V É R I T É S

 

D I V I N E S

 

P O U R

 

LE COEUR ET L’ESPRIT.

 

Par M. De D........

[Antoine Esmonin de DAMPIERRE]

 

 

 

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J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ; car de Lui, par Lui, et

pour Lui sont toutes choses, à Lui soit gloire éternellement.

Ps. CXVI, v. 10, et Rom. XI, v. 36.

 

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TOME SECOND.

 

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LAUSANNE,

Chez DANIEL PETILLET, Libraire.

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1823.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DISCOURS Ier.

 

 

LERÉPARATEUR DE L’HOMME NAÎT ET VEUT ÊTRE CIRCONCIS POUR REMPLIR TOUTE JUSTICE.

 

 

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DIEU avait tout employé, tout fait, tout mis en œuvre, pendant quatre mille ans, pour préparer et amener l’accomplissement de la grande merveille, l’envoi du fils de Dieu au monde. Tout ce qui avait été dit, annoncé et préfiguré par des types, tout ce qui avait été exprimé par les saints prophètes, est maintenant accompli. Le Verbe est fait chair, il habite parmi nous, nous possédons le Seigneur de gloire. L’armée céleste en annonçant cette bonne, cette consolante nouvelle, s’écrie : Gloire soit à Dieu dans les lieux très-hauts, paix sur la terre et bonne volonté parmi les hommes 1, car l’enfant nous est né, le fils nous a été donné ; celui que les nations ont désiré, celui que les peuples ont attendu pendant tant de siècles est enfin venu. Ô cieux, réjouissez-vous avec chant de triomphe, et toi terre, égaie-toi, et vous montagnes, éclatez de joie, car l’Éternel a consolé son peuple, et il a eu compassion de ceux qui étaient affligés.

Oui, le roi du ciel et de la terre naît dans une étable, le tout-puissant est couché dans une crèche. Ô abîme d’anéantissement, qui vous comprendra ? Allons avec les bergers pour l’adorer, hâtons-nous de lui rendre hommage avec les rois venus d’Orient.

Oui, nous vous adorons, ô Verbe manifesté en chair ! parole-Dieu ! Soleil de tous les mondes lumineux, célestes, angéliques et humains ! Gloire à votre puissance qui précédait, dans le principe, tout ce qui devait paraître, et que vous avez émané de votre sein infiniment fécond. Oui, gloire à l’ancien des jours qui cache un instant sa splendeur pour se rendre accessible à nos faibles regards. Adoration vous soit rendue, vous qui étiez éternellement l’image visible de l’Éternel notre Dieu. Il était en vous-même ce Verbe, ô Dieu de toute éternité, puisque vous le destiniez à être votre image, car Dieu de Dieu, infini de l’infini, rien ne pouvait vous manifester que vous-mêmes ; toute manifestation angélique, céleste, lumineuse et humaine ne pouvait être votre image ; ainsi dans votre éternité abyssale, vous étiez hypostatiquement uni à cette image divine, ô Verbe infiniment adorable. L’homme, sorti de vos mains bon et innocent, fut dès-lors le reflet de votre image ; mais il n’était qu’une ressemblance finie, car il était créature. Pour que l’homme pût acquérir la réalité divine, il devait venir un temps où vous deviez descendre en lui, vous écouler en lui, être manifesté en chair, pour que toutes vos voies fussent justifiées en esprit 2. Ainsi le décret de l’incarnation du Verbe était positif et absolu, sans lui l’homme n’eût point été votre image. Mais, parole hypostatique, Dieu de Dieu, votre fils était déjà l’agneau immolé dès la fondation des siècles 3, car dès que les temps parurent, par amour pour votre gloire et l’ouvrage de vos mains, il se rendit le défenseur de la création. En raison de sa liberté, l’homme, quoique sortant bon de vos mains, pouvait devenir coupable, c’est pourquoi l’amour de votre fils-Dieu, notre Seigneur, se détermina dans ce cas à descendre jusqu’à la dégradation où l’homme se serait plongé, afin de l’en arracher. Ô abîme de profondeur ! ô abîme d’amour ! les anges même qui désirent pénétrer ce mystère de propitiation ne sont pas capables de le sonder 4 ; comment les faibles humains pourront-ils proportionner leur reconnaissance à la grandeur de votre amour infini. Ô habitante de Sion, sois en allégresse, et te réjouis avec chant de triomphe, car le saint d’Israël est grand au milieu de toi. Il a manifesté le bras de sa sainteté devant les yeux de toutes les nations, et tous les bouts de la terre verront le salut de notre Dieu, car le Rédempteur vient en Sion, et vers ceux de Jacob, réjouissez-vous, villes de Juda, voici votre Dieu 5.

Mais je ne me suis pas plutôt livré à la joie pour un si consolant évènement, que j’aperçois déjà qu’on se prépare à faire souffrir cette innocente victime.

Quand les huit jours furent accomplis pour circoncire l’enfant, alors son nom fut appelé Jésus, lequel avait été nommé par l’ange avant qu’il fût conçu. Oui déjà au huitième jour il consent à verser son sang précieux pour racheter son peuple de tous ses péchés ; il voulait déjà accomplir toute justice, comme il le disait à saint Jean son précurseur lorsqu’il dut le baptiser aux bords du Jourdain, pour remplacer par ce sceau de la nouvelle alliance l’ancienne cérémonie de la circoncision.

La circoncision de notre Seigneur recèle un profond mystère. Elle est le signe conditionnel que Dieu établit pour distinguer ceux qui appartiennent à son peuple et qui ont accepté son alliance de grâce, d’avec ceux qui en sont exclus 6. Mais pour mieux pénétrer dans le véritable esprit de ce sacrement de l’ancienne alliance ordonnée aux patriarches de la foi, remontons à son origine et examinons qu’elle en fut l’institution.

L’alliance entre Dieu et Abraham a précédé la circoncision.

La circoncision n’est que le signe de l’alliance. À quelle occasion cette alliance entre Dieu et Abraham a-t-elle été formée ?

C’est parce que Abraham a cru à Dieu, lorsqu’il lui dit : Je suis votre protecteur et votre récompense, vous vous plaignez de ne pas avoir d’héritier ; vous pensez que c’est le fils de votre intendant qui héritera de vous, il ne sera pas votre héritier, vous aurez pour héritier celui qui sortira de vos reins 7. Puis Dieu mène dehors Abraham. Cette sortie d’Abraham est toute mystérieuse. Elle signifie une chose toute spirituelle ; il est tiré de lui-même pour que, sans intérêt personnel, sans aucun préjugé et dans une entière liberté, il puisse accepter ce qui lui sera proposé.

Considérez le ciel, comptez, si vous le pouvez, les étoiles ; eh bien ! c’est ainsi que sera votre semence 8, c’est-à-dire, innumérable. C’était Jésus-Christ, cette production divine, dont Dieu voulait qu’Abraham eût la foi, même avant d’avoir produit miraculeusement Isaac qui devait être la figure de cette production.

L’efficace de la parole de Dieu a son effet, Abraham crut à Dieu et par conséquent à sa justice infinie, à sa puissance infinie et à tous les moyens possibles de manifester son adorable volonté ; il crut Jésus-Christ engendré dans sa foi, et parce qu’il a cru, il devient porteur de la justice de Dieu, et puisqu’il porte Dieu dans sa foi, est-il étonnant qu’une aussi profonde foi lui ait été imputée à justice, et qu’il se soit formé un pacte et une alliance entre Dieu et Abraham, pour lui et pour sa postérité, c’est-à-dire, pour ceux qui naîtraient de la foi d’Abraham, le père de nous tous ; parce que c’est avec lui qu’a été fait le contrat.

Le pacte entre Dieu et les créatures ne peut se former que comme celui d’Abraham s’est formé, il crut à Dieu, il donne à Dieu créance et confiance. Si l’on n’est pas engendré de la foi d’Abraham, on n’est pas de sa semence, et par conséquent on n’a pas droit à son héritage, on n’a aucune part à la terre de promission.

Puisqu’Abraham est le père de la foi, il est certain que par la foi il en a connu la fin qui est Dieu ; c’est parce qu’il a connu par expérience toutes les routes de la foi que la foi lui a été imputée à justice 9 ; parce qu’il a fait par la foi, c’est-à-dire, mieux encore que par la loi, la volonté de Dieu ; parce que par la parole de Dieu, il a cru à la justice de la volonté de Dieu, et a accepté, pour lui et pour tous ceux qui naîtraient de sa foi, toutes les conséquences de la loi, c’est-à-dire, que la volonté de Dieu soit faite, qu’il règne et commande sur ce qu’il a fait. Dieu, par la foi, a régné sur Abraham, sa volonté y a été faite, et dès lors la foi d’Abraham lui a été imputée à justice, et il a été fait père de tous ceux qui naîtraient de cette voie, et tous ceux qui naissent dans cette voie sont sa semence.

Mais pour mieux entendre encore cette locution, il crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice, écoutons saint Paul : il emploie ce passage de David où il exprime la béatitude de celui à qui Dieu n’a pas imputé le péché 10, et pourquoi ce bonheur ? C’est que celui-là, ayant accepté Dieu, porte la justice sans les œuvres. Abraham n’a pas fait d’œuvres par la loi, car la loi n’existait pas ; toutes les œuvres qu’il avait faites, il les avait faites par la chair, elles étaient donc mauvaises ; et même s’il les avait faites par sa bonne volonté, elles ne seraient pas pour cela acceptables, puisque, dit saint Jean, il n’est pas donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu à ceux qui sont nés du sang, de la volonté de la chair 11, et même de la bonne volonté de l’homme, mais seulement à ceux qui, croyant à l’efficace du nom de Dieu, naissent par conséquent de Dieu ; mais Abraham a accepté Dieu, et en acceptant Dieu il a accepté la juste volonté de Dieu ; or en acceptant cette volonté, il a nécessairement porté la justice de cette volonté qui s’est faite en lui sans les œuvres, puisque nous avons remarqué que Dieu l’avait tiré de lui pour que, dégagé de tout intérêt personnel et par conséquent sans prévention et dans une entière liberté, il pût faire le bon choix, et encore parce que, la loi n’existant pas, il n’avait pas fait les œuvres de la loi. Donc Abraham était sans œuvres lorsqu’il crut à Dieu, accepta Dieu et par conséquent sa justice. Ce support de la justice, ce pâtiment de la justice est la plus grande gloire qu’on puisse rendre à Dieu, et par conséquent la plus grande béatitude que puisse obtenir la créature, puisque par ce support elle a été soumise à la justice de la volonté de Dieu. Or cette œuvre, quoique passive, étant la démonstration de la plus grande soumission et fidélité à Dieu qu’on accepte, il est juste qu’il y ait alliance avec Dieu et par conséquent que l’acceptation soit imputée à justice, quoique sans œuvres, ayant leur principe dans la volonté de la créature ou même dans la lettre de la loi. Ce n’est pas que les œuvres faites par ces motifs n’aient un mérite ; mais ces œuvres sont examinées par le feu. Et ici la justice de Dieu, ayant fait dans ceux qui sont nés de la foi d’Abraham sa juste volonté, y ayant fait les œuvres qu’il y veut faire, soit douloureuses, soit aperçues, soit inaperçues de ceux même en qui il opère, non-seulement il leur impute cette foi à justice, mais il ne leur impute pas de péché 12, et ils sont héritiers avec Abraham, non en raison de la loi, mais par rapport à la justice de la foi par laquelle ils ont laissé à Dieu exercer toute justice.

On ne peut trop remarquer dans la vie d’Abraham que tout ce qu’il a fait, il l’a fait comme procédant de sa foi. Mais si le pacte se forme entre Dieu et Abraham, on ne saurait trop admirer et adorer l’extrême bonté de Dieu qui par pure grâce fait tous les frais du contrat.

Nous l’avons vu, Abraham n’avait rien à donner ; mais il écoute Dieu. La parole de Dieu s’insinue en Abraham, elle y crée la foi, et se cache dans cette foi. Cette parole est la justice de Dieu, Abraham la porte, puisqu’il a accepté Dieu, il est heureux celui qui, ayant accepté Dieu, porte la justice. Cette justice agira en Abraham, elle manifestera Dieu en lui, elle manifestera qu’elle est le principe de sa vie, puisque ce qu’Abraham fait, il le fait par le principe de la justice de Dieu en qui il a cru. Cette justice manifestera aussi qu’elle est la fin puisque n’imputant à Abraham aucun péché, il rentrera nécessairement par la force que donne la grâce dans le principe de la justice auquel il a cru ; ainsi les œuvres de l’homme se sont anéanties, Dieu seul est en évidence, il a manifesté sa justice et sa miséricorde ; ainsi combien est plus excellent ce qui s’opère par la justice de Dieu que ce qui s’opère par l’exigence de la loi.

Pour qu’il y eut un signe visible de ce pacte qui était fait entre Dieu et Abraham, voici le commandement qu’il lui fut fait 13 : Ce sera un signe entre vous et moi ; ainsi, que dans le cours de vos générations, l’enfant de huit jours soit circoncis 14 ; tout mâle d’entre vous sera circoncis, et vous circoncirez la chair de votre prépuce. Et cette condition est si stricte, que le texte sacré ajoute, non sans de profondes raisons 15 : L’âme de celui qui ne sera pas circoncis sera effacée de mon peuple, parce que la condition de l’alliance n’aura pas été observée, l’ayant regardée inutile et comme vaine.

Par les conséquences du péché, la loi de la chair s’est manifestée, c’est le péché qui l’a fait commettre. Avant la loi de la grâce, l’homme a été, à cause du péché, renfermé dans la loi de la chair, et dès-lors elles durent produire leur effet avant toute autre loi. Il n’y avait plus d’autres lois pour propager la génération des hommes, et puisque Dieu n’avait pas anéanti l’homme après le péché, toute sa lignée ne pouvait naître que par les moyens, et par l’effet des moyens dans lesquels il avait été enfermé en punition du péché, et pendant que durera la race des hommes, ils naîtront par ce moyen et leur existence physique sera la démonstration de la tache de leur origine.

Dieu ne voulut donc pas détruire ce moyen de propagation ; ce qui aurait anéanti l’ordre de cette même propagation, croissez et multipliez ; mais il était nécessaire de rappeler à l’homme que le péché s’était présenté à la volonté du premier homme et à toute la génération d’êtres qu’il devait produire ; il ne rejeta pas le péché, et bientôt le péché lui fit désirer le moyen de le mettre en évidence ; il fut puni par l’obtention de ce qu’il avait désiré ; c’est alors que fut porté ce terrible arrêt : Il n’est pas bon que l’homme soit seul, et qu’il lui fut imprimé ce sommeil figuratif de la mort réelle qu’il encourrait s’il se révoltait contre le commandement qui lui serait fait ; c’est alors, et au lieu de ce principe actif qui lui servait de bouclier et de défense, qu’il lui fut donné pour première punition ce qu’il avait désiré. Dès cet instant sa liberté fut restreinte et diminuée, dès cet instant il lui fut fait un commandement précis ; mais bientôt ce qui avait été mis à la place de ce bouclier préservatif des traits homicides convoite le fruit de l’arbre défendu, il en mange, et l’effet de ce fruit fatal est d’opérer l’irruption de la chair dans laquelle désormais il va être enfermé ainsi que toute sa lignée. Voilà le suaire dans lequel la justice les enveloppe, et désormais ils ne naîtront que par le moyen de la chair dont ils doivent éprouver les effets et les conséquences, à moins qu’un nouvel ordre ne les délivre et que, par l’effet d’une miséricorde infinie, le péché ne leur soit plus imputé, ou du moins, que leurs iniquités soient remises, et leurs péchés couverts 16.

Ce nouvel ordre est proposé à Abraham, il croit, et par ce principe il accepte pour lui et pour ce qui sortirait de sa semence, qui est la foi, toutes les conséquences de la foi. Le pacte se forme, et il reçoit le signe de l’alliance. Ce signe est un mémorial visible de justice contre la chair, qui ne détruit pas la chair, désormais nécessaire pour continuer sa propagation selon sa durée voulue et décrétée, mais qui cerne la chair et indique par la scission qu’elle ordonne le retranchement des motifs illusoires et mensongers qui ne déterminent que trop souvent les irruptions de la chair ; et comme par ses lois elle montre ses effets avant la loi de grâce, qui n’a été promise que pour effacer les péchés manifestés par les moyens de la chair, il fallait que, jusqu’à ce que la loi de grâce eut son effet, la loi de justice qui devait prévaloir sur la loi par laquelle le péché s’était manifesté dans l’homme indiquât la justice de son pouvoir sur la chair ; et comme Abraham acceptait la loi de la justice pour lui et ceux qui naîtraient de sa foi, il était juste qu’il portât volontairement un signe de déférence à ce nouvel ordre, comme Adam et sa postérité portaient par la chair le signe de leur condamnation. Et pour que ce signe fût plus réel et plus expressif, ce signe de la circoncision fut imprimé sur ce qui avait manifesté chez l’homme la loi de la nature à laquelle il a été soumis, ce qui n’eût pas eu lieu s’il eût obéi au commandement.

Bien des siècles avant la promulgation de la loi écrite, cette ordonnance divine eut son effet pour ceux qui, par la foi, se laissaient élever à la connaissance de la justice de Dieu et à l’espérance de retrouver un moyen d’obtenir miséricorde. Aussi du temps de la loi qui ne donnait que la connaissance du péché et qui établissait ce qui était péché, Dieu dut confirmer le signe de justice qui punissait le péché. La loi n’effaçant rien et n’étant qu’un précepteur qui, en faisant connaître le mal du péché, aidait seulement à comprendre qu’il fallait que Dieu en fît justice. Les hommes pouvaient l’espérer, puisqu’ils pouvaient apprendre par la loi, qui leur était donnée, que cette promesse avait été faite. Ils pouvaient apprendre qu’Abraham leur père avait cru à cette promesse, et qu’il y avait, à cause de sa foi, pacte et alliance avec Dieu, tant pour lui que pour ceux qui naîtraient de sa foi ; et que la circoncision qu’ordonnait la loi était le signe du retranchement de tout ce que la loi leur apprenait être péché, afin que par-là ils n’eussent aucune excuse pour se soustraire à la loi, et qu’en s’abstenant des péchés que condamnait la loi, ils obtinssent les dispositions pour avoir part aux promesses lorsque le temps de les réaliser serait accompli.

Il est arrivé, ce temps de grâces, et Jésus-Christ ayant amélioré la loi, et non-seulement en s’y soumettant, mais en remplissant en réalité ce qu’Abraham n’avait pu faire que par la foi et l’espérance, ainsi la loi se perfectionne en s’accomplissant par l’amour, et cet amour est l’amour divin, par conséquent l’amour divin offrant à la justice de Dieu le sacrifice d’une victime divinisée par le sacrificateur qui l’offrait. La justice suprême fut satisfaite. L’exemple du véritable sacrifice mettait en évidence la miséricorde. Le motif qui avait déterminé le sacrifice de Jésus-Christ était l’amour. Aussi le sacrifice d’Abraham, sa foi et son espérance étaient bien dignes de louange, mais c’était l’amour manifesté par le sacrifice de Jésus-Christ qui devait lui donner le mérite expiatoire et totalement réparateur. Aussi quoique la foi et l’espérance aient obtenu le privilège de l’alliance, le signe même de l’alliance, le sang qui devait l’arroser, n’était que la figure de celui que verserait la divine victime, et c’est parce qu’il a été versé, c’est parce que l’amour a absorbé la foi et l’espérance d’Abraham, c’est parce qu’il a été donné aux hommes un motif de sacrifice plus excellent, puisqu’il était divin, que le signe de l’alliance a dû être changé ; l’eau de la grâce répandue au nom du Père, du Fils et du saint Esprit est un signe suffisant, pour celui sur qui cette eau se verse, que l’origine du péché n’est plus imputée à péché, depuis que le Fils, par amour, a satisfait à la justice du Père ; dès-lors la miséricorde arrachera en eux jusqu’à la racine du péché s’ils s’abandonnent aux opérations que le Fils, par amour, exercera sur eux pour extirper cette racine contagieuse qui ne cherche qu’à s’étendre. Il est prêtre éternel, il est juge irrécusable, car il s’est revêtu de l’homme, excepté le péché ; il connaît les faiblesses de la chair de l’homme, puisqu’il s’est soumis aux tentations, et si la justice divine condamne le péché, il peut avoir pitié des faiblesses ; ainsi il est juge irrécusable, et le signe de la nouvelle alliance, l’eau qui lave, remarquez bien, qui lave, mais qui n’extirpe pas, est pour nous l’emblème que nous devons devenir fluides comme elle, c’est-à-dire, souples à toutes les volontés divines ; l’eau suit toutes les impulsions qu’on lui donne, elle prend toutes les couleurs, tous les goûts, toutes les odeurs ; elle est ce qu’on veut qu’elle soit, elle coule dans les vallons, ou elle rejaillit jusqu’à sa source. Or c’est par le Père, le Fils et l’Esprit qu’elle s’écoule, et c’est par elle qu’elle doit remonter à sa source, soit qu’elle soit précipitée dans les abîmes, soit qu’elle coure tranquillement, soit qu’on la resserre dans des canaux pour la forcer à remonter, soit qu’on la salisse pour l’épurer, soit qu’on lui donne tel goût ou telle couleur, telle odeur. Voilà l’emblème de ce que doit être l’être spirituel de celui qui a reçu le nouveau signe adopté pour la nouvelle alliance, et qui est si propre à nous faire concevoir les différentes opérations que doit faire en nous cette eau de grâce, cette eau mystérieuse qui tient (si on osait se servir de cette expression) en dissolution la divine teinture qui peut transmuer ce qui est susceptible de l’être, en abandonnant le caput mortuum, le péché, le fils de perdition, qui n’est pas susceptible de profiter des grâces offertes.

C’est ainsi que l’on pourrait pénétrer pourquoi les institutions de la nouvelle alliance sont si peu comprises, et produisent si peu l’effet pour lesquelles elles ont été instituées, et montrer ce qu’elles ont de spirituel et de divin. Or c’est la foi qui nous prête sa lumière pour découvrir ces divins secrets, et quand l’amour nous communique ses clartés, pour les contempler, que de richesses divines n’aperçoit-on pas dans les grands secours de miséricorde !

Saint Paul va nous aider à pénétrer encore mieux dans l’institution du saint baptême : Nous qui sommes morts au péché, comment y vivrions-nous encore 17 ? Mais c’est pour les mener plus loin, comme nous pouvons le remarquer par le passage qui suit : Est-ce que vous ignorez que tant que nous sommes, qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ? C’est comme s’il eût dit : vous devez savoir que tous tant que nous sommes, qui avons foi aux mérites de Jésus-Christ, qui avons embrassé sa doctrine, qui nous sommes unis de cœur avec Jésus-Christ par cette foi, nous avons été baptisés en lui. Que signifie le mot baptême ? Il signifie une immersion dans l’eau, opération qui doit produire deux effets, l’un de nous laver de notre souillure et de la tache de notre origine ; le second de noyer le vieil homme, le corps de péché, pour revivre en nouveauté de vie. C’est pour confirmer ces deux choses que le baptisé reçoit un nouveau nom, parce qu’il a été renouvelé par ce baptême dans l’esprit et la vie de Jésus-Christ. C’est ainsi que nous avons été renouvelés en Jésus-Christ, mais si nous sommes renouvelés, en acceptant le renouvellement ou le baptême en Jésus-Christ, nous acceptons d’être ensevelis avec lui en sa mort ; c’est-à-dire, nous acceptons une mort qui soit conforme à la sienne, une mort qui soit comme la sienne l’effet de la plus entière obéissance et abandon. Car Jésus-Christ, en préférant la croix à la joie 18, vit qu’il faisait ce qui était le plus glorieux à son père, il soumettait un Dieu à un Dieu, et il voulait si fort la justice due à la puissance souveraine qu’il s’anéantit jusqu’à l’excès, pour que cette justice fût en évidence. Il voulut que son sacrifice fût celui de la croix ; plus l’ignominie était grande, plus l’anéantissement était complet, plus aussi l’holocauste était au-dessus de tout nom. Un Dieu infini s’était abîmé par justice dans un Dieu infini ; la grâce qui devait s’ensuivre devait être infinie comme le sacrifice ; car Dieu ne peut rendre qu’en Dieu ce qu’on lui donne ; or Jésus-Christ, par son sacrifice, ayant procuré à Dieu la gloire de manifester sa justice, par justice, le Verbe incarné put manifester sa miséricorde infinie ; il put laisser écouler, par son esprit, une grâce si justement obtenue et méritée ; il put effacer l’arrêt de mort prononcé contre tous ceux qui voudraient être renouvelés ou baptisés en lui, et ensevelis en une mort qui devienne la gloire du Père, puisqu’il manifeste la justice de sa puissance souveraine, la gloire du fils qui seule peut rendre à son père une gloire infinie en s’anéantissant jusqu’à l’excès la gloire de l’amour qui fait opérer une telle œuvre, la gloire des hommes qui, de morts qu’ils sont, passent par ce prodige à une nouvelle vie.

Mais, ô Dieu, pour que l’homme puisse obtenir cette vie, par combien de morts ne doit-il pas passer ! Or c’est précisément pour indiquer les divers dépouillements spirituels que la circoncision a été ordonnée. Circoncisez donc le prépuce de votre cœur, dit l’Éternel, et ne roidissez pas votre cou 19. Et encore : Hommes de Juda et vous habitants de Jérusalem, soyez circoncis à l’Éternel, et ôtez les prépuces de vos cœurs, de peur que ma fureur ne s’embrase à cause de la méchanceté de vos actions 20. On est circoncis au Seigneur, quand on se retranche et qu’on se sépare de tout ce qui n’est pas Dieu. Le disciple de Jésus-Christ, qui se retourne vers son Dieu, s’éloigne en même temps de tout ce qui lui est contraire, comme celui qui s’approche de ce qu’il lui est contraire s’éloigne nécessairement de lui ; or la circoncision du cœur consiste à retrancher toute volonté propre, ce qui est un acte qui appartient au cœur ou au désir, et cet acte s’exerce en s’abandonnant à Dieu pour faire toutes ses volontés. Voilà en quoi consiste la véritable conversion et tout travail actif de l’âme qui désire s’unir à son Dieu.

Mais comme personne ne hait sa propre chair 21, l’homme tout seul est incapable d’opérer, par lui-même, cette circoncision spirituelle ; c’est pourquoi, l’Éternel Dieu, qui, dans sa bonté infinie, connaît notre faiblesse et de quoi nous sommes faits 22, promet à son peuple qu’il circoncira son cœur, et le cœur de sa postérité, afin qu’il aime l’Éternel son Dieu de tout son cœur et de toute son unie, afin qu’il vive 23. Nous voyons encore par-là que cette circoncision consiste dans le retranchement de tout ce qui met obstacle à l’exercice virtuel de l’amour de Dieu, toutes les attaches désordonnées aux créatures quelles qu’elles soient. Or comme l’homme est trop faible pour opérer par lui-même ces retranchements toujours douloureux et pénibles, Dieu promet qu’il nous aidera à retrancher tout ce qui est capable de contribuer à nos chutes, et qu’il nous armera de toute la force nécessaire pour résister aux tentations et aux allèchements de la nature déréglée qui s’opposent à notre avancement dans le chemin de la perfection, pour que nous l’aimions de tout notre cœur, sans plus nous reprendre, et que par-là nous puissions revivre en lui pour jamais d’une vie plus ferme et plus abondante en bonnes œuvres.

Or de même, dit saint Paul, que Jésus-Christ est ressuscité par la gloire du Père, nous aussi, marchons en nouveauté de vie 24. Mais pourquoi dit-il : de même que Jésus-Christ est ressuscité par la gloire du Père ? C’est qu’il revient encore sur ce que nous avons dit plus haut de l’infinité du sacrifice du fils. Par ce sacrifice, Dieu a reçu toute la gloire qui lui résultait en dehors de la manifestation d’un de ses attributs divins, c’est-à-dire, de sa justice divine mise en évidence. Par rapport à cette gloire, pour cette gloire et pour manifester cette justice infinie mise en évidence, il était juste qu’il manifestât la résurrection de Jésus-Christ, comme un argument et une preuve du ministère de miséricorde infinie que Jésus-Christ exerçait aux siècles des siècles. Et de même que Jésus-Christ est ressuscité, de même aussi nous, nous marcherons en nouveauté de vie, parce que nous aurons été ensevelis en sa mort, et baptisés en sa mort, ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus. Ainsi donc, continue saint Paul, si par la ressemblance ou conformité de la mort de Jésus-Christ, nous avons été entés en Jésus-Christ 25, de même nous serons entés en sa résurrection. Cette expression, la ressemblance de la mort, est remarquable ; nous ne pouvons, comme le Verbe, descendre du sein du Père et nous précipiter dans une forme mortelle et périssable ; nous y sommes justement entraînés par suite d’un premier délit ; ainsi, il ne peut y avoir réellement qu’une ressemblance dans notre mort avec celle du Verbe incarné ; la nôtre est une punition nécessaire, la sienne est un hommage rendu par une victime infinie, qui veut satisfaire infiniment par amour à une justice infinie, pour obtenir, par amour, grâce et miséricorde infinie ; ainsi le mot ressemblance est parfaitement approprié. Mais enfin, dans cette forme, nous pouvons nous abandonner à la direction de l’esprit de Jésus-Christ, renoncer à notre volonté pour obéir à la sienne ; nous pouvons, avec sagesse, en contracter l’heureuse habitude, alors nous mourons tous les jours aux choses qu’il plaît à Dieu de nous faire mourir, c’est-à-dire dans toutes les choses par lesquelles nous avons vicié les différentes facultés que nous avions reçues de lui, soit dans l’esprit, soit dans l’âme, soit dans le corps, ainsi par la circoncision du cœur, marchant désormais, non plus dans les voies du péché qui mène à la mort, mais dans les sentiers cachés de Jésus-Christ, voie, vérité et vie 26, nous nous trouvons entés en Jésus-Christ par la ressemblance des différents états qu’il a portés et sanctifiés, soit celui de la mort, soit celui de la croix, et comme lui, par la grâce de Dieu, nous aurons part à sa résurrection.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS II.

 

 

JÉSUS-CHRISTEST SACRÉ ROI, SACRIFICATEUR ET PROPHÈTE SUR SON ÉGLISE 27.

 

 

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DIEU a fait dire par David : Pourquoi les nations se mutinent-elles ? Pourquoi les peuples projettent-ils des choses vaines ? Les rois de la terre se sont assemblés, ils sont en personne ; les princes consultent ensemble contre le Seigneur et contre son Christ, ils disent : Rompons leurs liens ; jetons loin de nous leurs cordes. Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux ; le Seigneur se moquera de leurs projets 28.

Ce n’était alors qu’une prédiction ; mais lorsqu’elle s’est réalisée après avoir été type de ce qui sera un jour, les Apôtres la rappellent, cette prédiction remarquable 29.

Saint Pierre et saint Jean, à l’occasion de la défense qui leur est faite avec menaces, par tous ceux qui étaient en place à Jérusalem, de parler, ni d’enseigner en aucune manière au nom de Jésus, élèvent la voix et s’écrient : Est-il juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu ? Nous suivrons l’exemple des Mardochées 30, des enfants dans la fournaise 31, des Macchabées 32 ; nous désobéirons aux hommes, et nous obéirons à Dieu ; nous vous répéterons ce que Dieu a fait dire par David : Pourquoi les nations s’émeuvent-elles ? Pourquoi les peuples projettent-ils des choses vaines ? Les rois de la terre, Hérode et Ponce Pilate se sont assemblés avec les Gentils et les peuples d’Israël pour consulter ensemble, et pour accomplir ce que le conseil divin avait auparavant déterminé. Ils ont pu détruire, mais vous ne pouvez rien réédifier. Quoi, vous bâtissez et vous rejetez la pierre angulaire 33 ?

Ô Seigneur qui avez fait le ciel et la terre, la mer et toutes les choses qui y sont, vous vous riez de leurs projets 34 aujourd’hui que le type de ce qui se passait alors a toute son expression ; aujourd’hui que l’émotion des peuples est à son comble ; aujourd’hui que les rois de la terre se sont assemblés, se trouvent en personne, et consultent ensemble ; aujourd’hui qu’il est proclamé que la raison prévale et la religion se taise, que la liberté ou les idées libérales se propagent ; aujourd’hui, ô sagesse éternelle ! qu’ils veulent rompre les liens qui les attachent à vous, et rejeter loin d’eux les cordeaux de votre miséricorde ; vous êtes aujourd’hui immuable comme vous l’avez toujours été, et votre vérité se rit de leurs mensonges.

Vous entendez, Seigneur, leur menace, nous sommes parmi les lions, nous demeurons parmi des boutefeux, dont les dents sont des hallebardes et des flèches, et dont la langue est une épée aiguë 35, ils bénissent de leur bouche, mais en dedans ils maudissent ; ils marchent contre un homme pour le faire déchoir de son élévation 36 ; votre temps approche 37, il approche, parce qu’ils s’évaporent en discours, et qu’il y a des épées dans leurs lèvres 38, parce que vous avez crié, et ils ont refusé d’entendre, parce que vous avez étendu la main, et personne n’y a pris garde, parce qu’ils n’ont point agréé que vous les reprissiez 39.

Ainsi tout est préparé pour un nouvel ordre, vous voulez régner, vous nous avez promis que vous vouliez régner sur toute la terre, que votre règne vienne, et votre volonté soit faite 40. Nous ne vous demandons plus d’annoncer votre parole avec toute hardiesse, nous ne vous demandons plus de faire des prodiges et des merveilles pour soutenir votre cause, à vous seul soit la gloire, vous devez et vous voulez régner, vous êtes un conquérant qui voulez entrer en possession de vos conquêtes.

Ils sont armés pour vous combattre, l’amour-propre, le mensonge et l’intérêt sont en ligne de bataille 41, mais les montagnes s’écrouleront devant le Dieu de Sinaï, son souffle brisera les cèdres 42 ; il part avec ardeur comme un géant pour commencer sa course 43 ; les rois sont sans pouvoir, et les puissants sans force. C’est à Jésus-Christ qu’ils font la guerre sans le croire, il va leur parler dans sa colère et les remplir de terreur par la grandeur de son courroux.

Si après l’accomplissement de la prédiction de David reconnue par les apôtres, Jérusalem fut détruite, lorsque l’expression entière du type se manifeste, sur quels abîmes ne sommes-nous pas suspendus ?

Et moi je dirai : J’ai sacré mon roi sur Sion, la montagne de ma sainteté, révélez-nous, ô David, quel a été ce sacre, pour nous faire découvrir comment vous avez sacré votre roi ? Voilà quel est ce sacre 44, l’Éternel m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai aujourd’hui engendré. Dans cet instant, non-seulement l’impression m’a été faite de l’engendrement éternel du fils, et par conséquent de son recoulement éternel dans le sein du Père, non-seulement j’ai contemplé l’agneau immolé dès la fondation des siècles, comme pleige de la création ; mais aujourd’hui, c’est-à-dire dans ce jour immuable, un instant éternel a été ma lumière ; j’ai contemplé et la grandeur de la promesse faite à l’homme coupable, et l’accomplissement de la promesse par le fils, qui seul pouvait la réaliser.

Cette expression, tu es mon fils que j’ai aujourd’hui engendré, burine en mon être, l’infaillibilité de l’exécution ; quant au moyen, il m’est montré en moi-même la robe de consécration, qui doit le constituer mon fils dans l’ordre humain. En consacrant à l’instant cette humanité au fils éternel de Dieu, je sacre mon roi ; mais c’est sur Sion que je le sacre, c’est sur Sion que je donne la victime au sacrificateur éternel, elle est immolée sur la montagne de la sainteté de Dieu, puisqu’elle est immolée sur le Verbe, le fils unique qui est cette montagne de sainteté. C’est alors que je reconnais que j’ai sacré mon roi.

Je voyais que le sacrifice qui s’opérait sur Sion divinisait l’humanité, je redevenais digne de Dieu, et parce que j’avais consacré mon humanité à Dieu pour qu’il se montrât dans la chair, ils divinisent l’humanité pour qu’elle participât à sa gloire.

Écoutez, écoutez, c’est parce que j’ai sacré mon roi sur Sion, que j’ai pu vous réciter les effets de cette consécration qui est l’extension de la divinité dans l’humanité, et c’est lorsque cette extension est faite qu’on comprend le sens divin de cette parole éternelle, tu es mon fils. Et c’est alors que j’ai entendu cette autre parole, demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession les bouts de la terre.

Ainsi sacrez votre roi sur Sion, abandonnez-vous à ce roi, et vous entendrez enfin cette parole divine, tu es mon fils, alors, dit l’Éternel, j’assemblerai la boiteuse, je recueillerai celle qui a été chassée, celle que j’avais affligée 45, c’est-à-dire, j’assemblerai l’église universelle, l’église vivante, et je régnerai en la montagne de Sion dès cette heure et à toujours 46.

Qu’elles sont sublimes ces paroles : Tu es mon fils que j’ai aujourd’hui engendré, mon fils qui est la splendeur de la gloire du Père et l’empreinte de sa personne 47. Mon fils à qui il est dit : Tu es mon fils, et que tous les anges t’adorent ; mon fils dont le trône demeure aux siècles des siècles ; mon fils enfin qui, dans le principe, était le Verbe, le Verbe qui était avec Dieu, le Verbe qui est Dieu. Vous êtes trop éclatant, ô fils Dieu, fils adoré et adorable, couvrez-vous du voile de consécration que vous avez accepté de votre père, et sous lequel il peut nous rendre perceptibles, et la grandeur de votre mission, et l’excès de votre charité. Nous vous adorons, roi de Salem, sacrificateur éternel, nous vous adorons.

Mais notre esprit est encore confondu à la contemplation de cette dignité, vous haïssez l’iniquité, vous aimez la justice, nous sommes iniques, nous sommes injustes, et par les lois de notre nature, nous ne voulons pas sincèrement que vous exerciez sur nous votre sacrificature souveraine.

Descendez, descendez encore, faites-nous connaître notre misère, faites-nous sentir nos faiblesses, et puissiez-vous avoir pitié de nous ! vous êtes impeccable, revêtez-vous de notre humanité, malgré que vous ne puissiez cesser d’être Dieu, soyez notre frère, puisque vous n’êtes pas moins le fils bien-aimé, en qui Dieu prend son bon plaisir 48.

La promesse est accomplie, le verbe est fait chair 49, il est dans le sein de Marie, il se montre dans la crèche ; Dieu, les anges et les hommes lui rendent témoignage, il réalise les prophéties, et sa mission visible commence. Il dit : Vous n’avez pas voulu de sacrifices, ni d’offrandes, mais vous m’avez approprié un corps, alors me voici, je viens, il est écrit à la tête du livre, que je fasse, ô Dieu, votre volonté 50.

Quoique Dieu, je m’abaisse et m’anéantis devant mon père, j’apprendrai l’obéissance par les choses que je souffrirai jusqu’à la mort, à la mort même de la croire.

Je suis la voie, suivez-moi sur Sion, c’est la montagne de la sainteté de Dieu, je vous y révélerai le mystère de ma vérité, ma consécration éternelle et la vie que je peux et veux vous donner. Mais dans le chemin à parcourir, ô Dieu-Homme, quelle abondance de biens et de grâces ne répandez-vous pas ! Vos miracles attestent votre puissance, vos instructions, votre bonté, vos institutions, votre sagesse divine, et votre testament éternel, et votre dernière prière (qu’ils soient un comme nous sommes un51 signalent tant d’amour, ah ! nous vous suivons sur Sion, et nous allons assister à cette consécration visible qui vous couronne d’un nom au-dessus de tout nom, et devant lequel tout genou fléchit 52, c’est sur Sion que Dieu sacre son roi. Mais quel sacre, ô Dieu ! c’est une victime qui s’avance ; n’est-elle pas ce fils bien-aimé en qui vous prenez votre bon plaisir ? Oui c’est mon fils bien-aimé, qui hait l’iniquité, et qui aime la justice. Pour que ma volonté se fasse, il faut que ce qui est à moi me soit rendu quand je le veux, comme je l’ai donné, comme je l’ai fait ; voilà la justice qui m’est due.

Mon fils a haï l’iniquité, par laquelle, en vous révoltant contre mon commandement et ma volonté, vous avez fait triompher la vôtre. Mais par l’amour infini de mon fils pour la justice, il veut que par justice la miséricorde prévale sur le décret de condamnation. Et comment, ô Dieu, opérer un tel prodige ? Reconnaissez la seule victime infinie qui puisse infiniment réparer les chutes, il se cache dans la chair de l’homme de péché, pour que la peine due au péché s’épuise sur cette chair, et que l’homme me soit rendu comme il est sorti de mes mains. Entendez-le, il me crie : Mon père, l’heure est venue, glorifiez voire fils, afin qu’il donne aux hommes la vie éternelle que vous lui avez donnée, je vous ai glorifié sur la terre, glorifiez-moi près de vous 53 et montrez votre justice.

Ma justice n’est pas cruauté, elle est amour pour lui, elle est pitié pour vous. C’est par amour pour mon fils que j’arrache le péché de cette chair de laquelle il s’est hypostatiquement revêtu, c’est par justice que je le délivre, c’est le sacre que je fais sur Sion. Ce sacre est douloureux, mais cette douleur a tout consommé, a tout rétabli, la mort est vaincue, car elle n’a plus le péché qui est son aiguillon, elle voit le Dieu-Homme sur qui elle n’a plus d’empire, l’image empreinte est rétablie ; la justice et la paix se sont embrassées 54, la miséricorde prévaut sur la condamnation 55. Je glorifie le sacrificateur éternel, il s’assied à ma droite, c’est votre médiateur. J’ai sacré mon roi sur Sion, j’ai sacré mon roi, qu’il demande, je lui donnerai les nations pour héritage, et pour possession, les bouts de la terre.

Maintenant que le sceptre si justement acquis est si spécialement donné au fils de l’homme, que la seigneurie, l’honneur et le règne lui appartiennent, donnera-t-il sa gloire à un autre ? Sa domination est éternelle, son royaume ne sera pas dissipé, son sceptre est un sceptre d’équité, mais il est de fer, il brisera et mettra en pièces ses ennemis comme un vaisseau de potier.

Ô rois, ayez de l’intelligence, juges de la terre, recevez instruction, il rend la vie à Sion. Servez-le avec crainte, c’est-à-dire, obéissez-lui par amour, et vous aurez cette vie ; égayez-vous, puisqu’il vous a révélé son sacre, égayez-vous, mais avec tremblement, le sacre est douloureux, mais il fonde l’espérance.

Baisez le fils de peur qu’il ne s’irrite ; baisez le fils quand sa colère s’embrasera tant soit peu ; baisez le fils, car l’amour l’apaise.

Ô que bienheureux sont ceux qui se confient en lui, c’est la pierre précieuse de l’angle, ceux qui y croiront ne seront point confus, ô foi vous êtes l’hypostase des choses qu’on espère 56, et vous conduisez sûrement vos enfants à l’amour même qui est la fin de toutes choses comme il en est le principe.

Combien vous avez raison, ô roi prophète, en contemplant les grandeurs infinies de ce Verbe-Dieu, qui devait un jour se faire chair, de vous écrier : Je veux raconter les œuvres de mon roi, ma parole s’élance de mon cœur, ô ma langue, deviens comme la plume d’un écrivain traçant rapidement ce qui lui est dit.

Votre beauté surpasse celle des enfants des hommes, vous n’êtes pas né de l’homme, vous n’avez aucune de ses souillures 57.

Vous êtes Dieu de Dieu, vous êtes l’image achevée de votre père, la grâce est répandue sur vos lèvres, divin Jésus, car la parole divine, le Verbe est la source de grâce pour tous les hommes ; et comme les lèvres en ferment la parole, de même aussi votre humanité sainte cache le Verbe, et par cette grâce de la divinité toujours unie à la nature humaine, nous obtenons des faveurs infinies. Ô nature humaine, tu es devenue participante de la grâce divine, tu es bénie éternellement en Jésus-Christ.

Ô ma langue, raconte les merveilles de mon roi. Très-puissant, ceignez votre épée, montrez-la à votre côté, car cette épée, ô Dieu, c’est votre Verbe, votre parole, parole efficace, parole ineffable que vous engendrez éternellement en vous-même et qui produit un amour infini qui termine au-dedans vos insondables opérations, et les prépare au dehors. Montrez-la à votre côté cette parole qui s’est rendue le défenseur de ses œuvres, et qui fut dès-lors l’agneau réparateur immolé à votre divine justice, montrez-la à votre côté, cette parole, lorsque vous avez voulu vous exprimer d’une manière palpable et intelligible.

Elle a dit : me voici.Pour vous montrer plus grand, elle s’est abaissée jusqu’à l’excès, pour faire paraître la souveraineté et la nécessité de votre justice, elle s’y est soumise, s’est enveloppée de la mort, s’en est laissée dévorer, et épuisant ainsi votre justice infinie, puisqu’il est un Dieu infini, il a manifesté sa victoire sur la mort, en absorbant sa mort dans sa vie.

Ô très-puissant, ceignez votre épée, montrez à vos côtés cette parole, qui a épuisé votre justice infinie pour réaliser une miséricorde infinie.

Signalez-vous par votre beauté, fidèle expression de Dieu, et splendeur de sa gloire, signalez-vous, ne prenez plus les ténèbres pour votre cachette, le soleil est votre vêtement ; notre raison vous reconnaît dans la magnificence de la création ; notre foi vous découvre sous la forme de serviteur et d’esclave, et sous les haillons de votre misère dont vous vous êtes revêtu pour nous racheter. Elle vous a découvert sur la croix ; elle vous découvre encore dans les divins secours que votre charité daigne lui offrir dans les sacrements que vous avez institués.

Nous avons caché notre espérance dans les ouvertures que vous avez fait faire à votre cœur. Vous avez trop fait pour nous, faites enfin pour vous-même, notre amour veut et désire votre triomphe. Entreprenez, prospérez, et régnez. Entreprenez tout ce qui regarde votre gloire, comme vous avez entrepris tout ce qui regarde le salut du monde, entreprenez, car vous renfermez toute la sagesse du Père, tout a été fait par vous et pour vous 58 ; prospérez, puisque vous faites tout que ce vous voulez au dehors et au-dedans. Vous êtes infiniment fécond, puisque l’Esprit Saint procède de vous comme de votre père. Régnez, régnez enfin ; vous nous avez appris à le demander ; régnez, que tout genou fléchisse, au ciel, sur la terre et dans les enfers, à votre nom, que tout ce que vous avez produit hors de vous-même vous soit soumis, que les cœurs vous soient assujettis, vous avez tout créé, vous avez tout racheté, tout est à vous, régnez, ah ! régnez partout.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS III.

 

 

GRANDEURS, PERFECTIONS ET EXCELLENCE DE LA PERSONNE DE JÉSUS-CHRIST, VENANT SAUVER L’HOMME 59.

 

 

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SI le roi David, par l’esprit de prophétie, ainsi qu’on vient de le voir dans le discours précédent, a si bien aperçu, dans l’avenir, les hautes perfections de l’Homme-Dieu venant chercher sa créature tombée, saint Paul, de son côté, éclairé de l’Esprit de Dieu, n’a pas moins contemplé avec admiration les mêmes grandes vérités ; vérités qu’il a démontrées d’une manière victorieuse aux Juifs convertis afin de les confirmer dans la foi en Jésus-Christ, qu’ils avaient tant de peine à accepter à cause des fausses idées que la raison humaine leur avait suggérées sur la personne adorable du Messie.

Saint Paul toujours sublime et toujours par l’esprit saint au niveau de l’instruction qu’il doit transmettre, se surpasse en quelque sorte dans son Épître aux Hébreux, soit parce qu’il y avait plus de préjugés à vaincre chez eux, soit que ce peuple type, quoique rebelle, attirât toujours plus de condescendance et de grâces divines de la part de Dieu (comme dit l’Écriture), et ses grandes destinées finales, soit enfin parce que les Hébreux étant plus instruits que les autres peuples, il leur fallait une parole plus incisive et plus pénétrante. Quoiqu’il en soit, cette parole est donnée à saint Paul, il parle des vérités les plus hautes, et ses expressions sont à la hauteur de ces vérités.

Dans le premier chapitre, il s’agit d’établir la divinité de Jésus-Christ cachée sous son humanité, et de leur montrer un Dieu-Homme qui leur avait parlé, et par conséquent la nécessité d’écouter et de garder cette parole de Vérité.

Les Hébreux savaient, par leurs livres saints, que l’Éternel leur parlerait par le ministère des prophètes ; et ils avouaient qu’il leur avait parlé plusieurs fois par cette voie, ainsi, ils ne peuvent contredire le premier verset qui leur est adressé : Dieu ayant anciennement parlé à nos pères par les prophètes en plusieurs fois et en différentes manières, mais quant au deuxième verset où il est dit : L’Éternel nous a parlé en ces derniers temps par son fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par lequel il a fait les siècles ; cette divine vérité va prendre dans saint Paul le caractère de la démonstration.

Dieu a parlé par son fils, les Hébreux devaient connaître cette filiation, et par conséquent la divinité du Christ, le Christ ne devait pas seulement être un homme, un prophète, un ange ; mais le Christ devait être fils de Dieu et par conséquent Dieu. Le roi David, en prophétisant cette grande manifestation, est emporté par la force de l’Esprit qui le pousse, car on sent que ce ne sont pas des paroles de l’homme qu’il transmet. Les peuples s’élèvent contre moi, je me rirai d’eux ; j’ai sacré mon roi sur Sion, la montagne de ma sainteté 60, et je vous réciterai quel est ce sacre ; l’Éternel a dit : Tu es mon Fils, je t’ai aujourd’hui engendré ; demande-moi et je te donnerai les nations pour ton héritage.

Oui, ô Dieu, père, vous avez sacré votre roi, car par l’infinité de son sacrifice en Sion, il a épuisé votre justice infinie, et vous avez été obligé de lui livrer votre miséricorde infinie, et il est devenu, comme Homme-Dieu, roi de cette miséricorde pour les nations que vous lui avez cédées pour son héritage. Il était de toute éternité votre Verbe fils unique ; son union hypostatique avec la nature humaine n’a pu changer son essence, et lorsque par l’Esprit Saint vous révélez à David les merveilles de l’incarnation, la gloire infinie que vous deviez en retirer, la condamnation abolie, les richesses abondantes qui découlent du sang répandu sur la montagne de Sion, vous forcez David de proférer ces sublimes paroles : Ô roi que mon amour engendre éternellement, tu es mon fils, je t’ai établi héritier de toutes choses, et par toi j’ai fait les siècles. Et saint Paul, continuant dans le même esprit et dans le même style, ajoute : Ce fils étant la splendeur de la gloire de Dieu, l’empreinte de sa personne, soutenant toutes choses par sa parole puissante, ayant fait par soi-même la purification de nos péchés, s’est assis à la droite de la majesté dans les lieux très-hauts 61.

St Paul ne veut pas que les Hébreux at tendent encore ce Messie qu’ils ne voulaient reconnaître que sur le portrait que leur imagination s’était créée ; car dans la recension de la puissance du fils, il n’oublie pas de dire qu’il a fait par lui-même la purification de nos péchés. Ce n’est plus une chose à faire, c’est une chose faite ; or il n’y avait qu’un Dieu qui pût opérer cette purification ; et puisque la purification est opérée pour ceux qui y croient et la veulent recevoir, donc Jésus-Christ qui l’a opérée est Dieu. Nous avons dit qu’il n’y avait qu’un Dieu qui pût opérer la purification des péchés, parce qu’il n’y avait qu’un Dieu qui pût offrir à Dieu une victime digne de lui, donc il fallait que ce Dieu fut uni hypostatiquement, imperdablement à cette victime, et il fallait que cette victime elle-même fut divinisée, et par cette union d’hypostase et par ce sacrifice ; puisqu’après cette purification cette victime ressuscitée s’est assise dans les lieux très-hauts ; donc Jésus-Christ après avoir été Dieu incarné ou Dieu-Homme, a manifesté la dignité de l’Homme-Dieu ressuscité, en s’asseyant à la droite de la majesté divine. Voilà l’instruction sublime que saint Paul donne aux Hébreux dans les trois premiers versets de son Épître.

Il ajoute : Il a été fait d’autant plus excellent que les anges, il a hérité un nom plus excellent que le leur 62.

Ce n’est pas effectivement à la nature des anges que le Verbe s’est uni pour opérer par un amour infini et pour Dieu et pour les hommes la manifestation de la justice infinie, en se soumettant à Dieu et à la manifestation de la miséricorde infinie, en sauvant les hommes par son sacrifice ; c’est à la nature de l’homme que Dieu-Verbe s’est uni pour cela ; or le sacrifice de Dieu ayant rendu l’homme Dieu, l’Homme-Dieu est fait d’autant plus excellent que les anges qu’il hérite d’un nom plus excellent que le leur ; puisque par l’union hypostatique et le sacrifice, l’humanité a été divinisée, car. dit saint Paul : Auquel des anges a-t-il jamais été dit : Tu es mon fils, je t’ai aujourd’hui engendré ? Et ailleurs : Je lui serai père et il me sera fils 63. Et ailleurs encore, lorsqu’il introduit son fils bien-aimé dans le monde, que tous les anges de Dieu l’adorent.

Par cette doctrine, la suprématie de l’Homme-Dieu sur les anges est hors de doute, et cela n’est pas étonnant, les descendances adorables du Verbe pour faire rentrer tous les êtres dans leur origine sont aussi miséricordieuses et admirables qu’incompréhensibles et insondables ; elles furent montrées aux anges rebelles en opposition à leur orgueil ; ce fut la première punition de celui qui disait : Je monterai aux hauts lieux des nuées, je serai semblable au souverain 64. Et peut-être que si ces prévaricateurs se fussent soumis à adorer le Verbe descendant dans l’homme moindre que lui, à accepter en expiation une descendance proportionnée à l’exaltation qu’ils voulaient et qui était leur crime, ils n’auraient pas éprouvé toute la rigueur de la justice punitive, si énergiquement exprimée par ce mot, qui est comme Dieu, quand on lui résiste ; il ne nous eût pas révélé la lamentable histoire du chef de cette révolte : Tu as été un chérubin oint pour servir de protection, je t’avais établi dans la montagne de ma sainteté, tu as marché entre les pierres éclatantes, ton cœur s’est élevé à cause de sa beauté, tu as perdu ta sagesse à cause de ton éclat, je t’ai jeté par terre, et je t’ai mis en spectacle aux rois afin qu’ils te regardent ; tu as profané mes sanctuaires par la multitude de tes iniquités, en usant mal de ton trafic, et j’ai fait sortir du milieu de toi un feu qui t’a consumé, je t’ai réduit en cendres sur la terre en présence de tous ceux qui te voient.

Ô Dieu, montrez-nous vos descendances admirables, c’est-à-dire l’excès de vos miséricordes, et nous vous adorerons dans tous vos abaissements et dans votre incarnation, et sur la croix et sur nos autels, où vous êtes venu, et où vous venez vous présenter à l’homme déchu qui ne pourrait vous atteindre dans votre gloire, vous venez donc sous ses descendances incompréhensibles relever ce malheureux homme s’il le veut, vous le faites rentrer en vous et le faites participer à l’héritage du nom excellent que vous avez reçu comme Homme-Dieu ; non, non, quelque grand que soit le ministère des anges fidèles, il n’est pas dit d’eux :Ô Dieu, ton trône demeure aux siècles des siècles, et le sceptre de ton royaume est un sceptre d’équité 65. Il n’est pas dit, tu aimes la justice et tu as haï l’iniquité, c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint d’une huile de joie par-dessus tous tes semblables. Il n’est pas dit : Toi, Seigneur, tu as fondé la terre dès le commencement, et les cieux sont les ouvrages de tes mains, ils vieilliront tous comme un vêtement, et tu les plieras et rouleras comme un habit, mais toi tu es le même, tes ans ne finiront point ; il n’a pas été dit aux anges : Assois-toi à ma droite jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis pour le marchepied de tes pieds.

Ainsi, ô Dieu, Verbe incarné Dieu-Homme et Homme-Dieu notre Seigneur, peut-on se refuser de vous reconnaître pour Dieu, de vous adorer pour Dieu après des paroles si précises : Il est ordonné à tous les anges de vous adorer ? Vous êtes appelé Dieu par votre Père, il est dit : Ô Dieu, ton trône demeure aux siècles des siècles. Votre trône demeure, il est établi, par votre miséricorde et votre sacrifice, sur la nature humaine que vous avez revêtue, et sur les ouvrages de vos mains. Ce trône demeure aux siècles des siècles ; le sceptre de votre domination s’est établi par l’obéissance absolue à laquelle vous vous êtes voué pour procurer à Dieu toute la gloire que les créatures sont capables de lui rendre ; et comme vous avez montré par-là toute justice, votre sceptre est un sceptre d’équité que rien ne peut rompre, c’est pour cette œuvre incomparable qu’il vous est dit : J’ai sacré mon roi sur Sion.

Ainsi la divinité vous appartient par votre génération éternelle, par la manifestation que vous avez opérée de ce qui constitue l’essence de Dieu, sa justice infinie, et cela, en vous soumettant à sa volonté absolue et à sa puissance sans bornes ; puissance par laquelle vous avez fondé la terre et les cieux pour qu’ils racontent sa gloire. Mais quant à vous qui êtes la parole éternelle du Père, vos ans ne finiront pas ; vous êtes et vous serez le même. Je me range sous l’escabeau de vos pieds, et je vous adore, ô mon Seigneur et mon Dieu ! et aux lieux où vous êtes assis dans la hauteur de votre gloire, et dans la profondeur de vos abaissements.

Quant aux anges, le plus puissant n’avait été oint que pour servir de protection.

Mais Jésus-Christ, Verbe incarné, est l’agneau immolé dès la fondation des siècles pour être sauveur par l’effet d’un sacrifice inouï. Les anges sont des esprits administrateurs envoyés pour protéger ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut ; mais c’est le Verbe incarné qui le donne, David avait dit des anges : L’ange de l’Éternel se campe tout autour de ceux qui le craignent et les garantit 66, lorsqu’on met toute sa confiance en Dieu. Il est encore dit dans les Psaumes : Aucun mal ne te rencontrera, aucune plaie n’approchera de ta tente, car il donnera charge de toi à ses anges afin qu’ils te gardent dans toutes ses voies, ils te porteront dans leurs mains de peur que son pied ne heurte la terre 67.

Ainsi les anges sont les ministres et les ambassadeurs de Dieu, mais ils ne sont que cela, et à quelle distance ne sont-ils pas du Fils ? Elle est comme de l’infini au fini. Saint Jean ravi et enlevé comme hors de lui par l’étendue des révélations qu’il reçoit par le ministère de l’ange qui lui déroule les temps, les siècles, et les siècles des siècles, fait pour notre instruction la faute de vouloir l’adorer, en se jetant à ses pieds. Garde-toi bien de le faire, lui dit l’ange, je ne suis que ton compagnon de service, et le compagnon de tes frères qui ont le témoignage de Jésus : adore Dieu 68. Or puisque les anges ne doivent pas être adorés, et que cependant saint Paul dit, en parlant du fils Verbe, que tous les anges de Dieu l’adorent, il s’ensuit par une conséquence nécessaire que Jésus-Christ, en qui le Verbe éternel réside, mérite la même adoration qui est due à Dieu l’être infini 69.

Aussi lorsqu’il est montré à saint Jean les millions d’anges qui crient : L’agneau qui est immolé dès la fondation des siècles est digne de recevoir louange, honneur, gloire et force aux siècles des siècles, les anciens répondent : Alléluia Amen ; ils se prosternent et adorent celui qui est vivant aux siècles des siècles.

C’est après avoir établi cette infinie distinction entre Jésus-Christ et les anges qu’il en résultera l’infinie différence qu’il y a entre la loi, qui simplement défend le péché et par conséquent le fait connaître, et la foi en Jésus-Christ qui l’ôte, le tue, l’arrache et substitue à la mort, dont le péché est l’aiguillon, la vie éternelle que Jésus-Christ porte en lui-même et qu’il a pouvoir de communiquer. C’est pour cela que saint Paul dit que dans cette proportion nous devons nous attacher avec plus de soin à la doctrine de Jésus-Christ afin que nous ne soyons pas comme l’eau qui s’écoule et se perd. Et pour prouver que cette perte est certaine, il met en parallèle la loi et l’Évangile, et établit ce raisonnement : Si la foi qui a été annoncée par les anges est demeurée ferme, si toutes les violations, toutes les désobéissances ont reçu la juste punition qui leur était due ; si tous les transgresseurs ont essuyé cette terrible malédiction, prononcée dans la loi de Dieu ; maudit soit celui qui ne persévère pas dans les paroles de la loi pour les faire 70 ; comment pourrions-nous l’éviter si nous négligeons l’Évangile du véritable salut, qui ayant été premièrement annoncé par le Seigneur, a été confirmé parmi nous par ceux qui l’ont entendu.

Il est peut-être essentiel d’établir ici l’origine de la loi. La foi d’Abraham lui avait valu, ainsi qu’à tous ceux qui imiteraient sa foi, cette divine promesse : Toutes les nations de la terre seront bénites en ta semence. Voilà pourquoi saint Paul dit : La promesse n’a pas été faite à Abraham par la loi, mais par la justice de Dieu qui couronna la foi d’Abraham ; lui qui consentait au sacrifice de son Fils, figure de celui de Jésus-Christ, fils d’Abraham suivant la chair. Ce n’est que longtemps après la promesse que la loi a été ajoutée, dit saint Paul, pour qu’elle fît connaître ce qui était péché ; pour qu’elle fût un frein contre lui par la défense qu’elle fait de le commettre, jusqu’à ce que vint Jésus-Christ la semence promise, cru par Abraham et qui le sauva ainsi que tous ceux qui, dans le peuple type, sont sortis de lui, c’est-à-dire issus de sa foi, saluèrent de loin celui qui devait réaliser la promesse, en tuant la mort et lui arrachant son aiguillon qui est le péché.

La loi ne pouvait faire cette œuvre, aussi ce ne sont que les anges qui ont ordonné la loi, et toutefois puisque la loi était promulguée, le péché était imputé, et par conséquent puni en celui qui enfreignait le commandement. Il fallait que l’homme pût concevoir quelle était la dureté de la chaîne du péché, et par cette idée de le haïr, du moins, et s’élever à l’espérance que ce péché serait détruit, puisque les écritures révélées, qui commençaient avec la loi, confirmaient les promesses faites à Abraham en raison de sa foi, annonçaient le libérateur de la mort, si on s’endormait dans la foi de ce Libérateur. Que ce soient les anges qui aient ordonné la loi, c’est ce que dit expressément l’Écriture : Vous qui avez reçu la loi par le ministère des anges et ne l’avez pas gardé ; et ailleurs : Moïse est celui qui fut au désert avec l’ange qui lui parlait sur la montagne de Sinaï, et reçut les paroles de vie pour nous les donner ; mais les paroles de vie ne sont pas la vie, il faut qu’elles germent par la foi ; il faut que la bénédiction prophétique de Moïse se verse sur cette foi ; il faut qu’elle sorte d’entre les dix milliers des saints, et que de sa droite le feu de la loi s’élève, c’est-à-dire, l’esprit de la loi qui vivifie.

Quant à l’Évangile, il est aussi au-dessus de la loi que le principe est au-dessus de l’effet. Jésus-Christ a apporté non-seulement des paroles de vie, mais des paroles éternelles vivantes et opérantes, parce qu’il est lui-même le livre écrit par dehors et par dedans. Par dehors, comme modèle à imiter, par dedans, comme Fils unique de Dieu, et par conséquent infini comme le Père. Il est donc lui-même l’Évangile qu’il a prêché, les paroles qu’il a dites, puisqu’il est la parole du Père, il repose par son esprit dans le livre qui renferme ses paroles et ses institutions.

Ces paroles vivantes germent et se développent par la foi, elles s’y transforment en amour et lumière, ou en lumière et amour, en proportion de l’excellence de la foi ; car comment ne pas aimer ce que l’amour montre si beau, ou comment ne pas voir si beau ce que l’amour inspire ? C’est cet amour et la justice qui en procède qui étaient promis à Abraham ; c’est cet amour que Jésus-Christ a apporté sur la terre 71 ; c’est cet amour qu’il nous a laissé par testament, et dans ses institutions, et dans toutes les paroles qu’il nous a transmises, c’est cet amour qu’il a scellé de son sang, car son sang est le témoignage de son amour ; c’est cet amour qu’il a manifesté en résurrection de vie ; c’est cet amour enfin qui sera un jour changé en vue pour ceux qui veulent à l’aveugle s’abandonner à celui qui se dit lui-même avec justice la voie, la vérité et la vie.

Ainsi voilà la grande différence de la loi et de l’Évangile. Il était attaché des récompenses temporelles à ceux qui obéissaient à la loi, mais la vie essentielle est le partage de ceux qui obéissent à la parole du Verbe. Les paroles de la loi sont des paroles médiates de vérité, les paroles de l’Évangile sont immédiates, c’est la vérité qui les sème dans le cœur de l’homme sans jamais gêner sa liberté, et si l’esprit de foi les fait fructifier, elles produiront tout ce qu’elles sont destinées à produire. Mais si l’on néglige un tel salut, il ne faut pas perdre de vue que celui dont le nom est la vérité a dit : Vous n’aurez pas de part avec moi, vous n’aurez pas la vie que l’amour donne, vous ne connaîtrez que la justice terrible de l’amour méprisé, parce que vous n’aurez pas connu l’amour de la justice qui engendre la miséricorde et le salut annoncé par moi-même et confirmé par ceux qui m’ont entendu.

Or la mort encourue par le péché de l’homme s’opposait à la rentrée des hommes dans le sein de Dieu ; et puisque celui par qui et pour qui sont toutes choses voulait amener plusieurs enfants à la gloire de la vie, il était convenable qu’il exerçât la puissance de sa justice, et qu’il consacrât, par des afflictions, cette nature livrée à l’ignominie de la mort ; puisque la mort s’était glissée dans la nature de l’homme, c’était dans la nature de l’homme que le combat devait se livrer à la mort. Par qui ce combat pouvait-il se livrer ? Par celui qui avait pouvoir sur la vie, or celui qui a le pouvoir sur la vie a pouvoir de la donner ; il a pouvoir de la reprendre, il n’y avait donc que lui qui pût livrer le combat à la mort et la poursuivre dans son empire qui était l’homme pécheur.

Il fallait donc pour que la mort cessât d’être dans l’homme, qu’elle rencontrât l’homme innocent. Il fallait que le prince du salut, de ceux qui sont appelés à la béatitude, fût le Verbe fils unique de Dieu et sacrificateur descendant de Dieu ; il fallait qu’il ne prît point à honte d’appeler ses frères les enfants adoptifs, qui doivent être amenés à la gloire, et qu’ainsi il annonçât à ces mêmes frères la puissance de Dieu son père dans leur assemblée, qu’il le louât de la seule louange qui convienne à Dieu, qui est de ne vouloir que sa volonté. Il était convenable qu’il manifestât cette confiance, cet abandon, cette soumission qui lui est due. C’est cette confiance que le roi prophète fait paraître lors qu’il dit : l’Éternel est ma forteresse, mon Dieu fort et mon rocher, je me confierai en lui, il est mon bouclier, la corne de mon salut, ma haute retraite et mon libérateur 72.

Mais comment eut-il pu appeler ses frères ceux qui participaient à la chair et au sang ? Comment leur eut-il rendu sensible cette confiance si entière, qui seule pouvait obtenir le pardon de la révolte, s’il ne se fut donné lui-même pour exemple ? Comment se donner pour exemple, s’il ne se fut rendu visible et sensible ? Il était donc convenable qu’il participât à la chair et au sang. Alors la mort rencontrant l’homme sans péché, le diable perdait l’empire qu’il avait sur l’homme par la mort ; car ce n’est que par le péché qu’il a empire sur elle ; or l’homme étant délivré de la crainte de la mort ne peut que servir sans crainte et par amour celui qui l’a délivré d’une telle servitude. Il n’a nullement pris les anges tombés qui n’avaient pas voulu le reconnaître dans ses descendances ; mais il a pris la semence d’Abraham, ceux qui, par la foi, ont été attirés jusqu’à lui, parce qu’ils ont cru à ses promesses.

C’est pourquoi il a fallu qu’il fût semblable en toutes choses à ses frères. Il fallait que le médiateur qui devait opérer la réconciliation fût homme, il fallait aussi qu’il fût Dieu, pour pouvoir apaiser un Dieu offensé. C’est pourquoi ces deux mots de saint Paul sont admirables : Il fallait qu’il fût semblable à ses frères, afin, continue saint Paul, qu’il fût un souverain sacrificateur, miséricordieux et fidèle dans les choses qui doivent être faites envers Dieu, pour aire la propitiation pour les péchés du peuple. Jésus-Christ est véritablement le Pontife par excellence, il a été tout à la fois sacrificateur et victime ; il s’est offert à Dieu comme un holocauste pur et sans tache. Il est cet Homme-Dieu, le fondateur unique de cette religion universelle, toute fondée sur la promesse du sacrifice confirmée par la réalité de son immolation sur la croix. Comme prêtre éternel de cette religion vraie, intérieure, il la réalise dans ceux qui répondent à son appel. Par l’envoi de son Esprit, il les dispose à être l’expression de sa réalité depuis sa venue au monde ; il les lie à lui pour perpétuer ces sacrifices intérieurs de tout eux-mêmes ; suivant la mesure d’un chacun. Aussi ce souverain pontife a eu, dans tous les siècles, une église intérieure formée sur le modèle de la Jérusalem d’enhaut. Cependant il a aussi montré extérieurement la réalité de son Église, soit sous la tradition, soit sous la loi, soit depuis puisque sur Adam, sur Moïse et sur les apôtres, il a fondé l’Église visible. Mais Élie ignorait qu’il y avait sept mille hommes qui n’avaient pas fléchi le genou devant Bahal et qu’à cause de leur fidélité il faisait grâce à son propre peuple. Il fallait sa parole pour lui apprendre qu’il se réservait ses élus.

Ceci nous apprend que Jésus-Christ a toujours eu des adorateurs en esprit et en vérité, indépendamment de l’église extérieure. Ces âmes fidèles soumises à l’ordre extérieur qu’il a établi sont des pierres vivantes que Jésus-Christ manifestera enfin en triomphe. Rien n’est plus rassurant que le chef suprême de cette Église soit non-seulement un Pontife, doux, bon et clément, mais encore un tout-puissant défenseur contre les puissances invisibles, contre l’accusateur des enfants de Dieu, et un protecteur affectionné qui nous préservera du lion rugissant qui cherche à nous dévorer.

Car parce qu’il a souffert étant tenté, il est puissant pour secourir ceux qui sont tentés.C’est parce que, dans la tentation, il a éprouvé toutes les finesses et les ruses de l’ennemi, qu’il peut servir contr’elles de bouclier à ses disciples. C’est parce qu’il a subi, dans son innocente nature, tous les traits et tous les horribles tourments que l’ennemi a fait pleuvoir sur lui à grands flots, qu’il est disposé à les protéger par sa puissance. C’est parce que Satan a été déchaîné contre lui qu’il a droit de le lier pour nous. Sous ses ordres, le divin chef de notre foi appelle la milice céleste ; elle vient, elle environne son disciple fidèle, elle campe autour de lui, elle le couvre de son bouclier, elle manie l’arc et l’épée, et les puissances infernales sont renvoyées dans l’abîme. Non, il ne peut pas y avoir de pensée plus douce, plus consolante pour un cœur qui sent sa faiblesse, qui connaît sa profonde corruption, que celle d’avoir auprès de Dieu celui qui a souffert étant tenté, c’est lui qui veut secourir et assister ses frères, lorsqu’ils seront affligés et travaillés par les épreuves qu’il permettra leur être dispensés pour leur plus grand bien. Quelle force ne devons-nous pas tirer de cette vérité que Jésus-Christ est notre avocat, qu’il plaide la cause de ses frères, et qu’il ne nous abandonnera jamais pourvu que nous restions fidèles dans son amour ? Mais c’est dans ce point que consiste la cause de nos découragements et de nos plaintes, c’est que nous ne sommes pas fidèles à son esprit ; que nous ne lui restons pas attachés par amour ; et que le sentiment secret de nos infidélités nous accuse et nous rend confus devant lui. Il nous manque ce témoignage intérieur, que nous l’aimons au-dessus et par-dessus toutes choses sans nous laisser rebuter par l’expérience mille fois répétée de notre misère et de nos chutes. Ô Jésus ! que votre bonté est immense, que votre compassion pour les pauvres pécheurs est sans bornes. Oui, ô Sauveur, elle est aussi infinie que votre charité l’avait été. Vous avez souffert ; vous avez éprouvé la tentation pour connaître d’autant mieux les faiblesses de votre créature, et n’avoir point d’indignation pour ses nombreuses fautes. C’est pourquoi, ô adorable Rédempteur, vous avez porté nos langueurs ; vous vous êtes revêtu de nos infirmités et, ayant éprouvé la tentation sans pécher, vous pouvez aider ceux qui la souffrent avec humilité et résignation.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS IV.

 

 

JÉSUS-CHRIST, EN INSTRUISANT SES DISCIPLES, EXERCE LES FONCTIONS DE SA VIE APOSTOLIQUE 73.

 

 

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UNE  impression de tristesse s’était emparée des disciples de Jésus, un pressentiment funeste les affligeait ; c’est dans cette situation qu’il sent, qu’il connaît, qu’il adresse à ses amis ses dernières instructions.

Il ne veut pas que l’émotion du sentiment affaiblisse leur courage, il a encore tant de vérités à leur faire entendre dans ces derniers moments, qu’il commence par raffermir ces cœurs si naturellement affligés ; que votre cœur ne soit point alarmé, et sur-le-champ, les élevant au motif qui doit dissiper toute alarme, il ajoute : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Divin Jésus ! combien vous leur avez déjà donné de motifs de foi, et combien vous leur en ménagez encore ; ce que vous venez de dire n’est que comme une semence que vous jetez, mais elle va fructifier, et elle s’élèvera jusqu’à l’évidence.

Voici une doctrine dont Jésus-Christ n’a pas encore entretenu ses disciples et qui va démontrer la nécessité de la foi en notre Sauveur. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, s’il en était autrement, je vous l’aurais dit. Jésus-Christ se contente de dire le fait, c’est à nous à en tirer la conséquence. Il y a plusieurs demeures. Qui est-ce qui nous fera connaître celle qui nous est assignée sinon celui qui l’a édifiée et préparée ? S’il y avait une seule demeure en Dieu, la seule croyance en Dieu serait suffisante, la croyance au Fils serait inutile, mais puisqu’il y a plusieurs demeures, il faut que nous croyions en celui qui nous prépare la demeure et nous en enseigne le chemin. Nous devons donc d’autant plus croire et espérer en Jésus-Christ que c’est par lui que nous savons qu’il y a plusieurs demeures, et que c’est lui qui va nous en préparer une ; nous frapperions en vain à toute autre porte. Non-seulement nous devons croire, mais nous devons fidèlement garder cette doctrine de la foi en Jésus-Christ, car il nous apprend qu’il va s’en aller pour nous préparer la de meure. Si sa présence sensible a servi d’appui à ses disciples chéris, que deviendraient-ils pendant cette douloureuse absence, s’ils n’avaient pas le soutien de la foi en lui ?

Jésus-Christ se laisse voir par l’esprit de foi, comme il fait sentir sa divine présence à l’âme fidèle en qui il fait sa demeure ; c’est l’armure dont il les couvre pour ce temps d’épreuve, c’est pourquoi il leur dit : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. La foi se perfectionne par l’absence, et c’est dans le repos de la nuit de la foi que s’annonce l’aurore d’un nouveau jour 74. Jésus-Christ le promet et l’annonce. Je retournerai et je vous prendrai avec moi. Ainsi ô Jésus, mon Seigneur et mon Dieu, par l’espérance, vous consolidez le dogme de la foi en vous, vous prendrez avec vous vos disciples, ceux qui gardent ce dépôt précieux de la foi que vous leur confiez jusqu’à votre retour, et quand vous reviendrez, ah ! tout le cœur tressaille à cette consolante pensée ; je les prendrai avec moi, afin que là où je suis, ils y soient aussi, vous êtes la demeure que vous leur avez préparée, et par leur foi en vous, ils entrent déjà en espérance dans cette demeure anticipée.

Ô dogme admirable de la foi en Jésus-Christ ; si Jésus-Christ ne venait pas nous prendre, comment pourrions-nous être là où il est ? Où est-il ? Dans la maison divine, dans la maison de son père, dans le sein de son père. Où sommes-nous ? Dans une maison de terre, dans une maison de corruption, dans le domaine de la mort. Lui-même, que faut-il qu’il fasse pour préparer cette demeure et le lieu de notre repos ? Il faut qu’il s’en aille, qu’il quitte cette demeure terrestre, qu’il a empruntée pour nous prouver qu’en la laissant sacrifier par hommage à la justice divine, elle n’est plus alors un obstacle invincible qui nous empêche de rentrer dans la maison de notre père. Il a rompu cet obstacle, il s’est élancé de la mort jusqu’à Dieu. Oui, il était de la justice de Dieu de le délivrer de la mort, puisque pour sauver l’humanité qui y était condamnée, lui, juste, était descendu du Père pour se soumettre volontairement à la peine que doit subir l’injustice. C’est ainsi qu’il préparait le lieu à l’homme condamné, et du consentement de son père la miséricorde avait droit d’y faire rentrer ceux qui l’imploreraient.

Or, par justice, le droit de faire miséricorde n’appartenait-il pas à Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ avait opéré le grand acte de miséricorde, en rachetant, au prix de son sang, la nature humaine qui avait besoin de miséricorde, puisque, sans elle, elle était justement condamnée ? Ainsi la foi au fils est aussi essentielle que la foi au Père ; nous sommes nécessairement au fils, et nous ne pouvons être au Père que par ce divin médiateur.

C’est cette vérité essentielle que Jésus-Christ veut imprimer dans ses disciples. Il va donner à l’un d’eux l’occasion de présenter ses objections pour les vaincre, sachant bien que la raison humaine est le plus grand obstacle à cette foi si nécessaire au salut. Vous savez, leur dit-il, où je vais et vous en savez le chemin ; Thomas répond : Seigneur, nous ne savons pas où vous allez, comment donc pouvons-nous en savoir le chemin ? Jésus ne se fâche pas de cette réponse, pauvre raison, tu es si bornée, le plus souvent fausse sur ce qui est de ton ressort, comment traverserais-tu les abîmes spirituels et célestes qui te séparent du divin domaine de la vérité pure ? Faites taire votre raison, ô hommes, croyez en Jésus-Christ, il vous dit : Nul ne vient au Père que par moi.

Cette parole germa, car dès les premières prédications des apôtres après l’envoi du saint Esprit, ils disent par lui que Jésus crucifié, cette pierre rejetée, a été faite la pierre angulaire 75 ; qu’il n’y a de salut en aucun autre qu’en Jésus crucifié ; qu’il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui soit donné aux hommes par lequel il nous faille être sauvé 76 ; conséquemment il n’y a de salut en aucun autre qu’en Jésus crucifié.

Je retournerai et vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi, quand je vous aurai préparé le lieu, c’est-à-dire, quand moi Homme-Dieu j’aurai rendu à mon père l’homme divinisé par le mérite de mon sacrifice.

Ce chemin que vous ne connaissez pas, je vous le ferai connaître, car je suis le chemin, je vous l’ai tracé et en me suivant dans ce chemin, vous ne vous égarerez pas ; efforcez-vous de m’imiter. Je suis la vérité, la grâce et la vérité sont venues par moi, car vous étiez perdus, et en me chargeant de la dette, grâce vous est faite, si vous le voulez. Je suis la vérité, car la vérité est que la volonté de Dieu doit être faite ; vous étiez dans le mensonge, puisque, par votre volonté, vous vous étiez soustraits au commandement de Dieu. Je suis descendu de Dieu, je suis descendu jusques dans votre nature ; je l’ai épousée, pour la soumettre au commandement ; j’ai dès-lors ramené sur la terre la vérité que vous en aviez bannie. Enfin je suis la vie puisque je suis la résurrection, quiconque croit en moi, encore qu’il soit mort, vivra 77. Ne l’ai-je pas montré en ressuscitant Lazare ? Oui, je suis la vie, et la vie qui vous a épousé quoique vous fussiez morts, celui qui croit en moi, oui, il a déjà la vie. Il est mort quant à son corps, il est vivant dans son esprit, et il verra la vie, la vie renferme la lumière, et la lumière s’en échappe. Croyez en moi.

Pour graver plus profondément cette doctrine de foi dans ses disciples, Jésus-Christ, pour les élever, par le cœur, jusqu’à l’esprit de cette doctrine toute spirituelle, quitte le langage ordinaire pour se servir d’un autre plus relevé, mais qui donnera lieu à des développements. Si vous m’eussiez connu, vous eussiez connu mon père ; dès maintenant vous connaissez mon père, et vous l’avez vu. Philippe ne comprend pas la profondeur de ce langage, puisqu’il lui dit : Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus-Christ, avec cette douceur qui lui est propre, lui fait le plus tendre reproche : Je suis depuis si longtemps avec vous, et vous ne m’avez pas connu, Philippe. Celui qui m’a vu a vu mon père, comment dites-vous montrez-nous le Père ? Ah ! c’est une preuve que vous ne croyez pas encore, que je suis en mon père, et que mon père est en moi. Cependant les paroles que je dis, je ne les dis pas de moi-même, et mon père qui est en moi est celui qui fait les œuvres. J’ai déjà professé cette doctrine, je l’ai dit aux Juifs 78. Les œuvres que je fais rendent témoignage de moi. À vous mes disciples et mes amis, je vous dis une chose plus profonde encore. Croyez-moi que je suis en mon père, et mon père en moi.

Cette doctrine est sublime, c’est la consommation de la foi, ce n’est plus pour ainsi dire la foi, c’est l’amour même, qui unit tout, qui fait cette manifestation. Ce n’est plus la foi du Fils, mais l’amour du Fils sortant éternellement de son père et y rentrant dans l’instant éternel ; c’est la génération éternelle dont on devient participant par le Fils. Ah ! qu’elle est rare cette foi, il faut avoir expérimenté que Jésus-Christ est la vie, alors cette vie développe la lumière de cette foi qui se perd dans l’amour divin. Jésus-Christ, qui est la vérité DU TOUT DEDIEU, dit à Philippe et à tous ceux qui ne sont pas encore arrivés à cette consommation : Croyez-moi que je suis en mon père et mon père en moi ; voilà l’excellence de la foi, la foi qui est tout amour ; sinon, croyez en moi à cause de ces œuvres. Jésus-Christ est l’œuvre éternelle de Dieu, il est sa vérité, il est l’œuvre qui se montre ; il témoigne Dieu comme Dieu le témoigne, il est l’opération même de Dieu partout où l’amour a préparé l’œuvre divine. À cause de l’œuvre, croyez en moi. Il présente pour motif le connu, pour s’élever à l’inconnu, et son argument est sans réplique : Nul ne peut venir au Père que par lui, puisqu’il est la seule vie qui s’écoule du Père.

