de l’humain ; il ne reçut pourtant pas de la nature un plus beau génie que Bacon, Jean Jacques Rousseau, Buffon, Leibnitz, ou Fénelon, et il est plus instructif, plus sublime, et plus attachant qu’eux, parce qu’il a puisé dans une autre source. Le philosophe Genevois dit que la plus grande preuve de la divinité de l’Évangile, une preuve plus forte que celle qui résulte des témoignages historiques, des miracles et de la confession des martyrs, c’est l’Évangile même, c’est ce grand caractère qui charme, qui subjugue l’esprit, et qui ne laisse voir, dans ce code, rien d’humain. Que tous les livres des philosophes, s’écrie-t-il, sont petits à côté de celui-là ! Nous croyons qu’établissant la comparaison d’homme à homme, on peut dire que tous les livres des philosophes sont petits à côté des livres de Swedenborg 16 !
Nous pourrions encore, pour concilier à l’apôtre Suédois un plus grand nombre de suffrages, vanter la concordance de tous ses principes, l’unité de sa doctrine, si étendue. En effet, cet homme étonnant a publié, sur les vérités spirituelles, 25 volumes in-4o, dont plusieurs, imprimés en assez petit caractère, ont quatre et cinq cents pages ; et on annonce 20 autres volumes du même format. D’abord il n’est point naturel qu’un homme qui pendant trente ans s’est livré à l’étude et à la composition sur les matières les plus abstraites de la physique, écrive encore tant, et si bien, depuis l’âge où la force de l’esprit et du corps diminue jusqu’à celui où elle s’éteint, depuis cinquante ans jusqu’à quatre-vingt-cinq. Swedenborg, qui a opéré ce prodige (car c’en est un) a donc reçu pour cela des secours surnaturels. Ce qui le prouve encore, c’est que dans ses traités, si volumineux, la critique ne trouverait pas une contradiction réelle, une omission essentielle. Les premiers sont rappelés dans ceux qui les suivent, avec toutes leurs autorités et leurs citations ; l’exactitude, la méthode, et la présence d’esprit, se trouvent toujours au même degré dans Swedenborg. Le dernier de ses traités, Vera christiana Religio, qui contient toute sa doctrine, et qui annonce toute la vigueur de l’esprit, et de l’âge, il l’a fait à quatre-vingt-trois ans 17.
Plusieurs de ses dogmes ont excité, parmi les fidèles de l’Église catholique romaine, des réclamations qui pourraient vous scandaliser, si elles parvenaient jusqu’à vous, Monsieur, et je vais tâcher d’y répondre. Swedenborg, dit-on, était luthérien, et il prêche la réforme du XVIe siècle : sa Nouvelle Jérusalem s’est déjà déclarée pour les principes des réformateurs, sa Nouvelle Église est l’Église réformée. – Il est très-vrai qu’au No 8 du traité intitulé De nova Hierosolyma, Swedenborg dit : Parmi les papistes, ou romains, l’Église chrétienne ne subsiste point ; car là où est l’Église, là aussi le Seigneur est adoré, et on y lit parole : il en est autrement parmi eux, puisqu’ils se font adorer en place du Seigneur, et qu’ils interdisent au peuple la lecture de sa parole, rendant les décrets du Pape égaux à cette parole, les plaçant même souvent au-dessus d’elle. Au chapitre de l’Écriture Sainte, dans la Vera christiana Religio, il dit : Ce fut par une faveur de la Providence divine que la réforme rendit, dans le XVIe siècle, la parole au peuple. Dans le traité intitulé Apocalypsis revelata, il s’élève, d’après le sens spirituel de l’Écriture, contre les pasteurs qui se sont nourris eux-mêmes au lieu de nourrir le troupeau ; contre les prêtres qui par des adorations, des établissements lucratifs, des rémissions, des pratiques utiles à leur puissance, et étrangères à l’Évangile, ont mérité d’être, appelés par le Seigneur les marchands de la terre. Il affirme (Apocalypsis revelata 753 ad 926) que les chapitres 18, 19, 20 et 21 de l’Apocalypse désignent l’Église romaine et la condamnent ; il dit que tel est le sens interne-spirituel de ce livre prophétique, que le Seigneur lui-même lui a révélé et ordonné de publier ; il loue donc ce que la réforme a de bon, et elle en a beaucoup. Mais malgré ces assertions positives, Swedenborg n’est point l’apôtre de sa secte, il est aisé de s’en convaincre. Dans tous les temps, les écrivains de l’Église réformée se sont montrés gens de parti, écrivains passionnés, intolérants comme leurs adversaires. Swedenborg, né dans cette communion, en a tellement écarté les préjugés qu’il s’adresse, indistinctement, à tous les chrétiens ; et son impartialité entre eux, sa modération est telle, qu’il assure que dans toutes les religions on peut être sauvé si l’on vit bien et si l’on est de bonne foi dans sa croyance. Swedenborg n’est pas l’apôtre de sa secte, puisque la moitié (ou peu s’en faut) de son grand ouvrage (Apocalypsis revelata) est employée à réfuter les dogmes de la justification par la foi seule, de la prédestination, de la contrition suffisante pour la pénitence, et de quelques autres encore, enseignés dans les Églises réformées. Il les appelle des erreurs funestes, il les condamne, et atteste les avoir vu condamner dans le monde spirituel. Swedenborg n’est pas l’apôtre de sa secte, puisqu’au No 108 du traité intitulé Summaria expositio doctrinœ novae ecclesiæ, il dit que les catholiques romains seront introduits dans la nouvelle Jérusalem avant les réformés, 1° à cause du dogme, enraciné chez les réformés, de la foi suffisante, avec les mérites de Jésus-Christ, pour être sauvé ; 2o parce que les catholiques romains ont une très-grande idée de la majesté divine de l’humanité du Seigneur, comme ils le prouvent par leur extrême respect pour les hosties ; 3o parce qu’ils enseignent que la charité, les bonnes œuvres, la pénitence, et le changement de vie, sont nécessaires au salut.
Joignant de nouvelles objections à celles qui m’ont été déjà faites, vous alléguez, Monsieur, contre la mission de Swedenborg, la crainte d’un changement, toujours dangereux quand il a pour objet la religion. – Cette crainte frivole vient de ce que vous matérialisez la nouvelle Jérusalem, ce que plusieurs font comme vous, ce dont il faut bien vous garder. Swedenborg n’est point de ces prophètes de malheur qui vous affirment qu’en tel lieu, tel jour, à telle heure, il y aura un tremblement de terre ; qui annoncent la peste, la famine, et d’autres fléaux ; l’apôtre Suédois ne dit point s’il y aura ou s’il n’y aura pas sur la terre des révolutions physiques et politiques. Loin de prédire de l’extraordinaire, il dit que les choses iront leur train dans le monde, mais que les esprits seront éclairés par les vérités de la foi pure, que les cœurs seront échauffés de l’amour de Dieu, de l’amour du prochain, qui sont les fondements de la nouvelle Église, laquelle anéantira toutes les autres, comme le soleil anéantit les ténèbres. – Mais pourquoi cette seconde rédemption, me direz-vous ? Quels fruits en peut-on attendre ? Et pourquoi la première n’a-t-elle pas fait pour les chrétiens tout ce que celle-ci leur promet ? – Vous n’avez pas droit d’interroger le Seigneur, et il ne m’a pas chargé de vous répondre ; mais je crois que l’examen de ses œuvres et l’emploi de votre raison suffisent pour vous tranquilliser sur cette difficulté. Songez, Monsieur, que dans les desseins de ce Dieu infiniment sage tout est gradué et successif, qu’il a toujours accordé une grâce à un temps, et une autre grâce à un autre temps ; persuadez-vous que la doctrine, qu’on appelle de Swedenborg, est la doctrine de l’Écriture ; c’est la révélation du sens interne, qui peut-être fut connu des Apôtres, et de quelques-uns de leurs successeurs. Mais les premiers chrétiens devaient s’attacher au sens littéral, parce qu’ils étaient simples et soumis ; fidèles à l’Église, et sanctifiés par l’observation des préceptes de l’Évangile, ils remplissaient ainsi leur vocation et les vues du Seigneur. Aujourd’hui ce divin Rédempteur applique aux grands maux les grands remèdes ; pour retirer les hommes de la corruption et de l’aveuglement, il les éclaire d’une lumière plus vive ; aux maux engendrés sur la terre par le libertinage de l’esprit et des sens, par l’avarice et l’orgueil, un Dieu infiniment bon oppose la connaissance positive de l’autre vie et du bonheur céleste, il oppose la révélation du sens interne-spirituel de l’Écriture, de la vérité divine. Vous m’alléguez qu’à la venue de Jésus-Christ les grands remèdes qu’il offre aujourd’hui étaient fort nécessaires, puisqu’alors les hommes étaient très-malheureux, et très-méchants. – Ils l’étaient moins qu’ils ne le sont de nos jours ; cela est prouvé par cette ancienne date de leur malheur et de leur méchanceté ; le mal qui ne se guérit pas augmente, telle est sa nature ; et puisqu’il existait au commencement du christianisme, aujourd’hui il est, nécessairement, plus grave et plus général. Toutefois l’Évangile, pris dans le sens littéral, que Swedenborg reconnaît et enseigne, comme il enseigne et reconnaît le sens interne-spirituel, l’Évangile fit, lors de sa publication, beaucoup de bien aux hommes, on n’en peut douter ; et il en a toujours fait, plus ou moins, depuis cette époque. Il est vrai que dans la suite des siècles ce bien s’affaiblit prodigieusement, par l’orgueil ambitieux, par l’aveuglement et la perversité des chefs de l’Église, qui firent adopter aux premiers chrétiens leurs propres opinions, annoncées comme venant de Dieu. La religion, qui seule pouvait arrêter la corruption de l’homme, se corrompit elle-même quand l’homme commença à y mettre du sien ; et que n’y a-t-il pas mis ? Examinez la base de cette colonne surchargée et défigurée ; lisez l’Évangile, les actes, les épîtres des apôtres, les écrits des premiers pères, et vous saurez ce qu’était l’Église primitive. Si vous me demandez pourquoi Dieu permit qu’elle dégénérât, pourquoi, le précepte évangélique subsistant toujours dans toute sa pureté, cette parole divine ne fut pas plus puissante pour le bonheur spirituel et temporel des chrétiens, je vous répondrai qu’ils étaient libres alors, comme nous le sommes aujourd’hui, comme les hommes le seront encore dans la nouvelle Jérusalem, dans la nouvelle Église du Seigneur, qui ne peut pas vouloir forcer les cœurs et les esprits. Songez à ce don précieux que nous tenons de la bonté suprême, le libre arbitre ; il explique tout. Descendez en vous-même, car vous êtes un monde, l’homme fut nommé par les anciens le petit monde ; rappelez-vous ce que vous avez fait, ce que vous pouviez faire ; et par l’examen de vos années et de vos actions, vous expliquerez celles du genre humain.
Je ne terminerai point cette lettre sans vous avertir des dangers auxquels les amis de la vérité sont aujourd’hui exposés ; vous le savez, Monsieur ; il nous a été prédit que lors de l’accomplissement des Saintes Écritures beaucoup de gens feraient des œuvres surnaturelles et qu’il fallait, à cette époque, se défier des faux prophètes, des faux christs, qui séduiront, est-il dit, les justes mêmes. La vérité des assertions de Swedenborg sur le second avènement se confirme encore par l’état actuel des choses. En effet il y a aujourd’hui plusieurs personnes, de tout pays, de toute condition, qui voient réellement le spirituel et, la plus grande partie, par le moyen du sommeil magnétique. Swedenborg l’avait prédit ; dans son traité de la sagesse angélique, publié en 1763, il avait dit, No 257 : L’homme peut être élevé à la lumière céleste, même en ce monde, si ses sens corporels se trouvent ensevelis dans un sommeil léthargique, parce que dans cet état l’influence céleste peut agir, sans obstacle, sur l’homme intérieur. Le sommeil magnétique, nommé somnambulisme, confirmant cette assertion (qui sans cela aurait peut-être été regardée comme une rêverie), a procuré des visions spirituelles ; et l’on a cru trouver dans le rapport de quelques somnambules, ou, pour mieux dire, de quelques somniloques, des objections contre Swedenborg et contre sa doctrine. Il est possible d’y répondre ; le somnambulisme, effet prodigieux et incontestable du magnétisme animal, est le détachement des sens corporels, c’est un état spirituel où l’homme voit par les yeux de l’esprit, où, étant uniquement affecté par le sens de l’homme intérieur, il peut communiquer avec les esprits. Cet état, cette découverte, qui aide à guérir les maux du corps, peut guérir aussi les maux de l’âme ; le somnambulisme est utile au monde, en ce qu’il lui prouve qu’il existe un autre ordre que l’ordre naturel, et que dans l’homme il y a autre chose que le corps ; mais il ne faut pas, sans réserve et sans guide, y chercher d’autres effets. Si un somniloque, au nom du ciel, qu’il croit avoir vu, et d’après les anges, qu’il croit avoir entendus, vous parle contre la doctrine de Swedenborg, vous ne devez pas le croire, pour plusieurs raisons que voici. 1o Si l’on ne veut pas être victime de la fourberie ou de l’erreur, il ne faut pas opposer visions à visions : le précepte nous en a été donné par Dieu même, ainsi que les moyens de discerner, en ce genre, le vrai d’avec le faux ; nous avons rapporté ces moyens, qui prouvent en faveur de Swedenborg. Il est donc en possession de son état d’envoyé, et vous ne devez pas l’y troubler par des titres équivoques. Si quelque personne, favorisée du ciel comme lui, vous communique ses visions spirituelles, elle doit s’accorder avec lui, si elle veut être crue : l’unité d’une doctrine en est la base nécessaire, c’est le signe caractéristique de la vérité. 2o Ces somniloques peuvent être, au moins par intervalles, dans le degré naturel, et incapables, par conséquent, d’avoir des visions spirituelles. Quand ils vous affirment constamment qu’ils voient autre chose que leur intérieur, ils peuvent s’abuser eux-mêmes, ou vouloir vous abuser. 3o Les esprits qui parlent quelquefois chez les somniloques sont des habitants du monde des esprits ; quoique dépouillés de l’enveloppe terrestre, ce sont des hommes comme nous, ayant les mêmes désirs, les mêmes sentiments qu’ils avaient ici-bas, et que plusieurs d’entre nous ont : il faut donc les éprouver, suivant le conseil de Saint Jean, ép. 4 : 1 : Ne croyez point à tout esprit, mais éprouvez les esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu. Or, on ne peut les éprouver que par leurs rapports, et ces rapports sont tous contradictoires ; les différentes sociétés magnétiques de l’Europe ont, par le moyen de leurs somniloques, recueilli des idées, des connaissances diamétralement opposées ; cette contradiction n’est-elle pas un vrai signe de réprobation ? N’est-ce pas ici le cas de se rappeler la parole du Seigneur qui nous dit que pour égarer les hommes disposés à croire, Satan doit, au temps où nous sommes, se transformer en ange de lumière et multiplier les visions ? 4o On a cru aux rapports des somniloques contre Swedenborg, parce qu’on ne connaissait pas sa doctrine ; il nous dit, dans son traité De caelo et inferno, 346 ad 257, qu’il est aujourd’hui fort dangereux de converser avec les esprits ; que leurs ruses et leurs moyens pour tromper les hommes sont innombrables, que toute leur occupation, toute leur félicité est de séduire et d’égarer l’homme avec lequel ils s’identifient. C’est faute de connaître le monde des esprits, si bien décrit par Swedenborg, qu’on a cru que tout ce qui en venait était vrai et bon. Mais les habitants de ce monde, placés entre le ciel et l’enfer, dans un état de purification, d’attente et d’incertitude, ont le caractère, les passions, les préjugés qu’ils avaient sur la terre ; et il est aussi nécessaire d’examiner leurs rapports d’après les principes de la parole de Dieu et de la raison qu’il est nécessaire d’examiner ici-bas les hommes avant de les croire. Quel avantage n’a pas sur ces rapports la doctrine de Swedenborg, toujours d’accord avec elle-même, avec la raison, avec l’Écriture ? Il n’a pas besoin de confirmations surnaturelles ; il n’a pas besoin, pour être cru, de l’autorité d’un prodige, quoiqu’il soit notoire qu’il en a fait 18. Il peut se passer de cette autorité, parce que ne s’appuyant que sur la parole, dont il dévoile le sens interne et la lumière, les miracles faits lors de la publication de cette parole divine prouvent pour lui. 5o Swedenborg dit que le caractère ou le moyen le plus souvent employé par les esprits, c’est la souplesse, la flatterie ; et cela est prouvé par les rapports des somniloques, qui parlent ordinairement d’après leur croyance, d’après les principes de ceux qui les magnétisent, ou de ceux qui sont présents, et toujours en les louant beaucoup. Voilà pourquoi les catholiques ont vu des prodiges dans des objets analogues au culte romain ; voilà pourquoi les protestants ont vu le contraire. 6o Par ce moyen surnaturel de la communication avec les esprits, il est fort difficile de connaître la vérité ; elle ne peut venir que des bons esprits, inspirés par Dieu. Or, pour communiquer avec les bons esprits il faut être saintement disposé, il faut être exempt, non seulement de crime, mais même d’erreur. Si nous repoussons l’influence, Dieu lui-même ne peut pas nous aider ni se manifester, selon l’ordre établi par sa providence, et par ce qu’il est cet ordre même. Ceci se confirme par deux passages, concordants des évangiles où il est dit que Jésus-Christ ne put faire de miracles à Nazareth à cause de l’incrédulité des assistants ; Matth. 13 : 58. Marc 6 : 5, 6.
Il est donc permis de croire qu’à l’approche du second avènement, qui doit établir la nouvelle Église du Seigneur, les mauvais esprits s’efforcent d’éloigner cette grande révolution et de décréditer celui qui l’annonce. Vous n’en conclurez pas, Monsieur, que tous les rapports des somniloques doivent être rejetés ; la vérité se trouve, sans doute, dans quelques-uns ; je ne vous dirai pas précisément quels sont les bons ; mais je crois que la règle donnée pour les juger et pour les choisir est bonne 19.
Hâtez-vous, Monsieur, de vous procurer les ouvrages de Swedenborg ; et en les lisant, consultez votre entendement, dégagé de sens et des préjugés scientifiques ou libertins ; examinez Swedenborg à la lumière intérieure, en l’opposant à tous les philosophes ; et vous verrez en lui un homme nouveau, vous verrez plus qu’un homme, et vous aurez la conviction de l’âme, la sécurité, la certitude qu’il est véritablement, et qu’il est impossible qu’il ne soit pas au-dessus de la nature et du mensonge. Les vérités qu’il annonce sont des vérités de convenance et de nécessité ; il faut que cela soit vrai ; et vous en verrez la preuve dans la propagation de cette doctrine céleste. Vous vous rappellerez ce que Gamaliel, fameux docteur de la loi, dit aux Juifs qui, dans les premiers jours de l’Église chrétienne, voulaient mettre à mort les apôtres : Il y a quelque temps qu’un certain Théodas se dit le Messie, et entraîna la multitude ; il fut tué, et sa mort dispersa tous ses disciples. Après lui un certain Judas, galiléen, eut la même ambition, et la même fin. Laissez donc aller les disciples de Jésus ; si leur doctrine est humaine, elle tombera d’elle-même ; si elle est de Dieu, vous résisterez à Dieu en tâchant de l’anéantir, et vous ne l’anéantirez pas. Actes 5 : 36 ad 39. Ainsi la doctrine de la nouvelle Jérusalem se répandra ; le second avènement sera publié, et l’on y croira : déjà cette doctrine est chérie, et même publiquement prêchée, par des ecclésiastiques, dans les Indes occidentales ; des voyageurs anglais, et non suspects, qui rendent ce témoignage à leur croyance, attestent qu’elle est également reçue dans les Indes orientales, où les Brahmes eux-mêmes l’ont accueillie 20. Swedenborg n’est, peut-être, que le précurseur de ce grand évènement ; peut-être que d’autres justes, puissants en œuvres et en paroles, élèveront sensiblement, et consolideront par des prodiges la maison du Seigneur ; quels que soient ses desseins, il a pris pitié des mortels qui, dégoûtés de l’affreux et insensé matérialisme, se livrent aujourd’hui plus volontiers aux idées spirituelles. Une certaine fermentation, quoiqu’encore mal sentie et mal dirigée, semble aussi pousser les peuples vers des changements heureux. L’orgueil, qui trop longtemps égara leurs maîtres, fait place à une juste crainte du mal, que suit le partage de l’autorité, signe certain d’humanité et de bienveillance. Enfin il est permis de croire que l’esprit et le cœur humain vont se purifier par la foi et par la charité, fruits précieux de la nouvelle Église, qui réunira la politique et la morale, trop longtemps séparées.
Vous trouverez, Monsieur, à chaque chapitre, une note qui indique les sources où j’ai puisé. D’autres notes, en petit nombre, sont relatives au texte, ainsi que certains passages de l’Écriture, qui le confirment, et que, pour cette raison, j’ai cru devoir citer. Dans le reste de l’ouvrage, c’est toujours Swedenborg qui parle. La rareté, la cherté de ses écrits volumineux et tous latins, m’a engagé à rédiger cet extrait, dans lequel il n’y a rien du mien, et qui peut encore, si le Seigneur bénit mon travail, faire connaître au monde de grandes et importantes vérités, Ut aedificentur muri Jerusalem (PS. 50 : 20), je n’ai point eu d’autre objet 21.
Je suis, etc.
ABRÉGÉ
DES OUVRAGES
D’EM. SWEDENBORG.
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DE DIEU 22.
IL n’y a qu’un Dieu, qui est incréé, infini, et qui seul peut dire ce qu’il a dit : Je suis celui qui est.
Dieu est homme ; les anges ne le voient que sous la forme humaine ; les hommes sur la terre le représentent ; aussi dit-il, faisons l’homme à notre image. L’idée de Dieu homme, adoptée par les anciens, et par le simple peuple de tous les temps, est influée du ciel ; c’est l’orgueil et l’amour propre qui ont fait penser autrement. Il n’y a même que le Seigneur qui soit homme, proprement dit ; et entre ceux qu’il a créés, ceux-là seuls sont hommes qui reçoivent sa divine émanation.
Dieu est la vie, parce que Dieu est amour ; lui seul est la vie : la vie est une, et deux êtres ne peuvent l’avoir en propre ; autrement ce seraient deux Dieux. La vie de l’homme est dérivative, et il n’a en propre que la mort.
En Dieu, être et exister sont la même chose ; l’amour est son être, la sagesse est son existence ; Dieu est donc amour et sagesse. L’amour divin et la sagesse divine sont substance et forme ; dans le ciel, l’amour divin et la sagesse divine se manifestent dans un soleil spirituel, qui n’est pas Dieu, mais le premier procédant de Dieu ; la chaleur de ce soleil est l’amour ; la lumière est la sagesse 23. Ce soleil paraît éloigné des anges, et placé à une hauteur moyenne, comme le soleil de notre monde.
DE LA CRÉATION 24.
L’AMOUR divin et la sagesse divine qui en est la forme ne peuvent être et exister seuls, car le propre de l’amour n’est pas de s’aimer soi-même. Il fallait à Dieu, qui est amour, un objet, c’est-à-dire, des créatures qu’il aimât : il a donc créé l’univers, de son amour, par sa sagesse 25 ; il l’a créé immédiatement par le soleil spirituel ; et de là, par le soleil naturel, celui-ci étant l’instrument de l’autre. Le spirituel est vivant, le naturel est mort ; il faut donc que l’un procède de l’autre, que l’un soit créé et l’autre incréé. Par ses atmosphères spirituelles, qui sont les réceptacles du feu divin et de la lumière divine, et qui ont trois degrés, le divin de l’amour, le divin de la sagesse, et le divin de l’usage ; par ses atmosphères, le soleil spirituel produit les objets spirituels qui sont dans les cieux, et qui ont l’apparence des nôtres. L’extrémité de ces atmosphères spirituelles a produit notre soleil naturel, lequel a aussi ses atmosphères, qui ont produit, par trois degrés, les substances matérielles. Ces atmosphères ou agents décroissant en activité et en expansion, leur dernier terme forme des masses dont les parties sont rapprochées par la compression, des substances lourdes, fixes et en repos, que nous voyons sur la terre et que nous appelons matière.
La progression qui se trouve dans les degrés de l’amour divin et de la sagesse divine est aussi dans leurs effets, qui sont les créatures. Tout corps va progressivement du premier au dernier : ainsi dans le corps humain les fibres deviennent tendons, ensuite cartilages, enfin os, où elles se terminent et se reposent, pour se maintenir. L’état, ou la manière d’être des corps, passe de même, par degrés, de la lumière dans l’ombre et de la chaleur au froid.
Tout ce qui est créé a de l’aptitude à recevoir l’amour divin et la sagesse divine, et en est le réceptacle. Toutes les substances présentent l’image de l’infini ; l’image de l’homme est aussi dans toutes ; elles ont toutes été formées pour l’usage, afin que par l’usage l’homme arrive au Seigneur, son principe.
Les matières, quoique venant de Dieu, n’ont rien de divin ; mais elles ont, de la substance du soleil spirituel, par continuation, ce qu’elle avait de divin, c’est-à-dire la vie, ou la force qui tend à la reproduction. Elle y tend par les usages ; les usages passent aux formes, par une succession continuelle d’effets provenus d’autres effets qui descendent d’une première cause, et qui y remontent pour redescendre et reproduire encore. Les usages de la création sont donc dans les formes ; et ces formes ou productions offrent une image de la création divine. Ces formes sont de trois sortes, celles du règne minéral, celles du règne végétal, et celles du règne animal. 1o Les premières formes du règne minéral sont les matières subtiles et ténues de la terre. Les secondes formes consistent dans l’assemblage ou composé de ces parties. Les troisièmes sont la poudre qui résulte de la destruction des végétaux et des animaux, ainsi que des corpuscules qu’ils exhalent pendant leur vie et après leur mort. Dans ces formes on voit trois degrés, qui représentent la création, en ce que le soleil, médiatement par la chaleur et par la lumière qu’il répand dans l’atmosphère, produit les masses connues sous le nom de minéraux, et donne à chacun la forme qui le distingue, ce qui fut l’objet de la création à leur égard. La même progression s’observe dans les végétaux par la semence, laquelle, en se développant, pousse une tige qui produit des fruits. Les formes du règne animal sont produites comme dans le végétal. La semence est le principe, dans la matrice ou dans l’œuf, qui fait l’office de la terre. La semence parvenue à l’état de fœtus est la racine ; l’animal sorti du sein de la mère ou éclos de l’œuf est, jusqu’au temps de la prolification, comme le progrès de la pousse du végétal, jusqu’à ce qu’il porte des fruits. La même progression est dans les formes organiques de l’homme : son cerveau est parsemé de petites masses desquelles dérivent des fibres, qui, par la substance médullaire, s’étendent et se prolongent jusqu’aux extrémités, d’où elles retournent à leur principe par les vaisseaux sanguins. Ce n’est pas la chaleur, la lumière et l’atmosphère naturelles (parce qu’elles sont mortes), mais bien celles du monde spirituel qui opèrent les effets vivifiants et reproductifs des trois règnes. Mais ces effets montrent l’uniformité et la simplicité des lois établies par le Créateur pour la formation, la conservation et la propagation des êtres de ce monde. Cette création naturelle est une pure correspondance, une image, un symbole de la création spirituelle, qui est la vraie : celle-là nous est offerte pour nous rappeler celle-ci. Voyez les trois règnes de la nature, où il y a des milliards de causes dans un effet, quoiqu’il paraisse simple ; des milliards de forces agissent dans chaque action, quoiqu’il n’en paraisse qu’une ; tout cela pour nous représenter l’infini de l’amour et de la sagesse de Dieu, pour nous prouver que les objets qu’il a créés sont les innombrables formes de ses affections et de ses perceptions 26, pour nous faire croire que l’univers présente une image de l’homme, que l’homme est fait à la ressemblance de Dieu, et que Dieu lui-même est homme.
Celui qui a dit Je suis celui qui est ne peut connaître la succession des temps ; ses vertus et ses œuvres, tout ce qui existe et peut exister dans l’ordre divin, est toujours en sa présence, et l’on ne peut avoir une idée de la création de l’univers qu’en faisant abstraction de l’espace et du temps. Si vous la faites, vous concevrez que le plus grand et le plus petit de l’espace ne diffèrent pas ; et l’idée que vous vous formerez de la création de l’univers sera semblable à celle que vous aurez de la création de chaque être en particulier.
La variété des êtres créés vient de ce que Dieu-homme est infini et que dans lui sont une infinité de choses. L’indéfini se trouve dans le soleil spirituel, premier procédant de Lui ; de sorte que ces choses, en nombre indéfini, existent dans l’univers créé comme dans une image : c’est pourquoi on ne peut trouver dans le monde deux êtres absolument semblables. Il en résulte un soleil naturel, océan de feu, représentant le soleil spirituel qui l’a produit ; il en résulte cette variété d’êtres matériels dans ce monde et d’êtres spirituels dans le monde spirituel. Cette variété s’observe non-seulement dans chacun d’eux, mais munie dans les différents composés qui résultent de leur assemblage.
On ne peut pas dire que l’univers ait été créé dans des espaces distincts, ni dans des temps qui se sont succédé ; l’Écriture le dit, relativement à nous, et pour accommoder la lettre à nos perceptions terrestres. Il faut dire que la création a été faite par l’Éternel, et par l’infini, non de toute éternité, considérée comme éternité de temps, laquelle est inconcevable sans commencement, puisque le temps est dans l’éternité, puisque l’éternité c’est Dieu, qui seul n’a point eu de commencement, et qui a créé ce que nous appelons le temps ; il faut croire aussi que le monde a été créé, non par l’infini dans l’espace, mais par l’infini sans espace, car il n’y a pas d’autre infini. Alors on aura une juste idée de la création, et on sera éloigné de l’opinion insensée qui fait la nature ou la matière éternelle ; on concevra que Dieu existe non par lui-même, ce qui lui donnerait un principe, mais en lui-même.
Vision 27.
Un matin que je méditais à mon réveil, je vis, par ma fenêtre, un éclair qui fut suivi d’un coup de tonnerre ; et une voix céleste me dit que près de moi on disputait sur Dieu et sur la nature. Des satans se disaient entre eux : Que ne pouvons-nous converser avec les anges ! nous leur démontrerions que ce qu’ils appellent Dieu n’est autre chose que la nature ; Dieu n’est qu’un mot, si par ce mot on n’entend pas la nature.
Ces satans l’ayant vivement désiré, on les fit monter de la fange et des ténèbres de l’enfer, dans le monde des esprits, qui tient le milieu entre le ciel et l’enfer. Deux anges descendirent du ciel pour soutenir cette dispute et j’y fus présent. Que vous êtes simples, leur dit un des esprits infernaux, avec votre croyance en Dieu ! Qu’est-ce, votre Dieu, que nul n’a vu ni compris ? Il n’y a que la populace qui puisse admettre ce qu’elle ne comprend pas ; la nature est tout. Avec l’œil peut-on voir, avec les narines peut-on sentir, avec la langue et le palais peut-on goûter, avec l’oreille peut-on entendre, avec les mains et tout le corps peut-on toucher autre chose que la nature ? Nous vivons, nous respirons la nature ; nos têtes et les vôtres sont dans la nature, et toutes nos pensées, par conséquent. – Vous raisonnez ainsi, répondirent les anges, parce que vous êtes purement sensuels, et que l’habitude du mal et de l’erreur, qui vous tient enfoncés dans la matière, a fermé en vous les degrés supérieurs de l’homme spirituel, qui pouvaient s’ouvrir à la lumière céleste. Apprenez qu’il y a un Dieu créateur ; il réside dans le soleil spirituel, qui est le premier procédant de lui : la chaleur de ce soleil est l’amour divin, sa lumière est la chaleur divine. Il y a deux mondes, qui correspondent ensemble : le monde spirituel, où sont les anges et les esprits, le monde naturel, où sont les hommes. Le soleil spirituel, qui donne la vie, et qui, par sa chaleur et par sa lumière, correspond à la volonté et à l’entendement de l’homme, ce soleil a fait naître le soleil de la nature, océan de feu et de lumière, qui anime et reproduit les choses terrestres, et qui pourtant n’est en soi que matière morte, puisqu’il reçoit sa force du soleil spirituel. L’homme extérieur, ou naturel, a un corps, réceptacle de vie, un corps uni à la vie, à l’esprit, par le moyen du cœur et du poumon ; du cœur, auquel correspond la volonté ou l’amour, ou la chaleur spirituelle ; du poumon, auquel correspond l’entendement, ou la sagesse, ou la lumière spirituelle, qui vient, de même que la chaleur spirituelle, du soleil céleste, lequel est de Dieu. Tous les objets des trois règnes de la nature sont ainsi produits par le moyen du soleil naturel, qui lui-même dérive du soleil spirituel, le premier procédant de Dieu. Les objets du monde spirituel sont substantiels et spirituels ; les objets du monde naturel, images des autres, sont matériels et naturels ; votre nature, qui est morte, et créée elle-même, ne peut donc être créatrice, ni tenir la place de Dieu.
Je vis ensuite un autre satan (on nomme ainsi dans les enfers ceux qui se sont confirmés dans le faux, ceux dont le faux est toute la foi) ; il était venu des enfers dans le monde des esprits, avec une prostituée, du nombre de celles qui varient leurs charmes et leurs parures, qui tantôt se montrent comme des reines, tantôt comme des Vénus, tantôt comme des Muses, changements qui s’opèrent en elles par leurs idées sensuelles, séparées de toute pensée intérieure. Je lui demandai si c’était là son épouse ; il me répondit : Qu’est-ce qu’une épouse ? Je l’ignore, et ma société aussi ; c’est ma maîtresse ; voyez la couronne de laurier qu’elle a placée sur ma tête ; car mon état est d’être savant. – Dans votre société, lui dis-je, que pense-t-on de Dieu ? – Qu’il n’y en a point d’autre que la nature ; et vous la voyez au printemps créer les animaux, comme les végétaux. Je crois uniquement ce que je vois, ce que je touche, dit-il en embrassant la prostituée. – Quelle religion professez-vous ? – Aucune : toutes les religions sont des fables inventées pour tromper et pour enchaîner le peuple. – Quelle idée avez-vous du ciel ? – Que c’est le firmament, l’Éther élevé sur nos têtes. Les anges sont les taches du soleil ou des comètes ou des souffles errants, ou ce que vous voudrez. – Qu’est-ce que les enfers ? – Des lieux souterrains, des marais pleins de grenouilles, de reptiles hideux, dont l’imagination a fait des diables. – Que pensez-vous de l’autre vie ? Qu’est-ce que l’homme après sa mort ? – Rien, ou quelque spectre, quelque fantôme, que l’on croit voir sortir des tombeaux.
C’est ainsi que me répondit cet homme-esprit, habitant des enfers ; il ne savait pas qu’il vivait après sa mort après avoir vécu sur la terre 28. Il avait oublié tout ce qu’il avait entendu dans le monde des esprits ; je voulus le lui rappeler, lui parler de Dieu, des anges, du ciel : il s’enfuit en éclatant de rire, en me traitant de fou.
Alors un ange s’approcha de moi et me dit : Vos méditations et vos discours sur la création vous ont fait applaudir et recevoir dans notre société ; venez, je vais vous montrer le type figuratif de la création, vous apprendre comment Dieu a créé les animaux et les végétaux de toute espèce. L’ange me conduisit dans une plaine verdoyante et vaste, où je vis des oiseaux parés des plus belles couleurs, les uns volant dans les airs, les autres posés sur des branches d’arbres, ou becquetant des feuilles de roses. Dans le nombre, je reconnus des colombes et des cygnes. Tous disparurent ; et près de moi je vis des troupeaux de brebis, d’agneaux, de béliers, de chèvres, de bœufs, de veaux, de chameaux, de mulets, et de cerfs. Bientôt, ne les apercevant plus, je me tournai du côté de l’Orient, et je vis, dans un jardin, des arbres fruitiers, des oranges, des citrons, des olives, des raisins, des figues, des grenades, et des arbustes chargés de toutes sortes de menus fruits. Regardant ensuite du côté du Midi, je vis des moissons de toute espèce de grains, comme du froment, du millet, de l’orge, des fèves, et autour de ces moissons, des parterres couverts des plus belles roses. Du côté du Septentrion, je vis des bois pleins de châtaigniers, de palmiers, de tilleuls, de platanes, et autres arbres à larges feuilles.
Tous les objets que vous avez vus, me dit mon guide, sont autant de correspondances des affections de l’amour des anges qui sont près de vous ; et il me fit connaître l’affection à laquelle chaque chose correspondait, m’assurant que tout ce qui frappait leurs yeux, comme les maisons, les ustensiles, les tables, les aliments, les vêtements, les métaux, les pierreries, que tout enfin était correspondance pour les anges, et servait à leur faire connaître l’état intérieur de chacun. Dans ce type, ajouta-t-il, vous pouvez voir la création de l’univers. Dieu est amour et sagesse ; les affections de cet amour, les perceptions de cette sagesse, sont infinies ; et tous les objets créés sur la terre sont les correspondances de ces affections et de ces perceptions. Dieu n’est pas étendu, mais il est partout dans l’étendue ; il est dans l’univers, depuis le premier degré jusqu’au dernier. Des correspondances, semblables à celles de votre monde naturel, existent aussi dans le monde spirituel pour les anges qui reçoivent de Dieu l’amour et la sagesse, avec cette différence que les correspondances du monde spirituel sont créées à l’instant, selon l’intérieur des anges, et que dans le monde naturel elles ont été créées au commencement, de manière qu’elles puissent se renouveler par la génération et la reproduction, pour que la création se perpétue. Dans notre monde, elle est momentanée, et dans le vôtre, elle est durable, au moyen de la génération, parce que les terres et les atmosphères de notre monde sont spirituelles, et les terres et les atmosphères du vôtre sont naturelles. Or le naturel a été créé pour couvrir le spirituel, comme la peau couvre les corps, l’écorce, les arbres, les mères et méninges, le cerveau, et les tuniques, les nerfs : de là vient que les objets de votre monde sont constants et reviennent chaque année. Dans les enfers, on voit les objets opposés, qui sont les correspondances des affections du mal et des perceptions du faux. Ces objets correspondants à l’intérieur des esprits infernaux sont les oiseaux de nuit, les bêtes féroces, les reptiles, les insectes nuisibles, les plantes vénéneuses, les monceaux de pierre, les marais, les déserts ; tous ces maux physiques n’ont point été créés dans l’enfer, ni dans le monde naturel ; ils ont commencé sur la terre avec l’enfer, lequel a commencé par l’aversion et par l’oubli de Dieu parmi les hommes qui, pour cela, sont devenus des démons après leur mort..... Comme nous nous entretenions des enfers, le bruit et l’odeur qui en provenaient commençaient à nous infester, et l’ange me quitta après m’avoir enjoint de publier sur la terre ce que j’avais vu et entendu dans le monde spirituel. Sans la connaissance de ce monde, ajouta-t-il, on ne peut savoir ni même soupçonner que la création y soit continuelle, comme elle le fut dans le monde naturel quand il fut créé par le Seigneur.
DE L’HOMME, PENDANT SA VIE 29.
DIEU étant l’amour et la sagesse, qui font la chaleur et la lumière du soleil spirituel, emploie et combine, par ces deux moyens, des substances déjà créées, pour en faire des réceptacles ou des vases propres à recevoir cette chaleur et cette lumière spirituelles, qui sont la vie de l’homme. Ainsi, le père d’un enfant ne lui donne pas la vie ; mais le fœtus, conçu de lui, reçoit les premiers et purs éléments de la substance corporelle, dont il résulte, par la conception, une forme capable de recevoir la vie 30. L’essence de Dieu étant l’amour, il s’ensuit que l’amour est la vie de l’homme, et que la sagesse est le mode de cet amour, l’existence de l’homme. L’amour, ou l’âme, ou la vie, est l’esprit, ou l’homme intérieur, composé de deux facultés, la volonté et l’entendement, lesquelles, divisées seulement par la pensée, ne font réellement qu’un ; car l’amour, qui appartient à la volonté, et la sagesse, qui appartient à l’entendement, sont substance et forme, et ne font qu’un. La vie de l’homme, c’est son amour ; tel est son amour, telle est sa vie.
Le corps est une enveloppe ajoutée, car le spirituel tend à se revêtir du naturel comme d’un habit ; le corps, qui n’est qu’obéissance, constitue l’homme extérieur, l’homme naturel, ou sensuel. Le sensuel, ou le naturel, est l’ultimum, l’extrémité, le dernier degré de l’esprit, inhérent au corps. La vie corporelle de l’homme existe par la correspondance de la volonté avec le cœur et de l’entendement avec le poumon : en effet, la pensée, qui est de l’entendement, meut les organes de la parole, appartenant au poumon 31. L’affection, qui est de la volonté, détermine les actions par le mouvement du cœur, auquel correspondent les nerfs, tout le sang et toutes les parties du corps humain. L’homme extérieur, ou le corps, est le moyen par lequel l’âme sent et agit sensiblement dans ce monde-ci. Il y a donc deux hommes, le spirituel et le naturel, ou l’intérieur et l’extérieur ; les deux, ou l’âme et le corps, sont unis par la correspondante de la volonté avec le cœur, et de l’entendement avec le poumon.
L’homme intérieur, ou spirituel, est homme comme l’homme extérieur et naturel, excepté que sa substance est spirituelle au lieu d’être matérielle. Mais il a, comme l’homme extérieur, un cœur, un poumon, du sang, des fibres, et enfin toutes les parties du corps humain.
L’homme a été créé de manière à être, par son intérieur, dans le monde spirituel, et par son extérieur, dans le monde naturel.
La chaleur et la lumière spirituelles influent de Dieu dans l’âme de l’homme, par l’âme dans l’esprit, et de là dans les sens corporels, les paroles et les actions : la réception de cette influence est conforme à l’état de l’amour et de la sagesse dans l’homme, et elle se fait, cette influence, par degrés. Il y a trois degrés dans le spirituel et trois dans le naturel ; ces degrés sont de deux sortes : les degrés de hauteur, ou séparés, les degrés de largeur, ou continus. Les degrés de hauteur, ou séparés, sont comme les générations et les compositions d’une chose par une autre, par exemple d’un nerf par les fibres, et d’une fibre par les fibrilles, ou d’une pierre par les parties, et d’une partie par les particules. Les degrés de largeur, ou continus, sont comme les accroissements et décroissements du plus grossier au plus subtil, du plus dense au plus rare, comme de la lumière à l’ombre, de la chaleur au froid. Toutes les choses du monde spirituel et naturel sont dans ces deux espèces de degrés. Il y a dans l’esprit de l’homme trois degrés, le céleste, le spirituel, et le naturel, ou l’amour, la sagesse, et l’usage qu’on en fait, ou la volonté, l’entendement, et l’acte. Dans l’homme naturel, ou sensuel, ou extérieur, il y a aussi trois degrés, les sciences, la raison, et la mémoire extérieure. Chaque degré, considéré en soi, est continu, homogène et simultané ; mais entre eux ils ne passent point par nuances, et ils descendent du plus haut au plus bas, ils se touchent sans se confondre, et se succèdent sans se pénétrer. Les trois degrés de l’esprit humain communiquent entre eux par correspondance, ils s’ouvrent par l’influence céleste, du premier au dernier ; c’est-à-dire que quand l’homme fait le bien, le dernier degré, continu au corps, ouvre le second ; celui-ci ouvre le troisième, qui reçoit l’influence du Seigneur. Ces trois degrés, qui sont la fin, la cause, et l’effet, sont pleinement contenus dans le dernier, car l’amour, qui est la fin, et la sagesse, qui est la cause, se trouvent dans l’usage, ou acte, qui est l’effet.
L’homme en naissant entre dans le degré naturel, qu’il parcourt, et qui s’étend en lui par les instructions. Ce premier degré ne lui ouvre pas le second, mais il l’y dispose, par les connaissances, avec lesquelles germe l’amour des usages, c’est-à-dire l’amour du prochain, la connaissance de nos besoins mutuels, le désir d’être utile, le plaisir qu’on y trouve. Ce degré spirituel, croissant par les connaissances du bon et du vrai, mène à l’amour céleste de l’usage, à l’acte par amour de Dieu, qui ouvre le troisième degré.
L’esprit naturel étant le contenant des deux degrés supérieurs de l’âme humaine, il réagit contre eux si ces degrés ne sont pas ouverts. L’homme extérieur résiste à l’homme intérieur ; la chair combat contre l’esprit, dit St Paul, et l’esprit contre la chair.
Par le degré naturel, en qui sont les sciences, la raison, et la mémoire extérieure, l’homme naturel ou sensuel peut élever son entendement jusqu’à la lumière céleste, connaître et discuter parfaitement les choses spirituelles ; mais il ne peut élever sa volonté ou son amour jusqu’à Dieu qu’autant qu’il pratique ce que l’entendement lui enseigne, parce que les deux degrés supérieurs de l’âme humaine sont contenus dans le troisième, qui est l’usage, l’acte.
L’homme n’est pas homme parce qu’il a un corps humain et une face ; il est homme parce qu’il a un entendement et une volonté qui peuvent s’occuper de Dieu. L’homme dans l’ordre est spirituel ; le corps, les sens, le monde ne sont pour lui que des moyens de revenir à son amour. Son œil spirituel voit par l’œil corporel comme par un tube, ainsi des autres gens. Son action est son amour agissant, car on fait ce qu’on aime ; sa parole est l’expression de sa sagesse, fille et forme de l’amour ; sa parole est l’effet de sa pensée, qui vient de l’amour, car on pense à ce qu’on aime.
L’amour influe de Dieu dans l’homme qui le reçoit et le croit de lui, ce que Dieu permet afin que l’influence affecte l’homme et demeure en lui ; il la croit naturellement de lui (comme il croit que les sensations de la vue, de l’ouïe, du goût, du tact et de l’odorat viennent de lui, quoiqu’elles viennent de l’extérieur. Voilà l’homme intérieur spirituel, qui est vraiment dans le ciel et en commerce avec les esprits célestes, même durant sa vie terrestre, laquelle n’est point proprement une vie, car le vrai homme commence à vivre, comme l’a dit toute l’antiquité, à sa mort 32.
L’homme, étant double, a deux pensées, la pensée supérieure et la pensée inférieure ; il a aussi deux actions, deux paroles, deux amours. Nous avons dit ce qu’était l’amour et la pensée de l’homme intérieur spirituel ; voyons ce que c’est dans l’homme extérieur naturel.
Le naturel, produit par le spirituel, peut lui résister, s’en séparer, et cela par le libre arbitre ; le spirituel reçoit l’influence de Dieu ; le naturel est entraîné par la corruption héréditaire, transmise en nos corps par les corps de nos pères ; le spirituel est dans l’amour de Dieu et des choses célestes ; le naturel est dans l’amour de soi et des choses terrestres. L’homme peut choisir le degré supérieur spirituel, qui ouvre, forme et dirige le degré inférieur naturel ; s’il choisit ce degré inférieur naturel, le supérieur se ferme, comme nous l’avons expliqué, et l’homme reste purement extérieur et sensuel. Cet homme ne laisse pas que d’avoir les sciences, la raison, la mémoire, les sensations, l’acte et la parole, dont il ne peut être privé qu’à la mort. Mais alors ce n’est point proprement un homme, c’est une bête parlante ; il a encore la liberté, laquelle, quoiqu’il en use mal, le distingue de la bête et atteste l’intelligence, le degré rationnel et moral de cet homme extérieur, lequel degré, ou entendement, conduit en lui la volonté et dirige l’amour, qui est la vie. Dans la bête, au contraire, l’entendement est toujours soumis à la volonté ; la bête est conduite par ses affections, qui sont ses appétits et ses penchants. Celui qui se conduit de même par les penchants des sens ressemble à la bête, pouvant ne pas lui ressembler ; il se tient dans le degré naturel de la bête, laquelle n’a que celui-là, tandis que lui en a deux autres, qu’il ferme. Cet homme extérieur naturel n’a, le plus souvent, que la pensée extérieure ; il raisonne avec chaleur et adresse, parce que sa pensée est voisine de sa parole, et presqu’en elle ; toute son intelligence est dans les sensations et dans la mémoire : or, tout ceci est voisin du monde, admet tout ce qui en émane, et le crible, pour ainsi dire, le raffine ; c’est ce qui fait que l’homme extérieur sensuel est méchant et rusé. Ce même homme peut être savant, parce que les sciences et connaissances sont dans son degré naturel ; mais s’il ne les dirige pas vers le ciel, si sa science n’a pas Dieu pour objet, les degrés supérieurs restent fermés, et l’homme extérieur savant, si fier de son esprit, ressemble à la bête, il raisonne d’après les sens, il n’a pas le vrai, et ne fait pas le bon : ceci est assez prouvé par l’exemple de tant de savants illustres dans le monde qui ont été les plus grands ennemis de Dieu et de leur âme 33.
L’homme extérieur naturel est ordinairement hypocrite et faux, parce qu’il est double, dans toute la force du terme, il a séparé les deux moitiés de son être. L’homme spirituel est nécessairement sincère et vrai, parce qu’il est simple, il est un, en lui le spirituel a élevé, attiré à lui le naturel, et se l’est approprié, identifié. Cette élévation au-dessus des sens était fort connue des anciens, qui dans tous les objets naturels voyaient des correspondances avec les cieux, d’où ils tiraient tout, et où ils rapportaient tout. Les savants qui tirent tout d’eux-mêmes, et qui raisonnent orgueilleusement d’après eux et d’après leurs sensations, s’assimilent aux bêtes, et n’ont qu’une lumière qui tient de l’instinct des bêtes. Mais comment ces hommes extérieurs, si sensuels et si ravalés, peuvent-ils mesurer la terre et les cieux, décrire les trois règnes de la nature, connaître l’histoire, les lois, les usages, avoir la politesse, l’éloquence, les talents utiles et agréables ? Ils le peuvent, parce que, comme nous l’avons dit, le dernier des trois degrés de l’âme humaine, le degré naturel, est l’ultimum, l’extrémité du spirituel, inhérent au corps ; dans cette extrémité il y en a assez pour avoir la science humaine, mais non la science de Dieu, qui vient de lui. Celle-ci est la science supérieure, c’est la seule qui soit de quelque prix aux yeux de Dieu, parce c’est la seule qui soit utile aux hommes. Quel bien peut leur faire la physique ou l’éloquence de l’homme naturel extérieur ? Aucun. Il s’agit, pour le bonheur du monde, d’aimer Dieu et son prochain. L’homme le plus grossier, s’il est religieux, est donc plus éclairé que le plus fameux académicien de l’Europe, parce qu’il est homme spirituel intérieur ; il a la charité et la foi, qui seules peuvent embellir la terre ; il a le bon et le vrai, qui sont le tout de Dieu et de ses créatures.
DU MONDE SPIRITUEL, DIT VULGAIREMENT L’AUTRE MONDE.
LE monde spirituel est composé du ciel, du monde des esprits, et de l’enfer. Nous en traiterons séparément.
Du ciel 34.
LA divinité du Seigneur dans le ciel est l’amour de Dieu et la charité envers le prochain. Dieu est amour ; et c’est l’amour procédant de Dieu qui pénètre les anges et qui constitue le ciel, où se trouvent la sagesse, l’intelligence, la paix et la félicité, biens qui tous proviennent de l’amour de Dieu. Il y a trois cieux, le céleste, le spirituel, et l’inférieur. Le ciel, dans son tout, est divisé en deux royaumes, le royaume céleste, et le royaume spirituel ; le ciel dans son tout représente un homme, il est composé d’une innombrable quantité de sociétés d’anges, dont chacune en particulier représente un homme, parce que le ciel, dans son tout et dans ses parties, tire sa forme humaine de la divinité du Seigneur, qui est homme. Le Seigneur gouverne le ciel comme un tout dont les parties correspondent à celles de l’homme, comme un corps dont les membres correspondent aux membres humains. C’est ce qui fait que l’on dit : une telle société angélique est dans tel membre ou dans telle région de la tête ou de la poitrine ; le ciel supérieur, ou céleste, est la tête ; le ciel spirituel, ou le second ciel, occupe depuis le cou jusqu’aux genoux. Le ciel inférieur forme les bras, les jambes, jusqu’aux doigts, jusqu’à la plante des pieds.
Il y a dans le ciel des eaux, des bois, des terres, des palais, des jardins, des cités, des maisons, des animaux, des fruits, des pierreries, de l’or, des vêtements, enfin tout ce que l’on voit sur la terre, avec cette différence que les choses du ciel sont de substance spirituelle, d’une forme bien plus parfaite, et relative à l’état des anges ; il y a dans le ciel un gouvernement, des emplois, des fonctions, des amusements, des travaux, un culte divin, des voyages, des rangs, des états de vie civile et domestique ; toutes ces choses sont encore relatives à l’état intérieur des anges, à leur amour, et à leur sagesse ; toutes ces choses, qui sont spirituelles, sont autant de moyens de félicité.
L’immensité du ciel ne peut s’exprimer, puisqu’il est composé de tous les hommes qui dans tous les temps ont eu l’amour de Dieu et du prochain. Les planètes, et autres astres, qui sont innombrables, sont couverts d’habitants humains, qui peuplent le ciel.
DE L’ESPACE DANS LE CIEL 35.
L’ESPACE, qui est propre à la nature, n’est point dans les cieux. Les progressions du monde spirituel sont les changements d’état que subit l’intérieur des anges ; les proximités sont des similitudes de cet intérieur, les éloignements sont des différences. Un ange est présent à un autre quand il le désire ardemment, car il le voit par pensée et par affection ; nous voyons cela parmi les hommes. Un amant a toujours son amante présente aux yeux de son esprit ; il la voit, il lui parle, comme si elle était présente ; elle fait de même parce que l’un et l’autre ne font qu’un cœur et qu’un esprit ; un instant suffit pour que l’objet désiré, et présent à la pensée, parcoure une espace de mille lieues. De même, si vous allez dans un lieu avec l’envie d’arriver promptement, vous arrivez plus tôt, à ce qu’il vous semble, quoique le chemin ait paru s’allonger pour vous ; si vous allez au même lieu du même pas et sans un vif désir d’arriver, vous croyez arriver plus tard, quoique le chemin vous ait paru moins long : la distance des lieux est la même, mais vous n’étiez pas également occupé de votre pensée, pour laquelle la distance n’est point fixe, n’est rien.
Il y a dans le ciel quatre plages, déterminées par le soleil spirituel qui les éclaire. L’Orient est le côté où le Seigneur paraît comme un soleil ; à son opposite est l’Occident, à la droite est le Midi, et à la gauche le Septentrion. Le Seigneur, comme soleil spirituel, étant la source de la vie, est appelé dans l’Écriture Orient.
Dans le ciel, comme sur notre globe, il y a un centre où tout tend. Mais la direction dans le ciel diffère de la tendance des parties sur notre globe. C’est la plante des pieds qui, sur la terre, est tournée vers le centre ; au ciel, c’est la face qui est toujours tournée vers le Seigneur, comme centre ; voilà pourquoi dans l’Écriture, pour exprimer le changement du cœur, il est toujours dit se convertir au Seigneur ; Jéhovah, convertis-nous à toi, et renouvelle nos jours, dit Jérémie. L’homme dit aussi tous les jours que pour bien faire il faut avoir Dieu devant les yeux, que tel qui a changé s’est converti. C’est une idée de ce qui le fait dans le ciel ; c’est par inspiration, par influence du monde spirituel, que l’homme s’exprime ainsi : mais l’homme l’ignore.
DE LA FORME DU CIEL 36.
L’HOMME a été créé à l’image de Dieu, qui est le ciel, dont le monde est l’image. L’intérieur de l’homme est l’image du ciel, son extérieur est l’image du monde. La forme et l’image ne sont qu’une même chose ; mais l’homme, ayant corrompu sa volonté et obscurci son intelligence, a défiguré en lui l’image du ciel et y a substitué celle de l’enfer ; son intérieur s’est fermé dès sa naissance, et il naît dans l’ignorance ; en se régénérant, il rétablit en lui la forme du ciel, qui est l’amour et la sagesse influées du ciel. Les affinités du vrai et du bien forment le ciel, où ses anges, dont l’intérieur est le même, vivent dans une parfaite harmonie, et s’aiment toujours, sans jamais se lasser de s’aimer. L’influence se fait selon la forme du ciel, c’est-à-dire, selon la pensée et l’affection. Cette influence ne monte pas, elle descend du Seigneur dans le ciel intime ou premier ; de là, dans le second, le troisième, et jusque dans l’intérieur de l’homme qui ne la repousse pas. Cette communication des pensées, ou influence, a lieu dans ce monde-ci, qui est, en tout, une image de l’autre. On est brave avec les braves ; la vue ou le récit d’une action généreuse ouvre notre cœur ; et la haine renaît à l’aspect de l’ennemi.
Chaque ange a en soi les trois degrés qui forment les trois cieux. Il influe sur l’ange du ciel inférieur, mais il ne peut se lier de conversation avec lui sans perdre son degré supérieur d’amour et de sagesse. Le Seigneur seul élève et réunit les anges des différents lieux. Son influence, dans les anges et dans les hommes, se fait au front.
La forme du ciel, où le Seigneur notre Dieu est homme, où les anges sont des hommes, admet tous les objets qui sont sur la terre. Daniel, Zacharie, Ézéchiel, St Jean et plusieurs autres ont vu tous ces objets qui sur la terre sont matériels et qui dans les cieux sont de substance spirituelle, et correspondant à l’intérieur des anges. Le Seigneur ayant ouvert la vue de mon esprit, j’ai vu moi-même ces objets ; des anges, avec qui je conversais comme avec mes semblables, m’ont conduit dans tous les cieux, où j’ai vu, relativement à ce que nous appelons les productions de la nature et de l’art, des beautés dont les palais des rois et les plus délicieuses campagnes offrent des images bien imparfaites. On m’a révélé, on m’a fait concevoir que tout ce ciel, divisé et immense, se réunit en un tout qui représente un homme, et dont le corps humain est l’image. Voyez les nerfs, les fibres et fibrilles, les muscles, tendons, os et cartilages, les viscères, les grands et les petits vaisseaux, tout cela est un et obéit à l’âme. L’homme intérieur veut, et l’homme extérieur, cette masse souple et molle que nous appelons notre corps, exécute. La pensée s’insinue, se glisse dans toutes les parties et particules immenses et innombrables ; elle leur donne le sentiment, la vie et l’action : voilà l’image du ciel, l’image de l’infini ; elle est également dans tous les êtres créés.
DU LANGAGE DES ANGES 37.
LES anges parlent entre eux, comme font les hommes, sur les choses domestiques, civiles, morales et spirituelles. Leur voix est douce et sonore, ils s’expriment sans difficulté. Il n’y a dans les cieux qu’une langue, dont le plus ou moins d’énergie est pourtant relatif à l’intérieur de l’ange qui parle. Dès qu’on est admis dans le ciel, on sait cette langue, parce que c’est celle de l’affection et de la pensée. Le son que l’on produit en la parlant est relatif à l’affection d’où elle part ; et les articulations de ce son, qui forment les paroles, sont relatives aux idées qui naissent de l’affection : ainsi l’affection fournit le son, et la pensée l’articule. Les anges connaissent au son de la voix quelle est l’affection dominante de celui qui leur parle, et par ses paroles ils connaissent sa pensée. Si l’on y réfléchit, on verra également que sur la terre les sentiments vrais ont chacun leur expression propre, variée, quoique naturelle ; et c’est ce qui fait que les gens qui ont un langage affecté sont faux ; ils masquent leurs expressions, et jusqu’au son de leur voix.
La langue des anges n’a de commun avec celle des hommes que quelques sons produits par certaines affections, car les anges ne peuvent prononcer aucun mot des langues humaines. On peut juger de l’élégance et de la douceur de la langue des anges, qui charme l’oreille et pénètre l’âme, on en peut juger par son principe, qui est l’amour uni à l’intelligence. Une seule parole dit plus que cent mille sorties de la bouche des hommes, comme une de leurs idées embrasse plus de choses sublimes que toute l’intelligence humaine n’en peut concevoir et décrire. Dans la langue des anges, il y a une harmonie qui naît de l’effusion des pensées et des affections modelées sur la forme du ciel, laquelle résulte de l’ordre parfait qui règne dans toutes les sociétés qui le composent, et dans le rapport existant entre elles. Cette manière de parler est naturelle à l’homme terrestre ; sa parole, faite pour exprimer sa pensée, l’exprimerait toujours s’il trouvait des expressions analogues. C’est la pensée qui parle. La langue naturelle est l’écho de la langue de l’esprit, l’expression de la pensée ; c’est pourquoi les expressions se présenteraient d’elles-mêmes, s’il n’y avait aucun obstacle provenant de la mémoire, ou d’un défaut corporel, ou de la fourberie. Un fourbe s’écoute parler, il parle lentement, il pèse ses paroles, dans la crainte de dévoiler sa véritable affection, sa pensée intérieure, par quelques expressions qui lui échapperaient s’il laissait à la langue externe le libre essor qu’elle prendrait par l’impulsion de l’affection. Dépouillé de l’homme extérieur, l’homme esprit parle, sans instruction préalable, sans effort et sans déguisement, la langue des esprits.
DU GOUVERNEMENT DU CIEL 38.
LE ciel, partagé en différentes sociétés, est soumis à deux régimes, le régime de la justice, pour le royaume céleste, et le régime du jugement, pour le royaume spirituel. Les mots justice et jugement, si souvent employés dans l’Écriture, signifient, le premier, le bon de l’amour, le second, le bon de la sagesse. Les formes varient dans les sociétés angéliques, selon les fonctions dont elles sont chargées, mais toutes se rapportent au bien public, à l’ordre divin, et elles sont innombrables. Celui qui est dans le plus haut degré de sagesse préside une société ; les membres l’aiment et l’honorent en proportion de ce qu’il attribue à Dieu la gloire et l’utilité de son emploi ; sa plus grande distinction vient de sa plus grande charité. Il est le serviteur des serviteurs de Dieu, selon la vraie signification de ce terme, de ce titre sublime, dont l’orgueil a fait perdre l’idée, et que le Seigneur avait clairement expliqué, en disant : Que celui qui veut être le premier parmi vous soit le serviteur des autres ; le Fils de l’homme n’est pas venu sur la terre pour y être servi, mais pour servir, Matth. 20 : 27, 28. Les anges doués d’un plus grand degré de sagesse et gouvernant les autres ne s’en prévalent point, quoiqu’ils aient des préférences d’honneurs et de gloire, comme des palais superbes, situés sur des hauteurs, un cortège nombreux, des vêtements brillants ; ils acceptent tout cela par obéissance au Seigneur et pour concourir à ses desseins. L’amour et la sagesse de chaque employé consistent à aimer son emploi, à faire le bien de son concitoyen, de sa société, de sa patrie, et de l’église. Les sociétés angéliques sont distinguées aussi par leurs occupations ; les unes sont occupées des petits enfants, les autres, des jeunes filles et des jeunes garçons ; ceux-là, des esprits simples du commun des chrétiens ; ceux-ci, des esprits nouvellement arrivés du monde terrestre et tourmentés par les mauvais esprits. Quelques anges assistent les hommes au moment de leur résurrection ; d’autres répriment le désordre des enfers, où il y a aussi un gouvernement, mais opposé à celui du ciel. Le principe du gouvernement des enfers est l’amour de soi et l’amour du monde. Il y a des anges députés sur la terre à la garde des hommes, des empires, et des églises ; les gardiens des hommes s’insinuent dans le principe de leurs affections et s’éloignent ou s’approchent d’eux à proportion qu’ils se déterminent au bien ou au mal. L’emploi d’un ange dans les cieux correspond à celui qu’il avait sur la terre. Ceux qui ont aimé l’Écriture et le culte ont les emplois ecclésiastiques ; ils enseignent et ils prêchent, car il y a dans les cieux un culte divin, semblable au nôtre quant à l’extérieur, mais différent par l’intérieur : on m’a accordé l’entrée des temples du ciel, et j’ai assisté aux prédications. Dans le royaume spirituel, les temples sont magnifiques ; dans le royaume céleste, ils sont simples ; ceux-ci paraissent de bois, parce que le bois est le symbole de l’amour ; ceux-là sont de pierre, parce que la pierre est le symbole de la foi. L’ange qui prêche est à l’Orient, sur une éminence ; devant lui sont ceux qui sont doués d’un plus haut degré de sagesse, les autres s’étendent en demi-cercle, de manière que le prédicateur les voie tous ; ceux que l’on initie sont à la porte orientale du temple, à gauche. Les prédicateurs sont du royaume spirituel, parce qu’ils sont dans le vrai par le bon. Ils prêchent sans discuter et sans étaler de grands raisonnements ; il leur suffit d’énoncer une vérité pour qu’elle soit conçue, aimée, et réduite en pratique. La base de leurs instructions est toujours la divinité humanifiée du Seigneur et son humanité déifiée.
Le régime des sociétés des anges est aussi le régime qui s’observe dans leurs maisons relativement à leur logement, vêtement et nourriture, car les anges sont logés, vêtus et nourris. Premièrement logés ; les maisons, qu’ils ne bâtissent pas, mais que le Seigneur leur donne, sont plus ou moins magnifiques et proportionnées à l’intérieur, et à l’emploi de ces anges. Je leur ai parlé dans leurs demeures, où j’ai vu des cours, des vestibules, des chambres, des salons, des jardins, des vergers et des champs. Les maisons de ceux qui vivent en société sont contiguës et présentent l’aspect d’une ville, avec ses rues, ses places, etc. J’ai entré, non en songe, mais bien éveillé, dans ces demeures célestes. Les palais, bâtis d’or et de pierres précieuses, sont, pour l’intérieur et pour l’extérieur, d’une beauté que l’on ne peut décrire ; les jardins et leurs productions présentent des formes et des couleurs ravissantes ; les points de vue sont d’une étendue, d’une beauté inexprimable ; et tout cela correspond à l’affection et à la pensée des anges, tous ces objets la représentent. Il y a aussi des anges solitaires, qui vivent dans des maisons séparées.
Secondement, les anges sont vêtus, excepté pourtant ceux du ciel supérieur, qui vont nus, parce que leur parfaite innocence correspond à la nudité : aussi paraissent-ils comme des enfants, qui sont un autre symbole de l’innocence. Les vêtements des anges sont visibles et palpables ; ils en changent en raison de leur état intérieur. Les vêtements des plus intelligents ont l’éclat de la flamme ; ceux qui le sont moins ont des habits resplendissants de lumière ; ceux du troisième degré d’intelligence ont des vêtements blancs, sans éclat. Les couleurs sont relatives, et proviennent de la chaleur et de la lumière du soleil spirituel, qui est amour et sagesse, et le premier procédant de Dieu. Le rouge, plus ou moins vif, annonce les degrés du bon ou de l’amour ; le blanc, plus ou moins éclatant, indique les degrés du vrai ou de la sagesse. Les vêtements du Sauveur, qui sur la terre représentait la lumière, la vérité même, parurent sur le Thabor plus blancs et plus éblouissants que la neige. Dans les enfers, qui en tout sont l’opposé du ciel, les vêtements sont relatifs aussi aux degrés du mal et du faux ; ils sont noirs, sales et déchirés.
Troisièmement, les anges sont nourris. Étant hommes, et ayant parfaitement la forme humaine, ils ont, avec tous les autres sens corporels, le sens du goût et l’appétit, qui dans les cieux satisfait le corps spirituel, comme il satisfait sur la terre le corps matériel. J’ai assisté plusieurs fois aux banquets des anges, je les ai vu manger, je les ai vu servir avec magnificence ce qu’on peut imaginer de plus exquis.
Vision 39.
ME trouvant un jour en esprit dans la société des anciens philosophes qui ont obtenu le ciel pour avoir passé leur vie à aimer Dieu et le prochain et à cultiver leur raison, ils me demandèrent d’où je venais ; je leur répondis que Dieu m’avait fait la grâce d’être corporellement sur la terre et spirituellement dans les cieux. Ma réponse les charma. Regardant avec eux la ville d’Athénée, j’y entendis un grand bruit, mêlé de cris de joie et de plaintes. Comme dans le ciel les distances sont relatives à l’affection intérieure et que je désirais apprendre le sujet du bruit, je me trouvai aussitôt dans la ville, où je vis des nouveaux venus du monde terrestre qui témoignaient leur surprise de ce qu’il y avait dans le ciel des administrations, des ministres, des fonctions, des négociations, des lois, des tribunaux inférieurs et supérieurs, des règles, des usages, des travaux. Avez-vous cru, leur répondit un magistrat de la cité, que le bonheur céleste pouvait consister dans l’oisiveté, qui engourdit les facultés de l’âme et du corps, qui est une source d’ennui ? Nous croyant tous inspirés par le Seigneur, vous êtes surpris de voir parmi nous des juges et des jugements ! Nous sommes, il est vrai, conduits par le Seigneur, mais médiatement, et, comme sur la terre, selon notre état intérieur. Il y a des anges simples et des anges sages ; les simples doutent du vrai, et s’en écartent ; ils sont jugés par les sages. Vous avez cru ce monde vide, parce qu’il est spirituel : cela vient de ce que vous avez conçu le spirituel sans forme ni sujet ; et ce spirituel vous paraissait un être de raison, vous paraissait rien ; mais apprenez que ce monde est réel et plein, non de matières, mais de substances spirituelles, visibles et palpables 40.
Alors on conduisit les nouveaux venus dans les différents quartiers de la ville, et on leur montra un auditoire, une bibliothèque publique, des livres, du papier, de l’encre, des plumes, des manuscrits, des copistes qui les transcrivaient, des musées, des collèges et des exercices littéraires, des officiers, des gouverneurs, des artistes et des ouvriers. Les nouveaux venus comprirent que le Seigneur avait destiné le ciel, comme la terre, à des usages qui tous ont des agréments infinis, sources de la paix intérieure, qui dans les cieux est le repos ou la cessation du travail. Des vierges leur apportèrent, en présent, des étoffes brodées et tissues de leurs mains. Comme ils s’en allaient, elles chantèrent devant eux, sur un mode angélique, une ode qui exprimait les affections et les pensées correspondantes à l’usage des présents qu’elles venaient de faire.
Ce que je voyais me rappela l’erreur des hommes qui croient qu’il n’y a dans le ciel que des dévotions, des sermons, des prières ; qui s’imaginent que les maisons seront des temples et qu’ils seront tous des prêtres. Je méditais sur l’église, qui dans le ciel n’occupe pas plus de place et de temps que sur la terre, église consacrée au culte de Dieu, culte pur, intérieur, et qui n’exclut pas tout ce qui a rapport à la science, à l’administration, aux délassements et aux affaires. Durant cette méditation, je fus transporté en esprit dans une société céleste, placée à gauche vers l’Occident, et dont le pape Sixte-Quint est le chef. Je m’entretins avec lui : il me dit que sa société était composée des plus judicieux et des plus raisonnables d’entre les catholiques, et qu’il avait été mis à leur tête dans les cieux, pour avoir cru, six mois avant sa mort, que le vicariat de Jésus-Christ avait été inventé par l’envie que les pontifes avaient de dominer. Il ajouta qu’il fallait seulement adorer Dieu, notre Seigneur rédempteur, que l’Écriture-sainte était divine et au-dessus des bulles papales ; que les saints ne sont rien ; que ceux qui se croient tels, et qui entendent parler du culte qu’on leur rend, deviennent fous, de même que les cardinaux et prélats qui veulent représenter Jésus-Christ. Sixte-Quint me dit encore que la parole était le St divin, que le Saint-Esprit ne parlait point par la bouche des hommes, mais bien satan, qui veut être adoré comme Dieu. Le pontife me protesta que telle avait été, durant toute sa vie, sa croyance, laquelle l’avait fait entrer aux cieux où il mène la vie active qu’il menait sur la terre, s’occupant de perfectionner sans cesse la société qu’il gouverne, et se proposant tous les matins neuf ou dix affaires qu’il veut voir terminées avant la fin du jour. Il me dit enfin, et m’ordonna de dire aux hommes sur la terre, que ceux qui avaient une foi contraire à celle qu’il venait de m’exposer devenaient stupides dans le monde des esprits ; qu’après quelque temps, et s’étant réunis à leurs semblables, ils tombaient dans les enfers, où ils devenaient frénétiques, vivant comme des bêtes, et se croyant des dieux. Je ne lui cachai point que ces choses me paraissaient trop dures pour être publiées ; écrivez-les, me répondit-il, je les souscrirai, parce que c’est la vérité. Aussitôt, rejoignant sa société, il souscrivit une feuille contenant ces assertions, et il l’envoya, comme une bulle, à d’autres sociétés où l’on pense comme lui.
