Le livre de la vision d’Énoch
par
J.-F. DANIÉLO
Dans notre premier article, après avoir donné une notice sur ce livre d’après M. de Sacy, et avoir exposé comment il avait été retrouvé en Abyssinie, nous avons publié la traduction des premiers chapitres d’après la traduction latine de M. de Sacy ; mais en même temps nous avons annoncé qu’une traduction complète de tout l’ouvrage avait été publiée il y a quelques années en anglais par M. Laurence, et nous avons promis de faire connaître cette traduction. Notre ami et collaborateur, M. Daniélo, a bien voulu se charger de tenir cette promesse en traduisant de l’anglais la fin du livre d’Énoch. C’est ce travail que nous donnons ici.
Considérations préliminaires sur la mention qui y est faite des personnes de la Trinité. – Comparaison avec la cabale et les doctrines indiennes. – Vision d’Énoch ; le Jugement et le Châtiment des méchants. – Séjour des anges et des âmes. – Secrets des cieux et de l’univers. – Changements de la lune et des cieux. – L’ancien des jours et le fils de l’homme. – La fontaine de justice. – La vallée et les anges du châtiment. – Le déluge. –Repentir de l’ancien des jours. – Des saints et des élus. – Les anges mesurent la terre. – Enlèvement du prophète. – Séjour des ancêtres, des esprits et de la divinité. – Comparaison avec les traditions indiennes. – Prière d’Énoch. – Marche du soleil, de la lune, etc. – Système astronomique du monde antédiluvien. – Vision de la destruction du monde. – Division du temps par semaines. – Allusion à la venue du Christ et à son Église. – Les cieux nouveaux. – Récit de la naissance de Noé. – Prodiges qui l’accompagnent. – Vision du déluge. – La science perverse des hommes en fut cause.
Le livre d’Énoch traduit par Laurence contient environ 200 pages in-8°. Après avoir lu le travail qui a déjà été inséré dans les Annales et celui que nous publions ici, le public pourra se flatter de le connaître en entier, car nous en mettrons la presque totalité ou du moins les passages les plus curieux et les plus importants à la portée du lecteur français ; quant aux passages que nous omettons, ils sont en petit nombre et peu intéressants : cependant nous en donnons encore un précis et un résumé fidèles. Ainsi, après nous avoir lu, on pourra reconnaître que l’on vient d’acquérir quelques idées, quelques connaissances nouvelles sur les antiquités religieuses et humaines, sur les choses des temps primitifs et sur les traditions du genre humain.
J’ai lu ce livre, pour mon compte, avec une attention toute particulière, espérant y trouver des rapports avec les autres livres sacrés de la Judée, de l’Égypte, de la Perse et de l’Inde. Ce n’est pas que mon espoir ait été entièrement rempli, mais il n’a pas été entièrement trompé non plus. Pour ce qui est d’abord des rapports du livre d’Énoch avec ceux des Juifs, j’y ai trouvé un ton, une doctrine, un style même très-ressemblants et des passages entiers presque identiques. Cette traduction en donnera la preuve, et j’aurai soin d’appeler par des notes l’attention du lecteur sur les ressemblances. Quant aux rapports du livre d’Énoch avec les livres des nations païennes, ils sont moins grands et moins nombreux.
Cependant j’aurai encore occasion d’en faire remarquer quelques-uns au lecteur, et ils seront peut-être assez frappants.
On trouvera dans le livre d’Énoch des allusions claires et fréquentes au Fils de l’homme, à l’Élu, c’est-à-dire au Messie, comme on le verra ci-après dans les chap. 45, 46, 48 et 51. Dans ces deux passages, comme le dit très-bien Laurence, la préexistence du Messie est déclarée en termes qui n’admettent pas l’ombre la plus légère d’ambiguïté 1. On peut aussi remarquer que cette préexistence attribuée au Messie est une préexistence divine. « Car, dit Énoch, avant toutes les choses son nom était invoqué en la présence du Seigneur des Esprits, etc. »
Ce n’est pas seulement au Messie qu’Énoch fait ainsi allusion, mais encore à une autre personne divine ou pouvoir divin. Cette autre personne ou pouvoir divin, Énoch la joint au Messie sous la dénomination de seigneurs : ces seigneurs qui passent pour avoir été ceux qui planaient sur les eaux, c’est-à-dire, selon M. Laurence, sur la masse liquide de la matière informe aux premiers tems de la création 2. Ce passage, selon Laurence, peut être un commentaire sur le récit de la création par Moïse, tout aussi bien que ce qu’Énoch dit ailleurs du fils de l’homme en peut être un sur ce qu’en dit aussi Daniel. Ainsi, ajoute Laurence, nous n’avons pas seulement ici la déclaration d’une pluralité, mais d’une trinité de personnes en Dieu sous la dénomination suprême de Seigneurs 3. Deux d’entre ces personnes, appelées l’une l’Élu et l’autre le Pouvoir, sont représentées comme n’étant pas moins occupées que le Dieu suprême, le Seigneur des esprits lui-même, dans le grand œuvre de la formation du monde, et l’on pourrait ajouter qu’une classe d’Anges leur est donnée pour aide et compagnie comme aux agents immédiats de la Création 4. Cet argument qui prouve qu’avant la naissance du Christ les Juifs croyaient à la doctrine de la Trinité, continue Laurence, me paraît beaucoup plus important et plus concluant que celui qui a été si souvent et avec si peu d’avantage, selon moi, déduit des anciens principes philosophiques de l’ancienne cabale. La philosophie cabalistique a, je le sais, ses aziluth ou émanations de la Divinité ; mais ces émanations ou aziluth, j’en suis convaincu malgré la persuasion de plusieurs chrétiens, n’ont jamais été regardées par les Juifs eux-mêmes comme des personnes distinctes, mais comme des forces, comme des énergies (Sacti chez les Hindous) distinctes en la Divinité. Du reste, si l’argument tiré de ces aziluth ou émanations a quelque valeur, il prouve plus que ceux qui le soutiennent ne désirent ; car il ne va à rien moins qu’à démontrer que les Juifs croyaient à dix et non à trois émanations personnelles de la Divinité ; car dix est le nombre de ces Séphiroth, c’est-à-dire de ces émanations 5.
L’imagination est toujours prête à découvrir des ressemblances où il n’en existe réellement point. Mais un raisonnement sobre ne peut certes jamais approuver l’effort indiscret qui tendrait à représenter la vérité chrétienne comme engagée dans le fouillis impur de la cabale judaïque ; ce singulier, et pour ceux qui n’en pénètrent que la surface extérieure, ce fascinateur système de subtilités allégoriques, a sans doute son côté brillant aussi bien que son côté ténébreux, ses véritables aussi bien que ses fausses allusions ; mais au lieu de vouloir grouper sous l’étendard de l’Écriture ses creuses combinaisons, je suis persuadé que l’on se tromperait beaucoup moins en les rapportant à l’ancienne philosophie qui a dominé dans l’Orient, d’où elles semblent être originellement sorties, et dont elle sont inséparables comme l’ombre l’est du corps 6.
Cependant le passage en question n’est sujet à aucune objection de ce genre : il n’y a rien ici de cabalistique, il n’y a point d’allégorie, mais une pleine et claire, quoique légère, allusion à une doctrine, celle de la croyance à la Trinité divine qui, si elle n’avait point fait partie de la croyance populaire de ce temps, eût été inintelligible. On y compte trois Seigneurs ; le Seigneur des Esprits, le Seigneur l’Élu et le Seigneur Pouvoir 7. Les deux derniers sont, aussi bien que le premier, représentés comme Créateurs ; cette énumération de trois Créateurs implique évidemment la connaissance de trois personnes, participant à la Divinité par leur pouvoir et leur nom 8. Telle nous paraît donc avoir été la doctrine des Juifs sur la nature divine antérieurement à la naissance et à la promulgation du Christianisme.
« Ajoutons au raisonnement de M. Laurence, dit le docte Silvestre de Sacy, qu’on ne saurait supposer que les passages qu’il cite du livre d’Énoch à l’appui de son opinion y aient été introduits par les Chrétiens. Si ces textes avaient été des interpolations faites au profit du Christianisme, les auteurs de ces interpolations se fussent expliqués d’une manière plus claire et avec plus de développement. »
Mais il en est temps, reprenons le texte d’Énoch, et continuons chapitre par chapitre la traduction commencée dans le premier article. Voici comment le prophète continue à parler :
Le livre de la vision d’Énoch.
CHAPITRE XXXII. « De là je me transportai vers les extrémités de la terre, et je vis de grandes bêtes différant les unes des autres, et des oiseaux de formes, de chants et de plumages divers.