Jésus-Christ parle ici à ses disciples du plus haut degré de la foi ; de la foi, je ne dis pas qui montre, car ce serait voir, et la foi n’est pas la vue ; mais de la foi qui témoigne le Fils dans le Père, le Père dans le Fils, de cette foi qui témoigne à saint Jean et lui fait écrire, avec tant de sublimité, la génération divine. Jésus-Christ continue de parler de ce haut degré de foi quand il dit : En vérité, en vérité, celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes 79. Demandons-lui de nous faire concevoir ce que c’est que de croire en lui. Oh ! que la foi a de degrés ! Presque toujours, nous confondons la croyance avec la foi ; les démons ont la croyance, dit saint Jaques, et ils en tremblent 80. Nous ne parlons pas de cette vaine croyance du monde, mais de celle qui nous fait aspirer à de meilleures choses ; de cette croyance qui a tendance à nous convertir, de cette croyance enfin qui est le produit de la bonne volonté de l’homme. On la décore déjà du nom de foi, mais ce n’est tout au plus que la foi à Jésus-Christ. Celle-là sollicite et peut obtenir la foi de Jésus-Christ, ou le don de la foi qu’il communique. Ce don qui est le grain de sénevé 81 ; ce don qui est le levain qui fait fermenter toute la pâte 82, ce don qui fait croître le nouvel-homme spirituel, l’homme susceptible de recevoir la vie divine. Mais ce n’est pas encore la foi en Jésus-Christ ou dans Jésus-Christ, ce n’est point enfin la foi qui fait les œuvres de Jésus-Christ, et qui peut en faire de plus grandes. Pour croire en Jésus-Christ ou dans Jésus-Christ, il faut être régénéré 83 et avoir revêtu ses sentiments, ses goûts et ses inclinations par une opération invisible active et toute-puissante de la grâce qu’on appelle la régénération. Ce n’est pas moi qui vit, dit saint Paul, c’est Jésus-Christ qui vit en moi 84.

Pour écrire, comme saint Jean, la génération divine, il faut être dans la lumière divine et par conséquent dans cette foi ; or cette foi qui témoigne tout, et qui cependant ne voit rien selon l’idée que nous nous sommes faits de la vue, est bien au-dessus de la vision, car la vision n’embrasse que quelques objets, et l’on peut se laisser séduire à l’apparence, l’ange de ténèbres peut se transformer en ange de lumière 85, on peut chasser les démons, faire des miracles au nom de Jésus-Christ 86, et ne pas être dans la foi de Jésus-Christ, et même être rejeté de lui. Mais quand on croit en Jésus-Christ ou dans Jésus-Christ, on fait ses œuvres, ou, pour mieux dire, il fait ses œuvres en nous comme son père fait en lui les siennes.

Ce ne sont pas les miracles extérieurs et éclatants qui surprennent et étonnent momentanément l’esprit qui le ramènent et le changent ; les miracles sont l’amorce de la miséricorde, mais l’œuvre intérieure et secrète, mais l’œuvre qui détruit, qui brise les obstacles, qui assouplit la volonté, l’œuvre qui nettoie, qui prépare la transformation, et qui, en l’opérant, relie l’homme à Dieu, qui est-ce qui la fait cette œuvre, est-ce l’homme ? N’est-ce pas Jésus-Christ vivant dans l’homme ?

Jésus-Christ veut que ses disciples sachent pourquoi ceux qui croient en lui peuvent faire les œuvres qu’il fait et encore de plus grandes : c’est, dit-il, parce que je vais à mon père ; c’est-à-dire, que Jésus-Christ, rentrant en Dieu, va manifester à l’univers la génération éternelle. Il reçoit tout de son père, il lui rend tout ; et comme l’amour en procède, il nous apprendra bientôt qu’il le communique, et que par lui il est agissant au dehors et en même temps jouissant dans le sein de son père de la plénitude de la gloire divine. Or puisque Jésus-Christ est en Dieu et qu’en même temps il est dans l’homme, donc celui qui croit en lui, qui est dans cette foi du Sauveur, fera les œuvres de Jésus-Christ, parce qu’il sera en Dieu par Jésus-Christ. Et de même que le Père qui est en son fils est celui qui fait les œuvres de Jésus-Christ ; de même l’homme qui est dans la foi de son Sauveur fait les œuvres de Jésus-Christ, ce sont les siennes, parce que ce n’est plus lui qui vit, c’est Jésus-Christ qui vit en lui.

Jésus-Christ ne veut pas qu’il reste la moindre incertitude sur cette doctrine, car il ajoute : Quoi que vous demandiez en mon nom, je le ferai. Remarquons-le bien, c’est Jésus-Christ qui fera ; la foi est l’aimant qui l’attire, Jésus-Christ est celui qui fait et il nous explique pourquoi : C’est afin que le Père soit glorifié par le Fils. Parce que Dieu faisant tout pour le Fils et par le Fils, il n’y a que le Fils qui puisse être sa gloire parfaite par l’accomplissement de tout ce qu’il a voulu. Nous ne pouvons être aimés de Dieu que dans son Fils, qu’autant que nous sommes dans les entrailles de sa compassion, et que par grâce, il nous recrée à son image.

Nous avons souillé tout ce que nous avons fait, nous souillons tout ce que nous voulons faire, mais Jésus-Christ nous enseigne la manière de faire nos actions selon son esprit en nous disant : Demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. Hélas ! nous ne sommes pas exaucés parce que nous ne demandons pas au nom de Jésus-Christ, nous ne demandons que pour la gloire de nous-mêmes. La gloire de Dieu, ce nom universel qu’il a imprimé par son Verbe dans tout ce qui a mouvement et être, pour qu’il rentre en lui aussi pur qu’il en est sorti, après avoir atteint le but de sa destination, selon la volonté divine ; cette gloire, dis-je, nous la méconnaissons. Cependant, ô divin Jésus, vous nous avez instruit à cet égard, vous nous avez indiqué quelle devait être la première demande que nous devions faire, et quelle devait être le premier élan de nos cœurs.

Quoique poussière, nous avons un nom caché sous cette poussière. Ce nom ne peut rentrer en Dieu qu’il ne soit sanctifié et qu’il n’ait justifié sa destination ; pour que cette justice se montre, il faut que Dieu règne par ce nom, et pour qu’il règne, il faut que sa volonté soit faite.

Demandons ces choses, demandons-les au nom de Jésus-Christ pour qui nous devrions être tous transportés d’amour, puisque dès l’éternité il nous a prévenu par le sien. Jésus-Christ fera ces choses en nous et pour nous. Il les fera pour que le Pèresoit glorifié par le Fils, et comme il est la gloire de la justice de Dieu son père, il nous fera devenir la gloire de sa miséricorde, et tout nous sera donné par-dessus 87.

Jésus-Christ, dans le sublime discours qui nous occupe, passe de la doctrine de la foi à celle de l’amour, il y a tant de connexité de l’une à l’autre qu’il n’est pas étonnant que Jésus-Christ ne resserre l’un et l’autre dans le même cadre. La foi est le tabernacle où l’amour opère.

Jésus-Christ vient de développer à ses disciples tous les motifs de foi, ils ont dû faire germer l’amour ; mais la chose est encore douteuse. Il va indiquer comment ce doute s’éclaircira : Si vous m’aimez, gardez mes commandements. Il ne leur dit pas aimez-moi, aimer est un sentiment qui est de l’essence du cœur, mais il peut avoir été détourné de son véritable objet, et Jésus-Christ a la charité de donner à ses disciples le signe auquel ils reconnaîtront qu’ils font de l’amour un légitime usage. Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Garder les commandements, c’est faire la volonté de celui qui commande, à l’instant où il commande. Dès le moment qu’on exécute le commandement et qu’on s’y soumet, on rend hommage à la justice de ce commandement, c’est célébrer la gloire de celai qui le donne, c’est lui prouver sa fidélité et par conséquent son amour ; ainsi par le fait on met en évidence l’amour qui est le gardien du commandement et l’agent de celui qui commande.

Pour nous donner plus de développement sur cette touchante instruction, consultons saint Jean, ce parfait disciple de l’amour, il dit : C’est en ceci que consiste notre amour pour Dieu, que nous gardions ses commandements 88, et ses commandements ne sont pas pénibles 89. Pour que le commandement ne soit pas pénible, et nous devienne facile, il faut que l’amour opère pour détruire tous les obstacles. Mais cet amour n’est parfait que par degrés, car pendant longtemps encore nous mêlons notre opération à celle de la grâce. En attendant qu’il soit parfait, nous devons obéir au commandement malgré qu’il nous soit pénible. Le moment divin sera amené par la Providence, et alors, par amour, nous obéirons parfaitement à son ordre.

En parlant de l’amour de Dieu, il est bon d’observer que la trop funeste habitude que nous avons de juger de l’amour par le sentiment, et souvent par la sensation qu’il inspire, fait que nous prenons fréquemment le change, c’est-à-dire, que nous prenons très-souvent pour l’amour que nous devons avoir pour Dieu ces élans et ces impressions délicieuses qui font tressaillir le cœur ; impressions que nous ne recherchons et désirons le plus souvent que par amour pour nous-mêmes ; nous complaisant dans ces émotions et ces goûts spirituels, qui peuvent devenir funestes, lorsqu’ils amollissent notre âme, et par-là lui ôtent l’énergie et la force avec laquelle on doit se soumettre et faire toutes les volontés de Dieu. C’est déshonorer l’amour ; son principe est divin, il est pur, il est imperceptible, il est esprit, mais il agit. Il semble plutôt détruire qu’édifier, tant il rejette ce qui n’est pas lui-même ; mais par les ruines qu’il opère, les traits qu’il lance, les incendies qu’il cause, les jalousies qu’il exerce, par ses amorces et par ses fuites, il épure et il arrache tout, afin de se substituer à tout. Gardien fidèle des commandements de Dieu, il en exige avec ponctualité l’exécution 90 ; il est impitoyable, cruel, sans cesser d’être amour. Ah ! si nous gardions l’amour, nous garderions les commandements. Il est l’esprit du commandement ; et comme dit l’épouse du cantique, il est comme une fumée d’aromate du désert de la foi, il nous ferait monter avec lui jusqu’au trône de Dieu.

Ne nous demandez pas, ô Divin Jésus, si nous vous aimons ; oserions-nous vous répondre ? Tant de propriétés occupent la place que vous désireriez occuper dans notre esprit et dans notre cœur ; la chair et le monde ont tout détruit. Amour invisible, répondez pour nous ; ou pour mieux dire, ô Jésus-Christ notre Dieu Sauveur, vous savez que nous ne vous aimons pas, mais votre amour vous prévient encore, car vous dites : Je prierai le Père. Oh ! miséricorde infinie, vous prierez le Père, vous savez que le Père vous exauce toujours, ainsi il vous donnera pour nous ce que vous lui demanderez : qu’est-ce qu’il vous donnera ? Un consolateur pour demeurer avec nous éternellement. Quel est ce consolateur ? L’esprit de vérité, lequel le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous éternellement.

Le consolateur est l’esprit de vérité, or Jésus-Christ est l’esprit de vérité, je suis la vérité ; donc Jésus-Christ, que Dieu nous a donné pour nous délivrer de la chair, nous sera donné pour nous faire vivre en esprit, et pour remplir la fin de notre création qui est de devenir un avec Dieu. C’est ainsi que nous en sommes sortis, c’est ainsi que nous devons y rentrer. Pour qu’il ait la gloire de toutes ses œuvres, il faut que nous l’adorions en esprit et en vérité.

La chair est mensonge, l’esprit survit à la chair. Si la vérité nous reçoit en elle, c’est que, par la vérité, l’esprit aura été épuré de toute erreur. Cette épuration est nécessaire, puisque l’esprit s’était perdu dans la chair ; or si la vérité vient dans l’esprit, donc l’esprit sera purifié. Jésus-Christ a dit : L’Esprit de vérité sera dans mes disciples, donc les disciples, par la vérité, adoreront en esprit et en vérité.

Certainement le monde ne peut recevoir l’esprit de vérité. La vérité a lui dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise 91. L’esprit de vérité est au-dessus de l’esprit de raison ; la raison n’est qu’une lumière précaire. C’est pour le monde et en raison de cet ordre passager qu’elle est produite, elle s’éteint avec cet ordre. C’est pourquoi Jésus-Christ dit : Le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité. Il leur en indique la cause, c’est parce qu’ils ne le voient et ne le connaissent pas. Donc cet esprit de vérité est d’une toute autre sphère, mais à ses disciples il leur disait : Et vous le connaissez, car il demeure avec vous. Eh oui certainement ils le connaissent. Jésus-Christ qui est la vérité les a appelés par son père à sa divine union, et que leur a-t-il dit : Suivez-moi, ordre remarquable ! Ils ont volontairement consenti à l’appel, ainsi l’union est faite. Il demeure avec eux, il y est même corporellement, mais il leur promet encore plus ; il les divinisera 92. Oui il les divinisera, puisqu’il dit : Cet esprit de vérité sera en vous.

Or la chair, le monde ne connaît pas la vérité ; pour qu’il connaisse, il faut qu’il voie, or on ne voit pas la vérité, et longtemps encore l’esprit même connaîtra cette vérité sans la voir. L’esprit est le vase ou le vaisseau qui la renferme. La vérité opère longtemps dans ce vaisseau, le lave, l’étend, l’élargit, le façonne, le transforme en une autre nature, enfin il voit, mais par la forcé de la vérité qui l’a éclairé.

Jésus-Christ ne laissera pas ses disciples orphelins. Il viendra, car il est inséparable de son esprit, comme il est inséparable de son père. Il viendra, ô Dieu, vous viendrez ? Le Père s’est montré par la création, le Fils par la rédemption, l’Esprit se montre et se montrera par la sanctification universelle. Ô Jésus, vous viendrez, vous ne nous laisserez pas orphelins, vous nous le promettez. Votre parole divine le prononce : Je viendrai vers vous. Mais le monde ne me verra plus ; le monde aura déchiré le corps par lequel vous pouviez être perceptible pour lui. Il a détruit, méprisé, insulté ce corps adorable, il ne le verra plus. Mais vous avez cependant un peuple différent du monde ; un peuple qui vous verra, un peuple qui vivra parce que vous vivez, un peuple dont la vie est la conséquence de la vôtre. Mais vous ne vous arrêtez pas à cette promesse, vous nous apprenez que cette vie est lumière ; puisque le jour que vous nous ferez vivre de cette vie nous connaîtrons, oh ! que je transcrive ces paroles. Vous connaîtrez que je suis en mon père, vous en moi, moi en vous. Chaîne indissoluble de l’unité, extension de l’unité d’une doctrine si étonnante, parce qu’elle est si sublime, redites-nous, ô Jésus-Christ, redites-nous encore la voie qui mène à cette fin. Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime, et celui qui sera aimé de mon père, je l’aimerai et me manifesterai à lui 93.

Celui, en effet, qui a les commandements, et qui les a d’une manière plus spéciale, parce qu’il est appelé plus particulièrement ; celui par exemple qui a toute la doctrine, toutes les institutions, et en son particulier mille preuves d’amour que n’ont pas des âmes journalières ; à celui-là, dis-je, il lui est aussi plus spécialement recommandé de garder cette doctrine et ces instructions. Il ne lui est pas dit : Si vous m’aimez, gardez mes commandements ; à son égard l’expression est plus forte : Celui qui garde le commandement qu’il a, celui-là m’aime, puisqu’il en fournit la preuve, et par rapport à cette preuve mon père l’aime parce qu’il s’efforce de m’imiter, et comme j’ai gardé les commandements de mon père il les garde aussi. Comme en obéissant j’ai fait sa volonté, il est éternellement procédé de cette volonté et de cette obéissance infinie un amour infini qui, nous liant sans fin, lie mon père à ceux qui m’aiment. Et comme l’amour me lie toujours à mon père, j’aime ceux qu’il aime ; je suis en eux par cet amour et je me manifesterai à eux.

Jude, un des Apôtres de Jésus-Christ, croit bien à cette manifestation, mais il ne conçoit pas pourquoi Jésus-Christ se fera connaître à ses disciples, et pourquoi il ne se fera pas connaître au monde. Cette interruption de l’apôtre donne à Jésus-Christ l’occasion de développer davantage le sublime privilège de celui que l’amour consomme. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon père l’aimera. Comment le Père n’aimerait-il pas celui qui garde la parole ? La parole est son Verbe ; la parole est sa vérité exprimée ; cette vérité essentielle est lui-même ; elle est indivisible de lui ; donc il aime celui qui garde cette parole. Ce Verbe Éternel, cette vérité éternelle communiquée par ce Verbe-Dieu. Or ce Verbe ou cette parole étant réellement dans celui qui la garde, le Père aime nécessairement ce gardien, à cause de la parole qu’il conserve. Dès-lors, on doit croire à ces divines paroles de Jésus-Christ : Nous viendrons à lui, mais non-seulement nous viendrons à lui, mais nous ferons notre demeure chez lui. Ainsi celui qui aime a non-seulement la parole qu’il garde, mais en raison de sa fidélité, il obtient la visite du Père et du Fils indivisiblement unis, et toujours divinement agissants, et enfin, il obtient la permanence, nous ferons notre demeure chez lui 94. Ainsi toutes les opérations que Dieu fait en lui-même, il les fait dans celui qui aime le Verbe ou la parole, la garde, ainsi la transformation s’opère et la participation de la divinité s’accomplit.

Mais celui qui n’aime pas Jésus-Christ ne garde pas ses paroles, et comme ces paroles sont l’aimant qui attire la manifestation de la divinité de Jésus-Christ et de son unité divine, celui qui n’a pas cet aimant et ne le garde pas ne peut connaître les effets divins de cette parole. Voilà pourquoi Jésus-Christ se fait connaître à ses disciples et ne se fait pas connaître au monde. C’est la faute du monde et non la faute de Jésus-Christ. La parole est éternelle, toujours il aurait fallu la garder et y obéir. C’est parce que le monde a cessé de la garder qu’il a cessé de pouvoir la connaître.

C’est pour ramener à cette connaissance ceux qui en sont susceptibles que Jésus-Christ, comme Homme-Dieu, veut que ses disciples discernent en lui la divinité, la spiritualité, l’efficacité de cette parole, que le temps ne peut abréger. Il avait dit ailleurs : La doctrine que je vous annonce n’est pas la mienne, elle est de celui qui m’a envoyé 95 ; ici il le répète à ses disciples : La parole que vous entendez n’est pas ma parole, c’est celle de mon père qui m’a envoyé ; donc la vérité de cette parole a subsisté avant et subsistera après cette émission. Et comme c’est dans le temps que Jésus-Christ émet cette parole : Je vous dis ces choses demeurant avec vous, il les prévient que cette parole qu’il leur annonçait, que cette doctrine qu’il leur enseignait, ne devait pas seulement se conserver dans la mémoire, mais cette parole étant éternelle, elle serait opérante dans le fond de leur être.

Jésus-Christ, en parlant avec tant de tendresse à ses disciples, les instruisant d’une si sublime doctrine au moment de s’en séparer, leur imprime nécessairement la douleur d’une séparation qui ne peut être que cruelle. Il le sent, il leur ouvre les trésors de l’espérance. Le Pèrevous enverra, en mon nom, un consolateur. Ce consolateur est le saint Esprit, l’Esprit de vérité. Il vous enseignera toutes choses ; car vous expérimenterez la vérité de toutes les paroles que je vous ai dites, puisque l’expérience vous confirmera dans la vérité.

En terminant cette sublime instruction sur la foi, l’amour et l’espérance, Jésus-Christ ne veut pas que ses disciples, si vivement émus, leur esprit, si élevé par la hauteur des pensées qu’il leur suggère, reste agité et craintif, et pour cela il les comble du don le plus précieux qu’il puisse leur faire. Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Le monde a une paix, mais elle est trompeuse. Une paix qui tend à fixer l’âme dans l’iniquité. Ésaïe dit, de l’âme comblée de la paix divine que cette âme sera affermie en justice ; c’est là, ajoute-t-il, l’héritage des serviteurs de l’Éternel. Par lui leur âme sera loin de l’oppression, et la frayeur n’en approchera pas 96.

Il ne fallait pas moins que la magnificence d’un don si précieux pour que les apôtres pussent porter sans trouble ces paroles déchirantes : Vous avez entendu ce que je vous ai dit, je m’en vais. Il est vrai qu’il est ajouté : Mais je reviens à vous. Les disciples du Seigneur sont encore dans le sensible. Ils voient, ils touchent ce Jésus qui les a appelés, qui les a instruits, les a étonnés par ses prodiges ; ils le voient et il s’en va. Il reviendra, il le promet, il reviendra puisqu’il le dit, mais en esprit. Et comment se laisser transporter de l’ordre sensible à celui où l’esprit seul opère sans éprouver un dépouillement qui effraie.

Le reproche que leur fait Jésus dans cet instant même le leur rend plus sensible : Si vous m’aimiez ? Ô Jésus ! vous semblez douter de leur amour ; c’est pour nous faire comprendre que vous voyez les dépouillements qui nous peinent, les sacrifices qui nous épouvantent, les croix que nous avons à porter. Vous nous promettez de revenir pour nous faire goûter votre divine présence, mais seulement lorsque tous les dépouillements nécessaires auront été effectués par la croix ; car ce sont les sacrifices de tout genre qui prouvent l’amour qu’on vous porte. Ah ! si nous les avions faits, ces sacrifices, que nous serions heureux de vous entendre dire : Je vais au Père, car le Père est plus grand que moi. Nul voile ne vous couvre, pas même celui de votre humanité. L’excès de votre miséricorde a déterminé votre abaissement ; sans cesser d’être Dieu, vous avez paru dans l’homme pour sauver l’homme et glorifier l’humanité. Nous ne pourrions qu’être joyeux que vous retourniez au Père ; que vous soyez le témoignage et la preuve de l’unité divine ; et que vous nous attiriez à un état plus élevé encore que celui que vous nous avez montré. Car vous êtes tellement uni à la nature de l’homme que vous la rendrez participante du pur divin. Aussi allez, ô Dieu Sauveur, allez, nous nous contentons de garder cette parole : Mais je reviens à vous. Grâces vous soient rendues de cette promesse avant qu’elle soit arrivée, afin que quand elle sera accomplie nous vous rendions grâces encore de la transmutation de notre foi en vue ; ainsi grâces éternelles à Jésus-Christ notre Sauveur par son Esprit Saint en Dieu notre père.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS V.

 

 

JÉSUS-CHRIST EXPLIQUE À SES DISCIPLES LES SECRETS ADMIRABLES DE LA VIE INTÉRIEURE 97.

 

 

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LES figures dont notre Seigneur se sert pour expliquer et confirmer la doctrine qu’il vient d’exposer à ses disciples sont si admirables et si bien choisies, qu’elles ajoutent le charme à la vérité ; et en même temps que celle-ci pénètre le cœur, ces images dont il se sert intéressent et fixent l’esprit, en sorte que la mémoire, conservant la beauté des figures, rappelle en même temps la profondeur des vérités qu’elles renferment : Je suis le cep et mon père est le vigneron.

Quelles conséquences Jésus-Christ ne va-t-il pas tirer de cette figure ! C’est un texte abondant d’après lequel il montrera le fruit exquis qui sort de ce cep adorable, et les préparations que donne à ce fruit le maître de la vigne.

Les disciples sont disposés à recevoir cette instruction, Jésus-Christ vient de leur dire : Je ne parlerai plus guère avec vous 98, ainsi leur attention doit être plus fixe sur ce qui va se passer et sur ce qu’ils vont entendre : Le prince du monde vient, leur a dit Jésus-Christ, il vient, mais il n’a aucun empire sur moi. Cependant quoique le prince de ce monde n’ait aucun empire sur Jésus-Christ, il sera l’agent invisible de cette scène sanglante qui va se passer.

Il faut une parole, et une parole divine pour confondre les réflexions de la raison sur cette scène mémorable, à laquelle le prince du monde paraît avoir une aussi grande part ; mais il n’est que l’arme qui tue, il n’est que le ressort qu’on détend. Le conseil divin avait résolu et déterminé cette époque de réparation toute aussi solennelle que celle de la création. Jésus-Christ devait être l’agent de cette œuvre ; il en connaissait toutes les suites, aussi il instruit ses disciples que le prince du monde n’a aucun empire sur lui ; il ne succombera pas sous cet empire. Mais afin que le monde connaisse que Jésus-Christ aime le Père et qu’il fait ce que le Père lui a commandé, il sauve les hommes, il les sauve par la croix, et révèle par cet acte sublime et l’amour, et la miséricorde, et la justice divine.

La similitude du cep et du vigneron, que Jésus-Christ a choisie pour exprimer les opérations du salut, est infiniment instructive. On trouve en différents endroits de l’Écriture, sous l’allégorie de la vigne, de son fruit, du pressoir, du maître de la vigne, de la haie qu’on en arrache, et des sangliers féroces qui la dévorent, des instructions qui amènent le développement des plus sublimes vérités. Ici c’est celui qui est la vérité par essence qui déclare qu’il est le vrai cep.

Avant de quitter la vie humaine, Jésus-Christ voulant enseigner à ses disciples la doctrine des opérations divines, et par le connu les élever à l’inconnu, emploie la figure du cep et du vigneron. Je suis le vrai cep, voilà le connu, mon père est le vigneron, voilà l’inconnu ; mais pour prouver que l’inconnu opère, il ajoute : il retranche tout sarment qui ne rapporte point de fruit en moi ; il émonde tout celui qui en rapporte, afin qu’il en rapporte davantage. Si le cep rapporte du fruit, la conséquence est que les sarments doivent en rapporter ; mais s’ils n’en rapportent pas, et même s’ils n’en rapportent pas de même nature, il est de rigoureuse justice qu’ils soient retranchés. S’ils en rapportent, il est d’une justice miséricordieuse d’émonder tous les obstacles qui s’opposent à ce que ces sarments en rapportent davantage. Mais les disciples de Jésus-Christ peuvent être effrayés de la justice sévère du retranchement ; il les rassure en leur disant qu’ils étaient déjà nets, parce qu’ils avaient reçu la parole et ne l’avaient pas rejetée. Qu’ont-ils à faire désormais pour obtenir la justice miséricordieuse qui émonde pour que l’on rapporte beaucoup de fruits ? Demeurez en moi, leur dit-il. Ils y sont donc puisqu’il leur est dit d’y demeurer.

Jésus-Christ, continuant de se servir de la figure qu’il a adoptée en commençant son instruction, ajoute : Comme le sarment ne peut point de lui-même porter de fruit s’il ne demeure au cep, vous ne le pouvez point aussi si vous ne demeurez en moi. Ainsi la demeure de l’homme en Jésus-Christ, la demeure de Jésus-Christ dans l’homme, est la condition absolue sans laquelle l’homme ne peut rien produire, et s’il ne produit rien il est retranché. Ce principe est une vérité immuable ; Jésus-Christ le répète pour qu’il se grave dans le cœur. Je suis le cep et vous en êtes les sarments ; celui qui demeure en moi, et moi en lui, rapporte beaucoup de fruits, hors de moi vous ne pouvez rien produire. Il n’y a rien à ajouter ni à diminuer de cette parole, elle est positive. Je suis le cep, je suis la vérité, je suis la parole de Dieu. Vous n’existez qu’en vertu de cette parole, par cette parole, pour cette parole. Vous êtes les sarments du cep ; vous ne pouvez avoir de vie qu’autant que vous demeurez unis, attachés à moi. Ainsi demeurez en moi, hors de moi vous ne pouvez rien produire. C’est comme si Jésus-Christ disait : celui qui se rend indépendant de moi, qui met sa volonté à la place de la mienne, qui établit sa doctrine au lieu de la mienne, ne demeure plus en moi. Il a été puiser ailleurs, ses productions ne sont que le mensonge. Or comme le mensonge ne peut habiter en moi, il en est rejeté, et comme le sarment inutile, il sèche, on l’amasse, on le jette au feu et il brûle.

Demeurez en moi ; je suis la parole du Père, je suis le cep du vigneron ; demeurez en moi. Alors le temps vient où cette parole dans laquelle vous demeurez agira en vous, parce que cette parole est toujours vivante, puisqu’elle est divine. Cette parole est la sève éternelle qui fait produire les sarments qui sont unis au cep ; ce ne sont pas les sarments qui produisent, c’est la sève du cep qui produit. Le sarment n’a rien à faire par lui-même que de demeurer attaché au cep, de ne pas rejeter la sève, alors la sève s’insinue dans le sarment, et le sarment produit.

Comment se fait-il qu’il y ait des Ariens, des Sociniens, des Antéchrist après des paroles aussi précises, aussi positives que le principe qui vient d’être posé, et dont Jésus-Christ tire les conséquences et prononce la sentence suivante : Si quelqu’un ne demeure point en moi, il est jeté dehors comme le sarment ; il sèche, puis on l’amasse, on le jette au feu, et il brûle. Saint Jean Baptiste l’avait déjà dit aux sectes des Pharisiens et des Saducéens, aux philosophes de ce temps, aux Sociniens et aux Ariens de cette époque. C’était ceux qui niaient la divinité du Dieu-Homme, qui ne demeuraient point avec lui, qui rejetaient l’efficace de cette sève invisible, à qui saint Jean Baptiste dit : Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. C’est en vain qu’ils se glorifient d’avoir Abraham pour père, ce n’est pas tout de croire en Dieu, il faut croire en Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ seul a la sève et peut l’écouler.

Dans le sublime discours de Jésus-Christ sur la montagne, il avait prononcé anathème contre les prophètes de mauvaise doctrine. La beauté apparente de ces arbres superbes ne les garantit pas de la hache, elle est là. Les fruits amers qu’ils portent les décèlent et les font connaître, et ce sont ces fruits qui témoignent contre les doctrines orgueilleuses, qui attirent, sur ceux qui les professent, les jugements de Dieu ; mais au contraire, quelle promesse n’est-il pas fait au sarment flexible : Si vous demeurez en moi et moi en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et il vous sera fait. Ainsi pour obtenir cette inappréciable faveur, voilà les conditions : si vous demeurez. Si ce ne sont pas de simples réminiscences, mais un état habituel d’attention et de fidélité, mes paroles qui demeurent en vous fructifieront. Car mes paroles ne retourneront pas à moi sans effet, elles sont esprit et vie. Demandez alors, demandez ce que vous voudrez, et il vous sera fait, ce n’est pas vous qui opérerez et qui ferez 99, il vous sera fait. C’est moi qui, par mon esprit, crie sans cesse avec des gémissements inénarrables 100, je demande ce qui glorifie mon père, et ce qui glorifie mon père est que vous portiez beau coup de fruit, et vous serez alors mes disciples. Ainsi si nous demeurons en Jésus-Christ et si Jésus-Christ demeure en nous, nous n’avons pas à craindre que nous formions des demandes indiscrètes, nous n’agirons que par le mouvement de la sève ; c’est l’esprit qui est en nous qui demandera ; il ne peut être refusé, parce qu’il demande au nom de Jésus-Christ ; il demande ce qui glorifie ce nom qui est au-dessus de tout nom, comme Jésus-Christ ne demande que ce qui glorifie son père.

St Jean l’évangéliste était pénétré de cette doctrine, et il en avait l’expérience lorsqu’il disait : Quoi que nous demandions, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons les choses qui lui sont agréables 101. Mes demandes ne seront ni oiseuses ni indiscrètes ; elles ne se feront que par l’esprit de sainteté et de vérité ; nous deviendrons alors ses disciples, nous deviendrons participants de ces divines demandes de Jésus-Christ qui ont opéré le rachat des hommes et leur salut, et de ces divines demandes de l’agneau qui ôte les péchés du monde 102, et qui s’est rendu l’avocat et la caution de la gloire des œuvres de son père.

Jésus-Christ vient de poser le vrai fondement, sans lui point de production, il est le vrai cep ; si on ne demeure pas en lui, comme le sarment on est jeté au feu, et on brûle. Si on demeure en lui on rapporte beaucoup de fruits, et Jésus-Christ assure qu’en cela on glorifie le Père. Ézéchiel connaissait l’excellence de cette production, car il dit dans l’élévation qui lui est propre : Et auprès de ce torrent et sur ces deux bords, il croîtra de toute sorte d’arbres fruitiers, dont le feuillage ne flétrira point, et où l’on trouvera toujours du fruit dans tous leurs mois. Ils produiront des fruits hâtifs, parce que les eaux de ce torrent sortent du sanctuaire, et à cause de cela leur fruit sera bon à manger et leur feuillage servira de remède 103. David représente aussi le juste par un arbre planté auprès des ruisseaux d’eau qui rapporte du fruit, dont le feuillage ne flétrira point, et tout ce qu’il fera prospérer parce qu’il prend plaisir en la loi de l’Éternel et qu’il médite jour et nuit en cette loi 104.

Dans l’explication de la parabole de la semence, Jésus-Christ dit clairement que celui qui reçoit la semence dans une bonne terre, qui écoute la parole, qui la comprend, rapporte beaucoup de fruits, alors un grain en rapporte cent, l’autre soixante et l’autre trente 105. Mais il faut bien faire attention à ces expressions, recevoir, écouter et comprendre. Ce sont des nuances diverses qui supposent des dispositions différentes et des états plus ou moins avancés ; c’est pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples au commencement du chapitre qui nous occupe : Vous êtes déjà nets par la parole que je vous ai annoncée ; mais ils ne sont pas encore en état de porter du fruit ; ils peuvent encore ne pas demeurer en Jésus-Christ ; aussi il leur apprend un état plus parfait que celui où ils sont, et il leur dit : Demeurez en moi pour porter beaucoup de fruits. Enfin saint Paul aux Colossiens fait pour eux une prière admirable : Que la parole de Christ habite en vous abondamment en toute sagesse, vous enseignant l’un l’autre par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels 106.

Jésus-Christ, étant la vie par essence, la communique à la parole qu’il prononce, donc il est par son esprit dans les Écritures. Il a parlé et il parle aux hommes, donc il est dans l’homme qui le reçoit, sous le voile de la parole écrite, prononcée et transmise par les apôtres. Et si l’homme demeure dans la parole, elle germe dans l’homme comme le grain germe dans la terre, elle le vivifie et dans son temps le fruit se montre.

Dans cet admirable chapitre de saint Jean, Jésus-Christ ne se contente pas d’établir à ses disciples le principe de la nécessité de sa vie en eux par sa parole écrite, pour qu’ils puissent produire du fruit ; mais comment pourraient-ils résister au motif qu’il va développer pour les engager à demeurer en lui et garder sa parole ? C’est l’amour qui est ce motif puissant, et d’abord il compare l’amour qu’il a pour eux à l’amour que son père a eu pour lui de toute éternité. Comme le Père m’a aimé, ainsi je vous ai aimés, demeurez en mon amour. Comment le Père a-t-il aimé et aime-t-il son Fils ? Éternellement par amour, il s’écoule tout entier dans son Fils ; il ne se réserve rien, et le Fils par amour recoulant tout entier dans son Père, observe et garde le commandement d’amour, le signale et le prouve, et c’est ainsi que le Fils demeure sans cesse dans l’amour du Père. Or comme le Dieu-Homme Jésus-Christ est aimé de son père, de même Jésus-Christ aime ses disciples. Ainsi que le Père, il leur donne tout sans en rien réserver, il leur donne toute la parole qu’il a reçue pour eux, il leur donne même sa vie. Si les disciples gardent la parole qu’il leur dit et demeurent dans la vie réelle qu’il leur a communiquée, ils sont liés par l’amour, ils sont dans l’amour.

Peut-on regarder comme un commandement cette expression demeurez dans mon amour ? Ce n’est pas sur la pierre et sur l’airain qu’elle se burine, cette tendre et divine parole, l’esprit du Dieu vivant la pousse et s’y cache ; à mesure qu’elle se prononce, il la grave dans le centre de l’âme et dans l’intime du cœur. Qu’elle est réelle, qu’elle est vraie cette divine opération ! Ah ! que du moins on l’écoute ; qu’on la reçoive, cette parole. Le temps et l’expérience la feront comprendre. Mais comment ses chers disciples connaîtront-ils qu’ils demeurent dans cet amour du fils si ardent et d’un si haut prix ? Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; le maître qui le dit se propose pour exemple de cette vérité ; comme j’ai gardé les commandements de mon père, je demeure en son amour.

Quel pouvait être ce commandement ? N’était-ce pas de lui ramener la nature humaine qui s’était perdue ? Elle était la production de la volonté et de l’amour. L’amour du Créateur l’avait déposée dans celui de Jésus ; et l’amour de Jésus, par amour pour la volonté et la gloire du Père, fait qu’il se livre pour la rançon de cette malheureuse nature humaine ; se soumet au commandement d’amour de sauver l’homme. Est-il étonnant que Jésus-Christ dise si affirmativement à ses disciples qu’il demeure dans l’amour de son père, puisque, par amour, il lui ramène l’homme qui n’y était pas demeuré. Non-seulement comme Dieu, mais comme Homme-Dieu soumis, il a la certitude d’être dans l’amour de son père.

Mais ce qu’il y a d’intéressant à remarquer, c’est pourquoi Jésus-Christ fait à ses disciples cette révélation : Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie demeure en vous et que votre joie soit parfaite. La grande joie de Jésus-Christ, c’est la certitude qu’il a, qu’il demeure dans l’amour de Dieu, il en fait part à ses disciples. Il les rend participants de cette joie, de manière qu’elle demeure en eux, leur joie doit être parfaite ; car comme il n’y a qu’un amour pur et parfait, c’est leur révéler qu’il leur communique l’amour dans lequel il demeure ; ainsi les liant à lui par l’amour qu’il a pour eux, il les unit par cet amour à celui dans lequel il demeure. Demeurons donc dans sa joie puisque sa joie est son amour. Car n’est-il pas démontré que ces paroles, notre joie sera parfaite, sont une délicieuse et admirable vérité.

Oh ! qu’il est aisé de conclure de tout ce qui vient d’être dit que c’est vous, ô Dieu, qui daignez nous aimer le premier. Si vous ne veniez ranimer, sous la cendre, quelqu’étincelle de ce feu éternel, hélas, nous mourrions sans votre amour. Transformez-nous dans ce feu divin ; qu’il nous consume. Nous aurons alors l’expérience et la révélation des holocaustes qui vous sont agréables ; ainsi nous parviendrons à la fin qui est la participation éternelle de notre joie.

Le précepte de l’amour de l’homme pour Dieu est tellement une conséquence de l’amour de Dieu pour l’homme, que dans les dernières instructions que Jésus-Christ donne à ses disciples, c’est plutôt une exhortation à aimer qu’il leur fait, qu’un commandement d’aimer qu’il leur donne. Comme le Pèrem’a aimé, je vous ai aimés. Le Père a aimé le Fils pour que le Fils aime les hommes. Jésus-Christ suit le commandement, il aime les hommes, le leur dit, et le prouve, puisqu’il donne sa vie pour eux ; alors l’exhortation à demeurer dans l’amour est une conséquence si nécessaire qu’elle est au-dessus du commandement.

Ah ! si vous le vouliez, divin amour, vous vous montreriez dans les abîmes insondables de la divinité, fécondant les idées éternelles des êtres, les écoulant dans son Verbe adorable pour les faire comparaître à sa voix dans l’ordre et le rang que sa sagesse leur a déterminé. Vous nous feriez entendre les prémices de leurs actions de grâces pour le bienfait de leur existence. Ah ! qu’ils étaient purs, ils ne pouvaient être que votre expression. Mais sans nous permettre de savoir, hors de votre divine lumière, si d’autres intelligences ont faussé l’harmonie de leur concert de louange, nous voyons, nous sentons que nous ne sommes pas demeurés dans votre amour. Que de dégradations successives n’avons-nous pas éprouvées ; nous ne sommes plus cette brillante créature sortant des mains de Dieu, et portant son empreinte. Nous ne sommes plus même cette créature dégradée pendant le sommeil d’Adam, et sur qui il faut que le jugement s’exécute par une opération mystérieuse. Depuis, nous nous sommes encore rendus plus coupables, car un habit de peau nous couvre et nous sommes devenus la pâture de la mort ; et nous voudrions douter d’un péché originel qui voile ce que vous nous aviez donné de glorieux, votre divine image ! Le roi prophète ne gémit-il pas de ce péché, puisqu’il s’écrie : J’ai été conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a échauffé dans le péché.

Mais rassurez-vous, hommes malheureux, pendant que vous laissiez effacer en vous l’image divine, l’amour gémissant qui vous avait rencontré dans les idées éternelles de Dieu, et vous avait préparé les moyens d’arriver à l’être, cet amour, dis-je, vous redemande à l’amour, et la promesse d’un rédempteur vous est faite. Vous le savez, patriarches, gardiens de cette promesse, jusqu’à ce qu’elle germât en Abraham ; vous le savez, Abraham, vous êtes le fondateur du peuple de foi en cette promesse ; vous le savez, vous, les voyants de Dieu et ses prophètes ; vous tous enfin à qui la foi a été imputée à justice, vous le savez. Vous le savez aussi, vous qui avez su convertir cette promesse en réalité, saints apôtres, glorieux martyrs, sages confesseurs, doctes pères de l’Église ; vous le savez, vous tous qui avez l’expérience des vérités divines. Et les nations osent s’élever et conspirer ensemble contre le Seigneur, contre son Christ 107, contre l’expérience et le témoignage de tous les siècles ! Celui qui est dans les deux se rit de vos projets, et votre jugement est porté pendant qu’il se diffère. Qu’une salutaire terreur vous épouvante et vous fasse implorer l’amour ; le temps presse.

Si Jésus-Christ ne fait à ses disciples qu’une simple exhortation à l’amour de Dieu, tant il est naturel et conséquent, il fait de l’amour mutuel un commandement positif. Voici ses divines paroles et la suite de ses instructions : C’est ici mon commandement que vous vous aimiez comme je vous ai aimés. Si Jésus-Christ a fait de ses disciples des anneaux de la chaîne d’amour qui lie spirituellement l’univers à Dieu ; s’il a lavé et préparé ces vases d’élection à recevoir cette semence divine ; nous ne devons pas être étonnés que Jésus-Christ ne leur fasse le commandement de s’aimer comme il les a aimés ; car cette semence divine a une telle puissance en eux qu’on peut la comparer à un ferment universel que son père écoule sans cesse, pour qu’il opère dans ses productions et les lui ramène en justification de ses œuvres et par conséquent pour sa gloire. Il est positif et de rigueur, ce commandement, et Jésus-Christ en fait comprendre l’étendue : Personne n’a un plus grand amour que celui qui expose sa vie pour ses amis.

Ô Dieu, c’est jusqu’à ce point que vous avez poussé votre amour ; et comme vous aviez une vie divine que vous ne pouviez pas perdre, vous avez emprunté une vie humaine pour la laisser sacrifier, afin de racheter les pécheurs et sauver vos amis de la colère ; après cela il est tout simple que vous ajoutiez : si vous faites ce que je vous commande, si votre amour pour vos frères va jusqu’à exposer votre vie pour procurer leur salut, vous serez mes amis, mes compagnons, vous ferez ce que j’ai fait et ce que je fais encore pour vous.

Jésus-Christ a voulu tellement se préparer des coopérateurs dans lesquels pussent s’étendre, se perpétuer, s’exprimer ses divines opérations, que quoique ses disciples n’eussent pas encore reçu sensiblement et visiblement l’Esprit Saint, il leur dit :

Je ne vous appelle plus mes serviteurs, et il leur en donne la raison.

Le serviteur ne sait pas ce que le maître fait.

Mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai ouï de mon père. Le Fils unique qui est au sein du Père est celui qui vous révèle sa parole. Bienheureux disciples ! c’est parce que vous la recevez avec respect et soumission que l’on vous donne la connaissance des vérités divines, vous n’êtes plus dans la classe des serviteurs qui ne savent pas ce que le maître fait, comme les serviteurs ne sont déjà plus eux-mêmes dans la multitude qui s’est constituée en révolte contre la vérité, et la persécute jusqu’à ce qu’elle les accable.

Jésus-Christ dit encore à ses amis : Ce n’est pas vous qui m’avez élu, c’est moi qui vous ai élus, et non-seulement je vous ai élus, mais je vous ai établis, l’élection est confirmée. Ses disciples sont donc honorés d’un choix spécial, par rapport à cela ils sont établis, ils sont prêtres en Jésus-Christ, et à quelle fin ? Afin que vous alliez partout, n’est-ce pas là l’Église universelle ? Afin que vous produisiez du fruit, n’est-ce pas la promesse des élections successives ? Afin que votre fruit soit permanent, n’est-ce pas l’assurance que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église ? Je vous établis encore afin que ce que vous demanderez en mon nom, mon père vous le donne. Faites-nous connaître, ô mon Dieu, les amis qui demandent en votre nom. Nous ne voyons que des mercenaires qui demandent pour la récompense ; les mauvais serviteurs qui prient pour leur intérêt, et le ciel reste fermé à toutes les demandes qui ne sont pas faites pour votre gloire.

Cependant, Église si pure, si cruellement affligée, ne dites pas : le Seigneur m’a délaissée 108 ; celui qui vous a porté dans son sein ne peut vous oublier ; il vous l’a fait dire par Ésaïe : Les destructeurs doivent venir : mais n’oubliez pas la promesse : Ceux qui te détruisaient et te réduisaient en désert sortiront du milieu de toi 109 ; et je réduirai toutes mes montagnes en chemins, et mes sentiers seront élevés 110. Cette espérance nous encourage, ô mon Dieu, il y aura une fin à ces destructions. Vous placerez vos montagnes pour signaux, et la gloire de vos voies sera en évidence. Votre parole est éternelle, elle est pour toutes les époques, et vos amis entendront encore prononcer ce commandement : Allez partout, portez beaucoup de fruits ; il sera permanent, demandez en mon nom pour que mon père vous le donne. Je vous donne ce commandement de faire toutes ces choses, afin que vous vous aimiez l’un l’autre. Ainsi l’amour est la conséquence de vos travaux, comme il en est le principe ; si vous vous désunissiez de cœur, vous vous désuniriez d’esprit, vous vous désuniriez de doctrine. Et pour que vous puissiez remplir la mission dont je vous charge de rapporter un fruit permanent, il faut qu’il n’y ait qu’une communion d’amour, sinon il n’y a plus d’unité ; s’il n’y a plus d’unité, c’est en vain que vous travailleriez, vous obscurciriez ma vérité, vous ne porteriez pas de bons fruits, vous ne seriez plus dans mon amour, et dès-lors vous seriez retranchés du cep.

C’est pour mes disciples les plus unis que je réserve mes grâces les plus abondantes. Le roi prophète l’a vu par la lumière divine, et s’est écrié : Voici, oh ! que c’est une chose bonne, et que c’est une chose agréable, que les frères s’entretiennent ensemble 111. Et ne faut-il pas ce secours et cette consolation pour traverser la carrière pénible que l’amour de Jésus-Christ et sa charité lui ont fait parcourir, pour ramener les hommes qui avaient abandonné son amour ?

Jésus-Christ après cela prévient ses disciples et leur prédit les peines qu’ils éprouveront. Il y a inimitié nécessaire entre la vérité et le mensonge ; les disciples devenant membres du corps de Jésus-Christ, étant entés en Jésus-Christ, éprouveront en lui ce qu’il a éprouvé. Si le monde vous hait, sachez que j’en ai été haï avant vous. La haine du monde contre les disciples de la vérité n’est qu’une suite de la première révolte. Lucifer n’avait-il pas dit : Je placerai mon trône au-dessus des étoiles du Dieu fort, je serai assis au-dessus de l’aquilon, je serai semblable au souverain. Il l’avait dit, et lorsque dans sa miséricorde ce souverain, ce Dieu s’humanise pour arracher au prévaricateur la conquête qu’il croit avoir faite de l’humanité, non-seulement il rugit de rage contre le principe d’un tel bienfait ; mais, par sa haine, il renouvelle, contre lui sur la terre le combat qui l’a précipité du ciel. Son aveuglement lui empêche de reconnaître son premier vainqueur sous l’habit de l’homme dont il avait fait sa proie, il le poursuit sous cette enveloppe, il l’attaque par la mort, la mort lui échappe ; Ô mort, où est ta victoire 112 ? Mais sa rage n’est pas assouvie, et sa haine s’étend sur ceux qui désertent sa cause. Il faut qu’ils sachent les triomphes du Dieu Créateur, lors du combat des anges ; il faut qu’ils sachent le triomphe sanglant du même Dieu leur rédempteur qui dompte la mort, l’absorbe et l’enchaîne ; il faut qu’ils sachent, ces athlètes que Dieu appelle à la bataille, que si le monde les hait, il en a été haï avant eux.

Si vous étiez du monde, continue le Sauveur, le monde aimerait ce qui est sien. Que l’on remarque bien que Jésus-Christ fait ici du monde un véritable personnage spirituel, agissant. Ce n’est pas le monde matériel, physique, lié par des lois et soumis à elles, c’est le démon violateur dès le principe, favorisant le mensonge et détestant ceux qui s’en défient et le dévoilent. C’est parce que Jésus-Christ a élu ses disciples du monde pour remplir cette mission ; c’est parce qu’il les arrache de cette tige empoisonnée, c’est parce qu’il a disposé leurs cœurs à recevoir ses divines vérités, pour qu’elles fructifient et produisent en leur temps ; c’est, dis-je, à cause de cela que Jésus-Christ leur dit : Le monde vous hait. Je vous l’ai dit et je vous le répète : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître, s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi.

S’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre 113. S’ils ont appelé le père de famille Belzébuth, combien plus ses serviteurs ?

Pourquoi toutes ces croix et ces traverses ? Parce que tout disciple accompli sera rendu conforme à son maître. Ils vous livreront pour être affligés, ils vous tueront. Vous serez haïs de toutes les nations, ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom. Le nom de Jésus-Christ est la vérité, c’est parce que Jésus-Christ est la vérité que le mensonge voudrait détruire tout ce qui porte ce caractère ; et pourquoi, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé. Comment le connaîtraient-ils, puisqu’ils nient sa filiation, et par conséquent sa divinité ? Et comment, à plus forte raison, connaîtront-ils ceux que le fils de Dieu a élus du monde pour étendre ses mystérieuses et divines opérations ? Car cette infusion du Fils dans l’homme par l’opération de son amour est toute aussi secrète, mystérieuse et cachée que l’est celle de la génération éternelle du Verbe. Cependant l’amour révèle, par la parole de ce Fils unique et adorable, qu’on ne peut connaître le Père qu’en écoutant les vérités divines qu’il a exprimées, et qu’il imprime dans ses élus. C’est alors que la chaîne des témoins de son amour, en s’étendant, rend témoignage de son infinité.

Mais si les ténèbres obscurcissent la vérité, si la dureté du cœur obstrue les canaux propres à la recevoir, l’esprit aveuglé ne reconnaît pas la lumière. Elle a lui, mais les ténèbres de l’esprit l’ayant empêché de comprendre le Verbe, la parole, quoique manifestée, demeure rejetée, inconnue 114. Et comme le Père ne peut être connu que par cette parole secrète et mystérieuse qui s’est incarnée par les opérations de l’amour, pour se rendre sensible et visible, c’est pour cela que le père du mensonge persécute cette parole et dans le Créateur, et dans le Dieu-Homme. C’est ce Dieu-Homme qui, depuis sa venue, veut étendre et exprimer ses opérations dans ceux qu’il appelle et élit du monde, comme il en avait appelé avant sa venue pour être des figures et des types de la divine mission qu’il viendrait remplir.

Les personnes qui gardent et professent les paroles de Jésus-Christ peuvent dire : si vous me connaissiez, vous connaîtriez Jésus-Christ ; vous me persécutez comme lui, parce que je vous parle en son nom, et par la vérité de l’action de la parole vivante qu’il a mise en moi. Ne considérez pas le vase qui renferme cette parole, il est de terre, il est vil. Brisez-le, si vous voulez, vous le rendrez plus conforme à son divin modèle, mais recevez la parole. Si vous ne connaissez pas Jésus-Christ et sa doctrine, vous ne connaissez pas Dieu son père qui l’a envoyé. Mais maintenant qu’il a parlé, écoutez ce qu’il dit : Si je ne fusse pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils n’auraient point de péché, mais actuellement ils n’ont point d’excuse de leur péché.C’est ce qu’il avait dit aux Pharisiens : Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché, mais vous dites : nous voyons, c’est à cause de cela que votre péché demeure. La parole est venue pour faire connaître le Père, ils ont haï la parole du Père, donc ils haïssent le Père. Mais ils n’ont pas seulement haï la parole, ils ont haï l’organe de la parole qui la justifiait par des œuvres que nul autre n’a faites. Ces œuvres ont été sensibles puisqu’elles ont été vues, et cependant ils ont haï et moi qui les faisait et mon père, par l’ordre duquel j’opérais en vertu de la parole qu’il avait mise en moi. Puisqu’ils ont vu ces œuvres, et que malgré cela ils ont haï et moi et mon père, ils sont sous le poids du péché, car ils m’ont haï sans sujet.

David l’avait vu, et c’est pour que la lumière de l’Esprit Saint qui l’a fait parler se montre en évidence que Jésus-Christ dit à ses disciples : C’est afin que cette parole qui est écrite en leur loi soit accomplie, ils m’ont haï sans sujet. C’est pour nous convaincre de la filiation de la parole que Jésus-Christ, au moment où elle va s’accomplir, la leur rappelle : Ceux qui me haïssent sans cause passent en nombre les cheveux de ma tête, ceux qui tâchent de me ruiner et me sont ennemis à tort se sont renforcés 115. J’ai alors rendu ce que je n’ai pas ravi. Je n’ai point regardé comme une usurpation d’être égal à Dieu 116 ; je vous enverrai de la part de mon père l’esprit de vérité qui procède de mon père, celui-là rendra témoignage de moi.

Les disciples ne sont encore que des vaisseaux disposés à recevoir le feu qui doit les embraser, ils portent en eux la chair et le sang du Sauveur, ils sont en communion avec lui. Bienheureux disciple, l’esprit rendra en vous témoignage de Jésus-Christ, et vous-mêmes vous rendrez témoignage de sa doctrine en portant beaucoup de fruits, vous qui, dès le commencement, avez accompagné ce bon maître.

Ô disciple bien-aimé, qu’elles sont touchantes vos paroles : Ce qui était dès le principe, ce que nous avons ouï, ce que nous avons vu de nos propres yeux, ce que nous avons contemplé, et que nos propres mains ont touché de la parole de vie.

Oui, la vie a été manifestée et nous l’avons vue, et aussi nous vous le témoignons ; nous vous annonçons la vie éternelle qui était avec le Père ; elle nous a été manifestée.

Ce que nous avons vu et ouï, nous vous l’annonçons, oui, nous vous l’annonçons, afin que vous ayez communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son fils Jésus-Christ 117.

Soyez dans la joie, qu’elle soit parfaite. Car que reste-t-il à demander après un tel témoignage ? Nous y reviendrons, mais collons-nous aux dernières paroles de notre divin maître et suivons son sermon après la Cène.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS VI.

 

 

JÉSUS-CHRIST CONTINUE À INSTRUIRE ET À CONSOLER SES DISCIPLES 118.

 

 

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JÉSUS-CHRIST, en continuant son admirable discours, pour fortifier ses disciples, leur donne d’abord la raison pourquoi il leur annonce d’avance ce qui leur arrivera : Je vous dis ces choses afin que vous ne soyez point scandalisés.

Les disciples ne sont pas encore apôtres, ils jugent encore des choses naturellement ; et si l’esprit d’erreur s’oppose à la vérité, la raison s’en scandalise, les heurte ; les disputes s’ensuivent ; la confusion s’opère, et c’est ainsi que l’erreur semble remporter la victoire.

Heureux ceux qui sont avertis, ils restent fermes ; et le mal même n’est plus à leurs yeux que le combat nécessaire qui leur procure la paix et la vie de laquelle ils sont déjà en possession. C’est ce bien précieux, secret, invisible, qu’on veut leur ravir, et c’est moins les avantages extérieurs qu’on veut leur arracher que l’excellence de leur doctrine qu’on veut proscrire. Ce n’est que pour en venir à bout qu’on attaque d’abord tout ce qui est extérieur ; c’est pourquoi il est dit : Ils vous chasseront de leurs synagogues. C’est sous le voile de l’hypocrisie qu’ils vous attaqueront avec plus de fureur. Ils vous rendront suspects, vous feront mourir et croiront servir Dieu. Jésus-Christ le savait, les Juifs avaient déjà arrêté que si quelqu’un l’avouait pour le Christ, il serait chassé de la synagogue, il le savait et il dit : Vous serez heureux quand les hommes vous haïront, vous retrancheront de leur société, vous diront des outrages et rejetteront votre nom comme mauvais à cause du fils de l’homme. Répétons-le, répétons-le, tout disciple accompli sera conforme à son maître. Et pourquoi vous feront-ils toutes ces choses ? Parce qu’ils n’ont connu ni moi, ni mon père.

Jamais ils n’ont vu Dieu ni sa face. Mon père m’a envoyé pour le faire connaître ; les œuvres qu’il m’a commandé de faire, je les ai faites. J’ai encore les Écritures par lesquelles ils estiment avoir la vie, ces Écritures rendent témoignage de moi ; mais ils le refusent. Ils n’ont donc pas la parole de vie demeurant en eux, puisqu’ils ne croient pas en moi, quoique mon père m’ait envoyé. Or s’ils n’ont pas la parole par moi, ils ont une parole de mort par le mensonge, et ne peuvent en avoir une autre. Nécessairement la calamité est dans leurs voies, ils sèment le tourbillon de leurs pensées, et ils ne recueilleront que la tempête.

Je vous dis ces choses afin que lorsque l’heure sera venue, il vous souvienne que je vous les ai dites. La parole divine est une, éternelle, infinie ; lorsqu’elle est émanée, elle opère ; les siècles ne l’épuisent pas, et si la Providence permet des évènements semblables à ceux que la parole approuve ou condamne, c’est pour qu’à chaque époque les évènements soient le témoignage de la vérité de la parole ; et les individus comme l’universalité à qui ces choses arrivent par les mêmes causes doivent se dire : Qu’il nous souvienne que ces choses nous ont été dites 119. Ah ! que ce serait se faire illusion si ce qui serait arrivé la veille ne devait pas être une leçon de conduite pour le jour qui suit ? Tout est propre à instruire le chrétien ; il voit la main de Dieu dans tous les évènements ; il en considère les causes, et s’aperçoit bien que c’est l’esprit qui est le principe des faits. Ces faits ne font que révéler ce qui est dans le principe, et en manifestent la nature bonne ou mauvaise, et si Dieu, pour punir les hommes, les livre à l’esprit d’erreur, la miséricorde divine connaît seule les bornes qu’il a assignées aux châtiments.

Je ne vous les ai pas dites, ces choses, au commencement, parce que j’étais avec vous. J’étais la voie que vous suiviez ; j’étais votre assurance. Vous étiez dans l’abondance de mes grâces ; mais maintenant je m’en vais à celui qui m’a envoyé. Il faut que je vous prévienne de ce qui arrivera lorsque je serai en celui qui m’a envoyé. Mais aucun de vous ne me demande où je vais. Hélas ! pauvres disciples ! cette terrible parole, je m’en vais, prononcée au moment où la vérité vous prédit les renversements, la ruine, l’ignominie, la croix, la mort même, remplit votre cœur de tristesse ; votre bon maître s’en va. Il avait dit : Les amis de l’époux ne peuvent jeûner pendant que l’époux est avec eux ; mais les jours viendront que l’époux leur sera ôté, alors ils jeûneront 120.

Pour que l’homme rentre dans la place qu’il a perdue, il faut qu’il soit renouvelé. Jésus-Christ renferme cette vérité sous une parabole, à l’instant où il vient de prédire que ses amis jeûneraient lorsqu’il leur serait ôté. On ne met pas, dit-il, une pièce de drap neuf à un vieil habit, autrement le neuf emporterait une partie du vieux, et la déchirure en devient plus grande 121. On ne met pas non plus le vin nouveau dans de vieux vaisseaux, autrement les vaisseaux se rompent ; le vin se répand, et les vaisseaux sont détruits. On met le vin nouveau dans des vaisseaux neufs, et l’un et l’autre se conservent 122.

Il est donc clair que l’homme naturel n’est que le sujet propre à subir l’opération miséricordieuse qui peut le restituer dans sa place.

Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j’étais avec vous ; je pourvoyais à tout, je vous donnais et j’imprimais dans vos cœurs les dispositions nécessaires à votre sûreté ; actuellement, j’ai semé mon grain, il faut qu’il germe, il faut qu’il surmonte la nature et tout ce qui est de son domaine. L’homme s’est enterré dans la nature, il faut qu’il en sorte.

Je vous dis la vérité, ajoute Jésus-Christ, il vous est avantageux que je m’en aille ; car si je ne m’en vais, le Consolateur ne viendra pas à vous. Vous vivrez toujours par les effets de ma grâce, et vous ne pourriez mourir à vous-mêmes si cette grâce sensible ne vous était soustraite. Cependant je vous l’ai dit, si vous ne renaissez de nouveau, vous n’aurez point de part avec moi 123. Il faut donc que je m’en aille, et si je m’en vais, je vous enverrai le Consolateur, c’est lui qui seul peut vous préparer une demeure permanente en vie divine. Il faut, pour que le renouvellement se fasse, que la foi opère 124. Tant que les disciples avaient la vue de Jésus-Christ et l’écoulement sensible de ses grâces, leur foi n’avait pas lieu à s’exercer ; mais dès l’instant qu’il aura disparu ; dès l’instant qu’ils ne le verront plus des yeux de la chair, l’opération du renouvellement commencera par l’exercice de la foi soutenue de l’espérance, et le Consolateur viendra. Ô amour, vous viendrez terminer l’œuvre qui doit nous faire rentrer dans l’unité. Ô Dieu, principe de toute vie, vous nous avez créés ; Dieu rédempteur, vous nous avez rachetés ; Dieu amour, Dieu consolateur, vous venez nous sanctifier. Venez, venez même par les douloureux moyens que nous a prédit notre divin maître, par la coupe amère qu’il a bue, venez et renouvelez les disciples de Jésus-Christ ; renouvelez-nous ; renouvelez la face de la terre.

Jésus-Christ nous apprend ce que vous ferez quand vous serez venu, ô Dieu amour ! Vous convaincrez le monde de péché, de justice et de jugement. Vous le convaincrez de péché, parce que ses sectateurs ne connaissent pas Jésus-Christ ; vous mettrez tellement en opposition leurs mensonges, leurs rêveries, leurs maximes, avec la vérité de Jésus-Christ, la vérité de ses paroles, la vérité de ses instructions, la vérité de sa doctrine, qu’enfin la vérité sera en évidence. Lui-même, oui, le monde lui-même en sera convaincu. Ah ! que justement Jésus-Christ vous donne le titre de consolateur, puisque vous devez opérer une telle merveille. Quelle consolation pour ceux qui ont cru aux paroles de ce Dieu-Verbe incarné, qui auront partagé son ignominie et sa croix, et même sa mort, de voir réaliser toutes ces paroles divines, et le monde convaincu de péché ; quelle œuvre vous est réservée !

Amour Dieu, vous convaincrez encore le monde de justice, et quelle est cette justice ? Jésus-Christ le dit : C’est parce que je m’en vais à mon père, et vous ne me verrez plus. Jésus-Christ va à son père, parce qu’il n’a jamais quitté son père, il n’a jamais été séparé un instant de sa volonté divine. Sur la terre comme dans le ciel, il a toujours été éternellement lié par l’amour à cette volonté éternelle de Dieu. Sur la terre, cette volonté de Dieu avait été violée par l’homme, et la volonté de Dieu a été faite par le Verbe qui s’est incarné pour réparer cette violation faite sur la terre ; et puisque le Verbe est Dieu, il a infiniment satisfait à toute justice due à Dieu, puisqu’il s’est soumis à tout, pour prouver que la volonté divine doit être faite, et pour que le crime de ne l’avoir pas faite soit réparé. Il était juste qu’il montrât que c’était par l’exécution libre de cette souveraine et absolue volonté que l’on rentrait dans l’unité du Père, ce qui était impossible sans son sacrifice et son mérite si infini, qu’il est au-delà de l’énormité de la faute. Ainsi, pour rentrer dans l’unité divine, il est aisé de concevoir qu’il a fallu un sacrifice expiatoire qui a été d’un mérite infini, puisqu’un Dieu a voulu s’y soumettre. Il faut, pour recevoir l’application du mérite de ce sacrifice, que l’esprit de Jésus-Christ opère cette application par les purifications ou retranchements nécessaires, et alors, justifié par la grâce de Jésus-Christ, on est rendu participant de la justice que son père lui a faite de rentrer dans l’unité.

Vous ne me verrez plus, ajoutes-vous à vos disciples. Et réellement comment vous verrions-nous en votre père invisible à notre nature, si, par les opérations de l’amour, vous n’aviez pas les moyens de changer, de transmuer, et par-là d’ennoblir notre nature ?

Enfin, divin esprit, vous convaincrez le monde de jugement, parce que le prince du monde est déjà jugé. Eh oui ! la justice de Dieu est incompatible avec l’injustice, et dès l’instant que l’injustice s’est manifestée, le jugement a été porté contr’elle et contre le prince de ce monde ; mais l’exécution de ce jugement s’est différée pour manifester la longanimité et la patience divine. D’ailleurs, ô mon Dieu, vos voies ne sont pas nos voies 125, et votre sagesse est tellement incompréhensible que le mal même, par la direction de votre Providence, sert à la manifestation de vos attributs divins. Enfin, ce mal amènera l’exécution de votre jugement. Tout ce qui ne sera pas justifié par grâce le subira. Amour, vous absorberez la haine, et vous l’enchaînerez.

Ici Jésus-Christ semble s’arrêter, parce que les choses qu’il a encore à dire à ses disciples sont au-dessus de leur portée. Il les dispose seulement à savoir que quand vous serez venu, divin Esprit de vérité, vous les conduirez en toute vérité. Comme vous êtes le lien invisible de l’unité ; invisible comme le Père, invisible comme le Fils ; maintenant rentré dans son père, procédant d’eux, et constituant l’union indivisible et éternelle, vous ne pouvez dire que ce que vous avez ouï, et vous annoncerez les choses à venir, pour ceux qui ont été appelés et élus pour être les organes que vous préparerez à cela. C’est vous, ô Esprit Saint, qui êtes chargé de la glorification du Père, et comment accomplirez-vous cette œuvre divine ? Il prendra du mien et vous l’annoncera. Tout ce que mon père a est mien. Ô Dieu, quelle doctrine ! vous ne voulez pas, ô Fils unique, que nous ignorions cette génération éternelle qui vous confond si essentiellement avec le Père que vous ne faites qu’un avec lui, et votre esprit est chargé de le révéler ; et c’est ainsi qu’il vous glorifie. Ainsi tout ce que vous annoncerez, divin Esprit, vient du Fils, et tout ce qui vient du Fils est de Dieu, et comme nous ne pouvons plus voir le Fils qui est en Dieu, glorifiez-le en annonçant ce qui est sien ; c’est à vous, divin Esprit, à qui Jésus-Christ nous recommande : prenez de lui pour nous le donner. Il est venu pour nous racheter, prenez de lui pour nous sanctifier ; appliquez-nous les mérites du rachat ; nous ne le reverrons plus que par vous. Criez, gémissez, implorez, demandez pour nous, nous ne savons ce qui nous convient ; que votre motion subtile, mystérieuse et opérante, nous conduise à lui et par lui au Père qui nous a créés.

Jésus-Christ prononce ensuite à ses disciples cette admirable parole : Dans peu de temps vous ne me verrez plus, et après un peu de temps vous me verrez. Certainement comme nous l’avons dit plus haut, les disciples ne devaient plus voir l’homme en qui Jésus-Christ s’était enfermé ; mais après le mémorable sacrifice qui allait être fait de l’homme, il devait montrer d’une manière sensible qu’il survivrait à la mort, jusqu’à ce qu’eux-mêmes, après la transformation de leur être, par les opérations de l’esprit, pussent dire comme le disait saint Paul : Ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi.

Mais les disciples, recevant pour la première fois l’idée d’une chose si spirituelle et par conséquent si au-dessus de leur portée, n’en avaient pas l’intelligence. Qu’est-ce qu’il nous dit ? Dans un peu de temps vous ne me verrez plus, et peu de temps après vous me verrez, car je m’en vais à mon père. Ils disaient donc : nous ne comprenons pas ce qu’il dit. Jésus-Christ ne se fâche pas du défaut de perception de ses disciples, il connaît les bornes des conceptions humaines par rapport aux choses spirituelles, à plus forte raison pour les choses divines ; mais avec la charité qui lui est propre, il va tirer un peu le voile pour les aider à comprendre. Jésus, connaissant qu’ils le voulaient interroger, leur dit : vous demandez entre vous touchant ce que j’ai dit, dans un peu de temps vous ne me verrez plus, et un peu de temps après vous me verrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira ; vous serez, dis-je, attristés, mais votre tristesse sera changée en joie. L’œuvre de la purification est si nécessaire que Jésus-Christ n’en dispense pas ses amis. Par amour, pour que la volonté de son père que les hommes avaient violée fut exécutée ; par amour pour les hommes, que son père lui avait donnés, il ne se dispense ni de la purification qu’exigeait la rançon de l’homme, ni de la souffrance de la purification, ni de la mort même, qui en est un des signes visibles. Il lui fut proposé la joie, mais il choisit la croix ; ainsi il dit à ses disciples : Vous pleurerez, vous vous lamenterez, vous serez attristés, et le monde se réjouira.

Le monde ne s’occupe pas de cette nécessité, ou il se la dissimule ; il oublie le jugement, parce que la patience divine le suspend, quoique le temps l’entraîne à sa suite.

Entre la connaissance de la vérité et la possession de la vérité, entre la théorie d’un devoir et sa pratique 126, il ne faut pas se dissimuler qu’il y a un intervalle. C’est dans cet intervalle que se trouve la vallée de lamentation et de tristesse. Tout se perd, tout s’oublie dans cette vallée ténébreuse. La nature éplorée gémit de ce qu’on lui arrache. On y dépouille l’homme naturel de toutes ses usurpations. L’esprit de vérité le convainc de péché, mais il le convainc de justice. Alors il bénit la justice miséricordieuse qui le dépouille ; il gémit, et ses larmes effacent les traces du péché qu’il hait. Alors il se fuit, il se quitte, et l’effet de cette fuite et la liberté qu’il acquiert aident à comprendre la similitude que Jésus-Christ propose à ses disciples qui leur a annoncé les pleurs et les lamentations mises en opposition avec les joies du monde. Quand une femme accouche, elle sent des douleurs, parce que son terme est venu ; mais après qu’elle a fait un enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs à cause de la joie qu’elle a d’avoir mis un homme au monde. Ô disciples de Jésus, qui avez reçu, dans la parole vivante, le germe de cet enfant qui n’est plus celui de la nature, mais celui qui vous est donné par grâce, il est juste que vous vous réjouissiez pour le produire ; quelle perte n’avez-vous pas dû faire ? à quels sacrifices n’avez-vous pas été appelés ? Vous avez été réduits au néant ; vous avez confessé le tout de Dieu et le rien de la créature ; ainsi rentrant dans la route du vrai, l’amour ayant vu votre humilité, soyez dans la joie, il vous fait engendrer pour le ciel.

Après cette prédiction de bonheur voilée sous la parabole de la femme qui, au milieu des souffrances, met au monde un fils qui la comble de joie. Jésus-Christ la confirme : Vous avez maintenant de la tristesse, cette parole que j’ai dite, je m’en vais, a commencé votre temps de douleur ; mais je vous reverrai encore, non-seulement pour vous rendre sensible la vie qui échappe à la mort et dont il faut que vous rendiez un témoignage véritable, mais vous me verrez encore par l’esprit que je vous enverrai. Votre cœur se réjouira, votre cœur, le principe de la sensibilité renouvelé par l’esprit de grâce se réjouira. Ce principe de sensibilité sera entièrement tourné vers moi, il sera amour pur. Personne ne vous ôtera votre joie, parce que vous serez dans ma joie. Voici les effets de ce jour de joie permanente. Vous ne m’interrogerez de rien, parce que l’onction vous apprendra toutes choses 127. En vérité, en vérité, je vous dis que toutes les choses que vous demanderez au Père en mon nom, il vous les donnera. Ô Dieu, que cette parole est forte, vous ne m’interrogerez de rien, par cette expression vous permettez à vos disciples de croire, et par conséquent d’espérer que ce n’est pas seulement à l’aide de la lumière, mais dans la lumière même qu’ils vous contempleront. Si vous les attirez dans la lumière, puisque vous êtes la lumière, sur quoi pourront-ils vous interroger ?

Un deuxième effet de ce jour permanent et éternel, c’est l’assurance que vous donnez sous le sceau de la vérité de votre parole, que tout ce que l’on demandera au Père en votre nom, le Père le donnera. Eh oui certainement, ô Sauveur, il ne vous refuse rien. Vous avez l’expérience des choses de l’éternité. Aussi vous nous avez appris les prières qui lui sont agréables ; vous les avez faites précisément, lorsque l’heure de leur accomplissement fut venue. Soit que vous ayez créé le monde, soit que vous l’ayez racheté, toujours vous avez été exaucé.

Vous savez que le nom de votre père s’écoule par vous, et qu’il sanctifie tout ce qu’il pénètre ; aussi vous nous avez appris à demander que ce nom soit sanctifié. Qu’il soit donc sanctifié en nous, ce nom divin et inconnu ; révélez-nous par la grâce de Jésus-Christ ce que vous voulez être en nous, trois fois Saint, seul Saint et Éternel.

Vous avez vu, ô Sauveur, la beauté, l’excellence, l’ordre, la justice du règne de Dieu dans le ciel ; et vous vous êtes écrié : Qu’il vienne sur la terre. Nous dirons avec vous, divin Jésus, qu’il vienne.

Vous avez ouï, de toute éternité, la volonté divine ; de toute éternité, aujourd’hui et toujours, vous l’avez reconnue si admirable, si exacte, si parfaite, que sans cesse vous prononcez Amen, et vous nous avez appris à dire Amen.

Vous connaissez l’abondance des grâces que votre charité infinie veut répandre ; et vous voulez que journellement nous vous demandions ce que vous voulez nous donner, ce que vous êtes, le pain de vie.

Vous connaissez l’étendue de votre miséricorde, vous voulez que nous vous la demandions. Mais vous nous en assignez en quelque façon la mesure, en nous prescrivant la forme dans laquelle nous devons former cette demande : pardonnez-nous comme nous pardonnons. Il nous faut donc des ennemis pour qu’en pardonnant, nous puissions apprendre quelle part vous nous ferez dans votre miséricorde 128.

Vous avez voulu vous soumettre à la tentation, pour avoir pitié de nos faiblesses ; et si, dans les secrets de votre sagesse, vous permettez que nous soyons entraînés par les séductions de la nature, vous voulez que nous vous demandions la force d’en sortir, et la délivrance du mal qui nous obsède. Déjà vous l’aviez apprise à vos disciples, cette divine prière, mais elle est de bien des degrés, puisque vous leur dites qu’ils n’ont encore rien demandé en votre nom. Est-ce un reproche que vous leur faites ? Est-ce l’annonce d’un changement d’état ? Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom, vous le savez, divin Jésus, la prière en esprit et en vérité est si peu comprise que vos disciples mêmes n’ont rien demandé en votre nom. Ils ne vous ont encore suivi que comme voie, il faut qu’ils vous suivent comme vérité ; qu’ils entrent dans votre nom et par conséquent dans votre vérité, pour demander en votre nom. En leur donnant l’ordre de prier de cette manière, vous leur annoncez qu’ils entrent dans un état nouveau, et que leur prière y sera d’un autre degré ; par l’espérance vous les engagez à cette prière ; vous recevrez, leur dites-vous, demandez donc, et pour que votre joie soit parfaite vous recevrez.

Vous savez bien que vous voulez donner, et que déjà vous avez donné grâce sur grâce ; mais demander dans la vérité, c’est avouer que tout bien vient de vous. L’homme se croit propriétaire de vos dons ; en lui ôtant tout ce que vous lui avez donné, vous le forcez à reconnaître son impuissance. Cependant vous le conduisez dans ces routes de dépouillements comme vous l’avez conduit dans les routes de douceur et de grâces ; il ne vous voit pas, mais il vous croit. Il ne mourrait pas à lui-même s’il vous voyait toujours. Vous redonnez la vie partout où vous vous montrez ; Lazare en est un témoignage. Vous voulez qu’on ait l’expérience de la mort, pour comprendre le bonheur de la vie, vous voulez que l’on confesse le néant de la créature pour publier le tout de Dieu.

Vous gravez au fond du cœur les expressions de David : Je crie du fond de l’abîme 129, que vos oreilles soient attentives ; je confesse, ô Dieu, mon péché, j’en ai la conviction, mais j’espère en vous. En vous seul, je confesse votre tout divin ; en vous la miséricorde est abondante ; en vous est le rachat. Ah ! lorsque dans la vérité, dans le nom de Jésus, on demande le pardon, votre parole, ô Dieu, s’effectue ; l’on reçoit, l’on reçoit la vie, la vie qui est lumière ; on ne vous interroge plus, la joie est parfaite ; l’on demande éternellement, on trouve la sanctification, le vouloir, le règne et la justice de Dieu. Tout est donné par-dessus ; on goûte dans la lumière divine la prière que votre amour nous fait faire.

Jésus-Christ dit ensuite à ses disciples : Je vous ai dit ces choses par des similitudes, mais le temps vient que je ne vous parlerai plus par des paraboles, je vous parlerai ouvertement de mon père. L’homme s’est enfoncé si profondément dans les abîmes, qu’il ne peut plus se connaître, il ne sait ni ce qu’il a été, ni ce qu’il doit être ; pour qu’il retrouve sa route, il faut que la Providence le rappelle et le conduise, et que, comme l’enfant, il s’abandonne à cette admirable conduite. S’il y a une différence très-grande entre l’enfant et l’homme raisonnable, il en est une entre l’homme raisonnable et l’homme esprit, il en est une plus grande encore entre l’homme esprit et l’homme divinisé. Pour chacun de ces états, il y a un développement particulier ; et pour chaque développement une instruction relative. C’est la Providence qui la ménage, elle suit son cours.

Voyez le germe du papillon, il devient œuf, la chaleur l’échauffe, il naît vermisseau. Il grandit, puis il semble mort, car il s’enveloppe dans une coque, où il ne donne aucun signe de vie, ne manifeste aucun mouvement, et cependant cette mort apparente le façonne. Il en sort paré des plus belles couleurs, mais qu’elle est faible cette image, si l’on veut s’en servir pour comparer le sort du papillon avec le sort de l’homme. Le premier, après avoir étalé ses couleurs au sortir de sa coque, s’éteint encore, et l’homme dégagé de ses suaires peut regagner le centre qui a produit son germe.

Qu’il faut de temps et de peine à l’enfant pour apprendre à connaître les lettres et les lier ensemble pour en composer des mots. Que de temps ne faut-il pas au jeune homme pour extraire de ces mots les idées qu’ils voilent, et composer des pensées vraies qu’il puisse prononcer ou écrire. Eh ! déjà peut-être le langage est confondu pour lui, si les préjugés de ses maîtres ont assigné à ces mots des idées opposées à celles qu’ils doivent produire. Si par exemple, on appelle le bien, mal, et le mal, bien, si les passions font enfanter à l’imagination quelques pensées dont l’intérêt particulier se sert pour faire des idoles qu’elles ornent de couleurs pour cacher leurs défauts, dès-lors on est surpris par l’erreur ; car au mensonge, il lui faut aussi une enveloppe pour se produire, et si c’est sous les apparences de la vérité qu’il se montre, il est et plus séduisant et plus dangereux. Quels obstacles n’oppose-t-il pas à cette vérité, lorsque la raison veut ramener l’esprit humain du mensonge qui l’a égaré et l’empêcher de dépasser les bornes. La raison n’est qu’un reflet de la vraie lumière, et lorsqu’elle dépasse ses limites, ce reflet ne peut qu’égarer ; mais la vérité est patiente parce qu’elle est éternelle ; et comme elle sait qu’elle est trop brillante, qu’on ne peut soutenir son éclat, pour attirer, elle se voile. Dieu se couvre de l’homme, pour qu’en parlant à l’homme son langage, il y arrose ce germe invincible, qui dissipe les préventions et détruit ou enchaîne ses préjugés ; il rattache l’homme simple à la vérité par le lien des choses sensibles, car la vérité remplit tout, et ne laisse point de vide ; elle est en Dieu, elle est visible dans ses œuvres. L’homme se laisse charmer par quelques vérités partielles. La vérité pleine et dans tout son éclat l’eut irrité ou ébloui. La Providence amènera le moment décisif. Est-il venu ? La force de la vérité entraîne l’homme partout où elle est, sur la terre, comme dans le ciel ; l’homme en suit les charmes, il rebrousse chemin ; il quitte l’erreur à l’aide du faible rayon qui l’éclaire. C’est ainsi que l’acier fait jaillir du caillou le feu qu’il renferme ; le feu devenant lumière est pour celui qui est dans les ténèbres un moyen de les dissiper.

Mais le temps vient que Jésus-Christ ne parle plus à l’homme par des paraboles, il a changé de méthode. Ce ne sont plus des mots, ce sont des choses qu’il faut qu’il apprenne. Dans la route de la vérité, tout s’y simplifie ; les illusions s’évanouissent. Ce n’est qu’en les perdant qu’on acquerra la connaissance et le néant d’où l’on a été tiré. Et qu’est-ce que Dieu avait fait de ce néant ? Un esprit, et un esprit pour être allumé de la vie divine. Ainsi en redevenant esprit pur dans la route de la vérité, on est bien près de recevoir la vie ; aussi Jésus-Christ dit : Je suis issu de mon père, de son sein, de son unité, pour vous parler ouvertement, et vous pénétrer de ma lumière.

En considérant la marche ordinaire de la miséricorde divine, nous voyons d’abord que les êtres spirituels n’ont reçu de leur principe la vie en quelque sorte qu’en essai, et ne pouvaient en jouir dans leur fin qu’en justifiant leur existence par l’accomplissement d’un commandement. S’ils y obéissent, et si par amour pour le principe dont ils sortent, ils y restent unis, en exécutant le commandement reçu, il est juste qu’ils atteignent leur fin et qu’ils en jouissent éternellement. Au contraire, si par orgueil ils se révoltent contre le devoir, la justice et la vérité les condamnent, et tôt ou tard ils en subissent le jugement. Si la faiblesse entraîne la volonté de ces êtres, ils se dégradent et s’enchaînent aux lois imposées à cet ordre dégradé. Mais si la voix de la miséricorde qui pénètre tout, parce qu’elle est infinie, se fait entendre dans cet ordre dégradé ; si elle appelle les êtres qui y sont condamnés ; s’ils entendent cette voix, la croient et la suivent, la vérité s’en empare, les dégage peu à peu de leurs suaires, leur fait justifier leur existence, et les dispose à être pénétrés de la vie qui leur était destinée. Comme cette vie est lumière, ils reconnaissent la seule voix qui pouvait les rappeler, la seule vérité qui pouvait les purifier, et ils jouissent de l’unique et imperdable vie qui en émane ; et maintenant ces êtres qui s’étaient plongés dans la mort se trouvent, par la miséricorde, transportés dans la vie.