Le Seigneur, ayant daigné me rendre témoin du jugement dernier, qui a eu lieu dans le monde des esprits, en l’an 1757, j’y vis, lors de la destruction d’une grande ville située au Septentrion, habitée par des papistes et par des réformés, j’y vis transporter dans une litière, et placer dans un lieu sûr, le pape Benoît XIV, qui est aussi chef d’une société de catholiques ; je m’entretins avec lui, il me dit que l’Écriture était divine, que l’invocation des saints était une folie, et qu’il ne fallait adorer que Dieu, qui a, comme il le dit lui-même, toute puissance dans le ciel et sur la terre. Il m’assura qu’il avait voulu réformer l’église, mais qu’il en avait été empêché par plusieurs causes, qu’il me déduisit.
Près de la société qu’il gouverne en qualité de pontife, il y a des gymnases, où sont conduits ceux dont la religion n’est ni pure, ni assurée. Des moines, qui se sont convertis en purifiant leur foi, instruisent ces nouveaux venus, en leur parlant de Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ, et de la sainteté de sa parole ; ils les désabusent de l’autorité papale, des indulgences, des pratiques de l’Église romaine, et particulièrement du culte des saints, lequel est si abominable dans le ciel, que les saints même sont saisis d’horreur toutes les fois qu’ils entendent parler des hommages qu’on leur rend, parce que tout ce qu’on leur accorde est dérobé à Dieu. Pour me faire mieux connaître les saints révérés des papistes, on en fit monter, des régions inférieures, cent, qui avaient connaissance de leur béatification ; ils se placèrent derrière moi ; quelques-uns se montrèrent en face, et je m’entretins avec un, qui me dit être Xavier, et qui, en me parlant, semblait fou. Toutefois il sut bien dire que dans le lieu qu’il habitait il n’était point fou, mais qu’il le devenait toutes les fois qu’il croyait être un saint et qu’il voulait être invoqué. J’entendis ceux qui étaient derrière moi dire la même chose ; mais il en est tout autrement des vrais saints qui sont dans le ciel ; ils ne savent rien de ce qui se passe à leur sujet sur la terre ; et les prières qu’on leur adresse ne sont pas plus entendues d’eux que de leurs statues, ou des murs du temple, ou des oiseaux nichés dans les tours.
Pour que ma foi sur ce point fut pleinement confirmée, j’ai vu, dans le monde des esprits, une femme, d’une figure angélique et magnifiquement vêtue, qui se montrait, à une moyenne hauteur, aux Parisiens habitants de ce monde spirituel, en leur disant qu’elle était Geneviève. Mais aussitôt qu’ils voulaient l’adorer, elle changeait de figure et de vêtement, elle ne paraissait plus qu’une femme vulgaire. Elle les blâmait d’adorer une femme qui parmi ses pareilles n’est pas plus considérée qu’une servante, et elle s’étonnait qu’une pareille folie pût séduire les hommes.
J’ai vu encore, et je le rapporte comme très-véritable et très-digne de remarque, j’ai vu Marie, la mère du Seigneur, vêtue de blanc, et élevée au-dessus de ma tête. Elle s’arrêta pour me dire qu’elle avait été la mère du Seigneur, qu’il était réellement né d’elle, mais qu’il avait ensuite, comme étant Dieu, dépouillé tout l’humain qu’il tenait d’elle ; que maintenant elle l’adorait comme sou Dieu, et que lui-même ne voulait pas être regardé comme fils de Marie, parce qu’en lui tout est divin.
C’est donc une impiété d’adorer les saints, c’est une erreur de croire qu’ils règnent dans le ciel avec notre Seigneur Jésus-Christ ; ils n’y règnent pas plus qu’un bouvier ne règne sur la terre avec un roi, ou un portier avec un prélat ; c’est ce que St Jean-Baptiste exprime, lorsqu’en parlant du Seigneur, il dit qu’il n’est pas digne de délier la courroie de ses souliers, Marc. 1 : 7.
Quand les disciples, habitants du gymnase dont j’ai parlé, sont tout-a-fait convertis sur ce point, ils paraissent comme des gens qui se réveillent d’un sommeil profond, ou qui passent d’un brouillard puant à l’air pur et embaumé du printemps. Alors leurs compagnons les invitent à des banquets où ils leur présentent, dans des coupes de cristal, du vin généreux. Les anges envoient aussi à ces nouveaux hôtes des plateaux sur lesquels il y a de la manne, qui a la forme, la couleur et le goût de celle qui tomba des cieux dans le camp des Israélites.
DU TEMPS DANS LE CIEL 41.
CE qu’on nomme la nature, c’est le soleil naturel, dont la présence et l’absence marquent les temps, composés d’heures, de jours, de semaines, de mois, d’années, de siècles, ainsi qu’il a plu aux hommes de les déterminer. La lumière succède aux ténèbres, et le froid au chaud. Ce sont des états qui passent et reviennent, mais ils ne sont point relatifs à la vie spirituelle, qui est amour et sagesse ; au lieu que dans les cieux la lumière et la chaleur spirituelles, qui correspondent à l’amour et à la sagesse, sont continuelles, et ne varient dans les anges que du plus au moins, selon leur état intérieur : dans le ciel il n’y a donc point de temps, selon les idées des hommes, par la même raison qu’il n’y a point d’espace. Ici-bas le temps est une même chose avec la pensée que l’affection actuelle fait naître. Il est court ou long, relativement à l’état où l’homme se trouve. À plus forte raison dans le spirituel, dans le ciel, il n’y a point de temps, parce que le ciel est Dieu, et que toute la succession qui peut exister devant lui est le degré plus ou moins élevé de l’amour et de la sagesse qu’il influe dans les anges. Marqué par les pas de la mort, le temps, qui sur la terre n’est qu’une cessation d’existence, ne peut nous faire concevoir l’être spirituel. Il n’y a pour les anges ni jours, ni saisons, ni années ; mais il y a des états, des degrés différents d’amour et de sagesse. Puisque le temps nous paraît plus ou moins long selon que nous sommes plus ou moins affectés par la pensée, puisque le sentiment que nous avons des intervalles du temps est si confus et si indéterminé que souvent les jours sont pour nous comme des moments, et les mêmes comme des jours, nous devons en conclure que les anges, dépouillés de l’enveloppe terrestre et devenus hommes spirituels, ne connaissent point notre temps et qu’ils mesurent toute leur existence par la pensée, par leur état intérieur d’amour et de sagesse. Ces choses paraissent au-dessus de la conception humaine, cependant elles n’y sont pas. On peut les considérer à la lumière céleste ; et celui qui, avec un désir pur, élèvera constamment son intelligence jusqu’à ces objets sublimes, obtiendra des perceptions que les paroles les plus expressives ne sauraient lui donner. Cette élévation de l’intelligence ne peut avoir lieu qu’en faisant abstraction des idées terrestres d’espace et de temps.
DE L’ÉCRITURE DANS LE CIEL 42.
J’AI vu dans le ciel des feuilles manuscrites et des feuilles imprimées ; je les ai lues, et j’y ai peu compris, parce qu’il n’est pas dans l’ordre divin que le ciel instruise l’homme par l’écriture, mais par la parole. Le Seigneur a voulu qu’il y eut une écriture dans le ciel, pour consigner par écrit les vérités qu’il voulait révéler aux anges, et une écriture sur la terre, par la même raison : ce qui est révélé passe d’un ciel à l’autre jusqu’à l’homme. Dans le ciel, la parole est dans le sens interne et purement spirituel ; sur la terre elle présente un sens naturel, fait pour des hommes ; voilà pourquoi Jésus-Christ parlait presque toujours par paraboles : Je vous enseigne, disait-il aux docteurs, par les choses terrestres, et vous ne m’entendez pas ; si je parle le langage du ciel, comment me comprendrez-vous ? (Jean 3 : 12.)
Dans le ciel supérieur, les caractères de l’écriture sont composés de lignes courbées, modelées sur la forme du ciel ; et c’est par ces inflexions que les anges expriment les mystères de la sagesse, et beaucoup de choses que la parole ne peut énoncer. La mécanique de l’écriture découle naturellement des pensées des anges, et il ne leur en coûte pas plus d’écrire que de parler. Il y a dans les cieux une autre écriture qui n’a pas besoin du secours de la main, c’est la correspondance des pensées ; elle n’est pas permanente, parce qu’une pensée efface l’autre ; mais l’écriture qui manifeste l’affection demeure gravée à perpétuité. J’ai encore vu dans le ciel une écriture composée de caractères numériques, gravés et mis en ordre pour former des syllabes et des mots. Cette écriture renferme plus de mystères que l’autre ; elle est absolument au-dessus de la pensée et de l’expression de l’homme, parce que tous les nombres correspondent ; et cette correspondance est aussi expressive que les mots ; d’où il suit que les nombres rapportés dans l’Écriture sainte ont une signification, comme les mots. Dans le ciel on met toujours en avant, ou le premier en ligne, le nombre duquel la série dépend, comme de son sujet, parce que le premier nombre indique la chose dont il s’agit, et que la suite énonce et détermine, par lui, les particularités de cette chose.
Habitués à juger par les sens corporels, les hommes ne croiront pas ces détails, les hommes qui n’ont d’autre idée du ciel que celle d’une atmosphère immense, qui croient que le spirituel n’existe pas, ou que les anges voltigent dans l’espace, comme des êtres légers et aériens, comme des vents sans consistance, sans yeux, sans oreilles, sans mains, sans organes, et sans forme humaine ; mais qu’ils apprennent que dans le ciel tout ce qui sert à la vie, à la sagesse et à la félicité existe aussi réellement que les objets terrestres existent pour nous : l’univers a été créé sur le modèle du ciel ; ce monde est l’image du ciel.
Vision 43.
JE vis un jour, dans le monde spirituel, un feu follet, tombant du haut des airs sur la terre, et entouré d’une grande lumière, qui était le météore vulgairement appelé dragon. Je remarquai l’endroit où il était tombé ; mais il disparut au lever du soleil ; je vis seulement que la terre qui l’avait reçu était mêlée de soufre, d’argile et de poudre ferrugineuse ; tout-à-coup deux tentes s’offrirent à mes yeux, l’une dans l’endroit même où la terre était mélangée, l’autre un peu écartée vers le Midi. En même temps je vis un esprit tombant, comme la foudre, du haut des cieux, et jeté dans la première tente. J’en aperçus ensuite un autre, debout à l’entrée de la seconde tente ; je lui demandai pourquoi il était tombé des cieux ; c’est, me répondit-il, pour avoir confessé, de bouche, une foi qui n’était pas dans mon cœur : dans le ciel on ne peut plus dissimuler ; il n’y a qu’un langage, comme il n’y a qu’une pensée. En disant cela il tomba, avec son compagnon, dans l’abîme ; et à la place des deux tentes, je vis deux statues, deux figures humaines, dont l’une avait un sceptre dans la main gauche, une couronne sur la tête, un livre dans la main droite, et un ornement pectoral, entouré de pierres précieuses. Elle paraissait vêtue d’une robe dont l’extrémité flottante touchait à la seconde statue. Une voix infernale, de la société des dragons, dit que cette première statue représentait la foi, et l’autre la charité, sa servante. Ces deux statues étaient faites de cette terre mêlée de souffre, de fer et d’argile ; une pluie qui tomba du ciel les pénétra et fit bouillir les matières dont elles étaient composées : à leur place je ne vis plus que des monceaux de terre calcinée ; ensuite des tombeaux s’élevèrent sur cette terre.
Un autre jour que je méditais encore sur la vérité céleste, une feuille de papier, écrite en caractères hébraïques, comme ceux des anciens, me fut envoyée du ciel ; les lignes de cette écriture me parurent courbées et chargées d’accents ou de traits placés au-dessus des lettres. Les anges qui étaient auprès de moi me dirent que par une seule lettre ils saisissaient le sens entier, qu’ils le discernaient surtout dans la courbure des lignes et dans l’inflexion des accents, dont ils m’expliquèrent les différentes significations, selon qu’ils étaient joints ou séparés. Ils me dirent que la lettre H, ajoutée aux noms d’Abraham et de Sara, signifiait l’infini et l’éternel ; ils m’expliquèrent, par les seules lettres, le sens vrai du second verset du psaume 32 : Dieu est miséricordieux, même envers ceux qui font le mal. Ces anges m’apprirent encore que l’écriture du troisième ciel était composée de lettres différemment inclinées, dont chacune contenait un sens ; que les voyelles n’y servaient que pour le son, correspondant à l’affection ; et que dans ce ciel on ne pouvait prononcer les voyelles i et e, mais à leur place y et eu ; ils me dirent que les voyelles a, o et u étaient, parce qu’elles ont un son plein, en usage dans le troisième ciel, où il n’y a point de consonnes rudes ; toutes y sont douces, et c’est pour cela que plusieurs lettres hébraïques sont pointées intérieurement, pour avertir de les prononcer avec douceur. Ces anges ajoutèrent que la rudesse des lettres et des prononciations pouvait exister dans le ciel spirituel, dont les habitants sont dans le vrai, qui comporte l’aspérité, au lieu que le bon ne la comporte pas ; et les habitants du troisième ciel sont dans le bon, ou dans l’amour.
DU MONDE DES ESPRITS 44.
LE monde des esprits est un lieu, ou plutôt un état mitoyen, entre le ciel et l’enfer ; tout homme y va dès qu’il est mort, pour en sortir, l’un plus tôt, l’autre plus tard, pour monter au ciel ou descendre aux enfers. C’est là où tous sont jugés ; plusieurs y restent quelques années, mais nul n’y passe plus de trente ans. Chacun y reconnaît ses parents, ses amis, ses concitoyens, et converse avec eux. Il y a communication de ce monde des esprits avec le ciel et l’enfer, par un chemin étroit, bien gardé du côté du ciel et du côté de l’enfer, par des trous, des crevasses et de larges ouvertures également gardées, afin qu’aucun ne sorte sans permission. Ces entrées, ce chemin, ces ouvertures, sont ce que l’Écriture nomme la porte du ciel, les entrées de l’enfer. Le monde des esprits paraît aux yeux comme une grande vallée environnée de montagnes escarpées. La porte ou l’entrée du chemin qui mène au ciel est invisible à ceux qui ne doivent pas y passer ; il en est de même des portes de l’abîme.
DES ENFERS 45.
DANS le monde spirituel, on voit tout ce qui existe dans le monde naturel ; les enfers sont tant sous les montages que sous les collines, les vallons et les plaines ; on les voit sous l’apparence de trous profonds, de gouffres plus ou moins obscurs, éclairés d’une lumière qui ressemble à celle des charbons ardents ; les yeux des esprits infernaux sont appropriés à cette fausse lumière, et quand ils sortent de leurs cavernes, la lumière céleste les affecte douloureusement. On voit s’exhaler des abîmes infernaux des vapeurs noires et fétides, dont les damnés ne s’aperçoivent pas, parce qu’ils sont dans une atmosphère convenable à leur intérieur. La flamme qui les éclaire correspond au feu dévorant de l’amour de soi, de la haine, de l’envie, etc. De ces retraites infernales, quelques-unes paraissent comme des antres obliquement disposés, d’autres, comme des tanières de bêtes féroces, d’autres, comme des souterrains de mines ou comme des décombres, des restes de maisons ou de villes incendiées. La plupart paraissent triples. Le supérieur est ténébreux, et il renferme ceux qui ont péché par une suite de l’erreur ; l’inférieur paraît un antre enflammé, où sont ceux qui ont persisté dans le mal. Dans les enfers où les supplices sont moins douloureux, on voit des chaumières, des rues, des places, des cases où l’on se querelle, on se pille, on se bat, on se déchire. D’autres réduits sont de vrais repaires de loups, remplis d’excrétions. On voit dans les enfers de sombres forêts où se réfugient des esprits infernaux, toujours poursuivis ; on y voit des déserts affreux ; il y a des enfers sous des enfers, et là, autant de sociétés infernales qu’il y a de sociétés angéliques dans les cieux.
L’enfer fait des efforts continuels et inutiles contre le ciel, que Dieu défend ; Dieu seul connaît parfaitement la situation et toute l’étendue des enfers ; il y fait réprimer la fougue, l’envie et la fureur des esprits infernaux par des tourments spirituels, comme sur la terre il fait punir les méchants par des tourments corporels.
Le feu infernal émane du même principe que le feu céleste ; mais il devient infernal dans ceux qui en reçoivent l’influence avec des dispositions impures ; il fait leur supplice, en allumant les passions cruelles, jamais satisfaites, et toujours vives, les désirs honteux et criminels, toujours irrités, toujours dévoilés, et punis. Le feu céleste, pénétrant quelquefois parmi les esprits infernaux, les rend tels qu’un homme surpris en flagrant délit ; le froid se glisse dans leurs veines et leur sang se coagule ; voilà ce que c’est que le feu des enfers, dont les habitants se montrent sous la forme de l’affection vicieuse qui les caractérise ; leur air exprime le dédain, le mépris d’autrui, la haine, et la cruauté. Entre eux ils se voient sous la figure humaine : mais vus à la lumière céleste, ils ont la face cadavéreuse, hideuse. Quelques-uns l’ont noire, d’autres, effrayante et semblable à un tison enflammé, d’autres, boursouflée et rongée d’ulcères ; aux uns on ne voit qu’une touffe de crins au lieu de face ; ceux-ci l’ont dénuée de chair et toute osseuse ; chez d’autres, on ne découvre qu’un assemblage de dents. Qu’on se représente des figures qui réuniraient en elles tous les traits qui caractérisent les passions odieuses, des êtres qui en parlant modifieraient le ton de leur voix sur celui que prend un homme dans le plus violent transport de ces passions, et on aura le tableau de l’enfer. Je n’ai pas vu toutes les sociétés qui le composent, mais Dieu m’a fait la grâce d’en voir plusieurs ; et il me fut dit alors que de même que le ciel en son tout représentait un homme, de même l’enfer dans son tout représentait un diable.
Les esprits infernaux sont méchants et ils s’exercent à toutes sortes de méchancetés contre l’homme vivant sur la terre ; ils s’insinuent par mille moyens dans son affection, ils lui tendent des pièges, et le font enfin tomber dans le mal.
Le grincement de dents infernal, dont parle l’Écriture, signifie le bruit d’une querelle, le feu d’une dispute injurieuse ; il signifie tout ce que la jalousie, le mépris, la fureur et la raillerie peuvent avoir de plus offensant, de plus cruel ; et c’est le charme, le goût habituel des esprits infernaux.
Chacun étant puni, dans les enfers, par la conservation de ses penchants vicieux, j’y ai vu de méchants esprits rechercher, comme sur la terre, les voluptés, les honneurs et les richesses. Ils les obtiennent et les perdent ; ces disgrâces les font tomber dans un ennui cruel ; on les voit tristes et solitaires, ils ont faim et n’ont pas de quoi manger ; ils entrent dans des cabanes où ils demandent, pour vivre, de l’ouvrage qu’ils obtiennent et abandonnent, toujours dévorés d’inquiétude. Chassés par leur maître, ils entrent dans une autre caverne pour y apaiser leur faim ; la porte se ferme sur eux, le maître leur dit qu’ils ne sortiront plus et qu’il faut travailler, sinon qu’ils n’auront ni pain ni vêtements. S’ils font quelque faute, ils sont couchés dans la poussière et tourmentés misérablement. Dans ces espèces d’étables, horriblement puantes, ces méchants vivent avec leurs pareils, dans la douleur et l’ennui ; et pour compagne on leur donne une femme qui a été publique ; d’autres ont d’autres supplices ; les tyrans sont humiliés et punis par l’esclavage et la peine des forçats ; les savants orgueilleux sont bafoués et chassés ; les cruels sont au milieu des cadavres et dans le sang corrompu ; ils aiment encore la guerre, ils déchirent et ils sont déchirés. Enfin la misère, la honte, l’envie, l’esclavage, la terreur, le remords, la débauche, la haine et la folie se trouvent partout dans les enfers : l’amour du mal, l’habitude du crime et de ses funestes suites, la même vie qu’on avait menée sur la terre, mais plus criminelle encore et plus malheureuse, voilà l’enfer, en y joignant le désespoir, la haine du bien et de Dieu même, laquelle est le plus grand des maux.
L’équilibre est perpétuel entre le ciel et l’enfer. Celui-ci exhale sans cesse des vapeurs malfaisantes. Du ciel émanent les influences bénignes. Cet équilibre, d’où résulte la liberté de l’homme, est détruit momentanément par le nombre des esprits qui entrent sans cesse dans les cieux ou dans les enfers ; le Seigneur, qui voit pencher la balance, la soutient.
Vision 46.
DANS la plage septentrionale du monde spirituel, où j’étais transporté en esprit, je vis un jour un collège où étaient des jeunes gens et des maîtres, auxquels je demandai s’ils connaissaient les universaux de l’enfer, ce qui le constitue. Nous en savons quelque chose, me répondirent-ils ; mais en nous tournant à l’Orient, vers le Seigneur, nous pouvons obtenir de plus grandes lumières. Après avoir fait cette conversion, ils reprirent la parole et dirent : Les universaux de l’enfer sont au nombre de trois ; ce sont trois amours : l’amour de dominer, par amour de soi ; l’amour de posséder le bien d’autrui, par amour du monde ; et l’amour de la débauche. Ces trois amours infernaux s’opposent aux trois amours célestes, qui sont : l’amour de dominer, par amour de l’usage ; l’amour de posséder les biens du monde, par amour des bons usages auxquels ils servent ; et le vrai amour conjugal. Après avoir remercié les maîtres de cette instruction, je rentrai chez moi, où une voix céleste me dit : Examinez ces universaux sous tous leurs rapports, nous les verrons ensuite dans votre main. Il me fut dit dans votre main, parce que l’ange voit écrit sur la main des hommes ce qu’ils examinent spirituellement.
Examinant le premier amour infernal, celui de la domination par amour de soi, et l’amour céleste qui lui correspond (car il me fut ordonné de les examiner ensemble, afin de les mieux concevoir par leur opposition), je vis que cet amour, relégué dans le plus profond des enfers, était souverainement infernal, parce qu’il est le propre de l’homme depuis sa naissance et le vrai péché contre le Seigneur ; ce qui fait que ceux qui le commettent haïssent ou renient Dieu et son église, ils n’adorent qu’eux et la nature ; cet amour brise tous les nœuds, et plus il obtient, plus il est mécontent. Il est le propre des politiques, qui voudraient être rois et dominer afin d’être appelés les rois des rois : cet amour est celui de quelques prêtres qui, voulant dominer le ciel et subjuguer les esprits, ne reconnaissent pas Dieu dans leur cœur.
Après cette méditation, un ange me dit, de la part du Seigneur, que j’allais encore mieux connaître ce premier amour infernal ; et aussitôt, la terre s’étant ouverte à ma gauche, je vis s’élever des enfers un démon qui avait sur la tête un bonnet carré, enfoncé sur les yeux. Son visage était couvert de pustules ardentes, il avait les yeux farouches, et sa poitrine, gonflée et bombée, exhalait une fumée semblable à celle d’un four ; ses cuisses étaient toutes de feu ; au lieu de pieds il avait des talons sans chair, entièrement osseux ; et tout son corps répandait une odeur infecte et putride. Sa vue m’effraya ; je lui demandai d’où il venait ; de l’enfer, répondit-il, avec une voix rauque ; notre société, composée, de deux cents, est la première de toutes ; nous y sommes tous chefs des chefs, princes des princes, rois des rois. Assis sur les trônes des trônes, nous donnons des ordres au monde entier. – Ne voyez-vous pas, lui dis-je, que votre puissance est fantastique et que vous êtes dans le délire ? – Cela ne peut être, me répondit-il, puisque nous nous reconnaissons mutuellement pour des souverains. Je ne répliquai pas ; et à l’instant il me fut dit intérieurement que ce démon avait été, sur la terre, administrateur d’une grande maison, que dans cette place il s’était cru au-dessus des grands, des rois et de tout le genre humain, ce qui l’avait porté à renier Dieu et à regarder la religion comme le partage du vulgaire imbécile. Je lui demandai combien de temps durerait sa puissance ; il me répondit qu’elle serait éternelle, et que ceux de la société qui la contestaient étaient enfermés dans des prisons et condamnés aux plus vils travaux.
La terre s’entrouvrit une seconde fois, mais à ma droite, et j’en vis sortir un autre démon, portant sur sa tête une tiare, entourée des longs replis d’une couleuvre qui élevait sa tête au sommet. Il avait le visage couvert de lèpre, depuis le front jusqu’au menton, et les mains également ; ses cuisses étaient nues et enveloppées d’une fumée noire, au travers de laquelle on voyait un feu roux, pareil à celui de nos loyers ; enfin ses talons étaient deux vipères. Le premier démon, ayant vu celui-ci, se jeta à genoux et l’adora, en l’appelant le Dieu du ciel et de la terre, le tout-puissant. Le démon adoré me dit que cet hommage lui était dû parce qu’il avait toute puissance dans le ciel et sur la terre, parce que le sort des âmes était dans sa main. Cet empereur des empereurs, ajouta-t-il, est mon sujet ; qu’est-ce qu’un empereur devant un Dieu, devant celui qui tient les foudres de l’excommunication ? – Vous qui dans le monde n’étiez que chanoine, lui répondis-je, vous avez cru avoir dans vos mains les clefs du ciel : mais comment avez-vous pu en venir à ce point de folie de vous croire Dieu même ? Il me jura, avec fureur, qu’il l’était, que le ciel et l’enfer étaient à ses ordres ; il ajouta que sa société était composée de trois cents, qui tous étaient des dieux, mais qu’il était, lui, le dieu des dieux. La terre s’entrouvrit sous les pieds de ces deux démons, et ils retombèrent dans les enfers, où il me fut permis de jeter les regards : j’y vis, en dessous, des espèces d’étables, de prisons, où les plus méchants d’entre eux sont renfermés. L’enfer ou étaient les rois des rois était rempli d’ordures, et ils paraissaient tous comme des bêtes féroces, avec un regard farouche. L’enfer ou étaient les dieux des dieux exhalait la même odeur fétide ; et autour d’eux je vis voltiger des oiseaux de nuit, méchants, qu’on appelle ochim et ijim. C’est ainsi que la folie de ces esprits infernaux me fut représentée.
L’enfer s’ouvrit une troisième fois à mes regards, et j’y vis deux démons, l’un assis sur un banc, tenant ses pieds dans un panier rempli de serpents qui montaient le long de sa poitrine jusqu’à son cou. L’autre était assis sur un âne de feu, dont les flancs étaient couverts de serpents rouges, qui élevaient leurs têtes contre le cavalier. Il me fut dit que c’étaient des papes qui avaient privé les empereurs de leurs domaines, qui les avaient maltraités à Rome, se laissant supplier et adorer par eux ; le panier rempli de serpents et l’âne de feu, couvert aussi de serpents, représentaient l’amour de dominer par amour de soi qui avait dirigé ces pontifes : ces visions ou représentations n’ont lieu et les objets ne paraissent tels qu’à ceux qui les regardent de loin.
Après avoir considéré ces objets tristes et horribles, j’aperçus deux anges qui s’entretenaient à quelques pas de moi ; l’un était vêtu d’une robe de laine, couleur de flamme pourprée, et, par-dessous, d’une tunique de fin lin, d’une blancheur éblouissante ; l’autre portait une robe de couleur écarlate, et sur la tête une tiare dont le côté droit était orné de rubis. Ils connurent que je méditais sur le sujet même dont ils s’entretenaient, sur la concupiscence, sur la fantaisie et sur l’intelligence ; je les priai de m’instruire sur ces trois choses et ils y consentirent. L’homme, me dirent-ils, est dans la concupiscence intérieure dès sa naissance ; il est dans l’intelligence extérieure par l’éducation ; quant à l’intelligence intérieure, qui est la sagesse, elle ne peut venir que du Seigneur. On n’est éloigné de la concupiscence du mal, on n’a l’intelligence intérieure, qu’autant qu’on se tourne vers le Seigneur et qu’on s’unit à lui ; sans cela l’homme n’est que concupiscence, et il n’a que l’intelligence du corps, laquelle lui vient de l’éducation ; il désire les honneurs et les richesses, il ne peut les obtenir qu’en paraissant moral et intelligent, Or, ayant appris dans l’enfance à se montrer tel, entrant dans le monde, il y parle et agit selon les règles de décence et d’honnêteté que ses premiers maîtres lui ont enseignées et que sa mémoire corporelle a retenues ; il cache la concupiscence de son esprit ; et de là vient que tout homme qui n’est pas intérieurement conduit par le Seigneur est fourbe, sycophante et hypocrite ; on le croit homme, et il ne l’est pas ; son extérieur est humain et son intérieur bestial. Il paraît aussi le front baissé vers la terre et l’occiput tourné vers le ciel. Quand il se livre entièrement à son esprit, sa concupiscence devient fantaisie, il désire et croit posséder le monde ; dévoré d’ambition et d’envie, il parle avec lui-même, il se complaît dans ses possessions fantastiques, dans ses délires de cupidité, et séparant tout-à-fait l’esprit du corps, il étouffe l’entendement sous l’imagination. Après sa mort, cet homme est occupé des mêmes soins, qui le retiennent toujours dans l’extérieur et qui font délirer l’intérieur. Cet homme, dans le monde spirituel, est tourmenté par la crainte de perdre sa réputation, son bien, ses dignités, il est tourmenté par la crainte des lois et des peines.
Après cet entretien, nous eûmes, les deux anges et moi, le désir de voir quelques-uns de ces visionnaires qui sont dans l’amour du monde et de ses biens, dans la concupiscence effrénée et fantastique. Nous découvrîmes leur habitation, située au-dessus de l’enfer, sous la terre où nous étions, laquelle s’entrouvrit, et nous descendîmes, ayant été avertis qu’il fallait aborder ces fous du côté de l’Orient, pour ne pas entrer dans le nuage de leur fantaisie, qui obscurcirait notre entendement et notre vue. Nous entrâmes dans leur maison, qui nous parut construite avec des roseaux, entr’ouverte partout, et placée au milieu d’un nuage qui, comme une fumée, s’échappait par les fentes des murs. Là, nous vîmes assis sur des bancs cinquante hommes d’un côté et cinquante de l’autre ; tous avaient le dos tourné à l’Orient et au Midi, et ils ne regardaient que l’Occident et le Septentrion. Chacun avait devant soi une table sur laquelle des bourses étaient jetées çà et là ; et entre ces bourses nous vîmes une grande quantité d’écus d’or. Nous leur demandâmes si c’était là toutes les richesses du monde ; ils nous répondirent que c’était seulement toutes les richesses du royaume. Le son de leur voix ressemblait à un sifflement, leur figure était bouffie et luisante, comme si elle avait été enduite de l’écume gluante des limaçons ; la prunelle de leurs yeux étincelants était verte, ce qui provenait de la lumière de leur fantaisie. Ils nous assurèrent que chacun d’eux possédait toutes les richesses du royaume ; qu’entre eux il n’était pas permis de penser ni de dire : Mes biens ne sont pas les vôtres ; mais qu’il était permis de penser et de dire : Vos biens sont les miens. Les écus dont leurs tables étaient couvertes leur paraissaient d’or pur, ainsi qu’à nous ; mais en les examinant à la lumière de l’Orient, nous n’y vîmes que de petits grains d’or, étendus et multipliés par la fantaisie de ces visionnaires, qui nous dirent que quiconque entrait dans la maison devait apporter un peu d’or qu’ils découpaient aussitôt, et qu’ils divisaient en petits grains, dont leur imagination faisait de larges écus. Voyant l’excès de leur folie, je leur demandai si sur la terre ils avaient joui des lumières de la raison ; ils me répondirent qu’ils en avaient joui, que maintenant ils savaient bien que leur richesse était imaginaire, mais que ce délire les rendait heureux, par intervalles, car souvent, ajoutèrent-ils, nous rentrons en nous-mêmes et nous éprouvons l’alternative de la sagesse et de la folie. Il y a plus ; ceux d’entre nous qui dérobent le bien d’autrui sont précipités et enfermés nus dans des cachots où ils sont obligés de travailler pour être vêtus et nourris ; on leur donne ensuite quelques oboles, qui font la joie de leur cœur ; s’ils font du mal à leurs camarades, ils sont obligés de le racheter, en donnant, pour amende, ces mêmes oboles.
Les anges m’expliquèrent ensuite la nature de l’amour céleste, qui est l’amour des usages, par le Seigneur. Dans les cieux, me dirent-ils, les bons usages brillent et l’atmosphère y paraît d’or, parce qu’elle se forme de la lumière du soleil spirituel, dont la chaleur correspond à l’amour ; nos emplois, nos dignités, sont hors de nous comme nos habits ; ils n’ont de valeur que par l’usage que nous en faisons ; il faut faire, désirer et posséder toutes choses par amour du prochain pour le Seigneur ; c’est aussi ce que sa parole enseigne sur la terre aux hommes, qui peuvent, durant leur vie, avoir en eux le ciel.
Les deux anges, ayant cessé de parler, s’éloignèrent de moi ; et dans le lointain je les vis portés, comme Élie, sur un char de feu, dans lequel ils s’élevèrent jusqu’aux cieux.
DE LA LANGUE QUE LES ANGES PARLENT AUX HOMMES 47.
QUAND un ange parle à un homme, il s’exprime, ou dans la langue de cet homme, ou dans toute autre qu’il peut entendre ; il s’unit à lui, il s’approprie sa pensée, qui, étant cohérente à la mémoire, agit sur l’organe de la parole pour faire articuler cet homme, et sur l’organe de l’ouïe pour le faire entendre ; de là vient que l’ange qui parle à un homme, et l’homme qui lui parle, sont un. Vous ne sauriez, ai-je dit aux anges, prononcer un mot de la langue de mon pays. Dans nos entretiens, c’est moi qui, par le moyen de votre union à ma pensée, parle une langue que vous pouvez entendre. – Nous le savons, ont-ils répondu ; et il en est de même de la science de l’homme auquel nous parlons, et qui vient aussi de notre union avec lui ; le Seigneur a voulu que l’insertion du ciel dans l’homme se fit ainsi ; il a pourvu à ce qu’il y eût dans l’homme des anges et des esprits pour le conduire ; l’influence générale du ciel lui aurait suffi pour cela, s’il ne s’en était pas séparé ; elle suffisait aux premiers hommes.
Quand un ange parle à un homme, celui-ci entend le son des paroles de l’ange, qui influent sur sa pensée, et de là sur l’organe de l’ouïe intérieure. Tout autre homme là présent n’entendrait rien de cette conversation, parce que la voix ordinaire des hommes frappe premièrement l’air qui les environne, et par l’ouïe extérieure se communique à l’intérieure ; c’est ainsi qu’elle est entendue ; car si l’on veut y réfléchir et se détromper de tout matérialisme, on sentira qu’il n’y a point de rapport entre la sensation produite en notre intérieur par le son, et ce trémoussement de l’air qui produit le son, dit frappant l’organe charnel de l’ouïe ; c’est l’âme qui entend par le moyen de l’oreille.
Aujourd’hui il est rare de converser avec des esprits et très-périlleux de le faire pour ceux qui par une foi vive ne se sont pas mis sous la main du Seigneur ; les mauvais esprits savent alors qu’ils sont dans un homme et ils travaillent à sa perte. Ceux qui s’occupent beaucoup de la religion et qui sont contemplateurs obstinés échauffent et élèvent quelquefois leur imagination jusqu’au monde des esprit, et ils les entendent parler en eux. Mais ces hommes sont des visionnaires enthousiastes qui écoutent et qui croient les mauvais esprits comme les bons ; ils reçoivent le faux comme le vrai ; ces esprits enthousiastes, que j’ai vu habiter un désert, à gauche, dans le monde des esprits, persuadent aux hommes qui les écoutent qu’ils sont le Saint-Esprit ; ils ne leur font point d’autre mal, et ils les flattent, parce qu’ils en sont honorés. Le Seigneur accorde la grâce de converser avec les anges à un petit nombre d’hommes qui ont la connaissance du vrai par le bon, et qui croient que Dieu est homme, parce que c’est le vrai sur lequel les cieux sont fondés, puisque c’est la divinité du Seigneur qui fait le ciel, puisque son humanité en est le modèle. Il faut donc, pour converser avec les anges, que l’homme intérieur soit ouvert et pénétré du vrai divin, qui est Dieu-homme ; et les hommes ont été créés pour cette connaissance. Ceux qui, l’ayant, conversent avec les anges, sont éclairés de la lumière céleste ; ils voient ce qui est dans le ciel, et les anges voient par eux ce qui est sur la terre, parce qu’alors le ciel et la terre sont, par le moyen de l’ange, unis dans l’homme. Cette union fut très-ordinaire chez les premiers hommes, dont le siècle fut nommé le siècle d’or. Leurs descendants, livrés à l’amour d’eux-mêmes et du monde, n’aimèrent plus Dieu ni le prochain, et leur intérieur fut fermé, excepté dans quelques justes, comme les prophètes auxquels Dieu révéla les vérités du ciel et de l’Écriture sainte ; ce ne fut point par de simples inspirations, mais par la médiation des esprits que le Seigneur éclairait de sa lumière et qui dictaient ce que le Seigneur leur avait dicté, ce qu’ils croyaient en ce moment de leur propre fond. En dictant au prophète auquel ils étaient unis, ces esprits inspirés disaient : Jéhovah a parlé ; eux-mêmes se nommaient Jéhovah, comme on le voit en lisant les prophéties.
Plusieurs esprits peuvent parler ensemble et en même temps à la même personne, laquelle peut leur répondre à tous, parce que la société d’anges qui veut communiquer avec un homme lui députe un de ses membres, qui se tourne vers l’homme ; la société se tourne vers son envoyé, en qui se confondent alors toutes les pensées de la société.
Un ange ou un esprit qui communique avec un homme ne doit pas lui parler d’après sa propre mémoire, mais d’après celle de l’homme ; s’il parlait d’après lui, il puiserait dans sa mémoire des choses que l’homme n’a jamais entendues ni vues et qu’il croirait cependant de son propre fond, les regardant comme une réminiscence, comme l’image d’un objet inconnu placée dans sa mémoire. C’est ce qui m’est arrivé ; c’est aussi l’origine de l’opinion de quelques anciens qui ont cru que l’homme après sa mort revenait à une seconde vie, où il se rappelait la première.
Il y a encore des esprits naturels corporels qui ne s’unissent pas à la pensée de l’homme, mais à ses sens, qui s’en emparent, qui agissent par ses membres, qui parlent par sa bouche, etc. Ils étaient communs lors de l’avènement du Seigneur, comme on le voit dans l’évangile. Ils sont relégués dans les enfers ; c’est pourquoi on ne voit plus d’hommes visiblement possédés du démon.
DES DIFFÉRENTS ÉTATS DE L’HOMME APRÈS SA MORT 48.
LE premier état de l’homme, après sa mort, ressemble à son état d’homme mortel. Quand le corps humain ne peut plus faire ses fonctions relatives aux facultés de l’âme qui lui commande et lui donne la vie, on dit que l’homme meurt.
Mais l’homme proprement dit, qui n’est homme que par son intérieur, ne meurt pas, il quitte seulement son enveloppe terrestre, et il ressuscite avec les mêmes affections qu’il eut au moment de sa mort, il les conserve toute l’éternité, et il paraît dans le monde des esprits avec un intérieur et un extérieur, avec un corps et des membres, avec la face et la parole. Enfin l’homme esprit paraît à l’extérieur comme l’homme vivant sur la terre, et il croirait y vivre encore, transporté dans une autre contrée, si ses amis ou ses connaissances, si des anges officieux, qui se sont emparés de lui au moment de sa mort, ne lui apprenaient qu’il est dans le monde spirituel, où ils le promènent, lui faisant voir des villes, des châteaux, des jardins, des campagnes riantes, et mille autres beautés. Incertain sur son sort, il demande s’il montera au ciel ou s’il descendra dans les enfers. Les bons esprits l’examinent, et découvrent bientôt son amour dominant, en lui parlant des biens du monde et des biens du ciel. S’il fut charnel, sensuel, il cache encore ses penchants ; mais son ennui, son inattention aux discours qui roulent sur le spirituel le trahit ; il regarde souvent de certains côtés, et quand il est seul il y tourne ses pas, de préférence. Voilà le premier état de l’homme après sa mort, l’état de l’homme esprit ; il y reste plusieurs jours, ou plusieurs semaines, quelquefois jusqu’à un an, et il passe au second état, appelé état de l’intérieur, ou il ne peut plus se cacher. Ses sens extérieurs sont assoupis, et il ne peut montrer que l’état de son âme, ce qu’il fut sur la terre pour Dieu, pour son prochain, et relativement au bien ou au mal. On lui présente un livre extrait de sa mémoire interne, dont rien ne s’efface, et que l’Écriture sainte appelle le Livre de vie. Le méchant voit les compagnons ou les victimes de sa méchanceté ; il voit ses artifices, les présents qui l’ont corrompu, l’or qu’il a volé, le sang qu’il a répandu, tout le mal enfin qu’il a fait, dit ou pensé. Les bons voient de même leurs bonnes œuvres. Délivré de toutes entraves, le méchant dit et fait librement ce qu’il aime, et il cherche naturellement à se joindre à ses semblables. Il est conduit dans des sociétés dont les goûts sont analogues aux siens. Il demande à être admis dans les cieux, ce qui lui est accordé ; mais à peine y est-il qu’il ne peut respirer ; sa vue s’obscurcit ; il a les angoisses de la mort et il se tourmente, il se roule comme un serpent qu’on approche du feu. Rendu à son élément, il suit un sentier détourné, au bout duquel il voit l’ouverture d’une caverne ; c’est la porte de l’enfer, qui l’attire par son odeur infecte, par sa lumière sombre ; et de lui-même il s’y précipite ; car Dieu ne damne personne ; l’amour du mal est l’enfer et il conduit à l’enfer.
À cette séparation des bons d’avec les méchants finit le second état de l’homme après sa mort. Le troisième état de l’homme esprit est celui où les bons, destinés au ciel, reçoivent les instructions nécessaires pour entrer dans les sociétés angéliques. Le bon et le vrai divin nous sont enseignés dans l’Écriture ; mais on ne peut les connaître parfaitement que dans le ciel. Les anges donnent ces instructions dans des endroits vastes et distingués, suivant le genre et l’espèce des biens célestes, afin que tous, et chacun en particulier, soient instruits suivant leur caractère, leur amour et leurs dispositions recevoir l’enseignement. Ceux qui ont eu sur la terre la charité égale à la foi montent au ciel peu de temps après leur résurrection, car l’homme ressuscite, comme nous avons dit, et il a dans le monde des esprits la forme parfaitement humaine, mais plus belle ou plus hideuse, selon son état intérieur. Ceux en qui il reste quelques taches légères, ou affections terrestres, s’en purifient par un court séjour avec les bons esprits. Dans les lieux d’instruction, il y a aussi différentes sociétés, où l’homme esprit s’attache à ceux qui lui ressemblent. Ce lycée céleste paraît plus long que large, et il s’étend de l’Orient au Couchant. Au premier rang sont les hommes esprits, mâles ou femelles, morts dans l’enfance, et qui ont reçu l’instruction première des mains des femmes auxquelles ils avaient été confiés ; car tous les enfants, nés de pères pieux ou impies, païens ou chrétiens, sont reçus dans le ciel après leur mort dans le bas âge ; on les instruit pour l’état d’anges, et ils le deviennent. L’Ange femme qui les élève leur apprend d’abord à parler ; et leurs premières paroles sont les sons de l’affection, qui participent de l’innocence enfantine. Ils connaissent les objets qui leur plaisent ; le ciel, qui influe sur leur intérieur, y fait germer les premières connaissances ; et bientôt, transportés dans un autre ciel, ils y sont instruits des choses spirituelles et religieuses, par des vierges d’une rare beauté, dans des jardins, des avenues et des galeries superbes ; les fleurs naissent sous les pas, et tous les objets leur paraissent vivants ; c’est pourquoi la vie est toujours présente à leur esprit. Si l’on y fait attention, on observera la même chose dans les enfants de ce monde-ci ; n’ayant pas l’expérience des adultes, ils ne croient rien d’inanimé, et ils conversent avec une poupée, un joujou ou une fleur comme ils converseraient avec leurs semblables. Les enfants célestes croissent en sagesse et en intelligence ; pour le corps et pour l’âme, ils deviennent adultes ; leur forme corporelle est toujours celle de la jeunesse ; ce n’est pas autre chose que la forme extérieure, modelée sur l’intérieure. Leur innocence est leur sagesse ; mais comme ils sont nés dans le mal héréditaire, il faut qu’ils soient régénérés, et Dieu permet que le mal héréditaire repullule quelquefois chez eux, qu’ils en soient tentés, pour qu’ils sentent que tout leur bien vient de Dieu et qu’ils doivent se laisser guider par lui. Derrière les enfants, dans les lieux d’instruction, sont ceux qui sont morts adultes et dont l’amour dominant sur la terre a été l’amour du vrai et du bien ; après ceux-ci sont les mahométans qui ont reconnu un seul Dieu, et Jésus-Christ pour un grand prophète. Plus loin, vers le Septentrion, sont les païens qui ont vécu régulièrement selon leur religion, et qui ont eu l’idée d’un Dieu visible sous forme humaine ; ces derniers sont les plus nombreux, et les meilleurs d’entre eux sont les Africains.
Les instructions sont conformes à la doctrine de l’Écriture sainte, expliquée à chacun suivant les principes de la religion où il vécut. L’affection pour le vrai, convenable à l’emploi que chacun en doit faire, s’infuse dans l’homme esprit par différents moyens ; le plus ordinaire est l’image des fonctions que l’on doit exercer. Ces fonctions sont variées à l’infini, mais toujours de manière qu’en pénétrant l’intérieur de joie et de ravissement, cette vive impression affecte également l’extérieur, ou le corps spirituel de l’homme esprit ; il devient par là une même chose avec son emploi, dans la société angélique où il sera placé. Le temps de ces instructions est court, parce que ces esprits sont sans nuages et éclairés de la lumière céleste. Revêtus d’une robe d’une blancheur éclatante, ils sont conduits aux anges qui gardent l’entrée du ciel ; ceux-ci les transmettent à d’autres anges, et le Seigneur les introduit dans la société angélique qui leur convient. Huit chemins mènent au ciel les anges novices ; deux partent de chaque lieu d’instruction ; l’un mène au royaume céleste, l’autre, au royaume spirituel ; car le ciel, en général, est composé de ces deux royaumes. Les chemins qui mènent au royaume céleste sont bordés d’oliviers et d’arbres fruitiers, parce que l’olivier et les fruits correspondent à l’affection pour le bien ; les chemins qui mènent au royaume spirituel sont bordés de lauriers et de vignes, parce que la vigne et le laurier correspondent à l’amour du vrai.
DE LA CORRESPONDANCE DU CIEL AVEC L’HOMME, ET AVEC TOUS LES OBJETS DE LA NATURE 49.
TOUS les objets du monde naturel émanent de la divinité, qui influe par le monde spirituel ; ainsi, le spirituel est au-dedans de tout ce qui est naturel, comme la cause efficiente est dans son effet. Les objets spirituels sont représentés dans le naturel ; le spirituel est l’essentiel, même dans le naturel ; et l’échelle de Jacob (Genèse 18 : 12) est la figure et le symbole de cette gradation. Les objets spirituels sont représentés dans le naturel, et ce qui est représenté est représentatif et correspondance. La science des correspondances était chez les anciens la science des sciences. Le livre de Job, qui est de l’ancienne Église, est plein de correspondances. Les livres saints sont écrits par correspondances. Les rits et les usages religieux des israélites étaient des correspondances. Cette science fut connue des orientaux et des Égyptiens, qui l’exprimèrent par des signes, par des hiéroglyphes, lesquels furent méconnus dans la suite des temps, et produisirent, dans la Grèce, et chez les nations, l’idolâtrie et la fable. Tout est donc image et correspondance ; ce qui le prouve encore, c’est que l’intérieur spirituel se revêt à l’extérieur (telle est sa tendance) des couvertures qui lui sont propres et par lesquelles il se rend visible. Ainsi, la fin prend les vêtements qui lui conviennent le mieux, pour pouvoir exister comme cause dans une sphère inférieure, et pour se montrer ensuite comme effet dans une sphère encore plus inférieure ; voilà l’amour, la sagesse, et l’usage des deux, ou l’acte. En effet, l’âme prend dans le corps de l’homme les couvertures dont elle a besoin pour rendre visible ce qu’elle pense et ce qu’elle veut. La pensée, découlant dans le corps, y est représentée par des gestes et des affections qui lui correspondent. La fin et la cause, qui appartiennent au monde spirituel, sont donc intérieurement cachées dans tous les objets naturels, lesquels sont, par conséquent, des correspondances.
Lamour de soi et l’amour du monde, éteignant l’amour de Dieu et du prochain, ont éloigné l’homme du ciel et effacé de son esprit la science des correspondances, qui peut seule ouvrir les yeux de l’esprit, dévoiler le monde spirituel, et faire concevoir ce qui ne tombe pas sous les sens corporels. En voici quelques documents abrégés pour servir d’exemple. Le ciel, l’univers dans son tout, représente un homme et est appelé le grand homme. L’homme, notre semblable, représente, par son âme, le monde spirituel, et, par son corps, le monde naturel ; aussi a-t-il été appelé par quelques anciens microcosme, ou petit monde. La tête signifie l’intelligence et la sagesse ; la poitrine signifie la charité et la foi ; les lombes, l’amour conjugal ; les bras et les mains, la puissance du vrai ; les pieds, le naturel ; l’œil, l’entendement ; les narines, la perception ; les oreilles, l’obéissance ; voilà pourquoi on dit d’un homme prudent qu’il a de la tête ; d’un homme puissant qu’il a de grands bras ; d’un homme fin qu’il a bon nez, etc. Toutes ces expressions sont traditionnelles, et viennent de l’ancienne science des correspondances.
Le ciel ayant la forme humaine, les sociétés angéliques qui sont dans telle partie sont aussi dans la correspondance de cette partie, et leur influence correspond également. Les sociétés angéliques qui sont dans la tête excellent en intelligence, et elles influent sur la tête de l’homme. Les sociétés qui sont dans le cœur du ciel, ou grandissime homme, excellent en amour, et elles influent sur le cœur du petit homme.
Le ciel a correspondance avec tous les individus des trois règnes, animal, végétal et minéral, qui sont sur la terre. Ce monde est figuratif, représentatif ; ce n’est qu’une image du monde spirituel. Les productions même de l’industrie humaine, comme les édifices, les ustensiles, les vêtements, sont des correspondances, et l’Écriture sainte les emploie pour cela. Les végétaux correspondent avec le ciel et avec l’homme. Les animaux correspondent aux affections de l’homme ; aussi quand il est doux, on dit, c’est un agneau ; un tigre, s’il est cruel ; un renard, s’il est rusé ; un cochon, s’il est gourmand ; un serpent, s’il est prudent, etc. Les poissons signifient les vérités ; les oiseaux, les perceptions.
À tous cet animaux, créés pour être des usages et des correspondances, il a été infusé (puisqu’ils vivent), une portion quelconque d’intelligence et de désir, que nous nommons instinct, avec lequel ils se conduisent toujours bien 50, parce qu’en eux l’intelligence est toujours soumise au désir, lequel est uniforme et dans l’ordre de la vie pour laquelle ils sont faits. Voilà pourquoi les animaux sont des correspondances, des instructions, par lesquelles l’Écriture nous rappelle souvent au bon et au vrai.
Les arbres, qui sont aussi des correspondances, signifient les différentes connaissances du bon et du vrai ; les jardins signifient la sagesse ; le pain exprime le bon de l’amour ; le vin, le vrai de la sagesse ; voilà pourquoi le Seigneur employa tous les deux dans la sainte Cène. La terre signifie l’Église ; les métaux, les connaissances humaines ; les pierres, les connaissances du vrai.
Une preuve que les plus anciens peuples, même les idolâtres, qui ignoraient ou qui méprisaient la révélation faite aux Israélites, une preuve qu’ils étaient versés dans la science des correspondances, c’est l’allégorie qu’on trouve dans leurs sacrifices ou dans leurs présents. Par exemple, lorsque Dieu punit les Philistins, détenteurs de l’arche sainte, par des hémorroïdes et par des milliers de rats, il leur fut ordonné par leurs prêtres ou mages d’apaiser le ciel, en renvoyant l’arche sur un chariot neuf, traîné par deux vaches mugissantes, avec cinq hémorroïdes d’or et cinq rats d’or. Voici l’explication : le chariot neuf signifiait la doctrine naturelle de l’Église ; par les vaches, il faut entendre les bonnes affections ; par leurs mugissements, les efforts du mal vaincu par le bien ; les hémorroïdes d’or signifient les amours naturels purifiés ; les rats d’or expriment les ravages de l’Église, terminés par le bien, car l’or est, dans l’Écriture, la correspondance du bon ; enfin le nombre cinq signifie un peu, un progrès, ce qui est le repentir des Philistins ; de même, à la naissance de Jésus-Christ, les mages de l’Orient, guidés par une étoile, vinrent lui présenter de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ces dons étaient significatifs : l’or signifiait le bon céleste ; l’encens, le bon spirituel ; la myrrhe, le bon naturel ; trois choses qui sont le tout du culte. Enfin, par l’étoile qui précédait les mages, il faut entendre une connaissance céleste.
La science des correspondances ne fut point connue des premiers chrétiens, vu leur simplicité, qui ne leur eût pas permis d’y rien comprendre ; elle ne put naître dans les temps qui suivirent, où les hérésies et les décrets du concile de Nicée touchant la Trinité répandirent sur tout le monde chrétien des ténèbres qui, jusqu’à nos jours, n’ont fait que s’épaissir.
La conjonction du ciel et de la terre, par les correspondances, se fait ainsi ; le ciel est le royaume des fins ou motifs qui ne sont autres que les usages auxquels ces choses sont destinées ; c’est pourquoi le Seigneur a créé l’univers de manière que par l’usage des choses tout y soit en action ou un effet de quelque cause dépendante de la première, qui est lui. Cette action se produit d’abord dans le ciel, de là dans le monde, et par degrés jusqu’aux infiniment petits de la terre. La correspondance des choses spirituelles avec les naturelles se fait donc par les effets liés à leurs causes ; ainsi, tout ce qui existe, étant effet, devient correspondance.
L’homme est le moyen d’union entre le spirituel et le naturel, parce que ces deux constituent son humanité, et ces deux sont aussi son moyen de correspondance avec le ciel ; formant ses idées sur les objets naturels, il est obligé d’avoir recours aux correspondances que ces objets ont avec les objets spirituels.
Tout ce qui est bien et dans l’ordre correspond au ciel ; tout ce qui est mal et contre l’ordre correspond à l’enfer ; le bon et le vrai se rapportent au ciel ; le mal et le faux se rapportent à l’enfer.
Les premiers hommes eurent un génie à tel point céleste que, par les correspondances, ils communiquaient sans cesse avec les anges. Cette science des correspondances, perdue depuis longtemps, a été révélée de nos jours, pour qu’on annonçât aux hommes, par l’explication du sens caché et interne de l’Écriture, la nouvelle Jérusalem, ou le règne de la charité et de la foi, dans la nouvelle église du Seigneur.
Vision 51.
COMME je sortais du temple de la sagesse, dans lequel j’avais été transporté en esprit, un ange, vêtu d’une robe de couleur d’hyacinthe, s’approcha de moi et s’offrit de me conduire au lieu où s’assemblent les anciens philosophes de la Grèce, comme Pythagore, Socrate, Aristippe, Xénophon, et leurs disciples. Je suivis mon guide céleste qui me conduisit jusqu’auprès d’une ville située entre le Septentrion et l’Orient, au pied de deux coteaux, dont l’un, qui est le plus élevé et le plus éloigné de la ville, s’appelle l’Hélicon ; l’autre, plus voisin de la ville, et moins élevé, s’appelle le Parnasse. Dans la ville, que l’on nomme Athénée, et dans ses environs, habitent tous les anciens sages de la Grèce, qui aiment à questionner les nouveaux venus du monde naturel sur les progrès des connaissances humaines. J’en vis plusieurs qui sortaient de la ville et de la campagne, les uns avec une couronne de laurier sur la tête, les autres ayant une palme à la main, ou un livre sous le bras, ou une plume insérée dans les cheveux de la tempe gauche. Nous nous mêlâmes dans la troupe ; ayant monté le coteau, nous y vîmes un palais octogone, appelé Palladium, où nous entrâmes, et qui contenait huit cabinets sexangulaires, dans chacun desquels il y avait une bibliothèque et une table où un Lauréat était assis. Il y avait aussi des sièges de pierre pour le reste de l’assemblée. Du côté gauche s’ouvrit une porte par laquelle entrèrent deux nouveaux venus du monde terrestre, à qui on demanda ce qu’il y avait de nouveau parmi les hommes. Ils répondirent qu’on avait trouvé dans les forêts des bêtes semblables aux hommes, ou des hommes semblables aux bêtes, ce qui avait achevé de déterminer les savants à croire que l’homme en effet n’est qu’une bête, plus stupide que plusieurs bêtes, puisqu’il ne sait rien de lui-même ; que les animaux ont, comme lui, des raisonnements, et qu’ils exprimeraient leur pennée s’ils pouvaient parler ; qu’il meurt comme eux, et que tout ce qu’on dit de la vie de l’homme après sa mort est une fable inventée pour tromper le peuple.
Quelle désolation ! dirent les sages assis près des tables ; qu’est devenue la sagesse ? un esprit insensé, une déraison spirituelle. L’homme créé à l’image de Dieu, dit un pythagoricien, est devenu l’image du diable. Un autre, de l’école de Socrate, dit que le soleil de vérité s’était caché, puisque les hommes niaient Dieu et la vie éternelle. Un platonicien prit la parole et dit : Les hommes de l’âge d’or surent parfaitement qu’ils n’étaient que des réceptacles de la vie provenue de Dieu, qui leur donnait la sagesse ; voyant le vrai à la lumière céleste, ils reconnaissaient le bon par l’amour qu’il leur inspirait. Les hommes de l’âge suivant, ayant perdu cette connaissance, crurent que le vrai de la sagesse et le bon de l’amour venaient deux ; ils cessèrent d’être en société avec les anges, de parler à Dieu, qui n’habita plus en eux ; leur intérieur, qui avait été élevé à Dieu par Dieu, prit, de plus en plus, une direction oblique vers le monde ; il s’éleva encore de Dieu à Dieu, mais par le monde ; enfin il prit la direction tout-à-fait opposée, c’est-à-dire que du monde il revint à lui-même. L’homme ne pouvant plus regarder le ciel, dont il s’était détourné, regarda l’enfer, et il en devint la forme. Les hommes des premiers siècles connurent donc, d’esprit et de cœur, le vrai de la sagesse et le bon de l’amour ; ils se crurent de simples réceptacles de la vie de Dieu ; aussi furent-ils appelés les images de Dieu, les enfants de Dieu. Dans les siècles suivants, on connut Dieu non de cœur et d’esprit, mais par une foi persuasive, ensuite par une foi historique, enfin de bouche seulement, ce qui n’est plus le connaître. C’est à cette époque que se perdit la science des correspondances. La source que vous voyez sur ce coteau, et dont à notre arrivée on nous a présenté de l’eau dans des verres de cristal, cette source, sortie de la corne du pied du cheval pégase, ce cheval ailé, les neuf muses, présidées par un chef, métamorphosées en oiseaux, toutes ces choses sont aujourd’hui, sur la terre, des fables ; c’était jadis des correspondances, des emblèmes spirituels. Le chef, soit Pallas, soit Apollon, signifie l’expérience, la science ; le cheval désigne l’entendement humain ; l’eau, sa clarté ; les neuf muses sont les connaissances humaines ; les oiseaux, dont elles prirent la forme, sont les pensées ; tout enfin était significatif ; la terre était pleine de représentations semblables à celles des intelligences célestes, dont le langage s’exécute par des représentations vives qui expriment en même temps plusieurs séries de choses. Vous qui arrivez du monde terrestre, ne soyez pas surpris d’entendre ainsi parler des philosophes grecs. L’eau de cette source, que nous avons bue, nous a fait connaître le vrai, et par le vrai, le bon, ce qui constitue la sagesse. On peut juger de celle des chrétiens sur la terre, des chrétiens d’aujourd’hui, qui, bien qu’éclairés par la révélation, comparent l’homme à une bête. La lumière spirituelle, qui est la vue de l’âme, est obscurcie ou n’existe pas pour eux, ils ne voient qu’avec les yeux du corps.
Les sages remercièrent les nouveaux venus, et ils les exhortèrent à attribuer à Dieu tout le bon de la charité, et tout le vrai de la foi, les assurant qu’ils deviendraient par là des anges du Seigneur. Je vis ensuite entrer un prêtre, un politique et un philosophe, qui arrivaient du monde terrestre. On leur fit les mêmes questions qu’aux autres, et ils répondirent que ce qu’il y avait de plus nouveau sur la terre, c’était la doctrine d’un homme qui enseignait que l’homme était homme après sa mort, qu’il vivait dans le monde spirituel comme dans le terrestre, qu’il y était vêtu, logé, occupé comme sur la terre ; qu’il y jouissait des plaisirs de l’amour conjugal, de la table, du sommeil, de la promenade, des chants, et autres amusements ; qu’il retrouvait dans les cieux tous les objets qu’il avait laissés sur la terre, mais bien plus beaux et plus satisfaisants, parce que les objets terrestres sont naturels, matériels, et que les objets célestes sont d’une substance spirituelle et relatifs à l’intérieur des célicoles. Sur la terre, le croit-on ? leur demandèrent les sages ; et vous-mêmes qu’en pensez-vous ? Les trois nouveaux venus répondirent qu’ils le croyaient actuellement, puisqu’ils le voyaient, mais que cette doctrine était, sur la terre, regardée comme une folie. Le prêtre, prenant la parole, dit : Ceux de mon ordre ont regardé les récits du nouvel apôtre comme des rêves, et ses anges, ses hommes après la mort, qu’il dit avoir vus, comme des fantômes imaginaires ; ils ont persisté à croire que l’homme était un pur esprit, qui ne pouvait ressusciter qu’au jour du jugement dernier, que telle était la foi des vrais chrétiens.
Le politique dit que ses pareils ne croyaient point qu’il y eut une vie après la mort, et qu’ils regardaient tout ce qu’on en disait comme des faussetés inventées par l’intérêt ; qu’ils croyaient que si l’homme avait une âme, c’était un souffle, un air pur, qui ne pouvait revêtir la forme humaine.
Le philosophe dit les mêmes choses, et il y ajouta le récit des opinions, des hypothèses des anciens et des modernes sur la vie après la mort.
Après un moment de silence, les sages, affligés et stupéfaits, dirent que les opinions actuelles des humains étaient contraires à l’Écriture sainte et à la raison, que c’étaient des paradoxes qui se détruisaient par leur contradiction. Qu’est-ce que ce jugement dernier, ajoutèrent-ils, qui détruira l’univers, qui fera tomber les étoiles sur la terre, laquelle est plus petite que les étoiles ? Comment les corps des hommes, dévorés, depuis des milliers de siècles, par tous les animaux ; comment ces corps, brûlés, pulvérisés, disséminés dans tout l’univers, pourraient-ils reprendre leur forme, et s’unir à une âme ? Nous autres, privés des lumières de la révélation, nous avions conclu, par les seules lumières de la raison, que l’homme devait vivre après sa mort ; et nous lui avions assigné, sous le nom de champs élysiens, des lieux fortunés où il conservait toute sa forme humaine et ses goûts raisonnables.
Un sage de l’école de Socrate dit : Par ce que nous apprenons de la terre, nous devons croire que l’intérieur de l’esprit des hommes est absolument fermé et que le faux luit à leurs yeux comme le vrai. Une folie spirituelle leur tient lieu de sagesse : depuis notre temps la lumière spirituelle est descendue de l’intérieur du cerveau dans la bouche, sous le nez ; là, elle paraît comme l’éclat des lèvres ; et le son de la parole, le bruit que fait la bouche, est pris pour la sagesse même.
La conférence étant finie, les sages donnèrent aux hommes esprits nouvellement arrivés du monde terrestre les marques ou ornements propres à leur habitation, à leur école ; c’était de petites lames de cuivre sur lesquelles étaient gravés différents hiéroglyphes ; et chacun se sépara.
DE LA VRAIE
RELIGION CHRÉTIENNE.
C’EST le titre d’un des plus grands ouvrages de Swedenborg ; il a terminé sa carrière par ce traité, lequel renferme toute sa doctrine, c’est-à-dire toute la doctrine qui est contenue dans les saintes Écritures, et qui sera la croyance de la nouvelle Jérusalem, ou de la nouvelle Église du Seigneur. Dans ce traité se trouvent les chapitres importants de la divine Trinité, du Seigneur rédempteur, de la rédemption, du Saint-Esprit et de l’opération divine, de l’Écriture sainte, de la foi, de la charité et des bonnes œuvres, du libre arbitre, de la pénitence, de la réformation et de la régénération, de l’imputation, du baptême, de la sainte Cène, de la consommation du siècle ou de l’avènement du Seigneur et de la nouvelle Église. Nous analyserons successivement tous ces chapitres, et nous y indiquerons, par une note, les autres ouvrages où Swedenborg a traité la même matière.
DE LA DIVINE TRINITÉ 52.
IL est nécessaire de savoir ce que c’est que la divine Trinité, dont le monde chrétien parle beaucoup sans la connaître. Ne la connaissant pas, on n’a point une juste idée de Dieu ; et la juste idée de Dieu est comme le sanctuaire dans l’église, comme l’autel dans le temple. Il y a une divine Trinité, qui est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit viendra en vous, dit l’ange à Marie ; la vertu du Très-haut vous protégera, et le saint qui naîtra de vous s’appellera le Fils de Dieu, Luc 1 : 35. Voilà le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, qui sont les trois qualités essentielles d’un Dieu unique, trois choses qui n’en font qu’une, de même que dans l’humanité, l’âme, le corps et l’acte, ne font qu’un homme. Ces trois essences n’en font qu’une réellement, parce que l’une de ces trois vient de l’autre, existe pour l’autre, et se confond en elle.
Avant la création, avant le temps, la Trinité n’était pas ; elle a existé lors de l’incarnation du Seigneur. Les chrétiens qui enseignent que Dieu a, de toute éternité, engendré son Fils, duquel a procédé le Saint-Esprit, que ce sont trois personnes réellement subsistantes en elles-mêmes, qui cependant ne font qu’un seul Dieu, ces chrétiens enseignent réellement trois Dieux. Qu’ils se consultent intérieurement et de bonne foi, ils verront qu’en affirmant que trois personnes réelles en Dieu ne font qu’un seul Dieu, ils parlent contre leur pensée, et que leur profession de foi n’est que de bouche. Cette Trinité de personnes en Dieu fut inconnue dans l’Église primitive et apostolique, qui s’en tenait à la simplicité de l’Évangile, où l’unité de Dieu est établie dans cent endroits. Le concile de Nicée, dirigé par Athanase, a introduit dans l’Église cette foi erronée, cette croyance labiale et contradictoire, qui est l’abomination de la désolation, et qui a corrompu le christianisme. En effet, enseigner qu’il y a en Dieu trois personnes, dont chacune est Dieu, c’est établir réellement trois Dieux ; c’est une impiété, qui en a produit beaucoup d’autres.
En Jésus-Christ, dit S. Paul (Coloss. 2 : 9.), habite corporellement toute la plénitude de la Divinité... Mon père et moi ne sommes qu’un, Jean 10 : 30... Recevez, dit Jésus-Christ à ses disciples, le Saint-Esprit... Mes paroles sont esprit, Jean 20 : 22 et 6 : 63. Les prophètes parlaient selon l’esprit de Dieu, l’esprit de Jéhovah, comme dit Isaïe 42 : 1. Le Saint-Esprit est donc la parole donnée aux chrétiens dans la suite des temps, et cette parole est Dieu fait homme ; le Verbe s’est fait chair, Jean 1 : 14. La création, la rédemption, la sanctification sont, pu conséquent, trois qualités, trois vertus, trou bienfaits de Dieu, mais non trois personnes en Dieu ; car Dieu est un, et il n’y a qu’un Dieu 53.
Vision 54.
UN jour, transporté en esprit dans les cieux, j’y vis un palais magnifique, dans le fond duquel était un temple, et au milieu du temple il y avait une table d’or, sur laquelle était la Parole, gardée par deux anges. Autour de la table il y avait trois rangs de sièges. Les sièges du premier rang étaient couverts d’un drap de soie pourpre ; les sièges du second rang, d’un drap bleu ; et ceux du troisième rang, d’un drap blanc. Sous la voûte, au-dessus de la table, était étendu un tapis enrichi de pierreries dont l’éclat imitait celui de l’arc-en-ciel. Non loin de la table était un cabinet, gardé par un ange, où je vis des robes magnifiques, étendues et arrangées avec ordre. Bientôt je vis assis sur les sièges plusieurs membres du clergé, revêtus de leurs habits sacerdotaux ; c’était un concile, assemblé par le Seigneur ; et j’entendis une voix céleste qui disait : Délibérez touchant le Seigneur et le Saint-Esprit. Ils demandèrent d’être éclairés ; et une lumière, descendue du ciel sur leur tête, illumina d’abord l’occiput, ensuite les tempes, et enfin la face. Ils commencèrent, touchant le Seigneur. La première question fut de savoir qui a pris la forme humaine dans le sein de la vierge Marie ; et l’ange debout auprès de la table sur laquelle était la Parole lut plusieurs passages de St Luc, de St Matthieu, d’Isaïe, des Psaumes, de Jérémie, de Zacharie et d’Osée, d’après lesquels il fut statué qu’il ne peut y avoir un fils de Dieu, ou un Dieu né de toute éternité ; que l’essence divine, qui est une et individuelle, ne peut être séparée, qu’il n’en peut provenir quelque chose qui ne soit pas le tout et qui puisse seul revêtir l’humanité. Un de ceux qui étaient assis sur les sièges du troisième rang lut le passage du symbole d’Athanase, qui dit qu’en Jésus-Christ Dieu et l’homme sont un, comme le corps et l’âme d’un homme ne font qu’un homme. Des catholiques romains, cachés dans un coin du temple, s’écrièrent que Dieu le père, Jéhovah, ne s’était point fait homme, que l’humanité du fils n’était point divine ; mais ils furent confondus par la lecture que fit l’ange de plusieurs passages d’Isaïe de St Jean. Enfin, tous les délibérants statuèrent, d’un cœur et d’une voix, que l’humanité du Seigneur était divine, qu’il fallait y avoir recours pour avoir recours au Père, parce que Jéhovah, Dieu, qui est le Seigneur de toute éternité, est venu sur la terre, s’est rendu visible et accessible aux hommes, par son humanité, comme dans les premiers âges il se rendait visible et accessible sous la forme humaine par le moyen d’un ange.
La délibération sur le Saint-Esprit ayant commencé par la distinction des trois personnes, dont la première, Dieu le père, devait être assise au plus haut degré, ayant son Fils à sa droite, et le Saint-Esprit, procédant des deux, était par eux envoyé pour éclairer le monde, une voix céleste se fit entendre et dit que cette division était insensée ; que Dieu, ayant l’omniprésence et l’omniscience, enseignait lui-même, et ne pouvait avoir d’intermédiaire ; qu’il était un en toutes choses. Mais qu’est-ce donc, dirent les Catholiques romains, cachés dans un coin du temple, qu’est-ce donc que le Saint-Esprit, dont S. Paul et les évangélistes ont si souvent parlé, et par qui nos chefs se flattent d’être conduits ? Qui peut nier son opération ? Un de ceux qui étaient assis sur les sièges du second rang se tourna vers les catholiques romains, et leur dit : Le Saint-Esprit n’est point une personne divine, ni Dieu en soi, mais le divin procédant, ou l’opération divine.
Les anges qui étaient debout auprès de ti table sur laquelle était la Parole, applaudirent à cette décision, et ils ajoutèrent que dans l’Ancien Testament il n’est point dit que les prophètes aient jamais parlé par le Saint-Esprit, mais par Jéhovah ; et que dans le Nouveau Testament, quand le Saint-Esprit y est nommé, il faut entendre le divin procédant, ou la divinité enseignante, vivifiante, et régénérante.