« À l’Orient de ces bêtes, j’aperçus les extrémités de la terre où cessait le ciel 9. Ses portes étaient ouvertes, et j’en vis sortir les étoiles célestes ; je les comptai à mesure qu’elles sortaient de ces portes, et je pris note de chacune d’elles à mesure qu’elles passaient devant moi. Je pris note de leurs noms, de leur temps et de leurs saisons à mesure que l’ange Uriel, qui était avec moi, me les montrait ; il me les montra toutes, et prit note d’elles toutes ; il m’écrivit aussi leurs noms, leurs révolutions et leurs opérations.
CHAPITRE XXXIII. « De là je m’avançai vers le Nord jusqu’aux extrémités de la terre, et à l’extrémité de la terre je vis une grande et glorieuse merveille ; j’y vis les portes célestes s’ouvrant dans les cieux ; elles étaient séparées et au nombre de trois : les vents du nord sortaient par elles, soufflant le froid, la glace, les frimas, la neige, la rosée et la pluie. De l’une de ces portes, ils soufflaient avec douceur ; mais des deux autres, c’était avec violence. »
Dans les XXXIVe, XXXVe et XXXVIe Chap., le prophète porte les yeux vers l’Ouest et le Sud, où il voit comme ailleurs des portes ouvertes dans les cieux, et des pluies, des vents, des étoiles qui y passent.
Avec le commencement de la sixième section, CH. XXXVII, commence une nouvelle série de visions, qui ne paraît se terminer qu’avec la fin de la douzième section. Cette nouvelle série de visions commence ainsi : « Voici la seconde vision de sagesse que vit Énoch fils de Jared, fils de Malaléel, fils de Canan (Caïnan), fils d’Énos, fils de Seth, fils d’Adam. C’est ici le commencement de la parole de sagesse que j’ai reçue pour la déclarer et l’enseigner à ceux qui habitent sur la terre. Écoute depuis le commencement et comprends jusqu’à la fin les saintes choses que je profère en la présence du Seigneur des Esprits. Ceux qui nous ont précédés ont trouvé bon de parler ; nous donc qui venons après eux ne célons pas le commencement de la sagesse. Jusqu’à l’époque actuelle, personne n’a été gratifié devant le Seigneur des Esprits de ce que j’ai reçu d’une sagesse proportionnée à la capacité de mon intelligence et au bon plaisir du Seigneur des Esprits : ce que j’ai reçu en don de lui est une portion de la vie éternelle, et était compris dans cent trois paraboles que j’ai rapportées aux habitants du monde 10. »
CHAPITRE XXXVIII. Ce chapitre contient la première des cent trois, ou plutôt, comme l’a dit M. de Sacy, des trois paraboles. – « Quand l’assemblée des Justes aura lieu, s’écrie le prophète, quand les pécheurs seront démasqués, mieux aurait valu pour ceux-ci n’être pas nés. Alors, dit-il, les secrets des Justes seront aussi révélés, alors les pécheurs seront jugés et les impies châtiés en la présence des Élus et des Justes. De ce moment, ceux qui possèdent la terre cesseront d’être puissants et superbes ; ils ne pourront même supporter la vue des Saints. Les rois ne seront pas encore détruits, il est vrai, mais mis entre les mains des Justes et des Saints.
CHAPITRE XXXIX. « En ces jours-là la race des Élus et des Saints descendra des cieux supérieurs, et leur semence alors sera avec les enfants des hommes. Énoch reçut les livres de l’indignation et de la colère, les livres du trouble et de l’agitation...... Un nuage m’entoura et le vent m’éleva au-dessus de la surface de la terre et me plaça à l’extrémité des cieux. Là je vis une autre vision. Je vis le lieu d’habitation et de repos des Saints. Oui, j’y vis leur habitation avec les Anges, et leur repos avec les Justes. Ils intercédaient, suppliaient et priaient pour les fils des hommes, tandis que la justice coulait vers eux comme un fleuve, et que la miséricorde était répandue sur la terre comme la rosée ; et il en sera ainsi pour eux à jamais. Au même instant mes yeux virent l’habitation des Élus, de la vérité, de la foi et de la droiture. Innombrable était le nombre des Élus en la présence éternelle de Dieu. Je vis leur demeure sous les ailes du Dieu des Esprits : tous les Saints et les Élus chantaient devant lui comme des étincelles de feu. Leurs bouches étaient remplies de bénédictions et leurs lèvres glorifiaient le nom du Seigneur des Esprits. J’étais désireux de demeurer là, et mon âme soupira après ce séjour ; car c’était là mon ancien héritage. Longtemps mes yeux restèrent en contemplation de ce lieu ; je bénis Dieu et je dis : Béni soit-il depuis le commencement jusqu’à la fin. Dans le principe, et avant que le monde fût, la science était, et elle n’aura jamais de fin. Qu’est-ce que le monde ? De toutes les générations, celles-là te béniront qui ne dorment point dans la poussière, mais qui se tiennent debout devant ta gloire, te bénissant, te glorifiant, t’exaltant et disant le Saint, le Saint Seigneur des Esprits remplit d’Esprits le monde entier. Là mes yeux virent tous ceux qui se tenaient sans sommeil devant lui en lui disant : Béni sois-tu et béni le nom du Seigneur pour toujours ; alors ma position changea jusqu’à ce que tout disparut à ma vue.
CHAPITRE XL. « Je vis des mille et des mille, des myriades et des myriades, et un nombre infini de gens qui se tenaient debout devant le Seigneur des Esprits, et sur les quatre côtés j’en vis d’autres à côté de ceux qui se tenaient devant lui ; je sus même leur nom parce que l’Ange qui marchait avec moi me les apprit, en me découvrant toutes les choses secrètes ; alors j’entendis les voix de ceux qui étaient sur les quatre côtés, exaltant le Seigneur de gloire. La troisième voix, je l’entendis solliciter et prier pour ceux qui habitent sur la terre ; elle suppliait le Seigneur des Esprits. La quatrième voix que j’entendis chassait les anges impies et les empêchait d’entrer devant la présence du Seigneur des Esprits pour porter des accusations contre les peuples de la terre.
« Après cela je mandai à l’Ange de paix qui marchait avec moi de m’expliquer tout ce qui était caché. Je lui dis : Qui sont ceux que j’ai vus sur les quatre côtés, dont j’ai entendu et copié les paroles ?
« Il me répondit : “Le premier, c’est le miséricordieux, le patient et le saint Michael ; le second, celui qui préside à toutes les souffrances et à toutes les afflictions des fils des hommes, c’est le saint Raphael ; le troisième, celui qui préside à tout ce qui est puissant, c’est Gabriel ; et le quatrième qui préside au repentir, à l’espérance de ceux qui doivent hériter de la vie éternelle, c’est Phanuel.” Tels sont les quatre Anges du Dieu Très-Haut, telles sont leurs quatre voix que j’entendis alors.
CHAPITRE XLI. « Après cela je vis les secrets des cieux et du Paradis selon ses divisions, je vis le secret des actions des hommes tandis qu’elles pesaient dans la balance. Je vis les habitations des Élus et les habitations des Saints ; je vis aussi tous les pécheurs qui nièrent le Seigneur de gloire et que l’on chassait, que l’on poussait hors de ce lieu où ils se tenaient auparavant. Et pourtant aucun châtiment ne leur advint de la part du Seigneur des Esprits. Là aussi mes yeux virent les secrets de l’éclair et de la foudre, les secrets des vents et la manière dont ils sont distribués quand ils soufflent sur la terre ; je vis les secrets des vents, de la rosée et des nues ; je vis le lieu par où ils sortent et par où ils reviennent saturés de la poussière de la terre. Là je vis le réceptacle des bois d’où sortaient les vents ; j’y vis le réceptacle de la neige, des nuées et même de ce nuage qui enveloppait la terre entière avant la création du monde. Je vis aussi le réceptacle dc la lune, d’où toutes les lunes sortaient, où elles allaient dans leur marche glorieuse ; je vis comment l’une devenait plus brillante qu’une autre. Je marquai leur marche brillante, leur marche invariable, leur marche isolée et toujours la même ; leur exactitude à tenir le serment de fidélité mutuelle qu’elles s’étaient jurées ; leur sortie avant le soleil et leur ferme direction dans le sentier qui leur avait été tracé, direction qu’elles suivaient par obéissance au commandement des esprits. Puissant est son nom pour toujours ct toujours.
« J’aperçus en même temps la route cachée et visible de la lune. La voie brillante de la lune est pour les Justes ; mais la voie ténébreuse est pour les pécheurs. L’Ange lui-même n’y peut rien changer, car le Juge voit tout et juge tout en sa présence.
CHAPITRE XLII. « La sagesse n’a point trouvé de lieu où elle pût habiter ; sa demeure est par conséquent dans le ciel ; cependant la sagesse vint pour habiter avec les enfants des hommes, mais elle n’y trouva point d’habitation. Alors la sagesse resta à sa place et s’établit au milieu des Anges. Mais l’iniquité vint après la retraite de la sagesse et sans le vouloir, en quelque sorte elle trouva une demeure parmi les hommes comme la pluie dans le désert et dans un sol embrasé.