En ce jour-là, dit Jésus-Christ à ses disciples, vous demanderez en mon nom ; et pourquoi demanderez-vous en mon nom ? Parce que je vous ai appelés ; vous m’avez suivi, vous avez cru, et l’invisible vérité de mon père qui s’écoule éternellement en moi s’est étendue jusqu’à vous. Cet acte de foi vous a unis à la vérité ; vous êtes par cet acte entrés en communion avec moi. Vous êtes dans mon nom, puisque vous êtes dans moi. C’est alors que ma vérité vous crée de nouveau tels que le conseil divin l’avait résolu ; elle vous fait renaître à l’image et à la ressemblance divine ; elle vous arrache l’homme-animal pour que vous soyez l’homme-esprit, tels que vous avez été créés, et par conséquent que vous soyez susceptibles d’être pénétrés de la vie qui m’engendre éternellement par amour. Et pour que je manifeste un amour égal à celui qui m’engendre par le même amour, j’y reflue sans cesse, et j’y fais recouler tout ce qui m’est donné. Or vous m’êtes donné ; vous êtes à moi ; donc l’amour que vous avez pour moi vous fait rentrer en moi ; car par moi vous êtes en assurance de votre fin, puisque sans jamais cesser, je vous pénétrerai de la vie divine qui s’écoule éternellement en moi. Ici remarquons bien comme Jésus-Christ s’exprime : En ce jour-là vous demanderez en mon nom, je ne dis pas que je prierai le Père pour vous. Vous serez tellement perdus en moi, identifiés en moi, que ce que vous demanderez c’est comme si je le demandais. Mais je vous apprends pourquoi je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous, c’est que le Père lui-même vous aime. Et pourquoi vous aime-t-il ? C’est que vous m’avez aimé, non par l’effet d’un sentiment fugitif ; vous avez manifesté votre amour par votre foi ; vous avez cru que je suis issu de Dieu. Ils ont cru, c’est une chose certaine, puisqu’elle leur vaut l’inestimable bonheur d’être aimés du Père.

Jésus-Christ, pour fortifier toujours plus cette foi, la confirme par cette éternelle vérité : Je suis issu du Père et je suis venu au monde, je laisse le monde et derechef je vais à mon père. Ces mots contiennent tant de vérités que tous les disciples n’en comprennent pas toute l’étendue, ce n’est qu’en saint Jean que ces vérités se développent, et s’élèvent au point de rendre perceptible à l’esprit la génération éternelle.

La foi a bien des degrés ; les disciples l’ont, puisque, par rapport à cette foi, Jésus-Christ leur annonce qu’ils sont aimés du Père ; ils le prouvent puisqu’ils répondent à Jésus-Christ, qui répète : Je suis issu du Père ; maintenant vous nous parlez ouvertement, vous n’usez pas de paraboles. Mais cette foi a des appuis ; ils confessent que celui qui leur parle sait toutes choses, et n’a pas besoin que personne l’interroge. S’ils en tirent l’heureuse conséquence que Jésus-Christ est issu de Dieu, il leur a fallu ce motif pour aider leur foi, aussi Jésus-Christ leur répond : Croyez-vous maintenant ? C’est comme s’il leur disait : il vous fallait cette assurance que je sais toutes choses et que je n’ai besoin que personne ne m’interroge. Et la preuve que cette foi est faible encore, c’est le verset qui suit : Voici, l’heure vient que vous serez dispersés chacun de son côté et que vous me laisserez seul.

Les mémorables évènements qui allaient bientôt se passer devaient faire voir que cette dispersion même prédite dans les Écritures serait la plus forte épreuve de la foi des disciples ; celle qui allait ébranler leur raison, la renverser, et démontrer ses bornes. Cette grande épreuve devait aussi accroître et purifier cette foi à tel point que saint Jean, disciple de l’amour, a contemplé par elle le Verbe en Dieu, il l’a vu Dieu, il l’a vu auprès de Dieu, créant les mondes et les êtres, il l’a vu rapportant au monde la lumière qu’il avait perdue ; il a vu qu’elle luirait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne la comprendraient pas ; mais qu’elle éclairerait ceux qui la recevraient. Ainsi la foi l’a transporté dans la lumière, et l’amour l’a constitué Apôtre de la lumière divine ; comme saint Jean-Baptiste a été constitué par la vérité la voix qui l’annonçait.

Jésus-Christ, après avoir prédit à ses disciples leur faiblesse et leur dispersion, leur dit : Cependant je ne suis pas seul, car le Père est avec moi. Le fils ne peut être seul, puisqu’il est indivisible avec lui ; il est en Dieu, il est Dieu, il est auprès de Dieu, dit saint Jean ; il est son vouloir interne et externe, et par conséquent il sort, il rentre éternellement. Et pourquoi Jésus-Christ répète-t-il cette vérité : Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi, c’est afin que vous ayez la paix en lui. La paix est donc en Jésus-Christ ; les souffrances n’ôtent pas la paix, Jésus-Christ les voit, les sait, les a voulues. Il sait que tout le quittera ; cependant il déclare qu’il n’est pas seul, son père est avec lui, et il écoule en lui éternellement la paix.

Comme Jésus-Christ, les disciples éprouveront des angoisses ; mais il leur dit : Ayez bon courage. Sur quoi peut-il être fondé ? Parce qu’ils ont la paix en Jésus-Christ ; et puisqu’ils ont la paix en Jésus-Christ, ils ne sont pas seuls, même dans la plus forte angoisse ; et quand tout les quitte, même la vie humaine, leur paix est en Jésus-Christ, et leur vie se renouvelle dans cette paix. D’ailleurs ils n’ont pas à vaincre le monde ; Jésus-Christ leur dit qu’il l’a vaincu pour eux ; ainsi leur salut est assuré en Jésus-Christ, par Jésus-Christ est leur salut.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS VII.

 

 

JÉSUS-CHRIST MANIFESTE L’AMOUR IMMENSE QU’IL PORTE À SES ÉLUS 130.

 

 

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QUAND Jésus-Christ eut disposé l’esprit de ses disciples, par l’enseignement de sa doctrine divine, il lève les yeux au ciel et s’écrie : Mon père, l’heure est venue, le moment divin est arrivé. C’est à son père, qui l’exauce toujours, qu’il s’adresse : Glorifiez votre fils, afin que votre fils vous glorifie 131. Manifestez que je suis votre fils, en délivrant la vie que vous avez écoulée en moi des enveloppes qui la cachent ; puisque nous sommes un, j’ai la vie que vous avez : vous m’avez donné pouvoir sur tous les hommes, afin que je donne la vie éternelle à tous ceux que vous m’avez donnés ; il faut donc que vous montriez hors de mon enveloppe la vie que je peux donner à ceux qui y croient et qui la demandent. Pour cela, il faut que vous montriez une vie qui survive à la mort. Quelle est la vie qui peut survivre à la mort ? La vie qui a précédé toute mort, la vie que toujours vous écoulez en moi, parce que sans cesse je vous la rends par amour aussi pure que je la reçois. Mais l’heure est venue, ô mon père, l’heure est venue de convaincre et de montrer, à ceux que vous m’avez donnés, la vie éternelle, la vie indépendante de tout accessoire, notre vie enfin.

Comme vous avez donné au fils la puissance sur toute chair, afin qu’il donne la vie à tous ceux que vous lui avez donnés. Et c’est ici la vie éternelle qu’ils vous connaissent seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé Jésus-Christ.

La vie éternelle étant de connaître Dieu seul et Jésus-Christ, il est certain que pour parvenir à cette connaissance inépuisable, il faut être délivré ou dégagé de tout intermédiaire ; or ces intermédiaires sont la mort à cause de la chair, et la chair à cause du péché.

Mais Jésus-Christ déclare qu’afin de donner la vie à tous ceux que son père lui a donnés, son père lui a donné pouvoir sur toute chair. Ainsi, comme Jésus-Christ a puissance sur toute chair, s’il exerce sa puissance, la chair cessera d’être le lien par lequel l’ennemi ou la mort avait domination sur l’esprit enfermé dans la chair à cause du péché, et la mort sera forcée de relâcher sa proie.

L’heure est venue, ô Dieu incarné, d’exercer cette puissance, mais comme vous ne faites rien sans votre père, parce que votre père ne fait rien sans vous, vous vous adressez à lui pour qu’il vous glorifie afin que vous le glorifiiez. Ô père, comment lui refuseriez-vous votre consentement, puisqu’il en doit résulter votre gloire et la sienne ! Il veut faire triompher un de vos attributs divins, votre justice infinie.

Quelle est la vraie justice ? C’est que la volonté de Dieu soit faite ; l’homme n’a pas fait la volonté de Dieu, il a blessé la justice de Dieu. Enfermé dans la chair, et livré à la mort qui s’en est emparé, l’homme est puni, mais sa réparation à la justice de Dieu n’étant pas faite, Jésus-Christ s’en est chargé. Je ferai, a-t-il dit, ô Dieu, votre volonté. Oui, j’obéirai à la mort même, fût-elle infâme. De cette manière votre justice sera en évidence, votre volonté que l’homme n’a pas accomplie, je la ferai, et elle sera faite d’une manière infinie, puisqu’un Dieu infini s’y soumet. Alors il est démontré que la justice de Dieu n’est pas la punition, la punition n’en est que la conséquence ; la justice de Dieu est : que sa volonté soit faite, et l’amour de Dieu le réclame ; aussi Jésus-Christ, par amour pour Dieu et la gloire externe qui devait lui résulter de ses œuvres, s’en est rendu caution. En réparant les œuvres de Dieu, il montre à Dieu l’amour qu’il a pour lui, et l’amour extrême qu’il a pour l’œuvre qu’il a faite ; il montre que la volonté de la produire, cette œuvre, était justice, et en rendant à la justice l’œuvre réparée, il manifeste la miséricorde infinie. Peut-être la faute de l’homme n’a-t-elle été permise qu  pour produire, au dehors, la justice et la miséricorde éternellement liées par l’amour.

Vous m’avez envoyé au monde, dit Jésus-Christ, vous m’avez même envoyé dans une chair condamnée à cause du péché 132. Votre vie divine s’est abaissée et descendue jusques-là. Il est de votre gloire que, dans le temps, cette vie rentre dans votre sein, comme elle y rentre de toute éternité. Il est de votre gloire que tous ceux que vous m’avez donnés connaissent que vous êtes le seul vrai Dieu, en montrant au dehors ce que vous faites d’une manière ineffable en vous-même. Je vous rends toute la gloire qui peut vous être rendue, puisque par la lumière que renferme cette vie, je connais tout ce que vous êtes, je connais que tout vous est dû, et par une conséquence nécessaire je me donne nécessairement tout à vous ; un Dieu se donne à un Dieu, et un amour infini procédant de nous, nous lie éternellement.

Mais les hommes, et même ceux que vous m’avez spécialement donnés, ne vous connaissent pas comme le seul vrai Dieu, puisque n’ayant plus la vie éternelle, ils ne connaissent pas par la lumière de cette vie tout ce que vous êtes, et s’ils ne connaissent pas tout ce que vous êtes, ils ne connaissent pas tout ce qui vous est dû. Puisque vous me les avez donnés, il faut que je leur enseigne comment ils peuvent acquérir cette connaissance, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ.

Mais, ô Sauveur adorable, votre immolation et les souffrances infinies que vous alliez endurer pour nous allaient nous apprendre comment la bonté et la vérité s’entre-rencontreraient, comment la justice et la paix s’embrasseraient.

Sans cette vue d’amour, ô mère de mon Sauveur ! ô disciple bien-aimé ! ô Magdelaine, amante fortunée ! eussiez-vous pu supporter ce spectacle sanglant, et tous ensemble, inondés de larmes et brisés de douleur, dire avec la divine victime immolée dès la fondation des siècles : Père, glorifiez votre fils de la gloire qu’il avait dans votre sein avant que le monde fût fait. Vous lui avez réservé cette gloire en acceptant son immolation éternelle. Ô père, cette chair de votre fils est innocente et pure, et comment pourriez-vous frapper sur elle ? Mais elle s’est chargée de toutes les iniquités, et pour vous forcer à les punir de votre bras vengeur, de manière qu’elles ne subsistent plus, il se cache sous le péché qu’il enferme dans la chair.

Maintenant l’heure est venue, le décret de miséricorde doit prévaloir sur celui de condamnation. Vous allez donner la vie éternelle à ceux que vous lui avez donnés pour la leur communiquer ; mais ce ne sera que lorsqu’il aura vaincu la mort, qu’ils portent dans leur chair depuis que le décret de condamnation les livre à la mort. Mettez en évidence la miséricorde de l’agneau, puisqu’il veut mettre en évidence votre justice infinie. Dieu indivisible de votre Verbe, vous contemplez en vous-même tout ce que vous êtes, et lorsque l’heure en est venue, vous révélez pour vos œuvres, soit par votre parole, soit par votre esprit, ce que vous voulez de vos attributs divins. L’heure de la création a manifesté votre puissance, l’heure de la rédemption va manifester votre justice et votre miséricorde, sans que l’une usurpe sur l’autre. Par votre esprit montrez-nous votre lumière. Que l’heure de votre règne vienne.

Il n’y avait que Jésus-Christ qui pouvait dire : je vous ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que vous m’avez donné à faire, et par conséquent, maintenant glorifiez-moi, ô père, auprès de vous, de la gloire que j’ai eue chez vous avant que le monde fût fait.

Mais ô Dieu incarné, crucifié et vivant, esprit comme votre père, esprit comme votre amour, maintenant invisible comme eux ; puisque Dieu vous a donné à nous pour que vous nous donniez la vie éternelle, et nous fassiez connaître par votre amour et vous et votre père ; puisque le Père vous a donné puissance sur toute chair, en vous soumettant la chair dans laquelle notre esprit est renfermé, nous vous remettons notre esprit, dégagez-le de la mort que vous avez vaincue par votre sacrifice, liez le péché dans la chair, et sacrifiez la chair, et alors nous oserons vous dire : glorifiez-nous auprès de vous de la gloire que nous avions auprès de vous, lorsque vous nous aviez fait à votre image et à votre ressemblance.

Nous n’avons pas achevé l’œuvreque vous nous avez donné à faire ; nous avons perdu votre ressemblance ; retracez-vous en nous par le sacrifice ; ayez pitié de nos faiblesses, vainquez le péché qui s’y oppose par l’habitude et l’empire qu’il a sur nous, remportez cette victoire, en appliquant aux sacrifices que vous ferez en nous les mérites infinis du vôtre 133 ; alors nous vous connaîtrons Dieu en esprit ; vous nous ferez connaître le Père en vous par votre amour ; et nous adorerons un seul Dieu en vous, et vous en lui par amour. Mais vous voulez des adorateurs en esprit, dégagez les nôtres.

J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde ; ils étaient à vous, vous me les avez donnés, ils ont gardé votre parole, ils ont connu, que les paroles que j’ai dites sont de vous, parce que les paroles que vous m’avez données, je les leur ai données, ils les ont reçues, ils ont connu que vraiment je suis issu de vous ; ils ont cru que vous m’avez envoyé.Comme on le voit dans le verset précédent, il n’y a que le prêtre éternel et ceux par qui il se propage qui puissent dire : J’ai manifesté votre nom. Pour manifester le nom de Dieu, il faut l’avoir ; il n’y avait que Dieu qui pouvait manifester le nom de Dieu. Ce nom exprime l’essence des attributs divins en perfection ; comme l’essence qui les renferme, ce nom s’écoule éternellement dans le Verbe, qui, étant la volonté de Dieu, rend sans cesse à Dieu cette essence ; c’est le secret de leur gloire interne, elle est inénarrable et ce secret est leur amour éternel.

La surabondance de ce nom est telle que le Verbe parle au néant, et il comparaît en être. Quelle manifestation du nom de Dieu ! quelle joie ! quels transports ! quelles louanges ! quels accords ! Ô Verbe, les intelligences connaissent que la parole que vous avez prononcée est de Dieu. Vous avez donné à chaque être la parole que vous avez reçue pour eux ; elle est une, cette parole, puisqu’elle doit rentrer en vous, et par vous remonter à la source ; mais elle est diversifiée pour que le concert soit harmonieux, sonore, et retentisse de l’univers aux cieux, et que les cieux en accord répondent à l’univers. Mais qu’ils gardent le nom que vous leur donnez, et que vous avez reçu pour eux, qu’ils le gardent et le sanctifient ; que s’ils viennent à le perdre, votre pitié les poursuive. Le Père vous indique ceux qui peuvent vous entendre encore ; il vous a donné ce troupeau, il vous en a constitué le pasteur ; il vous envoie non dans la magnificence de votre gloire, il ne pourrait la soutenir, elle l’anéantirait ; mais vous vous proportionnez à leur dégradation ; vous vous en couvrez sans altérer votre pureté. Prêtre compatissant, vous parlez, vous instruisez, vous donnez à ceux qui vous sont donnés, enfin la parole qui vous est donnée est reçue et ils gardent cette Parole-Dieu issue de Dieu. Ils croient cette mission divine. Le pasteur fait rentrer les brebis au bercail. Alors le nom qu’ils ont reçu fructifie en vous et pour vous, pour qu’il retourne par vous au Père qui vous l’avait donné pour eux ; ainsi se propage la filiation divine. Sans vous, Verbe divin, rien n’a vie, avec vous et par vous, prêtre vivant quoiqu’immolé, paix et joie.

Je prie pour eux. Ô vous qui êtes toujours exaucé, quelle heureuse assurance vous donnez à vos disciples, mais aussi quelle terrible parole : Je ne prie pas pour le monde, le monde est condamné, il est réservé pour d’autres temps. Cependant dans le monde, l’esprit de Dieu qui discerne tout voit ceux à qui il veut pardonner ; par sa pure grâce il les met en disposition de rentrer dans la miséricorde. Et déjà dès ce monde, ces hommes ont le bonheur d’être à Dieu ; et c’est encore pour de tels hommes qui se sont particulièrement donnés à Jésus-Christ, sacrificateur et prêtre éternel, qu’il exerce son sacerdoce. Jésus-Christ prie pour eux, parce qu’il est glorifié en eux ; ils ont cru en ses paroles, ils ont cru qu’il est issu de Dieu ; et comme il est en eux par l’effet de cette foi, il prie pour eux. La communion est et subsiste, la religion et la réunion avec Dieu a commencé, il prie pour eux, pour qu’elle se consomme. Si elle était consommée, il ne dirait pas qu’il prierait pour eux, ils seraient dans leur fin. Il veut même perdre ce qui était visible pour eux de Jésus-Christ ; il va rentrer dans son père ; il les laisse dans le monde exposés à toutes ses séductions et livrés à sa malice. Cet état plus dénué étant plus difficile, Jésus-Christ fait une prière à son père et à l’esprit de vérité : Père saint, conservez-les dans votre sainteté, pour que par elle ils soient un ; c’est cet esprit de sanctification qui nous lie et qui fait que nous sommes consommés dans l’unité ; qu’ils soient un comme nous sommes un. Lorsque j’étais avec eux, je les gardais dans votre nom, je les entretenais de votre vérité, ils ont cru à ma parole ; je les ai gardés par elle. Maintenant ce n’est plus par des moyens visibles que je veux les conduire, mais c’est l’esprit de lumière et de sainteté qui les consommera.

Cependant, par l’effet de ma parole, j’ai gardé tous ceux que vous m’avez donnés, et personne d’eux n’a péri sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie. Ô Dieu, le mal même sert à l’exécution de vos décrets ; mais quelle malédiction contre ceux qui s’en rendent les organes : Établissez le méchant sur lui, et faites que l’adversaire se tienne à sa droite, quand il sera jugé, faites qu’il soit déclaré méchant et que sa prière soit regardée comme un crime, que sa vie soit courte et qu’un autre prenne sa charge 134.

Maintenant que j’ai fait tout ce que vous m’avez donné à faire, je viens à vous, je rentre toujours en vous, ô mon père, c’est ma joie, c’est ma joie parfaite ; je la proclame dans le monde, afin que les disciples que j’y laisse aient en eux-mêmes cette espérance, cette joie, cet attrait qui me rattire en vous avec tout ce que vous me donnez.

Comme je leur ai donné votre parole, le monde les a en haine parce qu’ils ne sont plus du monde comme je ne suis plus du monde. Par ces expressions, Jésus-Christ désigne que ses disciples forment un ordre à part, et comme il n’est pas du monde, et que ses disciples le suivent, la conséquence est que le monde les hait, parce que le mensonge a en haine ce qui se sépare de lui ; Jésus-Christ prie pour qu’ils soient préservés du mal, mais non pour qu’ils soient ôtés du monde ; le monde est le lieu de leur sanctification.

Pourquoi Jésus-Christ répète-t-il encore : Ils ne sont pas du monde, et je ne suis pas du monde ? Par la prière qu’il fait, il demande pour ses disciples qu’ils entrent dans un état plus élevé que celui qui les a déjà séparés du monde. Jésus-Christ n’est plus dans le monde puisqu’il va à son père ; les disciples qui n’étaient déjà plus du monde, par l’effet de leur conversion, sont attirés à un état dans lequel la séparation sera plus grande encore. Votre parole est la vérité, sanctifiez-les dans la vérité. La parole divine prononcée et reçue a opéré la conversion des disciples et les a amenés dans les sentiers de la vérité. Maintenant cette parole qui va se retirer y opérera tout aussi réellement que quand elle était perceptible à leurs regards. Si cette parole dans le monde n’était pas du monde, à présent qu’elle est cachée dans la vérité, elle est bien moins du monde. Sanctifiez-les dans la vérité, votre parole est la vérité ; Jésus-Christ est la voie, la vérité et la vie. Dans l’homme il est la voie, il appelle, il convertit dans la vérité, il sanctifie dans la vie ; il la donne à ceux qu’il a sanctifiés. Jésus-Christ est victime dans l’homme par son esprit ; il est prêtre de la vérité éternelle dans son cœur comme dans son vrai temple. Il y écoule sa parole invisible, elle y est incisive, pénètre, parvient jusqu’aux racines, et dissipe les préjugés, les mensonges et les illusions ; elle dégage l’esprit de tout ce qui était extérieur, puis elle détruit la propriété spirituelle qui renfermait l’amour-propre et le propre intérêt ; alors le disciple baptisé du baptême de feu devient susceptible d’être envoyé comme Jésus-Christ a été envoyé. Comme je vous ai envoyés au monde, ainsi je les ai envoyés au monde, voilà l’apostolat et ses conditions.

Jésus-Christ n’a pas parlé de lui-même, il n’a dit que les paroles de son père et il ne les disait que lorsque l’heure était venue.

Et pour que ceux qui lui sont donnés soient sanctifiés dans sa vérité, il se sanctifie lui-même. Quoi, un Dieu se sanctifie ! Oui, par cette sanctification, il divinise la nature humaine qu’il a épousée et la transforme du spirituel au divin. Ô Dieu-Homme ! Ô Homme-Dieu ! Ô Sacrificateur ! qui élevez l’homme de la mort à la vie, de la vie à la spiritualité, et de la spiritualité à vous-même ! Ô cœur ! brise-toi, tu ne peux contenir assez d’amour pour tant de merveilles.

Et afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité. Retenons cette parole qui devait retentir aux siècles des siècles ; car à cette même prière Jésus-Christ ajoute : Je ne prie pas seulement pour mes apôtres, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi par leur parole. Cette parole qui aura son extension dans l’éternité et qui porte avec soi le sceau de la charité infinie de Jésus-Christ se réalisera par la filiation de son apostolat, et par le bien qu’elle opérera à l’infini. Oui, ô divin Pontife, vous priez non-seulement pour ceux à qui vous conférez le sacerdoce ; mais pour tous ceux qui, par leurs paroles vivantes, croiront en vous ; et vous répétez l’effet de ces paroles pleines d’amour : Afin que tous soient un, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous. Qu’ils soient un en vous afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. Il faut que le monde entier arrive à la croyance de ma mission ; mais pour qu’il arrive à cette croyance, il faut que tous soient un comme vous, mon père, êtes en moi, et moi en vous.

Déjà, ô Sauveur adorable, vous nous montrez ce règne que vous devez établir, cette Église universelle que vous devez manifester. Vous donnerez à cette Église vivante par vous la lumière qui s’écoule du Père sur vous et déjà vous la donnez. Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donné, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Pour que leur consommation dans l’unité s’opère, moi je serai en eux et vous en moi.

Le monde ne croira plus à cette unité de lumière, mais cependant il connaîtra que vous m’avez envoyé, que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé. Cette connaissance ne sera-t-elle pas l’exécution de la condamnation du monde ? La suite de la prière de Jésus-Christ met cette vérité en évidence : Ô Père, je veux que ceux que vous m’avez donnés soient là où je suis, qu’ils y soient avec moi. Cette distinction de lieu désigne bien parfaitement qu’il y en aura un autre où l’on sera privé du bonheur dont jouiront ceux qui seront auprès de Jésus-Christ, et qui contempleront, ô Sauveur, la gloire que le Père vous a donnée, parce qu’il vous a aimés avant que le monde fût fait.

Mais le monde, Père juste, n’a pas connu que vous étiez juste, mais moi j’ai connu votre justice ; votre justice est votre volonté, je l’ai faite, et ceux-ci ont connu ma mission. Le sort fortuné de vos élus et celui qu’éprouvera le monde sera l’effet de votre justice.

Je leur ai fait connaître votre nom, et le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et moi en eux. On connaît votre nom en oubliant tout le reste. Dieu seul, Dieu seul et son amour. Cette connaissance de Dieu fait oublier la connaissance du monde, et fait pressentir son jugement.

Nous résumerons tout ce que nous avons pu recueillir de vérité soit dans ces quatre chapitres de l’Évangile selon saint Jean, soit dans tout ce que nous avons pu apercevoir et saisir dans les Divines Écritures. Tout est lié à la cause première, depuis l’intelligence la plus relevée jusqu’au dernier atome de poussière. Son esprit suit ses productions, soit qu’elles émanent immédiatement de lui, soit qu’il leur ordonne de sortir du néant pour comparaître et exister. Il reste indépendant de toutes ses œuvres.

Si elles se dégradent, elles sont privées de la liberté qu’elles avaient depuis leur existence de jouir de la vie qu’elles avaient reçue du Verbe. Alors elles sont enchaînées à des lois qu’elles ne peuvent briser, tant elles sont absolues, et qui restreignent leur existence sans la leur ôter. On conçoit que ce n’est que l’esprit qui peut les dégager de ces liens qui, de glorieux qu’ils étaient, deviennent successivement ténébreux, changeants, et même douloureux.

L’esprit ne peut concevoir et engendrer éternellement que l’esprit ; ainsi le Dieu infini voulant sortir de son repos éternel et se produire hors de lui-même, ses productions furent esprit, lumière, manifestant, suivant leur ordre, leur nombre et leur mesure, la gloire que leur communiquait la cause suprême de tout bien. Elle n’était pas à eux cette gloire, elle les ornait, les distinguait et les faisait vivre. Par hommage ils devaient la reverser dans celui de qui ils la tenaient, et comme cette gloire est infinie, elle se fut écoulée, et ils s’en seraient nourris jusqu’à ce qu’ils eussent été appelés dans le silence de l’éternité.

C’est ainsi que se sont ouverts les siècles, et c’est ainsi que les siècles des siècles se fermeront, lorsque l’heure sera venue, pour l’univers, que Dieu soit tout en tous 135.

Des générations entières osèrent s’approprier cette gloire, le mal commença, elles obstruèrent la communication, la confusion s’établit, l’obscurité se forma, la lumière s’éteignit, elles descendirent dans l’abîme qu’elles avaient creusé, et au lieu de la lumière dont elles jouissaient, le chaos fut leur partage.

Mais l’esprit divin, l’esprit de Providence qui suit son œuvre jusqu’au néant, veille sur cet abîme, il prépare des formes analogues aux intelligences et les y renferme 136. Cependant une faible lumière les accompagne encore pour fonder leur espérance de retrouver un jour leur fin ; si, soumis à celui qui doit les régir, ils subissent fidèlement l’épreuve par laquelle ils peuvent être dégagés de ces formes où le fiat du Verbe divin les appelle 137. Ils y entrent, et ils voient leur dominateur, l’homme, image de Dieu.

Puisque tous ces esprits étaient cachés dans des formes, il fallait que l’esprit qui devait les en dégager, pour les ramener à la spiritualité de leur degré, en eût aussi une pour se rendre sensible, leur parler leur langage, et les amener du sensible à l’instinct, de l’instinct à la raison, et de la raison à l’esprit. Il comparut en âme vivante ; la lumière divine, qui avait été soufflée sur lui, le mettait par cette lumière en communication entre le ciel et la terre ; par elle il commandait à la terre, par elle il devait obéir au ciel.

Esprit soumis, il eut fait rentrer dans leur demeure tout ce qui lui était donné, excepté l’esprit de perdition réservé au jugement porté contre son crime.

Esprit désobéissant, il se livre à cet esprit de perdition, la communication entre le ciel et la terre cesse, il ne peut plus commander ; les êtres se révoltent contre lui, car il retarde leur rentrée qu’il devait favoriser ; lui-même est enchaîné à leurs lois. En perdant sa lumière, il change de forme, en s’obscurcissant elle devient ténèbres. La corruption le poursuit partout, elle l’atteint et le tue ; il devient la pâture des vers, et l’esprit qu’il renfermait devient aussi l’esclave de la mort. Il ne peut s’élever à la lumière qui fut sa vie.

Ô hommes qui êtes abîmés dans la mort, qui êtes sa pâture, voilà votre partage.

Si la raison dont vous vous vantez ne peut même vous faire entrevoir ce terme, quoiqu’à chaque instant vous veniez vous briser contre lui, comment peut-elle vous instruire de la lumière divine qui n’a pas de terme, puisqu’elle est infinie ?

Mais, ô hommes, le même esprit qui veillait sur l’abîme du chaos, d’où il a retiré l’empire qu’il vous a confié, veille sur celui où vous vous êtes précipités, vous y êtes descendus avec une promesse de réparation, elle germera pour ceux qui la garderont, ils la verront même sous leur forme dégradée.

Ce n’est plus l’image de Dieu, c’est Dieu lui-même qui s’est enfermé dans la promesse. Le Verbe s’est fait chair pour l’accomplir. Ici la raison a ses bornes, et la mort n’a plus d’empire sur ceux que la Providence n’a cessé de protéger, qui sont à elle quoiqu’enchaînés, qui obéissent quand elle les meut, qui la croient quand elle parle, qui l’espèrent sans la voir, et l’aiment sans la connaître.

L’heure vient où cette Providence opère sur ces êtres. Elle les avait donnés à la miséricorde, la miséricorde les instruit par la vérité ; elle est sévère, la vérité, elle enseigne par les dépouillements, et ne se montre qu’à mesure qu’on les effectue ; elle ne se découvre qu’en montrant le tout de Dieu et le néant de la créature, alors elle l’appelle de la mort pour lui rendre la vie.

Voilà la vérité que Dieu, par son Christ, a révélée à la terre ; voilà la doctrine qu’il a laissée et qui sauve ceux qui la gardent ; voilà ce qu’il opère sur ceux qui croient cette doctrine. C’est le ferment, les institutions sont les moyens et l’arrosement, la Providence amènera l’heure favorable. Oui, Dieu, cet être infiniment bon, cet esprit éternel, de quelque manière qu’il agisse, pénètre tout ce qu’il a produit pour conduire son disciple à une félicité éternelle, qui est la fin suprême de son existence. Car il n’a voulu que le bonheur de ses créatures ; le mal qui s’est glissé en elles n’est pas de lui ; mais le mal s’est condamné, et Dieu seul a l’être essentiel, et le communique à celui qu’il veut faire rentrer en lui.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS VIII.

 

 

JÉSUS-CHRIST, PAR SON SACRIFICE, SE DONNE TOUT À NOUS, POUR QUE NOUS SOYONS TOUT À LUI.

 

 

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LE  temps marqué dans les décrets éternels et dans les prophètes étant arrivé, temps à jamais mémorable, où l’Homme-Dieu devait satisfaire pour nous à la justice souveraine, nous racheter par ses souffrances et par sa mort, et donner au ciel et à la terre l’exemple le plus frappant des plus divines vertus, Jésus-Christ, brûlant d’amour pour opérer l’œuvre de notre rédemption, dit à ses disciples que l’heure était venue pour la consommer. Mais quelle heure, quel moyen Dieu a-t-il choisi pour racheter l’homme et rétablir tout ce que le péché avait détruit ?

Je vois un supplice qui s’apprête, la croix se dresse, les bourreaux n’attendent que l’ordre pour exécuter le jugement, on le proclame, l’iniquité le dicte. Ô Père Céleste, c’est ce fils, l’unique objet de vos éternelles complaisances, qu’on va clouer sur cette croix ! Quoi, c’est là le chemin de la gloire que vous lui réservez ! Quoi, votre amour peut y consentir ! Oui, sur cette croix, pauvre raison humaine, sur cette croix, Jésus veut être immolé comme une victime pure et sans tache. De toute éternité ce genre extraordinaire de souffrances avait été pesé dans le conseil divin. Il y en avait d’autres sans doute ; mais celui-là a été adopté, et au lieu de la joie dont il jouissait, il a souffert la croix.

Ce fils adorable, ô Dieu infini, voulait aussi prouver qu’il était Dieu. Mais il était écrit à la tête du livre de sa génération éternelle, qu’il ferait votre volonté, et au feuillet de sa génération du temps, il était écrit qu’il serait obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix, c’est-à-dire, jusqu’à l’infamie de la mort. Enfin, il était dit qu’il apprendrait l’obéissance en souffrant ! Quelle leçon, ô Fils-Verbe ! Mais votre amour pour la gloire de votre père, votre amour pour vos œuvres, vous avait révélé de toute éternité l’extrême justice qui est due à Dieu ; or comme par vos mérites, il donne tout par amour, il veut aussi qu’on lui rende tout par amour. Vous avez vu, avant le temps, que les créatures pourraient violer cette loi, votre miséricorde a crié : Me voici ; et vous jouissiez en Dieu de la gloire de cette miséricorde, jusqu’à ce que l’heure de la manifester fût venue. Elle est venue, le péché s’est présenté à l’homme, et l’homme a voulu le péché. Ô Dieu ! que devint votre ouvrage ! à l’instant, la respiration de vie que vous aviez soufflé en lui se retire, et sa dégradation commence. Ce n’est plus qu’une poussière sur laquelle vous jetez un suaire. L’habit de peau dont vous le revêtez n’avertit que trop cet être coupable que cette frêle enveloppe ne le garantit pas de la mort cruelle ; le péché est sa proie, elle la saisit où elle la trouve ; or l’homme est devenu péché. Qui peut le délivrer de la mort si un Dieu ne le délivre ? Mais vous êtes Dieu et vous l’avez promis. Ô Fils-Verbe ! emploierez-vous la force et votre toute-puissance pour vaincre ce redoutable ennemi, et lui arracher sa proie ? Non, l’amour seul sera mon moyen auprès de mon père et auprès de vous. Ô hommes ! vous êtes à moi par droit de création, mais pécheurs comme vous êtes, vous ne pouvez rentrer dans mon père, il faut que le péché vous quitte par l’effet d’une réparation qui produise des fruits plus abondants que la création. Pour que le péché vous quitte, il faut que vous soyez forcés d’avouer que son énormité est telle que, par amour, vous me suppliiez d’étendre sur vous le mérite de cette réparation, et par amour pour vous, j’exaucerai cette prière, puisqu’après votre crime, je vous ai conservé une vie créaturale, susceptible d’être transmise. Vous me devez bien, à la vérité, tout votre amour et votre reconnaissance pour le bienfait de l’existence que vous tenez de moi, mais vous ne connaissez pas encore la justice et la miséricorde divine ; c’est ce double nom et attribut divin qui vous apprendront qu’à ces titres, vous me devez tout votre amour, pour que je puisse vous faire rentrer avec moi dans le Père.

Eh bien ! ô hommes ! contemplons ce mystère de réparation, dont l’éternité des éternités ne peut épuiser les profondeurs, reconnaissons l’agneau, l’agneau aussi infini en obéissance que le Père est infini en volonté. Cet agneau sans tache et sans péché est descendu, mais dans une chair sans péché ; l’Esprit Saint l’avait préparée et la profondeur du néant de Marie appelait la plénitude divine ; le Verbe est fait chair. Dans cette chair abaissée et soumise, ô Père éternel, il vous a glorifié sur la terre, il a achevé l’œuvre que vous lui avez donnée à faire ; il a répandu votre parole, fondé votre doctrine, établi le culte, institué tous les moyens, puisqu’il va instituer les sacrements par lesquels vous écoulez vos grâces. Encore une œuvre, ô mon Dieu ! Il va faire son testament, permettez qu’il le scelle ; la mort va faire des essais sur lui en Gethsémané, mais comment pourrait-elle l’atteindre ? Il est tellement sans le péché qui est son amorce, qu’elle n’a nulle prise sur lui ; permettez qu’il se charge de toutes les iniquités passées et futures ; et comme vous êtes trop pur pour exercer, par vous-même, des vengeances, la mort fera votre œuvre ; en voulant dévorer la chair, elle engloutira les péchés, mais la chair brisée révélera la vie éternelle, la vie qu’a le Père en son fils, la seule vie qui puisse s’écouler en Dieu, et qui y recoule de toute éternité, la vie enfin, que l’homme avait perdue ; or en sacrifiant cette vie par justice, le fils de Dieu a acquis le droit de faire miséricorde, puisque Dieu voit l’homme sans péché, tel qu’il l’avait tracé dans son fils avant que le monde fût.

Ô hommes de bonne volonté ! quelle aide pour votre foi ! quelle confiance en celui que le Père a envoyé ! En contemplant ce mystère, vous verrez l’agneau vivant s’élancer, par le chemin de la croix, dans le sein de l’inconnu qu’il connaît, et que nul ne connaît que celui à qui il l’a révélé 138. Pourrez-vous douter que vous n’ayez une victime éternellement vivante, et un sacrificateur toujours vivant ? Une victime d’un mérite tellement infini qu’elle appliquera sans cesse ce mérite sur tous les sacrifices auxquels vous consentirez pour parvenir à la fin que vous connaissez, puisque vous connaissez que le fils a la vie et peut vous la donner. Un sacrificateur qui, ayant rompu les barrières, prendra pitié des faiblesses qui s’opposent à l’écoulement de la vie ; il a voulu les éprouver, ces faiblesses, pour émousser leurs pointes ; et maintenant victorieux, il va vous attendre à la barrière pour vous aider à la franchir.

Si le cœur oppressé gémit du moyen auquel le Fils va consentir pour obtenir ce droit de faire grâce, cette condition nous montre l’énormité du péché, puisqu’il a fallu une telle rançon pour abolir la cédule de condamnation 139, et l’esprit s’enfonce dans la profondeur d’un si grand mystère dans lequel l’amour lui découvre l’éternelle alliance de la justice et de la miséricorde.

Oui, ô Père éternel ! le rédempteur adorable allait vous sacrifier la chair sur laquelle vous lui avez donné pouvoir ; il s’en est revêtu, pour que vous puissiez épuiser sur elle votre juste vengeance contre le péché. Le péché avait osé contredire à la justice de vos commandements, et il a enchaîné, dans la chair, l’homme de péché. Anéantissez dans la chair le péché, et la mort n’aura plus d’empire sur votre ouvrage.

Cieux et terre, soyez témoins du mémorable combat qui va se livrer entrer la vie et la mort. La mort fait son œuvre sur la chair, et la déchire, pour enchaîner l’esprit qu’elle renferme ; mais le péché, qui est l’aiguillon de la mort, est trop faible pour avoir prise sur l’esprit uni au Verbe. Ô mort, où est ta victoire, où est le péché ! Tu es forcée de comparaître confuse et vaincue devant l’Esprit-Dieu, éternellement fils de Dieu, en qui il écoule sa vie. II t’arrache tous ceux que son père lui a donnés pour leur communiquer la vie qu’il a remportée en triomphe.

Ah ! que le cœur de Jésus-Christ qui désirait si ardemment le salut de tous les hommes devait être accablé et brisé, en pensant à la perte de ce monstre qu’il ne pouvait arracher à la gueule du lion rugissant et qui était occupé de l’horrible pensée de trahir son maître.

C’est ce méchant qui attrista si profondément l’âme de notre adorable Sauveur, lorsque mangeant l’agneau pascal avec ses chers disciples, il prononça ces paroles arrachées par la douleur la plus profonde : Le fils de l’homme s’en va être trahi comme il est écrit de lui dans les prophètes ; mais malheur à cet homme, il eût mieux valu qu’il ne fut jamais né.

N’arrêtons pas nos regards sur ce sujet désolant, tournons-les plutôt sur notre divin Pontife, et qu’il occupe exclusivement toutes nos pensées.

Jésus-Christ, avant de mourir, veut faire son testament, et laisser à son Église un gage éternel de sa charité. Mais pour comprendre le sens de ses dernières volontés, reportons-nous à cet instant mémorable et écoutons le disciple bien-aimé lorsqu’il parle du mystère d’amour, comme l’amour le lui inspire. Il savait, dit-il, en parlant de Jésus-Christ, que son heure était venue de passer de ce monde à son père ; et comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin ; c’est-à-dire, il leur fit le plus grand don qu’il pouvait leur faire, puisqu’il leur laissa un testament qu’il voulut sceller de son sang. Quelle plus grande preuve d’amour, Ô Jésus, que de vous donner vous-même à nous pour nourriture ! Je suis, dites-vous, le pain de vie qui suis descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde.

Voyons en peu de mots ce qui s’est passé dans l’institution de ce sacrement d’amour qui renferme en soi le trésor de toutes les grâces.

Après que les disciples eurent tout préparé pour célébrer la manducation de l’agneau pascal, ce divin Sauveur leur dit : J’ai désiré ardemment de manger avec vous cet agneau de pâque avant que je souffre ; car je vous dis que je n’en mangerai plus jusqu’à ce qu’il soit accompli dans le royaume de Dieu 140. La figure va cesser, et la réalité va être substituée dans son Église.

Après la manducation de l’agneau pascal, Jésus voulut donner aux siens, qu’il avait toujours aimés, un témoignage des plus sensibles de son amour, et le gage le plus précieux de sa tendresse : Et sachant que le Père lui avait donné toute puissance, qu’il était venu de Dieu, et s’en allait à Dieu, il voulut se servir de ce pouvoir pour instituer, en faveur de ses élus, le sacrement le plus merveilleux, le plus salutaire, le plus auguste qu’il put jamais y avoir.

Mais d’abord, pour nous apprendre d’une manière également sensible et touchante qu’afin d’y participer comme il faut, l’humilité de l’esprit et la pureté du cœur sont essentiellement nécessaires, il commence par nous donner l’exemple le plus frappant de l’une, et par nous montrer le symbole le plus naturel de l’autre. Il se lève de table et se met dans l’état d’un serviteur qui va servir ses maîtres ; il quitte sa robe, se ceint d’un linge, verse de l’eau dans un bassin, et commence à leur laver les pieds, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Simon Pierre, étonné et confus que son maître vienne lui rendre un office aussi bas, s’écrie : Quoi, Seigneur, vous me laveriez les pieds ! Jésus lui répond : Vous ne comprenez pas maintenant ce que je fais, mais vous le comprendrez dans la suite 141. Jamais, réplique Pierre, vous ne me laverez les pieds. Jésus insiste, disant : Si je ne vous lave, vous n’aurez point de part avec moi 142. Simon Pierre lui dit : Seigneur, non-seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête. Jésus lui dit : Celui qui est lavé n’a besoin sinon qu’on lui lave les pieds, et alors il est tout net ; or vous êtes nets, mais non pas tous. Vous êtes déjà nets par l’effet de la parole que je vous ai enseignée ; Jésus-Christ venait de le leur dire, à l’exception de Judas, tous avaient déjà reçu cet encouragement : Vous êtes déjà nets. Cependant ils avaient encore un si pressant besoin d’une purification plus radicale, que le Seigneur avait déjà dit à saint Pierre qui s’y refusait : Si je ne vous lave, vous n’aurez point de part avec moi.

Quand il eut donné, à chacun de ses apôtres, l’exemple de l’humilité la plus profonde, il reprend sa robe, se remet à table avec eux, et leur adresse ce discours : Comprenez-vous bien ce que je viens de faire à votre égard ? Vous m’appelez maître et Seigneur, et vous avez raison, je le suis en effet. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; vous ne devez vous faire aucune difficulté de vous rendre mutuellement les offices les plus humbles et les plus bas. Je vous ai donné l’exemple, afin que ce que j’ai fait envers vous, vous le fassiez à l’égard les uns des autres. En vérité, en vérité je vous dis : le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni le disciple plus grand que celui qui l’a envoyé. Si vous comprenez bien ces vérités et que vous les pratiquiez, vous serez heureux sur la terre, et vous serez éternellement avec moi dans les demeures que je vais vous préparer.

Après ce discours, ce divin Sauveur opère, aux yeux de ses apôtres, un des prodiges où paraît le plus son amour infini pour les hommes. Il prend du pain, et le tenant dans ses mains adorables, il lève les yeux au ciel, et après avoir rendu des actions de grâces à Dieu son père, il le rompit, et le donna à ses disciples, et leur dit : prenez mangez, ceci est mon corps. Puis ayant pris la coupe et béni Dieu, il la leur donna en leur disant : buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui est répandu pour plusieurs, en rémission des péchés 143.

C’est sur du pain et du vin que ces étonnantes paroles sont prononcées, mais pour que j’y croie, qui est-ce qui les prononce ? C’est celui sur qui l’esprit s’est visiblement reposé, c’est celui pour qui s’est fait entendre cette voix du ciel : C’est ici mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma confiance, écoutez-le 144 ; c’est celui qui ne fait rien de lui-même qu’il n’ait vu faire au Père ; or comme le Père a pardonné à la nature humaine, en faveur du Verbe fait chair, pour que justice soit faite sur cette chair, de même, Jésus-Christ veut confirmer le pardon du Père, en laissant aux hommes, par un testament qu’il scelle de son sang, la condition sous laquelle il veut consentir au pardon ; et cette condition, c’est la justice divine, satisfaite par ses mérites.

D’après cela, il fallait qu’il pût y avoir application réelle de cette chair et de ce sang divin qu’il allait sacrifier par sa mort à la croix.

L’heure est venue, le conseil divin est d’accord, il y unit son consentement ; l’amour pousse la parole, et le Verbe humanisé prononce : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Tout paraît et tout disparaît à ma parole, les cieux se roulent et se déploient ; c’est par l’effet de cette parole que je me cache sous le pain et sous le vin, comme je me suis réellement anéanti dans la nature humaine, que j’ai par cela même changée, transmuée et divinisée. Par l’effet de ma divinité, et sous le voile du mystère, je m’y imprime donc, et comme perpétuité, et comme mémoire du sacrifice sanglant qui va s’opérer. Mes paroles sont créatrices et puissantes ; elles sont indivisibles, elles sont esprit et vie 145. Mais la révélation du sens profond qu’elles renferment ne se donne que par le même esprit qui me les a fait prononcer : je vous l’enverrai cet esprit ; ce consolateur viendra ; croyez seulement, et l’esprit vous les fera comprendre. C’est sur le pain que je dis : Ceci est mon corps, c’est sur le vin que je dis : Ceci est mon sang. Je vous dis de manger ce corps, de boire ce sang. Je veux parcourir en vous, sous ce véhicule, tous les principes qui vous constituent, me réimprimer dans votre être, afin de pouvoir vous consommer en moi, et vous faire participer à mon unité qui contient tous les modes d’êtres. Je renferme en moi-même tout ce que l’on peut supposer de beauté, de bonté, de stabilité, de force. Ne suis-je pas le principe de toute vie et de tout mouvement ? Comme je vous aime jusqu’à la fin, avant que de verser mon sang pour vous sur la croix, je veux vous rendre possesseurs et distributeurs de toutes les grâces que ma charité vous destine : car je suis le pain de vie. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour 146.

Comme étant le peuple élu, je vous constitue le droit d’exercer la sacrificature royale. Ma parole est en vous par l’effet de votre acceptation. Toutes les fois que vous la prononcerez, prononcez-la en mémoire de moi. Je vous en donne la mission expresse. Ma parole est comme moi, divine, efficace, éternelle et commémorative. En vérité, en vérité je vous dis que celui qui croit en moi et qui mange ce pain vivra éternellement 147 ; car ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est un véritable breuvage 148.

Oui ceci est le sang du nouveau testament. Le sang de l’ancien était le sang des victimes ordinaires ; la loi ordonnait qu’il fût répandu comme figure de celui que je vais répandre pour vous et pour plusieurs, c’est-à-dire, pour ceux qui l’acceptent et l’accepteront comme gage de cette alliance authentique que je forme pour vous et pour cette multitude. Comme je l’ai promis, je me substitue aux victimes ; j’abroge toutes les figures, voici la réalité. Si je ne mourrais pas, après ce don, ce serait une preuve que mon testament n’aurait aucune validité. La certitude de ma mort va assurer la certitude du testament, ainsi je vous laisse dans ce pain et dans ce vin la chair et le sang divinisé, qui est le témoignage de la justice que je vais rendre à mon père. Je vous couvrirai de cette justice et en ferai l’application sur vous, pour que vous puissiez avoir part au pardon accordé à la chair et au sang dont je me suis revêtu pour que justice se fasse sur elle. Les mérites de mon sacrifice justifieront les vôtres ; l’insertion de cette justice s’opérera par la manducation et le breuvage que je cache ici pour vous et pour plusieurs ; ainsi prenez, mangez et buvez, puisque si vous mangez la chair du fils de l’homme et buvez son sang, vous aurez la vie en vous-même 149. Je me communiquerai à vous par ma parole divine, infinie, impérissable. Car celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui 150.

Ô Disciple de l’amour, vous ne trouvez pas trop dure la doctrine de votre divin maître sur la manducation de son corps. Vous comprenez que sa chair et son sang doivent servir de nourriture et de breuvage, et à vous et à tous ceux qui doivent y croire. Ainsi, pour tous ceux qui ont une âme et un cœur, votre témoignage imprime quelque chose d’irrésistible qui confirme cette doctrine que vous aviez si bien comprise. Vous aviez, comme Saint Pierre, trop faim de cette nourriture céleste et trop soif de ce breuvage divin pour ne pas être consumé d’amour, quand vous entendîtes ces paroles : Je suis le pain vivifiant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde 151.

La voilà, cette parole de la vie éternelle, la voilà, c’est le fils de Dieu qui la prononce. Elle nous dévoile la profondeur du mystère ; la sublimité de la doctrine s’évanouit en quelque sorte, pour ne nous en laisser apercevoir que la réalité. Devant elle, vous vîtes disparaître les figures et les ombres, et la manne du désert, et la multiplication des pains ; tout s’éteignit devant cette parole : Ceci est mon corps, ceci est mon sang.

Ô ferment céleste, source intarissable ! vous jaillissez jusques dans l’éternité, ô parole toujours efficace et opérante, votre hauteur et votre profondeur ne connaît aucune borne ; tout est dit en ce mot : elle est divine.

Récitez-nous tout ce que vous faites dans l’âme qui vous reçoit. Vous y devenez le principe de sa vie, de ses mouvements et de ses désirs ; vous vous communiquez à toutes ses puissances, et vous lui appliquez vos mérites d’une manière véritable, pour la faire ressusciter en une vie nouvelle. Tous vos élus participent à la consommation de votre sacrifice, comme l’univers participe aux effets de votre toute-puissance. Au-dedans de l’âme, que ne produisez-vous pas ? Longtemps vous êtes le moyen et la voie de la brebis égarée et perdue ; vous en devenez le pasteur, vous la guérissez, vous bandez ses plaies, vous devenez pour elle vérité, vous la disposez à la réparation finale. Mais avant de la renouveler, comme l’aigle 152, vous exercez sur elle votre sacerdoce éternel. Vous immolez la victime soumise, puis, pour devenir sa vie, vous transformez tout son être. Nos misères, nos manquements, nos résistances, nos ingratitudes, nos iniquités, ne vous empêchent pas de nous crier : Prenez, mangez et buvez ; et cette viande, et ce breuvage, gardent notre âme, et nous conduisent à la vie éternelle.

Il est un temps où ce breuvage et cette nourriture peuvent être pour l’homme un état habituel de subsistance. Saint Paul le connaissait, cet état, quand il disait : Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi 153. Non-seulement Jésus-Christ y était pour les autres comme directeur, mais il y était encore le principe de la vie de saint Paul, et sa nourriture essentielle. Ô communion intime et perpétuelle, ô nourriture de source et sans qu’il y ait aucun moyen sensible et aperçu que vous êtes au-delà de tout nom, de toute expression, de toute connaissance ! Ô état que ma foi salue de loin par les effets que j’éprouve dans la communion à laquelle, ô Dieu, vous nous conviez par ces paroles, acceptez et mangez, acceptez et buvez. Oh ! oui j’accepte ce présent ineffable, que vous avez fait à vos apôtres, et pour eux, et pour nous le transmettre, qu’il produise en moi tout ce qu’il peut produire, et qu’il m’introduise à la communion sans moyen qui dépend de vous seul, ô Dieu.

Oui, ô Sauveur adorable, j’accepte ce que votre générosité, qui n’a nulle borne qu’elle-même, a dans l’intention de nous donner. Toujours je recevrai de votre charité, non selon la faiblesse de ma foi, mais selon les richesses immenses de votre amour, tout ce dont vous voulez gratifier votre pauvre créature qui désire vous posséder, qui a soif de vous, comme le cerf altéré désire les eaux courantes 154.

Eh quoi ! ô mon Dieu ! vous qui vous êtes sacrifié pour nous, qui avez tout souffert pour nous, vous qui vous êtes tout donné à nous, avec tous les immenses trésors de vos richesses, de vos dons et de vos grâces ; ah ! comment n’admirerions-nous pas, n’aimerions-nous pas cette charité infinie, qui vous a porté à vous anéantir et à prendre la forme de serviteur pour de vils atomes ? Ah ! comment ne vous admirerions-nous pas dans tous les états dans lesquels il a plu vous montrer à vos faibles créatures ! Pourrions-nous encore douter de votre amour ! pourrions-nous craindre que vous ne voulussiez pas perfectionner l’œuvre de notre régénération. Non, non, vous étant donné vous-même tout à nous, vous nous donnerez la foi, l’espérance et l’amour, ainsi que toutes les dispositions qui peuvent nous rendre participants de ce don ineffable !

Oui vous achèverez, vous consommerez votre propre œuvre ; donnez-nous seulement d’être fidèles à la motion de votre esprit, fidèles à la prière du cœur, fidèles à la croix et à l’abnégation intérieure. Vous, ô mon Dieu, qui avez dit que vos délices étaient d’être avec les enfants des hommes ; vous qui faites tout, dans le ciel, sur la terre, vous ne renouvelleriez pas votre enfant qui crie sans cesse à vous que votre règne arrive. Ah ! venez, ô Jésus ! prenez possession de nos cœurs, que nous soyons tout à vous, que nous ne vivions ici-bas que pour vous, jusqu’à ce qu’il vous plaise de nous recevoir, de nous béatifier dans les demeures éternelles.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS IX.

 

 

LA VICTOIRE DE LA VIE SUR LA MORT NOUS EST ASSURÉE PAR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST 155.

 

 

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APRÈS  que Jésus-Christ eut consommé son sacrifice sur la croix, qu’il eut choisi ses apôtres et qu’il les eut chargés de prêcher la divine doctrine qu’il avait apportée du ciel, ces hommes extraordinaires, après avoir reçu le Saint-Esprit, se répandirent sur toute la terre pour annoncer l’Évangile.

Cependant il était dans le plan, et dans le bon plaisir de Dieu, que ce fût en Judée que fut d’abord prêchée la doctrine de la rédemption, puisque c’était là où Jésus-Christ avait voulu opérer les mystères de sa nativité, où il avait prêché, où il avait institué les divins sacrements, où il était mort, où il était ressuscité, et enfin d’où il avait fait son ascension glorieuse. C’est dans cette partie du monde à jamais remarquable que les premiers disciples du Rédempteur des hommes proclamèrent la doctrine de la croix, pour la gloire de Dieu notre Père, et pour notre salut.

Mais les Juifs ayant repoussé ce salut qui leur avait été offert, les disciples de Jésus, conduits par le Saint-Esprit, reçurent la mission de porter chez les Gentils la lumière resplendissante de l’Évangile. Jamais il ne fut d’époque si mémorable que celle où une douzaine de pêcheurs ignorants opérèrent par leurs discours un changement aussi extraordinaire, malgré les obstacles innombrables contre lesquels ils avaient sans cesse à lutter.

Il était conforme à l’équité et à la sagesse insondable de Dieu qu’après que les Juifs eurent rejeté la parole de la croix, elle fût offerte aux nations qui jusqu’alors avaient été plongées dans les plus profondes ténèbres.

Si pour un temps, Israël ne devait plus paraîtrele peuple de Dieu ; si là où n’était pas son peuple, le Seigneur voulait avoir des enfants bien-aimés ; si enfin la vocation des Gentils et l’appel de toutes les nations à sa grande miséricorde étaient l’objet de si grands et si profonds mystères, il était digne de la puissance et de la gloire de l’Éternel de montrer cette Religion si sainte et si grande au centre de la gentilité, de cimenter par le sang des martyrs et des témoins de la foi les fondements de cette Église qui est universelle et que Jésus-Christ a enfantée sur la croix ; fondements inébranlables, qui faisaient écrouler les autels des dieux des nations et leurs idoles qui représentaient l’esprit des ténèbres qui les avait élevés. Qu’elle était puissante cette parole qui opéra de si étranges merveilles et devant laquelle l’esprit d’erreur était contraint de s’enfuir. Combien elle était armée de force cette Église naissante qui s’agrandissait aux yeux des hommes en proportion des obstacles qui s’élevaient et que la puissance de l’Éternel faisait disparaître.

Entre les apôtres qui travaillèrent le plus à rendre victorieux l’Évangile parmi les Gentils et à fonder des Églises, saint Paul, ce vase d’élection, en fut un des plus considérables. Partout où il porta la parole de vie, elle fut reçue avec joie, et partout elle répandit l’excellente odeur de Jésus-Christ.

La ville de Corinthe fut particulièrement favorisée. Saint Paul affectionna surtout cette Église, à cause de sa foi, de son zèle et de son empressement à recevoir l’Évangile. Mais après leur avoir expliqué le mystère de Dieu, et tous les secrets de la vie chrétienne, il se leva parmi eux des adversaires. Saint Paul, toujours animé de la force divine, s’élève contre ces hommes qui, entraînés par l’esprit d’erreur, rejetaient la vérité, et entr’autres la doctrine de la résurrection. C’est ce qui l’engagea à prouver cette doctrine par la résurrection de Jésus-Christ, et par les arguments les plus invincibles.

Après leur avoir enseigné tout ce qui regarde les fondements de la Religion que Jésus-Christ avait apportés sur la terre par son Évangile ; il fait, dans le chapitre quinzième de sa première Épître, la recension de tout ce qu’il avait enseigné aux Corinthiens : À moins, leur dit-il, que vous n’ayez cru en vain ; comme vous avez reçu et que vous tenez fortement à l’Évangile que je vous ai annoncé ; vous êtes sauvés par cet Évangile, si vous retenez de quelle manière je vous l’ai enseigné ou annoncé.

Mais comment auraient-ils cru en vain ? Ils savaient que l’Évangile qui leur avait été annoncé par saint Paul n’était pas selon l’homme ; ils savaient que saint Paul ne l’avait point appris ni reçu d’aucun homme ; qu’il avait été instruit directement par la révélation de Jésus-Christ ; ainsi en retenant bien ces choses, et par conséquent la manière divine dont l’Évangile leur avait été annoncé, il s’ensuivait que leur croyance ne pouvait être vaine et sans fruits, puisqu’elle avait été l’effet de la motion divine, et qu’il n’y avait rien eu d’humain dans cette annonce. C’est pourquoi ils tenaient fortement à l’Évangile, parce qu’ils étaient intimement persuadés que c’était une parole divine, vivante et opérante dans l’âme du fidèle. C’est ainsi qu’ils étaient sauvés par la foi et la confiance en la miséricorde de Dieu.

Car avant toutes choses, que vous ai-je annoncé, dit saint Paul, ce que j’avais moi-même appris, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures. Ainsi la foi des Corinthiens était posée sur le bon fondement, la grandeur et l’efficacité des mérites de Jésus-Christ et sur la reconnaissance que devait exciter dans leur cœur ce sacrifice annoncé d’avance dans les saintes Écritures.

Le prophète Ésaïe avait déjà dit de lui qu’il a porté nos langueurs, qu’il s’est chargé de nos douleurs, qu’il a été navré pour nos forfaits, froissé pour nos iniquités ; que l’amende qui nous a apporté la paix a été sur lui, et que par sa meurtrissure nous avons la guérison 156.

Daniel 157 avait aussi déterminé l’époque précise où l’infidélité devait être abolie, le péché consommé, la propitiation faite pour l’iniquité, afin d’amener la justice des siècles, pour mettre le sceau à la vision et à la prophétie, et pour oindre le saint des saints.

Mais si Jésus-Christ est mort, il n’est pas moins certain, dit saint Paul, qu’il a été enseveli et est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. David avait dit : Vous n’abandonnerez pas l’âme du juste dans le sépulcre et vous ne permettrez pas que votre bien-aimé sente la corruption 158.

Ésaïe dit encore à ce sujet : Il a été enlevé de la force de l’angoisse pour le forfait de son peuple, mais qui racontera sa durée ? Après son sacrifice, il se verra de la postérité, et le bon plaisir de l’Éternel prospérera en sa main 159.

Il était bien essentiel que la réalité de la mort fût constatée par la sépulture, pour que la résurrection fût un argument irrésistible de la puissance de Dieu sur la mort ; aussi saint Paul raconte les différentes manifestations qu’il y a eu de Jésus-Christ après sa résurrection : Il a été vu de Pierre, et ensuite des douze ; il a été vu de plus de cinq cents frères, en une fois, dont plusieurs sont encore vivants, et quelques-uns sont morts ; il a été vu de Jaques, et puis de tous les autres apôtres, et après tous, il a été vu de moi comme d’un avorton.

Ainsi les témoignages historiques de la mort, de l’ensevelissement et de la résurrection de Jésus-Christ sont si unanimes, que la foi même la plus faible ne semblerait pas pouvoir être attaquée sur ce fond de doctrine. Cette foule de témoignages a dû le porter jusqu’à la démonstration et à l’évidence.

Cependant, dès les premiers temps de l’Église, la raison humaine s’éleva contre ce dogme ; nous allons voir saint Paul combattre cette erreur avec cette autorité à laquelle rien ne résiste : Je suis le moindre des apôtres ; je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. D’abord, il ne désavoue pas ses torts, il les confesse ; mais il ne veut pas que la parole solennelle qu’il va porter puisse être infirmée à cause de sa faute. Et plus il s’humilie, plus il va relever la force de la grâce qu’il a reçue par la miséricorde de Dieu. Je suis ce que je suis, et cette grâce envers moi n’a pas été vaine ; car si je suis le moindre des apôtres, j’ai travaillé plus que tous ; mais ce qu’il y a bien à remarquer, c’est la suite de la phrase : Ce n’est pas moi qui ai travaillé, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. Saint Paul s’éclipse pour ne laisser apercevoir que la grâce de Dieu, cela est admirable, d’une profonde instruction et d’un grand exemple.

C’est après avoir bien établi le principe qu’il ne travaille que par la grâce de Dieu, et conséquemment qu’il ne parle que par la force de la motion divine, qu’il dit : Soit donc moi, soit les apôtres, nous prêchons ainsi, par la grâce de Dieu, et vous l’avez cru. Nous prêchons Jésus-Christ mort pour nos péchés, Jésus-Christ enseveli, Jésus-Christ ressuscité des morts. Or si nous prêchons que Jésus-Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns disent-ils qu’il n’y a point de résurrection des morts ? Car s’il n’y a point de résurrection des morts, Christ aussi n’est point ressuscité. Et si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, notre foi est vaine, nous sommes de faux témoins de la part de Dieu, car nous avons rendu témoignage de la part de Dieu qu’il a ressuscité Jésus-Christ. Il est donc aussi certain que Jésus-Christ est mort qu’il est certain qu’il est ressuscité, sans quoi votre confiance est vaine et vous êtes encore dans vos péchés ; les Écritures sont fausses, car Daniel a dit : Ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront 160.

Ainsi, s’il n’y a point de résurrection des morts, les patriarches, les prophètes qui ont vu et salué de loin la venue de Jésus-Christ, et qui se sont endormis dans la foi des promesses qu’ils détruiraient la mort sont perdus pour jamais. Ah ! que nous sommes misérables si nous n’avons d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie seulement ! Quoi ! pour une vie qui passe si rapidement, qui est quelquefois si malheureuse, si entourée d’infirmités, si mélangée d’amertumes, que le moindre souffle détruit ou emporte, oh ! non, non, le Christ est ressuscité des morts, et il a été fait les prémices de ceux qui dorment ; ainsi la résurrection des morts est aussi certaine que la résurrection de Jésus-Christ.

Que Jésus-Christ ait été les prémices de ceux qui dorment 161, c’est ce que saint Paul avait déjà établi : Il fallait que le Christ souffrît, qu’il fût le premier des ressuscités pour porter la lumière aux peuples et aux Gentils. Ce qui est dit là dans les Actes des Apôtres, Jésus-Christ l’avait dit lorsqu’il apparut aux disciples près le bourg d’Emmaüs 162. Effectivement, pouvait-il porter une lumière plus éclatante que de justifier tout ce qu’il avait promis ; non-seulement en ressuscitant, mais en s’élevant aux cieux devant la multitude, ce que les autres ressuscités n’avaient pas fait. Et ne croyons pas que cette vérité que Jésus-Christ est les prémices soit en contradiction avec la vérité des résurrections qui avaient été déjà opérées, d’abord par Élisée et ensuite par Jésus-Christ, sur la fille de Jaïrus et sur Lazare, pour figurer la résurrection du Rédempteur. La vie naturelle fut rappelée dans des corps encore sujets à la mort, mais dans la résurrection de Jésus-Christ, ce n’est pas seulement la vie physique qui reparaît, c’est la vie par essence qui s’enveloppe dans un corps non plus sujet à la mort, mais dans un corps qui, à quelques jours de là, devait manifester la gloire de renfermer une vie dont la force était telle qu’elle élevait au ciel ce corps glorifié. Où était alors l’empire de la mort ? Il se trouvait détruit par la puissance de Dieu, et Dieu montrait en son fils les prémices de la miséricorde qu’il faisait aux hommes, en faveur du sacrifice auquel il s’était soumis, pour que Dieu pût démontrer par sa résurrection et son ascension la gloire de sa justice infinie satisfaite, et de sa puissance sans bornes. C’est ainsi que la mort même restait sans force à cause de l’obéissance parfaite qui avait déterminé un sacrifice d’une valeur infinie.

Comme par la désobéissance d’un seul la mort avait régné, par l’obéissance d’un seul, la résurrection des morts et la glorification devaient manifester qu’il était le pleige de la création, l’agneau immolé dès la fondation des siècles, et le seul qui pût procurer à Dieu la plénitude de la gloire extérieure qui lui aurait été ravie par la chute de l’homme si Jésus-Christ ne l’avait réparée.

Mais revenons sur ce passage, car puisque la mort est par un seul homme, la résurrection est par un seul homme, car comme tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ. Nous nous enorgueillissons de la vie, nous que l’on nomme vivants parce que cette petite portion de matière se transporte, agit, profère des sons, parce qu’elle a la faculté de se reproduire, que quelquefois la rapidité de ses mouvements est si grande qu’ils attirent, entraînent et dominent d’autres molécules plus faibles ; et l’on admire cette puissance. Mais qu’est-ce que toute cette matière ? Un suaire, un cercueil qui s’est transmis du premier homme jusqu’à nos parents desquels nous les tenons comme le seul héritage qu’ils puissent nous laisser : car la mort est par un seul homme et tous meurent en Adam.

Ce n’est donc pas cette vie apparente qui est la vie réelle. Cette vie apparente n’est au contraire que la mort réelle qui est entrée dans le monde par un seul homme, et c’est notre seul partage si nous ne sommes pas vivifiés par celui qui seul a la vie en lui-même. Or la résurrection nous a manifesté le seul et l’unique auquel ce don ait été fait ; la preuve qu’il avait la vie en lui-même, c’est qu’il ressuscitait quoiqu’il fût mort ; ainsi la résurrection procède de lui seul, comme la mort vient d’Adam seul. L’on ne peut être vivifié que par Jésus Christ, comme l’on ne peut recevoir de la chair et du sang que la corruption et la mort ; mais pour recevoir cette vivification de Jésus-Christ, il faut mourir au péché et à tout ce qu’il a produit ; si vous ne renaissez de nouveau, vous n’aurez point de part avec moi.

Pour manifester cette vie imperdable, Jésus-Christ a montré qu’il abandonnait la vie empruntée qui cachait sa vie réelle et qu’il la laissait sacrifier. Alors il a mis en évidence, par sa résurrection, la vie qui ne se perd pas, la vie qui survit à la matière, puisque celle-ci se meut quelques instants pour avoir le bruit de vivre, la vie enfin qui veut rester seule et qui détruit toutes celles qui lui sont opposées.

Mais comment cette vie se communique-t-elle ? Les opérations humaines sont impuissantes, il est vrai, mais la vraie foi attire l’action de l’esprit de grâce, et l’amour divin manifeste cette œuvre miséricordieuse.

Le texte de saint Paul indique l’ordre dans lequel chacun rentrera. Voici comment il s’exprime : Car comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Jésus-Christ, et chacun en son rang. Jésus-Christ est le premier des êtres, puis ceux qui sont à lui seront vivifiés à son avènement, et après viendra la fin, quand il aura remis le royaume à Dieu le Père et quand il aura aboli tout empire, toute puissance et toute force ; car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, l’ennemi qui sera le dernier détruit, c’est la mort. Il n’est pas possible d’annoncer en si peu de mots d’aussi prodigieux évènements.

Tout meurt, il est vrai, dans ce monde, mais tout revit, et si le Créateur de toutes choses s’est uni hypostatiquement à la nature de l’homme pour le réintégrer en lui, il était nécessaire que, le premier, il montrât son empire sur la mort, qu’il s’élançât de ses liens et la soumît jusqu’au temps où il lui plaira qu’elle ne soit plus à jamais.

St Paul indique que cette gloire finale était réservée à celui qui était la splendeur de la gloire interne du TOUTDIVIN. En effet, le Créateur de ses œuvres devait lui restituer à la fin l’intégrité de cette gloire, en y faisant rentrer et lui-même et tous les êtres de vie éternelle qui en ont été émanés, conçus et créés ; car rien de Dieu ne peut se perdre. Il est juste aussi que ceux qui, par la sagesse divine, ont été prédestinés dans leur mesure à être conformes à son fils unique 163, que Jésus-Christ a revêtus de ses mérites, à qui il a arraché la robe d’iniquité pour les couvrir du manteau de sa justice, qui ont cru à son pouvoir efficace et à sa force, qui ont rendu témoignage à la vérité, qui ont partagé ses ignominies, qui ont manifesté sa patience, les états et les vertus dont il a été l’exemple et le modèle, il est juste, dis-je, que ces êtres précèdent ceux qui n’ont point éprouvé les mêmes fatigues, essuyé les mêmes combats, qui n’ont pas été enfin les porte-étendards à la bataille.

Ces premiers ont déjà blanchi leur robe dans le sang de l’agneau. Dans ce monde même ils ont dépouillé ce qu’ils avaient du monde ; dans ce monde ils ne vivaient déjà plus, et Jésus-Christ vivait en eux. À la mort apparente, ils n’ont fait que secouer l’enveloppe mortelle comme un vêtement incommode, et se sont trouvés incorporés dans les armées qui suivent partout le roi des rois, et le seigneur des seigneurs.

Et puisqu’il faut que ce roi règne, et que ce prêtre éternel exerce son ministère, il faut que ses héros, ses prédestinés, participent à ce règne, et qu’ils règnent eux-mêmes avec lui : Il faut que la domination et la grandeur des royaumes qui sont sous les cieux, comme dit Daniel, soient donnés au peuple des saints du Souverain 164, il faut qu’ils héritent de Dieu, et que puisqu’ils ont souffert avec son fils unique, ils soient glorifiés avec lui 165. Vous serez, dit Ésaïe, appelés les sacrificateurs de l’Éternel, et les ministres de notre Dieu, vous mangerez les richesses des nations, et vous vous vanterez de leur gloire 166.

Ô règne de Jésus-Christ, règne de triomphe, venez, venez montrer cette résurrection première, dont il est dit : bienheureux et saint celui qui a part à la première résurrection 167, bienheureux ceux qui sont appelés aux noces de l’agneau 168 ; venez abolir tout empire, toute puissance et toute force. C’est là votre œuvre et celle de ceux que vous avez daigné associer à votre empire ; mais rendez encore votre triomphe plus éclatant, qu’une seconde troupe se lève, que ceux qui sont endormis dans la foi en vous se réveillent de la poussière. Et comme vous vous êtes manifesté après votre mort aux patriarches qui vous ont suivi dans le sein de votre père où vous les avez cachés avec vous ; comme votre miséricorde s’est montrée à ceux mêmes qui périrent dans les eaux du déluge, en se soumettant au décret qui les éloignait pour un temps de l’arche figurative qui vous représentait, ô Sauveur des hommes ; de même que le bruit de vos noces, et la manifestation de votre alliance éternelle avec votre Église vivante réveille ces troupes endormies dans leur confiance en vous, et qui ont cru à votre avènement ; qu’ils sortent non en résurrection de condamnation, mais en résurrection de vie ; que ceux qui vivront, que ceux qui se réveilleront soient tous ensemble élevés au-devant de vous dans les airs de votre divinité dont ils ne devaient jamais sortir.

Pendant ce règne de triomphe alors votre volonté sera faite sur la terre comme au ciel, la grande Babylone sera tombée 169 ; c’est-à-dire que cette force de la volonté propre des êtres qui vous résistaient sera chassée, la bête et le faux prophète, c’est-à-dire l’amour-propre, le mensonge et les prodiges apparents qui avaient séduit les créatures et avaient la puissance de leur faire adopter l’erreur pour la vérité, seront relégués dans l’étang de feu et de souffre dont ils sont sortis. Le premier prévaricateur enchaîné ne versera plus, pendant un temps, son venin sur la terre, et son empire remplacé par le vôtre satisfera le grand et ardent désir des créatures subordonnées qui attendent, comme dit saint Paul, la révélation des enfants de Dieu 170. Elles sont liées à la matière, mais elles ont l’espérance d’être délivrées de la servitude de la corruption. Vos fidèles coopérateurs rempliront, à leur égard, le ministère de justice et de miséricorde que vous avez confié à l’homme et qu’il aurait exercé sans la chute. Quel était ce ministère ? C’était de vous ramener purs ces êtres que vous rappelâtes du chaos pour expier dans des formes, que vous leur aviez assignées à la création, les crimes qui les y avaient précipités. Votre nom ne peut être sanctifié autrement, car ce nom doit être dans tous les êtres l’expression de la vertu divine qui en a tracé l’esquisse dans votre Verbe, qui les a émanés. C’est ce nom, trois fois saint, qui doit être exalté.

Ainsi, ô mon Dieu, exaucez la prière que vous nous avez fait apprendre par Jésus-Christ : que votre nom soit sanctifié ; que ce nom, que nous ne pouvions connaître extérieurement que par les êtres créés, soit en eux selon la perfection de vos idées ; que votre règne vienne et votre volonté soit faite pour que la force, la puissance, l’empire, l’honneur et la gloire soient à vous seul, et dans le temps et dans l’éternité.

Que de merveilles n’opérerez-vous pas, ô mon Dieu, pendant ce règne de gloire, puisque tout empire, toute puissance, toute domination qui n’est pas la vôtre disparaîtra ; puisque vos ennemis seront placés sous l’escabeau de vos pieds et vous seront assujettis ; puisque la mort première et l’enfer seront obligés de vous rendre leurs morts pour servir eux-mêmes d’aliment à l’étang brûlant de feu et de souffre ; puisque les cieux et la terre d’à présent ne trouveront plus de lieu et fuiront à l’aspect de votre majesté ! Alors les éléments embrasés se dissoudront ainsi que la terre réservée pour être brûlée au jour du jugement, et la ruine des impies 171 les laissera sans retraite pour se cacher de devant vous, c’est alors que les livres seront ouverts, le jugement prononcé sur ce qui est écrit, et que la seconde mort 172 ou l’étang de feu en devenant le partage de ceux qui ne seront pas inscrits dans le livre de vie signalera le commencement des siècles des siècles.

Mais votre miséricorde, ô Seigneur Éternel, est de tout temps 173 ; quoique votre justice soit si terrible dans ses jugements, ne viendra-t-il pas ce grand jubilé où chaque être de vie éternelle rentrera dans son héritage, où votre rigueur sera apaisée par l’humiliation profonde de ceux sur qui elle est exercée ? Oui, ô Dieu de charité et d’amour, ne détruirez-vous pas la rage et le désespoir, et n’appellerez-vous pas la repentance, et avec elle, un véritable retour ? Ô Verbe-Dieu qui avez été le modèle unique, en qui ont été gravées les idées des êtres, les temps et les siècles, et qui les avez appelés selon vos insondables décrets, pour exalter vos perfections adorables ; en rentrant vous-même dans cette essence infinie et dans cette vie éternelle, n’y rappellerez-vous pas toutes les intelligences qui ont été émanées de vous ? Les expressions de Saint Paul donnent lieu de l’espérer : Lorsque toutes choses auront été assujetties au fils, alors le fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses, afin que D’eu soit tout en tous.

Oserions-nous, sans être téméraires, espérer que ce sera ici la grande apocatastase qui précédera l’éternité des éternités, cette heureuse époque que la charité infinie de Dieu avait conçue de tout temps en émanant la vie et en créant les êtres ?

C’est alors que tous ces êtres atteindront, par un assujettissement d’amour, la fin sublime que Dieu, dans son entendement, avait décrété, dès qu’il résolut de se manifester hors de son éternel repos.

Jouissant en vous et par vous, ô mon Dieu, de la béatitude que vous leur aviez destinée, ils demeureront absorbés et comme engloutis dans l’abîme de votre éternité.

Le langage humain n’a pas d’expression pour s’élever à la hauteur infinie des biens que vous préparez à toutes vos créatures. Ce sont des merveilles que les yeux n’ont point vues, que les oreilles n’ont point entendues, et qui ne sont jamais montées dans le cœur d’aucun homme.

Ainsi gloire infinie soit rendue à votre charité qui n’a nulle borne que vous-même. À vous seul appartiennent la sagesse, l’honneur et la magnificence. Régnez, régnez seul à jamais. Que dans l’éternité toutes les hiérarchies célestes ne fassent retentir que votre seule louange. Oh ! que l’amour et la vie des êtres s’y dilatent, pour que Dieu soit tout en tous aux siècles des siècles.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS X.

 

 

L’HOMME DOIT PASSER PAR LA MORT POUR OBTENIR UNE RÉSURRECTION GLORIEUSE 174.

 

 

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JE suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, encore qu’il soit mort, il vivra 175.

Que ces paroles sont sublimes ! que leur profondeur est peu comprise ! c’est cependant sur elles que repose notre espérance fondée de ressusciter un jour d’une manière glorieuse, par les mérites de Jésus-Christ notre divin chef.

Il est donné au Fils d’avoir la vie en lui-même, et de la communiquer à qui il veut ; mais ce Fils dont les issues sont d’ancienneté, dès les jours éternels 176, laisse sans cesse rentrer en Dieu sa vie divine, pour en recevoir son engendrement éternel. C’est de ce Verbe divin, en qui est gravée l’idée de tous les êtres, que l’homme, son image, a été émané. Cette image devait demeurer unie par un lien indissoluble à ce divin Verbe, pour en recevoir sans cesse la lumière et la vie ; mais l’homme, voulant se rendre indépendant, s’appropria cette vie pour en disposer selon sa volonté. C’est ainsi qu’il se détachât de celui qui faisait l’unique caution de sa béatitude, qu’il contrevint au commandement, et encourut la peine de mort.

Dans le dessein de racheter cet être coupable, le fils de Dieu s’est uni hypostatiquement à la nature humaine, et a consenti à s’envelopper de la chair de l’homme pour pâtir la punition du péché qui est la mort. Et cette vie divine sauva la nature humaine ; car Jésus-Christ, en sacrifiant la chair, manifesta par la résurrection, non plus la vie condamnée à périr par rapport à la chute de l’homme, mais la vie divine imperdable, afin que tous ceux qui y croiraient et la voudraient puissent y participer.

Mais ne perdons pas de vue que cette vie divine que le Fils a en lui-même et qu’il a le droit de communiquer, procède d’une manière ineffable de Dieu, l’être infini, lequel la communique au Fils par l’opération de son esprit d’amour. De même, toutes les vies dont le fils rend participantes les intelligences doivent par conséquent refluer en lui, pour que de lui elles recoulent à leur source d’où ces vies sont émanées.

Or si nos âmes sont destinées à participer à cette vie divine, et par-là à être réunies à Dieu, et que nous ne puissions-nous représenter Dieu que comme un être infiniment saint et parfait en qui rien de souillé ne saurait trouver sa place, il s’ensuit par une conséquence nécessaire que pour rentrer en lui, il faut que nous soyons purifiés de toute impureté. C’est dans l’Évangile que Jésus-Christ nous a enseigné la manière et les moyens de l’être radicalement, et où il nous montre que ce n’est qu’après que nous aurons été dégagés de toute souillure que nous pourrons être admis en Dieu d’où nous étions issus par notre création, que nos âmes participeront à la vie divine par le Fils unique, et que Dieu sera tout en tous.

Saint Paul, plein de l’esprit de Dieu, enseignait la même doctrine aux Corinthiens, et lorsqu’il veut prouver la certitude de la résurrection de nos corps, il pose pour preuve incontestable la certitude de la résurrection de Jésus-Christ ; et, d’après ce fondement, la nécessité d’être purifié radicalement de tout péché pour y avoir part.

Les chrétiens de la primitive Église étaient si fortement persuadés de cette grande vérité, qui leur était représentée par le saint baptême, que lorsqu’une personne était morte sans avoir reçu ce sceau de la grâce, ils le baptisaient même après sa mort, faisant ainsi en faveur du défunt un transport et une application réelle des bienfaits de la rédemption signifiés par le baptême, appliqués par celui qui l’administrait, et acceptés par celui qui était mort, en vertu de la foi dont il avait donné des preuves pendant sa vie 177. C’est pour cette raison que saint Paul dit :

Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts, si absolument les morts ne ressuscitent pas ? Pourquoi donc sont-ils baptisés pour les morts ?

L’exemple de notre divin Rédempteur se livrant à la mort pour arracher les hommes à leur condamnation explique la nature de ce baptême, qui consiste à être transformés et renouvelés à une nouvelle vie pour l’obtenir à ceux qui ne l’avaient pas reçue ; car saint Paul était trop intérieur, il connaissait trop la puissance de la charité du Sauveur, et jusqu’où elle porte ceux en qui il allume son amour, pour n’avoir voulu nous transmettre ici qu’une coutume dénuée de toute efficace.