Les membres du concile, délibérant ensuite sur la procession du Saint-Esprit, pour savoir s’il procédait du divin qu’on nomme le Père, ou du divin humain qu’on nomme le Fils, la lumière céleste, qui tout-à-coup vint briller au milieu d’eux, leur fit voir que le St divin, qu’il faut entendre par le Saint-Esprit, procède du divin qui est dans le Seigneur, par son humanité glorifiée, de même que tout acte, dans l’homme, procède de l’âme par le corps. L’ange qui était debout auprès de la table confirma cette décision par plusieurs passages tirés d’Isaïe, de St Jean, de St Luc et de St Matthieu. Enfin, il les résuma tous par ce décret, qui est la vérité divine : En Dieu notre Seigneur Jésus-Christ est la divine Trinité, c’est-à-dire, le divin auteur de tout, nommé le Père, le divin humain, nommé le Fils, le divin procédant, nommé le Saint-Esprit ; il n’y a donc qu’un seul Dieu dans l’Église.
Ce magnifique concile étant terminé, les délibérants se levèrent, et l’ange, gardien du cabinet, ou trésor, vint apporter à chacun d’eux des robes magnifiques, tissues d’or et de soie ; il leur dit : Recevez la robe nuptiale. Ils furent ensuite conduits avec pompe dans le nouveau ciel chrétien, auquel sera unie l’Église du Seigneur sur la terre, laquelle église est la nouvelle Jérusalem.
DU SEIGNEUR RÉDEMPTEUR 55.
ON croit dans les églises chrétiennes que Dieu a, de toute éternité, engendré un fils qui est descendu sur la terre pour racheter le genre humain ; mais c’est une erreur qui tombe d’elle-même quand on songe que Dieu est un et qu’il ne peut avoir un fils. Il reste prouvé par la parole et par la raison que Dieu lui-même, Jéhovah, s’est fait homme, et qu’il est le rédempteur : l’âme de ce divin Sauveur fut de Dieu, et Dieu même ; l’homme conçu et engendré par Marie fut le corps de cette âme, le Fils de Dieu ; le Saint-Esprit fut la parole et la vie de cet homme Dieu. Le rédempteur est donc le Seigneur, Dieu créateur, qui ne pouvait racheter les hommes qu’en se faisant homme, parce qu’étant dans le premier et dans le plus pur des degrés, il ne pouvait, sans se revêtir de l’humanité, descendre au dernier degré, dans lequel sont les enfers ; sans être homme il ne pouvait pas plus attaquer les démons qu’un homme sans bras ne peut tenir une épée, et se battre avec elle contre un homme armé. Par son humanité, Dieu descendit au dernier degré ; et voilà pourquoi dans l’Écriture il est appelé le premier et le dernier, alpha et oméga, le principe et la fin.
Dieu se fit homme selon l’ordre établi par lui-même ; et au lieu de se former avec les éléments un corps dans la force et la maturité de l’âge, il fut conçu, porté et mis au monde par une femme ; il fut enfant, adolescent, et il reçut les instructions de ces deux âges, parce que Dieu, qui est l’ordre même, ne peut le violer.
Le Seigneur rédempteur n’est point le fils de Marie, mais le fils de Dieu, comme nous l’avons expliqué ; et quand il glorifia son humanité, il dépouilla tout ce qu’il tenait de sa mère pour ne garder que ce qu’il tenait de son Père. Cette opinion que le Sauveur est fils de Marie est la source du judaïsme moderne, de l’arianisme, du socinianisme, du déisme enfin, et du naturalisme. Jésus-Christ dit lui-même qu’il n’est pas le fils de Marie. Votre mère et vos frères vous attendent, lui dit-on ; il répond : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la suivent, Luc 8 : 20, 21. Ailleurs il dit à Marie : Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ?
On peut dire que le Seigneur fut fils de Marie ; mais on ne peut pas dire qu’il l’est encore, puisque par l’acte de la rédemption il dépouilla l’humain de sa mère pour revêtir le divin de son Père : c’est ce qui fait que l’humain du Seigneur est divin et qu’en lui Dieu est homme et l’homme est Dieu.
J’ai vu Marie dans les cieux ; elle m’a dit que le Seigneur, véritablement né d’elle, avait ensuite, comme étant Dieu, dépouillé tout l’humain qu’il tenait d’elle, qu’elle l’adorait elle- même comme son Dieu, et qu’il ne voulait pas être adoré comme fils de Marie, parce qu’en lui tout est divin.
Ceci nous fournit l’occasion de révéler un arcane de la sagesse divine. L’âme, qui est l’homme même, vient du père, à qui elle a été transmise et infusée du monde spirituel ; le corps vient de la mère, qui le forme des substances qu’elle prend dans le monde naturel. Tout homme dépose, après sa mort, le naturel qu’il tenait de sa mère, et il garde le spirituel qu’il reçut de son père, entouré d’un cercle formé des plus pures substances de la nature. Dans ceux qui vont au ciel, ce cercle est au-dessous du spirituel ; dans ceux qui descendent aux enfers, ce cercle est au-dessus du spirituel ; de là vient que l’homme ange parle d’après le ciel et dit le bon et le vrai, tandis que l’homme démon parle, de cœur, d’après l’enfer, et il peut, de bouche seulement, parler du ciel ; dans ce cas, il parle hors de chez lui ; l’ange, au contraire, parle toujours chez lui..... C’est parce que l’âme est l’homme même que le fils a l’esprit, le caractère et les inclinations de son père ; l’âme est spirituelle et transmissible ; voilà pourquoi les peuples et les hommes qui ont le plus de ressemblance entre eux et qui la conservent le mieux sont ceux qui ont la plus forte persuasion spirituelle : témoins les Juifs, qui se ressemblent tous par les traits du visage, comme par les opinions religieuses 56... La semence du père, qui est le véhicule de son âme, prend, dans le corps de la mère, une enveloppe naturelle, un corps qui peut ressembler à la mère comme au père ; mais l’image du père existe toujours dans le fils ; et elle tend à se manifester dans la seconde génération, si elle n’est pas dans la première. Cette image du père est toute entière dans la semence, parce que l’âme est spirituelle ; et le spirituel, qui ne connaît point l’espace, est semblable à lui-même dans un petit volume comme dans un grand.
Le Seigneur prépara son union avec son père et celle de son père avec lui par son ex-inanition, ou dépouillement de l’humanité, état qui est souvent décrit dans la parole, surtout dans les Psaumes, dans les prophètes, particulièrement dans Isaïe, où il est dit (chap. 53, vers. 12) : Il a anéanti son âme jusqu’à la mort. L’état d’humiliation du Seigneur devant son Père, ses prières, sa soumission, ses angoisses, le secours qu’il lui demanda en mourant, l’état d’ex-inanition du Seigneur, sans lequel il n’aurait pu être crucifié.
La glorification du Seigneur fut son union avec son père ; il fut dans l’état de glorification quand il se transfigura devant ses disciples, quand il fit des miracles, quand il dit que lui et son père n’étaient qu’un, quand il ressuscita et qu’il dit que toute puissance lui avait été donnée dans le ciel et sur la terre, que toute chair lui était soumise, etc.
Les habitant de l’Asie, de l’Afrique et des Indes, qui ne sont point instruits de la rédemption, sont sauvés s’ils ont vécu selon les préceptes de leur religion ; mais ceux à qui on a prêché le Seigneur rédempteur, ne peuvent être sauvés que par lui.
L’état de l’Église, depuis l’avènement du Rédempteur, est appelé dans l’Écriture le matin. Depuis son avènement, le Seigneur est immédiatement parmi les hommes de l’Église ; il leur est présent par le divin naturel qu’il prit dans le monde.
La glorification du Seigneur est la glorification de l’humanité qu’il revêtit la terre ; et l’humanité glorifiée du Seigneur est le divin naturel : cela se prouve par la résurrection du Seigneur, qui sortit du tombeau avec le corps entier qu’il avait dans le monde, ne laissant rien, et emportant tout ce qu’il eut d’humain naturel, depuis le premier degré jusqu’au dernier. Aussi dit-il à ses disciples qui, le voyant après sa résurrection, croyaient voir un esprit : Voyez mes mains et mes pieds ; c’est moi-même, touchez-moi, et voyez ; un esprit n’a point la chair et les os que vous me voyez avoir, Luc 24 : 39. D’après cela, les anges disent que dans tout le monde spirituel le Seigneur seul est pleinement homme.
DE LA RÉDEMPTION 57.
Dieu fait homme subjugua les enfers, remit l’ordre dans les cieux, et prépara une nouvelle Église spirituelle : ces trois choses sont la rédemption. Le Seigneur opère encore aujourd’hui une rédemption qui commença, avec le jugement dernier, l’an 1757 ; je puis l’affirmer en toute vérité, le Seigneur ayant daigné m’en rendre témoin. On enseigne dans la chrétienté que Dieu, irrité contre le genre humain, l’avait damné universellement ; mais qu’étant miséricordieux, il avait engagé son fils à se faire homme, et que ce fils, en souffrant toutes sortes d’outrages et enfin la mort, a apaisé la colère de son père, et reconcilié le genre humain avec lui ; que le fils est encore aujourd’hui médiateur entre Dieu et les hommes.... C’est une tragédie imaginée ; c’est une erreur née avec celle des trois personnes divines existantes en Dieu.
Au temps du premier avènement du Seigneur, les enfers s’étaient peuplés et élevés au point qu’ils occupaient tout le monde des esprits ; les cieux en étaient troublés, attaqués ; et ils auraient été détruits si le Seigneur ne les eût défendus. Par son humanité il s’exposa à des tentations dont la mort sur la croix fut la plus cruelle et la dernière. Ayant vaincu ces tentations que l’enfer lui suscita, il vainquit l’enfer dans un combat qu’il avait rendu égal en se faisant homme, et durant lequel il fut accablé, effrayé, troublé comme un homme, puisqu’il invoqua le secours de son Père. Il fut vainqueur et il sauva l’humanité, la glorifiant en lui. Les prophètes représentent aussi son avènement comme celui d’un guerrier redoutable, Isaïe 59 : 16, 17, 20. Jérémie 46 : 5, 10. David, Ps. 14, 45, 132. Le Seigneur lui-même parle de sa victoire sur l’enfer quand il dit : Voici le jugement du monde ; le prince du monde va être chassé, Jean 12 : 31. Le prince de ce monde est jugé, Jean 16 : 11. Prenez confiance, j’ai vaincu le monde, Jean 17 : 33. J’ai vu Satan tombant comme la foudre du haut des cieux, Luc 10 : 18. Voilà la rédemption, qui ne pouvait se faire que par l’incarnation, puisque sans revêtir l’humanité, sans venir sur la terre pour y vivre et y mourir, le Seigneur ne pouvait être tenté, il ne pouvait ni combattre ni vaincre. Sans cette rédemption nul homme ne pouvait être sauvé, parce que le monde spirituel est indissolublement uni au naturel, c’est-à-dire l’esprit des hommes bons aux bons esprits, et l’esprit des méchants aux méchant esprits. Mais ceux-ci, croissant toujours en nombre, auraient tenté et séduit tout le genre humain ; il n’y aurait plus eu d’équilibre entre le bien et le mal ; toutes les générations seraient tombées dans l’enfer, et l’enfer aurait prévalu sur le ciel, dont les habitants furent rachetés comme les hommes, et ils avaient le même besoin de la rédemption ; car tout le ciel, avec l’Église sur la terre, étant un homme devant le Seigneur, le mal de l’enfer, attaquant d’abord les pieds de cet homme céleste, aurait gagné et corrompu les parties supérieures, comme nous voyons que fait la gangrène dans l’homme naturel.
Il y eut deux choses dans la rédemption : le dépouillement et la glorification de l’humanité. Le dépouillement, ou l’ensemble des souffrances du Rédempteur, fut le combat contre les enfers, leur défaite, et l’ordre remis dans les cieux. Il n’y avait qu’un Dieu homme qui pouvait faire cela. La glorification de l’humanité acheva l’union du Rédempteur avec Dieu par la dernière des tentations, la mort sur la croix. Il arriva à Dieu homme, qui fait tout selon l’ordre, ce qui arrive tous les jours aux hommes qui sont dans l’ordre. Ils s’unissent au Seigneur par les tentations vaincues, dans lesquelles, abandonnés en apparence à eux-mêmes, ils ont cependant le Seigneur intimement uni à eux : le Seigneur leur est présent pour les défendre quand ils le veulent ; plus ils s’approchent du Seigneur, plus le Seigneur entre et influe en eux.
Le Seigneur, qui était un grand prophète, représentant le vrai de l’Église, fut traité comme ses anciens prophètes l’avaient été ; il fut mis à mort, et il ressuscita ensuite avec son corps, afin de glorifier l’humanité : Il fallait que le Christ souffrît tout cela et entrât dans sa gloire, Luc 24 : 26. La gloire du Seigneur, dans le sens interne de l’Écriture, signifie le vrai divin uni au bon divin.
Vision 58.
J’ENTRAI un jour dans un temple du monde des esprits où plusieurs personnes, assemblées avant la prédication, raisonnaient entre elles sur la rédemption. Le temple était carré et n’avait point de fenêtres percées dans les murs ; une grande ouverture au milieu du dôme laissait entrer la lumière du ciel, qui éclairait ainsi plus qu’elle n’eût fait par des fenêtres latérales. Au fort de la discussion, un nuage noir, venu du Septentrion, boucha l’ouverture du dôme, et les ténèbres furent si épaisses dans le temple que chacun n’y reconnaissait pas son voisin et voyait à peine sa main. Tous étaient stupéfaits, quand le nuage, fendu par le milieu, laissa voir des anges envoyés du ciel, qui repoussèrent, chacun de son côté, la nuée obscure, et rendirent au temple toute sa clarté. Un des anges descendit dans le temple ; il demanda à ceux qui y étaient assemblées quel était le sujet de leur entretien, et pourquoi la lumière qui les éclairait avait été tout-à-coup remplacée par les ténèbres. Ils répondirent qu’ils parlaient de la rédemption et qu’ils disaient qu’elle s’était opérée par le Fils de Dieu qui, en souffrant la passion de la croix, avait expié les crimes des hommes et les avait délivrés de la damnation éternelle. L’ange leur demanda ce qu’ils entendaient par la passion de la croix et il les pria de s’expliquer. Alors un prêtre, s’avançant, dit : « Voici ce que nous savons et croyons sur cette matière. Dieu le Père, irrité contre le genre humain, l’avait damné à jamais ; mais sa miséricorde le fit consentir à ce que son fils vint sur la terre pour y revêtir l’humanité et souffrir la mort. Ainsi, prenant sur lui les iniquités et la damnation méritée, ce fils a reconcilié le genre humain avec son père, qui a pardonné, mais en vue des mérites du fils, de ses souffrances et de sa mort sur la croix. C’est uniquement par la médiation du Fils que le Père impute la justice de ce fils aux hommes et que, d’enfants de colère qu’ils étaient, il les rend enfants de grâce et de bénédiction. Voilà notre foi et la justice que Dieu attribue à cette foi. »
L’ange, ayant entendu ces paroles, resta longtemps stupéfait ; il rompit enfin le silence et dit : « Comment le monde chrétien peut-il abjurer la saine raison et extravaguer au point d’établir le dogme fondamental du salut sur des paradoxes de cette nature, qui sont évidemment contre la divine essence, contre l’amour divin et la sagesse divine, contre la toute-puissance et l’omniprésence de Dieu ? Ce qu’on prétend qu’il a fait, un bon maître ne le ferait pas contre ses domestiques, ni même une bête contre ses petits. Il est contre la divine essence d’anéantir l’éternelle vocation de tous les individus qui composent le genre humain ; il est contre la divine essence de changer l’ordre éternel, qui veut que chacun soit jugé selon ses œuvres ; il est contre la divine essence de priver de sa miséricorde un seul homme, à plus forte raison le genre humain. Il est contre la divine essence de reprendre cette miséricorde à la vue des tourments d’un fils, parce que cette miséricorde est l’essence même de Dieu, qui ne peut la quitter et la reprendre ; il est contre la toute-puissance divine de régénérer et de sauver un homme par la seule imputation. Nul ne peut se charger d’un crime dont il est innocent, ni changer l’injustice en justice, du ciel faire l’enfer, et de l’enfer le ciel ; cela est contre l’ordre divin, que le monde chrétien paraît ne pas connaître. »
Le prêtre comprit fort bien ces paroles, parce que les anges qui étaient au-dessus du temple y répandirent la lumière céleste. « Que faire, dit-il en gémissant ? Telle est notre croyance, tel est le sujet de toutes les prédications et de toutes les prières. Tout le monde dit : Père miséricordieux, pardonnez-nous, remettez-nous nos péchés par les mérites et en vue du sang que votre Fils a répandu pour nous sur la croix ; tout le monde dit à Jésus-Christ : Intercédez pour nous ; et les prêtres ajoutent : Envoyez votre Saint-Esprit. »
L’ange reprit la parole et dit que les prêtres faisaient de la parole, non comprise dans le sens intérieur, des collyres qui fermaient les yeux des chrétiens. Adressez-vous à cet homme, qui est là debout, ajouta-t-il, en me montrant du doigt ; le Seigneur lui a appris, et il vous apprendra, que la mort de Jésus-Christ sur la croix ne fut point la rédemption, mais l’union de son humanité avec la divinité de son père ; il vous apprendra que la rédemption fut la défaite des enfers et l’ordre remis dans les cieux ; que sans ces deux objets, que le Seigneur remplit sur la terre, il n’y aurait point eu de salut pour personne, ni dans les cieux ni sur la terre. Il vous apprendra encore ce que c’est que l’ordre établi depuis la création, l’ordre qu’il faut suivre pour être sauvé, pour être compté parmi les rachetés et les élus. À ces mots, le temple parut avoir des fenêtres latérales, la lumière s’y répandit dos quatre plages du monde ; des chérubins voltigeaient dans cette lumière ; l’ange, s’élevant par le dôme du temple, rejoignit ses frères et laissa toute l’assemblée dans la joie.
DU SAINT-ESPRIT ET DE L’OPÉRATION DIVINE 59.
LE Saint-Esprit étant un des trois essentiels, une des qualités de la Trinité divine qui existe dans un Dieu unique, le Saint-Esprit étant, comme nous l’avons dit, la parole, est, par conséquent, le vrai divin, la force et l’opération divine, procédant du Seigneur rédempteur et Sauveur. Quand l’esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité, Jean 16 : 13. Je prierai mon père de vous envoyer l’esprit de vérité, que le monde ne connaît pas, mais que vous connaissez. Je viendrai à vous et vous me verrez, Jean 14 : 16, 17. Quand l’esprit de vérité que je vous enverrai de mon père sera venu, il rendra témoignage de moi, Jean 15 : 26. La force ou l’opération divine que l’on entend par le Saint-Esprit est la réformation, la régénération, d’où procède le renouvellement, la vivification, la sanctification, la crainte du mal, la rémission des péchés, et enfin le salut. Tous ces biens s’opèrent dans l’homme selon les trois degrés qui sont en lui au spirituel et au naturel qui en découle. Le Seigneur opère ces biens et influe par le Saint-Esprit dans ceux qui croient en lui et qui suivent ses préceptes, dans ceux qui ont la sagesse par l’amour, qui sont dans le vrai par le bon ; car voilà les deux points fondamentaux de l’univers, voilà le tout de Dieu et des hommes 60.
Le Seigneur opère de lui-même, par son Père, dans l’esprit de l’homme, qui est son âme, et dans tout ce qui en procède ; car l’esprit de l’homme est l’homme intérieur, duquel se forme l’homme extérieur revêtu d’un corps fait pour obéir, pour rendre visible et réduire en acte la pensée et l’affection de l’homme, lequel n’est vraiment homme qu’après la mort, quand il s’est dépouillé de son enveloppe corporelle. C’est pourquoi, lorsque dans l’Écriture il est dit être en esprit ou être élevé, être transporté en esprit, il faut entendre l’état de l’esprit séparé du corps, qui voit alors les cieux les anges et toutes les choses spirituelles, comme les prophètes les ont vus et comme je les vois moi-même depuis vingt-six ans.
Vision 61.
Un matin à mon réveil, je fus transporté en esprit et je vis deux anges qui descendaient du ciel, l’un du côté du Midi, l’autre du côté de l’Orient. Chacun était dans un char attelé de deux chevaux blancs. Le char de l’ange du Midi paraissait d’argent et celui de l’ange de l’Orient paraissait d’or ; les rênes qu’ils tenaient tous les deux avaient la couleur et l’éclat de l’aurore ; voilà comme ces anges me parurent de loin ; car dès qu’ils furent près de moi, je ne les vis plus conduisant des chars, mais seulement dans leur forme angélique, qui est la forme humaine. L’ange de l’Orient était vêtu d’une robe pourpre, et l’ange du Midi, d’une robe de couleur d’hyacinthe. Se trouvant tous les deux au-dessous des cieux, ils accoururent, avec un égal empressement, pour s’embrasser. J’appris que sur la terre ils avaient été liés d’une amitié intérieure et que maintenant l’un était du ciel oriental, où les anges sont dans l’amour par le Seigneur, et l’autre, du ciel méridional, où les anges sont dans la sagesse par le Seigneur.
Après s’être un moment entretenus des merveilles du ciel, ils en vinrent à se demander si l’essence du ciel était amour ou sagesse ; ils convenaient qu’une de ces choses provenait de l’autre, mais ils disputaient sur l’origine des deux. L’ange qui était dans la sagesse demanda ce que c’était que l’amour ; on lui répondit : « L’amour vient du Seigneur comme soleil spirituel ; il est la chaleur de la vie des anges et des hommes, et tellement la vie que les dérivés de cet amour s’appellent affections, d’où naissent les perceptions et les pensées. Ainsi la sagesse dans son origine est amour ; la pensée est, dans son origine, une affection de cet amour. Ou peut prouver, par les effets, que la pensée est la forme de l’affection : on ne le sait pas sur la terre, parce que les pensées sont dans la lumière et les affections dans la chaleur ; ce qui fait qu’on réfléchit sur les pensées et non sur les affections ; il en est de même du son et de la parole. Que la pensée soit la forme de l’affection, on peut le prouver par la parole, qui est la forme du son ; le son correspond à l’affection ; la parole, à la pensée : c’est pourquoi l’affection résonne et la pensée parle. En effet, ôtez le son de la parole, il n’y a plus de parole ; ôtez de même l’affection de la pensée, il n’y aura plus de pensée. Il est donc évident que l’amour est le tout de la sagesse, que l’essence des cieux est amour, et leur existence, sagesse. Il en est de même de la charité et de la foi : la charité vient de l’affection, la foi de la pensée ; la foi est donc la forme de la charité et elle n’en peut être séparée. »
Les anges ajoutèrent beaucoup d’autres choses que la pensée des hommes ne peut concevoir, que leur langage ne peut exprimer ; ensuite ils retournèrent chacun dans leur ciel, ayant la tête comme environnée d’étoiles brillantes ; et lorsqu’ils furent éloignés de moi, ils me parurent encore assis dans leurs chars.
À peine les avais-je perdus de vue que je trouvai à ma droite un jardin planté d’oliviers, de figuiers, de vignes, de lauriers, et de palmiers. Entre tous ces arbres, disposés selon leur correspondance, je vis des anges et des esprits qui se promenaient en conversant ensemble. On appelle esprits angéliques ceux qui, dans le monde des esprits, sont préparés pour le ciel, où ils deviennent des anges. Un de ces esprits vint à moi et me dit : « Voulez-vous venir avec moi dans notre paradis, où vous verrez et entendrez des merveilles ? » Je le suivis et il ajouta : « Tous ceux que vous voyez sont, par l’affection du vrai, dans la lumière de la sagesse. Près d’ici est un temple, que nous appelons le temple de la sagesse. Celui qui croit savoir beaucoup ne le voit pas, ni celui qui croit savoir assez, et encore moins celui qui croit savoir de lui-même, par lui-même, attendu que tous ces esprits ne sont pas dans la réception de la lumière céleste par l’affection de la pure sagesse. Cette pure sagesse consiste à voir à la lumière céleste que ce que nous savons est à ce que nous ne savons pas comme une goutte d’eau est à l’océan 62. Celui qui est persuadé de cette vérité voit dans ce jardin céleste le temple de la sagesse, car il n’est visible qu’à la lumière intérieure. »
Moi qui, par la science et par la perception, fus toujours convaincu que l’homme ne savait rien, je vis le temple ; il était élevé au-dessus de la terre, d’une forme quadrangulaire, et admirable. Les murs étaient de cristal, le toit, de jaspe transparent, élégamment voûté, et orné intérieurement de pierres précieuses. On montait à ce temple par des degrés d’albâtre, à côté desquels il y avait des lions avec leurs petits. J’entrai ; je vis des chérubins qui voltigeaient sous le toit et qui disparaissaient tout-à-coup. Le sol sur lequel je marchais était de bois du cèdre ; et tout le temple, par la transparence du toit et des murs, représentait la lumière. Je répétai à l’esprit angélique qui me conduisait ce que j’avais entendu dire aux anges sur l’amour et la sagesse, ou la charité et la foi ; il me demanda s’ils ne m’avaient point parlé de la troisième chose, qui est l’usage. « Sans l’usage, me dit-il, l’amour et la sagesse ne sont rien. L’amour n’est rien sans la sagesse ; et la sagesse n’est quelque chose que par l’usage. Quand l’amour est dans l’usage par la sagesse, alors il existe, alors il y a fin, cause et effet. La fin n’est rien si par la cause elle n’aboutit à un effet ; de même la charité et la foi ne sont rien sans les œuvres ; l’affection et la pensée ne sont rien sans l’opération ; la volonté et l’entendement ne sont rien sans l’acte. Vous le voyez clairement dans ce temple, où la lumière du ciel éclaire l’intérieur de votre esprit. Il n’y a rien de complet qui ne soit composé de trois ; et dans le sens spirituel de la parole, trois signifie le nombre parfait. »
Je descendis les degrés du temple de la sagesse. En me promenant dans le jardin, je vis plusieurs hommes sous un laurier et mangeant des figues. Je m’approchai d’eux ; ils me présentèrent de leurs figues, qui dans ma main se changèrent en raisins. Me voyant frappé de cette métamorphose, l’esprit angélique me dit : « Dans votre main ces figues se sont changées en raisins, parce que dans la correspondance les figues signifient le bon de la charité et successivement de la foi dans l’homme extérieur ou naturel ; les raisins signifient le bon de la charité et de la foi dans l’homme intérieur ou spirituel ; et comme vous aimez le spirituel, ce changement s’est opéré pour vous ; car dans notre monde tout existe et change selon les correspondances. » Alors je désirai de savoir comment l’homme peut faire le bien par le Seigneur et croire qu’il le fait par lui-même. Je le demandai à ceux qui mangeaient des figues ; ils me répondirent : « Nous comprenons que Dieu agit dans l’homme et par l’homme quand celui-ci ne le sait pas ; s’il le savait et s’il agissait alors comme de lui-même, il ne ferait que le mal, parce que tout ce que l’homme fait de lui-même est de son propre, et son propre est le mal. Le propre de l’homme, dans les choses du salut, est de s’attribuer un mérite qu’il ôte à Dieu, ce qui est une grande injustice, une impiété ; car si le bien que Dieu opère dans l’homme par le Saint-Esprit influait sur la volonté et ensuite sur l’action de l’homme, ce bien serait souillé et profané, ce que Dieu ne peut permettre. L’homme peut cependant croire que le bien qu’il fait est de Dieu, et l’appeler le bien de Dieu, par l’homme et comme de l’homme ; mais nous ne le comprenons pas. – Vous ne le comprenez pas, leur répondis-je, parce que vous pensez et vous raisonnez sur les apparences. Vous croyez que tout ce que l’homme veut et pense, fait et dit est en lui, et conséquemment de lui, parce que vous croyez qu’il a la vie en lui ; mais il n’en est que l’organe, le réceptacle. Le Seigneur seul est la vie en soi, comme il le dit lui-même : De même que le Père a la vie en soi, il a permis au Fils de l’avoir en soi, Jean 5 : 26. La vie est l’amour et la sagesse que Dieu influe ; l’homme les reçoit et les sent comme de lui, parce qu’il les sent en lui ; cela peut se prouver par la comparaison du tact, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Tout ce qui est du ressort des organes de ces sens est senti en eux, quoiqu’influé du dehors ; il en est de même des organes des sens intérieurs ou spirituels de l’homme intérieur ou spirituel, qui reçoit aussi l’influence de l’enfer, et avec plaisir, quand par son libre arbitre il repousse l’influence de Dieu, mais avec dégoût quand il reçoit cette influence céleste. La vie, procédant de Dieu, est modifiée dans l’homme selon son organisation ; l’esprit que le Seigneur donne et dirige agit par le corps, qui est son instrument ; l’action d’un homme est son esprit agissant. Il n’en faut pas conclure que Dieu se soit infusé dans chaque homme, ni que chaque homme soit en partie un Dieu ; ceux qui le croient sont des démons, et ils paraissent dans l’enfer comme des cadavres puants. Concluez que si l’esprit est charité, l’action est aussi charité ; mais que si l’esprit est foi sans charité, l’action est aussi foi sans charité, foi naturelle, ambitieuse de mériter, et bien différente de la foi de la charité, qui ne prétend rien mériter et qui attribue tout à Dieu. »
On me répondit : « Vos raisonnements nous paraissent justes, et nous ne les comprenons pas parfaitement. – Ils vous paraissent justes, répliquai-je, selon la perception commune, qui vient de l’influence de la lumière du ciel dans l’homme qui entend la vérité ; et vous ne les comprenez point par votre propre perception, qui vient de l’influence de la lumière du monde. Il y a deux perceptions, deux pensées, l’interne et l’externe, la spirituelle et la naturelle ; les deux n’en font qu’une chez les sages ; vous pouvez aussi les identifier en vous adressant au Seigneur, en détestant le mal. »
Ces hommes esprits m’entendirent ; je pris des branches du laurier sous lequel nous étions assis, je les leur donnai, en leur demandant s’ils les croyaient de moi ou du Seigneur ; ils me répondirent qu’ils croyaient les avoir par moi, comme de moi ; et aussitôt les branches de laurier fleurirent dans leurs mains. En me retirant, je vis sur une table de bois de cèdre, sous un olivier vert dont une vigne embrassait le tronc, le Traité de la sagesse angélique sur l’amour divin et la sagesse divine ; et celui sur la Divine Providence, dans lesquels j’ai démontré que l’homme n’est pas la vie, mais le réceptacle de la vie.
En sortant du jardin, l’esprit angélique, mon guide, me dit : « Je veux vous faire voir à l’œil ce que c’est que la foi, la charité, et leur union ou séparation. À la place de la foi et de la charité, mettez la chaleur et la lumière, vous verrez clair ; car la foi dans son essence est la vérité, qui est de la sagesse ; et la charité dans son essence est l’affection, qui est de l’amour : or la vérité de la sagesse, dans le ciel, est la lumière ; et l’affection de l’amour, dans le ciel, est la chaleur. La lumière et la chaleur où sont les anges vous sont maintenant connues et vous font voir ce que c’est que la foi et la charité, ce que c’est que la foi séparée de la charité, et la foi unie à la charité. Celle-ci est la lumière chaude du printemps, qui fertilise ; l’autre est la froide lumière de l’hiver, qui dessèche.
DE L’ÉCRITURE SAINTE, OU DE LA PAROLE DU SEIGNEUR 63.
TOUT le monde dit que la parole est de Dieu, divinement inspirée, et sainte conséquemment ; mais on ne sait point où est ce divin, car la parole, prise à la lettre, est comme un écrit vulgaire ; elle est d’un style plus simple et moins brillant que les écrits du siècle. Pour l’apprécier dignement, il faut considérer que le Seigneur, Jéhovah, ayant parlé à Moïse et aux prophètes, sa parole ne peut être que le vrai divin, puisqu’il est lui-même le vrai divin. Il faut considérer que le Seigneur rédempteur, qui n’est autre que Jéhovah, ayant répandu sa parole par le moyen des évangélistes, qui l’ont entendu, et des apôtres éclairés du Saint-Esprit, cette parole du Sauveur est également la lumière céleste, elle est esprit et vie, comme il le dit lui-même.
Le mal qui entraîne l’homme le détournant de la vie spirituelle dans laquelle il renaîtra pour être éternellement heureux ou malheureux, la divinité a dû lui révéler les choses qui tendent au salut, et elle l’a fait dans le sens interne et spirituel de la parole. Ce sens ne paraît point dans la lettre, qui est toute écrite par correspondances ; ces correspondances ne peuvent être comprises par la raison humaine, car elles sont dans le degré spirituel, et la raison est dans le degré naturel. Dans l’Apocalypse, le cheval blanc, le cavalier ayant plusieurs diadèmes, et une inscription sur la cuisse ; le festin où l’on mange la chair des rois, des forts, des chevaux et des cavaliers, des hommes libres et des esclaves ; la femme ailée, et revêtue du soleil ; dans l’évangile de St Matthieu, le soleil obscurci, les étoiles tombées du ciel, les puissances ébranlées, et mille autres passages de l’Écriture, sont inintelligibles à la raison humaine, qui n’est pas dans le degré céleste spirituel. Celui-là seul peut dévoiler le sens caché de l’Écriture, qui est éclairé par le Seigneur ; et le Seigneur éclaire ceux qui vivent selon les préceptes contenus en sa parole.
Le sens spirituel est caché dans tous les termes et dans tous les passages de l’Écriture ; voilà pourquoi elle est sainte et divinement inspirée. Ce sens intérieur, dévoilé à quelques hommes, est surtout pour les anges, qui aperçoivent dans la parole tout autre chose que ce que l’homme y voit ; pour les anges même, il y a deux sens internes : le spirituel, et le céleste, qui est encore plus interne et plus sublime. Par exemple, dans le premier précepte du Décalogue : Vous ne ferez aucune statue, vous n’adorerez aucune image de tout ce qu’il y a dans les cieux, sur la terre, ou dans les eaux, car je suis le Seigneur votre Dieu, un Dieu jaloux ; le sens spirituel est qu’il ne faut point adorer d’autre Dieu que notre Seigneur Jésus-Christ, qui est Jéhovah lui-même, et qui est venu sur la terre pour sauver les hommes et les anges ; le sens céleste est que Jéhovah, le Seigneur, est infini, immense, éternel, qu’il est unique, qu’il est l’amour même, et la sagesse même, ou le bon et le vrai, et la vie, par conséquent ; qu’il a l’omniprésence, l’omniscience, et l’omnipuissance, qu’il est le premier et le dernier ; ainsi des autres préceptes et de toute l’Écriture sainte.
Le sens interne de la parole contient une infinité de secrets et de mystères. Les noms, les usages, les nombres même signifient des choses spirituelles et importantes.
La puissance de la parole est inexprimable ; elle est le bon et le vrai dans son effet, elle a produit l’univers, elle est l’âme humaine, qui est la forme du bon et du vrai, spirituellement et naturellement organisée.
Le sens littéral de ta parole est la base et le contenant du sens spirituel ; tous deux sont unis comme le corps et l’âme ; le spirituel n’existerait pas sans le littéral, qui contient aussi le vrai divin dans sa plénitude, sa sainteté et sa puissance. On peut puiser et confirmer la doctrine de l’Église dans le vrai littéral ; le Seigneur y est et il y enseigne, car le Seigneur ne fait rien en vain, toute la parole est lui-même, et on s’unit à lui, on s’associe aux anges par le sens littéral de la parole ; ce sens appartient au degré naturel ; et l’homme sur la terre, étant dans ce degré, ne peut s’unir avec le ciel que par la lettre de l’Écriture.
L’Église est formée par la parole, et l’Église, dans l’homme, est conforme à l’intelligence qu’il a de la parole, parce que cette parole sainte est le mariage du Seigneur et de l’Église, et par conséquent du bon et du vrai.
Deux expressions, qui dans l’Écriture paraissent une répétition de la même chose, ne le sont pas ; les termes synonymes joints ensemble, comme pauvre et indigent, péché et iniquité, nation et peuple, ont chacun un sens spirituel particulier.
Plusieurs choses dans le sens littéral sont des apparences du vrai, qui cachent le vrai réel ; on peut les regarder comme des vérités, mais non pas les confirmer, on détruirait le vrai réel. Ceci ne contredit point l’assertion ci-dessus que le vrai est dans la lettre pleinement ; les apparences dont nous parlons sont des vérités relatives. Par exemple, l’Église enseigne, d’après l’Écriture, que Dieu est amour et miséricorde ; et l’Écriture parle de la colère et de la vengeance divine. Il faut entendre que Dieu, dans sa justice, est pour l’homme ce que l’homme, dans la colère ou la vengeance, est pour son semblable ; il poursuit, il détruit, etc. Il y a des vérités apparentes au physique comme au moral : le soleil ne tourne pas autour de la terre, il ne se lève pas, et ne se couche pas, comme le dit l’Écriture qui, pour se faire entendre, est ici dans le sens purement naturel et dans la vérité apparente.
Le Seigneur, ayant accompli dans le monde toute la parole, est lui-même la parole et le vrai divin, parce que le Seigneur est son amour et sa sagesse, de même que l’homme est sa volonté et son entendement.
Avant la parole donnée par Moïse et les prophètes aux Hébreux, il y en avait eu une autre, pour des peuples plus anciens, dont le culte dégénéra en idolâtrie. Dans le Pentateuque, le Seigneur ordonne de briser les statues et les autels de ces peuples, qui avaient cependant des prophètes annonçant le vrai au nom de Jéhovah ; c’étaient les restes d’une religion pure. Balaam était syrien ; Melchisédech, prêtre et roi, présenta à Abraham du pain et du vin, symboles du bon et du vrai dans son Église, comme dans la nôtre. L’ancien livre de la parole s’appelait les Guerres de Jéhovah, et les Énoncés prophétiques ; il en est parlé dans les Nombres 21 : 14, 15 et 27 ad 30 ; dans Josué 10 : 12 ; dans Jérémie 48 : 45, 46, et dans 2 Samuel 1 : 17, 18. La Syrie, la terre de Chanaan, la Mésopotamie, l’Arabie, la Chaldée, l’Assyrie, l’Égypte, Ninive, Tyr, et Sidon, furent dépositaires de cette parole, écrite par correspondances, qui se tournèrent en idolâtrie. Ceux qui dans les premiers âges en connurent le vrai sens s’appelaient sages, après lesquels vinrent les devins, les mages, etc. Dans cette parole, on trouve les noms de plusieurs endroits du pays de Chanaan et de l’Asie, qui signifient les choses et les états de l’Église ; voilà pourquoi il fut ordonné à Abraham et à sa postérité d’aller dans ce pays. Cette ancienne parole du Seigneur se conserve encore chez quelques peuples de la Tartarie orientale, avec le culte relatif, par les correspondances. Les anges qui durant leur vie mortelle habitaient cette partie du monde attestent qu’elle a l’ancienne parole, les Guerres de Jéhovah, et que les premiers chapitres de la Genèse, jusqu’à Noé et ses fils, s’y trouvent.
La parole éclaire ceux mêmes qui ne la connaissent pas ; c’est la lumière du soleil spirituel, qui correspond à l’entendement humain.
La parole se répand davantage par les réformés ; les pontifes romains en ayant privé le peuple, la réforme eut lieu dans le seizième siècle, par un bienfait spécial de la Providence.
La parole unit l’homme au ciel ; sans la parole on ne saurait pas qu’il y a un Dieu, un Rédempteur et une vie après la mort. Ceux qui prétendent connaître par eux-mêmes les vérités spirituelles sont, dans le sens interne de la parole, le serpent de l’arbre de la science, qui est maudit et écrasé ; le géant Goliath, qui se confiait dans sa force, et qui fut terrassé par un enfant.
Le sens spirituel de la parole a été révélé de nos jours pour que l’on pût annoncer la nouvelle Jérusalem, la nouvelle Église prédite dans l’Apocalypse, et dont le temps est proche 64.
Vision 65.
UN jour il me fut permis de parcourir en esprit le monde spirituel, pour y voir les représentations des choses célestes que l’on y trouve en beaucoup d’endroits. Dans une maison où il y avait des anges, je vis de grandes bourses qui contenaient beaucoup d’argent ; elles étaient ouvertes et chacun y pouvait prendre ; cependant deux jeunes gens étaient assis auprès de ces bourses et les gardaient. Le lieu où elles étaient placées ressemblait à une mangeoire d’écurie. Dans la chambre voisine, je vis des vierges modestes avec une épouse chaste ; près de cette chambre, il y avait deux enfants ; on m’avertit qu’il ne fallait pas jouer avec eux, mais bien les traiter en personnes sages. Ensuite j’aperçus une prostituée, et près d’elle un cheval mort, couché par terre. Quand j’eus bien considéré ces objets, on m’apprit leur signification ; ils représentaient le sens naturel de la parole, qui contient le sens spirituel. Les grandes bourses pleines d’argent figuraient les connaissances du vrai en abondance ; elles étaient ouvertes et cependant gardées, pour signifier que chacun pouvait y puiser les connaissances du vrai, mais qu’il fallait prendre garde de forcer le sens spirituel, qui est la vérité même. La mangeoire d’écurie désignait la nourriture spirituelle de l’entendement, parce que le cheval, qui s’y nourrit, représente l’entendement 66. Les vierges modestes que j’avais vues dans la chambre voisine signifiaient les affections du vrai ; et l’épouse chaste, l’union du bon et du vrai. Les enfants représentaient l’innocence de la sagesse ; car les anges du ciel supérieur, qui sont très-sages vus de loin, paraissent, à cause de leur innocence, comme des enfants. La prostituée et le cheval mort étaient l’emblème de la falsification actuelle du vrai, qui éteint l’intelligence ; la prostituée signifie la falsification, et le cheval mort, l’entendement éteint, devenu nul.
En sortant de ce lieu, je me trouvai avec des esprits et des anges qui avaient passé leur vie mortelle dans la grande Tartarie. Ils me dirent que de toute antiquité ils possédaient une parole divine, qui réglait leur culte, lequel était tout par correspondances. Ils ajoutèrent que cette parole contenait le livre de Jaschar, mentionné dans Josué 10 : 12, 13, et dans 2 Samuel 1 : 17, 18 ; qu’on y trouvait aussi les Guerres de Jéhovah et les Énoncés prophétiques, deux livres dont Moïse a parlé dans les Nombres 21 : 14, 15 et 27 ad 30. Quand je leur lus ces passages, ils les cherchèrent dans leur Bible et ils les y trouvèrent. Ces peuples, qui adorent Jéhovah seul, les uns comme un Dieu visible, les autres comme un Dieu invisible, habitent dans le monde spirituel une plaine très-élevée, dans les plages méridionales les plus voisines de l’Orient. Ils ne souffrent parmi eux aucun chrétien ; si quelqu’un y pénètre, ils le gardent et ne le laissent plus sortir ; ils vivent séparés, parce qu’ils possèdent une autre parole. Des anges me dirent alors que Moïse avait pris dans les livres sacrés de ces peuples les premiers chapitres de la Genèse, qui traitent de la création, du jardin d’Éden, d’Adam, d’Ève, de leurs descendons jusqu’au déluge, de Noé, et de ses fils.
Un autre jour, méditant sur le dragon, la bête, et le faux prophète, dont parle l’Apocalypse, un ange m’apparut et me dit : « Venez, je vous mènerai dans un lieu où vous verrez ceux que la parole désigne par le faux prophète, par la bête sortant de la terre avec deux cornes comme un agneau et parlant comme un dragon. » Je le suivis, et bientôt je vis une troupe nombreuse au milieu de laquelle étaient des prélats qui enseignaient que la seule foi dans les mérites de Jésus-Christ suffisait pour être sauvé, qu’il fallait, pour gouverner les simples, prêcher les bonnes œuvres, mais non comme nécessaires au salut. Un de ces prélats me proposa d’entrer dans son temple pour y voir une image qui représentait sa foi et celle de ses adhérents. J’entrai dans ce temple, qui était magnifique et au milieu duquel une femme était représentée vêtue de pourpre, tenant dans sa main droite un écu d’or et dans la gauche une chaîne de perles. La statue et le temple n’étaient qu’une représentation fantastique ; car les esprits infernaux, fermant le degré intérieur et n’ouvrant que l’extérieur, peuvent, au gré de leur imagination, représenter des objets magnifiques. M’apercevant que c’était des prestiges, je priai le Seigneur ; aussitôt, l’intérieur de mon esprit étant ouvert, je vis, au lieu du temple superbe, une maison chancelante et entr’ouverte du haut en bas. À la place de la statue de femme pendait un simulacre qui avait la tête d’un dragon, le corps d’un léopard, les pieds d’un ours, et la gueule d’un lion ; enfin c’était la bête sortant de la mer, qui est décrite dans l’Apocalypse, 13 : 2. À la place du parquet, il y avait un marais plein de grenouilles, et l’on me dit que sous ce marais était une grande pierre taillée sous laquelle la parole était entièrement cachée. Ensuite je dis au prélat faiseur de prestiges : Est-ce là votre temple ? – Oui, me répondit-il, c’est lui. Aussitôt sa vue intérieure fut ouverte, comme la mienne, et il vit ce que je voyais. Qu’est-ce donc ? Que vois-je ? s’écria-t-il. Je lui dis que tel était l’effet de la lumière céleste, qui découvre la qualité intérieure de chaque chose, et qui lui apprenait en ce moment ce que c’était que sa foi séparée de la charité.
Comme je parlais, un vent soufflant de l’Orient détruisit le temple avec l’image, dessécha le marais, et fit voir à nu la pierre sous laquelle la parole était cachée. Une douce chaleur, semblable à celle du printemps, se répandit des cieux ; et dans le même endroit nous vîmes une tente fort simple quant à l’extérieur. Les anges qui m’accompagnaient me dirent : Voilà la tente tout laquelle était Abraham quand les trois anges vinrent à lui et lui annoncèrent la naissance d’Isaac. Elle vous paraît très-simple ; mais selon le degré d’influence de la lumière céleste, elle devient de plus en plus brillante et magnifique. En effet il leur fut permis d’ouvrir le ciel habité par les anges spirituels, qui sont dans la sagesse ; et la tente parut semblable au temple de Jérusalem. Je regardai dans l’intérieur, j’y vis la pierre fondamentale, sous laquelle la parole était cachée, entourée et garnie de pierres précieuses dont l’éclat se répandait sur les murs du temple et variait les couleurs des peintures, qui représentaient des chérubins. Les anges, me voyant dans l’admiration, me dirent que je verrais de plus grandes merveilles encore ; il leur fut donné d’ouvrir le troisième ciel, habité par les anges célestes, qui sont dans l’amour ; tout-à-coup l’éclat d’une lumière de feu fit disparaître le temple et laissa voir à sa place le Seigneur seul, debout sur la pierre fondamentale qui était la parole, le Seigneur lui-même, tel qu’il se montra à St Jean, Apoc. chap. 1. La sainteté remplit alors tout l’intérieur de l’esprit des anges, ils firent un effort pour se prosterner sur la face, et le Seigneur ferma le passage à la lumière du troisième ciel ; il ouvrit le passage à la lumière du second ciel, qui fit reparaître le temple et la tente au milieu. Ceci explique le sens intérieur de ces paroles de l’Apocalypse, 21 : 3, 22. Voilà le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux.... Je ne vis point de temple dans la nouvelle Jérusalem, parce que le Seigneur Dieu tout puissant en est le temple et l’agneau.
DE LA FOI 67.
DE la sagesse des anciens est provenu ce dogme que l’univers, dans son tout et dans ses parties, se rapporte au bon et au vrai. La charité, ou l’amour, est le bon ; la sagesse, ou la foi, est le vrai ; mais quel est le premier des deux ? Les deux ne font qu’un ; la charité et la foi sont substance et forme ; seulement la charité est la première par la fin, la foi est la première par le temps. L’homme entrant dans le monde a d’abord la foi, qui commence par les instructions ; mais s’il n’a pas la charité, il n’a rien. L’ensemble de la charité et de la foi peut être comparé à la construction d’un temple. Il faut d’abord poser les fondements, élever les murs, bâtir un toit, construire un autel, placer une tribune ; mais l’objet, la fin de tout cela, c’est le culte, c’est Dieu. La foi a donc la primauté, non d’essence, mais de temps ; elle est la cause, elle produit l’effet, dans lequel elle se confond avec la fin 68.
La foi qui sauve consiste à croire en Dieu, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; Jean 3 : 15, 16, 18, 36. Idem 6 : 28, 29, 35, 40, 47, 48. Idem 8 : 24. Idem 16 : 8 et 20 : 31. La foi apostolique est la même que la foi évangélique. Act. apost. 16 : 30, 31 et 20 : 21. Jean 1 : 5, 12, 13. Gal. 15 : 16. Rom. 3 : 22, 26. Philip. 3 : 9. Gal. 5 : 6, etc. La foi consiste à croire que la foi et les œuvres nous sauvent. Nous recevons la foi en nous tournant vers le Seigneur, en apprenant les vérités de l’Écriture, et en y conformant notre vie, car la foi sans la charité n’est point la foi, et la charité sans la foi n’est point la charité.
L’essence de la foi de la nouvelle Église est la confiance en Dieu, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui nous sauve quand nous croyons bien et vivons bien. L’existence de la foi de la nouvelle Église est : 1o la vue spirituelle ; 2o l’accord des vérités, 3o la conviction ; 4o. la connaissance gravée dans l’esprit. L’état de la foi de la nouvelle Église est : 1o la foi enfant, adolescente, et adulte ; 2o la foi du vrai pur et la foi du vrai apparent ; 3o la foi de la mémoire, de la raison, et de la lumière ; 4o la foi naturelle, spirituelle, et céleste ; 5o la foi vive et la foi miraculeuse ; 6o la foi vive et la foi contrainte.
La foule des vérités, réunies comme en un faisceau, exalte et perfectionne la foi. Ces vérités sont multipliables à l’infini, et elles s’étendent par séries, par divisions, qui dérivent les unes des autres, comme les parties organiques du corps humain et les particules qui les composent. Ces vérités innombrables, qui correspondent à ces parties innombrables du corps humain, sont une devant Dieu, de qui elles découlent et qui est un, le vrai unique.
Le Seigneur, la charité et la foi, ne font qu’un, de même que la vie, la volonté et l’entendement dans l’homme ; si on les sépare, elles périssent et tombent comme une perle brisée et réduite en poussière. C’est le Seigneur qui influe, dans la volonté et dans l’entendement de l’homme, la charité et la foi ; cette charité et cette foi sont donc le Seigneur lui-même, or le Seigneur ne peut être divisé.
Le Seigneur est la charité et la foi dans l’homme, et l’homme est la charité et la foi dans le Seigneur, parce que l’homme, en croyant et en vivant bien, s’unit au ciel, et l’union est réciproque.
La charité et la foi sont dans les bonnes œuvres. La charité est le bien vouloir ; les bonnes œuvres sont le bien faire d’après le bien vouloir ; et ce bien faire a une cause déterminante dans l’entendement, auquel correspond la lumière, la sagesse, qui est la foi. Sans les œuvres, la foi et la charité sont des chimères, des êtres de raison ; parce que l’homme, composé de trois degrés, est tout, et tout entier dans tout ce qu’il fait, autrement il ne fait rien de bien. Si son dernier degré, qui est le naturel, l’acte, n’est pas en lui selon sa religion, sa religion n’est pas ce qu’il dit ; si ses œuvres naturelles ne sont pas selon les deux degrés supérieurs spirituels, il n’est pas homme spirituel et intérieur, il est purement naturel et extérieur ; n’ayant pas le bon et le vrai dans sa volonté et dans son entendement, il n’a pas la charité et la foi qui en découlent, il n’est pas dans l’Église, il n’a pas de religion.
La charité seule ne produit pas les bonnes œuvres, moins encore la foi seule ; il faut, pour bien faire, la charité et la foi. Celui qui fait la vérité vient en la lumière, et il montre que ses œuvres ont été faites en Dieu, Jean 3 : 21.
Il y a une foi vraie et légitime, qui est celle que nous avons exposée ; une foi bâtarde, qui s’en éloigne par le péché, l’orgueil, l’hérésie ; et une foi hypocrite, qui est nulle, parce que l’hypocrite est homme purement extérieur, naturel, sensuel, charnel ; et son intérêt est tel qu’il est lui-même ; ce qu’il fait de bon en apparence est dans le même degré naturel, ne vient pas de l’amour du bon et n’est pas le bon ; ce qu’il fait de sage ne vient pas de la sagesse, ou intelligence du vrai, et n’est pas le vrai ; ses bonnes paroles sont également dans le degré naturel, et sortent de sa mémoire ; de là on peut conclure que les méchants, en tout genre, ne peuvent avoir la foi.
Ceux qui dans le christianisme méconnaissent le Seigneur et sa parole n’ont point de foi et sont réprouvés, quoiqu’ils vivent raisonnablement et moralement, quoiqu’ils parlent, enseignent, et écrivent sur la foi. Jean 3 : 18, 36. Idem 8 : 21 et 16 : 8, 9. Matth. 24 : 15, 21, 29. Apocal. 20 : 8. Ps. 2 : 7, 12. Le Seigneur a prévu cet excès d’orgueil et de corruption quand il a dit : Le Fils de l’homme, venant sur la terre, n’y trouvera point de foi. Luc 18 : 8.
Vision 69.
UN jour, un habitant du monde des esprits me dit : Venez avec moi, je vous ferai voir le charme de nos cœurs et de nos yeux. Je le suivis ; et il me conduisit, au travers d’une forêt épaisse, sur une haute colline, d’où je découvris un amphithéâtre en forme de cirque, avec des bancs alentour pour les spectateurs. Ceux qui étaient assis sur les derniers bancs me parurent de loin comme des satyres et des priapes ; quelques-uns avaient un voile sur les reins, les autres étaient absolument nus. Les sièges plus élevés étaient occupés par des prostituées et des débauchés, que je reconnus pour tels à leurs gestes. Vous allez voir nos divertissements, me dit celui qui m’avait conduit. Et aussitôt je vis dans l’arène du cirque des taureaux, des béliers, des brebis, des chevreaux et des agneaux ; une porte s’ouvrit ; et on lâcha de jeunes lions, des panthères, des léopards, et des loups, qui se jetèrent avec fureur sur ce troupeau et qui le déchirèrent. Après ce massacre, les satyres répandirent du sable sur la terre arrosée de sang. Voilà les jeux qui nous charment, me dit mon guide. Retire-toi, démon, lui répondis-je ; et bientôt l’amphithéâtre fut changé eu un étang de feu et de soufre ; le démon s’en alla en riant ; et moi, resté seul, je me demandais à moi-même pourquoi le Seigneur permettait de telles choses. Une voix me répondit dans mon intérieur que c’était seulement tandis que ces méchants étaient dans le monde des esprits, mais que, leur temps étant achevé, ces représentations se changeaient en fureurs infernales. Tout ce que j’avais vu était une représentation fantastique produite par ces méchants esprits. Il n’y avait réellement ni taureaux, ni béliers, ni brebis, ni chevreaux, ni agneaux ; mais ils les firent paraître pour représenter le bon pur et le vrai pur de l’Église, qu’ils haïssent. Les jeunes lions, les panthères, les léopards, les loups représentaient les cupidités de ceux qui me parurent des satyres et des priapes. Ceux qui n’avaient point de voile sur les reins sont ceux qui ont cru que le Seigneur ne voyait pas le mal ; ceux qui avaient un voile sont ceux qui ont cru que le mal commis par les hommes était vu de Dieu, mais que ce mal ne les damnait pas quand ils avaient la foi. Les débauchés et les prostituées désignaient les falsificateurs de la parole, car la débauche signifie la falsification du vrai. Dans le monde spirituel, tous les objets paraissent de loin selon leur correspondance ; et quand ils sont dans leur propre forme, on les appelle les représentations des choses spirituelles dans des objets semblables aux objets naturels.
Je vis ensuite sortir de la forêt celui qui m’avait conduit, accompagné des satyres, des priapes, et suivi de beaucoup de goujats et de gens du peuple qui n’étaient autre chose que des débauchés et des prostituées. La troupe se grossissait en chemin. Voyant dans un pré un troupeau de brebis et d’agneaux, ils dirent que c’était un signe qu’ils n’étaient pas loin d’une des villes hiérosolymitaines, où la charité était le premier objet. Ils résolurent d’aller s’en emparer, d’en chasser les habitants, et de piller leurs biens ; mais cette ville avait des murs gardés par des anges. On résolut de les surprendre, d’y envoyer un discoureur adroit, capable de changer le blanc en noir et de défigurer tous les objets. On trouva un habile métaphysicien qui savait mettre les mots à la place des idées, cacher les choses sous des formules, et s’envoler après cela, comme le milan qui emporte sa proie sous ses ailes. On l’avertit que pour faire introduire ses associés, il fallait les annoncer comme étant de la même religion que ces citadins ; il frappe à leurs portes, il entre, et dit au plus sage de la ville, à qui il avait demandé de parler, que ses frères étaient hors de la ville, qu’ils désiraient d’y être admis, qu’ils pouvaient l’être, attendu qu’ils professaient la même religion. « Vous et nous, ajouta-t-il, faisons l’essentiel de la religion, la foi et la charité ; la seule différence est que vous mettez au premier rang la charité, et que nous y mettons la foi ; mais qu’importe lorsque nous admettons les deux ! » Le sage lui proposa de discuter cette question en public ; il accepta, et fut confondu ; il sentit même la vérité qu’on lui opposait ; car les démons peuvent la sentir, mais ils ne la retiennent point, parce qu’elle est repoussée loin d’eux par l’affection du mal qui les domine. L’émissaire irrité sortit et rejoignit les siens, qui formèrent le projet d’assiéger la ville, de fabriquer des échelles, et d’escalader les murs. Comme ils se préparaient à un assaut nocturne, je les vis consumer par le feu du ciel ; mais ce feu n’était que l’apparence du courroux céleste ; ils parurent consumés, pour signifier que l’enfer devait s’ouvrir sous leurs pieds et les engloutir. J’ai vu la même chose arriver en beaucoup d’endroits, au jour du jugement dernier, dont je fus témoin en 1757.
DE LA CHARITÉ, OU AMOUR ENVERS LE PROCHAIN, ET DES BONNES ŒUVRES 70.
IL y a trois amours généraux : l’amour du ciel, l’amour du monde, et l’amour de soi. L’amour du ciel est l’amour du Seigneur et du prochain ; cet amour, considérant l’usage de toutes choses comme sa fin, peut être appelé l’amour des usages. L’amour du monde est l’amour des richesses et de tous les plaisirs des sens. L’amour de soi est l’amour de la gloire, de la renommée, des honneurs, des emplois et de la domination. Ces trois amours sont dans l’homme, d’abord par la création, ensuite par la naissance. S’ils sont bien dirigés, ils perfectionnent l’homme ; ils le pervertissent s’ils sont mal dirigés. On peut dire que ces trois amours sont parfaitement subordonnés dans l’homme spirituel quand l’amour du ciel fait la tête, l’amour du monde, la poitrine et le ventre, l’amour de soi, les pieds. L’esprit humain, divisé en trois régions, dont la suprême regarde Dieu, la moyenne, le monde, et la basse, l’homme, l’esprit humain peut s’élever ou s’abaisser ; et nous avons dit comment, en expliquant l’ordre et la communication des trois degrés.
Celui qui préfère le ciel au monde et à lui-même ne voit en soi et dans le monde que des moyens de gagner le ciel ; dans cet homme moral, tout se rapporte à la tête, comme dans le physique. Celui qui préfère le monde fait descendre l’amour céleste de la tête dans le corps ; il aime Dieu, mais d’un amour naturel ; il fait le bien du prochain, mais pour en être récompensé. Celui qui préfère l’amour de soi, la domination, fait descendre l’amour céleste, du corps aux extrémités, et il le foule aux pieds.
Tout homme est individuellement le prochain ; il faut l’aimer selon le bien qui est en lui, par le Seigneur ; aimer la personne de son prochain, ce n’est pas aimer son prochain. Au sens intime, c’est le bien qui est notre prochain, ou l’amour divin, car le bien vient de l’amour. Ceci est fort clairement expliqué dans la parabole de l’homme tombé entre les mains des brigands, Luc 10 : 30 ad 31.
Les hommes, dans le sens collectif, composant la société plus ou moins grande, sont le prochain aussi, et nous devons les aimer ; de préférence à la société, nous devons aimer, comme étant notre prochain, la patrie qui, semblable à une mère, nous élève, nous nourrit, et nous défend. L’Église est encore notre prochain préférable à la patrie, car celui qui veille au bien de l’Église veille à celui des âmes et à la vie éternelle des hommes qui sont en sa patrie ; celui-là aussi qui veille au bien de l’Église par amour aime son prochain dans un degré supérieur. Mais par-dessus tout le royaume du Seigneur est le prochain, qu’il faut aimer dans un souverain degré ; voilà les degrés du prochain, expliqués en St Matthieu 25 : 14 ad 31.
La charité et les bonnes œuvres sont deux choses distinguées comme le bien vouloir et le bien faire, comme la volonté est distinguée de l’action, et la parole, de la pensée.
La charité consiste à s’acquitter avec droiture et fidélité de son emploi, quel qu’il soit, à remplir exactement son devoir, dans toutes sortes d’états.
Il y a les bienfaits et les devoirs de la charité. Les bienfaits de la charité consistent à donner aux pauvres, mais avec discernement, selon leurs mœurs, c’est-à-dire selon le bien qui est en eux. Les devoirs de la charité sont de payer les impôts, les dettes, les rentes, les ouvriers, de rendre ce qu’on doit à ses père et mère, à son époux ou à son épouse, à ses enfants, à ses frères et sœurs, à ses domestiques, à ses bienfaiteurs, à ses amis et ennemis.
Les repas pris ensemble, et les sociétés, dans la vue de s’épanouir le cœur et de s’entretenir de choses spirituelles et honnêtes, sont encore la charité.
La vie morale, devenue spirituelle, est la charité. Mais en l’exerçant il ne faut pas se faire aucun mérite de ses bonnes œuvres ; il faut croire que tout bien vient du Seigneur, et toujours agir en vue de lui.
L’amitié tendre et intime entre deux hommes leur nuit après la mort ; ils restent liés, et ils ne peuvent entrer dans une société correspondante à leur vie ; leurs esprits sont toujours unis, et si l’esprit de l’un est dans le ciel, et l’esprit de l’autre en enfer, les deux amis sont attachés comme une brebis et un loup, comme une colombe et un milan.
Il y a une charité bâtarde, celle qui n’est point unie à la foi ; une charité hypocrite, celle qui met la fréquentation des temples et autres pratiques à la place des bonnes œuvres ; enfin une charité morte, et c’est celle qui croit apaiser Dieu par des présents, qui honore ou des saints qui ne sont plus, ou des hommes pieux qui vivent encore.
On dit vulgairement dans le monde que chacun est son prochain ; la doctrine de la charité apprend comment cela doit être entendu ; chacun doit tâcher de se procurer les nécessités de la vie, afin d’avoir l’esprit et le corps sain ; chacun doit acquérir du savoir et du raisonnement pour être plus en état de servir l’Église et la patrie ; chacun doit même rechercher les emplois, afin d’être à portée de faire plus de bien ; c’est dans ce sens que St Paul a dit : Celui qui désire l’épiscopat désire une bonne chose, 1 Tim. 3 : 1.
La charité unit l’homme au Seigneur ; celui qui ne connaît que l’amour de soi et du monde ne conçoit pas ce que c’est que la charité, il ne comprend pas que vouloir et faire le bien du prochain sans aucune vue mercenaire, c’est avoir le ciel en soi, c’est être déjà dans la société des ange 71.
Vision 72.
UN jour que j’entendais, dans le monde spirituel, un bruit semblable à celui des flots de la mer, je demandai ce que c’était ; on me dit que c’était le tumulte des habitants rassemblés de la terre inférieure, laquelle est au-dessus et près des enfers. À l’instant je vis s’entrouvrir la terre qui servait de toit à la multitude assemblée ; des oiseaux de nuit, s’échappant par cette ouverture, se répandirent du côté gauche, et furent suivis d’une grande quantité de sauterelles qui dévorèrent toutes les herbes, et des champs firent un désert. De temps en temps j’entendais ces oiseaux de nuit crier ; et à leurs cris se joignaient les hurlements des spectres errants dans les forêts. Je vis ensuite de beaux oiseaux du ciel, qui se répandaient du côté droit ; leurs ailes, qui paraissaient d’or, étaient variées par des raies et des gouttes d’argent ; leur tête était ornée d’une crête en forme de couronne. J’admirais ces merveilles, lorsque de la terre inférieure, où était le tumulte, je vis s’élever un esprit transformé en ange de lumière qui me dit : Est-ce vous qui parlez de l’ordre auquel Dieu s’est soumis pour gouverner l’esprit et la matière, de cette influence divine que l’homme ne reçoit qu’en se régénérant, en joignant les œuvres à la foi ? – Oui, c’est moi, lui répondis-je ; et je lui exposai sur ce sujet la vérité céleste. À mesure que je parlais, son visage, qui d’abord était d’une blancheur éblouissante, devint livide, et ensuite noir. Vous entassez, me dit-il, paradoxes sur paradoxes ; et il descendit vers les siens, il disparut ; les oiseaux de nuit, joignant leurs cris horribles à ceux des spectres, se jetèrent dans la mer de la terre inférieure, qui s’appelle la mer de Suph. Les sauterelles les suivirent, l’air et la terre où j’étais se purifièrent, et tout redevint calme.
Je vis un autre jour cinq lycées, tous éclairés d’une lumière différente. La lumière du premier ressemblait à la flamme ; celle du second était jaune, celle du troisième, blanche, celle du quatrième ressemblait au crépuscule, celle du cinquième à l’ombre du soir, et j’eus peine à la distinguer. Dans les sentiers qui conduisaient à ces lycées, je vis plusieurs hommes à cheval, d’autres, dans des chars, quelques-uns marchant doucement à pied, d’autres enfin, courant vers le premier lycée ; j’y entrai avec eux, et j’y vis une grande assemblée, rangée, à droite et à gauche, sur des bancs adossés aux murailles. Le président était dans une chaire peu élevée, il avait un bâton à la main, un bonnet sur la tête, et son vêtement paraissait teint de la lumière qui éclairait le lycée. On y dissertait sur la charité unie à la foi ; quand on eut établi différents dogmes, un des délibérants, assis sur le quatrième banc, à droite, se leva, et parla ainsi : « Je crois que l’ancienne fraternité chrétienne était la charité ; ce qui confirme mon opinion, c’est que toute Église qui honore le vrai Dieu commence par la charité, comme l’ancienne Église chrétienne ; la charité, unissant les esprits, et de plusieurs n’en faisant qu’un, les membres de cette Église s’appelaient frères en Jésus-Christ leur Dieu. Entourés de barbares qu’ils redoutaient, ils mirent en commun leurs biens, qu’ils employaient à se réjouir unanimement les uns les autres, à se réunir dans des banquets où ils s’entretenaient, avec charité, du Seigneur Dieu, leur Sauveur Jésus-Christ ; telle était leur fraternité. Après ce temps, quand les schismes commencèrent, surtout quand on vit naître l’affreux arianisme, qui détruisit presqu’en tous lieux l’idée de la divine humanité du Seigneur, la charité s’éteignit et la fraternité fut rompue. Il est très-vrai que tous ceux qui adorent le Seigneur en vérité et qui suivent ses préceptes sont frères (Matth. 23 : 8), mais frères d’esprit ; aujourd’hui qu’en voyant un homme on ne sait pas quel il est par l’esprit, il n’est pas besoin de s’appeler frères. La fraternité de la foi seule, et moins encore celle de la foi en un autre Dieu que le Seigneur notre Sauveur, n’est point une fraternité, parce que la charité, qui produit la fraternité, n’est point dans cette foi ; d’où je conclus que l’ancienne fraternité chrétienne fut la charité ; elle fut ; elle n’est plus, mais je prophétise qu’elle va renaître. »
À ce mot, une lumière de flamme, perçant la fenêtre qui était à l’Orient, teignit les joues de celui qui avait parlé, et tous les assistants furent frappés de ce prodige.
Un ange, avec qui je conversais sur ces matières, me dit que trois amours entraînaient l’homme : l’amour du prochain, l’amour du monde, et l’amour de soi-même ; que l’homme était vraiment homme quand l’amour du prochain faisait en lui la tête, l’amour du monde, la poitrine et le ventre, et l’amour de soi-même, les pieds ; il ajouta que l’homme qui avait ainsi vécu paraissait dans le ciel avec un visage d’une beauté angélique et un cercle brillant autour du front ; si l’amour du monde a fait en lui la tête, son visage a dans le monde spirituel la pâleur de la mort, et un cercle jaune entoure son front ; si l’amour de soi-même a fait la tête ici-bas, l’homme après sa mort a le visage d’un rouge brûlé, et un cercle blanc autour du front. Comme l’ange parlait, la terre s’entrouvrit, et il en sortit un diable, avec ce cercle blanc autour de la tête. Je suis, dit-il, Lucifer, Fils de l’Aurore, qui, pour m’être comparé au très-haut, ai été précipité, comme il est dit dans Isaïe 14. – Mais, lui dis-je, si vous avez été précipité dans l’enfer, comment pouvez-vous en sortir ? – Là, répondit-il, je suis diable, et ici, ange de lumière ; voyez le cercle blanc qui entoure ma tête, et vous pouvez vous convaincre que je suis moral avec les moraux, spirituel avec les spirituels ; je parle contre l’injustice, contre l’adultère, et contre les amours infernaux, quoique je sois moi-même dans ces maux, parce qu’ici c’est mon extérieur, et non point mon intérieur, qui parle ; ici je suis ange, de corps, et démon, d’esprit. Tandis que je reste dans mon entendement, un cercle blanc entoure ma tête ; mais quand mon entendement s’unit et se soumet à ma volonté, ce qui est notre dernier sort, alors le cercle noircit, et je ne puis plus venir en cette lumière où vous me voyez.
Ce démon, qui n’était point Lucifer, mais qui croyait l’être, apercevant des anges, eut un accès de fureur, son visage s’enflamma, il devint tout noir, comme le cercle de sa tête, et il retomba dans les enfers. De son apparition et de son discours, les anges nous firent conclure que l’homme était ce qu’était sa volonté et non pas ce qu’était son entendement ; qu’ainsi la foi, qui seule vient de l’entendement, ne suffisait pas sans la charité, qui naît de la volonté.
J’entendis ensuite, dans la plage septentrionale du monde spirituel, le bruit d’une meule qui m’étonna d’abord ; puis je me rappelai que la meule et moudre signifient, dans le sens interne de la parole, chercher ce qui éclaircit la doctrine. Je m’approchai de l’endroit d’où venait le bruit, et il cessa ; j’aperçus, par une ouverture faite dans la terre, l’entrée d’une caverne ; j’y descendis, j’y trouvai une chambre, où je vis un vieillard assis au milieu de beaucoup de livres et cherchant dans l’Écriture qui était devant lui les passages qui pouvaient confirmer sa croyance touchant la foi suffisante sans les œuvres. Des scribes, placés autour de lui, ramassaient les notes qu’il avait faites, et ils les transcrivaient sur une grande feuille de papier. Je lui dis et je lui prouvai par l’Écriture même qu’il était dans l’erreur, qu’on ne pouvait être sauvé par la foi seule, puisque la véritable foi vient de la charité, dont elle est la forme, comme la sagesse est la forme de l’amour. Il entra dans une telle fureur qu’il ordonna à ses scribes de me chasser de son réduit ; voyant que je sortais de moi-même, il se leva de son siège, me poursuivit et lança après moi le livre de la parole qu’il avait à la main.
Une autre fois je vis plus de trois cents ecclésiastiques d’entre les réformés qui, ayant les mêmes opinions sur la foi, croyaient qu’on n’obtenait le ciel que par pure grâce et miséricorde du Seigneur ; il leur fut permis d’entrer dans une société céleste, qui cependant n’était pas des premières. En montant au ciel, ils parurent dans le lointain comme des veaux ; à leur entrée dans le ciel, les anges les reçurent très-bien, mais à peine eurent-ils parlé qu’ils furent saisis de frayeur, ensuite d’horreur ; enfin ils éprouvèrent des angoisses mortelles qui les forcèrent de se précipiter, et en tombant ils parurent comme des chevaux morts, parce que l’intelligence, dans le sens interne, est représentée par le cheval, et l’intelligence obscurcie, par le cheval mort. Ces ecclésiastiques avaient d’abord paru comme des veaux parce que, dans la correspondance, le désir orgueilleux et satisfait de voir et de savoir est désigné par le veau.