CHAPITRE XLIII. « Je vis une autre splendeur et les étoiles des cieux ; je vis que le Seigneur les appelait toutes par leurs noms respectifs et qu’elles entendaient cet appel. Je vis que dans de justes balances il pesait leur lumière avec l’amplitude de leur orbite, le jour de leur apparition et de leur révolution. La splendeur produisait la splendeur, et leurs révolutions égalaient le nombre des Anges et des Fidèles. Alors je questionnai l’Ange qui marchait avec moi, et il m’expliqua les choses secrètes ; il me dit quels étaient leurs noms ; il me répondit : “Le Seigneur t’en a montré la ressemblance, ce sont les noms des Justes qui demeurent sur la terre et qui croient au nom du Seigneur des Esprits pour toujours et toujours.”
SECTION VII, CHAPITRE XLV. Voici la seconde de ces trois paraboles dont nous avons parlé plus haut.
« Parabole seconde, concernant ceux qui nient le nom de l’habitation des Saints et du Seigneur des Esprits : ils ne monteront point dans les cieux et ils ne viendront pas sur la terre. Ils seront au nombre des pécheurs qui nient le nom du Seigneur des Esprits et qui sont par conséquent réservés pour le jour de la punition et de l’affliction. “En ce jour, les Élus seront assis sur un trône de gloire et choisiront leurs conditions et leurs habitations innombrables (tandis que leur esprit sera fortifié en eux-mêmes à la vue de mon Élu). Oui, ils choisiront ces demeures pour ceux qui ont eu recours à la protection de mon nom saint et glorieux : ce jour-là je ferai à mon Élu habiter parmi eux : je changerai la face des cieux ; je le bénirai et l’illuminerai pour toujours ; je changerai aussi la face de la terre et j’y ferai habiter ceux que j’aurai élus ; mais ceux qui ont commis le crime et l’iniquité n’y habiteront pas, car j’ai compté leurs jours. Je comblerai mes Justes de paix en les plaçant devant moi ; mais la condamnation des pécheurs suivra de près, afin que je puisse les faire disparaître de la face de la terre.”
CHAPITRE XLVI. « Là je vis l’Ancien des jours dont la tête était comme une laine blanche, et un autre avec lui dont le maintien ressemblait à celui de l’homme. Son maintien était plein de grâce comme celui d’un des saints Anges. Alors je m’informai à un des Anges qui venait avec moi, et qui me montrait toutes les choses secrètes concernant le Fils de l’Homme, qui il était, d’où il était, et pourquoi il accompagnait l’Ancien des jours. Il répondit et me dit : “Celui-là est le Fils de l’Homme, auquel appartient la justice, avec lequel elle a demeuré, et il révélera tous les trésors de ce qui est caché, car le Seigneur des Esprits l’a choisi et sa part a surpassé tout devant le Seigneur des Esprits dans une éternelle justice. Ce Fils de l’Homme que tu vois fera lever les rois et les grands de leur couche, et les puissants de leurs trônes ; il lâchera les rênes aux puissants et mettra en pièces les dents des pécheurs. Il précipitera les rois de leur empire et de leurs trônes, parce qu’ils ne l’auront ni exalté, ni loué, parce qu’ils ne se seront point humiliés devant celui par qui leur empire leur avait été donné. Il jettera bas la superbe des grands et les remplira de confusion. Les ténèbres seront leur habitation et les vers seront leurs lits, et de ce lit ils n’oseront plus se relever parce qu’ils n’ont point célébré le nom du Seigneur des Esprits. – Ils condamneront les étoiles des cieux, ils lèveront leurs mains contre le Très-Haut ; ils fouleront et habiteront la terre, pratiquant toutes les œuvres d’iniquité. Ils placeront leurs forces dans leurs richesses et leur foi dans les dieux qu’ils ont formés de leurs propres mains. Ils nieront l’existence du Seigneur des Esprits, et ils le chasseront du temple où ils se rassemblent. Et avec lui seront les fidèles, ceux qui souffrent en son nom, au nom du Seigneur des Esprits.”
CHAPITRE XLVII. « Ce jour-là la prière du Saint et du Juste, et le sang de l’homme de bien monteront de la terre jusqu’en la présence du Seigneur des Esprits ; ce jour-là aussi s’assembleront les Saints qui demeurent au-dessus des cieux, et d’une voix, d’une prière unies, ils supplieront, loueront et béniront le nom du Seigneur des Esprits à cause du sang du Juste qui a été répandu, afin que la prière des Justes ne soit point interrompue devant le Seigneur des Esprits, afin qu’il exécute le jugement en leur faveur et que sa patience ne dure pas toujours.
« Alors je vis l’Ancien des jours assis sur son trône de gloire, le livre de vie ouvert devant lui, et toutes les puissances qui sont au-dessus des cieux se tenaient autour de lui et devant lui. Alors le cœur des Saints fut rempli de joie parce que la consommation de la justice était arrivée, les supplications des saints entendues et le sang des Justes apprécié par le Seigneur.
CHAPITRE XLVIII. « Dans le même lieu je vis une fontaine de justice entourée de sources de sagesse et ne tarissant jamais ; tous ceux qui avaient soif y burent et furent remplis de sagesse, ayant leur habitation avec les justes, les élus et les saints. À la même heure, je vis le Fils de l’homme invoqué des esprits ; et son nom était en présence de l’ancien des jours, avant que le soleil et les astres fussent créés ; avant que les étoiles du ciel fussent formées, son nom était invoqué en la présence du Seigneur des Esprits. Il sera un appui pour le saint et le juste, et cet appui ne lui manquera point ; et il sera la lumière des nations. Il sera l’espérance de ceux dont les cœurs sont troublés ; tous ceux qui demeurent sur la terre tomberont devant lui et l’adoreront, ils le béniront et le glorifieront et chanteront des louanges au nom du Seigneur des Esprits. Ainsi l’Élu et le Caché existait en sa présence avant que le monde fût créé, et il existera toujours. Il existait et il révéla aux saints et aux justes la sagesse du Seigneur des Esprits ; il a conservé aux justes leur part parce qu’ils ont haï et rejeté le monde d’iniquité et qu’ils ont détesté toutes ses œuvres et ses voies au nom du Seigneur des Esprits. Aussi sera-ce en son nom qu’ils seront préservés, et sa volonté sera leur vie. En ce jour, les rois et les puissants de la terre qui ont gagné le monde par les œuvres de leurs mains deviendront humbles, car dans ces jours d’angoisse et de trouble leur âme ne sera point sauvée et ils deviendront les sujets de ceux que j’aurai choisis ; je les jetterai au feu comme une paille et dans l’eau comme du plomb. Ainsi brûleront-ils en présence des justes, ainsi s’abîmeront-ils en présence des saints ; mais au jour de leur trouble le monde obtiendra la tranquillité. Ils tomberont en la présence du Seigneur, et ne se relèveront plus ; il n’y aura personne pour les arracher de leurs mains et pour les enlever, car ils ont nié le Seigneur des Esprits et son Messie. Le nom du Seigneur sera béni.
CHAPITRE XLVIII bis. « Sa sagesse se répand comme l’onde et la gloire ne tombe point devant lui, car il est puissant dans tous les secrets de droiture ; mais l’iniquité passe comme une ombre et ne possède aucun séjour fixe : car l’Élu se tient devant le Seigneur des Esprits, et sa gloire est éternelle, et son pouvoir dure de génération en génération. Avec lui demeure l’esprit de la sagesse intellectuelle, l’esprit d’instruction et de puissance, et l’esprit de ceux qui dorment dans la justice. »
Le XLIXe CHAPITRE contient quelques détails sur le sort des bons et des méchants ; le CHAPITRE Le n’est que la suite de ces mêmes détails ; au CHAPITRE LIe le prophète revient sur les secrets des cieux et de la terre ; il y ajoute cette curieuse particularité que nous notons avec d’autant plus de soin qu’elle a des rapports frappants avec le mont Mérou des Indiens 11.
« Je vis, dit-il, une montagne de fer, une montagne de cuivre et une montagne d’or, une montagne de métal fluide et une montagne de plomb. Et je demandai à l’ange qui m’accompagnait quelles sont ces choses que je vois en secret ? Il dit : CH. LI. “Toutes ces choses que tu vois sont pour la domination du Messie, afin qu’il puisse commander et se montrer puissant sur la terre.” Et cet Ange de paix me répondit disant : “Attends un instant et tu comprendras, et toutes ces choses secrètes qu’a décrétées le Seigneur des esprits te seront révélées. Ces montagnes que tu as vues, cette montagne de fer, cette montagne de cuivre, cette montagne d’argent, cette montagne d’or, cette montagne de métal fluide et cette montagne de plomb, toutes ces montagnes seront en face de l’Élu, comme un rayon de cire devant le feu ; et, comme l’eau qui descend d’en haut sur ces montagnes, elles s’abaisseront devant ses pieds. En ces jours, les hommes ne pourront être sauvés ni par l’or, ni par l’argent ; ils n’auront ni fer pour la guerre, ni une cotte de mailles pour leur poitrine. Toutes ces choses seront rejetées et périront, quand l’Élu paraîtra en présence du Seigneur des esprits.”