Or tout comme Jésus-Christ a voulu souffrir et mourir pour les hommes, et leur servir de défenseur et de caution, de même aussi il associe à ses travaux apostoliques et à l’efficacité de ses souffrances des victimes de son amour, pour sauver comme lui les hommes morts par le péché, des victimes qui, animées et revêtues de son esprit, crient pour les autres : Grâce et miséricorde ; portent pour les autres ce qu’ils n’auraient pas le courage de porter, jusqu’à ce qu’enfin, se réveillant de leur sommeil de mort, ils puissent concevoir et pratiquer la route étroite du retour à Dieu, et la nécessité du dépouillement.

Voilà le baptême dont saint Paul veut réellement parler, baptême d’autant plus inconnu qu’il y a peu d’hommes assez courageux pour accepter cet office de victime sacrifiée, car à peine en trouve-t-on qui veuillent croire à cette extension et propagation des mérites de Jésus-Christ ; et néanmoins, c’est si bien la pensée que saint Paul veut exprimer, qu’il se cite pour exemple : Pourquoi sommes-nous en danger à toute heure ? Oui, je meurs pour vous et je l’atteste par la gloire même que je reçois de vous, en Jésus-Christ notre Seigneur. Vos progrès dans la vie nouvelle ne sont-ils pas le témoignage de mes souffrances habituelles pour vous ? Ou est-ce peut-être par des vues humaines que j’ai combattu contre les bêtes à Éphèse ? N’est-ce pas plutôt pour vous procurer la grâce de la résurrection par un changement de vie ? Et quel avantage tirerais-je donc de toutes ces souffrances, si les morts ne ressuscitent pas ? Car si nous n’avons de consolation et d’espérance dans cette vie que par les biens que nous pouvons en tirer, nous sommes les plus misérables des hommes. Nous n’avons dans ce cas qu’à vivre selon les désirs de la chair et dire avec les impies : Mangeons et buvons, puisque nous mourrons demain. Ne vous laissez donc plus séduire par de vains discours ; les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs. Croyez à la céleste doctrine de la résurrection. Réveillez-vous pour vivre justement, ne péchez point ; quelques-uns de vous, je le dis à votre honte, sont sans connaissance de Dieu, et, pour éluder cette excellente doctrine, disent : Mais comment ressuscitent les morts et en quel corps viendront-ils ?

C’est ce comment de la résurrection qui présente à ceux qui ne sont pas éclairés de l’esprit de Dieu une telle difficulté que mal heureusement bien des gens se refusent à cette doctrine. Ézéchiel lui-même reçoit de l’Esprit Saint une instruction à ce sujet, pour rassurer ceux qui disent : Nos os sont devenus secs, et notre attente est perdue ; il lui est montré un champ rempli d’os, et il lui est demandé : Ces os-ci peuvent-ils bien revivre ? Il répond avec humilité : Seigneur, vous le savez. Alors comme l’esprit de foi l’empêche d’élever un doute contre la puissance de Dieu et l’efficacité de sa parole, il devient lui-même, par la vertu divine, le ministre du prodige qui va s’opérer : Prophétise sur ces os, lui est-il dit, et ordonne-leur de vivre ; il obéit à l’instant ; les nerfs les couvrent, la chair y croît, la peau est étendue par-dessus ; il ne manque plus que l’esprit de l’Éternel pour revivre. Parle encore à ces morts, lui est-il dit, crie que l’esprit vienne et qu’il souffle sur eux ; il effectue l’ordre, et ces morts revivent, se dressent sur leurs pieds et forment une grande armée 178.

St Paul n’étonne pas les Corinthiens par le récit de cette vision, il emprunte simplement la comparaison de la semence, pour en tirer la démonstration la plus convaincante. Voici son argument : Vous dites comment peuvent ressusciter les morts ? Et en quels corps viendront-ils ? Insensés ! mais tout ce que vous semez ne peut être vivifié s’il ne meurt. Ainsi la nature même vous fournit une preuve de la résurrection. Effectivement, la semence ne reçoit de vivification que parce qu’elle cesse d’être ce qu’elle était ; elle ne germe que parce qu’elle meurt et se détruit ; ce n’est qu’alors que ce qu’elle cachait se montre et se découvre.

St Jean se sert de la même comparaison de la semence, lorsqu’à l’occasion de la résurrection de Lazare qu’il raconte, il parle de l’empressement de la multitude pour voir Jésus-Christ. Il rapporte les propres paroles du Sauveur, qui disait à ses apôtres, en parlant du temps de sa glorification qui approchait et de la voie qu’il devait employer comme homme pour y atteindre : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. C’est d’après cette sentence que la parole de vérité ajoute : Celui qui aime sa vie la perdra, mais celui qui hait sa vie en ce monde la conservera éternellement. N’est-ce pas comme s’il était dit : Celui qui aime la vie matérielle et charnelle la perdra, puisqu’elle est condamnée à la mort ; mais celui qui hait cette vie qui n’est que pour ce monde et pour passer avec ce monde, qui la laisse dans l’ordre et la volonté de Dieu en sacrifice et oblation, non seulement comme d’une chose dont Dieu a droit de disposer, mais comme d’une chose étrangère à sa vraie nature, alors cette vie humaine est le grain, la cosse et l’enveloppe qui cache celle qui germera par l’effet du sacrifice, et qui rapportera beaucoup de fruits ; ainsi cette sentence est parfaitement juste : Tout ce qui est semé ne peut être vivifié s’il ne meurt.

Quant à son corps mortel, l’homme n’est qu’une semence jetée dans une terre. Et cette semence ne peut recevoir la vie qui lui convient qu’en développant, ou laissant développer dans ce corps, ou cette terre qui n’est qu’une enveloppe, le germe vivant qui doit produire l’homme spirituel, l’homme image de Dieu, l’homme qui rapporte le vrai fruit, qui est la vie divine pour laquelle il a été semé. Si ce fruit ne se montre pas, c’est que l’homme a aimé la vie terrestre condamnée à la mort. Son âme, étant passionnément attachée à cette vie charnelle, n’est pas morte au péché comme elle devait le faire pour pouvoir revivre ; elle n’a pas laissé développer le germe qui devait faire paraître le vrai fruit, et ainsi que le dit Jésus-Christ, c’est comme un grain qui, n’étant pas mort, est demeuré seul, c’est-à-dire, sans la vie qui lui était destinée s’il était mort. Et comme aucun des mots employés dans l’Écriture n’est vide de sens, il faut faire bien attention à cette expression, il est demeuré seul.

Il n’est pas dit que ce grain périt avec la terre dans laquelle on le jette, au contraire, il demeure seul ; donc il a encore une destination, et sa destination ne peut être la même que celle de celui qui hait sa vie dans ce monde. La semence de celui-ci n’est pas restée seule, elle a rapporté beaucoup de fruit ; l’autre, au contraire, est restée seule et n’a pas rapporté.

Ne recherchons pas pour le présent le sort futur de cette semence, il nous suffit pour le moment d’avoir démontré qu’elle demeurait, et que la terre dans laquelle elle était tombée ne l’avait pas détruite, ce qui serait déjà, pour le dire en passant, une preuve de l’indestructibilité de l’essence de l’homme ; contentons-nous de dire que puisqu’il est demeuré seul et n’a pas rapporté du fruit, il n’est pas parvenu à la destination de celui qui en a rapporté, et voyons avec saint Paul, avant d’aller plus loin sur cet article, la suite de sa comparaison sur la semence.

Vous ne semez pas, leur dit-il, le corps de la plante qui doit naître, mais la graine seulement, de blé ou de quelqu’autre chose ; mais Dieu lui donne un corps tel qu’il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui est propre à chaque plante. La semence est confiée au semeur ; mais c’est Dieu qui donne le corps à la plante. Puisque la semence est confiée au semeur, celui qui est vigilant nettoie soigneusement la semence avant de la confier à la terre qu’il a préparée ; il attend la saison favorable pour la jeter dans cette terre, où il sait qu’elle doit mourir pour être vivifiée ; il implore les pluies de la nouvelle et de l’arrière-saison ; il demande à Dieu de faire développer de bons germes, de faire paraître la plante, de lui donner de l’accroissement, de montrer son fruit, et de l’amener à maturité ; alors il ose espérer un corps analogue à la pureté du grain qu’il a semé.

Mais si ce semeur sème, au gré de son caprice, des semences mélangées et altérées dans une terre non préparée à propos ; s’il ignore la saison favorable, les germes des mauvaises semences étoufferont les bonnes ; le bon grain reste seul. Quel corps est alors destiné à cette semence étiolée ? Et puisque Dieu donne à chaque plante le corps qui lui est propre, n’est-il pas à craindre que la difformité du corps ne révèle un jour le vice de la semence ? La preuve que la forme destinée à chacun sera différente, c’est que saint Paul met en avant que toute chair n’est pas la même chair, que tous les corps n’ont pas le même éclat, et que même parmi les étoiles, il y en a de plus éclatantes l’une que l’autre, et qu’il en arrivera de même dans la résurrection des morts.

Le corps que nous portons présentement n’est maintenant que comme une semence que l’on jette en la terre, pleine de corruption, mais qui ressuscitera incorruptible ; il est mis en terre privé de mouvement, il ressuscitera plein de vigueur ; il est mis en terre corps animal, et il ressuscitera corps spirituel. Et tout comme le vers devient chrysalide, et ensuite papillon plus ou moins brillant, suivant son espèce, de même l’homme, dans la terre et pendant son temps de chrysalide, y perd ce qui cache en lui le principe d’incorruptibilité, et il revêt le signe qui constitue son espèce : comme le ver il a eu une première vie, gênée et assujettie, il est vrai, mais après son temps de chrysalide et de mort, il sort de son tombeau plus libre, plus léger, plus agissant et chargé des couleurs qui indiquent son espèce ; or si un simple insecte nous retrace d’une manière si sensible l’heureuse transformation qui se fera dans l’homme, et que l’Écriture révèle en tant d’endroits, comment pourrait-il rester de doute à cet égard ?

Il y a pour l’homme deux corps, dit saint Paul, il y a un corps animal, il y a un corps spirituel. Deux Adam ont paru dans le monde pour manifester cette vérité, le premier homme Adam a été manifesté en âme vivante ; et le dernier Adam en esprit vivifiant ; le premier, étant de la terre, a été tiré de la poussière, le second est du ciel. Il est tellement du ciel que saint Jean dit, en rapportant les propres paroles de Jésus-Christ lorsqu’il instruisait Nicodème sur la nécessité de la nouvelle naissance : Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, savoir le fils de l’homme qui est au ciel 179. Il faut donc que l’homme revête cet être céleste pour monter au ciel. C’est la grâce que Jésus-Christ a obtenue pour ses élus par le mérite de son sacrifice, sous la condition qu’ils croient à cette grâce et l’acceptent, ou du moins qu’ils n’y résistent pas lorsqu’elle les attire. Dans un autre endroit il est dit : Je suis descendu du ciel, non pas pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ; et c’est ici la volonté de celui qui m’a envoyé, que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donné et que je les ressuscite au dernier jour. Ainsi donc Jésus-Christ seul peut fournir à l’homme, l’homme céleste, ou le second mode d’existence. Le premier, il le tire de la poussière de la terre, ou de la chair et du sang. Voilà pourquoi il faut qu’il rende à la terre cette corruption.

St Paul ajoute : Ce qui est spirituel n’est pas le premier, mais ce qui est animal, et puis ce qui est spirituel ; si ce spirituel n’est pas le premier, il est clair qu’il faut que nous le recevions, et qu’il s’engendre en nous par une opération spirituelle. Les moyens humains ne peuvent nous donner que le premier, c’est-à-dire, l’homme de poussière, et comment recevrons-nous le spirituel si nous ne voulons que l’homme charnel ? À ce sujet saint Paul ajoute : Tel qu’est celui qui est tiré de la poussière, tels sont aussi ceux qui sont tirés de la poussière ; et tel qu’est le céleste, tels sont aussi les célestes. Voilà l’assignation bien précise de chacun, et comme nous avons porté l’image de l’homme tiré de la poussière, nous porterons aussi l’image du céleste. Mais encore une fois, il faut que ce céleste naisse. Comment naîtra-t-il s’il n’est engendré ? Comment s’engendrera-t-il si l’homme charnel y met obstacle ? Comment croîtra-t-il pendant le temps de la vie humaine qui lui est assignée pour croître si les passions et le péché ne sont pas anéantis ? Car saint Paul le dit, la chair et le sang ne peuvent point hériter le royaume de Dieu, qui est le séjour de l’homme céleste. La corruption n’hérite pas l’incorruptibilité.

Quelle est donc la sorte de résurrection de ceux qui n’auraient pas l’homme céleste ? saint Paul déclare aux Corinthiens que c’est un grand mystère. Nous ressusciterons tous, dit-il, mais nous ne serons pas tous transmués. S’il n’explique pas ce mystère, il semble qu’il le laisse deviner dans le verset cinquante-trois : Il faut que le corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité.

Pour jouir de l’entier avantage de l’homme céleste, il paraît par ce verset qu’il faut deux choses, que le corps revête l’incorruptibilité et l’immortalité. Le sel de la justice procure l’incorruptibilité ; les eaux régénérantes de la grâce procurent l’immortalité : aussi saint Paul dit : Nous ressusciterons tous, mais il ajoute : Nous ne serons pas tous transmués. Qui est-ce qui l’opère, cette transmutation ? Jésus-Christ. Qu’est-ce qui la prépare ? Son esprit saint, lorsque Dieu nous a donné à Jésus-Christ dont la volonté est qu’aucun de ceux qui lui ont été donnés ne soit perdu, mais que tous obtiennent la vie éternelle ; ainsi distinguons bien l’incorruptibilité de l’immortalité. L’incorruptibilité séparée de l’immortalité est le supplice de la justice, et malheureusement peut-être le partage de ceux qui, implicitement ou explicitement, n’ont point voulu Jésus-Christ, qui seul donne et procure la vie immortelle.

Cette vie paraît réservée et à ceux qui dès ce monde, sont vivants en Dieu et à ceux qui se sont endormis dans la foi au Seigneur. Quand ces derniers auront revêtu l’incorruptibilité et l’immortalité, alors cette parole de l’Écriture sera accomplie : La mort est détruite par la victoire. Qui est-ce qui a remporté la victoire ? C’est Jésus-Christ, en revêtant les morts de son immortalité. Où est, ô mort ! ton aiguillon, puisque l’aiguillon de la mort est le péché, et qu’alors il n’y a plus de péché ? Ô sépulcre, où est ta victoire puisqu’il n’y a plus de mort ? Ô puissance du péché, où êtes-vous, puisque la loi qui constituait le péché est remplacée par la vie éternelle ?

Ainsi grâces éternelles soient rendues à Dieu, qui nous a donné la victoire par les opérations de son amour infini, et les mérites de notre Seigneur Jésus-Christ ; qu’enfin la miséricorde surabonde par-dessus le jugement, et que l’incorruptibilité à jamais réunies à l’immortalité rendent tous les êtres susceptibles de chanter à la gloire du Dieu infini, qui alors sera tout en tous, le nouveau cantique d’actions de grâce, en disant : Tu es digne de recevoir puissance, richesses, force et louange aux siècles des siècles.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XI.

 

 

NULLE VIE HEUREUSE ET PERMANENTE N’EST POSSIBLE SANS LA DESTRUCTION DE NOTRE ENVELOPPE TERRESTRE.

 

 

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DE  toutes les pensées qui affligent l’humanité, il n’y en a aucune de plus terrible et de plus effrayante que celle de la destruction de son être matériel. La certitude que nous devons cesser de vivre un jour, que notre corps, ce chef-d’œuvre de la Toute-Puissance de Dieu, doit tomber en dissolution, ne peut manquer, en effet, d’être atterrante pour celui qui a goûté les délices de la vie, et qui a joui dans ce monde d’une portion quelconque de bonheur accordé à la plupart des mortels.

Mais pourquoi faut-il que nous subissions une si cruelle catastrophe ? Pourquoi Dieu, cet être infiniment sage, et qui est la bonté même, permet-il que l’homme, cette belle créature, le roi de ce monde, subisse une destruction qui ressemble à un anéantissement total ? Ne devrait-il pas, au contraire, lui continuer l’existence à mesure qu’elle se perfectionnerait, au lieu de faire rentrer dans la poussière ce corps si admirablement organisé ? Telles sont les pensées de la plupart des mondains auxquels saint Paul répond en nous disant : Par le péché d’un seul, la mort est venue sur tous les hommes 180.

Le vain désir de la science voudrait connaître quel est ce péché si funeste, et surtout comment tous les hommes ont péché dans ce premier homme, en apportant en punition dans ce monde, et ce mal d’origine et ses conséquences désastreuses. Mais la foi éclairée par la grâce divine se contente de ce que l’Écriture Sainte nous en a révélé pour notre instruction. Nous ne reconnaissons que trop la vérité de cette doctrine, puisque la mort nous emporte et que les crimes inondent la terre jusqu’au temps où le dragon de l’abîme, enchaîné par la puissance de Jésus-Christ, laissera le règne à son vainqueur qui dominera alors sur la terre, comme il règne dans les cieux.

Oh ! combien la perspective de ce règne fortuné devrait occuper toutes nos pensées et enflammer tous nos désirs. C’est alors qu’en nous manifestant l’étendue de sa puissance et de sa miséricorde, Dieu nous révélera aussi l’étendue de nos forfaits et leur ancienneté. Mais nous puiserons dans ses compassions infinies pour les hommes la force de soutenir le regard de la grandeur de nos offenses et des maux innombrables que nous avons attirés sur nous, et dont il nous aura délivrés. Nos cicatrices guéries attesteront sa puissance et sa bonté.

Mais en attendant cette heureuse époque, souvenons-nous que c’est l’arbre de la science qui est la cause fatale, pourquoi il est ordonné à tout homme de mourir 181. Éloignons-nous donc de cet arbre dangereux, et pour nous aider à porter les misères que son fruit nous a occasionnées, hâtons-nous de croire avec saint Paul à l’abondance de la grâce que nous avons en Jésus-Christ notre Dieu-Sauveur.

Il n’en est pas du délit comme du don, car si par le péché d’un seul, plusieurs sont morts, par le don de la grâce d’un seul, Jésus-Christ, plusieurs ont la vie en abondance. Cesse donc, ô homme, tes injustes murmures, et au lieu d’accuser la sévérité d’un Dieu infiniment juste qui exerce sa rigueur contre le péché en te condamnant à mourir, cherche plutôt par une véritable pénitence à obtenir la grâce qui t’est offerte ; soumets-toi avec résignation à l’inévitable sort qui t’attend, et qui t’ordonne de passer par la mort pour retrouver une vie immuable et glorieuse. Travaille pendant qu’il est jour à te rendre salutaire la punition que ton corps coupable aura à subir en quittant cette vie périssable. Renonce par un sincère retour à Dieu à tout ce qui peut l’offenser. Considère avec effroi la multitude de ceux qui tombent sous la faux meurtrière au milieu de leurs jouissances criminelles.

Homme insouciant et coupable ! tu foules la terre d’où tu es sorti ; tu es obligé pour te nourrir de la déchirer ; ce n’est qu’en la bouleversant jusques dans ses entrailles que tu acquiers des trésors que la rouille dévore. Souvent, pour assouvir tes désirs injustes, tu la souilles et l’abreuves du sang de tes semblables qui sont tes frères. Mais enfin la dernière heure sonnera, tu t’écrouleras sur cette même terre à laquelle tu as été si fort attaché ; elle te couvrira de ses débris. Alors tu seras obligé de te rendre à la voix de celui dont l’œil éternellement ouvert suit, jusque dans l’abîme, l’atome qu’il a tiré du néant, pour le faire participer à la lumière de la vie, si du moins il n’a pas troublé jusqu’à la fin l’ordre dans lequel il l’a appelé à l’existence.

Ô homme ! tu n’es pas une ombre qui passe et ne revient plus, tu n’es pas un assemblage sans objet et sans but. Il t’a été ordonné de vivre, tu n’as pu t’en défendre ; cette pensée devrait écraser ton orgueil ; car elle prouve que tu es né dans une dépendance absolue. L’ordre de vivre t’impose donc le devoir d’être soumis.

Tu n’as rien qui ne t’aies été donné ; ton enveloppe même, quelque vile qu’elle soit, n’est pas à toi. Réfléchis attentivement quelle a été la première idée qui a signalé l’existence de ton être matériel. Suis, si tu le peux, la trace des mouvements qui ont amené ta production, détermine sa mesure, fixe son usage et son objet. Elle est avant qu’elle soit perceptible, elle peut bien s’identifier avec ton enveloppe, mais ton enveloppe n’a pas le pouvoir de la détruire ; elle est indestructible.

Mais sais-tu si cette idée était innocente et pure quand elle a été conçue dans la pensée de l’auteur de tes jours ? Hélas s’il l’a fomentée et nourrie dans une volonté viciée, ce sera alors un feu impur qui donnera issue à cette idée pour venir s’échauffer et acquérir la perceptibilité dans la demeure dont fait mention le psalmiste quand il dit : Ô Éternel, tes yeux m’ont vu, quand j’ai été fait en un lieu secret, et façonné comme de broderie dans les bas lieux de la terre 182.

Le même roi-prophète, gémissant de ce que son être spirituel avait été enfermé dans le sang impur de son père, s’écrie dans sa douleur. Voilà, j’ai été formé dans l’iniquité, ma mère m’a échauffé dans le péché 183. C’est ainsi que forcé d’acquérir dans une chair corruptible les développements et les accroissements nécessaires, pour être montré vivant sur cette terre où il aura tant à combattre, il conçoit qu’il est déjà dans son tombeau, qu’il y devient la proie de la mort et qu’il en suce le poison ; sa douleur s’en accroît, et son cœur déchiré pousse encore cette parole : Ma mère m’a échauffé dans le péché 184 ; car il pressent la lutte qui peut s’établir entre deux productions aussi différentes que celles de l’esprit et de la nature unies ensemble par un lien de sensibilité commun à l’un et à l’autre ; l’un et l’autre communiquant sans cesse à ce lien sensible une impression qu’il doit rejeter ou admettre.

Tu reçois ta forme visible et corruptible d’un peu de poussière ; car, ô homme, tu es poudre, tu déposeras dans le tombeau ton enveloppe mortelle, et tu retourneras en poudre. Voilà ce que tu as hérité de ton père et de ta mère, du sang et de la chair, qui ne sont pas plus à toi que l’idée qui, par grâce ou par punition, est descendue jusqu’à cette poussière, et qui s’en est revêtue ou pour l’ennoblir ou pour subir de nouvelles dégradations.

Mais cette idée naturelle, ce point indestructible a pour propriété spéciale l’appétit de la lumière qui est sa vie. La lumière ou, pour mieux dire, la vie qu’elle renferme, est l’aimant qui l’attire ; si la liberté qui est son apanage se porte du côté de la lumière fixe et non sujette à reflet, cette idée, ce point indestructible devient aimant à son tour par rapport à la chair et au sang qui la couvre.

Donnons enfin à cette idée, à ce point caché dans l’homme, le nom que l’Écriture Sainte lui donne : il est fait en âme vivante. Et pourquoi est-elle vivante ? Parce qu’il a été soufflé dans la forme corporelle de cet homme une respiration de vie. Remarquez bien que cet homme a la vie par l’effet de l’inspiration du souffle divin qui la lui a communiquée ; et puisqu’il l’a, il doit s’en nourrir, jusqu’à ce qu’il ait rempli sa destinée, en accomplissant la volonté de Dieu qui l’a rendu participant de cette vie. Alors l’Esprit de Dieu qui tend sans cesse à perfectionner son œuvre la change de nature, pour être non-seulement vivante, mais vivifiée, c’est-à-dire devenue vie éternelle en jouissant éternellement du principe de cette vie, suivant la hiérarchie céleste dont il fera un jour partie, et la demeure qui lui sera assignée : car il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, dit le Seigneur 185.

La chair et le sang qui auront servi d’enveloppe à cette âme se trouveront eux-mêmes dégagés de ce qu’ils avaient de terrestre, après avoir servi aux différents sacrifices de l’âme vivifiée, et subi l’effet de la sacrificature que l’être régénéré acquiert le droit d’exercer sur eux.

Cette âme peut montrer alors la glorification dont ces substances étaient susceptibles. C’est un trophée de la victoire de ce qui est esprit et vie sur ce qui est corruptible et mortel. L’homme ainsi renouvelé pourra s’en revêtir comme d’un vêtement d’honneur et de gloire que la vérité de la lumière divine et sa puissance lui ont fait obtenir 186.

Mais si cette âme vivante, au lieu d’aspirer la lumière pure, s’amuse et se laisse attirer par une lumière d’un ordre inférieur au sien ; si au lieu de commander à ce qui compose cet ordre inférieur, elle s’en laisse dominer, la lumière directe et la vie spirituelle qu’elle renferme cesse d’être sa nourriture ; elle a mangé sa condamnation 187 ; elle se plonge dans les ténèbres, elle n’ennoblit plus cette chair et ce sang qui l’enveloppent ; ils ne sont plus les trophées de sa victoire. Ils deviennent les agents des crimes qu’elle commet, les témoins et les organes futurs d’une dégradation qui sera le signe malheureux de la réprobation qui la précipite dans l’abîme.

Ô Dieu ! qui est-ce qui rendra à ces êtres de vie éternelle la lumière qu’ils ont laissé éteindre ? Qui est-ce qui pourra sonder et combler la profondeur du gouffre où ils se sont précipités ? C’est l’Éternel seul qui le peut. Tous les actes naturels, physiques et même angéliques sont impuissants, pour rallumer le feu divin inspiré par Dieu lui-même dans l’homme qui sortait de ses mains. L’homme prévaricateur et corrompu ne peut rentrer entièrement dans le but de ses destinées si celui qui l’a formé ne vient à son secours pour le rétablir lui-même dans toutes ses parties constituantes. Saint Paul était bien pénétré de cette vérité importante lorsqu’il s’écriait : Que le Dieu de paix veuille lui-même vous sanctifier tout entier, afin que l’esprit, l’âme et le corps soient conservés sans reproche 188.

Mais quoi ! y a-t-il des reproches à faire à l’homme dans son esprit, dans son âme et dans son corps, pour qu’il soit nécessaire que le Dieu de paix le renouvelle dans toutes leg parties de son être ?

Pour s’assurer de cela, il n’y a qu’à se souvenir de sa formation, il a été fait. Et s’il a été fait, il est dans un état de dépendance constatée. Or n’a-t-il pas interverti cette loi ? Nous aurons facilement la solution de cette question quand nous saurons comment il a été fait et pourquoi il a été fait.

Et d’abord il a été fait en âme vivante ; mais observons que l’âme n’est vivante, du moins de sa vraie vie, si le même esprit qui lui a été inspiré ne se manifeste dans tous les actes qu’elle doit opérer. Or si l’âme ne manifeste pas des actes de vie divine, il y a des reproches à faire à cette âme. Elle n’est plus vivante de la vie réelle, si elle n’est plus dans les mêmes relations, si elle a perdu la force de remplir le but pour lequel elle a été formée.

Mais encore pourquoi l’homme a-t-il été fait, et que devait-il faire ? Il devait rester inséparablement uni au Dieu-Éternel, Créateur de son être. Obéissant et soumis à un maître aussi bon, il devait en même temps dominer la terre et l’assujettir. Il devait commander à tous les êtres corporisés qui devaient la remplir 189. Ce fut pendant son innocence primitive et non encore altérée, ce fut en présence de l’Éternel et dans son amour qu’il essaya son pouvoir, en assignant à chaque être le nom qui lui était propre. Ce nom était le signe de leurs qualités et de leur destination.

Formé de l’élément corporel, uni à lui par son âme vivante, non-seulement il aurait dû par la lumière de l’intelligence que Dieu avait allumée en lui, connaître tous ces êtres, la source de leur vie et les lois qui en dérivent ; mais encore il devait exercer sur eux une puissance illimitée en les forçant à obéir aux lois que le Créateur leur avait imposées, et qui leur étaient exprimées par le nom qu’ils portaient. C’est ainsi que l’homme devait asservir le principe corporel de tout cet univers.

Mais si au lieu de dominer sur lui, il s’en laisse asservir, et en devient l’esclave, alors le PRINCIPE SENSIBLEa éteint le feu divin qui allumait le point simple de son intelligence, et l’a allumé d’un feu inférieur. L’homme ainsi trompé cesse d’être régi par son être intellectuel, n’ayant plus que la lumière intérieure de la sensibilité. Non-seulement alors il perd l’empire qu’il exerçait sur les êtres corporels et sur leur principe ; mais encore il subit la loi de ce principe et descend au dernier degré de l’échelle en devenant la proie de la mort, ainsi qu’on l’a insinué au commencement de ce discours.

Ce n’est plus maintenant ce prodige de beauté, ce chef-d’œuvre, cette image de l’éternelle sagesse, car il est dans une enveloppe corruptible. Il est assimilé aux animaux, et il ne peut plus leur commander. Cette âme affamée de la lumière n’est plus qu’un feu qui s’alimente des objets extérieurs, un feu qui allume les passions sans pouvoir les dominer 190. Donc il y a des reproches à faire à cet esprit, jadis si libre, aujourd’hui enchaîné et dominé par celui qu’il devait assujettir.

Et ce principe corporel lui-même est-il exempt de reproches ? Non, car il montre la mort où la vie devait régner. Il désunit les éléments et nous livre par eux aux intempéries cruelles et aux souffles empestés des miasmes dont il se charge et qu’il répand à son gré.

Cependant, malgré cet état déplorable, ne perdons pas courage, nous pouvons retrouver ce que nous avons perdu ; car Dieu en Jésus-Christ a mis en évidence par son Évangile la vie et l’immortalité. Il veut nous éclairer et nous délivrer des ténèbres du péché, et nous pouvons obtenir la paix de Dieu qui surpasse tout entendement 191, paix divine qui nous délivre de ce vers rongeur qui, comme un feu consumant, dévore notre âme lorsqu’elle n’est pas saturée par les eaux de la grâce 192. Il n’y a que Dieu qui puisse nous régénérer tout entier, car il n’y a que celui qui a la vie en lui-même et par lui-même qui puisse la communiquer et la rendre à celui qui l’avait perdue. Lui seul peut réhabiliter, par son esprit de vie, l’homme déchu de sa dignité originelle.

Mais pour que l’homme soit réintégré, il faut que toutes les puissances de son être, l’esprit, l’âme et le corps, soient renouvelées, jusqu’à ce qu’elles soient exemptes de reproches. L’esprit de paix peut seul effacer et détruire dans ces différentes parties le trouble et le désordre que l’inversion des principes a opérés. Oui il peut dégager l’esprit de ses ténèbres, soumettre le corps, convertir l’âme et y rétablir l’équilibre, en éteignant le feu inférieur ; il peut enfin accorder de nouveau cet instrument, qui n’aurait jamais dû être en désaccord, et recréer cette harmonie résultant des rapports qui unissaient entr’elles les diverses puissances de l’homme dans son état d’innocence.

Alors l’homme étant ainsi recréé en âme vivante par les opérations intérieures et réitérées de la grâce de Dieu est rendu sans reproches dans tout son être. Non-seulement alors l’homme tout entier est vivant et régénéré, mais il rentre dans sa fin qui est Dieu ; car son principe était Dieu, sa fin est en Dieu. Mais cela n’a lieu que lorsque tout ce qui est étranger à l’image divine a disparu, soit dans l’esprit, soit dans l’âme, soit dans le corps.

Quelle gloire pour l’homme s’il est fidèle et persévérant dans le combat jusqu’à ce qu’il ait remporté la victoire sur ses ennemis et atteint le grand but de sa destinée !

Ô homme ! tu es bien supérieur au domaine de la raison, puisqu’il t’a été soufflé une respiration immédiate et divine qui te rattache à des relations plus sublimes ; tu es susceptible de recevoir une lumière et une vie plus pure que celle qui a été donnée aux créatures qui sont sous ta dépendance. Cette vie et cette lumière luit encore près de toi, tu peux encore l’obtenir par une foi vive, car c’est la foi qui la renferme. Ne te laisse donc plus éblouir par le flambeau trompeur de ta raison, et quoique cette lumière te paraisse plus brillante que celle de la foi, cependant considère que c’est elle qui t’a égaré et qui t’a fait descendre dans l’ombre de la mort.

Je ne te dis pas de renoncer à ta raison pour les choses qui sont de son domaine ; c’est le flambeau qui doit éclairer ton être extérieur pendant la durée du système de ce présent monde, quoiqu’il s’éteindra au moment même où cet assemblage de choses sera dissous pour toi. Non, cette lumière t’est nécessaire. Parler dans un sens contraire serait te jeter dans une erreur et te provoquer au fanatisme. Ta nature est mixte. Il te faut une mesure de lumière qui dirige tes actions, qui te guide dans tout ce qui est relatif à ta conservation, à tes intérêts et aux autres nécessités de la vie ; car tant que tu existes sous ce mode sensible, tu as besoin d’être aidé, soutenu et défendu, pour alléger par-là les peines inséparables de ton existence temporelle.

Mais prends garde que cette raison ne veuille se rendre juge de ce qui est au-dessus de sa sphère et de son domaine, car elle t’égarerait infailliblement.

L’admirable sagesse de Dieu a bien pourvu à la conservation de l’enveloppe de la vie, qu’il destinait à y être renfermée, et c’est la raison qui l’éclaire ; mais il a été nécessaire qu’une lumière et une vie plus relevée vînt éclairer, nourrir et purifier cette première vie qui n’était pas encore vivifiée par le principe divin.

Alors, tout comme l’éclat du soleil, quand il se lève, absorbe la lumière des étoiles, de même lorsque l’Orient d’en haut s’élève dans l’âme et l’éclaire par une foi vivante et opérante en charité, elle dissipe les ténèbres des préjugés et de l’erreur que l’impuissante raison n’aurait pas pu écarter, et elle absorbe toute autre lumière.

C’est bien à l’égard du sujet qui nous occupe que la lumière divine de la foi vient à notre secours et nous fait découvrir dans la révélation de Dieu les grands motifs qui peuvent nous faire soutenir la vue de la démolition de notre tente terrestre, en nous montrant que la mort corporelle est plutôt un remède salutaire qu’un châtiment ; car il était impossible que le corps attaqué par tant d’ennemis pût avoir une vie perpétuelle, à cause des désordres que la chute a introduits et opérés, tant dans le monde élémentaire que dans son propre être.

C’est pourquoi la suprême justice de Dieu a voulu que la souillure que le corps avait contractée par le commerce de l’âme et de l’esprit pût être anéantie par la destruction de ce corps mortel qui avait été le malheureux instrument par lequel l’âme avait produit ces actes de péché. Considérons donc la mort comme une grâce miséricordieuse pour consommer notre sacrifice, et arriver par lui à cette pureté sans laquelle nous ne pouvons contempler la face du Seigneur.

Pour nous rendre la mort favorable, consentons à boire ce calice amer, et unissons ce qu’il a de douloureux aux souffrances de Jésus-Christ, qui par sa mort a enlevé ce qu’il y avait de plus affreux.

L’esprit de ténèbres s’était avancé sous l’enveloppe de la mort, et de la mort la plus infâme et la plus cruelle pour attaquer la vie par essence qui était recouverte du manteau de l’humanité ; mais l’aiguillon de la mort, ce qui la rend funeste, terrible et éternelle, c’est lorsqu’elle rencontre le péché. Or la mort se précipitant sur le saint et le juste, et ne trouvant plus sa pointe, fut absorbée par la vie et cessa d’être. Nous pouvons donc nous écrier : Ô mort, où est ton aiguillon ? Ô sépulcre, où est ta victoire ? Tu laissas le dragon confus en présence de la vie. Il vit triompher le Verbe qu’il avait voulu détruire, il vit l’homme appartenant par droit de conquête à Jésus-Christ, et il frémit de rage, voyant sa proie échapper de ses serres infernales.

Après une si consolante vue, la mort serait-elle redoutable au disciple de celui qui lui ôte tout son venin ? Au contraire, il ne doit point hésiter d’offrir à Dieu sa vie en oblation, en unissant ce sacrifice à celui de Jésus-Christ, car l’homme ne peut présenter à Dieu une offrande plus agréable. Il doit donc se résigner à la mort avec joie, ou du moins avec soumission, puisque la destruction de la victime est tout ce qu’il y a de plus grand dans le sacrifice. Et c’est à cette destruction que l’on consent lorsque l’on accepte volontiers la mort.

Pour arriver à cette heureuse conformité à la volonté de Dieu, il faut encore être fidèle à la pratique de l’abnégation intérieure, et avec le secours du Saint-Esprit, retrancher, chaque jour, quelques actes déréglés de notre vie propre.

C’est cette mort totale de l’homme de péché qui émousse les pointes acérées de la mort corporelle, et la change en un sommeil doux et bienfaisant qui nous transporte d’une vie souffrante et angoissée dans une vie éternelle et bienheureuse 193, selon ce beau mot de l’Apôtre Saint-Jean : Bienheureux sont les morts qui meurent au Seigneur 194 ; ce sont des personnes mortes au péché, qui ont tué en eux la vie d’Adam avec toutes les passions, l’orgueil, l’avarice, la jalousie, la colère, la volupté, l’amour du monde et toute cette malheureuse filiation de défauts et de vices qui ont disparu et sont détruits pour jamais.

Qu’une âme est fortunée si, au moment où la mort se présente à elle, elle peut quitter son enveloppe terrestre jouissant de la paix de Dieu ; si, pleine du sentiment de la grâce et de la bienveillance de son bien-aimé, elle aspire vers lui avec toutes les puissances de son être pour s’y unir à toujours. Nul sacrifice ne devrait nous coûter pour nous assurer ce sentiment délicieux dans le terrible moment du trépas, mais que dis-je, terrible ? La mort n’est redoutable que pour celui qui n’y a jamais pensé. Au contraire, pour l’enfant de Dieu dont tous les instants de la vie ont été employés à se préparer à la recevoir dignement, elle est l’entrée au séjour de la paix ; il s’envole dans le sein de Dieu, où il se plonge comme dans une mer d’ineffables délices.

Mais comment obtiendrons-nous cette faveur signalée ? C’est en nous unissant à Jésus-Christ notre victime éternelle, qui a brisé l’aiguillon de la mort.

Oui, ô Jésus, c’est par votre victoire sur la mort et l’abîme que nous pouvons triompher de l’horreur du sépulcre, et malgré la dissolution de notre corps, ressusciter un jour en gloire. Ô victime adorable, vous avez le premier accepté et goûté ce calice amer, afin que nous puissions obtenir un bienfait aussi immense. Mais si, pour prix du rachat de l’homme, vous avez offert à votre père le sang dans lequel vous étiez venu cacher votre essence divine, en répandant ce sang précieux, vous avez encore laissé écouler votre vie éternelle, et un double mystère s’opéra par votre mort ! Non-seulement nous avons été absous de la condamnation encourue par le péché et réconciliés avec Dieu, mais vous avez encore fait plus pour nous, car nous pouvons être vivifiés de nouveau par votre vie divine, si du moins nous voulons nous soumettre à la recevoir par tous les moyens de communication que vous avez préparés par votre Esprit Saint.

Ô Père éternel, montrez en triomphe la gloire de Jésus-Christ ; révélez-nous sa victoire sur la mort et sa miséricorde infinie.

Quelle prérogative et quel honneur ne nous procure pas à nous-mêmes cette gloire infinie de Dieu notre Sauveur, puisque dès l’éternité il a daigné s’occuper de nous pour nous rendre participants du bonheur dont il jouit lui-même.

Ainsi, ô mon Dieu, convaincu de ces vérités, nous nous soumettons à votre volonté sainte, nous abandonnons notre sort entre vos mains éternellement paternelles.

Ô doctrine admirable que celle qui apprend que l’on doit tout vous rendre puisque tout vous est dû, afin que vous soyez aimé d’un amour pur et dégagé de tout intérêt.

Oui, ô notre adorable Maître, faites tout en nous, détruisez en nous tout ce qui s’oppose à votre sainteté ; semez, plantez, arrosez ce que vous voulez faire croître de nouveau ; faites mourir toutes les vies fausses de notre première naissance et ressuscitez-nous par l’efficace de votre vie essentielle et divine. Nous sommes et nous voulons être tout à vous. Régnez sur nous, régnez en nous, régnez par nous, soyez en nous l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la consommation de toutes choses, car à vous appartiennent toute gloire, tout honneur, et toute louange aux siècles des siècles.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XII.

 

 

EXPOSITION DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU VRAI CHRISTIANISME 195.

 

 

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LE chapitre premier de l’Épître de saint Paul aux Colossiens peut être considéré comme renfermant un précis de toute la doctrine évangélique. Les vérités qui y sont contenues sont si sublimes et si relevées qu’on ne peut se lasser de le lire et de l’admirer.

Ceux qui écrivent, et ceux à qui l’on écrit, inspirent, dès le commencement de cette épître, un intérêt vif qui commande l’attention à ce qu’ils se proposent d’annoncer. Ce sont des frères et des saints à qui l’on écrit, et qui sont d’autant plus recommandables qu’ils sont fidèles en Christ. C’est pourquoi Saint Paul s’annonce à eux en disant : Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, aux saints et fidèles en Christ qui sont à Colosses. On voit, par-là, que ce sont des saints déjà avancés ; car la fidélité suppose l’exercice et l’épreuve ; ainsi la fidélité des Colossiens nous est présentée comme devant exciter la nôtre ; c’est un modèle et un exemple qui mérite d’autant plus que nous nous y attachions que c’est l’apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu qui nous l’offre. Ce n’est pas une parole humaine qui va nous être dite, c’est saint Paul, c’est l’apôtre de Jésus-Christ qui, par la volonté de Dieu, va nous transmettre la même parole que prononcerait Jésus-Christ lui-même, puisqu’il est son apôtre, et dès lors son expression.

Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre père et notre Seigneur Jésus-Christ !Il commence par les combler, comme le ferait Jésus-Christ, des plus riches bénédictions : la grâce et la paix vous soient données.

Il est bien remarquable que saint Paul se serve presque toujours de cette formule pour souhaiter à toutes les églises auxquelles il écrit les plus grands biens que Dieu puisse accorder aux hommes. En effet, toutes les faveurs et tous les trésors du ciel sont compris dans ces deux mots : la grâce et la paix.

Par la grâce on peut entendre le bon plaisir, la bienveillance et l’amour de Dieu à l’égard des hommes, en considération du sacrifice de Jésus-Christ. C’est cette bienveillance et cette grâce de Dieu qui nous réconcilie avec cet être infiniment saint ; elle ne s’applique que par la foi et l’opération intérieure du Saint-Esprit dans le cœur du fidèle.

La foi et la grâce, voilà les principes actifs, divins et sublimes qui seuls peuvent régénérer véritablement l’homme et le rendre une nouvelle créature. C’est le grand moyen de justification offert par Dieu à tous les hommes sans distinction, aux Juifs comme aux Gentils, aux Chrétiens comme à tous les peuples.

Saint Paul est un exemple vivant de la puissance toute divine de cette grâce, à laquelle il a répondu avec une fidélité et une obéissance admirables. En effet, il avait reçu immédiatement de Jésus-Christ la charge de prêcher aux Gentils l’Évangile de paix. Mais avec cette mission il avait obtenu la grâce, c’est-à-dire, l’Esprit Saint sans lequel aucune prédication ne peut être efficace.

On a vu aussi en sa personne comment l’esprit de Dieu était donné avec mesure et selon que le nécessitent les besoins de l’église. Jésus-Christ seul en a été oint sans mesure et par-dessus tous ses compagnons, parce qu’étant l’Homme-Dieu, il opérait une œuvre générale ; mais quant à ceux que le Père appelle, et veut associer à l’œuvre de son fils, la grâce leur est diversement donnée, suivant l’appel particulier qu’ils ont reçu, suivant la place et le lieu que la sagesse éternelle a déterminés.

Que de conséquences ne résultent-elles pas de l’exposition de cette vérité ! Ce serait un faisceau de principes qui démontrerait pourquoi, dans l’exercice du ministère sacré, il y a tant d’abus et si peu de fruits ; c’est que la raison humaine, et non la grâce de Dieu, détermine l’appel, juge le talent, le pèse et indique le lieu où il doit s’exercer.

La seconde chose que Saint Paul souhaite aux Colossiens, c’est la paix. Elle est le résultat et le fruit de la grâce. Elle consiste dans l’accord, l’harmonie et l’union parfaite de la volonté de l’homme avec celle de Dieu, d’où s’écoule dans l’âme du fidèle un repos et un calme inexprimable. Le Saint-Esprit seul peut verser cette paix dans le cœur de l’homme ; c’est le royaume de Dieu tout entier, lequel, comme le dit ailleurs notre apôtre, est justice, paix, joie dans le Saint-Esprit 196.

Telles sont l’étendue et la grandeur des biens célestes que l’apôtre sollicite du Père des lumières pour ses chers Colossiens.

Mais pourquoi cette bénédiction si précise ? C’est que les fidèles de Colosses ne connaissaient pas de richesses plus précieuses que celles de rentrer en grâce avec Dieu, de qui le péché les avait séparés. Cette faveur inestimable d’être réconcilié avec Dieu avait tellement enflammé leurs désirs qu’ils ne connaissaient point de bonheur plus immense que d’en être rendus jouissants.

En effet, l’apôtre connaissait, par la lumière divine, la grandeur et l’étendue de leur foi en Jésus-Christ. Il savait que toutes leurs espérances étaient fondées sur les biens qui sont réservés dans les deux et dont ils ont eu connaissance par la parole céleste, c’est-à-dire par l’Évangile. Il était persuadé qu’ils avaient connu la grâce de Dieu dans la vérité, que cette vérité était parvenue jusqu’à eux, qu’elle y fructifiait depuis qu’ils l’avaient connue.

C’est pourquoi Saint Paul rend grâce de ce merveilleux effet de la puissance de la parole de Dieu ; il est ravi que l’Évangile, dont il est le ministre, soit tellement opérant que dès que cette parole est reçue et goûtée par le cœur, elle fructifie. Car elle fonde l’espérance, non plus sur les biens fugitifs de ce monde, mais sur ceux qui sont réservés dans les cieux. Or la parole de vérité révèle la connaissance de ces biens ; la foi les accepte ; elle se fonde, s’agrandit et s’étend, et la charité ou l’amour s’engendre de cette foi et de cette espérance.

Nous ne cessons de prier pour vous, depuis que nous avons appris l’heureux résultat de la parole sur vous.Ces commencements sont trop intéressants pour que ces chers Colossiens s’en tiennent là ; mais avant d’arriver à la parfaite stature de Christ, ils ont une bien autre carrière à parcourir.

Vous connaissez déjà la grâce de Dieu dans la vérité de son Évangile.N’est-ce pas comme s’il leur disait : vous avez reçu cette vérité ; la grâce qu’elle renferme a fructifié en vous. Je demande encore plus pour vous ; je demande que vous soyez remplis de la connaissance de la volonté de Dieu, en toute sagesse et intelligence spirituelle, afin que vous vous conduisiez dignement et comme il convient, selon le Seigneur, pour lui plaire à tous égards, fructifiant en toute bonne œuvre, et croissant en la connaissance de Dieu. Il ne s’agit plus seulement de fructifier par l’effet de cette grâce prévenante et si précieuse qui dispose le cœur et fonde la foi ; saint Paul savait qu’il ne suffit pas de naître à Dieu, mais qu’il faut croître en sa connaissance ; que la vraie règle pour se conduire dignement selon le Seigneur, c’est-à-dire, suivant le divin modèle, était la connaissance de la volonté divine en toute sagesse et intelligence spirituelle.

Cette connaissance de Dieu, en toute sagesse, ne s’obtient que par l’amour divin. L’amour augmente la connaissance de la volonté de Dieu ; la connaissance de cette volonté augmente de nouveau l’amour pour Dieu, et cet amour fait qu’on lui plaît à tous égards parce qu’on devient plus conforme à son fils unique. C’est alors que nous fructifions en toutes bonnes œuvres : car la BONNE ŒUVREest d’obéir à la volonté de Dieu, comme Jésus-Christ y a obéi. Oui, c’est par cette obéissance qu’on obtient la démonstration des vérités célestes, et qu’on prend croissance dans l’amour divin. Nous venons de le dire, et nous le répétons comme principe essentiel, plus on connaît Dieu et sa volonté, plus il augmente cette connaissance, et plus par sa sagesse il opère sur l’homme, en l’homme et par l’homme ; car il le fortifie en toute force selon la puissance de sa gloire, en toute patience et tranquillité d’esprit avec joie.

Saint Paul est magnifique dans ses expressions pour faire comprendre ce que Dieu fait éprouver à celui qui veut lui être fidèle, il dit qu’il le fortifie suivant la puissance de sa gloire ; ainsi il le fortifie d’une puissance à laquelle rien ne résiste, puisque c’est la puissance de sa gloire. Mais en quoi et comment le fortifie-t-il ? L’homme naturel et sans expérience croit que Dieu communique une force qui donne une victoire éclatante ; ah qu’il se trompe ! Mais le Chrétien que la grâce régénère et fortifie en toute patience et tranquillité d’esprit est affermi par la paix que le monde ne donne pas et que Dieu seul peut donner ; il est animé d’une nouvelle vie pour pouvoir supporter en patience ses croix souvent ignominieuses ; il est fortifié en tranquillité d’esprit pour voir tomber autour de lui tout ce que l’amour propre veut et désire ; il est encore fortifié en tranquillité pour voir s’évanouir toutes les excuses, tous les calculs et les combinaisons de la raison humaine ; il est fortifié enfin pour voir même avec joie tous ces dépouillements si pénibles à la nature : car s’ils arrachent tout à l’homme, ils laissent à Dieu l’honneur de la victoire, puisque sa volonté est accomplie.

C’est l’accomplissement de cette même volonté de Dieu que l’apôtre appelle ailleurs notre sanctification, et il veut que toutes nos facultés corporelles, toutes nos puissances spirituelles concourent à cette sanctification. Il ne suffit pas seulement d’émonder l’arbre des vices grossiers, mais il faut attaquer la sève. Or c’est dans les facultés intellectuelles que se trouve le principe de la corruption de notre nature. C’est de là que partent les premières étincelles qui allument le feu de la concupiscence. Si au lieu de les laisser éteindre, l’imagination les nourrit, l’homme devient inique, et ainsi opposé à la justice et à la volonté de Dieu. L’homme étant devenu inique commet l’iniquité. L’iniquité n’est plus alors que le résultat matériel de ce qui depuis longtemps avait pris vie dans les facultés supérieures de l’homme.

Or puisque l’iniquité a pris vie dans les facultés supérieures, il faut qu’elle y meure et que ces facultés soient entièrement renouvelées. Mais comme les sens et les organes corporels ont servi à la manifester au dehors, il faut que ces mêmes organes servent aussi à la sanctification, c’est-à-dire, qu’ils soient livrés à la justice de Dieu qui, s’exerçant alors sur eux, les purifie, les sanctifie et les régénère pendant toute la durée de l’existence de l’homme, et tout comme il a fait servir ses membres à la souillure et à l’iniquité, ainsi il doit les appliquer maintenant pour servir à la justice, c’est-à-dire, à une pénitence active et à la sainteté.

Nos sens sont donc les objets sur lesquels et par le moyen desquels s’exerce la justice divine, et toutes les facultés spirituelles que renferme notre être, auxquelles le corps sert de lien et de chaîne, peuvent être purifiées et améliorées aussi longtemps que nous demeurerons dans cette tente terrestre.

C’est pourquoi la Divinité même s’est abaissée jusqu’à la forme corporelle, afin de pouvoir soumettre à la justice divine le même corps qui servait de prison à l’homme déchu, et afin que le sacrifice volontaire de ce corps servît de moyen pour racheter l’homme coupable ; car il était impossible que des sacrifices figuratifs pussent enlever les péchés, et il fallait que la volonté de Dieu se fît entièrement et dans toute son étendue ; c’est pour cela que le Verbe-Dieu s’écrie : Je viens, ô Dieu, faire votre volonté ; et comme je suis par mon obéissance l’expression de cette volonté, c’est pourquoi je livre mon corps aux ignominies et au supplice, afin qu’en le soumettant jusqu’à la mort et à la mort de la croix, je restitue les usurpations que l’homme vous avait faites. Or le Chrétien, à l’exemple de Jésus-Christ, livrant son corps à la justice divine, fait servir ses membres à la sanctification, et les souffrances qu’il éprouve en patience et en tranquillité d’esprit, arrosées du précieux sang de Jésus-Christ 197, et sanctifiées par l’infinité de son sacrifice, rendent l’homme sain, et le fruit de son obéissance sert à avancer sa sanctification.

Voilà le grand moyen d’accomplir et de faire la volonté de Dieu.

Ne soyons pas étonné qu’il soit exigé de l’homme une si grande pureté pour être réuni à sa dernière fin qui est Dieu ; car comment des êtres souillés, pleins de l’amour d’eux-mêmes et esclaves du néant par l’attachement aux créatures, pourraient-ils habiter le séjour de la lumière et de la paix, et converser avec des êtres tout saints, tout purs et uniquement occupés à aimer et à glorifier Dieu.

C’est cette vue sublime du renouvellement de l’homme en Jésus-Christ qui fait découvrir à Saint Paul, par la lumière divine, la dernière fin du chrétien régénéré, son immensité et son admirable étendue ; et c’est pourquoi il s’écrie avec transport : Rendons grâce au Père Éternel qui nous a rendus capables de participer à l’héritage des saints dans sa lumière.

Remarquons bien dans sa lumière, nous ne sommes pas nés pour ce monde, où tout est ténèbre, confusion, changement ; le Père veut nous rendre participant d’une bien plus haute destination ; car c’est dans les demeures célestes qu’est fixé l’héritage des Saints et notre véritable patrie.

Mais comment pouvons-nous espérer une si grande faveur, nous qui par notre nature sommes péché et si fort éloignés de Dieu ? C’est, dit saint Paul, parce qu’il nous a délivrés de la puissance des ténèbres, qu’il nous a transportés au royaume de son fils bien-aimé en qui nous avons la rédemption par son sang, c’est-à-dire, la rémission des péchés. Il est certain que si nous ne sommes plus péché, nous sommes délivrés de la puissance des ténèbres : or si nous ne sommes plus sous la puissance des ténèbres, nous sommes transportés sous une autre puissance, et cette autre puissance est celle du fils bien-aimé.

Quel nouveau jour se lève sur celui qui croit à cet ordre de choses ! Quelle grâce, ô mon Dieu ! quel mystère ! Mais faut-il que j’en comprenne toute l’étendue pour y participer ? Tais-toi, ma raison, tu es incapable de comprendre et de concevoir cet excès de bonté ; mais mon cœur s’ouvre à la confiance, à la reconnaissance et à l’amour.

Je remets mon esprit entre vos mains, ô fils bien-aimé, dans le royaume duquel je suis transporté en espérance. Il vous a plu, ô sagesse éternelle, que mon intelligence soit comme absorbée et engloutie par l’éclat de votre lumière. Que cette lumière divine pénètre encore dans mon cœur et se glisse dans tous ses replis, qu’elle le prépare par cette opération à recevoir l’empreinte des mérites de ce sang qui procure la rédemption, c’est-à-dire, la rémission des péchés, de ce sang qui nous renouvelle comme l’aigle, de ce sang qui fait du cœur de l’homme un temple vivant ; car ce ne sera plus ce cœur de chair qui se reconnaît coupable, ce sera ce cœur que vous aurez recréé de la poussière de son néant.

Refuserai-je, ô fils bien-aimé, de reconnaître la puissance que vous possédez pour me racheter de la mort ? Cesserai-je d’être anéanti sous le mystère de votre œuvre et de votre amour pour l’homme, parce que vous le voilez à celui qui ne le considère que comme une pieuse invention, ou qui tout au plus, eu égard à la beauté et à la simplicité de l’Évangile, vous regarde comme un sage 198, un philosophe et même un législateur fameux, par rapport à la sublimité de la morale que vous avez pratiquée et enseignée. Mais la réalité de ce mystère de renouvellement, cet amour incompréhensible d’un Dieu qui se fait homme pour sauver l’homme condamné, dépasse tellement toute la mesure de leur raison, qu’ils se refusent à l’évidence de votre divinité, et par-là même à la puissance absolue qui en est la conséquence. C’est en vain que saint Paul, saint Jean, et toute l’Écriture établissent votre divinité de la manière la plus claire et la plus triomphante, ils ferment obstinément les yeux à la lumière ; et ils sont sans excuses, car voici ces paroles positives :

Le Fils bien-aiméJésus-Christ est l’image du Dieu invisible ; il est le premier né de toutes les créatures, par lui ont été créées toutes les choses qui sont aux cieux, et en la terre, les visibles et les invisibles, soit les trônes, ou les dominations, soit les principautés, ou les puissances ; toutes choses ont été créées par lui ; il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent par lui.

L’apôtre saint Paul s’élève ici aux vérités les plus hautes et les plus transcendantes, concernant la génération éternelle du Verbe et ses perfections infinies. Il n’est pas plus possible d’assigner à la parole un commencement qu’il n’est possible de sonder la profondeur de l’union ineffable et d’expliquer le mystère incompréhensible de la Très-Sainte Trinité. Le Verbe est de toute éternité, c’est donc à lui seul qu’il appartient de révéler les richesses abyssales de ce principe invisible, indépendant, innominable de cet être infini que nous appelons Dieu, dans qui et auprès de qui il était. Oui, le Verbe est auprès de Dieu, afin de montrer que l’unité divine reste dans toute son indépendance ; car quelques opérations qu’elle veuille faire par son agent éternel, sa puissance manifestera toujours la splendeur éternelle de sa gloire.

Le Verbe est en Dieu, constituant l’unité indivisible, éternellement complète et terminée par un amour inexprimable.

Ne pouvant cesser d’être Dieu, il renferme en soi les idées, les modèles de tous les êtres. Il manifeste aussi qu’il est le Dieu-Fort et puissant, le Père d’éternité, celui qui a tout fait, tout créé par le souffle de sa bouche et sans lequel rien de ce qui a été fait n’a été fait.

Le Verbe est la ressemblance, et l’être même du Dieu invisible ; il a manifesté la fécondité infinie de sa puissance, de sa bonté et de sa sagesse dans toutes les œuvres qu’il a produites. En lui est la vie, et la lumière de l’univers et de tous les êtres qui le peuplent. Par pure grâce il la leur communique, afin qu’ils jouissent de la clarté de cette lumière et de l’abondance de cette vie pour manifester par amour l’excellence des perfections divines. Le Verbe leur confie ces merveilles afin d’en faire briller l’ordre magnifique et d’en caractériser le genre et l’espèce. Ainsi les créatures sont les signes extérieurs de telle ou telle perfection divine que Dieu manifeste dans leurs différentes classes 199.

La signature distinctive de tous les êtres était nécessaire pour les différencier les uns des autres, tellement qu’aucun ne se ressemblât, malgré l’apparence du contraire, et aussi pour que jamais on ne pût les confondre avec la cause première, avec cet être si infini, si grand, si inomminable qu’il ne peut être exprimé que d’une manière négative, en déclarant non ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas.

Ce sont ces profondes vérités, concordantes avec les idées sublimes de saint Paul, que sans doute le roi-prophète avait en vue lorsque, contemplant la grandeur de Jéhovah, il s’écriait : L’a-t-on regardé, on en est illuminé, et leurs faces ne sont point confuses 200.

Les perfections inépuisables du Verbe-Dieu sont en lui et hors de lui pour être successivement manifestées lorsque l’heure en est venue.

Les intelligences composant les hiérarchies célestes sont en lui, et auprès de lui, comme il est en Dieu et auprès de Dieu, afin de consommer la grande unité que Jésus-Christ demandait à Dieu son père, lorsqu’il opéra le salut du monde : Qu’ils soient un comme toi et moi sommes un 201. Et non-seulement les hiérarchies célestes, mais encore toutes les créatures intelligentes et raisonnables sont appelées à jouir de ce bonheur. Car en prouvant par amour qu’elles ont correspondu à l’œuvre qu’elles avaient à faire par la grâce que Dieu leur avait confiée ; qu’elles ont rempli leur destination en foi et en confiance, elles participeront, par miséricorde et par justice, à la béatitude céleste. Arrivées alors à leur principe et à leur dernière fin, elles pourront jouir sans cesse de la lumière dans la lumière même, suivant la mesure dont était susceptible l’individualité qui leur avait été donnée pour faire rayonner, dans l’univers, l’ordre et la distinction des séries admirables des idées divines.

Mais arrêtons-nous ici ; ce n’est pas en voulant décrire ce Verbe en tout sens infini que nous pourrons le glorifier et saisir ce qu’il est ; mais c’est en nous anéantissant, et en l’adorant dans un profond silence.

Oh ! qu’il est malheureux de ne pas être éclairé de la véritable lumière qui nous découvre les grandeurs de Jésus-Christ dont l’Écriture rend partout des témoignages si éclatants.

C’est se priver soi-même de toutes les consolations qui sont la conséquence de ce principe, si on l’admet ; car si on connaît votre divinité, ô Jésus médiateur, on reconnaît votre puissance sans bornes, et dès lors votre miséricorde aussi infinie que l’est votre puissance.

Mais tout en admettant, même par le cœur, ces vérités, on peut malheureusement encore sans cesse vous offenser. Ô mon Dieu, je le sais, je le sens ; la faiblesse et la corruption de la nature ne nous ramènent que trop dans le précipice d’où votre amour cherche continuellement à nous arracher ; mais du moins si on espère une miséricorde divine, et par conséquent infinie, on ose implorer celui qui l’accorde.

Oh ! que cette partie de l’épître aux Colossiens est belle, claire et précise ! Elle ne laisse aucun doute, aucune incertitude pour celui qui veut de bonne foi qu’on pose devant lui le fondement le plus solide, la divinité de Jésus-Christ et sa médiation. Comme elle est efficace, cette médiation, car saint Paul ne se contente pas de montrer aux Colossiens le Dieu créateur, après les opérations du Dieu-homme, c’est l’homme-Dieu qu’il leur présente, c’est là qu’il établit la divinité de Jésus-Christ jusqu’à l’évidence 202.

Sous ce nouvel aspect d’Homme-Dieu, saint Paul montre Jésus-Christ comme le chef du corps de l’Église, comme le commencement et le premier né d’entre les morts, afin qu’il tienne le premier rang en toutes choses. Oui il n’y avait que le fils de Dieu qui pût avoir des titres aussi glorieux. Lui seul a démontré de la manière la plus évidente le pouvoir infini de son essence divine cachée sous le voile de l’humanité. Ajoutons encore que comme le bon plaisir du Père a été que toute la plénitude de la divinité habitât dans le Fils, comme c’est le fils qui a manifesté cette plénitude et que par cette raison il est le premier né de toutes les créatures ; il a fallu qu’il fût aussi le premier né d’entre les morts pour qui se fondait cette église, et ainsi le fils bien-aimé démontre l’efficace de l’essence divine et sa primauté quand il crée et quand il ressuscite.

Saint Paul est si plein de cette grande vérité qu’il la rappelle fréquemment dans ses épîtres. C’est le même sentiment qu’il exprime avec l’énergie qui lui est propre, lorsqu’écrivant aux fidèles de Rome il dit que Jésus-Christ a été déclaré pleinement fils de Dieu, en puissance, selon l’esprit de sanctification, par sa résurrection d’entre les morts.

Il n’est pas possible à un esprit droit et sincère, et qui ne veut pas fermer les yeux à l’évidence, de résister à la preuve que Jésus-Christ est notre Seigneur par la puissance de cet esprit de sanctification qui l’a ressuscité d’entre les morts. Mais qu’est-ce que c’est que l’esprit de sanctification ? C’est le pur divin en Dieu, en qui il n’y a aucun mélange. C’est de posséder en soi, comme propriété essentielle de son être, la vie divine dans sa plénitude.

Et c’est cet esprit que Jésus-Christ possédait au plus haut degré de perfection, puisqu’il n’avait en toutes choses d’autre vue que celle de glorifier Dieu son père.

Comment la puissance dont Jésus-Christ était revêtu aurait-elle pu réveiller en lui le principe de la vie pour se ressusciter lui-même, s’il n’avait pas eu cet esprit de sanctification, s’il n’avait pas été la cause première et le principe de tout ce qui jamais a reçu le mouvement et l’être ?

Si Jésus-Christ n’était point ressuscité, il aurait paru séparé de Dieu son Père avec lequel il était uni ; mais par sa résurrection d’entre les morts, l’esprit de sanctification a manifesté avec la dernière évidence l’unité éternelle du Père et du Fils.

Jésus-Christ se manifeste aussi comme l’Homme-Dieu dans l’âme du fidèle 203, quand il y exerce l’office de médiateur, de de sauveur et de sacrificateur, anéantissant en elle par l’esprit de sanctification le péché comme étant la cause de sa mort ; c’est de cette manière que l’homme devient, par l’efficace de la résurrection de Jésus-Christ, participant de la gloire attachée à la filiation et à la fraternité divine. Mais il faut que la foi en Jésus-Christ promis, donné et déclaré fils de Dieu en puissance selon l’esprit de sanctification, détermine l’homme à se convertir, à se soumettre, à s’unir à cet esprit, et par-là au fils adorable, Jésus-Christ notre Seigneur, afin que par ses mérites infinis, le salut, le repos et la résurrection lui soient donnés.

Il a plu au Père de réconcilier toutes choses avec lui, et faire la paix par le sang de la croix de son fils, tant les choses qui sont aux cieux que celles qui sont sur la terre. Comment le sang de Jésus-Christ aurait-il opéré la réconciliation si la plénitude de la divinité n’y avait été cachée ? Ainsi il est Dieu quand il crée les choses visibles et invisibles ; il est Dieu-Homme quand il vient opérer le salut de l’homme ; enfin il est Homme-Dieu, quand il répand le sang qu’il a emprunté de l’homme pour y substituer sa divinisation 204.

Telle est l’instruction que saint Paul donna aux Colossiens. Après cela il prend un langage plus simple, il leur fait apprécier leur bonheur. Vous qui étiez autrefois éloignés de Christ, qui étiez ses ennemis en votre entendement, et en mauvaises œuvres, il vous a maintenant réconciliés en sa mort, par le corps de sa chair, pour vous rendre sans tache et irrépréhensibles devant lui. C’est une position bien triste que celle de ceux qui sont ennemis de Dieu dans leur entendement, c’est-à-dire, par l’obstination de leur raison, qui bouchent leurs oreilles pour ne pas écouter la parole du Verbe, qui sont ennemis de l’Éternel en mauvaises œuvres ; car ces œuvres sont mauvaises, puisque les passions les dirigent.

Oui, elle est affreuse l’histoire des hommes qui vivent sans Dieu dans le monde 205, qui sont abandonnés à leurs propres convoitises, qui, au lieu de rendre au Créateur le culte souverain, le rendent à la créature. Livrés à toutes les passions, ils s’abandonnent à toutes sortes de péchés et d’injustices. Ils sont remplis de toutes sortes de méchancetés, de fornications, d’avarice, de malignités, ils sont envieux, meurtriers t querelleurs, trompeurs. Ils sont corrompus dans leurs mœurs, semeurs de faux rapports. Ils sont haineux, superbes, altiers, inventeurs de nouveaux moyens de faire le mal, désobéissants à leurs pères et mères privés de l’affection qu’inspire la nature, sans prudence, sans modestie, sans foi, sans miséricorde.

Ah ! que ces hommes sont éloignés du chemin de la vie puisqu’ils tiennent la route directe qui conduit à la perdition.

Voilà l’affligeant tableau de ceux qui vivent selon les inclinations de la nature corrompue et les désirs du vieil homme privé de la vie de Dieu.

C’est de cet état de condamnation dont Jésus-Christ veut nous délivrer. Mais il faut pour cela que le vieil homme soit crucifié, soit dans cette vie, soit dans l’autre. Et à quelle fin ? C’est pour que le corps du péché ne soit pas seulement attaqué, mais qu’il soit détruit et complètement anéanti. Quel est ce corps du péché ? Ce n’est pas seulement le débordement honteux des vices dont nous venons de donner l’énumération, mais encore l’égoïsme, l’amour de sa propre excellence, le propre intérêt, l’orgueil spirituel et la propriété. Voilà ce qui constitue le corps du péché, qui doit être anéanti par les mérites et la vertu du Saint-Esprit que Jésus-Christ nous a obtenus par ses souffrances, puisque c’est par lui que nous avons la réconciliation avec Dieu. Car dès l’instant qu’on adopte Jésus-Christ pour Seigneur, déjà l’on a la réconciliation ; mais il faut y croire, et lorsqu’on y croit d’un cœur ferme et sincère, on est en chemin pour devenir saints, sans tache et irrépréhensibles. Il n’est pas nécessaire d’observer que nous ne pouvons pas devenir saints par nous-mêmes, ce qui serait le cas d’une œuvre propriétaire et de peu de mérite, et nous ferions alors l’expérience de ce que dit le prophète Roi : Si le seigneur ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent, la bâtissent en vain 206 ; mais croyons, travaillons et aimons, et nous serons rendus Saints par les divins effets de la mort de Jésus-Christ. Son grand sacrifice a l’efficace de rendre l’homme sans tache et irrépréhensible, parce qu’il lui apprend à obéir à la volonté de Dieu. Il la suit d’autant plus parfaitement qu’il est souple à recevoir l’application du sang de Jésus-Christ. Pourvu, dit saint Paul, qu’on demeure fondé et ferme dans la foi, qu’on ne se laisse pas transporter hors de l’espérance de l’évangile que l’on a ouï et reçu et qui a été prêché par ceux que Jésus-Christ a fait ses ministres.

Or, quelle est la marque à laquelle on puisse distinguer ceux qui demeurent fondés et fermes dans la foi, qui ne se laissent pas transporter hors de l’espérance de l’Évangile ? Ce sont ceux qui persévèrent dans l’exercice des bonnes œuvres, et qui recherchent l’honneur, la gloire et l’immortalité 207. Mais quelles sont les œuvres qui peuvent être réputées bonnes’? Ce sont celles qui ont Dieu pour principe et pour fin. Ce ne sont point des œuvres issues de la volonté de l’homme, de sa propre invention, de son imagination, de son caprice ; mais ce sont celles qui, étant inspirées par l’Esprit-Saint, s’opèrent en foi et en obéissance. Si elles dépouillent l’homme de toutes ses attaches, elles procurent à Dieu la gloire et l’honneur qui lui appartiennent. Car elles ne doivent tendre qu’à cette fin. En effet, l’homme ayant été créé pour exprimer quelques perfections de Dieu, il ne remplit ce but qu’autant qu’il fait des œuvres qui procurent à cet être adorable l’hommage souverain qui lui est dû.

L’homme en agissant doit sans cesse être animé de l’esprit d’abnégation de lui-même, avec l’intention directe de ne faire que la volonté de Dieu, non selon ses goûts et ses idées propres, mais d’après le seul vouloir divin exprimé dans sa parole. Ici l’intérêt particulier avec tout ce qui procède du propre choix doit disparaître et s’éclipser ; et c’est ainsi que toutes nos actions, étant faites en vue de Dieu, atteignent le but et conduisent à la vie éternelle.

Après cette courte exhortation sur la nécessité de la persévérance et des bonnes œuvres, saint Paul dit aux Colossiens une chose bien peu connue : Maintenant je me réjouis en mes souffrances pour vous. Il est certain qu’aucun perfectionnement réel ne peut s’opérer dans l’homme sans l’efficace de la croix de Jésus-Christ, saint Paul le sait et le révèle ici.

L’esprit saint avait mis dans son cœur de demander à Dieu pour les Colossiens la connaissance des vérités de l’Évangile ; et la bonté de Dieu voulut que cette grâce précieuse leur fût accordée par l’entremise de celui dont la charité était assez active pour consentir à être leur défenseur et leur caution. Le contrat se forme en quelque sorte entre Dieu et l’apôtre charitable. Il aidera ceux en faveur de qui sa charité le presse à obtenir le salut 208 ; à l’exemple de Jésus-Christ il portera en souffrances ce qu’ils ne se seraient pas capables de porter. La justice s’exercera sur lui pour qu’ils obtiennent miséricorde. C’est lorsque saint Paul reconnaît que cette miséricorde est faite et qu’il en voit les effets qu’il dit : Maintenant je me réjouis en mes souffrances pour vous. C’est comme s’il leur eût dit : « Je reconnais que Dieu est fidèle ; je souffre, mais je m’en réjouis, parce que vous serez participants des grâces qui en seront l’heureux résultat. »

J’accomplis dans ma chair le reste des afflictions de Jésus-Christ pour son corps mystique qui est l’Église, c’est-à-dire, je fais l’expérience des douleurs souffertes par Jésus-Christ pour sauver les hommes, non-seulement je fais cette expérience, mais j’accomplis, pour ainsi dire, le reste des afflictions de Jésus-Christ, puisqu’il fait en moi l’extension de son sacrifice ; car Jésus-Christ s’est réservé de faire cette extension sur ceux qu’il a destinés à être ses frères et ses vrais coopérateurs pour l’édification de son Église, dont saint Paul a été fait le ministre, selon la dispensation de Dieu qui lui a été donnée pour accomplir la parole du Seigneur.

Pour confirmer ce qui vient d’être dit, observons qu’ici saint Paul se déclare le ministre constitué de Dieu, par rapport aux Colossiens, mais suivant une dispensation particulière. Faisons bien attention à cela, ce n’est pas seulement pour leur prêcher l’Évangile qu’il a cette dispensation, mais il a encore un autre ministère. Et quel est-il ? D’accomplir pour les Colossiens la parole de Dieu qui leur avait été aussi prêchée par Épaphras. Quel est cet accomplissement ? N’est-ce pas cette extension des souffrances de Jésus-Christ pour son Église. Ce que Jésus-Christ a fait pour l’universalité, ses ministres prédestinés doivent le faire pour les sections de ce grand tout. Ainsi il y a dans le ministère évangélique différentes fonctions. Épaphras et saint Paul promulguent la parole, mais saint Paul fait encore plus, il l’accomplit ; ce qui explique ces mots assez difficiles d’une autre épître : Paul plante et Appolos arrose 209.

Cette extension du sacrifice de Jésus-Christ dans les membres vivants de son Église militante est un mystère qui avait été caché dans tous les siècles et dans tous les âges, mais qui est maintenant manifesté à ses saints auxquels Dieu a voulu donner à connaître quelles sont les richesses de la gloire de ce mystère. Ainsi, ô Dieu, ce n’est pas seulement l’extension du sacrifice de Jésus-Christ que vous avez voulu et institué, vous manifestez à vos saints une autre extension, et vous leur donnez à connaître quelles sont les richesses et la gloire de ce mystère, Jésus-Christ dans l’homme ; déjà saint Paul l’avait dit : Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi. Vous faites tellement disparaître l’homme naturel, criminel et coupable, que vous vivez et régnez dans l’homme régénéré comme vous avez vécu dans le sein de Marie, comme vous avez vécu pendant votre séjour sur la terre. Et que faites-vous alors dans cet homme ? Vous régnez, vous combattez, vous opérez puissamment. Et qu’est-ce que vous opérez ? Ce qui est le plus glorieux à votre père, l’extension du sacrifice qui lui ramène tous les êtres. Aussi saint Paul est dans l’admiration de cette extension, qu’il appelle les richesses de la gloire de ce mystère bien peu connu ; car s’il est manifesté à la foi de quelques fidèles, il n’est manifesté dans toute sa plénitude qu’à l’expérience des Saints de Dieu ; et combien peu s’en trouvent-ils qui se vouent à cette expérience, et qui répondent à l’appel qui peut leur en être fait.

Cependant saint Paul l’annonce, ce mystère. Je vous l’annonce, ce Jésus-Christ, l’espérance de la gloire ; je vous l’annonce, en vous exhortant et vous enseignant en toute sagesse, afin que nous rendions tout homme parfait en Christ.

Saint Paul enseigne et exhorte les fidèles de Colosse en toute sagesse, c’est-à-dire que dans toutes les circonstances il choisit et il approprie les moyens les plus efficaces pour atteindre le but qu’il se propose, et ce but n’est autre chose que de conduire les âmes non à soi, mais à Jésus-Christ leur unique Seigneur et leur Dieu.

Qu’ils sont rares dans notre siècle les ministres du Seigneur qui sont revêtus de cet esprit de sagesse. Que l’église de Christ serait bientôt renouvelée si les pasteurs des âmes demandaient à Dieu cet esprit de bon conseil et de prudence, afin de conduire les hommes à la piété qui est selon la vérité, avec ce discernement et cette discrétion que Dieu accorde à ceux qui la lui demandent avec une ardeur persévérante.

Ô pasteurs des âmes, suivez le modèle que saint Paul vous donne dans la manière dont il se conduit pour amener les hommes à Christ. Il se fait tout à tous, afin d’en gagner plusieurs. Commencez à devenir vous-même par votre conduite et votre exemple des flambeaux ardents 210. Soyez doux et sévères à propos, selon la mesure de sagesse que l’Esprit de grâce vous fournira, si vous vous laissez conduire par sa motion. Demandez-lui les directions efficaces pour conduire les âmes dans les routes que Jésus-Christ a suivies pour apporter la lumière et la vie sur la terre.

Renoncez à votre propre justice, à votre propre jugement, pour ne vous conduire que d’après les célestes leçons que vous trouverez dans la loi et le témoignage que Dieu a donné à son église.

Les maux, les illusions de tout genre, seraient bientôt dissipés dans la conduite des âmes, et on verrait des hommes en foule se convertir, si ceux qui doivent les diriger s’y prenaient avec sagesse et intelligence. Mais l’esprit de domination, de hauteur, de caprice gâte tout et fait que nombre de chrétiens reculent au lieu d’avancer dans le chemin de la perfection.

Oui, ils sont incalculables les maux que les faux docteurs, les faux sages et les directeurs intéressés causent au troupeau de Jésus-Christ. On ne voit que trop de ces esprits contentieux qui, ne se rendant pas à l’évidence de la vérité des voies intérieures, embrassent plutôt la fausseté et l’erreur. Ils savent jeter un voile trompeur sur ce qu’il y a de plus saint, de plus grand et de plus respectable dans la religion, et par de ténébreux stratagème séduisent les âmes faibles et non affermies dans la vérité. Leurs discours manquent du sel de la sagesse, et leurs actions ne sont pas inspirées par l’esprit de vie. Ce qu’ils disent, ce qu’ils font est le mensonge, engendre la mort et l’appelle. Fuyant la croix, ils ont honte de Christ et de ses opprobres. La morale qu’ils enseignent est toute humaine, privée de la grâce et de l’esprit d’oraison, ne reposant que sur les forces de l’homme, qui est la faiblesse même et qui, sans le secours de Dieu, est incapable de remporter la victoire sur ses passions. Leur doctrine manque donc du fondement solide de la vie de Jésus-Christ en nous. C’est ainsi qu’ils ne conduisent pas les âmes à la perfection évangélique, parce qu’ils ne les conduisent pas à Jésus-Christ qui est le principe et la cause de toute sainteté. En effet, qui est-ce qui peut rendre l’homme parfait, si ce n’est celui qui est l’image de toute perfection ? Or la perfection a été souffrante et sacrifiée pour son corps mystique qui est l’Église, donc l’homme ne peut être parfait s’il ne porte l’empreinte de ce trait de toute perfection ; mais aussi, s’il est fidèle, il sera participant des mêmes avantages et associé à la gloire de la rédemption, puisque celui qui l’opère agit puissamment en lui par son efficace. Oui Jésus-Christ est dans les saints, ses vrais membres, en qui il étend réellement son sacrifice éternel, qui a été, qui est, et qui sera les richesses de sa gloire.

Comment le disciple de la sagesse, celui en qui le rayon de la véritable lumière a réfléchi sa clarté, pourrait-il se refuser d’adopter et de croire une si consolante doctrine ? Les paroles de saint Paul sont si précises que nous ne pouvons douter de cette sacrificature intérieure, par laquelle les vrais disciples sont appelés à accomplir ce qui reste des afflictions de Jésus-Christ.

C’est ce mystère qui a été si complètement révélé 211 qui donne à l’église de Dieu cette fécondité et cette constance inébranlable, parce qu’elle est toujours pourvue de vrais porte-croix et de victimes vivantes qui opèrent en souffrances l’extension du grand sacrifice de celui qui l’a fondée 212. En vain les ennemis de Dieu feront-ils les plus grands efforts pour détruire ces vérités du Christianisme intérieur, ils n’y parviendront jamais. En vain abattront-ils les temples et feront-ils cesser tout culte extérieur, jamais ils ne pourront anéantir Jésus-Christ dans l’homme où il est vivant. Oui, ô rédempteur, vous n’abandonnerez pas vos élus qui crient à vous jour et nuit 213, quoique pour l’amour d’eux, vous différez de vous irriter contre leurs adversaires. Oui vous les protégerez et vous les soutiendrez. Qu’il est consolant, ô mon Dieu, de penser que le sang de ceux qui sont appelés à le verser pour votre témoignage, est celui des membres vivants de votre corps dont vous êtes le chef auguste, sang précieux qui deviendra l’arrosement de votre église universelle contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront jamais.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XIII.

 

 

CONFIRMATION DE LA DOCTRINE DE SAINT PAULSURJÉSUS-CHRIST, PAR LES TÉMOIGNAGES ET LES SENTIMENTS DU ROI ET PROPHÈTEDAVID 214.

 

 

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ON a vu dans le discours précédent quelle était la doctrine de saint Paul sur la personne sacrée de Jésus-Christ. Nous allons en faire la comparaison avec les sentiments du Roi et Prophète David. Entre le grand nombre de chants prophétiques que le Roi David a composés sur la personne adorable de Jésus-Christ, celui que nous allons examiner en est un des plus remarquables. La manière dont il débute est magnifique, et dès l’entrée l’on comprend qu’il parle d’un personnage d’une grande élévation : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, assieds-toi à ma droite !

Quel peut être le sens de cette locution du prophète ? Elle exprime la révélation que l’Esprit-Saint lui fait du Verbe-Dieu hypostatiquement et imperdablement uni avec le Christ.

Par cette révélation, David apprend, croit et confesse que nécessairement Jésus-Christ est son Seigneur et le puissant Rédempteur de son âme. Ce langage a une grande analogie avec celui que tint saint Jean. Parlant plus tard de la génération divine qu’il avait apprise de son cher maître, il se sert de ces expressions sublimes : Dans le principe était le Verbe ; le Verbe était auprès de Dieu ; le Verbe était Dieu. Le langage est impuissant lorsqu’il faut rendre l’Esprit et la vie que ces paroles contiennent ; mais si elles s’impriment dans l’intime de l’être, si la foi les conserve, si l’espérance s’en nourrit, l’instant de leur manifestation arrive, et le même esprit qui a dicté l’expression de ce profond mystère déchire le voile pour faire comprendre et goûter la vérité qu’il couvre.

