Prière égyptienne

et prière biblique

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

François DAUMAS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jusqu’au siècle dernier, pour le monde méditerranéen, les prières les plus anciennes étaient celles de la Bible. Or, durant les cent dernières années, les civilisations de l’Orient, enfouies sous le sable des déserts ou le limon des fleuves, ont été ressuscitées, prolongeant de plus de trois millénaires la mémoire que l’humanité gardait de son passé. Aussitôt, on s’est évertué à pénétrer plus à fond les cultures et surtout les littératures des pays au contact desquels le peuple hébreu avait vécu. Une abondante floraison, en effet, de documents littéraires originaires de la Mésopotamie, permit de multiples comparaisons avec les livres de la Bible. Poèmes épiques et cosmogoniques, annales historiques, hymnes, psaumes furent étudiés et confrontés avec les productions similaires d’Israël et permirent d’éclairer maintes fois le texte inspiré et de le mieux interpréter. On a beaucoup moins étudié ses rapports avec la littérature égyptienne. Et pourtant, aussi, rapidement, les contacts généraux s’avéraient fréquents et même des ressemblances si étroites furent signalées entre les PROVERBES et l’enseignement égyptien du scribe Aménopé qu’on peut parler de source.

On avait moins étudié le lyrisme religieux. Le panthéon monstrueux de l’Égypte, sans doute, n’inspirait guère confiance. Il suffit cependant de parcourir quelques-unes des prières que les destructions et les siècles ont laissé venir jusqu’à nous pour y discerner de prime abord une saveur spirituelle qui souvent évoque la richesse des grands textes bibliques.

Nous voudrions rapidement y montrer la puissance des sentiments d’adoration, la connaissance de la perfection divine et, au contact même de cette perfection, l’apparition du sentiment du péché. Enfin nous y relèverons à la fois l’expression de l’amour et du désir de Dieu, en montrant, chemin faisant, comment sentiments et images se retrouvent dans les pages lumineuses dont l’inspiration aide encore notre âme à se frayer un chemin dans la nuit 1.

 

 

Les hymnes d’adoration, comme les autres du reste que nous possédons, sont composés, bien entendu, par des scribes, c’est-à-dire des savants appartenant à une sorte d’Université égyptienne dont on retrouve des représentants à l’ombre de tous les grands temples. Conformément aux habitudes ancestrales, ils adoraient les dieux particuliers de l’Égypte, si étranges au premier abord : Horus à tête de faucon, Hathor portant le disque entre les cornes et ornée d’oreilles de vache, Amon coiffé du mortier et de la double plume, Thoth avec sa tête d’ibis, Khnoum le bélier... Mais aussi loin que nous puissions remonter dans le temps, leurs recueils de préceptes moraux ne contiennent jamais que des appels à Dieu ou des mentions de Dieu, Et la solution qu’ils donnaient au problème des rapports entre cette divinité sans nom et les dieux multiples qu’ils continuaient à adorer nous est connue explicitement au Nouvel Empire et remonte certainement à l’époque des royautés multiples qui suivit l’Ancien Empire : le Dieu unique est innomé et inconnaissable. Les dieux dont nous connaissons le nom ne sont que les aspects divers sous lesquels nous saisissons l’unité divine fondamentale. Un de ces textes du nouvel empire nous dit :

 

Trois sont tous les dieux : Amon, Rê et Ptah ; ils n’ont pas leurs semblables. Amon c’est son nom en tant que caché, Rê c’est sa face et son corps c’est Ptah.

 

Aussi les hymnes d’adoration insistent-ils sur son unité :

 

Forme unique créant tout ce qui est,

Un qui est unique, créant les êtres ;

Les hommes sont sortis de ses deux yeux,

Et les dieux sont venus à l’existence sur sa bouche.

 

Mais c’est aussi un dieu créateur qu’on adore :

 

Seigneur de la justice, Père des dieux,

Qui a fait les hommes, qui a créé le bétail,

Seigneur de ce qui existe, qui a créé l’arbre de vie,

Qui a fait le fourrage pour nourrir les troupeaux.

 

La création de l’arbre de vie ici ne présente qu’une analogie indirecte avec celui de la GENÈSE. Tel qu’il ressort du contexte, c’est l’arbre en général qui sert à entretenir la vie.