CHAPITRE LII. « Ici mes yeux virent une profonde vallée dont l’entrée était aride ; tous ceux qui vivent sur la terre, sur la mer et dans les îles y apporteront des dons, des présents, des offrandes, et la vallée ne sera point remplie. Je vis les anges du châtiment qui y demeuraient et préparaient tous les instruments de Satan. Alors je demandai à l’Ange de paix qui marchait avec moi pour qui étaient préparés ces instruments ? Il dit : “On les prépare pour les rois et les puissants dc la terre, afin qu’ils puissent périr par eux.”
CHAPITRE LIII. « Alors je me tournai d’un autre côté de la terre, où je vis une vallée profonde et brûlante de feu. Et là mes yeux virent les instruments qui se fabriquaient, des chaînes de fer sans pesanteur. Alors je m’enquis de l’Ange de paix qui m’accompagnait pour qui étaient ces fers et ces instruments préparés ? Il répondit : « C’est pour l’armée d’Azazael, afin qu’elle soit livrée et condamnée à la dernière punition, et que ses anges puissent être écrasés sous des monceaux de pierres, comme le Seigneur des Esprits l’a commandé. Michael et Gabriel, Raphael et Phanuel verront redoubler leurs forces en ce jour, et ils jetteront tous les coupables dans une fournaise de feu, afin que le Seigneur des Esprits soit vengé de leurs crimes, parce qu’ils étaient devenus les ministres de Satan et avaient séduit les habitants de la terre.
« En ces jours, le châtiment sortira du Seigneur des Esprits, et les réceptacles des eaux qui sont au-dessus des cieux seront ouverts, ainsi que les fontaines qui sont sous les cieux et sous la terre. Toutes les eaux qui sont dans les cieux et au-dessus se mêleront ensemble. L’eau qui est au-dessus des cieux sera l’agent ou le mâle, celle qui est sous la terre sera la femelle ou le récipient ; et tous ceux qui demeurent sur la terre et sous les extrémités des cieux seront détruits. Par ce moyen, ils comprendront l’iniquité qu’ils ont commise sur la terre ; et, par ce moyen, ils périront.
CHAPITRE LIV. « Après cela, l’Ancien des jours se repentit et dit : “En vain ai-je détruit les habitants de la terre” ; et il jura par son grand nom, disant : “Dorénavant je n’agirai plus ainsi avec tous ceux qui habitent sur la terre ; mais je placerai un signe dans les cieux, et il sera pour toujours un fidèle témoin entre eux et moi, aussi longtemps que dureront les jours du ciel et de la terre 12.” »
Dans le CHAPITRE LVe, il parle des chariots remplis d’hommes qui viennent à grand bruit des quatre points cardinaux.
SECTION NEUVIÈME, CHAPITRE LVII. Ici commence la troisième parabole, concernant les saints et les élus.
« Les saints vivront dans la lumière du soleil, ct les élus dans la lumière d’une vie éternelle, vie dont les jours ne finissent jamais. Ainsi, les ténèbres étant détruites et le jour brillant toujours, les saints n’auront pas à compter le temps, et la lumière ira toujours croissant devant le Seigneur. »
Dans le CHAPITRE LVII, le Prophète revient sur les secrets de la foudre, dont il nous a déjà parlé. Dans le CHAPITRE LVIII, il parle de la force, de l’esprit des éléments et des divers météores. Dans le LIXe, il peint un ébranlement si grand dans le ciel et une si grande agitation parmi les anges, qu’il en tomba lui-même sur la face. Dans le LXe, il voit les anges armés de longues cordes, et s’envolant vers le nord pour mesurer la terre. Dans le LXIe, il fait entendre les menaces et fait le tableau de la gloire des justes. Dans le LXIIe, les menaces contre les rois continuent. Dans les autres, il n’y a rien de frappant ; et, dans le LXIIIe, il parle d’inventions diverses, mais d’une manière vague et qui n’apprend rien. Dans la SECTION XII, CHAPITRE LXIX, il nous peint son enlèvement de la terre, parmi les anges et au ciel des cieux. Après cela il prédit l’arrivée future du Messie :
« Le nom du Fils de l’homme vivant avec le Seigneur des Esprits fut exalté par les habitants de la terre : il fut exalté dans les chariots de l’Esprit et ce nom vint au milieu d’eux (des hommes) ; mais moi depuis ce temps je ne fus plus au milieu d’eux, je fus assis au milieu de deux esprits, entre le septentrion et l’occident 13, où les anges recevaient leurs mesures pour mesurer une place pour moi, pour les élus et pour les justes. Là, je vis les pères des premiers hommes et les saints qui demeurent pour toujours en ces lieux.
CHAPITRE LXX. « Après cela, montant dans les cieux, mon esprit fut caché, je vis les fils des saints anges marchant sur un feu flamboyant, dont les vêtements et la robe étaient blancs, et dont le corps était transparent comme du cristal. Je vis deux rivières de feux brillantes comme l’hyacinthe ; alors je tombai sur la face devant le Seigneur des Esprits, et Michaël, l’un des Archanges, me prit par la main droite, me releva, et me transporta où se trouvaient tous les secrets de la miséricorde et de la justice ; il me montra toutes les choses cachées des extrémités du ciel, tous les réceptacles des étoiles, toutes leurs splendeurs, et d’où elles venaient devant la face du SAINT. Et il cacha l’esprit d’Énoch dans le ciel des cieux. Là, je vis au milieu de cette lumière un édifice bâti de pierres de glace, je vis vibrer les langues d’un feu vivant ; mon esprit vit autour de cette habitation flamboyante, et à l’une de ses extrémités, des rivières remplies d’un feu vivant qui l’entourait ; alors les séraphins, les chérubins et les ophanims entourèrent le Seigneur ; ce sont eux qui jamais ne dorment, mais qui veillent au pied de sa gloire ; et je vis des anges innombrables, des mille de mille, des myriades de myriades qui entouraient cette habitation. Michael, Raphael, Gabriel, Phanuel et les autres anges qui étaient dans les cieux supérieurs en sortaient et y rentraient sans cesse ; avec eux était l’Ancien des jours dont la tête était blanche et pure comme de la laine ; sa robe était indescriptible. Alors tombant sur la face, je sentis se dissoudre mon corps et se changer mon esprit ; je m’écriai d’une voix haute et d’une intention puissante : bénédiction, gloire et louange. Ces bénédictions qui sortaient de ma bouche furent agréés de l’Ancien des jours. Il vint à moi avec un de ses anges, et un de ses anges me dit : “Tu es de la race des hommes, tu es né pour la justice, et la justice s’est reposée en toi ; la justice de l’Ancien des jours ne t’oubliera point.” »
Les sections 15, 14, 15, ou du moins une partie de cette dernière jusqu’à la fin du chapitre, contiennent :
Un traité de la marche du soleil ct de la lune, de la division du temps en années, en mois et en jours : il contient aussi un traité sur la lumière du soleil et de la lune, traité rempli d’absurdités, et de la plus grossière ignorance, selon M. de Sacy. Nous croyons M. de Sacy trop sévère en ce point : ce traité commence ainsi :
« Le livre des révolutions des luminaires suivant leurs diverses classes, leurs pouvoirs respectifs, leurs périodes, leur nom, les places où ils commencent leur cours, toutes choses que m’a expliquées Uriel le saint ange qui les conduit, et qui était avec moi ; exposition complète de tout ce qui les concerne conformément à chaque année du monde et pour toujours jusqu’à ce que soit effectué un nouvel ouvrage qui sera éternel 14........ C’est le vent qui pousse le char du soleil où il monte. Le soleil se couche dans les cieux et il retourne à l’ouest par le nord 15. » Le prophète montre ensuite le passage du soleil par chacun des signes du zodiaque qu’il appelle des portes. Ce qui est dit dans ce traité relativement au plus court et au plus long jour de l’année a servi à M. Laurence pour indiquer approximativement à quelle latitude vivait l’auteur de ce livre. « Quelques assertions singulières qui méritaient peut-être un examen plus sérieux, dit M. de Sacy, m’ont frappé. » Je ne citerai que ce passage duquel il résulte que l’auteur fait l’année solaire de 364 jours, et qu’il semble connaître des périodes de 3, de 5 et de 8 ans.