Jésus-Christ, disputant avec les Juifs sur l’origine de sa personne, se servit du commencement de ce psaume pour donner aux Pharisiens assemblés une grande instruction 215, s’ils sont assez dociles pour la recevoir. Voulant prouver la vraie doctrine sur la divine génération du Verbe ; il leur demande : Que vous semble du Christ ? De qui est-il fils ? Les Pharisiens qui ne s’élèvent pas au-dessus de la lettre, au-dessus des choses visibles, au-dessus de la raison, qui a son domaine borné, se hâtent de répondre : Le Christ est fils de David. De David, reprend Jésus-Christ ? Mais comment David, en parlant par l’Esprit, l’appelle-t-il son Seigneur, disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis vos ennemis sous l’escabeau de vos pieds ? Si donc David l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? Personne ne put lui répondre et n’osât plus l’interroger depuis ce jour-là.

Ainsi la révélation que l’Esprit-Saint fait à David dans ce beau passage force ce grand prophète à manifester, avec la dernière évidence, que quoiqu’il soit destiné à produire dans le temps Jésus-Christ, quoiqu’il soit le temple où il repose, il n’est que le dépositaire, que le moyen par lequel s’écoulera ce que cette production aura de visible, c’est-à-dire, l’humanité ; mais la réalité invisible de cette production émane du Verbe son Seigneur. Le Verbe a dit au Christ son hypostase éternel, et par conséquent au Seigneur de David : Asseyez-vous à ma droite.

On ne peut douter que ce ne soit le vrai sens de cet endroit de l’Écriture, puisque Jésus-Christ rend témoignage que le prophète a écrit par inspiration divine, et qu’il cite textuellement ce passage.

Ainsi donc les Pharisiens, du temps de Jésus-Christ, les Ariens, les Sociniens, sous le nouveau testament, qui avec ou plus ou moins d’audace et de témérité, nient la divinité de Jésus-Christ, sont ici condamnés. Car les témoignages de David et de Jésus-Christ rendent évidente cette vérité : Le Christ est Dieu. Que toute la maison d’Israël sache, dit saint Pierre, que Dieu l’a fait Seigneur et Christ 216, et saint Paul : Il n’a dit à nul autre : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis vos ennemis pour escabeau à vos pieds 217.

Il n’a dit aussi à nul autre : Ô Dieu, ton Dieu t’a sacré d’une huile de joie par-dessus tous tes compagnons. C’est encore à ce même Jéhovah, à l’homme Dieu que s’adressent ces paroles : Tu as fondé la terre, les cieux sont l’ouvrage de tes mains ; ils périront, mais tu es permanent ; ils seront changés, mais tes ans ne finiront pas 218. Enfin à nul autre il a été dit : C’est ici mon fils bien aimé, en qui j’ai mis toute mon affection.

Oui le Christ est Dieu, car il a fait une œuvre si grande, si complète, si divine qu’après sa consommation, Dieu lui a dit : Asseyez-vous à ma droite. Or, quelle est cette œuvre ? C’est que la justice de Dieu est pleinement satisfaite par le sacrifice de l’être infini, Jésus-Christ, dont la résurrection confirme la divinité.

Les institutions, conséquences immédiates de ce sacrifice, sont établies comme moyens pour embrasser avec foi la doctrine divine que Jésus-Christ a enseignée, et pour pratiquer les préceptes qu’il nous a donnés par son exemple.

Si nous consultons le sentiment intime de notre âme, nous dirons : Oui certainement le Christ est Dieu ; car ses institutions le démontrent, sa doctrine le prouve, et son sacrifice met le sceau à cette vérité, et tôt ou tard ceux qui s’obstinent à ne pas y croire seront forcés de le reconnaître, et de se soumettre humblement à devenir l’escabeau des pieds de celui qui est un avec Dieu. Sacrificateur éternellement, à la façon de Melchisédech, il exercera toujours son sacerdoce en faveur de ses élus ; car il est mort pour nos offenses, et il est ressuscité pour notre justification, et après avoir donné son âme en oblation pour les péchés des hommes, Dieu l’a souverainement exalté. Assis à la droite de Dieu, son Père, il jouit du fruit de ses conquêtes.

Mais quel est le repos qu’il prend après son élévation, puisque la divinité ne cesse et ne peut cesser d’agir ? Ah ! ce repos est bien mystérieux, c’est son immense charité qui lui lie les mains, pour ne pas exercer ses justes vengeances contre ses ennemis. Ce repos est donc un temps de grâce, qu’il accorde à ses adversaires, pour qu’ils aient le temps de se ranger sous l’Escabeau de ses pieds. Heureux s’ils en profitent, pour reconnaître l’infinité de son amour dans les institutions qu’il a établies et dans la doctrine qu’il a enseignée. Heureux s’ils se prévalent de ce délai pour confesser l’infinité de cet amour dans l’alliance qu’il a contractée avec les hommes qui voudront l’accepter. Enfin heureux s’ils veulent célébrer l’infinité de cet amour dans la consommation du sacrifice auquel il a consenti pour mettre en évidence que Dieu étant toute justice, il est dû à Dieu toute adoration et tout hommage.

C’est dans l’Éternité seule que les élus de Dieu pourront admirer, dans les transports de la plus vive reconnaissance, la charité infinie que Jésus-Christ leur a portée, en quittant la gloire qu’il possédait auprès de son Père pour venir épouser notre nature, et consentir à boire le calice des ignominies dont il a été abreuvé.

Oh ! combien les âmes déjà consommées dans la béatitude céleste ont de joie en voyant Jésus-Christ, leur divin chef, couronné de gloire et d’honneur, sans cesse occupé à intercéder pour leurs frères militants ici-bas, afin qu’ils soient préservés des attaques sans nombre de leurs ennemis et qu’ils partagent leur triomphe.

Contemplons avec ravissement le repos de Jésus-Christ, repos plein d’action et de miséricorde, puisque pendant ce repos divin ont germé et germeront encore les heureux résultats de tant d’amour et de sagesse.

Ô vous qui aimez Dieu, ne vous lassez pas de crier à lui, nuit et jour, pour qu’il ait pitié des pauvres pécheurs qui le méconnaissent. Prions ce charitable Rédempteur, afin que ses ennemis profitent de ce délai et de ce divin repos pour se soumettre à son joug qui est doux et aisé ; car en vertu de l’amour infini qu’il leur porte, il est encore prêt à les recevoir en grâce et dans son alliance.

Pourrions-nous douter que ce repos divin ne soit une action divine, puisque Jésus-Christ est proclamé prêtre éternel, comme nous venons de le dire. Assis à la droite de Dieu, il exerce à toujours son sacerdoce ; car il intercède pour les pécheurs et pour tous les membres de son corps mystique. Il offre d’abord son propre sacrifice. Il étend ensuite la réalité de ce sacrifice et le mérite infini qui en découle dans les cœurs qui se dévouent à son amour.

Ce sacrifice a une efficace tellement grande que sa divine force s’étend sur ces êtres privilégiés et vraiment apostoliques qu’il a destinés à exprimer les états qu’il a portés sur la terre pour les diviniser, afin que ceux qui y auraient part fussent sanctifiés et dès-lors rendus propres à la participation de la divinité.

Comment alors les portes de l’enfer pourraient-elles prévaloir contre ces temples vivants dans lesquels Jésus-Christ réside ? Ses persécuteurs détruiront-ils l’extérieur de ces tabernacles ? Oui, ils pourront les attaquer et peut-être les démolir. Mais ces martyrs seront par-là rendus capables d’obtenir une plus grande part à la glorification que Dieu leur a destinée. Devenus des Prêtres et des vrais Apôtres de Jésus-Christ, ils attireront par leurs prières et leurs sacrifices ceux mêmes qui les avaient persécutés, et ils auront la douce jouissance de les voir se ranger sous l’empire de Jésus-Christ. Ô mon Dieu, combien est-il consolant pour un cœur qui vous aime et qui brûle du désir de vous voir glorifier par toutes vos créatures, d’oser nourrir le doux espoir que vos ennemis et ceux qui vous ont persécutés sont encore susceptibles d’obtenir leur pardon, peuvent encore être attirés par la force de votre doctrine, l’excellence de vos institutions et l’efficacité de votre sacrifice qui justifie pleinement tous ceux qui s’abandonnent à vous avec foi et confiance.

Ô Bonté ineffable, l’homme par son iniquité pourrait-il jamais vaincre votre charité infinie ? Non, non, ces êtres égarés pourront, par l’intervention de vos canaux de grâce, s’approcher de vous et être rendus participants des fruits de votre résurrection.

L’Éternel vous transmettra de Sion le Sceptre de sa force en disant : Domine au milieu de tes ennemis.Il n’est pas douteux qu’après que Jésus-Christ aura été abaissé et humilié dans sa personne sacrée, dans ses fidèles imitateurs qui sont les membres de son corps mystique ; après qu’il aura été rejeté dans l’Esprit vivifiant de sa doctrine céleste, il fera sortir de la Sion Sainte, de la demeure du Très-Haut, cette puissance à laquelle rien ne peut résister, pour assujettir les rebelles, soumettre ses ennemis et triompher de tous ses adversaires. Nous voyons tous les jours des triomphes particuliers sur des cœurs qui ont longtemps résisté aux invitations de Dieu, et qui touchés enfin de sa grâce viennent se rendre sous le sceptre de sa force, confessant leurs fautes et demandant grâce et pardon. Or ce qui arrive journellement sur des milliers d’âmes qui se convertissent à leur sauveur arrivera immanquablement pour l’universalité des peuples. Car il est réservé un jour de triomphe et de gloire à celui qui s’appelle l’ancien des jours et dont les issues sont de toute éternité, à celui qui est hypostatiquement uni à la nature humaine pour la couvrir des mérites de son sacrifice. C’est alors que toutes les nations accourront et se prosterneront devant l’Éternel, glorifieront son nom et admireront sa gloire. Quand le Seigneur aura édifié Sion et quand il aura été vu en sa magnificence.

Si nous voulions appuyer ce sentiment par des autorités, nous pourrions citer plusieurs pères de l’Église, qui ont expliqué ces paroles de la même manière 219. Car ils ont été persuadés qu’outre le vœu ardent que formait le roi prophète pour l’avènement du Messie, il contemplait dans l’avenir, par l’esprit prophétique qui l’animait, le temps glorieux où Jésus-Christ triompherait et régnerait à la fin des siècles sur toute la terre habitable. En effet, en lisant avec attention les écrits des prophètes, ceux du nouveau testament et surtout ceux de saint Paul, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’il est réservé une époque bien désirable où non-seulement les Juifs mais encore tous les peuples chrétiens se convertiront à Dieu et ne formeront qu’une nation sainte consacrée au Seigneur. Mais hélas, que ce temps semble éloigné, que d’obstacles n’aperçoit-on pas à l’arrivée d’un évènement attendu depuis tant de siècles par les enfants de Dieu. Mais plus les choses semblent désespérées en voyant la corruption qui semble tout engloutir, plus nous devons espérer contre toute espérance. Oui, ô mon Dieu, malgré les châtiments qui nous semblent réservés, votre clémence prévaudra sur la condamnation et nous verrons votre miséricorde triompher lors même qu’il semble que vous oubliez vos élus qui crient à vous jour et nuit, et que la fureur de votre justice semble tout dévorer, mais votre bonté qui surmonte votre courroux saura enfin amener les pécheurs à vos pieds.

Les rois à qui vous confiez votre puissance pour exercer votre justice et qui semblent vous être contraires coopèrent néanmoins, par la direction de votre sagesse, à exécuter vos décrets de miséricorde. Ils ne sont que les agents visibles de vos desseins, mais vous, ô mon Dieu, tenez dans vos mains toutes puissantes les ressorts cachés. Vos voies sont impénétrables à la raison humaine qui devrait se soumettre à la force et à la grandeur des évènements qui n’ont pour objet que d’accomplir vos vues de miséricorde, en assujettissant tous les hommes au sceptre de votre fils adorable. Les passions mêmes des puissants de la terre, d’autant plus redoutables que les peuples sont plus corrompus, tourneront enfin à votre gloire, et amèneront le règne où vous serez le dominateur souverain des hommes ; où tous les rois jetteront leur couronne à vos pieds, où vous exercerez la souveraine justice et manifesterez le règne de l’équité.

Vous oublierez enfin les crimes des hommes ; vous bénirez de nouveau la terre parce que vous en aurez ôté les souillures et les profanations ; alors le dragon infernal sera enchaîné, et votre volonté se fera ici-bas, comme elle se fait dans le ciel ; l’honneur et la gloire vous seront rendus et un amen général sera le cri universel qui s’exhalera de tous les cœurs.

Vous posséderez la principauté et l’empire au jour de votre puissance, votre peuple sera un peuple de franche volonté au jour que vous assemblerez votre armée en sainte pompe ; la rosée de votre jeunesse sera au milieu de l’éclat qui environne vos élus ; car je vous ai engendré dans mon sein avant l’étoile du jour.

Quel est ce jour solennel dont parle le prophète ? C’est le jour où l’unité du Père et du fils sera entièrement dévoilée ; où les vertus divines seront mises en évidence ; où l’essence infinie, qui éternellement est engendrée et qui engendre sans cesse, brillera d’un éclat majestueux ; où l’armée des prédestinés qu’il aura produite de son sein éternellement fécond, comme la rosée est produite de l’aurore, se prosternera aux pieds de son trône. Cette nation qui n’est qu’obéissance et amour sera alors le fruit des travaux du divin Réparateur de l’homme, car, dit le prophète Ésaïe : Après qu’il aura mis son âme en oblation pour le péché, il se verra de la postérité ; il prolongera ses jours ; le bon plaisir de l’Éternel prospérera en sa main ; il jouira du travail de son âme et en sera rassasié 220.

Que la gloire de ce jour éternel sera grande pour Jésus, ce tendre et fidèle ami de l’homme ; car c’est dans ce jour de félicité inénarrable qu’il jouira en sainte pompe de la vue de cette nuée de témoins qui l’auront aimé, confessé et imité dans le temps, lesquels il a rachetés et sanctifiés par la vertu de son sang précieux. Où trouver des expressions à la hauteur des jouissances, de la joie et de l’ineffable allégresse dont seront comblés les Saints en la présence de Jésus-Christ ; là ils pourront le voir face-à-face, là ils le connaîtront, comme ils sont connus de lui ; ils l’adoreront et le béniront sans cesse.

Le Roi prophète a vu en esprit ce jour qui brillera sans altération de la splendeur des saints, dont l’éclat ne peut être exprimé par la faiblesse de nos discours, parce que, dit saint Paul, ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues et qui ne sont jamais entrées dans le cœur d’aucun mortel.

L’Éternel l’a juré, il ne s’en repentira point, que tu es sacrificateur éternellement à la façon de Melchisédech.Le Roi prophète contemple ici le principe, la nature et le prix du sacerdoce éternel. Son intelligence pénètre dans l’avenir ; il voit notre Souverain pontife lui-même sur l’autel de la croix pour opérer la réconciliation nécessitée par la chute dans laquelle l’homme était tombé depuis qu’il s’était rebellé contre Dieu. Or il était bien juste qu’après que ce Fils se serait sacrifié par amour pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, il sacrifiât à son tour dans ces mêmes hommes tout ce qui était contraire à la volonté et à la justice de son père.

Voilà les deux grands points et l’essentiel de la religion : Jésus-Christ qui se sacrifie pour nous ; et Jésus-Christ en nous qui immole, détruit et arrache tout ce qui nous rend incapable d’habiter les tabernacles éternels, puisque l’homme souillé par le péché ne saurait s’unir à Dieu, l’être infiniment saint et parfait.

Le prix du rachat de nos âmes est livré ; le sang qui nous lave de nos iniquités a été répandu sur Golgotha. Cette céleste teinture qui seule peut guérir nos infirmités spirituelles a été préparée, il ne reste à l’homme que d’en faire usage pour chasser toutes les impuretés de son âme, et obtenir par son efficace une guérison parfaite 221.

Le Seigneur est à ta droite, il froissera les rois au jour de sa colère. Il exercera son jugement au milieu des nations. Il remplira tout de la ruine de ses ennemis. Il écrasera sur la terre les têtes d’un grand nombre de personnes.

Ici le psalmiste s’adresse à Jésus-Christ en disant : Le Seigneur est à votre droite. Le verbe divin hypostatiquement uni à Jésus-Christ le soutient, le protège contre tous ses ennemis. C’est par l’union indissoluble avec le Verbe éternel que Jésus-Christ a opéré et qu’il opérera jusqu’à la fin des siècles toutes les grandes merveilles que l’Écriture Sainte lui attribue.

Nous venons de voir comment Dieu par Jésus-Christ a tout épuisé pour sauver l’homme et l’arracher des serres de la mort. Mais après que tous les trésors de sa clémence auront été épuisés, le jour de sa grande miséricorde se convertira enfin en un jour de colère. Le Lion de la tribu de Juda se réveillera dans sa force pour dominer au milieu de ses ennemis. Le Christ-Dieu, cette victime innocente, sera aussi la verge de la puissance de l’Éternel. Et comme elle a montré sur Sion la grandeur de la charité divine, de même elle sera une seconde fois envoyée de la Sion Céleste pour montrer l’effet de la justice vengeresse du Seigneur des armées.

Considérons combien, depuis la chute de notre premier père, la Providence a dû opérer de travaux et de prodiges pour montrer quelques types du renouvellement de l’homme par le règne de Jésus-Christ dans celui en qui il avait gravé son image, lors même qu’il n’avait encore reçu que la promesse d’un Sauveur. Réfléchissons ensuite combien il s’est manifesté de merveilles divines depuis que cette promesse a été faite à l’homme ; puisqu’il a fallu que le Verbe se fit chair ; qu’il sacrifiât cette chair pour lui obtenir sa grâce, pour ranimer sa foi, soutenir ses espérances, et le régénérer entièrement. Combien de raisons n’avons-nous pas de plus d’attendre des renversements et des choses extraordinaires, lorsque Dieu, par un effet de son immense amour, viendra exercer le jugement sur les nations, pour les régénérer et répandre la connaissance de la vérité sur toute la terre habitable.

Il nous faudrait transcrire une grande partie des divines écritures 222, si nous voulions exposer ce qu’elle prédît de destructions et de faits terribles, tous relatifs aux évènements précurseurs qui feront évanouir ce qui s’opposera à l’établissement du règne glorieux de Jésus-Christ. Esdras, les prophètes, les Apôtres, surtout saint Paul et Jésus-Christ lui-même nous annoncent ces temps d’une juste colère, mais qui au fond recèlent une grande miséricorde, puisqu’ils doivent hâter l’époque où Jésus-Christ sera glorifié par tous les peuples et où le péché sera entièrement aboli.

Ce règne représentera celui qui doit être éternel après que la terre et les cieux roulés comme un vêtement amèneront la grande époque finale où le Verbe rappellera tout à son Père, pour que son Père soit tout en tous.

Ce qui arrivera en grand parmi les peuples, arrive aussi d’une manière spirituelle dans l’âme chrétienne, dans la véritable Sion. La puissance que Jésus-Christ y exerce est l’action de la justice absolue de Dieu qui brise les injustices que l’âme propriétaire commet contre Dieu. Par sa droite, le Seigneur y détruit toute domination qui n’est pas la sienne. Mais bien loin que le temps où cette rigueur s’exerce soit un temps de colère, c’est plutôt un jour de salut et de miséricorde où Jésus-Christ arrache à l’homme tout ce qui lui empêche de s’écouler en Dieu qui est sa fin dernière. Dans ce grand jour, tout ce qui n’est pas de Dieu et de sa volonté s’écroulera en ruines et en débris.

Il boira du torrent par le chemin, c’est pourquoi il lèvera haut la tête.

Ceci s’applique admirablement bien à tout ce qui est arrivé à Jésus-Christ, qui a bu les eaux du torrent ; car il a été abreuvé d’amertumes, d’ignominies, d’humiliations, d’opprobres, de contradictions, de croix, et par-dessus tout, il a bu jusqu’à la lie dans la coupe de la colère divine. Pour opérer la grande œuvre de miséricorde, il s’est soumis à l’action inique des puissances de mensonge. Et en buvant ces eaux d’amertumes, il en a absorbé tout le venin ; c’est par là qu’il est devenu notre chef et le conservateur de notre foi. Oui, la tribulation est le chemin que Jésus-Christ a choisi pour entrer dans sa gloire, pour triompher et pour régner. C’est aussi par la même voie qu’il fera triompher et régner ses compagnons, comme nous l’assure saint Paul par ces paroles : Ce n’est que par beaucoup de souffrances que nous pouvons entrer dans le royaume des cieux 223.

Il est certain que pour avoir part à l’héritage de Jésus-Christ, il faut que nous soyons ses fidèles disciples et que nous l’imitions en tout point. Il faut qu’en embrassant avec foi les avantages de l’alliance de grâce et d’amour qu’il a contractée avec l’homme, nous nous soumettions aux conditions de cette alliance. Or nous ne serons héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ qu’autant que nous souffrons ici-bas avec lui. Voilà le vrai chemin pour être glorifiés avec notre divin précurseur dans l’Éternité ; et je pense, dit saint Paul, que les souffrances présentes ne sont rien en proportion de la gloire à venir qui nous sera révélée. Ah ! ce grand apôtre connaissait bien l’horreur de la prudence de la chair pour les souffrances ; car malgré les inestimables avantages des tribulations, malgré l’absolue nécessité d’être conforme à Jésus-Christ par la croix 224, il sent que l’homme serait tenté de refuser son élection, puisqu’elle doit être le prix du sacrifice ; aussi, pour en adoucir l’amertume, il offre à l’homme la sublime perspective de la gloire future qui lui sera révélée, et il assure qu’elle ne peut être en proportion avec les souffrances temporelles. Voilà ce qui doit nous soutenir et nous ranimer dans toutes nos angoisses. Si nous ne sommes pas assez forts pour oser fixer la grandeur de notre sacrifice et nous élancer avec courage dans les routes épineuses de la croix, prions Dieu qu’il accomplisse sa force dans nos faiblesses, qu’il vainque nos répugnances à souffrir. Que la contemplation ravissante du bonheur à venir nous aide à consommer notre immolation, afin d’être aussi couronnés en gloire avec Jésus-Christ.

Et quel moyen plus propre pour obtenir ces effets salutaires que la méditation du sublime cantique que nous venons d’examiner.

Ô grand prophète et grand roi ! que l’esprit qui vous éclaire et par lequel vous nous instruisez est profond ! Il vous présente les précieux avantages de la croix, et la couronne incorruptible qui nous attend après la victoire. Il vous révèle le principe de nos espérances, la divinité du Christ et son union hypostatique avec la nature humaine. Il sait vous rendre sensible la perfection de la doctrine que le Sauveur a enseignée à l’homme, l’excellence des institutions au moyen desquelles il purifiera la nature humaine des mélanges et des impuretés dont elle s’est souillée en s’enfonçant dans la matière.

Ce divin esprit vous manifeste encore la perfection et la dignité où cette nature peut être élevée, en s’offrant elle-même en sacrifice ; dignité qui consistera à se montrer de nouveau après ce sacrifice dégagée des entraves de la mortalité.

Que ce roi prophète est profondément éclairé des desseins de Dieu sur l’homme ; car il voit que le Christ son Seigneur, à qui il fournira le voile de l’humanité, après avoir instruit l’homme, institué les moyens de le réunir à Dieu, après les avoir pratiqués lui-même, consommerait enfin sa mission en sacrifiant son corps comme étant le voile sous lequel il avait consenti à se cacher. Il voit que cette œuvre divine consolerait la nature humaine en lui montrant que, malgré sa condamnation, elle peut recouvrer la vie éternelle qui lui avait été donnée sous des conditions qu’elle avait enfreintes.

Cet homme selon le cœur de Dieu contemple aussi le repos que le Fils-Verbe prendrait en son père, après avoir satisfait la justice divine, et avoir mérité par-là que la miséricorde s’exerçât sur ceux qui, ayant offensé cette même justice, n’auraient jamais pu la satisfaire parfaitement.

Il se réjouit du repos que les hommes trouveraient dans le Christ-Dieu s’ils le suivaient comme voie et vérité, afin d’obtenir la vie qu’il leur méritera par son sacrifice.

Enseigné par la sagesse divine, il voit que le repos que Jésus-Christ prend dans le sein de son père, est une action divine et que cette action est l’exercice du sacerdoce éternel qui lui a été confirmé. Il voit que l’exercice de ce sacerdoce est tout à la fois un acte de justice et de miséricorde, ainsi que de souffrance et d’amour, et que c’est en consentant de porter notre croix par Jésus-Christ que nous recevons l’application de ses mérites d’une fécondité et d’une valeur infinie. Il voit enfin que par-là seulement nous participerons au triomphe de notre maître et à la gloire du sacerdoce éternel.

Ô David ! vous êtes bien aussi un glorieux compagnon du Sauveur, puisqu’il vous inspire de nous révéler des vérités si essentielles dans un discours aussi plein d’onction que magnifique.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XIV.

 

 

DIEU SEUL EST LE REFUGE DE L’HOMME QUI MET SA CONFIANCE EN LUI 225.

 

 

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CE psaume est difficile à entendre. David, pénétré de son sujet, veut que ce qu’il va dire se grave d’une manière profonde dans le cœur et l’esprit de ceux qui sont appelés à faire l’expérience des choses qu’il va décrire.

Son exorde est magnifique, il s’empare avec autorité de l’attention de tous ceux qui, pendant la durée des siècles, liront ce psaume : Peuples, écoutez tous ceci, soyez attentifs, vous tous qui habitez l’univers, soit que vous soyez d’une basse ou d’une illustre naissance, que vous soyez riche ou pauvre, écoutez : ma bouche proférera des discours de sagesse. Qui peut douter que ce que le prophète va nous dire ne soit une importante vérité ? Ma bouche dira la sagesse. La bouche n’est que l’organe et la sagesse en module les sons.

Mais qu’est-ce que c’est que la véritable sagesse que le psalmiste entend ici ? C’est proprement la connaissance du tout de Dieu et du néant de la créature. La vraie sagesse sera donc de connaître en quoi consiste le bien suprême, et de savoir choisir les meilleurs moyens pour s’en mettre en possession. Plus le but qu’on se propose est élevé, plus il faut employer de prudence dans les moyens qu’on choisira pour l’atteindre. Dans l’ordre moral des intelligences, le vrai sage sera donc celui qui aura pour but le plus haut des objets et qui l’obtient. On comprend bien que nous entendons ici l’union parfaite des esprits et des cœurs avec Dieu, principe et fin de toute sagesse, et la science de celui qui désire l’obtenir consiste à savoir écarter les obstacles à cette réunion bienheureuse, terme, fin, but et centre de tous les esprits créés, pour qu’elle les élève, par cette union, à l’immortalité ou à l’existence éternelle de Dieu.

L’ensemble complet de cette haute philosophie ne se trouve nulle part établie et enseignée dans toute sa perfection, comme dans l’Écriture-Sainte, qui, par cette raison, est appelée la manifestation de la sapience de Dieu qui est un mystère, c’est-à-dire, une sagesse cachée, que les saints apôtres proposaient aux parfaits 226, une sagesse que Dieu avait révélée pour éclairer les hommes en évidence d’esprit et de puissance 227.

Or cette sagesse divine est en opposition parfaite avec la sagesse de la chair, laquelle est ennemie de Dieu, puisqu’elle ne peut se soumettre à la loi de l’esprit. Et pourquoi ne peut-elle pas s’y soumettre ? C’est qu’elle n’a d’autre base que l’amour-propre, la propriété et le propre intérêt. Ce furent ces choses qui dès les premières chutes désunirent l’homme d’avec Dieu et qui engendrèrent tous les péchés sans nombre qui en furent les résultats malheureux.

Mais par une miséricorde infinie il les a fait servir à ses desseins, jusqu’au jour connu de lui, où le sacrifice ignominieux du Fils unique devait se manifester en triomphe. Or la sagesse mondaine ne veut pas accepter cette ignominie qui se change en gloire, parce qu’elle a puisé, dans les sources empoisonnées de l’abîme, l’orgueil, l’égoïsme et la vanité. Ces bêtes farouches, ainsi que le présente l’Écriture, ne s’apprivoisent pas ; elles ne peuvent se soumettre à la loi de Dieu et à sa volonté adorable, qui consiste à lui rendre tout, puisqu’il a tout donné.

Les méditations de 228mon cœur enseigneront l’intelligence . Remarquez bien que ce n’est pas dans son esprit seulement que se fait cette opération, mais c’est son cœur ou sa volonté qui rendra le sentiment qu’il éprouve. L’imagination n’a qu’une faible part à ce travail, et par-là il est moins imparfait.

Dans tous les temps, tous ceux qui ont cherché la véritable sagesse ont demandé à Dieu l’intelligence, parce qu’elle est un des sept dons de l’Esprit-Saint.

Il est dit de Jésus-Christ que l’esprit de l’Éternel reposerait sur lui, qu’il serait rempli de l’esprit de sapience et d’intelligence, de l’esprit de conseil et de force, de l’esprit de science et de crainte de l’Éternel 229. Or celui qui est devenu un vrai membre du corps mystique de Christ peut espérer d’obtenir ces dons divins s’il les demande avec foi et persévérance.

Mais que devons-nous entendre par ce mot, intelligence ? Il me semble que l’étymologie du mot seul doit nous aider à saisir sa définition 230. Nous l’avons dit ailleurs 231, il dérive du mot in te lego : je lis en toi, et par-là je connais ce que tu es.

Mais pourquoi l’intelligence, ou la faculté de connaître, opère-t-elle ? C’est qu’une lumière parcourt et allume l’intelligence ; l’intelligence n’est que le canal de la lumière, et c’est cette lumière, de quelque degré qu’elle soit d’ailleurs, qui nous fait apercevoir, comme dans un miroir, des tableaux que l’intelligence lit. La lumière est donc la vie de l’intelligence, puisque c’est la lumière qui la fait mouvoir et qui détermine l’action qu’elle exerce dans ses différents domaines, sur le jugement, sur la force, sur le discernement, sur la délibération et le choix.

C’est la nature et le degré de perfection de cette lumière qui déterminent l’excellence des actes intellectuels. Si cette faculté n’a pas une lumière directe et immédiatement allumée d’un principe divin ; elle n’en a plus alors qu’une secondaire, modifiée par la nature des objets qui la lui fournissent.

Ce principe posé, l’homme s’étant laissé séduire par le génie du mal qui a corrompu et obscurci son intelligence, cette faculté n’est plus allumée par le feu qui l’éclairait avant la condamnation.

Or si la nature des objets dont ce feu tire sa nourriture ne comporte pas d’avoir une lumière directe, mais seulement combinée et réfléchie, en vertu de tels ou tels rapports, alors l’intelligence ne sera plus allumée qu’en raison de ces mêmes rapports, qui réfléchissent la lumière selon qu’ils sont plus ou moins multipliés. Or, comme ils le sont infiniment, l’erreur est infiniment facile, surtout si les objets eux-mêmes qui fournissent la lumière combinée et réfléchie sont déjà viciés. De-là il s’ensuit que cette lumière déjà altérée, éclairant l’intelligence, introduit non-seulement l’erreur, mais encore le mensonge. Et ce dernier vice révèle une volonté essentiellement corrompue, puisqu’elle a goûté l’erreur et l’a admise librement. Or si l’homme agit par une volonté viciée, il corrompt nécessairement l’action dont son cœur dépravé devient le principe ; dans ce cas, il propage et continue dans sa mesure et quantité individuelle la faute d’origine de nos premiers pères.

On voit par cette déduction combien il est essentiel que nous soyons éclairés d’une lumière divine, et que nous saisissions avec empressement tous les moyens propres pour dissiper les ténèbres de notre esprit et le disposer à recevoir une vraie et pure lumière.

Le psalmiste comprenait toute l’importance de ces vérités, et étant plein lui-même de cette lumière directe et surnaturelle dont nous venons de parler, il était capable de nous enseigner la véritable intelligence.

Je rendrai moi-même mon oreille attentive à l’intelligence de la parole, je chanterai sur la harpe le sujet de mon chant.David prêtera l’oreille à la parole, pour que rien ne lui échappe, et il la rendra telle qu’elle lui est inspirée. L’harmonie de sa harpe est l’expression de son âme ravie des beautés qu’il découvre en Dieu et dans ses œuvres magnifiques ; aussi par la pureté de ses sons, par la perfection de ses accords, le roi prophète va enchaîner les sens et disposer le cœur. C’est pourquoi sa bouche peut dire la sagesse et l’oreille des peuples attentive à ses chants pourra l’entendre. Il s’agit de parler de la vanité des biens, et des dons, de la nécessité et des effets de la mort, de l’espérance d’une vie future. Quels vastes sujets !

Mais comment quelques versets pourront-ils rendre sensibles à la raison ce que la lumière divine peut seule faire découvrir ?

La manière ingénieuse avec laquelle le roi prophète nous instruit et nous éclaire laisse apercevoir à la raison des vérités si positives et si fortes, qu’elles anéantissent tout ce qui n’est pas de la science divine. Mais avec cela il sait voiler des détails qui nous effrayeraient, nous amener à des sacrifices qui paraîtraient impossibles à la nature, mais qui deviennent si faciles quand Dieu aide et opère. On conçoit que le langage que le roi prophète emploie est la vraie manière qui se plie à décrire des sujets si élevés, des états si divers et cependant destinés à être compris et éprouvés.

Maintenant le prophète entre dans son sujet : Pourquoi craindrai-je au dernier jour, quand l’iniquité de mes voies m’enveloppera de tous côtés ?

Hélas ! cette crainte devrait paraître bien naturelle, mais David, qui montre dans tous ses écrits une confiance si entière dans la miséricorde de Dieu son Sauveur, son protecteur et son aide, ne voit, dans l’expérience et le sentiment qu’il éprouve touchant l’iniquité qui s’est attachée de toute part à ses voies, qu’un acte de justice miséricordieuse de Dieu, qui lui apprend, par cette épreuve, à s’humilier, à se défier de lui-même, bientôt à se haïr, et enfin à se quitter à l’instant où la parole de délivrance se fera entendre. Comme saint Paul : Il n’accomplit pas le bien qu’il veut 232, il fait la triste expérience de ce qu’il est sans le secours de l’esprit de Dieu. Mais comme Abraham, il espère contre toute espérance, il est fermement persuadé que la grâce divine est puissante pour le délivrer de ce corps de mort, pendant l’épreuve des derniers sacrifices 233. Il éprouve malgré sa propre iniquité qui l’obsède, malgré l’iniquité et la malice des autres que la Providence a déchaînés contre lui, que ce divin médecin n’a eu pour but que de lui arracher l’orgueil spirituel qui fait tout le péché de l’homme, pour couronner de plus grandes grâces les sacrifices de dépouillement qui doivent opérer sa consommation. David ne voit donc pas de motifs de craindre, pourquoi craindrais-je ?

Ce n’est cependant pas l’insensibilité stoïque qui lui donne cette constance dans l’adversité. La philosophie humaine peut bien dicter cette parole présomptueuse. Le monde entier tomberait en ruine, que ses débris frapperont l’homme juste sans l’ébranler 234. Mais quant au roi prophète, il ne tire sa fermeté que de sa confiance en Dieu. Il prévoit cette obéissance de Jésus-Christ qui, par un double amour pour la gloire et la justice de son père et pour le salut des hommes, se constituera obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Quelle étendue ne prennent pas alors ces paroles : Pourquoi craindrais-je au jour mauvais, quand je me trouverai enveloppé de l’iniquité de mes voies ?

C’est surtout à certaines époques qui sont des présages plus ou moins rapprochés des jours mauvais, c’est dans ces jours inévitables de carnage, de morts et de calamités spirituelles, c’est dans ces jours qui amènent les dépouillements de la propriété et produisent la consommation en Dieu que l’homme doit se convaincre que, depuis la faute d’origine, il est enfermé dans la corruption. Mais cette iniquité qui met en évidence la justice de Dieu, parce qu’elle écrase cette iniquité, met aussi en évidence la miséricorde qui en délivre. Voilà pourquoi le grand prophète dit dans les paroles qui lui sont inspirées : Quoiqu’enveloppé dans la malice de mes voies, pourquoi craindrais-je ? Le péché qui l’environne se présente à lui pour être haï, il reconnaît la justice de sa destruction, il se soumet à cette justice et la miséricorde divine qui s’empare de lui le couvre de ses ailes et lui fait entonner ce cantique de joie : Que craindrais-je ?

Ah ! qu’il est difficile de sentir comme on le doit cette grande vérité que le péché et la souillure est le partage de l’homme vivant.

Pouvez-vous le comprendre, vous qui, par choix ou par révolte, êtes les agents de cette iniquité terrible ? Jamais elle ne se présenta à vous pour être détestée. Elle est devenue votre nature et votre propriété. Mais le Seigneur est le roi des temps et de l’éternité, il abrégera le tout en justice, dit l’Écriture 235, il retranchera l’impie de la terre qui lui appartient, le vent de la tempête est le partage qu’il leur prépare. Pouvez-vous comprendre cette parole de David, vous qui vous confiez en vos propres forces, dans votre sainteté propriétaire, dans vos richesses spirituelles. Hélas, vous n’avez qu’une gloire éphémère. Écoutez ce que vous crie le prophète : Ne sommes-nous pas tous devenus comme une chose impure, toutes nos justices ne sont-elles pas comme le drap le plus souillé 236 ? Et l’apôtre ne vous assure-t-il pas que : Quand vous parleriez toutes les langues des hommes et même des anges, si vous n’avez pas la charité, vous êtes comme l’airain qui résonne et la cymbale qui retentit. Quand même vous auriez le don de prophétiser, que vous connaîtriez tous les mystères, quand vous auriez la foi jusqu’à transporter des montagnes, si vous n’avez pas la charité, vous n’êtes rien. Quand vous distribueriez votre bien pour la nourriture des pauvres, que vous livreriez votre corps pour être brûlé, si vous n’avez pas la charité, cela ne vous servira de rien 237. Que pourrait-on ajouter de plus à la force de ces paroles pour prouver que nous ne sommes rien sans la charité qui rend à Dieu la gloire de tout ce qu’il fait en nous.

Mais c’est dans le tombeau de Jésus-Christ, symbole de l’anéantissement de la partie maligne de notre être, que se rallume la lumière de la charité pure, qui est la lumière de la vie divine que nos iniquités avaient éteinte. Oui c’est dans son tombeau que Jésus-Christ a caché ce feu sacré, et c’est quand il nous a couvert des suaires dont son amour a voulu se revêtir pour nous sauver qu’il nous fait participer à la gloire de sa résurrection. Hélas, les dons magnifiques ne sont pas le donateur infini, les dons ne sont que pour un temps, mais le donateur est éternel, et c’est sa charité qui épure et remplace, pendant l’épreuve des jours mauvais, ce qui manque à ceux que la sainteté de Dieu appelle à être purs comme il est pur.

Sachez que personne avec ses richesses ne pourra racheter son frère, ni offrir à Dieu le prix de la rançon d’un homme ; car la rédemption d’une âme est d’un trop grand prix.

C’est la lumière de la foi, ô grand saint ! qui vous révèle combien ce prix est inestimable, puisqu’il a coûté la vie au Verbe fait chair. C’est un Dieu qui l’a promis, c’est un Dieu qui paie le prix de cette rançon. Il est aussi jaloux de sa miséricorde que de sa puissance, et si la magnificence de la création manifeste l’une, l’étendue de la grâce de la rédemption manifeste l’autre.

Il n’en est donc pas de la grâce de la création comme de celle de la rédemption. La première mettait en évidence la majesté et la grandeur du pouvoir divin, et inspirait l’effroi et la crainte, mais la seconde révèle l’insondable charité de Dieu.

Le don que cette charité fait à l’homme est une grâce qui surpasse toute idée et qui absorbe toute imagination. Mais elle n’est accordée qu’à celui qui l’accepte librement. Pour comprendre le prix infini de notre rançon, nous n’avons qu’à réfléchir sur la grandeur et la dignité de l’âme humaine 238. Cette dignité et cette grandeur surpassent toute pensée et toute conception, puisque notre âme est une émanation de la très-sainte Trinité, une étincelle échappée de cet océan de lumière et d’amour, et voilà ce qui la rend immortelle. C’est pourquoi rien au monde n’était capable de payer notre rançon, sinon le sang du fils de Dieu. Car nous ne sommes pas rachetés par argent ou par or, mais par le précieux sang de Christ, comme de l’agneau sans défaut et sans tache 239.

Ô Jésus ! qui ne serait pénétré de la plus vive reconnaissance pour vous ! Qui ne désirerait de se donner tout à vous, en sentant et en connaissant jusqu’à quel point vous vous êtes livré, vous vous êtes sacrifié pour nous ? Ô divine charité, versez dans notre âme une étincelle de cet amour, pour que nous soyons assez heureux de pouvoir vous donner tout ce que nous sommes capables de vous donner, c’est-à-dire tout nous-mêmes.

L’homme sera éternellement dans le travail et dans la peine, et il vivra néanmoins à jamais.

Tant que l’homme sera vivant, même dans les dons les plus exquis, il sera dans l’angoisse des travaux ; parce qu’il faut qu’il soit dépouillé de ces mêmes dons auxquels il s’était attaché d’une manière désordonnée, et qu’il soit purifié de la souillure dont son iniquité naturelle l’a entaché.

Toutefois, que ce silence nécessaire du tombeau et du dépouillement ne nous effraie pas, puisque David s’écrie : Que craindrai-je ? La pourriture qu’on y éprouve est abjecte, il est vrai ; mais elle devient poussière ; et dans cet état, nous touchons presque au bonheur de notre destinée. Souviens-toi, ô homme, que tu es poudre et que tu dois retourner en poudre. Ô poussière précieuse du néant ! vous ne vous révoltez plus contre Dieu, vous ne lui ravissez plus sa gloire, sa justice est en évidence, et voilà sa miséricorde qui s’approche. Dieu avait créé notre âme pour y faire briller sa resplendissante image. Mais nous l’avons défigurée, cette image, et c’est la poussière du tombeau qui nous dispose à rentrer dans le moule, pour que Dieu, en réimprimant sa ressemblance en nous, y règne à jamais et y fasse sa volonté qui est la gloire de sa justice.

Oh ! que la doctrine de la résurrection que nous enseigne le Roi prophète est consolante : l’homme néanmoins vivra à jamais, nous dit-il. Il semble effacer par ces paroles la sombre teinte du tableau qu’il venait de nous présenter. Oui, celui qui aura eu le courage de savoir mourir dans les travaux des mauvais jours ne craindra pas à l’approche de cette impérieuse nécessité de la mort, car il vivra éternellement. Il vivra en Dieu, la seule source de la vie, l’unique fin de tout ce qui est bon et parfait. Et quoiqu’il voie l’arrêt inévitable de la mort s’accomplir sur les sages du siècle, pour lui il ne l’éprouvera plus, il l’aura traversée. Car celui qui a vaincu n’a plus rien à craindre de la mort seconde 240.

Si la mort de celui qui se laisse sacrifier par l’esprit de miséricorde procure cette résurrection éternelle, si la mort développe en eux le germe de la vie, David met en parallèle le sort du fou et de l’insensé.

Ils ne laisseront pas de périr et ils abandonneront leurs richesses à des étrangers, leurs sépulcres seront leurs habitations jusqu’à la fin des siècles. Telles seront leurs demeures dans la suite de toutes les races, quoiqu’ils aient voulu se rendre immortels, en donnant leurs noms à leurs terres 241. Lors même que nous expliquerions tous les mots du prophète roi, nous ne saisirions qu’imparfaitement sa pensée, tant elle a d’étendue. D’abord, il voit le sort du fou et de l’insensé : ils périront. Nous avons déjà rappelé ailleurs ces mots terribles : Le vent de la tempête est le calice que leur prépare le Seigneur 242, et leurs richesses passeront à d’autres. En effet, comment se sont-elles accumulées, ces richesses ? C’est encore David qui nous l’apprend. Ils se sont assis en embuscade dans les vestibules des grands, comme dans les lieux les plus sombres : les malédictions, les artifices, les parjures, la douleur et le crime ont résidé sous leurs langues : ils ont dressé leurs embûches, ils ont épié le moment pour saisir leur proie, ils l’ont jetée dans leurs filets, ils ont pesé sur elle de toute leur force, ils l’ont écrasée de tout leur poids, et dans l’ivresse de leurs effroyables succès, ils ont osé dire : Dieu oublie ce qui se passe. Ô insensés, ô stupides ! vous périrez, vos richesses passeront à d’autres. Et la bouche qui trompe, et la langue qui se glorifie sera confondue 243 ; mais l’Éternel sera le maître de toute lu terre. C’est dans les profondeurs de vos jugements, ô mon Dieu, que vous laissez croître le nombre de ceux qui nous persécutent ; c’est par leur injustice que vous exercez sur nous votre justice miséricordieuse ; soyez-en béni, ô mon Dieu ! soyez-en béni !

Mais leur triste héritage, à qui passera-t-il ? Où sera leur demeure jusqu’à la fin des siècles ? Dans leur sépulcre. Et quel est ce sépulcre ? L’iniquité ; puisque à force de parjure, d’artifices et de crime, ils ont surpassé, par leur grande malice, les hommes les plus corrompus.

Que si quelquefois ils s’échappent de leur tombeau, si quelquefois ils interrompent le cours de leurs iniquités, cependant, hélas ! ils ne trouvent de bonheur qu’en demeurant avec ceux qui leur ressemblent, et qui comme eux prennent plaisir à des actions pleines de méchancetés.

Mais quel est le reproche qui leur est fait ? Ils avaient appelé la terre de leur nom.

Pour entendre ce passage, entrons dans quelques détails sur les noms.

Le nom est la désignation d’une vertu, d’une faculté, d’un changement ou d’un fait. Or il faut savoir que Dieu a assigné un nom virtuel à toutes ses œuvres admirables. Et ce nom est tellement précis, qu’il exprime très-exactement les qualités de la chose qui en a été ornée. Car il manifeste, rend sensible ou visible d’une façon particulière quelques-unes des perfections, puissances et attributs que l’infinité de Dieu renferme, et que les créatures ont été appelées à manifester au dehors.

L’Écriture Sainte se plaît à faire remarquer les noms, et souvent elle s’attache à réveiller notre attention à leur égard. C’est ainsi que l’Éternel dit au premier patriarche : Ton nom ne sera plus Abram, mais Abraham ; car je t’ai appelé père d’une grande multitude ; quant à ta femme, tu ne l’appelleras plus Saraï, mais son nom sera Sara, car je la bénirai et lui donnerai des nations 244. Le Seigneur dit aussi au fils d’Isaac : Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël, c’est-à-dire, qui a lutté avec Dieu 245. Dans la nouvelle loi, Céphas ne s’appelle plus Céphas, mais Pierre, c’est-à-dire, la roche. Saul ne s’appelle plus Saul, mais Paul, c’est-à-dire, le petit 246.

 Si nous étions éclairés de la vraie lumière, nous apercevrions, par ce petit nombre d’exemples du vieux et du nouveau testament, le précieux avantage de recevoir de Dieu un nom nouveau, nous connaîtrions pourquoi Jacob reçoit le nom d’Israël, pourquoi Saul reçoit le nom de Paul. Ah ! c’est que ces saints de l’ancienne et de la nouvelle alliance avaient été reçus sous la protection de Dieu, ils n’étaient plus nés de la chair et du sang, ni de la volonté de l’homme, mais ils étaient nés de Dieu 247. Et le nom nouveau qui leur était accordé désignait la puissance vive dont ils étaient revêtus. Leurs actes n’ont plus le même principe qu’autrefois ; ils ne prennent plus pour seul guide la simple lumière de l’homme et la raison ; mais sous la loi de grâce ils sont baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est au nom de l’unité et de l’essence divine qu’ils sont mus ; c’est par l’Esprit-Saint qu’ils opèrent des œuvres de justice et de charité ; ils sont devenus l’objet des faveurs divines. Et c’est en eux, et par eux, que le nom de Dieu est sanctifié, que son règne arrive et que sa volonté est faite en la terre comme au ciel.

Non-seulement les noms ont été donnés à des hommes après leur appel à une perfection plus relevée, mais l’Écriture-Sainte nous fournit encore des exemples qu’ils ont été donnés pour conserver la mémoire des évènements. C’est ainsi que Moïse nous dit qu’Héber eut deux enfants dont l’un fut appelé Phaleg, parce que de son temps la terre fut partagée. La tour que les hommes élevèrent dans les plaines de Sinhar fut appelée Babel, car l’Éternel y confondit le langage de toute la terre.

Presque tous les grands événements du temps de l’ancienne et de la nouvelle loi sont consignés par les noms qui ont été donnés aux lieux où ils se sont passés. Le champ du sang n’est-il pas un monument de la trahison et de la punition de Judas ?

Revenons au mot du Psalmiste : Ils ont appelé la terre de leurs noms.

On ne peut méconnaître ici la pensée du prophète ; il veut nous faire connaître l’orgueil et l’amour de la propre excellence qui a dénaturé l’homme, lequel veut par tous les moyens possibles perpétuer sa renommée et le souvenir de sa puissance et de sa grandeur.

Mais à côté du sens naturel de ce passage, on peut découvrir un sens plus profond. En effet, on y voit comment les ennemis spirituels de l’homme ont altéré le nom virtuel de cet être, en l’appelant et en l’attirant dans leur domaine pour y féconder l’iniquité. L’homme séduit par cet appel, au lieu de rester uni à l’esprit de vérité qui lui avait communiqué la vie, s’en détache et descend dans les domaines ou dans les terres de ceux qui conspiraient contre lui. Par cette funeste condescendance, il enterre son nom virtuel dans la matière, et il ne peut montrer alors que l’idole que sa fatale liberté a produite. Elle n’a plus que le bruit de vivre, mais elle est morte 248. L’homme a violé le dépôt qui lui a été confié ; l’effet de cette transposition a été d’engendrer le mensonge, et tout ce qui procède de ce mensonge est contraire au nom qu’il a reçu, et se propagera dans cet être jusqu’à ce que la puissance divine le foudroie dans sa colère ou l’arrache par miséricorde.

Et pour faire connaître encore mieux le sens de ce passage, ils ont appelé la terre de leur nom. On peut concevoir que l’homme, s’étant désuni d’avec Dieu, ayant confié son nom à la terre qu’il aurait dû dominer, ne pouvait plus laisser des signes vivants de la force active qu’il avait perdue, en l’énervant dans cette ténébreuse région ; aussi dès les premiers jours du monde, l’orgueil qu’il pompa dans l’abîme où il était enfermé, lui fit tracer sur l’aride, pour me servir des termes de l’Écriture, des monuments plus ou moins fastueux, en analogie avec l’œuvre réelle et vivante qu’il aurait pu produire s’il était resté à sa place. C’est à ces monuments superbes que les hommes ont voulu imposer leur nom ; mais le temps les dévore, pour que leur poussière nous soit un témoignage de la folie de leur fondateur. C’est ainsi que dès les temps les plus reculés, le farouche Caïn, ayant fondé la première ville, n’osait plus, à cause de son forfait, lui donner son nom couvert d’opprobre, aussi il hasarda de lui donner le nom de son fils. Qu’est devenue cette première ville ? qu’est devenue Nemrod et le premier royaume qu’il a établi ? qu’est devenue Belus et Babylone ? et ces vastes empires et ces cités fameuses, que sont-elles devenues ?... La confusion de leurs débris nous présente l’image de la confusion des esprits de ceux qui préparaient ces ruines.

L’homme au milieu de ses grandeurs n’a pas compris sa destinée, mais il s’est rendu semblable aux bêtes qui n’ont aucune raison et qui périssent entièrement.

Ah ! qu’elle est lamentable l’exclamation du grand prophète ! qu’il est vrai que les hommes s’ensevelissent dans leur folie et dans leur stupidité ! Et si c’est la voie dans laquelle les hommes du temps du roi David s’avancèrent dans leur aveuglement, leurs descendants suivent bien leurs maximes. Et pourquoi nous arrêterions-nous à rechercher dans les annales du monde les causes fatales des descentes, de l’abrutissement et des confusions des peuples ; notre siècle et même le moment actuel 249 ne nous présente-t-il pas le trop affligeant tableau de toutes ces misères ?

Ô Jéhovah, lève-toi, prends en main ta cause, souviens-toi de l’outrage de l’insensé, des outrages qu’ils multiplient tous les jours. N’oublie pas les clameurs des impies, l’orgueil qui s’élève contre toi monte sans cesse jusques vers ton trône 250.

Mais, ô terrible arrêt, ils seront entassés comme des troupeaux, la mort se repaîtra d’eux, leur gloire sera consumée dans l’enfer. Tel sera le sort de leur gloire, telle sera la fin de la voie par laquelle ils marchaient de chute en chute et de scandales en scandales. Là finiront leurs richesses, leurs plaisirs et les voluptés qu’ils avaient tant chéries. Et si telle est leur punition au sortir de cette vie, lorsque la terre et l’enfer seront tenus de rendre leurs morts, quelle sera leur résurrection ? Ici la terreur se saisit de notre âme et nous force de garder le silence !........ Ce ne sera plus seulement la robe de servitude dont ils seront revêtus, mais ils porteront en évidence le signe de leur iniquité.

Mais Dieu rachètera mon âme lorsqu’il m’aura reçu sous sa protection. Que ce passage est tout à la fois effrayant et consolant ! David voit sa propre condamnation, ainsi qu’il a vu celle de l’insensé ; il n’ignore pas que son âme est dans les mains de l’enfer, mais l’espérance le soulève au-dessus de l’abîme et dans son transport il s’écrie : Dieu rachètera mon âme. Et quand est-ce qu’arrivera pour lui ce bonheur ? C’est, dit-il, lorsque l’Éternel m’aura reçu sous sa protection. Effectivement, à qui peut-il être accordé la grâce d’être racheté de l’enfer ? C’est à ceux, nous apprend saint Jean, qui ne sont pas nés de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont lavés dans le sang de Christ, que le saint Esprit a vivifiés de nouveau. Voilà ceux que Dieu rachète, voilà ceux qu’il a pris sous sa toute puissante protection.

Il faut l’expérience de David pour comprendre la nécessité, l’utilité 251 et la justice de la mort. Je ne dis pas la mort des fous et des insensés, le prophète vient de démontrer qu’elle était terrible ; mais je parle de celle des âmes qui aiment la justice de Dieu, qui, dans les états douloureux par lesquels Dieu les fait passer, se soumettent humblement et unissent leurs souffrances à celles de Jésus-Christ qui les sanctifie et les soutient dans leur dernière immolation.

Ne craignez pas l’homme quand il multipliera ses richesses et qu’il détendra la gloire de sa maison.David venait de dire : Pourquoi craindrais-je au dernier jour d’être entouré de l’iniquité de mes voies 252 ? Ici il veut nous précautionner contre une autre espèce de crainte. C’est pour faire bien comprendre cette vérité à ceux qui le suivront dans les routes de la foi nue, dans les sentiers de la mort miséricordieuse qui épure et sanctifie, qu’il semble dire : ne craignez pas l’homme qui suit une autre voie, qui multiplie ses richesses spirituelles, qui marche de grâce en grâce 253, dont les vertus font du bruit et qui étend ainsi la gloire de sa sainteté. À la mort il n’emportera pas ses richesses, et sa gloire ne descendra pas avec lui dans le tombeau.

Voilà donc le sort et des richesses temporelles et des richesses spirituelles, des richesses du fou et de l’insensé, des richesses de l’homme sage aux yeux du monde, elles ne descendent pas dans le tombeau. Si l’abus des premières ou leur acquisition injuste servent à rappeler avec exécration la mémoire de ceux qui les ont possédées, les dernières, c’est-à-dire, les richesses spirituelles, laissent à la vérité quelques jouissances ; car on estime heureux pendant leur vie ceux qui les ont, on les applaudit de pouvoir satisfaire tous leurs désirs. Mais à quoi se bornent ces désirs ? Ils iront rejoindre la génération de leurs pères, c’est-à-dire, ils seront entassés comme des troupeaux, la mort se repaîtra d’eux. Et jusqu’à l’éternité, ils ne verront pas la lumière.

Ainsi sur le sort de cet honnête homme du monde, de cet homme enrichi de dons spirituels, David répète la même exclamation dont il s’était servi quand il déplorait le sort du fou et de l’insensé. L’homme au milieu de sa grandeur n’a pas compris sa destinée 254, il s’est fait semblable aux animaux qui meurent tout entiers.

Encore une fois, les dons les plus exquis ne renouvellent pas l’homme, ils ne sont qu’un moyen que la grâce lui présente et dont souvent il abuse 255 ; mais ces dons devenant des objets de sacrifices, c’est alors qu’une grâce excellente et active est accordée à l’âme pour avancer toujours plus dans le dénuement d’elle-même. Jésus-Christ y imprime l’efficacité de ses mérites. Plus il dépouille l’âme de dons aperçus, plus il l’enrichit de foi, d’espérance et d’amour ; plus il arrache la vie propre de l’homme, plus la mort salutaire épure sa double nature spirituelle et temporelle ; plus par l’anéantissement ou le degré d’humilité la plus consommée l’homme rentre dans la poussière d’où il a été tiré, plus il se rapproche de l’état heureux où Dieu, le remplissant de lui-même, se plaît à opérer en lui des merveilles ineffables, puisque le néant toujours soumis ne résiste jamais à sa divine impression.

Ainsi depuis la chute et l’arrêt de mort prononcé contre l’homme, la mort spirituelle est aussi nécessaire que la mort corporelle. Celle-ci n’est que l’image de la première. C’est à la mort spirituelle du vieil homme qu’est promise la résurrection pour le bonheur et la félicité. C’est cette résurrection dont le corps est rendu participant ; mais ô Dieu, par quel détroit ne faut-il pas passer avant que d’arriver à la vie divine, imperdable ?

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XV.

 

 

LE SUPRÊME BONHEUR DE L’HOMME CONSISTE À GARDER LA LOI DE DIEU, ET À L’AIMER AU-DESSUS DE TOUTES CHOSES 256.

 

 

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LORSQUE saint Paul, ce vase d’élection, veut tracer, d’un seul trait, l’admirable économie de la rédemption opérée par les souffrances et la mort de l’Homme-Dieu, il s’exprime en ces termes : Jésus-Christ nous a été donné de la part de Dieu son père pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption 257. Rien n’est plus sublime que ces divines paroles : elles sont d’une profondeur infinie et d’une beauté admirable ; elles nous font connaître non seulement tout ce que Jésus-Christ veut être pour l’homme, mais encore l’ordre et les conditions selon lesquelles le salut qu’il a acquis nous peut être appliqué et devenir le nôtre.

D’abord, Jésus-Christ est notre sagesse, par la doctrine céleste qu’il nous a enseignée et la folie de la croix que nous embrassons, au lieu de la sagesse humaine, que nous consentons à abandonner pour l’amour de lui.

Nous sommes revêtus de sa justice à mesure que nous nous laissons dépouiller de la nôtre propre, pour ne nous appuyer que sur celle qui procède de ses mérites.

Cependant il faut bien observer que ce n’est pas seulement par l’attribution de la sainteté qui est en Jésus-Christ que nous sommes rendus participants de sa justice, mais parce que son esprit nous est donné quand nous le demandons sans relâche et que nous sommes fidèles à sa motion ; alors il agit en nous pour nous délivrer de toute souillure, et sa force opère victorieusement et d’une manière cachée dans nos cœurs. Cet esprit de grâce et d’amour nous communique, non d’une manière vague et imaginaire, mais très-réellement ses inclinations, ses désirs, ses sentiments, sa pureté et une volonté dégagée de tout ce qui est opposé à Dieu, avec une obéissance et une soumission entière à tout ce qui est conforme à la loi divine.

Jésus-Christ devient alors notre sanctification au plus haut degré ; l’œuvre de notre entière régénération se consomme de jour en jour par l’opération de son esprit sanctifiant, en sorte que le vieil homme est détruit, et que les traits de l’homme nouveau se perfectionnent et s’achèvent, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à l’état d’un homme parfait et à la mesure de la parfaite stature de Christ 258.

Le chrétien arrivé à cet état ne s’appuie plus sur ses propres mérites ; il ne veut point de sainteté pour lui-même, en tant qu’elle serait une sainteté propriétaire.

Mais s’il est vrai que nos œuvres et notre sainteté ne nous justifient pas devant Dieu, puisque c’est Jésus-Christ qui nous justifie, il n’en est pas moins vrai aussi que notre conformité avec Jésus-Christ est la marque que nous sommes réconciliés avec Dieu 259 ; car si Jésus-Christ est notre sanctification, il ne nous laisse pas dans notre souillure, dans nos péchés et notre corruption ; mais sa grâce toute puissante nous sanctifie entièrement par son efficace divine.

Enfin Jésus-Christ est notre rédemption, car après nous avoir racheté du péché, après nous avoir purifié de toute souillure de l’âme et de l’esprit, après avoir anéanti en nous tout ce qui ne peut pas hériter la vie éternelle, il nous transporte dans le royaume de son admirable lumière, pour nous abreuver au fleuve des délices 260.

C’est de cette manière que nous sommes éclairés, justifiés, sanctifiés, et que nous sommes délivrés de toute la masse de corruption et de maux qui pèsent sur l’homme prévaricateur.

Or pour arriver à ce résultat salutaire, à cette sagesse des parfaits qui nous rend propres à participer à la sainteté de Dieu, il faut entrer dans le chemin qui y conduit ; et la marque à laquelle on peut reconnaître si nous sommes du nombre de ceux qui tendent à la perfection, c’est quand nous fuyons toute sorte de péché, et la corruption attachée à notre nature, quand nous quittons la route large qui conduit à la perdition, en renonçant au vice, aux passions et à la mondanité.

Le premier pas dans la vie chrétienne consiste donc à fuir la voie du péché selon les paroles du plus sage des rois : La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, et la science des saints c’est la prudence 261 ; or la vraie prudence consiste à préserver son cœur de la souillure de ce monde. Ce n’est donc pas sans raison que le prophète roi qualifie d’heureux celui qui ne vit pas selon le conseil des méchants, qui ne s’arrête pas dans la voie des pécheurs, qui ne s’assied pas au banc des moqueurs 262.

Rien n’est plus essentiel en effet, pour s’affermir dans la vertu, que de quitter la société de ceux qui méprisent Dieu et sa loi. Le méchant qui ne pense qu’à mal faire empoisonne notre âme par ses discours et son exemple ; et comment pourrait-il faire le bien, n’écoutant jamais la voix de sa conscience ? Il ne pourrait dormir s’il n’avait fait quelque mal, s’il n’avait fait tomber quel qu’un 263. Voilà pourquoi il est si dangereux d’écouter ses discours ; car il mange le pain de méchanceté et il boit le vin de violence.

C’est donc une grande erreur de croire qu’on puisse fréquenter les impies et se garantir de toutes les tentations auxquelles on est exposé dans la société des hommes qui oublient Dieu 264.

Aussi saint Paul ne cesse de nous inculquer que les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs, qu’il ne faut pas communiquer avec les œuvres infructueuses des ténèbres.

Il met tant d’importance à désabuser les chrétiens de l’erreur dans laquelle sont la plupart de ne pas voir le danger à communiquer avec les hommes dissipés, qu’il conjure par les compassions de Dieu ceux qui se consacrent à lui, de ne point se conformer au présent siècle, mais d’être transformés par le renouvellement de leur esprit et de leur cœur ; d’avoir des sentiments, des goûts, des désirs entièrement opposés à ceux dont le Dieu de ce siècle a aveuglé l’entendement ; et son amour pour le salut des âmes est si ardent, qu’il veut aussi qu’on cherche de tout son pouvoir à arracher du chemin du vice ceux qui s’y égarent, et il ordonne à ceux qui en ont le pouvoir et la mission de les reprendre avec charité pour les ramener dans le chemin de la vertu.

Le roi prophète connaissait bien aussi le danger dans lequel se trouve l’homme qui se livre à la perversité, c’est pourquoi il se prononce avec force contre la conduite de ceux qui se plongent dans la mondanité et qui vivent selon les maximes d’un siècle corrompu. Voici à cet égard ce que son cœur exhale à Dieu et les châtiments qu’il dénonce à ceux qui persistent à vivre dans la méchanceté : Ô mon, Dieu, je marcherai dans l’intégrité de mon cœur, non-seulement je ne mettrai point devant mes yeux les choses méchantes ; mais comme j’ai en haine les actions des débauchés, rien ne s’en attachera à moi. Je n’avouerai pas le méchant, je retrancherai celui qui médit en secret de son prochain ; je ne pourrai souffrir celui qui a les yeux élevés et le cœur enflé. Celui qui usera de tromperie n’entrera pas dans ma maison ; celui qui profère le mensonge ne sera pas affermi devant moi. Je retrancherai chaque matin tous les méchants du pays 265.

Entendez cela, vous qui oubliez Dieu, entendez cela maintenant et tremblez de peur qu’il ne vous ravisse 266 et qu’il n’y ait personne qui vous délivre. Écoutez cela et redoutez la colère du Tout-Puissant 267, car c’est la parole de celui qui avait reçu une si grande mesure de l’esprit de Dieu qui vous annonce le danger de la voie dans laquelle vous courez.

J’ai vu le méchant terrible, je l’ai vu s’étendant comme un laurier vert, il est passé, et voilà il n’est plus ; je l’ai cherché, et il ne s’est pas trouvé 268. C’est pourquoi, examinez-vous, nations qui n’êtes pas aimables, avant que le jour de la colère ne vienne sur vous. Examinez-vous, vous qui avez dit : conquérons des habitations ; mais Dieu vous distribuera vos portions en sa colère et vous recevrez la punition de vos violences. Homme hypocrite, votre espérance périra, elle passera plus vite que la surface des eaux, et comme la sécheresse et la chaleur consument, ainsi le sépulcre vous ravira. Vous ne subsisterez pas en jugement, ni dans l’assemblée des justes, et quand le Seigneur environné de sa gloire, accompagné de ses saints anges, s’assiéra pour séparer les bons d’avec les méchants, comme le pasteur sépare les brebis d’avec les boucs, ne craignez-vous pas que la ruine dont vous ne vous avisez pas vous arrive, que l’ange de l’Éternel ne vous chasse çà et là, et que vous ne soyez comme la balle que le vent chasse au loin. Vous bruyez, tempête éclatante des nations, vous bruyez, mais vous vous enfuirez au loin, et vous serez poursuivie....... multitude des terribles, vous serez visitée par les tremblements, les tourbillons, la flamme du feu dévorant. Les trônes ne jetteront point de racine ; celui qui réduit à rien les princes de la terre les réduira à rien, et fera que leurs gouverneurs seront comme une chose de néant.

Pouvez-vous faire quelque bien, vous qui n’êtes appris qu’à mal faire ? Selon votre intelligence obscurcie, vous vous êtes fait des idoles, qui ne sont qu’ouvrages d’ouvriers, et vous voulez qu’on les encense 269. Mais votre ignominie paraîtra, car l’Éternel connaît la voie des justes, mais la voie des méchants périra.

Après que la divine parole nous a effrayé par le tableau qu’elle nous fait des contempteurs de Dieu, qui marchent selon le désir de leur cœur dépravé, qui s’arrêtent dans la voie des pécheurs, et qui s’assoient aux bancs des moqueurs, elle nous présente un contraste en nous faisant la ravissante peinture de celui qui prend plaisir en la loi de l’Éternel et qui la médite jour et nuit. Oh ! qu’heureux est un tel homme, qu’il est favorisé puisque le Seigneur est avec lui. Il m’invoquera, dit l’Éternel, je l’exaucerai, je serai avec lui dans la détresse, je l’en retirerai, je le rassasierai de jours et je lui montrerai ma délivrance 270. Je répandrai des eaux sur ceux qui sont altérés, des rivières sur les terres sèches, mon Esprit se reposera sur sa postérité, ma bénédiction sur ceux qui sortiront d’eux, ils germeront comme des saules auprès des eaux courantes 271. Quand la chaleur viendra ils ne s’en apercevront pas 272, parce que les eaux sortiront du sanctuaire, à cause de cela leur fruit sera bon à manger, leur feuillage servira de remède, et tout ce qu’ils feront prospérera 273.

Qu’elles sont magnifiques ces promesses ; mais pour en obtenir la parfaite possession, que de travaux il en coûte, car on n’y parvient pas tout d’un coup. Ces grandes promesses ne sont faites qu’à ceux qui font leur occupation favorite de lire la parole de Dieu, de s’en occuper sans cesse, pour puiser dans ce trésor les lumières et les forces nécessaires, afin de faire de jour en jour les plus grands progrès dans la voie de la sagesse et dans l’obéissance à la loi de grâce 274.

Et quelle est cette loi de grâce ? Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes pensées. Ces divines paroles comprennent en soi toute la loi de vie, le chemin qui doit conduire l’homme à Dieu, la grande fin pour laquelle il a été créé. Aucune partie de notre être n’est exceptée de cette loi : l’entendement, l’esprit et le cœur, la volonté et toutes les puissances de l’âme doivent aimer Dieu selon leur capacité et leur nature. C’est alors que celui qui a pris la résolution de se consacrer à Dieu entend cette délicieuse invitation de la sapience éternelle : Mon fils, donne-moi ton cœur, et que tes yeux soient attentifs à mes voies. Aussitôt que le disciple est docile à cette voix, il écoute cette parole du Verbe qui s’est fait entendre au fond de son âme ; elle lui apprend que le royaume de Dieu est au dedans de lui, et lui fait connaître tout le divin ensemble de la religion céleste que Jésus-Christ est venu enseigner aux hommes. Il ne tarde pas à contempler avec admiration les routes sacrées par lesquelles il doit passer pour arriver à la régénération parfaite, sans laquelle il ne pourrait voir le royaume des cieux, suivant la déclaration expresse de notre divin maître.

Il lui est alors montré que Dieu est l’unique principe de toute réalité et de tout bien, comme il est aussi la fin unique et souveraine de toutes choses. Il reconnaît qu’en cette qualité, il est raisonnable que l’homme et toutes ses actions se soumettent à lui, et que toutes choses se rapportent à cet être souverainement parfait.

Il voit avec la dernière évidence que Dieu et les vrais biens qui procèdent de lui sont incorruptibles, éternels. Alors, sachant que l’homme est aussi créé pour l’Éternité, et que le monde au contraire et tout ce qui y est n’est que pour un moment qui passe et qui ne revient plus, il sent qu’il doit s’appliquer avec toutes les puissances de son être aux choses éternelles et divines.

De ce point de vue, il regarde tout le reste seulement comme un accessoire et comme des moyens pour arriver à la fin glorieuse vers laquelle il tend.

Persuadé que Dieu étant le bien souverain est pur esprit, et que l’homme quant à la partie principale de son être est aussi esprit et capable de posséder ce souverain bien, il est convaincu par-là même qu’il ne peut le posséder que parce qu’il y a de plus spirituel et de plus intérieur en lui ; que par conséquent ses actions et toute sa conduite doivent être mues et réglées par un principe intérieur, spirituel et invisible.

De ces vérités lumineuses, jaillit pour un tel homme des faisceaux de lumière, qui contiennent tout ce qu’il y a de plus essentiel dans la religion du cœur et dans la divine morale de l’Évangile.

Car si Dieu est esprit, il doit être adoré en esprit et en vérité. Si toutes choses sont par lui et de lui 275, il faut que toutes choses retournent à lui comme étant la source et la fin dernière de toute béatitude.

Mais si l’homme a été privé du vrai bien qui est intérieur, et qui doit toujours demeurer sa fin souveraine, ne doit-il pas s’exposer dans son intérieur à ce bien invisible et incompréhensible, avec un ardent désir d’être derechef éclairé et réchauffé de ce soleil de justice, attendant qu’il répande en lui tout le bien qu’il lui plaira et dont il est la source, bien suprême qui est la fin pour laquelle il nous a créés.

Mais si dans notre intérieur il y a encore des obstacles qui nous empêchent de nous unir à Dieu, de recevoir l’écoulement de ses biens ineffables et de ce qui vient purement de lui, parce que notre âme est liée à un corps dont elle reçoit les impressions, il faut que ces obstacles soient enlevés avant que Dieu et ses biens spirituels nous soient rendus.

Or Dieu étant la source de toute réalité et de tout pouvoir, cet enlèvement du mal et des obstacles ne peut se faire sans son opération.

Cependant s’il a laissé ou rendu à l’homme quelques forces, il faut qu’il les emploie, afin de coopérer avec Dieu à la destruction du mal.

Mais si l’âme s’est rendue tout à fait incapable aux opérations spirituelles et divines, pour s’être beaucoup attachée aux choses corporelles qui l’ont souillée, en vertu de l’ordre et de la raison que l’homme doit mettre dans toutes ses opérations, elle doit commencer premièrement par se débarrasser des grossiers empêchements, des vues et des souillures venant du matériel, pour mieux en venir au spirituel.

Cependant si les obstacles aux biens éternels, le mal, le péché et ses effets ont atteint jusqu’au centre des puissances de l’âme et au pouvoir qu’elle a d’agir et de se conduire, ces mêmes puissances et cette activité corrompue ne peuvent être délivrées de leurs infirmités par leurs propres opérations, et par les actes de leur pouvoir, mais seulement par l’action unique de Dieu ; en sorte qu’excepté le seul acte de s’offrir à Dieu et de lui donner son consentement, la devoir le plus juste de cette âme est de lui présenter ses puissances comme ne cherchant plus sa guérison dans sa propre activité, mais dans le seul opérer de Dieu, qu’elle réclame et qu’elle veut bien laisser agir en elle. Or si elle a fait ci-devant consister ses plaisirs dans ses actes de propriété contraires à ceux de Dieu, il est naturel de penser qu’elle ne saurait s’en voir privée et soutenir les opérations de l’Esprit-Saint, qui combattent et surmontent ses indispositions, sans en ressentir d’étranges peines et de très-grandes douleurs intérieures.

Toutefois nous devons bien nous garder de croire qu’un cœur qui s’est ainsi livré à Dieu soit abandonné et reste dans cet état ; car s’il s’est bien acquitté de ses devoirs envers lui, Dieu, de son côté, si bon, si libéral, si grand et si puissant, ne pourra-t-il pas et ne voudra-t-il pas le délivrer de tous les obstacles qui s’opposent dans son âme à l’écoulement de Dieu et de ses biens ineffables ?

Or si Dieu est pure lumière et pur amour, d’après le témoignage de l’Écriture, il s’ensuit que quand une âme est dégagée de tout ce qui s’opposait en elle à Dieu et à ses dons, Dieu, par ses pures opérations, la comble de grâces, en lui communiquant paix, joie, lumière et amour, faveurs que Dieu couronne par la donation de tout lui-même.

Ceci supposé, n’est-il pas juste que Dieu mette une telle âme à autant d’épreuves qu’il jugera convenables, tant pour lui apprendre à se prémunir contre les ruses de l’ennemi et de son amour-propre que pour éprouver sa fidélité ?

C’est ici qu’une âme doit être attentive au but de Dieu qui est de la purifier radicalement 276 de toutes les attaches propriétaires à ses dons et à ses faveurs, afin de la rendre capable de recevoir encore de plus grandes communications de Dieu qui l’introduira dans son union sans milieu et sans terme.

C’est en suivant cette route secrète et divine que nous venons de tracer que cette âme qui a cherché Dieu avec tant d’ardeur l’a enfin trouvée et est mise en possession du suprême amour, de cet amour de Dieu qui comprend tout en soi, puisqu’il accomplit la loi et les prophètes.

L’amour est la loi des êtres, c’est le souffle de la parole éternelle ; sans amour on ne peut concevoir nulle manifestation divine, céleste, spirituelle et même sensible 277.

L’amour est la source de la vie, car partout où il se montre, il la prépare, et où il est, il la produit. Il s’écoula sur le néant, et selon les idées éternelles du Père, le Verbe s’y est précipité. Il prononça le fiat qui constitue le degré qu’il donne aux êtres innombrables qui peuplent et forment l’univers. Ils se meuvent dans la loi imperdable de l’amour ; où l’amour cesse, la mort commence.

Oui, ô amour ! vous êtes plus fort que la mort 278. L’homme avait brisé votre loi, vous la retraçâtes dans le sein de Marie, en la rendant la créature la plus humble qui fut jamais sur la terre. Alors vous y appelâtes le Verbe, elle montra dans la chair de l’homme le Verbe qui, accomplissant la justice de la loi d’amour, arracha l’homme à la mort et lui acquit une nouvelle vie.

Est-il surprenant que le précepte de l’amour divin soit si positif et si exprès ? N’est-il pas, au contraire, bien étonnant que la loi d’aimer si naturelle au cœur de l’homme ait besoin d’être inculquée à l’égard de l’être qui renferme en soi toute perfection ? D’ailleurs, cet amour n’est-il pas la caution de son bonheur, puisque l’accomplissement de ce précepte appelle et conserve en lui cette vie du Verbe, cette vie qui seule peut recouler dans le sein du Père, dont la gloire est de la reproduire éternellement.

Ô richesses de l’amour, que vous êtes abondantes ! mais, ô amour, vous exercez d’abord vos rigueurs, vos épreuves, vos fuites, vos combats pour opérer en nous ce dépouillement, ce vide dans lequel vous vous répandez pour que le Verbe s’y retrace par l’ordre de son Père 279. Oui, fuyez, pour que nous courions après vous ; éprouvez-nous, puisque vous serez avec nous dans la détresse ; combattez dans nos cœurs ce qui s’oppose à votre règne divin ; mais faites encore plus : pour augmenter notre amour, chassez-nous de nous-mêmes. Oh ! restez absolument seul, afin d’élargir d’autant plus notre âme et y appeler ce Verbe adorable qui donne la vie, puisque ce n’est que par votre divine lumière que nous pourrons le voir et le posséder.

Hélas ! pauvres aveugles que nous sommes, nous vous peignons avec un bandeau sur les yeux, eh bien ! couvrez-nous-en, et soyez notre guide ; menez-nous par la main dans les torrents et dans les abîmes. Vous le dites vous-même : Je vous montrerai mon salut et ma délivrance 280. Ô verbe divin, que nous serons heureux et à couvert de tout danger quand vous nous cacherez avec vous dans le sein du Père.

Ô fin admirable de l’homme par la loi d’amour, c’est bien alors que les eaux sortiront du sanctuaire, que le fruit sera bon à manger et que nos prières seront efficaces.

Oui il s’écoule tant de choses de l’amour que l’étroite capacité de notre cœur ne saurait les contenir. Toutes les puissances de l’âme ne peuvent assez sentir les ineffables communications de l’amour divin 281 ; le langage même demeure impuissant, et si l’être spirituel n’était susceptible de dilatation, il succomberait à son action divine, tant elle est forte et puissante 282.

Ah ! ce n’est pas sans raison que saint Paul, dans l’expérience de la divine plénitude de cet amour, s’est écrié : Qui nous séparera de la dilection de Christ ? Sera-ce l’oppression, le péril ou l’épée ? Non, non, en toutes choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car nous sommes assurés que ni la mort, ni la vie, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature, ne nous pourra séparer de l’amour qu’il nous a montré par Jésus-Christ notre Seigneur.

Ces paroles sont si belles que l’on ne saurait se lasser de les répéter. Aimer Dieu de tout son cœur et sans réserve est un si grand bien, que celui qui emploie tout son cœur et toute la force et la vigueur de son âme à aimer a la véritable vie. Ô vie d’amour ! sans vous toutes les autres vies sont de véritables morts.

Mais pour que cet amour se crée dans nos cœurs et devienne un feu ardent pour consumer tout ce qui est contraire à sa pureté, par quels travaux, par quelle mort et dépouillement ne faut-il pas passer ? Mais, ô Dieu amour, ce que la créature ne peut faire par elle-même, vous l’opérez en elle. Voua viendrez pour sonder toute la corruption dont le cœur de l’homme est rempli ; vous viendrez pour le mesurer dans toutes ses parties, vous scruterez Jérusalem avec des lampes ardentes 283. Ce n’est qu’après ces opérations douloureuses et pénibles que votre Esprit-Saint versera l’amour divin dans son âme, après que l’affection du péché et tous les genres de souillures en auront été consumés, détruits, anéantis. Ô amour, n’avez-vous donc pas créé l’homme à votre image ? Oui, mais hélas ! le génie du mal est venu l’effacer. Et l’homme ne pouvant la rétablir par lui-même, vous êtes venu, ô Verbe éternel, racheter cet être coupable en accomplissant ce qu’il aurait dû faire, en rétablissant votre image dans lui ; car tout était pour l’homme et l’homme était tout pour Dieu. Vous avez fait ce qu’il ne pouvait pas faire, et ce que la loi ne pouvait accomplir 284, votre miséricorde l’a réalisé.

L’homme avait offensé un Dieu infini, et il n’y avait que vous, ô Dieu, qui pût présenter une victime d’un mérite infini, et par conséquent suffisamment expiatoire. Par-là, vous vous êtes acquis l’homme doublement. Il vous appartenait par droit de création, et vous devez le posséder d’autant plus par droit de rédemption. Vous nous avez fait la promesse de venir par votre esprit de grâce appliquer vos mérites précieux à ceux qui veulent se laisser sanctifier et purifier par le feu de votre divine dilection. Vous voulez aussi, ô Dieu de charité, être notre sagesse et le flambeau qui doit nous éclairer dans les routes sacrées qui conduisent à vous. Ainsi, sagesse suprême qui nous éclaire, justice parfaite qui nous rend innocents, Sauveur miséricordieux qui nous délivre de la condamnation, feu de lumière et d’amour qui purifie et sanctifie l’homme dans toute la circonférence de sa triple vie, ô Dieu triun, agissant et opérant sur l’esprit, l’âme et le corps de l’homme, vous viendrez encore et vous verrez si les hommes sont à vous, s’ils se sont tournés vers vous, s’ils sont conformes au modèle qui leur a été montré sur la montagne de sainteté. Vous verrez, comme vous le savez déjà, s’ils sont sanctifiés par votre esprit de paix, s’ils sont par conséquent dans leurs relations naturelles, spirituelles et divines.

Alors, si par l’effet des mérites de la réparation que vous leur aurez appliqués, aucune de leurs relations ne se trouve interrompue, vous transmuerez enfin l’âme vivante que vous leur aurez donnée en esprit vivifiant, et ainsi l’âme, l’esprit et le corps ensemble se confondent dans la loi d’unité, comme vos opérations de personnes se confondent dans l’unité de votre essence, vous viendrez et vous régnerez éternellement en eux, sur eux et par eux comme vous régnez dans le Ciel.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XVI.

 

 

L’ABANDON ET LA CONFIANCE EN DIEU NOUS OBTIENNENT SA PROTECTION ET LES SOINS DE SON AMOUR PATERNEL.

 

 

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« La confiance en l’adorable conduite de Dieu, dit un auteur très-éclairé du dernier siècle, est ce qu’il y a de plus essentiel dans toute la voie qui conduit à la perfection chrétienne ; c’est la clef de tout l’intérieur.

» Il est bien nécessaire de se tenir ferme à l’abandon, sans écouter une raison pusillanime et les réflexions qu’inspire la défiance. Une grande foi fait un grand abandon, il faut s’en fier à Dieu.

» L’abandon est un dépouillement de tout soin de nous-mêmes pour nous laisser entièrement à la conduite de Dieu.

» Tous les chrétiens sont exhortés à s’abandonner.