Des enfants, témoins de ces merveilles, détournaient la tête en voyant des chevaux morts, ils priaient leur instituteur de les emmener ; il y consentit, et en s’en allant il leur expliqua la correspondance de tous les objets qui les avaient frappés ; il leur apprit que l’homme qui médite l’Écriture spirituellement paraissait comme un cheval plein de vie et de courage ; que celui qui la méditait matériellement paraissait comme un cheval mort. Je vous expliquerai par un exemple, ajouta-t-il, ce que c’est que méditer matériellement et spirituellement. En lisant l’Écriture, on pense nécessairement à Dieu, au prochain, au ciel. Celui qui ne pense qu’à la personne de Dieu, et non à son essence, pense matériellement ; celui qui pense à la forme de son prochain, et non à sa qualité, pense matériellement ; celui qui pense du ciel comme à un lieu, et non à l’amour et à la sagesse qui font le ciel, celui-là pense matériellement. – Mais, dirent les enfants, nous avons pensé à Dieu par sa personne, au prochain par sa forme, au ciel par l’idée que nous avons d’un lieu ; nous avons donc paru comme des chevaux morts. – Non, répondit l’instituteur, vous êtes des enfants qui n’avez pu faire autrement ; j’ai reconnu en vous l’amour de savoir et de comprendre ; cet amour est spirituel ; vous avez donc pensé spirituellement.
DU LIBRE ARBITRE 73.
L’HOMME n’a point la vie par lui-même, il n’est point la vie, mais un réceptacle de la vie, qui est de Dieu. Dieu est amour ; ainsi la vie de l’homme est amour, et la liberté, dont nous allons traiter, est de l’amour, car l’homme fait librement ce qu’il aime, il fait ce qu’il veut, et sa liberté est dans sa volonté. L’homme, dès l’enfance, reçoit des instructions ; en grandissant il acquiert des connaissances morales, il forme sa raison ; mais sa liberté ne vient pas de là, parce qu’il n’y a de libre que ce qui part de l’affection ; d’où l’on peut conclure qu’il n’y a de vraie liberté que celle qui porte au bien, attendu que celle-là seule vient du ciel, du Seigneur dans l’homme intérieur, et de là dans l’homme extérieur, dans l’acte. La liberté qui porte au mal est l’esclavage de l’homme extérieur, soumis aux enfers. L’homme, durant sa vie, est en équilibre entre le ciel et l’enfer ; son esprit est au milieu des bons et des mauvais esprits. Le ciel influe par les bons esprits, l’enfer, par les mauvais ; l’homme penche du côté où le porte son amour dominant ; il a toujours en lui un esprit également dominé par le même amour, il agit d’après cette influence et croit agir de lui-même. Voilà la liberté.
L’homme naît avec le germe du mal, implanté et transmis dans les sens, et dans le degré naturel, par le naturel et le sensuel des pères. Pour vaincre ce mal, il faut s’adresser sincèrement à Dieu, qui alors dirige la volonté vers le bien. Son influence nous fait bien user de notre liberté ; et cet usage est constant, car ce qui est semé dans l’homme en pleine liberté y reste ; celui qui pense et veut le bon et le vrai haït le mal et le faux d’autant, et le Seigneur implante son amour et sa sagesse dans la volonté et dans l’entendement de cet homme, qu’il régénère. Au contraire, l’homme qui ne s’adresse pas (comme il le peut) au Seigneur pour en être conduit est un homme extérieur, et non spirituel ; c’est un esclave mené par l’enfer et par la crainte des lois qui ont été faites pour le réprimer, pour enchaîner l’homme naturel extérieur, lequel est moins un homme qu’une bête parlante et dangereuse 74.
L’arbre de la science du bien et du mal, dans le jardin d’Éden, est un emblème de la liberté. La permission du mal, le mal, est une preuve, et un effet nécessaire de la liberté ; sans la liberté, l’Église et l’Écriture sainte seraient inutiles ; Dieu serait la cause du mal, l’homme serait prédestiné au mal, il serait une machine, il ne serait rien.
Le libre arbitre donné à l’homme se trouve aussi dans tous les êtres animés et inanimés de la nature ; et sans lui il n’y aurait point de création. Si les animaux n’avaient pas le choix des nourritures qui leur conviennent, le choix des moyens pour engendrer et pour conserver leur progéniture, il n’y aurait point d’animaux. L’analogue de la liberté se trouve également dans les semences et dans la terre qui les reçoit dans son sein ; c’est par cette même faculté, par ce choix de convenance, que l’attraction des parties similaires se fait dans les pierres, dans les métaux, dans les sels, etc. Ils pompent l’air qui leur est propre ; ils s’unissent librement aux parties pierreuses, métalliques, salines, qui leur conviennent, et ils rejettent les autres. L’homme ne fut pas traité plus mal que tous les êtres inférieurs de la nature ; il est libre, depuis le sein de sa mère jusqu’au tombeau, et ensuite pendant toute l’éternité.
Les remords, les regrets d’avoir fait tel mal ou de n’avoir pas fait tel bien, sont une preuve de la liberté ; et l’homme peut connaître de quelle nature est sa liberté, si elle est céleste ou infernale ; il le peut connaître par le plaisir qu’il éprouve en l’exerçant, car tout plaisir est de l’amour, et l’amour divin ne produit point de remords.
La doctrine de la liberté s’accorde parfaitement avec la doctrine des trois degrés dans l’homme, avec celle des deux hommes, l’intérieur spirituel, et l’extérieur naturel. Ces deux doctrines s’expliquent mutuellement, elles sont réciproquement l’une pour l’autre principe et conséquence 75.
Vision 76.
J’APPRIS dans le monde spirituel qu’on y avait indiqué une grande assemblée, où les doctes de toutes les nations devaient s’assembler pour délibérer touchant le libre arbitre. Plusieurs prélats, qui avaient assisté au concile de Nicée, et à ceux qui l’ont suivi, vinrent à cette assemblée, où je me trouvai, et qui se tint dans un temple rond, semblable au Panthéon de Rome. Il y avait autour des murs de ce temple de petits autels avec des sièges : les délibérants, les coudes appuyés sur ces autels comme sur des tables, parlèrent comme ils voulurent et quand ils voulurent ; il n’y avait point de président de l’assemblée, mais tous les membres qui la composaient décidèrent que dans les choses spirituelles l’homme n’était pas plus libre que la femme de Loth lorsqu’elle se retourna et qu’elle fut changée en statue de sel ; que l’homme n’avait pas plus de liberté et ne voyait pas plus dans le spirituel que le hibou dans le jour, que le germe du poulet caché dans l’œuf. Je répondis à ces docteurs que le plus simple villageois était plus éclairé qu’eux, et que ces opinions folles le feraient rire au lieu de le persuader. Tous, se levant et criant avec fureur, me soutinrent qu’ils avaient établi, en hommes orthodoxes, des dogmes orthodoxes, et que moi j’avais défendu grossièrement des sentiments grossiers ; aussitôt la foudre tomba du ciel, et pour n’en être pas consumés, les délibérants s’enfuirent précipitamment.
J’aperçus un jour, dans le monde des esprits, deux êtres dont l’un avait aimé le bon et le vrai, l’autre, le mal et le faux ; le premier était uni au ciel ; le second, que le faux de sa doctrine empêchait de croire au libre arbitre, et qui regardait ceux qui y croient comme des ignorants et des insensés, le second était uni à l’enfer. Lorsqu’il ne dissimulait pas et qu’il retombait intérieurement dans ses opinions contre la liberté, je voyais s’élever autour de lui une fumée infernale qui éteignait le brillant de sa mémoire et y répandait d’épaisses ténèbres. Je voyais aussi cette fumée, brûlante comme la flamme, éclairer dans ce démon la région de son esprit qui était au-dessous de sa mémoire et qui l’avait fait tomber dans le faux par amour du mal. Quand je nommai devant lui le libre arbitre, il entra en fureur et me cita plusieurs passages de l’Écriture qu’il n’entendait pas et par lesquels il se confirmait dans le faux. Je lui répondis que la liberté de l’homme était représentée, dans l’Écriture, par l’arbre de la science du bien et du mal placé dans le paradis terrestre ; j’ajoutai que c’était par la liberté que l’homme était vraiment homme et distingué de la bête. À ces mots l’esprit pervers s’éloigna de moi, et je vis sur un arbre un serpent ailé qui présentait du fruit ; j’approchai, et au lieu du serpent, je vis un homme monstrueux dont la face était tellement couverte de poils qu’on n’y découvrait que le nez. À la place de l’arbre, il y avait un tison ardent, auprès duquel se tenait l’habitant des enfers, dont la fumée avait à mes yeux obscurci l’esprit. Une fumée semblable qui sortait du tison ardent enveloppa tous ces objets ; un autre leur succéda ; un autre démon se présenta à moi, me demanda ma profession de foi touchant le libre arbitre et, l’ayant entendue, il voulut me lancer un flambeau ardent qu’il tenait à la main ; le flambeau s’éteignit et cet esprit pervers tomba sur le front.
En méditant encore sur le même objet, je fus transporté en esprit dans le monde spirituel, et j’y vis deux troupeaux, l’un de boucs, et l’autre, de brebis. Sachant que les animaux vus dans le monde spirituel ne sont point des animaux, mais des correspondances des affections et des perceptions des esprits, j’approchai, et au lieu de ces ressemblances d’animaux je vis des hommes. Ceux qui avaient vécu dans le bon et dans le vrai étaient représentés par les brebis ; ceux dont les opinions étaient fausses et corrompues étaient figurés par les boucs, et c’était pour disputer, pour établir les dogmes de leur foi erronée qu’ils s’étaient rassemblés dans ce lieu. Ils me prièrent de ne pas les troubler ; je m’éloignai d’eux et ils me parurent encore des boucs, tantôt couchés, tantôt debout ; couchés, ils paraissaient délibérer ; debout, ils s’éloignaient des brebis et ils résumaient, ils concluaient. Ce qui m’étonna le plus, ce fut de voir que leurs cornes étaient quelquefois dirigées en avant, quelquefois couchées le long de leur dos, et dans certains moments toutes ployées et recourbées ; dans cet état ils s’approchaient du troupeau de brebis. Je revins près d’eux, je les entendis conclure et se confirmer dans le faux. Alors le tonnerre éclata, précédé d’un éclair, et un ange qui parut dit aux brebis : Éloignez-vous de ces boucs, parce que le loup n’est pas loin, et il pourrait vous dévorer avec eux. L’union de la charité et de la foi, séparées par tous les méchants, me fut souvent représentée dans le monde des esprits.
M’étant réveillé un certain jour au milieu de la nuit, je vis à une certaine hauteur, vers l’Orient, un ange tenant dans sa main un papier que la lumière influée du soleil faisait paraître d’une extrême blancheur. J’y lus ces mots tracés en lettres d’or : mariage du bon et du vrai. L’éclat éblouissant de cette écriture se répandait comme un cercle autour de la feuille de papier, et ce cercle était de la couleur de l’aurore dans un beau jour de printemps. L’ange descendit ensuite, ayant toujours la feuille à la main ; et à mesure qu’il descendait, elle perdait de son éclat. Ces mots écrits, mariage du bon et du vrai, passèrent de la couleur d’or à la couleur d’argent, de celle-ci à une couleur de cuivre, ensuite à une couleur de fer, puis à une couleur de rouille ; enfin l’ange parut entrer dans un nuage obscur, qu’il traversa pour parvenir jusqu’au globe terrestre, où la feuille cessa d’être visible, quoiqu’il la tînt toujours dans sa main. Il me dit : Nous sommes dans le monde des esprits, où tous les hommes abordent après la mort ; demandez aux arrivants s’ils me voient, s’ils voient quelque chose, dans ma main. Je vis quatre bandes venant de l’Orient, du Midi, de l’Occident, et du Septentrion. Ceux de l’Orient et du Midi, qui avaient passé leur vie à étudier, me déclarèrent qu’ils ne voyaient rien du tout ; ceux de l’Occident et du Septentrion, qui avaient fait profession de croire les savants sur leur parole, me dirent également qu’ils ne voyaient rien ; enfin les derniers d’entre ceux-ci, qui sur la terre avaient été des gens simples, vivant dans la foi et dans la charité, me dirent, quand les premiers de leur bande se furent éloignés, qu’ils voyaient un homme magnifiquement vêtu, tenant dans sa main une feuille sur laquelle certains mots étaient écrits ; regardant plus attentivement la feuille, ils y lurent à haute voix : mariage du bon et du vrai. L’ange s’approcha d’eux et leur expliqua ce que c’était que le bon et le vrai.
DE LA PÉNITENCE 77.
L’HOMME naît dans le mal, comme nous avons dit ; en naissant il n’est point dans l’ordre divin, qui est l’amour de Dieu et du prochain ; il est dans l’amour de soi et du monde, qui est l’enfer. Pour se réunir au ciel, il faut qu’il fasse pénitence. La confession faite à un prêtre, précédée ou suivie de la contrition, ou regret d’avoir péché, n’est point la pénitence, quoiqu’elle ne l’exclue pas. La vraie et suffisante pénitence consiste à reconnaître sincèrement devant Dieu les maux dont on est coupable, et auxquels on est le plus sujet, à voir le mal dont on serait capable s’il n’y avait point de lois, à demander à ce Dieu bon le pardon et la force de ne plus pécher, enfin à réparer ce qui est réparable, et à mener une nouvelle vie dans la charité et dans la foi.
La confession orale, faite dans la crainte du diable et des tourments de l’enfer, n’est point la pénitence, parce qu’elle ne vient point de l’amour céleste ; cette espèce de pénitence est dans le degré naturel.
L’absolution du prêtre n’opère point la rémission des péchés. Dieu les remet continuellement, parce qu’il est la miséricorde même ; mais les péchés adhèrent étroitement à l’homme ; pour qu’ils soient remis, il faut qu’ils soient déplacés et remplacés par le bien ; c’est une erreur de croire que le péché peut être effacé comme une tache sur une étoffe.
Les signes qui prouvent que les péchés sont remis, c’est-à-dire délogés, sont le plaisir que l’on sent à aimer Dieu pour Dieu, et le prochain pour le prochain, à craindre le mal, à fuir l’occasion. Si le contraire de tout cela arrive, les péchés ne sont pas remis, et le faux retour à Dieu, la prétendue pénitence est une profanation, c’est-à-dire le mélange du bien et du mal, après lequel l’homme est plus méchant qu’il n’était et plus éloigné de se convertir, comme il est dit en St Matth. 12 : 43, 45. Ceux qui croient le bien et qui font le mal, ceux qui joignent aux vérités de la religion des erreurs sont coupables de profanation. Dans l’Église romaine, la confession orale, l’absolution des ministres, les indulgences, les messes, l’invocation et les reliques des saints font beaucoup de profanateurs, et empêchent quelquefois les conversions véritables.
Ceux qui, sans se confesser devant Dieu, fuient le mal comme péché, c’est-à-dire comme offensant Dieu, ceux qui ayant mal vécu font des bonnes œuvres d’après leur foi et leur charité, ceux-là font pénitence.
La pénitence est facile à ceux qui l’ont faite une fois, difficile à ceux qui ne l’ont jamais faite ; ceux-ci ne savent pas quel est le mal damnable, quel est le bien salutaire ; leur punition en ce monde, comme leur bonheur, est d’être purement sensuels comme les bêtes et d’être crus hommes d’esprit ; d’être crus bons et d’être en effet méchants ; de connaître parfaitement la terre et nullement le ciel.
Vision 78.
LORSQUE j’expliquais l’onzième chapitre de l’Apocalypse, je fus attaqué d’une maladie presque mortelle. Frappé d’une odeur pestilentielle, qui s’élevait de la Jérusalem nommée Sodome et l’Égypte 79, ma tête s’appesantit, mon esprit fut accablé, et mon corps fut brisé de douleur. Couché pendant trois jours et demi dans mon lit, j’attendais la mort, et l’on disait autour de moi : « Le voilà mort et jeté au milieu de la place publique de notre ville, cet homme, qui a enseigné que Dieu seul était vraiment homme, et que la pénitence était nécessaire pour obtenir la rémission des péchés ; comme si l’on pouvait croire Dieu homme, comme si la foi dans les mérites de Jésus-Christ ne suffisait pour obtenir la rémission des péchés et la vie éternelle ! » Plusieurs membres du clergé, allant et venant autour de moi, se moquaient de ma doctrine ; ils en conclurent que j’étais indigne des honneurs funèbres et que je devais rester dans la place publique pour y servir de dérision. J’entendais tout cela et je n’y pouvais répondre, étant à demi mort. Mais après trois jours et demi je me ranimai. M’étant levé de la place publique, je parcourus (toujours en esprit) la ville et je criai à haute voix : « Croyez en Jésus-Christ qui lui-même a prêché la pénitence et ordonné à ses disciples de la prêcher. Faites pénitence et vous serez sauvés. – Vous errez, me répondit-on. Le Fils a satisfait ; le Père nous impute cette satisfaction, et l’esprit de grâce nous conduit. » Une voix qui se fit entendre du haut des cieux dit : « La foi de l’impénitent est une foi morte. Malgré votre sécurité, votre innocence prétendue, votre foi justificative, vous êtes des démons, et votre fin est prochaine. Tout-à-coup un gouffre s’ouvrit au milieu de la ville, il s’élargit prodigieusement, les maisons tombèrent l’une sur l’autre, la ville fut engloutie avec ses habitants et du milieu du gouffre je vis s’échapper des torrents d’eau bouillante qui inondèrent ces lieux ravagés. J’étais inquiet, je voulais savoir le sort de ces peuples submergés ; une voix céleste me dit : Vous verrez et vous entendrez. Les eaux disparurent à l’instant, je vis les hommes submergés, parce que dans le monde spirituel les eaux sont des correspondances, et elles apparaissent autour de ceux qui sont dans le faux. Je vis donc les habitants de la ville détruite dans un fond sablonneux où il y avait des monceaux de pierres, entre lesquels ils couraient en gémissant de la destruction de leur ville et disant : « Nous n’avons pas mérité ce désastre, puisque par notre foi nous sommes purifiés, justifiés, et sanctifiés ; nous croyons en Jésus-Christ, puisque nous croyons en ses mérites ; et nous faisons pénitence en nous avouant pécheurs... » Une voix qui se fit entendre à côté d’eux dit : « Connaissez-vous vos péchés habituels, vous êtes-vous examinés, avez-vous fui le mal comme péché offensant Dieu ? Non. Et vous êtes dans le péché, qui est l’enfer ; vous êtes du nombre de ceux dont le Seigneur a dit : « Alors vous commencerez à dire : nous avons bu et mangé devant vous, et vous avez enseigné dans nos places. Mais il vous répondra : je ne sais qui vous êtes ni d’où vous êtes ; éloignez-vous de moi, ouvriers d’iniquité (Luc 13 : 26, 27, et Matthieu 7 : 22, 23.). Allez chacun à votre place. Vous verrez de profondes cavernes ; entrez-y, on donnera à chacun de vous de l’ouvrage et des vivres selon son travail. Si vous n’y allez pas de plein gré, la faim vous y poussera. » Une seconde voix céleste dit à quelques habitants des environs de la ville détruite : « Prenez garde à vous, ne vous associez pas à ces méchants. Examinez-vous, confessez-vous devant le Seigneur, implorez sa grâce, pour vaincre les tentations ; faites cela, par le Seigneur, comme si c’était par vous, faites-le une ou deux fois dans l’année, et menez une nouvelle vie. Quand la tentation reviendra, dites : Nous ne voulons pas commettre ce péché, parce qu’il est contre Dieu, voilà la pénitence actuelle qui absout. » Je demandai pourquoi les réformés craignent tant de se confesser à Dieu, tandis que les catholiques se confessent à un moine ou à un prêtre, homme comme eux. La voix céleste me répondit que le dogme de la foi justificative, chez les réformés, était la cause de leur éloignement pour la confession, et que ceux-là seront sauvés, parmi les papistes, qui n’invoquent point les saints, qui adorent Jésus-Christ, mais non point son vicaire ou porte-clefs, ni aucun de ses décrets.
DE LA RÉFORMATION ET DE LA RÉGÉNÉRATION 80.
PAR ses parents l’homme ne naît point en la vie spirituelle ; il faut pourtant qu’il la reçoive, cette vie spirituelle, s’il veut entrer au ciel ; si l’homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu, Jean 3 : 1. Nous inclinons toujours vers le mal héréditaire que nous apportons en naissant ; et nous y joignons beaucoup d’autres maux de notre propre ; il n’y a qu’une nouvelle création, une nouvelle éducation, dirigée par le Seigneur, qui puisse nous tirer de cet abîme 81.
Les moyens sont la foi et la charité, qui nous sont influées du ciel quand nous le désirons sincèrement, quand nous le méritons réellement par nos œuvres ; la régénération est la pénitence effective. On peut aussi la comparer à la conception, gestation, naissance et éducation de l’homme naturel ; car le spirituel est conçu dans le matériel, il s’y forme, il paraît enfin, et il porte des fruits d’amour et de sagesse.
Taudis que cette régénération s’opère (et elle dure toute la vie), l’homme éprouve de fortes tentations, qui sont les preuves de sa liberté, et les influences de l’enfer ; les mauvais esprits, en s’approchant de l’homme, remuent les mauvaises affections qui sont en lui 82 ; les bons esprits en font autant des bonnes affections ; et de cette contrariété, de cette collision de désirs naît cette anxiété cruelle que l’on éprouve si souvent. Quand on est régénéré (et tout homme en est susceptible depuis le bienfait de la rédemption), on sort victorieux de ces combats ; ils naissent aussi des vérités de la foi contre les erreurs dans ceux qui ont quelque connaissance du bon et du vrai, qui ont commencé à vivre spirituellement ; car les hommes tout-à-fait méchants, ou peu avancés en âge, ne les éprouvent point.
L’homme qui retombe dans le mal après l’avoir reconnu et pleuré est dans un état pire que celui où il était avant sa pénitence, ainsi qu’il est attesté dans ce fameux passage de St Matthieu : « Quand l’esprit immonde sort de l’homme, il parcourt des lieux arides, cherchant le repos et, ne le trouvant point, il se dit alors : je vais retourner dans la maison que j’ai quittée. Il y revient et, la trouvant vide, propre et préparée pour lui, il va chercher sept autres esprits pires que lui qui viennent habiter la maison ; et le second état de cet homme est pire que le premier. » Matth. 12 : 43, 4, 5. Cet état funeste est la profanation, ou le mélange du bien et du mal, du vrai et du faux, dans l’homme qui a été éclairé et repentant, dans l’homme qui croit le bien et fait le mal, même dans celui qui fait le bien et qui ne croit pas le vrai. Cet état est désigné dans ces paroles que le Seigneur adressa au paralytique qu’il avait guéri près de la piscine de Bethsaïde : « Vous voilà guéri ; ne péchez plus, de peur de redevenir pire que vous n’étiez. » Jean 5 : 14. C’est encore ce qu’il faut entendre par ce passage du même évangile : « Le Seigneur a fermé leurs yeux, endurci leurs cœurs, afin que, ne voyant pas, ne comprenant pas, ils ne se tournent point vers moi et ne soient point guéris par moi. » Jean 12 : 40.
L’état des profanateurs est, dans l’autre monde, le pire de tous, parce que le bon et le vrai qu’ils ont connu demeurent en eux avec le mal et le faux ; et ils sont déchirés par la présence de ces deux incompatibles. La profanation est le péché terrible, le blasphème contre l’esprit dont il est parlé en St Matthieu 12 : 31, 32 ; en S. Luc 12 ; 10, et en la première épître de St Jean 5 : 16, §. 3.
Pour empêcher ce grand malheur de la profanation, le Seigneur éloigne de la connaissance de la vérité ceux qui ne doivent pas persévérer, il les laisse dans l’ignorance et dans un culte purement extérieur, ou il retient dans leur intérieur les vérités dont ils ont eu la perception.
Pour empêcher la profanation, le Seigneur ne révèle les vérités intérieures que quand l’Église touche à sa fin.
Babel signifie, dans la parole de Dieu, la profanation du bon, et la Chaldée, la profanation du vrai ; les degrés prohibés et les adultères correspondent à ces deux profanations ; dans le sens interne de l’Écriture, la défense de manger du sang faite aux Israélites avec tant de sévérité représente aussi la profanation.
Dans l’homme régénéré, le naturel obéit et le spirituel commande ; ce qui prouve que l’homme en général naît dans le désordre, parce que naturellement le spirituel obéit en lui au sensuel.
Dans les tentations spirituelles, l’homme est sujet à l’humeur, à la colère, et à toutes sortes d’affections vicieuses ; il se croit damné, il n’espère plus de ses prières au Seigneur ; cependant le Seigneur combat pour lui, et s’il croit avoir vaincu par le Seigneur, la tentation lui a été utile ; quand elle est passée, l’âme flotte entre la vérité et l’erreur ; mais bientôt la vérité luit, et tout redevient calme.
Comme il y a plusieurs maux à déloger, il y a plusieurs tentations, même chez les bons.
Le but des tentations est de joindre le bon et le vrai, et pour cela la tentation vaincue ouvre l’intérieur spirituel à l’influence du Seigneur ; elle établit son amour divin et l’amour du prochain ; elle détruit notre plus grand ennemi, l’amour de nous-mêmes ; elle le détruit en nous humiliant, en nous prouvant notre faiblesse ; elle sert encore à nous rendre vigilants sur nous-mêmes, en diminuant le pouvoir des mauvais esprits, qui craignent l’homme qui les a vaincus.
Après la tentation, l’homme ressent une joie spirituelle qui vient de ce que son homme intérieur est introduit dans les sociétés angéliques.
Après la tentation, les vérités s’accroissent à l’infini dans notre intérieur et s’y disposent dans une forme céleste qui nous charme et qui nous unit avec le ciel.
Le Seigneur ne nous tente jamais ; quand nous sommes tentés, il est toujours présent ; voilà pourquoi la liberté, qui vient de lui, puisqu’elle est dans la volonté, qui est amour, voilà pourquoi, dis-je, la liberté est dans toutes les tentations, même dans celles qui vont jusqu’au désespoir ; le Seigneur veut toujours vaincre, car il veut toujours le bien ; mais ce bien ne serait plus tel s’il n’y avait ni liberté ni tentation.
C’est par son amour pour la race humaine que le Seigneur a combattu pour elle ; la rédemption s’opéra par les tentations cruelles que ce divin Sauveur éprouva, et dont la mort sur la croix fut la dernière ; nos tentations opèrent aussi notre rédemption en nous délivrant, avec l’aide du Seigneur, de l’amour du monde et de l’amour de nous-mêmes.
L’homme ne peut être régénéré que successivement ; dans l’accroissement naturel des animaux et des végétaux naissants, il doit voir l’image de son accroissement spirituel. Le premier acte de sa nouvelle génération s’appelle réformation, et il s’opère dans l’entendement ; le second acte s’appelle régénération, et il s’opère dans la volonté, pour passer ensuite de la volonté à l’entendement ; c’est alors seulement que l’homme est régénéré, quand ses deux facultés spirituelles le sont, quand le cœur pur a réformé l’esprit éclairé, quand le bon a produit le vrai. Autrement il n’y a pas de régénération. L’homme peut élever son entendement jusqu’à la lumière du ciel et être dans le mal de l’enfer ; il ressemble alors à un aigle volant au haut des airs et se précipitant sur la terre quand il y voit des poussins ou des agneaux qu’il peut enlever et dévorer.
Il faut réformer d’abord l’homme intérieur, et ensuite l’homme extérieur. L’intérieur n’est que volonté ; l’extérieur est action et parole. La volonté, qui est du règne spirituel, est, avant la régénération, séparée de l’action et de la parole, qui sont du monde naturel ; mais la régénération les réunit, elle identifie l’intérieur et l’extérieur.
L’homme non régénéré est semblable à celui qui dans les ténèbres voit des images fantastiques et qui les prend pour des êtres réels. L’homme non régénéré dort ; l’homme régénéré veille ; c’est pourquoi dans l’Écriture la vie naturelle est appelée sommeil, et la vie spirituelle, veille. L’homme non régénéré est représenté, dans l’Évangile, par les vierges folles qui avaient des lampes et point d’huile ; l’homme régénéré est désigné par les vierges prudentes qui avaient de l’huile dans leurs lampes.
L’homme régénéré a une volonté nouvelle et un entendement nouveau, parce que son intérieur a passé de la société des esprits infernaux dans la société des anges du ciel ; il n’est pas un ange, comme eux ; mais étant devenu spirituel naturel, il communique avec eux, il correspond aux trois cieux, par les trois degrés de son intérieur et de son extérieur : ces trois degrés étant ouverts par la régénération, étant, dans l’ordre, le premier degré, qui est celui de l’amour, correspond au ciel suprême ; le second degré, qui est celui de la sagesse, correspond au ciel moyen ; le troisième degré, qui est l’usage de l’amour et de la sagesse, correspond au troisième ciel ; il en est de même des degrés de l’homme extérieur régénéré ; la tête correspond au premier ciel, le tronc, au second ciel, et les pieds au troisième.
À mesure que la régénération s’opère, les péchés sont remis ; les maux de l’homme, correspondant aux mêmes maux dans l’enfer, sont déplacés par des biens qui correspondent aux biens du ciel ; l’homme ainsi régénéré et absous est tourné, la face droite, vers le Seigneur ; l’homme non régénéré tourne le dos au ciel ; voilà pourquoi, lorsque du ciel on regarde l’enfer, les esprits infernaux, quoique marchant réellement droits sur leurs pieds, paraissent marcher la tête en bas, comme nos antipodes.
La régénération ne se fait que par le bon usage de la liberté. Nous devons coopérer avec le Seigneur, qui nous régénère selon nos lumières, selon les penchants, bons ou mauvais, que nous avons reçus de la nature et de nos pères, selon notre état, notre fortune, et la vie que nous avons menée jusqu’au moment où la divine influence a été reçue en nous. Le Seigneur proportionne ses moyens à nos besoins ; mais ces moyens sont toujours la charité et la foi, l’amour divin et la sagesse divine, dans la volonté et dans l’entendement, deux facultés qui coopèrent avec le Seigneur, et avec lesquelles le corps coopère de cette manière. Le cœur, correspondant à la volonté, agit ; ses artères, et leurs tuniques, coopèrent avec lui ; d’où provient la circulation. Le poumon, correspondant à l’entendement, reçoit l’air ; les côtes coopèrent avec lui, et lui avec les côtes, ce qui fait respirer toutes les membranes du corps, ce qui produit l’élasticité et l’action réciproque des méninges du cerveau, de la plèvre, du péritoine, du diaphragme, et de tout ce qui enveloppe ou forme les viscères ; il en est de même des fibres, nerfs, muscles et cartilages, qui sont tous actifs et passifs ; il en est de même des fibres, membranes et muscles qui constituent les organes des sens, organes sur lesquels les sens agissent, et qui agissent sur les sens ; c’est ainsi que tout l’homme régénéré coopère avec le Seigneur et concourt au bien influé par le Seigneur. Dans ceux qui aiment Dieu, tout coopère au bien. Rom. 8 : 28.
Vision 83.
DEUX anges, dont l’un était du ciel oriental, et l’autre du ciel méridional, s’entretenant un jour avec moi, virent que je méditais les arcanes de la sagesse touchant l’amour divin, et ils me proposèrent d’assister à un exercice dans le temple de la sagesse. « On s’assemble aujourd’hui, dirent-ils, pour discuter et pour statuer quelques points de la doctrine céleste. » Ils me prirent par la main, et je marchai avec eux dans une plaine terminée par un coteau au pied duquel était un portique de palmiers qui s’étendait jusqu’en haut. Nous entrâmes, nous montâmes jusqu’au sommet du coteau, où je vis un bois au milieu duquel le terrain, un peu élevé, formait une espèce de théâtre pavé de petites pierres de différentes couleurs. Les amis de la sagesse étaient assis sur des sièges disposés en forme carrée ; et sur une table placée au milieu du théâtre, je vis une feuille cachetée. Les anges mes guides rompirent le cachet et lurent ces trois questions « 1o Qu’est-ce que l’image de Dieu, la ressemblance de Dieu, à laquelle l’homme a été créé ? 2o Pourquoi l’homme ne naît-il point dans la science d’aucun amour, tandis que les animaux, nobles et ignobles, naissent dans la science de tous leurs amours ? 3o Que signifie l’arbre de vie, l’arbre de la science du bien et du mal, et la manducation de son fruit ?...... Réunissez ces trois points dans une seule sentence ; écrivez-la sur une nouvelle feuille que vous placerez sur cette table. Si dans la balance votre sentence paraît juste et de poids, chacun de vous aura le prix de la sagesse. » Après la lecture de cette feuille, envoyée par les anges du troisième ciel, mes deux guides se retirèrent et la discussion commença. Ceux qui étaient assis au Septentrion parlèrent les premiers et dirent que l’image et la ressemblance de Dieu signifiaient les deux vies de l’homme : la vie de la volonté et la vie de l’entendement. Ceux qui étaient assis à l’Occident furent de cet avis, et ils y ajoutèrent que l’état d’intégrité où Dieu avait mis l’homme en le créant lui était continué, quand il voulait, par l’influence divine. Ceux qui étaient assis au Midi prétendirent que l’image et la ressemblance de Dieu étaient deux choses distinctes, quoique réunies dans l’homme par la création. Ils dirent qu’une lumière intérieure leur faisait voir que l’homme pouvait perdre l’image de Dieu, mais non la ressemblance de Dieu. Après un moment de silence, ceux qui étaient assis à l’Orient se levèrent, se tournèrent vers le Seigneur et, s’étant remis sur leurs sièges, ils dirent que l’image de Dieu était le réceptacle de Dieu, qui est amour et sagesse ; que l’image de Dieu était par conséquent le réceptacle de l’amour et de la sagesse. Ils ajoutèrent que la ressemblance de Dieu était une ressemblance parfaite qui faisait paraître l’amour et la sagesse de l’homme comme étant de lui quoique les deux soient de Dieu ; car l’homme religieux croit que par lui-même il fait le bien et conçoit le vrai, quoiqu’il attribue l’un et l’autre à Dieu, qui seul est aimant et sage de lui-même et par lui-même.
Les quatre ordres adoptèrent cet avis. Ensuite ils confirmèrent, par plusieurs assertions, la vérité de la seconde proposition : ils dirent que l’enfant venant au monde ne connaissait rien, pas même le sein de sa nourrice qu’il apprend à sucer ; qu’il ne distingue pas le bon du nuisible, qu’il porte également l’un et l’autre à sa bouche ; qu’il lui faut du temps pour apprendre à parler et à marcher, tandis que les animaux en naissant savent tout cela, savent tout ce qu’ils auront besoin de savoir dans le cours de leur vie. Ils ajoutèrent que l’homme naît et demeure purement corporel s’il n’est instruit.
Après cet exposé, les septentrionaux dirent que l’homme naissait sans aucunes connaissances, afin de pouvoir les acquérir toutes et se les approprier.
Les occidentaux dirent que l’homme ne pouvait naître comme la bête, qu’il naissait faculté et inclination ; faculté, pour savoir, inclination, pour aimer non-seulement lui-même et le monde, mais Dieu et le ciel ; conséquemment que l’homme naît organe ; que par les sens extérieurs il vit obscurément et mal, afin que successivement il ait la véritable vie en devenant, d’homme naturel, homme raisonnable, et enfin homme spirituel.
Les méridionaux dirent que l’homme ne pouvait acquérir aucune science par lui-même, mais seulement par les autres, et qu’aucune idée ne naissait avec lui ; que ne trouvant en soi aucune connaissance, il n’y trouvait aucun amour, parce qu’il faut connaître avant d’aimer et que l’affection et la pensée ne peuvent pas plus être séparées dans l’homme que la volonté et l’entendement. « Nous convenons, dirent-ils, avec nos amis de l’Occident, que l’homme n’a aucun amour ni aucune science en naissant ; nous convenons avec nos amis du Septentrion que l’homme en naissant est comparable à la terre qui n’a reçu aucune semence et qui peut en recevoir de la bonne ou de la mauvaise ; c’est pourquoi ADAM (le nom du premier homme) signifie TERRE. Mais nous ajoutons à leur opinion que les bêtes naissent pour des amours naturels, avec toutes les connaissances correspondantes à ces amours, par lesquels ces bêtes sont conduites comme l’aveugle par son chien, comme le somnambule par son rêve. »
Enfin les Orientaux dirent qu’ils adoptaient l’avis de leurs frères, que l’homme ne savait rien par lui-même mais par les autres ; que toute connaissance lui venait de Dieu, dont il ne pourrait être l’image et la ressemblance si la connaissance lui venait de lui-même. Ils ajoutèrent que l’homme était l’image de Dieu quand il croyait que le bon et le vrai lui venaient de Dieu ; que l’homme était à la ressemblance de Dieu quand il sentait le bon et le vrai un lui, comme venant de lui ; et c’est par cette appropriation que l’homme, puisant à la source de l’amour et de la sagesse divine, peut éternellement se perfectionner.
Quand on vint à la troisième question, qu’est-ce que l’arbre de vie, l’arbre de la science du bien et du mal, et la manducation de son fruit, ceux qui étaient assis à l’Orient furent suppliés par toute l’assemblée de dévoiler cet arcane, qui exigeait une plus profonde intelligence. « L’homme, répondirent-ils, tient tout de Dieu et rien de lui ; ainsi nous parlerons d’après Dieu comme si c’était d’après nous-mêmes. L’arbre signifie l’homme ; et son fruit, le bon de la vie. Ainsi l’arbre de vie signifie l’homme vivant par Dieu ; et comme l’amour et la sagesse, ou la charité et la foi, ou le bon et le vrai, font la vie de Dieu dans l’homme, par l’arbre de vie il faut entendre l’homme en qui ces choses sont de Dieu, et qui par conséquent a la vie éternelle. C’est aussi le sens de ces paroles de l’Apocalypse 2 : 7 et 22 : 2, 14 ; ON DONNERA À MANGER DE L’ARBRE DE VIE. L’arbre de la science du bien et du mal signifie l’homme qui croit avoir la vie par lui-même et non par Dieu, qui croit que l’amour et la sagesse sont de l’homme et non de Dieu ; se fondant sur ce que l’homme pense et veut, parle et agit comme il lui plaît, et comme de lui ; il se fait son Dieu lui-même, il se croit un Dieu ; c’est pourquoi le serpent dit à l’homme (Genèse 3 : 5.) DIEU SAIT QUE QUAND VOUS AUREZ MANGÉ DU FRUIT DE L’ARBRE, VOS YEUX S’OUVRIRONT, ET VOUS SEREZ COMME DIEU, SACHANT LE BIEN ET LE MAL. La manducation du fruit de l’arbre de vie signifie la réception, l’appropriation du bon et du vrai, de la vie éternelle ; la manducation du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal signifie la réception, l’appropriation du mal et du faux, de la damnation. Par le serpent il faut entendre le démon enivré de sa science et de l’amour de lui-même. »
L’assemblée, réunissant les sentiments sur les trois questions proposées, conclut et prononça ce décret : « L’homme a été créé pour recevoir de Dieu l’amour et la sagesse, pour croire qu’il les tient de Lui-même, afin que par cette croyance il puisse se les approprier et s’unir à Dieu. C’est encore pour cette fin que l’homme naît sans aucun amour ni connaissance ; et pour qu’il devienne un véritable homme vivant, il faut qu’il attribue à Dieu tout le bon de l’amour, tout le vrai de la sagesse ; s’il se les attribue à lui-même, c’est un homme mort, une bête parlante. »
Cette sentence, écrite sur une nouvelle feuille, fut placée sur la table ; des anges, qui parurent dans un nuage blanc, la prirent et la portèrent au ciel, où elle fut lue ; et les délibérants, assis sur leurs sièges, entendirent les applaudissements célestes. Aussitôt un ange, qui avait des ailes aux pieds et aux tempes, parut voler au haut du théâtre, apportant aux membres de l’assemblée des robes, des bonnets, et des couronnes de laurier ; s’étant abaissé et placé au milieu d’eux, il donna à ceux qui étaient assis au Septentrion des robes de couleur d’opale ; à ceux qui étaient à l’Occident des robes écarlate ; à ceux du Midi des bonnets, dont les bords étaient brodés d’or et de perles, et la partie du côté gauche rehaussée et enrichie de diamants taillés en bouquets ; ceux qui étaient assis du côté de l’Orient eurent des couronnes de laurier, ornées de rubis et de saphirs ; après cette distribution l’assemblée se sépara.
DE L’IMPUTATION 84.
L’ÉGLISE moderne enseigne que la foi et les mérites de Jésus-Christ nous sauvent ; c’est ce que nous appelons la croyance de l’imputation, laquelle est venue du concile de Nicée, de son fameux décret, qui établit trois personnes divines en Dieu. L’Église qui précéda ce concile, l’Église apostolique, qui s’étendait en Asie, en Europe et en Afrique, ne crut point (on peut voir le symbole des Apôtres) à ce fils de Dieu engendré de toute éternité pour expier un jour nos péchés sur la croix et nous réconcilier avec son père. Cette Église ne pouvait enseigner un pareil dogme, qui n’est contenu ni explicitement ni implicitement dans l’Écriture sainte. L’imputation du mérite et de la justice de Jésus-Christ est impossible, puisque la rédemption de ce divin Sauveur fut de subjuguer les enfers, de remettre l’ordre dans les cieux, et d’établir une nouvelle Église spirituelle.
Les catholiques et les réformés croient que l’homme qui, par l’imputation des mérites de Jésus-Christ, a acquis la foi est juste et saint, et que ses péchés ne sont point des péchés devant Dieu, parce qu’avant de les commettre il était réconcilié et justifié ; mais cette croyance, funeste à la société même et destructive de tout bien, est impossible à un homme éclairé, elle affirme l’impossible. En effet, le mérite et la justice du Seigneur sont choses divines, et telles, par conséquent, que si elles étaient appliquées et jointes à l’homme, l’homme tomberait mort ; il ne pourrait supporter la chaleur et la lumière du soleil spirituel, insupportables aux anges mêmes, dont le Seigneur ne s’approche qu’en tempérant, selon leurs facultés intérieures, le feu et l’éclat de son amour et de sa sagesse.
Il y a une imputation, c’est celle du bien et du mal. Le bien nous est imputé par le Seigneur, et le mal par l’enfer. La foi, jointe aux bonnes œuvres, prononce notre sentence et établit nos droits à la vie éternelle. La foi sans les œuvres nous adjuge à l’enfer. Que le Seigneur nous impute le bien et non le mal, c’est ce qui est prouvé en St Jean 12 : 47, 48, où il est dit : Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver ; que l’enfer nous impute le mal, c’est ce que l’on conçoit aisément quand on se rappelle que le mal est l’enfer, comme le bien est le ciel ; chacun des deux a son effet et son influence nécessaire, sa puissance séparée, qui s’exerce sur la volonté, car l’homme pouvant bien penser et mal agir, ce n’est point la pensée qui lui est imputée, mais la volonté ; le libre arbitre est dans la volonté, et le bien ou le mal, par conséquent.
Vision 85.
UN jour que je considérais, dans le monde des esprits, une côte maritime, je vis un port superbe où il y avait de grands et de petits vaisseaux pleins de marchandises de toute espèce, que de jeunes filles et de jeunes garçons, assis sur les bancs de ces vaisseaux, distribuaient à qui en voulait ; ils disaient : Nous attendons le moment de voir nos belles tortues qui vont sortir de la mer. En effet, je vis des tortues grandes et petites, portant sur leur dos des tortues nouvellement écloses, et qui regardaient les îles d’alentour. Les tortues mères avaient deux têtes, une grande, fort brillante, et entourée d’une conque pareille à la conque dont le corps de ces animaux est revêtu ; l’autre tête était petite, semblable à la tête ordinaire des tortues ; elles la tiraient en avant du corps et l’inséraient quelquefois dans la grande tête qui ne brillait plus en ce moment. Moi, je regardais la grande tête quand elle brillait ; je vis qu’elle avait une face d’homme, qu’elle parlait aux jeunes filles et aux jeunes garçons assis sur les bancs des vaisseaux, qu’elle leur léchait les mains et qu’elle en recevait des caresses, des morceaux délicats, des choses précieuses, comme des étoffes de soie pour faire des habillements, du bois odoriférant pour des tables, de la pourpre pour des ameublements, et de la teinture d’écarlate.
Je demandai ce que signifiaient ces objets, quelle était leur correspondance dans le ciel et sur la terre. Une voix céleste me répondit : « Vous savez ce que représentent le port et les vaisseaux ; mais vous ignorez ce que signifient les tortues et cette jeunesse assise sur les bancs des vaisseaux. Les tortues représentent ceux d’entre les ecclésiastiques qui séparent la foi de la charité et des bonnes œuvres. La petite tête signifie leurs assertions touchant le Seigneur qui, disent ces prêtres, ne voit plus de mal dans l’homme purifié et sanctifié par la foi. Ils tirent cette tête (comme vous avez vu faire aux tortues) en avant du corps, ils l’insèrent et la cachent dans la grande tête quand ils parlent aux laïques. C’est avec la grande tête, laquelle a une face humaine, qu’ils prêchent, d’après la parole, l’amour, la charité, les bonnes œuvres, l’observation des préceptes du Décalogue, et la pénitence ; ils cachent alors la petite tête, qui signifie leur façon de penser intérieure et particulière. Ils paraissent à leurs auditeurs pleins de sagesse et de beauté ; voilà pourquoi vous avez vu la jeunesse leur distribuer des choses précieuses. Après la mort on dit ce que l’on pense, nécessairement, et la pensée de ces docteurs étant une folie, ils déraisonnent dans le monde des esprits, ils sont chassés des sociétés comme des fous et ensuite précipités dans le puits de l’abîme, où ils deviennent purement corporels et semblables à des momies. Leur société infernale est voisine de celle des machiavélistes, et ils s’appellent frères. »
Bientôt en effet ces docteurs furent, devant moi, chassés des sociétés du monde spirituel et rassemblés pour être précipités. Je vis alors un navire volant dans les airs avec sept voiles déployées ; tous les pilotes et les matelots étaient vêtus de pourpre ; leurs bonnets étaient ornés de branches de laurier, et ils criaient : « Nous voilà dans le ciel, nous sommes les docteurs empourprés, lauréats, et les plus savants de tout le clergé européen. » Il me fut dit que tout cela exprimait le faste et l’orgueil de ces doctes insensés que précédemment j’avais vus représentés par des tortues. Je voulus leur parler de l’influence du Seigneur, qui est amour et sagesse de la charité, sans laquelle il n’y a point de foi spirituelle et sanctifiante ; ils ne m’écoutèrent pas ; alors je les vis à la lumière céleste, qui découvre tout l’intérieur et le montre tel qu’il est ; ces docteurs ne me parurent plus sur un navire volant dans les airs, ni vêtus de pourpre, ni couronnés de laurier. Ils étaient dans un fond sablonneux, ils avaient des habits déchirés, et autour des reins un filet de pêcheur qui laissait voir leur nudité ; c’est dans cet état qu’ils furent précipités.
DU BAPTÊME 86.
SANS la connaissance du sens interne et caché de l’Écriture sainte, on ne peut savoir ce que c’est que le baptême ; le baptême est ordonné aux chrétiens, puisque St Jean baptisa dans le Jourdain, non-seulement la multitude des juifs, mais Jésus-Christ lui-même, qui institua le baptême pour signifier que l’homme est membre de l’Église et qu’il doit être régénéré dans l’Église par le Seigneur. L’ablution du baptême est une ablution spirituelle ; les eaux, dans le sens interne de la parole, signifient les vérités ; et il est dit en St Jean 3 : 5, si l’homme n’est né d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Le Seigneur substitua le baptême à la circoncision pour faire connaître qu’il voulait établir l’Église intérieure à la place de l’Église extérieure. Le premier effet du baptême est l’introduction dans l’Église chrétienne et l’admission de l’homme baptisé parmi les chrétiens du monde spirituel : le second effet est de faire connaître au chrétien pour Rédempteur et Sauveur notre Seigneur Jésus-Christ et d’engager à le suivre ; le troisième effet, qui comprend les deux autres, est de régénérer par le Seigneur celui qui a reçu le baptême ; ces trois effets sont représentés par le baptême de Jean, dont l’objet était de préparer la voie, afin que Jéhovah, le Seigneur, pût descendre sur la terre et opérer la rédemption. Cette préparation correspondait à celle qui fut ordonnée aux Israélites dans le désert quand le Seigneur donna sa loi à Moïse ; nul ne peut voir Dieu et vivre. Dieu, étant l’amour même, se montre aux anges dans le soleil spirituel et comme soleil spirituel, mais à une certaine distance ; s’il s’approchait d’eux sans tempérer son feu et son éclat, ils seraient anéantis, comme les hommes seraient anéantis sur la terre s’ils s’approchaient du soleil naturel. De même, sans le baptême de Jean et sans l’humanité de Jésus-Christ, les juifs auraient été frappés de mort en recevant le Messie, qui fut Jéhovah, Dieu, sous une forme humaine.
Vision 87.
UN jour je priai le Seigneur de me permettre de converser avec les disciples d’Aristote, de Descartes et de Leibnitz, pour connaître leurs opinions touchant les opérations de l’âme et son union avec le corps ; neuf hommes parurent à la fin de ma prière et se placèrent près de moi, les trois Aristotéliciens à ma gauche, les trois Cartésiens à ma droite, les trois Leibniziens derrière moi ; Wolf, debout derrière un de ces derniers, tenait un pan de sa robe. Ces neuf hommes me parurent couronnés de laurier, et en s’abordant ils se saluèrent amicalement ; mais un esprit infernal, s’élevant de l’abîme et secouant devant eux un flambeau qu’il tenait dans sa main droite, les rendit ennemis les uns des autres ; ils se regardèrent avec fureur et disputèrent de même, chacun voulant faire prévaloir son opinion ou celle de son maître. L’esprit infernal parut encore et secoua derrière leur tête son flambeau, qu’il tenait, cette fois, dans sa main gauche. Alors leurs idées se confondirent et, ne s’entendant plus, ils firent le sort arbitre de leur dispute ; ils écrivirent sur un billet influence physique, sur un autre influence spirituelle, et sur un troisième harmonie préétablie ; ces trois billets ayant été agités dans le bonnet d’un de ces docteurs, on tira ; et le billet qui sortit portait écrit influence spirituelle. Les disputeurs, l’ayant lu, dirent tous, les uns d’une voix claire et facile, les autres d’une voix rauque et contrainte : « Tenons-nous-en à cette opinion, puisque le sort nous l’a choisie. » Un ange parut au milieu d’eux et leur dit : « Ce n’est point le sort, mais la providence, qui a fait sortir le billet où est écrit influence spirituelle. Vos idées confuses vous empêchaient de voir la vérité ; pour se faire connaître, elle s’est présentée sous votre main. »
Je vis ensuite une grande nuée, qui se divisa en plusieurs petites, dont les unes étaient bleues, les autres noires ; elles étaient traversées de rayons qui me parurent tantôt aigus comme des dards, tantôt obtus comme des lances brisées ; ces rayons s’approchaient, s’éloignaient et se heurtaient comme des combattants. Je fixai mes regards au-dessous de ce phénomène ; et dans une maison bâtie de marbre et de porphyre je vis une espèce de salle ou d’école où des jeunes gens étaient instruits par des vieillards touchant la nature de l’âme, son influence, et son union avec le corps. Il y avait une chaire, où chacun des jeunes gens montait pour répondre ; et avant d’y monter, il se revêtait d’une tunique de soie de couleur d’opale et, par-dessus, d’une robe de laine brodée en fleurs ; sur sa tête il mettait un bonnet dont la pointe était ornée de roses et de petits saphirs. Il passait cet habillement au suivant lorsqu’il descendait de la chaire. Quand tous eurent répondu d’une manière satisfaisante, la maison parut enveloppée d’un nuage blanc, sans rayons ni pointes ; ce nuage, pénétrant le toit, illumina les murs de la maison, sur lesquels on lut ces paroles : « Jéhovah, Dieu, inspira dans les narines de l’homme l’âme des vies ; et l’homme devint âme vivante. » Gen. 2 : 7.
DE LA SAINTE CÈNE 88.
PAR la correspondance des choses naturelles avec les spirituelles on peut expliquer ce que c’est que la saint Cène. Dans le sens interne de la parole, par le pain ou la chair du Seigneur, on entend le bien de l’amour ; le vin, ou le sain du Seigneur, signifie le bien de la foi. Le mot chair, dans la bouche de Jésus-Christ, ne peut signifier cet assemblage de muscles qui constitue le corps humain ; le mot sang ne signifie pas cette liqueur vermeille qui circule dans les veines. Des millions d’hommes peuvent-ils avaler tous les jours la chair et le sang du corps que Jésus-Christ anima sur la terre ? Peuvent-ils tous manger Dieu, qui dans son humanité glorifiée est toujours un ? Dans le sens naturel, la chair et le sang signifient la passion de la croix, dont le Seigneur voulait que ses disciples se souvinssent, aussi leur dit-il : Faites ceci en mémoire de moi. Et peu de temps après il employa, pour exprimer la passion de la croix (Jean 18, 11), le terme breuvage ou calice, c’est-à-dire le même qu’il avait employé en instituant la sainte Cène. Le Nouveau Testament doit être expliqué dans son sens spirituel, comme l’ancien. Il est dit dans l’Apocalypse 19 : 17, 18 : L’ange dit à tous les oiseaux qui volaient au milieu du ciel : Assemblez-vous au banquet du grand Dieu pour y manger la chair des rois, des capitaines, des forts, des chevaux et des cavaliers, etc. Dans Ézéchiel 39 : 17 ad 21 : Venez au grand sacrifice que je fais pour vous sur les montagnes d’Israël, vous mangerez de la chair et vous boirez du sang ; vous mangerez la chair des forts, et vous boirez le sang des princes. Dans ces passages, qui annoncent l’établissement de l’Église parmi les nations, qui pourra jamais expliquer, dans le sens naturel, les oiseaux assemblés pour manger la chair des rois, des chevaux et des cavaliers ; le sacrifice où l’on se rassasie de la chair des forts, et du sang des princes ? Ces paroles ont rapport à la sainte Cène, et elles s’expliquent très-bien par leurs correspondances ; elles s’expliquent aussi par les paroles de Jésus-Christ, qui nous invite à entendre dans le sens spirituel une institution aussi spirituelle que celle de la sainte Cène. Cherchez, dit-il, non la nourriture qui périt, mais celle qui dure jusqu’à la vie éternelle, et que le fils de l’homme vous donnera. Moïse ne vous a point donné un pain céleste, et mon père vous donne un vrai pain céleste ; le pain de Dieu descend du ciel et donne la vie au monde. Je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura point faim ; celui qui croit en moi n’aura point soif. Je suis le pain descendu du ciel ; celui qui mangera de ce pain vivra éternellement, Le pain que je vous donnerai est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde. Si vous ne mangez la choir du fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; ma chair est une vraie nourriture, mon sang est un vrai breuvage ; celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Jean 6 : 27, 32, 33, 35, 41, 47 ad 56. Qui peut voir ici autre chose qu’une institution spirituelle ? Qui peut expliquer naturellement et matériellement un bienfait, une grâce spirituelle, accordée par le Seigneur à l’Église spirituelle qu’il voulait établir ? Ces paroles, prises dans le sens naturel, rendraient le culte des chrétiens plus matériel et moins spirituel, plus extérieur et moins intérieur que le culte des Israélites, auquel la rédemption a dû mettre fin.
On pourrait citer beaucoup d’autres passages pour prouver qu’au sens spirituel la chair ou le pain signifie le bon de l’amour, que le sang ou le vin signifie le bon de la foi. Par exemple, et 1o pour le mot chair, le Seigneur, parlant de la conversion des juifs, leur dit : Je vous donnerai un esprit nouveau, j’enlèverai votre cœur de pierre et vous donnerai un cœur de chair. Ézéch. 11 : 19 et 36 : 26. Dans le sens interne, le cœur signifie l’amour, et la chair, le bon. 2o Par le mot sang, Jésus-Christ, en instituant la sainte Cène, l’appelle le sang de la nouvelle alliance ; voici pourquoi : dans le sens interne, le sang signifie le bon de la foi, ou le vrai divin, qui nous unit à Dieu ; aussi dans Moïse et dans les prophètes, il est souvent dit : le sang de l’alliance pour exprimer un signe d’union. Par le sang de votre alliance je délivrerai ceux qui sont enchaînés dans la prison, Zach. 9 : 11. Moïse, ayant lu au peuple le livre de la loi, répandit la moitié du sang sur le peuple, et dit : Voilà le sang de l’alliance que Jéhovah a faite avec vous par toutes ces choses. Exod. 24 : 3 ad 11. Jésus-Christ prenant le vin dit : Voici le sang de la nouvelle alliance, c’est-à-dire le signe représenté par le vin ; et, en effet, le vin en appelé le sang des raisins dans la Genèse, 49 :1 1, et dans le Deutéronome, 3 : 14. Quand Jésus-Christ dit que son sang est un vrai breuvage, c’est parce que celui qui le boit a la vie en lui, comme il le dit ensuite. Le sang, qui signifie le vrai divin, était un signe très-saint dans l’Église des Israélites, laquelle était toute par correspondances des choses naturelles avec les spirituelles. Voyez l’Exode 12 : 7, 13, 22, et 39 : 12, 16, 20, 21. Le Lévitique 1 : 5, 11, 15. Idem 3 : 2, 8, 13. Idem 4 : 25, 30, 34. Idem 8 : 8, 15, 24. Id. 17 : 6. Id. 4 : 6, 7, 17, 18. Id. 16 : 12, 13, 14, 15. Le Deutéronome, 12 : 27. David, Ps. 72, parle de l’âme des pauvres, de leur sang précieux devant Dieu, qui leur donnera l’or de Saba. Dieu ne donne point d’or : mais dans le sens interne l’or est le symbole du bon, qui est donné à ceux qui ont le vrai, à ceux dont le sang est précieux. Dans l’Apocalypse, 7 : 14 et 12 : 7, 11, il est parlé de ceux qui ont blanchi leur robe dans le sang de l’agneau, de ceux qui ont vaincu le dragon par le sang de l’agneau, et par la parole de son témoignage. Dans ce dernier passage, le sang de l’agneau est assez expliqué par la parole, qui est le vrai. Dans le premier passage, on ne peut blanchir sa robe dans le sang naturel ; les anges ne peuvent avoir aucune idée du sang du corps ; et dans cieux j’ai vu que par la passion du Seigneur on n’entendait autre chose que sa résurrection et son humanité glorifiée.
Le pain et le vin signifient, dans le sens interne, la même chose que la chair et le sang. Jésus-Christ a dit : Le pain que je donnerai est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde. Dans le Lévitique, 3 : 11, 16. Idem 21 : 6, 8, 17, 21. Id. 22 : 6, 7. Dans les Nombres, 28 : 2. Dans le Deutéronome, 18 : 2, 3, les sacrifices des animaux sont appelés le pain du Seigneur, du Dieu de feu. Le Seigneur dit : Ce qui m’est offert est mon pain. Il est ordonné à l’Israélite qui a touché quelque chose d’immonde de se laver avant de manger de la chair sanctifiée, qui est son pain ; et ce pain signifie, de même que la chair, le bon, l’amour, qui est la vie ; il signifie cela, puisqu’il est écrit dans le Deutéronome, 18 : 2, 3 : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de la parole qui sort de la bouche de Dieu ; puisque Jésus-Christ a dit : Travaillez, non point pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui est permanente jusqu’à la vie éternelle. Jean 6 : 27.
Que le vin signifie la même chose que le sang, cela est prouvé par les paroles de Jésus-Christ, qui dit en prenant le vin : Ceci est mon sang. La Genèse, parlant du Seigneur, dit : Il lave son vêtement dans le vin, et son voile dans le sang des raisins. Genèse 49 : 11. Dans Ézéch. 33 : 1, il est dit, relativement à l’Église spirituelle qui sera établie : Vous qui avez soif, venez, achetez du vin sans argent. Dans St Matthieu, St Marc et St Luc, par le produit de la vigne, que l’on boira dans le royaume des cieux, il faut entendre la nouvelle Église, le vrai, qui dans l’Écriture est souvent appelé la vigne, Isaïe 5 :1, 2, 4. Matth. 20 : 1 ad 13 ; le Seigneur se nomme lui-même la véritable vigne, et ceux qui lui sont unis, insérés, les sarments. Jean 15 : 1, 5.
Par le vrai sens de l’Écriture, par la concordance des passages de l’ancien et du nouveau Testament, il est donc prouvé que dans l’Évangile, comme dans Moïse et les prophètes, les mots chair ou pain signifient le bien de l’amour, et les mots sang ou vin le bien de la foi. Les lumières naturelles concourent avec les spirituelles pour établir la vérité de cette explication. Ainsi la sainte Cène se rapporte, comme tout dans l’univers, au bon et au vrai ; la chair, ou le pain, est le bon de la charité ; le sang, ou le vin, est le vrai de la foi ; la manducation de l’un et de l’autre est l’action de se les approprier et conjoindre. Les anges qui sont dans l’homme qui participe à la sainte Cène n’y voient rien que de spirituel. En effet, il y a deux nourritures, l’une pour le corps, l’autre pour l’âme ; de ce que le corps est mortel et l’âme éternelle, il s’ensuit que la nourriture spirituelle est pour le salut éternel ; confondre ces deux nourritures et ne voir dans la sainte Cène que le corps et le sang du Seigneur, c’est avoir de lui des idées naturelles, sensuelles, matérielles, corporelles et charnelles.
La croyance que nous avons établie était celle de la primitive Église, où chacun d’entre les fidèles, en s’unissant à Dieu par la sainte Cène, exhortait son frère à bien vivre dans le Seigneur.
Ceux-là approchent dignement de la sainte Cène qui ont la foi et la charité, et qui, par conséquent, sont régénérés ; par la sainte Cène ils sont dans le Seigneur et le Seigneur est en eux ; il est là présent ; il leur ouvre le ciel et il s’unit à eux : car la sainte Cène est la conjonction de l’homme avec le Seigneur ; le Seigneur est aussi présent dans la sainte Cène à ceux qui en sont indignes, mais il ne leur ouvre pas le ciel ; le baptême introduit dans l’Église tous ceux qui le reçoivent ; mais la sainte Cène n’introduit dans le ciel que ceux qui en sont dignes.
La sainte Cène renferme et comprend tout ce qui était établi dans l’Église israélite pour le culte, les holocaustes et les sacrifices, toutes choses qui y étaient désignées par les seuls mots offrir le pain de Dieu, comme nous l’avons fait voir. Les rites et cérémonies des Israélites, dans leurs sacrifices, renfermaient des mystères du ciel, comme le mystère de la glorification de l’humanité du Seigneur, celui de la régénération de l’homme, de sa purification des maux et des erreurs ; et tout cela était désigné par les seuls mots de pain sanctifié, que l’on mangeait aussi en observant certaines lois et cérémonies ; le complément de tous ces mystères, c’est la sainte Cène, dont le pain signifie, en général, tout le bien qui procède du Seigneur, car le Seigneur lui-même est dans son propre bien ; donc le pain et le vin de la sainte Cène comprennent, ou la sainte Cène elle-même comprend, le tout de l’Église et du ciel ; elle contient tout le Seigneur et toute la rédemption, puisqu’elle contient le bien de l’amour et le bien de la foi.
L’union du Seigneur avec l’homme, laquelle se fait par la sainte Cène et par la régénération, peut s’expliquer ; dans l’essence divine il y a trois choses : Dieu, la charité, et la foi ; il y a trois choses dans l’homme intérieur, et trois dans l’homme extérieur : les trois de l’homme intérieur sont l’âme ou l’esprit, la volonté, et l’entendement ; les trois de l’homme extérieur sont le corps, le cœur, et le poumon ; le corps en général correspond à l’esprit, qui l’anime ; le cœur correspond à la volonté, et le poumon à l’entendement ; cet trois correspondent, savoir l’esprit à Dieu, la volonté à la charité, l’entendement à la foi ; les trois essentiels de l’homme sont donc les réceptacles des trois essentiels de Dieu.
Vision 89.
JE vis un jour une assemblée d’esprits, prosternés à genoux et priant Dieu de leur envoyer des anges auxquels ils pussent parler et confier leur pensée ; ils se levèrent ; trois anges, vêtus de robes de fin lin, parurent au milieu d’eux et leur dirent : « Notre Seigneur Jésus-Christ, exauçant votre prière, nous envoie vers vous ; parlez. – Ces prêtres nous ont assuré, répondirent les esprits, que dans les choses spirituelles la foi seule était nécessaire et que l’entendement n’y servait de rien, parce que la foi intellectuelle est de l’homme, et vicieuse, conséquemment ; nous sommes anglais ; nous avons cru nos ministres ; ici, nous trouvant avec des réformés, des catholiques romains, et d’autres sectaires, tous nous ont dit, croyez-nous, nous sommes ministres du Seigneur et savants ; voyant qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux, persuadés aussi que les vérités de la foi et de l’Église n’ont pas leur source en nous-mêmes, que cependant elles sont nécessaires pour arriver au ciel, où elles s’unissent à la charité pour constituer la vie éternelle, nous sommes tombés dans une grande anxiété ; et nous prosternant devant le Seigneur, nous l’avons prié de nous éclairer. – Lisez, dirent les anges, l’Écriture sainte, croyez au Seigneur, et vous verrez les vérités qui doivent régler votre foi et votre vie. – Nous l’avons lue, répartirent deux membres de l’assemblée ; nous l’avons lue et nous ne l’avons pas comprise. – C’est, répondirent les anges, que vous ne vous êtes pas adressés au Seigneur, et vous vous êtes confirmés dans le faux. Qu’est-ce que la foi sans la lumière ? Qu’est-ce que penser sans comprendre ? Vos ministres, qui vous enseignent, ne savent pas que l’entendement humain peut s’ouvrir au monde et au ciel, que le Seigneur éloigne la fausse lumière du monde quand il communique la lumière céleste ; et que sans cette lumière l’homme est aveugle pour la parole divine ; apprenez donc les vérités essentielles de Dieu et de l’Église. 1o Tous ceux qui ont mérité le ciel y obtiennent une place proportionnée à l’idée qu’ils ont de Dieu, parce que cette idée est la base du règne céleste ; l’idée d’un Dieu invisible, n’ayant point de sujet ni d’objet, tombe d’elle-même, et périt ; l’idée d’un Dieu pur esprit est vaine ; l’idée d’un Dieu homme est juste ; Dieu est l’amour divin et la sagesse divine, avec tous leurs attributs, dont le sujet est un homme ; faites-vous-en une idée semblable à la nôtre, et vous vous associerez à nous. » Les esprits le firent ; et aussitôt leurs visages parurent resplendissants de lumière. 2o « L’homme, dirent les anges, vit éternellement, parce qu’il peut, par la charité et par la foi, s’unir à Dieu, ce qui constitue son immortalité. 3o La régénération, qui est fondée sur la liberté dont l’homme est doué dans les choses spirituelles, pouvant penser à Dieu et n’y penser pas, la régénération s’opère par la pénitence, qui consiste dans l’examen de ses fautes et dans le changement de vie. 4o Le baptême est une régénération, une ablution spirituelle, qui associe l’homme aux anges et le prépare pour le ciel. »
Les esprits assemblés dirent qu’ils entendaient fort bien cela ; cependant deux voix s’élevèrent, dont l’une dit : Nous ne l’entendons pas, et l’autre : Nous ne voulons pas l’entendre. Les anges dirent que c’étaient de faux docteurs, qui séparaient la foi des œuvres et qui, vus à la lumière céleste, paraissaient comme des statues faites avec tant d’art qu’elles peuvent remuer les lèvres et former des sons, mais sans savoir si le souffle qui les fait résonner vient du ciel ou de l’enfer. Ces docteurs ignorent s’ils sont dans le vrai ou dans le faux, car l’esprit humain peut se confirmer dans la doctrine qui lui plaît ; c’est ce qui fait qu’il y a des hérétiques, des impies, et même des athées.
La société anglaise, désirant de s’instruire, demanda avec empressement ce qu’elle devait penser de la sainte Cène. Les anges lui répondirent : « La vérité est que tout homme qui s’adresse au Seigneur et qui fait pénitence s’unit par la sainte Cène avec le Seigneur et est introduit dans le ciel. – Mais, dirent les esprits anglais, c’est un mystère. – Oui, répondirent les anges, mais un mystère intelligible, et dont voici l’explication. Il ne s’opère pas par le pain et le vin, mais par ce que le pain et le vin ont de saint, et par la correspondance du pain matériel avec le pain céleste, du vin matériel avec le vin céleste, Le pain céleste est le saint de l’amour ; le vin céleste est le saint de la foi ; tous les deux viennent du Seigneur, tous les deux sont le Seigneur 90 ; c’est ce qui produit la conjonction de l’homme avec le Seigneur et du Seigneur avec l’homme, non par le pain et le vin, mais par l’amour et la foi qu’ils représentent, et qui se trouvent dans l’homme régénéré participant à la sainte Cène. »
Les anges ayant encore dit quelque chose sur la correspondance et sur ses effets, les esprits assemblés dirent qu’ils avaient compris parfaitement ; à l’instant, un feu lumineux descendu du ciel associa ces esprits aux anges et leur inspira à tous un amour mutuel
Souvent je fus, dans le monde spirituel, instruit par des conférences réelles, et souvent aussi par des représentations d’objets symboliques. Un jour, par exemple, je vis au-dessus de moi une lumière très-blanche, de forme ovale. Comme je la regardais plus fixement, elle s’éloigna, elle s’ouvrit, et me laissa voir le ciel ; les anges me partirent assis dans un amphithéâtre magnifique, où ils s’entretenaient de l’unité de Dieu, de sa conjonction avec l’homme, et de la rédemption. Ayant un vif désir de m’instruire avec eux et de comprendre leurs discours, dont la sagesse ineffable ne peut être exprimée par aucune langue humaine, j’entendis d’abord un son plein de l’amour céleste, ensuite des paroles pleines de la sagesse de cet amour ; je les compris ; et la lumière céleste, qui s’était éloignée, revint sur ma tête, elle remplit tout l’intérieur de mon esprit et éclaira mes nouvelles idées ; je vis alors les anciennes, qui n’étaient que naturelles, et que la sagesse divine avait séparées, comme le van sépare la paille du grain ; je vis ces idées naturelles emportées loin de moi par le vent du Septentrion.
Un matin, à mon réveil, le soleil spirituel m’apparut à son aurore ; les cieux étaient au-dessous de lui et aussi éloignés que la terre l’est du soleil qui l’éclaire ; j’entendis en même temps une multitude de voix célestes et ineffables ; elles se réunirent toutes en une seule, qui articula distinctement ces mots sacrés : « Il n’y a qu’un Dieu, qui est homme et qui habite le soleil spirituel. » Tombant du ciel dans le monde des esprits, où j’étais, ces paroles, s’éloignant de leur source, n’étaient plus comprises, et l’idée sainte d’un seul Dieu, qu’elles contenaient, dégénérait en une idée fausse de trois personnes en Dieu, ce qui est l’idée de trois Dieux.
Je vis ensuite cinq lycées, tous éclairés d’une lumière différente ; on y disputait sur ces paroles de l’Évangile le Seigneur est assis à la droite de son père, desquelles on inférait que le Fils, distingué du Père, était médiateur entre lui et les hommes. Je levai la main, je priai les délibérants de m’entendre ; et par des passages des psaumes 48, 62, 110, 120, par les évangiles selon St Matthieu, 16 : 63, 64, selon St Luc, 22 : 69, je leur prouvai que la droite, dans le sens interne, signifie la puissance, et qu’ils abusaient de la sainte Écriture pour se confirmer dans leurs erreurs ; l’assemblée frémit d’indignation et voulut m’imposer silence. Prenez garde, leur dis-je, que la main qui paraît quelquefois dans les cieux, pour y représenter la puissante divine, ne se montre à vous ; à sa vue vous seriez frappes de terreur et anéantis. Tout-à-coup la main redoutable parut ; et la frayeur fut telle dans l’assemblée que tous ceux qui la composaient s’échappèrent par les portes et par les fenêtres ; plusieurs perdirent l’usage de leurs sens et tombèrent. Moi, qui ne fus point effrayé, je sortis le dernier, et regardant derrière moi, je vis le lycée enveloppé de ténèbres.