« La lune, dit-il, ramène toutes les années exactement, en sorte que leur station n’avance ni ne retarde d’un seul jour, mais que le changement d’année a lieu avec une exacte précision en 364 jours. En trois ans il y a 1092 jours, en cinq ans, 1820 jours ; et en huit ans 2912 jours ; en cinq ans elle a cinquante jours de moins que le soleil, car en ajoutant aux 1062 jours (ceux de deux années), cela fait en cinq ans 1770 jours ; les jours de la lune en huit ans montent à 2832 jours, car en huit ans elle a quatre-vingts jours de moins que le soleil, et ces quatre-vingts jours sont la quantité dont les années de la lune sont diminuées en huit ans. Alors l’année devient vraiment complète conformément à la station des lunes et à la station du soleil qui se lève dans les différentes portes du ciel, qui s’y lève et s’y couche pendant trente jours : ce sont là les conducteurs des chefs de mille qui président à toutes les choses créées et à toutes les étoiles, avec les quatre jours qui sont ajoutés et ne quittent jamais la place qui leur est assignée conformément à la supputation complète de l’année. Ces quatre-là servent quatre jours qui ne sont point compris dans la supputation de l’année. »
Au milieu de tout ce verbiage, ajoute M. de Sacy, on voit que l’auteur ne compte que dix jours pleins et sans aucune fraction pour l’excès de l’année solaire sur l’année lunaire, qu’il fait tous les mois de l’année solaire de trente jours, et qu’aux douze mois de trente jours il ajoute quatre jours complémentaires, qui, dans son système, paraissent être ceux des équinoxes et des solstices. Je ne sais, en réfléchissant sur de pareilles absurdités, si on ne sera pas porté à penser que ce qu’il dit de la durée du jour le plus long et du jour le plus court de l’année ne peut guère servir d’argument pour reconnaître approximativement, comme l’a fait M. Laurence, la contrée où ce livre a été écrit ; et ce qui détruit encore, ce me semble, la confiance que l’on pourrait mettre dans cette donnée, c’est que l’auteur suppose que les jours et les nuits croissent ou décroissent pendant chaque mois solaire d’une dix-huitième partie, précisément de vingt-quatre heures. Je ne vois qu’un seul moyen de pallier toutes ces absurdités : c’est de supposer que l’auteur expose un système purement imaginaire, qui a dû exister avant que l’ordre de la nature eût été altéré à l’époque du déluge universel. On pourrait fonder cette conjecture sur le chapitre 79, dans lequel l’ange Uriel dit à Énoch :
« Je t’ai, ô Énoch, montré et révélé toutes choses ; tu as vu le soleil, la lune, et ceux qui conduisent les astres du ciel, et qui causent le retour périodique de toutes leurs opérations, des saisons et de leur arrivée. Dans les jours des pécheurs, les années seront raccourcies 16, la lune changera ses lois et ne se montrera pas à l’époque convenable. » Je dois avouer cependant que cette solution me paraît plus ingénieuse que solide, et je reviens à l’analyse du livre d’Énoch, à ces conducteurs des jours et des nuits, à la lune et au soleil, à tous les ministres du ciel qui font leurs circuits avec les chariots du ciel, que l’ange Uriel montra à notre prophète.
Ainsi continue Énoch : « Uriel me montra douze portes ouvertes pour la circulation du soleil dans les cieux, par où sortaient les rayons du soleil. C’est de ces portes que vient la chaleur sur la terre, quand elles sont ouvertes dans leurs saisons respectives ; elles sont pour les vents et l’esprit de la rosée lorsque dans leur saison elles sont ouvertes dans les cieux à ses extrémités. Je vis donc douze portes dans le ciel, vers les extrémités de la terre, à travers lesquelles le soleil, la lune, les étoiles, et tous les ouvrages du ciel passent à leur lever et à leur coucher. À une certaine saison, l’une de ces fenêtres devient extrêmement chaude. Telles aussi sont les portes d’où les étoiles sortent selon l’ordre qu’elles reçoivent, et dans lesquelles elles se couchent selon leur nombre. Je vis aussi les chariots du ciel roulant sur le monde au-dessus des portes sous lesquelles tournent les étoiles qui ne se couchent jamais. Une d’elles est plus grande que toutes les autres, et elle tourne autour du monde entier.
SECTION 15e, CHAPITRE LXXVe. Et à l’extrémité de la terre, je vis douze portes ouvertes pour tous les vents qui sortent de là pour souffler sur la terre. Trois de ces portes sont ouvertes au fond du ciel, trois dans l’ouest, trois à la droite, trois à la gauche du ciel. Les trois premières sont celles qui sont vers l’est, il en est trois aussi vers le nord, il en est trois qui sont sur la gauche vers le sud et trois dans l’ouest. De quatre d’entr’elles sortent les vents de bénédictions et de santé ; des huit autres procèdent les vents de punition quand ils sont envoyés pour détruire la terre et le ciel qui est au-dessus d’elle, tous ses habitants et tout ce qui vit dans les eaux ou sur la terre sèche.
Le premier de ces vents vient de la porte appelée l’orientale, à travers la première porte qui est dans l’est et qui incline vers le sud ; de cette porte sort la destruction, la sécheresse, la chaleur et la perdition. De la seconde porte, de celle du milieu, procède l’équité ; de cette porte sortent la pluie, l’abondance, la santé et la rosée ; et de la troisième porte vers le nord sortent le froid et la sécheresse. Après cela viennent les vents du sud à travers les trois principales portes ; à travers la première de ces portes, tournée au sud, passe un vent chaud ; mais de la porte du milieu sort une odeur agréable, la rosée, la pluie, la santé et la vie. De la troisième porte regardant vers le sud sortent la rosée, la pluie, la bénédiction et la destruction. Après cela viennent les vents du nord que l’on appelle la mer ; ils sortent de trois portes : la première est celle qui est à l’est, inclinant ou regardant vers le sud ; de cette porte sortent la rosée et la pluie, la bénédiction et la destruction, etc. Ce que j’avais à dire sur les douze portes du ciel est fini ; je t’en explique les usages et les lois, ô mon fils Mathusala !
CHAPITRE LXXVI. Le premier vent est appelé l’oriental, parce qu’il est le premier ; le second est appelé le méridional parce qu’il est très-haut, et y descend fréquemment, l’occidental a le nom de diminution, parce que c’est à l’occident que diminuent, descendent et disparaissent tous les luminaires ; le quatrième vent, qui est appelé le nord, est divisé en trois parties dont une est pour l’habitation de l’homme, l’autre pour les mers, les vallées, les bois, les rivières, les lieux ombragés et la neige ; la troisième partie contient le paradis. Je vis sept hautes montagnes, plus hautes que toutes les montagnes de la terre, d’où vient la gelée, tandis que les années passent et s’en vont. Je vis sept fleuves plus grands que tous les fleuves, dont l’un prend sa course de l’ouest ; ses eaux débouchent dans une grande mer. Deux autres viennent du nord vers la mer, leurs eaux marchant à l’est vers la mer Érythrée ; quant aux quatre autres, deux se déchargent encore dans la mer Érythrée, et deux autres dans une grande mer, où, dit-on, il y a un désert. Je vis aussi sept grandes îles sur la mer et sur la terre, et sept dans la grande mer 17.
Dans le LXXVIIe chapitre, viennent les noms divers du soleil et de la lune. Pendant son déclin, nous dit-il, la lumière de la lune diminue le premier jour d’un quatorzième ; le second d’un treizième ; le troisième d’un douzième ; le quatrième d’un onzième ; le cinquième d’un dixième ; le sixième d’un neuvième ; le septième d’un huitième ; le huitième d’un septième ; le neuvième d’un sixième ; le dixième d’un cinquième, le onzième d’un quart ; le douzième d’un tiers ; le treizième d’un second tiers ; le quatorzième de la septième partie ; et le quinzième tout ce qui reste de lumière est consommé.
Dans le LXXVIIIe chapitre, viennent quelques observations que continue le LXXIXe sur cet exposé du système du monde. Ce sont ensuite des considérations morales et des menaces contre les méchants.
Dans le LXXXe chapitre, l’ange dit à Énoch : regarde dans le livre que le ciel fait descendre comme une pluie sur tes yeux ; j’y regardai, je connus tout, toutes les œuvres de l’homme, et rendis grâce au Seigneur des mondes. Le même sujet continue jusqu’à la section 16e, chapitre LXXXIIe.
Là, Énoch raconte à son fils Mathusala une vision puissante qu’il eut pendant un songe, vision où il vit le ciel se découvrir et se déchirer comme une tente qu’on emporte ; la terre absorbée par un grand abîme, et des montagnes suspendues sur des montagnes, des collines s’écroulaient sur des collines, de hauts arbres étaient rasés à leur tronc, ils tombaient ou étaient lancés dans l’abîme. « Lorsque je sortis de la prière qui suivit mon rêve et que je regardai au ciel, je vis le soleil monter dans l’orient, la lune descendre dans l’occident, quelques étoiles éparses, et toutes les choses que Dieu connaît depuis le commencement ; alors je bénis le Seigneur parce qu’il a envoyé le soleil des chambres de l’orient, le soleil qui, s’élevant et montant en face du ciel, s’élance au-dessus et poursuit la course qui lui a été marquée. » Ce LXXXIIIe chapitre n’est guère qu’une prière et quelques malédictions.