» L’abandon doit être, autant pour l’extérieur que pour l’intérieur, une résignation soumise à tout ce qui peut nous arriver de la part de la Providence, s’oubliant beaucoup soi-même pour ne penser qu’à Dieu. Par ce moyen le cœur demeure toujours libre, content et dégagé.

» Dans la pratique, cette confiance doit consister à perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu ; renonçant à toutes les inclinations opposées à la loi divine sitôt qu’on les sent naître, pour ne vouloir que ce que Dieu nous a révélé être sa volonté sainte 285. »

Il faut donc que celui qui désire obtenir cette confiance possède une grande foi en Dieu, qui lui fasse croire tout possible de la part d’un être tout-puissant, tout bon et tout sage, et qui lui donne l’assurance ferme qu’il accomplira ses promesses et qu’il ne l’abandonnera pas. En effet, pourrions-nous hésiter qu’il pense à nous, puisque de toute éternité nous avons existé dans sa pensée ?

Nous n’avons qu’à méditer avec quelque attention les oracles sacrés des divines écritures, pour puiser dans la connaissance de la bonté et des autres perfections divines, les motifs d’une confiance sans bornes. Là, nous verrons jusqu’à quel point notre âme est chère à ce Verbe éternel, qui a quitté le trône de la gloire pour courir à la recherche de son image, et combien nous sommes profondément enracinés dans le cœur de Dieu. C’est là que nous verrons combien l’homme est supérieur à toutes les créatures qu’il devait gouverner ; car ce n’est pas à elles qu’est faite la promesse d’un si grand bienfait, mais c’est à leur dominateur et à leur roi

Ô homme, quelle est ta destinée ! tu peux encore retrouver le bien souverainement aimable, tu peux encore puiser dans les eaux de la grâce régénérante le salut et la félicité.

Si ceux qui se sont le plus égarés, qui se sont le plus révoltés contre cette sagesse éternelle, laissaient pénétrer leur esprit et leur cœur de cette lumière divine, avec quel ravissement ils contempleraient cette Providence conservatrice 286 et infiniment admirable qui a tout employé pour réparer l’homme et lui redonner une nouvelle existence et un nouvel amour.

Si je contemple ce qu’elle peut faire d’un atome comme moi, s’il cessait d’être révolté et de se roidir contre son propre bonheur, s’il se laissait détacher du cercle étroit de la raison pour se laisser conduire dans le vaste domaine de l’esprit, de celui-ci au céleste, et de là encore à la participation de la sagesse éternelle, de quelles jouissances ne se rendrait-il pas capable ? Ô Dieu, donne-nous un langage qui puisse exprimer ce que quelquefois vous imprimez si vivement dans le cœur....... Et serions-nous alors étonnés que l’homme, votre créature par l’action de cette étincelle divine, répandue avec mesure dans l’âme humaine, ne tendît pas à un changement d’état qui le dédommage, comme dit saint Paul, de la servitude de la corruption à laquelle il est assujetti 287.

Mais ils sont innombrables, les travaux, les épreuves, les combats par lesquels il faut que l’âme humaine passe avant que ce changement soit consommé et arrivé à sa plus haute perfection. C’est la grande raison pour laquelle il est nécessaire qu’il s’arme de courage pour supporter toutes les souffrances attachées à ce travail.

Par conséquent, de toutes les vertus que le chrétien doit exercer, celle de la confiance en Dieu est une des plus nécessaires, parce que l’expérience qu’il fait de sa misère et de sa propre corruption, les obstacles que le monde dépravé lui oppose, la guerre que lui font des ennemis invisibles seraient capables de lui faire perdre courage s’il n’était soutenu par la pensée toute puissante que Dieu est toujours près de lui pour le fortifier, le défendre et le protéger contre toutes les attaques de ses adversaires.

Or l’homme n’est pas plutôt abandonné et soumis qu’il éprouve les faveurs divines et les témoignages innombrables de sa bonté. Alors l’amour naît dans son cœur et lui fait regarder comme le plus grand bienfait tout ce qui tend à lui arracher cette vie propre et souillée, afin de donner lieu à l’action divine dans son âme ; car le chef-d’œuvre de la miséricorde est de détruire 288 sans miséricorde tout ce qui empêche l’homme de rentrer dans sa fin, comme l’ont expérimenté les âmes de foi qui ont été conduites dans le chemin de l’abandon.

Mais les coups qu’il faut recevoir pour arriver à ce terme sont tels que ce n’est qu’après les avoir portés qu’on reconnaît par expérience leur utilité et par conséquent le principe de miséricorde, qui nous a d’abord montré la profondeur de la plaie pour nous en guérir. De tous les saints personnages que l’Écriture propose à notre imitation, aucun homme n’a possédé à un si haut degré la confiance en Dieu, comme le roi prophète David. Il a expérimenté, dans une vie agitée et battue de mille tempêtes, tous les états qu’une âme doit éprouver avant que d’entrer en jouissance de cette paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence et tout entendement. Ce sont tous ces états et leurs nuances diverses qu’il a exprimés dans plusieurs de ses divins cantiques. Il fallait pour les décrire un homme tel que lui, une âme forte et courageuse qui eût la connaissance de toutes les routes de l’abandon, qui pût attester à juste titre la miséricorde dont il était l’objet, puisqu’il était le type de Jésus-Christ qui devait porter et sanctifier tous les états qu’il a décrits. Parcourons quelques endroits de ces psaumes, et voyons comment il se réfugie auprès de Dieu, et comment, dans la tribulation, il attend de lui toute sa délivrance : Pendant ma tentation, je n’ai fait que de vous exposer mon âme, je suis resté devant vous comme un enfant sevré par sa mère, et qui en attend tout ; mon attente n’a pas été trompée, aussi votre Israël espérera en vous, ô mon Dieu, dès maintenant jusqu’à l’éternité 289.

Ces paroles expriment très-bien l’état du roi prophète. Il était dans la tentation de sortir de cet état si nu et si dépouillé où Dieu l’avait placé pour éprouver sa foi et son abandon. Elle est bien difficile, la conduite qu’il faut tenir dans une situation pareille, car tout ce qui nous élève nous sort de cet état si pénible pour l’homme, mais qui néanmoins est si nécessaire pour rendre toute gloire au tout de Dieu, et pour montrer le néant de la créature.

Que cette comparaison de l’enfant sevré est admirable. Cet enfant est faible, il ne veut rien, aussi il s’abandonne à la conduite de sa mère, et il reste dans cet état d’attente 290. Ah ! cette disposition est bien suffisante pour lui procurer tout ce qui lui est nécessaire. Que cet état est grand et simple, il n’ôte rien à Dieu, il lui restitue tout. C’est alors que cette âme résignée comme l’Israël de Dieu reçoit son secours de l’Éternel, et déclare qu’elle espérera en lui dès maintenant et à toujours.

Voyons encore comment il introduit Dieu parlant à son peuple : Ô Israël, pendant la tribulation tu m’as invoqué, et je t’ai délivré dans le secret et du fort même de la tempête dont tu étais battu, je t’ai exaucé ; si je t’ai mis à l’épreuve auprès des eaux de contradictions, j’ai tiré ton dos de dessous le poids et tes mains du travail 291.

Si l’homme est assez heureux pour cesser d’entendre le langage du monde et de la vanité, et pour écouter la voix de Dieu, il apprend pourquoi il est placé dans ce lieu d’exil, et la raison pour laquelle il est éprouvé en diverses manières. On lui démontre l’adorable conduite de Dieu à son égard ; il connaît alors pourquoi il a été battu des afflictions, et enfin il apprécie la grande utilité des tribulations dans lesquelles il s’est trouvé.

En effet, ces épreuves et ces afflictions l’ont forcé d’invoquer l’Éternel, et l’Éternel l’a délivré. Le Seigneur s’était caché dans la tempête même, et soudain il a apaisé les flots de sa fureur ; il a soulevé le poids d’iniquité, le travail inutile est remplacé par l’attente de la miséricorde, et l’amour commence à naître dans ce cœur jadis flétri par le péché. Oh ! quelle fête solennelle, où l’homme peut enfin apprendre l’histoire de ses malheurs, leur heureuse issue par l’effet des bontés de l’Éternel ; oh ! que le langage nouveau qui devient à sa portée est doux, entraînant et sublime !...... Écoute Israël, si tu m’entends, tu n’adoreras pas de dieux nouveaux, mais tu aimeras le Seigneur ton Dieu seulement, car je suis ton Dieu. Ô parole divine, burinez-vous dans tout mon être, ne soyez pas un son qui s’affaiblit, mais une parole créatrice de vie. Que je vous écoute et que je vous obéisse. Je ne veux adorer que vous, ô Sauveur charitable ; par votre force puissante, vous m’avez délivré du danger et de l’angoisse de la mort ; vous m’avez tiré de l’Égypte, de cette vie extravagante, remplie de vanité et de choses qui ne sont bonnes à rien, où tout est dieu hors vous, ô beauté infinie. Hélas ! j’en ai fait longtemps la triste expérience ; malgré tous vos appels, je n’entendais pas votre voix. Le monde avec ses prestiges me bouchait les oreilles, il fallait l’excès de votre miséricorde pour briser mes résistances opiniâtres. Oh ! qu’à l’ouïe de votre parole je n’endurcisse plus mon cœur. Ah ! parlez encore, et que je sois toujours attentif.

Vous m’invitez, ô souveraine Sagesse, à la participation de vos grâces ; ouvre la bouche, me dites-vous, ouvre-la et je te nourrirai de la moelle du froment, et je te rassasierai du miel et de la pierre. C’en est trop, ô mon Sauveur, ce n’est pas que je me défende de recevoir vos bienfaits ; mais, ô mon Dieu, je sens que j’en suis indigne. Ô Seigneur, vous montrez que vous n’avez égard qu’à votre clémence, et vous ne regardez ni à la bassesse de votre créature, ni à ses misères, ni même quelquefois à ses résistances.

Ainsi donc, ô mon adorable Maître, malgré mon indignité, j’ouvre la bouche de mon cœur, je vous obéis. Accomplissez en moi vos paroles créatrices. Nourrissez-moi de la moelle du froment, nourrissez-moi de votre chair adorable et immortelle. Que le pain de vie soit le gage de notre alliance. Faites plus, ô mon Dieu, non-seulement nourrissez-moi de la manne céleste, mais rassasiez-moi du miel de la pierre. C’est vous qui êtes à la fois ce miel et cette pierre, ô rocher Éternel. Non-seulement je veux être nourri de Vous ; mais vous pouvez me changer en vous-même. Faites que je demeure en vous et vous en moi. C’est alors seulement que je serai rassasié du miel de la pierre.

Mais, n’y a-t-il pas de la témérité d’oser prétendre à de si grandes faveurs ? Non, quoique mon âme soit effrayée de la distance infinie qu’il y a de vous à moi, quoique ma faiblesse soit toujours présente à mes yeux, néanmoins j’obéis, et je m’écrie avec votre servante : Me voici, qu’il me soit fait selon votre parole.

Mais quant aux âmes qui vivent encore éloignées de vous, que de reproches ne peut-on pas leur faire ; malgré votre excessive clémence, malgré vos innombrables bienfaits, elles n’ont pas entendu votre voix. C’est pourquoi, ô divine justice, vous les avez livrées au désir de leurs cœurs. Elles sont allées se perdre dans leurs propres inventions. C’est ainsi que sera puni tout désir insensé qui n’a pas pour régulateur votre divin amour. Que deviendrais-je, ô mon Dieu, si vous n’anéantissez absolument, par la mort à moi-même, toutes les vies fausses, opposées et étrangères à la vôtre.

Mais il en est tout autrement des âmes de foi, et qui écoutent la parole du Verbe. Elles entendent au fond de leur cœur cette voix douce et consolante : Abandonnez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon, car sa miséricorde est pour ce siècle d’épreuves.

Ô vous, âmes confiantes et abandonnées entre les mains du plus tendre des pères, ce n’est que par l’abandon que vous sortez spirituellement de l’Égypte, de ce pays de multiplicité, d’illusions et d’erreurs, et que Jésus-Christ devient votre soutien et votre force. Votre cœur a été amolli et l’esprit s’est répandu sur vous en fontaine de grâces.

Oh ! qu’il est bon et nécessaire de recommander cet abandon, de publier la clémence et la miséricorde du Dieu de charité.

Ô vous qui êtes les rachetés du Seigneur, vous qu’il a arrachés des mains de l’ennemi, rendez gloire à ses compassions infinies. Votre âme était accablée de la faim et de la soif du Dieu vivant, elle était dans la défaillance, mais vous avez crié au Seigneur 292. Alors il a aplani les difficultés, il vous a affermi dans les voies qui conduisent à la cité céleste. Vous erriez sur la mer immense et périlleuse du monde, tant de fois vous avez failli succomber au milieu des tempêtes et des orages ; mais vous avez crié au Seigneur, et il vous a délivré du danger ; il vous a arraché au péril, il vous a préservé des écueils difficiles. Les flots mutinés se sont apaisés, la tempête s’est changée en un air pur, et parce que vous avez espéré contre toute espérance, vous recevrez la joie, et si vous êtes fidèles, vous arriverez au port tant désiré ; car le Verbe est envoyé pour vous guérir, pour vous arracher des entrailles de la mort. Qu’on publie donc les merveilles du Seigneur en faveur des enfants des hommes, que des sacrifices de louanges lui soient offerts, qu’on raconte ses œuvres magnifiques. La puissance de l’Éternel a fait ressusciter notre âme, comme elle fait revivre une terre altérée et desséchée par l’ardeur du soleil. Sa bonté a fait couler dans notre cœur les eaux salutaires de sa grâce, et nous sommes comblés de bénédictions et de faveurs.

En effet, la confiance en Dieu et l’amour sont deux affections de notre cœur qui nous concilient toujours les soins les plus tendres de la part de l’objet aimé. D’ailleurs, c’est la route proposée à tous ceux qui désirent sincèrement se sauver. Mais qu’il est rare qu’on y persévère, combien de fois ne se laisse-t-on pas rebuter par les difficultés et les aspérités de la route ? Combien de fois ne se laisse-t-on pas abattre par la défiance ? Au lieu de s’attacher fortement à la fidélité de Dieu, on entre en hésitation et on craint d’ajouter foi à ses promesses. Et d’où vient cela ? d’où vient qu’à l’approche du premier danger on doute de la protection divine ? Cela ne peut venir que parce qu’on est destitué d’amour, qu’on est infidèle à son esprit de grâce, et qu’on manque surtout de cette foi vraie et vivante 293 à qui tout est possible. C’est cette foi qui est l’arrhe du salut, qui soutient l’âme du fidèle au milieu des tempêtes.

Nous avons un exemple admirable de cette foi active et qui résiste à toutes les épreuves dans le patriarche Abraham.

Loin de douter de la puissance de Dieu, sa foi lui représente les choses qu’il espère, et lui démontre celles qu’il ne voit point 294. Il crut à la parole du Dieu de vérité, comme à celui qui a la puissance de ressusciter les morts, qui appelle ce qui n’est pas comme ce qui est. Il espéra contre toute espérance, et voilà ce qui est admirable. Il crut à la promesse qui lui était faite de devenir le Père de plusieurs nations, et ayant cru à cette promesse, il est devenu devant Dieu le père de divers peuples, tant selon l’esprit que selon la chair.

Son exemple nous montre comment nous devons nous confier en Dieu. S’il en était autrement, nous n’aurions plus part à la promesse, et si nous ne croyons pas comme il a cru, nous manquons de foi, et nous n’espérons pas contre toute espérance.

Ah ! si on se persuadait bien que la délivrance est toujours pour celui qui se confie au Seigneur, et qui crie à lui du fond de son âme, on ne sortirait pas de cet abandon qui est le fondement et le principe de l’œuvre de notre salut.

Ce qui surtout nous trompe et nous prive des effets que devraient produire en nous la confiance en Dieu et l’assurance dans son divin secours, c’est que nous nous reposons davantage sur notre propre activité et notre travail que sur la bénédiction qui vient du ciel. Ce qui fait que nous n’avançons pas dans la vie de l’esprit, c’est que dans nos œuvres nous n’implorons pas assez l’assistance de Dieu ; car à moins que le Seigneur n’édifie la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui prétendent la construire, à moins que le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde fait le guet en vain. Mais c’est Dieu qui donne le repos à celui qu’il aime.

C’est en vain que vous vous fatiguez dans votre propre industrie, que vous vous confiez en vos œuvres si le Seigneur ne vous accorde sa force toute puissante. Si l’Éternel ne fait lever sur vous sa lumière, s’il ne fait reluire sur votre âme la clarté de sa face, c’est en vain que vous mangez un pain mouillé de larmes. C’est Dieu seul qui accorde le repos à ses enfants bien-aimés et qui se confient en son amour.

Ce repos est l’héritage de l’enfant du Seigneur, c’est Jésus-Christ qui le donne et qui nous accorde sa paix, en retour de notre confiance. Heureux l’homme qui ne travaille que sous les yeux de l’Éternel, et qui ne se croit qu’un serviteur inutile, en travaillant dans l’œuvre de sa régénération.

Cette dépendance du concours de Dieu qui fait qu’on ne s’appuie que sur son assistance crée en nous un état qui le glorifie infiniment ; car alors le Saint-Esprit opère sans obstacles dans l’âme du fidèle. Cependant, le vrai disciple de Jésus qui a reçu les prémices de l’Esprit, se sentant fortement attiré vers Dieu, ne laisse pas de gémir sans cesse, en attendant l’adoption des enfants de Dieu, et la rédemption de son corps.

Les prémices de l’Esprit-Saint, c’est la réception des promesses de Dieu, ce qui est une preuve qu’on a eu foi en sa parole ; mais il y a loin de cette réception à l’exécution de la parole qui est d’être adopté comme enfant et d’obtenir la portion héréditaire, qui est la rédemption de notre être, pour qu’ensuite nous puissions avoir la jouissance et la vue de la gloire qui est réservée aux enfants adoptés ; jusque-là, nous gémissons, mais nous sommes sauvés en espérance 295.

Espérer, c’est être mû par l’Esprit. Le mot même espérance l’indique, il signifie exister en esprit, trouver sa subsistance dans la vie de l’esprit, vie entièrement opposée à celle de la chair et des sens qui produit la mort. Être sauvés en espérance, c’est donc être sauvés par l’esprit, être sauvés par l’action de l’Esprit de Dieu en nous.

Toute action humaine et même morale est impuissante pour nous procurer le bien que nous attendons et qui nous est promis. Il est donc une autre voie, c’est l’opération invisible de l’Esprit de Dieu ; et lorsqu’on y croit et que l’on y adhère, on fait un acte d’espérance, c’est-à-dire, qu’on existe et qu’on est mû par l’esprit de confiance, de loi et d’abandon, qu’on embrasse Dieu 296 avec toutes les promesses qu’il nous a faites dans sa parole ; c’est alors qu’on pratique en réalité une des plus excellentes vertus.

Mais cette espérance doit avoir un fondement, c’est la charité de Dieu à l’égard de l’homme qui existe de toute éternité, mais qui doit s’expérimenter par celui qui en est l’objet et qui désire en recevoir l’application. C’est alors que l’amour de Dieu est versé dans notre cœur par le Saint-Esprit, que nous avons l’expérience réelle de sa puissance, et que nous pouvons apprécier le don qui est au-dessus de tout don. Car lorsque nous étions privés de toute force, Jésus-Christ est mort en son temps pour nous qui étions des impies. Ainsi la miséricorde s’est exercée gratuitement sur des pécheurs condamnés à la mort. Et à quelle fin, ô mon Dieu, cette grâce immense ? C’est pour que votre vie, qui est votre esprit et votre amour pût ranimer de nouveau celui qui voudrait y croire. Cette grâce a été promise, cette grâce a été donnée ; et ceux qui ont cru à la promesse, comme ceux qui ont cru à son accomplissement, ont participé à cette vie que vous nous communiquez par les nombreux canaux que votre charité a établis pour venir à notre secours dans ce lieu d’exil. Ô mystère d’amour, qui osera sonder votre profondeur. Ô divin réparateur, ô divin Jésus, vous vous êtes sacrifié tout entier pour nous, et à quelle fin, sinon pour que nous soyons tout à vous et que nous ayons, dans votre miséricorde, une confiance sans bornes. Ah ! venez par votre esprit qui seul peut régénérer toutes choses, et insinuez-vous en nous, afin de changer notre mort en vie. Nous éprouverons alors que l’expression manque à la vivacité de la reconnaissance. On ne sait quel nom donner à l’excès de votre charité, elle a fait de tout temps le sublime sujet de l’admiration de vos élus ; car il arrive à grande peine que quelqu’un meure pour un juste, il se pourrait faire encore que quelqu’un voulût mourir pour un bienfaiteur ; mais, ô mon Dieu, Vous avez signalé Votre amour envers nous, en ce que quand nous n’étions que pécheurs, Christ est mort pour nous tous 297.

Il n’en n’est pas de nos offenses comme de l’amour de Dieu, parce qu’étant des êtres finis, nos péchés, quelques effrayants qu’ils puissent être, ne sont pas éternels, mais limités et circonscrits. Mais la charité de notre Dieu est sans bornes, elle est infinie comme la source d’où elle procède.

D’après cela, ne serions-nous pas des monstres d’ingratitude de ne pas avoir une confiance entière en la bonté immense que le Dieu d’amour nous a manifestée ? Oui, ô Verbe, vous êtes tout amour, vous êtes le vouloir de Dieu, le parler du Père et son amour. C’est vous qui êtes la grâce de Dieu, c’est vous qui êtes le don au-dessus de tout prix, lequel nous a été fait par pure grâce ! Vous êtes le fils unique...... La miséricorde infinie est à vous, et votre grâce doit abonder par-dessus le délit fini. Ah ! il n’en n’est pas du don comme d’un seul péché. Le péché nous a amenés à la condamnation, votre jugement était juste, ô mon Dieu ! vous aviez fait la défense et nous l’avions enfreinte ; mais, ô grâce éternelle, qui étiez avant que fussent posés les fondements des siècles, défenseur de la création, votre ouvrage que vous avez manifesté, grâce incessable et toujours s’écoulant de l’essence divine, votre charité ne pouvait vous permettre de ne pas accomplir l’effet divin de cette grâce qui est d’amener à la justification, malgré plusieurs délits, la troupe de vos prédestinés. Quelles conditions mettez-vous à cet écoulement de grâce ? Écoutez, ô hommes, écoutez, elle est accordée à ceux qui comme des pauvres d’esprit se présentent devant Dieu avec le seul sentiment de leur indignité et de leur profonde misère ; elle est à ceux qui tout simplement, sans y mettre obstacle, acceptent l’abondance du don et de la justice. Et ceux qui acceptent ainsi cette grâce et y sont fidèles régneront dans les demeures célestes que le Seigneur Jésus nous a préparées.

Combien cette espérance vive est puissante pour nous rendre victorieux dans nos épreuves. En effet, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous, puisqu’il n’a pas épargné son propre fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous donnerait-il pas toutes choses ?

Ainsi par Jésus-Christ, nous avons la grâce et la paix, la justification et la glorification. Qui accusera désormais les élus de Dieu ? Dieu est celui qui nous justifie. Qui est celui qui nous condamnera ? Le Christ est celui qui est mort, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu et qui prie pour nous 298.

Cette doctrine de confiance filiale, cette voie de délaissement entre les mains de Dieu est toute simple et bien sûre. Précieuse résignation entre les mains de celui qui est la bonté même. Avec vous on gagne tout, parce que l’on peut supporter tout. C’est pourquoi, âmes de foi, ne craignez pas de vous trop confier à celui qui est assez puissant pour vous sauver de tout péril, à cet ami fidèle qui n’a d’autre désir que de vous rendre heureux. Pourquoi hésitez-vous ? Sa sagesse conçoit tous les moyens de délivrance. Peut-être que votre indignité vous fait peur, que le sentiment vif de votre corruption vous effraie ? Ah ! prenez courage, Jésus ne demande que votre cœur. C’est par pure grâce que vous êtes sauvés, il n’exige, pour toute reconnaissance, que votre amour. Ô vous qui êtes altérés, venez aux eaux vives, venez et achetez sans argent et sans aucun prix du vin et du lait 299. Ah ! revêtez ces dispositions, alors vous n’aurez d’autre désir que de glorifier Dieu, ses intérêts seront les vôtres, et vous vous écrierez avec le roi prophète : Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous, mais pour donner gloire à la splendeur de votre nom ; c’est parce que nous sommes à vous que nous serons préservés. Nous n’avons pas la présomption de nous attribuer quelque chose, mais l’efficacité de Votre nom et de Votre puissance, la grandeur de Votre miséricorde, la profondeur de Votre vérité en réclament toute la gloire. Oui, ô mon Dieu, Vous êtes notre père, Vous êtes celui qui nous justifie et qui nous sauve. Vous avez fait en nous et de nous ce qui vous a été le plus glorieux. Que cette gloire vous soit rendue aux siècles des siècles. Et si vous avez opéré toutes ces choses, ce n’est pas pour notre propre gloire, nous qui sommes votre maison d’Israël, vos enfants soumis et abandonnés, mais c’est pour l’amour de Votre grand nom, afin que tous ceux qui ne sont pas votre peuple ne disent pas : Où est leur Dieu ?

Soyez nos yeux, notre parole, notre intelligence, notre sanctuaire, notre vie ; nous n’en voulons point d’autre. Nous renonçons à tout autre dominateur pour qu’une gloire éternelle soit rendue à votre miséricorde et à votre vérité. Nous ne voulons plus de ces appuis trompeurs, de ces idoles de l’orgueil et de l’amour-propre, de ces inventions de la raison humaine ; nous ne voulons plus de ces lumières apparentes qui ne sont en réalité que ténèbres, parce que vous n’en êtes pas le principe. Les paroles que profèrent ces vaines idoles ne forment qu’un son trompeur ; c’est plutôt un bruit étourdissant qu’une chose intelligible. Rien n’est produit dans le cœur par l’effet de leurs paroles, parce que rien de bon et de vrai ne sort d’eux. Leurs œuvres sont des œuvres de néant. Tous ceux qui se fient à ces idoles deviennent semblables à ceux qui les inventent. Aussi est-ce pour les anéantir et pour arracher tous les appuis trompeurs à l’âme que Dieu l’exerce par la croix et par des épreuves longues et rudes.

Mais pour que l’affliction ne soit pas pour l’âme fidèle un motif de découragement, elle est enseignée par le Saint-Esprit à reconnaître la vérité de la doctrine qu’enseigne saint Paul en décrivant les avantages que produisent les afflictions : Nous savons, dit-il, que l’affliction produit la patience, la patience l’épreuve et l’épreuve l’espérance. C’est comme s’il eût dit : les afflictions réveillent l’homme et le rendent attentif. Dans cet instant, il réfléchit sur la vanité de toutes les œuvres qu’il a faites sans l’intention de glorifier Dieu ; il connaît le néant et l’illusion des choses périssables de ce monde, il se livre aux nouveaux sentiments qui s’élèvent dans son cœur ; il devine qu’il y a pour lui une vérité qui ne se laisse encore qu’entrevoir. Pour la découvrir en entier, il conçoit la nécessité de l’épreuve, et il s’y soumet 300. Il comprend que pour tous les êtres intelligents et libres, il est une époque où ils doivent faire usage de leurs facultés, et quel usage pourrait être plus naturel, plus juste et plus digne de Dieu que de lui en faire hommage comme étant l’arbitre suprême de leur existence : car il n’y a pas d’alternative, ou l’homme doit se soumettre à ce principe éternel, ou se trouver en révolte ouverte contre lui.

Ainsi l’épreuve est un état nécessaire pendant lequel se constate le bon ou mauvais usage de la liberté ; mais ayant fait le bon choix, cet état d’épreuve mène à l’espérance, précieux état, car l’apôtre saint Paul qui le savait par expérience assure que l’espérance ne confond point. Et pourquoi l’espérance ne confond-elle pas ? C’est qu’alors l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné. Il y a donc un terme ou un état où le Saint-Esprit nous est accordé ; mais ce n’est que lorsque l’affliction nous a graduellement amenés à la patience, la patience à l’épreuve, l’épreuve à l’espérance, l’espérance à la confiance et enfin à l’abandon parfait. C’est alors que l’âme est élevée en Dieu, que l’Esprit-Saint opère en elle d’une manière plus parfaite ; et cet Esprit est précisément le même que celui que Jésus-Christ a laissé à ses apôtres pour qu’il se répandît par toute la terre ; et nous avons cette confiance qu’il s’y répandra encore plus abondamment, afin que tout genou fléchisse devant notre Seigneur Jésus-Christ.

Or ces afflictions et ces épreuves si propres â créer la patience et à rendre le chrétien parfait sont prédîtes tant pour l’universalité de l’église que pour chacun de ses membres en particulier.

C’est cette vérité que l’Écriture nous fait comprendre en faisant le recensement des états les plus terribles où l’homme puisse être mis. C’est en effet par tous ces états, ou du moins par quelques-uns, qu’il faut avoir passé pour être rendu conforme à l’image du fils unique 301. La mort corporelle même n’en est pas exceptée. C’est pourquoi l’apôtre parle de l’oppression, de l’angoisse, de la persécution, de la famine, du dénuement, du péril et de l’épée ; mais il ajoute : Nous sommes chaque jour livrés à la mort, et on nous estime comme des brebis destinées à la boucherie. Cependant la mort n’est pas seulement celle qui est apparente, le martyre que l’Esprit-Saint fait subir aux âmes intérieures est tout aussi réel, effectif et certain que celui qu’ont enduré littéralement ceux qui ont scellé de leur sang le témoignage qu’ils ont rendu à la vérité de leur Dieu ; et les uns et les autres seront un jour manifestés dans la gloire céleste. L’expérience 302 qu’en ont faite les âmes intérieures nous prouve qu’on peut souffrir et être tué de bien des manières : on peut l’être dans son honneur, dans sa réputation, dans ses biens, dans les attraits de son cœur, dans ses affections, dans les lumières de l’esprit. Ce sont toutes ces morts qui déprennent l’homme de lui-même, qui le rendent souple, pliable et l’approprient à être soumis à toutes les volontés de Dieu.

Mais cette mort pourrait-elle s’opérer par la seule action de l’homme ? Son propre travail, quelque bon et excellent qu’il soit, n’est-il pas lui-même infecté de la propriété ? L’amour de sa propre excellence ne gâte-t-elle pas les meilleures choses ?

Non, notre travail ne suffit pas pour opérer la grande œuvre de la mort totale de nous-mêmes. Il ne faut rien moins que l’action toute puissante et victorieuse de l’Esprit de Dieu en nous. S’il y a un temps où l’homme doit être actif, il y a aussi un temps où il doit être passif sous l’action divine 303.

Oui, c’en est fait, je vous reconnais désormais, ô mon Dieu, pour le seul rocher de mon salut. Je vois l’inutilité de mon seul travail, de ma propre circonspection ; mais en me donnant à Vous, c’est par Votre lumière et par Votre amour que je pourrai toute chose. Je Vous recevrai, ô lumière divine, en reconnaissant avec toute vérité mon impuissance et votre pouvoir infini. Mais la promesse n’est faite qu’à la fidélité. Que je sois donc en vos mains comme un instrument flexible dont vous vous servez, soit dans le temps de la douleur, soit dans celui de l’espérance ; voilà mon travail, voilà mon désir. Ainsi, ô mon Dieu, je ne Vous parle pas de récompense ; car, ô mon unique refuge, Vous êtes le nœud de l’alliance éternelle. Allumez dans mon cœur le feu de Votre divin amour ; rendez-moi soumis et obéissant, et alors je ne craindrai plus rien de la part de tous mes ennemis ; car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni aucune créature ne me pourra séparer de la direction que vous m’avez témoignée en Jésus-Christ.

Une âme ainsi remplie de ces sentiments, et pénétrée de cet amour de Dieu que les fleuves des plus grandes tribulations ne sauraient éteindre, s’écrie dans les plus grands dangers avec le roi prophète : Confiez-vous à l’Éternel, Israël, maison d’Aaron, et vous tous qui le craignez. Il est votre aide, votre secours, votre bouclier. Il vous protégera, Israël, qui vivez d’abandon. Il vous fortifiera, maison d’Aaron, qui ne vivez que d’obéissance, qui est le vrai sacrifice. Il vous bénira, vous tous qui le servez avec fidélité, et qui ne vivez que d’amour. Il vous préservera, vous, grands, par les œuvres qu’il vous fait faire avec foi et une vraie humilité. Il vous soutiendra, vous, petits, dans la soumission qu’il exige de vous. Il vous bénira et déjà vous êtes bénis de l’Éternel, qui a fait les cieux et la terre. S’il a donné la terre aux enfants des hommes pour y habiter, les cieux sont à lui, d’où il observe celui qui est affligé, celui qui a le cœur brisé, celui qui tremble à sa parole 304. Ainsi vous bénirez l’Éternel maintenant et à toujours, vous qui mettez toute votre espérance en lui.

Par cette confiance, nous forçons Dieu de venir à notre secours selon les immuables promesses qu’il nous a faites dans sa parole, et suivant la résolution de celui qui accomplit avec efficace toutes choses selon le conseil de sa volonté. Car ce qu’il désire, il l’exécute. S’il a un dessein, qui le détournera ? Dans les cieux, sur la terre et dans les abîmes, il fait tout ce qu’il lui plaît, et rien ne peut résister à son pouvoir infini. Après cela, craindrions-nous ce que nous peut faire l’homme ? Craindrions-nous le reproche de ceux qui nous demandent : Où est votre Dieu ? Ô Seigneur, Vous êtes aux cieux. Vous êtes haut et élevé, nous nous reposons sur Votre puissance et Votre miséricorde infinie, tout en reconnaissant notre indignité, car nous avons péché contre Vous. Ah ! si Vous exercez Votre justice, en nous punissant, c’est en attendant que Vous défendiez la cause de Vos élus. Mais Vous nous conduirez enfin à Votre lumière, Vous nous réunirez en Jésus-Christ et Vous nous ferez entrer en possession de l’héritage qu’il nous a acquis. Nous verrons Votre justice et vos ennemis la verront à leur honte. Ceux qui ont dit : Où est leur Dieu ? verront cette justice et ils seront confondus par elle. C’est alors que Vos élus, glorieux du triomphe que Jésus-Christ aura remporté sur tous ses adversaires, sur la mort, le dragon et toutes les puissances des ténèbres, entonneront le cantique d’actions de grâces avec toutes les hiérarchies et les vingt-quatre anciens, en disant : Amen ! à notre Dieu, à l’agneau qui a été immolé, soit louanges, gloire, sagesse, actions de grâces, honneur, puissance et force aux siècles des siècles 305.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XVII.

 

 

LA PRIÈRE DU CŒUR EST LE VRAI CULTE AGRÉABLE À DIEU.

 

 

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C’EST une vérité certaine que Jésus-Christ est venu rapporter sur la terre le culte Saint et véritable que nous devons à Dieu. II est donc nécessaire de nous attacher à ce culte seul digne de l’être infiniment adorable.

Le verbe indivisible de Dieu est renfermé dans l’essence infinie de la divinité, et il y sacrifie sans cesse par amour tout ce qu’il reçoit de son père, qui, par un amour réciproque, lui donne tout. C’est par ce sacrifice que se prouve un amour éternel, qui est le lien ineffable de cette unité. Unité incompréhensible, qui se suffit à elle-même, et qui est indépendante de toute autre chose. Or il est indubitable que le sacrifice éternel qui se fait en Dieu est le modèle et la mesure de tous les sacrifices possibles pour tous les êtres appelés par amour à recevoir l’existence. C’est pour ce sacrifice que cette existence devait être entretenue, cultivée, jusqu’à ce qu’elle fût éternisée.

Comme l’amour avait préparé l’homme sa créature à recevoir les dons divins, de même par amour, il devait les rendre à leur auteur. De cette manière, les relations de l’infini au fini se fussent perpétuées ; les communications inépuisables de l’Esprit Éternel se seraient opérées ; la participation à la divinité étant le terme de leur existence, les êtres fussent rentrés ainsi dans leur bienheureuse fin, et par-là ils seraient restés fidèles au principe éternel qui les avait appelés à manifester extérieurement sa gloire. Ainsi l’amour est l’épreuve de tous les êtres intelligents. Car il est juste que l’hommage véritable que la créature rend à Dieu ait une ressemblance avec ce qui se passe en Dieu même.

En effet, les intelligences n’ont reçu l’être, n’ont été honorées de la révélation des beautés et merveilles divines que pour propager au-dehors ce même culte d’amour. Pour entretenir et cultiver ce don heureux de l’existence dont elles ont été douées, elles devaient donc par amour reverser dans le verbe tout ce qu’elles ont reçu de lui, comme le verbe reverse en Dieu son père tout ce qu’il est en lui-même.

Arrêter dans la créature intelligente cet écoulement des beautés divines, lui empêcher d’en rendre un hommage continuel à la cause, principe de son être, n’était-ce pas suspendre la culture, l’entretien de cette plante divine ? N’était-ce pas la corrompre, la gâter, pervertir sa destination ? Or l’homme, cette plante, n’étant plus alors susceptible de culture, se trouvait nécessairement séparée du principe de sa vie ; elle devait subir un jugement, diminuer de vie ou la perdre. Mais comme elle était indestructible, elle était dans une position complètement opposée à l’état qui devait faire son souverain bonheur, et devenait par conséquent très malheureuse. Il fallait donc rapprendre à cet être dégradé la culture qui pouvait le faire rentrer dans l’ordre divin. C’est dans ce but qu’il lui fut donné un roi et un prêtre à l’image divine, qui, étant lui-même toujours en adoration, pût recevoir pour cet être l’hommage qu’il rendrait à son Créateur. Le prier, l’adorer, contempler ses merveilles fut dès-lors pour cet être le moyen de communiquer avec la source ineffable de toutes choses. Ainsi la prière, l’état d’adoration, de contemplation et de sacrifice est la base fondamentale sans laquelle il ne peut y avoir d’union entre l’infini et le fini. Comment, par exemple, sans la prière du cœur, pourrons-nous être éclairés, connaître la volonté de Dieu, et recevoir les forces pour l’exécuter ? L’Esprit de prière est donc pour l’homme ce qu’il y a de plus indispensable. Tous les êtres prient, parce que tous les êtres sentent un état de dépendance, de faiblesse et de caducité, qui réclame un soutien et une force qu’ils n’ont pas en eux-mêmes.

La prière est pour notre âme ce qu’est la respiration pour nos corps. Nous sommes morts dès que nous cessons de respirer ; de même l’homme qui ne prie pas cesse de vivre de la vie de l’Esprit.

La prière est la clef qui nous ouvre les trésors des richesses divines. C’est par elle que s’établit le commerce avec Dieu. C’est l’aimant qui attire le rayon divin.

La corruption de l’homme est trop enracinée dans son cœur pour qu’il puisse l’extirper par ses propres forces, il a donc besoin d’un secours supérieur, et c’est la nécessité de ce secours qui est la grande raison pour quoi nous devons prier. Les anciens sages du paganisme ont reconnu cette vérité, bien plus éclairés sur le principe de la morale active que nos philosophes modernes 306.

La prière dans son acception ordinaire consiste à demander quelque chose ; mais ici cette expression a une bien plus grande étendue. La prière, dans le vrai sens, est un acte, une occupation mentale, par laquelle on s’approche de Dieu, dans le but d’entre tenir un commerce respectueux avec lui. Or en considérant la prière comme un acte, on s’approche de Dieu, ou pour se pénétrer de ses perfections et de sa grandeur, c’est l’adoration ; ou pour reconnaître ses bienfaits sans nombre, c’est la louange ; ou pour sentir notre indignité, notre néant, c’est la confession de nos péchés ; ou enfin pour nous consacrer à lui, c’est l’offrande de tout nous-mêmes 307.

» Si nous voulons donc acquérir la vertu active, il faut prier ; mais en priant il faut agir, et voilà ce qui fait que nous devons regarder toujours la divinité et la lumière qui l’environne. Ce qui nous excite à l’amour de la sagesse, c’est d’agir toujours, en adressant continuellement nos prières à la cause première de tous les biens. L’âme qui s’attache à cette cause, et qui s’est purgée elle-même comme l’œil pour rendre sa vue plus claire et plus subtile, est excitée à la prière par son application aux bonnes œuvres ; et par la plénitude des biens qui résultent de la prière, elle augmente son application, en joignant aux paroles les bonnes actions, en assurant et fortifiant ces bonnes actions par cet entretien divin. » Voyez Bibliothèque des anciens philosophes, par M. Dacier, in-12, Paris 1771, Tome II, pag. 185.

La prière n’est pas uniquement une occupation de tête ; mais c’est un acte de la volonté ; un mouvement du cœur, une chaleur de l’âme qui s’exhale vers Dieu, qui répand en sa présence ses désirs enflammés. C’est de l’élévation du cœur ou de l’oraison dont nous parlons ici, et non des prières qu’on appelle ordinairement vocales 308. La meilleure disposition pour bien prier, c’est d’écouter la voix de Dieu au-dedans de soi ; c’est d’être attentif à la motion divine ; c’est être résigné, soumis, obéissant à la conduite de la divine providence sur nous, dans quelque circonstance qu’elle nous place. Tous peuvent prier, le savant comme l’ignorant, le pauvre comme le riche ; depuis le monarque jusqu’au berger des champs, tous peuvent faire oraison : car Dieu, n’ayant acception de personne, opère par sa grâce sur les grands comme sur les petits, selon la mesure de leur soumission à l’opérer divin.

Mais nous ne connaissons pas la vraie manière de prier, puisque nous appelons mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal, et cependant il est certain que tout culte parfait ne se rend que par la prière et le sacrifice. Or comment rendrons-nous ce culte réel à l’Être qui est pur Esprit ? C’est en nous livrant à l’Esprit Saint qui prie en nous avec des gémissements inénarrables.

Et cet Esprit qui connaît ce qui est agréable à Dieu nous inspire cette crainte d’amour qui est le commencement de la sagesse ; crainte qui nous encourage aux dépouillements nécessaires pour nous unir à Dieu, qui nous porte à lui offrir tout notre être. Cette libre donation de nous-mêmes est l’hommage le plus pur dont la créature raisonnable puisse être susceptible. C’est l’encens qui monte véritablement jusqu’à Lui.

Or si nous entrons dans cette disposition de prière et de sacrifice, nous sommes déjà sur la route pour devenir des enfants de Dieu, et celui qui sonde les cœurs et qui connaît nos dispositions sait ce que son Esprit et son amour désire pour notre salut éternel 309, parce qu’il ne demande que selon Dieu. Et qu’est-ce que demander selon Dieu ? C’est que sa volonté soit faite. Or cette volonté de Dieu n’est pas selon la volonté de la chair. Car l’Esprit demande pour les Saints de Dieu les sacrifices que leur chair aurait la faiblesse de refuser, ou du moins qu’ils n’auraient pas demandé comme il faut. C’est dans un tel état de soumission et d’obéissance, c’est lorsque, la prière exaucée, le sacrifice arrive, que l’Esprit soulage la chair dans sa faiblesse naturelle. Car nous savons que tout tourne à bien à ceux qui aiment Dieu. Ainsi la gloire ou les abaissements, la faiblesse ou la force, les pertes ou les richesses, la mort ou la vie, voilà ce que l’Esprit demande pour les Saints selon la volonté de Dieu. Oui, tout tourne à bien pour eux, puisque tout est mu, tout est dirigé par l’Esprit, pour que la volonté de la créature soit liée, terrassée, vaincue, et que dans cette même créature la volonté de Dieu se substitue en triomphe. C’est donc ici le temps du travail, non pas de l’homme, il ne pourrait ni le concevoir, ni l’exécuter par ses propres forces ; mais c’est le travail de l’Esprit du Seigneur, qui prie, qui opère dans l’homme, qui sème, qui arrose, qui plante, qui arrache dans ce cœur coupable tout ce qui n’est pas la volonté de Dieu. Et qu’est-ce qu’il reçoit en retour de ces dépouillements ? Il reçoit l’assurance qu’il sera délivré de tous ses maux et que son âme sera guérie ; il reçoit la promesse d’obtenir un bonheur infini. En un mot, il reçoit la grâce de l’adoption.

Peut-on concevoir un bienfait plus immense que celui de devenir, d’esclave et de rebelle condamné aux plus grandes peines et même à la mort, l’enfant adoptif, l’héritier du Dieu infini, Créateur de tous les mondes. Maintenant ce n’est plus la crainte d’un maître qui le meut, c’est l’obéissance par amour qui l’attache à son Père. Il peut crier, mon Père, mon Père, principe et fin de mon être, comme vous l’êtes de toutes choses. C’est à vous que je m’adresse dans tous mes besoins.

Combien elle est délicieuse et consolante, cette pensée que ce grand Dieu est maintenant notre père et que son Esprit rend témoignage à notre Esprit que nous sommes ses chers enfants. Mais demandera-t-on comment cet Esprit peut-il rendre ce témoignage ? Ah ! vous le sentez assez, vous, âmes de foi en qui ce sentiment de la filiation divine se développe de jour en jour ; vous qui agissez par amour pour Dieu, qui voulez qu’il soit le principe de toutes vos œuvres ; vous qui reconnaissez sa puissance, sa bonté et sa miséricorde. Vous le sentez, vous qui connaissez tout ce que votre rachat a coûté à votre bienfaiteur ; vous qui savez que ce n’est pas par argent ou par or que vous avez été racheté, mais par le précieux sang de Christ, de l’Agneau sans défauts et sans tache 310. Pénétrés du sentiment que votre rédempteur s’est donné tout à vous, la reconnaissance vous dicte la Loi impérieuse d’être tout à Lui. Vous sentez toute l’importance de cette Loi Éternelle, vous qui ne respirez que pour Lui plaire et pour Lui sacrifier toutes choses, vous qui avez si souvent expérimenté les tendres soins que ce bon Père prend de ses enfants et qui, assurés de sa protection, reposez en paix dans son sein paternel.

Que ne peut pas obtenir une âme de foi qui connaît l’efficacité extraordinaire de la prière, qui est persuadée que toutes nos demandes faites au nom de Jésus-Christ ne peuvent nous être refusées, parce que lui seul peut les rendre acceptables. Car Dieu ne voit que son fils, ce fils est le seul médiateur qui puisse entretenir nos relations avec Dieu. Rappelons-nous les exemples des Saints de l’ancienne et de la nouvelle alliance. Combien de grâces Dieu n’a-t-il pas accordées à l’ardeur de leurs prières et à la vivacité de leur foi qui était constamment fixée sur l’Immanuel, Dieu avec nous. Par son moyen ils ont communiqué avec cet être adorable, ils ont parlé avec lui face à face ; ils ont remporté la victoire sur leurs ennemis ; ils ont desséché les mers, ils ont conquis des villes ; ils ont fait descendre le feu du Ciel ; ils ont amené l’abondance après une extrême stérilité, en un mot, ils ont obtenu tout ce que Saint Paul attribue à la puissance de la foi 311 ; et ils ont prouvé par leur exemple et par leur vie, qui était un commerce habituel avec Dieu, que tout est possible à celui qui l’invoque avec foi et confiance.

C’est ainsi que celui qui est animé de l’Esprit d’oraison marche de foi en foi, et qu’il lui est donné selon sa confiance. En effet, si on est fidèle à cet Esprit qui meut les enfants de Dieu 312 et docile à l’attrait de la grâce divine, cette foi s’étend et se dilate toujours plus, jusqu’à ce qu’elle se perde dans cet amour qui est versé dans le cœur du fidèle par le Saint-Esprit. Or cette foi d’amour absorbe l’espérance ; car il n’y a plus à espérer quand on a obtenu la réalité ; l’amour a tout changé en jouissance. C’est alors que l’on a en soi-même le germe et la source de la paix, mais c’est une paix qui vient de Dieu, qui est Dieu même, que le monde ne donne pas, parce qu’elle surpasse tout entendement. Paix d’unité, paix reposée et agissante. Enfin la transformation est faite, les misères subsistent encore, il est vrai, mais Jésus-Christ vit dans l’homme et ce n’est plus l’homme qui vit.

Ô vous qui êtes accablés d’un poids inconnu qui rétrécit votre être, vous qui vivez dans une angoisse perpétuelle, mal avec votre propre cœur, mal avec les autres, mal avec cet Esprit directeur qui vous invite à renoncer au monde et à vous-mêmes, et à détruire en vous tout ce qui tient à votre nature corrompue, savez-vous pourquoi vous ne goûtez pas cette paix de Dieu ? C’est que vous êtes infidèles à la prière ; et vous lui êtes infidèles parce que vous craignez les renoncements et la mortification intérieure qu’elle exige, et que vous repoussez l’Esprit de Sacrifice dont tout homme d’oraison doit être animé 313.

Pour être un homme intérieur, il faut mener une vie de renoncements, puisqu’il faut quitter ses aises, ses goûts, toutes les attaches non-seulement dangereuses, mais même les inutiles, si on veut conserver l’Esprit de grâce.

Nous trouvons une figure admirable de ce dépouillement universel dans ce qui fut ordonné à Moïse, lorsqu’il dut s’approcher du buisson ardent pour écouter les paroles de l’Éternel : Déchausse les souliers de tes pieds 314, lui est-il dit, c’est-à-dire, quitte tous les obstacles qui peuvent t’empêcher d’écouter ma voix, cette voix douce et presque imperceptible, quoique si réelle pour ceux qui veulent l’entendre et qui n’endurcissent pas leur cœur. Alors, si tu obéis à cette voix, je deviendrai le principe de toutes tes pensées et de tous tes actes. Tes pieds n’auront plus d’entraves ; ils se porteront où l’exigera mon vouloir. Le lieu où tu dois communiquer avec moi est une terre sainte, tu ne peux y marcher que par ma direction ; déchausse tes souliers, quitte tes vieilles habitudes, tes préjugés, ton faux savoir.

En mettant en pratique ces divins conseils, l’âme s’approche de Dieu ; la parole divine opère ; la conversion se fait dans le fond du cœur ; et si elle continue d’être fidèle en renonçant à tout ce qu’elle doit quitter, elle sera renouvelée dans son homme intérieur.

La voix que l’homme entend alors produit son effet, excite le sentiment de reconnaissance, d’amour et d’adoration qui la dispose toujours plus à recevoir les grandes instructions qui lui seront données, pour la faire avancer dans le chemin de la perfection.

Qu’il est sublime le langage que Dieu continue d’adresser à Moïse, quelles instructions il nous donne ! Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et de Jacob. Moïse anéanti devant Dieu ne peut soutenir la majesté de celui qui lui parle ; il n’ose regarder d’où vient cette voix, voix puissante qui se grave en lui avec toutes les divines impressions qui en sont les effets. Dieu se déclare être le père de Moïse : Je suis le Dieu de ton père. C’est ainsi que Dieu veut être le père de l’âme qui le recherche et qui se donne toute à Lui. Que d’idées consolantes ce mot de père renferme pour cette âme ! Il lui rappelle la promesse du pardon, l’infinie miséricorde que Dieu veut étendre sur elle et sur tous ses frères. Mais dans l’instant même de sa plus sublime adoration, elle se cache le visage, comme fit Moïse, parce qu’un retour sur sa corruption et sa laideur intérieure lui fait sentir combien elle est indigne de la bienveillance et des faveurs de l’Éternel, et son cœur étonné s’écrie : Qu’est-ce de l’homme, ô mon Dieu, que vous vous souveniez de lui, et du fils de l’homme que vous y preniez garde 315 ? Mais à l’instant le Sauveur rassure cette âme effrayée d’elle-même, et lui prodigue ses consolations et son amour, en lui disant : J’aivu l’affliction de ton cœur ; J’ai entendu les cris que tu as poussés vers moi ; J’ai connu ta douleur amère, et je suis descendu pour te délivrer.

Vous éprouvez déjà, ô âme de foi, les heureux effets de la prière que vous avez adressée à Dieu. Vous sentez maintenant que vous êtes entre les mains du plus tendre des pères. Que de sentiments divers n’avez-vous pas éprouvé : de la crainte, vous avez passé à l’admiration, de l’admiration à l’humilité la plus profonde ; car en voyant votre nature corrompue, vous vous êtes couvert le visage ; mais à cette heure un sentiment d’amour vous relève, et vous en ressentez l’effet en entendant cette consolante parole : Je suis descendu pour te délivrer.

Mais quel trouble n’éprouvera pas cette âme lorsqu’elle apprendra qu’ainsi que Moïse fut choisi pour délivrer les enfants d’Israël de la servitude, elle sera aussi appelée à délivrer par l’Esprit de prière l’homme intérieur des passions et des défauts sans nombre qui le tyrannisent encore ! Qu’il est bien naturel que cette âme humiliée s’écrie avec le libérateur des enfants d’Israël : Qui suis-je, moi, pour opérer de si grandes choses ? Mais elle ne peut s’en défendre, et toute hésitation serait une résistance criminelle ; car Dieu l’assure de sa protection en lui disant : Va, je serai avec toi. Il fait plus, il lui donne un signe qui est la preuve que c’est bien Lui qui l’envoie. Car cette âme n’éprouve pas encore la présence habituelle de Dieu, elle entend seulement une parole divine qui s’imprime en elle et qui, pour fortifier sa foi, daigne lui donner une assurance de sa haute destination en lui déclarant que lorsqu’elle sera dégagée de ses imperfections, elle exercera la sacrificature intérieure, en sacrifiant tout ce qui lui reste encore à immoler. Mais elle ne sera revêtue de ce sublime ministère de sacrificateur qu’après avoir agi en foi, subi des épreuves, vaincu les obstacles, et enfin après avoir remporté la victoire.

C’est alors que se grave dans cette âme fidèle et vigilante la loi nouvelle de l’amour obéissante à cette Loi ; elle ne veut savoir qu’une chose, le TOUTde Dieu et le rien de la créature. Toute autre science qui n’est pas celle de la charité est regardée par elle comme un empêchement à ce que Dieu veut être en elle, c’est-à-dire TOUT.

Dieu dans toutes ses créatures intelligentes ne se répand qu’en raison de la capacité ou du vide qui a été opéré en elles par les différents sacrifices et le dénuement auxquels elles ont librement consenti sous la conduite de l’amour.

Dieu a conçu et produit dans son amour des créatures, non pour manifester toute sa sainteté, ce qui était impossible, mais pour faire rayonner au-dehors quelques-unes de ses divines vertus, sa sagesse, sa puissance, sa bonté et ses autres perfections ; et ces êtres purent participer à l’amour qui présida à leur formation. C’est le Verbe qui leur donne une telle prérogative ; c’est lui qui les doua de la noble fonction d’aimer Dieu de tout leur pouvoir et qui répandit en eux la vie et la splendeur du nom divin.

Ici se découvre le grand principe de cette sacrificature spirituelle à laquelle le fidèle est appelé, qui consiste à célébrer la grandeur des perfections divines, à exalter, à sanctifier le nom de Dieu ; ce qui fait une partie essentielle de l’oraison. Aussi, dans la plus sublime comme dans la plus simple et la plus journalière de toutes les prières, avons-nous appris du Sauveur à demander la sanctification de ce nom de Dieu : Que votre nom soit sanctifié, c’est-à-dire, que ce nom adorable qui représente vos perfections ne soit pas mis en vain dans vos créatures devenues coupables ; que pour votre gloire l’homme soit préservé de profaner ce nom trois fois saint. Que votre miséricorde l’empêche d’en abuser.

Quelles actions de grâces ne devons-nous pas rendre à celui qui est venu derechef nous apprendre que ce nom semé en nous est la fontaine qui rejaillit en vie éternelle. Qu’il est consolant de penser que celui qui nous a enseigné cette divine oraison a sanctifié son nom dans l’homme où il était descendu, pour nous fournir un exemple et un modèle, pour être notre guide, notre aide dans notre carrière.

De combien de manières cet adorable Sauveur ne s’est-il pas communiqué à nous pour que nous puissions sanctifier ce nom divin ! Que de secours ne nous offre-t-il pas pour rejeter loin de nous tout ce qui nous empêche de le faire germer en notre âme ! Ah ! prions-le sans cesse qu’il nous donne sa lumière, afin que nous fassions rayonner sa gloire en nous et hors de nous ; car c’est pour cela qu’il nous l’a manifestée.

Nulle prière ne devrait être plus continuelle et plus ardente que celle qui demande que la volonté de Dieu soit accomplie en nous et par nous dans toute son étendue.

À la vérité, on peut dire dans un certain sens que cette volonté est toujours accomplie en Dieu ; aussi Dieu se suffit à Lui-même, parce que sa volonté s’exécute d’une manière aussi absolue qu’infinie ; ce qui démontre un de ces noms ou attributs divins, la justice éternelle : or sa justice ne serait pas éternelle si sa volonté pouvait cesser un instant d’être accomplie.

Il est évident par les seules lumières de la raison qu’on ne peut rendre à cette souveraine justice l’hommage qui lui est rigoureusement dû qu’en aimant Dieu pour lui-même, par l’unique motif de sa grandeur et de ses perfections infinies. 

L’âme qui est arrivée à la possession de cet amour n’a d’autre désir que l’accomplissement de la volonté divine, malgré sa sévérité ; et elle est animée de ce désir jusqu’à ce qu’elle soit plongée dans le divin repos, consommé et aussi permanent que la volonté et la justice de Dieu. Mais, ô Dieu, que l’application de cette justice sur un être destitué d’amour est terrible et pénétrante !

Nous avons dit plus haut que le moyen de rétablir les êtres dans leur intégrité est l’adoration, la prière et le sacrifice ; car la prière ne devient une véritable adoration qu’autant qu’elle est un sacrifice. En effet, que n’a pas à surmonter et à sacrifier celui qui désire de posséder le vrai esprit de prière ? Il semble que toutes les puissances de l’ennemi se dirigent contre l’homme d’oraison 316. Des tentations et des obstacles sans nombre se présentent à lui pour l’empêcher de vaquer à l’oraison. Son imagination vagabonde, ses distractions, son inconstance, sa lâcheté, ses sens en révolte, les ennemis du dehors et les ennemis du dedans, tout semble se conjurer pour étouffer dans sa naissance l’esprit de prière. Il faut cependant que toutes les illusions soient dissipées, les préventions vaincues, les passions sacrifiées et les obstacles surmontés avant de pouvoir faire quelques progrès dans le divin exercice de la prière continuelle.

Si quelqu’un fait quelques progrès dans la vie intérieure, c’est à l’oraison qu’il en est redevable ; c’est par la prière du cœur qu’il a obtenu la connaissance de lui-même, de sa misère spirituelle, de son esclavage sous le péché et la tyrannie des sens. C’est par elle qu’il apprend à connaître son grand libérateur, qui seul peut l’arracher à la fureur de tous ses ennemis et rétablir la paix dans son âme. L’Écriture sainte nous recommande avec force ce divin exercice et nous invite avec la plus grande tendresse à nous approcher de Dieu par la prière. Les paroles de notre Seigneur sont surtout bien expressives, nous ayant affirmé par serment de nous exaucer lorsque nous l’invoquerions : En vérité, je vous dis : cherchez, et vous trouverez ; demandez, et vous recevrez ; heurtez, et il vous sera ouvert ; car si vous qui êtes méchants savez bien donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent 317 ? Peut-on employer un discours plus pressant pour recommander la prière incessable 318. La similitude du juge inique, que notre Seigneur emploie, est bien propre aussi à nous faire sentir qu’une sainte violence dans la prière est agréable à ses yeux 319. Croyons aux paroles du divin Sauveur lorsqu’il nous dit : En vérité, quoi que vous demandiez en mon nom, il vous sera donné. C’est par la prière, c’est par la foi en sa divine parole que nous pouvons saisir la vie éternelle. Que notre volonté soumise fléchisse et laisse couler dans notre âme la grâce que ces consolantes paroles renferment. Nous serons aidés, soutenus, fortifiés par cette grâce toute puissante. Le germe de la paix fructifiera ; il sera arrosé par l’espérance ; ses racines s’étendront. L’Esprit de Dieu déchirera tous les voiles ; il dissipera nos ténèbres, et nous serons éclairés de la vraie lumière. Nous demeurerons éternellement dans cette paix, conduits par le divin flambeau de l’amour. Ah ! combien nous sentirons alors l’excellence, l’abondance infinie les merveilles de la charité que Dieu nous a manifestées en Jésus-Christ !

Par la prière et l’adoration, le disciple de Jésus-Christ reçoit des grâces selon la hiérarchie à laquelle il appartient. Mais par amour il rend hommage de tous ces dons à celui qui en est l’auteur, comme une offrande agréable. Il reste absorbé, anéanti à la vue du TOUTde Dieu. Et dans cet état, il reçoit une nouvelle communication des faveurs célestes, qui manifestent quelques-unes des perfections renfermées dans le trésor des richesses divines.

C’est de cette manière que déjà ici-bas le chrétien pratique en analogie le culte admirable qu’exercent dans le ciel les hiérarchies restées fidèles. Saint Jean nous dit que c’est dans un mystérieux silence qu’elles reçoivent tout ce que leur capacité peut contenir de grâces et de faveurs divines. L’ordre se donne ; les anges délégués sont prêts à exécuter leurs différents ministères ; les harpes, les trompettes, les coupes indiquent leurs fonctions diverses. Saint Jean ne voit pas seulement la réalité du culte, mais encore le cérémoniel. Un autel d’or est devant le trône, un ange s’y présente, l’encensoir à la main. Plusieurs parfums lui sont donnés. Leur consommation vous sera agréable, ô Dieu, c’est un sacrifice de justice qu’il va vous offrir. Car c’est l’amour qui a réuni les parfums ; les prières des Saints en font partie. C’est encore l’amour qui les allume, et leur fumée monte en agréable odeur vers le trône de Dieu. C’est de cette manière que les célestes hiérarchies proclament les grandeurs de Jésus-Christ, célèbrent par des actions de grâces, des louanges, des alléluias les ineffables perfections, les titres, les prérogatives, les fonctions de leur divin monarque, s’écriant qu’il est l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier. Ils le contemplent comme leur roi, qui fait tout secrètement et invisiblement dans tous les mondes. Ils l’adorent comme leur Seigneur, de qui, par qui et pour qui sont toutes choses ; ils l’exaltent comme étant celui qui, par son action médiate et immédiate, opère tout dans le ciel et sur la terre.

Que désormais notre plus douce occupation soit d’imiter déjà dans cette vallée de douleurs ces intelligences célestes. Bénissons, louons en tout temps, en tout lieu, le Seigneur. Ne laissons jamais éteindre en nous le beau feu de l’amour et de la reconnaissance. Entretenons un commerce habituel avec notre adorable Sauveur ; qu’à chaque respiration, il s’élance de notre cœur un soupir embrasé ; que ce cœur plein de sentiments et d’amour pousse vers Dieu des gémissements profonds, afin de fléchir sa justice pour nous et pour tous les hommes. C’est ainsi que nous commencerons l’occupation sainte que nous désirons continuer dans l’éternité des éternités, en chantant sans cesse avec les esprits bienheureux : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées. Tout ce qui existe est sa gloire. À celui qui est assis sur le trône soient rendues puissance, richesses, sagesse, force, honneur et louange aux siècles des siècles 320.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XVIII.

 

 

DE LA PRÉSENCE DE DIEU.

 

 

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APRÈS avoir traité de la prière en général, il est à propos que nous disions quelque chose de la présence de Dieu, comme étant le moyen le plus propre pour entretenir l’esprit d’oraison.

L’Écriture Sainte nous enseigne trois sortes de présence de Dieu. 1o La toute présence de Dieu, par laquelle il est présent à tous les êtres, comme tous les êtres lui sont présents, ne pouvant être exclu d’aucun lieu, parce qu’il est sans bornes comme sans limites. Ne remplis-je pas, moi, le ciel et la terre, dit l’Éternel des armées. Il embrasse tous les êtres, parce que tous les êtres sont renfermés en lui. Il remplit tout de son immensité infinie. C’est par lui et en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être 321. Aucun homme ne peut échapper à son regard pénétrant : Où irai-je loin de ton Esprit, où fuirai-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es ; si je me couche dans le sépulcre, t’y voilà ; si je prends les ailes de l’aube du jour et que je me loge au bout de la mer, là ta main me conduira et ta droite me saisira 322. Cette sorte de présence de Dieu est commune à tous les êtres et ne les rend ni bons ni mauvais.

2o La seconde sorte de présence de Dieu est celle qu’on pourrait appeler naturelle, par ce qu’elle concerne tous les hommes. Dieu est présent au fond de notre âme quoique très-intime et caché ; c’est ce qui constitue le royaume de Dieu qui est au-dedans de nous et que nous devons chercher. 3o La présence de Dieu communicative, par laquelle Dieu se communique avec abondance de grâce à l’âme régénérée, ainsi que Jésus-Christ nous en assure : Je me tiens à la porte, et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai chez lui et souperai avec lui, et lui avec moi 323. C’est de ces deux dernières présences de Dieu que nous avons intention de traiter alternativement dans ce discours.

La pratique de la présence de Dieu a toujours été considérée comme un point essentiel de la vie intérieure. Tous ceux qui en ont écrit l’ont recommandée comme le plus puissant moyen d’arriver à la perfection 324.

L’Écriture Sainte ne nous exhorte pas seulement à la pratique de cette divine présence ; mais elle offre encore à notre foi nombre d’exemples à imiter ; elle nous dit d’Hénoch qu’il fut juste. Or que peut-elle dire de plus grand et de plus admirable d’un homme que de nous assurer qu’il marcha sans cesse avec Dieu en toute justice 325, ce qui lui a valu le bonheur que Dieu le prit et l’enleva de la terre. Il vécut avec Dieu et conversa sans cesse avec lui. C’est là la prière continuelle à laquelle nous sommes appelés dans ces derniers temps ; c’est à cette vie toute contemplative et toute divine où Dieu veut ramener les hommes. Le monde étant arrivé au comble de sa corruption, Dieu veut en séparer intérieurement les siens et leur apprendre à marcher ou à vivre avec lui comme Hénoch, à mener une vie divine au milieu de la corruption même. Mais cette vie en présence de Dieu est cachée aux yeux des gens du monde, parce qu’elle est toute intérieure ; elle est si simple, si éloignée de la multiplicité, si éloignée de tout ce qui flatte leur esprit et leur raison curieuse qu’ils n’en ont que du dégoût et de l’éloignement. Ils ignorent l’onction de l’Esprit Saint, et ils ne connaissent pas la présence de la divinité qui se voile d’un extérieur méprisable aux yeux du monde ; ce sont les secrets de Dieu cachés aux entendus, mais que Dieu révèle aux petits enfants.

Un autre grand modèle non moins remarquable est la vie du patriarche Abraham, le père des âmes de foi, qui pratiqua admirablement bien par l’Esprit d’espérance et d’amour le commandement que Dieu lui donna de marcher en sa présence et d’être parfait 326. Il vivait dans la simplicité de l’Esprit Saint, sous la dépendance de sa conduite. Il abandonnait son sort à cette Providence paternelle qui le conduisait comme par la main, sans se mettre en peine d’autre chose que de rester abandonné au Maître souverain du ciel et de la terre. Il le laissait disposer de son être, selon son bon plaisir, vivant dans l’attention continuelle à Dieu, n’ayant d’autre loi que celle de dépendre entièrement de lui, sans appuis dans les créatures, sans prévoir ni régler uniquement par lui-même laréussite de ses entreprises ; sa confiance entière était dans cet Être adorable. Marchant avec Dieu, ne pensant que par lui, n’aimant que lui, ce patriarche menait une vie toute de foi et d’abandon à Dieu. Recueilli auprès de Dieu au fond de son âme, il y trouve l’Esprit de foi, qui est désormais son conducteur et son guide.

Moïse nous rend encore témoignage que la présence de Dieu fut le bouclier qui préserva Joseph partout où il allait, en quelque péril et en quelque prospérité qu’il se trouvait. Le texte sacré dit de lui que le Seigneur était avec Joseph.

La considération de la toute-présence de Dieu faisait aussi la force et les délices du roi et prophète David. C’était sa grande ressource dans toutes ses détresses. Rien de plus touchant que la manière affective dont il s’exprime dans ces sublimes cantiques, lorsqu’il veut parler de Dieu et du divin secours qu’il reçoit de la pensée de sa présence : Éternel, dès le matin, je me préparerai à paraître en ta présence, et je me tournerai vers toi 327. Ma première pensée à mon réveil sera toujours de me recueillir au dedans de moi-même, pour m’exposer à tes regards, et recevoir en t’adorant les premiers rayons de ta divine lumière qui, en m’éclairant, me guidera dans toutes mes actions. Dès le premier moment que je me sentirai attaqué de mes ennemis, je m’exposerai à tes yeux. Car je me suis toujours proposé l’Éternel devant moi, et puisqu’il est à ma droite, je ne serai point ébranlé 328 ; j’ai toujours les yeux tournés vers le Seigneur 329. Ô la belle et sûre maxime dans toutes les peines et tentations que l’on souffre, de n’envisager que Dieu sans regarder la tentation, ni la peine ; et quel moyen plus propre à l’adoucir que de se tourner vers Dieu et de chercher sa face ? Oui, mon cœur me dit de Ta part: Cherche ma face, je chercherai Ta face, ô Seigneur 330. Et quelle est cette face que nous devons chercher ? N’est-ce pas Vous, ô Verbe divin, qui êtes au fond de notre âme et qui nous inspirez à courir à Votre recherche ? Et aussitôt qu’on a trouvé Votre face, on est éclairé des vérités divines sans confusion et sans mélange d’erreur. C’est pourquoi nous chercherons sans cesse Votre présence en la terre des vivants 331.

Nous pourrions augmenter de beaucoup ces passages tirés de l’ancien Testament ; et nous ne finirions pas, si nous voulions citer dans l’Évangile et les écrits des apôtres tous ceux qui nous recommandent cette même présence de Dieu ; car l’Écriture Sainte n’a qu’une voix pour nous inculquer cette grande vérité. Zacharie prononce ces sublimes paroles dans son cantique : Il nous donnera que nous le suivions sans crainte, en sainteté et en justice ; nous tenant en Sa présence tous les jours de notre vie 332. Corneille rempli de foi et d’espérance, et qui priait Dieu continuellement, dit à saint Pierre : Nous voici tous ici présents devant Dieu, pour entendre tout ce que Dieu t’a commandé de nous dire 333.

Les païens eux-mêmes n’étaient pas étrangers à cette consolante pensée 334. Les plus éclairés d’entre les anciens sages s’en servaient comme d’un moyen excellent pour se soutenir dans le chemin de la vertu, et pour suivre la voix de leur conscience. Mais ce qui surtout confirme cette grande vérité de la toute présence de Dieu, c’est la doctrine de Jésus-Christ qui nous déclare que le règne de Dieu est au-dedans de nous, ainsi que nous l’avons dit au commencement de ce discours 335, parole aussi profonde qu’elle est divine et peu comprise des hommes. Très peu la considèrent dans toute son étendue. Pour en bien comprendre le sens, il faut bien peser les paroles de notre Seigneur, il parle d’un royaume. C’est donc nous qui sommes ce royaume. Or il n’y a point de royaume sans roi. Donc Jésus-Christ habite au-dedans de nous. C’est par son Esprit qu’il fait sa demeure en nous et s’y manifeste avec toutes les infinies richesses de sa grâce, ainsi qu’il nous en assure lui-même : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui 336.

Dieu en nous, Dieu opérant au-dedans de nous, voilà la base et la vraie base de toute vérité. Si nous croyons cette vérité, si nous avons confiance en Dieu, si nous nous abandonnons à lui, si nous nous tournons vers lui, alors il parle à notre âme, et nous apprend à entendre son langage, qui n’est pas un bruit de parole, mais une impression dans le cœur, si réelle et si sûre, qu’on ne peut se méprendre sur ce que veut, commande, ou même désire cette parole interne. Il parle, et comme sa parole est faire, il détruit et consume tout ce qui s’oppose à son règne dans sa créature. Il l’attire, il la transforme en lui-même, enfin la perd en lui ; ce n’est plus elle qui vit, c’est Dieu qui vit en elle ; de condamnée qu’elle était, elle est justifiée, quoique les apparences et les faiblesses de la nature subsistent ; elle s’abandonne ainsi à l’opération divine.

Dans nombre d’endroits de l’Écriture, il est dit que Dieu doit être tout en tous ; c’est ce qui était dans l’Éternité antérieure, c’est ce qui sera dans l’Éternité postérieure, et c’est ce qui peut et doit être dans le temps moyen.

La foi, ce germe divin semé dans l’âme, est comme un aimant qui, par sa force, attire Dieu en nous 337, ainsi que nous sommes attirés à lui ; on sent que c’est le principe et la fin des créatures intelligentes. L’espérance soutient la patience dans cette longue œuvre que l’amour opère. Il n’y a pas un mot dans l’Écriture qui n’appuie cette foi de la demeure permanente de Dieu en nous, et par conséquent la nécessité de la transformation de notre être : Si vous ne renaissez de nouveau, vous n’aurez point de part avec moi, dit le Seigneur 338. Cette renaissance emporte nécessairement l’idée d’un changement absolu de tout notre être moral. Or ce changement ne peut s’opérer que par l’effet de la parole divine sur nous et en nous. Il n’y a que Jésus-Christ qui puisse prononcer cette parole efficace.

Ô mon Dieu ! éclairez nos cœurs par votre Esprit Saint ; qu’ils conçoivent que vous ne voyiez que votre fils unique, qu’il faut par conséquent, pour être vu de Vous, que votre Verbe naisse dans l’homme, que l’homme redevienne l’image de votre bien-aimé.

C’est une vérité des plus certaines que celle de l’existence de Jésus-Christ en nous. Mais l’homme naturel et irrégénéré fait tous ses efforts pour en nier la possibilité, ou pour la révoquer en doute, parce qu’il comprend très-bien que si Jésus-Christ vit en nous, nous ne pouvons plus vivre selon la chair, mais selon l’Esprit. Car il est certain qu’aussitôt que l’homme a foi à la parole de Dieu, qu’il a écouté l’Esprit du Verbe qui parle dans le fond le plus intime de l’homme, que sa volonté a fléchi, et qu’elle s’est rendue aux tendres invitations de la Sagesse, il prend la ferme résolution d’abandonner l’Esprit de ténèbres, de se convertir à la parole de Jésus-Christ, de quitter le péché ; il se sent poussé de se consacrer à Dieu par une donation universelle et irrévocable de tout son être, avec toutes les puissances de son âme, selon la touchante exhortation de la Sapience éternelle qui nous crie à tous : Mon fils, donne-moi ton cœur 339. C’est alors que l’Esprit de Jésus-Christ habite en lui ; car il faut nécessairement que le point simple de notre Esprit soit allumé, et il ne peut l’être que par l’Esprit de Dieu, ou l’Esprit de ténèbres. Jésus-Christ travaille sans cesse à l’allumer, à la vérité quelquefois d’une manière indirecte, avec beaucoup de douceur et de ménagement. De son côté, l’ennemi ne néglige aucune occasion d’allumer son propre feu dans le cœur de l’homme, mais ne doutons pas qu’à la fin le plus fort ne remporte la victoire.

La doctrine de la présence de Dieu, quoique si certaine, est si cachée à la raison que ce n’est que d’une manière vague qu’on l’admet. C’est un grand malheur pour celui qui n’a pas une foi entière à ce dogme. Il faut que l’homme surmonte la résistance qu’il a de l’admettre ; car dès qu’on a pris la résolution d’un retour sincère vers Dieu, on est dédommagé du combat qu’on a eu à soutenir par l’inappréciable bonheur de sentir par expérience que la parole n’est pas aux cieux pour dire : Qui y montera pour nous l’apporter ; qu’elle n’est pas au-delà de la mer pour dire : Qui la traversera pour nous la donner ; elle est près de nous ; elle est dans notre bouche ; elle est dans notre cœur. Or cette parole dans l’homme n’est jamais oisive, mais le presse de la mettre en pratique ; car si l’Esprit de Jésus-Christ habite en nous, nous faisons ce que dit l’Esprit, et si nous faisons ce que dit l’Esprit, nous ne sommes plus dans la vie de la chair, mais dans celle de l’Esprit.

Ô admirable invention de la demeure du Verbe dans l’homme, dans lequel il vit et agit, s’y exprimant selon la diversité des états qu’il a lui-même portés, lorsqu’il est venu visiter sa pauvre créature dans son cachot ténébreux. Jésus-Christ veut y naître comme un enfant., y enseigner son disciple, y souffrir comme une victime immolée communiquant à l’homme sa docilité, sa douceur, sa patience. Il veut y être crucifié, y mourir, y ressusciter, quoique caché à l’extérieur, sous les apparences abjectes de la mortalité. Tous ces divers états s’éprouvent graduellement jusqu’au temps où il plaira à Dieu de révéler sa gloire cachée dans son Fils unique, à laquelle participeront en toute plénitude ceux qui l’auront suivi comme voie, vérité et vie.

Nous ne devons pas mettre en doute les surprenantes opérations que le Verbe divin opère dans l’âme de l’homme ; car si dans la nature nous voyons tant d’effets admirables que nous ne saurions comprendre ni expliquer par notre raison, combien moins devrons-nous douter que dans le règne de la grâce l’habitation de Dieu en notre intérieur y produise des effets merveilleux.

Oui, la communion de Jésus-Christ avec l’homme, ce moyen de miséricorde et d’amour est réel et efficace. Qui oserait douter que Jésus-Christ ne puisse pénétrer d’une manière immédiate dans notre âme, y agir en roi et maître souverain, et par son Esprit détruire et anéantir tous les obstacles ! Comment, sans cette présence de Dieu, pourrions-nous être un avec lui comme il est un avec son Père ? Comment, sans cette demeure de Dieu dans l’homme, pourraient se réaliser les communications et opérations secrètes que les divins oracles nous assurent devoir s’opérer dans l’âme humaine ? Oui, ô mon Dieu, Vous vous communiquez très-essentiellement à Votre disciple ; mais c’est à Vous seul à détruire par Votre présence les obstacles que l’homme a mis entre Vous et lui, c’est à Vous à réédifier par Votre amour la demeure nouvelle que Vous voulez habiter. Hâtez, ô Dieu, ce prodige dans tous ceux qui veulent entendre Votre voix et obéir à Votre Évangile divin.

Toutes les âmes qui ont marché dans la route qui conduit à Dieu ont fait l’heureuse expérience de ces vérités consolantes ; elles ont éprouvé les effets admirables de la communion divine, dont Dieu favorise l’âme qui se consacre à lui sans réserve ; elles ont reconnu que Dieu la rend jouissante d’un bonheur au-dessus de toute conception, mais incompréhensible à tous ceux qui n’en ont pas été favorisés.

Bien des gens décrient et méconnaissent cet état de félicité intérieure, malgré que tout l’atteste, malgré que ce soit une vérité si nécessaire, si réelle, si consolante et manifestée dans nombre d’endroits de l’Écriture Sainte, particulièrement dans le cantique des cantiques 340.

Une âme qui en fait l’heureuse expérience ne trouve pas de termes pour exprimer la félicité et le bonheur dont elle jouit par cette divine présence. Elle sent que l’Époux divin est toujours dans le centre de l’âme qui lui est fidèle ; il est vrai qu’il y est si caché que celle qui le possède ignore presque toujours ce bonheur. Cependant Dieu veut que cette vérité soit manifestée ; il lève quelquefois le voile dont il s’enveloppe, et il se découvre à cette âme d’une manière d’autant plus intime et profonde qu’il a éprouvé davantage la fidélité de son épouse. Il le fait aussi pour la consolation des âmes qui ne sont encore que sur la voie pour s’unir à lui.

C’est par l’odeur des excellents parfums de l’Époux céleste, Jésus-Christ, que l’âme docile est invitée à lui demander la grâce si sublime d’être unie à lui. Elle sait qu’il est le principe et la fin de son être. Elle entrevoit le bonheur inénarrable qu’elle trouvera en Dieu ; elle en a déjà les prémices par le lait spirituel et les douceurs qu’il lui a fait goûter.

C’est en laissant écouler en elle cette huile de joie et de miséricorde dont son Père céleste l’a oint au-dessus de tous ceux qui participeront à sa gloire que Jésus-Christ se fait aimer de cette âme. Il la prévient par l’attrait du doux nom de Jésus. Elle se laisse prendre à ses charmes innocents. Ce nom de Jésus est un baume répandu : il pénètre l’âme de sa force et de sa suavité. Tirez-moi, s’écrie-t-elle, et je courrai après vous à l’odeur de vos parfums. Oui, ô mon Dieu, je devine les grands bienfaits de votre présence adorable, je pressens des jouissances de votre amour plus intimes, plus vives, plus fortes que celles que j’ai goûtées jusqu’à présent.

Tirez-moipar le centre de mon âme, que mes sens, mes puissances, mes facultés qui sont enivrées du breuvage délicieux de vos celliers divins se portent vers vous par une voie moins sensible, mais plus profonde.

C’est ainsi que l’âme qui a goûté les consolations divines désire d’outre-passer cette huile de joie, cette odeur de parfums célestes, c’est-à-dire, les dons du bon berger ; elle désire d’aller directement à lui comme au centre de son bonheur ; tout son être a une tendance à chercher sans cesse l’Époux de son âme et sa face adorable 341 ; elle ne veut s’arrêter ni aux grâces, ni aux faveurs ; elle ne les regarde que comme des rayons sortant de son visage, mais point comme étant lui-même ; et c’est dans l’ardeur de son amour qu’elle s’adresse ainsi à son Bien-aimé : Que je monte jusqu’à votre trône, et que là je vous cherche sans cesse, jusqu’à ce que j’aie le bonheur de vous trouver. C’est alors qu’étant en vous, ô mon Dieu, je serai ravi de joie, je tressaillerai d’allégresse, en éprouvant combien vous êtes au-dessus de toute consolation spirituelle et des douceurs de votre grâce. Faites que ce soit ainsi que je vous aime, que mon amour soit si pur et si parfait que je quitte tous les plaisirs de la terre, toutes les douceurs du ciel, pour me perdre en vous !

Mais hélas plus cette âme brûlée du désir de s’unir à son Dieu s’approche de lui, plus elle reconnaît, à la faveur de la lumière qu’il laisse échapper, d’un côté, la grandeur des perfections de cet être infiniment aimé, et de l’autre, l’étendue de ses propres misères, de ses défauts et de sa propriété, qui est une souillure aux yeux de Dieu.

Mais loin de se laisser abattre par cette vue, elle n’en est que plus fidèle à demeurer auprès de Dieu au fond de son âme par une adhérence continuelle ; elle met tous ses soins à cultiver sa vigne, à faire mourir les passions intérieures, à déraciner l’amour d’elle-même. L’homme seul, il est vrai, est impuissant pour opérer cette œuvre ; mais Dieu lui tend sans cesse les bras pour l’aider dans la lutte. Et lorsqu’il aura vaincu les passions du dedans et tous ses ennemis, lorsqu’il aura orné son âme des sept dons de l’Esprit, en lui accordant l’habitude de toutes les vertus, il la rendra agréable à ses yeux. Ainsi, quoique la chaleur des épreuves ait noirci cette fidèle amante, quoique son soleil brûlant l’ait décolorée, il se plaît encore à la perfectionner et à l’embellir de sa beauté divine.