Voici une prière au soleil, image de Dieu, dont les symboles successifs, employés pour le désigner, montrent que l’auteur le savait au-delà des représentations :

 

Salut à toi, disque du jour,

Qui créas les hommes et les fais vivre,

Faucon puissant au plumage tacheté,

Qui vint à l’existence pour s’élever lui-même !

Qui vint à l’existence de lui-même, sans avoir été engendré.

Horus l’aîné qui réside dans la Nout-céleste,

Au lever duquel on se réjouit,

Et au coucher duquel on fait de même.

Toi qui façonnes ce que produit la terre,

Khnoum et Amon des hommes.

Qui a pris possession du Double-Pays

Depuis le plus grand jusqu’au plus petit !

Mère magnifique des dieux et des hommes,

Artiste habile que ne fatiguent point ses œuvres innombrables.

Berger fort qui conduit son troupeau

Leur étable qui les fait vivre !

Coureur rapide qui s’avance impétueusement !

 

Il serait certes imprudent de parler de sources bibliques à propos de ce poème et pourtant combien de textes familiers n’évoque-t-il pas pour nous ?

 

Il s’élance d’une extrémité des cieux,

Et sa course aboutit à l’autre extrémité (PS. 19, 7).

Yahweh est mon berger, je ne manque de rien...

Il restaure mon âme, il me conduit dans le droit chemin (PS. 23, 1-3).

Comme un berger, il paîtra son troupeau (ISAÏE 40, 11).

 

Ce qui frappe, c’est l’accent théologique, philosophique presque du poème égyptien, où le sentiment de l’unité transparaît à travers la multiplicité des évocations divines particulières (Khnoum, Horus) et des images hétérogènes, formellement incompatibles mais tendant toutes à suggérer la même idée. C’est un lyrisme intellectuel. La prière biblique, elle, est plus dépouillée, faite d’élan intérieur.

Les Égyptiens adorent leur Dieu parce qu’il les écoute, les secourt et les protège. Le grand hymne à Amon du Caire l’appelle déjà :

 

Celui qui entend les suppliques de qui est dans l’affliction,

Dont le cœur est bienveillant lorsqu’on crie vers lui.

Qui délivre le timide de la main du violent,

Qui juge entre le malheureux et le puissant.

 

Aussi les artisans de la nécropole royale adressent-ils à Rêhorakhty, dieu vénérable d’Héliopolis, ou à la Cîme, la déesse amie du silence, qui habite le sommet pyramidal de la montagne où l’on enterre les morts à l’Occident de Thèbes, de courtes prières pleines de profonde piété.

 

Stèle d’Amonnakht :

 

La Grande Cîme d’Occident,

Qui tend la main à celui qu’elle aime.

Qui donne sa protection à qui l’a placée dans son cœur.

 

Stèle de Pay :

 

Louanges au soleil, prosternation à Horakhty.

Je te donne des louanges quand je vois ta beauté,

J’adore Rê quand il se couche,

Dieu de magnificence, d’amour et de grâce,

Qui entend la supplication,

Qui écoute les prières de qui l’appelle

Et qui vient à la voix de celui qui nomme son nom !

 

Il serait facile de citer bien des versets du psautier sur le même thème ; le Dieu jaloux du Sinaï allait devenir un Dieu d’amour, le Dieu des Pauvres de Yahweh, comme Amon avait protégé les faibles du bras du puissant.

 

 

Et les Égyptiens adoraient ce Dieu pour sa perfection, que les hymnes magnifient à travers leurs images tantôt plus théologiques, comme ceux d’Amon, tantôt plus naturels, comme ceux d’Aton, composés par le roi hérétique d’Amarna. Dieu parfait parce qu’il s’est créé lui-même !

 

Celui dont le devenir a commencé la première fois,

Amon qui s’est produit au commencement sans que son mystère soit connu.

Il n’y eut pas de Dieu avant Lui,

Il n’y avait pas d’autre dieu avec lui pour lui dire sa forme.

Le Puissant à la naissance mystérieuse qui a créé sa beauté.

 

Et c’est une manière la seule dans une langue qui ne manie pas l’abstraction et qui n’a point connu les jeux intellectuels, si dangereux mais si utiles, des Sophistes, d’exprimer non point le concept de durée infinie pour lequel elle possède des mots, mais celui d’éternité.