Un autre jour, je vis un temple magnifique, de forme carrée, et dont le toit, cintré et élevé, ressemblait à une couronne ; les murs étaient de cristal, la porte était de la même matière que les perles. Du côté du Midi, tirant vers l’Occident, s’élevait un pupitre sur lequel était placé le livre de la Parole, ouvert et environné d’une lumière dont l’éclat paraissait embraser tout le pupitre. Au milieu du temple je vis un sanctuaire, dont le voile était levé ; un chérubin d’or y paraissait debout, agitant une épée. Comme je considérais ces objets, leur signification spirituelle me fut intérieurement révélée ; le temple signifiait la nouvelle Église ; la porte de perles, l’entrée dans cette Église, dont les vérités étaient représentées par les murs de cristal, et les prédications ainsi que le sacerdoce par le pupitre. Le livre de la Parole, ouvert et éclairant le pupitre, désignait le sens interne de l’Écriture, révélé ; le sanctuaire au milieu du temple figurait la conjonction de cette Église avec le ciel angélique ; le chérubin d’or signifiait la parole dans le sens littéral ; et le voile levé devant lui, la révélation du vrai sens de cette parole. M’étant approché plus près, je lus ces mots écrits sur la porte du temple : maintenant il est permis ; ce qui signifiait qu’il est maintenant permis à l’entendement humain de pénétrer les divins arcanes de la foi. J’aperçus ensuite au-dessus de ma tête un enfant qui tenait une feuille de papier dans sa main ; à mesure qu’il s’approchait de moi, il grandissait, et enfin il me parut un homme ; c’était un des anges du troisième ciel, que leur état de parfaite innocence fait paraître de loin comme des enfants ; il me présenta la feuille de papier, écrite en caractères circulaires, tels qu’ils sont dans ce ciel ; il m’en expliqua le sens, que voici : « Entrez dans les mystères de la Parole, cachés jusqu’aujourd’hui ; toutes les vérités qu’elle contient sont du images du Seigneur. »
C’est aussi par des représentations que la bonté céleste m’a fait connaître le faux et la falsification des vérités. Un jour, des esprits infernaux, voulant prouver que le vrai était parmi eux, eurent la permission de s’élever de l’abîme jusqu’au monde des esprits, où un ange, pour leur faire voir leurs erreurs, les fit passer dans un lieu où la lumière céleste influait immédiatement. Au milieu est une table, sur laquelle on place une feuille de papier où le vrai de la Parole est écrit, et ce vrai fait briller la feuille comme une étoile des cieux ; l’ange dit aux infernaux d’écrire aussi leur vrai sur une feuille de papier et de la placer sur la table ; ils le firent ; on leur dit ensuite de s’éloigner pour regarder la feuille, qui parut brillante comme une étoile. Vous voyez, leur dit-on, que ce que vous avez écrit est le vrai, mais approchez, et regardez de plus près. Ils s’approchèrent, et la lumière disparut ; la feuille était noire et comme enveloppée de la fumée d’une fournaise. Ils la prirent dans leurs mains sans toucher à l’écriture ; il en sortit un feu qui la consuma. Si vous aviez, leur dit le gardien de ce lieu, touché à l’écriture, vous eussiez entendu un grand bruit et vous vous seriez brûlés. Vous voyez que les vérités dont vous avez abusé sont des vérités, puisqu’elles sont tirées de l’Écriture, mais vous les avez falsifiées. Alors ces esprits infernaux regardèrent le ciel, qui parut d’abord comme du sang, et ensuite tout noir ; eux-mêmes parurent aux anges, les uns comme des chouettes et des chauves-souris, les autres comme des taupes et des crapauds. Tous s’enfuirent et se précipitèrent dans leurs ténèbres, qu’ils prennent pour la lumière.
De bons esprits destinés pour le ciel étaient là présents et stupéfaits de ce qu’ils venaient de voir, quand une voix céleste qui partit de la plage méridionale leur dit : Approchez, vous verrez de plus grandes merveilles. Ils entrèrent dans une chambre dont les murs étaient tout brillants d’or ; au milieu était aussi une table, sur laquelle on avait placé la Parole, entourée de pierres précieuses, d’une forme céleste ; l’ange gardien du lieu dit que quand on ouvrait le livre de la Parole, il brillait d’une lumière dont la blancheur était inexprimable, et que les pierres précieuses dont le livre saint était entouré avaient l’éclat de l’iris céleste. Si un ange du troisième ciel regarde ce livre ouvert, l’iris paraît sur un fond rouge ; si c’est un ange du second ciel, l’iris paraît sur un fond bleu ; enfin, si c’est un ange du premier ciel, l’iris paraît sur un fond blanc. Tout bon esprit qui regarde le livre de la Parole ouvert sur cette table voit l’iris qui l’entoure sur un fond marbré. Un habitant du monde des esprits, qui sur la terre avait enseigné des erreurs touchant la foi, s’approcha de la table et toucha le livre de la Parole. Il en sortit du feu mêlé de fumée ; et avec une explosion terrible l’imprudent fut jeté dans un coin de la chambre, où il resta longtemps comme un homme mort.
Les habitants des cieux, qui sont dans le bon et dans le vrai, ne peuvent supporter l’odeur des enfers, où l’on est dans le mal et dans le faux. Un jour, je vis un démon qui de loin paraissait semblable à un léopard et que peu de temps avant j’avais vu parmi les anges du dernier ciel ; il avait su se transformer en ange de lumière ; et ayant traversé l’espace mitoyen qui sépare les cieux des enfers, il se tenait debout, et seul, entre deux oliviers. Là, il ne sentait pas l’odeur céleste, ennemie mortelle de sa vie ; mais des anges s’étant approché de lui, il eut des convulsions, des contractions dans tous les membres ; il me parut comme un grand serpent qui se tordait en longs replis, et qui enfin se jeta par un trou ; les siens le reçurent et le portèrent dans une caverne où l’odeur infernale de son amour le ranima.
Un jour que je méditais sur cette quantité d’hommes qui ne reconnaissent point d’autres Dieu que la nature, un ange parut à mes côtés et me dit qu’il voulait me faire voir, dans la plage méridionale occidentale, plusieurs de ces esprits pervers dont je m’occupais. Là, me dit-il, ils sont dans des lycées, avant d’être précipités dans l’enfer, qui est presque tout rempli de leurs pareils. L’ange me conduisit par la main et je vis, dans de grands lycées, de petites maisons au milieu desquelles il y en avait une qui paraissait le prétoire de toutes les autres ; elle était construite de pierres de bitume, recouvertes de petites lames de verre, qui brillaient comme l’or et l’argent, ou comme des sélénites ; ses murs étaient aussi ornés, par intervalles, de coquilles luisantes. Nous frappâmes à la porte ; celui qui nous l’ouvrit nous dit : Soyez les bienvenus ; et il nous présenta tout de suite quatre volumes qui étaient, disait-il, les quatre livres de la sagesse, ajoutant que l’un avait été applaudi en France, l’autre en Allemagne, le troisième en Hollande, et le quatrième en Angleterre ; il fit briller ces livres en répandant autour d’eux la gloire de sa réputation ; mais cette fausse lumière s’évanouit à nos yeux, et nous demandâmes ce que ces livres contenaient. On nous dit que toutes les questions qui y étaient traitées avaient pour objet de savoir si la nature procédait de la vie ou si la vie procédait de la nature ; si le centre appartenait à l’étendue, ou l’étendue au centre. On y dissertait ensuite sur le centre de l’étendue et de la vie ; après cela, notre introducteur s’étant assis auprès de la table, nous nous promenâmes dans le lycée, qui était très-vaste. La lumière solaire ne l’éclairait pas, mais seulement une lumière lunaire ; il n’y avait sur la table qu’une chandelle, que l’on portait çà et là et qui éclairait très-peu. Quand le savant se mit à écrire, nous vîmes voltiger autour des murs des images, des figures de toutes les espèces, qui, vues à la lumière lunaire, nous parurent de beaux oiseaux des Indes ; mail lorsque la porte, ouverte par nous, laissa entrer la lumière solaire, ces mêmes figures nous parurent des oiseaux de nuit, dont les ailes étaient comme des réseaux et des filets ; tout cela pour représenter les vraisemblances qui, confirmées par ces méchants esprits, étaient devenues des faussetés qu’ils avaient exposées avec esprit et méthode.
J’entendis un jour des voix qui s’élevaient de l’enfer et dont le bruit ressemblait à celui des torrents ; la première voix, qui se fit entendre à ma gauche, s’écriait : Oh ! qu’ils sont justes ! La seconde voix, qui partait de la droite, disait : Oh ! qu’ils sont savants ! La troisième voix, qui s’élevait derrière moi, disait : Oh ! qu’ils sont sages ! Désirant de savoir si la justice, la science et la sagesse se trouvent dans les enfers, j’entendis une voix céleste qui me dit : Vous verrez, et vous entendrez. Je sortis, en esprit, de l’endroit où j’étais ; je descendis par l’ouverture d’une caverne, et je vis une campagne couverte d’arbustes entrelacés d’épines et d’orties ; je demandai si c’était l’enfer, on me répondit que c’était la terre inférieure, voisine de l’enfer. Je m’acheminai, par ordre, vers les lieux d’où les voix étaient parties, et premièrement vers celle qui disait : Oh ! qu’ils sont justes ! Je vis une assemblée composée d’hommes dont les jugements sur la terre avaient été dictés par l’amitié et par l’intérêt. Ceux dont on disait : Oh ! qu’ils sont savants ! n’étaient pas autre chose que des raisonneurs. Ceux que la troisième voix avait proclamés en ces termes : Oh ! qu’ils sont sages ! étaient des confirmateurs, ou des savants décidés. Je m’arrêtai parmi les premiers, parmi les justes. Je vis un amphithéâtre, construit en briques recouvertes de tuiles noires, et que ces hommes appelaient leur tribunal. On y entrait par six portes, dont trois étaient au Septentrion et trois à l’Occident ; il n’y en avait point au Midi ni à l’Orient, pour indiquer la nature de leurs jugements, dictés par leur propre volonté, et non point par la justice. Au milieu de l’amphithéâtre je vis un feu allumé, dans lequel on jetait des torches soufrées et bitumineuses, dont la lumière, réfléchie sur les murailles incrustées, y faisait voir différents oiseaux de nuit représentés ; c’était l’emblème de l’iniquité de ces juges, qui donnaient aux différentes questions une couleur favorable, selon leur intention et le jugement qu’ils voulaient porter. Après avoir attendu une demi-heure, je vis entrer des vieillards et des jeunes gens en robe et en manteau, qui s’assirent pour juger ; je les vis, uniquement dirigés par l’amitié et par l’intérêt, faire du juste l’injuste, et réciproquement de l’injuste le juste. La lumière céleste me fit connaître la nature des différentes questions et l’iniquité des juges ; je la remarquai aussi sur leur visage et dans le son de leur voix. Un ange qui m’aborda me dit que ces juges ne voyaient la justice que dans leurs préjugés, mais que leur fin était proche. Aussitôt la terre s’entrouvrit ; les bancs tombèrent sur les bancs ; les juges furent, avec l’amphithéâtre, engloutis et emprisonnés dans les enfers ; il me fut donné de les y voir à la lumière céleste ; ils me parurent avoir le visage de fer poli ; le corps, depuis la tête jusqu’aux lombes, était comme une statue de pierre vêtue de peaux de léopards ; les pieds ressemblaient à des couleuvres. Je vis aussi les livres de la loi, que ces juges avaient devant eux sur le tribunal, changés en cartes à jouer ; et au lieu de les occuper eux-mêmes à juger, on les chargea de préparer le rouge et le fard dont les courtisanes embellissent leur visage.
L’ange m’accompagna dans l’assemblée des raisonneurs que la seconde voix avait célébrés en disant : Oh ! qu’ils sont savants ! Les habitants du ciel, placés au-dessus de ces hommes, me les firent voir comme des vents qui errent çà et là, comme des écorces d’arbres, comme les coques qui renferment les amandes. L’ange me dit que les vrais savants sont ceux qui examinent si une chose est, ou n’est pas, et qui cherchent rarement à savoir ce qu’elle est. Ces raisonneurs, interrogés par nous, nous firent, touchant la religion, la rédemption, le ciel, l’enfer, et la vie éternelle, une foule de raisonnements pour et contre, ne prouvant rien, n’apprenant rien. Nous leur dîmes qu’ils n’avaient ni religion, ni sens ; ils entrèrent en fureur, et nous les quittâmes. L’ange me dit que ces raisonneurs étaient précipités au fond de l’abîme et relégués dans des déserts où on les force de porter des fardeaux ; là ils babillent, ils déraisonnent éternellement ; et vus de loin, ils paraissent comme des ânes chargés de bagage.
L’ange me conduisit vers ceux dont la voix infernale avait dit : Oh ! qu’ils sont sages ! Il me fit voir ces docteurs, ou ces savants décidés, n’ayant d’humain que la face et le corps. « Ce ne sont, me dit-il, ni des hommes, ni des bêtes, mais des bêtes-hommes, qui, ne pouvant plus discerner le vrai du faux, peuvent seulement faire en sorte que ce qui leur plaît soit le vrai pour eux ; nous les appelons décidés. Parvenus au lieu de leur assemblée, nous vîmes une petite troupe qui en était séparée, et dont une partie était composée de nobles ; un d’entre eux vint à nous ; il nous dit que le vrai était dans l’homme et que ce qui lui paraissait être la vérité l’était en effet. L’ange me dit que ce prétendu savant était, comme ses pareils, dans le degré rationnel-naturel ; que les deux degrés supérieurs étant fermés chez lui, et la lumière céleste n’influant point dans la lumière naturelle, il était complétement aveugle pour le spirituel. « Quand ces hommes, ajouta-t-il, ont joint la méchanceté à l’erreur, ils sont, dans les enfers, immobiles et muets comme des machines ; ils paraissent aussi comme des gens profondément endormis, et ils se réveillent au moindre bruit. » Dans ce moment une voix céleste se fit entendre et me dit de tirer, de tout ce que j’avais vu et entendu, une conclusion. Voici celle que je tirai : Se décider, confirmer en soi pour vérité ce qui plaît n’est point un effet de l’intelligence ; reconnaître pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, voilà l’intelligence. Comme je m’éloignais, j’entendis encore la voix qui s’écriait : Oh ! qu’ils sont sages ! Je me retournai et je vis toute l’assemblée enveloppée d’un nuage noir, dans lequel voltigeaient des hiboux et des chauves-souris ; ces oiseaux, qui voient mieux dans les ténèbres qu’à la lumière, sont les correspondances des confirmations du faux.
J’assistai un jour, dans le monde des esprits, à une conférence où fut convaincu un prélat qui, sur la terre, avait eu la foi sans la charité, qui avait été plus occupé de pratiques que de bonnes œuvres. Quand il vit que sa foi était traitée de foi morte et diabolique, il entra en fureur, et il jeta sur la table la tiare qu’il portait sur sa tête. Aussitôt un monstre sortit de la terre ; il avait sept têtes, les pieds d’un ours, le corps d’un léopard, et la gueule d’un lion. Ce monstre, parfaitement semblable à celui qui est décrit dans l’Apocalypse (13 : 1, 2), élargit la tiare et la mit sur ses sept têtes ; alors la terre s’entrouvrit sous ses pieds, il disparut ; et le prélat s’écria : violence, violence.
Un autre jour, j’entendis, dans la plage septentrionale du monde spirituel, un bruit semblable au bruit des eaux ; je m’en approchai, et il cessa ; je n’entendis plus que le bruit confus d’une assemblée ; il partait d’une maison que j’aperçus à l’instant ; elle était entourée d’un mauvais mur et ouverte de toutes parts. Le portier me dit que c’était l’assemblée des premiers d’entre les sages et que j’y pouvais entrer, pourvu que je n’y parlasse pas. J’entrai et j’entendis élever la foi au-dessus des œuvres. Deux étrangers, qui se tenaient à la porte dans le vestibule, demandèrent au portier ce que c’était que ces disputeurs. « Ce sont, répondit-il, des sages chrétiens. – Vous nous trompez, dirent les deux étrangers ; ce sont des mimes ; comment ne voient-ils pas que faire le bien du prochain, pour Dieu, c’est le faire avec Dieu et en Dieu, que c’est toute la religion ? »
J’entendis ensuite comme un grincement de dents, suivi de certains coups frappés par intervalle et mêlés d’un bruit rauque ; un ange me dit que cela paraissait ainsi de loin, mais que de près on n’entendait que le bruit d’une dispute ; j’approchai, je vis de petites maisons bâties avec de la boue et des joncs, et n’ayant point de fenêtres ; je ne pouvais donc regarder dans l’intérieur ; je ne pouvais aussi entrer par la porte ; on la tenait fermée, on craignait en l’ouvrant de donner passage à la lumière céleste, qui confondrait tout dans la cabane. Tout-à-coup une fenêtre s’ouvrit à droite, et j’entendis les gens de l’intérieur se plaindre de ce qu’ils étaient dans les ténèbres ; cette fenêtre se ferma, et une autre fut ouverte du côté gauche ; les ténèbres se dissipèrent, je vis l’intérieur de la case ; une table était au milieu, et des bancs alentour. Le chef de l’assemblée posa son chapeau sur la table, et il le remit au même instant, parce qu’il était chauve. Tous disputaient avec violence ; l’ange me dit que c’était des gens qui durant leur vie mortelle avaient beaucoup parlé du bien et ne l’avaient jamais fait. Le grincement de dents que j’avais entendu venait de ceux qui n’avaient que la foi ; les coups frappés par intervalle signifiaient la charité morale, naturelle, et sans foi, de quelques-uns de ces disputeurs ; le bruit rauque provenait du chef, de l’homme chauve, qui voulait persuader à l’assemblée que Dieu pouvait bien donner à ses créatures la foi, mais non la charité.
DE LA CONSOMMATION DU SIÈCLE, DE L’AVÈNEMENT DU SEIGNEUR, DU NOUVEAU CIEL, ET DE LA NOUVELLE ÉGLISE 91.
IL y a eu sur la terre plusieurs Églises, qui ont été détruites parce qu’elles n’avaient plus le vrai divin, ni, par conséquent, le bon divin, qui ne peut en être séparé. La privation entière de ces deux biens célestes est la consommation du siècle, ou le dernier temps de l’Église. Par ces mots consommation du siècle, dans l’Écriture, il faut toujours entendre l’extinction de la charité et de la foi, la fin de l’Église. C’est du dernier temps de l’Église chrétienne d’aujourd’hui que le Seigneur parlait, lorsqu’interrogé sur les signes de son avènement et de la consommation du siècle, il répondit : Au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs, arrachez l’ivraie pour la brûler, et serrez le froment dans les greniers ; il en sera ainsi lors de la consommation du siècle, Matth. 13 : 40. Dans la consommation du siècle les anges sortiront et sépareront les méchants des justes, Matth. 13 : 49. Je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle, Matth. 28 : 20. Il faut entendre la même chose par l’abomination de la désolation (Matth. 24 : 15), laquelle n’est autre chose que l’impiété et la méchanceté des hommes de notre temps, c’est-à-dire, l’extinction de la foi et de la charité, ou la fin de l’Église, sans laquelle nulle chair ne peut être sauvée, Matth. 24 : 22.
L’année passe du printemps à l’été, de là à l’automne et à l’hiver ; le jour se compose du matin, du midi, du soir et de la nuit ; l’homme commence par l’enfance, il avance par l’adolescence et la jeunesse, il finit par la vieillesse ; il en est ainsi, car tout est successif et gradué dans les œuvres du Seigneur, il en est ainsi de l’Église chrétienne ; elle a eu son matin et son midi, le soir même est passé pour elle, elle est dans la nuit où les autres Églises ont fini, et elle va finir de même.
Les Églises du Seigneur ont été au nombre de quatre ; elles sont figurées par la statue de Nabuchodonosor et par les quatre animaux sortant de la mer, Daniel, chap. 2 et 7. La première Église, appelée la très-ancienne, exista avant le déluge, et le déluge représente sa destruction. La seconde Église, dite l’ancienne, s’étendit dans l’Asie et dans une partie de l’Afrique, et elle périt par l’idolâtrie. La troisième Église fut celle des Israélites, qui finit par la profanation de la parole et par le premier avènement du Seigneur. La quatrième Église est l’Église chrétienne, instituée par le Seigneur, par les évangélistes et les apôtres. Les trois premières Églises furent dans la terre de Chanaan, et de là viennent les représentatifs des divers lieux de cette terre. Dans la premier Église, la révélation fut immédiate ; dans la seconde, elle fut par correspondances ; dans la troisième, elle se fit de vive voix, et dans la quatrième par la parole. Cette quatrième, qui est, comme nous avons dit, l’Église chrétienne, a eu quatre époques : celle de son institution, celle du concile de Nicée, celle de la réforme, et celle de notre temps. Elle a eu trois divisions : elle s’est partagée en grecque, catholique romaine, et réformée.
L’Église chrétienne est dans la nuit, que suivra le matin, c’est-à-dire l’avènement du Seigneur ; mais par cet avènement il ne faut point entendre la venue du Seigneur en personne, pour détruire le ciel et la terre visibles, et pour créer un nouvel univers. Il faut expliquer dans le sens spirituel tout ce que les évangiles et l’Apocalypse disent de ce second avènement. Le Seigneur y est comparé à l’étoile du matin, Apocal. 22 : 16, c’est le fils de l’homme qui viendra, Luc 21 : 27, dans l’aurore de la jeunesse, psaume 110 : 3, et qui ne trouvera point de foi sur la terre, Luc 18 : 8. L’époux et l’épouse disent : Venez.... je viens ; et ma récompense est avec moi, Apocalypse 22 : 6, 7, 13, 16, 17. Tous ces passages, et mille autres, indiquent assez le retour de la lumière, l’Église du Seigneur, qui renouvellera la foi. Quand le Seigneur viendra, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera point de lumière, et les étoiles tomberont du ciel, Matth. 24 : 29, 30, c’est-à-dire que le Seigneur viendra après la nuit de l’Église, après les ténèbres spirituelles ; et sa venue sera le matin, la lumière. Ce second avènement du Seigneur est la nouvelle Jérusalem, tant prédite dans l’Apocalypse, c’est-à-dire la nouvelle Église, qui s’établira par la séparation des bons et des méchants, par la régénération des hommes dont se formera la nouvelle Église et le nouveau ciel angélique. Cette révolution s’opérera par la parole, qui est le Seigneur, c’est-à-dire, par la révélation du sens spirituel et caché de la parole. Et c’est déjà par l’intelligence qui m’a été donnée de ce sens caché que j’explique les passages de l’Évangile et de l’Apocalypse qui annoncent le second avènement, l’établissement de la nouvelle Jérusalem, qui est la nouvelle Église du Seigneur. En effet, on lit dans ces passages que le soleil et la lune s’obscurciront, que les étoiles tomberont, que le Seigneur viendra sur les nuées, avec gloire et force ; mais dans le sens interne et spirituel de la parole, le soleil et la lune signifient l’amour et la sagesse de Dieu ; les étoiles sont les connaissances célestes ; les nuées sont l’écriture dans le sens littéral ; la gloire signifie le sens spirituel de la parole, et la force désigne sa puissance. On voit, par l’explication de cette prophétie, ce que c’est que le second avènement, et quel sera son effet.
L’Écriture sainte a un sens interne et un sens externe, comme l’homme a un corps et une âme. Partout, dans le sens interne de l’Écriture, Jérusalem est appelée l’Église, le trône de Jéhovah, la ville de vérité ; partout l’époux et l’épouse signifient le Seigneur et l’Église ; les noces de l’époux et de l’épouse sont l’établissement de l’Église ; tous ces termes, appliqués à la nouvelle Jérusalem qui va descendre des cieux, désignent donc une Église, le rétablissement de la charité et de la foi dans la nouvelle Église, laquelle sera la couronne et le complément de toutes celles qui ont existé sur la terre. Sa pureté et sa félicité sont décrites dans les chapitres 19 et 21 de l’Apocalypse ; nous n’en transcrirons que ce passage, dans lequel l’ange dit à St Jean, qui voit descendre du ciel la nouvelle Jérusalem : Voilà le tabernacle de Dieu avec les hommes ; il habitera avec eux, ils seront son peuple ; il sera leur Dieu, et avec eux ; les nations sauvées marcheront dans sa lumière, et il n’y aura plus de nuit parmi eux, Apocalypse 21 : 3, 24, 25.
Le clergé romain, qui a criminellement profané la parole de Dieu, qui en a détourné le sens, qui souvent lui a substitué ses décisions ; le clergé romain, qui a fait de la religion du Seigneur métier et marchandise ; le clergé romain, pasteur infidèle, qui prend soin de lui-même, et non du troupeau (Ézéchiel 34 : 8.), est positivement désigné, réprouvé dans l’Apocalypse, au sujet de la nouvelle Jérusalem, et la destruction de l’Église romaine y est formellement annoncée. Je puis attester que je l’ai appris dans les cieux. J’atteste en toute vérité que le Seigneur, ne pouvant se manifester en personne, et toutefois devant venir, comme il l’a prédit, pour établir sa nouvelle Église, a daigné me choisir pour m’enseigner sa doctrine ; j’atteste qu’ayant été pendant plusieurs années dans le monde spirituel et dans le monde terrestre, j’ai vu les cieux et les enfers, que j’ai conversé mille et mille fois avec des anges et des esprits, que le Seigneur lui-même a ouvert les yeux de mon esprit, qu’il m’a révélé le sens interne de l’Écriture sainte, qu’il m’a ordonné de publier ses révélations et d’annoncer l’établissement prochain de sa nouvelle Église, qui est la nouvelle Jérusalem. J’atteste, avec la même certitude et sincérité, qu’ayant fini mon Traité de la vraie religion chrétienne, le 19 juin 1770, le Seigneur assembla ses douze apôtres, et les envoya dans tout le monde spirituel prêcher l’Évangile, le règne de Dieu notre Seigneur Jésus-Christ, lequel n’aura point de fin ; et que bienheureux sont les conviés au festin des noces de l’agneau. C’est ce que le Seigneur a fait, le 19 juin 1770, pour accomplir ce qu’il avait dit en St Matthieu, 24 : 31. Il enverra ses anges, qui rassembleront ses élus, des deux extrémités du ciel 92.
Vision 93.
REGARDANT un jour dans le monde des esprits, j’y vis, sur des chevaux roux et noirs, des cavaliers qui paraissaient comme des singes ; ils avaient le visage tourné vers la queue de leur cheval, dont la bride leur pendait au cou. Ils s’écriaient : « Combattons contre les cavaliers montés sur des chevaux blancs » ; et agitant continuellement les brides de leurs chevaux, ils les éloignaient du combat au lieu de les y pousser. Deux anges descendirent alors du ciel et, s’approchant de moi, me demandèrent ce que je voyais ; je répondis que je voyais une cavalcade singulière, sans comprendre ce qu’elle signifiait. « Cette troupe, me dirent les anges, vient de l’endroit nommé dans l’Apocalypse (16 : 16) Armageddon ; là ils se sont rassemblés au nombre de quelques mille, pour combattre ceux qui sont de la nouvelle Église du Seigneur, nommée la nouvelle Jérusalem. Ils parlent de l’Église et de la religion ; cependant ils ne sont point dans l’Église, parce qu’ils ne sont point dans le vrai spirituel ; ils n’ont point de religion, parce qu’ils n’ont point le bon spirituel ; leur foi est labiale ; ils pensent à Dieu et au ciel pour eux et pour le monde ; ils ne désirent pas la béatitude et la gloire éternelle, mais les honneurs et les biens temporels ; la doctrine céleste, que dans la jeunesse ils avaient apprise et placée dans leur intérieur, qui communique avec le ciel et est éclairé de la lumière céleste, ils l’ont rejetée dans leur extérieur, qui communique avec le monde et qui est éclairé de la lumière du monde ; enfin ils ont fait tomber cette doctrine dans le naturel sensuel, et ils ne connaissent plus le bon et le vrai céleste. Semblable à une outre pleine de limaille de fer et de souffre, qui, si vous y versez de l’eau, se rompt par l’incandescence et l’inflammation de ces matières, l’intérieur de l’esprit de ces hommes, quand il reçoit les eaux vives de la vérité, s’échauffe, s’enflamme, et rejette cette vérité, comme si elle le rompait ; voilà pourquoi vous avez vu ces cavaliers comme des singes, la face tournée vers la queue de leurs chevaux, dont la bride est pendue à leur cou. Ceux qui n’aiment pas le bon et le vrai de l’Église, produit par la parole divine, ceux-là ne peuvent regarder la tête d’un cheval ; car, dans le sens interne, le cheval signifie l’intelligence de la parole, le cheval roux, l’intelligence perdue quant au bon, et le cheval noir, l’intelligence perdue quant au vrai ; s’ils ont dit qu’ils voulaient combattre contre les cavaliers montés sur des chevaux blancs, c’est que le cheval blanc représente l’intelligence de la parole quant au bon et au vrai ; en même temps ils vous ont paru retirer leurs chevaux du combat au lieu de les pousser, parce qu’ils le craignent ; ils craignent que la parole ne vienne en lumière et ne soit connue de plusieurs. »
Les anges, poursuivant l’entretien, me dirent : « Nous sommes de la société céleste appelée Michel, et envoyés par le Seigneur vers les combattants d’Armageddon ; dans le ciel ce mot signifie le désir de combattre par le vrai falsifié, désir qui naît de l’amour de dominer. Après être descendus du ciel, nous avons vu cette Assemblée, dans laquelle nous ne nous sommes point mêlés ; mais nous sommes entrés dans une maison située au Midi, où il y avait des enfants avec leurs instituteurs ; ils nous ont bien reçus, et nous nous plaisions beaucoup avec eux ; ils avaient la vie dans les yeux, et le zèle dans la parole, ce qui les rendait tous parfaitement beaux. La vie des yeux était produite en eux par la perception du vrai, et le zèle de la parole, par l’affection du vrai ; c’est pour cela qu’ils avaient reçu du ciel des robes couleur d’hyacinthe mêlée de blanc, et des bonnets dont les bords étaient ornés de franges d’or et de perles. Nous leur demandâmes s’ils avaient jeté les yeux sur l’endroit nommé Armageddon ; ils nous dirent qu’ils l’avaient vu une fenêtre élevée ; que ceux qui composaient l’assemblée leur avaient paru tantôt comme de grands hommes, tantôt comme des statues et des idoles, autour desquelles il y avait d’autres êtres fléchissant le genou, dont les uns avaient la forme humaine, les autres, celle des léopards et des boucs, avec des cornes tournées en bas, et dont ils se servaient pour fouiller la terre ; nous leur expliquions la correspondance et la signification de ces objets, quand les membres de l’assemblée d’Armageddon, ayant su que nous étions dans cette maison avec les enfants, voulurent nous en faire sortir, et pour cela nous envoyèrent des députés qui, après nous avoir demandé qui nous étions, et pourquoi nous étions entrés, nous ordonnèrent de sortir ; nous leur répondîmes qu’ils n’avaient pas ce droit, quoiqu’ils crussent être des géants ; que ceux avec qui nous étions étaient des enfants, sur lesquels ils n’avaient aucune puissance. Nous leur dîmes que le Seigneur nous avait envoyés vers eux pour les examiner, pour voir s’ils avaient de la religion ; et que s’ils n’en avaient point, ils seraient chassés de ce lieu. Ils portèrent notre réponse à l’assemblée, qui envoya vers nous plusieurs de ses membres, auxquels nous proposâmes, pour sujet de l’examen, l’oraison dominicale, les priant de nous en expliquer le vrai sens ; ils entrèrent dans un bois voisin de la maison des enfants ; là ils s’assirent sur des bancs de gazon, ne voulant pas, disaient-ils, rester debout devant nous ; enfin ils nous expliquèrent les premières paroles de l’oraison dominicale, d’après lesquelles ils concluaient qu’il fallait adorer Dieu le père et s’adresser au Fils, qui est le Sauveur, et dont les mérites suffisent, avec la foi, pour être sauvé. Nous qui dans le ciel récitons tous les jours l’oraison dominicale, comme les hommes la récitent sur la terre, nous dîmes aux Armageddons qu’en faisant cette prière on ne devait penser qu’à un Dieu unique, et à son humanité divine, par laquelle il est visible, humanité que les hommes appellent le Christ, que nous appelons le Seigneur, lequel est dans les cieux notre Père ; nous prouvâmes à ces errants que ces paroles, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, avaient rapport à la divine humanité du Seigneur, de laquelle provenait le nom de père ; que le règne du père était établi quand on s’adressait immédiatement au Seigneur, ainsi qu’il nous l’a enseigné lui-même, en ordonnant à ses disciples d’aller prêcher le royaume de Dieu. Enfin nous apprîmes aux Armageddons que le Seigneur établissait maintenant sa nouvelle Église, nommée dans l’Apocalypse la nouvelle Jérusalem, Église où le Seigneur seul sera adoré sur la terre, comme il l’est dans le ciel, Église qui sera l’accomplissement de tout ce qui est contenu dans l’oraison dominicale, depuis le commencement jusqu’à la fin.
« Les Armageddons voulurent nous interrompre, et alléguer contre nos assertions ce que le Seigneur dit à son père en mourant ; mais leur langue s’étant attachée à leur palais, ils furent obligés d’écouter la parole de Dieu, sans la contredire. Enfin la faculté de parler leur étant rendue, ils s’écrièrent tous à la fois que nous avions parlé contre la doctrine de l’Église, à dessein d’ébranler leur foi. Ils nous ordonnèrent de sortir, et ils s’approchaient de nous pour nous chasser, quand il nous fut permis de les frapper de cécité ; alors, ne nous voyant plus, ils se répandirent dans la plaine, qui était un désert ; ce sont ceux que les enfants virent comme des statues et des idoles, devant lesquelles on fléchissait le genou ; ce sont ceux que vous avez vus à cheval et qui vous ont paru comme des singes. »
DE L’ÉGLISE EN GÉNÉRAL ET EN PARTICULIER 94.
CE qui constitue le ciel dans l’homme (la charité et la foi) y constitue aussi l’Église. L’Église est partout où le Seigneur est adoré et où sa parole est reçue. Pour que l’Église existe, il ne suffit pas qu’il y ait une doctrine tirée de la parole ; il faut une vie conforme à cette doctrine, autrement l’homme ne s’approprie pas la vérité, qui reste en lui comme le bien d’autrui.
Ceux qui hors du sein de l’Église reconnaissent un Dieu et vivent conformément à leur culte en aimant leur prochain sont en communion avec ceux qui vivent au sein de l’Église ; celui-là ne peut être damné qui croit en Dieu et vit bien, d’où il suit que l’Église du Seigneur est répandue sur toute la terre.
L’Église est intérieure et extérieure : l’Église intérieure est composée de ceux qui aiment le bon et le vrai, pour le Seigneur. Ceux qui par foi et obéissance ont un culte composent l’Église extérieure, ce qui répond aux deux parties de l’homme, dont l’intérieur est à l’image du ciel et l’extérieur à l’image du monde.
L’Église universelle est en présence du Seigneur comme un seul homme.
Toute Église commence par la charité, dont elle se détourne par degrés ; elle passe ensuite à des faussetés, qui viennent du mal ; elle tombe enfin dans les maux mêmes, ce qui est le dernier jugement, ou la consommation du siècle, ou l’avènement du Seigneur, dont il est parlé dans l’évangile selon St Matthieu.
Dans son dernier temps, l’Église est purement extérieure ; et pour qu’elle redevienne intérieure, le Seigneur révèle les vérités intérieures de la parole, lesquelles doivent servir de fondement à une nouvelle Église. Le temps où s’élèvera celle que le Seigneur nous a chargés d’annoncer, et qui est désignée dans l’Apocalypse sous le nom de la Nouvelle Jérusalem, n’est point fixé dans ce livre prophétique ; mais ce temps en prochain. L’Église chrétienne d’aujourd’hui est à sa fin, parce qu’il n’y a plus de foi parmi ses membres, attendu qu’il n’y a plus de charité. Mois l’époque précise de l’établissement de la nouvelle Église du Seigneur n’est point fixé dans le sens spirituel de l’Écriture, parce que l’idée du temps et de l’espace n’existe point dans le spirituel. Le temps et l’espace sont dans le ciel par correspondance et apparence ; ils n’y sont pas réellement et on ne peut les estimer, les mesurer, que par l’état intérieur des anges ; expliquons cela. L’homme étant deux, l’intérieur et l’extérieur, il y a dans l’homme une pensée supérieure et une pensée inférieure. La simple pensée ne peut être vue et connue que par la pensée supérieure ; s’il n’y avait pas dans l’homme la pensée supérieure et la pensée inférieure, l’homme ne serait pas homme, il serait une bête. Or, chez tous les hommes, dans toutes les idées de leur pensée inférieure, qui est dans le degré naturel, il y a quelque chose de l’espace et du temps ; il n’en est pas de même dans les idées de la pensée supérieure, où sont les hommes quand ils méditent sur les choses naturelles, civiles, morales et spirituelles, dans la lumière intellectuelle intérieure, parce qu’alors ils reçoivent l’influence de la lumière spirituelle, où il n’y a ni temps, ni espace, puisqu’elle vient du ciel. Le temps de la nouvelle Église ne peut donc être fixé dans le sens interne et spirituel de l’Écriture ; mais il ne peut être éloigné, puisque ces paroles, ne scellez pas les parole de cette prophétie parce que le temps est proche (Apocal. 22 : 10), signifient que l’Apocalypse sera révélée à la fin de l’Église actuelle, pour le salut de plusieurs ; or, elle vient de l’être. Le danger des tentations et l’excès du mal actuel nous engagent encore à croire que le temps de la nouvelle Église est prochain ; et le Seigneur nous le fait entendre, lorsqu’en parlant de la consommation du siècle il dit : Il y aura alors une grande affliction, telle qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde ; et si ces jours n’étaient abrégés, aucune vie ne se conserverait, Matth. 34 ; 21, 22. Ces paroles, l’esprit et l’épouse disent venez (Apocal. 22 : 17), signifient que le ciel et l’Église désirent l’arrivée du Seigneur ; l’esprit, c’est le nouveau ciel angélique ; l’épouse, c’est l’Église, ou la nouvelle Jérusalem. Ces paroles, que celui qui entend dise venez ; que celui qui a soif vienne ; et, le voulant, il recevra gratis l’eau de la vie (Apoc. 22 : 17), signifient que celui qui sait quelque chose de l’avènement et du règne du Seigneur, du nouveau ciel, et de la nouvelle Jérusalem, prie le Seigneur de venir ; et que celui qui désire le vrai prie le Seigneur de venir avec sa lumière, il la verra facilement 95.
Vision 96.
UN jour à mon réveil j’entrai dans un jardin où je vis le soleil levant entouré d’un cercle, d’abord assez mince, mais qui s’élargit ensuite et qui devint brillant comme l’or ; au-dessous de ce cercle s’élevait un nuage qui, pénétré des feux de l’astre du jour, ressemblait à un rubis. Ces objets me firent penser aux fables de l’antiquité qui représentaient l’aurore ailée avec des plumes d’argent, et de l’or dans la bouche ; je me livrais à cette méditation délicieuse, quand je fus transporté en esprit, et j’entendis que l’on disait a côté de moi : Que ne puis-je lui parler ! Où est-il, ce novateur qui par ses dogmes étranges a jeté la pomme de discorde dans l’Église ? Plusieurs autres voix se joignirent à celle-là ; je compris que par la pomme de discorde, les mécontents entendaient mon Traité intitulé Exposition sommaire de la doctrine de la nouvelle Église. Je m’approchai et je dis : Me voilà ; qu’y a-t-il ? Un Allemand, né dans la Saxe, me dit, d’un ton d’autorité : « Vous détruisez le culte établi dans tout le monde chrétien, en soutenant que Dieu n’a point un fils médiateur entre lui et les hommes, que Dieu le créateur est un et le tout de la sainte Trinité, dans laquelle il n’y a pas, selon vous, trois personnes. » Je lui répondis par différents passages tirés des évangiles que je récitai entièrement ; je lui en citai mille autres, ainsi qu’à ses adhérents, et je vis leurs visages changer, selon que l’intérieur changeait en eux ; ceux qui étaient de mon avis me regardaient ; ceux qui n’en étaient pas me tournaient le dos ; alors je vis à ma droite un nuage de couleur d’opale, à ma gauche un nuage noir, et sous tous les deux il y avait une gouttière ; mais l’eau qui tombait du nuage noir ressemblait à la brume des soirées d’automne ; celle qui tombait du nuage opale était comme la rosée des premiers jours du printemps ; ces objets disparurent, et je me retrouvai dans mon état naturel.
Des anges qui m’accompagnaient me firent voir un jour le monde des esprits, situé entre le ciel et l’enfer, le monde des esprits où tous les hommes abordent après la mort et où les bons sont préparés pour le ciel, les méchants pour l’enfer. Je parlais à mes guides de plusieurs choses, particulièrement de cette innombrable quantité d’étoiles, grandes et petites, qui pendant les nuits du globe terrestre brillent dans les cieux et qui sont autant de soleils destinés à éclairer d’autres mondes. Voyant également des étoiles dans le monde des esprits, je crus qu’il y en avait autant que dans le monde terrestre ; les anges, charmés de trouver en moi cette idée, me dirent qu’en effet le nombre des étoiles était égal dans les deux mondes et que chaque société céleste brillait, comme une étoile, aux yeux des anges. Or les sociétés célestes sont innombrables et toutes ordonnées selon les affections du bien, qui sont infinies en Dieu et innombrables d’après lui ; ces sociétés ayant été prévues avant la création, on peut croire qu’un nombre égal d’étoiles a été créé dans le monde naturel, habité par les hommes. Durant cet entretien, je vis, du côté du Septentrion, un sentier battu, où l’influence et la quantité des esprits était telle qu’ils y étaient extrêmement pressés ; je dis aux anges que j’avais déjà vu ce chemin, et toujours couvert d’une troupe innombrable d’esprits. Les anges me répondirent : « Cela doit être ainsi ; chaque semaine il meurt des milliards d’hommes, qui tous arrivent de leur monde dans celui-ci. Au reste, ce chemin se termine au milieu du monde des esprits, précisément à l’endroit où nous sommes ; plus loin, vers l’Orient, se trouvent les sociétés qui sont dans l’amour de Dieu et du prochain ; à gauche, vers l’Occident, habitent les sociétés qui sont dans les amours opposés ; devant nous, au Midi, sont les sociétés composées des plus intelligents ; ils y sont transférés dès qu’ils sont sortis du monde naturel ; ils y existent encore dans leur extérieur, comme sur la terre ; et successivement ils passent dans leur intérieur ; ils y sont examinés ; et après cet examen, les bons vont au ciel, les méchants dans les enfers. »
Nous nous plaçâmes dans ce milieu où était la plus grande affluence et nous nous y arrêtâmes pour converser avec quelques-uns des nouveaux venus ; le premier que nous interrogeâmes sur le ciel, l’enfer et la vie éternelle nous dit que d’après la foi que son ordre sacré lui avait inspirée, il croyait que tous ceux qui vivaient moralement bien obtenaient le ciel ; et qu’il regardait l’enfer comme une table inventée par le clergé pour faire peur aux méchants. « Que je pense de telle ou telle manière, ajouta-t-il, cela n’importe pas plus à Dieu qu’une bulle d’eau, qui se fond et disparaît. »
Le second nous dit : « Je crois au ciel, gouverné par Dieu, à l’enfer, gouverné par le diable ; comme ils sont ennemis et opposés, l’un appelle bien ce que l’autre appelle mal. L’homme dissimulé, qui peut faire croire que le bien est mal, et que le mal est bien, tient aux deux partis ; que lui importe de servir l’un ou l’autre maître, pourvu qu’il en soit bien traité ? Le mal nous rend heureux, comme le bien. »
Le troisième, élevant sa voix, dit : « Comment croirais-je au ciel ou à l’enfer ? De tant d’hommes qui sont morts, pas un seul n’est venu nous donner des nouvelles de ces lieux, nous certifier leur existence. »
Le quatrième confirma l’opinion de son camarade. « Je vous apprendrai, lui dit-il, pourquoi personne n’est revenu de l’autre vie, c’est parce que tout meurt avec nous ; après sa mort, l’homme n’est plus rien. »
« Attendez, dit le cinquième, attendez le jour du jugement dernier ; alors chacun reprendra son corps et dira quelle est sa destinée. »
Le sixième, éclatant de rire, dit : « Comment un esprit, un souffle, peut-il reprendre un corps mangé des vers, brûlé par le soleil, réduit en poudre, extrait et analysé dans les préparations chimiques, un corps converti en aliments ou en breuvages ? Si vous attendez cette résurrection, vous l’attendrez longtemps. »
Le septième dit : « Si je croyais au ciel, à l’enfer, et à une vie après la mort, je croirais aussi que les animaux auront part à cette vie, puisqu’ils sont moraux et raisonnables, comme nous ; nous soutenons que l’animal meurt tout entier, nous mourons donc aussi tout entiers. Cette vérité-ci dérive de l’autre ; qu’est-ce que l’homme, sinon un animal ? »
Le huitième, placé derrière celui-ci, dit : « Croyez si vous voulez à l’enfer, moi je crois que Dieu est tout-puissant et peut sauver qui il veut. »
Le neuvième, prenant la main de celui qui venait de parler, dit : « Non-seulement Dieu est tout-puissant, mais il est encore miséricordieux ; il ne peut condamner personne au feu éternel ; et si ce feu éternel existait, si les hommes y pouvaient être engloutis, Dieu les en retirerait. »
Le dixième, quittant sa place pour se mettre au milieu de l’assemblée, dit : « Je ne crois point à l’enfer, Dieu a envoyé son fils pour effacer et expier les péchés du monde ; le démon ne peut rien contre cette rédemption ; et s’il ne peut rien, il n’y a point d’enfer. »
L’onzième, qui sur la terre avait été prêtre, frémit de colère quand il entendit ces dernières paroles. « Ne savez-vous pas, dit-il à celui qui les avait prononcées, ne savez-vous pas que ceux-là seuls sont sauvés qui ont la foi, à laquelle les mérites de Jésus-Christ sont attachés ? Or, Dieu donne la foi à ses élus, à ceux qu’il a prédestinés dans sa toute-puissance. »
Le douzième, qui était un politique, se tut ; quand nous le pressâmes de parler, il nous répondit : « Je ne dirai point ma pensée touchant le ciel, l’enfer, et la vie après la mort, parce que ce sont des choses incertaines et inconnues ; il faut laisser les prêtres prêcher cette doctrine qui retient le peuple dans l’obéissance aux chefs et aux lois, d’où dépend la félicité publique. »
Nous restâmes stupéfaits, les anges et moi, de ce que nous venions d’entendre. Affligés de voir des chrétiens penser ainsi, de voir des hommes se ravaler, par leurs opinions, jusqu’à l’état des bêtes, nous reconnûmes l’état de l’Église actuelle et le besoin qu’ont les chrétiens d’être éclairés et régénérés dans la nouvelle Église du Seigneur. Nous dîmes aux esprits qui nous avaient parlé qu’il y avait un ciel, un enfer, et une vie après la mort, qu’ils en seraient convaincus lorsqu’ils se réveilleraient et qu’ils connaîtraient leur situation présente ; car après sa mort l’homme croit vivre encore dans ce monde, il croit se réveiller, et il parle comme sur la terre. Les anges dissipèrent l’ignorance de ces esprits nouvellement arrivés, ils se virent dans un autre monde avec des gens qu’ils ne connaissaient point ; on leur apprit qu’ils étaient dans le monde spirituel, avec des anges. « Si vous êtes des anges, s’écriaient-ils, conduisez-nous au ciel. » Nous leur répondîmes qu’il fallait attendre un moment, que nous reviendrions les chercher. Nous y vînmes, en effet, et nous les présentâmes aux gardiens des portes du ciel, qui, après les avoir bien examinés, virent qu’ils avaient l’occiput très-creux. « Retirez-vous, leur dirent les gardes, le charme de l’amour du mal est en vous ; vous ne pouvez être unis avec le ciel, parce que vous avez dans votre cœur nié Dieu et méprisé la religion. » Aussitôt ces malheureux esprits s’enfuirent. Je demandai à un ange pourquoi, dans le monde spirituel, l’occiput de ceux qui sont dans le charme du mal paraît creux ; l’ange me répondit ainsi : « L’homme a deux cerveaux, l’un dans l’occiput, appelé le cervelet, l’autre sous le front, appelé le cerveau. Dans le cervelet habite l’amour de la volonté ; et dans le cerveau, la pensée de l’entendement ; lorsque la pensée de l’entendement ne dirige pas l’amour de la volonté, la substance intime du cervelet, qui en elle-même est céleste, tombe ; et de là vient l’excavation de l’occiput. »
J’ai vu dans le monde spirituel des zones et des climats, comme dans le monde naturel ; tout ce qui est dans un monde se trouve dans l’autre ; les objets diffèrent seulement par leur origine. Dans le monde naturel, la variété des climats est relative à la distance du soleil à l’équateur ; dans le monde spirituel, cette variété est produite par la distance, plus ou moins grande, qui se trouve entre les affections de la volonté et l’amour du vrai, entre les pensées de l’entendement et la vraie foi. Un jour, je voulus voir une des régions boréales du monde spirituel ; je fus conduit, en esprit, vers le Septentrion, dans une plage où toutes les terres étaient couvertes de neige et toutes les eaux glacées ; c’était un samedi ; je vis des hommes, c’est-à-dire des esprits semblables aux hommes terrestres, qui, pour se garantir du froid, avaient la tête enveloppée d’une peau de lion, dont le mufle était appliqué sur leur bouche. Le devant et le derrière du corps étaient couverts de peaux de léopards, et les pieds, de peaux d’ours ; j’en vis plusieurs traînés dans des chars ; quelques-uns de ces chars avaient la forme d’un dragon portant ses cornes droites en avant ; des chevaux sans queue, et courant comme les bêtes féroces, traînaient ces chars ; et le conducteur, tenant les rênes, les excitait encore. Je vis enfin cette multitude s’arrêter auprès d’un temple que je n’avais point découvert d’abord, parce qu’il était caché dans la neige. Les portiers l’écartement, ils débarrassaient la porte du temple, où j’entrai enfin avec tout le monde ; il était éclairé par une grande quantité de lampes et de flambeaux ; derrière l’autel, qui était de pierre taillée, on avait suspendu un tableau sur lequel je lus ces mots écrits : Trinité divine, Père, Fils, et Saint-Esprit, qui sont, essentiellement, un seul Dieu, et, personnellement, trois. Le prêtre, debout devant l’autel, s’agenouilla trois fois devant le tableau, et montant en chaire, un livre à la main, il fit un discours sur la foi aveugle, et sur ce qu’il appelait la divine Trinité. Quand il eut fini, il revint faire la prière au pied de l’autel, ce qui termina le culte de ce jour-là. Les auditeurs s’étant approchés du prêtre pour le complimenter sur son discours, rempli, disaient-ils, de sagesse et d’éloquence, je me mêlai parmi eux, et je leur demandai s’ils avaient compris ce discours ; ils me répondirent qu’ils l’avaient écouté de toutes leurs oreilles, et que ces grandes choses pénétraient dans l’entendement. Le prêtre leur dit : « Bienheureux ceux qui ont entendu et qui n’ont point compris ! Il faut, pour opérer son salut, soumettre l’entendement à la foi. » Je lui répliquai ainsi : « Vous avez annoncé une parole que vous n’entendez pas ; c’est pour vous un coffre fermé de trois serrures ; si vous ne l’ouvrez point (ce qui se fait par l’entendement), vous ne saurez pas s’il contient des choses précieuses ou nuisibles, des œufs d’aspic, des toiles d’araignée, comme dit Isaïe, 59 : 5. » Le prêtre me jeta un regard d’indignation ; ses auditeurs s’éloignèrent de moi ; ils remontèrent dans leurs chars, enivrés de paradoxes, infatués de systèmes, et enveloppés de ténèbres dans tout ce qui concerne la foi et les moyens de salut.
DE LA CONSCIENCE 97.
LA conscience est formée en l’homme d’après sa religion intérieure, quand le vrai divin est dans sa volonté, qui correspond au cœur. De là vient que ceux qui ont une conscience disent de cœur tout ce qu’ils disent et font de cœur tout ce qu’ils font. Dans la vraie conscience réside la vie spirituelle de l’homme qui a soumis entièrement l’extérieur à l’intérieur, ce qui lui donne la félicité, la paix interne, nommée le repos de la conscience. La vie contraire, ou la victoire de l’extérieur sur l’intérieur, qui est la subversion de l’ordre, produit cette anxiété, ou malaise, cette douleur qu’on appelle le remords de la conscience.
La conscience est l’union de la foi et de la charité, d’où il suit que les bons ont une conscience et que les méchants n’en ont point : les bons ont la conscience du bien et la conscience de la justice. La conscience du bien consiste à agir selon les préceptes de la foi par affection interne, c’est la conscience de l’homme intérieur. La conscience de la justice consiste à agir selon les lois civiles et morales par affection externe, c’est la conscience de l’homme extérieur.
L’influence du Seigneur, dans l’homme qui la croit et la suit, forme la conscience. Les méchants s’en moquent et ne savent pas ce que c’est. N’en ayant point, ils n’ont point de pensée intérieure, la leur est toute extérieure ; le Seigneur les conduit par des liens extérieurs, qui sont l’amour de soi et du monde, la crainte des lois, la crainte de perdre la vie, la réputation, les richesses, ou les honneurs.
La conscience, dans ceux qui aiment le prochain, est la conscience de la vérité, parce qu’elle est formée de la foi du vrai ; dans ceux qui aiment le Seigneur, c’est la conscience du bien, parce qu’elle est formée de l’amour du vrai ; celle-ci est supérieure, et elle est appelée perception. La perception consiste à voir, par l’influence du Seigneur, ce qui est vrai et bien. Ceux qui ont la perception ne raisonnent point sur les vérités de la foi, ils les croient ; s’ils raisonnaient, la perception périrait en eux, parce qu’ils descendraient d’un degré du spirituel dans le naturel ; ceux qui croient savoir tout et être sages par eux-mêmes sont dans ce degré naturel, et ne peuvent avoir la perception, ils ne comprennent pas même ce que c’est.
Vision 98.
JE vis un jour, à mon réveil, des larves, ou figures fantastiques, toutes différentes les unes des autres : j’aperçus ensuite des feux follets de toutes les formes ; les uns étaient comme des feuilles écrites qui, pliées et repliées, ressemblaient à ces étoiles qu’on voit tomber et s’évanouir dans les airs. Quelques-uns de ces feux paraissaient comme des livres ouverts et brillants comme des lunes ; d’autres brillaient comme des chandelles placées autour de certains livres, qui s’élevaient à une grande hauteur, et là ils disparaissaient ou ils tombaient sur la terre, et ils y étaient réduits en poussière. Je crus qu’au-dessous de ces météores étaient ceux qui se repaissent d’imaginations folles et qui les estiment comme des vérités. Tout à coup ma vue spirituelle s’ouvrit et j’aperçus une grande quantité d’esprits, vêtus de robes brodées en fleurs et couronnés de laurier, ce qui indiquait leur réputation de savant dans le monde naturel ; je m’approchai d’eux et je les entendis disputer avec aigreur sur les idées innées ; ils se séparèrent en deux partis, dont l’un soutenait que l’homme avait des idées en naissant, comme les animaux ; l’autre soutenait le contraire ; un esprit angélique, se plaçant entre les deux bandes, éleva la voix et dit : « Il n’y a point d’idées innées chez les hommes ; et les animaux n’ont aucune sorte d’idée. » Irrités de cette assertion, les disputeurs voulurent se jeter sur l’esprit angélique pour le chasser de l’assemblée ; mais le voyant ceint d’une lumière céleste, qu’ils ne pouvaient passer, ils s éloignèrent ; et l’esprit angélique leur dit : Au lieu de vous fâcher, écoutez-moi. Ils l’écoutèrent, mais avec impatience et en murmurant ; par des raisonnements relatifs à l’homme et par des exemples tirés des habitudes des animaux, il leur prouva que l’homme ne naît point avec des idées, mais avec la faculté d’en acquérir ; que ses actes spontanés ne proviennent point de la pensée, qui seule est l’idée.
Parmi ceux qui écoutaient attentivement l’esprit angélique et qui adoptèrent ses sentiments, je distinguai Leibnitz ; Wolf avait écouté aussi ; mais enfin il s’en alla en niant tout et en disputant.
DE L’ORDRE ET DE LA DIVINE PROVIDENCE 99.
L’UNIVERS est une image de Dieu ; l’univers a été créé pour l’usage, et cet usage, dans l’ordre, dans le degré, et dans sa relation, doit son existence au rapport qui existe entre l’être mis en usage et l’homme auquel il tend comme à un milieu par lequel il doit nécessairement passer pour arriver au Créateur et s’unir à lui comme au principe de toute existence. Le ciel angélique, composé du genre humain, est la fin de la création ; et tous les êtres créés sont des fins moyennes, parce qu’ils se rapportent tous à l’homme 1o pour ses besoins corporels, tels que la nourriture, le vêtement, et le logement ; 2o pour perfectionner son intelligence par les leçons des pères et mères, par les maîtres, par les sciences et arts qui ont pour but l’économie, le civil et le moral, et par la fréquentation des hommes ; 3° pour recevoir le spirituel du Seigneur, par tout ce qui concerne la religion et le culte ; car il faut que l’homme s’unisse au Seigneur : il ne peut lui être uni que par ce qu’il a en lui de spirituel, il ne peut être spirituel que par son entendement, et il ne peut exercer son entendement qu’autant que son corps est dans un état de santé. Voilà l’ordre, qui n’est autre chose que la vérité divine ; celui qui le suit est parfaitement homme, et dans les cieux sa beauté humaine est parfaite. Les anges, réceptacles parfaits de l’ordre divin, sont, dans leur forme humaine, d’une beauté inexprimable ; tout cela provient de l’humanité divine du Seigneur, qui est l’ordre même, et le seul homme, proprement dit, de qui tous les autres hommes sont émanés.
La Providence est le gouvernement du Seigneur dans le ciel et sur la terre. Elle s’étend à tout, parce qu’il n’y a qu’une source de vie, qui est le Seigneur, et c’est son influence qui conserve tout ce qui existe. Dans l’homme tout bien influe du Seigneur, et tout mal, de l’enfer. L’influence du Seigneur est selon l’ordre, elle est invisible 100, comme la providence, pour que l’homme ne soit pas forcé de croire, ce qui détruirait sa liberté, sans laquelle il ne peut être ni régénéré, ni sauvé. L’influence est immédiate par le Seigneur, et immédiate aussi par le monde spirituel, par les anges. L’influence du Seigneur découle du spirituel dans le naturel, de l’intérieur dans l’extérieur. Le Seigneur influe chez les méchants comme chez les bons, dans les esprits célestes comme dans les esprits infernaux, mais ceux-ci changent le bien en mal et le vrai en faux, car telle est la créature, ou sa volonté, telle est en elle la réception de l’influence.
Pour connaître l’origine et la propagation de cette influence, il faut savoir d’abord que le divin procédant du Seigneur s’appelle sphère, laquelle sort de lui, l’environne, et remplit le monde spirituel et le monde naturel, où elle accomplit les fins que le Seigneur a prédestinées dans la création et qu’il pourvoit depuis. Tout ce qui émane d’un sujet l’environne, l’entoure, et s’appelle sphère ; par exemple, le soleil est environné d’une sphère de chaleur et de lumière ; l’homme est au milieu d’une sphère de vie ; l’arbrisseau est dans une sphère d’odeur, et l’aimant dans une sphère d’attraction. Les sphères universelles, qui viennent du Seigneur, et qui l’entourent, procèdent du soleil du monde spirituel. Du Seigneur, par ce soleil, procède une sphère de chaleur et de lumière spirituelle, ou, ce qui est la même chose, une sphère d’amour et de sagesse, laquelle opère les fins, qui pont les usages. Cette sphère a différents noms selon les différents usages ; il y a la sphère d’amour qui perpétue le monde par la création, et la sphère d’amour qui élève, soutient et conserve ce qui est créé. Les usages produits par les sphères sont la divine Providence, qui descend de l’universel au particulier, qui parcourt et accomplit toutes les fins, lesquelles se suivent par séries, tellement que la dernière devient la première.
Tout ce qui est spirituel ne connaissant point l’espace et le temps, il s’ensuit que la sphère universelle, qui est le divin procédant du Seigneur, s’est étendue au moment de la création, du premier au dernier. Cette impulsion divine, passant, par communication, du spirituel au naturel, a traversé, par son activité, le monde créé où elle subsiste encore jusque dans les derniers degrés, où elle produit et conserve tout ce qui est animal, végétal et minéral.
Une sphère spirituelle, formée des affections de l’amour de l’homme, sort de lui comme un torrent et l’environne ; elle entre dans la sphère naturelle émanée du corps de cet homme, et les deux sphères n’en font qu’une. La sphère naturelle émane de tous les corps de la nature, de tous les objets des trois règnes. Il en est de même dans le monde spirituel, avec cette différence que les sphères des êtres spirituels sont spirituelles, parce que ce sont des affections de l’amour, des perceptions intérieures ; voilà la source de l’antipathie et de la sympathie, de l’union et de la désunion, selon lesquelles il y a entre les esprits absence ou présence ; car dans le spirituel, tout ce qui est homogène et concordant établit union et présence ; tout ce qui est hétérogène établit désunion et absence. La sphère spirituelle opère donc dans le monde naturel.
Les anges, qui connaissent parfaitement l’homme, m’ont dit qu’il n’y avait point de partie en lui qui ne se renouvelât par des dissolutions et des réparations, d’où procède la sphère qui l’inonde comme une source intarissable ; ils m’ont dit que cette sphère entourait l’homme par le dos et par la poitrine, qu’elle était légère, faible sur le dos, mais très-forte et très-dense sur la poitrine.
Cette sphère d’influence, qui est propre à l’homme, agit donc autour de lui, en général et en particulier, par le moyen de la volonté, de l’entendement, et de l’acte ; la fin appartient à la volonté, la cause à l’entendement, l’acte est le produit et le contenant des deux. Cet effet, ou acte, produit par trois degrés, est cependant un essentiellement ; il est même un dans la pensée avant d’exister dans le monde, il est un dans l’intention ; c’est ce qui fait qu’aux yeux de Dieu et des sages qui suivent ses lois, l’intention est réputée pour le fait. Malgré cette progression d’actes, et même d’innombrables actes, tout acte est un, parce qu’il provient de l’influence active de la volonté et de l’entendement, deux puissances qui constituent l’homme, lequel est un. Et il est un, cet homme, parce qu’il émane de l’influence active de l’amour et de la sagesse, ou de la chaleur et la lumière du soleil spirituel, le premier procédant de Dieu, qui est un ; en tout il n’y a qu’un effet, parce qu’il n’y a qu’une cause.
Cette sphère qui, procédant de Dieu, environne les hommes et qui constitue leur puissance en influant par eux sur leurs semblables et sur toute la création, est une sphère de paix et d’innocence, parce que le Seigneur, de qui elle vient, est la paix et l’innocence même. Dans Isaïe (9 : 5, 6), il est appelé prince de la paix. Il dit à ses disciples : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Jean 14 : 27. Entrant dans une maison, dites d’abord : que la paix soit ici ! Si cette maison contient un enfant de paix, votre paix reposera sur lui, sinon elle reviendra à vous, Luc 10 : 5, 6. L’innocence est l’essence de tout bien ; la paix est le charme du bien ; voilà ce qui constitue le ciel, qui est Dieu, la cause de tous les effets, la source de toute influence. L’homme ne peut donc rendre la sienne utile à ses semblables que dans le calme qui suit l’innocence et par son union avec le ciel ; cette union spirituelle est, dans l’homme bienfaisant, suivie de l’union naturelle, par le moyen du tact et de l’imposition des mains, qui anime, étend, et communique l’influence de l’intérieur. Voyez les enfants, dont l’influence innocente se répand avec délices et sans cesse par le moyen du tact ; ils aiment à toucher et à être touchés ; on aime à les tenir dans ses bras, à les palper, à les caresser et à être caressé par eux.
L’âme se communique par le corps qui l’enveloppe ; l’influence spirituelle se répand surtout par les mains, parce que les mains sont l’ultimum, l’extrémité de l’homme ; et chez lui (ainsi que dans toute la nature) le premier est contenu dans le dernier comme la cause dans l’effet ; le tout de l’âme et le tout du corps, qui sont les intermèdes de l’influence, sont existants et réunis dans les mains ; voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ (qui aimait à toucher les enfants) guérit des malades par l’imposition des mains ; voilà pourquoi d’autres malades furent guéris en le touchant ; de là vient aussi, depuis la plus haute antiquité, l’inauguration des prêtres et la bénédiction de toutes les choses sacrées par l’imposition des mains. Dans le sens interne de la parole, les mains signifient la puissance 101.
L’homme croit avoir ses pensées et ses volontés en lui-même et par lui-même, tandis que tout influe en lui. S’il croyait la chose comme elle est, au lieu de s’approprier le mal, il le rejetterait à l’enfer, d’où il vient. En faisant le bien, au lieu de s’en glorifier, il en attribuerait tout le mérite au Seigneur ; par le Seigneur il verrait le bien et le mal de son intérieur, et il serait heureux ; l’orgueil a nié l’influence divine et perdu le genre humain.
Le mal, ou le mauvais usage des choses, n’a pas été créé par le Seigneur, il a commencé avec l’enfer. Le mal spirituel, qui pervertit l’entendement de l’homme et l’éloigne de Dieu, vient de l’homme, qui, par ses pareils, naît dans les maux provenant de l’amour de soi et de l’amour du monde. Nos parents nous transmettent, avec leurs traits et leurs goûts, un naturel corrompu, ami du mal ; et voilà le péché originel ; le premier homme qui pécha fît pécher son fils : les maux naturels, c’est-à-dire, les animaux, les végétaux et les minéraux malfaisants, ont leurs correspondants dans l’enfer, dont l’influence produit les mauvais usages, les êtres nuisibles, dans les lieux auxquels ces êtres correspondent, et ces lieux sont les marais, les sables, les fumiers, les terres noyées, ou brûlées du soleil ; tout cela correspond aux enfers, qui sont des lieux putrides, cadavéreux et infects. L’homme qui est dans le degré purement naturel n’aime que les objets naturels, qu’il assimile à lui ; plus il s’éloigne de Dieu, plus il devient méchant et ennemi du bien. Son extrémité spirituelle, ou son degré spirituel naturel, se séparant absolument des deux degrés supérieurs, comme il en est séparé dans les esprits infernaux, produit les mauvais usages sur la terre ; ces maux tirent donc leur origine de l’homme et, par lui, de l’enfer. Aussi l’Écriture nous apprend que tandis que les Israélites furent fidèles à Dieu, la terre de Canaan fut fertile, et que les troupeaux y prospéraient ; mais qu’étant devenus méchants, cette terre devint tellement stérile et maudite qu’elle ne produisait que des ronces, que les animaux domestiques y avortaient le plus souvent et que les bêtes féroces s’y multiplièrent prodigieusement.
Le mal physique est donc l’abus que l’homme fait de ses facultés. Le mal moral, ou la méchanceté humaine, le malheur des bons, le bonheur des méchants, tout cela n’accuse point la Providence du Seigneur, qui n’a point d’égard aux choses passagères, mais aux choses éternelles, qui constituent l’ordre. Le bonheur temporel est l’effet naturel de la sagesse humaine ; il est dans l’ordre que chacun réussisse dans ce qu’il fait avec raison et liberté ; le Seigneur ne voit, dans la grandeur et la fortune, qu’un moyen d’entretenir la vie ; mais le moindre objet qui nous mène au spirituel est une bénédiction divine. Enfin l’homme est libre ; et il ne le serait pas s’il ne pouvait réussir sur la terre qu’en faisant le bien.
La prudence de l’homme dans les choses du monde est toujours accompagnée de la Providence divine, qui agit en cela par les lois de permission, de même que pour les maux et les erreurs, qui sont contre l’ordre, et que le Seigneur gouverne cependant, non selon l’ordre, mais par l’ordre, qui ne peut être réellement troublé, car tout ce qui serait contre l’ordre divin est impossible.
Il y a providence et prévoyance ; le Seigneur pourvoit le bien et prévoit le mal ; deux choses nécessaires, car le Seigneur n’est que bien, l’homme n’est que mal. Le Seigneur ne veut pas le mal qui arrive, mais il ne peut l’empêcher sans détruire la liberté, laquelle opère le salut, qui est la loi du Seigneur.
La prudence humaine est comme une once de terre dans l’univers ; et comparée à cette prudence, la providence divine est comme l’univers même. La fortune, admirable en tant d’évènements, est l’opération de la providence dans le dernier degré de l’ordre et selon l’état de l’homme ; cela prouve qu’elle s’étend aux plus petites choses. Mais l’homme que le Seigneur conduit, est conduit selon l’ordre divin.
L’univers a été créé par l’amour divin et par la sagesse divine, procédant du Seigneur, qui est un. Cette unité est dans tout sujet créé, ou elle y doit être, et la providence tend à faire redevenir un le sujet qui ne l’est pas. Cette unité consiste, pour l’homme, dans la conjonction du bon et du vrai.
Par un effet de la divine providence, le mal et le faux servent d’équilibre, de relation, et de purification 102.
La providence s’efforce continuellement de déloger les maux de l’homme, lesquels ne peuvent être ôtés, enlevés de lui (ce qui serait contre l’ordre), mais seulement déplacés et remplacés par les biens.
Il est dans l’ordre divin que tout homme soit instruit par l’Écriture sainte, par l’enseignement de l’Église, par la prière ; aussi est-il dit dans Isaïe : Tous tes enfants seront enseignés de Jéhovah, 54 : 13.
L’homme nie la providence parce qu’il n’en voit pas la fin et les moyens ; et ceci est un bienfait de Dieu ; si l’homme voyait l’ordre divin, il s’introduirait lui-même dans cet ordre, il le corromprait, le détruirait, et se ferait Dieu lui-même.
Les choses temporelles et les choses éternelles sont, ici-bas, séparées par l’homme ; mais elles sont conjointes par le Seigneur, et c’est leur conjonction qui constitue l’ordre divin, la Providence.
La Providence opère sur l’homme dès son enfance, elle continue jusqu’à la fin de sa vie, et ensuite toute l’éternité.
De ces principes il résulte, 1o qu’il n’y a point de fatalité ni de prédestination, et que tous les hommes ont été créés pour le ciel ; 2o qu’il n’y a point de salut instantané et par pure miséricorde, ce qui serait contre l’ordre, qui est Dieu même ; 3o que notre régénération (de même que les évènements temporels qui nous sont utiles) est amenée successivement et par des moyens ; 4o que la prudence, ou sagesse, ou politique purement humaine, n’est rien ; que celui-là seul est sage et prudent qui se confie en la divinité, qui veut ce qu’elle veut et fait ce qu’elle ordonne.
Les miracles sont, de même que les maux physiques, permis par le Seigneur ; ils paraissent, de même que les maux physiques, contre l’ordre naturel ; mais l’influence divine les adapte à cet ordre ; ils se font selon l’ordre de l’influence du monde spirituel dans le monde naturel.
Vision 103.
JE m’avançai un jour, dans le monde spirituel, vers l’endroit où j’avais entendu un grand bruit, et j’y trouvai une troupe de partisans de la prédestination qui, à chaque argument, s’écriaient : À merveilles, à merveilles ! Les uns soutenaient que Dieu pouvait et devait sauver tous les hommes, qu’il pouvait tirer de l’abîme Lucifer et tous les démons ; les autres prétendaient qu’il ne nous devait rien et que nous ne devions rien lui demander. Quelques hommes, simples de cœur et d’esprit, se trouvant auprès de ces faux docteurs, étaient indignés ; d’autres étaient stupéfaits, ceux-ci étaient enivrés, ceux-là comme suffoqués de tant d’erreurs et de délires. Alors un d’entre eux pénétra au milieu de l’assemblée et dit à haute voix : « Vous êtes des insensés ; Dieu ne peut pas agir contre l’ordre parce qu’il agirait contre lui, il est l’ordre même. » Comme il parlait, il vit à sa droite, dans le lointain, une brebis, un agneau et une colombe, et à sa gauche un bouc, un loup et un vautour. « Croyez-vous, leur dit-il, que Dieu, par sa toute-puissance, puisse changer ce bouc en brebis, cet agneau en loup, et cette colombe en vautour ? Il ne le peut pas, puisqu’il agirait contre les lois de l’ordre, dont il ne peut tomber un point sur la terre, comme il nous l’a dit lui-même ; il ne peut pas non plus, en vertu de la rédemption, sauver un homme rebelle à ses lois. Insensés ! votre foi vous séduit ; elle est dans vos mains comme un lacet pour prendre des colombes. » Un certain magicien, imbu de ces opinions sur la prédestination opposée à l’ordre, fit à l’instant un lacet qu’il attacha à un arbre, en disant qu’il était sûr d’y prendre la colombe. Un épervier vint y passer son cou, et il y resta suspendu. La colombe, l’ayant vu, s’éloigna en volant ; les assistants émerveillés dirent que cette figure était un engagement, une promesse de justice.