Ô vous que j’aime uniquement, s’écrie-telle, faites-moi connaître de quelle manière vous rassasiez ceux qui sont assez heureux pour paître sous votre houlette ? L’accomplissement de votre volonté fait leur nourriture ordinaire, ainsi que vous ne trouvez la vôtre qu’en faisant la volonté de votre Père.

L’âme qui contemple Dieu à travers les voiles de la foi découvre toujours mieux ses perfections adorables, et son amour pour lui augmente à proportion qu’elle y voit d’ineffables beautés. Plus il se révèle à elle, plus aussi elle désire de le connaître, afin de l’aimer toujours davantage ; et c’est pourquoi elle lui dit dans son transport : Ô vous qui êtes l’auteur et le maître de cette charité pure, enseignez-moi avec elle cette sagesse secrète qui procède de vous. Préservez-moi de toute illusion et de toute doctrine opposée à la vôtre. Préservez-moi de toute séduction de la part de ceux qui se disent être des guides spirituels, mais qui n’en ont que les signes extérieurs et non point l’Esprit 342 ; n’étant pas morts à eux-mêmes, n’étant pas dépouillés de la propriété et crucifiés avec vous, ils ne m’apprendraient pas assez l’abnégation intérieure et le renoncement à tout ce qui n’est pas compatible avec votre dilection ; ils n’insisteraient pas assez à me faire revêtir l’esprit d’humilité, à me faire vivre en vous et pour vous, afin que vous viviez en moi. Donnez-moi la vraie intelligence de la parole dont vous nourrissez les âmes. Donnez-moi la fidélité de suivre votre exemple. Accordez-moi l’Esprit d’oraison, et que je vous contemple comme le bien souverain, comme renfermant en vous une grandeur infinie ! Ô adorable Jésus, conduisez-moi dans le sein de votre Père, c’est là où se trouve le centre de votre gloire et le plein jour. Je veux me perdre en Dieu par vous et avec vous ; y rester caché, y reposer pour toujours, afin que je ne sois plus errant comme je l’ai été. Je serai là en assurance ; je ne pourrai plus vous offenser.

Une âme ainsi abandonnée et docile à son céleste directeur peut entendre dans son fond le plus intime la douce voix qui lui dit : Hâtez-vous de sortir de votre propre demeure, de vous-mêmes ; suivez en toute chose l’attrait de l’Esprit saint ; marchez avec constance sur les traces que je vous ai laissées ; suivez fidèlement ceux qui ont voulu être associés à mes souffrances ; ne soyez pas négligente à remplir les devoirs de l’état dans lequel ma Providence vous a placée. Conformez-vous à tout ce qui peut nourrir en vous l’Esprit intérieur dont j’étais animé lorsque j’habitais sur la terre. Que votre vol vers moi soit si rapide que rien ne puisse l’arrêter. Je veux que votre course soit semblable à celle de ces âmes fortes et généreuses qui quittent tout pour s’abandonner uniquement à mon Esprit, à ma motion et à ma conduite. Je veux que vous ressembliez à ces esprits bienheureux, les anges, qui sont continuellement devant moi ; je veux que vous contempliez ma face, comme ils la contemplent. C’est ainsi que tous vos désirs, toutes vos affections se termineront en moi par une perpétuelle adhérence, sans que rien puisse altérer la fidélité de votre amour et empêcher que vous ne fassiez votre demeure en moi, puisque vous êtes revêtue de force et enrichie de grâces abondantes.

Quoique je me cache, quoique je vous prive de la jouissance de ma présence sensible, vous ne me restez pas moins fidèle, et vous attendez avec résignation le retour de mes faveurs. Vous demeurez en paix dans votre solitude intérieure, et votre plus grand soin est de vous occuper à me plaire. Cette séparation de tout le créé et de tout ce qui n’est pas moi m’est très-agréable, et la charité dont vous êtes animée est le soutien qui vous reste ; car quoique vous paraissiez dans le plus grand dénuement, cependant je vous ai revêtue de dons et de vertus qui sont nommés des perles d’un grand prix, mais que ma sagesse dérobe avec soin à vos regards. Cette pure charité est pour moi comme un parfum délicieux ; car elle me prouve que, n’agissant que par un amour désintéressé, vous n’avez que la simple vue de mon bon plaisir et de ma gloire dans tout ce que vous faites et souffrez pour moi. Je veux cependant que vous produisiez au-dehors, par de bonnes œuvres, les fruits de cette charité pure, et que vous ne négligiez rien de ce qui regarde mon service et l’assistance du prochain, en quoi vous suivrez mon exemple et mettrez en pratique ce que j’ai observé moi-même.

À cette invitation de l’Époux céleste, l’âme répond : Venez, ô mon Seigneur, unissez-vous à moi d’une union intime, que je ne sois jamais séparée de vous. Que je vous possède non pour des instants, mais d’une manière réelle et permanente ; ou plutôt, possédez-moi vous-même d’une manière essentielle et pour toujours. Je sais ce que je vous demande, ô mon Dieu, je le sais, régnez en moi, et je régnerai en vous. Je vous amènerai les enfants spirituels que vous m’aurez donnés, parce que vous m’aurez remplie de vos biens pour vous attirer des cœurs.

Lorsque vous reposiez dans le centre de mon âme, ma fidélité vous a paru si entière qu’elle vous a porté à vous manifester à moi, comme dans votre demeure royale 343. J’ignorais votre présence adorable, jusqu’à ce qu’il vous a plu de vous révéler à moi et de devenir vous-même ma nourriture, ma vie et le gage éternel de mon alliance avec vous, vous étiez réellement dans mon cœur, quoique je fusse privé des effets sensibles de votre divine présence.

On voit, par ce dialogue entre Jésus-Christ et l’âme fidèle, qu’il y habite très-réellement ; mais que le temps de sa présence continuelle n’est pas encore arrivé. L’âme elle-même n’en peut douter, car elle a quelquefois le sentiment de sa douce présence. Mais de quelle manière y est-il ? C’est un Époux qui se cache pour éprouver la fidélité de son épouse et qui lui fait part de ses souffrances, comme un baume salutaire. Lui-même lui dispense des croix au-dedans et des afflictions au dehors, pour la purifier ; mais quoiqu’elle n’aperçoive de toute part que des croix, il n’est jamais plus près d’elle que dans le temps où elle est abreuvée d’amertumes ; c’est vraiment alors qu’il demeure au milieu du cœur de son amante. Elle sent bientôt que c’est lui qui donne le prix à tout ce qui se fait en elle ; elle éprouve que ceux qui, ayant le goût de Dieu dans leur intérieur, ont appris à demeurer en sa divine présence, ne pourraient se plaire en rien de ce qui est moindre que Dieu.

Malgré les grâces de Dieu dont elle est comblée, cette âme ne perd jamais le sentiment de ses faiblesses ; l’expérience qu’elle fait journellement de ce qui lui manque la maintient dans l’humilité la plus parfaite ; et c’est en cela que consiste la marque la plus assurée de l’avancement dans les voies de Dieu.

Une âme de ce caractère ne saurait user de détour ou d’artifice ; elle est toujours conduite par l’Esprit de sincérité et de vérité. Elle confesse hautement que nul bien n’est en elle ; aussi, ne s’attribuant nulle louange, nulle gloire de ce que Dieu fait en elle et par elle, elle renvoie tout à celui qui est l’auteur et le centre de tout bien.

Ce n’est qu’en poursuivant ainsi la route de l’extirpation du moi, de l’amour propre et de la propriété que l’âme avance l’édifice de perfection que Dieu veut consommer en elle. Tous ses sens sont en règle, et dans un ordre admirable 344 ; ils obéissent avec une exactitude qui ne se dément jamais. Elle peut pratiquer toutes les vertus chrétiennes avec une force et une facilité parfaites ; et toutes ces choses se font en elle sans effort, sans contrainte, sans que jamais elle recourbe un regard de complaisance sur elle-même.

Si quelquefois elle éprouve le désir de se reposer, aussitôt son Maître l’en reprend, et lui met au cœur que ce n’est pas ici le temps des délices et des jouissances ; que ce n’est que par le travail et le combat que l’on arrive à la victoire ; que l’on ne peut reconquérir le royaume de Dieu, qui est la perle de grand prix, que par les souffrances et par les fatigues ; que les lys de la pureté et de l’innocence ne croissent que dans les vallées, c’est-à-dire, dans les âmes anéanties ; que si elle veut renaître et prendre vie en Dieu, il faut qu’elle entre dans l’humilité et dans l’anéantissement.

C’est à cet état de perfection et d’union avec Dieu que peut arriver une âme qui s’est appliquée de bonne heure à la prière, à l’oraison du cœur et à la pratique constante de la présence amoureuse de Dieu. Ramenant toutes ses pensées, toutes ses paroles, toutes ses actions à ce principe lumineux du règne de Dieu au dedans de nous, que peut-il, en effet, manquer à une âme qui voit et goûte Dieu en toutes choses. Manque-t-elle de force ? Elle en trouve dans la pensée que Dieu est en elle pour la défendre contre tous ses ennemis. Est-elle abandonnée, délaissée de tous les êtres ? La présence du scrutateur de tous ses désirs la console et la soutient. Éprouve-t-elle sa pauvreté et sa misère ? Elle sent que ce Dieu de bonté qui la possède est souverainement riche et ne peut jamais rien perdre de sa gloire et de sa béatitude. En un mot, cette vérité du royaume de Dieu en nous est d’une richesse et d’une fécondité infinie, si vaste et si absolue, que des volumes ne sauraient l’épuiser. Ah ! ne cessons de prier Dieu qu’il vienne prendre possession de notre âme comme de son royaume, afin que nous puissions par sa grâce toute puissante être transformés en son image, et arriver à la jouissance et à l’union parfaite de celui en qui seul on trouve la paix, le repos et le souverain bonheur.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XIX.

 

 

CONTEMPLATION DES PERFECTIONS DIVINES.

 

 

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AYANT traité dans le discours précédent de la présence de DIEUet des grâces sublimes qu’en retirent les âmes qui s’y appliquent avec soin et fidélité, il nous semble naturel de dire quelque chose concernant ces mêmes grâces, et en quoi elles consistent. Les personnes qui en sont gratifiées reçoivent pour l’ordinaire de grandes lumières sur les perfections divines. Ces âmes pures et simples, après s’être appliquées longtemps à l’oraison et à la présence de Dieu, sont favorisées de la grâce de la contemplation, étant le canal par lequel les faveurs célestes leur sont abondamment communiquées.

Il est souvent parlé dans l’Écriture Sainte de cet état de contemplation 345. Les disciples de la primitive Église en furent singulièrement favorisés. Le livre de l’Apocalypse nous prouve que les grands mystères de Dieu furent manifestés à saint Jean le disciple de l’amour, et qu’il eut la révélation de la conduite de Jésus-Christ, tant envers son Église en général qu’envers chaque âme en particulier. Nous trouvons aussi dans les écrits des autres apôtres nombre de passages qui nous prouvent qu’ils étaient de vrais contemplatifs ; saint Paul surtout se glorifie d’avoir été rendu participant de la grâce de la contemplation : Pour nous, dit-il, nous contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur à face découverte, étant transformés en la même image de gloire en gloire, comme par l’Esprit du Seigneur 346. Ce passage est d’une grande beauté, et nous révèle les mystères sublimes de la vie spirituelle. Ceux qui ont le bonheur d’être gratifiés de ces communications célestes expérimentent à la lettre ce que Jésus-Christ a promis à ses apôtres, et en leur personne à tous ses fidèles imitateurs, lorsqu’il leur dit le soir de sa dernière pâque : J’aurais encore bien des choses à vous dire ; mais elles sont présentement au-dessus de votre portée. Mais quand l’Esprit de vérité sera venu, il vous apprendra toutes choses 347.

C’est le grand privilège dont jouissent les enfants de Dieu, d’être favorisés de l’Esprit de révélation, comme parle saint Paul, lequel, après avoir fait les vœux les plus ardents pour que les Éphésiens fussent remplis de la connaissance du mystère de Christ, ajoute : Afin que le Dieu de N. S. J. C., le Père de gloire, vous donne l’Esprit de sagesse et de révélation dans ce qui regarde sa connaissance ; qu’il illumine les yeux de votre entendement, afin que vous sachiez quelle est l’espérance de sa vocation, et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage 348. On ne peut rien ajouter à l’onction, à l’énergie et à la force de ses expressions. Après ces sublimes paroles, tout commentaire serait superflu, pour prouver l’excellence de la contemplation.

Cet ordre de choses qui devrait être l’état habituel de l’homme est en général si mal compris qu’il serait peut-être utile de ramener le mot de contemplation à son véritable sens ; car les uns se font d’un contemplatif l’idée d’un être qui meut ses facultés pour enfanter les plus subtiles pensées. Il se peut que quelques hommes ayant voulu essayer ce genre d’action se soient tellement égarés dans le vaste champ de leur imagination, que les suites en aient été fatales pour eux-mêmes et pour les autres, et qu’ils aient ainsi fait attacher à ce mot une forte prévention.

La raison humaine juge la contemplation à son tribunal, et la condamne ; mais si cette faculté s’éteint avec les organes qui sont les moyens de son action, peut-elle juger avec vérité ce qui n’est pas de son ressort, et qui ne peut se connaître que par expérience ? L’homme est-il simplement raisonnable, et, lorsqu’il descend dans la tombe, n’a-t-il pour sa dernière fin que le petit espace sur lequel il s’écroule ? Non, il n’est aucun homme, il n’en est pas un seul de qui les facultés morales ayant acquis quelque développement n’ait eu, du moins pour quelques instants, le sentiment d’un ordre supérieur à celui qui le lie sur la terre, et qui ne se soit écrié dans un mouvement de joie ou dans un mouvement de douleur : Mon Dieu !

Ce Dieu est si facile à trouver 349, que pendant cet instant d’exclamation, mon Dieu, celui qui le prononçait faisait déjà par cet élan un premier pas dans la prière, qui pouvait le conduire à l’Esprit d’oraison ; il s’unissait au temple, cum templo erat ; il contemplait, en quelque sorte 350.

Commençons donc à ne pas nous effaroucher du mot contemplation, et peut-être que bientôt nous verrons que l’entrée de ce temple, dont on ferme si obstinément les approches, est pour nous et près de nous ; et, remarquons-le bien, une seule impression fait que l’on s’écrie mon Dieu ! Que ne serait-ce pas si on en contractait l’heureuse habitude, si, cédant à cette première impulsion, on aimait à s’y livrer toujours davantage, en se soumettant à cet attrait inconnu. Vous goûtez ce que vous ne voyez pas, il est vrai, et cependant vous êtes déjà sur le seuil du temple ; moins vous faites de résistance, quoique vous ayez encore le bandeau sur les yeux, plus votre cœur jouit. Déjà vous vous sentez attirés vers Dieu, qui vous a blessé d’un de ses traits d’amour, ou, pour mieux dire, qui vous a prévenus par sa grâce, avant même que vous la lui ayez demandée, puisque vous dites : mon Dieu ! ce Dieu qui est pour moi est ma sauvegarde, mon défenseur. Eh bien, vous avez déjà un commencement de foi, vous invoquez, vous contemplez donc ce Dieu qui est à vous ; vous sentez une disposition à vous soumettre à ce Dieu qui vous voit. Il ne paraît pas que vous fassiez amas de connaissances et d’idées contraires, votre tête se vide, mais votre cœur s’enflamme ; vous cédez à ce qui vous attire.

Le cœur simple est plus aisément attiré que celui des savants et des sages du monde ; il est plus propre à faire oraison ; il marche plus vite dans les routes de l’amour ; et plus il y marche, mieux il contemple ; et l’Esprit qui le guide lui apprend les secrets que cache la lettre de la loi. C’est par l’esprit qu’il obéit à la loi, et quel est cet Esprit de la loi ? L’amour. Plus on se livre à sa force, plus on apprend à tout sacrifier â l’amour. Et déjà vous ne serez plus seulement avec le temple, mais dans le temple, éclairé de l’Esprit qui illumine le temple. Cet Esprit opérera sur le vôtre, pour le dégager de ce qui lui est contraire. Alors, réparé dans tout votre être par les épreuves de l’amour, par les sacrifices et les pertes auxquelles vous vous serez soumis par amour, il vous rendra propre à devenir vous-même temple, et à renfermer la parole qui a dévoilé et dévoilera dans l’éternité la gloire de l’unité divine, soit dans les mondes, soit dans les créatures qu’elle a produites. Car tel a été le principe et la fin de l’émission de la parole au-dehors, et de tous les êtres qu’elle a fait sortir. Ils ont été émanés pour être saints ; c’est la justice et la gloire qu’ils ont à rendre à Dieu. Et comment ces êtres intelligents seraient-ils purifiés et rendus justes s’ils n’étaient pas mis à l’épreuve par le feu de l’amour ? C’est ce feu qui les fait rentrer en Dieu, leur fin et leur honneur éternel ; et c’est cette sanctification seule qui peut leur procurer la lumière des inépuisables grandeurs et merveilles de Dieu.

Combien elle est donc fausse, l’idée que la plupart se font de la contemplation ! Ils s’imaginent qu’elle consiste dans des efforts et un travail de tête. Hélas ! pour arriver à cet état, il ne s’agit pas de chercher des vues relevées, de raisonner beaucoup et de faire de profondes spéculations, mais seulement de supporter d’une manière passive toutes les opérations de l’Esprit Saint, soit qu’elles soient douloureuses, soit qu’elles soient illuminatives ; et par cette opération devenir le temple de Dieu, afin qu’il puisse y habiter et y manifester sa présence.

Le cœur de l’homme, ce temple où il a gravé son nom et son image a été profané ; mais, par une miséricorde infinie, Dieu veut le réparer et le purifier. Il s’agit de laisser opérer l’Esprit Saint, pour que le temple se restaure. L’âme humaine est ce temple, il faut qu’elle puisse recevoir la vie que le Verbe est venu cacher dans l’homme pour la répandre sur tous ses frères. Ayant la vie en lui-même, il peut la communiquer par tous les canaux de grâce qu’il a institués à cet effet, et plus particulièrement encore par la consécration qu’il fait quelquefois des hommes qu’il appelle spécialement au mystère de sa participation, en qui il lui plaît de se répandre d’une façon toute extraordinaire.

Nous représentons ici que quelques vues générales sur le sujet de la contemplation, n’ayant pas le dessein de le traiter à fond, ni d’une manière régulière 351. Nous dirons seulement que les âmes qui sont parvenues dans la voie illuminative reçoivent de grandes lumières sur Dieu et ses perfections adorables. L’Écriture Sainte leur fournit là-dessus des sujets bien dignes d’occuper leur intelligence. C’est surtout à l’égard des noms différents qu’elle attribue à Dieu qu’elle fixe l’attention du contemplatif.

Le nom divin exprime les perfections, les attributs et les opérations de Dieu hors de lui-même. En se manifestant, il communique l’existence ; il est comme une essence, un baume, une huile qui est répandue dans toute la création et pénètre tous les êtres.

Le nom divin est le principe des créations innombrables qui, quelque magnifiques qu’elles soient, ne sont que le miroir externe de ce nom inaltérable, se suffisant à lui-même et indépendant de toutes ses œuvres.

Pour mieux saisir notre idée, nous reviendrons sur un principe fondamental : Tous les êtres existent, et cette existence n’a lieu que par une communication des attributs de Dieu, c’est-à-dire que Dieu a gravé dans ses êtres les traits de sa divinité, qui sont l’expression sensible des propriétés, des vertus qu’il renferme en lui-même 352. Il les a imprimées dans ces êtres qui sont toujours un quant au principe qui les produit, mais toujours variés quant à eux, afin de montrer la diversité des attributs et des perfections de Dieu, l’abondance des richesses divines et la fécondité de cette source inépuisable qui fait continuellement jaillir des êtres diversifiés à l’infini. Ainsi donc ces êtres sortis de ce fond de lumière et de vie possèdent en eux un écoulement de la divinité, une émanation de sa sagesse, de sa toute-puissance et de sa bonté.

Pour que le monde et les créatures remplissent leur vocation et puissent rentrer dans leur fin qui est la paix et le bonheur, il faut qu’elles n’aient pas défiguré ou effacé le nom virtuel dont elles ont été décorées. Altérer ce nom, c’est se mettre en danger de le perdre. Quelqu’un, par exemple, est-il doué d’une grande beauté, s’il s’en sert pour offenser DIEU, il flétrit l’image de DIEUen lui ; il profane et souille par là même ce nom adorable de Dieu, dont il l’avait rendu participant, puisque la perfection de Dieu que nous appelons en lui beauté s’est réfléchie dans cet être, autant que sa nature le comportait.

Après cette observation préliminaire, examinons quelques-uns des attributs et des noms que l’Écriture Sainte donne à Dieu.

Le premier et le plus sacré de tous ces noms, c’est celui d’Élohim 353, qui nous retrace l’unité divine révélée en Trinité, Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le St-Esprit. C’est le nom adorable, hors duquel il n’y a rien 354, le nom, le vrai nom de Dieu même, celui d’où tous les autres découlent comme de leur source. C’est le fondement de tout attribut, le seul vrai rayon de toute lumière sur la divinité, c’est la base de toute relation de Dieu avec les hommes.

Un second nom redoutable est celui de Jéhovah, qui renferme des mystères infinis, et qu’on peut avec raison considérer comme synonyme avec celui sous lequel l’Infini s’est révélé à Moïse, lorsqu’il lui dit : Je suis celui qui suis ; c’est-à-dire, je suis l’essence de tout ce qui existe véritablement, et tout ce qui n’est pas moi n’est que l’apparence. Tout ce qui ne vit pas en moi n’a jamais eu la vie. Il peut bien se remuer et agir, il peut avoir le bruit de vivre, mais il est mort 355. Je suis celui qui suis. Je suis toute vie, je suis tout Dieu, je suis toujours avec moi-même, je n’existe pas par un autre ; je suis, et tout ce qui existe est de moi et par moi. Je suis à moi-même ma source éternelle, incréée et originale. Ce qui n’est pas moi n’a jamais pu dire toujours je suis. Tout ce qui n’est pas moi ou de moi est encore dans les abîmes du néant. Les portes immenses de la vaste nuit, de la privation et du non-être ne s’ouvrent que par moi, ne sont forcées que par ma parole. Le néant ne saurait approcher de moi ; mais dès que je l’approche il devient vie et lumière ; la mort n’atteint jamais la base immuable de mon trône. Je suis ; est-il dans le vaste sein de l’immensité un point où je ne sois pas Dieu tout entier ?

L’Écriture attribue aussi fréquemment à Dieu le nom de Æl ou de Dieu fort, qui indique sa puissance absolue et souveraine.

Il est aussi parlé du nom de Jäh ou Dieu tout court, qui désigne l’essence, la réalité infinie, le créateur de toutes choses. Il parle et le néant s’enfuit à sa menace. Devant lui les chaînes qui retiennent l’être dans le néant sont brisées ; sa voix est forte et magnifique, elle fait trembler le désert. Le jour se lève sur la nuit ; la lumière sort du sein des ténèbres. L’univers paraît, les cieux se déploient, les terres s’affermissent ; les globes sont suspendus dans l’espace, ils roulent, ils se peuplent d’habitants, vivants témoins de ma puissance et enfants heureux de ma bonté.

Vous verrez le nom Adonaï, ou le Seigneur et le dominateur de toutes choses ; Kaï ou le Dieu vivant, la source de toute vie, de toute joie ineffable et de toute béatitude. Rien ne borne son bonheur, parce qu’il est à lui-même son bonheur infini. Vous trouverez encore le nom de Tzadik ou le Dieu juste, la source de toute justice, de toute droiture et de toute équité ; Jeohvah Zebaoth, ou le Dieu des armées, parce qu’il est le chef éternel de la milice céleste, qui s’arme pour combattre les infernales cohortes de l’ennemi.

Qu’elles sont sublimes et sans nombre les lumières que le disciple de la sagesse découvre dans la contemplation de tout ce que les livres saints nous enseignent concernant Dieu et ses perfections adorables 356 ! L’âme contemplative est quelquefois si inondée de splendeurs célestes, qu’elle ne sait comment contenir l’essor de son admiration. Elle reçoit des lumières toujours plus sublimes sur les mystères divins, sur les décrets éternels de Dieu à l’égard des êtres qu’il a voulu émaner hors de lui, comme autant de miroirs de ses perfections. Elle contemple les ineffables richesses qui se trouvent en Dieu ; elle y découvre des beautés si grandes, des merveilles si inexprimables que le langage des pauvres mortels ne saurait trouver des expressions pour les expliquer. Dans son impuissance et dans son ravissement elle s’écrie : Essence divine, indestructible de laquelle tout découle, Votre fécondité infinie me ravit ; Votre Essentialité insondable m’accable d’étonnement ; Votre sagesse innommable, incompréhensible, précédant toute chose, m’éblouit par l’éclat de sa rayonnante lumière. Je suis anéantie par le poids de Votre puissance irrésistible. Bonté unique, Charité inexplicable, Vous me consumez d’amour et de reconnaissance. Ô Dieu dont les perfections sont sans bornes, Vous vous connaissez, Vous vous suffisez éternellement à Vous-même,

Votre Ternaire abyssal 357 et ses opérations divines qui font Votre gloire essentielle et qui ne sont peut-être qu’une des manières de Vous manifester, toutes ces choses sont en Vous aussi infinies, éternelles et incompréhensibles que Vous-même. Cette parole interne, cette puissance créatrice, cet amour inexplicable sont en vous un abîme éternel de profondeur et d’une gloire qui Vous est tellement propre, que Vous n’en communiquez par votre Verbe que ce qui est exprimable. Votre amour a échauffé le chaos, l’a fécondé ; Votre parole a ordonné l’univers pour y vivifier dans leur mesure les êtres qui devaient le remplir.

Je Vous adore, incommensurable Essence, dans tous Vos écoulements divins. Je Vous adore, ô Trinité ineffable ; je vous adore, éternelle Unité. Comment pourrais-je assez m’anéantir devant Votre majesté redoutable, ô splendeur de la gloire interne, Verbe, fils unique, en tout incompréhensible, n’étant qu’Un avec l’Infini, parce que vous ne faites avec lui qu’un seul et même Dieu. Recevez ma profonde adoration, ÔDIEU TRIUN 358qui, par votre racine éternelle, pénétrez tous les abîmes de la divinité, ô Dieu, chef-d’œuvre du TOUT IMMENSEqui réunit tout en soi, amour, nœud de toutes les opérations de l’INFINI.

Que toutes les créatures qui composent ce vaste univers forment un concert harmonieux à la louange de Votre Unité éternelle ; que tous les êtres comme autant de voix mélodieuses exaltent, célèbrent Vos perfections adorables ; que l’homme surtout, cette image de Vous-même, dirige toutes ses pensées, dispose tous les mouvements de son cœur pour glorifier la charité sans bornes qui Vous a forcé de quitter les cieux pour courir après Votre créature abîmée dans la mort, afin de la ramener à la vie. Incapables de Vous louer et de répondre aux immenses bienfaits de Votre amour, venez à notre aide, ayez pitié de la création et surtout de l’homme Votre ouvrage.

Ô Sagesse incréée, venez nous éclairer de Votre lumière. Faites jaillir sur nous Votre rayon divin ; qu’il dissipe nos profondes ténèbres. Arrachez-nous de la corruption et de la profonde misère dans laquelle nous sommes plongés. Ô Vous qui avez la vie en Vous-même, venez vivifier notre néant ; faites descendre de Vos demeures éternelles le feu sacré de Votre amour qui consume et embrase nos cœurs et nous dépouille de toute autre pensée, de tout autre désir que celui de Vous aimer éternellement et sans mesure, afin que nous puissions rentrer par Vous et avec Vous dans la fin pour laquelle nous avons été appelés à l’existence 359.

Après avoir été ainsi introduite dans le sanctuaire de la contemplation, l’âme marche de plus en plus dans le chemin de la perfection, et, si elle est fidèle, s’avance vers la contemplation passive ou infuse, dans laquelle elle se comporte d’une manière plus passive qu’active 360, et où elle souffre en paix la suspension de son activité précédente. Dieu parle au cœur de l’homme, et lui communique des suavités et des lumières admirables. L’âme éprouve quelquefois dans cet état un repos, une union qui surpasse tout entendement. Ici s’accomplit la promesse de Dieu : Voici, je m’en vais vous donner la santé et la guérison, et je vous ferai voir l’abondance de la paix et de la vérité 361. Mais cet état est sujet à beaucoup de variations ; souvent Dieu se cache et semble ne plus prendre intérêt à cette âme. Elle éprouve quelquefois des suspensions fort longues et fort pénibles ; mais cette sorte de fuite n’est que pour l’éprouver et la purifier de toute attache propriétaire à ses dons. Dans cette contemplation de foi pure, l’âme éprouve des transports d’amour et d’admiration qui l’absorbent et la pénètrent toute entière. Elle est favorisée de Dieu avec qui elle a des entretiens pleins de charmes et d’amour. Elle se repose doucement dans la vue simple et pure des vérités qui lui sont manifestées 362. C’est alors que l’âme a trouvé, comme l’amante du cantique, son bien-aimé qui l’a introduite dans ses celliers, et lui a fait boire de son vin précieux qui donne la paix et le repos aux facultés de l’âme. Elle goûte ici avec plénitude la présence ravissante de Dieu qui se manifeste à elle comme dans son vrai temple.

Quelquefois, comme un autre Moïse, elle est conduite sur le haut de la montagne, c’est là qu’elle reçoit les plus sublimes communications. Cet état, sans doute, est relevé, on pourrait l’appeler être perdu en Dieu, c’est-à-dire, absorbé à la vue des splendeurs divines, recevant des connaissances dont le langage humain est incapable de rendre la profondeur et la sublimité.

Pour rendre, en quelque sorte, intelligible ce qu’éprouvent les âmes choisies qui ont le privilège singulier de communiquer, comme Moïse, face à face avec Dieu, nous hasarderons de dire qu’il s’établit entre Dieu et l’âme un commerce, une conversation admirable. Dieu parle à l’âme, et l’âme l’écoute, comme Marie, aux pieds de Jésus. L’âme parle à Dieu et Dieu lui répond. Combien cet état est plus relevé, puisque les personnes qui en ont fait l’expérience nous assurent que ce commerce entre Dieu et l’âme est si sublime qu’il n’appartient pas à l’homme d’en révéler les mystères. Mais si ces personnes ne nous indiquent pas les secrets indicibles de ce commerce, elles nous indiquent au moins comment Dieu y fait parvenir.

Pour cet effet, Dieu fait monter cette âme choisie sur le sommet de la montagne d’amour, sur le plus haut degré de la pure charité. Elle est reçue en Dieu-même, mais d’une manière si ineffable que tout ce qu’on pourrait en dire n’approcherait jamais de ce qui est dans la réalité. En effet, comment décrire un pareil état, si l’on n’en a pas l’expérience ? Une âme qui est favorisée de cette élévation reçoit ici une abondante mesure de l’amour sacré, pur et divin, tant pour elle que pour les autres. Il est nécessaire qu’elle puise dans cette source de feu, afin d’être comme une fournaise ardente, pour fournir et distribuer le feu sacré aux âmes qui en sont encore privées.

Cet amour est si relevé, si dégagé de toute vue recourbée sur soi-même, qu’il n’a d’autre tendance, d’autre penchant que pour avancer la gloire de Dieu seul. Une âme remplie de cet amour fait avec Moïse et saint Paul l’heureuse expérience qu’il peut être assez fort pour faire disparaître toute considération personnelle, et déterminer par l’effet de l’abandon le plus parfait à se livrer à la merci de la justice divine comme victime à l’exemple de Jésus-Christ. N’est-ce pas par le principe de la charité que Jésus-Christ quitta le trône de sa gloire, pour éprouver de la part de son père un délaissement qui fut tel que, du haut de la croix où il expirait pour le salut des hommes, il prononça ces paroles mémorables : Mon père, mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Est-ce le désespoir qui a arraché ces paroles ? Ce mot tendre, mon Père, prouve que l’amour s’exprime et jaillit encore du cœur de ce sauveur expirant, malgré ce délaissement incompréhensible de toute créature.

Ô amour, vous êtes Dieu, vous êtes éternel, vous poussez quelquefois jusqu’à l’extrémité l’âme que vous voulez perdre en vous, afin d’éprouver sa fidélité et son courage. Mais vous avez précédé sa peine, et vous subsisterez encore après. Ô Dieu d’amour, pour des raisons qui vous sont connues, vous exigez des sacrifices ; vous laissez, et sur la croix et dans les tourments indicibles, crier : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Mais plus vous voulez le sacrifice, plus vous le voulez absolu. Plus vous abandonnez en apparence, plus l’holocauste est complet. Ô doctrine, que vous êtes belle, sublime, étendue ! La concevoir est une grâce ; mais pour l’expérimenter, il faut, ô Dieu, que vous prépariez les enfants adoptifs sur lesquels vous voulez régner absolument. Ils éprouvent les profondeurs des abîmes de votre justice. La faim qu’ils ont de cette justice, qui est votre gloire, est telle qu’ils s’y livrent, imitent et perpétuent le sacrifice infini du Fils unique, qui vient en eux renouveler son immolation infiniment méritoire.

C’est dans une pareille disposition d’âme que se trouvait Abraham, lorsque le sacrifice d’Isaac lui fut demandé. C’est dans un tel état d’immolation que se trouvait saint Paul, lorsqu’il souhaitait d’être fait anathème pour ses parents selon la chair ; c’est-à-dire, perdre la jouissance de la félicité, mais non pas l’amour qui la procure 363 ; car insistons sur ce point essentiel, ce n’est pas aux commençants qu’il est proposé des sacrifices si étonnants. Ceux qui sont poussés à les offrir, ou à y consentir, s’ils sont demandés, sont des âmes de choix déjà renouvelées par l’Esprit de Dieu ; elles ne vivent depuis longtemps plus en elles-mêmes, elles vivent en Dieu, elles sont absorbées dans son amour.

 

 

 

 

 

 

DISCOURS XX.

 

 

DE LA CHARITÉ ENVERS LE PROCHAIN.

 

 

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C’EST une des branches de l’arbre fatal du péché originel que le funeste penchant qu’ont tous les hommes de juger le prochain sans nécessité et sans vocation ; c’est donc un devoir essentiel de combattre ce vice avec force et de le poursuivre avec toute la vigueur possible.

Il ne serait pas difficile de prouver que celui qui a remporté la victoire sur cette disposition, qui ne se permet pas de juger et de condamner les autres, soit par ses discours, soit même par la seule pensée, possède déjà les vertus chrétiennes à un degré fort éminent.

Car on ne peut acquérir une vertu vivante, ni extirper une habitude vicieuse que par un secours immédiat de la grâce toute puissante de Jésus-Christ. Or celui qui est devenu victorieux du vice que nous combattons prouve par là même qu’il est armé de cette foi vive par laquelle on remporte la victoire non-seulement sur le monde et ses vanités, mais encore sur le principe irascible et concupiscible qui est inné dans l’homme, et ce qui proprement constitue le péché originel. Cette même foi, quand elle exerce sa force, ne combat pas un vice seul, mais elle les attaque tous simultanément.

L’Écriture Sainte signale l’odieux de ce péché en nombre d’endroits différents. Jésus Christ nous défend de juger afin que nous ne soyons point jugés 364, et pour nous effrayer par la vue du châtiment, il ajoute : Car de tel jugement que vous jugerez vous serez jugés, et de telle mesure que vous mesurerez on vous mesurera aussi. Saint Paul, en particulier dans sa profonde épître aux Romains, après avoir fait la longue et triste énumération des crimes que commettent les hommes, leur recommande surtout de ne pas condamner les autres. Il s’élève contre ce vice avec toute l’éloquence et l’énergie qui lui est propre ; il en montre la laideur et les conséquences ridicules dans ces paroles : Ô hommes, qui que vous soyez, qui condamnez les autres, vous vous rendez inexcusables, parce qu’en les condamnant, vous vous condamnez vous-mêmes, puisque vous faites les mêmes choses que vous condamnez 365.

L’homme, dit Jésus-Christ, voit la paille qui est dans l’œil du prochain, mais il ne voit pas la poutre qui est dans le sien. Pour quoi voit-il ce qui est dans les autres et ne voit-il pas ce qui est dans lui-même ? C’est que son cœur est malin, et par ce sentiment de malignité il scrute, il imagine, il suppose en autrui ce dont il est coupable ; il ne voit pas ce qui est en lui, parce qu’étant irrégénéré, il ne voit que par l’Esprit du mensonge. Il lui faudrait une lumière supérieure à la sienne pour qu’il pût apercevoir la racine du mal qu’il cache au fond de son âme. Dieu seul peut en juger selon sa vérité ; ainsi la nature pervertie qui condamne se condamne elle-même ; car elle fait toutes les choses qu’elle condamne ; elle ne peut faire autrement.

C’est donc se rendre inexcusable que d’oser prononcer condamnation sur ses frères quand on n’en a pas une charge expresse, je dis charge expresse, car les pères et mères à l’égard de leurs enfants, les maîtres à l’égard de leurs serviteurs, les magistrats envers le peuple ont une judicature légale, et si, étant dans l’ordre de Dieu, ils lui demandent en sincérité de cœur d’être éclairés par sa lumière, ils obtiendront une rectitude et une justice proportionnelle à la place qui leur est assignée ; mais sans cela le jugement de l’homme est une injustice ; car quelle peut être la règle des jugements humains ? Peuvent-ils en avoir une sûre tant qu’ils ont des passions ? Or on ne peut nier que les passions offusquent le jugement. L’orgueil, la domination, l’intérêt qui sont notre triste apanage ne sont-ils pas de mauvais conseillers ? Le fait, les apparences et les témoignages, voilà sur quoi peuvent se fonder les jugements des hommes : or les apparences peuvent être trompeuses ; le témoignage peut être le résultat d’un intérêt quelconque ; quant au fait, pouvons-nous toujours savoir s’il est une conséquence de la constitution de l’être ou d’une circonstance locale, s’il est réellement un délit ? Sommes-nous toujours en état de peser avec exactitude tous les degrés de la tentation, des moyens de défense et de quantité d’autres circonstances qui ont provoqué l’acte ? Pouvons-nous en un mot porter un jugement infaillible 366 ? Il n’y a que Dieu qui puisse condamner avec vérité ceux qui commettent ces actions. Il n’y a que celui qui connaît les pensées qui puisse parfaitement apprécier le résultat des pensées, qui puisse connaître si elles sont le produit d’un cœur mauvais, d’une intention viciée et d’un dessein prémédité ; ainsi, vous qui jugez avec tant de précipitation les actions de votre frère, pensez-vous pouvoir éviter la condamnation de Dieu ?

Il faut être dans la vérité de Dieu pour oser porter un jugement ou être convaincu qu’on est appelé à le faire. Mais qu’est-ce que d’être dans la vérité de Dieu ? C’est être soi-même exempt de tout ce qui est contraire à cette vérité ; c’est n’être pas coupable au tribunal de sa propre conscience de ce que la loi de Dieu nous a défendu de commettre. Que celui d’entre vous qui est sans péché, disait Jésus-Christ aux Juifs qui lui amenaient la femme adultère, jette la première pierre contre elle. Ils se retirèrent confus parce que cette parole de vérité jeta la lumière de vérité dans le fond de leur cœur ; et ils virent par elle qu’ils étaient tous plus ou moins coupables. Et ce fait certain d’adultère, se trouvant jugé selon la vérité de Dieu, obtint, sans doute par rapport aux circonstances inconnues aux hommes, un jugement d’absolution que les dénonciateurs n’étaient pas disposés à rendre, puisqu’ils disaient : Suivant notre loi, elle doit mourir.

C’est la vérité de Dieu qui doit être la règle du jugement. Or les hommes irrégénérés ne l’ayant pas, ils condamnent sans vocation les actions qu’ils commettent eux-mêmes, ce qu’ils ne peuvent éviter, puisqu’ils sont pécheurs par leur nature.

Cette fatale erreur peut être commise par des personnes qui sont dans la voie du retour à Dieu, puisqu’elles font souvent le mal qu’elles ne veulent pas, et ne font pas toujours le bien qu’elles veulent ; en sorte que ceux qui ont non-seulement l’acte à se reprocher, mais la racine du mal en eux-mêmes, s’ils se hasardent à condamner, ne pourront éviter la condamnation de Dieu, et cette condamnation sera d’autant plus sévère qu’ils en ont exercé une plus rigoureuse.

Un autre motif qui doit encore empêcher l’homme de se livrer au jugement., c’est que Dieu usant envers lui de bonté, de patience et de support, que saint Paul appelle les richesses de Dieu, s’il condamne son prochain sans miséricorde, il s’ensuit qu’il méprise ces mêmes richesses de Dieu ; car c’est les mépriser que de ne pas les manifester aux autres comme Dieu nous les manifeste. S’il nous invite à la pénitence, il est clair qu’il suspend le jugement à notre égard ; mais si, au lieu de faire de même, nous jugeons, cette dureté de notre cœur, nous dit saint Paul, amasse sur nous un trésor de colère pour la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres.

Pratiquons donc cette règle de saint Paul : ne jugeons pas, ne condamnons pas, ; ne méprisons pas les richesses de Dieu, sa bonté, sa patience, sa longue tolérance. Faisons part aux autres de ces richesses qu’il nous accorde, et notre cœur cessera d’être dur. La considération de la longue patience de Dieu envers nous nous déterminera à être bons et de longue attente envers le prochain. En cessant d’être durs, nous deviendrons susceptibles de pénitence, parce que nous reconnaîtrons que nous avons fait nécessairement, par rapport à notre mauvaise nature, des actions qui méritaient condamnation, et nous demanderons grâce à celui qui, par sa douceur et par sa longanimité, a donné lieu à notre repentance ; et par l’aide de la grâce qui nous sera accordée, nous changerons nos mauvaises habitudes.

Sur toute chose prenons garde à une illusion funeste par laquelle on se laisse aisément séduire à revêtir des sentiments tout à fait opposés à la charité à l’égard de ceux qui ne pensent pas comme nous 367, qui sur les vérités révélées ont d’autres opinions que les nôtres. Considérons que Dieu est un Dieu de miséricorde et de charité. Or Jésus-Christ veut que nous ressemblions à ce Père céleste ; il veut que nous travaillions de toutes nos forces à devenir parfait, comme il est parfait. Et par quelle perfection pourrions-nous approcher de cette ressemblance, si ce n’est par celle de la bonté et de la miséricorde ?

Le support de nos frères ne peut être que la conséquence et l’effet d’un principe divin, qui par son activité et sa force surmonte dans notre âme toutes les propriétés irascibles opposées à la douceur.

C’est de ce principe que doit faillir ce support tendre, constant et religieux que des frères qui croient à l’existence du même Dieu, du même Père céleste, du même Sauveur se doivent réciproquement, relativement à leurs diverses croyances. Cette loi de support est nécessairement imposée à tout chrétien, et tout chrétien doit s’y soumettre. La mesure et la définition de ce support que nous avons ici en vue se trouve exprimé dans le mot tolérance qui signifie supporter l’erreur 368. Or, pour supporter l’erreur, il faut supposer qu’elle existe ; mais la supporter n’est ni l’approuver ni l’admettre.

La tolérance chrétienne fait supporter ou ordonne de supporter l’erreur en fait d’opinions religieuses, puisqu’elle est permise par la Providence 369 et qu’elle devient entre ses mains divines un instrument de punition ou un moyen d’épreuve.

Tous les êtres moraux ont une destination à remplir avant que de rentrer dans leur principe. C’est cette rentrée qui fait leur béatitude ; mais il y a des conditions à observer. Or, si notre destination est d’être patient et, par l’effet de notre support, de manifester telle ou telle perfection de Dieu, comment la justice divine reconnaîtra-t-elle que nous sommes patients, si elle ne nous a pas mis à l’épreuve par ce qui était capable d’altérer notre patience.

S’il nous est commandé d’obéir à cette loi du support, comment la justice divine reconnaîtrait-elle que nous obéissons au commandement si nous n’avons pas été tentés par quelque chose qui nous excite à le violer. Si nous désirons que nos fautes nous soient pardonnées, nous devons pardonner aux moyens dont Dieu se sert pour nous exercer, nous purifier et effacer nos fautes. Et il est bien remarquable que Jésus-Christ prend pour la mesure du pardon qui nous sera accordé celui que nous accorderons à nos frères : Pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ainsi la mesure de nos espérances est la mesure du pardon que nous sommes disposés d’accorder aux autres. C’est pourquoi l’Esprit d’indulgence qui supporte patiemment les erreurs du prochain est le premier anneau ou la première disposition qui nous puisse faire retrouver la route pour arriver à notre fin, qui est de retracer dans notre âme quelques-unes des perfections divines.

N’oublions jamais qu’à Dieu seul appartient le jugement et la vengeance 370. Pour nous qui sentons nos faiblesses, nos misères et les bornes étroites de notre Esprit, soyons tolérants, supportons l’erreur sans l’approuver ni l’admettre. C’est alors que nous deviendrons véritablement libres, parce que le Fils nous affranchira. Il nous en coûtera d’immoler notre amour propre, nos haines, nos ressentiments et peut-être notre état, nos biens, notre vie même ; mais ô mort, où est ton aiguillon, ô sépulcre, où est ta victoire ; et par ces sacrifices rendus méritoires par le grand sacrifice de Jésus-Christ, nous retrouverons notre éternelle patrie, où nous ne pouvons rentrer que blanchis par le travail et la peine.

Souvenons-nous sans cesse que Dieu est opposé à ceux qui ont l’Esprit contentieux, et que dans tous les temps cet Esprit contentieux a été un Esprit de violence, en opposition directe avec l’Esprit Saint ; car les fruits de l’Esprit consistent dans la charité, la joie, la paix, dans la débonnaireté, un esprit patient, la bonté, la bénéficence, la fidélité, la douceur, la tempérance, la justice et la vérité 371.

Ce sont là les douze fruits que porte l’arbre de vie planté au bord du fleuve qui arrose la Jérusalem céleste 372, servant de nourriture au chrétien régénéré par l’Esprit de vie qui nous unit à Jésus-Christ, le chef suprême de cette cité éternelle.

Il ne sera pas difficile à un lecteur attentif de trouver partout ce que nous avons dît jusqu’ici, la preuve que celui qui s’abstient de juger et condamner ses frères sans nécessité et sans vocation accomplit la loi de l’amour du prochain, qui est une conséquence immédiate de la loi suprême de l’amour de Dieu.

Possédant la charité avec tous ses admirables caractères, il ne condamne pas son prochain, parce que la charité est patiente, humble, douce, bienfaisante ; c’est peu pour elle de ne pas blesser, elle veut servir même les ingrats dont elle n’attend pas la reconnaissance.

Celui qui est rempli de la charité ne condamne pas, parce que l’envie entre toujours pour quelque chose dans le motif qui nous porte à juger les autres ; or la charité n’est point envieuse.

Il ne juge pas sur la simple apparence des choses, il se garde bien de décider sans discrétion et sans prudence : Car la charité n’est point téméraire, ni précipitée. Elle apprend à douter, à faire réflexion, à se défier de sa sagesse et de ses lumières.

Il ne juge pas, parce que la charité voit tout en bien, elle ne se pique et ne s’aigrit pas. Le dépit, l’orgueil, le ressentiment ne sont point ses mobiles ; mais quoique la charité se renferme dans les bornes de la modération, qu’elle ne s’aigrit pas, elle a cependant ses traits et ses armes. Elle ne peut être sans ardeur, ni sans zèle ; mais elle n’est attentive qu’à la gloire de Dieu et au salut du prochain ; et c’est parce qu’elle aime qu’elle fait tout ce qu’elle fait.

Le disciple de Jésus-Christ ne condamne pas ; le mal lui paraît incroyable avant qu’il soit prouvé par une entière évidence, parce que la charité n’a point de mauvais soupçons, elle ne pense point le mal. Le chrétien sait combien le soupçon même est une grande faute, quand il est téméraire et non fondé. Tout soupçon, quand il n’est promptement et entièrement désavoué, fait une impression dans l’âme semblable à une trace de feu qui laisse une empreinte qui ne s’efface qu’avec peine.

Le fidèle a en horreur la calomnie, sachant que celui qui doit habiter dans la montagne de la sainteté de l’Éternel ne diffame point son prochain 373. Et loin de se laisser entraîner à ce vice odieux, il se garde soigneusement de médire contre ses frères ; et si, par inattention ou par surprise, il s’est rendu coupable d’avoir, sans nécessité, rapporté les fautes de son prochain, lors même qu’elles étaient prouvées, il s’en humilie en secret devant Dieu, parce qu’il sait combien ce péché déplaît aux yeux de celui qui a dit : Qu’il n’y ait point de médisant parmi ton peuple 374. Ce qui le porte aussi à détester ce vice, c’est la profonde connaissance qu’il a de sa propre faiblesse, s’avouant capable de commettre toute sorte de péchés, s’il n’en est préservé par la bonté divine.

Celui qui a la charité n’est point porté à juger et à censurer 375 ; il désire sincèrement que les autres soient estimés et qu’ils soient dignes de l’être. Sans affectation et sans hypocrisie, la vertu qui le guide agit et parle sous les yeux de Dieu ; il l’a toujours pour juge et pour témoin : c’est à lui seul qu’il veut plaire.

Il ne condamne pas ses frères pour croire se relever lui-même ; il sait que les hommes ne sont rien, et que tout ce qu’ils sont, ils l’ont reçu de Dieu. Il sait que celui qui s’estime être quelque chose se séduit lui-même, parce qu’il n’est pas dans la charité 376. La charité ne s’enfle point d’orgueil.

Comme il travaille à être rempli de l’Esprit de Christ, qui ne cherchait point ses propres intérêts, il ne condamne pas, parce qu’il sait que celui qui condamne a toujours en vue quelque intérêt particulier de quelque nature qu’il soit. En approfondissant le cœur de l’homme, on trouve que depuis sa chute il est dominé par l’amour de lui-même, et que cet amour est devenu la fin et le principe de ses actions, de ses jugements, de ses désirs, de ses espérances et de ses craintes ; on reconnaît qu’il n’est touché des biens et des maux qu’autant qu’ils le regardent ; qu’il s’établit le centre de tout ce qui l’environne, et qu’il se tient lieu à soi-même de l’univers entier.

Mais le fidèle en qui Jésus-Christ habite s’abstient de juger et de condamner le prochain, parce qu’il sait qu’il ne peut le faire sans s’exposer à être injuste 377. Or la charité ne se réjouit point de l’injustice ; mais elle se réjouit de la vérité. Le cœur de l’homme est si désespéramment malin, que souvent il arrive que l’âme déjà avancée dans la voie du retour à Dieu éprouve, dans la partie inférieure de son être et contre son gré, une secrète joie du mal qui arrive à son prochain. Ce sentiment aussi tyrannique qu’il est involontaire doit être rangé dans la classe des tentations sans nombre que le chrétien doit soutenir dans sa carrière spirituelle ; mais bien loin qu’il admette cette joie perfide, au contraire, il la déteste, l’abhorre et la désavoue, en s’humiliant profondément devant Dieu.

Si le Vrai chrétien ne condamne pas, c’est qu’il a appris que la charité supporte avec patience la fragilité et les faiblesses qu’elle découvre dans ses frères. Par contre, il croit aisément tout le bien qu’on lui rapporte de son prochain ; il espère tout de la grâce de Dieu, du temps et des circonstances heureuses pour sa conversion et son amendement. C’est dans cette vue, et pour accomplir dans toute son étendue la loi de la charité, qu’il souffre tout avec une douce résignation, qu’il supporte les mauvais traitements, les injustices, les inégalités, les défauts. Le chrétien accepte tout ce que la Providence permet qu’il lui arrive pour éprouver, purifier et perfectionner son amour et la fidélité qu’il doit à son divin Bienfaiteur.

Ô charité ! que vous êtes puissante et ingénieuse à guérir tous nos maux ; vous unissez ce qui est désuni ; vous vivifiez tout ici-bas ; vous guérissez toutes les blessures. Mais si vous êtes si puissante pour procurer tant de douceurs dans le commerce entre les frères, et pour fonder notre félicité temporelle, que ne faites-vous pas pour le salut de nos âmes ? De quel zèle tendre et constant ne poussez-vous pas tous ceux qui sont animés de votre divin feu pour communiquer la vie à nos âmes, et pour leur procurer la véritable lumière par la connaissance de Dieu notre Sauveur ? Les peines, les travaux, les fatigues, rien ne vous arrête, rien ne vous effraye. Vous savez braver les périls et la mort même 378.

Saint Paul nous offre un exemple de cet ardent amour dont il était rempli pour ses frères. Sa charité était si forte, qu’elle le pressait jusqu’à désirer d’être anathème pour ses frères selon la chair.

Quoique Jésus-Christ en ait donné l’exemple, quoique Moïse, avant lui, l’ait figurée ; néanmoins la raison humaine ne peut pas souscrire à cet excès d’amour de Dieu, et le condamne. Qu’on ne s’étonne pas de cette doctrine, les hommes verront un jour jusques où a été la charité de plusieurs saints, et la grande étendue des sacrifices auxquels ils ont souscrit pour obtenir pour telle personne et pour certaine contrée grâce et miséricorde.

C’est dans ces sublimes dispositions qu’était saint Paul, quand il faisait en apparence des vœux si téméraires d’être séparé de ses frères ; il recevait en lui le témoignage de Dieu que l’esprit de mensonge ne le faisait ni agir ni parler, et que l’esprit de Christ habitait en lui. C’est dans cette situation qu’il lui est imprimé dans le cœur un grand tourment et une grande douleur 379. Il a la vue, le sentiment, la certitude des grâces que ses parents selon la chair ont reçues, et les abus condamnables qu’ils en ont faites ; il voit, il sait quedes Israélites sortent l’adoption, la gloire, les alliances, les ordonnances de la loi, le service divin ; il sait que des Israélites sortent les patriarches et d’eux Jésus-Christ selon la chair ; ce Jésus-Christ qui est Dieu sur toutes choses béni éternellement 380. À quelle douleur et tristesse ne doit-il pas être en proie lorsqu’il voit la condamnation encourue par ses parents selon la chair, si entêtés par leurs préjugés, si aveuglés par leur prévention, que non-seulement la vérité ne pénètre pas jusqu’à eux, mais qu’ils la rejettent et la condamnent ? Que ne ferait-il pas pour obtenir pour eux d’autres dispositions qui les amenassent à ouvrir enfin les yeux et reconnaître la vérité. Ô mon Dieu ! s’écrie-t-il, que je sois anathème ; mais qu’ils rentrent en grâce. Nul sacrifice ne peut m’être coûteux à ce prix ; c’est votre gloire, votre plus grande gloire, que je veux et désire ; et puisqu’il s’agit du salut de plusieurs, je me sacrifie.

Ô vous qui condamnez ces saints excès, je serais satisfait si ma faible main conduite par l’Esprit de mon divin maître traçait assez fortement ce que mon cœur sent sur ce sujet ; si elle pouvait vous faire concevoir le mérite et l’efficacité de ces sacrifices, et que c’est l’extension du sacrifice de Jésus-Christ dans ses membres, où il vient pâtir et souffrir encore pour les hommes qui lui sont si chers, afin de procurer à Dieu sa plus grande gloire extérieure, qui est que les créatures se soumettent à lui par amour, et remplissent leur destination, quoi qu’il en puisse coûter.

Après avoir considéré une des plus sublimes vertus du disciple de Jésus-Christ, celle de ne pas juger et condamner le prochain, après avoir tracé les divins caractères de la charité, serait-il encore nécessaire d’insister pour en faire apercevoir les avantages infinis ? Si les hommes s’appliquaient à réduire en pratique l’Esprit de christianisme, ne changeraient-ils pas le séjour de la terre en un paradis délicieux, où régneraient tout à la fois la joie, la paix et le vrai bonheur ? Mais cet esprit de concorde, d’harmonie ne peut procéder que d’une cause active et puissante ; c’est l’amour que nous devons à Dieu qui doit en être le principe ; lui seul, quand il s’établit dans le cœur, est capable de le changer et de le réformer. Ah ! ce n’est pas sans grande raison que Jésus-Christ renferme dans ce seul mot de l’amour de Dieu et du prochain toute la loi et les prophètes ; parce qu’étant rempli de ce feu sacré de l’amour de Dieu et du prochain, le chrétien est porté à ne voir dans ses frères que l’image de son créateur. C’est cette pensée qui a fait dire à un Père de l’Église : « C’est l’amour de Dieu qui a fait naître l’amour du prochain, et l’amour du prochain nourrit l’amour de Dieu. Celui qui n’aime pas Dieu ne peut pas aimer son semblable d’un amour pur. Il faut donc que Dieu soit aimé le premier afin que l’on puisse ensuite aimer ses frères en Dieu. » C’est alors qu’on est mis en état d’aimer son prochain comme soi-même d’une manière véritable. De là naissent tous les procédés qu’il observe à son égard ; il a pour lui la même affection, la même tendresse qu’il désire qu’on lui porte. Le bien qu’il se souhaite à lui-même, il le désire pour ses frères ; il travaille de tout son pouvoir à éloigner de dessus eux les maux, les peines, les calamités dont il voudrait lui-même être exempté. Il est donc certain que si les hommes soupiraient sans cesse pour obtenir l’amour de Dieu et du prochain, ils retraceraient sur la terre la félicité que nous espérons retrouver dans les cieux où Dieu sera tout en toutes choses.

 

 

 

FIN.

 

 

 

TABLE

 

Des discours de ce second volume.

 

DISCOURSI. Le réparateur de l’homme naît et veut être circoncis pour remplir toute justice.

DISCOURSII. Jésus-Christ est sacré roi, sacrificateur et prophète sur son église.

DISCOURSIII. Grandeurs, perfections et excellence de la personne de Jésus-Christ, venant sauver l’homme.

DISCOURSIV. Jésus-Christ, en instruisant ses disciples, exerce les fonctions de la vie apostolique.

DISCOURSV. Jésus-Christ explique à ses disciples les secrets admirables de la vie intérieure.

DISCOURSVI. Jésus-Christ continue à instruire et à consoler ses disciples.

DISCOURSVII. Jésus-Christ manifeste l’amour qu’il porte à ses élus.

DISCOURSVIII. Jésus-Christ, par son sacrifice, se donne tout à nous, pour que nous soyons tout à lui.

DISCOURSIX. La victoire de la vie sur la mort est assurée par la résurrection de Jésus-Christ.

DISCOURSX. L’homme doit passer par la mort pour obtenir une résurrection glorieuse.

DISCOURSXI. Nulle vie heureuse et permanente n’est possible sans la destruction de notre enveloppe terrestre.

DISCOURSXII. Exposition des principes fondamentaux du vrai christianisme.

DISCOURSXIII. Confirmation de la doctrine de saint Paul sur Jésus-Christ, par les témoignages et les sentiments du roi et prophète David.

DISCOURSXIV. Dieu seul est le refuge de l’homme qui met sa confiance en lui.

DISCOURSXV. Le suprême bonheur de l’homme consiste à garder la loi de Dieu et à l’aimer au-dessus de toutes choses.

DISCOURSXVI. L’abandon et la confiance en Dieu nous obtiennent sa protection et les soins de son amour paternel.

DISCOURSXVII. La prière du cœur est le seul culte agréable à Dieu.

DISCOURSXVIII. De la présence de Dieu.

DISCOURSXIX. De la contemplation des perfections divines.

DISCOURSXX. De la charité envers le prochain.

 

 

 

 

Catalogue des auteurs cités dans cet ouvrage.

 

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Gothefredii Arnoldi, Historia et descriptio theologiae mysticae, seu theosophiae arcanae et reconditae itemque veterum et novorum mysticorum, in-8o, Francofurti, 1702.

Saint Augustin, mœurs de l’Église traduites par Arnaud ; in-12, Paris, 1725.

Baga-Vadam,ou doctrine divine, ouvrage indien canonique sur l’Être suprême, les Dieux, les géants, les hommes et les diverses parties de l’Univers, in-8o, Paris, 1778.

Sancti Barnabiepistola ; Paris, 1681.

Bernière Louvigny, Le chrétien intérieur, ou la conformité intérieure que le chrétien doit avoir avec Jésus-Christ, 2 vol., in-12, 1781.

Bhaquat-Geethaou dialogues de Kresshna et d’Ajoon contenant un précis de la religion et de la morale des Indiens, traduits du sanscrit, la langue des brahmes, en anglais par C. Vilkins, et de l’anglais en français par Parraud, in-8o, Londres, 1787.

Sainte Bible avec des explications et des réflexions qui regardent la vie intérieure, 20 vol. in-8o, Paris, 1790.

Champion de Pontarlier, Le trésor du chrétien, ou principes et sentiments propres à renouveler et consommer le christianisme dans les âmes ; 3. vol. in-12, Paris, 1785.

De la croix, dictionnaire historique des cultes religieux établis dans le monde depuis son origine jusqu’à présent, 3 vol. in-8o, Paris, 1777.

Du même auteur, Mémoires pour servir à l’histoire de la religion secrète des anciens peuples, ou recherches historiques et critiques sur les mystères du Paganisme, in-8o, Paris, 1784.

Saint Jean de la croix, Œuvres spirituelles, traduites par le P. J. Maillard, in-4o, Paris, 1695.

Courbon, Pratique pour se conserver en la présence de Dieu ; in-18, 1698 et 1818.

Saint Denys l’aréopagite, Traité des noms divins, traduit et enrichi de notes par J. P. Cortasse, in-4o, Lyon, 1763.

Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture ; 2 vol. in-8o, Cologne, 1716.

Esprit de la vie et de la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ, exprimé dans les Saintes Écritures tant de l’ancien que du nouveau Testament ; 2 vol. in-8o, Lausanne, 1822.

Essai sur la religion des anciens Grecs, in-8o, Lausanne, 1787.

Ezour Vedam, ou ancien commentaire du Vedam contenant l’exposition des opinions religieuses et philosophiques des Indiens. 2 vol. in-8o, Yverdon, 1778.

Fénelon, Œuvres spirituelles, nouvelle édition, augmentée de la vie de l’auteur, suivie d’un catalogue raisonné de ses ouvrages, et ornée de son portrait ; 5 vol. in-12, 1801.

Fleury, Histoire ecclésiastique, 25 vol. in-4o, Avignon, 1777, et 20 vol. in-12, Paris, 1769.

Le Franc, Méthode pratique pour converser avec Dieu, in-12, 1730.

Le P. Gonnelieu, De la présence de Dieu, qui renferme tous les principes de la vie intérieure, in-12, Paris, 1770.

Du même auteur, Méthode pour bien prier Dieu, ou l’Esprit de religion dont un chrétien doit animer toutes ses prières ; in-12, Paris, 1769.

Sancti Gregorii Magni, Opera omnia, studio monacho sancti Benedicti ; 4 vol. in-fol., Parisiis, 1712.

Holwel, Événements historiques et intéressant, relatifs aux provinces de Bengale et de l’Hindoustan, où on y a joint la mythologie, la religion et la morale des Indiens, sur leur histoire et les fêtes des Gentous ; in-8o, Amsterdam, 1768.

Instructions pour vivre chrétiennement en la présence de Dieu, 2 vol. in-8o, 1766.

Keleph ben Nathan, Philosophie divine, appliquée aux lumières naturelles, surnaturelles, célestes et divines, ou aux immuables vérités que Dieu a révélées de lui-même et de ses œuvres dans le triple miroir de l’Univers, de l’homme et de la révélation écrite. 3 vol. in-8o, 1790.

Du même auteur, Philosophie chrétienne, exposée, éclaircie et appuyée sur l’immuable base de la révélation, ou la véritable religion pratique, rendue à sa pureté primitive ; 4 vol. in-8o, 1800.

Du même, Science du Christ et de l’homme ; 3 vol. in-8o, 1810.

Thomas a Kempis, Imitation de Jésus-Christ, traduite par Beausée de l’académie française ; in-8o avec figures, Paris, 1822.

Lambert, Exposition des prédictions et des promesses faites à l’Église pour les derniers temps de la Gentilité ; 2 vol. in-12. Paris, 1806.

Juste Landsberg, Miroir de la perfection chrétienne, où l’on fait voir comment l’homme doit se tourner vers Dieu, etc. ; in-12. Amsterdam ou Cologne, 1714.

Law, Voie de la science divine ou développement des principes et des bases fondamentales de cette science, indépendant de toute opinion et de tout système particulier, in-8o, Paris, 1805.

Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, etc., 5 vol. in-12, Londres, 1767.

Saint-Martin, Ministère de l’homme Esprit, in-8o, Paris, 1802.

M. Moulinié, Leçons de la parole de Dieu sur l’étendue et l’origine du mal ; in-8o, 1821.

Mourgues, Plan théologique du pythagorisme et des autres sectes savantes de la Grèce ; 2 vol. in-8o, Paris, 1712.

Mystère de la croix mortifiante et vivifiante de Jésus Christ et de ses membres, par un disciple de la croîx de Jésus, nouvelle édition in-12. Lausanne, 1791.

Oupnekhat, ou la théologie et la philosophie des Indiens, 2 vol. in-4o, Paris, 1801.

Opuscules théosophiques par un ami de la sagesse et de la vérité, in-8o, Paris, 1822.

Tobiae Pfannaeri, Systema gentilis purioris ; in-4o, Basileae, 1679.

Platon, Bibliothèque des anciens philosophes, contenant les œuvres de Pythagore et de Platon, par madame Dacier, 9 vol. in-12, Paris, 1781.

P. Poiret, Bibliotheca mysticorum selecta, tribus constans partibus ; in 8o, Amsterdam, 1708.

Du même auteur, Économie divine ou système universel et démontré des œuvres et des desseins de Dieu envers les hommes ; 7 vol. in-12, Amsterdam, 1687.

Pratique de la vraie théologie mystique, 2 vol. in-8o, Liège, 1709.

Thiery Ruinardt, Véritables actes des martyrs recueillis sur plusieurs anciens manuscrits, traduits en français par Drouet de Maupertuis ; 3 vol. in-12, Lyon, 1818.

P. Dominici Schram, Institutiones theologiae mysticae ; 2 vol. in-8o, 1777.

Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 4 vol. in-12. Paris, 1747.

Tauler, ses Institutions ; Paris, in-8o, 1665 et 1668.

Tavernier, Vie de Dieu seul, proposée aux personnes qui tendent à la perfection ; 2 vol. in-8o, Avignon, 1810.

Sainte Thérèse, ses œuvres spirituelles traduites en français par Arnaud d’Andilly ; 5 vol. in-12, Lyon, 1818.

Traité de l’oraison du cœur et de la foi, in-8o.

Mercure Trismégiste, le Pimandre, traitant de la philosophie chrétienne, de la connaissance du Verbe divin, et de l’excellence des œuvres de Dieu ; traduit de l’exemplaire Grec avec collation de très-amples commentaires, par F. de Foix ; in-fol., Bordeaux, 1579.

Xystiphilosophi, Enchiridion seu sententiae piae ; in-4o, Basileae, 1516.

 

La plupart de ces ouvrages se trouvent chez Petillet, Libraire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



1 LUCII, v. 14.

2 TIM. III, v. 16.

3 APOC. Ch. XIII, v. 8.

4 I PIER. I, v. 12.

5 ÉSAÏEXL, v. 9.

6 GEN. XVII, 14.

7 GEN. XV, v. 1.

8 GEN. XV, v. 5.

9 GAL. III, v. 6.

10 PS. XXXII, v. 1.

11 JEANI, v. 13.

12 ROM. IV, v. 13.

13 GEN. XVII, v. 11.

14 GEN. XVII, v. 12.

15 GEN. XVII, v. 14.

16 PS. XXXII, v. 1.

17 ROM. VI, v. 2 et suivants.

18 HÉB. I, v. 12.

19 DEUT. X, v. 16.

20 JÉR. IV, v. 4.

21 ÉPHÉS. V, v. 29.

22 PS. CIII, v. 14.

23 DEUT. XXX, v. 6.

24 ROM. XV, passim.

25 Il n’y a pas de vérités pratiques plus souvent et plus fortement exprimées dans les Saintes Écritures que celle qui nous enseigne le renoncement à nous-mêmes, la mort au vieil homme, non-seulement le retranchement de quelques branches de cet arbre fatal du péché, mais sa destruction totale et son entière extirpation. Cette vérité nous est recommandée par nombre de sentence et de figures diverses, elle nous est représentée dans le présent discours sous quatre comparaisons, sous celle de la circoncision, du saint baptême, de l’ensevelissement d’un corps mort, enfin sous celle d’un arbre sauvage, dont on a retranché les branches pour leur substituer, au moyen de la greffe, une sève plus parfaite. En effet, par la greffe, on triomphe de la nature, on la force à suivre d’autres voies, à changer ses formes et ses inclinations, et à suppléer le bon, le beau, le grand, à la place de l’abject et du mauvais. La comparaison est admirable, on n’en peut choisir une qui représente mieux l’œuvre de l’esprit saint dans un cœur qu’elle veut changer et régénérer ; car elle retranche toutes les inclinations corrompues, les penchants viciés, tous les désirs désordonnés d’un cœur désespérément malin, pour y substituer des sentiments purs, des inclinations saintes, avec toutes les dispositions intérieures d’un cœur régénéré, dont l’exemple de Jésus-Christ nous a laissé un si beau modèle.

26 JEANXIV, v. 6.

27 Sur les PS. II et CX.

28 PS. II, v. 1 et suiv.

29 ACTESIV, v. 25.

30 ESTHERIII, v. 2.

31 DANIELIII, v. 16, 18.

32 MACH. II, ch. V, v. 30.

33 PS. CXVIII, v. 22.

34 PS. CXLVI, v. 6.

35 PS. LVII, v. 5.

36 PS. LXII, v. 5.

37 PS. XXXVII, v. 13.

38 PS. LIX, v. 8.

39 PROV. I, v. 26.

40 MATTH. VI, v. 10.

41 PS. XXVII, v. 3.

42 PS. XVIII, v. 8.

43 PS. XIX.

44 C’est le prophète roi David qui répond.

45 MICH. IV, v. 6.

46 Si les versets sixième et septième du Psaume second renferment déjà un sens si vrai, en ne l’appliquant qu’à David comme type, qu’il serait précieux pour nous, s’il plaisait à l’Esprit Saint de nous révéler toute la profondeur de ces paroles, lorsqu’elles s’adressent immédiatement au fils Verbe. En général, ce Psaume second contient des vérités si relevées, qu’il n’y a que ceux qui ont reçu l’onction du saint qui enseigne toute chose, qui en puissent avoir une intelligence parfaite.

47 HÉB. I, v. 3.

48 MATTH. XVII, v. 5.

49 JEANI, v. 14.

50 PS. XL, v. 7 et 9.

51 JEANXVII, v. 21.

52 PHIL., II, v. 9.

53 JEANXVII, v. 1 et suivants.

54 PS. LXXXV, v. 11.

55  JACQ. II, v. 13.

56 HÉB. XI, v. 1.

57 PS. XLV, v. 1 et suivants.

58 JEANI, v. 1 et suivants.

59 Sur les deux premiers Chapitres aux Hébreux.

60 PS. II, v. 6, 7, 8.

61 HÉB. I, v. 3.

62 HÉB. I, v. 4.

63 HÉB. I, v. 6.

64 ÉS. XIV, v. 14 et suivants.

65 HÉB. I, v. 8 et suivants.

66 PS. XXXIV, v. 8.

67 PS. XCI, v. 10, 11 et 12.

68 APOC. v. 2.

69 Jésus-Christ est l’unique cause du salut, il est la pierre de l’angle de tout l’édifice majestueux de la religion ; ne pas croire à sa divinité, à son sacrifice infiniment expiatoire, c’est rejeter le seul moyen qui reste à l’homme pour être arraché des serres de la mort, et obtenir en échange une vie bienheureuse. C’est encore lui dénier et sa gloire et la puissance qu’il a de faire miséricorde à ceux qui croient en lui, qui l’aiment pour tout ce qu’il a fait et souffert, qui l’imitent dans sa patience ; qui, animés par son esprit, le confessent hautement, cherchent à le glorifier, en souillant l’opération qu’exige la justice divine pour être rendus conformes à son image.

70 DEUT. XXVII, v. 26.

71 C’est une idée bien sublime et plus profonde qu’on ne le pense d’ordinaire, que celle qui a renfermé et même concentré la loi et les prophètes sous le seul précepte de l’amour ; puisque c’est cette faculté infiniment active et puissante du désir de l’affection qui constitue la plus grande force de notre âme, qui peut tout, obtient tout, lorsqu’elle est secondée par celui qui en est le principe et qui l’a semée dans le champ de notre être. C’est cette vue qui a fait dire à saint Augustin : « C’est par l’amour qu’on demande à Dieu, c’est par l’amour qu’on le cherche, c’est par l’amour qu’on frappe avec succès à la porte de son cœur, c’est par l’amour qu’on parvient à le découvrir, c’est par l’amour qu’on demeure constamment eu lui. » « Aimez, dit-il encore, puis faites tout ce qu’il vous plaira », parce qu’il savait bien que lorsqu’on aime véritablement, on ne fait rien de ce qui peut offenser l’objet aimé, mais que plutôt on fait tout, même ce qui paraît impossible, pour lui plaire, et lui devenir agréable. Mais il ne faudrait pas conclure de cette vérité que la douce chaleur qui procède de l’amour soit contraire à la lumière ; c’est plutôt dans leur parfait équilibre et dans leur accord que se trouve la perfection de l’être moral de l’homme. Mais il est bien pénible de remarquer que cette harmonie se trouve rarement, soit chez les individus, soit dans les sociétés religieuses ; ou les uns ont trop de lumière au dépend de l’amour, ou l’amour des autres manque d’être réglé et modifié par la lumière qui devrait toujours être en rapport parfait avec l’amour.

Voyez saint Augustin, des Mœurs de l’Église, Ch. XXVII.

72 PS. XVIII, v. 3.

73 Sur JEANXIV, v. 1 et suivants.

74 Celui qui est si heureux, dit saint Jean de la croix que de pouvoir marcher en l’obscurité de la foi, la prenant pour guide, sortant de toutes les imaginations naturelles, et raisons spirituelles, marche en assurance. La foi est une habitude certaine et obscure, infuse dans l’âme. On l’appelle une habitude obscure parce qu’elle nous incline à croire les vérités que Dieu nous a révélées, et qui surpassent nos lumières naturelles et la capacité de notre esprit. Cette lumière étant infiniment plus grande que la nôtre, elle est à l’égard de l’âme aussi obscure que des ténèbres très-épaisses, parce qu’une lumière, très-éclatante éteint une lumière très-petite, comme nous voyons que les rayons du soleil font disparaître les autres lumières, et qu’ils nous éblouissent la vue, ou plutôt ils nous aveuglent, n’y ayant nulle proportion entre la grandeur excessive de leur lumière et la faiblesse extrême de nos yeux.

Voyez, dans les œuvres de Saint-Jean de la croix, la Montée du Mont Carmel, Liv. II, Ch. I et II.

75 PS. CXVIII, v. 22.

76 ACT. IV, v. 12.

77 JEANXI, v. 25.

78 JEANVII, v. 16 et suivants.

79 JEANXIV, v. 22.

80 JACQ. II, v. 19. Voyez, pour de plus grands éclaircissements à cette vérité, la Science du Christ et de l’homme, tome I, page 7, tome II, pages 3 à 6, 26-28, 37-41, 110-121, 139-142, 185-192.

81 MATTH. XIII, v. 31.

82 MATTH. XIII, v. 3.

83 Pour définir ce que c’est que la régénération, il n’y a qu’à considérer l’homme naturel tel qu’il naît dans ce monde, examiner tous ses penchants, toutes ses inclinations, ses goûts et tout ce qui constitue l’homme charnel et animal, comme l’appelle saint Paul ; puis prendre le contraire de ces mêmes dispositions de l’esprit et du cœur, et alors on aura l’idée d’un être régénéré. L’apôtre Saint Jean définit très-bien l’homme de la première naissance. C’est qu’il est tout concupiscence des jeux, convoitise de la chair et orgueil de la vie. Voilà l’élément dans lequel il nage. Mais le régénéré a des sentiments tout opposés. Il fuit la volupté dans tout ce qui constitue son être, il abhorre la vanité dans toutes ses ramifications ; il revêt l’humilité la plus profonde en opposition à tout ce qui est du domaine de l’orgueil, de la fierté et de l’arrogance. Lorsque, par le principe divin, toutes ses œuvres sont entièrement opposées aux œuvres naturelles, l’homme est alors régénéré. Il a obtenu une naissance spirituelle dans tout son être moral dont il trouvera le modèle le plus accompli dans la personne de Jésus-Christ, duquel il est dit que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Et ainsi de toutes les autres vertus qui ont si éminemment brillé dans l’Homme-Dieu. On peut voir les opérations de la nature et de la grâce distinguées en détail dans l’excellent livre de l’Imitation de Jésus-Christ, liv. III, ch. LIV.

84 GAL. II, v. 20.

85 II COR. XI, v. 14.

86 MATTH. VII, v. 32.

87 MATTH. VI, v. 33.

88 Il semble que la raison improuve cette formule de langage dans l’expression de garder le commandement, le sens de ce qu’on veut rendre serait plus heureusement exprimé en disant : Exécutez mes commandements ou observez mes préceptes. Ou ne saurait assez insister à mettre toute la précision possible dans le langage sur les matières spirituelles, car c’est de la non-observation de cette règle que naissent le plus grand nombre de disputes.

89 I JEANV, v. 3.

90 Entre les nombreuses illusions par lesquelles nous nous séduisons nous-mêmes, il s’en trouve une très-fréquente et des plus funestes, même chez les personnes de piété ; c’est le manque de fidélité dans les petites choses, et la négligence à remplir les devoirs moraux envers le prochain ; il n’est pas rare de rencontrer des personnes se croyant fort éclairées qui, en s’imaginant posséder l’amour de Dieu, ne s’aperçoivent pas qu’effectivement elles haïssent le prochain, en laissant bourgeonner secrètement dans leur âme des racines d’amertume contre ceux qui ne sont pas de leur sentiment, ou qui ne veulent pas se soumettre à leur volonté, et qui, au lieu de combattre l’aversion secrète qu’elles leur portent, la nourrissent et lui laissent prendre une consistance directement opposée à la vertu de la charité.

91 JEANI, v. 5.

92 Cette expression pourrait surprendre d’abord le lecteur, mais son étonnement cessera lorsqu’il aura réfléchi que c’est précisément là le but de notre création. Un but que les Païens même ont aperçu ; puisque Platon, appelé le divin, à cause de la profonde doctrine renfermée dans ses écrits, avait reconnu que la fin de l’homme est d’être divinisé. Ce que Jésus-Christ confirme dans la prière sacerdotale, lorsqu’il dit qu’ils soient un en nouset même qu’ils soient consommés dans l’unité. Qu’est-ce que c’est que d’être un avec Dieu ? Ce n’est pas seulement d’être uni à Dieu, mais c’est d’être une même chose que cet être suradorable. C’est n’avoir plus rien en soi qui lui soit contraire ; n’avoir aucune des qualités opposées aux perfections morales de son être ; car il faut bien remarquer que ce n’est que du côté de ses perfections morales que nous pouvons être unis à Dieu, et devenir un avec lui, être divinisé, c’est-à-dire, être incorruptible. Cette expression, être divinisé, est précise, et ne souffre nulle exception après ce que nous venons de dire ; saint Paul le confirme plusieurs fois dans ses écrits et surtout lorsqu’il s’exprime ainsi : Ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi (GAL. II, v. 20). Et saint Pierre est encore plus formel lorsqu’il dit que nous devons être fait participants de la nature divine (II PIER. I, v. 4). On pourrait citer encore bien d’autres témoignages en preuves ; mais ces deux suffiront sans doute pour tout esprit non prévenu.

93 Ceci n’est pas une simple répétition du verset 15, comme le verset 23 ne sera une répétition ni de l’un ni de l’autre. C’est presque les mêmes mots, mais tant la parole divine est infinie, la circonstance où se présente la même parole montre ou une continuation nécessaire, ou un développement nouveau. Dans le verset 15, en effet, il est dit : Si vous m’aimez, gardez mes commandements, c’est un ordre universel.

94 En lisant ce sublime passage, on est étrangement surpris de voir que parmi les chrétiens il existe encore des hommes savants et religieux qui désavouent et même osent contredire les opérations les plus secrètes et les plus intimes de l’esprit de Dieu dans le cœur de l’homme. Ils critiquent et rejettent tout ce qui se trouve naturellement lié à l’ensemble des voies intérieures, indispensables pour conduire l’homme à l’union divine. Ces personnes croient-elles que si Dieu fait sa demeure dans l’homme, il y soit oisif et n’y opère rien ? Me doit-on pas plutôt admettre et croire que Dieu, étant l’infini, doit par conséquent se communiquer à l’âme, selon l’infinie fécondité de son être ? Suivant cette idée que personne ne peut rejeter d’après ce passage formel, devrait-on croire impossibles toutes ces admirables merveilles qu’on lit dans l’histoire des personnes qui ont été favorisées de ces divines communications. Si ceux qui sont opposés à la doctrine de la Théologie mystique avaient tant soit peu pris en considération le sens divin renfermé dans ce passage, ils n’auraient pas déclamé contr’elle avec tant d’amertume. Il est à peine supportable de voir des inconséquences aussi frappantes dans des hommes qui se croient éclairés. Comment ne réfléchit-on pas que si Dieu a étalé tant de beautés dans la création du monde physique en faveur de la partie sensible de l’homme, il ne puisse manifester infiniment plus de merveilles de l’univers intellectuel et divin à l’être spirituel de celui en qui le Verbe a gravé son image ? Ou croira-t-on que Dieu soit moins puissant et moins disposé à se révéler à la portion immortelle de l’homme qu’il ne l’a été à se montrer grand et libéral à celle qui, un jour, doit se dissoudre et tomber en poussière ? Comment peut-on admettre d’un côté l’Écriture-Sainte, en recommander la lecture, et de l’autre, la rejeter avec mépris dans la pratique, et dans son application effective ? Et comment ose-t-on faire ce triage, n’admettre que ce que nos préjugés nous suggèrent d’adopter, et ensuite repousser tout ce qu’on ne goûte pas ? Ne serait-il pas préférable de tout nier ou de tout accepter ? Du moins on ne se rendrait pas aussi formellement ridicule, en rejetant précisément ce qui est ou qui tient le plus radicalement à l’essence de l’Écriture Sainte. Car, je le demande, si vous rejetez des livres divins ce qu’il y a de caché, de spirituel, ou si l’on veut, de mystique, que restera-t-il ? Rien, sinon une lettre morte qui tue, selon l’expression de l’apôtre.

95 JEANVII, v. 16.

96 ÉSAÏEXXVI, v. 12.

97 Sur le Ch. quinze de l’Évangile Selon saint Jean.

98 JEANXIV, v. 30.

99 Ce n’est pas vous qui, par vos seules forces, pourrez opérer la perfection de l’œuvre de la consommation en moi. Car il faut bien remarquer que ces paroles, ce n’est pas vous qui opérerez et qui ferez, ne doivent s’entendre que de l’état où l’âme a épuisé la voie active et qu’elle a consumé tous ses efforts propres pour entrer par la porte étroite et pour ravir en violents le royaume des cieux. Jusques-là l’homme doit travailler de toutes ses forces pour seconder l’action de la grâce. Étant tous appelés à être ouvriers avec Dieu ; mais malheureusement il se trouve bien peu de personnes qui arrivent jusqu’au bout de cette première voie, indispensable pour faire des progrès ultérieurs dans la vie de l’esprit.