Ce Dieu éternel, qui n’a point été créé mais est son propre auteur, demeure inaccessible aux hommes dans l’intimité de sa nature. Son « nom vrai » n’est point connu :

 

Il est plus éloigné que le ciel, il est plus profond que l’Hadès.

Aucun dieu ne connaît sa vraie forme.

Son image n’est pas étalée dans les livres.

On n’a point sur lui de témoignage parfait.

Il est trop mystérieux pour que soit révélée sa gloire.

Il est trop grand pour être examiné, trop puissant pour être connu.

On tomberait à l’instant mort d’effroi

Si l’on prononçait son nom secret que personne ne peut connaître.

Il n’y a point de dieu qui puisse l’invoquer par ce nom.

 

Tu ne pourras voir ma face, dit Yahweh à Moïse, car l’homme ne peut me voir et vivre (EX. 33, 20).

À qui donc comparerez-vous Dieu ?

Et quoi de comparable mettrez-vous devant lui ?

Yahweh est un Dieu éternel...

et dont l’intelligence est insondable (ISAÏE 40, 18, 28).

 

Sa perfection apparaît dans sa création :

 

Tu te lèves dans ta perfection à l’horizon des cieux,

Ô Aton vivant, source de vie !

Tes rayons enveloppent les terres et tout ce que tu as créé.

Lorsque tu te reposes aux confins occidentaux du ciel,

Le monde est plongé dans les ténèbres comme la mort...

Le lion sort de sa tanière ;

Tous les serpents dardent la langue,

Les ténèbres règnent,

L’Univers est silencieux.

Étincelante est la terre

Lorsque tu te lèves à l’horizon.

Lorsque tu brilles en Aton durant le jour,

Éveillés et dressés sur leurs pieds, car tu les as mis debout,

Les hommes baignent leurs membres, ils revêtent leurs habits,

Leurs bras se lèvent en adoration vers ton aurore,

Puis dans l’univers entier, ils accomplissent leurs travaux.

Combien diverses sont tes œuvres !

Tes desseins sont impénétrables pour nous,

Ô toi seul dont nul autre ne possède la puissance !

 

 

 

 

 

 

Quand tu fais naître les ténèbres et que vient la nuit,

Alors se mettent en mouvement toutes les bêtes de la forêt.

Les lionceaux rugissent après la proie

Et ils demandent à Dieu leur nourriture.

 

Le soleil se lève, ils se retirent et se couchent dans leurs tanières,

 

L’homme sort pour sa tâche et pour son travail jusqu’au soir.

 

 

 

 

 

 

 

Que tes œuvres sont nombreuses, Yahweh,

Tu les as toutes faites avec sagesse ! (PS. 104, 20-24)

 

 

Ici les ressemblances dans l’ordre même du texte sont si étranges qu’on se demande si le psaume ne dépend pas étroitement de l’hymne royal.

 

 

Pour la première fois peut-être dans l’histoire spirituelle de l’humanité, devant la perfection divine qu’il arrivait à concevoir, l’homme a eu conscience de sa déficience morale et a connu le sens du péché et le repentir. C’est dans le milieu des artisans de la nécropole thébaine que de très curieux documents personnels ont vu le jour. Sous l’effet d’une grande douleur, physique ou morale, des hommes ont compris qu’un Dieu si parfait exigeait d’eux un effort vers cette perfection. Il est devenu pour eux un modèle. Voici la stèle du peintre Nebrê qui a vu dans la maladie de son fils la punition d’une faute par lui commise et qui en des phrases encore obscures pour nous parce que les sentiments exprimés sont nouveaux et profonds loue Amon d’avoir exaucé sa prière :

 

Je compose pour lui des hymnes en son nom,

Je le loue jusqu’au haut du ciel, jusqu’à l’extrémité de la terre.

Je raconte sa puissance à celui qui remonte le fleuve et à celui qui le descend.

Prenez garde à lui !

Répétez-le au fils et à la fille,

Aux grands et aux petits ;

Racontez-le aux générations présentes,

Et aux générations qui n’ont pas encore vu le jour ;

Racontez-le aux poissons qui sont dans l’eau

Et aux oiseaux qui sont au ciel.