Le lendemain, quelques-uns de ces errants vinrent me dire qu’ils étaient comme enivrés de tout ce qu’on leur avait débité la veille touchant l’ordre, qui est Dieu même, touchant la toute-puissance de Dieu, laquelle étant l’ordre divin, contient, disait-on, autant de lois qu’il y a de vérités dans l’Écriture, lois qui sont de Dieu et auxquelles Dieu est astreint ; ils ajoutèrent qu’ils ne comprenaient pas tout cela. Alors nous nous regardâmes mutuellement ; les voyant comme stupéfaits, je leur dis que je prierais le Seigneur de les éclairer sur cette matière, et je me contentai de leur dire : « Le Dieu tout-puissant a créé le monde en lui-même, par l’ordre dans lequel il est lui-même, et selon lequel il le gouverne. Il a donné à l’homme, aux animaux, au végétal, au minéral, il a donné à chacune des créatures son ordre. Les lois de l’ordre pour l’homme l’obligent à apprendre les vérités de l’Écriture, à les méditer selon sa raison, et à acquérir une foi naturelle ; les lois de l’ordre pour Dieu sont de s’approcher de l’homme, de remplir de sa lumière divine les vérités naturelles, et de changer la foi humaine en foi céleste et salutaire. C’est l’accomplissement de ces lois, toujours agissantes, qui est la providence de Dieu. »
Quand j’eus cessé de parler, une lumière de couleur d’or se répandit par le toit, et forma des chérubins voltigeant dans les airs. Cette lumière éclaira les tempes de quelques-uns des docteurs, mais seulement par l’occiput, et non point par le front, parce qu’ils murmuraient encore et qu’ils disaient ne pas bien connaître la toute-puissance divine. Je leur promis qu’ils seraient éclairés s’ils profitaient d’abord des premières vérités que je leur avais communiquées.
DE LA SAGESSE DES ANGES 104.
IL est difficile de comprendre quelle est la sagesse des anges du ciel ; elle est tellement au-dessus de la sagesse humaine, et à tel point transcendante, que les hommes, ne la concevant pas, sont portés à croire que ce n’est rien. On ne peut l’expliquer que par des effets inconnus qui, n’étant pas d’abord compris eux-mêmes, sont dans l’entendement comme des ombres, et laissent la cause première toujours cachée : cependant toutes ces choses sont telles, qu’on peut les savoir, et en les sachant les comprendre, pourvu que l’esprit s’en occupe avec plaisir ; le plaisir porte avec soi sa lumière, puisqu’il dérive de l’amour ; et la lumière céleste, qui est l’intelligence, éclaire ceux qui aiment les mystères de la sagesse divine.
On peut concevoir la sagesse des anges quand on sait qu’ils sont dans la lumière céleste, laquelle est, dans son essence, le vrai divin ; cette lumière éclaire leur vue intérieure, qui appartient à l’esprit, et leur vue extérieure, qui réside dans les yeux ; les anges sont aussi dans la chaleur céleste, qui, dans son essence, est le bon divin, et qui inspire l’affection, le désir de savoir. Un ange est tellement sage qu’on peut l’appeler la sagesse même ; toutes ses pensées et ses affections découlent et se modèlent sur la forme céleste, qui est la forme de la sagesse divine ; et son intérieur, qui est le réceptacle de cette sagesse, est aussi dans la forme céleste.
L’éminente sagesse des anges éclate dans leurs paroles, qui découlent immédiatement et spontanément de la pensée et de l’affection. Leur langage est la forme extérieure de la pensée et de l’affection, parce que rien ne les empêche de recevoir toute l’influence divine ; rien d’externe, rien d’étranger n’entre par leurs pensées dans leurs discours, comme il arrive parmi les hommes.
La sagesse des anges se forme encore et se perfectionne par tous les objets qu’ils peuvent voir, entendre, toucher, sentir et goûter ; tous ces objets s’accordent avec leur sagesse, parce que ce sont des correspondances, des formes représentatives des différentes perceptions de la sagesse, et toutes relatives à l’intérieur des anges.
Les pensées des anges ne sont point, comme les pensées des hommes, resserrées et bornées par les idées d’espace et de temps, lesquelles, étant propres à la nature, la détournent du spirituel et empêchent la vue intellectuelle de s’étendre. Les pensées des anges ne sont point terrestres ni matérielles, elles ne sont point troublées par les soins et les nécessités de la vie, qui toutes leur sont fournies abondamment par le Seigneur, selon leur degré de sagesse, et quand le charme de cette sagesse les entraîne, comme le monde entraîne les hommes.
Les anges sont susceptibles de cette grande sagesse parce que leur intérieur est ouvert et que toute sagesse croît et s’élève dans l’intérieur, selon que les degrés de cet intérieur sont ouverts ; ils sont au nombre de trois et ils correspondent aux trois cieux. Les anges dont le premier degré est ouvert sont dans le premier ciel ; ceux dont le second degré est ouvert sont dans le second ciel ou dans le ciel du milieu ; ceux dont le troisième degré est ouvert sont dans le troisième ciel, ou dans le ciel intime ; la sagesse de ceux-ci est immensément au-dessus de celle des anges du second ciel ; et la différence est la même entre ce second ciel et le premier. Ces différences existent parce que ce qui est dans le degré supérieur est particulier, ce qui est dans le degré inférieur est général ; or, le général contient le particulier ; celui-ci est à l’autre comme des milliards sont à un ; et la sagesse des anges du ciel supérieur est à celle des anges du ciel inférieur dans le même rapport. Toutefois la sagesse du ciel inférieur est infiniment élevée au-dessus de la sagesse humaine, parce que l’homme est dans le corporel-sensuel, qui constitue le dernier degré ; d’où l’on peut voir ce que c’est que la sagesse de ceux qui pensent d’après le sensuel, de ceux qu’on appelle sensuels ; ils croient avoir la sagesse et ils n’ont que la science ; il en est autrement des hommes qui élèvent leur entendement au-dessus du sensuel ; plus sages encore sont ceux dont les degrés intérieurs sont ouverts à la lumière du ciel.
On conçoit combien grande est la sagesse des anges quand on songe que dans le ciel tout se communique ; la sagesse de l’un se communique à l’autre ; le ciel est la communauté de tous les biens, parce que l’amour céleste veut que ce qui est à l’un soit à l’autre ; dans le ciel, nul n’a la perception de son bonheur s’il n’est pas le bonheur d’un autre ; cette affection est influée aux anges par le Seigneur, dont l’amour divin est expansif et communicatif.
J’ai été instruit, par expérience, de cette communauté dans les deux ; j’y ai vu arriver des hommes très-simples qui, tout-à-coup participant à la sagesse abdique, comprenaient ce qu’ils n’avaient pu comprendre et parlaient comme jamais ils n’avaient parlé.
On ne peut expliquer parfaitement ce que c’est que la sagesse des anges, mais on en peut donner une idée générale. Les anges expriment en un seul mot ce que les hommes n’exprimeraient pas avec mille ; un seul mot de la langue des anges contient mille choses que les langues humaines ne peuvent rendre ; ce sont des arcanes de la sagesse divine, qui sont étroitement liés ensemble et auxquels la sagesse humaine ne peut atteindre. Les anges suppléent à la parole par le son, qui renferme l’affection de toutes choses, chacune selon son ordre. Les anges peuvent rendre en peu de paroles le contenu d’un volume ; ils donnent à chaque parole un son, une inflexion de voix qui élève la sagesse intérieure. Les anges, par le son de la voix de celui qui leur parle, connaissent toute sa vie et son amour dominant. La sagesse angélique est à la sagesse humaine ce que des milliards d’objets sont à l’obscurité, ce que les innombrables forces motrices du corps humain sont à l’action, qui est une. Pour me faire voir un trait de cette sagesse, un ange m’expliqua, par ordre, la régénération et ses mystères, dont il y avait des centaines ; et chacun de ces mystères faisait naître des idées dont chacune renfermait une multitude d’autres arcanes touchant cette régénération, dans laquelle l’homme est conçu, porté, élevé spirituellement, comme il l’a été naturellement. L’ange ajouta que cette explication aurait pu s’étendre plus loin et qu’il n’avait parlé que de la régénération de l’homme extérieur.
La sagesse des anges du troisième ciel est incompréhensible, même à ceux du dernier ciel, parce que l’intérieur de ceux-là est ouvert jusqu’au troisième degré. Au moyen de ce degré ouvert, les anges du troisième ciel, ou du ciel intime, ont la vérité divine écrite en eux, parce que le troisième degré est, plus que les deux autres, dans la forme du ciel, qui est celle du vrai divin. Ayant le vrai divin comme inné et gravé en eux, les anges, sitôt qu’ils entendent ce vrai divin, le reconnaissent et le voient en eux. Aussi dans le ciel on ne raisonne pas, on ne dispute pas sur la vérité ; on la voit, on la sent, et on ne sait pas ce que c’est que la croyance ou la foi, jamais on n’en prononce le nom. Lorsqu’étant avec votre ami vous voyez une maison et beaucoup de choses qu’elle contient, lorsque vous voyez un jardin avec des arbres et des fruits, vous ne dites pas à votre ami : « Voilà une maison et beaucoup de chose dedans, voilà un jardin avec des arbres et des fruits. » Il en est de même de la conversation des anges du troisième ciel, ils ne s’avertissent pas de ce qu’ils voient.
Les anges du premier, ou du dernier ciel, n’ont pas la vérité ainsi écrite en eux, ils en raisonnent ; ils ne voient que l’objet qui les occupe dans ce moment, ils l’éclaircissent, ils le confirment ; alors ils disent qu’il est digne de foi et qu’il faut le croire. Ces anges m’ont dit que la sagesse du troisième ciel pouvait se comparer à un palais superbe rempli de choses merveilleuses pour l’usage et entouré de jardins magnifiques ; l’ange du troisième ciel, étant dans le vrai divin, peut entrer dans le palais, dans les jardins magnifiques, voir tout et jouir de tout ; au contraire, ceux qui sont obligés de raisonner sur les vérités pour les saisir, ceux qui les apprennent par la lumière intérieure ou par la parole en forment leur foi ; ils restent sur le seuil du palais et ne voient ni ses merveilles, ni celles du jardin.
Un des plus grands effets de la sagesse des anges est de voir dans tous les objets le divin, le céleste, et tout ce qui en dérive dans l’ordre ; quand les anges souverainement sages voient une campagne, leur esprit ne se fixe pas sur les objets champêtres, mais sur les perceptions infinies et délicieuses dont ces objets sont la correspondance. Les anges du troisième ciel sont tels parce qu’ils sont dans l’amour du Seigneur, qui ouvre le troisième degré de l’esprit intérieur, lequel est le réceptacle du tout de la sagesse.
Les anges du ciel intime se perfectionnent en sagesse ; ils ne placent point la vérité divine dans leur mémoire, ils n’en font point une science, mais sitôt qu’ils l’ont connue, elle se confond en eux avec la vie ; il en est autrement des anges du dernier ciel, qui placent les vérités dans leur mémoire, qui en font une science dont ils se servent pour perfectionner leur intelligence. Ces anges du troisième ciel croissent en sagesse par le moyen de l’oreille, et non par le moyen des yeux. L’oreille correspond aussi à la perception, à l’obéissance ; l’œil correspond à l’intelligence, à la doctrine ; le prophète Jérémie décrit l’état de ces anges quand il dit : (31 : 33, 34) Je placerai ma loi dans leur esprit, je l’écrirai sur leur cœur ; un ami n’enseignera plus son ami, ni un frère, son frère, en disant : Connaissez Jéhovah, car ils me connaîtront tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Ces anges sont encore désignés dans ces paroles du Seigneur, en St Matthieu, 5 : 36. Que votre parole soit toujours oui ou non. Tout ce qui est au-delà est mal. En effet tout ce qui est au de-là est mal, parce qu’il ne vient pas du Seigneur. Le vrai qui éclaire les anges du troisième ciel est le vrai divin, qui n’a besoin que d’être présenté.
La sagesse des anges de tous les cieux provient encore de ce que dans aucun ciel on ne connaît l’amour de soi, qui ferme l’intérieur au ciel et au Seigneur, et qui ouvre l’extérieur, pour y vivre. Ceux que cet amour domine sur la terre sont dans les ténèbres pour tout ce qui concerne le ciel. Les anges, exempts de cet amour, sont tous dans la lumière de la sagesse, et ils ont la face constamment tournée vers le Seigneur, parce que dans le ciel la face est l’image de l’intérieur, elle ne fait qu’un avec l’intérieur. L’amour divin tourne et attire à soi la face des anges, parce qu’il convertit l’intérieur, auquel il se conjoint et se communique.
Les anges se perfectionnent en sagesse continuellement, mais non pas éternellement, parce que leur sagesse ne peut être infinie, comme celle de Dieu.
La sagesse perfectionnant les anges, et étant leur vie, tous les biens célestes étant influés à chacun selon sa sagesse, il s’ensuit que tous la désirent également, de même que l’homme qui a faim désire des aliments.
Les anges qui sont du même ciel et de la même société ne sont pas pour cela dans le même degré de sagesse ; ceux qui sont au milieu de leur ciel et de leur société sont dans la plus grande sagesse ; il y en a moins dans ceux qui sont autour d’eux, et la sagesse va en décroissant jusqu’aux derniers, comme la lumière passe par degrés jusque dans l’ombre.
Vision 105.
DES sages du ciel angélique, me voyant un jour transporté en esprit dans leur société, me demandèrent ce qu’il y avait de nouveau sur la terre ; je leur répondis que la nouvelle la plus importante était la révélation que le Seigneur avait faite de plusieurs arcanes ignorés jusqu’à ce jour dans l’Église. Ils voulurent savoir ce que c’était, et je leur dis : Ces arcanes sont : 1o que dans toute la parole divine il y a un sens spirituel, correspondant au sens naturel ; que la sainteté de la parole réside dans ce sens interne, qui unit les hommes de l’Église au Seigneur et les associe avec les anges ; 2o que la science des correspondances fut jadis la science des sciences, parce qu’elle fondait la sagesse sur la connaissance des choses spirituelles du ciel et de l’Église. Cette science, perdue depuis le temps de Job, changée par la suite en idolâtrie, et enfin totalement inconnue aujourd’hui, a été remise en lumière par le Seigneur, pour que son Église, fondée sur la parole, où tout est correspondance, tire de lui son esprit et sa vie ; enfin par cette science on sait ce que c’est que le baptême et la sainte Cène ; 3o que l’homme renaît homme après sa mort, qu’il a un corps, une figure, des sens, comme sur la terre, excepté qu’au lieu d’être matériel, cet homme est substantiel et spirituel ; mais qu’il est très-réellement et très-parfaitement homme ; que dans le monde spirituel il voit les mêmes objets, quoiqu’embellis, et qu’il y vit et agit avec ses semblables, comme dans le monde terrestre ; 4o que les merveilles du ciel et de l’enfer ont été révélées, qu’on en connaît aujourd’hui l’état, les plaisirs, les peines, et le régime ; 5o que notre soleil est, comme ce que nous appelons la nature, une matière morte, un pur feu ; qu’il tire son existence du soleil spirituel, le premier procédant de Dieu, qui est amour et sagesse ; que la chaleur de ce soleil spirituel est l’amour divin, que sa lumière est la sagesse divine ; que la lumière correspond à l’entendement de l’homme, et la chaleur à sa volonté ; que par ces deux soleils, dont l’un, qui est le soleil spirituel, a produit l’autre, qui est le naturel, par leur influence et leur correspondance on connaît l’homme intérieur et extérieur, et la différence qu’il y a entre le spirituel et le naturel ; 6o qu’il y a trois degrés de vie, lesquels correspondent aux trois cieux ; que l’esprit de l’homme est distingué et divisé en trois degrés, qui sont le naturel, le spirituel, et le céleste ; 7o que le jugement dernier a eu lieu en l’an 1757 ; qu’en Dieu seul est la divine Trinité, et que cependant il est un personne et en essence. Il est, lui seul, le Dieu du ciel et de la terre, notre Seigneur Jésus, ou le Rédempteur, et le Saint-Esprit, ou la Parole. Il va établir une nouvelle Église, dont il a révélé la doctrine ; il a révélé le sens interne de l’Apocalypse, prophétie uniquement relative à l’établissement de cette nouvelle Église que l’Écriture nomme partout la nouvelle Jérusalem ; il a daigné apprendre aux hommes qu’ils avaient des frères dans les planètes et dans toutes les terres de l’univers, lesquelles sont habitées ; enfin il a révélé beaucoup d’autres merveilles du monde spirituel et de la sagesse angélique. Il a fait connaître l’amour conjugal céleste, source pure de délices pour les sens et pour les esprits des anges qui, dans la fleur de l’âge et de la beauté, sont vraiment mari et femme, et dont le mariage est celui de l’amour et de la sagesse. »
Les anges, charmés de ce que leur apprenais touchant le monde terrestre, s’étonnaient de ma tristesse. Je leur dis que je m’affligeais de voir les hommes traiter de folies ces sublimes révélations du Seigneur. Ils lui demandèrent à l’instant la permission de voir la terre, et ils la virent telle qu’elle est, enveloppée de ténèbres. Une voix leur dit d’écrire les arcanes dont je leur avais parlé sur une feuille, et de la faire descendre sur la terre. La feuille écrite, et envoyée du ciel, brillait comme une étoile en traversant le monde spirituel ; mais une fois tombée dans le monde naturel, elle perdit tout son éclat et devint ténébreuse. Les anges la firent passer dans des assemblées de savants, ecclésiastiques et laïques ; elle y excita un grand murmure. « Qu’est-ce que cela, dirent-ils, qu’avons-nous besoin de ces rêves ? » Quelques-uns, prenant la feuille céleste, la plièrent, la roulèrent sous leurs doigts ; d’autres voulaient la déchirer et la fouler aux pieds ; le Seigneur les empêcha de commettre ce crime, et la feuille fut retirée par les anges, qui la gardèrent. Affligés de ce qu’ils avaient vu, ils se demandaient combien de temps durerait l’aveuglement des hommes ; une voix leur répondit : Jusqu’à un temps, et des temps, et la moitié d’un temps. Apocalyp. 12 :14.
J’entendis ensuite un bruit incommode qui venait des enfers ; plusieurs voix s’écriaient ensemble : « Faites des miracles, et nous croirons. » Je répondis que ces révélations étaient des miracles. Ils s’écrièrent : « Non, ce ne sont point des miracles. – Qu’est-ce donc que des miracles ? – Découvrez-nous l’avenir, et nous croirons. – Le Seigneur ne le permet point, parce que la connaissance de l’avenir empêche l’homme de travailler et d’employer sa raison. – Faites les miracles que Moïse fit en Égypte. – Vous endurciriez peut-être vos cœurs, comme Pharaon et les Égyptiens. – Non, non. – Qui me répondra que vous n’adorerez pas le veau d’or, comme firent les Israélites, un mois après avoir vu le mont Sinaï tout en feu, après avoir entendu le Seigneur lui-même, parlant du milieu des flammes ? – Nous ne ferons pas comme les Israélites. » Une voix céleste leur répondit : « Si vous ne croyez pas Moïse et les prophètes, qui sont la parole du Seigneur, vous ne croiriez pas plus aux miracles que les Israélites n’y crurent dans le désert. » Quelques-uns de cette troupe infernale, étant montés jusqu’à moi, me dirent avec aigreur : « Pourquoi le Seigneur a-t-il révélé à vous qui n’êtes pas ecclésiastique ces arcanes dont vous parlez tant ? » Je répondis : « Telle a été la volonté du Seigneur, qui m’a préparé pour cela dès ma tendre jeunesse. Je pourrais vous lui demander aussi pourquoi, étant dans le monde, il choisit pour disciples des pécheurs, et non pas des savants et des prêtres ? » Ils murmurèrent encore un instant, et ils se turent.
DE LA PUISSANCE DES ANGES DU CIEL 106.
CELUI qui ne connaît pis le monde spirituel et son influence sur le monde naturel ne peut concevoir que les anges puissent avoir quelque puissance ; il les croit d’une nature si subtile et si spirituelle qu’ils ne peuvent être ni vus ni touchés, qu’ils ne peuvent avoir aucune action sur les choses naturelles ; mais ceux qui pensent spirituellement et qui réfléchissent sur les causes des évènements ont une autre opinion. Ils savent très-bien que toute la puissance de l’homme émane de son entendement et de sa volonté, qui constituent l’homme proprement dit, puisque sans ces deux facultés et leur action sur le corps, cet homme ne pourrait faire agir aucun de ses ressorts. L’homme spirituel gouverne à sa volonté le corporel ; mais la volonté et l’entendement, qui constituent l’homme spirituel, sont dirigés par le Seigneur. Cette vérité me fût prouvée plusieurs fois. Un jour, entre autres, il fut permis aux anges de donner le mouvement à mes pieds, de donner pour moi l’impulsion à ma langue, à ma parole, et de déterminer ainsi mes actions en influant sur mon entendement et sur ma volonté ; alors j’éprouvai que par moi-même je ne pouvais rien. Lorsque j’en fus convaincu, les anges me dirent que tous les hommes étaient ainsi conduits, qu’ils pouvaient s’en instruire par la sainte Écriture et par la doctrine de l’Église, où les chrétiens prient Dieu d’envoyer des anges pour les conduire et pour leur inspirer ce qu’ils doivent penser et faire.
La puissance des anges est si grande dans le monde spirituel qu’on ne croirait peut-être pas plusieurs de ses effets, dont j’ai été témoin. Un seul de leurs regards, un seul acte de leur volonté renverse tout ce qui résiste, tout ce qui est contraire à l’ordre établi par le Seigneur. J’ai vu des montagnes, dont les méchants esprits s’étaient emparés, renversées et réduites en poudre, comme il arrive dans les tremblements de terre ; j’ai vu des rochers entr’ouverts jusqu’à leur base, et les esprits malins engloutis dans ces abîmes. Des milliards de démons ont été, en un clin d’œil, détruits devant moi et précipités dans les enfers. Le nombre ne peut résister à un seul ange ; la ruse et l’adresse sont inutiles ; ils voient tout et renversent tout. Ils sont également puissants dans notre monde, quand Dieu les y fait participants de sa puissance et ministres de sa volonté ; un seul culbute et fait périr des armées formidables et nombreuses, comme on en voit plusieurs exemples rapportés dans l’Écriture sainte ; ils répandent la peste et les autres maux dont Dieu se sert pour punir les hommes, comme on le voit dans ce passage du second livre de Samuel, ch. 24, v. 15, 16, 17 : L’ange étendit la main contre la ville de Jérusalem, afin de la perdre. Le Seigneur, touché de compassion, dit à l’ange qui avait affligé le peuple : c’est assez ; retirez la main ; et David voyait l’ange qui frappait le peuple. Ces anges, chargés d’exécuter les vengeances célestes, sont appelés, dans l’Écriture sainte, puissances.
La puissance des anges leur vient de Dieu, qui leur communique la sienne ; aussi ont-ils une grande aversion pour les actions de grâces qu’on voudrait leur rendre à l’occasion de quelque bienfait reçu de Dieu par leur ministère ; ils rejettent toutes louanges, et ils rendent toute gloire au Seigneur.
Toute puissance appartient au vrai divin procédant du Seigneur, car en lui sont unis le vrai divin et le bon divin, auxquels toute puissance a été donnée ; les anges sont puissants à proportion qu’ils reçoivent de ce bon divin et de ce vrai divin. Tous les anges ne sont pas également puissants. Cela dépend de leur place dans le ciel, qui est appelé le très-grand homme ; ceux qui occupent la place qui répond aux bras et aux mains sont les plus puissant, parce que les bras et les mains correspondent à la puissance. Quelquefois un bras nu apparaît au ciel, et il a tant de puissance que rien ne peut lui résister. Un jour ce bras approcha de moi, et je sentis qu’il pouvait m’écraser et pulvériser mes os.
Toute puissance dans les cieux appartient au bon par le vrai ; le bon sans le vrai est impuissant ; c’est l’union des deux qui constitue la puissance ; et cette union est celle de la charité et de la foi, de l’amour et de la sagesse. Elle donne aux anges tant de pouvoir qu’un esprit malin tombe en défaillance devant eux, parce qu’il est dans le faux, par le mal. Tant que l’ange regarde ce démon, ce démon n’a pas sa figure humaine ordinaire, il paraît comme un monstre, parce que la vue des anges est dans la lumière céleste, laquelle est le vrai divin.
Le vrai divin et le bon divin réunis ont toute puissance : le mal et le faux de l’enfer n’en ont aucune. Toutefois le Seigneur, pour régir les enfers, accorde souvent aux méchants esprits quelque puissance sur leurs semblables.
DE L’ÉTAT D’INNOCENCE DES ANGES DANS LE CIEL 107.
DANS le monde, on ne sait guère ce que c’est que l’innocence et quelle elle est. Ceux qui sont dans le mal l’ignorent absolument. L’innocence se montre à nous dans la figure, dans les discours, et dans les gestes des enfants ; mais on ne sait pas ce que c’est ; on sait encore moins ce que c’est que l’innocence qui établit le ciel dans l’homme ; pour la faire connaître, nous en parlerons par ordre ; d’abord nous traiterons de l’innocence de l’enfance, ensuite de l’innocence de la sagesse, enfin de l’état du ciel relativement à l’innocence.
L’innocence des enfants n’est pas la véritable innocence ; elle en est la forme extérieure, et non pas intérieure ; toutefois elle peut servir à nous faire connaître celle de l’âme. Les enfants n’ont point de pensée interne, ils ne savent point ce que c’est que le bien et le mal, le vrai et le faux, d’où naissent nos pensées. Ils n’ont ni prudence, ni réflexion, ni projet de mal faire. Ils n’ont point de propriété acquise par amour d’eux-mêmes et du monde. Ils regardent tout ce qu’ils reçoivent comme venu de leurs parents, ils sont contents de peu, et satisfaits des plus petits présents. Ils n’ont aucune inquiétude sur leur nourriture et habillement, ils ne songent point à l’avenir, et s’inquiètent peu du monde, quoiqu’ils en reçoivent beaucoup d’impressions ; ils aiment leurs parents, leur nourrice, les enfants avec lesquels ils jouent innocemment ; ils se laissent conduire, ils écoutent, ils obéissent. Ils reçoivent tout par la vie, avec la vie ; ils se forment à la bienséance, sans en connaître la source et le motif ; ils meublent leur mémoire et apprennent à parler, tout cela au moyen de leur état d’innocence, laquelle n’est pourtant qu’extérieure, comme nous l’avons dit ; l’esprit, composé de l’entendement et de la volonté, n’est pas formé en eux.
Le ciel m’a révélé que les enfants étaient sous la protection du Seigneur même, et qu’ils recevaient l’influence directe du ciel intime, séjour de la véritable innocence ; cette innocence pénètre leur intérieur et fait éclater sur leur visage et dans toutes leurs actions cette innocence qui fait le charme de leurs parents et qui excite leur tendresse.
La véritable innocence est celle de la sagesse ; elle est intérieure, parce qu’elle vient, ainsi que la sagesse, de la volonté et de l’entendement. C’est pourquoi on dit dans le ciel que l’innocence loge chez la sagesse, et que l’innocence d’un ange est proportionnée à sa sagesse. Ceux qui sont dans cet état ne s’attribuent aucun bien, ils rapportent tout à Dieu, ils veulent être conduits par lui, et non par eux-mêmes ; ils aiment le bien et se plaisent dans le vrai, parce qu’ils savent qu’aimer le bien, le vouloir, et le faire, c’est aimer le Seigneur ; et qu’affectionner le vrai, c’est aimer le prochain. Ils se contentent de ce qu’ils ont, soit peu, soit beaucoup, persuadés qu’ils sont que Dieu donne beaucoup à ceux à qui il faut beaucoup, et peu à ceux à qui il faut peu ; qu’ils ne savent pas ce qu’il leur faut, comme le sait le Seigneur, dont la providence éternelle dispose tout pour le mieux ; ils ne s’inquiètent point de l’avenir ; les soins du lendemain, ils les appellent les regrets d’avoir perdu ou de n’avoir pas reçu tels biens qui ne sont pas nécessaires à la vie. En toutes choses ils agissent avec bienveillance, équité, et sincérité ; avoir le mal en vue est pour eux une fourberie qu’ils détestent. Autant ils renoncent à eux-mêmes, autant le Seigneur s’approche d’eux ; dès que sa volonté leur est connue, ils obéissent ; leur volonté est dans leur mémoire, et leur extérieur est aussi simple que leur intérieur. Ce sont eux que le Seigneur nous conseille d’imiter quand il nous dit (Matth. 10 : 5) : Soyez prudents comme les serpents, et simples comme les colombes.
Telle est l’innocence de la sagesse, pour laquelle l’homme a été créé, et il en porte l’empreinte dans les deux termes de sa vie. Dans l’enfance il a l’innocence extérieure, et dans sa vieillesse l’innocence intérieure, afin que de la première il parvienne à la seconde, qui le conduit au séjour bienheureux de la véritable innocence. Après, la virilité l’homme décroît de corps pour croître en sagesse, prêt à devenir un enfant céleste, c’est-à-dire un ange ; aussi, dans la part divine, l’enfant désigne l’innocence, et le vieillard, la sagesse.
La même chose arrive à l’homme régénéré, car la régénération est une renaissance spirituelle. L’homme qui se régénère est remis dans l’état des enfants, ignorant ce que c’est que le vrai, et ne pouvant faire le bien que par le Seigneur qui l’instruit peu-à-peu, qui donne des lumières à son intelligence et de la force à sa volonté. L’homme spirituel se fortifie en avançant dans la régénération, comme l’homme naturel en avançant en âge.
L’innocence consistant à se laisser conduire par le Seigneur, les anges, qui sont dans l’innocence du ciel, ne veulent que le Seigneur pour guide, ils savent que vouloir se soi-conduire même, c’est s’aimer soi-même. Plus ils ont d’innocence, plus ils sont élevés dans les cieux, qui sont distingués selon les degrés d’innocence. Les anges du ciel supérieur, ayant un plus vif désir d’être conduits par le Seigneur comme par un père, paraissent aux anges du ciel inférieur comme des enfants. Parce qu’ils reconnaissent qu’ils ne savent rien que par le Seigneur, ils ont l’apparence des petits enfants, qui ne savent rien du tout, et cependant ils sont éminemment sages.
J’ai souvent conversé avec des anges touchant la sagesse ; ils m’ont dit que c’était le tout du bien, que la sagesse même n’était vraie sagesse que par l’innocence, et que l’innocence seule ouvrait la porte des cieux. C’est ce que le Seigneur nous fait entendre quand il nous dit : (Marc 10 : 14, 15, et Luc 18 : 16, 17) N’écartez pas les enfants, laissez-les approcher de moi. Le royaume des cieux appartient à leurs pareils ; je vous le dis en vérité, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux qui ne le recevra pas comme un enfant. L’état d’innocence est encore décrit en St Matthieu, 6 : 24, 25, mais seulement par correspondances. Les anges m’ont encore appris que l’innocence était le seul lien qui pouvait unir le bon et le vrai, que cette union était le mariage céleste.
L’innocence étant l’essence du bon, le bon divin qui procède du Seigneur est l’innocence même ; c’est ce même bon qui influe sur les anges, qui agit sur leur intérieur, et le dispos à recevoir tout le bon qui forme le ciel ; il agit de même sur les enfants ; le Seigneur, les disposant à recevoir le bon de l’amour céleste, agit continuellement sur eux ; et de cette action résulte l’innocence dont nous parlons ; voilà pourquoi le Seigneur, source de toute innocence, est appelé agneau ; l’agneau est le symbole de l’innocence.
L’innocence des cieux fait une telle impression sur l’âme que ceux qu’elle affecte s’en aperçoivent à l’approche d’un ange du ciel intime, comme je l’ai éprouvé moi-même, et au point d’être ravi, transporté hors de moi par le plaisir que j’éprouvais, et dont tous les plaisirs du monde ne peuvent donner l’idée.
Il faut être dans le bon de l’innocence pour en sentir le charme. C’est pourquoi les esprits infernaux sont ennemis de l’innocence ; plus un homme est dans l’innocence, plus ils désirent de lui faire du mal. Aussi ne peuvent-ils voir des enfants sans avoir une cruelle envie de nuire. Il en faut conclure que le propre de l’homme, qui est l’amour de lui-même, est contre l’innocence. Tous ceux qui sont dans les enfers sont dans leur propre, et par là dans l’amour d’eux-mêmes.
DE LA PAIX DANS LE CIEL 108.
CELUI qui n’a point goûté la paix du ciel ne peut savoir quelle est la paix dont jouissent les anges. L’homme vivant sur la terre ne peut être dans la paix du ciel, ni la comprendre, parce que sa perception est dans le degré naturel ; pour qu’il l’élève jusqu’aux choses célestes, il faut qu’il soit détaché du corps et transporté en esprit dans la société des anges. C’est dans cet état que j’ai connu la paix du ciel ; je ne puis dire absolument ce que c’est, parce que les paroles humaines n’y peuvent atteindre, mais je puis en donner une idée en la comparant à la paix de l’âme dont jouissent ceux qui sont contents en Dieu.
L’innocence et la paix sont les deux intimes du ciel, qui procèdent immédiatement du Seigneur. De l’innocence émane tout le bien, et de la paix tout le charme du bien, car tout bien a son charme, et ce charme est amour, comme le bien même.
La paix divine se trouve dans le Seigneur, elle résulte du divin et de l’humain réunis en lui. Dans le ciel, le divin de la paix vient du Seigneur, il existe par l’union du Seigneur avec les anges, et par l’union du bon et du vrai dans chaque ange. La paix du ciel est ce qui donne au bien le charme de la béatitude, charme qui est la félicité céleste.
C’est parce que telle est la paix céleste et son origine que le Seigneur est appelé prince de la paix, et qu’il dit que la paix est de lui et en lui ; Isaïe 9 : 5, 6. Jean 14 : 27 et 16 : 33. Num. 6 : 26. Isaïe 32 : 17, 18, et 33 : 7, 8. Jérémie 16 : 5. Aggée 11 : 9. Zacharie 8 : 12. Psaume 37, etc. Les anciens savaient bien que la paix signifiait le Seigneur, le ciel et la joie céleste ; c’est pourquoi toutes leurs salutations n’étaient pas autre chose qu’un souhait de paix : Que la paix soit avec vous ! Le Seigneur lui-même a employé cette salutation, qui n’est pas encore tout-à-fait inusitée parmi les hommes.
L’état de paix est quelquefois exprimé dans l’Écriture sainte par l’odeur du repos ; c’est pourquoi l’encens, la myrrhe, et les autres parfums, ainsi que les huiles, et les onguents odoriférants pour les onctions sacrées, sont des symboles de la paix que l’on demande à Dieu dans les temples, des présents qu’on lui offre en signe de paix. Pour faire connaître que les vœux du sacrificateur et du peuple ont été exaucés, l’Écriture dit : L’Éternel agréa, comme une odeur suave, la fumée des parfums qu’on lui avait offerts. Ces expressions sont fréquentes dans l’Exode et le Lévitique ; c’est pour rappeler cette idée de la paix spirituelle, qui est l’union de la divinité et de l’humanité du Seigneur, l’union du Seigneur avec le ciel et avec son Église, c’est pour rappeler les hommes à la paix en Dieu que fut institué le sabbat, qui signifie le jour de la paix ou du repos, le jour du Seigneur, qui s’est nommé lui-même le Seigneur du sabbat, Matth. 12 : 8. Marc 11 : 27, 28. Luc 5 : 6.
Les anges éprouvent et sentent les plus grands charmes de la paix quand ils sont dans le plus grand bien de la vie, quand ils voient l’accord du bon et du vrai qui influe dans toutes leurs pensées, dans toutes leurs actions, et qui éclate même dans leur extérieur ; mais comme cette joie est relative au degré d’innocence, la paix, d’où résulte la félicité, est à un plus haut degré dans les anges du ciel supérieur, ou du ciel intime, que dans les anges des cieux inférieurs.
La preuve que l’innocence et la paix sont des compagnes inséparables se tire encore de l’état des enfants, parmi lesquels l’innocence engendre une paix si profonde que tout est pour eux jeu et amusement. Mais cette paix n’est pas celle de la réflexion, parce que l’entendement des enfants n’est pas formé ; la paix interne, comme l’innocence interne, ne se trouve que dans la sagesse, qui résulte de l’union du bon et du vrai.
La paix céleste, ou angélique, se trouve aussi dans quelques hommes, mais seulement dans ceux qui ont la sagesse en partage. Tant qu’ils vivent sur la terre, cette paix reste concentrée dans leur âme, et elle ne se montre qu’à leur mort ; car c’est au moment de leur entrée dans les cieux que leur entendement s’ouvre à la lumière céleste.
Nous l’avons dit : l’union du Seigneur avec le ciel donne la paix céleste ; cette union s’accomplit chez les anges par celle du bon et du vrai, et seulement lorsque l’amour de Dieu les domine ; alors ils jouissent de la paix intérieure, qui fait leur félicité. L’homme est dans le même cas durant sa régénération ; surtout lorsqu’après la tentation le bon et le vrai s’unissent en lui, il éprouve le charme de la paix intérieure. On peut la comparer à une belle matinée du printemps, où la chaleur du soleil dissipe la fraîcheur de la nuit, anime et ressuscite la nature, où l’odeur végétative se répand avec la rosée et réjouit les esprits.
Un jour, je disais aux anges que sur la terre nous appelions paix le temps où la guerre cesse, le temps où les princes ne sont pas tourmentés de la fureur de répandre le sang humain pour satisfaire leur orgueil et leur ambition, le temps où la discorde ne trouble plus les particuliers. Je leur dis encore que les hommes ne connaissaient pas d’autre paix intérieure que l’exemption des peines et des soucis, surtout après l’heureuse issue d’une affaire ou le succès d’un projet. Les anges me répondirent que cette tranquillité n’était la paix que pour ceux qui avaient la conscience pure ; qu’il n’y avait de véritable paix que celle-là, parce que c’est la seule qui vient de Dieu. Chez les méchants, il n’y a qu’une ombre de paix ; la réussite de leurs projets leur procure un calme momentané, qui est encore troublé par l’inimitié, par la haine, ou par l’envie qui reste dans leur cœur. Dès qu’ils trouvent une occasion favorable d’assouvir ces passions cruelles, ils la saisissent avidement. Leur bonheur est l’effet de leur folie ; le bonheur des gens de bien est un fruit de la sagesse ; dans ces deux états, et sur la terre, il y a, entre les bons et les méchants, la même différence qui existe entre le ciel et l’enfer.
DE L’IMMENSITÉ DU CIEL 109.
NOUS avons donné quelques preuves de l’immensité des cieux. On n’en doutera pas quand on sera convaincu de cette grande vérité que depuis la création de la terre tous les hommes qui sont nés dans l’Église et hors de l’Église (s’ils ont bien vécu) sont dans le ciel. Ceux qui connaissent les différentes régions et la multitude de leurs habitants savent qu’il en meurt chaque année des milliards, qui tous peuvent avoir part à la béatitude céleste ; ils l’obtenaient presque tous dans les premiers âges du monde ; on pensait alors et on vivait spirituellement ; dans la suite on est devenu naturel et terrestre ; mais le Seigneur a toujours été connu, et ses anges sont innombrables.
Tous les enfants nés dans l’Église ou hors de l’Église (ce qui fait près de la quatrième partie du genre humain) sont, après leur mort, adoptés par le seigneur, qui les fait élever dans le ciel, où, après s’être perfectionnés en amour et en sagesse, ils deviennent des anges.
Le ciel est immense, et il doit l’être, puisque toutes les planètes et les autres astres sont des terres habitées par des hommes qui deviennent, après leur mort, anges du ciel. Tous les globes qui roulent dans l’espace sont habités ; c’est une vérité dont personne ne doute dans le ciel et dans le monde des esprits, où les hommes parviennent lorsqu’avec la vie ils ont quitté leurs terres astrales. J’en ai conféré avec des esprits venus de notre globe ; ils m’ont confirmé cette vérité ; ils ont paru surpris qu’on en doutât parmi nous. « La raison seule, me disaient-ils, nous enseigne que ces énormes masses ne peuvent être désertes ; qu’elles ne peuvent avoir été créées pour errer autour du soleil et pour montrer leur éclat à nos yeux. Le Créateur les a destinées à un plus noble usage ; il les a créées, comme tout l’univers, pour être habitées par des hommes qui doivent un jour peupler le ciel. Le genre humain est la pépinière du ciel, et il y a des hommes partout où il y a des globes terrestres. Les planètes sont des substances terrestres, puisqu’elles réfléchissent, comme notre globe, la lumière du soleil. Quand on les observe avec des télescopes, elles n’étincellent pas comme les autres astres ; de même que la terre, elles tournent sur leur axe autour du soleil. Quelques-unes ont des satellites, ou des lunes, qui tournent autour d’elles, comme la lune autour de nous ; Saturne, quoiqu’immensément éloigné, a un grand anneau lumineux qui jette une grande lumière, quoique réfléchie, sur la terre. Quel homme sensé peut croire que ces corps, grands et solides, ont été uniquement faits pour être errants et déserts ? »
J’ai demandé à d’autres esprits ce que je devais penser des astres ; ils m’ont dit que je devais les regarder comme des terres habitées, comme des moyens de parvenir à la fin que Dieu s’est proposée, laquelle n’est autre chose que le ciel, et le ciel habitable par les hommes de tout l’univers ; qu’en ce genre le produit de notre globe ne serait rien eu égard à l’immensité du ciel.
Dans le nombre des esprits, il en est dont l’unique plaisir est d’acquérir des connaissances nouvelles ; il leur est permis d’aller çà et là pour satisfaire leurs désirs. J’en ai interrogé qui, durant leur vie, avaient habité la planète de Mercure ; ils m’ont assuré, pour l’avoir vu, que tous les globes qui composent le ciel astral étaient habités. Des anges m’ont dit la même chose et m’ont certifié que le nombre des habitants de toutes ces terres pouvait, relativement à l’infinité du Créateur, être regardé comme rien ; que d’ailleurs toutes les idées du ciel n’étaient pas relatives à l’espace, mais à l’état des hommes.
Le ciel doit être immense, puisque dans son tout il représente un homme, et que chaque société dont le ciel est composé a un rapport de correspondance avec une des parties du corps humain, dont le nombre est infini, ou avec les substances organiques qui reçoivent, dans l’intérieur de l’homme, l’influence du ciel, d’où résultent les opérations de l’esprit. Cette correspondance ne peut même jamais être complète, parce que plus le nombre des sociétés correspondantes à un membre de l’homme est multiplié, plus le ciel en devient parfait ; cela vient de ce que la fin unique du ciel est le bien commun, qui devient particulier à chacun ; ainsi, plus il y a de communication, plus il y a de félicité.
J’ai vu l’extension du ciel habité et celle du ciel inhabité : celle-ci est telle que l’éternité ne serait pas capable de la remplir, y eût-il des milliards de globes habités par des hommes.
C’est pour avoir interprété l’Écriture sainte dans le sens purement littéral qu’on a cru que le nombre des élus était petit, que le ciel avait peu d’étendue, qu’un jour il serait rempli et fermé. Il n’y a point de temps déterminé pour cela ; et dans tous les temps ceux qui auront la foi et la charité, ceux qui connaîtront le vrai, par le bon, auront part au royaume des cieux.
Vision 110.
Le Seigneur, m’ayant accordé la grâce de converser avec les anges et avec les esprits, m’inspira le désir de connaître d’autres terres que la nôtre, et je fus d’abord transporté en esprit parmi les habitants de la planète de Mercure ; ils sont curieux de savoir les choses spirituelles, et très dégagés du sensuel, auquel ils ne prennent pas garde. Ils détestent l’expression des pensées par le moyen de la parole, parce qu’elle a quelque chose de matériel. Leur mémoire est meublée d’images qu’ils emploient fréquemment ; ils ont plus de mémoire que de jugement. J’en vis un jour plusieurs qui parlaient tous ensemble ; leurs voix réunies faisaient sur moi l’effet d’un air modifié par ondes, et qui venait frapper mon œil gauche, quoique ces hommes fussent à ma droite. Je revins de ma surprise en me rappelant que l’œil gauche correspond aux connaissances des choses, considérées abstraction faite de la matière, et que l’œil droit correspond au bon qui naît du vrai. Quand je leur décrivais des prairies, des rivières, ils me répondaient en me peignant les choses, les objets qui se trouvent dans les rivières et dans les prairies.
Les habitants de la planète de Jupiter ressemblent aux premiers hommes qui vécurent sur la terre ; ils n’ont point de terme pour exprimer la rapine, le meurtre, l’envie et la guerre ; ils vivent dans des maisons séparées les unes des autres, mais ils se fréquentent beaucoup et ils ont pour leurs enfants une tendresse inexprimable. La vue de ces hommes produit un effet même extérieur ; elle donne au visage un air calme et joyeux. Je n’ai pas vu les habitants du monde de Jupiter, mais des esprits qui y avaient passé leur vie m’ont assuré qu’ils étaient ainsi. Leur langue n’est pas si sonore ni si riche que la nôtre ; mais ils y suppléent, ils l’enrichissent par le son de la voix, par l’expression du visage, et par les gestes. Des anges m’ont dit que tel fut le langage des premiers habitants de la terre. Ceux du monde de Jupiter perfectionnent plus la volonté que l’entendement ; ils font consister la sagesse à bien apprécier la vie ; ils ne cultivent point les sciences, qu’ils appellent des ombres ; Dieu est nommé par eux le Seigneur unique ; ils ignorent son incarnation sur notre terre, mais ils savent qu’il est homme et qu’il régit l’univers. Désirant de se réunir à lui, ils ne craignent point la mort ; elle leur est quelquefois annoncée par un crâne qui paraît dans les airs ; ils s’attendent alors à mourir dans l’année.
Les esprits de la terre de Mars sont les meilleurs de tous les esprits du monde planétaire ; leur langage, doux et tendre comme le Zéphir, affecte à peine la tempe gauche et la partie supérieure de l’oreille du même côté ; il s’insinue par la vue et dans l’ouïe par le chemin le plus court ; il est donc plus parfait, plus net, plus rempli d’idées, et plus approchant du langage des anges. Ces hommes ne sont pas réunis sous un gouvernement, ils vivent séparés, dans des sociétés plus ou moins nombreuses et de leur choix ; ils s’associent, et se jugent sur la physionomie qui, parmi eux, est toujours l’image de la pensée. Ils donnent toute leur attention à éloigner de leurs familles le désir de la domination et du bien d’autrui. Si un des membres fait le moindre mal, il est chassé de la société et condamné à vivre seul. Ils adorent, comme Dieu unique, le Seigneur, qui apparaît quelquefois sur leur terre. Quoique bons, ils se croient pleins de souillures, ils croient que tout bien vient de Dieu, ils prononcent rarement son nom, et ils sont toujours humiliés devant lui.
Les habitants de la terre de Mars ont la face comme nous, excepté que la partie inférieure est noire, quoique dépourvue de barbe ; la partie supérieure est d’un blanc qui tire sur le jaune ; ils se nourrissent de fruits et de légumes ; leurs habits sont tissus des fibres de l’écorce de certains arbres.
Dans ce monde, je vis un jour une flamme très-vive, variée de pourpre et de blanc ; elle s’attacha à une main, d’abord dessus, ensuite sur la paume, puis elle se glissa tout autour ; la main environnée de cette flamme s’éloigna et s’arrêta à quelque distance. Elle sembla se perdre dans cette flamme, et la flamme se changea en un oiseau paré des mêmes couleurs, toujours très-vives ; elles changèrent ; et l’oiseau plein de vie voltigea autour de ma tête. Il passa ensuite dans un cabinet étroit qui ressemblait à une antichambre ; en volant il perdit ses forces, et enfin la vie ; il devint un oiseau de pierre, d’abord couleur de perles, ensuite noir ; quoique privé de vie, il volait. Quand il était vivant, et au-dessus de ma tête, j’avais vu un esprit grimpant le long de mon côté jusqu’à ma poitrine et tâchant de saisir cet oiseau, qui était si beau alors, que tous ceux qui m’entouraient en étaient émerveillés ; l’esprit croyait que le Seigneur s’y était renfermé ; enfin il le saisit, mais le ciel faisant alors sentir son influence, il ne put le retenir, et il fut forcé de le lâcher. Tous les témoins de cette vision furent persuadés qu’elle avait quelque chose de céleste ; ils savaient que la flamme signifie l’amour, et la main, la puissance ; que le changement des couleurs est l’emblème des variations dans la vie spirituelle, et que l’oiseau désigne l’intelligence. Ils savaient que les changements arrivés dans les couleurs et dans la vie de l’oiseau, jusqu’à ce qu’il devînt pierre, représentaient les mutations de l’intelligence. Ils n’ignoraient pas que les esprits qui montent depuis les pieds jusqu’à la poitrine sont fortement persuadés qu’ils plaisent à Dieu. Toutefois ces connaissances les laissaient incertains sur le vrai sens de la vision ; le ciel les éclaira et leur apprit qu’elle était relative aux habitants de Mars. Leur amour céleste était représenté par la flamme adhérente à la main ; l’oiseau, tant qu’il conserva sa beauté et la vie, était l’image de leur amour spirituel ; le même oiseau devenu pierre et de couleur noire désignait ceux de ces habitants qui s’étaient écartés du bien ; ils étaient encore représentés par l’esprit qui montait à la hauteur de ma poitrine et qui voulait saisir l’oiseau.
Les habitants de Saturne ont la probité et la modestie en partage ; ils s’estiment peu, et leur culte envers le Seigneur est fort humble. Ils sont tentés continuellement par les méchants esprits, et ils résistent en s’unissant au Seigneur. Ils vivent en famille, indépendants les uns des autres, se contentant de peu pour la nourriture comme pour le logement, et n’ayant aucune inquiétude terrestre. Ils sont fort peu attachés à la vie, étant persuadés qu’après leur mort ils vivront dans le Seigneur ; c’est pourquoi ils se contentent d’éloigner d’eux les cadavres et de les couvrir de branches et de feuilles d’arbres au lieu de les inhumer.
Les habitants de la planète de Vénus sont de deux sortes, les uns doux et humains, les autres cruels et féroces ; je n’ai pas vu ces derniers ; ce que j’en sais, je l’ai appris des anges. Ils m’ont dit que ces peuples aimaient la rapine, et surtout à en vivre. Ils sont d’une taille gigantesque, mais si stupides qu’ils ne pensent qu’à leurs troupeaux, à leurs brigandages, et à toutes les choses terrestres. Les habitants de l’autre partie de cette planète ont un tel degré de douceur et de bonté qu’ils sont constamment dans l’amour du bien ; et c’est pour cela qu’ils voient fréquemment le Seigneur sur leur terre, et sous une forme angélique.
Les habitants de la lune sont petits, comme des enfants de six ou sept ans, et ils ont la force d’un homme de notre taille. Leur voix est bruyante comme le tonnerre ; elle part de l’abdomen, parce que la lune n’est pas dans une atmosphère semblable à celle des autres terres ; ces hommes correspondent et représentent dans le très-grand homme le cartilage nommé Xiphoïde.
J’ai été transporté en esprit dans un grand nombre de terres astrales ; si l’on doute que cela soit possible, qu’on se rappelle ce que j’ai dit sur les distances dans l’autre vie. Elles ne sont relatives qu’à l’état intérieur. Ainsi ceux que le Seigneur dispose, ceux qu’il met dans le même état spirituel, sont dans le même lieu et dans la même société. Ayant été disposé intérieurement comme les esprits de ces terres, j’ai pu les connaître. J’ai vu, dans la première de ces terres astrales, des campagnes, des arbres et des animaux semblables aux nôtres. J’y ai vu deux époux, d’une belle figure et d’une belle taille. L’homme s’avançait d’un pas fastueux, la femme avait une démarche naturelle ; elle portait un large vêtement, fait de manière qu’elle y pouvait passer les bras, s’en couvrir toute entière, et s’en dépouiller facilement ; son mari était vêtu de même. Ces habitants sont instruits par un ange même, touchant le Seigneur, qu’ils n’osent adorer ; ils s’efforcent de lui plaire par la justice et l’innocence.
Les habitants de la seconde terre diffèrent peu de ceux de la première. Leur séjour est très-élevé, et ils correspondent à la prunelle de l’œil dans le très-grand homme. Ils ne connaissent point les institutions politiques ; ils vivent en familles, non point dans des maisons de pierre ou de bois, mais dans des bosquets où ils pratiquent des cases entre les branches pour se mettre à l’abri de la pluie et du soleil. Ce soleil est une petite étoile située près de l’équateur. J’ai vu une de leurs femmes portant une robe tissue des fibres de quelques plantes imbibées d’une eau glutineuse et colorée avec des sucs d’herbes ; sur cette robe on avait peint des roses de différentes couleurs. Ces peuples adorent Dieu visible et invisible ; visible sous la forme humaine et invisible sous toutes les formes de la nature ; ces formes sont belles dans cette terre, et les objets, parés des plus belles couleurs. Enfin ces peuples ne connaissent point la polygamie ; il y a parmi eux quelques prostituées, qui après leur mort deviennent des magiciennes condamnées aux enfers.
Les habitants de la troisième terre astrale oublient le corps pour ne s’occuper que de l’esprit ; ils songent toujours que le corps périra et que l’esprit sera éternel. Leurs temples sont dans les bois, uniquement formés des troncs et des rameaux des arbres, mais arrangés avec tant d’art qu’il en résulte une beauté inexprimable. Leurs maisons sont des cases basses et oblongues ; un lit règne tout le long de la muraille, et l’un y dort après l’autre ; le fond vis-à-vis l’entrée est formé en demi-cercle ; la table pour les repas y est placée un peu en avant ; le foyer est derrière ; et la lumière qu’il répand, à l’aide d’un bois lumineux, éclaire toute la case. Ces hommes ont un commerce immédiat avec les anges et avec les esprits.
Les habitants de la quatrième terre astrale sont les plus fidèles croyants, et les plus ardents défenseurs de l’humanité de Dieu, qui les en récompense en leur envoyant souvent des bons esprits et des anges. Ces hommes conversent avec eux, ils les prennent pour des hommes ordinaires, et ils ne s’aperçoivent de leur erreur que quand ces anges disparaissent à leurs yeux. Un homme de notre terre, récemment arrivé dans le monde des esprits et qui durant sa vie n’avait pas voulu croire que les globes du firmament fussent habités, se trouva, par la bonté de Dieu, dans un état tel qu’il pouvait apparaître aux habitants de cette terre astrale comme l’un d’eux. Il y a, et j’ai vu parmi eux, quatre espèces d’hommes. Les premiers sont vêtus, les seconds nus et d’une belle carnation, les troisièmes nus aussi mais d’une couleur rouge enflammée ; les quatrièmes sont noirs ; l’esprit dont je viens de parler vit d’abord parmi les hommes vêtus une belle femme décemment vêtue d’une robe traînante, dont les manches descendaient jusqu’au poing, et sa tête était ornée d’une guirlande de fleurs. L’esprit l’ayant considérée attentivement, lui ayant pris la main en lui parlant, elle le reconnut pour un esprit étranger, et elle s’éloigna de lui. Il en vit d’autres, vêtues de la même manière et faisant paître leurs troupeaux. Des hommes parurent ; l’esprit fut obligé de quitter ce lieu ; il vint dans un autre, où il vit un mari et sa femme, les reins couverts d’une espèce de ceinture en forme de jupon, et la tête environnée d’un voile ; ces deux époux dirent à l’esprit que l’amour conjugal faisait leur bonheur, et qu’entre eux ils en reconnaissaient le degré à l’air du visage et dans les gestes.
J’ai vu aussi les logements des habitants de cette terre ; ils sont plus longs que larges, percés des deux côtés d’autant de fenêtres qu’il y a de chambres. La porte est à l’extrémité, et le toit arrondi au sommet ; il est de gazon, et les murs sont de terre. J’ai vu leurs enfants réunis, formant une société sous leurs yeux. J’ai vu dans cette terre des arbres, des fruits, des fleurs, et des champs aux approches de la moisson. Le soleil qui l’éclaire et qui nous paraît comme une étoile ressemble dans cette terre à une flamme qui a le quart du disque de notre soleil. L’année est de 215 jours et 15 heures.
Les habitants de la cinquième terre astrale vivent dans des maisons basses, construites en bois, et dont le toit est plat. Il y a un appartement pour la femme et son mari, un autre pour les enfants, un autre pour les domestiques ; ils ne vivent que de lait coupé avec de l’eau ; ils vont nus et ne connaissent pas la honte attachée parmi nous à la nudité. Les filles parvenues à l’âge nubile ne sortent plus de la maison paternelle. Un certain jour de l’année elles l’assemblent toutes, sous les yeux de leurs parents, dans une maison publique où les garçons font leur choix sur la physionomie qui, chez ces peuples bons et purs, est toujours l’image de l’âme.
DES SAVANTS ET DES SIMPLES DANS LE CIEL 111.
ON croit que les savants seront élevés dans le ciel au-dessus des simples, parce que Daniel a dit : (12 : 3) Les intelligents seront éclatants de lumière ; et ceux qui auront disposé les autres à la justice brilleront éternellement comme les étoiles. Peu de gens savent ce qu’il faut entendre par les intelligents et les disposants. Le vulgaire croit que ce sont les savants et les docteurs qui ont écrit, prêché, enseigné ; mais ces hommes n’ont eu, le plus souvent, que l’intelligence du monde ; et l’intelligence céleste dont parle le prophète Daniel est toute autre chose ; elle a sa source dans l’amour du vrai, pour le vrai, sans aucun égard pour la gloire du monde, ni même pour la gloire qui nous est réservée dans les cieux. Ceux qui ont cette intelligence sont pénétrés et ravis des charmes du vrai divin ; ils sont dans la lumière céleste, laquelle n’entre que dans l’intérieur de l’esprit, parce que cet intérieur seul a été forme pour la recevoir. Sitôt qu’elle y est entrée, elle le béatifie, parce que tout ce qui est influé du ciel et reçu porte avec soi son charme. Cette pure affection du vrai pour le vrai est donc l’intelligence céleste ; et ceux qui l’auront possédée brilleront dans le ciel d’une lumière infinie ; ceux au contraire qui sont dans l’amour du vrai en vue de la gloire du monde ou de la gloire du ciel, ceux-là ne brilleront point dans le ciel, parce qu’ils n’auront point été dans l’affection et dans le charme de la lumière céleste, mais seulement dans le charme de la lumière du monde, laquelle n’est que ténèbres. Quand la gloire mondaine est la fin, l’homme ne considère que lui, il rapporte à lui-même les choses divines ; le vrai n’est pour lui qu’un moyen, un instrument ; il détourne son intelligence de Dieu pour la rapporter à lui, et il n’est éclairé que de la lumière du monde. Aux yeux des hommes il paraît savant, parce que l’orgueil qui le pousse lui enseigne à simuler, à jouer l’affection céleste ; il a l’extérieur d’un sage ; mais son intérieur, que les anges découvrent, est l’opposé de la sagesse.
Par ceux qui auront disposé les autres, il faut entendre ceux qui sont dans le bon divin ; et ceux-là y sont qui font passer le vrai divin dans leur vie, c’est ainsi qu’il devient le vrai de l’amour et de la volonté ; or, tout ce qui est de l’amour et de la volonté est le bon ; les hommes qui sont ainsi se nomment les sages, parce que la sagesse est de la vie. Les intelligents sont ceux qui placent le vrai dans leur mémoire et qui l’en tirent pour le faire passer dans leur vie ; ceux-là sont au-dessous des autres dans le ciel spirituel ; mais les anges du ciel intime, ou troisième ciel, ne tirent rien d’eux-mêmes, tout leur vient du Seigneur, et c’est d’eux qu’il est dit en St Matthieu : (13 : 43) Dans le royaume de mon père, les justes brilleront comme le soleil. Ils brillent comme le soleil, parce qu’ils sont dans l’amour du Seigneur, par le Seigneur ; la lumière qui les éclaire est une lumière de flamme, parce que leurs pensées dérivent de leurs affections.
Tous ceux qui dans le monde ont acquis l’intelligence et la sagesse sont admis dans les cieux selon leur degré d’amour pour le bon et pour le vrai. Ceux qui ont beaucoup aimé sont, dans le ciel, les sages, les savants, et ils sont au plus haut point de félicité ; ceux qui ont moins aimé sont les simples, et ils habitent le ciel inférieur ; c’est ce qu’il faut entendre par ces paroles en St Matthieu, 13 : 12 : On donnera beaucoup à celui qui a déjà, afin qu’il ait davantage. Et en St Luc, 6 : 38 : On remplira, on pressera, on comblera la mesure dans le sein du juste.
Dans le monde on croit que ceux qui ont le plus étudié les saintes Écritures ou les sciences sont ceux qui connaissent mieux le vrai ; on se trompe : la véritable science consiste à connaître le bon et le vrai, le mal et le faux, par la perception intérieure. Dans tout homme il y a l’intérieur et l’extérieur ; l’intérieur ne peut se former que dans le ciel, l’extérieur se forme dans le monde ; quand l’intérieur est formé dans le ciel, il correspond avec l’extérieur, il y influe, il le forme, et alors les deux hommes, l’intérieur et l’extérieur, ne font qu’un. Cette opération, qui est la régénération et le salut, a lieu dans tous ceux qui s’adressent sincèrement au Seigneur et qui croient que tout bien vient de lui.
La fausse science, la fausse sagesse est celle qui ne discerne pas, à la lumière intérieure, le bon et le vrai d’avec le mal et le faux ; c’est celle des hommes qui estiment le bon et le vrai, le mal et le faux, sur la parole d’autrui. Ces faux sages peuvent se confirmer dans le faux comme dans le vrai, parce qu’ils jugent par l’extérieur, et l’extérieur peut voir dans le faux l’apparence du vrai. Le faux peut briller aux yeux de l’homme extérieur ; mais n’étant pas éclairé de la lumière du ciel, il ne peut briller dans l’homme intérieur.
Parmi ceux qui jugent le bon et le vrai, le mal et le faux, d’après la parole et le jugement d’autrui, il ne faut pas compter ceux qui dans la jeunesse ont adopté comme vrai ce que leurs maîtres leur ont enseigné. Lorsque leur entendement est formé, lorsque pensant par eux-mêmes ils désirent le vrai et le cherchent, ils le voient, ils en éprouvent le charme. J’en ai vu un exemple dans le monde des esprits. Quelques-uns se demandaient pourquoi les animaux naissaient dans toute la science convenable à leur nature, tandis que l’homme naît dans une ignorance absolue ; on leur répondit : C’est parce que les animaux sont dans l’ordre de leur vie ; mais l’homme n’y est pas ; il doit être introduit dans cet ordre par l’intelligence. S’il naissait dans cet ordre, qui est l’amour de Dieu et du prochain, il naîtrait dans toute la science convenable à sa nature. Les bons esprits comprirent cela tout de suite ; mais les méchants esprits, qui avaient eu la foi sans charité, ne le comprirent pas.
La fausse sagesse est celle qui n’est pas fondée sur la connaissance et sur l’amour de Dieu. Les faux sages n’ont formé et éclairé en eux que l’ultimum de la vie de l’homme, le dernier degré de l’âme, inhérent au corps. Ils ont la science des sens, ils pensent dans l’extrémité d’eux-mêmes ; on les nomme spirituels, et ils ne sont que sensuels. La physique, la philosophie, la littérature, l’histoire, les langues, toutes ces sciences sont matérielles dans l’homme qui ne les fonde pas sur Dieu et ne les rapporte pas à Dieu ; toutes ces sciences restent dans la mémoire, et ne s’élèvent pas jusqu’à l’intelligence, laquelle n’en profite pas, conséquemment ; elle reste fermée à la lumière du ciel, l’intérieur ne dirige pas l’extérieur, et ce savant si vanté n’est pas vraiment intelligent, n’est pas même un homme 112.
J’ai vu dans le monde des esprits plusieurs de ces fameux savants, qui n’avaient confessé Dieu que de bouche. Ils étaient si stupides qu’ils ne comprenaient pas la plus simple vérité morale ; la lumière céleste les tourmentait si cruellement qu’ils ne pouvaient la supporter. Leur intérieur, qui paraît noir et comme ossifié, adopte les faussetés les plus absurdes ; j’ai vu ces prétendus savants se vautrer dans des marais infects, où ils s’élèvent les uns au-dessus des autres, où, dans les accès de leur jalousie et de leur orgueil, ils se croient et se nomment des dieux.
Tout ce qui n’est pas dans l’homme intérieur par influence céleste est dans la mémoire naturelle ; tout ce qui est dans la mémoire naturelle est immédiatement uni aux sens et suffit pour acquérir ce que le monde nomme science, pour en parler éloquemment.
Les sciences sont bonnes quand on en fait un bon usage ; elles apprennent à penser, elles sont la base sur laquelle s’élève la vie civile, morale, et spirituelle ; elles ouvrent l’intérieur, et l’unissent, par le bon usage, à l’extérieur. Dans l’homme qui acquiert les connaissances humaines pour la vie éternelle, le spirituel vient au-devant du naturel, et là il choisit, il adopte ce qui lui convient, et il le fait passer, il l’implante dans la volonté, dans l’amour de l’homme ; alors les usages de la vie spirituelle élèvent les sciences naturelles, Dieu les attire à lui et les sanctifie.
La science, l’intelligence, et la sagesse sont trois filles (distinguées l’une de l’autre) de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain.
Les sciences peuvent s’unir au bon et au vrai, mais elles n’en sont pas les réceptacles. Il est contre l’ordre de vouloir entrer dans la foi par la science ; ceux qui prennent cette voie sont insensés, ils parlent du vrai sans le comprendre, et ils tombent dans le faux du mal.
Les raisonnements contre la foi sont spécieux, vifs, et faux, parce que l’intérieur n’y est pour rien, parce qu’ils tiennent de l’apparence, de la violence, et de l’erreur des sens.
On ne peut bien juger les sciences humaines sans savoir qu’il y a deux hommes en nous, l’intérieur et l’extérieur, qui ne font qu’un dans la vie spirituelle, dans l’homme religieux ; mais ils sont séparés dans le savant selon le monde ; ce savant est purement extérieur, comme son savoir ; et son intérieur ne sert qu’à lui conserver la vie.
Les sciences ne servent à rien dans l’autre monde ; l’homme n’y conserve que les connaissances qu’il a employées à découvrir le vrai spirituel, qui est Dieu.
DES MARIAGES DANS LE CIEL, ET DE L’AMOUR CONJUGAL CÉLESTE 113.
TOUS les anges ont été hommes ; après la mort ils sont hommes encore. Dans les cieux, comme sur la terre, il y a des mâles et des femelles. L’homme a été fait pour la femme, et la femme pour l’homme, l’amour doit les unir éternellement, et il y a des mariages dans le ciel ; mais le mariage céleste, bien différent du terrestre, est l’union de deux en un même esprit et une même âme, c’est le mariage de l’intelligence et de la volonté, du bon et du vrai. Ce mariage tire son origine de la création de l’homme ; l’homme pense d’après son entendement ; la femme est plus livrée à sa volonté, d’où ses pensées dérivent. On en voit la preuve dans la différence des corps et des caractères des deux sexes. La forme extérieure de l’homme est sévère, noble, et forte ; celle de la femme est douce, gracieuse, et faible. L’homme et la femme sont doués d’entendement et de volonté ; mais l’entendement domine dans l’homme, et la volonté dans la femme. Cette domination n’existe plus dans le ciel. La volonté particulière à la femme devient commune à l’homme ; et l’intelligence de l’homme se communique à la femme ; leurs âmes sont confondues dans cette union intime qui, dans les cieux, s’appelle l’amour conjugal, source de félicité immense, mais toujours relative au bon et au vrai des deux époux, à leur état intérieur d’amour et de sagesse. L’amour conjugal, dans sa perfection, ne se trouve que dans le ciel, où il est le mariage du bon et du vrai. Dieu y réunit toujours celui et celle qui pensent de la même manière, et dans la société qui leur convient le plus. Comme nous aimons toujours ce qui nous ressemble et que dans le ciel un ange lit dans l’intérieur d’un autre à la simple inspection, on s’aime au premier abord et on unit les cœurs et les esprits, ce qui fait le mariage suivant les décrets de Dieu, qui arrange tout dans le ciel et sur la terre, où l’on dit communément que les bons mariages sont écrits dans le ciel : cette façon de parler, cette idée est influée du ciel.
De cette explication du mariage céleste, qui est le mariage de l’entendement et de la volonté, du bon et du vrai, il ne faut pas inférer que les époux célestes ne connaissent pas la volupté : tous les habitants des cieux sont hommes ; les anges époux sont mâles et femelles ; le penchant à se réunir, imprimé par la création, existe dans les corps spirituels des anges comme dans les corps matériels des hommes de ce monde ; les anges des deux sexes sont toujours dans le point le plus parfait de beauté, de jeunesse, et de vigueur ; ils ont donc les dernières voluptés de l’amour conjugal, et bien plus délicieuses que les mortels ne peuvent les avoir, parce que les sens du corps spirituel sont incomparablement plus parfaits, et que leur délicatesse, jointe à leur vigueur éternelle, n’admet point la fatigue ni le dégoût. Ces unions délicieuses ne produisent point d’enfants, mais des fruits spirituels d’amour et de sagesse, qui sans cesse augmentent le bonheur des époux.
L’amour conjugal est la divinité du Seigneur, puisqu’il est l’union du bon et du vrai ; et les délices de cet amour sont telles que les époux les plus unis sur la terre, les plus vertueux, n’en connaissent pas les moindres.
Les mariages célestes sont célébrés par des fêtes, des cérémonies merveilleuses, et relatives à l’état d’amour et de sagesse des deux époux.
La polygamie, l’adultère, et l’incontinence, sont des crimes inconnus et impossibles dans les cieux.
Les époux qui sur la terre ont vécu dans l’amour conjugal se reconnaissent dans les cieux et peuvent y contracter le mariage céleste, si leur degré d’amour et de sagesse est égal.
Le mariage céleste est l’image et la correspondance du mariage du Seigneur et de l’Église, dont il est tant parlé dans l’Écriture.
Il n’est point étonnant que les anges, qui sont hommes, qui sont mâles et femelles, avec un corps et des sens spirituels, se marient. Il n’est point étonnant que l’amour conjugal forme et augmente sans cesse la félicité des anges, parce que Dieu est amour ; tout est amour ; et sur la terre même l’amour purifié, c’est-à-dire l’amour conjugal, est le plus grand bonheur des mortels.
Le mariage des anges est éternel, comme leur existence ; il se perfectionne, il produit toujours de nouvelles délices et de nouveaux fruits d’amour et de sagesse.
Le bon et le vrai sont le tout de la création ; ils se trouvent dans tous les êtres créés, et ils ne peuvent exister qu’ensemble ; il n’y a point de bon solitaire, ni de vrai solitaire, et tous les deux tendent à se réunir dans tous les êtres. Le Seigneur, qui est amour et sagesse, ou le bon et le vrai réunis, le Seigneur influe ces deux qualités à toutes ses créatures, selon leur ordre et leur forme. Il a rendu le bon nécessaire au vrai et le vrai nécessaire au bon ; cela se voit dans le spirituel et dans le corporel, qui lui correspond ; la volonté, qui est l’amour ou le bon, n’est dans l’ordre que quand elle est unie à l’entendement, qui est la sagesse ou le vrai ; le cœur, qui correspond à la volonté, ne vit que par le poumon, qui correspond à l’entendement.
L’homme et la femme ont été créés pour être la forme du bon et du vrai. Dans son intérieur, l’homme est entendement, ou sagesse ; dans son intérieur la femme est volonté, ou amour. Le penchant à se réunir dans le spirituel a son effet et sa correspondance dans le penchant naturel. La femme fut créée de l’homme, elle est la forme de la sagesse ; inspirée par l’amour, elle est l’amour de la sagesse de l’homme ; et l’amour de la sagesse est la beauté ; l’homme est la sagesse ; la femme est la vie de la sagesse. Les deux intérieurs doivent donc se réunir et se confondre pour remplir leur destinée, pour être dans l’ordre.