100 ROM. VII, v. 26.

101 I JEANIII, v. 22.

102 JEANI, v. 29.

103 ÉZÉC. XLVII, v. 12.

104 PS. I, v. 3.

105 MATTH. XIII, v. 3 et suiv.

106 COLOS. III, v. 16.

107 PS. II, v. 4.

108 ÉSAÏEXLIX, v. 8.

109 ÉSAÏEXLIX, v. 17.

110 ÉS. XLIX, v. 11.

111 PSAL. CXXXIII, v. 1.

112 COR. XV, v. 54.

113 MATTH. X, v. 24.

114 JEANI, v. 5.

115 PSAL. LXIX, v. 5.

116 PHIL. II, v. 6.

117 I JEANI, v. 1 à 3.

118 Sur JEANXVI, v. 1 et suiv.

119 On écrit l’histoire pour servir de leçon aux hommes, pour leur donner des règles de conduite et de sagesse. Mais où en trouvera-t-on de plus excellentes et de plus pures que dans l’Écriture Sainte ? Elle contient tout, même le principe de toutes les sciences. Mais le grand malheur est qu’on croit l’entendre par ses propres lumières, et on se trompe ; car il ne suffit pas à un homme qui désire voir un objet de l’avoir devant ses yeux ; il faut qu’il ait encore une lumière, un jour qui lui serve d’intermédiaire pour apercevoir l’objet même : ainsi il ne suffit pas, pour comprendre l’Écriture Sainte, de l’avoir objectivement, et de posséder par son intelligence le sujet, il faut encore avoir un moyen qui est la lumière divine, qui ne peut être en nous qu’après qu’elle nous aura été communiquée, par une opération invisible de la grâce, qui est appelée, dans l’Écriture Sainte, Régénération de l’homme. Mais cette opération secrète suppose la destruction du vieil homme et du corps de péché. Voilà la cause fatale qui fait que la parole divine n’est ni connue, ni gardée, et qu’elle a toujours été persécutée. L’histoire sacrée et profane fournit une preuve bien évidente de cette vérité.

120 MATTH. IX, v. 15.

121 MATTH. IX, v. 16.

122 Ibid., v. 17.

123 JEANIII, v. 5.

124 Si l’on voulait rechercher quelle serait la définition de la foi, on pourrait hasarder de dire en l’envisageant dans ce qu’elle a de plus abstrait et de plus intime, qu’elle est l’esprit de l’homme affermi en Dieu en vertu de ses promesses. C’est la force de l’âme qui embrasse Dieu avec toutes ses perfections, sans vue distincte. Cette foi, par sa vertu attractive, attire Dieu dans l’âme et s’y unit, se considérant comme un néant dans lequel Dieu veut être tout. C’est dans cette disposition de confiance en Dieu et d’abnégation de soi-même, où l’âme se considère n’être rien, que Dieu peut pénétrer et opérer en elle par l’action vivifiante de son esprit, qui ne saurait agir dans un être libre, si cet être résiste à l’action et ne se comporte à son égard comme une terre passive que le soleil doit féconder par sa douce chaleur. Alors l’âme, étant pénétrée par les divins rayons du soleil de justice, est unie à Dieu qui lui communique une vie pure, pleine et entière, sans jamais craindre aucune altération.

125 ÉSAÏELV, v. 8.

126 Jamais on ne rappellera assez aux personnes qui s’occupent de religion combien cette différence est grande, je dirai presque infinie, et en même temps combien l’inattention à cet égard est dangereuse. Le sentiment et la possession d’une vertu ont bien quelque analogie ; mais être rempli de la connaissance qu’inspire un devoir, posséder dans l’esprit la démonstration de sa nécessité ; avoir par avance un goût délicieux des avantages qu’il procure, n’est pas encore ni l’expérience, ni la pratique vivante de cette vertu. Et cependant bien des personnes tombent dans la fatale illusion de prendre l’un pour l’autre et de croire avoir la réalité d’une chose dont elles se sont souvent occupées en spéculation.

127 I JEANII, v. 20.

128 Il ne sera pas superflu de faire observer que de tous les devoirs de la morale chrétienne, celui qui coûte le plus aux personnes dont le caractère est violent et la complexion irascible, c’est de pardonner sincèrement les offenses qui leur ont été faites. Par conséquent celles qui ont à combattre la penchant à la colère et à la vengeance doivent s’armer d’un plus grand courage en implorant sans cesse le secours divin, s’ils veulent remporter la victoire, et ne pas être du nombre de ceux qui ont été honteusement vaincus par leurs ennemis.

129 PS. CXXX, v. 1 et suivants.

130 Sur la prière sacerdotale de Jésus-Christ, JEANXVII.

131 La vulgate se sert de l’expression clarifica filium tuum ut clarificet, qui est peut-être plus énergique que glorifîca, et présente un sens plus facile à saisir ; quoique toutes les traductions françaises rendent le mot clarifica par glorifiez. Au surplus, pour entendre mieux ce verset, il faut lire arec attention les deux qui suivent.

132 ROM. VIII, v. 3.

133 Qu’on ne soit pas surpris si le sacrifice de Jésus-Christ, ses mérites, et leur efficacité infinie se trouvent si souvent répétés dans cet ouvrage, et en particulier dans la paraphrase de la prière sacerdotale de notre divin Pontife. Cette vérité, la base de toute la religion, le fondement de tout christianisme pratique, est si grande, si consolante pour la pauvre humanité, qu’on ne pourrait jamais la rappeler trop souvent dans l’esprit des chrétiens. On l’enseigne sans doute fréquemment, mais c’est une preuve bien frappante qu’on la saisit mal, puisqu’on observe si peu les devoirs qui en sont la conséquence nécessaire ; car si Jésus-Christ s’est tout donné à nous, a tout fait pour nous, n’est-il pas juste et raisonnable que nous nous donnions tout entiers à lui, pour ne vivre et n’agir plus que pour lui ? Toujours l’idée de Jésus-Christ en nous devrait être inséparable de celle de Jésus-Christ pour nous, comme cause et principe de toute vertu, de toute perfection, et de toute sainteté.

Pour avoir un plus grand développement de cette vérité, consultez la Science du Christ et de l’homme, Tome, II, livre VIII, chap. I, page 196 à 199.

134 PS. CIX, v. 6, 7 et 8.

135 I. COR. XV, v. 28.

136 Ces sujets relevés ont été traités dans les premiers discours du tome I. On peut aussi consulter la Science du Christ et de l’homme, tome I, page 7, note 4, et pages 247-250 à la note 4 ; ainsi que dans un grand nombre d’endroits de cet ouvrage.

137 Pour aider le lecteur à pénétrer dans le sens profond de cette matière, il est prié de consulter, dans l’ouvrage précité, la Science du Christ et de l’homme ; la discussion lumineuse qui se trouve sur ce sujet dans le tome I, chapitre I, pages 4, 5 et 6, surtout la note 2.

138 JEANI, v. 18.

139 COLOS. II, v. 14 et 15.

140 MATTH. XXVI, v. 20 à 29.

141 JEANXIII, v. 6, 7 et 8.

142 Il y aurait beaucoup de choses à dire et même des vérités fort utiles sur cette purification, sou objet et sa nécessité représentée par le lavement des pieds ; mais cela nous éloignerait du sujet ; d’ailleurs ce serait une parole dure ; qui voudrait l’entendre, puisqu’il ne se trouve presque personne qui veuille souffrir cette purification préliminaire qui ne s’opère que par le travail actif de l’homme et l’assistance de l’Esprit de Dieu. Les uns s’en rendent indignes, et les autres croient qu’une vie exempte de crimes et honnête selon le monde, est suffisante pour être sauvés. Cependant Jésus-Christ dit à saint Pierre qu’il n’aurait aucune part avec lui s’il n’était purifié de cette manière. Car il est impossible de participer à l’union divine par une autre voie.

143 MATTH. XXVI, v. 16 et suiv.

144 MATTH. XVII, v. 5.

145 JEANVI, v. 63.

146 JEANVI, v. 33 et 54.

147 JEANVI, v. 55 et 58.

148 JEAN. VI, v. 55.

149 JEANVI, v. 53.

150 Ibid., v. 56.

151 I. JEANVI, v. 51.

152 PS. CIII. v. 5.

153 GAL. II, v. 20.

154 PS. XLII, v. 1.

155 Sur le chapitre quinze de la première Épître de saint Paul aux Corinthiens.

156 ÉS. LIII, v. 5.

157 Ch. IX, v. 24.

158 PSAL. XVI, v. 10.

159 ÉSAÏELIII, v. 8 et seq.

160 DANIELXII, v. 2.

161 ACT. XXVI, v. 23.

162 LUCXXIV, v. 36 et suiv.

163 ROM. VIII, v. 28.

164 DAN. VII, v. 14.

165 ROM. VIII, v. 29.

166 ÉSAÏELXI, v. 6.

167 APOC. XX, v. 6.

168 Idem, XIX v. 7 à 9.

169 APOC. XVIII, v. 3.

170 ROM. VIII, v. 19 et suiv.

171 II. PIER. III, v. 10.

172 APOC. XX, v. 13.

173 PS. CIII, v. 17.

174 Sur le chapitre quinzième, vers. 29 et suiv. de la première Épître de saint Paul aux Corinthiens.

175 JEANXI, v. 25.

176 MICHÉEV, v. 2.

177 Il est certain, d’après le témoignage de saint Paul, qu’il y a eu dans la primitive Église une administration littérale du baptême, pour procurer à ceux qui, à cause des persécutions ou d’autres accidents, n’avaient pas pu le recevoir pendant leur vie, les grâces attachées à ce sacrement avec tous les secours que pouvaient leur aider à opérer leur retour véritable à Dieu, et à consommer leur sanctification, en les dégageant de toutes les souillures qui empêchaient leur réunion avec Dieu.

178 ÉZÉCH. XXXVII, v. 1 et suiv.

179 JEANI, v. 18.

180 ROM. V, v. 12.

181 HÉB. IX, v. 27.

182 PS. CXXXIX, v. 16.

183 PS. LI, v. 7.

184 PS. LI, v. 7.

185 JEANXIV, v. 2.

186 Pour mieux comprendre ce que je viens d’exposer, on peut lire les discours IX et X de ce volume, dans lesquels j’ai expliqué la doctrine de saint Paul sur la résurrection telle que l’Apôtre l’a établie dans le Chapitre XV de la Ire Épître aux Corinthiens.

187 I COR. XI, v. 29.

188 I THESS. V, v. 23. Pour éviter toute équivoque, il ne sera pas hors de propos de rappeler ici la distinction qu’on doit faire entre l’esprit et l’âme. Distinction que les théologiens ont trop négligée de faire, en traitant de la morale chrétienne.

1o L’esprit est, dans l’homme, cette partie qui pense, qui réfléchit, qui raisonne ; c’est l’intelligence. L’esprit est un, simple, indestructible à tout agent naturel. Il est appelé la partie supérieure, et quelquefois même le fond de l’âme. Lorsqu’il est purifié et dégagé de toute erreur, il est libre, net ; il devient le trône de la grâce et du Saint-Esprit, qui l’éclaire d’une lumière divine que saint Jean appelle l’onction du Saint, qui apprend toutes choses, sans désordre et sans mélange d’illusion. Dans l’homme irrégénéré, l’esprit est le réceptacle de la malice, de la ruse, du mensonge, de la duplicité, de tous les vices subtils et criminels.

2o L’âme est cette partie de notre être qui sent ; c’est le foyer, la source et le siège de nos sensations. Elle est aussi appelée quelquefois la partie inférieure, le cœur ou la volonté. C’est dans cette partie que naissent les bons désirs, les affections pieuses, les sentiments d’amour ; c’est dans elle que s’éprouvent la douleur et le plaisir, la tristesse et la joie, la crainte et l’espérance pour la privation et la possession des choses divines. L’âme peut quelquefois être livrée aux ténèbres, aux troubles et aux plus terribles combats pendant que la partie supérieure jouit de la paix, du calme et d’une tranquillité parfaite. L’âme dans l’homme naturel tient surtout à la partie sensible de son être. C’est le lieu où s’éprouvent les grandes passions, l’amour propre, l’amour charnel, les mauvais désirs, la crainte, la tristesse, la joie, l’espérance pour les choses terrestres. Saint Paul fait cette distinction non-seulement dans l’endroit cité ci-dessus, mais encore quand il dit que la parole de Dieu est vivante et efficace ; plus pénétrante qu’une épée à deux tranchants, elle atteint jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, elle discerne les pensées et les intentions du cœur (HÉBR. IV, v. 12). Quelques savants se sont moqués d’Origène à qui cette distinction était familière ; mais les auteurs éclairés de l’Esprit de Dieu qui ont écrit sur les matières spirituelles en font le principal fondement de leur doctrine et avec beaucoup de raison, parce qu’en observant cette différence on jette de la clarté dans la description des expériences et des épreuves de la vie intérieure.

189 Ceci a déjà été démontré, Tome Ier. Discours III.

190 Voyez Voie de la science divine, ou développement des principes et des bases fondamentales de cette science ; IIIe dialogue, page 216 et suivantes.

191 PHILIP. IV, v. 7.

192 Voyez Mystère de la croix intérieure et extérieure de Jésus-Christ et de ses membres, page 11 et suivantes.

193 Le meilleur moyen de nous concilier la bienveillance de notre père céleste et d’être reçu en grâce au moment du trépas, c’est de toujours penser à cet être adorable ; car nous sommes sûrs de vivre avec Dieu dans l’Éternité si nous nous appliquons à vivre avec lui dans le temps, en faisant toutes nos actions dans l’intention pure de lui plaire.

194 APOC. XIV, v. 13.

195 Sur le premier chapitre de l’Épître de Saint Paul aux Colossiens.

196 ROM. XIV, v. 17.

197 Peut-être ne serait-il pas inutile de rappeler ici au lecteur un principe fondamental de la religion, c’est que le grand moyen que Dieu, dans son divin conseil, a choisi pour sauver et rétablir l’homme dans l’état où il avait été créé, est l’immolation volontaire que Jésus-Christ a faite de tout lui-même sur la croix. Or l’application des mérites de ce sacrifice infini ne peut se faire en l’air, d’une manière imaginaire, et sans la participation de l’être auquel ce sacrifice doit être appliqué. Il faut nécessairement que de son côté le fidèle l’accepte par la foi, et qu’il s’offre tout entier en sacrifice vivant et saint, renonçant à l’amour propriétaire du moi ; et cette disposition de volonté et de désir est précisément la même que celle que Jésus exige de celui qui veut l’imiter lorsqu’il dit : Que celui qui veut venir après moi renonce à soi-même, se charge de sa croix et me suive (MATTH. XVI, v. 24).

Qu’on commente ce passage tant qu’on voudra, il est impossible de lui donner un autre sens que celui que je viens d’indiquer, son explication est claire et ne souffre aucune difficulté ; car sans cette disposition intérieure du cœur, de la volonté et des autres facultés de l’homme, il n’est pas possible qu’il puisse être mis dans l’état nécessaire et absolument indispensable pour que les mérites du sacrifice de l’homme-Dieu puissent lui être appliqués d’une manière virtuelle, et obtenir par-là d’être réintégré dans les droits primitifs de la triple vie de son être.

198 Quelle frappante contradiction dans la bouche de nos incrédules ! Peut-on appeler sage celui qui profère un blasphème, celui qui affirme plusieurs fois qu’il est le Fils de Dieu, le vrai Dieu, quand il ne l’est pas ? Ah ! ceux qui nient la divinité de Jésus-Christ ne l’ont appelé sage que par la puissante conviction de sa divine grandeur, à laquelle ils ne pouvaient résister.

199 La nature, la tradition, l’écriture révélée nous affirment que Dieu a voulu exprimer ses perfections dans ses ouvrages. Il s’était empreint dans l’homme, c’était une de ses révélations, et si l’ennemi n’y eût pas biffé l’empreinte divine, on y lirait toutes les opérations du Verbe, et on les lit, en effet, dans un homme régénéré par la grâce.

200 PS. XXXIV, v. 6.

201 JEANXXVII, v. 21.

202 Il est à remarquer que saint Paul présente la base fondamentale de toute religion, la divinité de Jésus-Christ, immédiatement après les versets 16 et 17, c’est-à-dire aux versets 18 et 19.

203 Parmi les preuves sans nombre qui établissent la divinité de Jésus-Christ, ne pourrait-on pas y compter la manière vraiment surprenante avec laquelle des milliers de pécheurs ont été consolés par l’assurance intérieure d’avoir obtenu grâce et miséricorde, dès l’instant qu’ils se sont tournés vers Jésus-Christ avec une foi vive et un entier abandon ? Serait-il possible que l’illusion seule et une imagination exaltée eussent pu produire sur des millions d’âmes des effets aussi prompts et aussi réels ? Combien de personnes accablées sous le fardeau de la malédiction et des vengeances de Dieu, et plongées dans le désespoir à cause de leurs péchés et de l’énormité de leurs crimes, se sont trouvées rassurées, tranquillisées, fortifiées par la foi au sauveur du monde, dès qu’elles ont imploré avec ardeur et constance le pardon de leurs péchés. Qu’on lise les vies des Saints, les biographies nombreuses des personnes de piété, les relations des missions chez les Païens, et on sera persuadé que des opérations aussi surprenantes et qui tiennent en quelque sorte du miracle doivent nécessairement avoir un principe surnaturel et divin.

204 Si dans le cours de cet ouvrage on trouve quelquefois des termes et des expressions qui ne soient pas d’un usage général ou commun, nous prierons le lecteur de considérer que tout comme les sciences, par exemple : la physique, la chimie, les mathématiques, etc., ont des termes qui leur sont consacrés pour exprimer en peu de mots le sens et les idées qui ne pourraient s’exprimer sans un long détail de paroles, de même la théosophie ou, si l’on veut, la théologie ascétique et mystique a bien aussi le droit de se créer des termes et des expressions qui rendent le sens de ce qu’on veut donner à connaître, sans avoir besoin d’une longue circonlocution pour répéter sa pensée. Au surplus il n’y a qu’une personne versée dans un art quelconque qui ait le droit de critiquer les expressions qui y sont employées. Celui qui ignorerait absolument la géométrie, aurait, par exemple, bien mauvaise grâce de chicaner un géomètre sur le terme de polyèdre qu’il aurait employé pour exprimer un corps solide à plusieurs faces.

Il y a encore une autre raison de la nécessité où l’on se trouve quelquefois de se servir de mots qui ne sont pas d’un usage commun. C’est lorsque quelqu’un a des expériences particulières que presque nul autre n’a éprouvées. Si un homme, par exemple, en parcourant des pays éloignés, eût vu des animaux, des plantes et des fruits de nature et de propriétés tout à fait différentes de ceux que nous connaissons, et que tâchant de nous en faire concevoir une idée exacte, il se servît de quelques termes nouveaux pour décrire ces objets, ainsi que leurs qualités, n’y aurait-il pas de l’injustice de tourner cela en ridicule, et devrait-on s’étonner de l’impossibilité qu’on trouverait à s’imaginer ces choses aussi vivement que lui, tant qu’on n’en aurait pas soi-même l’expérience ?

205 ROM. I, v. 29 et suiv.

206 PS. CXXVII, v. 1.

207 ROM. II, v. 7.

208 Voyez sur toute cette doctrine la déduction des principes sur lesquels elle est fondée et que nous avons exposée au long dans le tome Ier, discours XIII, depuis la page 259 à 286.

209 I. COR. III, v. 6.

210 Celui à qui l’on confie la conduite des autres, dit Saint Grégoire le grand dans son pastoral, doit être entièrement affranchi des passions de la chair, et mener une vie toute spirituelle. Il faut qu’il ait l’esprit au-dessus de la prospérité mondaine, qu’il ne craigne point les adversités, et qu’il ne se soucie que des choses intérieures, qu’il témoigne de la compassion pour les faiblesses et les péchés des autres, comme s’il en était coupable lui-même, qu’il mène une vie sainte et régulière, et qu’il s’accoutume à la prière.

211 Voyez, dans le tome premier de cet ouvrage, le discours XIII.

212 Le sacerdoce intérieur n’est dans le fond que la pratique du grand précepte de l’amour du prochain, qui découle par une conséquence directe de la loi royale de l’amour de Dieu. Car le précepte d’aimer son prochain comme soi-même nous impose nécessairement le devoir qu’après avoir travaillé à notre propre perfection, nous mettions tous nos soins à avancer le salut de nos frères.

C’est ici qu’on découvre le grand principe du gouvernement que Dieu exerce sur l’humanité entière, c’est que tons les nommes sont cautions solidaires les uns pour les autres. D’où il résulte que ceux qui sont arrivés les premiers à leur vraie destination doivent à leur tour travailler sans relâche jusqu’à ce que les autres soient sauvés. Et c’est pour favoriser et rendre plus facile l’exercice de cet amour désintéressé, que Dieu a mis dans l’âme de l’homme ces sentiments d’affection, de bonté, de commisération, de tendresse et de sensibilité, qui par une impression irrésistible l’entraînent, comme par force, à voler au secours de ses semblables, à moins que par une dépravation monstrueuse, il ait anéanti dans son cœur tous les germes des vertus morales. En admettant ces vérités, on pourra facilement concilier un grand nombre de passages des Saintes Écritures, qui sans ces principes présentent des contradictions manifestes et ne sauraient être ni compris ni expliqués d’une manière satisfaisante.

213 LUCXVIII, v. 7.

214 Sur le PS. CX.

215 MATTH. XXII, v. 44.

216 ACT. II, v. 36.

217 HÉBR. XXII, v. 44. Ces témoignages correspondants de David, de Jésus-Christ, de saint Pierre et de saint Paul, ne sont-ils pas d’un grand poids ? Mais toutes ces autorités sont en quelque sorte perdues pour ceux dont l’Écriture n’est pas capable de fixer le jugement, il leur faudrait des preuves d’une tout autre nature ; celles qu’on appelle a priori, ou de pur raisonnement, c’est-à-dire, des preuves indépendantes de toute révélation et de tout témoignage seraient peut-être plus propres a les frapper, puisque par elles on pourrait démontrer que toutes les perfections divines, sa bonté, sa sagesse et sa justice, sont directement attaquées et lésées si Jésus-Christ n’est pas le vrai Dieu, et il résulterait de cette démonstration qu’il n’y a que ces deux alternatives : ou il nous faut un Dieu Sauveur, vrai Dieu et vrai bomme, ou nous n’avons qu’à nous livrer au désespoir, puisque le vrai chemin pour être athée, c’est de nier la divinité de Jésus-Christ. Mais cette discussion délicate exige des développements qui ne sauraient trouver place dans une note.

218 PS. CII, v. 26 et suivant.

219 La doctrine du second avènement de Jésus-Christ, de ce règne de justice, de paix et d’abondance qu’il doit un jour établir sur la terre, se trouve enseignée dans la lettre de saint Barnabé. Les premiers pères de l’église étaient persuadés que cette lettre était réellement l’ouvrage du saint Apôtre dont elle porte le nom. On y lit les paroles suivantes : « Entendez ceci, mes enfants, le monde durera six mille ans, comme Dieu avait employé six jours à le former, et après ces six mille ans, le fils de Dieu paraîtra. Il viendra mettre fin au règne de l’iniquité, et juger les impies. Alors nous sanctifierons avec des mains nettes et un cœur pur le sabbath ou le repos parfait du septième jour..... Après que le Seigneur nous aura purifié de toute souillure, qu’il aura aboli l’iniquité, et que par un renouvellement entier il nous aura fait participer à la promesse, nous serons en état de sanctifier le jour de sonsabbath. Car le Seigneur, en bénissant le jour du repos, n’a pas seulement parlé des sabbaths ordinaires, mais aussi de celui dans lequel il entrera après avoir achevé tous ses ouvrages, et qui se termine au huitième jour, c’est-à-dire, qui commencera un nouveau cours de siècles » (Épître de saint Barnabé, No 15).

Ce règne dans lequel l’innocence et la félicité fleuriront sur la terre, après que le fils de Dieu en aura banni toutes les erreurs, toutes les misères, ce règne, dis-je, a été cru et enseigné par saint Irénée, saint Papias, saint Méliton, Tertullien et saint Justin. Ce dernier père assure même que de sou temps cette doctrine était celle de tous les chrétiens dont la foi était pure.

220 ÉSAÏELIII, v. 10 et 11.

221 Nous pourrions nous étendre dans l’explication de ce sublime passage, et montrer qu’il prouve admirablement bien le principe de la sacrificature intérieure à laquelle doit participer, en imitation du sacerdoce du Jésus-Christ, tout chrétien régénéré ; mais ayant traité cette matière fort au long dans plusieurs discours de cet ouvrage, nous ne croyons pas nécessaire d’en donner de plus grands développements.

222 Je prie le lecteur intelligent et qui a l’œil exercé pour pénétrer le sens prophétique des divines écritures, de méditer surtout, outre un grand nombre d’endroits des beaux cantiques du roi et prophète David, les psaumes XXIX, XXLVII, XCVII à C compris. Il y trouvera l’annonce des évènements extraordinaires qui précéderont l’établissement de cette mémorable époque. Il y découvrira avec admiration, et sous les figures les plus animées, des descriptions majestueuses et sublimes des merveilles qui formeront le caractère particulier du règne glorieux de Jésus-Christ sur la terre.

223 HÉBR. XII, v. 2. ROM. VIII, v. 17 et 18.

224 « C’est une chose bonne et digne de louange, dit le célèbre Tauler, de méditer la passion de notre Sauveur. Mais c’est une chose bien plus agréable à Dieu de suivre Jésus-Christ dans l’abaissement et l’humilité. Allez, allez, où vous voudrez, vous êtes appelé de Dieu pour le suivre, et il faut que vous portiez une croix, de quelque nature qu’elle puisse être ; si vous voulez en éviter une, vous en rencontrerez une autre, qui sera peut-être beaucoup plus pesante, et il n’y a point de sagesse humaine capable de vous en délivrer. Si vous voulez être disciple de Jésus-Christ, il faut que vous viviez dans les souffrances ; car le serviteur n’est pas plus grand que le maître, ni le fils que le père, ni le disciple que le maître, mais tout disciple est parfait quand il est semblable à son maître. » Institutions de Tauler, édition de Paris 1668, in-12, chap. IV, page 55 ; voyez aussi : Imitation de Jésus-Christ, liv. II, chap. XII, et Philosophie Chrétienne, tome Ier, page 387 et suiv.

225 Sur le psaume XLVIII, selon la vulgate.

226 I. COR. XI, v. 7 et passim.

227 En méditant avec attention ce psaume, il semblerait que le psalmiste avait principalement en vue de nous présenter le contraste et l’opposition de la sagesse divine avec la sagesse mondaine et charnelle. L’une qui ne tend qu’à nous unir à Dieu ; et l’autre qui ne cherche qu’à nous en désunir. L’une qui nous enseigne à avoir, pour but unique de toutes les opérations de notre esprit, Dieu et son amour ; l’autre qui ne travaille qu’à nous enchaîner à la vie des sens qu’elle considère comme son tout. L’une dont tous les soins sont de former des hommes pour le ciel comme fin et terme de leurs désirs ; et l’autre qui borne son activité aux choses périssables et terrestres.

228 La vulgate dit : La méditation de mon cœur enseignera des paroles de prudence. Le mot prudence se lie davantage avec la suite du discours. Car si David veut exprimer de grandes vérités, la prudence exige qu’il les communique avec précaution.

229 ÉSAÏEXI, v. 12.

230 Je sais que dans l’acception ordinaire du mot intelligence, on entend cette faculté de l’esprit qui pénètre et embrasse d’un coup d’œil et avec facilité le principe, la nature, les qualités, avec tous les rapports qui sont unis à l’existence d’un objet et d’un sujet quelconque. L’imagination présente l’objet, l’entendement le considère, et le jugement choisit et décide de ce qui est propre â faire atteindre un but ou à faire réussir un projet, il calcule et pèse les difficultés qui peuvent y mettre obstacle et indique en dernière analyse tout ce qui peut concourir à obtenir sur un sujet particulier le résultat qu’on désire.

D’après cette définition, on conçoit que l’intelligence reçoit sa lumière par l’opération combinée des diverses facultés spirituelles de l’homme, et il n’y en a peut-être aucune qui n’y concoure pour sa part. Après tout, l’intelligence pourrait obtenir des noms différents, suivant les différents objets sur lesquels elle s’exerce.

Celui à qui la nature a accordé une grande portion d’intelligence possède un trésor précieux et un guide assuré pour les objets de ce monde ; mais celui qui a obtenu de l’Esprit-Saint le divin collyre par lequel il peut pénétrer et découvrir les merveilles de Dieu et ses œuvres possède un don d’un prix infiniment supérieur ; car la sagesse d’en haut versé en lui une lumière qui ne procède que de Dieu, de sa grâce et de son amour. Elle lui donne une connaissance profonde des choses éternelles, elle éclaire son entendement, dirige son esprit et soutient son âme dans toutes les routes et les détroits pénibles que le chrétien doit passer pour arriver au terme de sa course.

231 Voyez tome Ier, Discours III, à partir du paragraphe commençant par « La lumière et l’amour... ».

232 ROM. VII. v. 19.

233 Ce qui est dit ici concerne l’état d’une âme déjà très avancée dans les voies intérieures, et ne saurait être compris que par ceux qui en ont fait l’heureuse expérience. Le manque d’expérience est l’une des grandes causes pourquoi on trouve tant de critiques amères contre les voies secrètes de l’esprit ; bien des gens qui ont quelque connaissance théorique des choses spirituelles se croient en droit de censurer ce dont ils n’ont fait aucune épreuve par eux-mêmes. Il faudrait être assez équitable et modeste pour ne juger que ce qu’on connaît d’une manière expérimentale, et s’abstenir de condamner ce qu’on ne sait que sur le rapport des autres et par les lectures qu’on a faites.

234 Et si fractus illabatur orbis impavidum ferient ruinae, Hor. Lib. III, Ode III.

235 PS. I.

236 ÉSAÏELXIV, 6.

237 COR. XIII, v. 1 et suiv.

238 Voyez Économie Divine dans la création de l’homme, par P. Poiret, tome II, ch. XV, pag. 392 et suiv.

239 I PlER. I. v. 18 et suiv.

240 APOC. II, v. 11.

241 La Vulgate dit : Vucaverunt nomina sua in terris suis, ils avaient appelé leurs noms dans leurs terres. Ceux qui traduisent selon l’Hébreux, disent : Ils avaient appelé leurs noms de leurs terres.

242 PS. X, v. 7.

243 PS. X, v. 5 et suiv.

244 EXOD. XXII, v. 5 et 15.

245 EXOD. XXXII, v. 28.

246 Il ne sera pas inutile d’observer que le prénom qui nous est donné au baptême est pour nous le type de celui que nous recevrons un jour, si, ayant été fidèles comme les patrons qu’on nous assigne, il nous est accordé une mesure abondante de l’Esprit-Saint et avec lui la pureté, la fidélité dans l’emploi des grâces de Dieu et la faveur de pouvoir manifester par la lumière de nos vertus les perfections divines. Celui qui croit fermement que l’œil de l’adorable Providence veille sur toute chose, n’a aucun doute que le choix qu’on a fait du nom qu’il a reçu n’ait été dirigé de plus haut pour lui servir d’instruction et devenir un motif d’encouragement à imiter la vie sainte de celui dont il porte le nom. Après tout, lors même que cette idée ne pourrait pas être prouvée à la rigueur, il restera toujours vrai qu’elle n’a rien en soi de dangereux.

247 JEANI, v. 13.

248 APOC. III, v. 1.

249 Ceci a été écrit au mois d’Avril 1823, lorsque l’Orient, l’Amérique et l’Espagne, etc., éprouvaient des mouvements et des renversements étranges.

250 PS. X, v. 12 et suivants.

251 Pour comprendre le véritable sens de ce mot, nous n’avons qu’à réfléchir qu’un habile et sage chirurgien n’hésite pas un instant d’amputer un membre gangrené, afin de sauver le corps ; sacrifiant sans balancer la moindre partie, pour sauver la plus noble. C’est ainsi qu’on peut prouver, en quelque manière, que depuis notre malheureuse chute, notre mort corporelle n’est pas seulement nécessaire, mais infiniment utile pour notre réhabilitation ; puisque par le sacrifice de notre vie qui est une expiation véritable, on accélère le dépouillement de tout le corps du péché, qui est le grand obstacle qui nous empêche d’arriver à la vie éternelle par les mérites infinis de Jésus-Christ notre divin rédempteur.

252 Au verset 5.

253 Il y a une jalousie spirituelle qui est une maladie de l’âme fort dangereuse, dont les personnes même d’une éminente piété ne sont pas toujours exemptes, laquelle causa des souffrances étonnantes aux âmes sincères qui désirent d’en être délivrées. Le saint prophète Asaph en était fortement atteint, lorsqu’il dit : Or quant à moi, mes pieds m’ont presque manqué, et il s’en est peu fallu que mes pas n’aient glissé. Car j’ai porté envie aux insensés en voyant la prospérité des méchants etc., etc.

Le meilleur remède pour être préservé de cette contagion, c’est la prière continuelle et une profonde humilité qui nous fait sentir que nous sommes indignes de posséder aucune grâce.

254 L’ignorance dans laquelle août la plupart des hommes sur la grandeur de leur origine est aussi la raison pourquoi ils ne connaissent pas leurs hautes destinées. Si on réfléchissait sérieusement au sens profond des paroles de l’apôtre saint Paul : que notre origine est divine, que nous sommes issus de l’éternelle essence, étant de la race de Dieu (ACT. XVII, v. 28), on serait persuadé que notre destination ne peut pas être moindre, et que nous devons être faits participants de la même nature divine, pour arriver à l’unité parfaite qui est notre fin dernière. Ce principe posé, quel aspect lumineux et quelle harmonie ne présentent pas les vérités révélées ? Toutes les erreurs qui sont la fatale cause des controverses éternelles tombent en ruines, et l’ensemble complet de la doctrine céleste de Jésus-Christ se présente à l’esprit dans sa ravissante et ineffable beauté. De ce point de vue, ne s’ensuivra-t-il pas comme une conséquence nécessaire que l’homme doit être épuré de tout ce qui n’est pas cette nature divine, s’il est vrai qu’il doit un jour parvenir à sa dernière destination ?

255 On peut lire sur ce sujet des choses fort instructives dans la Pratique de la vraie théologie mystique, 2 vol. in-8, Liège, 1709, pages 92 et 507.

256 Sur le Psaume I.

257 I COR. 1, v. 30.

258 ÉPHÉS. V, v. 13.

259 Un fruit excellent n’est ni la cause, ni le principe de la bonté de l’arbre, mais il en est l’effet et la preuve. De même ce n’est pas à cause des bonnes œuvres que le chrétien est justifié, mais il est rendu juste par les seuls et uniques mérites du sacrifice de Jésus-Christ, qui communiquent à l’âme qui l’accepte l’esprit qui habite en Christ. C’est par cet esprit que le fidèle est renouvelé dans toutes les parties de son être. Les œuvres que l’homme peut produire avant que d’être investi de l’esprit de Jésus ne sont que le pédagogue pour nous amener à la justice par la foi. Le chrétien arrivé à cet état est guidé dans toutes ses œuvres par un motif supérieur, plus spirituel et plus noble. Ce n’est pas la crainte de la loi qui le dirige, mais c’est la foi en Jésus-Christ son Dieu, son rédempteur et son frère qui est le ressort puissant de toutes ses actions. L’amour qui l’attache au Sauveur qui a tant souffert pour le racheter lui fait observer par reconnaissance tous les préceptes de l’Évangile de grâce. Ce n’est plus son propre esprit qui le dirige, mais c’est l’esprit consolateur qui l’anime et le fortifie dans le combat et dans toutes les épreuves qu’il doit soutenir.

260 PS. XXXVI, v. 9.

261 PROV. IX, v. 10.

262 PS. I, v. 1.

263 PROV. IV, v. 16.

264 « Fuyez, dit un auteur très-éclairé, toutes les compagnies dangereuses et inutiles, et tout attachement aux créatures quelques vertueuses qu’elles paraissent, lorsqu’elles peuvent vous détourner de Dieu et aveugler votre esprit ; car une âme qui veut aller à Dieu ne peut jamais faire trop attention sur soi-même et sur les personnes avec qui elle se lie. Souvent notre âme se souille, et notre conscience se charge de plusieurs fautes, là où nous espérons être instruits et consolés. C’est dans la retraite et dans la solitude que Dieu se laisse trouver plus aisément, quand les devoirs de notre vocation ne s’y opposent pas. C’est pourquoi aimez le recueillement et le silence, tenez-vous éloignés des hommes vains et dissipés ; cherchez de préférence les temps et les lieux où vous pourrez converser seuls avec Dieu, et fuyez non-seulement le tumulte du monde et les personnes bruyantes, mais encore la société de ceux dont toutes les inclinations sont courbées vers la terre. N’imitez pas la vanité et le faste des mondains, en vous conformant à leurs maximes sous le prétexte spécieux de les convertir. Je vous conseille en vraie charité d’être bon envers tous, mais de ne contracter aucune familiarité avec celui qui ne désire pas d’aimer Dieu de tout son cœur. Si vous êtes blâmé, en vous conduisant ainsi, répondez avec douceur et en peu de paroles, que vous êtes l’ami de tous ceux qui craignent Dieu et qui veulent marcher dans sa voie. Car celui qui veut converser avec toutes sortes de personnes s’expose à recevoir plusieurs blessures dangereuses. »

Voyez Miroir de la perfection Chrétienne, où l’on fait voir comment l’homme doit se tourner vers Dieu. Amsterdam et Cologne, 1714, chap. XV.

265 PS. CI, v. 2 et suiv.

266 PS. IV, v. 22.

267 Dieu n’est si sévère contre l’iniquité que parce que la loi éternelle de sa sainteté absolue l’y oblige. Il veut que sa volonté soit accomplie, et ce n’est que par son accomplissement que l’homme peut rentrer dans l’ordre de la création.

La souveraine volonté de Dieu est une équité absolue, une perfection sans borne. C’est donc une injustice que de s’opposer à ce que cette volonté soit faite ; y résister ou y contrevenir, c’est se rendre coupable de rébellion. Dès lors l’éternelle justice de Dieu réclame ses droits et exerce sa sévérité contre tout ce qui est opposé à sa pureté infinie ; elle repousse et empoche qu’une volonté étrangère prévale sur la sienne. Voilà la cause pourquoi le pécheur ne peut avoir la paix, qui accompagne toujours une conscience pure et remplit de joie le fidèle observateur de la loi divine ; nais le trouble et l’angoisse est le partage de l’âme qui méprise la voix de son Créateur et de son Dieu.

268 PS. XXXVII, v. 36.

269 Le roi prophète est très-énergique lorsqu’il peint l’esprit et les mœurs de son siècle ; mais s’il vivait dans le nôtre, quel tableau n’en ferait-il pas ? Ne dirait-il pas que toute morale est pervertie et que tous les principes sont niés ou discutés ? On ne répond que par l’amère ironie ou le sarcasme lorsqu’on présente les vérités les plus importantes. On ne trouve que de l’imagination au lieu d’une raison solide et éclairée, de la légèreté habituelle au lieu d’une application soutenue, un égoïsme outré au lieu d’une générosité bienveillante. L’insubordination se répand dans toutes les classes, l’esprit de l’indépendance tend généralement à désunir et les familles et les États. Une jalousie universelle comme une horrible gangrène menace de tout dévorer. L’insatiable cupidité se montre à découvert pour s’approprier des biens dont elle veut abuser. Le bien est appelé mal, et le mal bien ; la lumière est appelée ténèbres, et on prend les ténèbres pour la lumière. Les noms des vices et des vertus ont changé de signification : l’injustice est appelée adresse, la volupté la plus dégoûtante est nommée gentillesse et amusement. Des gens instruits et des hommes se disant philosophes osent justifier leurs paradoxes par des sophismes aussi dangereux qu’illusoires. En un mot, la concupiscence, les plaisirs illicites, l’orgueil effréné et l’ambition qui consume tout sont les seules divinités qu’on adore dans tous les États.

270 PS. L, v. 15 et seq.

271 ÉSAÏE.

272 JÉR. XVII, v. 8.

273 ÉZÉC. LVII, v. 12.

274 Sondez les écritures, nous dit Jésus-Christ, car vous croyez par elles obtenir la vie éternelle. Combien cette exhortation est utile et nécessaire. Jamais on ne lit les Saintes Écritures avec un esprit d’humilité et de prière qu’on n’en reçoive des avantages infinis. Oui, hommes de bon désir, lisez, voyez et goûtez combien est grand, puissant et bon notre Créateur et Sauveur, et combien surtout la grâce qui nous sauve et qui nous régénère ajoute au bienfait de la création. Ô richesses de l’amour, vous êtes incompréhensibles ! les soins que vous prenez pour instruire vos enfants n’ont point de bornes. Ô parole de lumière et de vie, vous contenez tout, vous renfermez tout, vous êtes un trésor inépuisable ! Que de sujets dignes de notre admiration, de notre amour et de notre louange ne trouverions-nous pas dans nos livres saints, même sur des matières qui surpassent la portée de notre intelligence, si nous les lisions sans préjugés et sans abonder dans notre propre sens. Nous y verrions notre céleste origine, la grandeur de notre destinée, les titres de notre gloire future et les richesses de l’héritage céleste qui nous est réservé dans les cieux. Nous y découvririons le chemin qui y conduit et les divers obstacles que nous avons à vaincre pour y arriver. Mais hélas ! la plupart des hommes repoussent tout ce que leur conception bornée ne peut saisir ; et malgré qu’on se glorifie de posséder la lettre qui tue, l’esprit reste voilé et dans les ténèbres ; les sceaux de ce livre divin ne se brisent pas ; le cœur n’est point réchauffé de la chaleur vivifiante qu’il renferme. C’est ainsi que notre orgueilleuse raison, ce fanal trompeur, à l’aide de la fausse science, obstrue les canaux que la divine sagesse avait formés pour se communiquer à nous, et nous apprendre à l’aimer, à la louer, à la bénir pour les immenses témoignages de sa charité.

275 ROM. XI, v. 36.

276 La purification radicale est l’opposé de la purification superficielle. La différence de l’une avec l’autre se fera mieux sentir par une comparaison que par des longs raisonnements. Par exemple, une masse d’or qui aura été salie par l’attouchement ou par le contact d’autre corps souillé se nettoiera sans peine si on enlève l’impureté de sa surface ; mais si le métal contient dans son essence des parties hétérogènes, la seule ablution superficielle ne suffira pas pour l’en délivrer ; mais pour le purifier radicalement, il faudra le dissoudre au creuset, en y mêlant du plomb qui attirera à soi les scories, ou toute autre impureté, afin qu’il les précipite avec lui au fond du creuset. Il ne restera alors sur la surface que l’or pur, dégagé de toutes matières étrangères, lesquelles auront été consumées par l’ardeur du feu. D’après ce qu’on vient de dire, il sera aisé d’appliquer par analogie cette comparaison à la manière dont Dieu sanctifie les âmes, car il se sert de la sagesse pour les purifier, comme on se sert du feu pour purifier l’or. En effet, le chrétien ne doit pas seulement posséder une pureté superficielle, qui consiste dans une conduite honnête et moralement bonne, mais une pureté radicale, c’est-à-dire, un changement total d’inclination, de goûts et de motifs.

On comprend par-là que si l’âme doit être unie à son Dieu, il faut que la sagesse, accompagnée de la divine justice comme un feu impitoyable et dévorant, lui ôte tout ce qu’elle a de propriété, de terrestre, de charnel et de propre activité. Ce qui ne peut se faire par la seule industrie de la créature ; au contraire, elle le souffre même avec peine, parce que l’homme aime toujours son propre opérer, et il craint si fort la destruction de son moi propriétaire, que si Dieu ne l’opérait lui-même et d’autorité, il n’y consentirait jamais.

277 L’amour est pour les intelligences dans le monde moral et intellectuel ce que le soleil est pour les corps dans le monde physique et matériel. Qu’on suive cette idée et on trouvera une analogie parfaite de l’un avec l’autre.

278 CANT. VIII, v. 6.

279 Dès les temps les plus anciens, des esprits contentieux glacés par le froid de la mort osèrent s’ériger en juges de ce qu’ils ne pouvaient goûter, et blâmer les saillies et l’extase de l’amour divin. S’élevant en critiques amers contre les expressions et le langage d’un cœur qui converse avec son Dieu, ils ne craignirent pas d’en inférer les conséquences les plus désastreuses. Serons-nous étonnés après cela que lorsque ce feu si beau, si brûlant et si fort de l’amour de Dieu a voulu se réclamer et prendre son essor dans les cœurs, ces mêmes esprits inquiets et contentieux aient été si prompts à sonner l’alarme pour étouffer les effets surprenants de la vie de Dieu, qui semblent vouloir se faire jour malgré les obstacles qu’on lui opposait ?

C’est ainsi qu’un grand nombre d’auteurs éclairés de l’esprit de Dieu et qui ont écrit par sa motion sur les matières spirituelles et spécialement sur l’amour divin ont été injustement persécutés et qualifiés d’enthousiastes. Mais les ennemis des voies intérieures, entêtés de leur savoir et privés des expériences que donne la flamme sacrée de l’amour, feront-ils valoir leurs titres, leurs dignités, leurs études et leurs sciences pour arrêter l’œuvre de Dieu ? Non, certes, tous ces avantages sont nuls au tribunal de la vérité éternelle, et malheur à ceux qui résistent à Dieu et qui tordent à leur propre condamnation des écrits inspirés par l’esprit de grâce et d’amour.

280 PS. L, v. 23.

281 La religion réelle est esprit et vie, et son action n’est pas celle d’un automate qui ne se remue que par ressort.

282 Ô amour céleste, s’écrie Saint François de Sales, que vous êtes doux à nos âmes ! Béni soit la bouté infinie qui nous commande de l’aimer, comme si l’amour qu’on exige de nous n’était pas tout ce que nous devons désirer, tout ce qui peut faire notre bonheur, et sans quoi nous ne saurions manquer d’être malheureux ; voyez Traité de l’amour de Dieu, de cet auteur. Lib. X, chapitre I. Ibid., chapitre III. Ibid., chapitre V.

283 SOPH. I, v. 12.

284 ROM. VII, v. 3.

285 Voyez le Traité de l’oraison du cœur et de la foi, chap. VI, p. 22.

286 Voyez la Science du Christ et de l’homme, tome III, page 170.

287 Non-seulement l’homme tend à être délivré de cette servitude, mais encore toutes les créatures sont comme dans un travail continuel, aspirant à être affranchies de l’esclavage de la corruption. Mais quand est-ce que se réalisera cette délivrance ? C’est lorsque la gloire des enfants de Dieu sera révélée. C’est par l’homme que les créatures devaient remonter, s’il eût été fidèle ; c’est par lui qu’elles auraient été dégagées de ce qui est vain et inutile, de cette enveloppe de corruption qu’elles reçurent au sortir du chaos où elles avaient été précipitées, pour avoir adhéré dans leur mesure à la première révolte. C’est sous cette enveloppe de corruption qu’elles peuvent expier cette adhérence ; et ce n’est que lorsque les hommes eux-mêmes réparés auront regagné, par les mérites de Jésus-Christ, le point d’où ils sont descendus ; ce n’est que lorsque les enfants de Dieu seront renouvelés que pourra commencer le retour des créatures et qu’elles seront délivrées de la servitude de la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire. Car il y a, pour les créatures qui sont sous la dépendance de l’homme, une gloire à laquelle elles sont appelées, mais que la chute de l’homme a retardée. Dès-lors, quels reproches les créatures n’ont-elles pas à faire à l’homme si cruel et si injuste à leur égard ? Est-il étonnant que la rage des uns, la férocité et le venin des autres, qui est nécessairement l’expression de leur tache d’origine, aient fait si fréquemment contre l’homme des irruptions funestes ? Que de choses à dire sur cet intéressant sujet, mais il suffit pour notre but, de l’avoir indiqué.

288 Dieu ne tue point pour laisser dans la mort, mais pour donner une vie nouvelle.

289 PS. CXXXI, v. 1 et suiv.

290 « C’est sans doute une occupation très-sainte, dit saint François de Sales, que de bénir Dieu et de le remercier de tous les évènements que sa Providence ordonne. Mais si tandis que nous laissons à Dieu le soin de vouloir et de faire en nous, de nous et autour de nous tout ce qu’il lui plaît ; si tandis que nous recevons et sentons les effets de la volonté divine, nous pouvions, sans être attentifs à ce qui se passe et à ce que nous éprouvons, mettre toute l’attention de notre Esprit et de notre cœur en la bonté infiniment aimable de Dieu, pour la bénir, non dans les effets qu’elle ordonne, mais en elle-même et dans sa propre excellence, cet exercice serait sans doute beaucoup plus parfait, plus noble et plus digne de Dieu. »

Le lecteur est prié de lire lui-même le touchant exemple d’un enfant malade que saint Fr. de Sales a cité pour prouver combien la confiance filiale a d’avantage sur la sollicitude mercenaire pour nous attirer les regards favorables du notre père céleste. Voyez Traité de l’amour de Dieu, livre IX, chapitre XV.

291 PS. LXXXI, v. 1 et suiv.

292 PS. CVII, passim.

293 Ce n’est pas la simple croyance à la lettre de l’Écriture Sainte, qui le plus souvent n’est qu’une foi stérile, mais c’est une foi vivante qui nous fait aller à Christ pour être délivré d’une nature infectée par le péché. C’est une foi active qui nous fait avoir faim et soif de la justice, qui nous fait aspirer à l’esprit de Jésus, comme à celui qui peut seul déraciner en nous tous les germes de corruption et nous délivrer des liens de la mort. C’est une foi ferme produite et nourrie par la charité qui imprime dans notre âme une conviction entière que ce n’est que par Jésus et en Jésus que nous retrouverons la vie et l’immortalité, et qui fonde en nous cette confiance inébranlable qui ne saurait être anéantie par aucune épreuve. Voyez aussi : l’Esprit de la vie et de la doctrine de Jésus-Christ, exprimé dans l’ancien et le nouveau testament, tome II, pag, 110 et suiv.

294 ROM. XI, v. 1.

295 ROM. VIII, passim.

296 C’était la pensée et la disposition d’un pauvre berger, dont le célèbre docteur Tauler fit la rencontre et avec lequel il eut le dialogue suivant : Le docteur. Mon ami, je vous souhaite le bonjour. Le berger. Je vous suis obligé du bonjour que vous me souhaitez, mais je n’en ai jamais eu de mauvais. Le doct. Je prie le Seigneur de vous donner non-seulement un jour heureux, mais toute la vie. Le berg. Je l’ai eu telle jusqu’à présent, grâces à Dieu. Le doct. Comment, mon ami, vous n’avez jamais eu de mauvais jours depuis que vous êtes au monde ? Votre état est triste et vous donne à souffrir. Le berg. Je puis tous assurer que tous mes jours sont heureux et que rien jusqu’à présent, grâces au ciel, n’a troublé la paix de mon âme. Le doct. Expliquez-vous un peu plus je vous prie, dites-moi comment vous entendez ce que vous me dites ? Le berg. Je l’entends peut-être mal, mais puisque vous le voulez, voici comme je pense : Je me dis à moi-même, le bon Dieu règle tout dans ce monde, il est notre maître et notre père, il ne veut que notre bien ; ainsi dans tout ce qui arrive, je regarde sa sainte volonté et je m’y conforme en tout, je reçois comme un bien tout ce qui m’arrive, parce que Dieu le permet, et la consolation que j’ai de faire sa sainte volonté me rend véritablement heureux ; enfin, je veux en tout ce que Dieu veut, je m’en tiens là, assuré qu’il ne permettra rien que pour mon plus grand bien. Le doct. Vous avez raison, la volonté de Dieu doit être accomplie en tout, mais si Dieu voulait en ce moment vous précipiter en enfer, que feriez-vous ? Le berg. Je sais que Dieu ne le veut pas ; en tout cas, j’ai deux bras, je le serrerais si étroitement que je le tirerais avec moi, et si j’étais avec Dieu, je serais en paradis.

297 ROM. V, v. 7 et suiv.

298 ROM. VIII, v. 30 et suiv.

299 ÉSAÏELV, v. 1.

300 Il est impossible que le chrétien sans épreuve et sans tentation puisse être rendu conforme à son divin chef, puisque ce n’est que par cette voie qu’il a été consommé, qu’il est arrivé à la gloire, et qu’il a obtenu à ses disciples la grâce de pouvoir imiter leur maître et d’être rempli de son esprit et de sa vie. Voyez Philosophie divine, tome II, liv, IX, chap. V.

301 Toute la vie du vrai disciple de Jésus-Christ est une carrière de souffrances. C’est par là qu’ont marché tous les saints auxquels Jésus-Christ, notre divin chef, a servi de flambeau ; c’est pour cette raison que nous devons tous l’envisager comme l’auteur par lequel cette doctrine de la croix est entrée dans le monde, et le considérer comme le terme et la fin où elle doit nous conduite. Mais pour y arriver comme lui, nous devons suivre ses pas, aimer ce qu’il a aimé, rechercher ce qu’il a recherché, pratiquer ce qu’il nous a si fort recommandé, qui consiste à renoncer à nous-mêmes, à charger notre croix et à l’imiter dans la route de la patience dont il est le modèle le plus accompli.

302 L’expérience est le grand maître de la vie spirituelle. Qu’on le remarque donc bien, la religion du cœur ne s’apprend pas seulement dans les livres, dans les pratiques extérieures, mais plutôt par l’expérience ; et celui qui a le plus d’expérience a le plus de religion, et celui-là a le plus de religion qui est le plus semblable au modèle divin qui nous a été donné, Jésus-Christ.

303 Il y a bien des sortes de passiveté : il y a une passiveté mixte, mêlée d’activité et de repos, et une passiveté pure ou absolue, où Dieu seul opère dans l’âme, et, dans ce temps, l’âme ne fait que souffrir l’action ou l’opérer de Dieu. L’Écriture, en disant que c’est en vain que l’homme travaille à construire la maison si le Seigneur n’édifie lui-même (PS. CXXVII, v. 1), ne blâme pas le travail et l’activité bien ordonnée pour le salut, surtout dans la voie active ; ce que l’Esprit Saint reprend par la bouche du prophète, c’est le travail de la propriété qui satisfait l’amour-propre de l’homme. C’est un travail qui est en opposition avec l’opération divine, seule efficace et fructueuse, puisqu’il n’y a qu’un Sauveur pour tous les hommes et un salut qu’il s’est réservé d’appliquer lui-même et d’accorder non à l’activité seule de l’homme, mais au consentement par lequel il veut bien souffrir l’opération de Dieu en son âme. Ainsi il y a un travail mais un travail passif auquel le repos divin est accordé. Cette passiveté est douloureuse, on y mange le pain de la douleur, c’est une passiveté prompte à obéir, car les âmes qui en sont là volent sans résistance où Dieu les appelle ; voilà une vraie passiveté, mais soumise, mais obéissante, qui ne contredit en rien à l’opération divine, qui, au contraire, concourt avec elle et y sert, et voilà ce qu’il faut croire pour entrer dans les voies du Seigneur.

304 ÉSAÏELXVI, v. 2.

305 APOC. VII, v. 12.

306 Si l’homme ne peut pas vaincre toutes ses passions et faire naître les solides vertus dans son cœur sans le secours de l’Esprit de Dieu, il doit l’implorer avec ardeur et avec humilité : voilà le fondement de la prière. On ne sera peut-être pas fâché à ce sujet de trouver ici une comparaison entre les sentiments d’un sage païen et d’un philosophe du dernier siècle.

Nombre de nos philosophes modernes, à la tête desquels je place J. J. Rousseau, s’imaginent que l’homme n’a pas besoin du secours divin pour se rendre vertueux. Selon lui, en mettant notre raison aux prises avec nos passions, elle les vaincra complètement, et notre volonté aura seule l’honneur de la victoire. Voici comment il s’exprime à cet égard dans son Émile : « Je bénis Dieu de ses dons, mais je ne le prie pas ; que lui demanderais-je ? Qu’il changeât pour moi le cours des choses ? Non, ce vœu téméraire mériterait plutôt d’être puni qu’exaucé. Je ne lui demande pas non plus le pouvoir de bien faire : pourquoi lui demander ce qu’il m’a donné ? Lui demanderais-je de changer ma volonté ? Ne serait-ce pas alors lui demander ce qu’il me demande lui-même, ne serait-ce pas vouloir qu’il fasse mon œuvre ? »

À ce raisonnement d’une philosophie orgueilleuse, j’opposerai le pieux langage d’un sage païen que j’ai choisi pour lui faire contraste. Hiéroclès, en commentant ces deux vers dorés de Pythagore : Ne mets la main à l’œuvre qu’après avoir prié les Dieux d’achever ce que tu vas commencer, les explique en ces termes : « Pythagore décrit en deux mots les deux choses qui concourent à nous faire obtenir les vrais biens. Ces deux choses sont : le mouvement volontaire de notre âme et les secours du ciel ; car quoique le choix du bien soit libre, et dépende de nous, cependant nous tenons de Dieu cette liberté et ce pouvoir ; nous avons continuellement besoin que Dieu nous aide, qu’il coopère avec nous, et qu’il achève ce que nous lui demandons. Car la prière est un milieu entre notre recherche et le don de Dieu. Elle s’adresse à la cause qui nous a produits, et qui, après nous avoir donné l’être, nous donne aussi le bien-être.

» Or comment quelqu’un recevra-t-il ce bien-être si Dieu ne le donne ? Et comment Dieu qui seul peut le donner le donnera-t-il à celui qui, étant le maître de ses mouvements, ne daigne pas seulement le demander ? C’est pourquoi Pythagore, dans ces deux vers, nous porte à demander ce que nous faisons, et à faire ce que nous demandons, afin que d’un côté nous ne priions pas seulement, mais que nous appuyions nos prières de la pratique, et que, de l’autre, nous ne nous confiions pas non plus entièrement dans notre action, mais que nous demandions aussi pour elle le secours du ciel, et que nous joignions ainsi la prière à notre bonne activité, comme la forme à la matière.

» Comment pourrait-il y avoir quelque chose de beau dans tout ce qui n’est pas fait selon la règle de Dieu ? Et comment ce qui se fait selon cette règle n’aurait-il pas besoin du secours de ce même Dieu pour s’accomplir et pour exister ? Car la vertu est l’image de Dieu dans l’âme raisonnable : or toute image a besoin de l’original pour exister ; mais c’est inutilement que nous possédons cette image si nous n’avons continuellement les yeux attachés sur cet original dont la ressemblance seule fait le bon et le beau.

307 On peut consulter l’excellent traité qui a pour titre De l’oraison du cœur et de la foi, publié à Londres, in-8o, par M. B. S. J....... On ne consultera pas non plus sans utilité l’ouvrage intitulé Voies de la vérité à la vie, in-12, 1795, page 12 et suivantes.

308 Toutes les actions du chrétien qui aime Dieu doivent être accompagnées et rendues fécondes par la prière, et par la prière continuelle ; car l’oraison n’est que la manifestation de l’amour qui anime le cœur de celui qui aime ; et celui qui connaît Dieu ne peut cesser de l’aimer ; il s’occupe de Lui, s’entretient avec Lui ; et s’il en est ainsi, l’oraison peut-elle manquer d’être incessable ?

On peut comprendre ici en quoi consiste la véritable différence de la prière et de l’oraison. Par la prière, on entend toutes celles qu’on appelle vocales, soit celles qui se font en public, dans les églises, soit celles qui se font en famille, ou que chaque homme peut réciter en son particulier ; c’est une démonstration extérieure de ce que l’Esprit pense et de ce que le cœur désire. Or notre Esprit peut penser et notre âme peut être embrasée d’un désir très-ardent sans que ses mouvement secrets et intimes soient rendus sensibles par des actes extérieurs.

C’est à cette occupation intérieure que l’on donne le nom d’oraison, qui est la seule qui puisse être continuelle, puis qu’il est impossible que la prière vocale et méditative puisse être exercée sans interruption par la même personne.

309 Pour répandre plus de clarté sur ce sujet, nous dirons avec l’Apôtre Saint Paul que Dieu exauce toujours ce cri du cœur et ces gémissements inénarrables, parce que Dieu lui-même par son Esprit de grâce et de supplication nous pousse, nous meut à lui demander ce qu’il sait nous être le plus salutaire et qu’il a dessein de nous accorder, pour nous purifier de nos souillures, nous rendre agréable à ses yeux, nous unir à lui et consommer ainsi l’œuvre de notre sanctification.

310 I. PIER. I, v. 18.

311 HÉB. XI, v. 20.

312 ROM. VIII, v. 14.

313 Pour être un homme d’oraison, il faut cheminer dans la vie de l’Esprit, et on ne peut cheminer dans la vie de l’Esprit si on ne meurt continuellement à la vie des sens qui lui est opposée, ou du moins si on ne combat leurs goûts et leurs appétits déréglés. L’Esprit de prière ne saurait ni s’établir, ni se conserver sans une fidélité constante à mortifier tout ce qui tient à la sensualité. Et c’est là la vraie cause pour laquelle on trouve si peu d’hommes d’oraison.

314 EXODEIII, v. 4 et suivants.

315 PS. VIII, v. 5.

316 On n’a qu’à ouvrir les annales de l’Église pour trouver la preuve de cette vérité. Dès que quelqu’un s’adonnait à l’oraison de foi et d’amour, qu’il l’enseignait aux autres, il devenait le but et le blanc de la persécution. Le démon peut tout souffrir, excepté l’esprit de prière et d’humilité, parce qu’elle est le grand moyen de nous approcher de Dieu, de faire mourir en nous nos passions, l’amour propre, d’éloigner nos ennemis spirituels, d’attirer en nous l’esprit de grâce et de vérité qui est le vrai et sûr guide pour conduire l’homme à la perfection. J’en appelle à l’expérience de toutes les âmes qui ont sincèrement travaillé à acquérir l’oraison mentale. N’ont-elles pas eu bien des obstacles à vaincre avant que d’avoir remporté la victoire ? Prier sans cesse et avec humilité, être humble en priant, voilà ce qui met en fuite tous les vices et tous les démons qui font la guerre à notre âme.

317 LUCXI, 9 et 13.

318 Il faudrait transcrire un très-grand nombre de passages des saints livres si on voulait rappeler ici tous ceux qui ont quelque rapport à la prière. Mais il ne suffirait pas de les rapporter seulement, il faudrait encore les ranger dans leur ordre naturel : car les uns nous enseignent la nécessité et l’urgence de la prière ; les autres, les grands motifs qui doivent nous y porter, les avantages qu’elle nous procure ; d’autres encore nous peignent les obstacles, les difficultés sans nombre qui s’opposent à ce divin exercice ; d’autres enfin nous tracent la manière, les formules et les diverses méthodes de prier ; mais la meilleure méthode pour un chacun sera toujours celle de prier comme il peut et de répéter sans cesse avec les disciples de Jésus-Christ : Seigneur, enseignez-nous à prier. Voyez le livre cité ci-dessus sur la manière de vaquer à l’oraison mentale ; et dans le traité, voyez De la vérité à la vie, page 21.

319 LUC XVII, v. 1.

320 ISAÏEVI, 3, et APOC. V, 12.

321 ACT. XVII, v. 25.

322 PS. CXXXIX, v. 7, et passim.

323 APOC. III, v. 20.

324 Le docteur Courbon, de qui on a plusieurs ouvrages sur la vie intérieure, a écrit un excellent traité sur ce sujet, sous le titre de Pratiques pour se conserver en la présence de Dieu. Ce traité a eu le plus grand succès, et se réimprima fréquemment sous le simple titre De la présence de Dieu. La dernière édition est de 1812, in-18. Mais rien n’est comparable à l’Instruction chrétienne pour vivre en la présence de Dieu, publiée en 1766, en 2 vol. in-8o. Monsieur Le Franc, dans sa Méthode pour converser avec Dieu, et le P. Gonnelieu, dans son traité sur La présence de Dieu, ont dit d’excellentes choses qu’on ne peut lire sans édification.

325 GEN. V, v. 24.

326 GEN. XVII, v. 1.

327 PS. V, v. 4.

328 PS. XVI, v. 8.

329 PS. XXV, v. 15.

330 PS. XXVII, v. 8.

331 Idem,CV, v. 4.

332 LUC I, v. 74.

333 ACT. X, v. 2.

334 On lira avec plaisir quelques-unes de ces sentences, par lesquelles on verra que Dieu même les avait gravées dans l’âme de ces sages qui savaient consulter leur conscience.

« Dieu n’a besoin de rien, dit Sextius, et l’âme du fidèle n’a besoin que de Dieu. L’âme d’une personne pieuse est le temple sacré de Dieu ; et le cœur pur et sans péchés est son divin autel. Tiens pour perdu le temps qui s’est passé sans penser à Dieu. Que ton corps marche sur la terre ; mais que ton âme converse avec Dieu. L’âme du sage est toujours auprès de Dieu, et Dieu habite dans son cœur. La foi élève l’âme de la terre à Dieu. L’âme du sage écoute Dieu. Dieu la dispose et se la rend propre, et elle est toujours avec Dieu et se conforme à lui, et Dieu suit son âme, et se conforme à elle. Souviens-toi en toutes tes actions que tu réclames Dieu pour ton père. Avant que d’entreprendre quoi que ce soit, pense à Dieu, afin que sa lumière précède tes actions. L’âme est illuminée par le souvenir de Dieu. Quoique tu fasses, ayez toujours Dieu devant les yeux. Commence tout ce que tu fais par l’invocation de Dieu, et que sa pensée et son nom te deviennent plus fréquents et plus naturels que la respiration. Invoque-le comme présent à tout. Accoutume-toi à regarder toujours Dieu présent ; le regardant, tu le verras, et en le voyant, ton âme deviendra semblable à lui.

» Vous vous gouvernerez sagement et justement, dit Platon, si vous vous regardez toujours dans la divinité, dans cette lumière resplendissante, seule capable de faire connaître la vérité ; car vous regardant dans cette lumière, vous vous verrez, et vous connaîtrez vos véritables biens. Mais si vous vous gouvernez injustement, et qu’au lieu de regarder la divinité et la véritable lumière, vous regardiez dans ce qui est sans Dieu et plein de ténèbres, vous ne ferez que des œuvres de ténèbres. » Voyez Xysti philolophi Enchiridion, seu sententiae piae, etc. in-4o, Bâle 1516, et Platon dans son dialogue intitulé le premier Alcibiade.

335 LUCXVII, v. 1.

336 JEANXIV, v. 23.

337 Toute la doctrine répandue dans ces discours est fondée sur un principe immuable, sur la loi éternelle, que notre âme est une émanation de Dieu, que sa racine est en Dieu. Or, pour que cette âme soit heureuse, il faut qu’elle revête les qualités de son origine ; parce que Dieu considéré en lui-même étant la source infinie, incompréhensible de toute béatitude, peut seul donner le bonheur à l’âme, combler tous ses besoins et la remplir de toute espèce de délices. Mais si cette âme est encore désunie de Dieu, elle éprouve alors un attrait continuel dont l’activité et la force lui procurent un état d’angoisse, jusqu’à ce qu’elle soit réunie à ce principe béatifiant, qui est Dieu. Nous devons donc attirer en nous par le désir et la prière continuelle la vie divine, cette eau céleste et rafraîchissante qui seule est capable d’étancher la soif immense de notre âme, et remplir toute sa capacité, avec toutes les propriétés sensibles qui la constituent.

338 JEANIII, v. 8.

339 PROV. XXIII, v. 26.

340 Tous les saints pères de l’Église ont trouvé dans le cantique des cantiques la description du commerce divin que Jésus-Christ entretient dans l’âme qui est devenue son épouse, ainsi que le tableau de l’union sacrée qui en est le bienheureux terme. C’est l’Esprit de ce divin livre que nous avons cherché à exprimer dans ce qu’on en expose ici, où on trouve dépeints les effets de la présence de Dieu dans l’âme fidèle.

341 Cette doctrine que quelques théologiens de nos jours, et même peut-être de ceux qui montrent le plus de zèle pour la religion, taxeront d’outrée et de mystique est néanmoins autorisée par une foule d’auteurs de tous les siècles qui l’ont enseignée dans leurs écrits et se trouve confirmée par un grand nombre d’âmes saintes qui l’ont pratiquée pendant toute leur vie. Il faudrait des traités entiers pour les rapporter, on ne citera que le passage suivant. Celui qui désire, dit le savant et pieux Jean Tauler, de mener une vie véritablement libre doit demeurer comme les apôtres dans la cité de Jérusalem, c’est-à-dire, dans un séjour de paix où, éloigné du péché et des affections déréglées pour les créatures, il puisse sans obstacles élever son esprit à Dieu, et ayant sans cesse les yeux attachés sur lui, suivre les mouvements et les inspirations qu’il lui donne ; où enfin il ait toujours ses désirs tournés vers lui et soit continuellement appliqué â faire tout pour son service. Le vrai juste est celui qui possède effectivement Dieu et qui le voit sans cesse en tout lieu et en toute rencontre aussi présent devant ses yeux que dans le sanctuaire et dans la solitude. C’est qu’il adore véritablement Dieu en Esprit et en vérité. Ah ! il ne se met pas en peine de l’aller chercher bien loin, puisqu’il peut le trouver PRÉSENTau milieu de son cœur, qu’il est plus proche de nous que nous le sommes de nous-mêmes, et qu’il est le conservateur de nous tous ; et, pour ainsi dire, l’essence de notre essence.

Cherchez donc Dieu, aimez-le, et vous le proposez en toutes vos actions, accoutumez-vous à commander à votre esprit, afin d’avoir EN TOUT TEMPS ET EN TOUT LIEU DIEU PRÉSENT à votre cœur et à votre esprit. Voyez ses Institutions, Paris 1665, in-8o, chap. XVI, page 199 et suiv.

342 Combien ils sont rares les vrais directeurs des âmes ; sur dix mille, dit l’Écriture, à peine s’en trouve-t-il UN. Le directeur éclairé de l’Esprit de Dieu a peu à faire ; il n’a qu’à détruire les obstacles, empêcher que l’on ne s’arrête, et montrer la route de l’intérieur et la fidélité aux plus simples mouvements de la grâce. Car ce n’est point le directeur qui fait faire le chemin et donne des lois, du moins celui qui ne se cherche point soi-même : il conduit droit à Dieu ; il tâche de marquer à l’âme ce que Dieu veut d’elle, et le plus sûr moyen de découvrir ses volontés. Sur toute chose, il doit la porter à se dégager de toute attache, afin de ne tenir à rien. Il lui montre les dépouillements ; mais il abandonne au Seigneur tout le reste. Il se contente de montrer le sentier, assuré qu’il est que Dieu y conduira. Il ne devance jamais l’opération de la grâce ; mais il ne fait que la suivre pas à pas. Il use de force quand il le faut, et de ménagement de même ; mais il se garde bien de vouloir dominer sur l’héritage du Seigneur.

343 Voyez dans les Œuvres de sainte Thérèse, édition le Lyon in-12, 1818, son traité intitulé Château de l’âme, la septième demeure. Tom. V, page 394 et suivantes.

344 Voyez la sainte Bible avec des réflexions qui regardent la vie intérieure, 20 vol. in-8o, Paris, 1790, Tout. X, pag. 114, 153, et 245. Et Vie de Dieu seul, tom. II, p. 225.

345 Voyez La pratique de la vraie théologie mystique, tom. I, pag. 117, et Trésor spirituel, tom. 3, pag. 27.

346 COR. III, v. 18.

347 JEANXVI, v. 12 et 13.

348 ÉPHÉS. I, v. 17 et 18.

349 Voyez Instructions pour vivre chrétiennement en présence de Dieu ; chap. XV, pag. 385.

350 Peut-être trouverait-on l’étymologie du mot contemplation en le faisant dériver des deux mots latins cum templo, être avec le temple. D’après cette idée, on pourrait indiquer trois degrés de contemplation : être avec le temple, être dans le temple, et être fait temple. Ces trois modifications se rapporteraient aux trois parties dont était composé le temple de Salomon, c’est-à-dire, 1o le parvis, 2o le lieu saint, où l’on offrait les sacrifices, et 3o le saint des saints, où était déposée l’arche de l’alliance, et où Dieu manifestait sa gloire. Ces trois divisions du temple ont quelque analogie avec les trois différents états de la vie spirituelle. 1o Avec les commençants, ou la voie active et purgative dans laquelle l’âme qui croit à la toute présence de Dieu le voit partout, le contemple partout, se trouve avec lui en tout temps, en tout lieu, puisque rien ne peut exclure sa toute-présence. L’âme contemple ici la sagesse de Dieu rayonnante dans tous les êtres d’un éclat majestueux ; tous lui parlent de Dieu, l’amènent à Dieu et lui font considérer Dieu comme le principe et la fin de toute chose. 2o Les profitants, qui sont ceux qui marchent dans la voie illuminative ; ce sont ceux qui sont dans le temple, qui contemplent Dieu, ses perfections, ses attributs et la gloire infinie qui en résulte. Ils considèrent les merveilles ineffables qui jaillissent de la conduite de Dieu qui est au-dedans d’eux, ou il se révèle à l’âme et lui fait goûter la douceur de ses divines communications. 3o Les parfaits, ou ceux qui marchent dans la vie unitive ou divine, qui coïncide avec le saint des saints, et où on devient temple soi-même, état le plus relevé de la vie intérieure que l’Écriture Sainte indique en plusieurs endroits, surtout quand elle dit : N’êtes-vous pas le temple du Dieu vivant. Qu’ils soient un, comme moi et toi sommes un. C’est alors, dit Jésus-Christ, que vous connaîtrez que je suis en mon père, et vous en moi, et moi en vous, et nombre d’autres passages qu’il serait trop long d’alléguer.

L’apôtre saint Jean fait mention de ces trois états qui sont celui des enfants, des jeunes gens et des hommes faits. Un voit par-là comment l’Écriture Sainte dit tout, et est toujours conforme a elle-même.

351 Voyez l’Esprit de la vie et de la doctrine de Jésus-Christ, exprimé dans l’ancien et le nouveau Testament, tom. 1, pag. 273, et le Trésor spirituel, tom. III, p. 27.

352 Voyez l’excellente traduction du Traité des noms divins de saint Denys l’aréopagite, enrichie de notes par P. J. Cortasse, Lyon, 1763.

353 GEN. I, v. 1.

354 Comme s’exprime l’original Isaïe XLV, v. 5 et 18, et passim.

355 APOC. III, v. 1.

356 Non-seulement la révélation nous enseigne à contempler les perfections divines ; mais déjà les anciens sages, au moyen de la lumière naturelle, ont découvert des beautés et des merveilles infinies dans le Verbe créateur. On peut consulter sur ce sujet le Pimandre de Mercure Trismégiste, traduit du grec avec un ample commentaire, traitant de la philosophie chrétienne, de la connaissance du Verbe divin, et de l’excellence des œuvres de Dieu, par F. de Foix ; in-fol. Bordeaux, 1579, pag. 114 et suiv.

357 Consultez sur les mots TERNAIREer TRI-UNla discussion lumineuse contenue dans l’excellente défense des soirées de saint Pétersbourg, ou entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, de M. Le Mestre ; insérée dans lesOpuscules théosophiques, par un ami de la sagesse et de la vérité, in-8o, Paris : 1822, pag. 81.

358 Voyez Traité des noms divins, par saint Denis l’aréopagite, ch. XIII, pag. 300.

359 Voyez l’admirable traité de M. Bernière Louvigny, Le chrétien intérieur ou la conformité intérieure que doit avoir le chrétien avec Jésus-Christ, tom. I, liv. I, chap. 7 et suivantes, et Vie de Dieu seul, tom. I, pag. 151.

360 Voyez ci-dessus la note 303 sur la passiveté, et Le chrétien intérieur, tom. I, liv. I, chap. 3.

361 Jérém. XXXIII, v. 6.

362 On ne lira pas sans intérêt sur cette matière le traité inestimable de l’amour de Dieu, par saint François de Sales, le liv. VI tout entier, particulièrement les chap. VIII et suivants.

363 Ô excès de charité ! grandeur de charité ! que la raison humaine ne peut admettre. N’a-t-on pas lieu d’être surpris qu’on ait pu rejeter les ouvrages dans lesquels cette doctrine était recommandée ? Comment est-il possible que des hommes, d’ailleurs si savants, soient parvenus par des artifices inouïs à faire condamner dans le dernier siècle tant d’illustres personnages qui ont écrit sur la vie intérieure ? Il n’y a de subtilités et de chicanes qu’on n’ait avancées pour rendre ridicule la doctrine de la pure charité. Par exemple : ceux qui s’opposent à cette doctrine affectent de confondre la peine à laquelle on souscrit de bon cœur avec la perte de l’amour de Dieu. Comment perdrait-on cet amour quand, par un excès d’amour, on se livre à sa justice ? Jésus-Christ perdit-il l’amour de son père parce qu’il se livra à la mort pour le salut des hommes ? Ainsi on peut se livrer à la peine, à sa durée non conçue et inexprimable, sans qu’il entre un instant dans la pensée de renoncer à l’amour. On peut consentir à souffrir excessivement, même d’une manière indéterminée pour sa durée, mais jamais à haïr Dieu. D’ailleurs, ce ne sont pas ceux qui blâment et condamnent ces saints excès qui peuvent concevoir le mérite de ces sacrifices et leur efficacité. Il faut pour cela une âme sensible qui sait aimer et se dévouer. Aussi ces antagonistes ne savent ni ne veulent distinguer le temps, l’état, le degré d’avancement où ces sacrifices terribles qui révoltent la nature et la chair peuvent être demandés et consentis du fond du cœur. Ils peuvent bien avoir de l’érudition et de la science ; mais, je le répète, il leur manque un cœur qui sache aimer en s’oubliant soi-même.

364 MATTH. VII, v. 1 et 2.

365 ROM. II, v. 1 et suiv.

366 Ceci ne doit s’entendre que des actes vicieux en apparence, et non des vices ou des péchés déclarés tels dans le décalogue et par les lois divines renfermées dans nos saintes Écritures.

367 Ils connaissent bien peu la nature de notre Père céleste, de celui qui se dit être tout charité et tout autour, ceux qui sont si exclusifs de ne considérer comme leurs frères en Christ que les personnes qui pensent exactement comme eux sur tous les points. Il faut qu’ils se croient bien infaillibles pour vouloir être les seuls possesseurs de la vérité pure. Il ne faut pas être étonné si ces personnes ainsi fixées dans leur propre sens sont portées à juger et à décider de tout, à témoigner, à ceux qui diffèrent de manière de voir, leur dédain et leur mépris. Le ton d’aigreur qu’elles manifestent ne prouve que trop qu’elles manquent d’humilité et quels sont les sentiments secrets qui les animent. Tout ce qui leur paraît vrai est donné pour certain, et tout ce qui les combat est regardé comme opposé à la vérité. Ah ! combien ces dispositions se convertiraient en bienveillance et en cordialité, s’ils se connaissaient mieux eux-mêmes, et si la charité de Christ s’emparait de leur cœur. La compassion qu’elles porteraient à ceux qu’elles croient errer prendrait une couleur et un ton bien différents de celui que nous venons de tracer. L’orgueil secret et l’amour de leur propre excellence seraient bannis pour toujours de leur cœur. La seule gloire de Dieu et le désir du salut de leurs frères seraient les seuls mobiles qui lui feraient agir.

368 Ne pourrait-on pas en effet faire mériter le mot de tolérance des mots latins tollere errorem, supporter l’erreur ?

369 On pourrait objecter ici qu’il faudra donc supporter le péché, puisque Dieu permet qu’il ait lieu ; très-bien... nous devons le supporter en la manière dont Dieu le supporte, et en la manière encore dont Jésus-Christ a supporté les défauts de ses disciples.

370 D’après ces principes, il est à peine croyable qu’un roi très-chrétien ait pu se laisser aveugler des hommes séduits par eux-mêmes, pour annuler l’édit de Nantes, que cent ans d’exécution rendait respectable, révocation qu’une politique captieuse, un zèle amer et indiscret favorisèrent en opposition aux vœux de presque toute la nation. N’était-ce pas rouvrir les cicatrices et les haines que la nuit désastreuse de la Saint-Barthélemy avait produites ? La simple raison ne devait-elle pas s’opposer à une résolution qui portait sur le sol étranger les ressources d’une industrie nationale, et dès lors une propriété légitime ? D’ailleurs la loi divine ne devait-elle pas mettre une digue à cette irruption d’un zèle aveugle ? Et comment les hommes éclairés de ce temps-là n’ont-ils pas osé représenter dans toute leur force ces principes évangéliques : Aimez-vous les uns les autres ; Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qui vous fut fait ?

371 GAL. V, v. 22, et ÉPH. V, v. 9.

372 APOC. XXII, v. 2.

373 PS. XV, v. 3.

374 LÉVIT. XIX, v. 16.

375 Il arrive quelquefois que les personnes qui ont du zèle et une piété distinguée portent des jugements erronés, et se rendent trop facilement arbitres de la vertu des autres. Elles déterminent souvent avec trop de légèreté les états, et mesurent avec trop de précipitation les degrés d’avancement dans l’ordre des parfaits ; elles se croient avoir assez de lumière pour apprécier l’excellence des grâces reçues, et même pour fixer le point que pourront atteindre les âmes dans le chemin de la perfection. D’autres censeurs qui ont de l’expérience et qui sont doués de dons extraordinaires se permettent aussi de juger sévèrement leurs frères à leur tribunal, de traiter l’un de timide, l’autre de faible, l’autre d’intéressé, sans se douter que souvent la nature a plus de part dans ces jugements que l’esprit de discrétion qui procède de la divine sagesse. Elles appellent cela justice et liberté ; elles croient qu’une conduite plus mesurée a quelque chose de bas et de faible ; mais elles ne pensent pas qu’une telle manière de faire est plus propre à jeter dans le découragement qu’à édifier les âmes qu’elles sont appelées à conduire. Voyez Œuvres de Sainte Thérèse. Tom. IV, page 116 à 119.

376 GAL. VI, v. 3.

377 Ce qui est dit ici ne porte point atteinte à la vocation de juger quand elle est légitime : au contraire, un juge revêtu des dispositions qu’on vient de tracer n’en devient que plus capable de juger avec justice, parce qu’étant convaincu des bornes de son esprit, et connaissant l’imperfection des lois, il aura son recours à Dieu par la prière pour obtenir l’Esprit de discernement et les lumières nécessaires pour porter un jugement plein d’équité.

378 On n’a, pour être persuadé de cette vérité, qu’à lire les relations concernant les travaux actuels des missionnaires de toutes les communions. Avec quel zèle ils se livrent à toutes les fatigues imaginables, en se dévouant quelquefois à une mort certaine pour porter la lumière de l’Évangile aux peuples innombrables qui en sont encore privés.

379 ROM. IX, v. 1 et suivants.

380 ROM. IX, v. 4 et suivants.

 

 

 

 

 

 

 

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