Répétez-le à celui qui le connaît et à celui qui l’ignore ;

Prenez garde à lui !

 

C’est toi Amon, le maître du silencieux,

Qui vient à la voix du malheureux.

Je t’appelle lorsque je suis dans l’affliction

Et tu viens pour me sauver,

Pour me donner le souffle dans mon malheur,

Pour me sauver lorsque je suis prisonnier.

C’est toi, Amon-Rê, maître de Thèbes,

Qui sauve celui qui est dans l’Hadès,

Car c’est toi qui es...

Lorsqu’on t’appelle, c’est toi qui viens de loin.

....................................................................................

Tandis que le serviteur est enclin à commettre le péché,

Le Seigneur, lui, est enclin à la grâce.

Le Maître de Thèbes ne passe pas un jour entier en colère,

S’il se met en colère c’est pour un instant et il n’en reste rien.

Le repentir (?) se tourne pour nous en paix,

Amon se retourne (?) avec son souffle (favorable).

Autant que durera ton Ka, tu seras paisible,

Nous ne recommencerons pas à revenir en arrière.

(Dit) par le peintre dans la place de vérité, Nebrê, juste de voix. Il avait dit : je ferai cette stèle à ton nom et je rendrai durable pour toi cet hymne en l’inscrivant sur sa face, si tu sauves pour moi le peintre Nakhtamon ; voilà ce que je t’avais promis. Et tu m’as écouté, or voici que j’exécute ma promesse. C’est toi le Seigneur de celui qui l’appelle, toi qui te réjouis de la vérité. Fait par le peintre Nebrê et son fils Chay.

 

Il n’est pas un des thèmes de cet émouvant poème qui n’ait été cent fois repris par les poètes bibliques. Les psalmistes ont clamé le nom du Seigneur à tous ceux qui ont bien voulu les écouter :

 

On parlera du Seigneur à la génération qui viendra

Et on dira sa fidélité aux gens qui naîtront... (PS. 21, 31).

 

Osée, le premier parmi les prophètes, a évoqué la miséricorde, l’amour paternel de Yahweh pour son peuple. Et les PSAUMES devaient exploiter le thème :

 

Comment te laisserai-je, Éphraïm, te livrerai-je, Israël ?

Comment te laisserai-je comme Adama ? te ferai-je comme Tseboïm ?

Mon cœur se retourne en moi, à la fois mes compassions s’émeuvent !

Je n’exciterai pas le feu de ma colère, je ne retournerai pas pour détruire Éphraïm,

Car je suis Dieu et non point homme, Saint au milieu de toi,

Et je n’irai point allumer ma colère (OSÉE II, 8-9).

Yahweh est compatissant et miséricordieux,

Lent à la colère et riche en bonté :

Il ne discute pas sans fin

Et ne persiste pas éternellement dans son courroux (PS. 103, 8-9).

 

 

Les élans d’amour et le désir de Dieu n’ont point manqué à ce lyrisme religieux dont les accents nous touchent encore ; telles ces strophes enflammées du grand hymne à Amon du Caire :

 

Salut à toi qui résides en paix dans (ton temple),

Seigneur de la joie aux apparitions puissantes,

Seigneur de l’uraeus qu’élève la double plume.

Qu’embellit le bandeau, qu’élève la couronne blanche.

 

Les dieux se plaisent à tourner leur regard vers toi,

Quand le pschent repose sur ton front,

Quand ton amour s’étend dans le Double Pays,

Quand tes rayons brillent dans les yeux.

 

Les hommes sont heureux quand tu te lèves,

Ton troupeau défaille quand tu brilles ;

Ton amour est dans le ciel du sud

Et ta tendresse dans le ciel du nord.

 

Ta beauté ravit les cœurs,

Ton amour fait tomber les bras,

Ta forme parfaite rend les mains sans force,

Les cœurs sont oublieux du reste pour t’avoir regardé !

 

Sur ce point peut-être la transcendance du Dieu d’Israël, si forte chez les Sémites, n’a-t-elle pas permis, même aux prophètes, d’oser exprimer à Yahweh de pareils sentiments. Mais le désir de Dieu, qui a fait découvrir au psalmiste le Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, a doté la littérature religieuse du thème de la soif, si expressif qu’il a dépassé son aire géographique normale des pays orientaux :

 

Les malheureux et les pauvres qui cherchent en vain des eaux,

Et dont la langue est desséchée par la soif,

Moi, Yahweh, je les exaucerai...