Le Seigneur prit la beauté et l’élégance de la vie de l’homme, et il la transporta dans la femme ; quand l’homme n’est pas réuni à cette beauté, à cette élégance de sa vie, il est sévère, triste et farouche ; quand il y est réuni, dans son épouse, il est agréable, joyeux et aimable. La femme fut créée la beauté, non pour elle, mais pour son mari, pour amollir sa dureté, adoucir son humeur, échauffer son cœur, et pour être avec lui une seule chair.
Dans l’univers, rempli de beautés, il n’y a rien de si beau qu’une femme belle et vertueuse ; elle a été créée telle, afin que son époux rendit grâce à la munificence du Seigneur, qui lui donne tant d’amour et de beauté, et afin qu’elle, de son côté, rendît grâce au Seigneur, qui lui procure, par son époux, la sagesse.
Le penchant naturel d’un sexe pour l’autre est invariable et éternel, parce qu’il vient de l’intérieur, qui est de Dieu. Tout ce que la vie de l’homme a d’agréable est le charme de son amour ; et le plus grand de tous ces charmes est l’amour légitime du sexe, l’amour conjugal. Comme une source vive qui inonde l’intérieur, cet amour se répand de la volonté dans l’entendement, et de là dans le corps, qui est leur instrument. Cet amour passe du degré céleste dans le degré spirituel, et de celui-ci dans le naturel. Il devient plus sensible lorsque de l’affection et de la perception il descend dans l’usage, qui le réalise (comme toutes les pensées de l’homme, lequel est ici-bas dans l’usage) lorsque par les sens cet amour est réduit en un acte auquel un grand charme est attaché, parce que cet acte est le but de la création, le moyen que Dieu a choisi pour multiplier ses images et pour peupler le ciel.
L’amour conjugal, qui vous paraissait si vif dans ces deux jeunes époux passionnés l’un pour l’autre quand ils se sont unis, cet amour s’affaiblit sensiblement et s’éteint, parce qu’il n’était point le vrai amour conjugal, il n’avait pas sa source dans l’intérieur, mais dans l’extérieur ; ces deux époux sont dans le degré naturel, ils ne sont pas dans le bien ; et Dieu, qui seul influe l’amour conjugal, puisque cet amour est le bon et le vrai, Dieu ne peut influer que dans le bien. Le penchant mutuel des deux sexes, le désir des voluptés, n’est pas la cause de l’amour conjugal, il n’en est que l’effet. Or, dans ces deux jeunes époux il n’y avait point de cause, conséquemment point d’effet, point de véritable amour conjugal ; ce couple, si passionné d’abord, était dans le degré purement naturel, et le naturel se dégoûte, se fatigue ; telle est son essence.
Dieu étant le bon et le vrai réunis, l’homme, qui est son image, est donc aussi le bon et le vrai, dans son ordre. L’amour conjugal, étant le mariage du bon et du vrai, existe comme l’homme, et avec lui. Cet homme, après avoir ici-bas dépouillé son enveloppe terrestre, ne peut perdre la vie, qui est de Dieu et en Dieu ; il ne peut perdre la forme de la vie, la forme humaine, qui est celle de Dieu même. Les anges seront donc éternellement hommes, mâles et femelles, maris et femmes ; ils conserveront éternellement leur penchant à se réunir, parce que cette union est le mariage du bon et du vrai, lequel est de Dieu et éternel comme lui ; pour accomplir cette union, les hommes ont dans le ciel un intérieur et un extérieur, comme sur la terre. Leur forme humaine matérielle et terrestre est l’empreinte de leur forme humaine substantielle et spirituelle, elle en est l’effet ; or, il n’y a point d’effet sans cause, Dieu ne fait rien en vain, et ses œuvres sont éternelles.
L’amour conjugal est, comme nous avons dit, la forme représentative du bon et du vrai réunis, c’est leur mariage constant entre deux époux, dont l’un représente le Seigneur et l’autre l’Église ; le mâle est le vrai du bon, ou le vrai par le bon ; la femelle est le bon du vrai, ou le bon par le vrai ; tous les deux tendent à se réunir, parce qu’ils ont été formés l’un de l’autre. L’amour de la sagesse vient de la sagesse.
Dans son origine et dans sa correspondance, l’amour conjugal est céleste, spirituel, saint et pur. Toutes ses voluptés sont saintes et pures, parce que le naturel dérive du spirituel ; il en est la forme et l’effet, d’où l’on peut conclure que le véritable amour conjugal n’est donné qu’à ceux qui sont dans le bon et dans le vrai par le Seigneur.
Les animaux, qui ont une portion de vie ou d’amour provenant de Dieu, les animaux ont l’amour du sexe, parce qu’ils sont dans le degré naturel ; mais ils n’ont pas l’amour conjugal, parce que cet amour est dans le degré spirituel.
Quand l’amour conjugal existe entre deux époux, il attire à soi l’amour du sexe, le purifie, et le rend chaste. Il y a trois choses dans l’homme : l’âme, qui est le premier degré, l’esprit, qui est le second, et le corps, qui est le troisième. L’amour conjugal est l’union des âmes, la jonction des esprits, et l’effort ou la tendance à l’union des cœurs, laquelle se perpétue et se termine dans l’union des sens.
L’état de l’homme et de la femme change depuis l’enfance jusqu’à la mort, mais d’une manière différente ; l’homme élève son esprit dans la lumière supérieure ; la femme élève son esprit dans la chaleur supérieure. Les deux esprits se forment ensemble ; mais celui de la femme se forme par l’amour du mari, et d’une manière qui lui est cachée ; voilà pourquoi il est écrit que la femme fut créée pendant le sommeil de l’homme. La femme s’approprie les affections de son mari, qu’elle ressent avec délices ; elle veut être l’amour de la sagesse de son mari.
Les enfants dont les parents sont dans le vrai amour conjugal ont en eux le mariage du bon et du vrai ; le fils conçoit aisément tout ce qui est de la sagesse ; la fille aime tout ce que la sagesse enseigne.
L’amour conjugal, unissant les esprits, les perfectionne et les dirige vers l’éternité, parce que l’éternité est dans cet amour ; et cet amour, passant des affections de l’épouse dans la sagesse de l’époux, croît à un tel point qu’il ne peut s’occuper que de l’éternité.
L’amour conjugal est dans toutes les épouses chastes, mais il y est comme en réserve, et il dépend toujours des maris. Les femmes n’aiment le lien conjugal que quand les hommes l’aiment.
L’influence qui descend du Seigneur dans toutes ses créatures et qui les conserve après les avoir formées, cette influence du bon et du vrai est une sphère conjugale, c’est-à-dire une sphère de réformation, de paix et d’innocence, de défense et de propagation, de miséricorde et de grâce. Cette sphère conjugale influe par les anges qui sont dans le parfait amour conjugal du mariage céleste, elle influe ici-bas dans la femme, qui la reçoit immédiatement du monde spirituel et la communique à son mari, mais non pas réciproquement, et l’époux ne peut recevoir cette influence que de son épouse.
Celui qui respecte et qui désire l’amour conjugal le trouve au moins dans le ciel ; le Seigneur y pourvoit à la félicité des mariages, comme il y pourvoit sur la terre, où nous voyons qu’un jeune homme et une jeune fille se rencontrent comme par hasard et se conviennent au premier coup-d’œil ; le jeune homme dit : voilà ma femme ; la jeune vierge dit : voilà mon mari : ils se parlent, ils se plaisent mutuellement, et ils finissent par s’épouser ; on croit que c’est un coup du sort, tandis que c’est un effet de la providence.
L’amour conjugal ne peut exister entre un homme et plusieurs femmes, entre une femme et plusieurs hommes ; il ne peut exister entre deux époux dont l’un est bon et l’autre méchant ; il ne peut exister entre deux époux de religion différente ; il ne peut exister qu’entre les membres de la véritable Église du Seigneur, parce qu’il représente le Seigneur et son Église. Il est encore impossible qu’il se trouve dans des mariages uniquement formés par des vues terrestres, parce que le faux s’y trouve conjoint avec le vrai : dans le ciel les mariages ne se font que dans la même société d’anges, afin que l’accord y soit plus parfait, afin que le bon et le vrai s’y trouvent au même degré. C’est aussi pour cela qu’il fut ordonné aux Israélites de se marier dans leur tribu seulement.
J’ai vu dans les cieux l’amour conjugal représenté par une vierge d’une beauté inexprimable environnée d’un léger nuage blanc, parce que l’amour conjugal fait l’éclat et la beauté des anges et que le ciel même, avec toutes ses délices, y est représenté par l’amour conjugal. On le croira sans peine si l’on veut se rappeler que même dans ce monde tout plaît quand on aime, tout est aimable, tout est bien.
Dans le sens spirituel de l’Écriture sainte, les termes jeune homme et homme signifient l’intelligence du vrai ; les termes vierge et femme signifient l’affection du bien.
Dans le ciel on ne dit pas mari et femme mais époux et épouse pour désigner la conjonction de leurs âmes, afin d’exprimer l’union de leur amour pour le bon et pour le vrai. Les deux époux s’appellent entre eux d’un nom angélique qui exprime l’idée de bien mutuel.
Les premiers hommes vécurent dans la perfection de l’amour conjugal. Nous n’en avons point le tableau parce que dans ces premiers âges, nommés l’âge d’or, l’âge d’argent, et l’âge de cuivre, on n’écrivit point. Les premiers historiens sont de l’âge de fer ; c’est ce que j’ai appris des anges même qui, par une grâce spéciale du Seigneur, m’ont fait voir en esprit, mais toutefois réellement, et en pleine veille, des époux des premiers siècles, qui habitent sur une montagne, dans les cieux, entre l’Orient et le Midi.
Les époux qui violent ou qui méprisent l’amour conjugal s’approchent de la nature des bêtes ; ils sont, comme elles, purement naturels et corporels.
L’opposé de l’amour conjugal se trouve dans les enfers, dont les habitants détestent le bon et le vrai, préférant à cette union délicieuse la discorde et les sales voluptés ; l’amour conjugal corrompu et détourné de sa fin est le feu infernal. On m’a fait voir comment les plaisirs du véritable amour conjugal conduisent au ciel et comment la débauche et l’adultère mènent à l’abîme. J’ai vu la route de l’amour conjugal dirigée vers le ciel ; les joies et les béatitudes y étaient innombrables, et continuaient en augmentant jusqu’au ciel supérieur, jusqu’au ciel de l’innocence, où elles sont ineffables. La route opposée avait sa direction vers les enfers : je n’y vis que des choses hideuses, effrayantes, et infectes. Les adultères paraissent rongés d’ulcères, tout leur corps est livide, et ils vivent dans des lieux immondes. L’adultère est une profanation ; celui qui le commet profane une chose sainte, le mariage. Le crime d’adultère est toujours joint à celui de cruauté et d’impiété ; la débauche est la corruption, l’avilissement du spirituel ; l’adultère est, comme nous avons dit, une profanation ; c’est pour cela que dans l’Écriture l’idolâtrie est toujours nommée adultère, et l’oubli de la parole de Dieu, débauche.
Celui qui pourra, avec une volonté et une intelligence pure, méditer, désirer le véritable amour conjugal, y verra la création expliquée, le type de toutes les merveilles, la cause de tous les effets, la source de toute félicité sur la terre et dans le ciel ; enfin l’amour conjugal est le tout de Dieu et des hommes, puisqu’il est le bon et le vrai, la divinité du Seigneur dans le ciel.
Il est dit, en St Luc (20 : 35) : Dans le ciel il n’y a point de noces, ni de mariage, ni d’épouses. Ce passage doit s’entendre des noces spirituelles ; cela est prouvé par ce qui suit. Ceux qui entrent dans le ciel sont anges, enfants de Dieu, et ils ne peuvent plus mourir. Par les noces spirituelles il faut entendre la conjonction de l’homme avec le Seigneur, laquelle se fait sur la terre ; et quand elle y est faite, elle est faite aussi dans le ciel ; c’est pourquoi il est dit qu’elle n’y est pas répétée, qu’il n’y a point de noces dans le ciel. Toutes les paroles du Seigneur renferment un sens interne et spirituel, et dans ce sens le Seigneur est l’époux, dans ce sens faire des noces signifie s’unir au Seigneur, entrer aux noces signifie être reçu dans le ciel ; les enfants des noces sont les bons ; et le Seigneur termine souvent ses paraboles tirées des noces en parlant positivement de lui-même. Veillez donc, dit-il en St Matthieu, 25 : 13, parce que vous ne savez pas ni le jour ni l’heure où le fils de l’homme viendra.
Vision 114.
TRANSPORTÉ en esprit dans les cieux, j’entendis un jour, au lever de l’aurore, des vierges qui chantaient l’affection de l’amour conjugal ; un ange me dit que toute la cité était dans la joie, que dans quelques heures une noce serait célébrée, et il m’offrit de m’y conduire ; j’acceptai. Quand le moment fut arrivé, il me dit de me préparer, de m’habiller ; je revêtis la robe céleste qui tout à coup parut briller d’une lumière de feu ; je demandai pourquoi ; l’ange me répondit : « C’est parce que vous allez assister à une noce ; dans cette circonstance nos robes brillent et deviennent nuptiales. »
L’ange me conduisit dans la maison où la noce devait être célébrée ; je fus reçu amicalement par celui qui présidait à la cérémonie, et il me plaça sur un siège marqué pour moi ; bientôt on me pria d’entrer dans la première chambre, dans celle qui précédait la chambre nuptiale. J’y vis, au milieu, une table sur laquelle était placé un magnifique chandelier d’or à sept branches. Les murs étaient garnis de lustres d’argent qui, étant allumés, firent paraître l’atmosphère comme d’or. Aux deux côtés du chandelier, sur deux crédences, on avait rangé des pains en ordre triple, et il y avait des verres de cristal sur des tables placées dans les quatre angles de l’appartement.
J’examinais tontes ces beautés, lorsque d’un cabinet voisin de la chambre nuptiale je vis sortir six vierges, suivies de l’époux et de l’épouse qui, se tenant par la main, s’avancèrent vers une estrade auprès du candélabre et s’y placèrent, l’époux à la gauche, l’épouse à la droite, ayant près d’elle les six vierges. L’époux, ayant une tiare sur la tête, avait un manteau pourpre et une tunique de fin lin d’une blancheur éclatante, avec un éphod que rattachait une lame d’or entourée de diamants, sur laquelle était gravé un aiglon, le signe nuptial de cette société. L’épouse, portant sur la tête une couronne d’or enrichie de rubis, était vêtue d’un manteau écarlate, par-dessus une robe brodée qui lui descendait depuis le cou jusqu’aux pieds, et qui, sous la poitrine, était serrée par une ceinture d’or. Quand ils furent assis, l’époux se tourna vers l’épouse, il lui passa au doigt un anneau d’or, il lui attacha un collier de perles, puis des bracelets, lui disant : « Recevez ces gages » ; elle les reçut ; il l’embrassa, et lui dit : « Maintenant vous êtes à moi », et il l’appela sa femme. Chacun des assistants dit, à part soi, qu’ils soient bénis ! et tous le répétèrent ensemble. Un envoyé du prince le dit aussi pour lui ; et à l’instant une fumée aromatique, signe de la bénédiction céleste, remplit l’appartement ; deux serviteurs prirent sur les tables des pains, des verres pleins de vin ; ils présentèrent à tous ceux qui étaient présents un pain et un verre de vin ; chacun ayant bu et mangé, le mari et la femme se levèrent ; les six vierges, portant devant eux des lampes d’argent allumées, les accompagnèrent jusqu’à la porte de la chambre nuptiale ; ils y entrèrent, et l’assemblée se sépara.
Je demandai à l’ange conducteur l’explication et la signification de tout ce que je venais de voir ; il me répondit ainsi : « L’époux, maintenant le mari, représente le Seigneur ; et l’épouse, maintenant la femme, représente l’Église, parce que les noces, dans le ciel, représentent le mariage du Seigneur avec l’Église. C’est pour cela que l’époux avait une tiare sur la tête, un manteau, une tunique, un éphod comme Aaron ; et que l’épouse portait une couronne sur la tête et un manteau, comme une reine. Cette représentation n’est que pour aujourd’hui ; demain ils seront vêtus différemment. – Mais, dis-je à l’ange, puisque l’époux représentait le Seigneur, et l’épouse, l’Église, pourquoi le premier était-il à la gauche et celle-ci à la droite ? » L’ange me répondit : « Deux choses constituent le mariage du Seigneur et de l’Église : l’amour et la sagesse ; le Seigneur est l’amour, l’Église est la sagesse ; la sagesse est à la droite de l’amour, puisque l’homme de l’Église est sage comme de lui-même ; selon qu’il est sage, il reçoit l’amour du Seigneur ; la droite signifie la puissance, et la puissance de l’amour est dans la sagesse. Après la noce, la représentation change ; comme je vous ai dit, le mari représente la sagesse, et la femme, l’amour de la sagesse de son mari, mais cet amour n’est point l’amour primitif, c’est un amour secondaire que le Seigneur inspire à la femme par la sagesse du mari. L’amour du Seigneur, qui est l’amour primitif, est, dans le mari, l’amour de savoir ; c’est pourquoi après la noce le mari et la femme représentent ensemble l’Église. »
Je demandai pourquoi les hommes ne s’étaient point placés à côté de l’époux, comme les six vierges étaient placées à côté de l’épouse. L’ange me répondit : « C’est parce qu’aujourd’hui nous sommes tous comptés parmi les vierges ; leur nombre six signifie tout et le complet ; les vierges représentent l’Église. L’Église est composée des deux sexes ; nous sommes donc, quant à l’Église, des vierges ; aussi est-il dit dans l’Apocalypse, 24 : 4 : Voici ceux qui ne se sont point souillés avec les femmes : ils sont vierges, et ils suivent l’agneau partout où il va. C’est parce que les vierges signifient l’Église que le Seigneur l’a comparée aux six vierges invitées à la noce, Matth. 24 : 1. C’est parce qu’Israël, Sion, et Jérusalem signifient l’Église que cette Église est si souvent appelée dans l’Écriture la vierge, la fille d’Israël, de Sion et de Jérusalem. Le Seigneur décrit ainsi son mariage avec l’Église : La reine, placée à la droite, en habits brodés et tissus d’or, sera amenée au roi ; des vierges, ses amies, viendront après elle dans le palais du roi, Ps. 45 : 10 ad 16. »
Je demandai encore pourquoi à cette cérémonie je n’avais vu ni prêtre, ni ministre ; l’ange me répondit : « Il en faut sur la terre, mais non point dans le ciel, à cause de la représentation du Seigneur même et de l’Église ; c’est ce que les hommes ignorent. Parmi nous, le prêtre fait la cérémonie des fiançailles ; il reçoit le consentement des époux futurs, il le confirme et le consacre. Le consentement est l’essence du mariage ; ce qui suit en est la forme. »
DE LA FÉLICITÉ CÉLESTE 115.
LA félicité céleste découle de toutes les sources réunies que nous avons indiquées ; c’est un charme intérieur, spirituel, qui se répand dans toutes les pensées et dans toutes les actions. Dans le ciel, tout est félicité, car tout y procède de l’amour ; dans le ciel, comme sur la terre, on aime ce qui plaît, et l’on fait ce qu’on aime. Les joies du ciel sont innombrables et ineffables ; l’œil n’a point vu, dit St Paul, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais connu ce que Dieu prépare dans le ciel à ceux qui l’aiment. Dans le ciel, on jouit non-seulement de ce qui peut satisfaire l’esprit et le cœur, mais on a encore la satisfaction de communiquer son bonheur à tous et à chacun, et l’on jouit soi-même, par communication, du bonheur des autres ; voici comment toutes les joies célestes ont pour principe l’amour de Dieu et l’amour du prochain. L’amour de Dieu est communicable, parce que c’est l’amour qu’il a pour lui-même et pour tous les êtres, dont il veut la félicité ; tous ceux qui l’aiment ont le même amour communicatif, parce que le Seigneur, qui est en eux, se communique de leur intérieur à l’intérieur de tous les anges. L’amour du prochain est communicatif par sa nature, et parce qu’il est l’opposé de l’amour de soi et du monde. Dans cet amour céleste, l’ange est constamment affecté comme l’époux qui aime mieux mourir que de voir outrager sa femme, comme la mère qui aime mieux endurer la faim que de voir son enfant l’endurer, comme l’ami qui s’expose aux plus grands dangers pour son ami.
L’homme renaît homme après sa mort. Dieu n’a point créé d’anges ; il n’y a point d’ange qui n’ait été homme sur la terre ; la terre est le séminaire des anges, la pépinière du ciel ; ainsi l’ange, qui fut homme, en conserve la forme dans le ciel ; son corps, de substance spirituelle, mais corps réel et palpable, est pourvu de cinq sens, comme le nôtre, avec cette différence qu’ils sont bien plus parfaits, et il a toutes les jouissances (mais bien plus délicieuses) attachées à nos cinq sens. Tous les habitants des cieux sont toujours au printemps de leur vie ; et comme ils croissent en amour et en sagesse, ils croissent aussi en force et en beauté ; car l’ange a, comme nous, l’intérieur et l’extérieur ; or, celui-ci se forme sur celui-là.
Tous les goûts raisonnables qu’on eut sur la terre se conservent dans les cieux, pour le plus grand bonheur des anges, et ce genre de bonheur résulte de la correspondance que les choses naturelles ont avec les spirituelles. Dans le monde spirituel, l’homme esprit existe au milieu des objets correspondants à ses bonnes affections terrestres, parce qu’il les conserve. Cette vérité fut connue de toute l’antiquité. Virgile, dans le sixième livre de l’Énéide, qui n’est qu’un tableau des anciens mystères de l’Asie, ou la doctrine des correspondances, où la science se conserva quelque temps, Virgile, décrivant l’Élysée, dit que ses habitants y conservent, avec toute leur forme humaine, les goûts honnêtes qu’ils eurent sur la terre 116. Les Druides, dit Lucain, enseignaient que la mort n’était qu’un passage de cette vie à une autre. Nous vivons en effet dans le monde spirituel (soit le monde des esprits, soit l’enfer, soit le ciel) puisque nous y conservons la forme humaine dans toute sa perfection ; l’homme, considéré relativement à son intérieur, est un esprit, et l’esprit est un homme, sans cela il ne pourrait ni vouloir, ni penser, ni agir. Si le sujet de la volonté et de la pensée n’était pas une substance, il ne serait rien ; c’est l’esprit seul qui voit, qui sent, qui entend, etc. Le corps est le vêtement de l’esprit, c’est un instrument à l’usage de l’esprit, qui en fait mouvoir les ressorts à son gré ; l’homme n’est pas homme par son corps, mais par son âme. La forme de son corps a été prise sur celle de son esprit, par lequel il est homme. La vraie forme humaine est celle de l’âme, parce que l’homme, quant à son intérieur, a été créé sur la forme du ciel, qui est la divine humanité du Seigneur ; et c’est pour cela que l’homme est capable d’amour et de sagesse.
Pour me faire connaître ce que c’est que la joie céleste, le Seigneur m’a accordé la grâce de la sentir ; j’ai éprouvé ce que c’est que la félicité dans le ciel, mais je ne puis la décrire. Toutefois, pour tâcher d’en donner une idée, je dirai que c’est le sentiment de mille et mille voluptés qui n’en font qu’une ; que c’est l’harmonie des affections innombrables que l’on éprouve et qui sont tellement liées ensemble, tellement habituelles, qu’on ne les distingue pas. Ces affections découlent du ciel, selon leur ordre, leur filiation, et selon l’état intérieur de l’ange qui les ressent. Les plus petites choses, dans le ciel, en contiennent une infinité d’autres, régulièrement ordonnées ; dans le ciel tout vit, tout affecte, et tout est intime, parce que la joie céleste procède de l’intime. Dans cette épreuve ravissante, j’ai senti que toutes les délices partaient du cœur et se répandaient tellement dans toutes mes fibres que chacune d’elles n’était que volupté et que je vivais de volupté. Comparés à cet état, les plaisirs du corps sont ce qu’un brouillard infect et piquant est à l’air doux et pur du printemps.
Vision 117.
UN ange m’apparut un jour, venant de l’Orient et sonnant de la trompette vers le Septentrion, l’Occident et le Midi ; il était vêtu d’une robe flottante, ceint d’une écharpe ornée de saphirs, de rubis étincelants, et il se penchait en volant dans les airs ; descendu lentement sur la terre et l’ayant touchée, il y fit quelques pas ; puis, m’apercevant, il vint à moi, qui étais alors transporté en esprit sur une colline, dans la plage méridionale. « J’ai, lui dis-je, entendu le son de votre trompette ; je vous ai vu descendre du haut des airs ; dites-moi pour quel sujet. – Je suis envoyé, me répondit l’ange, pour assembler sur cette colline tous les sages du monde chrétien qui sont ici, et pour les interroger sur ce qu’ils pensent des joies célestes et du bonheur éternel. La cause de ma mission vient de ce que quelques habitants de votre monde, introduits parmi nous, ont assuré qu’il n’y avait pas sur la terre un seul homme qui eut l’idée des plaisirs que nous goûtons. On m’a ordonné de descendre dans ce monde des esprits, où les hommes viennent aussitôt après leur mort, d’y assembler les plus sages, et de savoir d’eux si l’ignorance des chrétiens sur la vie future est aussi profonde qu’on nous l’a dit. Attendez un moment, vous verrez arriver différentes troupes de ces sages ; le Seigneur préparera un asile pour les recevoir. »
Après avoir attendu une demi-heure, je vis deux bandes qui venaient du Septentrion, deux autres de l’Occident, et deux autres du Midi. À leur arrivée, l’ange les fit entrer dans une maison préparée pour eux, où leur place était marquée selon la plage qu’ils habitaient. À ces troupes, qui étaient au nombre de six, se joignit une septième, que l’éclat de l’Orient, où elle était placée, rendait invisible aux autres ; l’ange leur dit le motif de cette assemblée, et il les pria de s’expliquer par ordre. Les membres de chaque cohorte se rapprochèrent, rappelèrent leurs anciennes idées sur le bonheur éternel ; et après que tous se furent bien consultés, la première bande, venue du Septentrion, dit que le bonheur éternel était la vie du ciel, où l’on goûtait, sitôt qu’on y était admis, toutes sortes de délices, communes aux sens et à l’esprit, où toutes les perceptions et les sensations étaient ravissantes ; qu’ainsi la félicité du ciel était l’entrée dans le ciel.
La seconde bande du Septentrion dit que ce bonheur devait consister dans le charme de la société des anges, dans leur entretien toujours varié, toujours plein de douceur, de gaieté, et d’instruction.
La troisième bande, qui était la première arrivée de l’Occident, prétendit que la joie céleste ne pouvait être qu’une continuation de fêtes et de festins avec Abraham, Isaac et Jacob ; qu’on était assis avec eux à des tables où l’on trouvait les mets les plus délicats et les vins les plus précieux ; qu’à ces banquets succédaient des danses de jeunes garçons et de jeunes vierges, des concerts, enfin des spectacles à la fin du jour, et un second banquet ; que telle était la vie éternelle des célicoles.
La quatrième bande, qui était la seconde de l’Occident, dit qu’elle se représentait le ciel comme un jardin délicieux qui s’étendait de l’Orient à l’Occident, du Midi au Septentrion, produisant des arbres chargés de fleurs et de fruits exquis ; qu’au milieu était le bel arbre de vie, autour duquel les bienheureux étaient assis, parés de ses fleurs et nourris de son fruit ; que ces substances et ces odeurs, entretenues et renouvelées par la douce chaleur d’un printemps perpétuel, maintenaient ces hommes fortunés dans la fleur de l’âge et dans l’état où Adam et Ève étaient au moment de la création.
La cinquième bande, composée des plus spirituels de la plage méridionale, faisait consister le bonheur céleste dans la domination, dans les trésors et dans la magnificence d’une cour royale. Ils disaient qu’ils devaient régner dans le ciel avec le Seigneur, et, comme étant ses enfants, s’asseoir sur des trônes, gouverner des empires, et être servis par des anges. Ils se représentaient la magnificence du ciel d’après la description que l’Écriture fait de la nouvelle Jérusalem, dont chaque porte doit être une pierre précieuse qui sera pavée d’or et qui aura des murs de jaspe.
La sixième bande, qui était la seconde du Midi, ne pouvait imaginer d’autre bonheur dans le ciel que des fêtes religieuses, un culte saint mêlé de chants et d’harmonie, des processions, des cérémonies dans des temples magnifiquement illuminés et parfumés, enfin la constante élévation du cœur à Dieu, et la certitude que tous ces hommages lui sont agréables.
La septième cohorte, que son éclat rendait invisible aux autres, était une troupe d’anges de la société de celui qui avait sonné de la trompette. Dans leur ciel oriental ils avaient appris que leur félicité était tout-à-fait inconnue dans le monde chrétien et, s’en étant assurés par eux-mêmes, ils dirent à l’ange qui m’avaient entretenu : « Vous savez que dans le monde des esprits les hommes retrouvent les joies fantastiques et les jouissances dont ils avaient, sur la terre, composé le bonheur céleste ; que, reconnaissant ainsi le vide et le faux de leur imagination, ils se trouvent instruits et préparés pour le ciel. » À ces mots, l’ange qui avait sonné de la trompette dit à tous ceux qu’il avait rassemblés : « Suivez-moi ; je vais vous procurer la félicité que vous avez imaginée ; ensuite vous verrez le ciel. »
L’ange marcha devant eux et, prenant d’abord ceux qui avaient cru que le bonheur céleste était le charme des sociétés et des conversations angéliques, il les conduisit, du côté du Septentrion, dans une maison spacieuse, où étaient ceux qui sur la terre avaient pensé comme eux ; il y avait plus de cinquante appartements, divisés et distingués selon le genre des entretiens. On y parlait des intérêts des princes, des intrigues des cours, des affaires civiles, de la religion, de la morale, et des sciences. Je vis dans l’intérieur de la maison ces discoureurs essoufflés, courant de chambre en chambre, toujours avides de parler et d’entendre ; j’en vis qui définissaient les agréments du beau sexe, d’autres qui racontaient des aventures piquantes, et qui parsemaient leur récit de bons mots et de facéties qui les faisaient éclater de rire, eux et leurs auditeurs. Plusieurs me parurent empressés de sortir ; je les suivis et je les trouvai tristes, ennuyés, assis auprès de la porte orientale, qu’ils ne pouvaient ouvrir, non plus que les trois autres portes. « Il y a trois jours, me dirent-ils, que nous sommes dans cette maison. La monotonie de ces éternelles conversations nous assomme ; nous ne pouvons sortir ; et cette idée est notre supplice, parce qu’elle nous fait craindre une éternité d’ennui. » L’ange vint à eux et leur dit : « L’état où vous êtes est le tombeau des plaisirs que vous avez imaginés et qui ne sont que les accessoires du bonheur céleste. Il consiste dans le plaisir que l’on trouve à faire quelque chose qui soit à son usage et à celui d’autrui ; c’est le plaisir de l’usage, qui tire son essence de l’amour, et son existence, de la sagesse, c’est-à-dire que l’amour le produit et que la sagesse le conserve. Après avoir rempli leurs fonctions, les anges se livrent aux sociétés, aux conversations que vous avez désirées, et qui les délassent, leur réjouissent l’esprit et le cœur ; mais l’âme et la vie de ces délassements, c’est toujours l’amour et la sagesse, c’est le plaisir de l’usage, sans lequel tout ennuie. » À ces mots, la porte de la maison s’ouvrit, et il n’y resta personne.
L’ange, s’adressant à ceux qui faisaient consister le bonheur éternel dans des fêtes et des festins avec Abraham, Isaac et Jacob, les conduisit, à travers un bois, dans une plaine parquetée où il y avait quinze tables dressées d’un côté et quinze de l’autre. La première était pour Abraham ; la seconde, pour Isaac ; la troisième pour Jacob ; et les douze autres pour les douze apôtres. Les tables du côté opposé étaient pour les épouses : la première était pour Sara ; la seconde, pour Rebecca, la troisième, pour Lia et Rachel ; les douze autres étaient pour les épouses des douze apôtres. Toutes furent bientôt servies avec délicatesse et abondance ; les patriarches et les apôtres s’avancèrent en ordre, se placèrent, et invitèrent les nouveaux venus, qui s’assirent, les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes. Chacun mangea et but. Après ce banquet, joyeux et décent, les jeunes garçons et les jeunes vierges chantèrent et dansèrent ; le soir il y eut des jeux, des spectacles, et enfin un second festin comme le premier, avec cette différence que les nouveaux venus devaient passer de la table d’Abraham à celle d’Isaac, et ainsi de suite, jusqu’au quinzième jour, où ils devaient recommencer, et cela éternellement. L’ange leur dit : « Ces gens avec qui vous avez mangé ne sont point des patriarches, mais des gens grossiers et ignorants, qui ont pensé comme vous sur le bonheur céleste, et qu’on a voulu instruire comme vous. » En s’éloignant des tables, ils virent dans plusieurs de leurs camarades les honteux effets de l’intempérance. Les gardes de l’enceinte leur demandaient s’ils n’avaient pas aussi mangé la table, avec Pierre et Paul. Enfin ils s’ennuyèrent ; leur estomac repoussait les mets, et la seule vue du festin leur donnait des nausées ; ils prièrent l’ange de les reconduire dans leurs maisons ; il y consentit, et il leur dit, chemin faisant : « Il y a dans le ciel des mets et des breuvages, des repas et des festins ; il y a des chants, des danses, des spectacles et des jeux, Toutes ces choses sont parfaites ; mais le plaisir qu’elles procurent est le plaisir de l’usage, il vient de l’affection de l’ange, qui dispose son esprit à agir. C’est ainsi que cet esprit se tranquillise, se satisfait ; sa tranquillité et sa satisfaction le mettent en état d’être le réceptacle de l’amour de l’usage par le Seigneur. Dans son essence, le mets céleste est l’amour, la sagesse, et l’usage des deux. Dans le ciel, on donne des mets pour le corps, selon l’usage qu’il fournit. Ils sont splendides pour ceux qui sont dans un degré éminent ; ils sont modiques, mais d’un goût exquis, pour ceux qui sont dans le degré moyen ; ils sont vils pour ceux qui sont dans un usage vil ; on n’en donne point du tout aux paresseux 118. »
L’ange, appelant ceux de la troupe spirituelle qui plaçaient le bonheur des cieux dans la royauté et dans la magnificence, leur montra un portique soutenu par des colonnes et des pyramides, au-devant duquel il y avait un petit palais. Ils y entrèrent et ils virent vingt personnages à droite et autant à gauche, qui les attendaient. Un autre, qui paraissait être un ange, s’offrit tout-à-coup à leurs regards et leur dit : « Ce portique conduit au ciel ; restez un moment ici, et préparez-vous, parce que les premiers d’entre vous vont devenir rois, les moindres seront princes. » À ces mots un trône s’éleva auprès de chaque colonne ; sur le trône il y avait un manteau de soie, et sur le manteau un sceptre et une couronne. Auprès de chaque pyramide parut un siège élevé de terre de trois coudées, et sur le siège était une chaîne d’or, avec les marques d’un ordre équestre, entourées de diamants. Une voix se fit entendre, et dit : « Avancez maintenant, habillez-vous, prenez séance, et attendez. » Les premiers de la troupe s’avancèrent avec empressement vers les trônes, les autres, vers les estrades ; ils s’habillèrent et s’assirent. Alors une vapeur infernale s’éleva autour d’eux ; l’ayant respirée, leur cœur se gonfla, comme leur visage ; dans cette atmosphère d’orgueil et de vaine confiance, ils se crurent des rois et des princes. Une foule de jeunes gens parut voler et descendre des cieux ; tous se placèrent pour servir, deux devant chaque trône et un devant chaque estrade. Un héraut avertit les rois et les princes d’attendre un moment, que l’on préparait leur cour dans le ciel, et que les courtisans allaient arriver avec les gardes ; ils attendirent dans l’anxiété et l’ennui, dans l’impatience du désir. Au bout de trois heures, le ciel s’ouvrit au-dessus de leurs têtes, les anges les regardèrent en pitié et leur dirent : « Que faites-vous là, tristement assis, insensés que vous êtes ? On vous joue ; vous êtes des histrions, des hommes changés en idoles, pour avoir cru que vous deviez régner avec Jésus-Christ comme des rois et de princes et être servis par des légions d’anges. Dans le ciel, régner c’est savoir et user ; le royaume du Seigneur est le royaume des usages ; le Seigneur a dit : Que celui qui veut être grand dans le ciel se fasse serviteur. Il veut le bien de tous, le bien de l’usage, que dans le ciel il procure médiatement par les anges, et dans le monde, par les hommes. À ceux qui usent fidèlement il donne l’amour de l’usage, et sa récompense, qui est la béatitude intérieure et éternelle. Il y a dans le ciel des palais, des richesses, de grandes et de petites dignités, des cours, du pouvoir, et de la magnificence. Les grands du ciel sont ceux qui aiment le plus le bien public. Leurs courtisans, leurs ministres et leurs gardes, la magnificence de leurs vêtements et de leurs palais, tout cela n’affecte en eux que les sens du corps ; ils ne l’ont accepté que par obéissance, pour le bien commun, qui veut que dans la société, comme dans le corps, il y ait différents usages, qui tous viennent du Seigneur et s’effectuent par les anges et les hommes, et c’est ce qui s’appelle régner avec le Seigneur. » À ces mots les rois et les princes simulés descendirent des trônes et des estrades, ils jetèrent leurs sceptres, leurs couronnes, leurs manteaux, et leurs cordons ; la vapeur infernale se dissipa et fut remplacée par une nuée blanche ; c’était l’atmosphère de la sagesse, elle environna ces ambitieux, et leur esprit fut guéri.
L’ange vint à ceux qui plaçaient le bonheur éternel dans un doux repos, dans un jardin enchanté ; et il les y fit entrer par une porte faite de branches et de tiges d’arbres entrelacées. Après beaucoup de détours ils parvinrent au plus bel endroit, où ils marchaient sur des roses, respirant des odeurs suaves, et ravis de la quantité de fruits délicats qui s’offrait à leurs regards. Ils virent aussi une foule de gens de tout sexe et de tout âge ; les uns dansaient, chantaient, ou entrelaçaient des bracelets et des couronnes de fleurs pour les femmes et les enfants ; les autres cueillaient ou portaient dans des paniers les fruits des arbres, ou ils exprimaient dans des vases le jus des cerises et des raisins. Ceux-ci s’entretenaient joyeusement au bord des fontaines ; ceux-là se promenaient ou se reposaient dans des grottes fraîches. L’ange conduisit ses élèves dans un beau verger planté d’oliviers, d’orangers et de citronniers, où ils virent plusieurs personnes baissant tristement la tête et pleurant amèrement. Depuis sept jours, dirent-elles aux nouveaux venus, nous habitons ce paradis qui nous a d’abord paru délicieux, et qui, dès le troisième jour, nous a ennuyés ; aujourd’hui il nous est insupportable et toutes ses beautés nous causent un dégoût mortel. Nous avons voulu sortir ; mais ce jardin est un labyrinthe dont on ne trouve point la porte, et nous craignons de nous y ennuyer éternellement. L’ange leur répondit que ce paradis était vraiment le chemin du ciel et qu’il les y conduirait ; ils lui firent les plus tendres remercîments et il les fit sortir avec la bande qu’il avait amenée. En les reconduisant il leur dit qu’il n’y avait point de bonheur céleste et éternel qui ne fût interne. « Les délices externes du paradis, ajouta-t-il, sont pour les sens corporels, qui ne peuvent être agréablement affectés que quand l’intérieur l’est ; car les délices de toute espèce correspondent à l’âme et en proviennent ; tout ce qui sort d’une autre source ennuie et est plutôt une fatigue qu’un plaisir. – Qu’est-ce que les délices de l’âme, demandèrent-ils ? – Ce sont, répondit l’ange, les délices de l’amour et de la sagesse provenant du Seigneur et produisant un effet qui est l’usage. Ces délices descendent du Seigneur dans les degrés supérieurs de l’esprit, ensuite dans les degrés inférieurs, et de là dans tous les sens du corps ; voilà la vraie joie, la seule qui puisse être éternelle. Vous avez vu le paradis et je puis vous assurer qu’il ne s’y trouve rien, pas même une feuille, qui ne provienne du mariage de l’amour et de la sagesse dans l’usage ; c’est pourquoi si l’homme est dans cet usage, il est dans le paradis céleste, dans le ciel. »
L’ange conducteur, prenant avec lui ceux qui croyaient que le bonheur céleste était une fête religieuse sans fin et l’éternelle glorification du Seigneur, les mena dans une petite ville au milieu de laquelle était un temple et dont toutes les maisons étaient sacrées. Ils virent une foule d’hommes qui arrivaient des lieux circonvoisins ; des prêtres les recevaient amicalement et, les prenant par la main, ils les conduisaient d’abord à la porte du temple, et ensuite dans une des maisons sacrées où ils les initiaient au culte perpétuel du Seigneur, leur disant que cette ville était le vestibule du ciel, que du temple qu’ils voyaient on entrait dans le très-grand et très-magnifique temple du ciel, où Dieu est éternellement glorifié par les louanges et les prières des anges. Ils ajoutaient qu’il fallait d’abord entrer dans leur temple, y rester trois jours et trois nuits, passer ensuite dans les maisons sacrées, pour y prier, gémir, et entendre la prédication ; enfin que pendant toute l’initiation on ne devait rien dire ni penser qui ne fut saint, pieux et religieux. L’ange mena sa troupe dans le temple, qui était tout plein de gens du peuple et de grands du monde : les portes étaient gardées, afin que nul ne sortît du temple avant d’y avoir passé trois jours. « Ceux que vous y voyez, dit l’ange, sont à leur second jour. Examinez-les, et voyez comment ils glorifient Dieu. » La plupart dormaient, et s’éveillèrent en baillant. Plusieurs, par la continuelle élévation de leur esprit à Dieu, paraissaient des visages sans corps, et c’est ainsi qu’ils se voyaient mutuellement. D’autres avaient les yeux égarés ; tous éprouvaient un serrement de cœur et un ennui mortel ; ils tournaient le dos à la chaire en disant : « Finissez vos sermons, nos oreilles en sont étourdies, nous ne distinguons plus les paroles, nous n’entendons que le son de la voix, qui nous fatigue. » Enfin ils se levèrent en troupe, coururent vers la porte, la brisèrent, et forcèrent la garde ; les prêtres les suivirent en continuant leurs sermons, mêlés de soupirs et de prières. « Célébrez la fête, leur disaient-ils, glorifiez Dieu, sanctifiez-vous, et de ce vestibule du ciel nous vous introduirons dans le très-grand et très magnifique temple du Seigneur, où vous le glorifierez éternellement, ce qui est la félicité des anges. » Ces paroles ne furent pas entendues des fuyards, que l’ennui avait rendus comme stupides et qui n’aspiraient qu’à retourner chez eux. Ils s’arrachaient des bras des prêtres qui voulaient les faire rentrer dans les maisons sacrées pour les prêcher encore ; ils s’écriaient : « Laissez-nous, de grâce ; nous nous sentons défaillir. » Après ce débat, quatre hommes, dont l’un avait été, dans le monde, archevêque, et les trois autres évêques, et qui maintenant étaient des anges, parurent, vêtus de blanc et ayant des tiares sur la tête. Ils dirent aux prêtres persécuteurs : « Du haut des cieux nous vous avons vu paître ces brebis, et les paître jusqu’à la satiété et la folie. Vous ignorez que glorifier Dieu, c’est porter des fruits d’amour, c’est remplir fidèlement, sincèrement, exactement, les obligations de son état ; voilà l’amour de Dieu et du prochain, le lien et le bien de la société par lequel nous glorifions Dieu, en y joignant son culte à certains jours marqués pour cela. N’avez-vous point lu ces paroles du Seigneur ? Vous glorifierez mon père en portant beaucoup de fruits et en devenant mes disciples, Jean 15 : 8. Vous pouvez être dans la glorification du Seigneur, parce que c’est votre emploi, qui vous procure des honneurs et des récompenses ; mais vous n’êtes pas plus que vos auditeurs dans cette glorification si vos honneurs et vos récompenses ne font un avec votre emploi. » À l’instant les évêques ordonnèrent aux gardes des portes de laisser entrer et sortir librement toute la multitude qui avait fait consister le bonheur céleste dans le culte perpétuel et dans l’éternelle glorification de Dieu.
Enfin l’ange revint encore dans la maison où l’assemblée générale s’était tenue, et ayant appelé ceux qui croyaient que le bonheur céleste n’était autre chose que l’entrée dans le ciel, où les anges goûtaient tous les plaisirs que l’on goûte à une noce ou à la cour des rois dans un jour de fête, il leur dit : « Attendez ici un moment ; je sonnerai de la trompette, et vous verrez arriver des personnages distingués par leur pénétration dans les choses spirituelles. » En effet ils virent bientôt paraître neuf sages couronnés de laurier. L’ange leur dit : « Je sais qu’au gré de vos vœux il vous a été permis de monter au ciel, d’où vous êtes revenus dans cette terre inférieure avec une pleine connaissance des choses célestes ; veuillez raconter ici ce que vous avez vu. »
Le premier sage prit la parole et dit : « Depuis mon enfance, j’avais toujours regardé le ciel comme le centre de toutes les béatitudes, comme la réunion de mille plaisirs préférables à ceux qu’un amant, devenu époux, goûte en entrant dans le lit nuptial avec sa bien-aimée ; c’est dans cette idée que je montai aux cieux ; ayant passé la première et la seconde garde, celui qui commandait la troisième me demanda qui j’étais ; je lui répondis que je montais aux cieux comme je l’avais désiré ; je le priai de m’y introduire ; il le fit ; et d’abord je vis des anges vêtus de blanc qui m’examinaient et qui disaient en murmurant : Pourquoi ce nouvel hôte n’a-t-il pas la robe céleste ? Je les entendis et je me rappelai le même reproche fait par le Seigneur à celui qui était venu à la noce sans avoir la robe nuptiale. Je priai ces anges de me donner la robe céleste ; ma demande les fit rire ; il en vint un, chargé d’un ordre de la cour qui exigeait que je fusse dépouillé nu, précipité, et mes habits jetés hors du ciel après moi ; ce qui fut exécuté. »
Le second sage dit : « J’avais cru de même que le ciel n’était que délices ; j’y suis entré ; et mon aspect a fait fuir les anges, qui m’ont appelé oiseau de nuit ; j’ai cru en ce moment perdre mon état d’homme, quoique je ne l’eusse pas perdu et que ce sentiment vînt de l’attraction de l’atmosphère céleste ; un ange est venu avec un ordre, et suivi de deux valets qui, me faisant reprendre le chemin que j’avais tenu en venant, m’ont reconduit dans ma maison où j’ai paru aux autres et à moi-même comme un homme. »
Le troisième sage dit : « Mes idées touchant le ciel avaient toujours eu pour base le lieu, et non l’amour. Arrivé dans ce monde des esprits, je désirais ardemment de voir le ciel ; j’en vis qui y montaient ; je les suivis, j’entrai avec eux, mais je ne pus faire que deux ou trois pas. Songeant aux béatitudes, voulant goûter les délices qui naissent de la lumière du ciel, qui est blanche comme la neige et dont l’essence est, dit-on, la sagesse, mon esprit fut tout-à-coup frappé de stupidité, ma vue s’obscurcit, et je devins fou. La chaleur du ciel, correspondante à la lumière, et dont on dit que l’essence est l’amour, me serra le cœur, j’éprouvai une anxiété douloureuse, un tourment interne qui me fit tomber à la renverse. Des satellites, envoyés par la cour, m’emportèrent doucement, me rendirent à ma lumière, à ma chaleur ; et je repris mes esprits et mes forces. »
Le quatrième sage dit : « J’avais toujours eu du ciel la même idée que celui qui vient de parler. Ayant demandé aux habitants de ce monde spirituel si l’on pouvait monter aux cieux, ils me répondirent qu’on le pouvait, mais qu’il fallait prendre garde d’en être précipité ; leur crainte me fit rire. Je montai, croyant trouver toutes les joies imaginables ; mais à peine fus-je entré que des angoisses et des douleurs cruelles à la tête et dans tout le corps me mirent à deux doigts de la mort. Je me roulais par terre, je me tordais comme un serpent qu’on approche du feu ; et m’étant traîné jusqu’au bord du précipice, je m’y jetai moi-même. »
Les cinq autres sages racontèrent aussi des choses merveilleuses sur leur ascension ; ils comparaient leur changement d’état à celui des poissons qui du fond des eaux seraient élevés jusqu’au haut des airs. Les tourments qu’ils avaient endurés les avaient fait renoncer au ciel ; ils ne désiraient plus que de rester où ils étaient et d’y vivre tranquillement avec leurs frères. Ils n’ignoraient cependant pas que dans le monde des esprits les bons étaient préparés pour le ciel, les méchants pour l’enfer, et qu’après cette préparation, chacun, cherchant la société de ses pareils, s’y introduisait, poussé par son amour dominant, et y restait éternellement. Enfin, tous ceux qui étaient présents convinrent qu’ils avaient toujours regardé le ciel comme un lieu et comme le centre de tous les plaisirs.
L’ange conducteur leur dit alors : « Vous voyez que les joies célestes n’appartiennent point à un lieu, que le ciel n’est pas un lieu, mais l’état intérieur de la vie des anges. Cet état est l’amour et la sagesse. L’usage, qui les contient en soi, les unit et constitue l’état de la vie céleste. Par l’amour, la sagesse et l’usage, j’entends aussi la foi, la charité et les bonnes œuvres, car c’est la même chose. Dans le monde spirituel, comme dans le naturel, il y a des lieux, autrement il n’y aurait point d’habitations, ni de demeures particulières ; mais toutefois ces lieux ne sont qu’apparents et relatifs à l’amour et à la sagesse. L’ange porte en soi son ciel, parce qu’il a l’amour de son ciel ; l’homme est, par sa création, une petite effigie, l’image et le type du grand ciel ; la forme humaine n’est pas autre chose. C’est pourquoi chacun vient dans la société du ciel dont il est lui-même la forme particulière. Entrant dans cette société, il entre dans une forme correspondante à la sienne ; il y entre comme en lui-même, par lui-même, et il entre en lui-même comme dans cette société et par elle. Sa vie est celle de cette société, la vie de cette société est la sienne ; ainsi chaque société est un bien commun, un tout dont les anges sont les parties similaires. D’où il faut conclure que ceux qui sont dans le mal et dans le faux sont l’image de l’enfer, image qui dans le ciel est tourmentée par l’influence et l’activité violente des contraires ; car l’amour infernal est l’opposé de l’amour céleste ; les plaisirs de ces deux amours se heurtent comme des ennemis et se tuent lorsqu’ils se rencontrent. »
L’ange ayant cessé de parler, une voix céleste lui dit : « Choisissez dans cette assemblée dix sages et introduisez-les parmi nous. Le Seigneur les disposera de manière qu’ils puissent sans douleur, et pendant trois jours, supporter la chaleur et la lumière du ciel, qui sont l’amour et la sagesse. » Le choix étant fait, les dix élus suivirent l’ange ; par un chemin tortueux ils parvinrent au haut d’une colline, ensuite au sommet d’une montagne sur laquelle était le ciel de ces anges, qui de loin leur avait paru comme une étendue dans les nuages. Les portes s’ouvrirent pour eux ; et quand ils eurent passé la troisième, l’ange introducteur alla annoncer leur arrivée au prince de cette société céleste, qui répondit ainsi : « Prenez quelques-uns de mes gardes et dites à ces étrangers que leur arrivée m’est très-agréable. Faites-les entrer dans le vestibule de mon palais, où chacun d’eux trouvera un appartement composé d’une chambre et d’un cabinet. Prenez aussi quelques-uns de mes courtisans pour les accompagner ; et que mes serviteurs soient à leurs ordres. » Tout cela étant exécuté, l’ange revint aux dix élus, qui lui demandèrent à voir le prince. « Il est trop matin, leur répondit-il ; vous ne pouvez le voir avant midi ; maintenant chacun est occupé de ses fonctions ; mais vous êtes invité à un dîner où vous serez assis à table avec notre prince ; en attendant je vais vous montrer son palais et toutes les merveilles qu’il renferme. » Ils s’avancèrent vers ce palais et ils en admirèrent la forme. Il était vaste, bâti de porphyre, les fondements étaient de jaspe, et le portique était soutenu par six hautes colonnes de lapis-lazuli. Des lames d’or formaient le toit ; les fenêtres, très-hautes, étaient d’un cristal brillant, soutenu par des compartiments et des baguettes d’or. Étant entrés dans le palais, ils le parcoururent de chambre en chambre, et ils y virent des ornements d’une beauté indicible, des sculptures inimitables. Auprès des murs il y avait des tables d’or et d’argent couvertes d’ustensiles faits de pierres précieuses entières et d’une forme céleste ; ils virent enfin plus de merveilles que l’œil de l’homme n’en peut voir sur la terre, plus qu’il n’en peut imaginer dans le ciel. L’ange leur dit : « Celui qui a fabriqué l’univers a fait tout ce que vous admirez ici, et il l’a donné, comme récompense, à notre prince. Ici est l’architecture, l’art même, dont les règles ont passé de notre monde dans le vôtre. Vous croyez peut-être que nous sommes enorgueillis, infatués de toutes ces merveilles ? Non, elles ne sont que les accessoires de la joie de nos cœurs ; elles ne le touchent qu’en ce qu’elles nous font contempler, dans ces œuvres du Seigneur, sa puissance et sa bonté. Mais il n’est pas encore midi ; venez voir le jardin de notre prince ; il est contigu à son palais. » Ils y furent. « Voilà, dit l’ange en y entrant, le plus magnifique des jardins de cette société céleste – Un jardin ? répondirent les élus. Nous ne voyons qu’un arbre dont la tête et les branches sont chargées de fruits d’or, les feuilles sont d’argent, leurs bords sont entourés d’émeraudes, et sous l’arbre il y a des enfants. » L’ange leur dit, d’une voix inspirée : « Cet arbre placé au milieu du jardin est appelé par nous l’arbre de notre ciel, et par quelques-uns, l’arbre de vie. Mais approchez ; vos yeux s’ouvriront, et vous verrez le jardin. » Ils approchèrent, leurs yeux s’ouvrirent, et ils virent des arbres chargés de fruits, dont le tronc était entouré d’une vigne et dont la tête penchait avec ses fruits vers l’arbre de vie qui était au milieu d’eux. Ces arbres, régulièrement disposés, formaient différents cercles et s’étendaient comme le lierre, ou c’était un lierre arboré, formé d’arbres qui se suivaient et qui étaient placés selon leurs espèces, selon la beauté et la bonté de leurs fruits. Ces différents cercles ne commençaient qu’à une certaine distance de l’arbre de vie ; cet intervalle brillait d’une lumière qui, semblable à celle de l’aurore, éclairait successivement tous les arbres d’alentour. Les premiers de ces arbres, qui étaient les plus beaux et les plus chargés de fruits, s’appellent proprement les arbres de paradis ; il n’en existe point et il n’en peut exister de semblables sur la terre ; ensuite venaient les arbres qui donnent l’huile, ceux qui fournissent le vin, puis les arbres odoriférants, et enfin ceux dont le bois est employé à différents ouvrages. Entre ces arbres il y avait des sièges formés de rameaux entrelacés avec leurs fruits et leurs feuilles ; près de chaque siège il y avait une porte par laquelle on entrait dans des parterres, dans des prairies que séparaient des allées et des bancs de gazon ; émerveillés de ce spectacle, les dix élus s’écrièrent : « Voilà le ciel dans sa forme ; de quelque côté que nous portions nos regards, nous sentons l’influence céleste, dont le charme est ineffable. » L’ange fut ravi de les entendre, et il leur dit : « Tous les jardins de notre ciel sont des formes représentatives des béatitudes célestes dans leur origine. L’influence de ces béatitudes, ayant élevé vos esprits, vous a forcés de vous écrier : voilà le ciel dans sa forme. Ceux qui ne reçoivent pas cette influence ne voient dans cette forme paradisiaque qu’un bosquet ; et ceux-là seulement qui sont dans l’amour de l’usage reçoivent l’influence ; elle n’est point donnée à ceux qui sont dans l’amour de la gloire. »
L’ange leur expliquait la correspondance et la signification des différents objets du jardin, quand un serviteur du prince vint les inviter à dîner : il était suivi de deux gardes qui leur apportaient des robes de fin lin, dont ils les revêtirent, parce que nul ne pouvait être admis à la table du prince sans avoir la robe céleste. Quand ils furent prêts, ils suivirent l’ange conducteur, qui les fit entrer dans la galerie du palais, où ils attendirent le prince en conversant avec des grands et des chefs de l’administration. Bientôt une grande porte s’ouvrit du côté de l’Occident, et l’on vit paraître le prince avec un cortège nombreux. Devant lui marchaient ses conseillers d’État, ensuite ses conseillers intimes, et après ceux-ci les officiers dignitaires de la cour. Le prince était au milieu de ses courtisans, et ses gardes le suivaient ; en tout il y avait cent vingt personnes. L’ange, debout devant les dix étrangers qui, par leur vêtement, paraissaient des célicoles, les présenta respectueusement au prince, qui s’avança vers eux et les invita au banquet. Ils le suivirent dans un salon où ils virent une table magnifiquement servie, du milieu de laquelle s’élevait une haute pyramide d’or entourée de cent écuelles disposées sur leurs formes en ordre triple et remplies de pains sacrés, de moût de vin épaissi, et de gâteaux faits avec de la farine et du vin. Du milieu de la pyramide jaillit une source de vin nectaré dont les jets, se divisant, remplirent les verres de tous les convives. Auprès de cette pyramide, il y avait des formes célestes en or qui portaient des assiettes et des soucoupes garnies de mets de toute espèce. Les formes célestes étaient les formes de l’art, par la sagesse, que nul homme ne peut peindre ni décrire. Les assiettes et les soucoupes étaient d’argent ciselé, les verres étaient de pierres précieuses transparentes ; voilà comment la table était servie.
Le prince était vêtu d’une longue robe pourpre, brodée d’étoiles d’argent. Sous cette robe, il portait une tunique de soie de couleur d’hyacinthe et ouverte sur la poitrine. Sur sa ceinture était brodée la marque insigne de sa société ; c’était un aigle couvant ses petits au haut d’un arbre ; cette marque était d’or, entourée de diamants. Les conseillers du prince étaient vêtus comme lui, excepté qu’au lieu de la marque insigne ils portaient au cou un collier d’or d’où pendaient des saphirs sculptés. Les courtisans avaient des robes gris de lin où des aiglons étaient brodés au milieu des fleurs. Leurs tuniques étaient, comme le reste de l’habillement, de soie de couleur d’opale.
Les conseillers et les gouverneurs, debout autour de la table, ayant reçu l’ordre du prince, joignirent les mains et adressèrent au Seigneur une courte prière, après laquelle le prince leur fit signe de s’asseoir, et dit aux étrangers : « Asseyez-vous aussi avec moi, voilà vos places. » Les courtisans envoyés pour les servir se tinrent debout derrière eux, et le prince leur dit : « Que chacun de vous prenne une soucoupe dans le cercle où elles sont et une écuelle au pied de la pyramide. » Ils les prirent, et à l’instant il en parut de nouvelles à leur place ; leurs verres se remplirent, de même, du vin de la pyramide. Quand ils eurent bu et mangé, vers le milieu du repas, le prince leur adressa encore la parole : « Je sais, leur dit-il, qu’après avoir été assemblés dans le monde des esprits pour déclarer vos opinions sur la félicité céleste, vous l’avez fait dépendre des plaisirs des sens ; mais apprenez qu’ils ne sont rien sans les plaisirs de l’âme : c’est l’âme qui charme les sens. Les béatitudes de l’âme en elles-mêmes ne sont pas sensibles ; mais elles le deviennent de plus en plus quand elles descendent des pensées de l’esprit dans les sensations du corps ; voilà ce qui constitue le bonheur éternel, qui dans l’âme est un ravissement, dans la sensation corporelle, un plaisir, et dans le corps même, une volupté ; les joies du ciel sont au-dessus de ce que vous aviez pu imaginer ; mais ce que vous en voyez ici extérieurement n’affecte point notre intérieur. Par l’influence du Seigneur, nous avons l’amour, la sagesse, et l’usage ; ces trois choses, qui n’en font qu’une, sont l’état, le bonheur céleste ; mais des sages de notre société, que je vous enverrai après midi, vous instruiront plus amplement. » Le prince cessa de parler, se leva de table, et tous les convives avec lui ; leur ayant souhaité la paix, il dit à l’ange conducteur des dix élus de les ramener dans leurs chambres, d’y rassembler des personnes aimables qui sussent les amuser en leur parlant des plaisirs du ciel, enfin, de leur rendre tous les honneurs possibles.
L’ordre fut exécuté ; des citoyens choisis dans la ville vinrent entretenir les étrangers de toutes sortes de choses agréables. « Nous vous raconterons, leur dirent-ils, les amusements de notre société. Des sages vous apprendront comment ces amusements extérieurs deviennent des joies intérieures ; mais sachez d’abord qu’à certains jours fixés par le prince nous avons des fêtes établies pour nous délasser de la fatigue que l’émulation nous fait quelquefois éprouver dans l’exercice de nos fonctions. Durant ces jours d’allégresse, il y a dans nos places publiques des concerts de voix et d’instruments, et hors de la ville, des spectacles et des jeux. Dans les places, on élève des orchestres entourés et fermés par des balustrades qui ne sont autre chose que des vignes d’où pendent des grappes de raisins. Là, sur trois gradins, sont assis les musiciens avec leurs instruments à vent et à cordes ; près d’eux sont les chanteurs et les cantatrices, qui chantent seuls et en partie, mais dont les chants sont toujours variés, gracieux et expressifs ; ces concerts ont lieu pendant la matinée et la soirée. Outre cela, tous les matins les chants des jeunes vierges se font entendre des maisons qui bordent nos places, toute la ville en retentit ; c’est l’affection de l’amour spirituel que ces vierges chantent. Modifiée par les sons d’une voix touchante, cette affection existe et est exprimée dans le chant ; elle influe dans l’âme des auditeurs et elle y excite la correspondance. Les cantatrices assurent que leur chant les inspire et les anime selon l’influence, selon l’effet qu’il produit dans ceux qui l’entendent ; quand elles ont cessé, on ferme les fenêtres et les portes de toutes les maisons. Le silence règne alors dans toute la ville ; on n’y entend point de cris, on n’y voit point de vagabonds ; chacun est occupé et remplit les fonctions de son état. À midi les portes s’ouvrent, et après midi, les fenêtres. On voit les jeunes filles et les jeunes garçons qui, sous l’inspection des maîtres, jouent dans la place publique. À l’extrémité de la ville il y a d’autres jeux pour les adolescents. Là ils s’exercent à la paume, à la course, à la lutte ; ils récitent, ils disputent entre eux, et des prix sont distribués aux plus adroits et aux plus intelligents. Hors de la ville il y a des spectacles, des théâtres où des comédiens représentent toutes les actions honnêtes de la vie morale. Il y a aussi des farceurs, à cause de la relation, qu’il faut vous expliquer. Il n’y a point de vertu qui, avec tous ses effets et ses bienséances, puisse être représentée autrement que par les choses qui lui sont relatives, depuis les plus grandes jusqu’aux plus petites. Les histrions, ou farceurs, représentent ces petites choses, jusqu’au point où elles se réduisent à rien. Mais quant à l’opposé, quant aux choses malhonnêtes et indécentes, ils ne peuvent les représenter que figurément et comme dans le lointain. Il est ainsi ordonné parce que le bon et l’honnête de chaque vertu ne peuvent jamais, ni par aucune progression successive, passer au mauvais et au malhonnête, mais seulement au plus petit, ou le bien périt. Quand il périt, son opposé commence ; c’est pourquoi le ciel, où tout est honnête et bon, n’a rien de commun avec l’enfer, où tout est malhonnête et mauvais. »
Dans ce moment un serviteur annonça l’arrivée de huit sages que le prince envoyait, et qui, après avoir témoigné aux étrangers toutes sortes d’égards et d’amitiés, les entretinrent sur les commencements et sur les progrès de la sagesse qui, dans les anges, n’a point de terme et s’accroît durant toute l’éternité. « À table, leur dirent-ils, notre prince vous parlé du siège de la sagesse, qui est l’usage ; nous vous parlerons, nous, de l’usage. L’homme reçut, quand il fut créé, l’amour et la sagesse, non pour lui seul, mais pour les autres hommes auxquels il devait communiquer ce bien divin, car le premier devoir d’un sage est de l’être pour les autres comme pour lui-même ; ce principe est celui de la société, c’est ainsi qu’elle subsiste. Vivre pour les autres, c’est user ; les usages sont des liens, et ils sont infinis, puisqu’il y en a autant qu’il y a d’usages et de nuances dans le bien. Nous connaissons les usages spirituels, qui viennent de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, et les usages civils et moraux, qui naissent de la société et de la ville que nous habitons, de l’amour de nos associés et concitoyens. Il y a des usages naturels, qui proviennent de l’amour du monde et de ses nécessités ; il y a des usages corporels, qui dérivent de l’amour de notre conservation, pour des usages supérieurs ; tous ces usages sont de l’homme ; ils se suivent en ordre, et quand ils sont tous réunis, l’un est dans l’autre. Les hommes qui sont dans les premiers usages, dans les spirituels, sont aussi dans les suivants, et ils sont sages ; mais ceux qui, n’étant pas dans les premiers, sont néanmoins dans les seconds, et par ceux-ci dans les troisièmes, ne sont pas sages pour cela ; seulement, ils paraissent tels, par la civilité et la moralité extérieure de leurs actions. Ceux qui ne sont pas dans les premiers et dans les seconds usages, mais seulement dans les troisièmes et dans les quatrièmes, ne sont rien moins que sages ; ce sont des satans qui n’aiment qu’eux et le monde. Ceux qui ne sont que dans les quatrièmes usages sont les moins sages de tous ; ce sont des démons, qui vivent pour eux seuls ; s’ils s’occupent des autres, c’est relativement à eux-mêmes ; outre cela, chaque amour a son plaisir, qui est la vie de cet amour ; or, le plaisir de l’amour des usages est le plaisir céleste qui pénètre tous les autres plaisirs, les dispose selon l’ordre et les rend éternels. »
Les sages firent ensuite aux dix élus l’énumération des plaisirs célestes (provenant de l’amour de l’usage), dont il y a des milliards de milliards, et qui sont tous connus et sentis par les habitants du ciel ; c’est ainsi qu’en raisonnant sur la sagesse on attendit agréablement la fin du jour.
Le lendemain, au lever de l’aurore, on entendit proclamer le sabbat. Les étrangers, s’étant levés, questionnèrent l’ange conducteur, qui leur dit : « Ce jour est consacré au culte du Seigneur, et nos prêtres le proclament ; on s’assemble dans le temple, et l’on y reste environ deux heures. » Ils prièrent l’ange de les conduire, et ils entrèrent avec lui dans un temple assez vaste pour contenir trois mille personnes ; il était construit en demi-cercle et garni de sièges qui s’élevaient en amphithéâtre de tous les côtés. La chaire était un peu écartée du centre, et derrière la chaire, à gauche, il y avait une porte. L’ange montra aux étrangers la place où ils devaient s’asseoir, car chacun connaît la sienne en entrant dans le temple ; un sentiment intérieur la lui indique, et s’il en prenait une autre, il ne verrait, il n’entendrait rien, il troublerait l’ordre, et empêcherait ainsi le prêtre de recevoir l’inspiration du Seigneur. Quand tout le monde fut assemblé, le prêtre monta en chaire et fit un discours plein de l’esprit de sagesse ; il démontra la sainteté de l’Écriture et la conjonction du Seigneur avec le monde spirituel et le monde naturel par le moyen de cette Écriture divine. Comme il était inspiré, ses auditeurs furent par lui pleinement convaincus que l’Écriture avait été dictée par Jéhovah, le Seigneur, qu’elle était de lui et qu’il y était la sagesse, mais que cette sagesse, qui était le Seigneur, cachée sous le sens littéral, ne se montrait qu’à ceux qui étaient dans le vrai de la doctrine et dans le bon de la vie, c’est-à-dire qui étaient dans le Seigneur comme le Seigneur était en eux. Le discours finit par une prière touchante. En sortant, le prêtre, pendant une demi-heure, parla aux étrangers de la divine Trinité ; il leur dit qu’elle était en Jésus-Christ, en qui habitait corporellement la plénitude de la divinité, comme l’a dit l’apôtre Paul. Il ajouta encore quelque chose touchant l’union de la charité et de la foi, appelant toujours la foi la vérité. Les étrangers le remercièrent et, étant rentrés dans leur appartement, l’ange conducteur leur dit : « Voici le troisième jour que vous passez dans cette société céleste ; le Seigneur ne vous a préparés que pour trois jours, il est temps de nous séparer ; quittez les vêtements que le prince vous a envoyés et reprenez les vôtres. » Quand ils les eurent repris, ils se sentirent tourmentés du désir de s’éloigner ; ils descendirent, accompagnés de l’ange, qui les reconduisit jusqu’à la maison de l’assemblée générale où il les avait pris, et là ils rendirent grâce au Seigneur qui avait daigné les rendre heureux en leur faisant connaître les joies célestes et le bonheur éternel 119.
TABLE
Des matières contenues dans ce volume.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE
De Dieu
De la création
De l’homme pendant sa vie
Du monde spirituel
Du ciel
De l’espace dans le ciel
De la forme du ciel
Du langage des anges
Du gouvernement du ciel
Du temps dans le ciel
De l’écriture dans le ciel
Du monde des esprits
Des enfers
De la langue que les anges parlent aux hommes
Des différents états de l’homme après sa mort
De la correspondance du ciel avec l’homme, et avec tous les objets de la nature
De la vraie religion chrétienne
De la divine trinité
Du Seigneur Rédempteur
De la rédemption
Du Saint-Esprit
De l’Écriture sainte
De la foi
De la charité
Du libre arbitre
De la pénitence
De la réformation et de la régénération
De l’imputation
Du baptême
De la sainte Cène
De la consommation, etc.
De l’Église en général
De la conscience
De l’ordre
De la sagesse des anges
De la puissance des anges
De l’état d’innocence des anges dans le ciel
De la paix dans le ciel
De l’immensité du ciel
Des savants et des simples dans le ciel
Des mariages dans le ciel et de l’amour conjugal céleste
De la félicité céleste
1 À la page 29, numéro 11, du traité intitulé, Apocalypsis revelata, Swedenborg conseille de chercher cette ancienne parole à la Chine, dans la grande Tartarie, et il assure qu’on l’y découvrira. Un Français en a trouvé les traces et la tradition à Bagdad, où il a résidé ; c’est cette même parole qui, comme nous l’avons dit, est citée dans les Nombres, dans Josué, etc. Elle ôte un grand scandale, elle lève une grande difficulté, en expliquant l’antiquité de la science chez les orientaux, science qui ne peut être postérieure à Moïse.
2 Voici la liste des écrits de Swedenborg sur les sciences humaines. Recueil des sentences de Sénèque et de Publius-Syrus, 1709. Collection de vers latins, 1710. – Essais et remarques sur les mathématiques et sur la physique, 1716. – Introduction à l’algèbre, 1717. – Essai pour fixer la valeur des monnaies, 1719. – De la position et du mouvement de la terre et des planètes, 1719. – De la hauteur des marées, du flux et du reflux de la mer, 1719. – Essai sur les principes des choses naturelles, ou sur la manière d’expliquer géométriquement la chimie, et la physique expérimentale, 1721. – Nouvelles observations et découvertes sur le fer et le feu, particulièrement sur le feu élémentaire, 1721. – Nouvelle méthode pour trouver les longitudes, soit en mer, soit sur terre, par le moyen de la lune, 1721. – Manière de construire les bassins propres à recevoir les navires, 1721. – Nouvelle construction des écluses, 1721. – Manière d’éprouver les qualités des navires, 1721. – Recueil d’observations sur les choses naturelles, particulièrement sur les minéraux, le feu, et les couches des montagnes, 1722. – Œuvres philosophiques et minéralogiques, 1734, 3 vol. in folio. – Essai de philosophie spéculative sur l’infini, la cause finale de la création, et le mécanisme de l’opération de l’âme ct du corps, 1734, in 8o. – Économie du règne animal, 1740, in-4o.