Dans les LXXXIV-LXXXVIIIe chapitres, Énoch rend compte d’un nouveau songe, où lui apparaît d’abord une vache et ensuite plusieurs animaux divers. C’est, dit-on, l’histoire emblématique du monde, depuis Caïn jusqu’à Hérode.
Le XCe chapitre renferme les conseils du prophète à ses enfants.
La 19e et dernière section, chapitre XCIe, commence ainsi :
« Voici ce qui a été écrit par Énoch. » Et après quelques observations viennent ces mots : « Après cela, Énoch lisant dans un livre commença à parler ainsi. »
Il est remarquable que dans ce morceau qui est une prédiction abrégée de tout ce qui doit arriver depuis Énoch jusqu’à la fin du monde et l’établissement du règne parfait de la justice, toute la durée des temps est divisée en semaines, ce qui, selon M. de Sacy, est incontestablement imité de Daniel, sans que l’on doive supposer pour cela, avec M. Laurence, que l’auteur, en divisant toute la durée des temps en semaines, ait entendu par là des périodes de sept cents ans, ou en général des périodes égales entre elles, et d’une longueur déterminée. Mais je ne vois pas, quant à moi, que la division des temps en semaines soit une preuve de l’imitation de Daniel : c’en est une probabilité, il est vrai, mais non une preuve positive ; car Daniel ne doit point être l’inventeur de cette manière de compter ; elle existait avant lui, puisqu’il l’a employée et s’est fait comprendre. Et pourquoi donc Énoch n’aurait-il pas pu s’en servir aussi auparavant ? Et pourquoi ne pourrait-on pas dire que c’est Daniel qui a imité Énoch, tout aussi bien que c’est Énoch qui a imité Daniel ?
Énoch dit dans ce chapitre qu’il est né le septième jour de la première semaine ; le déluge arrivera dans la seconde semaine, l’élection d’Abraham dans la troisième. La destruction du temple et la captivité de Babylone appartiennent à la sixième ; la destruction de toute iniquité et le règne de la justice sont les caractères de la neuvième ; et le jugement général, suivi de l’apparition d’un ciel nouveau, est fixé au septième jour de la dixième semaine. Voici le texte d’un des passages de ce chapitre : « Après cela, dans la septième semaine, il s’élèvera une génération perverse, ses œuvres seront en grand nombre, et toutes ses œuvres seront perverses. Durant la fin de cette semaine, l’Élu, le Juste choisi de la plante de l’éternelle justice, sera récompensé et il leur sera donné une septuple instruction concernant les parties de la création. Ensuite il y aura une autre semaine, la huitième semaine de justice, à laquelle sera donné le glaive pour exécuter le jugement et la justice, contre tous les oppresseurs. Les pécheurs seront livrés entre les mains des justes, qui, pendant la fin de cette semaine, acquerront des habitations par un effet de leur justice, et la maison du grand roi sera construite et élevée pour toujours. »
« Ou je me trompe bien, dit M. de Sacy, ou cette génération perverse, ce sont les Juifs. L’Élu, le rejeton de la tige de l’éternelle justice, est Jésus-Christ, récompensé, par sa résurrection et sa glorification, de ses souffrances et de sa mort. Le glaive indique la destruction de Jérusalem et la vengeance divine exercée sur la nation juive. Enfin l’Église chrétienne est la maison du grand Roi élevée pour durer éternellement. » Si l’on n’admettait pas cette explication, l’Élu pourrait être Judas Macchabée, et la maison du grand Roi le dernier temple reconstruit par Hérode-le-Grand. Pour moi, j’avoue que la première explication me plaît davantage. Voici comment le prophète termine ce chapitre remarquable.
« Après cela, après le septième jour de la septième semaine, il y aura un jugement éternel qui sera exécuté sur les vigilants, et un vaste ciel éternel se formera au milieu des Anges. Le ciel ancien s’en ira et disparaîtra : un ciel nouveau viendra prendre sa place, et toutes les puissances célestes brilleront pour jamais d’une septuple splendeur. Après cela aussi il y aura plusieurs semaines qui seront éternelles dans la droiture et dans la bonté. Jamais même un seul pécheur n’y sera nommé. Quel est celui des enfants des hommes qui est capable d’entendre sans émotion la voix du Très-Haut ? Qui est capable de sonder ses pensées, de contempler toutes les œuvres des cieux et d’en comprendre toutes les actions ? L’homme peut voir le mouvement et la vie du ciel ; mais il ne peut en voir l’esprit ; il pourra en converser mais non y monter. Il pourra voir tous les liens des choses et méditer sur ces liens, mais il ne pourra rien faire qui leur ressemble. De tous les hommes, lequel est capable de comprendre la longueur et la largeur de la terre ? Par qui a été vue la dimension de toutes les choses ? Est-il un homme qui soit capable de comprendre l’étendue des cieux ? Quelle en est l’élévation et quel en est le support ? Combien est grand le nombre des étoiles, et quel est le lieu où tous les luminaires restent en repos ? »
Si M. de Sacy a vu dans le calcul des temps par semaines une imitation de Daniel, il aurait pu voir aussi une imitation de Job dans ce que nous venons de citer : c’est ainsi, en effet, c’est par ces mêmes questions sur la grandeur de la terre et des cieux que Dieu harcèle l’homme dans le poème sublime de cet illustre pénitent. Quant à moi qui ne suis point sûr que Job et Daniel soient plus anciens que le livre d’Énoch, je m’abstiens de dire qui a été imité ou a imité. Une autre chose à remarquer ici, c’est que ces cieux nouveaux, qui apparaissent si brillants après les antiques cieux effacés, ont le plus grand rapport avec les idées chrétiennes, et même avec celles des Hindous 18 qui prétendent que lorsqu’un ciel et un monde ont fait leur temps, ces cieux et ces mondes se dissolvent pour faire place à un autre ciel et à un autre monde plus brillants. Les dieux ont une fin et se renouvellent à ces grandes époques chez les Hindous, et ici nous voyons également les pouvoirs célestes renouvelés briller d’une septuple splendeur. La vache joue aussi un grand rôle dans les mystères et la foi des Hindous, et nous la voyons figurer en tête du principal songe d’Énoch, de sa puissante vision, comme il le dit lui-même. Cependant je dois avertir que la vache n’est point ici posée comme elle l’est dans les écritures de l’Inde ; il est vrai aussi que les dissolutions des mondes ou les pralayas sont un peu autrement décrites 19 ; mais s’il y a des différences, il y a aussi des ressemblances assez grandes pour faire voir que ces idées partent d’un même fond, et que ce fond a été la base de toutes les idées humaines et des systèmes des doctrines de tous les peuples.
Les CHAPITRES XCIII et suivants, jusqu’au CIVe inclusivement, font la suite de ce qu’Énoch lit dans un livre ; ce sont des exhortations aux justes et des menaces aux pécheurs : les mêmes idées y reviennent sans cesse, et souvent presque dans les mêmes termes.
Le CHAPITRE CV contient le récit du mariage de Lamech, fils de Mathusala, de la naissance de Noé et des prodiges qui l’accompagnèrent. Énoch, consulté par Mathusala, explique ces prodiges, ordonne de donner à l’enfant le nom de Noé, et prédit le déluge et la corruption du genre humain, qui sera encore plus grande après le déluge qu’auparavant. Citons quelques passages du texte de ce chapitre.