Je ferai jaillir des fleuves sur les sommets dénudés

Et dans les vallées, des sources... (ISAÏE 41, 17-18).

 

Or les scribes « silencieux » et méditatifs de l’ancienne Égypte, les serviteurs de Thoth, l’Hermès trois fois grand des Grecs, avaient déjà exprimé dans un poème, quelque peu obscurci par les allusions qu’il contient au temple même du dieu, dans le désert d’Hermopolis, leur soif ardente de l’intimité divine. Ils comparent leur recherche du dieu à la difficulté que l’on éprouve pour recueillir l’eau si douce que contiennent les durs noyaux de noix doum ou à trouver dans le désert l’eau fraîche qui désaltère. Mais Thoth, qui, pour son temple, a su amener l’eau au fond de son puits immense, creusé dans les sables, saura bien apaiser la soif de qui le cherche dans le silence et l’espoir.

 

Ô Thoth, place-moi dans Hermopolis, ta ville, où il est doux de vivre !

Donne-moi mon nécessaire en pain et en bière

Et garde ma bouche de paroles (humaines).

 

Puissé-je avoir Thoth derrière moi au matin !

Viens, ô parole divine, lorsque je suis entré devant le dieu mon Seigneur,

Afin que je sorte juste de voix.

 

Ô grand palmier-doum de soixante coudées qui porte des noix,

Il y a des noyaux à l’intérieur des noix,

Et de l’eau à l’intérieur des noyaux.

 

Ô toi qui amènes l’eau dans un lieu éloigné,

Viens et sauve-moi qui suis silencieux,

Thoth, ô fontaine douce à l’homme altéré dans le désert.

 

Elle est scellée pour celui qui trouve ses paroles,

Elle est ouverte pour le silencieux ;

Il vient le silencieux et il trouve la fontaine...

 

 

Tous les textes que nous avons cités sont, et de beaucoup, antérieurs aux livres bibliques. Ce n’est point ici le lieu d’établir une chronologie ni même d’étudier les intermédiaires par lesquels Israël a pu avoir connaissance des productions littéraires égyptiennes. Il importait surtout de mettre en relief les indéniables similitudes, car elles permettent aussi de mieux apprécier les différences. Même dans ses élans les plus fougueux, la prière égyptienne a quelque chose de mesuré, de méditatif, de théologique, si l’on veut bien entendre par ce dernier adjectif qu’elle était faite de réflexion appliquée à la connaissance plus intime de Dieu. L’homme aimé de Dieu, pour l’Égyptien, c’est essentiellement le « silencieux », celui qui médite, presque le philosophe de Platon qui mène une vie juste et sainte et s’efforce à l’imitation de Dieu autant qu’il est possible. La prière d’Israël, elle, celle des prophètes surtout bien sûr, mais aussi celle des psalmistes, reflète moins de connaissances intellectuelles. La conception qu’il se faisait de Dieu n’est pas toujours originale et nous pouvons souvent en rapprocher des constructions antérieures beaucoup plus élaborées, en Égypte en particulier. Mais, en revanche, elle manifeste un élan intérieur la plupart du temps extrêmement dépouillé, un désir absolu du règne de Dieu qui va s’épurant de plus en plus, sous l’influence des prophètes, pour aboutir à une pauvreté totale de l’esprit devant l’invasion divine. Alors ce pauvre peuple fut prêt à recevoir Dieu et non point sans doute ses riches voisins, souvent meilleurs que lui, théologiens plus profonds et plus graves, mais qui n’avaient point su débarrasser leur maison de ses ornements misérables pour la laisser illuminée de la présence seule du Roi.

 

Lyon

 

François DAUMAS.

 

Paru dans Bible et vie chrétienne en mai-juillet 1955.

 

 

 



1  Les références et les justifications de ces pages sont à rechercher dans un travail intitulé : Amour de la vie et sens du divin dans l’Égypte ancienne. Études carmélitaines, « Magie des extrêmes », p. 92-141. Paris, 1952.

 

 

 

 

 

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