3 Lettre de Swedenborg à M. Robsam, dans la préface du traité De caelo et inferno.
4 Indépendamment de la communication avec le ciel, et de l’inspiration dont Swedenborg fut favorisé le reste de sa vie, il étonna ses concitoyens par plusieurs choses merveilleuses ; nous en citerons quelques-unes des plus frappantes, et des mieux attestées. 1o On vint demander à une dame de la cour de Stockholm une somme qu’elle savait bien que son mari avait payée avant sa mort ; mais ne trouvant point la quittance, et craignant de payer deux fois, elle alla trouver Swedenborg ; il lui dit, le lendemain, qu’il avait parlé à son mari, qui lui avait dit où était la quittance. Le défunt apparut aussi en songe à sa veuve, vêtu de la robe de chambre qu’il portait avant de mourir, et il lui dit que la quittance était en tel endroit, où elle la trouva. Elle raconta cette aventure étrange, que la reine de Suède confirma depuis à Berlin, chez le roi son frère. 2o Étant à Gothembourg, à 60 milles de Stockholm, il annonça, trois jours avant l’arrivée du courrier, l’incendie et l’heure préfixe de l’incendie qui ravagea Stockholm ; et sans avoir reçu aucunes nouvelles, il dit ensuite que sa maison n’avait pas été brûlée. 3o Swedenborg s’embarquant à Londres dans le navire du capitaine Dixon, on demanda à ce capitaine s’il avait beaucoup de provisions ; Swedenborg dit : « Il n’en faut pas tant, car dans huit jours nous serons, à deux heures, au port de Stockholm. » La prédiction s’effectua exactement, ainsi que le capitaine Dixon l’a attesté. 4o Ses amis le voyant s’embarquer encore à l’âge de quatre-vingts ans, s’inquiétaient ; il leur répondit : « Nous nous reverrons, il faut que je fasse un autre voyage comme celui-ci ; et je ne mourrai point avant d’avoir publié mon traité intitulé : Vera christiana Religio. » Il le publia en effet, quatre ans après, et il mourut ensuite. 5o Swedenborg, borné par sa fortune au simple nécessaire, a donné des sommes immenses ; il est notoire qu’il a relevé, dans des villes de commerce, de grandes maisons culbutées. 6o Un habitant de Strasbourg, homme digne de foi, et ami de Swedenborg, nous a raconté que lui ayant procuré un domestique à Paris, ce domestique se plaignit de ce que son maître laissait toutes ses portes ouvertes ; il craignait d’être accusé d’un vol qui, disait-il, ne manquerait pas d’être fait : Qu’il soit tranquille, répondit Swedenborg en souriant, il ne sait pas quel bon gardien j’ai à ma porte. En effet, elle continua de rester ouverte, et rien ne fut perdu.
5 Apocalypsis revelata, praefatio.
6 Deliciae sapientiae de amore conjugali, I. 26.
7 Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 120. Apocalypsis revelata, 962.
8 De ultimo judicio, et de Babylonia destructa, 45, 73, 74.
9 Deliciae sapientiae de amore conjugali, 532.
10 Vera christiana Religio, 791.
11 Supplique au roi de Suède, dans la préface du traité De coelo et inferno.
12 Préface du traité De coelo et inferno.
13 Vera christiana Religio, 851. Sapientia angelica de divino amore, et divina sapientia, 85.
14 De coelo et inferno, 103, 4, 5, 6. Vera christ. Religio, 792, 3, 4.
15 De coelo et inferno, preafatio.
16 C’est surtout en lisant le traité intitulé Saptentia angelica de divino amore et divina sapientia qu’on peut s’assurer de la vérité exacte de ces assertions, parce que dans ce traité il est plus particulièrement question de l’homme et de la nature, grands objets, que les sciences humaines ont toujours assez infructueusement discutés.
17 C’est un grand in-4o de 500 pages.
18 Un de ces prodiges, contesté à Swedenborg, a donné lieu à une accusation d’imposture, dont il faut laver sa mémoire ; voici l’accusation, et le fait, tel qu’il est rapporté faussement dans tous les papiers publics de l’Europe : « Swedenborg, dit-on, instruit, par des sénateurs, de la correspondance secrète de la feue reine de Suède avec le prince de Prusse, son frère, en révéla les mystères à cette princesse, et la laissa croire qu’il avait été instruit par des moyens surnaturels. » – Cette calomnie vient d’être détruite par le témoignage d’un homme en tout point digne de foi, qui a permis de publier sa lettre ; la voici.
Stockholm, le 13 mai 1788.
« J’ai lu avec étonnement la lettre qui rapporte l’entretien qu’a eu le fameux Swedenborg avec la reine Louise Ulrique ; les circonstances en sont tout-à-fait fausses, et j’espère que l’auteur me pardonnera si par un récit fidèle, qui peut être attesté par plusieurs personnes de distinction qui étalent présentes et qui sont encore en vie, je lui montre combien il s’est trompé
« En 1758, peu de temps après la mort du prince de Prusse, Swedenborg vint à la cour ; il avait coutume de s’y trouver régulièrement. À peine eut-il été aperçu de la reine qu’elle lui dit : À propos, Monsieur l’assesseur, avez-vous vu mon frère ? – Swedenborg répondit que non, et la reine lui répliqua : Si vous le rencontrez, saluez-le de ma part. En disant cela elle n’avait d’autre intention que de plaisanter, et ne pensait nullement à lui demander la moindre instruction touchant son frère. Huit jours après, et non-pas vingt-quatre heures après ni dans une audience particulière, Swedenborg vint de nouveau à la cour, mais de si bonne heure, que la reine n’avait pas encore quitté son appartement, appelé la chambre blanche, où elle causait avec ses dames d’honneur et d’autres femmes de la cour. Swedenborg n’attend point que la reine sorte, il entre directement dans son appartement et lui parle bas, à l’oreille. La reine, frappée d’étonnement, se trouva mal et eut besoin de quelque temps pour se remettre. Revenue à elle-même, elle dit aux personnes qui l’entouraient : Il n’y a que Dieu et mon frère qui puissent savoir ce qu’il vient de me dire. Elle avoua qu’il lui avait parlé de sa dernière correspondance avec ce prince, dont le sujet n’était connu que d’eux seuls.
« Je ne puis expliquer comment Swedenborg eut connaissance de ce secret ; mais ce que je puis assurer sur mon honneur, c’est que ni le comte H..., comme le dit l’auteur de la lettre, ni personne, n’a intercepté ou lu les lettres de la reine ; le sénat d’alors lui permettait d’écrire à son frère dans la plus grande sécurité, et il regardait cette correspondance comme très indifférente à l’État.
« Il est évident que l’auteur de la susdite lettre n’a pas du tout connu le caractère du comte H.... Ce seigneur respectable, qui a rendu les services les plus important à sa patrie, réunit aux talents de l’esprit les qualités du cœur, et son âge avancé n’affaiblit point en lui ces dons précieux. Il joignit toujours, pendant toute son administration, la politique la plus éclairée à la plus scrupuleuse intégrité, et il se déclara l’ennemi des intrigues secrètes et des menées sourdes, qu’il regardait comme des moyens indignes pour arriver à son but.
« L’auteur n’a pas mieux connu l’assesseur Swedenborg ; la seule faiblesse de cet homme vraiment honnête était de croire aux apparitions des esprits ; mais je l’ai connu pendant très-longtemps, et je puis assurer qu’il était aussi persuadé de parler et de converser avec des esprits que je le suis, moi, dans ce moment, d’écrite ceci. Comme citoyen, et comme ami, c’était l’homme le plus intègre, ayant en horreur l’imposture, et menant une vie exemplaire.
« L’explication qu’a voulu donner de ce fait le chevalier Beylon est, par conséquent, destituée de fondement ; et la visite faite pendant la nuit à Swedenborg par les comtes H... et T... est entièrement controuvée.
« Au reste, l’auteur du la lettre peut être assuré que je ne suis rien moins que sectateur de Swedenborg : l’amour seul de la vérité m’a engagé à rendre avec fidélité un fait qu’on a si souvent rapporté avec des détails entièrement faux ; et j’affirme ce que je viens d’écrire, en apposant la signature de mon nom. »
Signé CHARLES-LÉONARD DE STAHLHAMMER,
capitaine et chevalier de l’ordre royal de l’épée.
19 Le moyen qui produit ces effets merveilleux, cette médecine vraiment humaine, pratiquée par les disciples bienfaisants de Swedenborg, mérite toute notre attention. Le magnétisme animal est la recherche, le rétablissement de l’harmonie ; il existe donc, puisque cette harmonie existe incontestablement ; mais nous croyons qu’il ne peut être utile qu’autant qu’il est religieux ; dans son essence il est religieux, et l’âme de celui qui l’administre y fait beaucoup plus que son fluide. Il faut, comme disent les magnétiseurs, être en rapport, et en rapport de bien. Deux personnes dont les pensées et les mœurs sont réglées peuvent s’aider dans les maux corporels. Le Seigneur a dit des vrais croyants : Ils imposeront les mains aux malades et ils les guériront, Marc, 16 : 18. Le Seigneur enseigne clairement, dans ce passage, que c’est la foi qui guérit. Ce fut celle d’Élisée, et non pas son incubation, qui ressuscita l’enfant de la Sunamite, comme la foi d’Élie avait ressuscité l’enfant de la veuve de Sarepta, aussi avec les mêmes cérémonies ; car ces attouchements, ces incubations, ces impositions de mains sont les formes, les correspondances et les véhicules du bien. Ces connaissances précieuses étaient communes dans l’antiquité ; les prêtres caldéens guérissaient, dans leurs temples, par l’imposition des mains. On voit des figures égyptiennes dans des attitudes purement magnétiques ou magnétisantes, telles que celle d’une main placée sur l’estomac, et l’autre sur le dos d’une personne assise. Le magnétisme n’a rien de miraculeux ; ce n’est pas autre chose qu’un effet de l’intelligence humaine, dégagée des sens, exaltée, et qui peut, en cet état, donner de grandes lumières naturelles. Le magnétisme, comme des somniloques éclairés et conséquents l’ont attesté, pour nous faire juger le rapport des autres somniloques, qui ont des révélations, qui parlent du ciel et des anges, le magnétisme est l’état de la nature, telle qu’elle était dans sa pureté originelle ; mais cet état ne peut se manifester à nous dans toute son étendue et son utilité, parce qu’existant dans un ordre de choses imparfait, qui est le monde actuel, il ne peut qu’être imparfait lui-même. Ce qui se pratique aujourd’hui dans ce genre n’est qu’un essai, une faible image de ce que les hommes pourraient faire s’ils se rétablissaient dans leur premier état d’innocence, parce qu’ils ont été créés pour avoir de l’influence et du pouvoir les uns sur les autres, mais alors ils n’auraient guère besoin de cette puissance curative, parce qu’il n’y aurait plus sur la terre ni vices, ni erreurs. Or, nos maux (excepté les maux héréditaires et accidentels) nous viennent de nos erreurs et de nos vices. Le moral dépravé déprave le physique, et nous rend accessibles aux influences de l’enfer, d’où proviennent toutes nos souffrances. Elles ne sont pas sans remède ; l’âme étant couverte par le corps, l’homme spirituel étant revêtu du corporel, celui-là peut guérir celui-ci, l’âme peut guérir le corps, puisqu’elle le fait mouvoir et agir. La santé du cœur est la vie de la chair, dit le sage. Prov. 14 : 30. La paix de l’âme est la santé des os, idem, 16 : 24. Mais il n’y a point de guérison pour le corps usé par les ans, qui penche et tombe comme les fleurs, les plantes et les arbres ; il n’y a point de guérison pour le corps empoisonné dans sa source ou frappé d’un accident grave ; il n’y a point de guérison pour le corps, jeune ou vieux, d’une âme vicieuse, qui a tout-à-fait renversé l’ordre, et détruit en soi les lois générales de la matière, qui sont la gravitation et l’attraction des parties similaires ; l’humeur (car il n’y a qu’une maladie, qui est l’obstruction), l’humeur viciée, ce liquide épaissi, acquiert, en perdant sa fluidité, une pesanteur qu’elle ne devait pas avoir dans les justes proportions de la machine ; elle en dérange le jeu, elle tombe et attire, comme tous les graves de la nature ; l’homme alors souffre ou meurt. Ses premiers parents, sages et conservant dans toute sa pureté l’image du Créateur, vivaient, par cette raison, sans maladies, ou n’en avaient que de légères : ils étaient, par la pensée, sains de corps ; ils se rétablissaient par la pensée ; nous pouvons le croire, puisque sous nos yeux, dans ce temps corrompu, on guérit encore par la pensée, on guérit par la tempérance, par la gaieté, ou par la paix intérieure, comme on se détruit par les contraires, par trop d’études, de réflexions, ou de chagrins. Or, dans tout cela le corps n’est pour rien, l’âme est tout. Ces assertions paraîtront singulières dans ce siècle où l’on a dit et cru que le corps était tout et qu’il fallait être aveugle pour croire à une âme ; c’est tout le contraire, il faut être aveugle pour n’y croire pas. L’homme de bien, qui réfléchit, sent et connaît qu’il n’y a de fort et d’actif que l’âme, qu’il n’y a de réel et de véritablement vivant que la pensée. Cette étendue que nous appelons notre corps est un rapport de nos sens ; les organes matériels de nos sens ne sont que des convenances avec ce qui les affecte, et notre âme n’a rien de commun avec ces organes extérieurs. La sensation, excitée dans notre âme par la lumière et par le son, ne ressemble point à cette matière aérienne et ténue qui produit le son et la lumière ; l’âme voit et entend par les yeux et les oreilles, qui ont des convenances avec la matière, parce que ces organes sont eux-mêmes matériels. Les qualités que nous croyons essentielles à la matière, l’étendue et l’impénétrabilité, peuvent bien ne pas exister, et la matière peut être toute autre que ce que nous la croyons, puisque notre sensation intérieure, puisque ce qu’elle nous représente par l’étendue et l’impénétrabilité, n’est nullement étendu ni impénétrable ; pendant le sommeil et l’absence des objets, notre âme est affectée de sensations, souvent très-différentes de celles qu’elle a éprouvées par la présence de ces mêmes objets, et en faisant usage des sens ; cette présence des objets n’est donc pas nécessaire aux sensations de l’âme ; notre âme et nous pouvons donc exister seuls. Dans le sommeil, et après la mort, notre corps a toute son existence, et il n’existe plus pour l’âme ; pouvant être, et n’être pas, nous affectant d’une manière différente de ce qu’il est, ou de ce qu’il a été, ce corps est-il quelque chose d’assez réel pour constituer notre essence ? Non : la matière n’est vraie que pour la matière, l’esprit pur n’en a pas besoin, ne la cherche pas, ne la connaît pas ; c’est le spirituel corrompu qui a recherché et vicié le matériel. La douleur n’est pas née de la terre, Job 5 : 6.
20 La seule ville de Manchester compte sept mille disciples de Swedenborg, et l’on estime qu’il y en a près de vingt mille en Angleterre.
21 Un ecclésiastique suédois, nommé Mathésius, qui est devenu fou, et qui vit encore à Stockholm, avait publié que Swedenborg, dont il était ouvertement l’ennemi, s’était rétracté avant de mourir. Pour réfuter cette calomnie, Richard Shearsmith, et son épouse, chez qui Swedenborg est mort à Londres, ont prêté serment, le 14 novembre 1785, devant le premier magistrat de la cité. Voici ce que contient, en substance, ce serment, dont nous avons vu la traduction : M. Swedenborg eut, vers Noël, une attaque de paralysie ; il se rétablit un peu, et redevint faible et malade. À la fin de février, il dit à son hôtesse qu’il mourrait tel jour, et elle croit pouvoir affirmer qu’il mourut ce jour-là, environ un mois après sa prédiction. Quinze jours avant sa mort, il communia dans son lit, des mains d’un ecclésiastique suédois, nommé Ferelius, auquel il recommanda de persister dans la vérité contenue en ses écrits. Peu de temps avant sa mort, M. Swedenborg fut privé de sa vue spirituelle ; et se trouvant dans une grande tribulation, il s’écriait : « Ô mon Dieu ! as-tu donc enfin abandonné ton serviteur ? Après quelques jours il recouvra sa vue spirituelle, ce qui le rendit heureux, et ce fut la dernière de ses épreuves. Dans ses derniers jours, comme dans les autres, il jouit de tout son bon sens et de sa mémoire, dans la manière la plus parfaite. Le dimanche 29 mars 1772, M. Swedenborg, ayant entendu l’horloge sonner, demanda à l’hôtesse et à sa servante, toutes deux assises auprès de son lit, quelle heure c’était. C’est, lui dirent-elles, cinq heures. Il répondit : Voilà qui est bon, je vous remercie ; Dieu vous bénisse ! et un moment après il expira doucement. La veille et le jour de sa mort, il ne reçut aucune visite ; et jamais, ni dans ce temps ni dans un autre, les déposants ne lui ont rien entendu dire qui eut le moindre rapport à une rétractation. »
À cette attestation nous ajouterons (l’ayant appris de gens dignes de foi) que peu de jours avant la mort de Swedenborg, son intime ami lui dit : Au nom de Dieu, devant qui vous devez bientôt paraître, au nom de l’amitié, déclarez-moi si ce que vous avez écrit est la vérité. – Swedenborg lui répondit : « Ma doctrine est vraie, elle m’a été révélée ; et dans les années 80 elle sera très-répandue. »
22 Vera christiana Religio, 12, 13, 14, 25, 28, 135. Apocalypsis revelata, 29, 31, 53, 58, 173. Doctrina novae Hierosolymae de Domino, 19 ad 28, 51. Eadem de Scriptura sacra, 80 ad 90. Sapientia angelica de divino amore et divina sapientia, 4, 11, 28, 83, 86 ad 112. De coelo et inferno, 78 ad 86. Arcana cœlestia, 6700, 6716, 8541 ad 47, 9303. Deliciae sapientiae de amore conjugali, 132 ad 136.
23 La sagesse est la vapeur de la vertu de Dieu. C’est une certaine émanation pure de la clarté du Tout-puissant ; c’est la blancheur de la lumière éternelle : elle est une ; elle peut tout ; stable en elle-même, elle renouvelle tout. Chez les nations elle se répand dans les âmes saintes ; elle constitue les amis de Dieu, et les prophètes. Sap. 7 : 25, 26, 27.
24 Apocal. rev., 31, 70. Sap. Ang. de div. am. et div. sap., 23, 47 ad 65, 69 ad 76, 282 ad 327. Arcana caelestia, 513, 3061, 4240. De caelo et inferno, 103 ad 115. Vera christiana Religio, 78. De commercio animae et corporis, 4, 5, 9, 10.
25 Dieu nous a engendrés de sa volonté, par sa parole de vérité, Epist. cath. Jac. 1 : 18. La volonté, c’est l’amour ; la parole, c’est la sagesse. L’apôtre affirme donc que Dieu nous a créés de son amour par sa sagesse ; l’ecclésiastique le dit aussi : Les œuvres du Seigneur sont dans sa parole. Eccli. 42 : 15. Dieu a fait les cieux dans son entendement, dit le prophète David. Ps. 135, v. 5.
26 Le Seigneur a répandu sa sagesse sur toutes ses œuvres et sur toute chair. Eccli. 1 : 10. – L’âme de tout être vivant est sortie de la face de Dieu. Eccli. 16 : 31.
27 Vera christiana Religio, 77, 78, 80. Deliciae sapientiae de amore conjugali, 261 ad 268.
28 Il n’y a point de contradiction entre les paroles de ce satan, qui ne savait pas qu’il vivait après la mort, et cette autre assertion de Swedenborg : les esprits infernaux haïssent Dieu, qu’ils croient l’auteur de leur damnation. Nos goûts et nos sentiments nous suivent dans le monde spirituel, ils y sont notre récompense ou notre punition. Ce satan ne crut rien tant qu’il vécut ; et maintenant il ne croit tien. Dans les enfers il est, comme sur la terre, aveugle, libertin, fou, et méchant.
29 Vera christiana Religio, 397, 8, 9, 401, 470, 71, 697. Deliciae sapientiae de amore conjugali, 132 ad 136, 270, 315, 326, 329, 415 ad 422. Apocal. rev., 634, 641, 875, 947. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 1 ad 6, 230 ad 254, 358 ad 432. Doctrina novae Hierosol. de Domino, 51, 53. Continuatio de ultimo judicio, 32, 38. Doctrina novae Hierosol. de Scriptura sacra, 38. De nova Hierosol., 114 ad 118. De commercio animae et corporis, 11 ad 19. Arcana caelestia, 978, 1590 ad 98, 6313. De caelo et inferno, 432 ad 444.
30 On sème un corps animal, il naît un corps spirituel ; il y a le corps animal et le corps spirituel, le corps céleste et le corps terrestre. 1 Cor. 15 : 40, 44.
31 La lumière du Seigneur est la respiration de l’homme. Prov. 20 : 27. L’esprit de Dieu est dont mes narines. Job 27 : 3. Si l’homme élève son cœur à Dieu, il attirera à lui l’esprit et le souffle de Dieu. Job 34 : 14. J’ai ouvert ma bouche et j’ai attiré votre esprit, Seigneur, parce que je désirais de suivre ses commandements. Ps. 118 : 131.
32 L’homme commence à vivre quand il finit ici-bas. Eccli. 18 : 6.
33 Dans les trésors de la sagesse éternelle réside notre entendement et la religiosité de la science, Eccli. 1 : 26. La science purement humaine est ennemie de l’homme, parce qu’elle est opposée à la simplicité, qui produit la confiance en Dieu. Celui qui marche simplement marche confidemment, dit le sage. Prov. 10 : 9. Cette confiance en Dieu est l’opposé de l’orgueil, qui se repose sur lui-même et qui perdit le genre humain. Attendre tout de Dieu, ne vouloir que ce qu’il veut, c’est le seul moyen d’être ici-bas heureux et sages. Les premiers hommes avaient éminemment cette sainte confiance ; aussi ils marchaient avec Dieu, comme dit l’Écriture ; ils ne le contredisaient point, le Créateur et la créature allaient, pour ainsi dire, ensemble. La terre obéissait à l’influence divine, tout y était dans l’ordre ; et ces premiers justes y vécurent comme de bons enfants dans la maison paternelle, toujours soumis à un père bien-aimé. Leur rôle d’homme s’accomplit par le plus et le moins de bonheur ; c’est-à-dire, qu’ils furent très-heureux dans ce monde, avant de l’être infiniment plus dans le ciel ; ils s’approchèrent beaucoup de Dieu, qui, comme il nous l’apprend lui-même, est toujours près de ceux qui le cherchent ; ils s’en approchèrent beaucoup, avant de se réunir entièrement à lui. Ce sentiment, qui les dominait, est vivement peint dans leur histoire ; et si vous y faites attention, vous verrez que les plus grandes pensées, que les plus belles expressions de l’Écriture sainte sont toujours relatives à la confiance en Dieu ; elle était immense chez les anciens ; avant que l’Apôtre nous eût donné le précepte de faire pour Dieu jusqu’à la moindre chose, ces hommes simples en avaient donné l’exemple. Dieu était à tel point présent à toutes leurs pensées que Job dit, pour sa justification : En voyant le soleil brillant et la lune claire, je ne me suis point réjoui au fond de mon cœur, je n’ai point, dans mon premier transport, baisé ma main, ce qui est une très-grande iniquité, c’est nier le Très-haut, 31 : 26, 7, 8. Le saint homme dit qu’il a fait, dans cette circonstance, ce qu’il devait faire ; il se félicite d’avoir, en jouissant du bienfait, pensé d’abord au bienfaiteur. Mais il parle ici de ses jours devant Dieu. Il s’écarta ensuite de cette vraie sagesse ; il fut puni pour avoir obscurci le conseil par des paroles sans science, comme le Seigneur le lui reproche, 38 : 2, c’est-à-dire, pour avoir repoussé l’influence du vrai divin par des raisonnement sophistiques, qui le jetaient dans le faux ; il eut ce que saint Paul appelle la hauteur de la chair, qui s’élève contre la connaissance de Dieu, 2 Cor. 10 : 4, 5. Cette hauteur éclate en ses discours, où il se loue, où il étale ses connaissances et se les attribue à lui-même : c’est pour désigner cette fausse sagesse de Job qu’il et écrit que tout ce qui lui appartenait fut livré au pouvoir de satan, 1 : 12, c’est-à-dire, que tout ce qui n’était point de Dieu en lui, tout ce qui tenait à la confiance qu’il avait en ses lumières, aux passions ou aux erreurs dérivées de cette confiance, fut livré aux tentations de l’enfer du faux, car c’est ce que signifie, dans l’Écriture, le mot satan, comme celui de diable, ou de démon, signifie l’enfer du mal : témoins ces passage de l’Évangile : lorsque Simon Pierre voulut détourner le Seigneur d’aller s’exposer à la mort à Jérusalem, le Seigneur l’appela satan ; il lui dit : Retire-toi, satan, tu m’es en scandale, car tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes, Matth. 16 : 23. Le Seigneur appelle satan les mauvais esprits qui, pour égarer les hommes, se transforment en anges de lumière. Le Seigneur appela Judas démon, Jean 6 : 70, parce que, outre les erreurs de son jugement, les affections de son cœur étaient perverties.
34 De caelo et inferno, 7 ad 67, 170 ad 176. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 174 ad 178. Arcana caelestia, 2803, 3061, 6371.
35 Vera christiana Religio, 28 ad 31. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 69 ad 72, 108 ad 111. De caelo et inferno, 191 ad 199, 141 ad 153.
36 Doctrina novae Hierosol. de Domino, 21, 2, 3. Apocal. rev., 820. De caelo et inferno, 59 ad 67, 78 ad 86, 200 ad 212. Arcana caelestia, 551, 2, 3633. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 113 ad 123.
37 De caelo et inferno, 234 ad 245. Vera christiana Religio, 280. Deliciae sapientiae de amore conjugali, 326.
38 De caelo et inferno, 177 ad 190, 213 ad 227. Vera christiana Religio, 740 ad 752, 851. Arcana caelestia, 1728, 3702, 4040.
39 Apoc. rev., 752. Vera Relig., 694, 695, 820, 4, 5, 6.
40 Le naturel n’est que la base et l’écorce du spirituel ; St Paul lui-même nous l’enseigne, dans ce passage de l’épître aux Romains, ch. 1, v. 20 : Par ce qui est fait dans le monde, la créature comprend et voit les choses invisibles de Dieu. Cette grande vérité fut connue des anciens : Hermès Trismégiste dit positivement : Tout ce qui est ici-bas est semblable à ce qui est en-haut. Dans l’autre monde comme dans celui-ci, la vie est Amour. Dans le ciel, c’est l’amour de Dieu et du prochain. Dans l’enfer, c’est l’amour du monde et de soi-même. Tout se ressemble, l’enfer est pareil au monde actuel, mais avec plus d’ardeur et de cruauté dans les passions, avec plus d’intensité dans le malheur ; aussi, pour exprimer la corruption du temps présent sur la terre, on dit : C’est un enfer. Le ciel est semblable à ce que la terre fut jadis, à ce qu’elle peut redevenir, mais semblable avec plus de charme, d’étendue et de pureté dans l’amour, avec plus d’intensité dans le bonheur, puisque les corps n’existent point dans le ciel et que tout y est accompli. On a la perception de cette vérité quand, pour peindre un lieu qui est le séjour de l’innocence, on dit : C’est un paradis.
41 Sapientia ang. de div. am. et div., 73 ad 76. De caelo et inferno, 154 ad 169. Vera christiana Religio, 21, 2, 3. Arcana caelestia, 5264, 6491. Sap. ang. de div. providentia, 124.
42 De caelo et inferno, 258 ad 264. Vera christiana Religio, 278. Doctrina novae Hierosol. de scriptura sacra, 44, 45, 97. Apocal. revel., 263, 4. Deliciae sap. de amore conjugali, 326.
43 Vera chr. Rel., 110, 278.
44 De caelo et inferno, 311 ad 331.
45 De caelo et inferno, 545 ad 596. Apocal. revel., 153. Deliciae sap. de am. conj., 261 ad 269. Arcana caelestia, 695, 741, 3513. De nova Hierosol., 74, 78, 188.
46 Deliciae sap. de am. conj., 261 ad 269.
47 Arcana cælestia, 1521 et 22, 3190. De caelo et inferno, 246 ad 257. Vera christ. Relig., 250. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 386, 7.
48 De caelo et inferno, 319 ad 345, 445 ad 481. Apocalyp. revelata, 153, 611. Deliciae sap. de am. conj., 182. Vera christ. Relig., 137, 8. Sap. ang. de div. providentia, 226 ad 231.
49 De cælo et inferno, 87 ad 115, 170 ad 176. Arcana caelestia, 519, 2890, 3485, 5711. Apocal. revel., 363, 403. Sap. ang. de div. prov., 371 ad 393. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 371 ad 400. Doctrina novæ Hierosol. de Domino, 26, 27. Continuatio de ultimo judicio, 32 ad 38. Deliciæ sap. de am. conj., 326 ad 329. Vera christ. Relig., 201 ad 207, 268.
50 Job parle beaucoup de l’intelligence des animaux, et c’est comparativement qu’il dit de l’autruche : Dieu l’a privée de sagesse, et il ne lui a point donné d’intelligence, 39 : 17. Il veut dire qu’elle en a peu ; mais elle en a, puisqu’elle existe, puisqu’elle est au nombre des animaux qui peuplent la terre, animaux que le saint homme appelle intelligents, et dont il vante l’industrie.
Cette opinion sur l’entendement donné aux animaux avec la vie, laquelle ne peut être qu’intelligente, puisqu’elle vient de Dieu, cette opinion fut celle des anciens, qui connurent la vérité, qui possédèrent la science. Virgile, d’après les connaissances qu’il avait puisées dans les mystères, et parmi les initiés, dépositaires de cette science antique, dit, en parlant des fourmis, des abeilles, et de tous les animaux :
Quia sit divinitus illis
Ingenium, et rerum fato prudentia major.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Esse apibus partem divinae mentis, et haustus
Aethereos dixere, deum namque ire per omnes
Terras que, tractus que maris, cælum que profundum ;
Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum,
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitat.
Virg., Georg.
Il faut bien que les animaux aient quelque intelligence, puisqu’ils ont la vie ; car toute vie vient de Dieu, qui est amour, et la forme de tout amour est la sagesse, ou l’intelligence ; donc puisque les animaux sont vivants, ils sont intelligents. Leur vie, ou leur amour, influe en eux, comme dans un vase convenable, une portion quelconque de science ou d’intelligence qui les dirige constamment et qui étonne les hommes les plus savants ; et voilà précisément ce qui constitue leur animalité ; ils sont animaux et distingués de l’homme, parce que leur science, que nous avons nommée instinct, est toujours subordonnée à leur amour, parce que cette science est un effet de l’amour naturel qui est leur vie, et qu’ils ne peuvent perdre qu’avec la vie. Les animaux se conduisent toujours bien, parce qu’il ne sont pas libres parce qu’ils sont toujours menés par leurs appétits, par leurs besoins, par leur amour ; de même, si l’homme était constamment dirigé par l’amour qui lui est propre, qui est l’amour de Dieu et du prochain, il ne ferait jamais de fautes ; et s’il lui était impossible de s’écarter de cet amour céleste, il ne serait plus libre, ce ne serait plus un homme, mais une bête, il ne pourrait plus ni se vaincre, ni se perfectionner, ni mériter le ciel.
Enfin il faut bien que les animaux soient, jusqu’à un certain point, intelligents, puisque dans l’Écriture le Seigneur nous ordonne la pitié envers eux et la justice. Voyez dans le Pentateuque la défense de tuer l’agneau devant sa mère, de lier le mufle du bœuf qui triture le grain, de prendre, dans le nid des oiseaux, la mère avec les petits ; c’est parce que les animaux sont intelligents (et qui sait si les végétaux n’ont pas ainsi quelque intelligence, puisqu’ils ont la vie ?) que cette sainte Écriture nous les donne souvent pour objets d’instruction ; et c’est une leçon grande et utile. En effet, placés, depuis notre chute, à l’extrémité de la chaîne des êtres, nous pouvons, par les animaux, nous élever au-dessus des animaux ; nous pouvons, observant les forces qui les dirigent, remonter jusqu’à la force unique et vivante qui les a produits comme nous, mais qui n’a donné qu’à nous les moyens de l’honorer dignement.
51 Vera Rel., 692, 693.
52 Doctrina novae Hierosolymae de Domino, 18 ad 42, 55 ad 61. Apocalypsis revelata, 92, 490, 537, 961. Nova Hierosol., 280 ad 297. Arcana caelestia, 1439, 1999, 2329, 10738. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 17 ad 39.
53 Persona signifie proprement un rôle, une action représentée ; les Latins, et après eux les Italiens, n’ont jamais entendu antre chose par le mot persona, dont nous avons détourné le vrai sens dans notre personne. Il est donc possible qu’Athanase n’ait pas dit dans son symbole ce que l’on croit qu’il a dit ; il est possible que par les trois personnes en Dieu il ait entendu les trois actions que Dieu a accomplies pour le bonheur du monde, qui sont de l’avoir créé, racheté, éclairé ; et c’est, dit Swedenborg, tout ce qu’il faut entendre par le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Voilà la Trinité.
54 Ap. rev., 962.
55 Nova Hierosolyma, 282 ad 285. Arcana caelestia, 3657, 6849, 10057. Doctrina novae Hierosolymae de Domino, 19 ad 48. Apocal. rev., 269, 281, 481. Doctrina novae Hierosol. de scriptura sacra, 60 ad 90. Expositio sensus interni, pag. 52 ad 58.
56 Les Anglais ont tous des traits communs entre eux ; les ressemblances de visage sont très-ordinaires chez cette nation, parce qu’elle a un caractère moral et politique : les corps se ressemblent comme les esprits.
57 Summaria expositio doctr. novae ecclesia, 60 ad 69. Arc. caelestia, 1266, 4180, 4287. Nova Hierosolyma, 293, 94 et 95. Apoc. rev., 269, 281, 481, 504, 520, 523, 565. Expositio sensus interni, pag. 52 ad 58. Doctrina nova Hierosol. de Domino, 12 ad 17.
58 Vera chr. Rel., 134.
59 Arcana caelestia, 1798, 2663. Nova Hierosol., 112, 115. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 71 ad 78. Apoc. revelata, 110, 161, 167, 170, 173, 962. Doctrina novae ecclesiae de Domino, 43, 54. Sap. ang. de divina providentia, 262, 263. De caelo et inferno, 291 ad 302. Deliciae sapientiae de amore conj., 380 et 415 ad 422.
60 Que le bon produise le vrai, c’est ce que l’Évangile affirme en St Jean, 3 : 21. « Celui qui fait la vérité vient en la lumière. » Le Seigneur nous donne encore la même instruction dans Isaïe 58 : 7, 8, 9. » Rompez votre pain avec celui qui a faim ; ouvrez votre maison à ceux qui n’en ont point ; couvrez celui qui est nu et ne méprisez par votre chair ; alors votre lumière brillera comme celle du matin, votre salut commentera, la justice et la gloire du Seigneur marcheront devant vous et vous recueilleront ; alors vous invoquerez et le Seigneur exaucera ; vous l’appellerez et il dira : Me voilà. »
61 Vera christ. Rel., 316.
62 L’esprit de vie dans les hommes, mais c’est l’inspiration du Tout-puissant qui leur donne l’intelligence, Job 32 : 8. Vous m’avez accordé la vie, la miséricorde, et votre présence conserve mon esprit, Job, 10 : 12. L’esprit de Dieu m’a fait et le souffle du Tout-puissant m’a vivifié, Job, 33 : 4. En vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous voyons la lumière, Ps. 35 : 10.
63 Expositio sensus interni, pag. 30, 31, 32. Doctrina novae Hierosol. de scriptura sacra, 33, 76 ad 79, 80 ad 90, 101, 2, 3, 205 ad 221. Apocalypsis revelata, 1, 200, 631, 897, 98. Doctrina vitae pro nova Hierosol., 53 ad 60. Arcana caelestia, 1776, 2553, 3085. Nova Hierosol., 249 ad 254. De caelo et inferno, 303 ad 310. De cultu et amore Dei, 20. De equo albo, de quo in apocalypsi, 1, 2, 3, 4. Doctrina novae Hierosol. de Domino, 1 ad 11.
64 La lecture quotidienne de l’Écriture sainte est une pratique religieuse et utile ; cette lecture éclaire, attendrit ; et après l’avoir faite on se sent meilleur. La parole de Dieu est pour nous ici-bas la lettre d’un père à son fils voyageant dans une légion lointaine : il lui dit d’être sage au milieu des dangers, de songer à son retour, mais de ne revenir toutefois qu’avec les fruits de son voyage, et de rapporter dans la maison paternelle une ample provision de vertus et de connaissances.
65 Vera christ. Rel., 187, 277, 279.
66 Le cheval, qui est docile et qui n’a point d’autre volonté que celle de son cavalier, signifie, dans le sens interne, l’intelligence, parce que la véritable intelligence, la sagesse de l’homme, consiste à se laisser conduire par le Seigneur et par sa parole. Lorsque dans l’Écriture le cheval est pris en mauvaise part, il signifie l’intelligence rétive, fougueuse et indomptée des esprits corrompus. C’est ainsi que, selon Swedenborg, tout est signifiant et correspondant ; il n’a pu inventer ces rapports ; en y réfléchissant, on verra qu’ils sont réels, nécessaires, et que tout ce qui ne signifierait rien ici-bas ne serait rien. « Le royaume du ciel, dit Swedenborg, est le royaume des fins, ou motifs : l’action se produit d’abord dans le ciel, de là dans le monde, et par degrés dans les infiniment petits de la terre. Les effets terrestres, liés nécessairement avec leurs causes célestes, établissent la correspondance pour toute la nature : voilà pourquoi tout y est correspondant et signifiant. Quant à l’homme, il est le moyen d’union entre le spirituel et le naturel ; par cette union, qui constitue précisément son humanité, il correspond sans cesse avec le ciel et la terre. Cette connaissance merveilleuse des correspondances, que la bonté de Dieu a accordée à Swedenborg, est sans cesse rappelée dans ses ouvrages ; jamais il ne la perd de vue ; et de là vient l’intérêt prodigieux qu’il inspire. Selon lui tout dérive du ciel et rappelle au ciel ; voilà pourquoi ses écrits sont sublimes et clairs, chose si rare. Il parle dans les cieux et il se fait entendre sur la terre ; il dit beaucoup, et il laissé encore plus à penser ; la richesse de ses pensées et de ses expressions est telle que sur un mot pris dans ses ouvrages, sur une phrase, sur un titre de chapitre, on pourrait faire un volume ; c’est une mine riche et vraiment inépuisable.
La doctrine des correspondances nous est encore spécialement utile en ce qu’elle nous rappelle aux cieux et nous prouve que notre vie ici-bas n’est qu’une vie d’espérance. Nos vifs désirs pour les biens terrestres et leur possession, suivie d’un prompt dégoût, nous donnent la même leçon ; le seul homme heureux sur la terre est l’homme religieux, parce qu’il espère le ciel, parce qu’il a ce que l’apôtre appelle la bienheureuse espérance. Notre esprit est toujours dans l’espérance ; mais si elle a pour objet les biens du monde, nous sommes plus heureux en les espérant qu’en les possédant, par ce que, comme dit encore l’apôtre, l’espérance qui se voit n’est pas une espérance, Rom. 8 : 24.
67 Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 39 ad 64. Apocalypsis revelata, 84, 386, 875. Sapientia ang. de div. providentia, 242. Doctrina novae Hierosol. de fide, 61 ad 68. Continuatio de ultimo judicio, 16 ad 21. Nova Hierosol., 108 ad 119. Arcana caelestia, 1594, 2663, 3987, 9186. Sapientia ang. de div. amore et div. sap., 400 ad 419.
68 Dans notre langue, foi est synonyme de croyance ; il nous semble que le mot latin fides eût été, en matière de religion, mieux traduit par fidélité. Les premiers chrétiens s’appelaient les fidèles, et ce nom est encore aujourd’hui donné à quelques-uns de leurs successeurs, parce qu’il exprime parfaitement leur état intérieur. En effet, les vrais croyants sont ceux qui sont fidèles à l’inspiration du Seigneur, c’est-à-dire, ceux qui ont une conduite régulière. Si vous faites le bien, vous croirez ; si vous faites le mal, vous douterez, ou vous ne croirez rien du tout ; il n’est personne qui n’ait éprouvé cela en méditant sur l’Évangile. Un homme connu dans la république des lettres nous a dit : « Selon que je cède ou que je résiste à mes penchants, Swedenborg me paraît un rêveur ou un sage, le partisan de l’erreur ou l’apôtre de la vérité. » Cet aveu n’étonnera pas ceux qui connaissent le cœur humain. Dans la tentation même la foi est d’abord ébranlée ; et le premier consentement au mal est toujours un mouvement d’incrédulité. On commence par se demander quel tort le mal fait à Dieu ; on finit quelquefois en disant : Dieu n’est pas.
69 Apocalypsis revelata, 655.
70 Apocalypsis revelata, 386, 655, 875, 908. Nova Hierosol., 84 ad 105. Arcana caelestia, 3876, 6632, 6707, 8120. Sap. Ang. de div. am. et div. sap., 419 ad 424. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 45 ad 50. Expositio sensus interni, p. 30, 31. Deliciae sap. de am. conj., 132 ad 136. De commercio animae et corposis, 13, 14.
71 « La fidélité dans le devoir est amour ; l’amour est l’observation des lois que cet amour impose ; l’observation de ces lois est la perfection de l’innocence ; et la perfection de l’innocence nous unit à Dieu. » Sap. 7 : 25, 26, 27.
72 Vera christ. Rel., 71, 459. Apoc. rev., 484, 611.
73 Apocalypsis revelata, 89, 99. Doctrina novae Hierosol. de scriptura sacra, 73, 104 ad 113. De caelo et inferno, 545 ad 549, 589 ad 601. Nova Hierosol., 141 ad 147. Arcana caelestia, 2870, 2875, 2883, 2884, 9586. Sap. ang. de div. providentia, 234 ad 285, 296. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 64 ad 69.
74 La connaissance de ces deux hommes, celle de la correspondance et de l’influence céleste qui agit sur l’homme intérieur, et de là sur l’extérieur, nous remet, pour notre bonheur, sous la main de Dieu, et nous prouve que toute pensée vient de lui ; d’où il faut inférer que la science humaine, même celle qui est religieuse, est toujours secondaire, qu’elle n’est nullement le propre de l’homme, et que cette même science humaine, sans religion, n’est qu’erreur et folie. Cette doctrine a été enseignée par le Seigneur lui-même, en St Matthieu, 16 : 12 ad 18. Nous allons transcrire ce passage, formel et remarquable. Jésus-Christ dit à ses disciples : Qu’est-ce que les hommes pensent du fils de l’homme ? – Ils lui répondirent : Les uns disent qu’il est Jean-Baptiste, les autres, Élie, les autres, Jérémie, ou un des prophètes. – Jésus leur dit : Et vous, qui croyez-vous que je sois ? – Simon-Pierre dit : Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant. – Jésus lui répondit : Simon Barjone, vous êtes heureux de ce que cette pensée ne vient pas en vous de la chair et du sang, mais de mon père céleste, qui vous l’a révélée. Ainsi le divin rédempteur ne félicite pas son disciple d’avoir dit une grande vérité, il le félicite d’avoir mérité qu’une grande vérité lui fût révélée du ciel ; et il lui montre en même temps l’unique source du vrai ; St Paul nous la montre aussi, cette source divine, lorsqu’il dit : Celui qui croit savoir quelque chose ne sait pas encore comment il faut s’instruire. 1 Cor. 8 : 2.
75 En méditant sur la grandeur de Dieu, je l’admire dans la création des mondes innombrables, dans cette omniscience par laquelle, présent à tant de millions d’hommes, il connaît et dirige chacun en particulier comme s’il était le seul homme dans l’univers ; mais je ne vois rien de plus grand, de plus divin que notre liberté, par laquelle nous pouvons mériter Dieu, notre liberté qui répond à toutes les objections de ceux qui ne croient pas ou qui demandent des miracles pour croire, de ceux qui se plaignent du mal moral et physique, qui trouvent la révélation impuissante et la providence injuste.
On a élevé sur ce sujet une question inutile, celle de la prescience. « Dieu sait ce que nous ferons en telle occasion, disent quelques écrivains ; donc nous ne sommes pas libres ; dans les décrets éternels, nous sommes prédestinés à faire telle chose. »
L’omniscience et l’omniprésence de Dieu ne sont point inconcevables ; celui qui est tout peut tout ; Dieu est la pensée universelle, hors de laquelle il ne peut conséquemment y avoir de pensée ; et nos âmes ne sont que les émanations de cette pensée, les émanations de Dieu même. Pour que cette doctrine ne vous paraisse pas voisine du spinosisme, pour qu’elle ne vous scandalise pas en vous faisant considérer le mal et les mauvaises pensées de l’homme comme venant de Dieu, songez au libre arbitre ; l’homme, qui est de Dieu et en Dieu, est pourtant lui par la liberté ; c’est la liberté qui constitue proprement le moi humain. Ayant un corps passif, l’homme ne peut qu’avoir un esprit actif et libre ; il dût recevoir, et il reçut, avec les sens corporels, la faculté de les réduire en actes bons ou mauvais ; cette création était seule digne de Dieu, et pouvait seule lui ramener ses créatures.
76 Vera christ. Rel., 503, 504, 505, 506. Deliciae sap. de am. conj., 115.
77 Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 80, 81, 105. Apocal. rev., 531, 567. Nova Hierosol., 159 ad 169. Arcana caelestia, 865, 929, 9334, 9445, 10109. De ultimo judicio, et de Babylonia destructa, 73, 74. Expositio sensus interni, p. 23, 94.
78 Apoc. rev., 531.
79 Dans la correspondance, dans le sens interne de l’Écriture, Sodome signifie l’amour égaré et corrompu ; l’Égypte signifie la science humaine détournée de son vrai but, qui est la religion ; il signifie la science dégradée ; ainsi l’Égypte et Sodome représentent l’amour et l’entendement détournés de leur voie.
80 Apocal. rev., 535, 331, 796. Doctrina novae Hierosol. de scriptura sacra, 2 ad 12. Expositio sensus interni, p. 38. De caelo et inferno, 200 ad 212. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 69. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 401 ad 422. Nova Hierosol., 173 ad 182. Arcana calestia, 677, 989, 2004, 3665, 7442, 8725, 10243.
81 Jésus-Christ se plaisait avec les enfants, auxquels il témoigna toujours une extrême tendresse, et il dit que le royaume des cieux était réservé à leurs pareils. En effet, les enfants sont doux, simples, dociles, et tel est le caractère du vrai chrétien. Les premiers hommes furent, pour leur simplicité et leur bonté, appelés les enfants de Dieu ; c’est aussi le nom que l’apôtre donnait aux premiers chrétiens, qui se nourrissaient, comme il le dit, du lait spirituel de la parole. Dieu, qui est un père, nous parle comme ici-bas un père tendre parle à son fils. « Évitez, lui dit-il, les dangers qui vous environnent, et songez à l’avenir, soyez sage, docile, et appliqué à vos devoirs ; vous en serez récompensé par la santé, par la science, par la gloire, la fortune et le bonheur. » Voilà précisément les instructions du Seigneur, qui nous voit en ce monde comme dans un gymnase où nous devons nous former pour le ciel. Un père sage, qui pardonne à un fils libertin, lui dit encore : « Ne me croyez pas indifférent, comme vous, sur le bien et sur le mal ; ne comptez pas toujours sur mon indulgence ; si vous retombez encore, vous me trouverez sévère. » Ainsi Dieu, qui craint qu’une fausse idée de sa bonté ne nous porte au mal par l’espoir du pardon, nous avertit dans les Saintes Écritures. Le Seigneur a dit au pécheur : pourquoi vantez-vous mes promesses ? Pourquoi mes paroles sont-elles dans votre bouche ? Vous avez cru injustement qui je serais semblable à vous ; je vous accuserai et je jugerai contre vous. Ps. 49 : 16 et 21.
Notre vie sur la terre est donc une enfance ; il est aisé de s’en convaincre. Les passions, qui nous rendent si misérables, nos usages, nos goûts, nos folies et notre inconstance, tout cela atteste assez que nous sommes des enfants, et des enfants indociles ; enfin, soit qu’il fasse le bien, soit qu’il fasse le mal, un mortel ici-bas est un enfant ; ce n’est que dans l’autre vie qu’il est formé, qu’il est vraiment un homme.
Approfondissez ces Idées, ou qualités, de père, d’enfant, de famille, de naissance, ou de reproduction, laquelle peint l’infini : réfléchissez sur l’essence de l’amour conjugal, composé de chaleur et de lumière, où réunissant, pour le bonheur et la reproduction des êtres, l’entendement et la volonté, la sagesse et l’amour, et par-là vous aurez, en vous élevant de la terre au ciel, une juste notion de Dieu, de l’homme, de sa vocation, de la création, et de la providence ; vous vous confirmerez dans cette grande vérité que ce monde-ci est l’image d’un autre monde, que le terrestre représente le céleste, dont il est émané.
82 « Dans les choses célestes nous n’avons point à combattre contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances qui gouvernent le monde des ténèbres, contre les méchants esprits. » Éph. 6 : 12.
83 Vera christ. Rel., 48.
84 Apocalypsis revelata, 776, 668, 962. Doctrina novae Hierosol. de Domino, 18. Sap. ang. de div. providentia, 277. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 105 ad 112, 60 ad 69. Nova Hierosol., 150 ad 157. Arcana celestia, 3502, 5398, 8478, 8744.
85 Apocal. rev., 463.
86 Apocal. rev., 378, 776. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 64, 69. Nova Hierosol., 202 ad 208. Arcana caelestia, 660, 2299, 4255, 9089, 19386, 10391.
87 Vera christ. Rel., 696, 697.
88 Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 64 ad 69, 105. De cultu et amore Dei, 38 ad 57. Apocalypsis revelata, 19, 379, 555. Nova Hierosol., 210 ad 214. Arcana caelestia, 276, 681, 3114, 6789, 9217. De caelo et inferno, 303 ad 310.
89 Apocal. rev., 224, 566. Vera christ. Rel., 25, 26, 35, 135, 359, 460, 508, 569. Deliciae sap. de am. conj., 231, 2, 3.
90 Rien ne peut venir de Dieu qui ne soit Dieu. Il est tout le bien, parce qu’il est tout et indivisible.
91 Apocalysis revelata, 478, 553, 626, 627, 639, 811 ad 832, 876 ad 925, 932 ad 956. Deliciae sap. de am. conj., 81, 82, 532. Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 70 ad 104. Expositio sensus interni, p. 52, 53. Nova Hierosol., 1 ad 10. Arcana caelestia, 402, 2943, 3858, 7973. De ultimo judicio, et de Babylona destructa, 33 ad 39, 65 ad 72. Doctrinae novae Hierosol. de Domino, et de scriptura sacra, 1 ad 200. Doctrina vitae pro nova Hierosol., 1 ad 60.
92 Ici finissent les extraits du traité intitulé De la vraie Religion chrétienne. Ce qui va suivre cette division est tiré, de même que ce qui la précède, de tous les différents ouvrages de Swedenborg.
93 Apocalypsis revelata, 839.
94 Summaria expositio doctrinae novae ecclesiae, 21, 23. De nova Hierosol. et ejus doctrina caelesti, 241 ad 245. Arcana caelestia, 2589, 3263, 4190, 6700, 7395. De ultimo judicio, et Babylonia destructa, 40 ad 44.
95 Expliquant le sens vrai de ces paroles : tous tes enfants seront enseignés de Jéhovah (Isaïe, 54 : 13), Swedenborg, dans l’article 8 du Traité de la providence divine, nous conseille (loin de nous en détourner, comme on l’a prétendu) les actes extérieurs de dévotion, tels que la fréquentation des temples, l’usage de la prière et des sacrements, surtout de la sainte Cène, afin de participer à la grâce intérieur que le culte renferme. En effet, dans la religion tout est significatif et utile. Ces mains imposées, ces eaux lustrales, ces signes et attitudes, ces chants, ces processions, ces lumières et ces couleurs, sont les correspondances des vertus du Seigneur ; ce sont les véhicules du bien qu’il nous destine ; c’est ainsi qu’il fait pour tous les miracles qu’il peut faire ; car, ménageant notre liberté, qui est dans l’ordre, il ne peut pas, afin de nous convertir à lui, troubler à chaque instant les lois de la nature ; mais il se communique tous les jours à nous par de moyens naturels, qui sont en nous ; voilà comment nous devenons bienfaiteurs les uns des autres ; c’est ainsi que nous sommes tout à la fois, comme dit l’Écriture, dieux et enfants des hommes.
96 Vera christ. Rel., 112, 160, 185.
97 Vera christ. Rel., 665. Nova Hierosol., 130 ad 138. Arcana caelestia, 831, 1077, 2380, 5470, 7217, 9207. Apoc. rev., 641, 868. De caelo et inferno, 528 ad 535.
98 Vera chr. Rel., 335.
99 Nova Hierosol., 267 ad 275. Arcana caelestia, 1755, 1937. 4839, 5049, 6481, 8700. Sap. ang. de div. am. et div. sap., 327 ad 357. Vera christ. Rel., 49 ad 70. De caelo et inferno, 291 ad 302. Deliciae sapientiae de amore conj., 171, 316, 386 ad 401. Sap. ang. de div. providentia, 221 ad 285. De commercio animae et corporis, 18, 19.
100 Dieu vient à moi sans que je le voie, il s’éloigne sans que je m’en aperçoive, Job 9 : 11.
101 Voici encore une prédiction (faite en 1768) du magnétisme, mais du magnétisme religieux, le seul qui existe. Selon les documents célestes de Swedenborg, l’esprit régénéré est puissant parce qu’il est en Dieu ; et il communique nécessairement sa puissance au corps qu’il anime, au corps dont il est revêtu, au corps qui est ici-bas le seul moyen, le seul agent de l’esprit. Telle est la base de la puissance humaine dans les premiers âges du monde ; plût à Dieu que l’homme en fût aujourd’hui persuadé ! La doctrine la plus vraie et la plus utile pour lui serait de croire qu’il fut jadis très-élevé, très-puissant, et qu’il est maintenant très abaissé, très-faible ; c’est ainsi qu’il pourrait se relever.
102 Contre le mal il y a le bien, contre la mort la vie, et contre le juste le pécheur ; ainsi considérez toutes les œuvres du Très-haut, vous y verrez deux contre deux, un contre un. Eccli. 33 : 15 et 42 : 25.
103 Vera christ. Rel., 72, 73.
104 De caelo et inferno, 265 ad 275. Arcana caelestia, 2795, 3855, 5077, 6624, 7793, 8067, 9166, 10785. Doctrina nova Hierosol. de scriptura sacra, 62 ad 69.
105 Vera christ. Rel., 846, 47, 48, 49, 50.
106 De caelo et inferno, 228 ad 233. Arcana caelestia, 4295, 4402, 6413, 8301, 9410.
107 De caelo et inferno, 276 ad 283. Arcana caelestia, 1616, 2306, 3183, 4797, 5608, 9301, 10021, 10110.
108 De caelo et inferno, 284 ad 290ego. Arcana caelestia, 3780, 4681, 5662, 8455, 8722.
109 De caelo et inferno, 415 ad 420. Arcana caelestia, 8541, 8547, 9968, 10159, 10736, 37. De telluribus in universo, 1 ad 5.
110 De telluribus in universo, 10 ad 130.
111 De caelo et inferno, 346 ad 356. Arcana caelestia, 1450 ad 2000, 3114, 3086, 4459, 5147, 5426, 6277, 6400, 7770, 8562, 9003, 10331.
112 Les sciences humaines ayant, dans ce siècle, déclaré la guerre à la science de Dieu, il n’est pas inutile de retracer ici une partie des reproches qu’elles méritent, privées de leur véritable appui. 1o Les savants et les lettrés attirent les nations à eux, comme font les charlatans ; tous se vantent d’avoir le remède universel, tous se disent les réparateurs du mal, les médecins de l’homme, et ils ne peuvent rien sur son cœur ; 2o ils font beaucoup de mal en élevant jusqu’aux cieux le bien public qui n’existe pas, ou qui est mince, relatif à de minces objets et de peu d’effet. Corrupteurs nés des grands et des riches, ils les rendent plus dangereux encore, en louant sans cesse leur naissance, leur fortune et leurs talents. Ils font et ils ont fait pis dans tous les temps, en célébrant des forfaits contre l’humanité ; au lieu de choisir constamment pour leurs héros des guerriers qui ont répandu beaucoup de sang, au lieu d’anoblir la férocité, s’ils s’étaient réunis, conjurés contre la guerre, ils en auraient peut-être détourné les hommes ; au lieu de ridiculiser la paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, qui n’est une chimère que parce que la méchanceté des hommes est une réalité, mais une réalité corrigible et non nécessaire ; ils devaient se confédérer pour prêcher cette paix à toutes les nations ; leurs poèmes, leurs traités, leurs drames, tous leurs discours en vers et en prose, devaient célébrer la paix perpétuelle comme le vœu général et le bonheur très-possible de l’humanité ; qui sait s’ils ne l’auraient point établie ? 3o la conduite des lettrés, si opposée à leurs discours, habitue les citoyens à l’impudence, elle leur apprend à parler, et non point à agir, elle leur apprend à bien dire et à mal faire ; 4o la science d’un écrivain qui se fait imprimer et qui dit à ses semblables : Écoutez-moi, cette science enfle nécessairement le cœur et nourrit l’orgueil, le plus grand ennemi de l’homme ; 5o donnant à l’histrionage et aux histrions une importance funeste, les lettrés n’aiment et ne vantent que les grandes villes, où il y a des théâtres, les capitales, où il y a une académie. C’est au milieu des grandes villes que ces écrivains s’agitent, dans un tourbillon de crimes et d’erreurs, qu’ils prennent pour la sphère de la vérité. De cette source proviennent le mépris de la province et de la campagne, le mépris du simple et inestimable bon sens, l’éloignement du mariage et des professions utiles à la société, enfin les systèmes, les prôneurs, les partis intrigants et divisés, signes infaillibles de mensonge et d’intérêt personnel, spectacle affligeant et hideux, qui réunit l’ineptie et l’orgueil, la haine et la politesse.... Vous tous qui avez du loisir, lisez les ouvrages où le bon et le beau sont fidèlement empreints ; étudiez la nature pour vous élever jusqu’à son auteur ; tâchez de la peindre pour la faire aimer. Mais pourquoi tant d’autres écrits ? Pourquoi tous ces savants par état qui n’ont ni inspiration ni mission ? À quoi servent ces littérateurs si fiers de leur enthousiasme ou de leur goût tant de fois prostitué, tant de fois vendu à l’opulence scandaleuse, à la dissolution publique, à la puissance oppressive ? Qu’a-t-on besoin de leur plus fidèle peinture des passions ? Le cœur humain est assez connu ; c’est de le vaincre qu’il s’agit, et non pas de le peindre.
113 Deliciae sapientiae de amore conj., 1 ad 138, 355, 356, 381 ad 84. Apocalypsis revelata, 881, 895, 955. De caelo et inferno, 366 ad 386. Vera christ. Rel., 624, 747, 48 et 49. Nova Hierosol., 13, 15. Arcana caelestia, 54, 485 ad 490, 994, 2728.
114 Deliciae sap. de am. conj., 19, 20, 21.
115 Arcana caelestia, 1726, 2776, 3028, 5662. De caelo et inferno, 295, 414. Apocalypsis revelata, 938, 949. Sap. ang. de div. prov., 64 ad 69. Deliciae sap. de am. conj., 461. Vera christ. Rel., 731 ad 752, 792, 93, 94.
116 Devenere locos laetos et amoena virecta
Fortunatorum nemorum, sedesque beatas.
Largior hic campos aether et lumine vestit
Purpureo, solem que suum, sua sidera norunt.
Pars in gramineis exercent membra palaestris,
Contendunt ludo et fulva luctantur harena ;
Pars pedibus plaudunt choreas et carmina dicunt.
.....................................................Quae gratia currum
Armorumque fuit vivis, quae cura nitentis
Pascere equos, eadem sequitur tellure repostos.
Conspicit ecce alios dextra laevaque per herbam
Vescentis, laetumque choro paeana canentis
Inter odoratum lauri nemus, unde superne
Plurimus Eridani per silvam volvitur amnis.
Hic manus ob patriam pugnando volnera passi,
Quique sacerdotes casti, dum vita manebat,
Quique pii vates et Phoebo digna locuti,
Inventas aut qui vitam excoluere per artes,
Quique sui memores alios fecere merendo.
VIRG. Æneidos, L. VI.
Ils parviennent aux lieux plaisants, aux aimables prairies
Des bois fortunés et aux demeures bienheureuses.
Ici, un éther très vaste éclaire ces plaines de lumière pourpre,
Les occupants y connaissent leur propre soleil et leurs astres.
Les uns exercent leurs corps sur des palestres de gazon,
S’affrontent dans des jeux et des luttes sur le sable fauve ;
D’autres rythment du pied des chœurs et chantent des poèmes.
..............................................Ce charme des chars et des armes,
Qu’ils ont éprouvé de leur vivant, ce soin à élever de brillants chevaux
Subsistent intacts et les suivent, après leur mise en terre.
Voilà qu’Énée en aperçoit d'autres à droite et à gauche,
Mangeant dans l’herbe et chantant en chœur un joyeux péan,
Au milieu d'un bois de lauriers parfumés d'où, refluant vers le haut,
Le fleuve Éridan roule ses eaux abondantes à travers la forêt.
Voici la troupe des héros blessés en combattant pour leur patrie,
Et ceux qui, durant leur vie, furent des prêtres vertueux,
Les prophètes pieux, qui ont parlé un langage digne de Phébus,
Ou ceux qui ont embelli la vie grâce aux arts qu'ils ont inventés
Ou ceux dont les mérites ont laissé le nom dans les mémoires.
Le sixième livre de l’Énéide est, selon l’opinion des plus savants, une représentation des anciens mystères et une exposition des dogmes que l’on y enseignait. Venus de la haute Asie, où la science des correspondances et des arcanes célestes fut longtemps connue, les mystères, transportés en Égypte, y conservèrent pendant de longues années cette science précieuse, qui enfin se perdit et devint une source d’idolâtrie. Le poète romain la connaissait dans toute son élévation, et il en donne ici les notions les plus pures. Il est assez intéressant de faire remarquer une conformité d’opinions entre Swedenborg et Virgile, de s’assurer que tous les deux nous rappellent la croyance de nos pères, quand ils nous disent que l’homme renaît homme après sa mort, que le monde spirituel lui offre les mêmes objets que le monde terrestre, et qu’il conserve au milieu d’eux sa figure, ses sens, ses goûts, et toute sa manière de vivre. Voulez-vous voir ailleurs que dans Swedenborg cette vérité céleste que l’homme n’est qu’un réceptacle de la vie, que la chaleur et la lumière du soleil raniment ainsi que toute la nature ; que ce feu divin est la cause du mouvement et de la reproduction ; que cet homme est double, que sa portion de l’âme universelle est contrariée dans ses affections pures et retardée par le corps, par l’enveloppe matérielle ? Vous trouverez ces grands principes dans le même livre de l’Énéide, dans ces vers qui jadis étaient la profession de foi des initiés.
Principio caelum ac terras camposque liquentis
Lucentemque globum Lunae Titaniaque astra
Spiritus intus alit, totamque infusa per artus
Mens agitat molem et magno se corpore miscet.
Inde hominum pecudumque genus, vitaeque uolantum,
Et quae marmoreo fert monstra sub aequore pontus.
Igneus est ollis vigor et caelestis origo
Seminibus, quantum non noxia corpora tardant,
Terrenique hebetant artus moribundaque membra.
Hinc metuunt cupiuntque, dolent gaudentque, neque auras
Dispiciunt clausae tenebris et carcere caeco.
Au commencement le ciel et les terres et les plaines liquides,
Ainsi que le globe lumineux de la lune et les feux de Titan
Sont nourris par un souffle intérieur ; diffus dans leurs membres,
L’esprit mêlé à cette matière puissante en meut toute la masse.
De là viennent la race des hommes et des animaux, la gent ailée
Et les monstres qui peuplent la mer sous sa surface de marbre.
Les vivants ont par ces germes une vigueur ignée et une origine céleste,
Pour autant qu’ils ne soient pas freinés pas les nuisances corporelles
Ou émoussés par leurs parts de terre et leurs membres périssables.
Voilà pourquoi les âmes éprouvent crainte et désir, souffrance et joie
Et, prisonnières d’aveugles ténèbres, ne perçoivent pas les souffles divins.
Quin et supremo cum lumine vita reliquit,
Non tamen omne malum miseris, nec funditus omnes
Corporeae excedunt pestes, penitusque necesse est
Multa diu concreta modis inolescere miris.
VIRG. Æneidos, L. VI.
Bien plus, lorsque, au jour suprême, la vie les a abandonnées,
Les malheureuses dont pourtant pas délivrées de tout mal
Ni de toutes leurs souillures corporelles profondes ; inévitablement,
Longtemps des concrétions multiples s’y sont étonnamment incrustées.
Il n’y a point ici d’athéisme, ni de spinosisme, comme on l’a osé dire ; c’est la foi de l’homme religieux et vraiment sage qui se tient sous la main de Dieu, et qui croit, en attendant de plus grands bienfaits, lui devoir la vie et la nature. Virgile ne se félicitait donc pas d’être impie, comme de nos jours l’ont prétendu certaines gens qui cherchent partout des appuis et des adhérents ; au contraire, il s’applaudissait d’avoir passé de la matière à l’esprit, de la fable à la vérité ; il s’applaudissait d’avoir percé l’écorce et goûté le fruit inconnu au vulgaire, quand il disait dans ses Géorgiques :
Felix qui potuit rerum cognoscere causas
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus strepitumque Acheruntis avari.
Heureux qui a pu connaître les causes des choses
Et qui a mis sous ses pieds toutes les craintes et l’inexorable destin,
Et le bruit de l’avare Achéron !
Touchant cette opinion que Virgile, dans le sixième livre de l’Énéide, a décrit les cérémonies et exposé les dogmes des mystères de l’antiquité, voyez la savante dissertation de Warburton, insérée dans la traduction de Virgile par Desfontaines.
117 Vera christ. Rel., 731 ad 746, 750, 1, 2.
118 La paresse, proprement dite, est un vice, il n’y a point de vice dans le ciel ; par le mot paresseux (socordibus) il faut donc entendre ici ceux qui ont moins de zèle pour remplir leurs fonctions, ceux qui sont, quoique sages, moins élevés en sagesse que d’autre.
119 On trouve des lambeaux de ce récit dans une petite brochure imprimée il y a quatre ans sous le titre de Traité curieux des charmes de l’amour conjugal. Dans l’avertissement, l’auteur se donne pour le traducteur et l’abréviateur du beau traité de Swedenborg intitulé Deliciae sapientiae de amore conjugali ou Les délices de la sagesse touchant l’amour conjugal ; il l’a fort abrégé, en effet, puisqu’il n’en a pas donné la dixième partie ; et cet extrait décharné est un travestissement de la doctrine de l’apôtre suédois ; c’est un roman, un narré infidèle, contre lequel nous croyons devoir précautionner le public. L’auteur, qui a voulu traduire un ouvrage latin, ne sait pas le latin ; nous en pourrions donner plus de preuves qu’il n’y a de pages dans sa brochure ; mais quelques-unes, prises au hasard, suffiront. Pronus volabat signifie, je crois, il se penchait en volant, ou bien, il volait penché ; on traduit il semblait plutôt marcher dans les airs que voler (page 20). Indutus erat chlamyde quae ex volatu fluebat retrorsum, et cinctus fascia ex pyropis lucente signifie il était vêtu d’une robe flottante et ceint d’une écharpe ornée de rubis ; au lieu de cela on met il était à demi couvert d’une écharpe dont les plis flottant avec grâce laissaient apercevoir une robe ornée de rubis (page 20). Introduxit illos per nemus in planitiem stratam asseribus, super qua erant mensae signifie il les conduisit à travers un bois dans une plaine parquetée sur laquelle des tables étaient dressées ; on traduit (page 32) il les introduisit dans une plaine merveilleusement ombragée dont quinze tables, etc. – Est aliqua vena in affectione voluntatis cujus vis angeli latens quae attrahit mentem ad aliquid faciendum. Mens per hoc tranquillat se, et satisfacit sibi. Haec satisfactio, et illa tranquillitas, faciunt statum mentis receptibilem amoris usus a Domino signifie un désir caché dans l’affection de la volonté de l’ange dispose son esprit à agir ; c’est ainsi que cet esprit se tranquillise, se satisfait ; sa tranquillité et sa satisfaction le mettent en état d’être le réceptacle de l’amour de l’usage, par le Seigneur ; on traduit (page 34) le plaisir se reproduit de telle manière qu’il est inépuisable, comme le temps de la durée, parce qu’il a son principe dans une tension d’affection inhérente à sa volonté ; parce que ce principe émane encore de la force de l’amour du grand auteur de toutes choses, et que tout ce qui désole l’esprit des hommes sur la terre se perd, se confond, et s’abîme sans retour dans cet amour. – Introduxit in porticum constructum ex columnis et pyramidibus ; antrorsum erat humile palatium, per quod patuit ingressus in porticum signifie les conduisit à un portique soutenu par des colonnes et des pyramides, au-devant duquel il y avait un petit palais par lequel on passait pour entrer dans le portique ; on traduit (pag. 35) après les avoir fait passer par un portique décoré de colonnes et de pyramides d’un goût exquis, un nombre de palais somptueux s’offrit à leur vue.
Sans pousser plus loin cet examen fastidieux pour nos lecteurs, nous leur affirmerons que tout l’ouvrage est, quant à la version, dans ce goût. Ces morceaux que nous avons cités sont pris au hasard et nullement triés. Ensuite, supprimant tout ce qui a rapport au nombre, à la disposition et à la couleur des objets, choses très-significatives et dont Swedenborg a donné la clef dans ses autres ouvrages, ce traducteur prétendu substitue tout ce qui lui vient dans l’imagination ; il habille, loge et nourrit les anges comme il lui plaît. Par exemple, Swedenborg dit : Un palais bâti de porphyre, six colonnes hautes devant la porte, et un toit fait de lames d’or : palatium structum ex porphyrite, ante portam sex columnae altae, tectum ex laminis auri. Le traducteur dit : un portique, d’une élévation prodigieuse, couronné d’un dôme de porphyre, dont les anses, appuyées sur un nombre infini de colonnes, semblaient offrir aux yeux le chef-d’œuvre de l’art ou le temple du goût. Un double fronton d’airain incrusté d’or paraissait sortir de leurs volutes ; et leur courbe, combinée sur les proportions de leur base, se réunissant pour former une voûte majestueuse, formait le dôme de l’édifice (page 53). Il travestit tout, il amplifie tout. S’il y a une montagne dans l’original, montem, elle est mille fois plus élevée qu’aucune que celles qui sont sur la surface de la terre (page 52). De mundus spirituum, le monde des esprits, il fait (tant il ignore la doctrine dont il parle) le séjour des mortels (page 22). Il fait pis, il retranche les discours des anges, des chefs des assemblées célestes ; et à la place de ces discours précieux, qui établissent les dogmes de la nouvelle Église du Seigneur, il substitue un torrent de lieux communs tels qu’on en trouve dans les drames et dans les romans moraux ; nous en avons cité un échantillon, pris à la page 34 ; vous en trouverez d’autres aux pages 56, 59, 60, 71, 86, 87, 135, et partout. Cette enfilade de sentences triviales occupe, avec les descriptions romanesques, une telle étendue dans le Traité curieux que si on les en tirait, l’ouvrage de Swedenborg, qui est un in-4o de plus de 300 pages, serait réduit, dans la traduction, à moins de 20 pages, petit in-8o. Le reste est infidèle, imaginaire, et tellement contraire au sujet qu’on trouve souvent des pages entières où il n’y a pas un mot de Swedenborg. Enfin (et ce reproche n’est pas le moins grave), les délices de l’amour conjugal céleste, spirituellement et chastement décrites dans Swedenborg, ne sont rien moins que chastes sous la plume du romancier, et souvent il y a dans ses descriptions une chaleur bien déplacée. Voilà ce qu’on a eu le front de donner pour l’essence et l’esprit (page 17) des ouvrages de Swedenborg, à qui le traducteur prétendu a donné, dit-il, un habit à la française (page 7). Nous avons vu avec douleur et scandale les guenilles ramassées partout, les baillons, très-mal cousus, dont il a fait un voile à la vérité. Ceux à qui elle est chère nous sauront gré de les avoir avertis.