« Mon fils Mathusala, dit Énoch, prit une femme pour son fils Lamech ; elle devint grosse et fut bientôt mère d’un enfant dont la chair était blanche comme la neige, rouge comme la rose, dont la chevelure était blanche et longue comme de la laine, et dont les yeux étaient si beaux que, lorsqu’il les ouvrit, il illumina toute la maison comme le soleil : toute la maison resplendit de lumière ; et, quand on le prit des bras de l’accoucheuse, il ouvrit aussi la bouche et parla au Seigneur de la justice. Alors Lamech son père fut effrayé de cet enfant et, prenant la fuite, s’en vint auprès de son propre père Mathusala, et lui dit : « J’ai engendré un fils qui ne ressemble point aux autres enfants. Il n’est pas humain ; il ressemble à la race des anges du ciel ; il est d’une nature différente de la nôtre, et ne nous ressemble pas. Ses yeux sont brillants comme les rayons du soleil ; son extérieur est glorieux, et il ne semble pas être de ma nature, mais de celle des anges. J’en suis effrayé, à moins que quelque chose de miraculeux ne soit arrivé en ce jour. Et maintenant, mon père, je vous prie d’aller aussi trouver Énoch votre père, et de lui apprendre ce qui vient d’arriver, car il demeure avec les anges. » –En entendant ces paroles de son fils, Mathusala vint à moi, Énoch, aux extrémités de la terre ; car il avait été informé que j’étais là, et il m’appela en criant. J’entendis sa voix et je vins à lui, disant : « Regarde, mon fils, me voici ! Pourquoi es-tu venu vers moi ? » Il répondit et dit : « C’est à cause d’un grand évènement, à cause d’un prodige difficile à com prendre que je suis venu près de vous, et maintenant, mon père, écoutez-moi. À mon fils Lamech est né un fils qui ne lui ressemble pas, et dont la nature n’est point comme la nature de l’homme. Il est d’une couleur plus blanche que la neige et plus rouge que la rose ; la chevelure de sa tête est plus blanche que la laine blanche 20 ; ses yeux sont comme les rayons du soleil, et, quand il les a ouverts, il a illuminé toute la maison ; et même, lorsqu’on le prit des mains de l’accoucheuse, il a ouvert la bouche et béni le Seigneur du ciel. Son père Lamech a eu peur et s’est sauvé près de moi, croyant que son fils n’était point de sa nature, mais qu’il ressemblait aux anges des cieux, et voici que je suis venu près de vous, afin que vous me puissiez dire la vérité sur ceci. »
Alors Énoch répondit et dit : « Le Seigneur fera une chose nouvelle sur la terre ; c’est ce que j’ai déjà expliqué et vu en vision, je l’ai fait voir dans les générations de Jared, mon père ; ceux qui étaient des cieux méprisèrent la parole du Seigneur, voilà qu’ils ont commis des crimes, oublié leur caste et se sont mêlés aux femmes des hommes, ont péché avec elles, se sont mariés avec elles et en ont eu des enfants 21. Une grande destruction doit donc fondre sur la terre ; un déluge, une grande destruction aura lieu dans un an 22. L’enfant qui vous est né survivra sur la terre, et ses trois fils seront sauvés avec lui ; quand tout le genre humain qui est sur la terre aura péri, lui il sera sauvé, et sa postérité engendrera sur la terre des géants, non spirituels mais charnels. Informe donc Lamech maintenant que le fils qu’il a eu est bien véritablement son fils ; il l’appellera Noé, car il vous sera un survivant à tous ; lui et ses enfants seront sauvés de la corruption qui aura lieu dans le monde, de tous les péchés et de toutes les iniquités qui seront consommés durant sa vie. Après cela il y aura encore une plus grande impiété que celle qui avait eu lieu auparavant, car je connais les mystères futurs ; le Seigneur lui-même me les a découverts et expliqués, et je les ai lus dans les tablettes des cieux. J’y vis écrit que les générations après les générations transgresseraient les lois divines, jusqu’à ce qu’une race vertueuse arrive, jusqu’à ce que la transgression et le crime disparaissent de dessus la terre, et que la bonté l’y remplace. »
Voici maintenant la vision qu’eut Noé du déluge :
« En ces jours, Noé vit que la terre était inclinée, et que la destruction approchait ; alors il leva le pied et vint au bout de la terre, à l’habitation de son grand-père Énoch ; il cria par trois fois d’une voix forte : “Écoute-moi, écoute-moi, écoute-moi”, et lui dit : “Apprends-moi ce qui se passe sur la terre, car la terre travaille et se trouve fortement ébranlée ; sûrement je périrai avec elle. Il y eut ensuite une grande perturbation sur la terre, et une voix se fit entendre des cieux. Je tombai sur ma face quand Énoch, mon grand-père, parut devant moi. – Pourquoi as-tu crié vers moi d’une voix si forte et si lamentable ? – Un ordre est sorti du Seigneur pour la destruction de ceux qui demeurent sur la terre, car ils ont connu tous les secrets des anges, toute la puissance secrète et oppressive des démons, et toute la Puissance de ceux qui commettent la sorcellerie, aussi bien que ceux qui font des images par toute la terre. Ils savent comment l’argent se forme dans la poussière de la terre, et comment le liquide métallique existe sur la terre ; car le plomb et l’étain ne sont point formés de la terre, comme première source de leur production. Il est un ange qui se tient debout sur elle, et cet ange s’efforce d’y dominer.” Alors mon grand-père, me levant dans ses mains, me dit : “J’ai consulté le Seigneur sur cette perturbation de la terre, et il m’a dit qu’à cause de leur impiété leur jugement est consommé. Ceux qui ont découvert les secrets de la nature, ce sont ceux qui ont été jugés ; mais ce n’est pas toi, ô mon fils ! LUI, le SAINT, placera ton nom parmi les justes, et il te préservera de ceux qui demeurent sur la terre. Il établira ta race dans la justice, avec puissance et grande gloire, et de ta race sortiront des hommes justes sans nombre et sans fin.” Après cela, il me montra les anges de la punition qui étaient préparés à venir pour ouvrir sous la terre toutes les puissantes eaux, afin qu’elles puissent servir au jugement et à la destruction de tous ceux qui demeurent sur la terre. Et le Seigneur ordonna aux anges de venir, mais non pas pour prendre les hommes sous leur protection et pour les préserver, car ces anges présidaient aux grandes eaux. Alors je quittai la présence d’Énoch. »
Voilà comment finit le fameux livre d’Énoch.
Une chose remarquable dans cette explication qu’Énoch donne à Noé de son rêve, c’est la cause qu’il assigne au déluge. La cause généralement connue et généralement signalée jusqu’ici, c’était la corruption ; mais à la corruption Énoch ajoute la science, et il met cette dernière cause en premier lieu. Cette race humaine a péri sous les eaux parce qu’elle savait comment tout se formait de la poudre de la terre, comment le fluide métallique y restait, parce qu’elle savait le secret des choses, et voulait même élever sa science jusqu’aux astres et à Dieu. C’est de là sans doute, c’est de ce passage du livre d’Énoch, très-connu dans l’antiquité et égaré depuis, qu’est venue cette rumeur de la haute science de nos pères antédiluviens ; comme c’est d’un autre passage du livre du même prophète que nous est venue celle de l’union criminelle des anges avec les femmes des hommes. Dieu, dit-on, se repentit d’avoir submergé le monde et détruit les hommes. On en comprend la raison si, comme nous le dit Énoch lui-même, les races qui devaient suivre cette catastrophe devaient être encore plus corrompues que celles qui l’avaient précédée. Et en effet je crois bien que, sous ce rapport, nous ne sommes pas bien loin de la méchanceté de nos antiques aïeux, tout géants qu’ils étaient et toute séculaire que fut leur vie. Nous nous croyons très-savants aussi ; nous croyons aussi savoir le secret des choses et de Dieu ; mais, quelles que soient nos prétentions à cet égard, je ne crois pas, pour mon compte, que nous en sachions encore assez pour alarmer le ciel et pour mériter d’être exterminés de nouveau.
« À tout prendre, nous dirons avec sir Laurence, en finissant, si l’on critique ce livre singulier, comme rempli dans quelques-unes de ses parties de fables et de fictions, il convient de se souvenir toutefois que les fables et les fictions peuvent quelquefois offrir en même temps et de l’amusement et de l’instruction, et qu’elles ne sont dangereuses et condamnables que lorsqu’on les fait tourner au profit du vice et de l’incrédulité. Nous ne devons pas non plus perdre de vue que plusieurs de ces fables, qui sont l’objet de notre censure, et peut-être même la plus grande partie, étaient fondées sur une tradition nationale que, toute autre considération à part, son antiquité seule avait rendue respectable. Que cet auteur ait été inspiré, ce sera à peine aujourd’hui l’objet d’une question ; mais, de ce que son ouvrage est apocryphe, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’on doive le flétrir d’une honteuse condamnation. Incapable de jamais devenir une règle de foi, il peut néanmoins contenir beaucoup de vérités morales et religieuses, et l’on peut avec justice le considérer comme un exposé fidèle de la doctrine des temps où il a été composé. Il ne faut pas sans doute tout passer à l’antiquité ; mais, si l’on prend la peine de lire ce monument d’un âge reculé et d’une contrée éloignée de nous, on y trouvera, au milieu de beaucoup de choses condamnables, plus de choses encore à approuver, à moins d’être difficile à l’excès. Si quelquefois on fronce le sourcil, plus souvent encore on sera tenté de sourire ; on se sentira même plus d’une fois entraîné à admirer, dans cet écrivain, une vivacité d’imagination qui le transporte au-delà des limites enflammées du monde, et déploie devant lui tous les secrets de la création, les splendeurs du ciel et les terreurs de l’enfer, le séjour des âmes séparées des corps qu’elles ont animés, les myriades d’habitants dont se peuple la voûte céleste, les chérubins, les séraphins, les ophanims (c’est-à-dire les roues vivantes du char de l’Éternel), qui entourent le trône éblouissant et célèbrent le saint nom du souverain Seigneur des esprits, du Père tout-puissant, du Père tout-puissant des anges et des hommes. »
M. de Sacy n’est point en ceci de l’opinion de M. Laurence ; mais, malgré tout notre respect pour lui, nous ne pouvons pas être non plus de la sienne. S’il y a de l’obscur et de l’absurde, il y a aussi de la curiosité, il y a de l’intérêt et du beau dans le livre d’Énoch. Du reste, le lecteur jugera ; les pièces sont maintenant sous ses yeux.
J.-F. DANIÉLO.
Paru dans les Annales de philosophie chrétienne
en décembre 1838.
1 Admits not the slightest shade of ambiguity. Laurence preliminary Dissertation, p. XLII.
2 Arrestated to have been on the water that is, as I conceive, over the fluid mass of unformed matterat the period of creation. Ibid. P. XLIII.
3 Here then we have nor merely the declaration of a plurality, but that is a precise and distinct trinity of persons under the supreme appellation of lords. Ibid. p. XLIV.
4 Are represented as not by engaged than the lords of spirits himself in the formation of the world. Ibid.
5 Les Hindous qui professent aussi la doctrine des émanations appellent ces émanations ou ces énergies les Sacti ou vertus, forces de la Divinité. Il est remarquable que la doctrine cabalistique admette dix sephiroth ou émanations de ce genre, tandis que l’Inde admet aussi dix avatars principaux, qui ne sont autre chose que des descentes ou des émanations de la Divinité sous le nom de Vichnou ; les trois premières et principales émanations de la Divinité dans l’Inde s’appellent trimourti, ce qui signifie trois parties, trois puissances, trois formes. Mais ceux qui trouvent, dit Laurence, Ia doctrine de la Trinité-Chrétienne dans les sephiroth ou émanations de la cabale, la renferment dans les trois premières de ces émanations, ne prenant pas garde que toutes les dix sont regardées par les cabalistes comme des émanations divines, et composent l’idée multiple de Dieu, manifestée à nos yeux dans ses œuvres. Avant que la plus grande cause de toutes les causes, que le plus secret des êtres secrets eût créé le monde, avant qu’il eût produit les objets de la connaissance par son intellect, avant qu’il eût produit les formes, il était lui-même, disent-ils, seul, sans figure et sans ressemblance. Mais quand la création commença, son existence ne se pouvant démontrer que par ses énergies, alors de l’immensité de sa propre essence sortit la première des divines sephiroth ou émanations des énergies divines, communiquant par divers degrés et par un incessant effluve de la Divinité avec les neuf autres qui, combinées ensemble, nous développent la décuple idée de Dieu. Cependant la même union est supposée exister entre toutes les dix, aussi bien qu’entre les trois premières ou entre les sept dernières, toutes étant considérées comme séparées dans les modifications que l’action leur imprime, mais comme inséparables dans leur mature.
6 Je suis entièrement de l’avis de sir Laurence en ce point, et je puis dire que les doctrines de la cabale ont le plus grand rapport avec celles de l’Inde. Les Brahmanes comprennent Dieu par ses émanations dans l’univers, comme dans la note ci-dessus nous venons de voir la cabale le comprendre et l’expliquer, tandis que les doctrines de Moïse et des prophètes sont plus pures et plus simples. Il s’y trouve bien aussi quelques rapports très-frappants entre leurs doctrines et celles de l’Inde, de la cabale et de toute la philosophie orientale en un mot ; il est même impossible qu’il n’y en ait pas, puisque les unes sont l’altération des autres, mais il y en a peu. On voit que l’on y a mêlé un autre système intellectuel, une autre famille de pensées.
7 Three lords are enumerated, the Lord of spirits, the Lord the Electone, et the Lord the other Power. Id. p. XLVI.
8 Evidently implies the aknowledgment of three distinct persons participating in the name, and in the power of the godhead. Ibid.
9 Where heaven ceased. Ch. 33, p. 2.
10 Le nombre de cent trois paraboles, dit M. de Sacy, me semble une faute dans le manuscrit, et je suis tenté de croire que l’auteur avait dit trois paraboles ; en effet on ne trouve, dans ce long morceau surchargé de fastidieuses répétitions, que trois paraboles : la première comprend les chapitres 38-44, c’est-à-dire tout le reste de la sixième section ; la deuxième commence avec le chapitre 45 et occupe toute la septième et la huitième section ; enfin la troisième commence avec la neuvième section et finit avec la onzième. La douzième section, qui est assez courte, forme la conclusion de ce long morceau. Elle a pour objet l’enlèvement d’Énoch au séjour qu’habite la Divinité, et sa présentation devant la divine majesté.
11 Cependant il faut se garder de croire que ces montagnes soient la même chose que le Mérou. Toute la ressemblance qu’il y a, c’est que le Mérou a quatre côtés qui sont, l’un de fer, l’autre de cuivre, l’autre d’argent et l’autre d’or : mais tous ces métaux ne sont que les côtés d’une même montagne, ils forment ici autant de montagnes diverses.
12 Il est superflu, je pense, de faire ressortir la similitude qui existe entre ce passage et celui du IXe ch. v. 13 de la Genèse, où Dieu dit : Je placerai mon arc dans les nues.
13 Voilà encore un trait qui a du rapport avec la doctrine indienne. Dans l’Inde aussi, comme on le verra dans le 3e volume de l’Histoire et tableau physiques de l’Univers, à l’article des Pouranas, on place toujours le siège de la Divinité sur la grande montagne, le Mérou, du côté du Nord. Nous y verrons que le prophète Daniel connaissait aussi cette donnée et y fait aussi allusion en parlant de la montagne du Seigneur. C’était aussi dans le Nord, c’était entre le nord et l’ouest, c’était auprès de l’Étoile polaire, c’était dans la constellation de la grande ourse (qu’à cause de ses sept étoiles dont chacune représentait pour eux des patriarches ou Rishis, ils appelaient la septarchie), que les Hindous plaçaient les Pères du genre humain qui étaient les rishis eux-mêmes, jadis vivant sur la terre, maintenant contemplateurs silencieux et brillant dans le ciel aux pieds du trône du grand Dieu, mais n’étant pas encore indifférents aux choses de la terre peuplée par leurs enfants ; et y exerçant même encore une direction ou du moins une influence puissante. C’est pour cela que dans leur conversation et dans leurs livres, les Brahmanes vous disent sans cesse qu’ils viennent du Nord.
14 Until a new work shall be effected, which will be eternal.
15 Telle est aussi la marche du soleil selon les Hindous.
16 Il faut bien remarquer ce passage : les années ont été raccourcies en effet, le malheur est qu’on n’en sache pas la proportion. On serait tenté de croire qu’elle est immense, comme on pourra le voir plus bas à propos de la naissance de Noé.
17 Les Hindous partagent aussi le globe en sept îles ou douipas.
18 Nous attendons, selon ses promesses, des nouveaux cieux et une terre nouvelle, où habite la justice. St. Pierre, ch. III, v. 13. Voir aussi Isaïe, ch. LXV, v. 17, et Apoc., ch. XXI, v. 1.
19 Voir, pour ces descriptions et pour l’exposé du système indien d’après les textes originaux et les livres sanscrits, les 2e et 3e volumes de l’Histoire et tableau physiques de l’Univers.
20 Ce passage est curieux en ce qu’il prouve d’abord la prééminence que les Abyssiniens nègres accordent à la race de couleur blanche, sentiment qui s’est encore conservé vivant dans ce pays, comme l’ont remarqué MM. Combes et Tamisier – voir le dernier No des Annales, ci-dessus, page 329 –, et en second lieu à cause de cette chevelure blanche que l’on donne ici à Noé. Est-ce que l’auteur du livre d’Énoch aurait été frappé de la chevelure blanche que portent les Albinos ? ou bien ces cheveux blancs ne sont-ils qu’un mythe pour marquer la sagesse précoce du second père du genre humain ?
21 On sait que l’on n’est pas fixé sur le sens qu’il faut attacher au mot ange dans ce passage. On ignore si par là il s’agit des anges véritables, tels que les entendent les Chrétiens, ou bien les grands de la terre. D’après ce passage d’Énoch, ce seraient les grands et non-seulement les grands, mais surtout la classe ou la caste des prêtres ct des saints ; caste correspondante dans l’Éthiopie, en la langue et sans doute selon les mœurs de laquelle est écrit ce livre, à la caste des Brahmanes dans les Indes, et à celle des Lévites en Judée, caste à laquelle, en sa qualité de pure, de surhumaine, d’angélique en quelque sorte et de quasi divine, il était si sévèrement défendu de se mésallier, c’est à-dire, de s’unir avec les impurs et les profanes des autres pays et des autres castes.
22 On voit d’après ce passage quelle immense étendue il faut donner à l’année antique, puisque Noé avait beaucoup plus de cent ans quand advint le déluge, ce qui n’empêche pas notre auteur de dire, au moment de la naissance de ce même Noé, que ce déluge arrivera dans un an. On a dit que par un an d’alors on entendait cent ans d’aujourd’hui. Mais on se trompe s’il faut en juger par ce passage, car Noé, avons-nous dit, avait plus de cent ans d’aujourd’hui, c’est-à-dire, plus d’un an d’alors, quand le Déluge arriva. On voit quelle différence ceci jetterait dans la chronologie de l’antiquité, si elle était refaite d’après ces bases.